SAINT THOMAS D’AQUIN

Docteur de l’Église

COMMENTAIRE DES SENTENCES DE PIERRE LOMBARD

Scriptum super Sententiis

(1254-1256)

© Copyright, traduction et notes par Jacques MÉNARD 2009-2014

Edition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique

Les œuvres complètes de saint Thomas d’Aquin

Sentences II, 25-44 non relu et vérifié

 

LIVRE II

 

 

NOTE LIMINAIRE – Bien qu’il ait été rédigé sur une période de plusieurs années, le Commentaire sur le livre des Sentences de Pierre Lombard témoigne du premier enseignement de Thomas d’Aquin. Il a paru intéressant d’en donner une traduction française, même si plusieurs opinions exprimées par l’auteur seront corrigées ou abandonnées dans des œuvres ultérieures. Les lecteurs intéressés pourront ainsi étudier plus facilement comment la pensée de Thomas d’Aquin a pu évoluer. Par ailleurs, le Commentaire contient aussi des pages remarquables, que les lecteurs prendront intérêt à lire ou à relire en français. On se rappellera enfin que le IVe livre des Sentences a fourni en grande partie les matériaux du Supplément de la IIIa Pars de la Somme de théologie, que Thomas d’Aquin a laissée inachevée au moment de sa mort, en 1274 (la rédaction personnelle par Thomas d’Aquin se termine à III, q. 90, a. 4).

On trouvera une édition critique des Sentences sous le titre Sententiae, éd. I. Brady, Grottaferrata, 1971-1981. Il n’existe pas de traduction française de ce texte pourtant fondamental de la théologie médiévale. Sur Pierre Lombard, on pourra voir la brève notice « Pierre Lombard », Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Âge, Paris, 1992, p. 1185-1186 (bibl.), ainsi que la notice « Pierre Lombard », Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2002, p. 1106-1107 (bibl.). G. Silano a donné une bonne introduction à sa traduction des Sentences, publiée sous le titre : Peter Lombard. The Sentences, Book I : The Mystery of the Trinity, Toronto, 2007, p. vii et ss. Pour tout ce qui concerne le contexte historique du Commentaire de Thomas d’Aquin sur le Livre des Sentences, on pourra se rapporter à J.-P. TORRELL, Initiation à saint Thomas d’Aquin. Sa personne et son œuvre, Paris-Fribourg, 2002 (2e éd.), p. 53 et ss. (bibl.).

 

Version préliminaire

 

La presente version est préliminaire.

1. Il reste en eeffet à compléter et à uniformiser les citations bibliques (que j’ai laissées telles que les éditeurs du texte latin les ont données).

2. Il faudra aussi traduire les explications du texte (expositiones textus), lorsqu’une traduction française de référence des Sentences de Pierre Lombard aura été réalisée (ces explications du texte se trouvent généralement à la fin de chacune des distinctions). Il a paru en effet préférable d’attendre une traduction française du Livre des Sentences de Pierre Lombard et, le temps venu, de renvoyer à la traduction correspondant au texte de chaque expositio textus.

                                                                                                                                                      

En l’absence d’une édition critique, la traduction française est réalisée à partir de l’édition électronique des Opera omnia de Thomas d’Aquin, réalisée par le professeur Enrique Alarcón, dans le cadre de la publication accessible par ordinateur du Corpus thomisticum (Université de Navarre, 2004). http://www.corpusthomisticum.org

 

Distinction 1 – [La création] 12

Question 1 – [Existe-t-il un seul prncipe ?] 12

Prologue_ 12

Article 1 – Existe-t-il plusieurs premiers principes ?_ 13

Article 2 – Une chose peut-elle émaner de lui par création ?_ 21

Article 3 – Créer convient-il à d’autres qu’à Dieu ?_ 27

Article 4 – Une réalité autre Dieu produit-elle quelque chose ?_ 31

Article 5 – Le monde est-il éternel ?_ 37

Article 6 – Interprète-t-on correctement : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre », en disant : « … dans le Fils »?  56

Question 2 – [L’ordre des créatures à la fin ultime] 59

Prologue_ 59

Article 1 – Convient-il que Dieu agisse en vue d’une fin ?_ 60

Article 2 – Les créatures existent-elles en vue de la bonté de Dieu ?_ 63

Article 3 – Toutes choses ont-elles été créées pour l’homme ?_ 66

Article 4 – L’âme raisonnable doit-elle être unie au corps ?_ 70

Article 5 – L’âme humaine devait-elle être unie à tel corps ?_ 73

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1_ 76

Distinction 2 – [Les créatures en particulier] 77

Question 1 – [L’aevum diffère-t-il de l’éternité ou du temps ?] 77

Prologue_ 77

Article 1 – L’aevum est-il la même chose que l’éternité [ou le temps]?_ 79

Article 2 – N’existe-t-il qu’un seul ævum ?_ 84

Article 3 – La durée de l’ange a-t-elle commencé avant le monde ?_ 88

Question 2 – [Le ciel empyrée] 91

Prologue_ 91

Article 1 – Le ciel empyrée est-il un corps ?_ 91

Article 2 – Le ciel empyrée est-il lumineux ?_ 94

Article 3 – Le ciel empyrée exerce-t-il une influence sur les autres corps ?_ 98

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 2_ 101

Distinction 3 – [La condition des anges] 102

Question 1 – [Les anges sont-ils composés de matière et de forme ?] 102

Prologue_ 102

Article 1 – L’ange est-il composé de matière et de forme ?_ 103

Article 2 – La personnalité peut-elle exister chez les anges ?_ 110

Article 3 – Le nombre peut-il exister chez les anges ?_ 112

Article 4 – Existe-t-il plusieurs anges d’une seule espèce ?_ 118

Article 5 – Les anges appartiennent-ils à un seul genre ?_ 122

Article 6 – L’ange et l’âme diffèrent-ils selon l’espèce ?_ 125

Question 2 – [L’ange était-il mauvais au commencement de sa création ?] 134

Prologue_ 134

Article 1 – L’ange pouvait-il être mauvais au commencement de sa créaton ?_ 135

Question 3 – [La connaissance de l’ange] 140

Prologue_ 140

Article 1 – L’ange connaît-il les choses par son essence ?_ 140

Article 2 – Les anges supérieurs intelligent-ils par des espèces plus universelles ?_ 145

Article 3 – Les anges intelligent-ils les réalités particulières ?_ 149

Article 4 – L’ange intellige-t-il plusieurs choses en même temps ?_ 155

Question 4 – [Dans son état naturel, l’ange a-t-il aimé Dieu plus que lui-même et toutes les autres choses ?] 158

Article 1 – Dans son état naturel, l’ange a-t-il aimé Dieu plus que lui-même et toutes les autres choses ?_ 158

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 3_ 162

Distinction 4 – [La béatitude initiale des anges] 162

Prologue_ 162

Article 1 – Les anges ont-ils été créés bienheureux ?_ 164

Article 2 – Les anges ont-ils connu à l’avance leur misère ou leur béatitude ?_ 167

Article 3 – Les anges ont-ils été créés avec la grâce ?_ 170

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 4_ 174

Distinction 5 – [La conversion et l’aversion des anges] 174

Question 1 – [L’ange pouvait-il pécher ?] 174

Prologue_ 174

Article 1 – Le péché peut-il exister chez les anges ?_ 176

Article 2 – L’ange mauvais a-t-il désiré l’égalité avec Dieu ?_ 179

Article 3 – Le premier péché de l’ange a-t-il été l’orgueil ?_ 182

Question 1 – [La conversion des anges bons] 185

Prologue_ 185

Article 1 – Les anges ont-ils eu besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ?_ 185

Article 2 – Les anges ont-ils mérité leur béatitude ?_ 188

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 5_ 191

Distinction 6 – [Les conséquences de l’aversion et de la conversion chez les anges] 192

Question 1 – [À quel ordre appartenait Lucifer ?] 192

Prologue_ 192

Article 1 – Lucifer était-il le plus élevé de tous les anges ?_ 193

Article 2 – Le péché du premier ange a-t-il été une occasion de pécher pour les autres ?_ 195

Article 5 – Les démons qui sont vaincus par les saints sont-ils jetés en enfer ?_ 205

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 6_ 207

Distinction 7 – [Le pouvoir et la puissance des anges] 208

Question 1 – [La confirmation des anges] 208

Prologue_ 208

Article 1 – Les anges bons peuvent-ils pécher ?_ 210

Article 2 – Les démons peuvent-ils faire le bien ?_ 213

Question 2 – [La connaissance des démons] 219

Prologue_ 219

Article 1 – Les démons ont-ils une science pénétrante ?_ 219

Article 2 – La divination peut-elle être réalisée par les démons ?_ 222

Question 3 – [La puissance de l’action des démons] 229

Prologue_ 229

Article 1 – Les démons peuvent-ils produire un véritable effet corporel dans la matière corporelle ?_ 229

Article 2 – Est-il mal de recourir à l’aide du démon en vue d’effets corporels ?_ 233

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 7_ 236

Distinction 8 – [Les apparitions corporelles des anges bons et mauvais] 236

Prologue_ 236

Article 1 – Les anges ont-ils des corps qui leur sont unis ?_ 237

Article 2 – Les anges assument-ils un corps ?_ 239

Article 3 – Les corps assumés par les anges ont-ils la nature véritable qu’ils montrent ?_ 242

Article 5 – Les démons peuvent-ils se trouver à l’intérieur des corps des hommes ?_ 251

Article 6 – Dieu est-il apparu sous des figures corporelles ?_ 255

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 8_ 258

Distinction 9 – [La dignité des anges bons] 259

Prologue_ 259

Article 1 – La définition de la hiérarchie donnée par Denys est-elle appropriée ?_ 260

Article 2 – Un ange en purifie-t-il un autre ?_ 265

Article 3 – La hiérarchie angélique est-elle divisée de manière appropriée en trois hiérarchies et neuf ordres ?  271

Article 4 – Les noms des anges sont-ils distingués de manière appropriée ?_ 279

Article 5 – Tous les anges d’un seul ordre sont-ils égaux ?_ 283

Article 6 – Toutes les hiérarchies sont-elles connexes ?_ 285

Article 7 – La distinction entre les ordres vient-elle de la nature ?_ 289

Article 8 – [Les hommes sont-ils introduits dans les ordres des anges ?] 292

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 9_ 296

Distinction 10 – [Les actes des ordres angéliques] 296

Prologue_ 296

Article 1 – Tous les anges entourent-ils [Dieu] ?_ 297

Article 2 – Tous les anges sont-ils envoyés pour un ministère ?_ 300

Article 3 – Tous les anges de la deuxième hiérarchie sont-ils envoyés ?_ 305

Article 4 – Les anges sont-ils empêchés de contempler par l’accomplissement d’un ministère ?_ 309

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 10_ 311

Distinction 11 – [La garde des hommes par les anges] 311

Question 1 – [Les anges sont-ils assignés à la garde des hommes ?] 311

Prologue_ 311

Article 1 – Des anges gardent-ils les hommes ?_ 312

Article 2 – Appartient-il à tous les ordres de la troisième hiérarchie de garder les hommes ?_ 316

Article 3 – Des anges sont-ils assignés à tous les hommes pour les garder ?_ 319

Article 4 – L’ange abandonne-t-il parfois l’homme auquel il est assigné ?_ 322

Article 5 – Les anges éprouvent-ils de la peine en raison de la damnation des hommes qu’ils gardent ?_ 324

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 11, q. 1_ 326

Question 2 – [Le progrès des anges] 327

Prologue_ 327

Article 1 – Les anges progressent-ils dans la vision de Dieu ?_ 328

Article 2 – Les anges inférieurs sont-ils illuminés par les [anges] supérieurs ?_ 331

Article 3 – Les anges connaissent-ils certaines choses en se parlant ?_ 334

Article 4 – Les anges ont-ils appris le mystère de l’incarnation par des hommes ?_ 338

Article 5 – Peut-il y avoir combat entre les anges ?_ 342

Article 6 – Les ordres [des anges] dureront-ils au-delà du jour du jugement ?_ 345

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 11, q. 2, a. 6_ 347

Distinction 12 – [Les êtres corporels] 347

Question 1 – [Les êtres corporels ont-ils une seule matière ?] 347

Prologue_ 347

Article 1 – Les êtres corporels ont-ils une seule matière ?_ 349

Article 2 – Toutes les choses ont-elles été créées simultanément, différenciées selon les espèces ?_ 354

Article 3 – La distinction entre les jours est-elle sauvegardée selon l’interprétation d’Augustin ?_ 359

Article 4 – La matière première était-elle informe ?_ 366

Article 5 – Assigne-t-on de manière appropriée au caractère contemporain à quatre choses : [le ciel empyrée, la nature angélique, la matière des quatre éléments et le temps] ?_ 370

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 12_ 374

Distinction 13 – [L’œuvre du premier jour] 376

Prologue_ 376

Article 1 – L’œuvre de différenciation était-elle nécessaire après l’œuvre de la création ?_ 378

Article 2 – Trouve-t-on de la lumière au sens propre dans les [substances] spirituelles ?_ 381

Article 3 – La lumière est-elle un accident ?_ 384

Article 4 – La production de la lumière est-elle racontée de manière appropriée ?_ 393

Article 5 – Le Père accomplit-il tout par le Fils ?_ 398

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 13_ 400

Distinction 14 – [L’œuvre du deuxième et du troisième jour] 401

Prologue_ 401

Article 1 – Y a-t-il des eaux au-dessus des cieux ?_ 402

Article 2 – Le firmament a-t-il la même nature que les corps inférieurs ?_ 407

Article 3 – Le mouvement du ciel vient-il d’une intelligence ?_ 410

Article 4 – Le nombre des cieux est-il assigné de manière appropriée par Raban ?_ 414

Article 5 – L’œuvre du troisième jour est-elle décrite de manière appropriée ?_ 417

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 14_ 422

Distinction 15 – [L’œuvre d’embellissement] 423

Question 1 – [La production des étoiles] 423

Prologue_ 423

Article 1 – La production des étoiles est-elle décrite de manière appropriée ?_ 425

Article 2 – Les corps célestes exercent-ils une influence sur les corps inférieurs ?_ 429

Article 3 – Les corps supérieurs exercent-ils une causalité sur les mouvements du libre arbitre ?_ 434

Question 2 – [La production des animaux] 439

Prologue_ 439

Article 1 – Certains animaux ont-ils tiré leur matière des eaux et d’autres, de la terre ?_ 439

Article 2 – L’embellissement des éléments est-il décrit de manière appropriée en trois genres ?_ 442

Question 3 – [Le septième jour] 445

Prologue_ 445

Article 1 – Dieu a-t-il achevé son œuvre le septième jour ?_ 446

Article 2 – Est-ce qu’on dit de Dieu de manière appropriée qu’il s’est reposé le septième jour ?_ 451

Article 3 – Dieu devait-il sanctifier le septième jour plutôt que les autres ?_ 456

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 15_ 459

Distinction 16 – [L’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu] 460

Prologue_ 460

Article 1 – Peut-on dire d’une créature qu’elle est à l’image [de Dieu] ?_ 462

Article 2 – L’image de Dieu se trouve-t-elle seulement dans les créatures raisonnables ?_ 465

Article 3 – L’image de Dieu se trouve-t-elle davantage chez les anges que chez les hommes ?_ 468

Article 4 – L’image et la ressemblance sont-elles distinguées de manière appropriée dans le texte ?_ 471

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 16_ 474

Distinction 17 – [La création de l’homme en ses parties] 475

Question 1 – [L’âme fait-elle partie de l’essence divine ?] 475

Prologue_ 475

Article 1 – L’âme humaine fait-elle partie de l’essence divine ?_ 477

Article 2 – L’âme humaine est-elle constituée de quelque matière ?_ 482

Question 1 – [L’âme a-t-elle été créée hors du corps ?] 488

Prologue_ 488

Article 1 – L’âme intellectuelle ou l’intellect est-il unique pour tous les hommes ?_ 488

Article 2 – Les âmes ont-elles été créées en dehors des corps ?_ 502

Question 3 – [La formation du corps de l’homme] 507

Prologue_ 507

Article 1 – Existe-t-il quelque chose de la nature d’un corps céleste dans la composition de l’homme ?_ 507

Article 2 – Le Paradis dans lequel Adam était peut-il être un lieu corporel ?_ 511

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 17_ 515

Distinction 18 – [L’origine de la femme] 515

Question 1 – [Le corps de la femme a-t-il été fait à partir d’une côte d’Adam ?] 515

Prologue_ 515

Article 1 – Le corps de la femme devait-il être formé à partir d’une côté de l’homme ?_ 517

Article 2 – Dieu a-t-il implanté dans la matière des raisons séminales de manière appropriée ?_ 522

Article 3 – Les choses accomplies par-delà des raisons séminales sont-elles des miracles ?_ 529

Question 2 – [La formation de la femme du point de vue de son àme] 533

Prologue_ 533

Article 1 – L’âme humaine est-elle transmise par les parents ?_ 533

Article 2 – L’âme raisonnable vient-elle de Dieu par l’intermédiaire des anges ?_ 539

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 18_ 553

Distinction 19 – [Le premier état de la nature] 554

Question 1 – [L’immortalité de l’homme selon son âme] 554

Prologue_ 554

Article 1 – L’âme de l’homme est-elle corrompue lors de la corruption du corps ?_ 556

Article 2 – L’homme dans son premier état devait-il nécessairement mourir ?_ 565

Article 3 – Le corps d’Adam était-il passible ?_ 569

Article 4 – En son premier état, l’homme était-il impassible et immortel ?_ 572

Article 5 – L’immortalité d’Adam était-elle la même que l’immortalité des ressuscités ?_ 577

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 19_ 579

Distinction 20 – [La multiplication des iindividus par la génération] 581

Question 1 – [La génération aurait-elle existé dans le premier état ?] 581

Prologue_ 581

Article 1 – La génération aurait-elle existé dans le premier état ?_ 583

Article 2 – Dans l’état d’innocence, la génération se serait-elle réalisée par l’union sexuelle ?_ 586

Question 2 – [La qualité corporelle des enfants] 590

Prologue_ 590

Article 1 – Dans l’état d’innocence, les hommes auraient-ils eu, aussitôt après leur naissance, toute la perfection corporelle pour ce qui est la force, de la stature et du sexe ?_ 590

Article 2 – Dans l’état d’innocence, les enfants, aussitôt nés, auraient-ils eu une connaissance parfaite ?_ 595

Article 3 – Dans l’état d’innocence, les enfants seraient-ils nés avec la grâce ?_ 599

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 20_ 603

Distinction 21 – [La chute de l’homme par le péché] 604

Question 1 – [À qui revient-il de tenter ?] 604

Prologue_ 604

Article 1 – Dieu tente-t-il quelqu’un ?_ 606

Article 2 – La tentation par le Diable est-elle un péché ?_ 609

Article 3 – Faut-il désirer la tentation ?_ 612

Question 2 – [Le déroulement de la tentation des premiers parents] 615

Prologue_ 615

Article 1 – Le Diable a-t-il tenté Ève par envie et sous la forme d’un serpent ?_ 616

Article 2 – Le péché d’Adam a-t-il été plus grave que tous les autres péchés ?_ 619

Article 3 – Adam pouvait-il pécher véniellement dans l’état de nature ?_ 623

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 21_ 626

Distinction 22 – [Le principe intérieur de la chute] 627

Question 1 – [Quel était le genre du premier péché ?] 627

Prologue_ 627

Article 1 – Le premier péché de l’homme en fut-il un d’orgueil ?_ 629

Article 2 – Le péché de l’homme a-t-il consisté à désirer être comme Dieu ?_ 633

Article 3 – La femme a-t-elle péché plus gravement que l’homme ?_ 637

Question 2 – [L’ignorance est-elle un péché ?] 640

Prologue_ 640

Article 1 – L’ignorance est-elle un péché ?_ 640

Article 2 – L’ignorance excuse-t-elle le péché ?_ 643

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 22_ 647

Distinction 23 – [Comment Dieu a-t-il permis le péché ?] 648

Question 1 – [Dieu aurait-il pu faire en sorte qu’une nature créée ne puisse pas pécher, compte tenu de la condition de sa nature ?] 648

Prologue_ 648

Article 1 – Dieu pouvait-il faire en sorte qu’une créature ne puisse pas pécher, compte tenu de la condition de sa nature ?  650

Article 2 – Dieu devait-il permettre que l’homme soit tenté ou pèche ?_ 653

Question 2 – [La connaissance de l’homme en son premier état] 656

Prologue_ 656

Article 1 – Adam voyait-il Dieu par son essence ?_ 657

Article 2 – Adam a-t-il eu une connaissance parfaite des choses dès sa création ?_ 661

Article 3 – Dans son premier état, l’homme pouvait-il être induit en erreur?_ 666

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 23_ 668

Distinction 24 – [La puissance naturelle de l’homme en son premier état] 669

Question 1 – [Le libre arbitre est-il une puissance ou un habitus ?] 669

Prologue_ 669

Article 1 – Le libre arbitre est-il une puissance ?_ 671

Article 2 – Le libre arbitre désigne-t-il plusieurs puissances ou une seule ?_ 674

Article 3 – Le libre arbitre est-il une puissance distincte de la volonté et de la raison ?_ 678

Article 4 – En son premier état, Adam pouvait-il éviter le péché par son libre arbitre ?_ 683

Question 2 – [Les puissances associées au libre arbitre] 686

Prologue_ 686

Article 1 – Le signalement de la sensualité donné dans le texte est-il approprié ?_ 686

Article 2 – La raison supérieure et la raison inférieure sont-elles une seule puissance ?_ 690

Article 3 –La syndérèse est-elle un habitus ou une puissance ?_ 697

Article 4 – La conscience est-elle un acte ?_ 700

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 24, Question 2_ 705

Question 3 – [Le péché dans les puissances de l’âme] 705

Prologue_ 705

Article 1 – Le mouvement de la sensualité, de la raison supérieure et de la [raison] inférieure est-il suffisamment assigné dans le texte ?_ 706

Article 2 – Le péché existe-t-il dans la sensualité ?_ 711

Article 3 – Peut-il y avoir péché dans la raison ?_ 715

Article 4 – Peut-il exister un péché mortel dans la délectation de la raison inférieure ?_ 719

Article 5 – Le péché véniel peut-il exister dans la raison supérieure ?_ 723

Article 6 – Une péché véniel peut-il devenir mortel ?_ 727

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 24, Question 3_ 732

Distinction 25 – [Les conditions du libre arbitre] 733

Question 1 – [Chez qui trouve-t-on le libre arbitre] 733

Prologue_ 733

Article 1 – Le libre arbitre existe-t-il en Dieu ?_ 736

Article 2 – Le libre arbitre peut-il être contraint ?_ 741

Article 3 – Le libre arbitre porte-t-il sur tous les actes humains ?_ 746

Article 4 – La liberté de l’arbitre est-elle augmentée ou diminuée ?_ 748

Article 5 – Existe-t-il une triple distinction dans le libre arbitre ?_ 751

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 25_ 755

Distinction 26 – [La grâce met-elle quelque chose de créé dans l’âme ?] 756

Prologue_ 756

Article 1 – La grâce met-elle quelque chose de créé dans l’âme ?_ 758

Article 2 – La grâce est-elle un accident ?_ 762

Article 3 – La grâce réside-t-elle dans une puissance ou dans l’âme comme dans son sujet ?_ 766

Article 4 – La grâce est-elle une vertu ?_ 770

Article 5 – La grâce est-elle divisée de manière appropriée entre grâce opérante et [grâce] coopérante ?_ 774

Article 6 – La grâce est-elle multiple dans l’âme ?_ 778

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 26_ 783

Distinction 27 – [La grâce et la vertu sont-elles des actes ou des qualités de l’esprit ?] 784

Prologue_ 784

Article 1 – La vertu est-elle un habitus ?_ 787

Article 2 – La définition de la vertu donnée par Augustin est-elle appropriée ?_ 791

Article 3 – Quelqu’un peut-il mériter en justice la vie éternelle par des actes vertueux ?_ 795

Article 4 – Peut-on mériter la grâce ?_ 799

Article 5 – Peut-on mériter une augmentation de la grâce ?_ 802

Article 6 – Peut-on mériter la première grâce pour un autre ?_ 806

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 27_ 810

Distinction 28 – [Les erreurs à propos de la grâce] 811

Prologue_ 811

Article 1 – L’homme peut-il faire quelque bien sans la grâce ?_ 813

Article 2 – L’homme peut-il éviter le péché sans la grâce ?_ 817

Article 3 – L’homme peut-il accomplir les commandements de Dieu sans la grâce ?_ 822

Article 4 – L’homme peut-il se préparer à la grâce sans quelque grâce ?_ 825

Article 5 – L’homme peut-il connaître quelque vérité sans la grâce ?_ 829

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 28_ 833

Distinction 29 – [La grâce dans l’état d’innocence] 834

Prologue_ 834

Article 1 – La nature avait-elle besoin de la grâce dans l’état d’innocence ?_ 836

Article 2 – L’homme a-t-il eu la grâce avant le péché ?_ 840

Article 3 – En son premier état, l’homme aurait-il eu autant de grâce qu’il en eut après le péché ?_ 843

Article 4 – Les actions de l’homme sont-elles plus efficaces pour mériter la grâce après le péché qu’avant le péché ?  848

Article 5 – L’expulsion du Paradis et la privation de la justice originelle sont-elles une peine appropriée pour la première transgression ?_ 853

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 29_ 856

Distinction 30 – [Les conséquences du péché des premiers parents] 857

Question 1 – [Les carences que nous ressentons, la nécessité de mourir et les choses de ce genre, découlent-elles du péché des premiers parents comme une peine découle d’une faute ?] 857

Prologue_ 857

Article 1 – Les carences que nous ressentons nous viennent-elles en tant que peine pour une faute du premier homme ?  860

Article 2 – Une carence qui nous vient par origine a-t-elle raison de faute ?_ 866

Article 3 – Le péché originel est-il la concupiscence ?_ 870

Question 2 – [L’aliment est-il véritablement converti en la nature humaine ?] 874

Prologue_ 875

Article 1 – L’aliment est-il changé en véritable nature humaine ?_ 875

Article 2 – La semence est-elle séparée du fait qu’elle est engendrée à partir de la nourriture ?_ 890

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 30_ 902

Distinction 31 – [Les conditions du péché originel] 904

Question 1 – [Le péché originel est-il transmis par transmission de la chair ?] 904

Prologue_ 904

Article 1 – Le péché originel peut-il passer aux descendants par l’origine de la chair ?_ 906

Article 2 – Est-il nécesssaire que tous les hommes naissent avec le péché originel ?_ 911

Question 2 – [Le sujet du péché originel] 917

Prologue_ 917

Article 1 – Le péché originel se trouve-t-il dans une puissance comme dans son sujet ?_ 917

Article 2 – La puissance génératrice a-t-elle été infectée davantage que les autres puissances ?_ 921

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 31_ 923

Distinction 32 – [La remise du péché originel par le baptême] 924

Question 1 – [La faute originelle est-elle remise par le baptême ?] 924

Article 1 – Le péché originel est-il remis par le baptême ?_ 926

Article 2 – La peine du péché originel doit-elle demeurer après le baptême ?_ 932

Article 3 – Le désir désordonné désordonné (fomes) est-elle plus grand chez l’un que chez l’autre ?_ 935

Question 2 – [La cause de l’infection originelle] 939

Prologue_ 939

Article 1 – L’infection originelle vient-elle de Dieu ?_ 939

Article 2 – Convient-il à la sagesse divine d’infuser l’âme dans un corps dont elle contracte la souillure ?_ 942

Article 3 – Les âmes sont-elles égales lors de leur création ?_ 946

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 32_ 950

Distinction 33 – [La transmission du péché depuis les premiers parents] 951

Question 1 – [Les péchés des parents rapprochés passent-ils aux enfants pour ce qui est de l’infection de la souillure originelle ?] 952

Prologue_ 952

Article 1 – Contracte-t-on la souillure des parents rapprochés ?_ 955

Article 2 – La faute des parents rapprochés rejaillit-elle sur les enfants pour ce qui est de la peine ?_ 959

Article 3 – Le péché originel est-il unique ?_ 962

Question 2 – [Une peine sensible est-elle due après la mort chez ceux qui meurent avec le péché originel seulement ?] 966

Prologue_ 966

Article 2 – Les enfants non baptisés éprouvent-ils une affliction spirituelle dans leur âme ?_ 970

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 33_ 974

Distinction 34 – [La transmission du péché actuel des parents à leurs descendants par imitation] 977

Question 1 – [Le mal existe-t-il ?] 977

Prologue_ 977

Article 1 – Le mal existe-t-il ?_ 978

Article 2 – Le mal est-il quelque chose qui existe de manière positive ?_ 982

Article 3 – Le bien est-il la cause du mal ?_ 988

Article 4 – Le mal a-t-il le bien comme sujet ?_ 994

Article 5 – Le mal peut-il corrompre le bien tout entier ?_ 998

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 34_ 1002

Distinction 35 – [La substance de l’acte de péché] 1003

Prologue_ 1003

Article 1 – Le mal est-il divisé de manière suffisante en mal de faute et mal de peine ?_ 1006

Article 2 – Les définitions du péché proposées ici sont-elles adéquates?_ 1011

Article 3 – Tous les péchés comportent-ils un acte ?_ 1014

Article 4 – Le péché consiste-t-il dans un acte extérieur ?_ 1019

Article 5 – Les puissances de l’âme sont-elles en quelque sorte corrompues par le péché ?_ 1023

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 35_ 1027

Distinction 36 – [Un péché peut-il être la cause d’un autre péché ?] 1030

Prologue_ 1030

Article 1 – Un péché peut-il être la cause d’un autre péché ?_ 1031

Article 2 – Une passion peut-elle être un péché ?_ 1035

Article 3 – Un péché peut-il être la peine d’un autre péché ?_ 1038

Article 4 – Toute peine est-elle infligée pour un péché ?_ 1043

Article 5 – La distinction entre les biens est-elle appropriée ?_ 1047

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 36_ 1050

Distinction 37 – [Les actes viennent-ils de Dieu de quelque manière ?] 1051

Question 1 – [Le péché est-il une substance, une nature ou une chose ?] 1051

Prologue_ 1051

Article 1 – Le péché est-il une substance ou une nature ?_ 1052

Article 2 – Tout être vient-il de Dieu ?_ 1057

Question 2 – [La cause du péché] 1061

Prologue_ 1061

Article 1 – Dieu est-il simplement la cause du péché ?_ 1061

Question 3 – [La cause de la peine] 1069

Prologue_ 1069

Article 1 – La peine vient-elle de Dieu ?_ 1069

Article 2 – Parle-t-on de mal pour la peine plutôt que pour la faute ?_ 1073

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 37_ 1077

Distinction 38 – [Les actes en particulier] 1078

Question 1 – [Existe-t-il une seule fin de toutes les volontés droites ?] 1078

Prologue_ 1078

Article 1 – Existe-t-il une seule fin de toutes les volontés droites ?_ 1079

Article 2 – La charité est-elle la fin commune et unique des volontés droites ?_ 1083

Article 3 – L’intention est-elle un acate de la volonté ?_ 1088

Article 4 – La volonté veut-elle dans un seul et même acte la fin et ce qui se rapporte à la fin ?_ 1092

Article 5 – Faut-il juger que la volonté est droite en fonction de la fin ?_ 1095

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 38_ 1098

Distinction 39 – [La volonté, lieu du péché] 1099

Question 1 – [Le dérèglement du péché peut-il exister dans la volonté ?] 1099

Prologue_ 1099

Article 1 – La volonté peut-elle être déréglée par le péché ?_ 1100

Article 2 – Le péché peut-il exister dans l’acte de l’intelligence et celui des autres puissances à partir de la volonté ?  1104

Question 2 – [La volonté naturelle du bien par l’homme] 1108

Prologue_ 1109

Article 1 – L’homme veut-il le bien naturellement ?_ 1109

Article 2 – La volonté par laquelle l’homme veut naturellement le bien et par laquelle il veut le mal est-elle la même ?  1111

Question 3 – [L’étincelle supérieure de la raison] 1114

Prologue_ 1114

Article 1 – L’étincelle supérieure de la raison peut-elle être éteinte ?_ 1115

Article 2 – La conscience se trompe-t-elle parfois ?_ 1119

Article 3 – La conscience erronée oblige-t-elle ?_ 1123

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 39_ 1128

Distinction 40 – [Le péché dans les actes extérieurs] 1129

Question 1 – [Le bien et le mal sont-ils des différences spécifiques de l’action ?] 1129

Prologue_ 1129

Article 1 – Le bien et le mal sont-ils des différences spécifiques de l’action ?_ 1131

Article 2 – L’action doit-elle simplement être être jugée bonne ou mauvaise à partir de la volonté ?_ 1134

Article 3 – L’acte extérieur ajoute-t-il quelque chose à la bonté ou à la malice de la volonté ?_ 1138

Article 4 – Une même action peut-elle être bonne et mauvaise ?_ 1142

Article 5 –Une action humaine peut-elle être indifférente ?_ 1146

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 40_ 1156

Distinction 41 – [Le rôle de l’intention dans l’acte du péché] 1157

Question 1 – [La foi dirige-t-elle l’intention ?] 1157

Prologue_ 1157

Article 1 – La foi dirige-t-elle l’intention de manière universelle ?_ 1158

Article 2 – Un acte d’un infidèle peut-il être bon ?_ 1162

Question 2 – [Le rapport entre le péché et la volonté] 1165

Article 1 – Tout péché est-il volontaire ?_ 1165

Article 2 – Tout péché réside-t-il dans la volonté ?_ 1168

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 41_ 1170

Distinction 42 – [Les parties du péché] 1172

Question 1 – [La volonté est l’acte extérieur sont-ils une seule chose ?] 1172

Prologue_ 1172

Article 1 – La volonté de pécher et l’acte sont-ils deux péchés ?_ 1173

Article 2 – La cullpabilité du péché demeure-t-elle après le péché ?_ 1178

Article 3 – Le péché est-il convenablement divisé en mortel et véniel ?_ 1181

Article 4 – Le péché véniel se distingue-t-il du péché mortel ?_ 1185

Article 5 – Le péché mortel et le péché véniel diffèrent-ils par la peine éternelle et la peine temporelle ?_ 1189

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 42, 1_ 1194

Question 2 – [Les distinctions entre les péchés] 1195

Prologue_ 1195

Article 1 – Les péchés se distinguent-ils par leurs racines ?_ 1196

Article 2 – Le péché est-il divisé de manière appropriée en péché en pensée, en parole et en acte ?_ 1200

Article 3 – La division ddes vices capitaux est-elles appropriée ?_ 1206

Article 4 – Les espèces de l’orgueil sont-elles indiquées de manière appropriée ?_ 1213

Article 5 – Tous les péchés sont-ils égaux ?_ 1216

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 42, 2_ 1222

Distinction 43 – [Le péché contre l’Esprit saint] 1223

Question unique – [Le péché contre l’Esprit saint existe-t-il et quelle est sa nature ?] 1223

Prologue_ 1223

Article 1 – Existe-t-il un péché contre l’Esprit saint ?_ 1224

Article 2 – Le péché contre l’Esprit saint est-il un genre déterminé de péché ?_ 1227

Article 3 – Les espèces du péché contre l’Esprit saint sont-elles attribuées de manière appropriée dans le texte ?  1232

Article 4 – Le péché contre l’Esprit saint est-il irrémissible ?_ 1237

Article 5 – Peut-on pécher contre l’Esprit saint dès le premier acte de péché ?_ 1242

Article 6 – Adam a-t-il péché contre l’Esprit saint ?_ 1245

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 43_ 1248

Distinction 44 – [La capacité de pécher ] 1250

Prologue_ 1250

Article 1 – La capacité de pécher vient-elle de Dieu ?_ 1251

Article 2 – Tout pouvoir vient-il de Dieu ?_ 1255

Article 3 – Le pouvoir existait-il dans l’état d’innocence ?_ 1257

Question 1 – [L’obéissance aux supérieurs] 1261

Article 2 – Les chrétiens sont-ils tenus d’obéir aux pouvoirs séculiers, et surtout aux tyrans ?_ 1266

Article 3 – Les religieux qui ont fait profession sont-ils tenus d’obéir en tout à leurs supérieurs ?_ 1270

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 44_ 1274

 

 

 

 

 

Distinctio 1

Distinction 1 – [La création]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Existe-t-il un seul prncipe ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[3416] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 pr. Dividitur ergo liber iste in partes duas: in prima determinat de creaturis in communi: in secunda determinat de eis in speciali, quantum ad considerationem theologi pertinet. Secunda, dist. 2, ibi: de angelica itaque natura haec primo consideranda sunt. Prima in duas: in prima determinat de creaturis secundum exitum earum a principio; in secunda determinat de eis secundum ordinem earum in ultimum finem, ibi: credamus ergo rerum creatarum (...) causam non esse nisi bonitatem creatoris. Prima dividitur in tres: in prima inducit auctoritatem, quae, ostensa veritate omnium, errorem excludit; secundo prosequitur errores, qui per auctoritates confirmantur, ibi: Plato namque tria initia existimavit; tertio concludit veritatem, ibi: horum ergo et similium errorem spiritus sanctus evacuans, veritatisque disciplinam tradens, Deum in principio temporum mundum creasse, et ante tempora aeternaliter extitisse significat. Circa primum duo facit: primo tangit errorem Platonis; secundo errorem Aristotelis, ibi: Aristoteles vero duo principia dixit. Circa primum facit duo: primo ostendit quomodo per auctoritatem Scripturae refellitur error Platonis, tum propter multitudinem principiorum, tum propter negationem creationis; secundo removet quamdam dubitationem ex dictis, ibi: verumtamen sciendum est, haec verba, scilicet creare, facere, agere, et alia hujusmodi, de Deo non posse dici secundum eam rationem qua dicuntur de creaturis. Ad evidentiam hujus partis quaeruntur hic sex: 1 utrum sit tantum unum primum principium; 2 utrum ab illo principio res per creationem effluxerunt; 3 utrum tantum ab ipso res per creationem prodierunt, an etiam ab aliquibus principiis secundis; 4 si non per creationem, utrum alio quolibet modo unum possit esse causa alterius; 5 utrum res ab aeterno creatae fuerunt; 6 supposito quod non, quomodo dicitur Deus in principio caelum et terram creasse.

Ce livre se divise donc en deux parties. Dans la première, [le Maître] détermine des créatures d’une manière générale ; dans la seconde, d’une manière particulière, pour autant que cela relève de la considération du théologien. La seconde partie [se trouve] à la d. 2, à cet endroit : « À propos de la nature angélique, il faut d’abord considérer ceci. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine des créatures selon qu’elles sont issues de leur principe ; dans la seconde, il en détermine selon leur ordre par rapport à la fin ultime, à cet endroit : « Croyons donc que la cause des réalités créées n’est autre que la bonté du Créateur. » La première se divise en trois parties. Premièrement, il invoque une autorité, qui écarte l’erreur en montrant la vérité de tout. Deuxièmement, il pourchasse les erreurs qui sont confirmées par des autorités, à cet endroit : « Car Platon posait l’existence de trois commencements. » Troisièmement, il conclut par la vérité, à cet endroit : « En éliminant ces erreurs et d’autres semblables et en enseignant la vérité, l’Esprit Saint fait comprendre que Dieu a créé le monde au commencement du temps et que lui-même existait éternellement avant le temps. » À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il montre comment l’erreur de Platon est repoussée par l’autorité de l’Écriture, tant pour ce qui est de la multitude des principes que pour la négation de la création. Deuxièmement, il écarte un doute soulevé par ce qui a été dit, à cet endroit : « Il faut donc savoir que ces mots « créer », « faire », « agir » et ceux de ce genre ne peuvent être dits de Dieu dans le même sens où ils sont dits des créatures. » Pour éclairer cette partie, six questions sont posées : 1. Existe-t-il un seul principe ? 2. Les choses sont-elles issues de ce principe par création ? 3. Les choses sont-elles issues seulement de ce principe par création, ou aussi de principes seconds ? 4. Si ce n’est pas par création, une chose peut-elle être principe d’une autre manière ? 5. Les choses ont-elles été créées de toute éternité ? 6. À supposer que ce ne soit pas le cas, comment dit-on que Dieu a créé le ciel et la terre au commencement ?

 

 

 

 

Articulus 1 [3417] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 tit. Utrum sint plura prima principia

Article 1 – Existe-t-il plusieurs premiers principes ?

 

[3418] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod sint plura prima principia. Quia, secundum philosophum, si unum contrariorum fuerit in natura, et reliquum. Sed summum malum est contrarium summo bono, sicut et malum bono. Ergo cum sit quoddam summum bonum, quod est principium primum omnium bonorum, videtur quod sit et unum summum malum, quod est principium primum omnium malorum: et sic erunt duo prima principia.

1. Il semble qu’il n’existe pas plusieurs premiers principes, car, selon le Philosophe, si l’un des contraires existait dans la nature, l’autre aussi [existerait]. Or, le mal suprême est le contraire du bien suprême, comme le mal l’est du bien. Puisqu’il existe un bien suprême, qui est le principe premier de tous les biens, il semble donc qu’il existe un mal suprême, qui est le principe premier de tous les maux. Il y aura donc ainsi deux premiers principes.

 

[3419] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne quod fit, vel ipsum est primum principium, vel est ab aliquo principio, sicut in 2 Physic. dicitur. Sed aliquod malum fit in mundo. Si ergo ipsum non sit primum principium (quia hoc dato, haberetur propositum), oportet quod sit ab aliquo principio. Sed non a bono, quia bonum est destructivum mali, et non causa ejus, sicut nec calidum frigidi; et eadem ratione illius mali, si non sit primum principium, erit alterum malum principium primum; non est enim in principiis vel causis procedere in infinitum, ut probatur 2 Metaph. Ergo videtur quod oportet devenire ad primum malum, quod sit principium omnis mali; et sic habetur propositum.

2. Tout ce qui existe est le premier principe, ou vient d’un principe, comme on le dit dans Physique, II. Or, il existe du mal dans le monde. Si donc il n’est pas le premier principe (car si c’était le cas, ce qui a été dit plus haut serait vrai), il est nécessaire qu’il vienne d’un principe. Or, il ne vient pas d’un bon [principe], car le bien détruit le mal et n’est pas sa cause, pas plus que ce qui est chaud n’est le principe de ce qui est froid. Pour la même raison, s’il n’est pas le premier principe, un autre mal sera le premier principe : en effet, on ne peut pas remonter à l’infini pour les principes ou pour les causes, comme le démontre Métaphysique, II. Il semble donc qu’on doive parvenir à un premier mal, qui est le principe de tout mal. Ainsi, ce qui est affirmé est vrai.

 

[3420] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod malum non habet principium, sed accidit praeter intentionem alicujus principii agentis. Contra, omne quod accidit praeter intentionem agentis, est casuale, et in paucioribus. Sed malum invenitur ut in pluribus, ut in 2 Topic. dicitur. Ergo videtur quod malum sit intentum, et habeat per se principium.

3. Le mal n’a pas de principe, mais il survient hors de l’intention d’un principe agent. En sens contraire, tout ce qui survient hors de l’intention d’un agent relève du hasard et survient dans une minorité de cas. Or, le mal se trouve dans un grand nombre de choses, comme on le dit dans Topiques, II. Il semble donc que le mal soit intentionnel et ait un principe par soi.

 

[3421] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, quae sunt ab uno principio, habent conformitatem ad invicem: quia principiatum imitatur principium. Sed in rebus reperitur magna contrarietas et diversitas. Ergo oportet eam in principia contraria reducere.

4. Les choses qui viennent d’un seul principe sont semblables les unes aux autres, car ce qui vient d’un principe imite le principe. Or, parmi les choses, on rencontre beaucoup de contraires et une grande diversité. Il faut donc ramener ceux-ci à des principes contraires.

 

[3422] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, materia et agens nunquam incidunt in idem, ut in 2 Physic. dicitur: nec etiam agens et forma in idem numero. Sed res habent principia et formalia et materialia et activa; et in singulis est devenire ad unum primum, ut in 2 Metaph. probatur. Ergo oportet ponere multa prima principia.

5. La matière et l’agent ne portent pas sur une même chose, comme le dit Physique, II, et l’agent et la forme ne sont pas non plus une même chose numériquement. Or, les choses ont des principes formels, matériels et actifs, et, pour chaque chose, il faut en venir à un seul premier [principe], comme le montre Métaphysique, II. Il est donc nécessaire de reconnaître plusieurs premiers principes.

 

[3423] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, omnem multitudinem praecedit unitas: quia pluralitas ex unitate nascitur. Si ergo ponantur plura principia, oportet eis esse prius unum principium. Sed primo non est aliquid prius. Ergo impossibile est ponere plura prima principia.

Cependant, [1] l’unité précède toute multiplicité, car la pluralité naît de l’unité. Si donc on reconnaît plusieurs principes, il est nécessaire qu’ils aient d’abord un seul principe. Or, il n’y a rien d’antérieur à ce qui est premier. Il est donc impossible de reconnaître plusieurs premiers principes.

 

[3424] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, quaecumque conveniunt in aliquo et in alio differunt, oportet esse composita. Sed si ponantur plura prima principia, oportet ea in aliquo convenire, ex quo habent rationem principii; et cum sint plura, in aliquo differre. Ergo oportet ea esse composita. Sed nullum compositum est primum. Ergo impossibile est esse plura prima principia.

[2] Tout ce qui a quelque chose en commun et diffère pour autre chose doit être composé. Or, si on reconnaît plusieurs premiers principes, il est nécessaire qu’ils aient quelque chose en commun, par quoi ils ont raison de principe ; et puisqu’ils sont plusieurs, ils doivent différer par quelque chose. Il est donc nécessaire qu’ils soient composés. Or, rien de ce qui est composé n’est premier. Il est donc impossible qu’existent plusieurs premiers principes.

 

[3425] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, si essent plura principia prima, aut essent similia, aut contraria. Si similia, aut utrumque per se sufficiens, et sic alterum superflueret; aut utrumque per se insufficiens, sed conjuncta sufficerent ad principiandum res; et sic non essent prima principia: tum quia indigerent conjungente quod esset prius eis: tum quia agerent per aliud additum essentiae, scilicet per conjunctionem ipsam; et nullum tale est principium primum. Si autem sunt contraria, omne autem contrarium destruit et impedit contrarium suum; ergo si sint aequalis potentiae, unum impediet alterum, adeo quod nullus sequetur effectus. Si vero alterum fuerit potentius, omnino destruet alterum. Ergo impossibile est esse plura prima principia.

[3] S’il y avait plusieurs premiers principes, ils seraient semblables ou contraires. S’ils étaient semblables, les deux seraient suffisants par eux-mêmes, et ainsi les autres seraient superflus ; ou bien les deux seraient insuffisants par eux-mêmes, mais suffiraient, s’ils étaient unis, pour être principes des choses. Et ainsi, ils ne seraient pas des premiers principes, tant parce qu’ils auraient besoin de ce qui les unit, qui serait antérieur à eux, que parce qu’ils agiraient par quelque chose d’ajouté à leur essence, à savoir, l’union elle-même, alors qu’aucun premier principe n’est tel. Mais s’ils sont contraires, tout contraire détruit et empêche son contraire. S’ils ont une puissance égale, l’un empêcherait donc l’autre, au point où aucun effet n’en découlerait. Mais si l’un est plus puissant que l’autre, il détruirait l’autre complètement. Il est donc impossible qu’existent plusieurs principes premiers.

 

[3426] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod primum dicitur dupliciter: scilicet primum simpliciter, et primum in genere vel in ordine aliquo. Si secundo modo, sic secundum genera plura causarum sunt plura prima principia, ut materiale primum quod est materia prima, et primum formale, quod est esse, et sic de aliis; et ulterius descendendo ad diversa rerum genera, inveniuntur diversa prima principia in diversis etiam secundum idem genus causae; sicut in liquabilibus prima materia est aqua, et in aridis terra; et in animalibus semen, vel menstruum. Sed primum simpliciter impossibile est esse nisi unum: et hoc tripliciter patet: primo ex ipso ordine universi, cujus partes inveniuntur ad invicem ordinatae esse, quasi partes animalis in toto, quae sibi invicem deserviunt. Talis autem coordinatio plurium non est, nisi unum aliquod intendant. Ergo oportet esse unum summum bonum ultimum, quod ab omnibus est desideratum; et hoc est principium. Aliter apparet ex ipsa rerum natura. Invenitur enim in omnibus rebus natura entitatis, in quibusdam magis nobilis, et in quibusdam minus; ita tamen quod ipsarum rerum naturae non sunt hoc ipsum esse quod habent: alias esse esset de intellectu cujuslibet quidditatis, quod falsum est, cum quidditas cujuslibet rei possit intelligi esse non intelligendo de ea an sit. Ergo oportet quod ab aliquo esse habeant, et oportet devenire ad aliquid cujus natura sit ipsum suum esse; alias in infinitum procederetur; et hoc est quod dat esse omnibus, nec potest esse nisi unum, cum natura entitatis sit unius rationis in omnibus secundum analogiam; unitas enim causati requirit unitatem in causa per se; et haec est via Avicennae. Tertia via est ex immaterialitate ipsius Dei: oportet enim causam moventem caelum esse virtutem non in materia, ut in 8 Physic. probatur. In his autem quae sunt sine materia, non potest esse diversitas, nisi secundum quod natura unius est magis completa et in actu existens quam natura alterius. Ergo oportet quod illud quod venit ad perfectionem complementi et puritatem actus, sit unum tantum, a quo proficiscatur omne illud quod potentiae admixtum est: quia actus praecedit potentiam, et complementum diminutum; ut in 9 Metaph. probatur. Circa hoc tamen tripliciter est erratum. Quidam enim, ut primi naturales, non posuerunt nisi causam materialem: unde qui ex eis plura principia materialia posuit, plura principia simpliciter dixit prima. Quidam vero cum causa materiali posuerunt etiam causam agentem, et dixerunt duo contraria esse prima agentia, scilicet Empedocles, ut amicitiam et litem: et huic consonat opinio Pythagorae, qui divisit omnia entia in duos ordines, et unum ordinem reduxit in bonum, sicut in principium, et alterum in malum: et exinde pullulavit haeresis Manichaeorum, qui ponunt duos deos, unum creatorem bonorum, invisibilium, incorporalium, novi testamenti; alium creatorem visibilium, corporalium, veteris testamenti. Tertius error fuit eorum qui posuerunt agens et materiam, sed agens non esse principium materiae, quamvis sit unum tantum agens: et haec est opinio Anaxagorae et Platonis: nisi quod Plato superaddidit tertium principium, scilicet ideas separatas a rebus, quas exemplaria dicebat; et nullam esse causam alterius; sed per haec tria causari mundum, et res ex quibus mundus constat.

Réponse. On parle de premier de deux manières : premier simplement, et premier dans un genre ou dans un ordre. Si [on parle] de la seconde manière, il existe ainsi plusieurs premiers principes selon plusieurs genres de causes, comme un premier principe matériel, qui est la matière première, et un premier principe formel, qui est l’acte d’être, et ainsi de suite. Plus loin encore, en descendant dans les divers genres des choses, on trouve divers principes premiers dans diverses choses, même à l’intérieur d’un seul genre de cause. Ainsi, dans ce qui peut être liquéfié, la matière première est l’eau et, dans ce qui est sec, la terre ; et chez les animaux, la semence ou les menstrues. Or, il est nécessaire que ce qui est premier simplement ne soit qu’une seule chose, et cela ressort de trois manières. Premièrement, à partir de l’ordre même de l’univers, dont les parties se trouvent ordonnées les unes par rapport aux autres comme les parties d’un animal à l’intérieur d’un tout, qui se rendent service les unes aux autres. Or, une telle coordination de plusieurs choses n’existe pas, à moins qu’elles ne visent une seule chose. Il est donc nécessaire qu’existe un bien suprême, qui est désiré par toutes, et c’est là le principe. Autrement, cela ressort à partir de la nature même des choses. En effet, on trouve en toutes choses la nature de l’être, plus noble chez certaines, moins [noble] chez d’autres, de telle sorte cependant que les natures des choses elles-mêmes ne soient pas l’acte d’être même qu’elles possèdent, autrement l’acte d’être ferait partie de la compréhension de toute quiddité, ce qui est faux, puisque la quiddité de toute chose peut être saisie sans comprendre, en la saisissant, qu’elle possède l’acte d’être. Il est donc nécessaire que [toutes choses] tiennent l’acte d’être de quelque chose d’autre. Il faut donc qu’on parvienne à quelque chose dont la nature est l’être même, autrement on remonterait à l’infini. C’est là ce qui donne l’acte d’être à toutes choses, et cela ne peut être qu’unique, puisque la nature de l’acte d’être est la même en toutes choses par analogie. En effet, l’unité de ce qui est causé exige l’unité d’une cause par soi. C’est là la voie d’Avicenne. La troisieme voie vient de l’immatérialité de Dieu lui-même. En effet, il est nécessaire qu’une cause qui meut le ciel soit une puissance qui n’est pas intrinsèque à la matière, comme le démontre Physique, VIII. Or, dans ce qui est sans matière, il ne peut y avoir de diversité que selon que la nature d’une chose est plus complète et est davantage en acte que la nature d’une autre chose. Il est donc nécessaire que ce qui se présente comme perfection de ce qui complète et pureté de l’acte soit une seule chose, dont vient tout ce qui comporte puissance, car l’acte précède la puissance ainsi qu’un achèvement amoindri, comme le montre Métaphysique, IX. Toutefois, sur cettte question, on s’est trompé de trois manières. En effet, certains, comme les premiers [philosophes] de la nature, n’ont reconnu que la cause matérielle ; aussi celui qui a affirmé dans leur sillage plusieurs principes matériels a affirmé qu’il y existe simplement plusieurs premiers principes. Mais certains, tel Empédocle, ont reconnu, avec la cause matérielle, une cause efficiente, et ils ont affirmé que deux choses contraires sont les premiers principes efficients, comme l’amitié et le conflit. L’opinion de Pythagore est d’accord avec cela. Il divise tous les êtres en deux ordres : il a ramené un ordre au bien comme à son principe, et l’autre, au mal. À partir de là, s’est répandue l’erreur des manichéens, qui reconnaissent deux dieux : l’un, créateur des choses bonnes, invisibles et incorporelles, ainsi que du Nouveau Testament ; l’autre, créateur des choses visibles, corporelles, ainsi que de l’Ancien Testament. La troisième erreur est celle de ceux qui ont reconnu une cause efficiente et une matière, mais disent que la cause efficiente n’est pas le principe de la matière, bien qu’il n’existe qu’une seule cause efficiente. Telle est l’opinion d’Anaxagore et de Platon, sauf que Platon ajoute un troisième principe, les idées séparées des choses, qu’il appelait modèles (exemplaria), et qu’aucune n’est cause de l’autre, mais que le monde est causé par ces trois choses, ainsi que les choses dont le monde est constitué.

 

[3427] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod summum malum non contrariatur summo bono secundum rem, sed solum secundum vocem, propter duo. Primo, quia summum malum esse non potest: nihil enim est adeo malum in quo non sit aliquid boni, ad minus esse; et ideo dicit philosophus, quod si esset adeo perfectum malum quod proveniret ex corruptione omnium circumstantiarum, nec seipsum sustinere posset. Secundo, quia illi bono quod nullo modo potest auferri vel minui, nihil opponitur privative vel contrarie: unde nec ipsum particulare malum opponitur summo bono directe, sed particulari bono, quod per ipsum privatur. Et dico aliquid directe opponi alteri, quando opponitur ei secundum quod hujusmodi; sicut nigredo manus opponitur albedini manus directe; sed indirecte opponitur etiam albedini parietis, non in quantum est nigredo vel albedo hujus, sed inquantum est albedo simpliciter: per quem modum cuilibet bono quodlibet malum opponitur, non secundum propriam rationem hujus vel illius, sed secundum communem rationem boni et mali: et sic si malum summo bono opponatur, hoc erit indirecte: quia non opponitur ei inquantum est tale bonum, sed inquantum bonum.

1. Le mal suprême n’est pas en réalité contraire au bien suprême, mais en paroles seulement, pour deux raisons. Premièrement, parce que le mal suprême ne peut exister. En effet, rien n’est mauvais au point qu’il n’y existe quelque chose de bon, tout au moins le fait d’exister. C’est pourquoi le Philosophe dit que, si le mal était à ce point complet qu’il provenait de la corruption de toutes les circonstances, il ne pourrait se maintenir. Deuxièmement, parce que rien ne s’oppose par mode de privation ou de contraire au bien qui ne peut être d’aucune manière enlevé ou diminué. Même le mal particulier ne s’oppose donc pas directement au bien suprême, mais à un bien particulier, qui en est privé. Et je dis qu’une chose est directement opposée à une autre chose lorsqu’elle s’y oppose selon quelque chose du même genre, comme le noir de la main s’oppose directement au blanc de la main ; mais cela s’oppose aussi indirectement au blanc du mur, non pas en tant que c’est le blanc ou le noir de cela, mais en tant qu’existe simplement la blancheur. De cette manière, n’importe quel mal s’oppose à n’importe quel bien, non pas selon la raison propre de ceci ou de cela, mais selon leur raison commune de bien et de mal. Le mal s’oppose ainsi au bien suprême de manière indirecte, car il ne s’y oppose pas en tant qu’il est tel bien, mais en tant qu’il est bon.

 

[3428] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod malum non habet causam nisi per accidens dupliciter. Primo modo scilicet, secundum quod agens per accidens dicitur respectu ejus quod accidit praeter intentionem agentis, quia omne agens agit propter finem, et intendit bonum quod est finis, et nulla privatio est intenta, sed sequitur ex forma inducta cui adjungitur: ignis enim non intendit a materia privare formam aeris, sed inducere formam propriam; sed inducendo formam propriam, privat formam aeris; similiter peccator intendit dulcedinem, quae est bonum alicujus partis ejus, scilicet concupiscibilis, et non intendit privationem gratiae. Secundo, sicut dicitur agens per accidens, removens prohibens: prohibens enim privationem est forma vel res aliqua. Unde qui removet illam rem, dicitur causare privationem; sicut qui extinguit candelam vel exportat ex domo, dicitur causare tenebras. Quod ergo dicitur, quod omne quod est, vel est principium vel a principio, intelligendum est de illis quae sunt aliquid in re; sed malum est privatio quaedam, et non nominat naturam aliquam positive.

2. Le mal a une cause par accident de deux manières seulement. De la première manière, selon qu’on parle d’agent pour ce qui survient hors de l’intention de l’agent, car tout agent agit pour une fin et tend vers le bien qui est sa fin, et il n’a en vue aucune privation, mais celle-ci découle de la forme introduite, à laquelle elle est ajoutée. En effet, le feu ne tend pas à priver de matière la forme de l’air, mais à introduire sa propre forme ; mais, en introduisant sa propre forme, il prive la forme de l’air. De même, le pécheur ne tend pas vers la douceur, qui est le bien d’une de ses parties, le concupiscible, et il ne vise pas la privation de la grâce. De la deuxième manière, comme on dit d’un agent par accident qu’il enlève un empêchement : en effet, ce qui empêche la privation est une forme et ou une chose. On dit donc que celui qui enlève cette chose cause une privation : ainsi, on dit que celui qui éteint une chandelle ou l’emporte hors de la maison cause les ténèbres. Donc, lorsqu’on dit que tout ce qui est est un principe ou vient d’un principe, il faut l’entendre de ce qui est en réalité quelque chose. Mais le mal est une privation, et il ne désigne pas une nature de manière positive.

 

[3429] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si loquamur de malo naturae, malum potest considerari vel respectu totius naturae, vel respectu alicujus particularis agentis in natura. Si respectu totius naturae, sic constat quod malum est valde in paucioribus, quia non potest esse nisi in generabilibus et corruptibilibus, quorum congregatio est parvae quantitatis respectu totius caeli, in quo nullum malum accidit. Si autem consideretur respectu alicujus particularis agentis in natura, constat quod actio ejus semper est secundum debitum naturae suae, nisi aliquando impediatur, et hoc est raro; et ex tali impedimento accidit malum in natura ejus, sicut apparet in partubus monstruosis. Si autem loquamur de malo culpae, quod invenitur in eo quod non determinatur ad unam actionem, sicut omnia quae agunt ex libertate voluntatis; aut hoc est plurium naturarum, aut unius tantum. Si est unius naturae, sicut in Angelis, sic constat quod in pluribus est consecuta operatio recta secundum convenientiam naturae ipsorum, et peccatum ipsorum fuit ut in paucioribus. Si autem est plurium naturarum, sicut est homo, qui est compositus ex natura intellectuali et sensitiva, potest considerari dupliciter. Vel secundum totam naturam speciei; et sic oportet quod in pluribus actio ejus procedat secundum illam naturam cujus actio est multiplicior, et circa bona magis manifesta nobis; et quia naturae sensitivae actio est circa delectabilia sensus, quae magis multiplicantur quam delectabile rationis, quod est etiam magis occultum nobis, qui cognitionem a sensu accipimus; ideo plures sequuntur operationes illas; et ex hoc contingit malum ipsi homini, non inquantum est homo; quia non est homo secundum quod habet sensum, sed secundum quod habet rationem. Vel potest considerari aliquod individuum illius speciei; et sic contingit quod aliquis per voluntatem determinatur ad sequendum operationes ipsius rationis per habitum virtutis; et tunc ut in pluribus bene operatur, et deficit ut in paucioribus: sed quando adhaeret alteri naturae, efficitur quasi alius, ut dicitur in 9 Ethic.: unde tunc est judicium de ipso sicut de aliis animalibus, in quibus est natura sensitiva tantum: quia in pluribus operabitur bonum sibi quantum ad id quod factus est, ut leo per crudelitatem, vel canis per iram, sus per luxuriam, et sic de aliis, ut dicit Boetius. Unde constat quod malum est in paucioribus, sive comparetur ad principium totius naturae, sive ad aliquod agens particulare.

3. Si nous parlons du mal naturel, le mal peut être considéré par rapport à la nature tout entière ou par rapport à un agent particulier à l’intérieur de la nature. Par rapport à la nature tout entière, il apparaît que le mal existe chez un très petit nombre, car il ne peut exister que dans ce qui est sujet à la génération et à la corruption, dont le regroupement représente une petite quantité par rapport à l’ensemble du ciel, dans lequel aucun mal ne se produit. Mais si on le considère par rapport à un agent particulier à l’intérieur de la nature, il apparaît que son action est toujours conforme aux exigences de sa nature, à moins qu’elle ne soit parfois empêchée, et cela se produit rarement. Un mal survient dans sa nature en raison d’un tel empêchement, comme cela apparaît dans les gestations monstrueuses. Mais si nous parlons du mal de faute, qui se rencontre chez celui qui n’est pas déterminé à une seule action, comme tout ce qui agit selon la liberté de la volonté, cela est le fait de plusieurs natures ou bien d’une seule uniquement. Si c’est le fait d’une seule nature, comme chez les anges, il apparaît ainsi qu’une opération droite a été accomplie par la plupart, conformément à leur nature, et que leur péché n’a existé que chez une minorité. Mais si c’est le fait d’un grand nombre de natures, comme c’est le cas pour l’homme, qui est composé de nature intellectuelle et [de nature] sensible, cela peut être envisagé de deux manières. Selon la nature entière de l’espèce : il est ainsi nécessaire que, dans la plupart des cas, son action vienne de la nature dont l’action est plus fréquente et à propos de biens qui nous sont plus manifestes. Et parce que l’action de la nature sensible porte sur les plaisirs des sens, qui sont plus fréquents que ce qui est délectable pour la raison, qui est aussi plus caché à nous qui recevons la connaissance à partir du sens, un grand nombre suivra ces actions. De là vient le mal pour l’homme lui-même, non pas en tant qu’il est homme, mais en tant qu’il possède la raison. Ou bien on peut envisager un individu de cette espèce. Il arrive ainsi que quelqu’un est déterminé par sa volonté à accomplir des opérations de la raison elle-même par l’habitus de la vertu. Alors, il agit bien dans la plupart des cas et est défaillant dans un petit nombre de cas. Mais lorsqu’il adhère à une autre nature, il devient pour ainsi dire autre, comme on le dit dans Éthique, IX. On juge alors de lui comme des autres animaux, chez lesquels existe seulement la nature sensible, car, dans la plupart des cas, elle accomplira ce qui est bon pour elle selon ce qu’elle a été faite, comme le lion [agira] par cruauté, le chien par colère, le porc par luxure, et ainsi de suite pour les autres, comme le dit Boèce. Il apparaît donc que le mal existe dans un petit nombre de cas, qu’on le compare au principe de la nature tout entière, ou à un agent particulier.

 

[3430] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod res habent contrarietatem ad invicem quantum ad proximos effectus, sed tamen concordant etiam contraria in ultimo fine ad quem ordinantur secundum harmoniam quam constituunt, sicut patet etiam in mixto quod componitur etiam ex contrariis; et ex hoc sequitur quod agentia proxima sunt contraria, licet agens primum sit unum: quia judicium de agente et fine est idem, cum hae duae causae in idem incidant.

4. Les choses sont contraires les unes aux autres pour ce qui est des effets rapprochés ; cependant, même les contraires se rejoignent dans la fin ultime à laquelle ils sont ordonnés selon l’harmonie qu’ils constituent, comme cela ressort encore dans le [corps] mixte, qui est aussi composé de contraires. Il découle de cela que les agents rapprochés sont contraires, bien que l’agent premier soit unique, car le jugement sur l’agent et sur la fin est le même, puisque ces deux causes agissent en vue de la même chose.

 

[3431] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis Deus nullo modo sit materia, nihilominus tamen ipsum esse, quod materia habet imperfectum, prout dicitur ens in potentia, habet a Deo, et reducitur in ipsum sicut in principium. Similiter et forma, quae pars est rei, est similitudo agentis primi fluens ab ipso. Unde omnes formae reducuntur in primum agens sicut in principium exemplare. Et sic patet quod est unum primum principium simpliciter, quod est primum agens, et exemplar, et finis ultimus.

5. Bien que Dieu ne soit d’aucune façon matière, cependant l’être même que la matière possède imparfaitement, pour autant qu’elle est appelée un être en puissance, lui vient de Dieu et se ramène à lui comme à son principe. De même la forme, qui est partie d’une chose, est-elle une similitude du premier agent et découle-t-elle de lui. Toutes les formes se ramènent donc au premier agent comme leur principe exemplaire. Ainsi ressort l’unique principe premier à parler simplement, qui est le premier agent, le modèle et la fin ultime.

 

 

 

 

Articulus 2 : [3432] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 tit. Utrum aliquid possit exire ab eo per creationem

Article 2 – Une chose peut-elle émaner de lui par création ?

 

[3433] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod per creationem nihil a Deo possit exire in esse. Omne enim quod fit possibile erat prius fieri: quia si non possibile erat fieri, et necesse non fieri ab aequipollenti, et ita factum non esset. Sed quidquid est possibile fieri vel moveri, est possibile per potentiam passivam; quae, cum non sit ens per se existens, oportet quod sit in aliquo ente, quod est in potentia ad aliquid. Sed nihil est ens in potentia ad aliquid, quin etiam ad aliquid sit in actu. Ergo omne quod fit, fit ex aliquo ente in actu praeexistente. Sed nullum tale creatur: quia creare est ex nihilo aliquid facere, ut in littera dicitur. Ergo nihil a Deo potest creari.

1. Il semble que rien ne puisse émaner de lui en vue d’être. En effet, tout ce qui peut être fait pouvait auparavant être fait, car si cela ne pouvait être fait, cela ne peut être fait par un égal, et ainsi ce qui a été fait n’aurait jamais été fait. Or, tout ce qui peut être fait et être mû est possible en vertu de sa puissance passive, qui, n’étant pas un être existant par soi, doit nécessairement faire partie d’un être qui est en puissance à quelque chose. Or, rien n’est un être en puissance à quelque chose, qui ne soit aussi en acte à quelque chose. Tout ce qui est fait vient donc d’un être préexistant en acte. Or, rien de tel n’est créé, car créer consiste à faire quelque chose à partir de rien, comme il est dit dans le texte. Rien ne peut donc être créé par Dieu.

 

[3434] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in omni mutatione est aliquid ex quo est mutatio per se: quia omnis mutatio est inter duos terminos. Sed illud ex quo per se fit aliquid, oportet remanere in eo quod fit vel secundum totum, si fit ex eo sicut ex materia, ut cultellus ex ferro; vel secundum aliquid ejus, scilicet secundum materiam, ut si dicatur totum fieri ex toto, ut caro fit ex cibo: ex albedine enim non dicitur fieri nigredo nisi per accidens, idest post albedinem, sicut etiam ex nocte dicitur fieri dies. Si ergo dicatur ens fieri ex non ente, oportet quod non ens, vel aliqua pars ejus, cum tamen partem non habeat, maneat in ente, et quod sit simul ens et non ens, quod est impossibile. Ergo omne quod fit, fit ex ente aliquo: ergo videtur quod impossibile est aliquid a Deo creari.

2. En tout changement, il y a ce à partir de quoi le changement existe par soi, car tout changement se réalise entre deux termes. Or, ce à partir de quoi quelque chose est fait doit nécessairement demeurer dans ce qui est fait, en totalité, si cela est fait à partir de cela comme d’une matière – ainsi le couteau est fait à partir du fer ‑, ou selon quelque chose de lui, c’est-à-dire selon la matière, comme lorsqu’on dit qu’un tout vient d’un tout – ainsi, la chair vient de la nourriture. En effet, on ne dit pas que la blancheur vient de la couleur noir, si ce n’est par accident, c’est-à-dire après la blancheur ‑ on dit ainsi que le jour vient de la nuit. Si donc on dit qu’un être est fait à partir du néant, il est nécessaire que le non-être, ou une partie de lui, alors qu’il n’a pas de partie, demeure dans ce qui existe, et qu’existe en même temps l’être et le non-être, ce qui est impossible. Tout ce qui est fait est donc fait à partir d’un être. Il semble donc qu’il soit impossible que quelque chose soit créé par Dieu.

 

[3435] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, nullum permanens simul fit et factum est: quia dum fit, non est; et dum factum est, est: non autem simul est et non est. Si ergo aliqua res permanens fiat a Deo, oportet quod fieri sit ante suum esse. Sed factio, cum sit accidens, non potest esse sine subjecto. Ergo oportet quod omne quod fit, fiat ex aliquo in quo sit factio sicut in subjecto. Sed nullum tale creatur. Ergo nihil per creationem fieri potest.

3. Rien de permanent n’est fait en même temps que cela a été fait, car, alors que cela est fait, cela n’est pas, et alors que cela a été fait, cela est, car une chose n’existe pas en même temps qu’elle existe. Si donc une chose permanente est faite par Dieu, il est nécessaire que le devenir [de cette chose] précède son être. Or, l’action de faire, puisqu’elle est un accident, ne peut exister sans un sujet. Il est donc nécessaire que tout ce qui est fait soit fait à partir d’une chose en quoi existe l’action de faire comme dans son sujet. Or, rien de tel n’est créé. Rien ne peut donc être fait par création.

 

[3436] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, si creatio est aliquid, cum non sit substantia, oportet quod sit accidens. Omne autem accidens est in aliquo subjecto, non autem potest esse in ipso creato sicut in subjecto: quia hoc est terminus ejus: sic enim creatum creatione esset prius, inquantum est subjectum ejus, et posterius, inquantum est terminus. Ergo oportet quod sit in aliqua materia, ex qua creatum fiat; et hoc est contra rationem creationis. Ergo creatio nihil est.

4. Si la création est quelque chose, comme elle n’est pas une substance, elle doit donc être un accident. Or, tout accident se trouve dans un sujet, mais il ne peut exister dans cela même qui est créé comme dans un sujet, car c’est là son terme. En effet, ce qui est créé serait ainsi antérieur à la création, en tant que cela en est le sujet, et postérieur, en tant que cela en est le terme. Il est donc nécessaire que [la création] existe dans un matière à partir de laquelle ce qui est créé est fait, et cela est contraire à la notion de création. La création n’est donc rien.

 

[3437] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, si creatio aliquid est, aut est creator, vel creatura. Sed non creator; quia sic esset ab aeterno, et ita creaturae ab aeterno. Ergo est creatura. Sed omnis creatura aliqua creatione creatur, et sic creationis est creatio in infinitum; quod est impossibile, ut patet ex 5 Physic., ubi dicitur quod actionis non est actio in infinitum. Ergo impossibile est creationem esse.

5. Si la création est quelque chose, elle est soit le Créateur, soit une créature. Or, elle n’est pas le Créateur, car elle existerait ainsi éternellement, et ainsi les créatures [existeraient] éternellement. Elle est donc une créature. Or, toute créature est créée par une création, et on remonte donc de la création à la création à l’infini, ce qui est impossible, comme cela ressort de Physique, V, où il est dit qu’il n’existe pas d’action de l’action à l’infini. Il est donc impossible que la création existe.

 

[3438] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Genesis 1: in principio creavit Deus caelum et terram.

Cependant, [1] il est dit en Gn 1 : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.

 

[3439] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne agens agit secundum id quod est in actu. Sed quod est secundum aliquid sui in actu, et secundum aliquid in potentia, efficit rem secundum aliquid sui, scilicet inducendo formam in materiam. Ergo cum primum ens, scilicet Deus, sit actus sine permixtione potentiae, videtur quod totam rem efficere possit, secundum totam substantiam ejus. Hoc autem est creare. Ergo videtur quod Deus creare possit.

[2] Tout agent agit selon ce qu’il est en acte. Or, ce qui est, selon quelque chose de soi en acte et selon quelque chose de soi en puissance, réalise une chose selon quelque chose de ce qu’il est, en donnant forme à une matière. Puisque l’être premier, Dieu, est acte sans mélange de puissance, il semble donc qu’il puisse faire la totalité d’une chose, selon sa substance tout entière. Or, créer, c’est cela. Il semble donc que Dieu puisse créer.

 

[3440] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 co. Respondeo quod creationem esse, non tantum fides tenet, sed etiam ratio demonstrat. Constat enim quod omne quod est in aliquo genere imperfectum, oritur ab eo in quo primo et perfecte reperitur natura generis: sicut patet de calore in rebus calidis ab igne. Cum autem quaelibet res, et quidquid est in re, aliquo modo esse participet, et admixtum sit imperfectioni, oportet quod omnis res, secundum totum id quod in ea est, a primo et perfecto ente oriatur. Hoc autem creare dicimus, scilicet producere rem in esse secundum totam suam substantiam. Unde necessarium est a primo principio omnia per creationem procedere. Sciendum est autem, quod ad rationem creationis pertinent duo. Primum est ut nihil praesupponat in re quae creari dicitur: unde in hoc ab aliis mutationibus differt, quia generatio praesupponit materiam quae non generatur, sed per generationem completur in actum formae transmutata; in reliquis vero mutationibus praesupponitur subjectum, quod est ens completum; unde causalitas generantis vel alterantis non sic se extendit ad omne illud quod in re invenitur; sed ad formam, quae de potentia in actum educitur: sed causalitas creantis se extendit ad omne id quod est in re; et ideo creatio ex nihilo dicitur esse, quia nihil est quod creationi praeexistat, quasi non creatum. Secundum est, ut in re quae creari dicitur, prius sit non esse quam esse: non quidem prioritate temporis vel durationis, ut prius non fuerit et postmodum sit; sed prioritate naturae, ita quod res creata si sibi relinquatur, consequatur non esse, cum esse non habeat nisi ex influentia causae superioris. Prius enim unicuique inest naturaliter quod non ex alio habet, quam quod ab alio habet: et ex hoc differt creatio a generatione aeterna: sic enim non potest dici quod filius Dei si sibi relinquatur, non habeat esse, cum recipiat a patre illud idem esse quod est patris, quod est esse absolutum, non dependens ab aliquo. Et secundum ista duo creatio dupliciter dicitur esse ex nihilo. Tum ita quod negatio neget ordinem creationis importatae per hanc praepositionem ex, ad aliquid praeexistens, ut dicatur esse ex nihilo, quia non ex aliquo praeexistenti; et hoc quantum ad primum. Tum ita quod remaneat ordo creationis ad nihil praeexistens, ut affirmatus; ut dicatur creatio esse ex nihilo, quia res creata naturaliter prius habet non esse quam esse; et si haec duo sufficiant ad rationem creationis, sic creatio potest demonstrari, et sic philosophi creationem posuerunt. Si autem accipiamus tertium oportere ad rationem creationis, ut scilicet etiam duratione res creata prius non esse quam esse habeat, ut dicatur esse ex nihilo, quia est tempore post nihil, sic creatio demonstrari non potest, nec a philosophis conceditur; sed per fidem supponitur.

Réponse. Non seulement la foi affirme que la création existe, mais la raison aussi le démontre. En effet, il apparaît que tout ce qui est imparfait dans un genre provient de ce en quoi se trouve en premier et parfaitement la nature du genre, comme cela ressort pour la chaleur dans les choses qui sont rendues chaudes par le feu. Puisque toutes les choses et tout ce qui existe en elles participent d’une certaine manière à l’être et sont mélangées à de l’imperfection, il est donc nécessaire que toutes les choses, selon la totalité de ce qui existe en elles, proviennent d’un être premier et parfait. Or, c’est cela que nous appelons créer : amener une chose à l’être selon toute sa substance. Il est donc nécessaire que tout provienne d’un premier principe par création. Mais il faut savoir que deux choses se rapportent à la notion de création. La première est qu’elle ne présuppose rien dans la chose dont on dit qu’elle est créée. Elle diffère donc ainsi des autres mutations, car la génération présuppose une matière qui n’est pas engendrée, mais complétée par la génération en étant changée en l’acte de la forme. Mais, dans les autres changements, un sujet qui est un être complet est présupposé. Aussi la causalité de celui qui engendre ou transforme ne s’étend-elle pas à tout qui se trouve dans la chose, mais à la forme, qui est amenée de la puissance à l’acte. Mais la causalité de celui qui crée s’étend à tout ce qui existe dans la chose. C’est pourquoi on dit que création part du néant, car rien qui ne soit créé ne préexiste à la création. La seconde chose est que, dans ce dont on dit que cela est créé, le non-être est antérieur à l’être, non pas d’une antériorité dans le temps ou dans la durée, de sorte que cela n’aurait d’abord pas existé et existerait par la suite, mais d’une priorité de nature, de sorte que la chose créée, si elle était laissée à elle-même, aboutirait au non-être, puisqu’elle n’a l’être que par l’action d’une cause supérieure. En effet, existe naturellement en premier en toutes choses ce qu’elles ne tiennent pas d’un autre (ex alio), plutôt que ce qu’elles tiennent par un autre (ab alio), et, par là, la création diffère de la génération éternelle. En effet, on ne peut dire que le Fils de Dieu, s’il est laissé à lui-même, n’a pas l’être, puisqu’il reçoit du Père ce même être qui appartient au Père, qui est un être absolu, qui ne dépend pas d’un autre. Selon ces deux aspects, on dit que la création se réalise à partir de rien de deux manières. D’abord, de manière à ce que la négation nie l’ordre de la création que comporte la préposition « à partir de » par rapport à quelque chose de préexistant, de telle sorte qu’on dise de la création qu’elle se réalise « à partir de rien », au sens où elle ne vient pas de quelque chose qui préexiste : c’est le premier point. Ensuite, de manière à ce que l’ordre de la création au néant préexistant demeure, tel qu’il a été affirmé. Ainsi, on dit que la création se réalise à partir de rien parce que la chose créée possède d’abord par nature le non-être avant l’être. Et si ces deux choses suffisent à la notion de création, la création peut ainsi être démontrée, et c’est de cette manière que les philosophes ont affirmé la création. Mais si on entend qu’une troisième chose est nécessaire à la notion de création, à savoir que la chose créée ait d’abord le non-être avant l’être aussi dans la durée, de sorte qu’on dise d’elle qu’elle se réalise « à partir de rien », au sens où elle succède au néant, la création ne peut être ainsi démontrée et elle n’est pas concédée par les philosophes, mais elle est supposée par la foi.

 

[3441] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Avicennam, duplex est agens: quoddam naturale quod est agens per motum, et quoddam divinum quod est dans esse, ut dictum est. Et similiter oportet accipere duplex actum vel factum: quoddam per motum agentis naturalis; et omne tale fieri oportet quod praecedat tempore potentia non tantum activa, sed etiam passiva: quia motus est actus existentis in potentia. Quoddam vero est factum, inquantum recipit esse ab agente divino sine motu: et si istud factum sit novum, oportet quod praecedat esse ejus natura et duratione potentia activa et non passiva: et ab activa potentia tale factum dicitur possibile fieri. Si autem non sit novum, tunc potentia activa non praecedit duratione, sed natura.

1. Selon Avicenne, il existe un double agent : un [agent] naturel, qui est un agent par mouvement, et un [agent] divin, qui donne l’être, comme on l’a dit. De même est-il nécessaire d’envisager l’action ou ce qui est fait de deux manières. L’une, selon le mouvement d’un agent naturel. Une puissance non seulement active, mais aussi passive doit précèder dans le temps un tel devenir, car le mouvement est l’acte de ce qui existe en puissance. Mais une chose est aussi réalisée pour autant qu’elle reçoit l’être de l’agent divin sans mouvement. Si ce qui est ainsi fait est nouveau, il est nécessaire qu’une puissance active, mais non pas passive précède son être selon la nature et la durée : on dit alors de ce qui est ainsi réalisé par une puissance active qu’il est en puissance de devenir. Mais si cela n’est pas nouveau, la puissance active ne précède pas alors dans la durée, mais par nature.

 

[3442] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatio non est factio quae sit mutatio proprie loquendo; sed est quaedam acceptio esse. Unde non oportet quod habeat ordinem essentialem nisi ad dantem esse; et sic non est ex non esse, nisi inquantum est post non esse, sicut nox ex die.

2. La création n’est pas une manière de faire qui est un changement au sens propre, mais elle est une manière de recevoir l’être. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle ait un ordre essentiel, sinon à ce qui donne l’être. Elle ne vient donc du néant que pour autant qu’elle existe après n’avoir pas existé, comme la nuit après le jour.

 

[3443] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nulla res permanens potest simul fieri et facta esse, si fieri proprie sumatur; sed quaedam sunt quae significant ipsum factum per modum fieri, sicut cum dicitur motus terminari: simul enim terminatur et terminatum est, et similiter simul illuminatur et illuminatum est, eo quod illuminatio est terminus motus, ut in 4 Physic. Commentator dicit; et similiter etiam forma substantialis simul recipitur et recepta est; et similiter aliquid simul creatur et creatum est. Et si objiciatur, quod ante omne factum esse, est omne fieri proprie acceptum; dico, quod verum est in omnibus quae fiunt per motum, sicut generatio sequitur motum alterationis, et illuminatio motum localem; non autem sic est in creatione, ut dictum est.

3. Aucune réalité permanente ne peut en même temps devenir et être devenue, si on entend devenir au sens propre ; mais il existe certaines choses qui signifient ce qui est devenu par mode de devenir, comme lorsqu’on dit qu’un mouvement se termine : en effet, il se termine en même temps qu’il a été terminé ; de même en est-il pour ce qui est illuminé et a été illuminé, du fait que l’illumination est le terme d’un mouvement, comme le dit le Commentateur dans Physique, IV. De même, la forme substantielle est-elle reçue en même temps qu’elle a été reçue. De la même manière, une chose est-elle créée en même temps qu’elle a été créée. Et si on objecte qu’avant d’être devenu, tout devient au sens propre, je dis que cela est vrai pour tout ce qui devient par un mouvement, comme la génération découle d’un mouvement d’altération, et l’illumination, d’un mouvement local. Mais il n’en est pas ainsi pour la création, ainsi qu’on l’a dit.

 

[3444] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod creatio potest sumi active et passive. Si sumatur active, cum creatio significet operationem divinam, quae est essentia ejus cum relatione quadam; sic creatio est substantia divina. Si autem sumatur passive, sic est quoddam accidens in creatura, et sic significat quamdam rem, non quae sit in praedicamento passionis, proprie loquendo, sed quae est in genere relationis, et est quaedam habitudo habentis esse ab alio consequens operationem divinam: et sic non est inconveniens quod sit in ipso creato quod educitur per creationem, sicut in subjecto; sicut filiatio in Petro, inquantum recipit naturam humanam a patre suo, non est prior ipso Petro; sed sequitur actionem et motum, quae sunt priora. Habitudo autem creationis non sequitur motum, sed actionem divinam tantum, quae est prior quam creatura.

4. La création peut s’entendre en un sens actif et en un sens passif. Si elle est prise au sens actif, puisque la création signifie une opération de Dieu, qui est son essence comportant une certaine relation, la création est ainsi la substance divine. Mais si elle est prise au sens passif, elle est ainsi un accident dans la créature, et elle signifie ainsi une réalité, qui, à proprement parler, ne fait pas partie du prédicament de la passion, mais se trouve dans la genre de la relation : elle est un certain rapport entre ce qui a l’être par un autre à la suite d’une opération divine. De cette manière, il n’est pas inapproprié qu’elle se trouve comme dans son sujet dans cela même qui est créé, qui est amené par la création, comme la filiation chez Pierre, qui, dans la mesure où il reçoit la nature humaine de son père, n’est pas antérieure à Pierre lui-même, mais découle d’une action et d’un mouvement, qui sont antérieurs. Toutefois, le rapport de la création ne découle pas d’un mouvement, mais d’une action divine seulement, qui est antérieure à la créature.

 

[3445] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, ut prius dictum est, in 1, dist. 30, art. 3, quando creatura refertur ad creatorem, relatio realiter fundatur in creatura, et in Deo secundum rationem tantum: unde ipsa relatio importata in nomine creationis non ponit aliquid in creatore, sed in creato tantum. Non tamen oportet quod alia creatione creetur: quia illud quod est relatio per essentiam, non refertur ad aliud alia relatione media, ut etiam in 1 dictum est, dist. 26, art. 3, nisi secundum rationem; et hujusmodi relationes, quae secundum rationem tantum sunt, non est impossibile in infinitum multiplicari.

5. Comme on l’a déjà dit, livre I, d. 30, a. 3, lorsque la créature est mise en relation avec le Créateur, la relation a un fondement réel dans la créature, et de raison seulement en Dieu ; aussi la relation que comporte le mot « création » n’entraîne-t-elle rien chez le Créateur, mais dans ce qui est créé seulement. Toutefois, il n’est pas nécessaire qu’elle soit créée par une autre création, car ce qui est par essence une relation ne se rapporte pas à autre chose par une autre relation intermédiaire, comme on l’a aussi dit au livre I, d. 26, a. 3, si ce n’est selon la raison. Et il n’est pas impossible que les relations de ce genre, qui existent seulement selon la raison, soient multipliées à l’infini.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3446] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 tit. Utrum creare conveniat aliis quam Deo.

Article 3 – Créer convient-il à d’autres qu’à Dieu ?

 

[3447] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod creare etiam conveniat aliis quam Deo. Omne enim quod non producitur in esse per generationem, si de novo fiat, creatur. Sed anima rationalis non exit in esse per generationem. Ergo a quocumque fit, creatur. Sed anima rationalis exit in esse virtute intelligentiarum; unde Plato inducit Deum secundis diis dicentem: fenus quod credidistis ad vos recipite; et loquitur de anima rationali. Et similiter in libro de causis dicitur, quod creata est anima mediante intelligentia. Ergo videtur quod Angeli: vel intelligentiae, creare possint.

1. Il semble que créer convienne aussi à d’autres qu’à Dieu. En effet, tout ce qui n’est pas amené à l’être par la génération est créé, si cela est réalisé pour la première fois. Or, l’âme raisonnable n’est pas amenée à l’être par la génération. Quel que soit celui qui la produit, elle est donc créée. Or, l’âme raisonnable est amenée à l’être par la puissance des intelligences ; aussi Platon invoque-t-il Dieu, qui dit aux dieux de second rang : « Recevez ce que vous avez cru gagner ! », et il parle de l’âme raisonnable. De même est-il dit, dans le Livre sur les causes, que l’âme a été créée par l’intermédiaire d’une intelligence. Il semble donc que les anges ou des intelligences puissent créer.

 

[3448] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, cujuscumque dignitatis creatura est capax, haec ab eo sibi communicatur qui summe liberalis est. Sed potentia creandi communicabilis est creaturae, ut infra, in 4, dist. 5, Magister dicit. Ergo videtur quod alicui creaturae sit communicatum quod creet.

2. Quelle que soit la dignité dont la créature est capable, elle lui a été communiquée par celui dont la libéralité est la plus grande. Or, la puissance de créer peut être communiquée à une créature, comme le Maître le dit plus loin, dans le livre IV, d. 4. Il semble donc que la capacité de créer ait été communiquée à une créature.

 

[3449] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, quanto aliquid magis resistit agenti, difficilius est ab eo aliquid fieri. Sed contrarium est magis resistens quam non ens simpliciter. Ergo difficilius est aliquid fieri ex contrario, quam ex non ente. Sed agens naturale facit contrarium ex contrario. Ergo videtur quod etiam ex non ente simpliciter aliquid facere possit, et sic potest creare.

3. Plus quelque chose résiste à un agent, plus il est difficile pour celui-ci de faire quelque chose à partir de cela. Or, un contraire est plus résistant que le simple néant. Il est donc plus difficile que qu’une chose chose soit faite à partir d’un contraire que du néant. Or, un agent naturel réalise une chose contraire à partir d’un contraire. Il semble donc qu’il puisse aussi faire quelque chose à partir du simple néant, et ainsi il peut créer.

 

[3450] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum quod res exeunt a Deo, ita etiam ordinantur in ipsum. Sed secundum Dionysium in pluribus locis, lex divinitatis est ut nunquam ultima reducantur in finem nisi per media. Ergo videtur quod etiam ultima entium non immediate a Deo creentur, sed a causis mediis.

4. Selon que les choses sont issues de Dieu, de même sont-elles aussi ordonnées à lui. Or, selon Denys en plusieurs endroits, la loi de la divinité est que jamais les dernières réalités ne soient ramenées à leur fin que par des réalités intermédiaires. Il semble donc que même les derniers parmi les êtres ne soient pas immédiatement créés par Dieu, mais par des causes intermédiaires.

 

[3451] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, in causatum causae secundae nunquam agit causa prima, nisi secundum quod agit in ipsa causa secunda agente. Sed Deus, qui est causa prima omnium rerum, cujuslibet rei creator est. Ergo et quaelibet causa secunda, in qua Deus operando creat, creatrix dici debet; et sic creare non tantum Deo convenit.

5. La cause première n’agit jamais sur ce qui est causé par une cause seconde, qu’en agissant sur la cause seconde qui agit. Or, Dieu, qui est la cause première de toutes choses, est le créateur de toutes choses. Toute cause seconde, dans laquelle Dieu crée en agissant, doit donc être appelée créatrice. Ainsi, créer ne convient pas à Dieu seulement.

 

[3452] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Damascenus anathematizat omnes qui dicunt Angelos aliquid creare: de quibus tamen magis videtur quam de aliis. Ergo videtur quod creare solius Dei sit.

Cependant, [1] [Jean] Damascène anathématise tous ceux qui disent que les anges créent quelque chose, alors qu’il semble que ce soit plutôt le cas pour eux que pour d’autres. Il semble donc que créer revient à Dieu seul.

 

[3453] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, ens et non ens simpliciter in infinitum distant. Sed movere per distantiam infinitam est potentiae infinitae, qualis est sola divina potentia. Ergo solius ejus creare est.

[2] L’être et le néant sont infiniment distants. Or, mouvoir sur une distance infinie revient à une puissance infinie, telle qu’est seule la puissance divine. Il revient donc à elle seule de créer.

 

[3454] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est triplex opinio. Quidam enim philosophi posuerunt quod a prima causa immediate est unum primum causatum, a quo postmodum sunt alia, et sic deinceps; unde posuerunt, unam intelligentiam causari mediante alia, et animam mediante intelligentia, et corporalem naturam mediante spirituali: quod pro haeresi condemnatur: quia haec opinio honorem qui Deo debetur, creaturae attribuit; unde propinqua est ad trahendum in idolatriam. Unde alii dixerunt, quod creatio nulli creaturae convenit, nec etiam communicabilis est; sicut nec esse infinitae potentiae, quam exigit creationis opus. Alii dixerunt creationem nulli creaturae communicatam esse, communicari tamen potuisse: quod Magister asserit, in 4 Lib., dist. 5, in fine. Utraque autem harum ultimarum opinionum videtur mihi secundum aliquid vera esse. Cum enim de ratione creationis sit ut non praeexistat aliquid sibi, ad minus secundum naturae ordinem, hoc potest accipi vel ex parte creantis, vel ex parte creati. Si ex parte creantis, sic dicitur illa actio esse creatio quae non firmatur super actione alicujus causae praecedentis; et sic est actio tantum causae primae: quia omnis actio secundae causae firmatur super actione causae primae. Unde sicut non potest communicari alicui creaturae quod sit causa prima; ita non potest communicari sibi quod sit creans. Si autem sumatur ex parte creati, sic illius proprie est creatio cui non praeexistat aliquid in re, et hoc est esse. Unde dicitur in Lib. de causis, quod prima rerum creatarum est esse; et alibi in eodem Lib. dicitur, quod esse est per creationem, et aliae perfectiones superadditae per informationem, et in compositis praecipue illud esse quod est primae partis, scilicet materiae; et ex parte ista accipiendo creationem, potuit communicari creaturae, ut per virtutem causae primae operantis in ipsa, aliquod esse simplex, vel materia produceretur: et hoc modo philosophi posuerunt intelligentias creare, quamvis sit haereticum.

Réponse. Sur ce point, il existe trois opinions. En effet, certains philosophes ont affirmé qu’une première créature est immédiatement causée par la première cause, dont proviennent ensuite les autres choses, et ainsi de suite. Ils ont ainsi affirmé qu’une intelligence est causée par l’intermédiaire d’une autre, l’âme par l’intelligence, et la nature corporelle par l’intermédiaire de la nature spirituelle, ce qui est condamné comme une hérésie, car cette opinion attribue à une créature l’honneur qui est dû à Dieu ; aussi est-elle proche d’entraîner à l’idolâtrie. Aussi d’autres ont-ils dit que la création ne convient à aucune créature et qu’elle ne lui pas non plus communicable, comme non plus la puissance infinie qu’exige l’action de la création. D’autres ont dit que la création n’a été communiquée à aucune créature, mais qu’elle pouvait cependant être communiquée, ce qu’affirme le Maître, dans le livre IV, d. 5, vers la fin. Or, ces deux dernières opinions me semblent être partiellement vraies. En effet, puisqu’il fait partie de la notion de création que rien ne lui préexiste, tout au moins selon un ordre de nature, cela peut se concevoir soit du point de vue de celui qui crée, soit du point de vue de ce qui est créé. Si l’on prend le point de vue de celui qui crée, l’action qui ne s’appuie pas sur l’action d’une cause précédente est appelée création ; elle est ainsi l’action de la seule cause première, car toute action d’une cause seconde est affermie par l’action de la cause première. De même que ne peut être communiqué à une créature d’être la cause première, de même donc ne peut-il lui être communiqué de créer. Mais si on adopte le point de vue de ce qui est créé, la création appartient en propre à ce à quoi rien ne préexiste, et cela est l’acte être. Aussi est-il dit, dans le Livre sur les causes, que la première chose créée est l’acte d’être, et ailleurs, dans le même livre, que l’acte d’être vient de la création, que les autres perfections ajoutées [viennent] par la forme, et que, dans les composés, [vient] surtout cet être qui revient à la première partie, c’est-à-dire à la matière. En comprenant la création de ce point de vue, il pouvait être communiqué à la créature que, par la puissance de la cause première agissant en elle, un être simple ou une matière soient produits. De cette manière, des philosophes ont affirmé que les intelligences créent, bien que cela soit hérétique.

 

[3455] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hoc auctoritates philosophorum non sunt recipiendae: quia in hoc erraverunt. Possent tamen exponi hoc modo omnes illae auctoritates, ut dicerentur creare animas, inquantum per motum orbium disponuntur corpora ad animae receptionem; sed hoc non est de intentione eorum.

1. Sur ce point, les autorités des philosophes ne doivent pas être acceptées, car ils s’y sont trompés. Toutefois, toutes ces autorités pourraient être interprétées au sens où elles parleraient de créer les âmes dans la mesure où, par le mouvement des sphères, les corps sont disposés à recevoir l’âme. Mais ce n’est pas ce qu’elles veulent dire.

 

[3456] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidquid est communicabile creaturae, de hoc quod est pertinens ad perfectionem naturae ejus, communicatur sibi; non autem est verum de perfectionibus secundis; sicut non omnis homo qui receptibilis est regiae dignitatis, a Deo factus est rex; et sic etiam est de auctoritate creandi, secundum illos qui dicunt, quod creatio potuit creaturae communicari.

2. Tout ce qui peut être communiqué à la créature de ce qui se rapporte à la perfection de sa nature lui est communiqué ; mais cela n’est pas vrai des perfections secondaires, de même que tout homme, qui est susceptible de recevoir la dignité royale, n’a pas été fait roi par Dieu. De même en est-il de l’autorité de créer, selon ceux qui disent que l’action de créer pouvait être communiquée à la créature.

 

[3457] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod resistens contrarium non facit difficultatem in agendo, nisi inquantum elongat potentiam ab actu: quia unum contrariorum quanto est magis intensum, tanto potentia est magis remota ab actu: et ideo quod aliquid fiat ex non ente, simpliciter est majoris virtutis quam quod fiat ex contrario: quia in non ente simpliciter nulla potentia remanet.

3. Le contraire qui résiste n’occasionne pas de difficulté pour l’action, si ce n’est dans la mesure où il éloigne la puissance de l’acte, car plus l’un des contraires est intense, plus sa puissance est éloignée de l’acte. Que quelque chose soit fait à partir du néant relève donc simplement d’une plus grande puissance que si cela est fait à partir d’un contraire, car aucune puissance ne demeure dans ce qui n’existe tout simplement pas.

 

[3458] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis ad ultimum finem reducantur ultima per media; nunquam tamen influentia ultimi finis alicui mediorum communicatur, ita scilicet ut sit ultimum desideratum; et sic etiam nunquam influentia primi agentis, quae est creatio, alicui secundorum principiorum communicari potest.

4. Bien que les dernières choses soient ramenées à leur fin ultime par des choses intermédiaires, jamais cependant l’emprise de la fin ultime n’est communiquée à l’un des intermédiaires, de sorte qu’il serait ce qui est ultimement désiré. Ainsi, jamais l’emprise du premier agent, en quoi consiste la création, ne peut-elle être communiquée à l’un des principes seconds.

 

[3459] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod agens proximum, ut generans, non operatur in hac re generata, nisi educendo de potentia materiae formam. Sed operatio causae primae est etiam in creando ipsam materiam: et ideo agens naturale proximum est tantum generans hanc rem; sed agens primum et divinum est creans; et ex hoc patet quod sicut operatio artis fundatur super operationem naturae, inquantum natura praeparat arti materiam; ita et operatio naturae fundatur supra creationem, inquantum ministrat naturae materiam.

5. Un agent rapproché, comme celui qui engendre, n’agit sur la chose engendrée qu’en tirant la forme de la puissance de la matière. Or, l’opération de la cause première consiste à créer aussi la matière elle-même. Ainsi l’agent naturel rapproché ne fait-il qu’engendrer cette chose ; mais l’agent premier et divin la crée. De cela ressort que, de même que l’opération de l’art se fonde sur l’opération de la nature, pour autant que la nature prépare à l’art sa matière, de même aussi l’opération de la nature se fonde-t-elle sur la création, dans la mesure où elle fournit la matière à la nature.

 

 

 

 

Articulus 4 : [3460] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 tit. Utrum aliquid aliud a Deo efficiat aliquam rem

Article 4 – Une réalité autre Dieu produit-elle quelque chose ?

 

[3461] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod nihil aliud efficiat aliquam rem nisi Deus. Agens enim quod agit sine medio, est perfectius quam illud quod medio indiget in sua actione. Sed Deus est agens perfectissimum. Ergo videtur quod omnia nullo mediante producat.

1. Il semble que rien d’autre que Dieu ne produise quelque chose. En effet, l’agent qui agit sans intermédiaire est plus parfait que celui qui a besoin d’un intermédiaire pour son action. Or, Dieu est l’agent le plus parfait. Il semble donc qu’il produise tout sans intermédiaire.

 

[3462] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, inter alias creaturas Angeli sunt nobiliores. Sed efficientia rerum non attribuitur Angelis; unus enim Angelus non est causa alterius, nec est iterum causa corporalis creaturae. Ergo videtur quod multo minus aliae creaturae sint causae quorumdam.

2. Parmi les autres créatures, les anges sont plus nobles. Or, la réalisation des choses n’est pas attribuée aux anges. En effet, un ange n’est pas la cause d’un autre, et il n’est pas la cause de la créature corporelle. Il semble donc que les autres créatures soient encore bien moins causes de certaines choses.

 

[3463] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, idem specie non producitur a diversis agentibus secundum speciem. Sed prima individua omnium specierum immediate a Deo creata sunt, supposito quod mundus non fuerit semper. Ergo videtur quod nihil possit producere aliquid simile sibi secundum speciem.

3. Une chose identique selon l’espèce n’est pas produite pas des agents différents selon l’espèce. Or, les premiers individus de toutes les espèces ont été immédiatement créés par Dieu, en supposant que le monde n’ait pas toujours existé. Il semble donc que rien ne puisse produire quelque chose de semblable à soi-même selon l’espèce.

 

[3464] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, illud quod non est ex aliqua materia, non potest fieri nisi per creationem. Sed formae et accidentia non habent materiam partem sui; vel esset in infinitum abire. Ergo non possunt fieri nisi per creationem. Inde sic. Omnis causa efficiens alicujus rei dat sibi formam, vel substantialem, vel accidentalem. Sed hujusmodi non producuntur nisi per creationem. Ergo nihil potest esse causa efficiens alicujus rei nisi creator, qui tantum Deus est, ut dictum est.

4. Ce qui ne vient pas d’une matière ne peut être fait que par création. Or, les formes et les accidents n’ont pas de matière comme partie d’eux-mêmes, autrement il faudrait remonter à l’infini. Ils ne peuvent donc être produits que par création. D’où il découle que toute cause efficiente d’une chose lui donne une forme, substantielle ou accidentelle. Or, celles-ci ne sont produites que par création. Donc, rien ne peut être cause efficiente d’une chose que le Créateur, qui est Dieu seulement, comme on l’a dit.

 

[3465] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, causa efficiens nunquam est deficientior quam effectus. Sed agentia naturalia non agunt nisi per qualitates activas, quae sunt accidentia: quod probatur ex hoc quod non est possibile aliquid esse formam substantialem in uno, et accidentalem in altero; unde calor, qui est accidens hominis, non potest esse forma substantialis ignis; et sic de aliis. Ergo nullum agens naturae producit aliquam formam substantialem; et sic idem quod prius.

5. La cause efficiente n’est jamais plus faible que l’effet. Or, les agents naturels n’agissent que par leurs qualités actives, qui sont des accidents, ce qui est démontré par le fait qu’il n’est pas possible que quelque chose soit la forme substantielle chez l’un, et une forme accidentelle chez un autre. Aussi la chaleur, qui est un accident de l’homme, ne peut-elle être la forme substantielle du feu, et ainsi de suite pour les autres. Aucun agent de la nature ne produit donc une forme substantielle, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

 

[3466] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, secundum Damascenum, cujuslibet rei est propria operatio. Sed omnis res quae habet propriam operationem activam, sua operatione est causa alicujus. Ergo videtur quod ignis calefaciendo sit causa caloris, et sic de aliis.

Cependant, [1] selon [Jean] Damascène, une opération propre appartient à chaque chose. Or, toute chose qui a son opération active propre est cause de quelque chose par son opération. Il semble donc que le feu soit cause de la chaleur en réchauffant, et ainsi de suite pour les autres.

 

[3467] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, si Deus immediate causaret omnia, una res non dependeret ab alia, sicut causatum a causa; et sic res non magis fieret ab uno quam ab alio. Sed videmus ad sensum quod non fit quodlibet ex quolibet, sed ex semine hominis semper generatur homo. Ergo semen patris est causa effectiva filii.

[2] Si Dieu causait tout, une chose ne dépendrait pas d’une autre, comme ce qui est causé [dépend] de sa cause ; ainsi, une chose ne serait pas faite par une chose plutôt que par une autre. Or, nous voyons par les sens que n’importe quoi n’est pas fait par n’importe quoi, mais que, à partir de la semence de l’homme, c’est toujours un homme qui est engendré. La semence du père est donc la cause efficiente du fils.

 

[3468] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc quaestionem sunt tres positiones. Quarum una est, quod Deus immediate operetur omnia, ita quod nihil aliud est causa alicujus rei; adeo quod dicunt quod ignis non calefacit, sed Deus; nec manus movetur, sed Deus causat ejus motum, et sic de aliis. Sed haec positio stulta est: quia ordinem tollit universi, et propriam operationem a rebus, et destruit judicium sensus. Secunda positio est quorumdam philosophorum, qui ut proprias operationes rerum sustineant, Deum immediate omnia creare negant; sed dicunt, quod immediate est causa primi creati, et illud est causa alterius, et sic deinceps. Sed haec opinio erronea est: quia secundum fidem non ponimus Angelos creatores, sed solum Deum creatorem omnium visibilium et invisibilium. Tertia positio est, quod Deus immediate omnia operatur, et quod res singulae proprias operationes habent, per quas causae proximae rerum sunt, non tamen omnium, sed quorumdam: quia enim, ut dictum est, secundum fidem non ponitur creatura aliqua aliam in esse producere per creationem, nec virtute propria nec aliena; ideo omnium illorum quae per creationem in esse exeunt, solus Deus immediate causa est. Hujusmodi autem sunt quae per motum in esse exire non possunt, nec per generationem. Primo propter simplicitatem essentiae suae, in qua subsistunt: quia omne quod generatur, oportet esse compositum ex materia et forma; unde nec Angeli nec animae rationales possunt generari, sed solum creari; secus autem de aliis formis, quae etiam si sint simplices, non tamen habent esse absolutum, cum non sint subsistentes; unde exitus in esse non debetur eis, sed composito habenti talem formam, quod per se generari dicitur, quasi per se esse habens. Formae vero praedictae non dicuntur generari nisi per accidens: et eadem ratione materia prima, quae generationi substat, propter sui simplicitatem non generatur, sed creatur. Secundo, propter elongationem a contrarietate, ut corpora caelestia: omne enim quod generatur, generatur ex contrario. Tertio, propter necessitatem generantis similis in specie generato: propter quod primae hypostases immediate a Deo creatae sunt: ut primus homo, primus leo, et sic de aliis: non enim homo generari potest nisi ab homine. Aliter autem est de illis rebus ad quarum generationem non requiritur agens simile in specie, sed sufficit virtus caelestis cum qualitatibus activis et passivis, ut quae ex putrefactione generantur. Aliorum vero quae per motum et generationem producuntur, creatura causa esse potest, vel ita quod habeat causalitatem supra totam speciem, sicut sol est causa in generatione hominis vel leonis; vel ita quod habeat causalitatem ad unum individuum speciei tantum, sicut homo generat hominem, et ignis ignem. Horum tamen causa etiam Deus est, magis intime in eis operans quam aliae causae moventes: quia ipse est dans esse rebus. Causae autem aliae sunt quasi determinantes illud esse. Nullius enim rei totum esse ab aliqua creatura principium sumit, cum materia a Deo solum sit; esse autem est magis intimum cuilibet rei quam ea per quae esse determinatur; unde et remanet, illis remotis, ut in libro de causis dicitur. Unde operatio creatoris magis pertingit ad intima rei quam operatio causarum secundarum: et ideo hoc quod creatum est causa alii creaturae, non excludit quin Deus immediate in rebus omnibus operetur, inquantum virtus sua est sicut medium conjungens virtutem cujuslibet causae secundae cum suo effectu: non enim virtus alicujus creaturae posset in suum effectum, nisi per virtutem creatoris, a quo est omnis virtus, et virtutis conservatio, et ordo ad effectum; quia, ut in libro de causis dicitur, causalitas causae secundae firmatur per causalitatem causae primae.

Réponse. Sur cette question, il y a trois positions. L’une est que Dieu réalise tout de manière immédiate, de telle sorte que rien d’autre n’est cause de quelque chose ; ils vont jusqu’à dire que le feu ne réchauffe pas, mais Dieu; la main non plus ne se meut pas, mais Dieu cause son mouvement, et ainsi pour les autres choses. Mais cette position est stupide, car elle supprime l’ordre de l’univers et l’opération propre des choses, et elle détruit le jugement du sens. La deuxième position est celle de certains philosophes qui, pour soutenir les opérations propres des choses, nient que Dieu crée tout de manière immédiate ; mais ils disent qu’il est immédiatement la cause du premier être créé, et que celui-ci est la cause d’un autre, et ainsi de suite. Mais cette opinion est erronée, car, selon la foi, nous n’affirmons pas que les anges sont créateurs, mais que seul Dieu [est le créateur] de toutes les choses visibles et invisibles. La troisième position est que Dieu réalise tout de manière immédiate, et que chaque chose a ses opérations propres, par lesquelles elle est cause prochaine de choses, non pas de toutes, mais de certaines. En effet, comme on l’a dit, selon la foi, on n’affirme pas qu’une créature en amène une autre à l’être par création, ni par sa puissance propre ni par celle d’un autre ; ainsi, de tout ce qui vient à l’être par création, Dieu seul est cause de manière immédiate. Or, sont de cette sorte les choses qui ne peuvent venir à l’être par le mouvement ni par génération. Premièrement, en raison de la simplicité de leur essence, dans laquelle elles subsistent, car tout ce qui est engendré doit être composé de matière et de forme. Aussi les anges ni les âmes raisonnables ne peuvent-elles être engendrées, mais seulement créées. Mais il en va autrement des autres formes qui, même si elles sont simples, ne possèdent cependant pas un être absolu, puisqu’elles ne subsistent pas. Aussi la venue à l’être ne leur est-elle pas due, mais [elle est due] au composé possédant une telle forme, dont on dit qu’il est engendré par soi, en tant que possédant l’être par soi. Mais on dit que les formes mentionnées sont engendrées seulement par accident. Pour la même raison, la matière première, qui est sous-jacente à la génération, n’est pas engendrée en raison de sa simplicité, mais elle est créée. Deuxièmement, en raison de l’éloignement de ce qui leur est contraire, comme les corps célestes. En effet, tout ce qui est engendré est engendré à partir d’un contraire. Troisièmement, du fait que ce qui engendre est nécessairement semblable par l’espèce à ce qui est engendré. Pour cette raison, les premières hypostases ont été créées immédiatement par Dieu, comme le premier homme, le premier lion, et ainsi pour les autres : en effet, un homme ne peut être engendré que par un homme. Mais il en va autrement des choses dont la génération n’exige pas un agent semblable par l’espèce, mais pour lesquelles suffit la puissance céleste, avec ses qualités actives et passives, comme c’est le cas de ce qui engendré par la putréfaction. Mais une créature peut être la cause de ce qui est produit par le mouvement et la génération, ou de telle sorte qu’elle ait la qualité de cause sur l’espèce tout entière, comme le soleil est cause dans la génération de l’homme ou du lion ; ou de telle sorte qu’elle ait la qualité de cause seulement pour un seul individu de l’espèce, comme l’homme engendre un homme, et le feu un feu. Toutefois, Dieu est aussi cause de ces choses en agissant plus intimement en elles que les autres causes qui les meuvent, car c’est lui qui donne l’être aux choses. Mais ces causes agissent pour ainsi dire en déterminant cet être. En effet, aucune chose ne tire en totalité d’une créature le principe de son être, puisque la matière vient de Dieu seul. Or, l’être est plus intime à chaque chose que les choses par lesquelles l’être est déterminé. Si celles-ci sont enlevées, [l’être] demeure, comme il est dit dans le Livre sur les causes. Aussi l’action du Créateur est-elle plus intime à une chose que l’opération des causes secondes. C’est pourquoi le fait que quelque chose de créé soit cause pour une autre créature n’exclut pas que Dieu agisse de manière immédiate en toutes choses, dans la mesure où sa puissance est comme le moyen qui unit la puissance de toute cause seconde avec son effet. En effet, la puissance d’une créature n’aurait aucun pouvoir sur son effet si ce n’était de la puissance du Créateur, dont viennent toute puissance, la conservation d’une puissance et l’ordre à son effet, car, ainsi que le dit le Livre sur les causes, la causalité de la cause seconde est affermie par la causalité de la cause première.

 

[3469] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est ex indigentia Dei quod causis aliis indiget ad creandum, sed ex bonitate ipsius, qui etiam dignitatem causandi aliis conferre voluit.

1. Ce n’est pas en raison de l’insuffisance de Dieu qu’il a besoin d’autres causes pour créer, mais en raison de sa bonté, qui a voulu conférer aussi à d’autres la dignité de cause.

 

[3470] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si ponamus secundum quorumdam opinionem Angelos deservire Deo in motibus orbium, constat quod Angeli causa erunt generationis et corruptionis per motum orbium: et ista causalitas in omnes retorquebitur, quamvis non omnes circa hoc ministerium occupentur: quia secundum Dionysium, superiores Angeli inferiores illuminant de ministeriis per eos exequendis. Si autem hoc non supponitur, potest dici quod ex hoc quod Angeli sunt nobiliores, non sequitur quod habeant hanc dignitatem, quae est causare generationem et corruptionem in rebus; sed aliam multo digniorem, quae consistit in Dei cognitione.

2. Si nous affirmons, selon l’opinion de certains, que les anges servent Dieu pour les mouvements des sphères, il est clair que les anges seront la cause de la génération et de la corruption par le mouvement des sphères. Cette causalité retournera à tous, bien que tous ne soient pas occupés à ce ministère, car, selon Denys, les anges supérieurs éclairent les anges inférieurs à propos des ministères qu’ils doivent exercer. Si on ne suppose pas cela, on peut dire que du fait que les anges sont plus nobles, il ne découle pas qu’ils possèdent cette dignité qui consiste à causer la génération et la corruption dans les choses, mais une autre beaucoup plus digne, qui consiste dans la connaissance de Dieu.

 

[3471] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest idem effectus secundum speciem esse a diversis agentibus immediatis, habentibus operationes determinatas ad determinatos effectus, sicut ab arte et natura. Sed Deus non habet operationem determinatam ad aliquem effectum; immo una sola operatione potest omnes effectus quos vult producere. Unde eumdem effectum specie quem natura producit, Deus potest sine natura operante facere.

3. Le même effet selon l’espèce ne peut venir de divers agents immédiats, comme de l’art et de la nature, possédant des opérations déterminées par rapport à des effets déterminés. Mais Dieu n’a pas d’opération déterminée par rapport à un effet ; bien plutôt, par une seule opération, il peut produire tous les effets qu’il veut. C’est pourquoi Dieu peut produire sans l’opération de la nature le même effet que la nature produit.

 

[3472] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod circa exitum rerum in esse per generationem fuit triplex opinio. Prima fuit ponentium latitationem, scilicet Anaxagorae, qui ponebat omnia in omnibus, et generationem fieri per abstractionem; et sic non ponebat veram generationem, quae est per hoc quod nova forma substantialis acquiritur materiae: et in hunc defectum incidit omnis opinio antiquorum, qui non ponebant veram generationem, sed generationem esse vel per congregationem et segregationem, vel per alterationem tantum: et hoc contingebat eis, quia non ponebant causam formalem, sed vel materialem tantum, vel cum hac etiam agentem. Alia opinio huic contraria fuit Platonis qui posuit, formas separatas, quas vocavit ideas, esse inducentes formas in materiis: et quasi ad hanc opinionem reducitur opinio Avicennae, qui dicit quod omnes formae sunt ab intelligentia, et agens naturale non est nisi praeparans materiam ad receptionem formae; et ista opinio procedit ex hoc quod vult unumquodque generari ex suo simili, quod frequenter non invenitur in rebus naturalibus; sicut in his quae per putrefactionem fiunt; et etiam quia ponebat fieri per se terminari ad formam; et hoc non potest esse, quia per se fieri terminatur ad hoc quod habet esse, quod est terminus factionis; et hoc est tantum compositum, non forma neque materia; unde forma, non nisi per accidens generatur. Tertia est Aristotelis, media inter has, scilicet quod omnes formae sunt in potentia in materia prima, non autem actu sicut ponentes latitationes dixerunt: et agens naturale agit non formam, sed compositum, reducendo materiam de potentia in actum; et hoc agens naturale in sua actione est quasi instrumentum ipsius Dei agentis, qui etiam materiam condidit, et formae potentiam dedit. Unde non oportet, hanc opinionem sustinendo, quod generans creet formam, vel quod faciat aliquid ex nihilo: quia non facit formam, sed compositum.

4. À propos de la venue à l’être des choses par la génération, il y a eu trois opinions. La première était celle de ceux qui affirmaient qu’elle était cachée, tel Anaxagore, qui affirmait que tout est en tout, et que la génération se produisait par l’abstraction. Ainsi, il n’affirmait pas une génération véritable, qui consiste en ce que la matière acquiert une nouvelle forme substantielle. Toutes les opinions des anciens étaient affectées par ce défaut : ils n’affirmaient pas une génération véritable, mais que la génération se faisait par un rassemblement ou une séparation, ou par une simple altération. Ils agissaient ainsi parce qu’ils ne reconnaissaient pas la cause formelle, mais seulement la cause matérielle ou, avec celle-ci, la cause efficiente. L’autre opinion était contraire à celle-ci : c’était celle de Platon, qui affirmait que des formes séparées, qu’il appelait idées, amenaient les formes dans les matières. L’opinion d’Avicenne se ramène pour ainsi dire à cette opinion : il dit que toutes les formes viennent d’une intelligence, et qu’un agent naturel ne fait que préparer la matière en vue de la réception de la forme. Cette opinion vient de ce qu’il veut que chaque chose soit engendrée par sa semblable, ce qui souvent ne se produit pas dans les choses naturelles, comme dans ce qui est réalisé par la putréfaction ; elle vient aussi de ce qu’il affirmait que le devenir se terminait à la forme. Mais cela ne peut pas être le cas, car ce est réalisé de soi se termine à ce qui possède l’être, qui est le terme de l’action. Or, cela est le composé seulement, mais non la forme ni la matière. Aussi la forme n’est-elle engendrée que par accident. La troisième [opinion] est celle d’Aristote, qui occupe le milieu entre celles-ci, à savoir que toutes les formes existent en puissance dans la matière première, mais non en acte, comme l’ont affirmé ceux qui affirmaient qu’elles y étaient cachées. L’agent naturel ne réalise pas la forme, mais le composé, en amenant la matière de la puissance à l’acte, et cet agent naturel est, par son action naturelle, comme un instrument de Dieu qui agit, qui a aussi créé la matière et lui a donné la puissance à la forme. Il n’est donc pas nécessaire, en soutenant cette opinion, que celui qui engendre crée la forme ou réalise quelque chose à partir de rien, car il ne réalise pas la forme, mais le composé.

 

[3473] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut calor naturalis agit in virtute animae ut instrumentum ejus, ut in 2 de anima dicitur, propter quod non tantum calefacit, sed agit ad generationem carnis animatae: ita qualitas activa agit in virtute formae substantialis; et ideo per illam actionem non tantum inducitur materia in actum formae accidentalis, sed etiam in actum formae substantialis.

5. De même que la chaleur naturelle agit par la puissance de l’âme en tant qu’elle est son instrument, comme on le dit dans Sur l’âme, II, raison pour laquelle elle ne réchauffe pas seulement, mais agit en vue de la génération de la chair animée, de même la qualité active agit par la puissance de la forme substantielle. C’est pourquoi, par cette action, non seulement la matière est-elle amenée à une forme accidentelle en acte, mais aussi à une forme substantielle en acte.

 

 

 

 

Articulus 5 : [3474] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 tit. Utrum mundus sit aeternus

Article 5 – Le monde est-il éternel ?

 

[3475] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod mundus sit aeternus: et ad hoc possunt adduci rationes sumptae ex quatuor, scilicet ex substantia caeli, ex tempore, ex motu, et ex agente vel movente. Ex substantia caeli sic. Omne quod est ingenitum et incorruptibile, semper fuit et semper erit. Sed materia prima est ingenita et incorruptibilis; quia omne quod generatur, generatur ex subjecto, et quod corrumpitur, corrumpitur in subjectum; materiae autem primae non est aliquod subjectum. Ergo materia prima semper fuit et semper erit. Sed materia nunquam denudatur a forma. Ergo materia ab aeterno fuit perfecta formis suis, quibus species constituuntur; ergo universum ab aeterno fuit, cujus istae species sunt partes. Et haec est ratio Aristotelis in 1 Physic.

1. Il semble que le monde soit éternel. En ce sens, on peut invoquer des raisons tirées de quatre sources : la substance du ciel, le temps, le mouvement et l’agent ou le moteur. Quant à la substance du ciel, voici : tout ce qui est inengendré et incorruptible a toujours existé et existera toujours. Or, la matière première est inengendrée et incorruptible, car tout ce qui est engendré est engendré à partir d’un sujet, et ce qui est corrompu est corrompu dans un sujet. Or, la matière première n’est pas un sujet. La matière première a donc toujours existé et existera toujours. Or, la matière n’est jamais privée de forme. La matière a donc toujours été perfectionnée par ses formes, qui constituent les espèces. L’univers, dont font partie ces espèces, a donc existé depuis l’éternité. Telle est l’argument d’Aristote dans Physique, I.

 

[3476] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, quod non habet contrarium, non est corruptibile nec generabile; quia generatio est ex contrario, et corruptio in contrarium. Sed caelum non habet contrarium, cum motui ejus nihil contrarietur. Ergo caelum non est generabile nec corruptibile: ergo semper fuit et semper erit. Et haec est ratio philosophi in 1 caeli et mundi.

2. Ce qui n’a pas de contraire n’est pas corruptible ni susceptible d’être engendré, car la génération vient d’un contraire et la corruption va vers un contraire. Or, le ciel n’a pas de contraire, puisque rien n’est contraire à son mouvement. Le ciel ne peut donc être ni engendré ni corrompu. Il a donc toujours existé et existera toujours. Tel est l’argument du Philosophe dans Le ciel et le monde, I.

 

[3477] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, secundum positionem fidei, substantia mundi ponitur incorruptibilis. Sed omne incorruptibile est ingenitum. Ergo mundus est ingenitus: ergo fuit semper. Probatio mediae. Omne quod est incorruptibile, habet virtutem quod sit semper. Sed illud quod habet virtutem quod sit semper, non invenitur quandoque ens et quandoque non ens; quia sequeretur quod simul esset ens et non ens: toto enim tempore aliquid est ens ad quod virtus sua essendi determinatur; unde si habet virtutem ut sit in omni tempore, in omni tempore est: et ita, si ponatur aliquando non esse, sequitur quod simul sit et non sit. Ergo nullum incorruptibile est quandoque ens et quandoque non ens. Sed omne generabile est hujusmodi. Ergo et cetera. Et haec est ratio philosophi in 1 de Cael. et Mund.

3. Selon l’affirmation de la foi, la substance du monde est considérée comme incorruptible. Or, tout ce qui est incorruptible est inengendré. Le monde est donc inengendré. Il a donc toujours existé. Démonstration de la mineure. Tout ce qui est incorruptible a le pouvoir de toujours exister. Or, on ne trouve pas que ce qui a la capacité de toujours exister existe parfois et parfois n’existe pas, car il en découlerait qu’une chose existerait et n’existerait pas. En effet, une chose existe pendant tout le temps auquel sa capacité d’être est déterminée. Si donc elle a la capacité d’exister tout le temps, elle existe toujours. Et ainsi, si on affirme qu’elle n’existe pas à un certain moment, il en découle qu’elle existe et n’existe pas en même temps. Donc, rien d’incorruptible n’existe parfois et parfois n’existe pas. Or, tout ce qui est susceptible d’être engendré est de cette sorte. Donc, etc. Tel est l’argument du Philosophe dans Le ciel et le monde, I.

 

[3478] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, omne quod alicubi est ubi prius nihil erat, est in eo quod prius fuit vacuum: quia vacuum est in quo potest esse corpus, cum nihil sit ibi. Sed si est mundus factus ex nihilo; ubi nunc est mundus, prius nihil erat. Ergo ante mundum fuit vacuum. Sed vacuum esse est impossibile, ut probatur in 4 Physic., et ut multa experimenta sensitiva demonstrant in multis ingeniis quae per hoc fiunt quod natura non patitur vacuum. Ergo impossibile est mundum incepisse. Et haec ratio est Commentatoris in 3 Cael. et Mund.

4. Tout ce qui existe là où il n’existait rien existe là où existait d’abord le vide, puisque le vide est là où un corps peut exister, alors qu’il n’y a rien. Or, si le monde a été créé à partir de rien, rien n’existait là où le monde existe maintenant. Donc, avant le monde, c’était le vide. Or, il est impossible que le vide existe, comme on le démontre dans Physique, IV, et comme le démontrent de nombreuses expériences sensibles dans plusieurs expériences ingénieuses, qui font en sorte que la nature ne souffre pas le vide. Il est donc impossible que le monde ait commencé. Tel est l’argument du Commentateur dans Le ciel et le monde, III.

 

[3479] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 5 Idem potest argui ex parte temporis sic. Omne quod est semper in principio et fine sui, semper fuit et semper erit: quia post principium est aliquid, et ante finem. Sed tempus semper est in eo quod est principium temporis et finis; quia nihil est temporis nisi nunc, cujus definitio est quod sit finis praeteriti, et principium futuri. Ergo videtur quod semper fuit tempus, et semper erit; et ita motus, et mobile, et totus mundus. Et haec est ratio philosophi in 8 Physic.

5. On peut raisonner de la même manière du point de vue du temps. Tout ce qui existe toujours au commencement et à la fin a toujours existé et existera toujours, car il existe quelque chose après le commencement et avant la fin. Or, le temps existe toujours là où existent le commencement et la fin, car rien du temps n’existe que le présent, dont la définition est d’être la fin de ce qui est passé et le commencement de ce qui est à venir. Il semble donc que le temps a toujours existé et existera toujours, et ainsi le mouvement, ce qui est mobile et le monde entier. Tel est l’argument du Philosophe dans Physique, VIII.

 

[3480] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, omne id quod nunquam potest demonstrari ut stans, sed semper ut fluens, habet aliquid ante se a quo fluit. Sed nunc non potest demonstrari ut stans, sicut punctus, sed semper ut fluens; quia ratio tota temporis est in fluxu et successione. Ergo oportet ante quodlibet nunc ponere aliud nunc: ergo impossibile est imaginari tempus habuisse primum nunc: ergo tempus semper fuit, et ita ut prius. Et haec est ratio Commentatoris ibidem.

6. Tout ce dont on peut démontrer que cela dure, mais en s’écoulant toujours, a avant lui quelque chose dont il a découlé. Or, on ne peut démontrer que le présent dure, comme le point, tout en s’écoulant toujours, car toute la notion de temps consiste dans l’écoulement et la succession. Il est donc nécessaire d’affirmer avant n’importe quel présent un autre présent. Il est ainsi impossible d’imaginer que le temps ait eu un premier présent. Le temps a donc toujours existé, et la conclusion est la même que précédemment. Tel est l’argument du Commentateur au même endroit.

 

[3481] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 7 Praeterea, creator mundi aut praecedit mundum tantum natura, aut etiam duratione. Si natura tantum, sicut causa effectum; ergo quandocumque fuit creator, fuit creatura; et ita mundus ab aeterno. Si autem duratione; prius autem et posterius in duratione causat rationem temporis: ergo ante totum mundum fuit tempus: et hoc est impossibile; quia tempus est accidens motus, nec est sine motu. Ergo impossibile est mundum non semper fuisse. Et haec est ratio Avicennae in sua Metaph.

7. Le créateur du monde précède le monde soit par nature seulement, soit aussi par la durée. Si c’est par nature seulement, c’est comme la cause précède l’effet. Donc, quel que soit le moment où a a été créateur, la créature a existé, et ainsi le monde existe éternellement. Mais si c’est par la durée, l’avant et l’après dans la durée causent la notion de temps ; et cela est impossible, car le temps est un accident du mouvement et il n’existe pas sans mouvement. Il est donc impossible que le monde n’ait pas toujours existé. Tel est l’argument d’Avicenne dans sa Métaphysique.

 

[3482] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 8 Idem potest ostendi ex parte motus. Impossibile enim est novam relationem esse inter aliqua nisi aliqua mutatione facta circa alterum eorum; sicut patet in qualitate; non enim aliqua fiunt de novo aequalia, nisi altero extremorum augmentato vel diminuto. Sed omnis motus importat relationem moventis ad motum, quae relative opponuntur. Ergo impossibile est motum esse novum, nisi praecedat aliqua mutatio vel in movente vel in moto: sicut quod unum approximetur ad alterum, vel aliquid aliud hujusmodi. Ergo ante omnem motum est motus; et sic motus est ab aeterno, et mobile, et mundus. Et haec est ratio philosophi, in 8 Physic.

8. On peut le montrer à partir du mouvement. En effet, il est impossible qu’existe une nouvelle relation entre des choses, sinon par le changement accompli dans l’une d’elles, comme cela ressort pour la qualité. En effet, des choses ne redeviennent égales que par l’augmentation ou la diminution des extrêmes. Or, tout mouvement comporte une relation entre ce qui meut et ce qui est mû, qui sont opposés par mode de relation. Il est donc impossible qu’existe un nouveau mouvement sans que précède un changement dans ce qui meut ou dans ce qui est mû, comme le fait que l’un se rapproche de l’autre, ou quelque chose chose d’autre de ce genre. Donc, avant tout mouvement existe un mouvement, et ainsi le mouvement existe éternellement, ainsi que ce qui est mû et le monde. Tel est le raisonnement du Philosophe dans Physique, VIII.

 

[3483] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 9 Praeterea, omne illud cujus motus quandoque est et quandoque quiescit, reducitur ad aliquem motum continuum, qui semper est: quia hujus successionis, quae est ex vicissitudine motus et quietis, non potest esse causa aliquid eodem modo se habens; quia idem eodem modo se habens, semper facit idem. Ergo oportet quod causa hujus vicissitudinis sit aliquis motus qui non est semper; et sic oportet quod habeat aliquem motum praecedentem: et cum non sit abire in infinitum, oportet devenire ad aliquem motum qui semper est; et sic idem quod prius. Et haec ratio est Commentatoris in 8 Physic. Idem potest etiam extrahi ex verbis philosophi. Inducit etiam hanc rationem Commentator in 7 Metaph., ad ostendendum, quod si mundus esset factus, oporteret quod hic mundus esset pars alterius mundi, cujus motu accideret variatio in mundo isto, sive in vicissitudine motus et quietis, sive in vicissitudine esse et non esse.

9. Tout ce dont le mouvement existe parfois et parfois cesse se ramène à quelque chose qui est mû de manière continue, qui existe toujours, car la cause de cette succession, qui vient de la précarité du mouvement et du repos, ne peut être quelque chose qui est toujours identique, puisque quelque chose qui est toujours identique fait toujours la même chose. Il est donc nécessaire que la cause de cette précarité soit un mouvement qui n’existe pas toujours ; elle doit donc avoir un mouvement antérieur, et puisqu’on ne peut remonter à l’infini, il faut en venir à un moteur qui existe toujours. La conclusion est ainsi la même que précédemment. Cet argument est celui du Commentateur dans Physique, VIII. La même chose peut être tirée des paroles du Philosophe. Le Commentateur fait aussi appel à ce raisonnement dans Métaphysique, VII, pour montrer que si le monde avait été créé, il faudrait que ce monde soit une partie d’un autre monde, par le mouvement duquel un changement se produirait dans ce monde, soit en raison de la précarité du mouvement et du repos, soit en raison de la précarité de l’être et du non-être.

 

[3484] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 10 Praeterea, generatio unius est corruptio alterius. Sed nihil corrumpitur nisi generetur prius. Ergo ante omnem generationem est generatio, et ante omnem corruptionem corruptio. Sed haec non potuerunt esse, nisi mundo existente. Ergo mundus semper fuit. Et haec est ratio philosophi in 1 de generatione.

10. La génération est la corruption de quelque chose d’autre. Or, rien n’est corrompu qui ne soit d’abord engendré. Avant toute génération, il existe donc une génération, et avant toute corruption, il existe une corruption, Or, celles-ci n’ont pu exister que si le monde existait. Le monde a donc toujours existé. Tel est l’argument du Philosophe dans Sur la génération, I.

 

[3485] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 11 Idem potest ostendi ex parte ipsius moventis vel agentis. Omnis enim actio vel motus quae est ab agente vel movente non moto, oportet quod sit semper. Sed primum agens vel movens est omnino immobile. Ergo oportet quod actio ejus et motus ejus sit semper. Prima sic probatur. Omne quod agit vel movet postquam non agebat vel movebat, educitur de potentia in actum, quia unumquodque agit secundum id quod est in actu: unde si agit postquam non agebat, oportet quod sit aliquid in actu in eo quod prius erat in potentia. Sed omne quod educitur de potentia in actum movetur. Ergo omne quod agit postquam non agebat, movetur. Et haec ratio potest extrahi ex verbis philosophi, in 8 Physic.

11. La même chose peut être montrée du point de vue de ce qui meut ou de l’agent. En effet, toute action ou mouvement, qui est le fait d’un agent ou d’un moteur non mû, doit toujours exister. Or, le premier agent ou moteur est tout à fait immobile. Il faut donc que son action et son mouvement existe toujours. La majeure se démontre ainsi. Tout ce qui agit ou meut, après n’avoir pas agi ni mû, est amené de la puissance à l’acte, car tout agit selon ce qu’il est en acte. S’il agit après n’avoir pas agi, il faut donc qu’existe en lui quelque chose en acte, qui était d’abord en puissance. Or, tout ce qui est amené de la puissance à l’acte est mû. Donc, tout ce qui agit après n’avoir pas agi est mû. Cet argument peut être tiré des paroles du Philosophe, Physique, VIII.

 

[3486] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 12 Praeterea, Deus aut est agens per voluntatem, aut per necessitatem naturae. Si per necessitatem naturae, cum talia sint determinata ad unum, oportet quod ab eo semper idem fiat: unde si ab eo mundus est aliquando factus, necesse est mundum esse aeternum. Si autem agens per voluntatem; omnis autem voluntas non incipit agere de novo nisi aliquis motus fiat in volente, vel ab aliquo impediente, quod prius erat et postmodum cessat, vel ex eo quod excitatur nunc et non prius, aliquo inducente ad agendum quod prius non inducebat: cum ergo voluntas Dei immobiliter eadem maneat, videtur quod non incipiat de novo agere. Et ista ratio communiter est philosophi in 8 Physic., et Avicennae, et Commentatoris.

12. Dieu agit soit par sa volonté, soit par une nécessité de nature. Si c’est par nécessité de nature, puisque les choses de ce genre sont déterminées à une seule chose, il fait en sorte que toujours la même chose vient de lui. Si le monde a été fait par lui à un certain moment, il est donc nécessaire que le monde soit éternel. Mais s’il agit par volonté, comme toute volonté ne se met à agir de nouveau que si un mouvement se produit chez celui qui veut, venant soit de quelque chose qui l’empêche, qui existait d’abord et cesse par la suite, soit du fait qu’elle est maintenant stimulée, alors qu’elle ne l’était pas auparavant, par quelque qui l’incite, alors que cela ne l’incitait pas auparavant ; puisque la volonté de Dieu demeure la même sans mouvement, il semble donc qu’elle ne se mette pas à agir de nouveau. Cet argument vient conjointement du Philosophe, Physique, VIII, d’Avicenne et du Commentateur.

 

[3487] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 13 Praeterea, omnis volens quandoque agere et quandoque non agere, oportet quod imaginetur tempus post tempus, discernendo tempus in quo vult agere, a tempore in quo non vult agere. Sed imaginari tempus post tempus, sequitur mutationem vel ipsius imaginationis, vel saltem imaginati, quia successio temporis causatur a successione motus, ut patet ex 4 Physic. Ergo impossibile est quod voluntas incipiat aliquem novum motum agere quem non praecedat alius motus. Et haec est ratio Commentatoris in 8 Physic.

13. Pour tout ce qui veut parfois agir et parfois ne pas agir, il faut imaginer un temps après un autre temps, en distinguant le temps où cela veut agir du temps où cela ne veut pas agir. Or, imaginer un temps après un autre découle d’un changement, soit de l’imagination elle-même, soit à tout le moins de ce qui est imaginé, car la succession du temps est causée par la succession du mouvement, comme cela ressort de Physique IV. Il est donc impossible que la volonté commence à faire un nouveau mouvement qu’un autre mouvement ne précèderait pas. Tel est l’argument du Commentateur dans Physique, VIII.

 

[3488] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 14 Praeterea, omnis voluntas efficiendi statim producit effectum, nisi desit aliquid illi volito quod sibi postmodum adveniat; sicut si modo habeam voluntatem faciendi ignem cras quando erit frigus, modo isti volito deest praesentia frigoris, qua adveniente, statim faciam ignem, si possum, nisi ad hoc aliquid aliud desit. Sed Deus habuit voluntatem aeternam faciendi mundum; alias esset mutabilis. Ergo impossibile est quod ab aeterno non fecerit mundum, nisi per hoc quod aliquid mundo deerat quod postmodum advenit. Sed non potuit advenire nisi per actionem aliquam. Ergo oportet quod ante hoc de novo factum praecedat aliqua actio mutationem faciens; et ita a voluntate aeterna nunquam procedat aliquid novum, nisi motu mediante aeterno. Ergo oportet mundum aeternum semper fuisse. Et haec est ratio Commentatoris, ibidem.

14. Toute volonté de faire produit aussitôt son effet, à moins que ne fasse défaut à ce qui est voulu ce qui y survient par la suite. Ainsi, si j’ai maintenant la volonté de faire du feu demain, alors qu’il fera froid, la présence du froid fait maintenant défaut à ce qui est ainsi voulu ; si elle survient, je ferai aussitôt du feu, si je le peux, à moins qu’il n’y manque quelque chose d’autre. Or, Dieu a eu éternellement la volonté de faire le monde, autrement, il pourrait être changeant. Il est donc impossible qu’il n’ait pas fait le monde éternellement, à moins que n’ait fait défaut au monde quelque chose qui est survenu par la suite. Or, cela ne pouvait survenir que par une action. Il faut donc qu’avant ce qui a été fait de nouveau, précède une action qui produit le changement. Et ainsi, jamais quelque chose de nouveau ne procède de la volonté éternelle, si ce n’est par l’intermédiaire d’un mouvement éternel. Il faut donc que le monde ait toujours existé. Tel est l’argument du Commentateur, au même endroit.

 

[3489] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, Deus aut est causa substantiae mundi, aut non, sed motus ejus tantum. Si motus tantum, ergo ejus substantia non est creata: ergo est primum principium; et sic erunt plura prima principia et plura increata, quod supra improbatum est. Si autem est causa substantiae caeli, dans esse caelo; cum omne quod recipit esse ab aliquo, sequatur ipsum in duratione, videtur quod mundus non semper fuerit.

Cependant, [1] soit Dieu est cause de la substance du monde, soit il ne l’est pas, mais [il est cause] de son mouvement seulement. S’il est cause de son mouvement seulement, la substance [du monde] n’est pas créée. Elle est donc un premier principe. Il y aura ainsi plusieurs premiers principes et plusieurs réalités incréées, ce qui a été réfuté plus haut. Mais si [Dieu] est cause de la substance du ciel en donnant l’être au ciel, puisque tout ce qui reçoit l’être d’une chose la suit dans la durée, il semble donc que le monde n’ait pas toujours existé.

 

[3490] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, omne creatum est ex nihilo factum. Sed omne quod est ex nihilo factum est ens postquam fuit nihil, cum non sit simul ens et non ens. Ergo oportet quod caelum prius non fuerit et postmodum fuerit, et sic totus mundus.

[2] Tout ce qui est créé est fait à partir de rien. Or, tout ce qui a été fait à partir de rien est un être, après avoir été néant, puisque l’être et le non-être n’existent pas en même temps. Il faut donc que d’abord le ciel n’ait pas existé et ait existé par la suite, et ainsi l’ensemble du monde.

 

[3491] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, si mundus fuit ab aeterno, ergo infiniti dies praecesserunt diem istum. Sed infinita non est transire. Ergo nunquam fuisset devenire ad hunc diem; quod falsum est: ergo et cetera.

[3] Si le monde existait depuis l’éternité, un nombre infini de jours a précédé le jour présent. Or, ce qui est infini ne passe pas. On ne serait donc jamais parvenu au jour présent, ce qui est faux. Donc, etc.

 

[3492] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 4 Praeterea, cuicumque potest fieri additio, isto potest esse aliquid majus vel plus. Sed diebus qui praecesserunt, potest fieri dierum additio. Ergo tempus praeteritum potest esse majus quam sit. Sed infinito non est majus, nec potest esse. Ergo tempus praeteritum non est infinitum.

[4] Là où une addition peut être faite, quelque chose de plus grand ou de plus peut l’être. Or, on peut ajouter des jours à ceux qui ont précédé. Le passé peut donc être plus grand qu’il ne l’est. Or, il n’y a pas de plus grand que l’infini, et il ne peut pas y en avoir. Le passé n’est donc pas infini.

 

[3493] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 5 Praeterea, si mundus fuit ab aeterno, ergo et generatio fuit ab aeterno tam hominum quam animalium. Sed omnis generatio habet generans et generatum; generans autem est causa efficiens generati; et sic in causis efficientibus est procedere in infinitum, quod est impossibile, ut probatur in 2 Metaph. Ergo impossibile est generationem semper fuisse, et mundum.

[5] Si le monde a existé depuis l’éternité, la génération des hommes, comme celle des animaux, a donc aussi existé depuis l’éternité. Or, en toute génération, il y a ce qui engendre et ce qui est engendré : ce qui engendre est la cause de ce qui est engendré, et ainsi il faut remonter à l’infini pour les causes efficientes, ce qui est impossible, comme le démontre Métaphysique, II. Il est donc impossible que la génération et le monde aient toujours existé.

 

[3494] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 6 Praeterea, si mundus semper fuit, homines semper fuerunt. Ergo infiniti homines sunt mortui ante nos. Sed homine moriente non moritur anima ejus, sed manet. Ergo modo sunt infinitae animae in actu a corporibus absolutae. Sed impossibile est infinitum esse in actu, ut in 3 Physic. probatur. Ergo impossibile est mundum semper fuisse.

[6] Si le monde a toujours existé, les hommes ont toujours existé. Donc, un nombre infini d’hommes sont morts avant nous. Or, lorsqu’un homme meurt, son âme ne meurt pas, mais demeure. Il existe donc maintenant en acte un nombre infini d’âmes séparées du corps. Or, il est impossible que l’infini existe en acte, comme on le démontre dans Physique, III. Il est donc impossible que le monde ait toujours existé.

 

[3495] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 7 Praeterea, impossibile est aliquid Deo aequiparari. Sed si mundus semper fuisset, aequipararetur Deo in duratione. Ergo hoc est impossibile.

[7] Il est impossible que quelque chose soit égal à Dieu. Or, si le monde avait toujours existé, il serait égal à Dieu par la durée. Cela est donc impossible.

 

[3496] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 8 Praeterea, nulla virtus finita, est ad operationem infinitam. Sed virtus caeli est virtus finita, cum magnitudo ejus finita sit, et impossibile sit a magnitudine finita esse virtutem infinitam. Ergo impossibile est quod motus ejus fuerit in tempore infinito, et similiter impossibile est ut esse ejus tempore infinito duraverit: quia duratio rei non excedit virtutem quam habet ad esse: et sic incepit quandoque.

[8] Aucune puissance finie n’est apte à une opération infinie. Or, la puissance du ciel est une puissance finie, puisque sa grandeur est finie et qu’il est impossible qu’une grandeur finie ait une puissance infinie. Il est donc impossible que son mouvement ait existé pendant un temps infini, et de même il est impossible que son être ait duré pendant un temps infini, car la durée d’une chose ne dépasse pas la puissance qu’elle a par rapport à l’être. [Le ciel] a donc commencé à un certain moment.

 

[3497] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 9 Praeterea, nullus dubitat quin Deus natura praecedat mundum. Sed in Deo idem est natura et duratio sua. Ergo duratione Deus mundum praecedit. Ergo mundus non fuit ab aeterno.

[9] Personne ne doute que Dieu précède le monde par sa nature. Or, en Dieu, sa nature et sa durée sont la même chose. Dieu a donc précédé le monde par sa durée. Le monde n’a donc pas existé depuis l’éternité.

 

[3498] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc quaestionem est triplex positio. Prima est philosophorum, qui dixerunt, quod non solum Deus est ab aeterno, sed etiam aliae res; sed differenter: quia quidam ante Aristotelem posuerunt quod mundus est generabilis et corruptibilis, et quod ita est de toto universo sicut de aliquo particulari alicujus speciei, cujus unum individuum corrumpitur, et aliud generatur. Et haec fuit opinio Empedoclis. Alii dixerunt, quod res fuerunt quiescentes tempore infinito, et per intellectum coeperunt moveri, extrahentem et segregantem unum ab alio. Et haec fuit opinio Anaxagorae. Alii dixerunt, quod res ab aeterno movebantur motu inordinato, et postea reductae sunt ad ordinem, vel casu, sicut ponit Democritus, quod corpora indivisibilia ex se mobilia casu adunata sunt ad invicem, vel a creatore, et hoc ponit Plato, ut dicitur in 3 caeli et mundi. Alii dixerunt, quia res fuerunt ab aeterno secundum illum ordinem quo modo sunt; et ista est opinio Aristotelis, et omnium philosophorum sequentium ipsum; et haec opinio inter praedictas probabilior est: tamen omnes sunt falsae et haereticae. Secunda positio est dicentium, quod mundus incepit esse postquam non fuerat, et similiter omne quod est praeter Deum, et quod Deus non potuit mundum ab aeterno facere, non ex impotentia ejus, sed quia mundus ab aeterno fieri non potuit, cum sit creatus: volunt etiam quod mundum incepisse, non solum fide teneatur, sed etiam demonstratione probetur. Tertia positio est dicentium, quod omne quod est praeter Deum, incepit esse; sed tamen Deus potuit res ab aeterno produxisse; ita quod mundum incepisse non potuit demonstrari, sed per revelationem divinam esse habitum et creditum. Et haec positio innititur auctoritati Gregorii, qui dicit quod quaedam prophetia est de praeterito, sicut Moyses prophetizavit cum dixit Genes. 1: in principio creavit Deus caelum et terram. Et huic positioni consentio: quia non credo, quod a nobis possit sumi ratio demonstrativa ad hoc; sicut nec ad Trinitatem, quamvis Trinitatem non esse sit impossibile; et hoc ostendit debilitas rationum quae ad hoc inducuntur pro demonstrationibus, quae omnes a philosophis tenentibus aeternitatem mundi positae sunt et solutae: et ideo potius in derisionem quam in confirmationem fidei vertuntur si quis talibus rationibus innixus contra philosophos novitatem mundi probare intenderet. Dico ergo, quod ad neutram partem quaestionis sunt demonstrationes, sed probabiles vel sophisticae rationes ad utrumque. Et hoc significant verba philosophi dicentis quod sunt quaedam problemata de quibus rationem non habemus, ut utrum mundus sit aeternus; unde hoc ipse demonstrare nunquam intendit: quod patet ex suo modo procedendi; quia ubicumque hanc quaestionem pertractat, semper adjungit aliquam persuasionem vel ex opinione plurium, vel approbatione rationum, quod nullo modo ad demonstratorem pertinet. Causa autem quare demonstrari non potest, est ista, quia natura rei variatur secundum quod est in esse perfecto, et secundum quod est in primo suo fieri, secundum quod exit a causa; sicut alia natura est hominis jam nati, et ejus secundum quod est adhuc in materno utero. Unde si quis ex conditionibus hominis nati et perfecti vellet argumentari de conditionibus ejus secundum quod est imperfectus in utero matris existens, deciperetur; sicut narrat Rabbi Moyses, de quodam puero, qui mortua matre, cum esset paucorum mensium, et nutritus fuisset in quadam insula solitaria, perveniens ad annos discretionis, quaesivit a quodam, an homines essent facti, et quomodo; cui cum exponerent ordinem nativitatis humanae, objecit puer hoc esse impossibile, asserens, quia homo nisi respiret et comedat, et superflua expellat, nec per unum diem vivere potest; unde nec in utero matris per novem menses vivere potest. Similiter errant qui ex modo fiendi res in mundo jam perfecto volunt necessitatem vel impossibilitatem inceptionis mundi ostendere: quia quod nunc incipit esse, incipit per motum; unde oportet quod movens praecedat duratione: oportet etiam quod praecedat natura, et quod sint contrarietates, et haec omnia non sunt necessaria in progressu universi esse a Deo.

Réponse. Sur cette question, il y a trois positions. La première est celle des philosophes qui ont dit que, non seulement Dieu existe depuis l’éternité, mais aussi les autres réalités ; de manière différente, cependant, car certains, antérieurs à Aristote, ont affirmé que le monde peut être engendré et se corrompre, et qu’il en est ainsi de l’ensemble de l’univers comme d’une chose particulière d’une espèce, dont un individu se corrompt et un autre est engendré. Telle fut l’opinion d’Empédocle. D’autres ont dit que les choses ont été au repos pendant un temps infini et qu’elles ont commencé à être mues par une intelligence qui a tiré et séparé une chose d’une autre. Telle fut l’opinion d’Anaxagore. D’autres ont dit que les choses étaient mues depuis l’éternité d’un mouvement désordonné et que, par la suite, elles ont été ramenées à l’ordre, soit par le hasard, comme Démocrite affirme que les corps indivisibles, mobiles par eux-mêmes, ont été réunis les uns avec les autres par le hasard ou par un créateur. Platon affirme cela, comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, III. D’autres ont dit que les choses ont existé depuis l’éternité dans l’ordre où elles se trouvent maintenant : telle est l’opinion d’Aristote et de tous les philosophes qui l’ont suivi. Cette opinion est la plus probable de celles qui ont été rappelées ; cependant, toutes sont fausses et hérétiques. La deuxième opinion est celle de ceux qui disent que le monde a commencé exister, alors qu’il n’avait pas existé, qu’il en est de même pour tout ce qui n’est pas Dieu, et que Dieu ne pouvait pas créer le monde depuis l’éternité, non pas en raison de son impuissance, mais parce que le monde ne pouvait pas être créé depuis l’éternité, puisqu’il est créé. Ils veulent aussi que le fait que le monde a commencé ne soit pas soutenu par la foi seulement, mais que cela soit prouvé par une démonstration. La troisième position est celle de ceux qui disent que tout ce qui existe, à part Dieu, a commencé à être ; cependant, Dieu pouvait produire les choses depuis l’éternité, de telle sorte que le fait pour le monde d’avoir commencé ne pouvait pas être démontré, mais était obtenu et cru en vertu d’une révélation divine. Cette position s’appuie sur l’autorité de Grégoire, qui dit d’une certaine prophétie qu’elle portait sur le passé ; ainsi, Moïse prophétisa lorsqu’il dit, Gn 1 : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Et je suis d’accord avec cette position, car je ne crois pas qu’un argument démonstratif puisse être tiré de nous à cette fin, comme pour la Trinité, bien qu’il soit impossible que la Trinité n’existe pas. Et cela montre la faiblesse des arguments qui sont invoqués comme des démonstrations, qui ont tous été affirmés et résolus par les philosophes qui affirmaient l’éternité du monde. C’est pourquoi ils tournent davantage à la dérision qu’à la confirmation de la foi, si quelqu’un, en s’appuyant sur de tels arguments, avait l’intention de prouver contre les philosophes le commencement du monde. Je dis donc qu’il n’existe de démonstrations pour aucune des deux parties de la question, mais des arguments probables ou relevant d’un argument de sophiste pour les deux. C’est ce que signifient les paroles du Philosophe : il dit qu’il existe certains problèmes dont nous ne pouvons pas rendre compte, comme celui de l’éternité du monde. Aussi n’a-t-il pas lui-même eu l’intention de démontrer cela, ce qui ressort clairement de sa manière de procéder, car, partout où il traite de cette question, il s’efforce toujours de persuader en faisant appel soit à l’opinion d’un grand nombre, soit à la confirmation de [leurs] arguments, ce qui n’est pas du tout le fait de quelqu’un qui démontre. Or, la cause pour laquelle cela ne peut pas être démontré est celle-ci : la nature d’une chose varie selon qu’elle a son être achevé et selon qu’elle est en son premier devenir, alors qu’elle sort de sa cause. Ainsi, autre est la nature de l’homme déjà né, autre celle qu’il a lorsqu’il est encore dans le sein maternel. Si donc quelqu’un voulait raisonner, à partir des conditions de l’homme né et achevé, sur les conditions qui sont les siennes, alors qu’il est imparfait dans le sein maternel, il se tromperait. Ainsi rabbi Moïse raconte, à propos d’un enfant, dont la mère était morte alors qu’il n’avait que quelques mois et qu’il avait été élevé sur une île solitaire, que, parvenu à l’âge de discrétion, il demanda à quelqu’un si les hommes avaient été créés et comment. Comme on lui expliquait le processus de la naissance humaine, l’enfant objecta que cela était impossible : il affirmait que, si l’homme ne respire pas, ne mange pas et n’élimine pas le superflu, il ne peut vivre pendant une seule journée. Il ne peut donc pas non plus vivre pendant neuf mois dans le sein de sa mère. De même, ceux-là se trompent, qui veulent montrer la nécessité ou l’impossibilité du commencement du monde à partir de la manière dont les choses apparaissent dans un monde déjà achevé, car ce qui commence à exister maintenant commence par un mouvement. Aussi est-il nécessaire que ce qui meut précède dans la durée ; il faut aussi qu’il précède par nature et qu’existent des contraires. Et il n’est pas nécessaire que tout cela existe pour le progression de l’univers vers l’être à partir de Dieu.

 

[3499] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum est, quod materia est ingenita et incorruptibilis, non tamen sequitur quod semper fuerit: quia incepit esse non per generationem ex aliquo sed omnino ex nihilo; et similiter posset deficere si Deus vellet, cujus voluntate materiae et toti mundo esse communicatur.

1. La matière est inengendrée et incorruptible. Il n’en découle cependant pas qu’elle ait toujours existé, car elle a commencé à exister, non pas par génération à partir de quelque chose, mais entièrement à partir de rien. De même pourrait-elle faire défaut, si Dieu le voulait, par la volonté de qui l’être est communiqué à la matière et au monde tout entier.

 

[3500] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 2 Et similiter dicendum est ad secundum, quod illa ratio procedit de inceptione per generationem et motum; unde illa est ratio contra Empedoclem et alios, qui posuerunt caelum generari.

2. De même, il faut répondre au deuxième argument que cet argument vient du commencement par génération et par mouvement ; c’est donc un argument contre Empédocle et les autres qui ont affirmé que le ciel est engendré.

 

[3501] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia quae nunc est in caelo ad durationem non mensuratur ad determinatum tempus; unde per eam in ante et post potuit infinito tempore esse, si eam semper habuisset: sed hanc potentiam durationis non semper habuit, sed voluntate divina in sua creatione sibi tradita est.

3. La puissance qui existe maintenant dans le ciel en vue de sa durée n’est pas mesurée par un temps déterminé. Aussi a-t-il pu exister par elle avant comme après pendant un temps infini, s’il l’avait toujours possédée. Mais il n’a pas toujours possédé cette capacité de durer : elle lui a été donnée par la volonté divine lors de sa création.

 

[3502] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ante creationem mundi non fuit vacuum, sicut neque post: vacuum enim non est tantum negatio sed privatio; unde ad positionem vacui oportet ponere locum vel dimensiones separatas, sicut ponentes vacuum dicebant, quorum nullum ponimus ante mundum. Et si dicatur, quod possibile erat ante factionem mundi, mundum futurum esse ubi nunc est, dicendum ad hoc, quod non erat nisi in potestate agentis, ut supra dictum est.

4. Avant la création du monde, il n’y avait de vide, ni après. En effet, le vide n’est pas seulement une négation, mais une privation. Pour affirmer le vide, il faut donc affirmer le lieu ou des dimensions distinctes, comme le disaient ceux qui affirmaient le vide. Nous n’affirmons rien de cela avant le monde. Et si l’on dit qu’il était possible, avant la création du monde, que le monde soit là où il est maintenant, il faut répondre à cela qu’il n’existait que dans la puissance de l’agent, comme on l’a dit plus haut.

 

[3503] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa ratio est circularis, quod sic patet secundum philosophum. Per prius et posterius in motu, est prius et posterius in tempore; unde quando dicitur, quod omne nunc sit finis prioris, et posterioris principium, supponitur quod omne momentum motus sequatur quemdam motum, et praecedat quemdam. Unde dico, quod propositio illa non potest probari nisi ex suppositione ejus quod per eam concluditur; et ideo patet quod non est demonstratio.

5. Cet argument est circulaire, ce que le Philosophe fait ainsi ressortir. Ce qui est antérieur et postérieur dans le temps vient de ce qui antérieur et postérieur par le mouvement. Aussi, lorsqu’on dit que tout présent est la fin de ce qui est antérieur et le début de ce qui est postérieur, on suppose que tout moment d’un mouvement suit un mouvement et en précède un autre. Je dis donc que cette proposition ne peut être prouvée qu’en supposant sa conclusion. Il est donc clair qu’elle n’est pas une démonstration.

 

[3504] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod nunc nunquam intelligitur ut stans sed semper ut fluens; non autem ut fluens a priori, nisi motus praecedat, sed in posterius; nec iterum in posterius sed a priori, nisi motus sequatur. Unde si nunquam sequeretur vel praecederet motus, nunc non esset nunc: et hoc patet in motu particulari, qui sensibiliter incipit, cujus quodlibet momentum est fluens, et tamen aliquod est primum et aliquod ultimum, secundum terminum a quo et in quem.

6. Le présent ne se comprend jamais comme quelque chose de fixe, mais comme quelque chose qui s’écoule. Non pas cependant comme quelque chose qui s’écoule de ce qui est antérieur, à moins qu’un mouvement ne précède, mais comme quelque chose qui s’écoule vers ce qui est postérieur ; non pas non plus [comme quelque chose qui s’écoule] vers ce qui est postérieur, mais [qui s’écoule] de quelque chose d’antérieur, à moins qu’un mouvement ne suive. Aussi, si jamais un mouvement ne suivait ou ne précédait, le présent ne serait pas le présent. Cela ressort clairement dans un mouvement particulier qui commence de manière sensible, dont tout moment s’écoule ; cependant, il en existe un premier et un dernier, selon son terme a quo et ad quem.

 

[3505] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deus praecedit mundum non tantum natura sed etiam duratione: non tamen duratione temporis, sed aeternitatis; quia ante mundum non fuit tempus in rerum natura existens, sed imaginatione tantum: quia nunc imaginamur huic tempori finito, ex parte ante Deum potuisse multos annos addidisse quibus omnibus praesens esset aeternitas; et secundum hoc dicitur quod Deus potuit prius facere mundum quam fecerit et majorem et plures.

7. Dieu précède le monde non seulement par nature, mais aussi selon la durée, non pas selon la durée du temps, mais selon celle de l’éternité, car, avant le monde, le temps n’existait pas dans la nature des choses, mais en imagination seulement. En effet, nous imaginons qu’avant ce temps fini, Dieu pouvait ajouter plusieurs années et que, pendant toutes [ces années], l’éternité était présente. On dit ainsi que Dieu pouvait créer le monde avant qu’il ne l’a fait, [de même qu’un monde] plus grand et plusieurs mondes.

 

[3506] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod novitas relationis contingit non ex mutatione moventis sed ex mutatione mobilis, ut large mutatio sumatur pro creatione quae proprie mutatio non est, ut dictum est supra. Unde motum caeli praecedit creatio ejus ad minus enatura: creationem autem non praecedit aliqua mutatio, cum sit ex non ente simpliciter. Si tamen supponeretur quod etiam caelum extitisset antequam moveri coepisset, adhuc ratio non procederet: quia intelligendum est quod duplex est relatio. Quaedam est relatio absoluta, sicut in omnibus quae sunt ad aliquid secundum esse ut paternitas et filiatio; et talis relatio non efficitur nova nisi per acquisitionem illius in quo relatio fundatur; unde si acquiratur per motum, talis relatio sequitur motum; sicut similitudo unius ad alterum sequitur alterationem in qualitate supra quam fundatur relatio. Si autem acquiratur per creationem, sequitur creationem, sicut similitudo creaturae ad Deum fundatur super bonitatem quae per creationem acquiritur, per quam creatura Deo assimilatur. Quaedam autem relativa sunt quae simul important relationem et fundamentum relationis. Novitas autem talium relationum exigit acquisitionem illius rei quae significatur per nomen, sicut ipsius habitus qui est scientia; et similiter est de relatione quam importat nomen motus, quae efficitur nova per acquisitionem ipsius motus a movente in mobili.

8. La nouveauté de la relation ne vient pas d’un changement dans ce qui meut, mais d’un changement dans le mobile, si l’on « changement » de la création, qui n’est pas à proprement parler un changement, comme on l’a dit plus haut. Aussi la création du ciel précède-t-elle son mouvement, du moins par nature, mais aucun changement ne précède la création, puisqu’elle vient simplement du non-être. Si l’on supposait cependant que le ciel est apparu avant de se mouvoir, le raisonnement ne serait pas non plus correct, car il faut comprendre qu’il existe une double relation. L’une est la relation absolue, comme dans tout ce qui se rapporte à quelque chose d’autre selon l’être, comme la paternité et la filiation ; une telle relation ne commence que par l’acquisition de ce en quoi la relation est fondée. Aussi, si elle est acquise par le mouvement, une telle relation découle du mouvement, comme la ressemblance d’une chose avec une autre découle de l’altération de la qualité sur laquelle se fonde la relation. Mais si elle est acquise par création, elle découle de la création, comme la ressemblance de la créature avec Dieu se fonde sur la bonté qui est acquise par la création, par laquelle la créature est rendue semblable à Dieu. Mais il existe des choses relatives qui comportent simultanément la relation et le fondement de la relation. Le commencement de telles relations exige l’acquisition de la chose qui est signifiée par le mot, comme l’habitus même qu’est la science. De même en va-t-il de la relation que comporte le mot « mouvement », qui commence par l’acquisition du mouvement lui-même par le mobile à partir de ce qui meut.

 

[3507] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod hujusmodi vicissitudinis quod quandoque mundus non fuit et postmodum fuit, non est causa efficiens aliquis motus sed aliqua res semper eodem modo se habens, scilicet voluntas divina, quae ab aeterno fuit de hoc quod mundus in esse post non esse exiret. Et si diceretur, quod idem semper facit idem, dico, quod verum est, si accipiatur agens secundum propriam rationem, qua producit determinate hunc effectum. Sicut autem agens naturale determinatur per formam propriam, ut nunquam sequatur actio nisi secundum convenientiam ad formam illam; ita agens voluntarium determinatur ad actionem per propositum voluntatis; unde si voluntas non sit impedibilis nec mobilis, non sequitur effectus nisi secundum hoc quod voluntas proposuit; et hoc est verum quod voluntas divina in hoc quod semper est eadem, semper facit illud quod ab aeterno voluit, quia nunquam causatur; non tamen facit ut sua volita semper sint; quia hoc ipse non vult; unde si hoc faceret, quia faceret illud quod ipse non vult, esset simile ac si calor faceret frigus.

9. La cause efficiente du changement selon lequel le monde n’existait pas à un certain moment et a existé par la suite n’est pas un mouvement, mais une réalité qui est toujours identique à elle-même, à savoir, la volonté divine, qui était depuis l’éternité que le monde vienne à l’être après n’avoir pas été. Et si l’on disait que ce qui est identique produit toujours quelque chose d’identique, je dis que cela est vrai, si on parle d’un agent par sa nature propre, par laquelle il produit de manière déterminée cet effet. Mais de même qu’un agent naturel est déterminé par sa forme propre à ce que jamais une action n’en découle que selon la conformité à cette forme, de même un agent volontaire est-il déterminé à l’action par le propos de sa volonté. Si donc la volonté ne peut être empêchée ni mue, l’effet qui en découle n’est que ce dont la volonté a eu le propos. Et il est vrai que la volonté divine, du fait qu’elle est toujours identique à elle-même, accomplit toujours ce qu’elle a voulu depuis l’éternité, car elle n’est jamais causée ; elle ne fait cependant pas en sorte que ce qu’elle veut existe toujours, car elle ne veut pas cela. Si elle le faisait, parce qu’elle accomplirait ce qu’elle ne veut pas, elle ressemblerait à la chaleur qui produirait du froid.

 

[3508] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod prima individua generabilium et corruptibilium non prodierunt in esse per generationem, sed per creationem; et ideo non oportet quaedam praeextitisse ex quibus creata sint ut sic in infinitum abeatur.

10. Les premiers individus suscepbles d’être engendrés et corrompus ne sont pas venus à l’être par génération, mais par création. Il n’est donc pas nécessaire que certaines choses aient préexisté, à partir desquelles elles auraient été créées, de sorte qu’on remonte ainsi à l’infini.

 

[3509] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod est duplex agens. Quoddam per necessitatem naturae; et istud determinatur ad actionem per illud quod est in natura ejus; unde impossibile est quod incipiat agere nisi per hoc quod educitur de potentia ad actum, vel essentiali vel accidentali. Aliud est agens per voluntatem, et in hoc distinguendum est: quod quoddam agit actione media quae non est essentia ipsius operantis; et in talibus non potest sequi effectus novus sine nova actione, et novitas actionis facit aliquam mutationem in agente prout est exiens de otio in actum, ut in 2 de anima dicitur. Quoddam vero sine actione media vel instrumento, et tale agens est Deus; unde suum velle est sua actio; et sicut suum velle est aeternum, ita et actio: non tamen effectus sequitur nisi secundum formam voluntatis, quae proponit sic vel sic facere; et ideo non exit de potentia in actum; sed effectus qui erat in potentia agente, efficitur actu ens.

11. Il existe deux agents. L’un, par nécessité de nature, et celui-ci est déterminé à son action par ce qui se trouve dans sa nature. Aussi est-il impossible qu’il commence à agir sans qu’il soit amené de la puissance à l’acte, essentiel ou accidentel. L’autre agit par volonté, et il faut ici faire une distinction. L’un agit par une action intermédiaire, qui n’est pas l’essence de celui qui agit. Chez ceux-là, un effet nouveau ne peut découler que d’une action nouvelle, et la nouveauté de l’action produit un changement dans l’agent pour autant qu’il sort du repos vers l’acte, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Mais un autre [agit] sans action intermédiaire ou sans instrument. Dieu est un tel agent. Aussi sa volonté est-elle son action, et de même que sa volonté est éternelle, de même aussi son action. Cependant, l’effet ne suit que selon la forme de la volonté, qui se propose d’agir de telle ou telle manière. C’est pourquoi elle ne passe pas de la puissance à l’acte, mais l’effet qui se trouvait dans la puissance active devient un être en acte.

 

[3510] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod in omnibus illis quae agunt propter finem qui est extra voluntatem, voluntas regulatur secundum illum finem; unde secundum ea quae impediunt et juvant ad finem, vult quandoque agere et quandoque non agere. Sed voluntas Dei non dedit esse ipsi universo propter alium finem existentem extra voluntatem ejus, sicut nec movet propter alium finem, ut philosophi concedunt, quia nobilius non agit propter vilius se; et ideo non oportet ex hoc quod non semper agat, quod habeat aliquid inducens et retrahens, nisi determinationem voluntatis suae, quae ex sapientia sua omnem sensum excedente procedit.

12. En tout ce qui agit pour une fin qui est extérieure à la volonté, la volonté est réglée selon cette fin ; aussi veut-elle parfois agir et parfois ne pas agir, selon ce qui aide ou empêche l’atteinte de la fin. Mais la volonté de Dieu n’a pas donné l’être à l’univers en vue d’une fin autre qui aurait existé en dehors de sa volonté, pas plus qu’elle ne meut en vue d’une autre fin, comme les philosophes le concèdent, car une chose plus noble n’agit pas en vue de quelque chose de moins noble qu’elle-même. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire, du fait qu’elle n’agit pas toujours, qu’elle ait quelque chose qui l’amène ou la retienne [d’agir], si ce n’est la détermination de sa volonté, qui procède de sa sagesse qui dépasse tout sens.

 

[3511] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod intellectus divinus intelligit omnia simul; et ideo ex hoc quod intelligit praesentia hujus temporis et illius, non est aliqua mutatio in intellectu ejus, licet hoc non possit contingere in intellectu nostro; et ideo patet quod ratio sophistica est. Similiter nec ponitur aliquis motus ex parte rei imaginatae, quia Deus noluit facere universum post aliquod tempus; quia tempus ante non erat nisi imaginatum, ut prius dictum est.

13. L’intelligence divine intellige tout simultanément. C’est pourquoi, du fait qu’elle intellige les réalités présentes de tel ou tel temps, il n’existe pas de changement dans son intelligence, bien que cela ne puisse se produire dans notre intellect. Il est donc clair que l’argument porte à faux. De même n’affirme-t-on pas un mouvement du point de vue de la réalité imaginée, car Dieu n’a pas voulu créer l’univers après un certain temps, car le temps antérieur n’est qu’imaginé, comme on l’a dit plus haut.

 

[3512] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod voluntas divina non ab aeterno produxit universum, quia aliquid deerat ipsi volito: hoc enim quod volito potest intelligi deesse propter quod differtur, est proportio ipsius ad finem; sicut voluntas hominis differt sumere medicinam, quando medicina non est proportionata sanitati hominis; et sic dico quod ipsi universo quod fieret ab aeterno, deerat proportio ad finem, quae est voluntas divina: hoc enim voluit Deus ut haberet esse post non esse, sicut natura ita et duratione; et si ab aeterno fuisset, hoc sibi defuisset; unde non fuisset proportionatum divinae voluntati quae est finis ejus.

14. La volonté divine n’a pas produit l’univers depuis l’éternité parce que quelque chose manquait à cela même qui était voulu. En effet, le fait qu’on puisse comprendre que quelque chose fait défaut à ce qui est voulu parce que cela est reporté est sa proportion par rapport à la fin. Ainsi, la volonté de l’homme reporte la prise d’un médicament lorsque le médicament n’est pas proportionné à la santé de l’homme. Je dis ainsi que la proportion par rapport à la fin, qui est la volonté divine, faisait défaut à l’univers qui serait créé depuis l’éternité : en effet, Dieu a voulu qu’il existe en nature et en durée, après n’avoir pas existé, et s’il avait existé de toute éternité, cela lui aurait fait défaut. Aussi n’aurait-il pas été proportionné à la volonté divine, qui est sa fin.

 

[3513] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 1 Et quia ad rationes in contrarium factas, quas dixi demonstrationes non esse, inveniuntur philosophorum responsiones; ideo quamvis verum concludant, ad eas etiam respondendum est, secundum quod ipsi philosophi respondent, ne alicui disputanti contra tenentes aeternitatem mundi ex improviso occurrant. Ad primum ergo dicendum, quod sicut dicit Commentator in Lib. de substantia orbis, Aristoteles nunquam intendit quod Deus esset causa motus caeli tantum, sed etiam quod esset causa substantiae ejus dans sibi esse. Cum enim sit finitae virtutis, eo quod corpus est, indiget aliquo agente infinitae virtutis, a quo et perpetuitatem motus habeat, et perpetuitatem essendi, sicut motum et esse. Non tamen ex hoc sequitur quod praecedat duratione: quia non est dans esse per motum, sed per influentiam aeternam, secundum quod scientia ejus est causa rerum; et ex hoc quod scit ab aeterno et vult, sequitur res ab aeterno esse; sicut ex hoc quod sol est ab aeterno, sequitur quod radius ejus ab aeterno sit.

[1] On trouve des réponses des philosophes aux arguments invoqués en sens contraire, dont j’ai dit qu’ils n’étaient pas des démonstrations. Bien que leur conclusion soit vraie, il faut donc aussi leur répondre, selon que les philosophes leur répondent, pour éviter qu’on ne s’oppose à l’improviste à celui qui dispute contre ceux qui affirment l’éternité du monde. Au premier argument, il faut donc répondre que, ainsi que le dit le Commentateur dans le livre Sur la substance de l’univers, Aristote n’a jamais voulu dire que Dieu était la cause du seul mouvement du cielt, mais aussi qu’il était la cause de sa substance en lui donnant son être. Alors que [le monde] possède une puissance finie, parce qu’il est un corps, il a besoin d’un agent d’une puissance infinie, dont il reçoit la perpétuité de son mouvement et la perpétuité de son être, de même que son mouvement et son être. Toutefois, il n’en découle pas que [cet agent] précède dans le temps, car il ne donne pas l’être par un mouvement, mais par un influx éternel, selon que sa science est cause des choses. Du fait qu’il connaît et veut depuis l’éternité, il en découle donc qu’une chose existe depuis l’éternité, de même que, du fait que le soleil est éternel, il en découle que son rayon est éternel.

 

[3514] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 2 Ad secundum respondet Avicenna in sua metaphysica: dicit enim omnes res a Deo creatas esse, et quod creatio est ex nihilo, vel ejus quod habet esse post nihil. Sed hoc potest intelligi dupliciter: vel quod designetur ordo durationis, et sic secundum eum falsum est; aut quod designetur ordo naturae, et sic verum est. Unicuique enim est prius secundum naturam illud quod est ei ex se, quam id quod est ei ab alio. Quaelibet autem res praeter Deum habet esse ab alio. Ergo oportet quod secundum naturam suam esset non ens, nisi a Deo esse haberet; sicut etiam dicit Gregorius quod omnia in nihilum deciderent, nisi ea manus omnipotentis contineret: et ita non esse quod ex se habet naturaliter, est prius quam esse quod ab alio habet, etsi non duratione; et per hunc modum conceduntur a philosophis res a Deo creatae et factae.

[2] Avicenne répond au deuxième argument dans sa Métaphysique. En effet, il dit que toutes les choses ont été créées par Dieu et que la création vient du néant, ou est le fait de ce qui possède l’être après le néant. Mais cela peut s’entendre de deux manières : soit qu’on indique un ordre dans la durée, et ainsi cela est faux, selon lui ; soit qu’on indique un ordre de nature, et ainsi cela est vrai. En effet, est antérieur selon la nature ce qui appartient par soi à une chose, plutôt que ce qui lui vient de quelque chose d’autre. Or, à part Dieu, toutes choses possèdent l’être comme venant de quelque chose d’autre. Il faut donc que, selon sa nature, cela soit néant, si cela ne reçoit pas de Dieu l’être. Aussi Grégoire dit-il que « toutes choses tomberaient dans le néant, si elles n’étaient n’étaient pas dans la main du tout-puissant ». Aussi, le non-être qui est le leur naturellement est-il antérieur à l’être qu’elles tiennent d’un autre, même si ce n’est pas selon la durée. C’est de cette manière que les philosophes concèdent que les choses ont été créées et faites par Dieu.

 

[3515] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod infinitum actu impossibile est; sed infinitum esse per successionem, non est impossibile. Infiniti autem sic considerati quodlibet acceptum finitum est: transiens autem non potest intelligi nisi ex aliquo determinato ad aliquod determinatum: et ita quodcumque tempus determinatum accipiatur, semper ab illo tempore ad istud est finitum tempus; et ita est devenire ad praesens tempus. Vel potest dici, quod tempus praeteritum est ex parte anteriori infinitum, et ex posteriori finitum; tempus autem futurum e contrario. Unicuique autem ex parte illa qua finitum est, est ponere terminum, et principium vel finem. Unde ex hoc quod infinitum est tempus praeteritum ex parte anteriori, secundum eos sequitur quod non habeat principium, sed finem: et ideo sequitur quod si homo incipiat numerare a die isto, non poterit numerando pervenire ad primum diem; et e contrario sequitur de futuro.

[3] L’infini en acte est impossible ; mais il n’est pas impossible que l’infini existe par succession. Mais tout ce qui saisi de l’infini ainsi considéré est fini, car ce qui passe ne peut être saisi que comme allant de quelque chose de déterminé à quelque chose de déterminé. Quel que soit le temps déterminé qui est saisi, tout temps déterminé allant de tel temps à tel temps est donc un temps fini ; ainsi en vient-on au temps présent. Ou bien on peut peut dire que le temps passé est infini pour ce qui précède, et fini pour ce qui suit ; mais c’est le contraire pour le temps futur. Or, sous l’aspect où cela est fini, il faut mettre un terme : un commencement ou une fin. Du fait qu’il y a un temps passé infini pour ce qui précède, il découle donc pour [ces philosophes] qu’il n’y a pas de commencement, mais une fin. C’est pourquoi il en découle que, si un homme se met à compter à partir de ce jour, il ne pourra pas parvenir au premier jour ; et il en découle le contraire pour le futur.

 

[3516] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod infinito non fit additio secundum suam totalem successionem, qua infinitum est in potentia tantum accipientis; sed alicui finito accepto in actu: et illo nihil prohibet aliquid esse plus vel majus. Et quod haec ratio sit sophistica patet, quia tollit etiam infinitum in additione numerorum, ut si sic dicatur: aliquae species numerorum sunt excedentes denarium, quae non excedunt centenarium: ergo plures species excedunt denarium quam centenarium: et ita cum infinitae excedant centenarium, erit aliquid majus infinito. Patet ergo quod excessus et additio et transitus non est nisi respectu alicujus in actu vel in re existentis, vel actu per intellectum vel imaginationem acceptae. Unde per has rationes sufficienter probatur quod non sit infinitum in actu; nec hoc est necessarium ad aeternitatem mundi. Et istae solutiones accipiuntur ex verbis philosophi.

[4] On n’ajoute rien à l’infini pour l’ensemble de sa succession, par laquelle il est infini en puissance pour celui qui le saisit seulement ; mais [on ajoute] à quelque chose de fini saisi en acte, et rien n’empêche que ce soit quelque chose de plus ou de plus grand. Que ce raisonnement soit celui d’un sophiste, cela ressort du fait qu’il écarte l’infini même de l’addition des nombres, comme si l’on disait : certaines espèces de nombres dépassent la dizaine, qui ne dépassent pas la centaine ; donc, un plus grand nombre d’espèces dépassent la dizaine que la centaine ; et ainsi, puisqu’une infinité de nombres dépassent la centaine, il y aura quelque chose de plus grand que l’infini. Il est donc clair que le dépassement, l’addition et le passage n’existent qu’en regard de quelque chose qui existe en acte ou dans un réalité de ce qui existe, perçue en acte par l’intelligence ou par l’imagination. Par ces arguments, on démontre donc qu’il n’existe pas d’infini en acte et que cela n’est pas nécessaire pour l’éternité du monde. Ces solutions sont tirées des paroles du Philosophe.

 

[3517] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod eumdem effectum praecedere causas infinitas per se, vel essentialiter, est impossibile; sed accidentaliter est possibile; hoc est dictu, aliquem effectum de cujus ratione sit quod procedat a causis infinitis, esse impossibilem; sed causas illas quarum multiplicatio nihil interest ad effectum, accidit effectui esse infinitas. Verbi gratia, ad esse cultelli exiguntur per se aliquae causae moventes, sicut faber, et instrumentum; et haec esse infinita est impossibile, quia ex hoc sequeretur infinita esse simul actu; sed quod cultellus factus a quodam fabro sene, qui multoties instrumenta sua renovavit, sequitur multitudinem successivam instrumentorum, hoc est per accidens; et nihil prohibet esse infinita instrumenta praecedentia istum cultellum, si faber fuisset ab aeterno. Et similiter est in generatione animalis: quia semen patris est causa movens instrumentaliter respectu virtutis solis. Et quia hujusmodi instrumenta, quae sunt causae secundae, generantur et corrumpuntur, accidit quod sunt infinitae: et per istum etiam modum accidit quod dies infiniti praecesserint etiam istum diem: quia substantia solis ab aeterno est secundum eos, et circulatio ejus quaelibet finita. Et hanc rationem ponit Commentator in 8 Physic.

[5] Il est impossible que des causes infinies précèdent par elles-mêmes ou de manière essentielle un même effet ; mais cela est possible de manière accidentelle, c’est-à-dire qu’un effet, dont la raison exige qu’il procède de causes infinies, est impossible. Mais il arrive que les causes dont la multiplication importe peu pour l’effet soient infinies pour l’effet. Par exemple, certaines causes efficientes sont nécessaires à l’existence d’un couteau, comme un artisan et un instrument, et il est impossible qu’elles soient infinies, car il en découlerait que des infinis existent simultanément en acte. Mais, du fait qu’un couteau est fabriqué par un artisan âgé, qui a souvent réparé ses instruments, découle une multitude successive d’instruments, à savoir, par accident ; et rien n’empêche qu’un nombre infini d’instruments aient précédé ce couteau, si l’artisan avait existait depuis l’éternité. De même en est-il pour la génération animale, car la semence du père est la cause efficiente instrumentale par rapport à la puissance du soleil. Et parce que ces instruments, qui sont des causes secondes, sont engendrés et corrompus, il arrive que celles-ci soient infinies. De cette manière, il arrive que des jours infinis aient précédé aussi ce jour, car, selon eux, la substance du soleil existe depuis l’éternité, et toutes ses orbites sont finies. Cet argument est présenté par le Commentateur dans Physique, VIII.

 

[3518] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 6 Ad sextum dicendum, quod illa objectio inter alias fortior est; sed ad hanc respondet Algazel, in sua Metaph., ubi dividit ens per finitum et infinitum; et concedit infinitas animas esse in actu: et hoc est per accidens, quia animae rationales exutae a corporibus non habent dependentiam ad invicem. Sed Commentator respondet, quod animae non remanent plures post corpus, sed ex omnibus manet una tantum, ut infra patebit; unde nisi haec positio, quam ponit in 3 de anima, primo improbaretur, ratio contra eum non concluderet. Et hanc etiam rationem tangit Rabbi Moyses, ostendens praedictam rationem non esse demonstrationem.

[6] Cette objection est la plus forte de toutes, mais Algazel y répond, dans sa Métaphysique, où il distingue l’être fini et l’être infini. Il concède qu’un nombre infini d’âmes existent en acte, et cela, par accident, car les âmes raisonnables dépouillées des corps n’ont pas de dépendance les unes par rapport aux autres. Mais le Commentateur répond que plusieurs âmes ne demeurent pas après le corps, mais que, de toutes, il n’en reste qu’une seule, comme cela ressortira plus loin. Si cette position, qu’il présente dans Sur l’âme, III, n’est pas d’abord rejetée, le raisonnement qui s’oppose à lui ne serait donc pas concluant. Rabbi Moïse aussi aborde cet argument, en montrant que l’argument précédent n’est pas une démonstration.

 

[3519] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 7 Ad septimum dicendum, quod etiam si mundus semper fuisset, non aequaretur Deo in duratione: quia duratio divina, quae est aeternitas, est tota simul; non autem duratio mundi, quae successione temporum variatur. Et hanc ponit Boetius in 5 de consolatione.

[7] Même si le monde avait toujours existé, il ne serait pas l’égal de Dieu en durée, car la durée divine, qui est l’éternité, existe en totalité simultanément, mais non la durée du monde, qui change selon la succession des temps. Boèce présente cela dans La consolation de la philosophie, V.

 

[3520] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 8 Ad octavum dicendum, quod in caelo non est potentia ad esse, sed ad ubi tantum, secundum philosophum: et ideo non potest dici, quod potentia ad esse sit finita vel infinita: sed potentia ad ubi finita est. Nec tamen oportet quod motus localis, cui correspondet haec potentia, sit finitus: quia motus est infinitus duratione ab infinitate virtutis moventis, a qua fluit motus in mobile. Et haec est ratio Commentatoris, in 11 Metaph.: tamen hoc quod dicit, quod non habet potentiam ad esse, intelligendum est, ad acquirendum esse per motum; habet tamen virtutem vel potentiam ad esse, ut dicitur in 1 Cael. et Mund., et haec virtus finita est; sed acquiritur duratio infinita ab agente separato infinito, ut ipsemet dicit.

[8] Il n’existe pas dans le ciel de puissance par rapport à l’être, mais par rapport au lieu seulement, selon le Philosophe. On ne peut donc pas dire que la puissance par rapport à l’être est finie ou infinie, mais que la puissance par rapport au lieu est finie. Toutefois, il n’est pas nécessaire que le mouvement local, auquel correspond cette puissance, soit fini, car le mouvement est infini selon la durée en raison de l’infinité de la puissance qui meut, dont découle le mouvement dans le mobile. Tel est le raisonnement du Commentateur, dans Métaphysique, XI. Cependant, ce qu’il dit, que [le ciel] n’a pas de puissance par rapport à l’être, doit s’entendre : pour acquérir l’être par le mouvement. Il possède cependant une capacité ou une puissance par rapport à l’être, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, et cette puissance est finie ; mais sa durée infinie est reçue de l’agent séparé infini, comme il le dit lui-même.

 

[3521] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 9 Ad nonum dicendum, quod duratio Dei, quae aeternitas ejus est, et natura ipsius sunt una res; et tamen distinguuntur ratione, vel modo significandi: quia natura significat quamdam causalitatem, prout dicitur natura motus principium; duratio autem significat quamdam permanentiam: et ideo si accipiatur praeeminentia naturae divinae et durationis ad creaturam, ut utrumque est res quaedam, invenitur eadem praeeminentia: sicut enim natura divina praecedit creaturam dignitate et causalitate; ita et duratio divina eisdem modis creaturam praecedit. Non tamen oportet, si Deus praecedit mundum per modum naturae, ut significatur cum dicitur, naturaliter praecedit mundum, quod etiam mundum praecedat per modum durationis, ut significatur, cum dicitur, Deus duratione praecedit mundum; cum non sit idem modus significandi naturae et durationis. Et similiter solvuntur multae aliae similes objectiones, ut in 1 libro dictum est.

[9] La durée de Dieu, qui est son éternité, et sa nature sont une seule réalité ; cependant, elles se distinguent par la raison ou par la manière de signifier, car la nature signifie une certaine causalité, pour autant que la nature est appelée le principe du mouvement ; mais la durée signifie une certaine permanence. Si donc la prééminence de la nature et de la durée divines est considérée par rapport à la créature, alors que les deux choses sont une seule réalité, on trouve la même prééminence. En effet, de même que la nature divine précède la créature par sa dignité et sa causalité, de même la durée divine précède-t-elle la créature de ces mêmes manières. Il n’est cependant pas nécessaire que, si Dieu précède le monde par mode de nature, comme on le signifie lorsqu’on dit qu’il précède naturellement le monde, il précède aussi le monde en durée, comme on le dit lorsqu’on dit que Dieu précède le monde en durée, puisque les manières de signifier la nature et la durée ne sont pas les mêmes. Plusieurs autres objections semblables sont résolues de la même manière, comme on l’a dit dans le livre I.

 

 

 

 

Articulus 6 : [3522] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 tit. Utrum convenienter exponitur: in principio creavit Deus caelum et terram, idest in filio

Article 6 – Interprète-t-on correctement : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre », en disant : « … dans le Fils »?

 

[3523] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter exponatur: in principio creavit Deus caelum et terram, idest in filio. Pater enim est principium totius divinitatis, ut Augustinus dicit. Ergo per principium appropriate debet intelligi pater.

1. Il semble qu’on interprète de manière inappropriée : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre », en disant : « … dans le Fils ». En effet, le Père est le principe de la divinité tout entière, comme le dit Augustin. Par « commencement », il faut donc comprendre le Père par appropriation.

 

[3524] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, ut in 1 libro dictum est, ex ipso dicitur propter patrem, in ipso propter spiritum sanctum. Ergo per hoc quod dicitur, in principio, intelligitur spiritus sanctus, et non filius.

2. Comme on l’a dit dans le livre I, « de lui » (ex ipso) se dit du Père, « en lui » (in ipso) se dit de l’Esprit Saint. Lorsqu’on dit : « au commencement » (in principio), on entend donc l’Esprit Saint, et non le Fils.

 

[3525] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 3 Item, videtur quod inconvenienter dicatur, in principio temporis. Quia tempus adjacet motui firmamenti. Sed firmamentum factum est secunda die. Ergo principium temporis fuit post creationem caeli et terrae; et ita non in principio temporis creata sunt.

3. Il semble qu’on dise de manière inapproprié : « Au commencement du temps », car le temps est associé au mouvement du firmament. Or, le firmament a été créé le deuxième jour. Le commencement du temps est donc survenu après la création du ciel et de la terre, et ainsi ils n’ont pas été créés au commencement du temps.

 

[3526] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, tempus est unum de quatuor primo creatis. Sed tempus non est creatum in principio temporis, quia tempus sic esset in indivisibili, quod est impossibile. Ergo nec caelum nec terra.

4. Le temps est une des quatre premières choses créées. Or, le temps n’a pas été créé au commencement du temps, car le temps ferait ainsi partie de l’indivisible, ce qui est impossible. Donc, ni le ciel ni la terre.

 

[3527] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 5 Item, videtur quod inconvenienter dicatur: in principio, idest ante omnia. Quia sicut dicitur in libro de causis, prima rerum creatarum est esse, et non est ante ipsum creatum aliud. Sed caelum et terra non sunt suum esse. Ergo ante caelum et terram aliquid creatum est.

5. Il semble qu’on dise de manière inappropriée : « Au commencement », c’est-à-dire avant toutes choses, car, ainsi qu’il est dit dans le livre Sur les causes, « la première des réalités créées est l’être, et il n’existe rien de créé avant lui ». Or, le ciel et la terre ne sont pas leur propre être. Quelque chose a donc été créé avant le ciel et la terre.

 

[3528] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 6 Praeterea, Eccli. 18, 1, dicitur: qui vivit in aeternum creavit omnia simul. Ergo caelum et terra non sunt ante omnia creata.

6. Il est dit en Si 18, 1 : Celui qui vit éternellement a créé en même temps toutes choses. Donc, le ciel et la terre n’ont pas été créés avant toutes choses.

 

[3529] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 7 Praeterea, caelum et Angelus sunt simul facta, ut infra dicetur. Ergo non ante omnia caelum et terra facta sunt.

7. Le ciel et l’ange ont été créés en même temps, comme on le dira plus loin. Le ciel et la terre n’ont donc pas été créés avant toutes choses.

 

[3530] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod triplex expositio posita conveniens est secundum sanctos, per quam multiplex error excluditur. Per primam excluditur error Manichaei ponentis plura principia: quia in principio uno effectivo, et non in pluribus, res factae dicuntur. Per secundam excluditur error aeternitatis mundi, in hoc quod mundus principium durationis habere ponitur. Per tertiam excluditur error ponentium visibilia a Deo creata mediante spirituali creatura, in hoc quod ponitur caelum et terra esse primo creata.

Réponse. La triple interprétation donnée par les saints est appropriée : par elle, de nombreuses erreurs sont écartées. Par la première, est écartée l’erreur de Mani, qui affirme plusieurs principes, car on dit que les choses ont été créées par un seul principe efficient, et non par plusieurs. Par la deuxième, est écartée l’erreur sur l’éternité du monde, du fait qu’on affirme que le monde a commencé dans la durée. Par la troisième, est écartée l’erreur de ceux qui affirment que les réalités visibles ont été créées par Dieu par l’intermédiaire d’une créature spirituelle, du fait qu’on affirme que le ciel et la terre ont été créés en premier.

 

[3531] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio principii effectivi appropriatur patri, sed ratio principii exemplaris per modum artis appropriatur filio, qui est sapientia et ars patris.

1. La raison de principe efficient est appropriée au Père ; mais la raison de principe exemplaire par mode d’art est appropriée au Fils, qui est la sagesse et l’art du Père.

 

[3532] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse in, sicut in continente et salvante, appropriatur spiritui sancto propter appropriatum bonitatis; sed esse in per modum quo artificiatum est in arte, et res in sua similitudine, appropriatur filio.

2. « Être dans », comme dans ce qui contient et sauve, est approprié à l’Esprit Saint en raison de la bonté [qui lui est] appropriée ; mais « être dans », à la manière dont une œuvre d’art se trouve dans l’art et une chose dans sa ressemblance, est approprié au Fils.

 

[3533] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum illam opinionem quae ponit omnia simul creata in materia informi, dicuntur res creatae in principio temporis, quod mensurat motum primi mobilis, non sicut in mensurante creationem, sed sicut in adjacente creationi: quia simul fuerunt rerum creatio et temporis principium. Sed secundum aliam opinionem, quae ponit res formatas per temporum successionem, non intelligitur de tempore quod est mensura illius motus, sed de tempore quod est numerus illius vicissitudinis, qua esse mundi succedit ad non esse ejusdem. Vel secundum alios sumitur tempus pro aevo, quod simul cum caelo et terra creatum est.

3. Selon cette opinion, qui affirme que tout a été créé en même dans une matière informe, il est dit que les choses ont été créées au commencement du temps, qui mesure le mouvement du premier mobile, non pas comme dans ce qui mesure la création, mais dans ce qui est à côté de la création, car la création des choses et le commencement du temps ont eu lieu en même temps. Mais, selon une autre opinion, qui affirme que les choses ont été formées selon la succession des temps, on ne l’entend pas du temps qui est la mesure de ce mouvement, mais du temps qui est le nombre du changement par lequel l’être du monde a succédé à son non-être. Ou bien, selon d’autres, on entend par temps l’aevum, qui a été créé en même temps que le ciel et la terre.

 

[3534] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut numerus non numeratur alio numero, ita nec tempus alio tempore mensuratur, nec fieri ejus, cum suum esse totum sit in fieri: unde incipit in principio temporis non sicut in mensurante esse ejus, sed sicut in eo a quo incipit ejus productio, ut animalis a corde, et domus a fundamento, et linea a puncto.

4. De même que le nombre n’est pas compté par un autre nombre, de même non plus le temps n’est-il pas mesuré par un autre temps, pas davantage que son devenir, puisque son être tient en totalité dans le devenir. Aussi commence-t-il au commencement du temps, non pas comme ce qui mesure son être, mais comme ce par quoi commence sa production, comme l’animal [commence] par le cœur, la maison par sa fondation et la ligne par le point.

 

[3535] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod loquitur philosophus de ordine naturae prout animal prius homine dicitur, et non de ordine durationis; non enim fuit esse caeli et terrae ante ipsa tempora.

5. Le Philosophe parle de l’ordre de la nature. Ainsi, on dit de l’animal qu’il est antérieur à l’homme, mais non dans l’ordre de la durée. En effet, l’être du ciel et de la terre n’a pas précédé le temps lui-même.

 

[3536] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 6 Ad sextum dicitur, quod intelliguntur secundum unam opinionem omnia simul creata non in speciebus suis, sed in materia informi; sed secundum alios dicuntur omnia creata simul etiam in formis propriis; sed tunc haec ante alia creata dicuntur, non duratione, sed naturae ordine, secundum quod in via generationis est incompletum ante completum. Haec tamen infra magis inquirentur.

6. Selon une opinion, on comprend que toutes choses a été créé simultanément, non pas dans leurs espèces, mais dans la matière informe. Mais, selon d’autres, on dit que toutes choses ont été créées en même temps, même dans leurs propres formes. Mais alors, on dit que ces choses ont été créées avant les autres, non pas selon la durée, mais selon l’ordre de la nature, pour autant que, sur la voie de la génération, existe d’abord ce qui est incomplet avant ce qui est complet. Toutefois, ces choses seront davantage examinées plus loin.

 

[3537] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod per caelum etiam intelligitur angelica natura, quae in caelis habitare dicitur; et per terram intelligitur tota natura generabilium et corruptibilium.

7. Par « ciel », on entend la nature angélique, dont on dit qu’elle habite dans le ciel ; par « terre », on entend toute la nature de ce qui est susceptible d’être engendré et corrompu.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’ordre des créatures à la fin ultime]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[3538] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 pr. Dicto exitu rerum a primo principio, hic prosequitur ordinem earum in ultimum finem; et dividitur in partes tres: in prima ostendit finem ultimum creaturarum: in secunda ex fine ostendit creaturarum diversitatem, ibi: et quia non valet ejus beatitudinis particeps existere aliquis nisi per intelligentiam (...) fecit Deus rationalem creaturam: in tertia, ex distinctione concludit tractandi ordinem, ibi: ex praemissis apparet, rationalem creaturam in angelicam et humanam fuisse distinctam. Secunda dividitur in tres: in prima ostendit ordinem spiritualis naturae in finem; in secunda ordinem corporalis, ibi: et sicut factus est homo propter Deum (...) ita mundus factus est propter hominem; in tertia ordinem conjuncti ex utroque, ibi: solet etiam quaeri, cum majoris dignitatis esse videretur anima si absque corpore permansisset, cur unita sit corpori. Circa primum duo facit: primo ex fine concludit spiritualis naturae institutionem; secundo concludit ordinem ipsius in finem, ibi: ideoque si quaeratur, quare creatus sit homo vel Angelus, brevi sermone responderi potest: propter bonitatem ejus. Et circa hoc tria facit: primo assignat finem ex parte agentis; secundo ex parte operis, ibi: et si quaeratur, ad quid creata sit rationalis creatura, respondetur, ad laudandum Deum; tertio conjungit utrumque, ibi: cum ergo quaeritur quare vel ad quid facta sit rationalis creatura, brevissime responderi potest: propter Dei bonitatem et suam utilitatem. Circa hoc duo facit: primo ostendit finem corporalis creaturae; secundo excludit quamdam dubitationem, ibi: de homine quoque in Scriptura interdum reperitur quod factus sit propter reparationem angelicae ruinae. Hic quinque quaeruntur: 1 utrum Deo conveniat agere propter finem; 2 utrum finis omnium sit Dei bonitas; 3 utrum omnia sint propter hominem facta; 4 propter quid homo ex anima et corpore constitutus sit; 5 utrum tali corpori anima ejus uniri debuerit.

Après avoir exposé la sortie des choses du principe premier, [le Maître] poursuit ici [l’exposé de] leur ordre par rapport à la fin ultime. Il y a trois parties : dans la première, il montre la fin ultime des créatures ; dans la deuxième, à partir de la fin, il montre la diversité des créatures, à cet endroit : « Et parce que quelqu’un ne peut participer à sa béatitude que par l’intelligence…, Dieu a créé la créature raisonnable »; dans la troisième, à partir de la [distinction des créatures], il conclut l’ordre de son exposé, à cet endroit : « Par ce qui précède, il apparaît qu’une distinction entre la créature angélique et la créature humaine a été établie. » La deuxième partie se divise en trois : dans la première, il montre l’ordre de la nature spirituelle par rapport à sa fin ; dans la deuxième, l’ordre de la créature corporelle, à cet endroit : « Et de même que l’homme été créé en vue de Dieu…, de même le monde a été créé en vue de l’homme »; dans la troisième, [il montre] l’ordre de ce qui est composé des deux, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander pourquoi l’âme a été unie au corps, puisqu’elle semble avoir une plus grande dignité si elle demeure sans le corps. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, à partir de la fin, il achève [l’exposé de] l’établissement de la nature spirituelle ; deuxièmement, il achève [l’exposé de ] son ordre par rapport à sa fin, à cet endroit : « C’est pourquoi, si on se demande pourquoi l’homme ou l’ange a été créé, on peut répondre brièvement que c’est en raison de la bonté [de Dieu]. » À ce sujet, il fait trois choses : premièrement, il assigne [sa] fin du point de vue de l’agent ; deuxièmement, du point de vue de l’œuvre, en cet endroit : « Et si on cherche la fin pour laquelle la créature raisonnable a été créée, on répond : pour la gloire de Dieu »; troisièmement, il unit les deux, à cet endroit : « Lorsqu’on cherche pour quelle fin ou pourquoi la créature raisonnable a été créée, on peut répondre brièvement : à cause de la bonté de Dieu et pour son service. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre la fin de la créature corporelle ; deuxièmement, il écarte un doute, à cet endroit : « À propos de l’homme, on trouve aussi dans l’Écriture qu’il a été créé pour réparer la chute de la créature angélique. » Ici, cinq questions sont posées : 1. Convient-il que Dieu agisse en vue d’une fin ? 2. La bonté de Dieu est-elle la fin de toutes choses ? 3. Toutes les choses ont-elles été créées pour l’homme ? 4. En vue de quoi l’homme a-t-il été constitué d’une âme et d’un corps ? 5. Son âme devait-elle être unie ce corps ?

 

 

 

 

Articulus 1 : [3539] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 tit. Utrum Deo competat agere propter finem

Article 1 – Convient-il que Dieu agisse en vue d’une fin ?

 

[3540] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deo non competit agere propter finem. Finis enim est terminus motus: unde in his quae carent motu, sicut in mathematicis, non est finis neque bonum, ut in 3 Metaph. dicitur. Sed Deus non producit res per motum, ut prius dictum est. Ergo sibi non competit propter finem agere

1. Il semble qu’il ne convienne pas que Dieu agisse en vue d’une fin. En effet, la fin est le terme d’un mouvement ; aussi, chez ce à quoi le mouvement fait défaut, comme dans les mathématiques, il n’existe pas de fin ni de bien, comme on le dit dans Métaphysique, III. Or, Dieu ne produit pas les choses par un mouvement, comme on l’a dit plus haut. Il ne lui convient donc pas d’agir en vue d’une fin.

 

[3541] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, finis est perfectio agentis: unde sicut materia appetit formam, ita agens finem. Sed Deo non competit ab aliquo perfici, cum sit primum movens, et perfectio summa. Ergo non agit propter finem.

2. La fin est la perfection de l’agent ; de même que la matière désire la forme, de même l’agent [désire-t-il] donc la fin. Or, il ne convient pas que Dieu soit perfectionné par quelque chose, puisqu’il est le premier moteur et la plus haute perfection. Il n’agit donc pas en vue d’une fin.

 

[3542] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, unicuique agenti propter finem, melius est suum opus esse quam non esse: quia per illud finem consequitur, ut patet inducendo in singulis. Sed non melius, immo indifferens est Deo utrum creaturae sint vel non sint; quia bonorum nostrorum non eget. Ergo non agit propter finem.

3. Pour tout agent qui agit en vue d’une fin, il est mieux que son action existe plutôt qu’elle n’existe pas, car il atteint sa fin par elle, comme cela ressort en faisant une induction à partir de cas particuliers. Or, il n’est pas mieux, bien plus, il est indifférent pour Dieu que les créatures existent ou n’existent pas, car il n’a pas besoin de nos biens. Il n’agit donc pas en vue d’une fin.

 

[3543] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, actio ejus est ultimus finis rerum, quia est sua substantia. Sed finis ultimi non est aliquis alius finis. Ergo videtur quod actio ejus non sit propter finem.

4. L’action [de Dieu] est la fin ultime des choses, car il est sa propre substance. Or, il n’existe pas d’autre fin pour la fin ultime. Il semble donc que son action n’existe pas en vue d’une fin.

 

[3544] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, omne agens quod non agit propter finem aliquem, opus ejus est vanum. Sed Dei opera non sunt hujusmodi: unde in Psalm. 88, 48, dicitur: numquid enim vane constituisti omnes filios hominum? Ergo agit propter finem.

Cependant, [1] l’action de tout agent qui n’agit pas en vue d’une fin est vaine. Or, les œuvres de Dieu ne sont pas telles ; aussi est-il dit dans Ps 88, 48 : As-tu créé en vain tous les fils des hommes ? Il agit donc en vue d’une fin.

 

[3545] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum, omne agens per intellectum, agit propter finem. Sed Deus est hujusmodi, cum sua scientia sit causa rerum. Ergo et cetera.

[2] Selon le Philosophe, tout ce qui agit par intelligence agit en vue d’une fin. Or, Dieu est tel, puisque sa science est la cause des choses. Donc, etc.

 

[3546] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod agere aliquid propter finem est dupliciter: vel propter finem operis, vel propter finem operantis. Finis operis est hoc ad quod opus ordinatum est ab agente, et hoc dicitur ratio operis; finis autem operantis est quem principaliter operans intendit: unde finis operis potest esse in alio; sed finis operantis semper est in ipso; sicut patet in aedificatore, qui lapides congregat ad componendum eos, quod ista compositio, in qua consistit forma domus, est finis operis; sed utilitas quae provenit ex hoc operanti, est finis ex parte agentis. Cum autem omne opus divinum in finem quemdam ordinatum sit, constat quod ex parte operis Deus propter finem agit. Sed quia finis operis semper reducitur in finem operantis, ideo oportet quod etiam ex parte operantis, finis actionis ejus consideretur, qui est bonum ipsius in ipso. Sciendum est ergo, quod agere hoc modo, est dupliciter: vel propter desiderium finis; vel propter amorem finis: desiderium enim est rei non habitae; sed amor est rei quae habetur, ut Augustinus dicit; et ideo omni creaturae convenit agere propter desiderium finis, quia unicuique creaturae acquiritur bonum ab alio quod ex se non habet; sed Deo competit agere propter amorem finis, cujus bonitati nihil addi potest. Ipse enim bonitatem suam perfecte amat, et ex hoc vult quod bonitas sua multiplicetur per modum qui possibilis est, ex sui scilicet similitudine, ex quo provenit utilitas creaturae, inquantum similitudinem divinae bonitatis recipit: et ideo dicitur in littera, quod Deus fecit creaturam propter bonitatem suam, considerando finem operantis; et propter utilitatem creaturae, considerando finem operis; et propter hoc etiam dicit Augustinus, quod inquantum Deus est bonus, sumus: et Dionysius dicit, quod divinus amor non dimisit eum sine germine esse.

Réponse. On fait quelque chose en vue d’une fin de deux manières : en vue de la fin de l’œuvre ou en vue de la fin de celui qui agit. La fin de l’œuvre est ce à quoi l’agent a ordonné une chose : cela s’appelle la raison de l’œuvre. Mais la fin de l’agent est celle que l’agent a principalement en vue. Aussi la fin de l’œuvre peut-il exister dans autre chose, mais la fin de celui qui agit se trouve toujours en lui-même, comme il ressort chez le constructeur, qui assemble des pierres en vue de les agencer, que cet agencement, dans lequel consiste la forme de la maison, est la fin de l’œuvre ; mais l’utilité qui en provient pour celui qui la réalise est la fin du point de vue de l’agent. Or, comme toute l’œuvre divine a été ordonnée à une fin, il est clair que, du point de vue de l’œuvre, Dieu agit en vue d’une fin. Mais parce que la fin de l’œuvre se ramène toujours à la fin du côté de l’agent, il est donc nécessaire que, du point de vue de l’agent aussi, la fin de l’action, qui est son propre bien en lui-même, soit prise en compte. Il faut donc savoir qu’on peut qu’agir de cette manière de deux façons : par désir de la fin ou par amour de la fin. En effet, « le désir porte sur une chose qui n’est pas possédée, mais l’amour porte sur une chose qui est possédée », comme le dit Augustin. C’est pourquoi il convient à toute créature d’agir par désir de la fin, car toute créature acquiert un bien par quelque chose d’autre qu’elle ne possède pas en elle-même ; mais il convient à Dieu d’agir par amour de la fin, alors que rien ne peut être ajouté à sa bonté. En effet, lui-même aime parfaitement sa propre bonté et, à partir de là, il veut que sa bonté se multiplie d’une manière qui est possible, à savoir, par une similitude de lui-même, dont provient l’utilité de la créature, dans la mesure où elle reçoit une similitude de la bonté divine. Aussi est-il dit dans le texte que Dieu a fait la créature en vue de sa propre bonté, en prenant en considération la fin de celui qui agit ; et pour l’utilité de la créature, en prenant en considération la fin de l’œuvre. Pour cette raison aussi, Augustin dit que « nous sommes dans la mesure où Dieu est bon »; et Denys dit que « l’amour divin n’a pas laissé [l’homme] sans semence ».

 

[3547] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Avicennam, sicut est duplex agens, quoddam quod agit per motum, sicut naturale; et quoddam quod agit sine motu, dando esse; ita duplex est bonum: quoddam acquisitum per motum, et hoc est tantum in rebus naturalibus; et quoddam acquisitum sine motu in recipiendo influentiam agentis sine motu, et tale est bonum etiam in rebus immobilibus.

1. Selon Avicenne, de même qu’il existe un double agent : l’un qui agit par le mouvement, comme l’agent naturel, et l’autre qui agit sans mouvement en donnant l’être, de même il existe un double bien : l’un qui est acquis par le mouvement, et cela n’existe que pour les choses naturelles, et l’autre qui est acquis sans mouvement en recevant l’influence d’un agent sans mouvement : tel est le bien qui existe aussi dans les réalités immobiles.

 

[3548] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod agit propter desiderium finis, habet finem extra se, quo perficitur. Hoc autem non convenit Deo qui agit propter amorem finis, quia ipsemet est sibi finis a se habitus et amatus: et ideo dicimus, quod divina voluntas non est perfecta quodam alio, sed seipsa, quia ipsa voluntas est bonitas.

2. Ce qui agit par désir d’une fin a une fin qui lui est extérieure, par laquelle il est perfectionné. Or, cela ne convient pas à Dieu, qui agit par amour de la fin, car il est pour lui-même la fin possédée et aimée par lui-même. Nous disons donc que la volonté divine n’est pas perfectionnée par quelque chose d’autre, mais par elle-même, car sa volonté elle-même est bonté.

 

[3549] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omne id quod agit propter desiderium finis, per actionem suam ordinatur ad consecutionem desiderati. Unde oportet quod apud eum differat an sit vel non sit suum opus. Non autem apud eum qui agit propter finis amorem, quia non agit ad acquirendum aliquod bonum.

3. Tout ce qui agit par désir d’une fin est ordonné par son action à obtenir ce qui est désiré. Il faut donc que diffère le fait que son œuvre se trouve ou ne se trouve pas en lui. Mais non chez celui qui agit par amour de la fin, car il n’agit pas en vue d’acquérir un bien.

 

[3550] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actio divina est essentia ejus; et ex hac parte non quaeritur finis ejus, sed ex parte illa qua effectum creaturae communicat.

4. L’action de Dieu est son essence. De ce point de vue, sa fin n’est pas recherchée, mais du point de vue où il communique un effet à la créature.

 

 

 

 

Articulus 2 : [3551] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 tit. Utrum creaturae sint propter bonitatem Dei

Article 2 – Les créatures existent-elles en vue de la bonté de Dieu ?

 

[3552] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod creaturae non sint propter Dei bonitatem. Sicut enim in 1 Cael. et Mund. dicitur, nihil movetur naturaliter propter illud quod consequi non potest. Sed nulla res potest consequi divinam bonitatem: quia ipsa non recipitur ut perfectio alicujus creaturae, vel forma. Ergo res non sunt ordinatae naturaliter in ipsam.

1. Il semble que les créatures n’existent pas en vue de la bonté de Dieu. En effet, comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, I, « rien n’est naturellement mû vers ce qu’il ne peut obtenir ». Or, rien ne peut obtenir la bonté divine, car elle n’est pas reçue comme la perfection d’une créature ou comme sa forme. Les choses ne sont donc pas naturellement ordonnées à elle.

 

[3553] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, ut in 2 Cael. et Mund. dicitur, omnis res est propter suam operationem, et res sempiterna vel incorporalis, est propter sempiternalitatem sui esse. Sed esse rei et operatio non est extra ipsam. Ergo videtur quod non sint propter Dei bonitatem, quae est a rebus separata et impermixta.

2. Dans Sur le ciel et le monde, II, on dit que toute chose existe en vue de son opération, et qu’une réalité éternelle ou incorporelle existe en vue de l’éternité de son être. Or, l’être d’une chose et son opération ne lui sont pas extrinsèques. Il semble donc que [les choses] n’existent pas en vue de la bonté de Dieu, qui est séparée des choses et n’est pas mélangée avec elles.

 

[3554] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, omnis res producitur ab agente propinquius fini, quantumcumque potest. Sed quanto aliquid est melius et diuturnius, magis ad divinam bonitatem accedit. Ergo Deus fecit unumquodque quantumcumque melius potuit, et ab aeterno, si facere potuit: quae cum falsa sint, videtur quod bonitas Dei creaturarum finis non sit.

3. Toute chose est produite par l’agent le plus rapproché de la fin, autant que possible. Or, meilleur et plus durable est quelque chose, plus cela se rapproche de la bonté divine. Dieu a donc créé chaque chose aussi bonne qu’il pouvait et éternellement, s’il pouvait le faire. Comme cela est faux, il semble donc que la bonté de Dieu ne soit pas la fin des créatures.

 

[3555] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, divina bonitas est sua beatitudo. Sed beatitudinis ejus non est capax nisi intellectualis creatura, ut in littera dicitur. Ergo non omnis creaturae finis est divina bonitas.

4. La bonté divine est sa béatitude. Or, seule une créature intellectuelle est capable de sa béatitude, comme on le dit dans le texte. La fin de toute créature n’est donc pas la bonté divine.

 

[3556] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, hoc propter quod res fit, est finis ejus. Sed, sicut dicitur Proverb. 16, 4, universa propter semetipsum operatus est dominus. Ergo videtur quod ipse sit finis omnium.

Cependant, [1] ce pour quoi une chose est faite est sa fin. Or, comme le dit Pr 16, 4, le Seigneur a tout créé pour lui-même. Il semble donc qu’il soit lui-même la fin de toutes choses.

 

[3557] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, bonum habet rationem finis, ut in 3 Metaph. dicitur. Ergo et summum bonum habet in Deo rationem finis ultimi. Sed divina bonitas est summa bonitas. Ergo ipsa est ultimus rerum finis.

[2] Le bien a raison de fin, comme il est dit dans Métaphysique, III. Le bien suprême a donc en Dieu raison de fin ultime. Or, la bonté divine est la bonté suprême. Elle est donc elle-même la fin ultime des choses.

 

[3558] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod finis et agens proportionantur ad invicem, sicut materia et forma. Unde secundum differentiam agentis est differentia finis. Est autem duplex agens. Quoddam quod suscipienti suum effectum est proportionatum; unde formam ejusdem speciei vel rationis in effectum inducit, sicut in omnibus agentibus univocis, ut ignis generat ignem, et domus quae est in anima artificis, causat domum quae est in materia. Quoddam vero agens non est proportionatum recipienti suum effectum. Unde effectus non consequitur speciem agentis, sed aliquam similitudinem ejus quantum potest, sicut est in omnibus agentibus aequivoce, ut sol calefacere dicitur. Ita etiam est duplex finis. Quidam proportionatus ei quod est ad finem; et talis finis acquiritur ut perfectio in eo quod ad finem est, sicut sanitas per operationem medicinae. Est etiam quidam finis improportionabiliter excedens illud quod est ad finem: et hic non acquiritur ut perfectio inhaerens ei quod est ad finem, sed aliqua similitudo ejus; et talis finis est divina bonitas in infinitum creaturas excedens; et ideo non acquiritur in creatura secundum se, ita ut sit forma ejus; sed aliqua similitudo ejus quae est in participatione alicujus bonitatis; et ideo omnis appetitus naturae vel voluntatis tendit in assimilationem divinae bonitatis, et in ipsammet tenderet, si esset possibilis haberi ut perfectio essentialis, quae est forma rei. Sed tamen ipsamet divina bonitas potest acquiri a creatura rationali ut perfectio quae est objectum operationis, inquantum rationalis creatura possibilis est ad videndum et amandum Deum. Et ideo singulari modo Deus est finis in quem tendit creatura rationalis praeter modum communem quo tendit in ipsum omnis creatura, inquantum scilicet omnis creatura desiderat aliquod bonum, quod est similitudo quaedam divinae bonitatis. Et ex hoc patet quod in omni bono summum bonum desideratur.

Réponse. La fin et l’agent sont proportionnels l’un par rapport à l’autre, comme la matière et la forme. À la différence d’agent correspond donc une différence de la fin. Or, il existe un double agent. L’un est proportionné à ce qui reçoit son effet. Il entraîne donc une forme de même espèce ou raison dans l’effet, comme c’est le cas de tous les agents univoques : ainsi, le feu engendre le feu, et la maison qui se trouve dans l’âme de l’artisan cause la maison qui existe dans la matière. Mais il existe un agent qui n’est pas proportionné à ce qui reçoit son effet. L’effet ne reçoit donc pas l’espèce de l’agent, mais sa ressemblance autant qu’il le peut, comme c’est le cas pour tout ce qui agit de manière équivoque : ainsi dit-on que le soleil réchauffe. De même aussi existe-t-il une double fin. L’une est proportionnée à ce qui est orienté vers la fin : une telle fin est reçue comme une perfection chez ce qui est orienté vers la fin, comme la santé par l’action du médicament. Mais il existe une fin qui dépasse sans proportion ce qui est orienté vers la fin : celle-ci n’est pas reçue comme une perfection intrinsèque à ce qui est orienté vers la fin, mais comme une certaine ressemblance avec elle. Et la bonté divine est une telle fin, qui dépasse de manière infinie les créatures. C’est pourquoi elle n’est pas reçue dans la créature selon elle-même, de sorte qu’elle en soit la forme, mais une certaine ressemblance avec elle, qui consiste dans la participation à une certaine bonté. C’est pourquoi tout appétit naturel ou volontaire tend à ressembler à la bonté divine, et il tendrait vers [cette bonté] elle-même, si elle pouvait être obtenue comme une perfection essentielle, qui est la forme d’une chose. Cependant, la bonté divine elle-même peut être obtenue par une créature raisonnable comme une perfection qui est l’objet d’une opération, dans la mesure où il est possible à la créature raisonnable de voir et d’aimer Dieu. Dieu est donc d’une manière unique la fin vers laquelle tend la créature raisonnable, au-delà du mode commun selon lequel toute créature tend vers lui, pour autant que toute créature désire un certain bien, qui est une ressemblance de la bonté divine. Il ressort ainsi clairement que le bien suprême est désiré en tout bien.

 

[3559] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis res non acquirat divinam bonitatem, tamen acquirit aliquam similitudinem ejus; et ex hoc dicitur finis.

1. Bien qu’une chose n’acquière pas la bonté divine, elle acquiert cependant une certaine ressemblance avec elle. C’est pour cette raison qu’on parle de fin.

 

[3560] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ipsa operatio est ultima perfectio in qua res existit: habitus enim et potentia imperfectionem dicunt: et ideo idem est rei esse propter suam operationem et propter divinam bonitatem, ad quam maxime accedit secundum quod maxime est in actu perfecto. Similiter etiam ipsa sempiternitas essendi est quaedam assimilatio divinae bonitatis; et propter hoc perpetuitas specierum vocatur a philosophis divinum esse.

2. L’opération est la perfection ultime en laquelle une chose existe. En effet, l’habitus et la puissance expriment une imperfection. Ainsi, qu’une chose existe en vue de son opération et en vue de la bonté divine est la même chose : elle y accède au plus haut point selon qu’elle existe dans son acte le plus parfait. De même, exister perpétuellement est une certaine ressemblance avec la bonté divine. Pour cette raison, l’existence perpétuelle des espèces est appelée par les philosophes une existence divine.

 

[3561] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod finis non est causa rei, nisi secundum quod est in voluntate agentis; et ideo ipsa bonitas divina secundum modum et ordinem quo est ab eo volita est finis rerum. Et ideo tunc unaquaeque res maxime ad suum finem accedit, quando imitatur divinam voluntatem, secundum quod de ipsa re dispositum est a Deo.

3. La fin n’est cause d’une chose que pour autant qu’elle existe dans la volonté de l’agent. C’est pourquoi la bonté divine, dans la mesure et selon l’ordre où elle est voulue par lui, est la fin des choses. Aussi chaque chose atteint-elle le plus sa fin lorsqu’elle imite la volonté divine, selon que Dieu a disposé de cette chose.

 

[3562] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum bonitas Dei sit finis rerum, ad ipsam res diversimode se habent. Ipse enim Deus habet eam perfecte secundum suum esse; unde summe bonus est; et etiam secundum suam operationem, qua perfecte eam cognoscit et amat: unde beatus est, quia beatitudo est operatio perfecta, secundum philosophum. Creatura autem intellectualis non attingit ad eam secundum suum esse ut ipsa sit summum bonum, sed secundum operationem intelligendo et amando eam; unde particeps est beatitudinis et non tantum bonitatis divinae. Sed creatura irrationalis accedit ad eam secundum aliquam assimilationem, quamvis non pertingat neque secundum operationem neque secundum esse; unde est particeps bonitatis, sed non beatitudinis.

4. Puisque la bonté de Dieu est la fin des choses, les choses ont avec lui différents rapports. En effet, Dieu lui-même la possède selon son être : aussi est-il bon au plus haut point ; [il la possède aussi] selon son opération, par laquelle il la connaît et l’aime : aussi est-il bienheureux, car la béatitude est l’opération parfaite, selon le Philosophe. Mais la créature intellectuelle n’atteint pas [la bonté divine] selon son être de sorte qu’elle soit elle-même le bien suprême, mais selon son opération en la connaissant et en l’aimant ; elle participe donc à la béatitude, et non seulement à la bonté divine. Mais la créature non raisonnable atteint [la bonté divine] selon une certaine ressemblance, bien qu’elle ne l’atteigne ni par son opération, ni par son être. Elle participe donc à sa bonté, mais non à sa béatitude.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3563] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 tit. Utrum omnia sint facta propter hominem

Article 3 – Toutes choses ont-elles été créées pour l’homme ?

 

[3564] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non omnia sint facta propter hominem. Finis enim est intentus ab agente. Sed humana natura non potest esse intenta a Deo: quia nullius intentio est ad hoc quod est vilius se. Ergo videtur quod Deus non fecit omnia propter hominem.

1. Il semble que tout n’ait pas été pour l’homme. En effet, la fin est voulue par l’agent. Or, la nature humaine ne peut avoir téé voulue par Dieu, car personne ne veut ce qui est moins digne que lui. Il semble donc que Dieu n’a pas tout créé pour l’homme.

 

[3565] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut universale agens non est nisi primum agens, ita universalis finis non videtur esse nisi finis ultimus. Sed homo non est finis ultimus creaturae, sed divina bonitas, ut dictum est. Ergo non est finis omnium creaturarum.

2. De même que seul le premier agent peut être l’agent universel, de même la fin universelle ne peut être que la fin ultime. Or, l’homme n’est pas la fin ultime de la créature, mais la bonté divine, comme on l’a dit. [L’homme] n’est donc pas la fin de toutes les créatures.

 

[3566] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, non est sapientis artificis facere multa magna instrumenta propter aliquod parvum. Sed humana natura est quasi quoddam minimum in universo. Ergo videtur ridiculum quod totum universum propter hominem factum sit.

3. Un artisan sage ne fait par un grand nombre d’instruments pour quelque chose de petit. Or, la nature humaine est pour ainsi ce qu’il y a de plus petit dans l’univers. Il semble donc ridicule que tout l’univers ait été créé pour l’homme.

 

[3567] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod non juvat ad id propter quod fit, est superfluum et inane. Sed multa sunt in universo quae sunt homini nociva, ut serpentes, spinae et hujusmodi: multa sunt etiam ex quibus nullum juvamentum habet, sicut aliqui pisces in profundo maris existentes. Ergo cum nihil sit vanum in operibus Dei, videtur quod non omnia propter hominem facta sint.

4. Ce qui ne contribue pas à ce pourquoi cela est fait est superflu et inutile. Or, il existe beaucoup de choses dans l’univers qui sont nuisibles à l’homme, comme les serpents, les épines et les choses de ce genre ; il en existe aussi beaucoup qui ne sont d’aucune aide, comme certains poissons qui se trouvent au fond de la mer. Puisque rien n’est vain dans les œuvres de Dieu, il semble donc que toutes les choses n’aient pas été créées pour l’homme.

 

[3568] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in 2 Phys., quod sumus et nos quodammodo finis omnium.

Cependant, [1] Physique, II dit que nous sommes aussi d’une certaine manière la fin de tout.

 

[3569] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, ordo universi est finis totius creaturae. Sed in homine est quaedam similitudo ordinis universi; unde et minor mundus dicitur: quia omnes naturae quasi in homine confluunt. Ergo videtur quod ipse sit quodammodo finis omnium.

[2] L’ordre de l’univers est la fin de toute la création. Or, il y a dans l’homme une certaine ressemblance de l’ordre de l’univers ; aussi est-il appelé un microcosme, car toutes les natures se rejoignent pour ainsi dire dans l’homme. Il semble donc qu’il soit d’une certaine manière la fin de tout.

 

[3570] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod finis alicujus rei dicitur dupliciter: vel in quem tendit naturaliter, vel ex eo quod ad ipsum sicut ad finem ordinari dicitur, ut utilitatem aliquam consequatur secundum intentionem et ordinem agentis. Utroque autem modo homo finis creaturarum dicitur: et primus quidem ex parte operis, sed secundus ex parte agentis. Differenter tamen homo dicitur finis, et divina bonitas: quia ex parte agentis divina bonitas est finis rerum, sicut ultimum intentum ab agente: sed natura humana non est intenta a Deo quasi movens voluntatem ejus, sed sicut ad cujus utilitatem est ordinatus effectus ejus. Ipse enim duplicem ordinem in universo instituit; principalem scilicet, et secundarium. Principalis est secundum quod res ordinantur in ipsum; et secundarius est secundum quod una juvat aliam in perveniendo ad similitudinem divinam; unde dicitur in 12 Metaph., quod ordo partium universi ad invicem est propter illum ordinem qui est in bonum ultimum, et sic dicitur esse propter aliud omne illud ex quo provenit ei utilitas. Sed hoc contingit dupliciter; aut ita quod illud ex quo provenit alicui utilitas, non habeat participationem divinae bonitatis nisi secundum ordinem ejus ad hoc cui est utile, sicut sunt partes ad totum, et accidentia ad subjectum, quae non habent esse absolutum, sed solum in altero: et talia non essent nec fierent, nisi aliud esset, cui ex eis provenit utilitas. Sed quaedam sunt quae habent participationem divinae bonitatis absolutam, ex qua provenit aliqua utilitas alicui rei: et talia essent etiam si illud cui provenit ex eis utilitas non foret: et per hunc modum dicitur, quod Angeli et omnes creaturae propter hominem a Deo factae sunt; et sic etiam homo factus est propter reparationem ruinae angelicae: quia haec utilitas consecuta est et a Deo praevisa et ordinata. Similiter ex parte operis ipsae creaturae tendunt in divinam bonitatem sicut in illud cui per se assimilari intendunt. Sed quia optimo assimilatur aliquid per hoc quod simile fit meliori se, ideo omnis creatura corporalis tendit in assimilationem creaturae intellectualis quantum potest, quae altiori modo divinam bonitatem consequitur, et propter hoc etiam forma humana, scilicet anima rationalis, dicitur esse finis ultimus intentus a natura inferiori, ut in 2 de anima dicitur.

Réponse. On parle de fin pour une chose de deux manières : celle vers laquelle elle tend naturellement ; celle selon laquelle on dit qu’on est ordonné à elle comme à la fin, de sorte qu’il en découle une utilité selon l’intention et l’ordre de l’agent. Or, l’homme est appelé la fin des créatures des deux manières : de la première, du point de vue de l’action, mais de la seconde, du point de vue de l’agent. Cependant, l’homme est appelé fin d’une manière différente de la bonté divine, car, du point de vue de l’agent, la bonté divine est la fin des choses, comme ce qui est ultimement voulu par l’agent ; mais la nature humaine n’est pas voulue par Dieu comme si elle mouvait sa volonté, mais comme ce dont l’utilité est visée par son effet. En effet, il a établi un double ordre dans l’univers : un [ordre] principal et un [ordre] secondaire. L’[ordre] principal est celui par lequel les choses sont ordonnées à lui ; l’[ordre] secondaire et celui par lequel une chose aide l’autre à parvenir à la ressemblance divine. Aussi est-il dit, dans Métaphysique, XII, que l’ordre des parties du tout entre elles existe en vue de l’ordre à la fin ultime, et on dit qu’existe pour autre chose tout ce dont lui vient une utilité. Or, cela se produit de deux manières. Soit que ce dont provient une utilité pour quelque chose ne participe à la bonté divine que selon l’ordre à ce pourquoi il est utile, comme c’est le cas des parties d’un tout et des accidents par rapport à un sujet, qui n’ont pas d’existence absolue, mais seulement à l’intérieur d’un autre. De telles choses n’existeraient pas et ne seraient pas créées, à moins que n’existe l’autre à qui elles sont utiles. Mais il existe certaines choses qui participent à la bonté divine d’une manière absolue, ce dont provient une utilité pour une chose. De telles choses existeraient même si ce dont leur vient leur utilité n’existait pas. On dit ainsi que les anges et toutes les créatures ont été créées par Dieu pour l’homme ; de même aussi l’homme a-t-il été créé en vue de réparer la chute de l’ange, car cette utilité a été obtenue et a été prévue et ordonnée par Dieu. De même, du point de vue de l’action, les créatures tendent-elles vers la bonté divine comme vers ce à quoi elles cherchent à être assimilées. Mais parce que l’assimilation se réalisé au mieux lorsque quelque chose devient semblable à ce qui est meilleur que lui, toute créature corporelle tend à ressembler à la créature intellectuelle autant qu’elle le peut, laquelle reçoit la bonté divine d’une manière plus élevée. Pour cette raison, même la forme humaine, c’est-à-dire l’âme raisonnable, est-elle appelée la fin ultime visée par la nature inférieure, comme il est dit dans Sur l’âme, II.

 

[3571] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod homo non hoc modo dicitur esse finis sicut intentum ab agente: quia haec est ratio finis ultimi et principalis: sed sicut ad quod ordinatum est opus agentis aliquo modo, ut dictum est.

1. L’homme n’est pas appelé fin comme s’il était voulu par l’agent, car c’est là la nature de la fin ultime et principale, mais comme ce à quoi est ordonnée l’action de l’agent d’une certaine manière, ainsi qu’on l’a dit.

 

[3572] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo non est finis omnis creaturae sicut ultimo intentum ab omni creatura, sed sicut illud cui provenit utilitas ex omni creatura: et hoc contingit propter communicationem ejus cum omni creatura, ut dicit Gregorius, ubi supra.

2. L’homme n’est pas fin de toutes les créatures comme ce qui est ultimement visé par toute créature, mais comme celui à qui survient une utilité de la part de toute créature. Et cela se produit en raison de ce qu’il a de commun avec toute créature, comme le dit plus haut Grégoire.

 

[3573] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnis creatura corporalis, quantumcumque sit magna quantitate, est tamen inferior homine ratione intellectus. Unde non est inconveniens, si omnis creatura talis etiam in assimilationem ejus tendit, inquantum per hoc summae bonitati assimilatur. Sed Angeli sunt nobiliores homine secundum conditionem naturae; unde non sunt propter hominem praedicto modo, sed solum sicut ex quibus provenit homini utilitas; sicut si diceretur regem esse constitutum propter aliquem rusticum, cui provenit utilitas pacis propter leges regis.

3. Toute créature corporelle, aussi grande soit sa quantité, est cependant inférieure à l’homme en raison de l’intelligence. Il n’est donc pas inapproprié que toute créature tende aussi à lui ressembler, pour autant qu’elle soit ainsi assimilée à la bonté suprême. Mais les anges sont plus nobles que l’homme selon la condition de leur nature ; ils n’existent donc pas pour l’homme de la manière dite, mais seulement comme ce dont vient une utilité à l’homme, comme si on disait que le roi a été établi pour le cltivateur, parce que l’utilité de la paix vient à celui-ci des lois du roi.

 

[3574] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hujusmodi non fuerunt a principio homini nociva; sed postea per peccatum nociva sibi facta sunt; ex quibus tamen aliqua utilitas sibi provenit, dum per hoc humilior fit, et in talibus etiam visibilibus gloriam et sapientiam Dei considerat. Et sic etiam in utilitatem cedunt ea quae in usum operis ejus non veniunt, dum de eis aliquam cognitionem habet vel in universali vel in particulari. Tamen auctoritas philosophi in 5 Physic., in contrarium inducta, intelligitur de rebus artificialibus.

4. Ces choses n’ont pas été nuisibles pour l’homme dès le début, mais, par la suite, elles sont devenues nuisibles en raison du péché. Une certaine utilité vient cependant d’elles, alors qu’il devient ainsi plus humble et considère la gloire et la sagesse de Dieu dans ces réalités visibles. De même aussi, lui sont utiles les choses qui ne font pas partie de la mise en œuvre de son action, alors qu’il en tire une connaissance universelle ou particulière. Toutefois, l’autorité du Philosophe, Physique, V, invoquée en sens contraire, s’entend des réalités qui résultent de l’art.

 

 

 

 

Articulus 4 : [3575] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 tit. Utrum anima rationalis debeat uniri corpori

Article 4 – L’âme raisonnable doit-elle être unie au corps ?

 

[3576] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod anima rationalis corpori uniri non debuit. Ea enim quae sunt ad finem, determinantur secundum rationem finis. Sed anima rationalis est propter divinam beatitudinem et bonitatem. Ergo cum per corpus impediatur a participatione divinae beatitudinis, quia per operationes corporales impeditur anima a contemplatione spiritualium, videtur quod corpori uniri non debuit.

1. Il semble que l’âme raisonnable ne devait pas être unie au corps. En effet, ce qui est ordonné à une fin est déterminé d’après la nature de la fin. Or, l’âme raisonnable existe en vue de la béatitude et de la bonté divines. Puisqu’elle est empêchée de participer à la béatitude divine par le corps, l’âme étant empêchée de contempler les réalités spirituelles par les opérations corporelles, il semble donc qu’elle ne devait pas être unie au corps.

 

[3577] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, illud quod habet per se esse subsistens, non unitur alteri nisi accidentaliter; quia quod advenit post esse completum, est accidens. Sed anima est quiddam in esse suo subsistens; alias post corpus remanere non posset. Ergo non est unibilis, ut ex ea et corpore fiat unum essentialiter.

2. Ce qui possède par soi un être subsistant n’est uni à une autre chose que par accident, car ce qui survient après l’être achevé est un accident. Or, l’âme est quelque chose qui subsiste dans son être, autrement elle ne pourrait pas demeurer après le corps. Elle n’est donc pas susceptible d’être unie afin que, d’elle et du corps, une seule réalité essentielle soit formée.

 

[3578] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, ea quae maxime distant, non uniuntur nisi minima conjunctione. Sed anima et corpus maxime distant, ut in littera dicitur. Ergo cum conjunctio formae ad materiam sit secundum maximam unionem, videtur quod anima non sit corpori unibilis, sicut forma materiae.

3. Les choses qui sont très éloignées ne sont unies que par la plus petite union. Or, l’âme et le corps sont très éloignés, comme il est dit dans le texte. Puisque l’union de la forme à la matière se réalise par l’union la plus grande, il semble donc que l’âme ne soit pas susceptible d’être unie au corps, comme la forme à la matière.

 

[3579] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, potentiae animae fluunt ab essentia ejus. Sed principiatum non potest esse simplicius principio a quo fluit. Cum ergo quaedam potentia animae nullius corporis actus sit, ut intellectus et voluntas; videtur quod nec essentia animae rationalis.

4. Les puissances de l’âme sont issues de son essence. Or, ce qui vient d’un principe ne peut pas être plus simple que le principe dont cela est issu. Puisque l’acte d’aucun corps ne met en œuvre une puissance de l’âme, comme l’intelligence et la volonté, il semble donc que ce ne soit pas non plus le cas de l’essence de l’âme raisonnable.

 

[3580] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra, divinae bonitatis est omnes gradus creaturarum universi complere. Sed quaedam creaturae sunt pure corporales, quaedam pure intellectuales. Ergo ad completionem universi oportet esse creaturam ex corporali et intellectuali natura compositam.

Cependant, [1] il revient à la bonté divine de combler tous les degrés des créatures. Or, certaines créatures sont purement corporelles, et certaines sont purement intellectuelles. Pour l’achèvement de l’univers, il est donc nécessaire qu’il y ait une créature composée d’une nature corporelle et intellectuelle.

 

[3581] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, intellectus possibilis, secundum philosophum, est sicut tabula in qua nihil est scriptum. Sed non potest perfici ut scribatur aliquid in eo nisi per species in sensibus receptas. Ergo oportet quod uniatur corpori organico sensibili.

[2] Selon le Philosophe, l’intellect possible est comme une tablette sur laquelle rien n’a été écrit. Or, rien ne peut être écrit sur lui que par des espèces reçues par les sens. Il est donc nécessaire qu’il soit uni à un corps sensible pourvu d’organes.

 

[3582] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod causa finalis ipsius conjunctionis animae et corporis assignatur in littera a Magistro sufficienter. Finis enim potest sumi vel ex parte agentis, vel ex parte ipsius operis. Ex parte agentis, scilicet Dei, finis est bonitas ejus, secundum quod cadit in voluntate ipsius volentis bonitatem suam in res diffundere: et haec est prima ratio quam Magister assignat. Ex parte autem operis, finis intentus est pertingere in assimilationem divinae beatitudinis. Hoc autem est secundum esse ejus, prout ipsa conjunctio animae et corporis est quaedam similitudo divinae beatitudinis, qua conjungitur spiritus Deo: et haec est secunda ratio quam assignat. Et etiam secundum operationem, prout scilicet anima per operationes quas in corpore exercet, ad divinam beatitudinem accedit merendo: et haec est tertia ratio.

Réponse. La cause finale de l’union de l’âme et du corps est suffisamment exprimée dans le texte par le Maître. En effet, la fin peut être envisagée soit du point de vue de l’agent, soit du point de vue de l’œuvre. Du point de vue de l’agent, c’est-à-dire de Dieu, la fin est sa bonté, selon qu’il relève de sa volonté elle-même de répandre sa bonté dans les choses. Telle est la première raison donnée par le Maître. Mais, du point de vue de l’œuvre, la fin visée est de parvenir à une ressemblance avec la béatitude divine. Or, cela se réalise [chez l’homme] selon son être même, pour autant que l’union même de l’âme et du corps est une certaine ressemblance de la béatitude divine, par laquelle l’esprit est uni à Dieu. Telle est la deuxième raison qu’il donne. [Cela se réalise aussi chez l’homme] selon l’opération, pour autant que l’âme, par les opérations qu’elle exerce dans le corps, accède à la béatitude divine en méritant. Telle est la troisième raison.

 

[3583] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si anima non esset corpori unibilis, tunc esset alterius naturae; unde secundum hanc naturam quam habet, non potest melius ad divinam bonitatem accedere quam per hoc quod unitur corpori.

1. Si l’âme n’était pas susceptible d’être unie au corps, elle aurait alors une autre nature. C’est pourquoi, selon la nature qu’elle possède, elle ne peut mieux accéder à la bonté divine qu’en étant unie au corps.

 

[3584] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidquid advenit rei subsistenti ita quod ex ipsius adventu novum esse constituatur, oportet accidentaliter advenire, quia unius rei non potest esse nisi unum esse essentiale; unde aliud esse superveniens erit accidentale. Sed corpus adveniens animae trahitur in consortium illius esse a quo anima subsistere potest, quamvis aliae formae non possunt subsistere in illo esse, sicut potest anima.

2. Tout ce qui arrsive à une chose subsistante de telle sorte qu’un être nouveau soit constitué par ce qui arrive, doit advenir de manière accidentelle, car il ne peut y avoir qu’un seul être essentiel pour une seule chose ; aussi ce qui survient d’autre sera-t-il accidentel. Or, le corps qui advient à l’âme est attiré au partage de l’être par lequel l’âme peut subsister, bien que d’autres formes ne puissent subsister dans cet être, comme le peut l’âme.

 

[3585] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod propter hanc objectionem Plato posuit, ut Gregorius Nyssenus narrat, quod anima est in corpore sicut motor in mobili, ut nauta in navi, et non sicut forma in materia; unde dicebat, quod homo non est aliquid ex anima et corpore, sed quod homo est anima utens corpore; et propter hoc etiam quidam quaesierunt quaedam media inter animam et corpus, ut spiritum corporalem, animam vegetabilem et sensibilem, et lucem, quibus mediantibus anima rationalis corpori uniretur; quae omnia absurda sunt secundum philosophiam, et improbata a philosopho in 8 Metaph. Et ideo dicimus quod essentia animae rationalis immediate unitur corpori sicut forma materiae, et figura cerae, ut in 2 de anima dicitur. Sciendum ergo, quod convenientia potest attendi dupliciter: aut secundum proprietates naturae; et sic anima et corpus multum distant: aut secundum proportionem potentiae ad actum; et sic anima et corpus maxime conveniunt. Et ista convenientia exigitur ad hoc ut aliquid uniatur alteri immediate ut forma; alias nec accidens subjecto nec aliqua forma materiae uniretur; cum accidens et subjectum etiam sint in diversis generibus, et materia sit potentia, et forma sit actus.

3. En raison de cette objection, Platon affirmait, comme le raconte Grégoire de Nysse, que l’âme est dans le corps comme un moteur dans un mobile, comme un navigateur dans un navire, et non comme une forme dans une matière. Il disait donc que l’homme n’est pas quelque chose qui est composé d’une âme et d’un corps, mais que l’homme est une âme faisant usage d’un corps. Pour cette raison aussi, certains ont cherché un intermédiaire entre l’âme et le corps, comme un esprit corporel, une âme végétative et sensible, et la lumière, par l’intermédiaire desquels l’âme raisonnable serait unie au corps. Tout cela est absurde, selon la philosophie, et a été repoussé par le Philosophe, Métaphysique, VIII. C’est pourquoi nous disons que l’essence de l’âme raisonnable est unie de manière immédiate au corps comme une forme à une matière et une figure à la cire, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Il faut cependant savoir que le fait d’être joint peut être envisagé de deux manières : soit selon les propriétés naturelles, et ainsi l’âme et le corps sont très distants ; soit selon la proportion entre la puissance et l’acte, et ainsi l’âme et le corps se rejoignent au plus haut point. Et cette union est requise pour qu’une chose soit unie à une autre de manière immédiate comme une forme, autrement ni l’accident ne serait uni à la forme, ni la forme à la matière, puisque l’accident et le sujet font partie de genres différents, et que la matière est puissance, alors que la forme est acte.

 

[3586] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in formis est quidam gradus nobilitatis; et quanto aliqua forma est nobilior, tanto plus materiae praedominatur; unde forma terrae est magis materialis quam forma aeris vel ignis. Inter autem omnes formas anima rationalis nobilior est, unde maxime praedominatur materiae. Omne autem quod unitur alteri ut vincens et dominans super illud habet effectum non solum secundum conjunctionem sui ad alterum, sed etiam per se absolute, inquantum non dependet ad illud cui unitur; sicut patet in igne candelae, cujus lumen extenditur ultra ascensionem vaporis, et calefactionem. Unde quaedam vires ab anima provenire possunt quae sunt corporis actus, et quaedam sunt ab organis corporalibus absolutae; quamvis enim essentia animae corpori uniatur ut forma, non tamen sicut forma materialis non habens esse absolute in quo subsistere possit.

4. Dans les formes, il existe un certain degré de noblesse, et plus une forme est noble, plus elle l’emporte sur la matière ; aussi la forme de la terre est-elle plus matérielle que la forme de l’air ou du feu. Or, parmi toutes les formes, l’âme raisonnable est la plus noble ; aussi l’emporte-t-elle le plus sur la matière. Or, tout ce qui est uni à une autre chose comme l’emportant et s’imposant à elle a un effet, non seulement selon son union à l’autre, mais aussi par soi de manière absolue, dans la mesure où cela ne dépend pas de ce à quoi cela est uni, comme on le voti clairement pour le feu de la chandelle, dont la lumière ne va pas au-delà de la montée de la fumée et de la chaleur. Aussi certaines puissances peuvent-elles provenir de l’âme : elles sont des actes du corps ; et d’autres sont séparées des organes corporels. En effet, bien que l’essence de l’âme soit unie au corps en tant que forme, elle ne l’est cependant pas comme une forme matérielle, qui ne possède pas un être absolu dans lequel elle puisse subsister.

 

 

 

 

Articulus 5 : [3587] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 tit. Utrum anima humana tali corpori debuerit uniri

Article 5 – L’âme humaine devait-elle être unie à tel corps ?

 

[3588] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod tali corpori uniri non debuit. Cum enim forma proportionetur materiae, nobilissimae formae debetur nobilissimum corpus. Ergo videtur quod corpori caelesti debeat uniri anima, quae est nobilissima formarum.

1. Il semble qu’elle ne devait pas être unie à tel corps. En effet, puisque la forme est proportionnée à la matière, le corps le plus noble est donc dû à la forme la plus noble. Il semble donc que l’âme, qui est la plus noble des formes, doive être unie à un corps céleste.

 

[3589] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, simplici formae magis proportionatur corpus simplex quam compositum. Sed anima est simplicissima formarum. Ergo non debet uniri composito, sed simplici.

2. Un corps simple, plutôt qu’un corps complexe, est davantage proportionné à une forme simple. Or, l’âme est la plus simple des formes. Elle ne doit donc pas être unie à quelque chose de composé, mais à quelque chose de simple.

 

[3590] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, corpus organicum est magis difforme quam corpus homogeneum. Sed anima est simplicissimus motor. Ergo corpus cui unitur sicut mobili, debet esse homogeneum et non organicum.

3. Un corps pourvu d’organes est plus difforme qu’un corps homogène. Or, l’âme est le moteur le plus simple. Le corps, auquel elle est unie comme à un mobile, doit donc être homogène, et non pas pourvu d’organes.

 

[3591] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, quanto corpus est subtilius, tanto magis accedit ad nobilitatem formae et continentis. Sed ignis est subtilissimum corpus; unde in 2 de generatione dicitur, quod habet plus de specie. Ergo videtur quod ad minus secundum praedominium ignis debeat esse in corpore animato; cujus contrarium ostendit motus gravis quem habet; unumquodque enim movetur motu praedominantis in ipso, ut in 1 de caelo et mundo dicitur.

4. Plus un corps est subtil, plus il s’approche de la noblesse de la forme et de ce qui le contient. Or, le feu est le corps le plus subtil ; aussi est-il dit, dans Sur la génération, II, qu’il possède davantage son espèce. Il semble donc qu’au moins une prédominance du feu doive se trouver dans le corps animé, alors que son mouvement lourd montre le contraire. En effet, tout est mû par ce qui prédomine en lui, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I.

 

[3592] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Genes. 2, 7: formavit Deus hominem de limo terrae. Et hoc etiam ad sensum videmus.

Cependant, il est dit dans Gn 2, 7 : Dieu forma l’homme à partir de la glaise du sol. Et nous voyons cela par les sens.

 

[3593] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod oportuit talem formam, scilicet animam rationalem, corpori bene complexionato uniri: cujus rationem assignat Avicenna dicens, quod oportet ordinem perfectibilium esse secundum ordinem perfectionum. Inter omnes autem perfectiones illa est nobilissima quae movet caelum, cui inter omnes alias perfectiones maxime anima rationalis assimilatur: et ideo corpus oportet quod sit simillimum caelo. De nobilitate autem corporis caelestis est, quod non habet contrarium; unde quanto plus corpus separatur a contrarietate, similius caelo efficitur. Hoc autem non potest esse in generabilibus et corruptibilibus hoc modo quod a contrariis omnimode absolvantur, scilicet calido et frigido, per hoc quod conveniunt ad medium, quia medium neutrum extremorum est actu; et ideo illud corpus quod venit ad maximam aequalitatem mixtionis, est simillimum caelo; et tale corpus debet esse corpus humanum; et inde est quod dicitur 2 de anima quod homo habet meliorem tactum ceteris animalibus; et quanto est melioris tactus, tanto est melioris intellectus, quia subtilitas tactus sequitur aequalitatem complexionis. Instrumentum enim tactus debet esse in potentia respectu suorum sensibilium sicut medium et non privatio, sicut pupilla est potentia album et nigrum, ut in eodem libro dicitur.

Réponse. Il était nécessaire qu’une telle forme, à savoir, l’âme raisonnable, soit unie à un corps possédant une bonne constitution. Avicenne en donne la raison en disant qu’il est nécessaire que l’ordre de ce qui est susceptible d’être perfectionné soit conforme à l’ordre des perfections. Or, parmi toutes les perfections, la plus noble est celle qui meut le ciel, à laquelle l’âme raisonnable ressemble le plus parmi toutes les autres perfections. C’est pourquoi il est nécessaire que le corps ressemble le plus au ciel. Or, il appartient à la noblesse du corps céleste de ne pas avoir de contraire ; aussi plus un corps est séparé de ce qui est contraire, plus devient-il semblable au ciel. Mais cela ne peut se produire pour les réalités susceptibles d’être engendrées et corrompues en raison de la manière dont elles sont dissoutes par des contraires, à savoir, le chaud et le froid, du fait qu’elles se rejoignent dans un milieu, car le milieu n’est aucun des extrêmes en acte. C’est pourquoi le corps qui atteint la plus grande égalité du mélange ressemble le plus au ciel. C’est un tel corps que doit être le corps humain. De là vient ce qui est dit, dans Sur l’âme, II, que l’homme a un meilleur toucher que les autres animaux ; et meilleur est le toucher, meilleure est l’intelligence, car la subtilité du toucher découle de l’égalité de la constitution. En effet, l’instrument du toucher doit être en puissance par rapport à ce qui lui est sensible comme un moyen, et non comme une privation. Ainsi, la pupille est-elle en puissance au blanc et au noir, comme il est dit dans le même livre.

 

[3594] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpus caeleste est nobilius quam corpus humanum, et perfectio sua est nobilior quam anima humana. Sed, sicut dicit Commentator, in Lib. 1 de substantia orbis, corpus caeleste non est generabile neque corruptibile sicut corpus humanum; et ideo non indiget perfectione terminante ipsum sensificando et vegetando, sed qua moveat ipsum in loco: et quaecumque sit virtus illa, sive Deus sive Angelus, est superior in natura quam anima humana, quae est motor corporis humani; et corporeitas caeli quam corporeitas corporis humani.

1. Le corps céleste est plus noble que le corps humain et sa perfection est plus noble que l’âme humaine. Mais, comme le dit le Commentateur dans Sur la substance du monde, I, le corps céleste ne peut être engendré et être corrompu comme le corps humain. C’est pourquoi il n’a pas besoin d’une perfection qui l’achève en le rendant sensible et végétatif, mais par laquelle il se déplacerait dans un lieu. Quelle que soit cette puissance, Dieu ou un ange, elle a une nature supérieure à l’âme humaine, qui meut le corps humain, et la corporéité du ciel [est supérieure] à la corporéité du corps humain.

 

[3595] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod corpora simplicia maxime removentur a similitudine caeli, inquantum in eorum natura est habere contrarium cum intentione, et ideo corpori tali anima rationalis uniri non debuit.

2. Les corps simples sont les plus éloignés de la ressemblance avec le ciel dans la mesure où il est de leur nature de posséder intensément un contraire ; c’est pourquoi l’âme raisonnable ne devait pas être unie à un tel corps.

 

[3596] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod anima rationalis quamvis sit simplex in essentia, tamen est multiplex in potentiis et operationibus: et ideo oportet quod corpus suum multa habeat organa ad diversas operationes apta; et propter hoc natura dedit homini manus, quibus plurimas operationes facere potest; et propter hoc etiam quanto anima est minus nobilis, requirit minorem diversitatem in organis, sicut patet in plantis et in animalibus annulosis.

3. L’ame raisonnable, bien qu’elle soit simple dans son essence, est cependant multiple par ses puissances et ses opérations. C’est pourquoi il est nécessaire que son corps ait plusieurs organes aptes aux diverses opérations. Pour cette raison, la nature a donné à l’homme les mains, par lesquelles il peut faire plusieurs opérations. Pour cette raison aussi, moins l’âme est noble, moins elle exige de diversité dans les organes, comme cela ressort chez les plantes et chez les animaux annelés.

 

[3597] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod elementa quanto plus habent de specie et de qualitatibus activis, tanto plus habent de virtute agendi: unde non posset fieri adaequatio, nisi de elemento magis materiali esset plus secundum quantitatem vel materiam. Ideo oportet corpus humanum secundum quantitatem habere plus de terrestri, quamvis non secundum qualitatem, quia in corpore vivo dominatur calidum: unde in libris de anima dicitur, quod nihil est sensitivum sine calore, et quod calor ignis est instrumentum animae. Et quia gravitas et levitas, quae sunt principia motus localis, consequuntur quantitatem materiae, ideo motus gravis apparet in corpore humano.

4. Plus des éléments possèdent une espèce et des qualités actives, plus ils possèdent la puissance d’agir ; aussi l’égalité ne pourrait-elle se réaliser s’il n’existait pas davantage d’éléments matériels selon la quantité ou la matière. C’est pourquoi il est nécessaire que le corps humain possède davantage en quantité, bien que non en qualité, de [l’élément] terrestre, car le chaud prédomine dans un corps vivant. Aussi est-il dit dans les ouvrages sur l’âme que rien ne peut sentir sans la chaleur et que la chaleur du feu est l’instrument de l’âme. Et parce que la lourdeur et la légèreté, qui sont les principes du mouvement local, découlent de la quantité de la matière, c’est la raison pour laquelle un mouvement lourd apparaît dans le corps humain.

 

 

 

 

 

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1

 

[3598] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 expos. Plato namque tria initia existimavit. Sciendum, quod in hoc Plato erravit, quia posuit formas exemplares per se subsistentes extra intellectum divinum, et neque ipsas neque materiam a Deo esse habere. Aristoteles vero duo principia dixit. Videtur imperfecte tangere positionem ejus: quia ipse ponit tria principia, in 1 Phys., materiam, formam, et privationem. Praeterea, ipse ponit non solum causam effectivam exemplarem, quae intelligitur per principium operatorium, sed etiam causam finalem. Praeterea, secundum ipsum, forma et agens et finis incidunt in idem, ut in 2 Phys. dicit; et ita videtur tantum duo principia posuisse. Ad quod dicendum, quod Aristoteles non erravit in ponendo plura principia: quia posuit esse omnium tantum a primo principio dependere; et ita relinquitur unum esse primum principium. Erravit autem in positione aeternitatis mundi. Ad primum ergo dicendum, quod privatio ab eo non ponitur per se principium, sed per accidens; nec in esse rei, sed in fieri tantum. Ad aliud dicendum, quod secundum ipsum, primum principium agens et ultimus finis reducuntur in idem numero, ut patet in 12 Metaph.: ubi ponit quod primum principium movens movet ut desideratum ab omnibus. Forma autem quae est pars rei non ponitur ab eo in idem numero incidere cum agente, sed in idem specie vel similitudine: ex quo sequitur quod sit unum principium primum extra rem, quod est agens et exemplar et finis; et duo quae sunt partes rei, scilicet forma et materia, quae ab illo primo principio producuntur. Intelligendo amaret. Hic ponit quatuor, quae se secundum ordinem habent. Intellectus enim secundum apprehensionem boni gignit amorem, amor autem unit amato, et quodammodo illud suum esse facit possidendo. Et ex hac conjunctione sequitur delectatio quae perficit rationem fruitionis. Cetera ex praedictis manifesta sunt.

 

 

 

 

 

Distinctio 2

Distinction 2 – [Les créatures en particulier]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’aevum diffère-t-il de l’éternité ou du temps ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[3599] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 pr. Hic Magister incipit determinare de creaturis in speciali quantum ad considerationem theologi pertinet; et dividitur in tres partes: in prima determinat de creatura pure spirituali; in secunda de creatura pure corporali, 12 dist., ibi: hae de angelicae naturae conditione dicta sufficiant; in tertia de creatura ex utraque composita, 16 dist.: his excursis, quae supra de creatione hominis praemisimus, effectui mancipare, atque ordine explanare nunc suscipimus. Prima in tres: in prima determinat de Angelorum creatione; in secunda de separatione per aversionem et conversionem, 5 dist., ibi: post haec, consideratio adducit inquirere, quales effecti sint, dum dividerentur aversione et conversione; in tertia determinat de bonorum dignitate, 9 dist., ibi: post praedicta superest cognoscere de ordinibus Angelorum quid Scriptura tradat. Prima in duas: in prima determinat de creatione Angelorum, quantum ad illud quod adjacet eis quasi mensura; in secunda determinat de conditione ipsorum creatorum, 3 dist., ibi: ecce ostensum est ubi Angeli fuerint mox ut creati sunt. Prima dividitur in duas: in prima ostendit quando creati sunt Angeli; in secunda ubi creati sunt, ibi: jam ostensum est quando creata fuerit angelica natura. In prima dicit de quo est intentio; in secunda prosequitur quaestionem, ibi: quaedam auctoritates videntur innuere quod ante omnem creaturam creati sunt Angeli. Et circa hoc duo facit: primo movet quaestionem, ponendo rationes ad utramque partem; secundo determinat eam, ibi: videtur utique hoc esse tenendum. Et circa hoc tria facit: primo determinat quaestionem; secundo determinationem confirmat, ibi: quod autem simul creata fuerit corporalis spiritualisque creatura, Augustinus (...) aperte ostendit; tertio objecta in contrarium solvit, ibi: Hieronymus super epistolam ad Titum aliud videtur sentire. Jam ostensum est quando creata fuerit angelica natura. Hic determinat ubi creati sunt Angeli: et primo ostendit quod in caelo Empyreo; secundo epilogat ea quae dixerat, ibi: simul ergo visibilium rerum materia et invisibilium natura condita est; tertio objectum in contrarium solvit, ibi: hic quaeri solet, si in caelo Empyreo fuerunt Angeli statim ubi facti sunt. Hic est duplex quaestio. Prima de aevo, quod durationem Angeli mensurat. Secunda de caelo Empyreo, qui locus Angelorum dicitur. Circa primum tria quaeruntur: 1 utrum aevum ab aeternitate vel tempore differat; 2 utrum sit unum tantum aevum; 3 utrum aevum mensurans durationem Angeli ante tempus inceperit.

Le Maître commence ici à déterminer des créatures en particulier, pour autant que cela relève de la considération du théologien. Il y a trois parties : dans la première, il détermine de la créature purement spirituelle ; dans la deuxième, de la créature purement corporelle, d. 12, à cet endroit : « Que suffise ce qui a été dit de la condition de la nature angélique »; dans la troisième, de la créature composée des deux, d. 16 : « Après avoir parcouru cela, nous entreprenons maintenant ce que nous avons pris plus haut l’engagement d’accomplir et d’expliquer de manière ordonnée à propos de la création de l’homme. » La première partie [est divisée] en trois : dans la première, [le Maître] détermine de la création des anges ; dans la deuxième, de leur séparation par l’aversion (per aversionem) et la conversion (per conversionem)[1], d. 5, à cet endroit : « Après cela, l’examen nous amène à rechercher ce qu’ils sont devenus, après avoir été séparés par la défection et la conversion »; dans la troisième, il détermine de la dignité de [anges] bons, d. 9, à cet endroit : « Après ce qui a été dit, il reste à connaître ce que l’Écriture enseigne à propos des ordres des anges. ». La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la création des anges selon ce qui les affecte comme une mesure ; dans la seconde, il détermine de leur condition lorsqu’ils ont été créés, d. 3, à cet endroit : « Voilà qu’on a montré où les anges étaient dès qu’ils ont été créés. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre quand les anges ont été créés ; dans la seconde, où ils ont été créés, à cet endroit : « On a déjà montré quand la nature angélique a été créée. » Dans la première, il formule son intention ; dans la seconde, il poursuit la question, à cet endroit : « Certaines autorités semblent insinuer que les anges ont été créés avant toutes les créatures. » À ce propos, [le Maître] fait deux choses : premièrement, il soulève une question, en présentant les arguments dans les deux sens ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « Il semble bien qu’il faille soutenir cela. » À ce sujet, il fait trois choses : premièrement, il détermine de la question ; deuxièmement, il confirme la détermination, à cet endroit : « Que la créature corporelle ait été créée en même temps que la créature spirituelle, Augustin… le montre clairement »; troisièmement, il résout les objections en sens contraire, à cet endroit : « En commentant l’épître à Tite, Jérôme semble avoir une autre opinion. » « On a déjà montré quand la nature angélique a été créée. » Ici, il détermine de l’endroit où les anges ont été créés. Premièrement, il montre que c’est dans le ciel empyrée ; deuxièmement, il conclut ce qu’il avait dit, à cet endroit : « La nature des réalités visibles et des réalités invisibles a donc été créée en même temps »; troisièmement, il résout l’objection en sens contraire, à cet endroit : « On a coutume de se demander ici si les anges ont été placés immédiatement dans le ciel empyré où ils ont été créés. » Il y a ici une double question. La première, à propos de l’ævum, qui mesure la durée de l’ange. La seconde, à propos du ciel empyrée, dont on dit qu’il est le lieu des anges. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1. L’ævum diffère-t-il de l’éternité et du temps ? 2. Existe-t-il un seul ævum ? 3. L’ævum qui mesure la durée de l’ange a-t-il commencé avant le temps ?

 

 

 

 

Articulus 1 : [3600] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 tit. Utrum aevum sit idem quod aeternitas

Article 1 – L’aevum est-il la même chose que l’éternité [ou le temps]?

 

[3601] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod aevum sit idem quod aeternitas. Sicut enim dicitur in libro de causis, intelligentia parificatur aeternitati. Non autem nisi sicut mensuratum mensurae. Cum ergo mensura angelicae durationis ponatur aevum; videtur quod sit idem aeternitati.

1. Il semble que l’ævum soit la même chose que l’éternité. En effet, comme on le dit dans le livre Sur les causes, l’intelligence est égale à l’éternité, mais seulement comme ce qui est mesuré à la mesure. Puisqu’on affirme que la mesure de la durée angélique est l’ævum, il semble donc qu’il soit la même chose que l’éternité.

 

[3602] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut se habent mensurata, ita et mensurae. Sed Angelus non est causa temporalium rerum. Ergo nec mensura durationis ejus causa erit temporis, sed tantum mensura durationis creationis, quae est aeternitas. Sed aevum est causa temporis, sicut dicit Boetius de Consolat.: qui tempus ab aevo ire jubes. Ergo aevum est aeternitas.

2. Ce qui est mesuré est proportionnel aux mesures. Or, l’ange n’est pas la cause des réalités temporelles. La mesure de sa durée ne sera donc pas non plus la cause du temps, mais seulement la mesure de la durée de la création, qui est l’éternité. Or, l’ævum est la cause du temps, comme le dit Boèce, dans Sur la consolation : « Toi qui ordonnes que le temps vienne de l’ævum… » L’ævum est donc l’éternité.

 

[3603] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut se habent mobilia ad invicem in successione, ita se habent immobilia ad invicem in immobilitate. Sed omnium mobilium est una mensura successiva, scilicet tempus. Ergo et omnium immobilium est mensura una, scilicet aeternitas.

3. Le rapport réciproque entre des réalités mobiles qui se succèdent est le même que le rapport réciproque entre des réalités immobiles dans l’immobilité. Or, il n’existe qu’une seule mesure successive de toutes les réalités mobiles : le temps. Il existe donc une seule mesure de toutes les réalités immobiles : l’éternité.

 

[3604] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 4 Sed contra, videtur quod aevum sit idem quod tempus. Quia, secundum Augustinum, Deus movet spiritualem creaturam per tempus. Sed talis creaturae mensura ponitur aevum. Ergo aevum et tempus idem sunt.

Cependant, [4] il semble que l’ævum soit la même chose que le temps, car, selon Augustin, Dieu meut la créature spirituelle dans le temps. Or, on affirme que la mesure d’une telle créature est l’ævum. L’ævum et le temps sont donc la même chose.

 

[3605] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnis mensura durationis creaturae est divisibilis. Sed partes durationis non sunt simul. Ergo cum aevum sit mensura durationis creaturae, videtur quod in eo sit successio. Sed haec est ratio temporis. Ergo videtur quod tempus et aevum sint idem.

[5] Toute mesure de la durée de la créature est divisible. Or, les parties de la durée ne sont pas simultanées. Puisque l’ævum est la mesure de la durée d’une créature, il semble donc qu’il y ait en lui succession. Or, telle est la notion de temps. Il semble donc que le temps et l’ævum soient la même chose.

 

[3606] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, nullum creatum est actu infinitum. Sed Angelus in infinitum durabit, quia nunquam corrumpetur. Ergo sua duratio non est tota simul; et sic idem quod prius.

[6] Aucune réalité créée n’est infinie en acte. Or, l’ange durera à l’infini, car il ne sera jamais corrompu. Sa durée n’est donc pas entièrement simultanée. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 

[3607] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, omne illud cujus duratio est tota simul, non differt in eo esse et fuisse. Sed illud quod fuit, non potest intelligi non fuisse. Ergo non potest intelligi Angelum non esse, nec Deus potest hoc facere: quod est falsum. Ergo duratio Angeli non est tota simul.

[7] Être et avoir été ne diffèrent pas chez tout ce dont la durée est entièrement simultanée. Or, on ne peut comprendre que n’ait pas été ce qui a été. On ne peut donc pas comprendre que l’ange ne soit pas, et Dieu ne peut pas faire cela, ce qui est faux. La durée de l’ange n’est donc pas entièrement simultanée.

 

[3608] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod aevum ponitur mensura media inter tempus et aeternitatem. De distinctione autem temporis ab aevo est triplex opinio. Quidam enim dicunt, quod idem est nunc aevi et temporis secundum essentiam, sed differunt secundum rationem: quia nunc temporis mensurat ipsum mobile inquantum est in motu; eo quod sicut se habet tempus ad motum, ita se habet nunc temporis ad mobile, ut dicitur in 4 Phys.: sed nunc aevi mensurat substantiam ipsius primi mobilis prout in se consideratur: et sic tempus et aevum differunt tantum ratione: tamen aevo mensuratur non tantum substantia caeli sed etiam Angeli. Sed hoc non potest stare: quia duratio respicit esse in actu; non est autem idem actus nec unius rationis esse caeli quod mensuratur aevo, et moveri ipsius quod mensuratur tempore: et ideo secundum rem tempus et aevum differunt, cum diversorum generum sint diversae mensurae, ut ex 10 Metaph. patet. Ideo alii hoc concedentes, dixerunt, quod aevum est mensura rei permanentis creatae, sed tempus est mensura rei motae; et tamen in aevo est prius et posterius sicut in tempore, sed differunt, quia in tempore est prius et posterius cum innovatione, in aevo autem est sine innovatione et inveteratione. Hoc autem nihil videtur dictu: quia ubicumque est prius et posterius, oportet intelligere partem priorem et posteriorem, et in nulla duratione partes priores et posteriores sunt simul; unde oportet quod quando est prius non sit posterius; et ideo oportet posterius de novo advenire, cum prius non fuerit. Exemplum etiam quod ponunt, falsum supponit: dicunt enim, quod sicut invenitur fluxus alicujus ab alio continuus cum innovatione, eo quod semper aliud et aliud est quod fluit, sicut in exitu rivi a fonte; ita etiam invenitur fluxus continuus sine innovatione, sicut exitus radii a sole, qui semper est idem. Sed hoc non est verum: quia in exitu radii a sole non attenditur prius et posterius per se: quia illuminatio non est motus et non est in tempore nisi per posterius, eo quod omne quod illuminatur, reducitur in quemdam motum sicut in causam, in quo est innovatio situs; sicut in motum corporis illuminantis, quod illuminat dum super terram movetur. Esse autem Angeli non reducitur in innovationem alicujus motus sicut in causam, nec in se innovatur, quia nihil fit quod prius non esset. Ergo impossibile est quod aliquo modo sit ibi prius et posterius. Et ideo dicendum, quod tempus est mensura habens prius et posterius, aevum autem non habens; oportet enim rationem mensurae ex mensurato accipere. Esse autem Angeli, quod aevo mensuratur, est indivisibile variatione carens, et ideo aevum prius et posterius non habet; sed motus qui tempore mensuratur, successione quadam perficitur; et ideo in tempore invenitur prius et posterius. Differt autem aevum ab aeternitate, sicut et esse Angeli ab esse divino, in duobus. Primo, quia esse divinum est per se stans, quia est id quod est; in Angelo autem est aliud esse et aliud quod est. Secundo, quia esse Angeli est ab alio, et non esse divinum; unde patet quod sicut esse Angeli est quaedam participatio divini esse, ita etiam aevum est quaedam participatio aeternitatis; et propter hoc doctores parum loquuntur de differentia aevi et aeternitatis; unde Dionysius indifferenter utroque utitur.

Réponse. L’ævum se présente comme une mesure intermédiaire entre le temps et l’éternité. Or, à propos de la distinction entre le temps et l’ævum, il existe trois opinions. En effet, certains disent que l’ævum et le temps sont par essence la même chose, mais qu’ils diffèrent selon la raison, car le présent du temps mesure ce qui est mobile en tant que cela est en mouvement, du fait que le rapport entre le temps et le mouvement est le même que le rapport entre le présent du temps et ce qui est mobile, comme il est dit dans Physique, IV. Mais le présent de l’aevum mesure la substance même du premier mobile considéré en lui-même. Le temps et l’ævum diffèrent ainsi seulement selon la raison ; cependant, non seulement la substance du ciel, mais aussi celle de l’ange est mesurée par l’ævum. Mais cela ne peut être soutenu, car la durée concerne l’être en acte. Or, l’être du ciel, qui est mesuré par l’ævum, n’est pas le même acte et n’a pas la même nature, que son mouvement qui est mesuré par le temps. Le temps et l’ævum diffèrent donc réellement, puisque les mesures différentes relèvent de genres différents, comme cela ressort de Métaphysique, X. C’est pourquoi, en concédant cela, d’autres ont dit que l’ævum est la mesure d’une réalité créée permanente, mais que le temps que la mesure d’une réalité qui est mue. Cependant, dans l’ævum, il existe un avant et un après, comme dans le temps, mais ils sont différents, car, dans le temps, existent un avant et après qui apportent du nouveau, mais, dans l’ævum, ils n’apportent ni nouveau ni déclin. Mais il semble que ce soit parler pour ne rien dire, car partout où existent l’avant et l’après, il faut comprendre qu’il existe une partie antérieure et une partie ultérieure, et que les parties antérieures et ultérieures n’existent simultanément dans aucune durée. Il faut donc que, lorsqu’il y a antérieur, il n’y ait pas d’ultérieur. Aussi faut-il que ce qui est ultérieur arrive comme quelque chose de nouveau, alors que cela n’existait pas antérieurement. L’exemple qu’ils donnent suppose aussi une fausseté. En effet, ils disent que, de même qu’on trouve un écoulement continu, comportant nouveauté, à partir d’autre chose, du fait que ce qui s’écoule est toujours quelque chose de différent, comme le ruisseau qui s’écoule d’une source, de même aussi trouve-t-on un écoulement sans nouveauté, comme le rayon venu du soleil, qui est toujours le même. Mais cela n’est pas vrai, car, dans le rayon venu du soleil, on ne s’arrête pas à quelque chose d’antérieur et d’ultérieur par soi, car l’illumination n’est pas un mouvement, et elle n’existe dans le temps que par après, du fait que tout ce qui est illuminé est ramené à un certain mouvement comme à sa cause, là où existe un changement de site, comme c’est le cas du mouvement d’un corps lumineux, qui éclaire lorsqu’il est mû sur la terre. Or, l’être de l’ange ne se ramène pas comme à sa cause à un nouveau mouvement et il n’est pas changé en lui-même, car rien ne devient qui n’ait d’abord été. Il est donc impossible qu’il existe là en quelque manière un avant et un après. C’est pourquoi il faut dire que le temps est une mesure qui comporte un avant et un après, mais que l’ævum n’en comporte pas. En effet, il faut tirer de ce qui est mesuré la nature de la mesure. Or, l’être de l’ange, qui est mesuré par l’ævum, est indivisible puisque le changement lui fait défaut. C’est pourquoi l’ævum ne comporte pas d’avant ni d’après. Mais le mouvement, qui est mesuré par le temps, se réalise par une certaine succession : c’est pourquoi on trouve un avant et un après dans le temps. L’ævum diffère toutefois de l’éternité, comme l’être de l’ange diffère de l’être divin, sur deux points. Premièrement, parce que l’être divin se tient par lui-même, car il est ce qui est ; mais, chez l’ange, autre est l’être est autre ce qu’il est. Deuxièmement, parce que l’être de l’ange vient d’un autre, mais non l’être de Dieu. Il est donc clair que, de même que l’être de l’ange est une certaine participation à l’être divin, de même aussi l’ævum est une participation à l’éternité. Pour cette raison, les docteurs parlent peu de la différence entre l’ævum et l’éternité. C’est aussi la raison pour laquelle Denys parle indifféremment des deux.

 

[3609] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum: quia aeternitas ibi sumitur pro aeternitate participata, quae est aevum; et Deus dicitur esse supra aeternitatem, sicut supra ens, et supra omne quod nominatur.

1. La réponse au premieer argument ressort ainsi clairement, car l’éternité est prise là pour l’éternité participée qu’est l’ævum. Et on dit que Dieu est supérieur à l’éternité, comme il est supérieur à ce qui est et supérieur à tout ce qui porte un nom.

 

[3610] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 2 Et similiter dicendum est ad secundum, quod aevum sumitur ibi pro aeternitate. Si tamen sumatur secundum quod differt ab aeternitate, sic dicitur tempus ab aevo fluere non effective, sed exemplariter: quia digniora in entibus sunt quodammodo exemplaria inferiorum, inquantum magis accedunt ad primum exemplar; et ita aevum est exemplar temporis, inquantum aeternitati similius est.

2. Il faut dire la même chose pour le deuxième argument : l’ævum y est pris pour l’éternité. Cependant, si on le prend selon qu’il diffère de l’éternité, on dit ainsi que le temps découle de l’avum, non par mode de cause efficientem, mais à la manière d’un modèle, car ce qui est plus digne parmi les les êtres est, d’une certaine manière, le modèle des réalités inférieures, pour autant que cela se rapproche davantage du premier modèle. Et ainsi, l’ævum est le modèle du temps, pour autant qu’il ressemble davantage à l’éternité.

 

[3611] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod motus univocatur ad minus in intentione generis; et ideo omnibus motibus ordinatis ad invicem, potest una mensura respondere. Sed nullum esse creatum univocatur cum esse increato; et ideo oportet ponere duas mensuras.

3. Le mouvement est univoque, du moins selon l’intention du genre ; c’est pourquoi une seule mesure peut correspondre à tous les mouvements ordonnés. Mais aucun être créé n’est univoque en regard de l’être incréé. C’est pourquoi il faut reconnaître deux mesures.

 

[3612] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angelus potest considerari dupliciter. Vel quantum ad suum esse quod est sine vicissitudine, et sic mensuratur aevo; vel quantum ad operationem, et sic etiam quantum ad aliquam operationem aevo mensuratur, prout scilicet intuetur res in verbo, quia sic in ejus operatione non est vicissitudo aliqua: sed secundum aliam operationem, in qua est vicissitudo, mensuratur tempore, secundum scilicet quod intuetur res per plures species quae sunt apud ipsum. Hoc autem tempus est aliud a tempore quod mensurat motum primi mobilis, eo quod ista vicissitudo non ordinatur ad illam, nec istud tempus est continuum, sed numerus discretus vicissitudinis non continuae: continuitas enim accidit tempori ex parte motus numerati, et non secundum formam suam qua numerus est, ut dicit Commentator, in 4 Physic.

4. L’ange peut être envisagé de deux manières : soit quant à son être, qui est sans changement, et ainsi il est mesuré par l’ævum ; soit quant à son opération, et ainsi il est encore mesuré par l’ævum pour une certaine opération : celle par laquelle il regarde les choses dans le Verbe, car il n’y a ainsi aucun changement dans son opération ; mais, selon une autre opération, où laquelle existe un changement, il est mesuré par le temps : celle par laquelle il regarde les choses au moyen de plusieurs espèces qui se trouvent chez lui. Mais ce temps est différent du temps qui mesure le mouvement du premier mobile du fait que ce changement n’est pas ordonné à cette [opération] et que ce temps n’est pas continu, mais qu’il est un nombre divisé d’un changement non continu. En effet, la continuité affecte le temps du point de vue de ce qui est sujet au nombre, et non du point de vue de la forme selon laquelle le nombre existe, comme le dit le Commentateur, dans Physique, IV.

 

[3613] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod omnis divisio durationis accidit ex motu per quem fit successio prioris et posterioris, et ideo tempus est mensura per modum numeri. Sed aevum et aeternitas mensurant actum, in quo non accidit renovatio per motum; et ideo sunt indivisibiles mensurae per modum unitatis; sicut enim tempus est numerus prioris et posterioris in motu, ita etiam et aevum est unitas permanentiae actus qui est esse vel operatio creati, et similiter aeternitas increati.

5. Toute division de la durée vient du mouvement par lequel se réalise une succession de ce qui est antérieur et ultérieur ; c’est pourquoi le temps est une mesure par mode de nombre. Mais l’aevum et l’éternité mesurent un acte dans lequel ne se produit pas de changement par un mouvement. C’est pourquoi ils sont des mesures indivisibles par mode d’unité. En effet, de même que le temps est le nombre de ce qui est antérieur et postérieur dans un mouvement, de même aussi l’ævum est-il l’unité d’un acte permanent qui est l’acte d’être ou l’opération de ce qui est créé. De même en est-il aussi pour l’éternité de ce qui est incréé.

 

[3614] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod esse Angeli non est infinitum privative per modum quanti, quia indivisibile est, cujus infinitum non potest esse in actu; sed est infinitum negative, non simpliciter, sed respectu alicujus finis qui est terminus durationis quam non habet.

6. L’être de l’ange n’est pas infini de manière privative selon le nombre, car ce dont l’infini ne peut exister en acte est indivisible ; mais il est infini de manière négative, non pas simplement, mais par rapport à une fin qui est le terme d’une durée qu’il ne possède pas.

 

[3615] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod potest Deus facere Angelum non esse: quia sicut non potuit per se incipere, ita nec durare, nisi voluntate ejus: et similiter potest intelligi non esse, eo quod sua quidditas non est suum esse. Nec tamen potest facere ut simul sit et non sit: nec hoc potest intelligi; et sic non potest facere ipsum non fuisse, quia haec possibilitas diversificatur ab illa, ut in 1 Lib., distinct. 43, dictum est: et ideo objectio ista non est ad propositum.

7. Dieu peut faire que l’ange n’existe pas, car, de même que [l’ange] n’a pu commencer à exister par lui-même, de même ne peut-il durer que par la volonté [de Dieu]. On peut entendre de la même façon le fait qu’il n’existe pas, car sa quiddité n’est pas son être. [Dieu] ne peut cependant faire que [l’ange] existe et n’existe pas en même temps, pas davantage que cela ne peut se comprendre. De même ne peut-il pas faire qu’il n’ait pas existé, car cette possibilité est différente de celle-là, comme on l’a dit dans le livre I, d. 43. Cette objection porte donc à faux.

 

 

 

 

Articulus 2 : [3616] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 tit. Utrum aevum sit tantum unum

Article 2 – N’existe-t-il qu’un seul ævum ?

 

[3617] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod aevum non sit tantum unum. Sicut enim tempus est numerus motus, ita et aevum videtur esse unitas contracta vel determinata ad rem aliquam. Sed talis unitas multiplicatur ad multiplicationem eorum quibus convenit esse unum. Ergo non est tantum unum aevum.

1. Il semble qu’il n’existe pas un seul aevum. En effet, de même que le temps est le nombre du mouvement, de même aussi l’ævum semble-t-il être une unité ramenée ou déterminée à une chose. Or, une telle unité est multipliée par la multiplication de ce à quoi il convient d’être unique. Il n’existe donc pas un seul ævum.

 

[3618] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, corporalium et incorporalium, cum sint diversorum generum, non est mensura una. Sed aevo mensurantur quaedam corpora, sicut substantia caeli. Ergo videtur, cum etiam quaedam spiritualia mensurentur aevo, quod aevum non sit unum.

2. Il n’existe pas de mesure unique pour les réalités corporelles et les incorporelles, puisqu’elles appartiennent à des genres différents. Or, certains corps sont mesurés par l’ævum, comme la substance du ciel. Il semble donc que l’ævum ne soit pas unique, puisque certaines réalités spirituelles sont aussi mesurées par l’ævum.

 

[3619] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, omnium motuum quorum est tempus unum, est reductio in unum motum sicut in causam. Sed Angeli non reducuntur in unum Angelum sicut in causam. Ergo non mensurantur uno aevo.

3. Tous les mouvements dont le temps est unique se ramènent à un seul mouvement comme à leur cause. Or, les anges ne se ramènent pas à un seul ange comme à leur cause. Ils ne sont donc pas mesurés par l’ævum.

 

[3620] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, quocumque Angelo remoto, nihilominus remanebit esse aliorum Angelorum aevo mensuratum. Sed quaecumque ita se habent quod remoto uno remanet alterum, non dependent ad invicem. Ergo videtur quod aevum unius Angeli non dependet ad aevum alterius, et sic non est omnium unum aevum.

4. Quel que soit l’ange qu’on enlève, l’acte d’être des autres anges demeurera néanmoins mesuré par l’ævum. Or, toutes les choses qui sont telles, une fois l’une enlevée, qu’une autre demeure ne dépendent pas l’une de l’autre. Il semble donc que l’ævum d’un ange ne dépende pas de l’ævum d’un autre, et ainsi il n’existe pas un seul ævum pour tous.

 

[3621] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, si mensuretur per unum aevum, hoc non est nisi per aevum quod est mensura esse primi Angeli. Sed, ut infra dicitur, Angelus qui corruit, inter omnes major fuit. Ergo videtur quod esse omnium bonorum Angelorum mensuretur ad aevum Daemonis, quod est absurdum. Ergo videtur quod non sit tantum unum aevum.

5. Si [l’ange] est mesuré par un seul ævum, ce n’est que par l’ævum qui est la mesure de l’acte d’être du premier ange. Or, comme on le dit plus loin, l’ange qui est tombé était le plus grand de tous. Il semble donc que l’être de tous les anges bons soit mesuré par l’ævum du Démon, ce qui est absurde. Il semble donc qu’il n’y ait pas un seul ævum.

 

[3622] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, medium habet naturam extremorum. Sed aevum medium est inter aeternitatem et tempus; aeternitas autem est una, et similiter tempus. Ergo aevum est unum.

Cependant, [1] ce qui est au milieu possède la nature des extrêmes. Or, l’ævum est intermédiaire entre l’éternité et le temps. Or, l’éternité est unique, et de même en est-il du temps. L’ævum est donc unique.

 

[3623] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc etiam videtur per hoc quod aevum est simplicius quam tempus, et ita magis unum.

[2] Il semble que si l’ævum est plus simple que le temps, il soit d’autant plus unique.

 

[3624] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ponendo unitatem aevi, oportet eam investigare ad similitudinem temporis: cujus causa tripliciter assignatur. Quidam enim dicunt, quod tempus est numerus motus; unde sicut idem est denarius quo numerantur decem canes et decem equi; ita est etiam idem tempus quo numerantur omnes motus. Sed hoc improbat Commentator in 4 Phys.: quia unitas numeri diversorum numeratorum non est nisi unitas numeri mathematice accepti. Tempus autem non est quid mathematicum, sed naturale. Praeterea omnia mathematica multiplicantur secundum esse quod habent in rebus, sicut non est eadem linea in cupro et ligno secundum esse; unde sequeretur quod tempus secundum esse numeraretur, et multiplicaretur ad numerum motuum; et ita sequeretur quod essent plura tempora simpliciter, sed unum tantum imaginarie. Alii dixerunt, quod quia tempus est mensura variationis, et omnis variatio est ex possibilitate materiae, et quia materia est una; ideo dicunt tempus unum ab unitate materiae. Sed hoc non videtur verum. Tempus enim non mensurat variationem in potentia, sed variationem in actu; actus autem variationis in materia non est unus, sed plures; sed tantum prima potentia ad variationem est una: quamvis etiam hoc non sit per se notum; immo forte falsum, quod omnium mobilium sit materia una. Et praeterea tempus de necessitate, cum sit numerus, respicit aliquam multitudinem numeratam. In materia autem prima secundum essentiam non est aliqua multitudo, sed solum secundum esse; et secundum hoc esse non est una in pluribus; unde nec tempus materiae secundum essentiam suam respondet, sed solum esse, secundum quod variatur per motum; unde ex unitate materiae nullo modo potest esse tempus unum. Et ideo dicendum cum Commentatore, in 4 Physic., quod tempus est unum ab unitate motus primi mobilis: tempus enim comparatur ad istum motum non tantum ut mensura ad mensuratum, sicut ad alios motus, sed sicut accidens ad subjectum, quod ponitur in definitione ejus; ex quo habet unitatem et multitudinem. Unde primo mensurat motum diurnum, et per illum mensurat omnes alios; sicut enim dicitur in 10 Metaph., unumquodque mensuratur per illud quod est primum et minimum sui generis. Et similiter dicendum est de aevo, quod est unum ab unitate esse simplicissimi aeviternorum, quod est primus Angelus: quia oportet unum esse simpliciorem altero, ut infra dicetur.

Réponse. En affirmant l’unité de l’ævum, il est nécessaire de l’examiner par ressemblance avec le temps. Une triple cause en est donnée. En effet, certains disent que le temps est le nombre du mouvement : de même que le nombre dix, selon lequel sont dénombrés dix chiens et dix chevaux, est le même, de même aussi, le temps selon lequel sont dénombrés tous les mouvements est-il le même. Or, le Commentateur rejette cela dans Physique, IV, car l’unité de nombre entre diverses choses dénombrées n’est que l’unité d’un nombre considéré de manière mathématique. Or, le temps n’est pas quelque chose de mathématique, mais de naturel. De plus, tout ce qui est mathématique se multiplie selon l’être qu’il possède dans les choses : ainsi, selon l’être, ce n’est pas la même ligne dans le cuivre et dans le bois. Il en découlerait donc que le temps serait dénombré selon l’être et serait multiplié selon le nombre des mouvements. Il en découlerait donc qu’il existerait simplement plusieurs temps, mais un seul selon l’imagination. D’autres ont dit que, parce que le temps est la mesure d’une variation, que toute variation vient de la puissance de la matière et que la matière est unique, le temps est unique en raison de l’unité de la matière. Mais cela ne semble pas vrai. En effet, le temps ne mesure pas une variation en puissance, mais une variation en acte. Or, l’acte qui varie dans la matière n’est pas unique, mais plusieurs. Cependant, seule la puissance première au changement est unique, bien que cela ne soit pas connu par soi, mais qu’il soit plutôt faux qu’il existe une seule matière pour tout ce qui est susceptible de mouvement. De plus, le temps, puisqu’il est dénombré, concerne nécessairement une multitude dénombrée. Or, dans la matière première, il n’existe pas de multiplicité par essence, mais seulement selon l’être, et, selon cet être, elle n’est pas unique en plusieurs. Aussi le temps ne correspond-il pas à la matière selon son essence, mais seulement selon son être, selon qu’il varie par le mouvement. Il ne peut donc aucunement exister de temps unique en raison de l’unité de la matière. C’est pourquoi il faut dire, avec le Commentateur, Physique, IV, que le temps est unique selon l’unité du mouvement du premier mobile. En effet, le temps se compare à ce mouvement, non seulement comme le fait la mesure à ce qui est mesuré, comme pour les autres mouvements, mais comme un accident le fait par rapport au sujet qui est placé dans sa définition et dont il tire son unité et sa multiplicité. En premier lieu, il mesure donc le mouvement diurne, et il mesure tous les autres par celui-ci ; ainsi, il est dit dans Métaphysique, X, que tout est mesuré par ce qui est premier et le plus petit dans son genre. De même faut-il dire de l’ævum qu’il est unique selon l’unité de l’être le plus simple parmi les réalités æviéternelles, qui est le premier ange, car il est nécessaire que l’un soit plus simple que l’autre, comme on le dira plus loin.

 

[3625] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mensura est duplex. Quaedam intrinseca, quae est in mensurato sicut accidens in subjecto; et haec multiplicatur ad multiplicationem mensurati; sicut plures lineae sunt quae mensurant longitudinem plurium corporum aequalium. Est etiam quaedam mensura extrinseca; et hanc non est necesse multiplicari ad multiplicationem mensuratorum, sed est in uno sicut in subjecto ad quod multa mensurantur, sicut multi panni mensurantur ad longitudinem unius ulnae: et hoc modo multi motus mensurantur ad numerum unius primi motus, qui numerus est tempus; et multa permanentia ad unitatem unius permanentis, quod est aevum.

1. La mesure est double. L’une est intrinsèque : elle est à, ce qui est mesuré, comme un accident par rapport à son sujet. Celle-ci se multiplie selon la multiplication de ce qui est mesuré : ainsi, il existe plusieurs lignes qui mesurent la longueur de plusieurs corps égaux. Il existe aussi une mesure extrinsèque : il n’est pas nécessaire que celle-ci se multiplie selon la multiplicité de ce qui est mesuré, mais elle se trouve dans une chose comme dans son sujet, par rapport auquel plusieurs choses sont mesurées ; ainsi, plusieurs pièces d’étoffe sont mesurées selon la longueur d’une aune. De cette manière, plusieurs mouvements snt mesurés selon le nombre du premier mouvement, nombre qui est le temps ; et plusieurs réalités permanentes le sont selon l’unité d’une seule réalité permanente, qui est l’ævum.

 

[3626] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod spiritualia et corporalia possunt in permanentia essendi assimilari, et secundum hoc unam mensuram habere, quamvis in aliis multum distent.

2. Les réalités spirituelles et les réalités corporelles peuvent être assimilées par leur permanence dans l’être et, sous cet aspect, avoir une seule mesure, bien qu’il y ait une grande distance entre elles sous d’autres aspects.

 

[3627] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis unus Angelus non sit causa alterius, est tamen simplicior altero: et hoc sufficit ad rationem mensurae.

3. Bien qu’un ange ne soit pas la cause d’un autre, il est cependant plus simple qu’un autre, et cela suffit à la notion de mesure.

 

[3628] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si non esset iste primus Angelus qui modo est, esset alius primus ad quem alii mensurarentur; sicut si non esset hoc primum mobile, esset aliud, cujus tempus esset mensura.

4. Si le premier ange qui existe maintenant n’existait pas, il y aurait un autre [ange] premier, par rapport auquel les autres se mesureraient, de même que, si n’existait pas ce premier mobile, il en existerait un autre, dont le temps serait la mesure.

 

[3629] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum aevum sit participatio aeternitatis, quanto aliquid magis est in participatione aeternitatis, per prius mensuratur aevo; et ideo cum Angelus beatus magis sit in participatione aeternitatis quam ille qui per peccatum corruit, non sequitur quod Angelus beatus mensuretur ad aevum Daemonis, sed e converso.

5. Puisque l’ævum est une participation à l’éternité, plus une chose se trouve participer à l’éternité, plus elle est mesurée par l’ævum. Puisque l’ange bienheureux participe davantage à l’éternité que celui qui est tombé par le péché, il ne découle donc pas que l’ange bienheureux se mesure selon l’ævum du Démon, mais c’est le contraire.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3630] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 tit. Utrum duratio Angeli inceperit ante mundum

Article 3 – La durée de l’ange a-t-elle commencé avant le monde ?

 

[3631] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod duratio Angeli ante mundum inceperit. Gregorius enim Nazianzenus dixit, quod Deus primo excogitavit angelicas substantias; et excogitatio ipsius, opus ejus est, ut dicit Damascenus. Ergo videtur quod ante alias creaturas Angelus factus sit.

1. Il semble que la durée de l’ange ait commencé avant le monde. En effet, Grégoire de Nazianze dit que Dieu a d’abord pensé aux substances angéliques et que « sa pensée est son action », comme le dit [Jean] Damascène. Il semble donc que l’ange ait été créé avant les autres créatures.

 

[3632] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, creatura corporalis non aequiparatur spirituali. Sed ideo dicitur Deum noluisse mundum ab aeterno facere, ne mundus sibi aequiparari videretur. Ergo videtur quod nec creaturam corporalem simul cum spirituali facere debuerit.

2. La créature corporelle n’est pas l’égale de la créature spirituelle. Or, on dit que Dieu n’a pas voulu créer le monde depuis l’éternité afin que le monde ne semble pas être son égal. Il semble donc qu’il ne devait pas non plus créer la créature corporelle en même temps que la créature spirituelle.

 

[3633] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, nullus potest habere cognitionem alicujus rei fiendae, nisi praeexistat aliquid ejus esse. Sed secundum Augustinum, Angelus in verbo accepit cognitionem creaturae per verbum fiendae, quae cognitio matutina dicitur. Ergo videtur quod Angelus ante alias creaturas factus sit.

3. Personne ne peut avoir la connaissance d’une chose qui doit être créée, à moins que ne préexiste quelque chose de son être. Or, selon Augustin, l’ange a reçu dans le Verbe la connaissance de la créature qui devait être créée par le Verbe, connaissance appelée [connaissance] du matin. Il semble donc que l’ange ait été créé avant les autres créatures.

 

[3634] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum aliquos, Angeli movent caelos. Sed motor praecedit mobile. Ergo videtur quod Angeli praecesserunt caelos, et alia corporea.

4. Selon certains, les anges meuvent les cieux. Or, le moteur précède ce qui est susceptible de mouvement. Il semble donc que les anges aient précédé les cieux et les autres corps.

 

[3635] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, quandocumque fuerunt Angeli, distiterunt ab invicem per essentiam. Sed distantia aliquorum non potest intelligi nisi loco existente; nec locus, nisi sit corpus. Ergo Angeli ante corporalia creati non sunt.

Cependant, [1] quel que que soit le moment où les anges ont existé, ils se distinguaient les uns des autres par leur essence. Or, la distance de certaines choses ne peut se comprendre que si un lieu existe, ni le lieu, que si un corps existe. Les anges n’ont donc pas été créés avant les réalités corporelles.

 

[3636] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, si Angelus ante corporalia creatus fuit, oportet quod nunc creationis Angeli sit prius quam nunc creationis mundi. Sed ubicumque est nunc prius et posterius, ibi est tempus. Ergo oportet quod ante mundum fuerit tempus; quod est impossibile, ut videtur, quia tunc esset et motus.

[2] Si l’ange a été créé avant les réalités corporelles, il est nécessaire que le moment de la création de l’ange soit antérieur au moment de la création du monde. Or, partout où existent un avant et un après, là existe le temps. Il est donc nécessaire que le temps ait existé avant le monde, ce qui est impossible, semble-t-il, car alors existerait aussi le mouvement.

 

[3637] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod creatio rerum dependet ex voluntate creatoris, qui tunc et non prius res creare voluit; quae quia nobis nota non est, initium creationis rerum ratione investigare non possumus, sed fide tenemus, prout nobis traditum est per eos quibus divinam voluntatem revelatam credimus. Sciendum est ergo, quod circa inceptionem rerum, sancti convenientes in eo quod fidei est, scilicet quod nihil est ab aeterno praeter Deum, varia, ad minus quantum ad verborum superficiem, dixisse inveniuntur in his quae de necessitate fidei non sunt, in quibus licuit eis diversimode opinari, sicut et nobis. Plures enim eorum qui Augustinum praecesserunt, ut Hieronymus, Hilarius, Gregorius Nazianzenus, videntur posuisse Angelos ante creaturam corporalem factos, et corporalem per spiritualem successive distinctam. Augustinus vero ponit corporalem simul et spiritualem creaturam factam, et corporalem simul secundum materiam et species, non tamen secundum individua, quae successione temporis generantur. Sequentes vero, ut Gregorius et Beda, concordant cum Augustino in coaevitate corporalis et spiritualis creaturae, et cum aliis in successione distinctionis corporum per species diversas: et ideo communiter tenetur quod Angelus non est factus ante corporalem creaturam: hoc enim probabilius videtur, tum ex parte divinae omnipotentiae, cujus non est successive operari, tum ad excludendum errorem, ne viderentur Angeli corporalium creatores esse. Tamen alteri sententiae praejudicandum non est, ut in littera dicitur: quia non est demonstratum, nec fide expressum.

Réponse. La création des choses dépend de la volonté du Créateur, qui a voulu que les choses soient créées alors, et pas avant. Pasrce que [cette volonté] ne nous est pas connue, nous ne pouvons pas scruter le commencement de la création des choses par la raison, mais nous le tenons par la foi, telle qu’elle nous a été transmise par ceux à qui nous croyons que la volonté divine a été révélée. Il faut donc savoir qu’à propos du commencement des choses, on trouve que les saints, qui se rejoignent sur ce qui relève de la foi ‑ à savoir que rien n’existe éternellement à part Dieu ‑, ont dit différentes choses, du moins pour ce qui est de la surface des mots, à propos de ce qui ne relève pas nécessairement de la foi, sur quoi il leur était permis, comme à nous, d’avoir des opinions différentes. En effet, plusieurs parmi ceux qui ont précédé Augustin, tels Jérôme, Hilaire, Grégoire de Nazianze, semblent avoir affirmé que les anges ont été créés avant la créature corporelle, et que la créature corporelle a été successivement différenciée par la créature spirituelle. Mais Augustin affirme que la créature corporelle a été créée en même temps que la créature spirituelle, et que la créature corporelle l’a été en même temps selon la matière et l’espèce, mais non pas selon les individus, qui sont engendrés selon la succession du temps. Ceux qui viennent par la suite, comme Grégoire et Bède, sont d’accord avec Augustin sur l’identité d’âge de la créature corporelle et de la créature spirituelle, et avec les autres sur la succession dans la distinction des corps selon les diverses espèces. Aussi tient-on généralement que l’ange n’a pas été créé avant la créature corporelle. En effet, cela semble plus probable, tant du côté de la toute-puissance divine, à qui il n’appartient pas d’agir successivement, que pour écarter l’erreur qu’il ne semble pas que les anges soient les créateurs des réalités corporelles. Toutefois, il ne faut pas écarter l’autre position sans examen, comme on le dit dans le texte, car cela n’a pas été démontré ni n’a été formulé par la foi.

 

[3638] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si diversorum dicta ad convenientiam reducere volumus, quod tamen necessarium non est, potest dici, quod auctoritates quae coaevitatem negare videntur, exponendae sunt secundum ordinem dignitatis, et non durationis.

1. Si nous voulons ramener à une position commune ce que disent différents [auteurs], ce qui n’est cependant pas nécessaire, on peut dire que les autorités qui semblent nier un même moment doivent être interprétées selon un ordre de dignité, et non de durée.

 

[3639] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est simile; quia Deus praecedit creaturam non solum dignitate, sed etiam causalitate, quam ostendit mundi inchoatio: quia, ut Rabbi Moyses dicit, facillima via ad ostendendum Deum esse, et ab ipso esse omnia, est ex suppositione novitatis mundi: et ideo statutum est in lege ut septimo die festum ducerent, in quo mundus consummatus est, ut per novitatem mundi semper in cognitione Dei permanerent. Sed spiritualis creatura excedit corporalem dignitate, non causalitate; quae ne credi causa ejus posset, congrue simul utraque facta est.

2. Ce n’est pas la même chose, car Dieu précède la créature non seulement en dignité, mais aussi par la causalité, que montre le commencement du monde, car, ainsi que le dit rabbi Moïse, « la voie la plus facile pour montrer que Dieu existe et que tout existe par lui est celle qui suppose un commencement du monde ». C’est pourquoi il a été déclaré dans la loi de fêter le septième jour, alors que le monde a été achevé, afin que, par le commencement du monde, on demeure toujours dans la connaissance de Dieu. Toutefois, la créature spirituelle dépasse la créature corporelle en dignité, mais non par la causalité : pour qu’on ne croie pas qu’elle est la cause de [la créature corporelle], il convenait que les deux aient été créées en même temps.

 

[3640] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de re jam facta potest accipi cognitio ejus ut fiendae, si consideretur in causis suis, ex quibus processit: et sic Angeli susceperunt cognitionem rerum fiendarum in verbo, quod est ars operativa rerum.

3. À partir d’une chose déjà créée, on peut la connaître comme devant être créée, si on la considère dans les causes dont elle est venue. Ainsi les anges ont-ils reçu la connaissance des choses qui devaient être créées dans le Verbe, l’art qui réalise les choses.

 

[3641] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod motor non necessario praecedit mobile duratione, sed dignitate, ut patet de anima et corpore.

4. Le moteur ne precede pas nécessairement le mobile dans la durée, mais en dignité, comme cela ressort clairement pour l’âme et le corps.

 

[3642] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 ad s. c. 1 Aliae rationes ad oppositum sunt etiam sophisticae: quia essentia Angeli non necessario indiget loco, nec eorum definitio est secundum ordinem vel distantiam localem, sed secundum principia essentialia.

[1]. Les autres arguments en sens contraire sont aussi des sophismes, car l’essence de l’ange n’a pas nécessairement besoin d’un lieu et leur définition ne tient pas à un ordre ou à une distance de lieu, mais aux principes essentiels.

 

[3643] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 ad s. c. 2 Similiter etiam alia objectio procedit de tempore imaginato: quia scilicet nunc imaginari ante mundum possumus, sicut etiam multas lineas extra caelum.

[2] De même, une autre objection vient d’un temps imaginé, car nous pouvons maintenant imaginer ce qui a précédé le monde, comme aussi plusieurs lignes en dehors du ciel.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le ciel empyrée]

 

Prooemium

Prologue

 

[3644] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 pr. Deinde quaeritur de caelo Empyreo, in quo Angeli facti dicuntur; de quo tria quaeruntur: 1 utrum sit corpus; 2 quale sit; 3 utrum influentiam habeat super alia corpora.

On s’interroge ensuite sur le ciel empyrée, dont on dit que les anges y ont été créés. Trois questions sont posées : 1. Est-il un corps ? 2. Qu’est-il ? 3. Exerce-t-il une influence sur les autres corps ?

 

 

 

 

Articulus 1 : [3645] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 tit. Utrum caelum Empyreum sit corpus

Article 1 – Le ciel empyrée est-il un corps ?

 

[3646] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non sit corpus. Omne enim corpus naturale est sensibile, et praecipue sensu visus. Sed caelum Empyreum non est visibile, sed intellectuale, ut in littera dicitur. Ergo non est corpus.

1. Il semble qu’il ne soit pas un corps. En effet, tout corps naturel est sensible, et surtout par le sens de la vue. Or, le ciel empyrée n’est pas doué de vue, mais d’intelligence, comme on le dit dans le texte. Il n’est donc pas un corps.

 

[3647] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, caelum Empyreum est locus contemplationis. Sed contemplationi non debetur locus corporalis, quae etiam existentes in corpore a corporibus abstrahit: quia, secundum Augustinum: quamdiu aliquid divinum mente percipimus, non in hoc mundo sumus. Ergo videtur quod caelum Empyreum non sit corpus.

2. Le ciel empyrée est le lieu de la contemplation. Or, un lieu corporel n’est pas nécessaire à la contemplation, qui arrache aux corps même ceux qui se trouvent dans un corps, car, selon Augustin, « aussi longtemps que nous percevons par l’esprit quelque chose de divin, nous ne sommes pas dans ce monde ». Il semble donc que le ciel empyrée ne soit pas un corps.

 

[3648] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, philosophus probat in 1 Cael. et Mund., quod extra primum mobile non est aliquod corpus, extra quod tamen quodammodo ponit vitam beatam, quam nos dicimus in caelo Empyreo esse. Ergo videtur quod non sit corpus.

3. Le Philosophe démontre, dans Sur le ciel et le monde, I, qu’il n’existe pas de corps en dehors du premier mobile, hors duquel il situe, d’une certaine manière, la vie bienheureuse, dont nous disons qu’elle existe dans le ciel empyrée. Il semble donc qu’il ne soit pas un corps.

 

[3649] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, corporum naturas perscrutati sunt philosophi, quibus etiam Deus sua invisibilia revelavit, secundum apostolum ad Rom. 1. Sed de caelo Empyreo nullam mentionem fecerunt. Ergo non est corpus.

4. Les philosophes ont fouillé les natures des corps, auxquels Dieu a aussi révélé ce qui est invisible en lui, selon l’Apôtre, Rm 1. Or, ils n’ont fait aucune mention du ciel empyrée. Il n’est donc pas un corps.

 

[3650] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, omne quod movetur in loco est in loco: quia motus localis est primus motuum, ut in 8 Physic. probatur. Ergo videtur quod primum mobile sit in loco. Sed locus est superficies corporis continentis. Ergo oportet quod habeat corpus continens quietum, et hoc dicimus caelum Empyreum.

Cependant, [1] tout ce qui est mû dans un lieu se trouve dans un lieu, car le mouvement local est le premier des mouvements, comme on le montre dans Physique, VIII. Il semble donc que le premier mobile soit dans un lieu. Or, le lieu est la surface d’un corps contenant. Il est donc nécessaire qu’il y ait un corps contenant au repos, et c’est ce que nous appelons le ciel empyrée.

 

[3651] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut dicitur in 2 Cael. et Mund., perfectius est quod acquirit bonitatem sine motu, quam quod per motum acquirit. Sed Dei perfecta sunt opera. Ergo oportet perfectissimum corpus esse immobile.

[2] Comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, II, ce qui acquiert une bonté sans mouvement est plus parfait que ce qui l’acquiert par le mouvement. Or, les œuvres de Dieu sont parfaites. Il est donc nécessaire que le corps le plus parfait soit immobile.

 

[3652] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, ante omne multiforme est aliquid uniforme, ut in 9 Metaph. probatur. Sed est aliquod caelum difforme, quod partim est diaphanum et partim lucidum actu, ut caelum stellatum. Ergo oportet aliquod esse tantum diaphanum et aliquod tantum lucidum; quod etiam concludi potest ex propositione qua utitur philosophus, quod si aliquid invenitur compositum ex duobus, quorum unum invenitur per se, oportet et reliquum per se inveniri. Sed diaphanum est sicut potentia respectu lucidi. Ergo oportet primum corpus esse totum lucidum actu; et hoc dicimus caelum Empyreum.

[3] Avant d’être multiforme, une chose est uniforme, comme le montre Métaphysique, IX. Or, il existe un ciel à double forme, qui est en partie diaphane et en partie lumineux en acte, tel le ciel étoilé. Il est donc nécessaire qu’existe une chose seulement diaphane et une chose seulement lumineuse, ce qu’on peut aussi conclure de la proposition qu’utilise le Philosophe, que si on trouve une chose composée de deux éléments, dont l’un est par soi, il est nécessaire que l’autre existe par soi. Or, le diaphane est comme une puissance par rapport au lumineux. Il est donc nécessaire que le premier corps soit totalement lumineux en acte. C’est ce que nous appelons le ciel empyrée.

 

[3653] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod caelum Empyreum ratione investigari non potest: quia quidquid de caelis cognoscimus hoc est aut per visum aut per motum. Caelum autem Empyreum nec motui subjacet nec visui, ut in littera dicitur, unde nec naturali ratione sed per auctoritatem est habitum: et est corpus quod principaliter ordinatum est ut sit habitatio beatorum, et hoc magis propter homines quorum etiam corpora glorificabuntur, quibus locus debetur, quam propter Angelos qui loco non indigent; et quia illa gloria excedit investigationem humanam, ideo etiam et caelum Empyreum.

Réponse. Le ciel empyrée ne peut être scruté par la raison, car tout ce que nous connaissons du ciel, nous le connaissons soit par la vue, soit par le mouvement. Or, le ciel empyrée n’est soumis ni au mouvement ni à la vue, comme on le dit dans le texte ; aussi n’est-il pas atteint par la raison mais par l’autorité. C’est le corps qui a été principalement ordonné à être la demeure des bienheureux, et cela surtout en raison des hommes, dont même les corps qui doivent être dans un lieu seront glorifiés, plutôt qu’en raison des anges, qui n’ont pas besoin de lieu. Et parce que cette gloire dépasse les recherches des hommes, il en est de même pour le ciel empyrée.

 

[3654] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caelum Empyreum dicitur intellectuale, quia nostris visibus non subjacet, sed intellectu tantum capitur, non quod in se non sit visibile.

1. On dit que le ciel empyrée est intellectuel parce qu’il n’est pas soumis à nos regards, mais qu’il est saisi seulement par l’intelligence, et non pas parce qu’il n’est pas visible par lui-même.

 

[3655] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caelum Empyreum dicitur locus contemplationis, non quantum ad necessitatem, sed quantum ad congruitatem, sicut etiam Ecclesia dicitur locus orationis.

2. On dit que le ciel empyrée est le lieu de la contemplation, non pas de manière nécessaire, mais en raison d’une convenance, comme l’église est appelée le lieu de la prière.

 

[3656] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod probationes philosophi hoc demonstrant, quod extra totum universum non sit aliquod corpus, non quod extra hoc caelum non sit aliud caelum: quia in numero sphaerarum etiam philosophi dissentire inveniuntur.

3. Les preuves des philosophes démontrent qu’en dehors de l’univers tout entier, il n’existe aucun corps, et non qu’en dehors de ce ciel, il n’existe pas d’autre ciel, car on trouve que les philosophes sont aussi en désaccord sur le nombre des sphères.

 

[3657] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio jam dicta est, quare philosophi hoc caelum non cognoverunt: quia nec motui nec visui subjacet: et tamen multa quae de istis dixerunt, non demonstrative, sed probabiliter cognoverunt; unde ipsemet philosophus testatur topica solutione se solvere quaestiones difficiles.

4. C’est pour la raison déjà donnée que les philosophes n’ont pas connu ce ciel, car il n’est soumis ni au mouvement ni à la vue. Cependant, ils ont dit beaucoup de choses à ce propos, non pas de manière démonstrative, mais de manière probable. Aussi le Philosophe lui-même atteste-t-il que la solution qu’il donne à ces questions difficiles est une solution topique.

 

[3658] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 ad s. c. Aliae etiam rationes non sunt cogentes: quia ultimum caelum quod movetur, non est in loco per se sed per accidens, ut dicit philosophus: ubi Commentator etiam diversas sententias philosophorum de hoc posuit: nec etiam oportet quod id quod sine motu bonitatem divinam participat sit corpus: nec iterum oportet quod multiforme reducatur ad uniforme corporeum.

[1]-[3] Les autres arguments non plus ne sont pas contraignants, car le ciel ultime qui est mû n’est pas dans un lieu par soi mais par accident, comme le dit le Philosophe, là où le Commentateur présente aussi diverses opinions des philosophes à ce sujet. Il n’est pas non plus nécessaire que ce qui participe à la bonté divine sans mouvement soit un corps ; il n’est pas non plus nécessaire que ce qui est [corporellement] multiforme soit ramené à ce qui est une chose corporellement uniforme.

 

 

 

 

Articulus 2 [3659] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 tit. Utrum caelum Empyreum sit lucidum
 

Article 2 – Le ciel empyrée est-il lumineux ?

 

[3660] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod caelum Empyreum non sit lucidum. Quia secundum Avicennam, causa luciditatis est congregatio partium diaphani, ut patet in chrystallo, et hoc dicit Commentator in Lib. de substantia orbis. Sed caelum Empyreum est subtilissimum, cum sit nobilissimum corporum, et maxime formale. Ergo caelum Empyreum non est lucidum.

1. Il semble que le ciel empyrée soit lumineux, car, selon Avicenne, la cause de la luminosité est le rassemblement des parties du diaphane, comme cela ressort pour le cristal ; et c’est ce que dit le Commentateur de la substance de la sphère. Or, le ciel empyrée est le plus subtil, puisqu’il est le plus noble des corps et qu’il a le plus caractère de forme. Le ciel empyrée n’est donc pas lumineux.

 

[3661] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, caelum Empyreum est majus quantitate et virtute quam sol. Sed sol quando directe nobis opponitur, facit nobis diem, et a nobis videtur. Ergo cum caelum Empyreum semper nobis opponatur directe, videtur quod si esset lucidum, semper nobis esset dies, et semper videremus ipsum, quod falsum est.

2. Le ciel empyrée est plus grand que le soleil en quantité et en puissance. Or, lorsque le soleil nous fait directement face, il nous donne le jour et nous le voyons. Puisque le ciel empyrée nous fait toujours face directement, il semble donc que, s’il était lumineux, ce serait toujours le jour pour nous et que nous le verrions toujoours, ce qui est faux.

 

[3662] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, videtur quod non sit immobile. Omne enim quantum habet partes distantes. Sed quod habet partes distantes, ubi est una pars ejus potest esse etiam alia: ita et singulae partes ejus possunt esse ubi non sunt: et quod est hujusmodi, est mobile secundum locum. Cum ergo caelum Empyreum sit quantum, quia est corpus, videtur quod sit mobile.

3. Il semble que [le ciel empyrée] ne soit pas immobile. En effet, ce qui est quantifié possède des parties éloignées. Or, ce qui possède des parties éloignées, pourrait avoir une partie différente là où existe une partie ; ainsi, chacune de ses parties pourrait se trouver là ou elle n’est pas, et ce qui est de cette sorte est mobile selon le lieu. Puisque le ciel empyrée est quantifié, étant un corps, il semble donc qu’il soit mobile.

 

[3663] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne corpus naturale est mobile: tum quia natura est principium motus: tum quia corpus materiale est corpus in materia; et materia et motus se consequuntur. Sed caelum Empyreum est corpus naturale; alias esset mathematicum et imaginabile. Ergo caelum Empyreum est mobile.

4. Tout corps naturel est mobile, tant parce que la nature est le principe du mouvement, que parce qu’un corps matériel est un corps dans la matière, et que la matière et le mouvement découlent l’un de l’autre. Or, le ciel empyrée est un corps naturel, autrement il serait mathématique et imaginaire. Le ciel empyrée est donc mobile.

 

[3664] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 5 Item, videtur quod sit divisibile per densitatem et raritatem. Vox enim non potest formari nisi in tali corpore quod per modum istum dividitur, sicut in aere. Sed in caelo Empyreo formabitur vox, quia erit ibi laus vocalis, ut a multis dicitur. Ergo videtur quod sit divisibile.

5. Il semble qu’il soit divisible selon la densité et la rareté. En effet, la voix ne peut prendre forme que dans un corps qui est divisé de cette manière, comme dans l’air. Or, dans le ciel empyrée, la voix prendra forme, car il y aura là une louange vocale, comme plusieurs le disent. Il semble donc qu’il soit divisible.

 

[3665] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, omne corpus per quod est motus, est divisibile per rarefactionem et condensationem, nisi ponatur duo corpora esse in eodem loco. Sed corpora gloriosa in caelo Empyreo movebuntur, ut dicitur Sap. 3, 7: fulgebunt justi et tamquam scintillae in arundineto discurrent. Ergo est divisibile: et ex hoc ulterius potest concludi, quod sit generabile et corruptibile: quia densitas et raritas sunt quaedam principia generationis et corruptionis.

6. Tout corps par lequel existe un mouvement est divisible selon la raréfaction et la condensation, à moins qu’on affirme que deux corps se trouvent dans le même lieu. Or, les corps glorieux se déplaceront dans le ciel empyrée, comme Sg 3, 7 le dit : Les justes brilleront et courront comme des étincelles dans les roseaux. Il est donc divisible et, à partir de cela, on peut conclure qu’il peut être engendré et corrompu, car la densité et la rareté sont des principes de génération et de corruption.

 

[3666] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, in littera dicitur, quod dicitur Empyreum non ab ardore, sed a splendore: dicitur etiam, quod a volubilitate mundi secretum est: dicitur etiam, quod non habet ardorem, et per consequens nec aliquam qualitatem activam nec passivam. Ergo est incorruptibile, immobile, et lucidum.

Cependant, [1] on dit dans le texte qu’on parle d’empyrée, non pas en raison de l’ardeur, mais de la splendeur ; on dit aussi qu’il est exempt du mouvement giratoire du monde ; on dit encore qu’il ne brûle pas et que, par conséquent, il n’a pas de qualité active ni passive. Il est donc incorruptible, immobile et lumineux.

 

[3667] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum omnes res determinentur a fine, oportet conditiones caeli Empyrei accipere secundum quod convenit statui bonorum, propter quod factum est; et quia illi sunt in plena participatione aeternae lucis et quietis et aeternitatis, ideo decet caelum Empyreum lucidum, immobile et incorruptibile esse.

Réponse. Puisque toutes les choses sont déterminées par leur fin, il est nécessaire de concevoir les conditions du ciel empyrée selon ce qui convient à l’état des bons, pour lequel il a été créé. Et parce que ceux-ci participent pleinement à la lumière éternelle, au repos et à l’éternité, il convient donc que le ciel empyrée soit lumineux, immobile et incorruptible.

 

[3668] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa ratio procedit de eo quod est hoc modo lucidum, quia radios emittit sensui nostro visibiles: propter quod etiam ignis in propria sphaera non lucet. Sic autem non dicimus lucidum caelum Empyreum, sed quia in natura sua lucem habet, eo quod maxime formale est.

1. Cet argument vient de ce qui est lumineux, parce que cela émet des rayons visibles par notre sens ; pour cette raison aussi, le feu ne brille pas dans sa propre sphère. Nous ne disons donc pas que le ciel empyrée est lumineux de cette manière, mais qu’il possède par sa nature la lumière, du fait qu’il possède au plus haut point le caractère de forme.

 

[3669] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet responsio ad secundum.

2. La réponse au deuxième argument ressort ainsi clairement.

 

[3670] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quanto, prout quantum est, non debetur proprie locus, nec per consequens potentia ad ubi; sed prout habet determinatam naturam: unde dicitur in 1 de Gener., quod mathematicis similitudinarie dandus est tactus et motus.

3. À proprement parler, un lieu n’est pas nécessaire à la quantité en tant que quantité, ni par conséquent en tant que puissance par rapport au lieu, mais pour autant qu’il a une nature déterminée. Aussi est-il dit, dans Sur la génération, I, qu’il faut reconnaître par mode de ressemblance le toucher et le mouvement aux réalités mathématiques.

 

[3671] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod naturale potest dupliciter sumi. Uno modo prout dividitur contra ens in anima; et sic dicitur naturale omne illud quod habet esse fixum in natura; et sic caelum Empyreum et Angeli dicuntur naturalia. Alio modo dicitur naturale, secundum quod dividitur contra ens divinum, quod abstrahitur a materia et motu: et sic naturale dicitur illud solum quod movetur, et est ordinatum ad generationem et corruptionem in rebus: et hoc modo caelum Empyreum non est ens naturale, sed divinum, quod ordinatum est ad gloriam bonorum; nec materiam habet determinatam ad motum, sed ad finem suum: quia et mathematici non abstrahunt ab omni materia, sed a sensibili tantum, ut in 8 Metaph. dicitur. Unde non oportet, ubicumque est materia, quod sit motus; sed verum est quod in mobilibus et immobilibus est materia aequivoce.

4. On peut entendre « naturel » de deux manières. D’une manière, en tant qu’il se distingue de ce qui existe dans l’âme : on parle ainsi de « naturel » pour ce qui a un être fixe dans la nature. On dit donc que le ciel empyrée et les anges sont « naturels » de cette manière. D’une autre manière, on parle de « naturel » selon que celui-ci se distingue de l’être divin, qui est exempt de matière et de mouvement. On appelle ainsi « naturel » seulement ce qui est mû et est ordonné à la génération et à la corruption dans les choses. De cette manière, le ciel empyrée n’est pas un être naturel, mais divin, qui a été ordonné à la gloire des bons ; il n’a pas non plus de matière déterminée au mouvement, mais à sa fin, car les mathématiciens n’abstraient pas de toute matière, mais de la [matière] sensible seulement, comme on le dit dans Métaphysique, VIII. Il n’est donc pas nécessaire que, partout où il y a matière, existe le mouvement ; mais il est vrai que la matière existe de manière équivoque dans ce qui est mobile et dans ce qui est immobile.

 

[3672] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caelum Empyreum est locus Angelorum, animarum, et hominum. Angelorum autem et animarum exutarum constat quod non erit in caelo Empyreo laus vocalis; sed utrum hominum post resurrectionem futura sit ibi laus vocalis, dubitatio est; quibusdam dicentibus non futuram ibi esse laudem vocalem, sed solum mentalem, quae dignior est; quia nec erit ibi respiratio; sed solum in respirantibus est vox, ut in 2 de anima dicitur. Alii vero dicunt, futuram etiam ibi laudem vocalem, non propter aliquam indigentiam, sed ut nihil in sanctis vacet a divina laude, neque mens, neque lingua. Quomodo autem esse possit, ita dicunt, quod scilicet in pulmone et instrumentis vocalibus est aer, et per illum aerem poterunt voces formare, sicut et animalia quae habent spiritum complantatum, ut dicitur in Lib. de Somn. et Vigil. Et hoc quantum ad aliquid videtur esse conveniens, quia ad formationem vocis non est necessaria expulsio vel attractio aeris: unde respirando non potest animal vocem formare, ut dicitur in 2 de anima. Sed quo ad aliquid videtur insufficiens: quia ad vocem non tantum exigitur aer interior, sed etiam exterior, cujus confractione et motu sonus deferatur. Unde plus addendum est, ut dicamus, quod quaedam sensibilia deferuntur ad sensum secundum esse spirituale tantum, sicut species colorum; quaedam quae contingunt organum secundum esse suum materiale, sicut in gustu et tactu; quaedam vero deferuntur utroque modo, sicut species odorum cum permixtione fumalis evaporationis; tamen species extenditur ultra fumalem evaporationem. Et similiter est de sono et motu, ibi tamen species soni defertur secundum esse spirituale tantum: unde non oportebit esse motum in medio, aut confractionem, aut condensationem. Vel potest dici, quod etiam erit confractio caeli Empyrei: nec hoc erit ei ignobilitas, quia erit instrumentum motum a lingua glorificata, et materia vocis prolatae in laudem divinam; nec propter hoc sequitur quod sit generabile et corruptibile: quia raritas et densitas sunt aequivoce dicta in isto corpore et in aliis corporibus; sicut etiam ponunt astrologi inter duas sphaeras, quae non possunt scindi, esse aliquod spatium repletum corpore divisibili, cum in isto spatio sit motus planetarum, secundum motum epicycli.

5. Le ciel empyrée est le lieu des anges, des âmes et des hommes. Mais il est clair que, de la part des anges et des âmes sorties [de leurs corps], il n’y aura pas de louange vocale dans le ciel empyrée. Toutefois, il existe un doute à savoir s’il y aura une louange vocale de la part des hommes après la résurrection à venir. Certains disent qu’il n’y aura pas de louange vocale, mais seulement mentale, qui est plus digne, car il n’y aura pas non plus de respiration, alors que la voix n’existe que chez ceux qui respirent, comme on le dit dans Sur l’âme, II. Mais d’autres disent qu’il y aura aussi une louange vocale, non pas en raison d’une carence, mais afin que rien chez les saints ne fasse défaut à la louange divine, ni l’esprit, ni la langue. Mais, comment cela est possible, ils disent qu’il y a de l’air dans les poumons et dans les instruments vocaux, et que, par cet air, ils pourront former des paroles, comme aussi les animaux à qui un souffle a été donné, ainsi qu’il est dit dans le Livre sur le sommeil et la veille. Sous un aspect, il semble que cela soit approprié, car, pour la formation de la parole, l’expulsion et l’attraction d’air n’est pas nécessaire ; aussi un animal ne peut-il pas former un son en respirant, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Mais, d’un autre point de vue, cela semble insuffisant, car, pour un son, n’est pas requis seulement l’air intérieur, mais aussi l’air extérieur, par la contraction [corr. confractione/contractione] et le mouvement duquel le son est porté. Aussi faut-il dire en plus que certaines choses sensibles sont portées jusqu’au sens selon une existence spirituelle seulement, comme les espèces des couleurs ; mais certaines touchent l’organe selon leur existence matérielle, comme pour le goût et le toucher ; et certaines sont portées des deux manières, comme les espèces des odeurs comportant un mélange de fumée ; toutefois, l’espèce va au-delà de l’évaporation de la fumée. De même en est-il du son et du mouvement, mais [dans le ciel empyrée], l’espèce du son est portée selon son être spirituel seulement. Aussi ne sera-t-il pas nécessaire qu’un mouvement existe, soit une contraction [corr. confractionem/contractionem], soit une condensation. Mais on peut dire qu’il existera aussi une contraction [corr. confractio/contractio] du ciel empyrée. Et cela ne sera pas pour lui un déshonneur, car ce sera un instrument mû par une langue glorifiée, et la matière d’une voix portée vers la louange divine. Il n’en découle pas pour autant qu’il soit susceptible d’être engendré et corrompu, car on parle de rareté et de densité de manière équivoque pour ce corps et pour les autres corps, comme aussi les astrologues affirment qu’il existe entre deux sphères un espace comblé par un corps divisible, puisque le mouvement des planètes existe dans cet espace selon un mouvement d’épicycle.

 

[3673] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 ad 6 Et per hoc patet responsio ad ultimum. Item per miraculum fieri potest quod duo corpora sint in uno loco, quod oportet esse ad minus, dum corpus gloriosum supra caelum Empyreum transfertur mediante caelesti corpore, quod non scinditur. Quid autem de his verum sit, incertum est, quia nec fide determinatur, nec ratione probatur.

6. La réponse au dernier argument est ainsi claire. De plus, par un miracle, il peut arriver que deux corps se trouvent dans un seul lieu, ce qui doit au moins se produire lorsque le corps glorieux est porté au-dessus du ciel empyrée en traversant le corps céleste, qui n’est pas déchiré. Ce qui est vrai en ces matières est incertain, car cela n’est pas déterminé par la foi ni démontré par la raison.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3674] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 tit. Utrum caelum Empyreum habeat influentiam super alia corpora
 

Article 3 – Le ciel empyrée exerce-t-il une influence sur les autres corps ?

 

[3675] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod caelum Empyreum influentiam habeat supra alia corpora. Ita enim est in aliis elementis, quod semper continens est salvans contentum, quamvis sit contrarium sibi, eo quod est locus ejus, et habet se ad ipsum sicut actus ad potentiam, et sicut totum ad partem divisam, ut dicitur in 4 Phys. Sed caelum Empyreum continet alios caelos. Ergo multo fortius, cum non contrarietur eis, videtur quod influat in eos continendo et salvando eos.

1. Il semble que le ciel empyrée exerce une influence sur les autres corps. En effet, dans les autres éléments, il arrive que ce qui contient sauvegarde toujours le contenu, bien qu’il lui soit contraire du fait que c’est son lieu et qu’il se comporte comme l’acte par rapport à la puissance, et comme un tout par rapport à la partie divise, ainsi qu’on le dit dans Physique, IV. Or, le ciel empyrée contient les autres cieux. À bien plus forte raison, puisqu’il ne leur est pas contraire, il semble donc qu’il influe sur eux en les contenant et les sauvegardant.

 

[3676] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, secundum Avicennam et alios philosophos, sol habet effectum in istis inferioribus per lumen suum, quod irradiando emittit. Sed caelum Empyreum est totum lucidum. Ergo videtur quod influentiam habeat in inferiora corpora.

2. Selon Avicenne et d’autres philosophes, le soleil exerce une influence sur ces [corps] inférieurs par sa lumière, qu’il émet par irradiation. Or, le ciel empyrée est entièrement lumineux. Il semble donc qu’il exerce une influence sur les corps inférieurs.

 

[3677] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, in primo mobili est dextrum et sinistrum, et aliae positiones, ut in 2 Cael. et Mun. determinatur. Sed hoc non potest esse nisi per influentiam alicujus superioris. Cum ergo nullum corpus sit superius, nisi caelum Empyreum, videtur quod influentiam ejus habeat.

3. Chez le premier mobile, existent la droite et la gauche et les autres positions, comme cela est déterminé dans Sur le ciel et le monde, II. Or, cela ne peut exister que par l’influence de quelque chose de supérieur. Puisqu’aucun corps n’est supérieur au ciel empyrée, il semble donc qu’il en exerce l’influence

 

[3678] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, ad nobiliorem formam est nobilior dispositio. Sed ad formam animae vegetabilis disponit lux caeli siderei. Ergo cum anima sensibilis sit nobilior, videtur quod ad ipsam disponat lux caeli chrystallini; ulterius ad animam rationalem lux caeli Empyrei; et sic influentiam habet in inferiora.

4. Une disposition plus noble existe pour une forme plus noble. Or, la lumière du ciel sidéral dispose à la forme de l’âme végétative. Puisque l’âme sensible est plus noble, il semble donc que la lumière du ciel cristallin y dispose ; davantage, la lumière du ciel empyrée [dispose-t-elle] à l’âme raisonnable. Il exerce ainsi une influence sur les corps inférieurs.

 

[3679] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, status gloriae est alius a statu generationis et corruptionis, qui competit viae. Caelum autem Empyreum ordinatur ad statum gloriae. Ergo videtur non esse ejusdem ordinis cum aliis corporibus. Sed ea quae non sunt ejusdem ordinis non habent influentiam ad invicem. Ergo caelum Empyreum non influit in alia corpora.

Cependant, [1] l’état de la gloire est autre que l’état de la génération et de la corruption, qui convient alors qu’on est en route. Or, le ciel empyrée est ordonné à l’état de la gloire. Il semble donc qu’il ne soit pas du même ordre que les autres corps. Or, les choses qui ne sont pas du même ordre n’exercent pas d’influence les unes sur les autres. Le ciel empyrée n’influe donc pas sur les autres corps.

 

[3680] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Angeli sunt nobiliores caelo Empyreo. Sed Angeli non habent causalitatem super alias res. Ergo multo minus caelum Empyreum.

[2] Les anges sont plus nobes que le ciel empyrée. Or, les anges n’exercent pas de causalité sur les autres choses. Encore bien moins, le ciel empyrée.

 

[3681] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod caelum Empyreum nullam habet influentiam super alia corpora, quae rationabiliter poni possit. Non enim ponimus aliquod corpus habere influentiam super aliud, nisi per motum; quia, ut in Lib. de causis dicitur, etiam anima in hoc ab intelligentia deficit, quia non imprimit in res nisi movendo eas; et multo minus corpus. Nullum autem corpus movet nisi motum, ut a philosophis probatum est; caelum enim per motum suum causat generationem et corruptionem in istis inferioribus: unde dicitur in 8 Phys., quod motus ejus est sicut vita existentibus omnibus. Unde dicit Rabbi Moyses, quod caelum in universo est sicut cor in animali, cujus motus si ad horam quiesceret, corporis vita finiretur. Unde cum caelum Empyreum ponatur immobile, non potest rationabiliter poni influentiam super corpora habere. Constat enim quod non habet influentiam sine motu ad modum creantis. Nec tamen negatur quin Deus potentiam influendi sine motu ei conferre potuisset; sed quia hoc nec auctoritate confirmatur nec ratione, ideo positio eorum qui dicunt caelum Empyreum influentiam super alia corpora habere, eadem facilitate contemnitur qua tenetur; et praecipue cum in talibus non quaeratur quid Deus per miraculum possit facere, sed quid naturae rei conveniat, ut dicit Augustinus.

Réponse. Le ciel empyrée n’exerce aucune influence sur les autres corps, qui puisse être affirmée de manière raisonnable. En effet, nous n’affirmons pas qu’un corps exerce une influence sur un autre, sauf par le mouvement, car, on dit, dans le Livre sur les causes, que l’âme est moindre que l’intelligence parce qu’elle n’exerce d’action sur les choses qu’en les mouvant ; c’est encore bien moins le cas du corps. Or, aucun corps ne meut que ce qui est mû, comme les philosophes l’ont démontré. En effet, le ciel cause par son mouvement la génération et la corruption dans les [corps] inférieurs. Aussi est-il dit, Physique, VIII, que son mouvement est comme la vie pour tous les êtres. C’est pourquoi rabbi Moïse dit que le ciel est pour l’univers comme le cœur chez l’animal : si son mouvement cessait subitement, la vie du corps se terminerait. Puisqu’on affirme que le ciel empyrée est immobile, on ne peut donc raisonnablement affirmer qu’il a une influence sur les corps. En effet, il est clair qu’il n’a pas d’influence sans mouvement, à la manière de celui qui crée. On ne nie cependant pas que Dieu aurait pu lui conférer la puissance d’influer sans mouvement ; mais comme cela n’est confirmé ni par l’autorité ni par la raison, la position de ceux qui disent que le ciel empyrée exerce une influence sur les autres corps est méprisée avec la même facilité qu’elle est tenue, surtout qu’on ne cherche pas en de telles matières ce que Dieu peut faire, mais ce qui convient à la nature d’une chose, comme le dit Augustin.

 

[3682] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpus motum motu recto, generabile et corruptibile, indiget loco continente et conservante; et ista virtus locandi et conservandi attenditur in uno elementorum respectu alterius, cum virtute caeli influentis in elementa per motum. Corpus autem motum circulariter, incorruptibile, non indiget ad motum loco extrinsecus continente, nec etiam ad conservationem; et quod aliquod hujusmodi corpus habeat exterius continens, hoc est per accidens, ut in 4 Phys. Commentator dicit; unde non dependet ab eo nisi inquantum revolvitur revolutione ejus. In caelo autem Empyreo non ponitur aliqua revolutio: unde non remanet aliquis influendi modus.

1. Le corps mû selon un mouvement en ligne droite, susceptible de génération et de corruption, a besoin d’un lieu qui le conserve et le contienne : cette capacité de le situer dans un lieu et de le conserver vient du rapport entre un élément et les autres, combiné à la puissance du ciel qui influe sur les éléments par le mouvement. Mais un corps mû de manière circulaire, incorruptible, n’a pas besoin pour son mouvement d’un lieu qui le contienne de l’extérieur, ni qui le conserve. Qu’un corps de ce genre ait quelque chose qui le contienne de l’extérieur, cela est accidentel, comme le dit le Commentateur dans Physique, IV. Il ne dépend donc de lui que dans la mesure où il tourne selon sa révolution. Or, dans le ciel empyrée, il n’existe pas de révolution. Aussi ne reste-t-il aucun mode d’influence.

 

[3683] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod lux caeli Empyrei, ut dictum est, non est per modum fulgoris irradiantis in alia corpora, et ideo nec etiam illuminationem influit in alia corpora: cujus ratio est, quia cum sit virtuosissimum corporum, et maximum, sine lumine solis omnia illuminaret. Et praeterea lumen caeli non est causa effectiva in inferioribus, nisi supposito motu, qui a caelo Empyreo removetur.

2. Comme on l’a dit, la lumière du ciel empyrée n’est pas comme celle de l’éclair qui irradie les autres corps ; c’est pourquoi elle ne produit pas d’illumination des autres corps. La raison en est qu’étant le plus puissant et le plus grand des corps, il illuminerait tous [les corps] sans la lumière du soleil. De plus, la lumière du ciel n’est une cause efficiente s’exerçant sur les réalités inférieures qu’en supposant le mouvement, qui n’existe pas dans le ciel empyrée.

 

[3684] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dextrum et sinistrum sunt in caelo ex virtute motoris sui, quicumque sit iste, non ex influentia alicujus corporis, sicut et in animali est ex virtute animae.

3. La droite et la gauche existent dans le ciel en vertu de son moteur, quel qu’il soit, et non par l’influence d’un corps, comme [elles existent] chez l’animal en vertu de l’âme.

 

[3685] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nobilissima dispositio quae unquam potest esse in corpore ad formam, est infra nobilitatem caeli: unde eadem virtus caelestis est per quam corpus disponitur ad formam elementi et mixti, et animae vegetabilis, sensibilis, rationalis: nec oportet, si hoc caelum disponit ad animam vegetabilem, quod non possit disponere ad animam sensibilem, nisi probetur quod ex hoc esset ultimum virtutis ejus; quod falsum est. Unde patet quod ista positio fundatur super tria falsa. Primum est quod dispositio quae est in corpore humano ad animam, non possit esse ex virtute solis. Secundum est quod lux sit corpus materialiter veniens in compositionem animati. Tertium est quod sit per medium inter animam et corpus; quae sunt absurda apud omnes qui rationaliter locuti sunt; et ideo uno inconvenienti dato, alia contingunt; et hoc non est mirum.

4. La disposition la plus noble qui puisse exister dans un corps par rapport à une forme est inférieure à la noblesse du ciel. Aussi est-ce la même puissance céleste par laquelle un corps est disposé à la forme d’un élément ou d’un [corps] mixte et à l’âme végétative, sensible et raisonnable. Et il n’est pas nécessaire, si ce ciel dispose à l’âme végétative, qu’il ne puisse pas disposer à l’âme sensible, à moins qu’on ne prouve que, de ce fait, ce soit le point ultime de sa puissance, ce qui est faux. Aussi ressort-il clairement que cette position se fonde sur trois faussetés. La première est que la disposition qui existe dans le corps pour l’âme ne peut pas exister par la puissance du soleil. La deuxième est que la lumière est un corps matériel entrant dans la composition de ce qui est animé. La troisième est qu’elle existe par un intermédiaire entre l’âme et le corps. Tout cela est absurde pour tous ceux qui en ont parlé raisonnablement. C’est pourquoi, si l’on reconnaît qu’une de ces choses est inappropriée, les autres inconvénients surviennent, et cela n’est pas étonnant.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 2

 

[3686] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 expos. Quantas prius aeternitates (...) fuisse arbitrandum est? Videtur falsum dicere, quia aeternitas est tantum una. Praeterea. In quo differt saeculum, tempus, et aeternitas? Ad hoc dicendum, quod in Angelo est tria considerare: scilicet esse ejus, cujus mensura dicitur saeculum; quia, ut dicitur in primo Cael. et Mun., saeculum dicitur finis uniuscujusque. Secundo operationem ipsius, in qua res in propria natura cognoscitur per species innatas, in qua est vicissitudo et aliquis modus motus; et sic mensuratur tempore, quod tamen est aliud ab eo quod est numerus motus caeli. Tertio operationem qua verbum intuetur: et sic fit in participatione aeternitatis et beatitudinis; et secundum quod sunt multae beatitudines participatae, ita et aeternitates: quamvis beatitudo essentialiter sit tantum una. Sed ibi caelum vocat Dei celsitudinem. Hoc caelum non est corpus, quia caelum sanctae Trinitatis dicitur esse idem quod essentia majestatis ejus: in quo caelo nulla creatura potest esse, sicut nec aequari Deo; sed tantum tres coaeternae et coaequales in eo sunt personae.

 

 

 

 

 

Distinctio 3

Distinction 3 – [La condition des anges]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Les anges sont-ils composés de matière et de forme ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[3687] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 pr. Ostenso quando et ubi Angeli creati sunt, hic inquirit, quales effecti sunt; et dividitur in tres partes: in prima inquiritur quales effecti sunt quantum ad perfectionem naturae; in secunda quales quantum ad gratiam, vel culpam, ibi: illud quoque investigatione dignum videtur; in tertia quales quantum ad gloriam vel miseriam, 4 dist., ibi: post haec videndum est, utrum perfectos et beatos creavit Deus Angelos, an miseros et imperfectos. Prima in duas: in prima ostendit quot fuerunt naturales perfectiones Angelis in principio creationis collatae; secundo ostendit qualiter ad invicem secundum istas operationes comparentur, ibi: hic considerandum est. Et circa hoc duo facit: primo ostendit in quibus erant inaequales; secundo ostendit in quibus erant aequales, ibi: et sicut in praedictis Angeli differebant, ita et quaedam communia et aequalia habebant. Circa primum duo facit: primo ostendit eos fuisse inaequales in perfectionibus naturalibus; secundo ostendit quod secundum gradum naturalium, fuit etiam in eis gradus gratuitorum donorum, ibi: ad hunc ergo modum credendum est illas spirituales naturas, convenientes suae puritati et excellentiae (...) differentias accepisse. Hic quaeruntur sex: 1 utrum Angeli sint adeo simplices, quod non sint compositi ex materia et forma; 2 utrum sit in eis personalitas; 3 utrum sit in eis aliquis numerus, et quis est iste; 4 utrum omnes sint unius speciei; 5 si non, utrum sint unius generis; 6 de differentia Angeli et animae rationalis.

Après avoir montré quand et où les anges ont été créés, [le Maître] s’enquiert ici de la condition dans laquelle les anges ont été créés. Il y a trois parties : dans la première, il se demande dans quelle condition ils ont été créés pour ce qui est de la perfection de leur nature ; dans la deuxième, dans quelle condition pour ce qui est de la grâce ou de la faute, à cet endroit : « Ceci semble aussi digne d’être examiné… »; dans la troisième, dans quelle condition pour ce qui est la gloire ou de la misère, d. 4, à cet endroit : « Après cela, il faut voir si Dieu a créé les anges parfaits et bienheureux, ou bien misérables et imparfaits. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre quelles perfections naturelles ont été données aux anges au commencement de la création ; deuxièmement, il montre comment ils se comparent les uns aux autres selon ces opérations, à cet endroit : « Ici, il faut considérer… » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre en quoi ils étaient inégaux ; deuxièmement, il montre en quoi ils étaient égaux, à cet endroit : « De même que les anges étaient différents selon ce qui a été dit plus haut, de même possédaient-il certaines choses égales et communes. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’ils étaient inégaux pour les perfections naturelles ; deuxièmement, il montre que le degré des dons gratuits correspondait au degré de leurs [perfections] naturelles, à cet endroit : « De cette manière, il faut croire que ces natures spirituelles ont reçu des différences… conformes à leur pureté et à leur excellence. » Ici, six questions sont posées : 1. Les anges sont-ils simples au point de n’être pas composés de matière et de forme ? 2. Ont-ils une personnalité ? 3. Existe-t-il chez eux un nombre, et quel est-il ? 4. Tous appartiennent-ils à une seule espèce ? 5. Si tel n’est pas le cas, appartiennent-ils à un même genre ? 6. À propos de la différence entre l’ange et l’âme raisonnable.

 

 

 

 

Articulus 1 : [3688] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 tit. Utrum Angelus sit compositus ex materia et forma

Article 1 – L’ange est-il composé de matière et de forme ?

 

[3689] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angelus sit compositus ex materia et forma. Quidquid enim est in genere aliquo, participat rationem illius generis. Sed ratio substantiae, secundum quod est praedicamentum, est quod sit composita ex materia et forma. Boetius enim dicit in Comment. praedicamentorum quod Aristoteles, relictis extremis, scilicet materia et forma, agit de medio, idest de composito, cum de substantia determinat. Cum ergo Angelus sit in praedicamento substantiae, videtur quod ex materia et forma componatur.

1. Il semble que l’ange soit composé de matière et de forme. En effet, tout ce qui appartient à un genre participe à la raison de ce genre. Or, la raison de substance, selon qu’elle est un prédicament, est qu’elle soit composée de matière et de forme. En effet, Boèce dit, dans son commentaire sur les Prédicaments, qu’Aristote, délaissant les extrêmes, à savoir la matière et la forme, traite du milieu, c’est-à-dire du composé, lorsqu’il détermine de la substance. Puisque l’ange appartient au prédicament de la substance, il semble donc qu’il soit composé de matière et de forme.

 

[3690] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quaecumque sunt in aliquo genere uno, communicant uniformiter principia illius generis. Sed principia generis substantiae sunt materia et forma. Cum ergo corpora quae sunt in genere substantiae, communicent ista principia, ita quod ex eis componuntur, videtur quod etiam Angelus, qui est in eodem genere, ex materia et forma componatur.

2. Tout ce qui appartient à un seul genre a en commun de manière uniforme les principes de ce genre. Or, les principes du genre de la substance sont la matière et la forme. Puisque les corps qui font partie du genre de la substance ont en commun ces principes, de sorte qu’ils soient composés d’eux, il semble donc que l’ange lui-même, qui fait partie du même genre, soit composé de matière et de forme.

 

[3691] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, ubicumque inveniuntur proprietates materiae, invenitur materia; cum proprietates materiae rei non sint a re separatae. Sed recipere, substare, et hujusmodi, sunt proprietates materiae. Ergo cum inveniantur in Angelo, videtur quod Angelus sit ex materia compositus.

3. Partout où on trouve des propriétés de la matière, on trouve la matière, puisque les propriétés de la matière d’une chose ne sont pas séparées de la chose. Or, recevoir, être soumise et les choses de ce genre sont des propriétés de la matière. Puisqu’on les trouve chez l’ange, il semble donc que l’ange soit composé de matière.

 

[3692] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod est, vel est tantum actus, vel tantum potentia, vel utrumque. Sed Angelus non est actus purus, quia sic non differret a Deo: nec est potentia pura, quia sic non differret a materia prima: et praeterea nullam operationem haberet. Ergo est compositus ex actu et potentia: et hoc est componi ex materia et forma: ergo et cetera.

4. Tout ce qui est est soit acte seulement, soit puissance seulement, soit les deux. Or, l’ange n’est pas acte pur, car alors il ne différerait pas de Dieu ; il n’est pas non plus puissance pure, car alors il ne différerait pas de la matière première et, de plus, il n’aurait aucune opération. Il est donc composé d’acte et de puissance, et c’est là être composé de matière et de forme. Donc, etc.

 

[3693] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, in libro de causis, dicitur, quod omne creatum compositum est ex finito et infinito. Sed Angelus est ens creatum. Ergo ex infinito, quod est materia, compositus est.

5. Dans le livre Sur les causes, on dit que tout ce qui est créé est composé de fini et d’indéfini. Or, l’ange est un être créé. Il est donc composé d’indéfini, qui est la matière.

 

[3694] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 6 Item dicit Boetius in Lib. de Trinit., quod forma simplex subjectum esse non potest. Sed Angelus est subjectum gratiae. Ergo non est tantum forma, sed etiam habet materiam partem sui.

6. Boèce dit, dans le livre Sur la Trinité, qu’une forme simple ne peut être un sujet. Or, l’ange est le sujet de la grâce. Il n’est donc pas une forme seulement, mais la matière aussi fait partie de lui.

 

[3695] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit in 4 cap. de Div. Nom., quod Angeli intelliguntur immateriales et incorporales.

Cependant, [1] Denys dit, dans le chapitre 4 des Noms divins, qu’on comprend des anges qu’ils sont immatériels et incorporels.

 

[3696] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Boetius dicit in Lib. de duabus naturis, quod omnis natura incorporeae substantiae nullo materiae nititur fundamento. Sed Angelus est substantia incorporea. Ergo materiam pro fundamento non habet.

[2] Boèce dit, dans le livre Sur les deux causes, que toute nature d’une substance incorporelle ne se fonde sur aucune matière. Or, l’ange est une substance incorporelle. Il n’a donc pas de matière comme fondement.

 

[3697] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc materiam tres sunt positiones. Quidam enim dicunt quod in omni substantia creata est materia, et quia omnium est materia una; et hujus positionis auctor videtur Avicebron, qui fecit librum fontis vitae, quem multi sequuntur. Secunda positio est quod materia non est in substantiis incorporeis, sed tantum est in omnibus corporibus, etiam una; et haec est positio Avicennae. Tertia positio est quod corpora caelestia et elementa non communicant in materia: et haec est positio Averrois, et Rabbi Moysis, et videtur magis dictis Aristotelis convenire; et ideo istam eligimus, quantum ad praesens pertinet, dicentes, quod quidquid sit de corporalibus, in Angelis nullo modo potest esse materia: tum ratione intellectualitatis; tum etiam ratione incorporeitatis; quod enim nullum intellectuale sit materiale, communiter a philosophis tenetur. Unde etiam ex immaterialitate divina ejus intellectum concludunt. Et ratio satis manifesta est; quia materia prima recipit formam, non inquantum est forma simpliciter, sed inquantum est haec: unde forma existens in materia non est intellecta nisi in potentia, quia cognosco esse formae, inquantum est forma; et ideo si intellectus aliquis poneretur habens materiam, forma existens in eo non esset intellecta in actu: et sic per formam illam non intelligeret. Hujus etiam signum est, quod forma materialis non efficitur intellectualis, nisi quia a conditionibus materiae abstrahitur; et sic efficitur perfectio intellectus proportionata sibi: unde oportet intellectum non materialem esse: et hoc non sequitur materiam ex parte alicujus formae, cum omnis forma per abstractionem a conditionibus materiae intelligibilis fiat; sed consequitur eam secundum se, et virtualiter, sive sit sub forma corporali, sive spirituali. Secundo incorporeitas repugnat materiae: cum enim uni perfectibili debeatur una perfectio, et in materia prima non sit ulla diversitas, oportet quod omnis forma antequam possit in ea esse ulla diversitas, nec intelligi, investiat eam totam. Sed ante corporeitatem non potest intelligi aliqua diversitas, quia diversitas praesupponit partes, quae non possunt esse nisi praeintelligatur divisibilitas quae consequitur quantitatem, quae sine corporeitate non est. Unde oportet quod tota materia sit vestita forma corporeitatis; et ideo si aliquid est incorporeum, oportet esse immateriale. Et tamen aliquam compositionem in Angelo ponimus: quae qualis sit, sic investiganda est. In rebus ex materia et forma compositis, natura rei, quae quidditas vel essentia dicitur, ex conjunctione formae ad materiam resultat, ut humanitas ex conjunctione animae et corporis. De ratione autem quidditatis in quantum est quidditas, non est quod sit composita; quia nunquam inveniretur simplex natura, quod ad minus in Deo falsum est: nec est de ratione ejus quod sit simplex, cum quaedam inveniatur composita, ut humanitas. Esse autem secundum quod dicitur res esse in actu, invenitur ad diversas naturas vel quidditates diversimode se habere. Quaedam enim natura est de cujus intellectu non est suum esse, quod patet ex hoc quod intelligi potest cum hoc quod ignoretur an sit, sicut Phaenicem, vel eclipsim, vel aliquid hujusmodi. Alia autem natura invenitur de cujus ratione est ipsum suum esse, immo ipsum esse est sua natura. Esse autem quod hujusmodi est, non habet esse acquisitum ab alio; quia illud quod res ex sua quidditate habet, ex se habet. Sed omne quod est praeter Deum habet esse acquisitum ab alio. Ergo in solo Deo suum esse est sua quidditas vel natura; in omnibus autem aliis esse est praeter quidditatem, cui esse acquiritur. Sed cum quidditas quae sequitur compositionem dependeat ex partibus, oportet quod ipsa non sit subsistens in esse quod sibi acquiritur, sed ipsum compositum, quod suppositum dicitur: et ideo quidditas compositi non est ipsum quod est, sed est hoc quo aliquid est, ut humanitate est homo; sed quidditas simplex, cum non fundetur in aliquibus partibus, subsistit in esse quod sibi a Deo acquiritur; et ideo ipsa quidditas Angeli est quo subsistit etiam ipsum suum esse, quod est praeter suam quidditatem, et est id quo est; sicut motus est id quo aliquid denominatur moveri; et sic Angelus compositus est ex esse et quod est, vel ex quo est et quod est: et propter hoc in Lib. de causis dicitur, quod intelligentia non est esse tantum, sicut causa prima; sed est in ea esse, et forma, quae est quidditas sua: et quia omne quod non habet aliquid ex se, sed recipit illud ab alio, est possibile vel in potentia respectu ejus, ideo ipsa quidditas est sicut potentia, et suum esse acquisitum est sicut actus; et ita per consequens est ibi compositio ex actu et potentia; et si ista potentia vocetur materia, erit compositus ex materia et forma: quamvis hoc sit omnino aequivocum dictum: sapientis enim est non curare de nominibus.

Réponse. Sur ce sujet, il y a trois positions. En effet, certains disent que, dans toute substance créée, existe une matière et qu’il n’existe qu’une seule matière pour toutes. L’auteur de cette position semble être Avicébron, qui a écrit le livre Sur la source de la vie, que beaucoup suivent. La deuxième position est qu’il n’existe pas de matière dans les substances incorporelles, mais que celle-ci existe seulement dans tous les corps, et même unique ; telle est la position d’Avicenne. La troisième position est que les corps célestes et les éléments n’ont pas de matière en commun ; telle est la position d’Averroès et de rabbi Moïse, et elle semble plutôt rejoindre ce que dit Aristote. C’est pourquoi nous choisissons celle-ci, pour ce qui concerne la question présente, en disant que, quoi qu’il en soit des réalités corporelles, il ne peut aucunement exister de matière chez les anges, tant en raison de leur intellectualité, qu’en raison aussi de leur incorporéité. En effet, que rien d’intellectuel ne soit matériel, cela est généralement reconnu par les philosophes. Aussi concluent-ils à l’intelligence divine à partir de l’immatérialité de Dieu. La raison en est assez claire, car la matière première reçoit la forme, non pas en tant qu’elle est simplement forme, mais en tant qu’elle est telle forme. Ainsi, la forme qui existe dans la matière n’est-elle intelligée qu’en puissance, car je connais l’être de la forme en tant qu’elle est forme. C’est pourquoi en affirmant qu’un intellect possède une matière, la forme qui existe en lui ne serait pas intelligée en acte, et ainsi il n’intelligerait pas par cette forme. Le signe en est que la forme matérielle ne devient intellectuelle que parce qu’elle est abstraite des conditions de la matière. Elle devient ainsi une perfection de l’intelligence qui lui est proportionnée. Il est donc nécessaire que l’intellect ne soit pas matériel, et cela ne découle pas de la matière du point de vue d’une forme, puisque toute forme devient intelligible par l’abstraction des conditions de la matière, mais cela découle [de la matière] en elle-même et selon sa puissance, qu’elle existe sous une forme corporelle ou sous [une forme] spirituelle. Deuxièmement, l’incorporéité est incompatible avec la matière. En effet, puisqu’une seule perfection est nécessaire pour une seule réalité perfectible et que, dans la matière première, il n’existe aucune diversité, il est nécessaire, avant qu’il puisse y exister ou qu’on puisse y intelliger une diversité, que toute forme la couvre tout entière. Or, avant la corporéité, aucune diversité ne peut être intelligée, car la diversité présuppose des parties, qui ne peuvent exister sans que soit d’abord intelligée la divisibilité, qui découle de la quantité, qui n’existe pas sans corporéité. Aussi est-il nécessaire que toute la matière soit couverte par la forme de la corporéité. S’il existe quelque chose d’incorporel, il est donc nécessaire que ce soit immatériel. Toutefois, nous reconnaissons une certaine composition chez l’ange. En quoi celle-ci consiste, il faut l’examiner de la manière suivante. Dans les choses composées de matière et de forme, la nature de la chose, qu’on appelle sa quiddité ou son essence, résulte de l’union de la forme à la matière, comme l’humanité [résulte] de l’union de l’âme et du corps. Or, il ne fait pas partie de la quiddité en tant que quiddité qu’elle soit composée, car on ne trouverait jamais de nature simple, ce qui est faux au moins pour Dieu ; il ne fait pas non plus partie de sa raison qu’elle soit simple, puisqu’on en trouve une qui est composée, ainsi l’humanité. Or, on trouve que l’être, pour autant qu’on dit d’une chose qu’elle est en acte, a un rapport différent avec les diverses natures ou quiddités. En effet, il existe une nature dont l’être ne fait pas partie de ce qu’on en saisit, ce qui ressort du fait qu’elle peut être saisie alors qu’on ignore si elle existe : c’est le cas du Phénix ou d’une éclipse, ou de quelque chose de ce genre. Mais on trouve une autre nature dont l’être fait partie de sa nature, bien plus, dont l’être même est sa nature. Or, l’être qui est de cette sorte ne possède pas un être reçu d’un autre, car ce qu’une chose possède par sa quiddité, elle le possède par soi. Mais tout ce qui existe en dehors de Dieu a un être reçu d’un autre. Donc, chez Dieu seul, son être est sa quiddité ou sa nature ; mais, chez tous les autres, l’être est en dehors de sa quiddité, laquelle reçoit l’être. Mais puisque la quiddité qui découle d’une composition dépend des parties, il est nécessaire qu’elle ne subsiste pas dans l’être qu’elle reçoit, mais [que ce soit le cas du] composé, qui est appelé suppôt. Aussi la quiddité d’un composé n’est-elle pas ce qui est, mais elle est ce selon quoi quelque chose est, comme l’homme est selon l’humanité ; mais une quiddité simple, puisqu’elle n’est pas fondée sur des parties, subsiste dans l’être qu’elle reçoit de Dieu. C’est pourquoi la quiddité même d’un ange est ce selon quoi son être même subsiste, lequel est hors de sa quiddité, et elle est ce selon quoi il est, comme le mouvement ce en vertu de quoi on dit que quelque chose est mû. L’ange est ainsi composé d’être et de ce qui est, ou de ce selon quoi il est et de ce qu’il est. Pour cette raison, il est dit, dans le livre Sur les causes, que l’intelligence n’est pas seulement l’être, comme la cause première ; mais il existe en elle l’être et une forme, qui est sa quiddité. Et parce que tout ce qui ne possède pas quelque chose par soi, mais le reçoit d’un autre, est en puissance par rapport à cela, la quiddité elle-même est comme en puissance et l’être qu’elle reçoit est comme un acte. Par conséquent, il existe là une composition d’acte et de puissance, et si cette puissance est appelée matière, il y aura composé de matière et de forme, bien que cela soit dit de manière tout à fait équivoque. En effet, c’est le propre du sage de ne pas se préocccuper des mots.

 

[3698] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum est, quod de ratione substantiae est quod subsistit quasi per se ens; et ideo forma et materia, quae sunt pars compositi, cum non subsistant, non sunt in praedicamento substantiae sicut species, sed solum sicut principia. Quod autem hoc subsistens habeat quidditatem compositam, non est de ratione substantiae: unde non oportet illud quod est in praedicamento substantiae, habere quidditatem compositam; sed oportet quod habeat compositionem quidditatis et esse: omne enim quod est in genere, sua quidditas non est suum esse, ut Avicenna dicit. Et ideo non potest Deus in praedicamento substantiae poni: unde Boetius intendit dicere, quod inter tria haec, scilicet materiam, formam, et compositum, ex his solum compositum est in genere substantiae sicut species; non autem intendit quod omne quod est in genere substantiae, sit compositum ex materia et forma.

1. Il est de la raison de la substance qu’elle subsiste comme un être par soi. Aussi la forme et la matière, qui font partie du composé, puisqu’elles ne subsistent pas, n’apparaissent-elles pas comme des espèces dans le prédicament de la substance, mais seulement comme des principes. Mais que tel subsistant ait une quiddité composée ne fait pas partie de la raison de la substance. Il n’est donc pas nécessaire que ce qui se trouve dans le prédicament de la substance possède une quiddité composée, mais il est nécessaire qu’il possède une composition de quiddité et d’être : en effet, pour tout ce qui fait partie d’un genre, la quiddité n’est pas l’être, comme le dit Avicenne. C’est pourquoi il n’est pas possible de placer Dieu dans le prédicament de la substance. Aussi Boèce veut-il dire que, parmi ces trois choses : la matière, la forme et le composé, seul le composé fait partie du genre de la substance en tant qu’espèce ; mais il ne veut pas dire que tout ce qui fait partie du genre de la substance est composé de matière et de forme.

 

[3699] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliqua sunt unius generis logice loquendo, quae naturaliter non sunt unius generis, sicut illa quae communicant in intentione generis quam logicus inspicit, et habent diversum modum essendi: unde in 10 Metaph. dicitur, quod de corruptibilibus et incorruptibilibus nihil commune dicitur, nisi communitate nominis: et ideo non oportet Angelos cum corporalibus eadem principia communicare, nisi secundum intentionem tantum, prout in omnibus invenitur potentia et actus, analogice tamen, ut in 12 Metaph. dicitur.

2. Certaines choses font partie d’un seul genre logiquement parlant, qui ne font pas naturellement partie d’un genre, telles celles qui se rejoignent dans l’intention du genre qu’examine le logicien et possèdent un mode différent d’être. Aussi est-il dit, Métaphysique, X, qu’on ne parle pas d’une manière commune des choses corruptibles et incorruptibles, si ce n’est selon un nom commun. Il n’est pas nécessaire que les anges aient en commun avec les réalités corporelles les mêmes principes, si ce n’est selon l’intention, pour autant qu’on trouve en tout puissance et acte, mais cependant de manière analogique, comme il est dit dans Métaphysique, XII.

 

[3700] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut dicit Commentator in 3 de anima, recipere, et omnia hujusmodi, dicuntur aequivoce de materia et intellectu: materia enim prima recipit formam non prout est forma simpliciter, sed prout est hoc, unde per materiam individuatur; sed intellectus recipit formam inquantum est forma simpliciter, non individuans eam, quia forma in intellectu habet esse universale; unde etiam philosophus ibidem dicit, quod intelligere, pati quoddam est; sed communiter et aequivoce dictum; unde ex hoc non ponitur compositio vel materialitas substantiae intellectualis.

3. Comme le dit le Commentateur dans Sur l’âme, III, recevoir et toutes les choses de ce genre se disent de manière équivoque de la matière et de l’intellect. En effet, la matière première reçoit une forme, non pas selon qu’elle est simplement une forme, mais selon qu’elle est ce par quoi la matière est individuée ; mais l’intellect reçoit une forme selon qu’elle est simplement une forme, sans l’individuer, parce que la forme dans l’intellect possède un être universel. Aussi le Philosophe dit-il, au même endroit, qu’intelliger est une certaine passion, mais en un sens général et équivoque. On n’affirme pas pour autant une composition ou une matérialité de la substance intellectuelle.

 

[3701] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum jam patet responsio per ea quae dicta sunt; ostensum est enim quod in Angelo est potentia et actus; non tamen sicut partes quidditatis; sed potentia tenet se ex parte quidditatis, et esse est actus ejus.

4. La réponse à la quatrième objection ressort déjà clairement de ce qui a été dit. En effet, on a montré que, chez l’ange, il existe puissance et acte ; mais la puissance se trouve du côté de la quiddité, et l’être, du côté de l’acte.

 

[3702] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod objectio procedit ex falso intellectu litterae: non enim est sensus quod ens creatum componatur ex finito et infinito sicut ex partibus integralibus, sed sicut ex partibus subjectivis: quia entis creati quoddam est finitum, sicut incorruptibile, et quoddam infinitum, sicut corruptibile, quod non est determinatum ad esse tantum, sed quandoque est et quandoque non est: unde in quodam Comment. Lib. de causis exponitur infinitum idest potens esse vel non esse. Vel dicendum, quod componitur ex infinito, scilicet ex potentia, et finito, scilicet ex actu.

5. L’objection découle d’une mauvaise interprétation du texte. En effet, le sens n’est pas qu’un être créé est composé de fini et d’indéfini comme de ses parties intégrales, mais comme de ses parties subjectives, car quelque chose est fini dans l’être créé, comme le fait qu’il soit incorruptible, et quelque chose indéfini, comme le fait d’être corruptible, qui n’est pas déterminé à l’être seulement, mais parfois existe et parfois n’existe pas. Aussi, dans un commentaire du livre Sur les causes, l’infédini est-il interprété comme ce qui peut être ou ne pas être. Ou bien il faut dire que [l’être créé] est composé d’indéfini, c’est-à-dire de puissance, et de fini, c’est-à-dire d’acte.

 

[3703] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod forma omnino simplex, quae est suum esse, sicut essentia divina, de qua Boetius ibi loquitur, nullo modo potest esse subjectum; sed forma simpliciter subsistens quae non est suum esse, ratione possibilitatis quam habet, potest subjectum esse; sed aequivoce a modo quo materia vel materiale subjectum dicitur, ut dictum est.

6. Une forme entièrement simple, qui est son propre être, comme l’essence divine, dont parle Boèce à cet endroit, ne peut d’aucune manière être un sujet ; mais une forme qui subsiste simplement, qui n’est pas son propre être, en raison de la possibilité qu’elle comporte, peut être un sujet, mais de manière équivoque par rapport à la matière ou à un sujet matériel, comme on l’a dit.

 

 

 

 

Articulus 2 : [3704] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 tit. Utrum in Angelis possit esse personalitas

Article 2 – La personnalité peut-elle exister chez les anges ?

 

[3705] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in Angelis non possit esse personalitas. Individuatio enim est de ratione personae, quia persona est rationalis naturae individua substantia. Principium autem individuationis est materia. Cum ergo Angelus materia careat, ut dictum est, videtur quod ab eo personalitas excludatur.

1. Il semble qu’il ne puisse exister de personnalité chez les anges. En effet, l’individuation fait partie de la raison de la personne, car la personne est une substance individuelle de nature raisonnable. Or, le principe de l’individuation est la matière. Puisque la matière fait défaut à l’ange, comme on l’a dit, il semble donc que la personnalité en soit exclue.

 

[3706] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, omnis forma, quantum est de se, communicabilis est et universalis. Sed Angelus est forma simplex. Ergo videtur quod sit universale. Sed universalia non dicimus personas, ut dicit Boetius. Ergo videtur quod Angelus non sit persona.

2. Toute forme est en elle-même communicable et universelle. Or, l’ange est une forme simple. Il semble donc qu’il soit universel. Or, nous ne disons pas que les universaux sont des personnes, comme le dit Boèce. Il semble donc que l’ange ne soit pas une personne.

 

[3707] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, perfectio debet perfectibili proportionari. Sed forma intelligibilis, quae est perfectio intellectus, non habet rationem singularis, sed magis universalis. Ergo nec intellectus. Sed Angeli sunt divini intellectus et divinae mentes, ut dicit Dionysius. Ergo non sunt personae.

3. La perfection doit être proportionnée à ce qui est perfectible. Or, la forme intelligible, qui est une perfection de l’intellect, ne possède pas de raison singulière, mais plutôt universelle. Donc, ni l’intellect. Or, les anges sont des intelligences divines et des esprits divins, comme le dit Denys. Ils ne sont donc pas des personnes.

 

[3708] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, persona est rationalis naturae individua substantia. Sed a Dionysio ponitur Angelus in ordine intelligibilium, quae supra rationabilia consistunt. Ergo videtur quod Angelus non sit persona.

4. La personne est une substance individuelle de nature raisonnable. Or, Denys place l’ange dans l’ordre des intelligibles, qui se situent au-dessus des réalités raisonnables. Il semble donc que l’ange ne soit pas une personne.

 

[3709] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, persona, secundum magistros, est hypostasis proprietate distincta ad dignitatem pertinente. Sed Angelus, cum sit quid subsistens, dicitur hypostasis, et ejus proprietates sunt nobilissimae. Ergo videtur quod sit persona.

Cependant, [1] selon des maîtres, la personne est une hypostase possédant une propriété distincte en rapport avec sa dignité. Or, l’ange, puisqu’il est subsistant, est appelé une hypostase et ses propriétés sont les plus nobles. Il semble donc qu’il soit une personne.

 

[3710] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc idem habetur ex littera et ex dictis Richardi de sancto Victore, qui secundum diversas proprietates, diversimode personam ponit in homine, Angelo et Deo.

[2] On tire la même chose de ce que Richard de Saint-Victor a dit et écrit : selon diverses propriétés, il situe la personne dans l’homme, l’ange et Dieu.

 

[3711] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod personalitas est in Angelo, alio tamen modo quam in homine: quod patet, si tria quae sunt de ratione personae considerentur, scilicet subsistere, ratiocinari, et individuum esse. Subsistit enim homo in partibus suis, ex quibus componitur; sed Angelus in natura sua simplici nullo indigens partium vel materiae fundamento. Ratiocinatur homo discurrendo et inquirendo lumine intellectuali per continuum et tempus obumbrato, ex hoc quod cognitionem a sensu et imagine accipit: quia, secundum Isaac in Lib. de Definit., ratio oritur in umbra intelligentiae; sed Angelus lumen intellectuale purum et impermixtum participat; unde etiam sine inquisitione deiformiter intelligit, secundum Dionysium. Similiter incommunicabilitas est in homine ex hoc quod natura sua receptibilis in materiae fundamento per materiam determinatur; sed in Angelo in se determinata est ex hoc quod in aliquo sicut forma determinabilis recipi non potest; et ex hoc ipso satis incommunicabilis est, et non per determinationem recipientis: sicut et divinum esse est proprium et determinatum non per additionem alicujus contrahentis, sed per negationem omnis additi; unde dicitur in Lib. de causis, quod individuatio sua est bonitas pura. Quare patet quod multo nobilior est personalitas in Angelo quam in homine, sicut et cetera quae eis conveniunt, secundum Dionysium.

Réponse. La personnalité existe chez l’ange, mais d’une autre manière que chez l’homme. Cela ressort si on examine les trois choses qui font partie de la raison de personne, c’est-à-dire subsister, raisonner et être individuel. En effet, l’homme subsiste dans ses parties, dont il est composé ; mais l’ange, dans sa nature simple, qui n’a besoin d’aucun fondement de parties ou de matière. L’homme raisonne en discourant et en recherchant par la lumière intellectuelle assombrie par ce qui est continu et par le temps, du fait qu’il reçoit sa connaissance du sens et de l’imagination, car, selon Isaac, dans le livre Sur les définitions, «°la raisone se lève dans l’ombre de l’intelligence°»; mais l’ange participe à la lumière intellectuelle pure et sans mélange. Aussi intellige-t-il sans recherche, à la manière de Dieu, selon Denys. De même, l’incommunicabilité existe-t-elle chez l’homme du fait que sa nature, qui peut être reçue dans le fondement de la matière, est déterminée par la matière ; mais, chez l’ange, elle est déterminée en elle-même du fait qu’il ne peut être reçu par quelqu’un selon une forme susceptible d’être déterminée. Par le fait même, il est tout à fait incommunicable, et non par une détermination de la part de ce qui reçoit ; comme l’être divin est propre et déterminé, non par l’addition de quelque chose qui le limite, mais par la négation de tout ajout. Ainsi est-il dit, dans le livre Sur les causes, que son individuation pure bonté. Pour ces raisons, il ressort clairement que la personnalité est beaucoup noble chez l’ange que chez l’homme, comme les autres choses qu’ils ont en commun, selon Denys.

 

[3712] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod forma participabilis non individuatur nisi per materiam, in qua accipit esse determinatum; sed forma quae non est receptibilis, non indiget materia determinante, sed in sua natura determinatur ad esse quod sibi non ad materiam dependens acquiritur sicut formis corruptibilibus; nec in materia etsi non ad materiam dependens, sicut animae rationali.

1. Une forme susceptible de participation n’est individuée que par la matière, par laquelle elle reçoit un être déterminé ; mais une forme qui ne peut être reçue n’a pas besoin d’une matière qui la détermine, mais elle est déterminée par sa nature à l’être qui ne lui vient pas d’une dépendance par rapport à la matière, comme c’est le cas pour les formes corruptibles, ni par le fait qu’elle existe dans la matière, même si elle ne dépend pas de la matière, comme c’est le cas de l’âme raisonnable.

 

[3713] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 ad 2 Et per hoc etiam patet responsio ad secundum; quia forma rationem universalitatis habet ex hoc quod in pluribus est receptibilis.

2. La réponse au deuxième argument ressort aussi de cela, car la forme possède une raison d’universalité du fait qu’elle peut être reçue par plusieurs.

 

[3714] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod forma quae est recepta in intellectu, potest dupliciter considerari: vel per comparationem ad rem cujus est similitudo; et sic habet universalitatem: non enim est similitudo hominis secundum conditiones individuantes, sed secundum naturam communem: vel per comparationem ad intellectum in quo habet esse, et sic est quid individuatum, quemadmodum intellectus; et alia numero species intellecta hominis est in intellectu Socratis, et alia in intellectu Platonis; unde non oportet intellectum non esse quid determinatum et subsistens.

3. La forme qui est reçue dans l’intelligence peut être envisagée de deux manières : soit par comparaison avec la chose dont elle est une similitude, et ainsi elle possède une universalité, puisqu’elle n’est pas une similitude d’un homme selon ses conditions individuantes, mais selon une nature commune ; soit par comparaison à l’intelligence dans laquelle elle existe, et ainsi elle est quelque chose d’individué, comme l’intelligence. Et l’espèce de l’homme intelligée par l’intelligence de Socrate est autre que celle qui est intelligée dans l’intelligence de Platon. Il n’est donc pas nécessaire que ce qui est intelligé ne soit pas quelque chose de déterminé et de subsistant.

 

[3715] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod rationale, secundum Dionysium, est in Angelis et in Deo eminenter, secundum quem modum ipse intellectus divinus et angelicus ratio nominatur.

4. Selon Denys, ce qui est raisonnable existe chez les anges et chez Dieu de manière éminente, de la manière même dont on parle de l’intelligence divine et de l’intelligence angélique.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3716] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 tit. Utrum in Angelis possit esse numerus

Article 3 – Le nombre peut-il exister chez les anges ?

 

[3717] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in Angelis non possit esse numerus. Numerus enim quantitas est. Sed quantitatis subjectum est materia. Cum ergo in Angelis non sit materia, ut dictum est, videtur quod nec numerus.

1. Il semble qu’il ne puisse exister de nombre chez les anges. En effet, le nombre est une quantité. Or, le sujet de la quantité est la matière. Puisque, chez les anges, il n’existe pas de matière, ainsi qu’on l’a dit, il semble donc qu’il n’existe pas non plus de nombre.

 

[3718] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, secundum philosophos, in his quae sunt sine materia, non potest esse numerus, nisi secundum causam et causatum. Sed unus Angelus non est causa alterius. Ergo si sunt sine materia, nullus numerus in eis esse potest.

2. Selon les philosophes, il ne peut exister de nombre chez ce qui est sans matière, si ce n’est selon la cause et ce qui est causé. Or, un ange n’est pas la cause d’un autre. S’ils sont sans matière, il ne peut donc y avoir de nombre chez eux.

 

[3719] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, quanto aliquid est propinquius uni simplici, tanto minus dividitur. Sed inter omnes creaturas natura angelica Deo est propinquior, secundum Augustinum, qui dicit in Lib. Conf.: duo fecisti, domine: unum prope te, scilicet Angelum: alterum prope nihil, scilicet materiam. Ergo videtur quod vel non sit in eis numerus aliquis, vel sit paucissimus.

3. Plus quelque chose est proche de ce qui est simple, moins il se divise. Or, parmi toutes les créatures, la nature angélique est la plus proche de Dieu, selon Augustin, qui dit dans le livre des Confessions : « Tu as créé deux choses, Seigneur : l’une proche de toi, l’ange, l’autre proche du néant, la matière. » Il semble donc qu’il n’existe aucun nombre chez eux ou qu’il soit très petit.

 

[3720] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, cum partes universi sint ordinatae invicem juvantes se mutuo, illud ex quo non provenit utilitas in partibus universi, videtur esse frustra vel vanum, et sic omnino non esse. Sed spiritualis substantia non juvat ad corporalem nisi movendo ipsam. Ergo videtur quod non sunt plures substantiae separatae nisi quibus expletur motus corporalis creaturae: et ita videtur quod numerus Angelorum sit accipiendus secundum numerum motuum caeli, vel etiam ipsorum mobilium. Ergo videtur quod numerus Angelorum determinatus possit esse nobis.

4. Puisque les parties de l’univers sont ordonnées entre elles pour s’aider mutuellement, ce qui n’estd d’aucune utilité pour les parties de l’univers semble être inutile et vain, et ainsi ne pas exister du tout. Or, la substance spirituelle n’aide la substance corporelle qu’en la mouvant. Il semble donc qu’il n’existe plusieurs substances séparées que celles par lesquelles s’accomplit le mouvement corporel de la créature. Et ainsi, il semble que le nombre des anges doit être conçu selon le nombre des mouvements du ciel ou même des objets mobiles eux-mêmes. Il semble donc que le nombre des anges puisse être déterminé pour nous.

 

[3721] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, de Angelis, secundum Dionysium nihil scire possumus, nisi ea quae nobis in sacra Scriptura traduntur. Sed Danielis 7, 10, dicitur: millia millium ministrabant ei, et decies millies centena millia assistebant ei. Ergo videtur quod numerus eorum sit nobis determinatus.

5. Selon Denys, nous ne pouvons rien savoir des anges que ce qui nous est enseigné par l’Écriture. Or, il est dit en Dn 7, 10 : Des milliers de milliers le servaient, et des dizaines de milliers et des centaines de milliers l’entouraient. Il semble donc que leur nombre soit déterminé pour nous.

 

[3722] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Hieronymus dicit, quod unaquaeque anima habet Angelum bonum ad custodiam et malum ad exercitium sibi deputatum. Sed numerus hominum in mundo simul viventium est nobis indeterminatus. Ergo et numerus Angelorum custodum, qui sunt unius ordinis, et multo fortius numerus omnium Angelorum.

Cependant, [1] Jérôme dit que chaque âme a un ange bon qui le garde et qui combat le mal pour lui. Or, le nombre des hommes qui vivent simultanément dans le monde est indéterminé pour nous. Le nombre des anges gardiens l’est donc aussi, eux qui font partie d’un seul ordre, et, à plus forte raison, le nombre de tous les anges.

 

[3723] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Job 25, 3, dicitur: numquid est numerus militum ejus? Milites autem ejus sunt Angeli, ut habetur Luc. 2, 13: facta est cum Angelo multitudo militiae caelestis. Ergo videtur quod numerus eorum non sit nobis determinatus.

[2] Il est dit en Jb 25, 3 : Ses soldats se comptent-ils ? Or, ses soldats sont les anges, comme on le lit dans Lc 2, 13 : Une multitude de l’armée céleste apparut avec l’ange. Il semble donc que leur nombre ne soit pas déterminé pour nous.

 

[3724] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod ratio humana deficit a cognitione substantiarum separatarum, quae tamen sunt notissima naturae, ad quae intellectus noster se habet sicut oculus noctuae ad lumen solis, ut dicitur in 2 Metaphys.; et ideo dicitur in 11 de animalibus, quod de eis valde pauca scire possumus per rationem; quamvis illud quod de eis est scitum est valde delectabile et amatum. Et ideo philosophi de illis nihil quasi demonstrative, et pauca probabiliter dixerunt: et hoc ostendit eorum diversitas in ponendo numerum Angelorum. Quidam enim posuerunt numerum substantiarum separatarum secundum numerum motuum caeli, sicut Aristoteles in 12 Metaphys. Quidam secundum numerum sphaerarum, ut Avicenna in sua Metaphysic. Quidam autem negaverunt omnino aliquid esse incorporeum, sicut Empedocles et Democritus, et Sadducaei Judaeorum. Quidam etiam posuerunt unum tantum esse Angelum, qui diversa sortitur vocabula secundum diversos actus, sicut quidam haeretici. Quidam vero posuit Angelos non in determinato numero nobis; sed tantum per Angelos significari dicit in Scripturis omnem virtutem vel corporalem vel spiritualem per quam Deus ordinem suae providentiae explet, quasi divinae voluntatis nuntium; adeo quod vim concupiscibilem nominat Angelum concupiscentiae: sed substantias separatas dicit esse secundum numerum quem philosophi posuerunt; et iste est Rabbi Moyses. Fides autem Catholica tenet numerum substantiarum separatarum, quas Angelos dicimus, esse numerum Deo finitum, sed nobis infinitum. Unde Gregorius dicit in Glossa Danielis 7, quod excedit omnem materialem multitudinem, ut Dionysius dicit, 14 cap. Cael. Hierar. Et hoc satis est probabile. Videmus enim illa corpora quae nobilius divinam bonitatem participant, scilicet caelestia, excedere quasi sine proportione corpora generabilia et corruptibilia. Et hoc est, quia productionis creaturarum causa est divina bonitas quam rebus communicare voluit; unde videtur quod naturas spirituales, in quibus maxime sua bonitas relucet, creavit in numero quasi improportionabiliter excrescente numerum naturarum corporalium. Qualiter autem distinguantur ad invicem, accipere possumus ex verbis Commentatoris in 3 de anima, ubi dicit, quod si natura intellectus possibilis esset nobis ignota, non possemus assignare numerum substantiarum separatarum. Unde dico, quod secundum gradum possibilitatis permixtae in natura angelica est eorum distinctio. Dictum est enim supra, quod ipsa natura vel quidditas Angeli est possibilis respectu esse quod a Deo habet. Invenitur enim natura cui possibilitas admiscetur plus et plus distans ab actu, secundum quod recedit a similitudine divinae naturae, quae est actus tantum. Illa ergo quidditas est actus completus praeter quam non est suum esse, scilicet natura divina: et ista quidditas simplex quae est propinquior per similitudinem ad divinum esse, minus habet de potentia et plus de actu, et est Deo vicinior, et perfectior: et sic deinceps, quousque veniatur ad illam naturam quae est in ultimo gradu possibilitatis in substantiis spiritualibus; adeo quod non acquiritur sibi esse nisi in altero, quamvis esse suum ad illud non dependeat; scilicet intellectus humanus, qui, secundum Commentatorem, est ultimus in ordine naturarum intellectualium, sicut materia prima in ordine corporalium.

Réponse. La raison humaine est incapable de connaître les substances séparées, qui sont cependant les réalités les plus connues de la nature, par rapport auxquelles notre intellect est comme l’œil du hibou par rapport à lumière du soleil, ainsi qu’on le dit dans Métaphysique, II. Aussi est-il dit, Sur les animaux, XI, que, par la raison, nous pouvons connaître très peu de choses à leur sujet, bien que ce qui est connu d’elles soit très agréable et aimé. C’est pourquoi les philosophes n’ont presque rien dit d’elles de manière démonstrative, et peu de choses de manière probable ; leurs divergences à propos du nombre des anges le montre bien. En effet, certains ont affirmé que le nombre des substances séparées correspondait au nombre des mouvements du ciel, tel Aristote dans Métaphysique, XII. Certains, au nombre des sphères, tel Avicenne dans sa Métaphysique. Mais certains ont tout simplement nié qu’il existe quelque chose d’incorporel, comme Empédocle et Démocrite, et les Sadducéens chez les Juifs. Certains ont aussi affirmé qu’il n’existe qu’un seul ange qui porte divers noms selon ses différents actes, tels certains hérétiques. Mais un autre a affirmé que les anges n’existent pas en nombre déterminé pour nous, mais il dit qu’est signifiée par les anges dans l’Écriture toute puissance corporelle ou spirituelle par laquelle Dieu réalise l’ordre de sa providence, en tant que messagère de la volonté divine. Ainsi, il nomme la puissance concupiscible ange de la concupiscence ; mais il dit que les substances séparées existent selon le nombre affirmé par les philosophes. Il s’agit de rabbi Moîse. Mais la foi catholique soutient que le nombre des substances séparées, que nous appelons anges, est un nombre fini pour Dieu, mais infini pour nous. Aussi Grégoire dit-il, dans une glose sur Dn 7, que [le nombre des substances séparées] dépasse toute multitude matérielle, comme le dit Denys, dans La hiérarchie céleste, XIV. Et cela est assez probable. En effet, nous voyons que les corps qui participent le plus noblement à la bonté divine, les corps célestes, dépassent pour ainsi dire sans proportion les corps sujets à la génération et à la corruption. Cela vient de ce que la cause de la production des créatures est la bonté divine que [Dieu] a voulu communiquer aux choses. Il semble donc qu’il a créé les natures spirituelles, dans lesquelles sa bonté brille au plus haut point, en un nombre qui dépasse de manière pour ainsi dire sans proportion le nombre des natures corporelles. Mais comment ils se distinguent les uns des autres, nous pouvons le saisir par les paroles du Commentateur, dans Sur l’âme, III, où il dit que si la nature de l’intellect possible nous était inconnue, nous ne pourrions attribuer un nombre aux substances séparées. Je dis donc qu’ils se distinguent selon le degré de puissance mêlée à la nature angélique. En effet, on a dit plus haut que la nature même ou la quiddité de l’ange est en puissance par rapport à l’être qu’il tient de Dieu. En effet, on trouve une nature à laquelle la puissance est davantage mêlée et davantage éloignée de l’acte, selon qu’il s’écarte de la similitude avec la nature divine, qui est acte seulement. Cette quiddité, la nature divine, est donc un acte complet en dehors duquel son être n’existe pas. Et la quiddité simple, qui se rapproche davantage d’une similitude par rapport à l’être de Dieu, comporte moins de puissance et davantage d’acte, et elle est plus proche de Dieu et plus parfaite. Et il en va ainsi, jusqu’à ce qu’on parvienne à la nature qui se trouve au dernier degré de puissance chez les substances spirituelles, au point où elle ne reçoit l’être que dans quelque chose d’autre, bien que son être n’en dépende pas, à savoir, l’intellect humain, qui, selon le Commentateur, est le dernier degré des natures intellectuelles, comme la matière première dans l’ordre des natures corporelles.

 

[3725] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in primo libro dictum est, unum dicitur dupliciter. Uno modo secundum quod convertitur cum ente, quod non determinatur ad aliquod genus, et similiter nec multitudo sequens ad tale unum; et talis multitudo ponitur in Angelis, quae non sequitur divisionem quantitatis vel materiae, sed distinctionem naturarum. Alio modo dicitur unum quod est principium numeri, qui est discreta quantitas, causatus ex divisione materiae vel continui: et talis non est nisi in materialibus.

1. Comme on l’a dit dans le premier livre, on parle de quelque chose d’un de deux manières. D’une manière, selon que cela se convertit avec l’être, qui n’est pas déterminé à un genre, pas davantage que la multitude qui découle de ce quelque chose d’un ; et on affirme une telle multitude chez les anges, qui ne découle pas de la division de la quantité ou de la matière, mais de la distinction des natures. D’une autre manière, on parle d’un pour le principe du nombre, qui est une quantité discrète ; ce [nombre] est causé par la division de la matière ou de ce qui est continu. Cet un n’existe que pour les réalités matérielles.

 

[3726] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam secundum philosophos qui distinguunt numerum substantiarum separatarum per causam et causatum, causa et causatum non sunt per se distinguentia, sed secundum eos consequuntur ad principia distinctionis; cum enim distinctio sit, per se loquendo, per hoc quod est major vel minor compositio, et secundum distantiam potentiae et actus, secundum eos, sequitur quod illud quod est plus in actu, sit causa ejus quod est minus, secundum quem modum dicunt multitudinem ab uno primo simplici processisse; quem tamen modum dicit Commentator in 11 Metaphys., insufficienter probatum, et concedit ab uno primo simplici immediate potuisse plura procedere: ita et nos concedimus omnes naturas intellectuales immediate a Deo processisse distinctas secundum ordinem sapientiae disponentis diversos gradus naturarum spiritualium. Et ideo remoto quod infidelitatis est, scilicet ordine causalitatis ab Angelis, et retento quod fidei consonat, scilicet gradu simplicitatis, habebimus eumdem modum distinctionis quem ipsi habuerunt.

2. Même selon les philosophes qui distinguent le nombre des substances séparées par la cause et par ce qui est causé, la cause et ce qui est causé ne doivent pas être distingués par eux-mêmes, mais, selon eux, ils découlent des principes de la distinction. Puisque la distinction vient à proprement parler du fait qu’il y a une composition plus ou moins grande et selon la distance entre la puissance et l’acte, il en découle, selon eux, que ce qui est davantage en acte est la cause de ce qui l’est moins ; ils disent ainsi que la multitude vient d’une première [substance] simple. Mais le Commentateur dit, dans Métaphysique, XI, que ce mode est insuffisamment démontré et concède que plusieurs choses peuvent venir d’une première chose simple. De même, nous aussi concédons que toutes les natures intellectuelles viennent immédiatement de Dieu, distinctes selon l’ordre de la sagesse qui dispose les différents degrés des natures spirituelles. Ainsi, en enlevant ce qui relève de l’incroyance, à savoir, un ordre de causalité venant des anges, et en retenant ce qui s’accorde avec la foi, à savoir, le degré de simplicité, nous aurons le même mode de distinction qu’eux-mêmes avaient.

 

[3727] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex ratione illa probatur simplicitas angelicae naturae, et praecipue illius quae in ea suprema est; sed pluralitas gradus ab ea non tollitur. Praeterea non est loquendum de Angelis sicut de divina natura, specialiter cum plures Angeli non tantum numero, sed specie differant, ut dicetur.

3. Cet argument démontre la simplicité de la nature angélique, et surtout de celle qui est la plus élevée en elle ; mais il n’écarte pas la pluralité de degrés. De plus, il ne faut pas parler des anges comme de la nature divine, surtout que plusieurs anges diffèrent non seulement par le nombre, mais selon l’espèce, comme on le dira.

 

[3728] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angeli non sunt facti propter motum corporalium, quia nihil fit propter vilius se: unde si sunt aliquae substantiae non moventes, non sequitur quod sint superfluae. Nihilominus tamen dicendum, quod ex omnibus substantiis illis provenit aliqua utilitas per juvamentum in rebus corporalibus: quia inferiores Angeli in motu sphaerarum Deo ministrant, sicut a quibusdam dicitur, et probabile videtur, cum Gregorius dicat corporalem creaturam per spiritualem administrari. Illuminatio autem inferiorum Angelorum est a Deo per proximos et medios, ut dicit Dionysius, et ita omnes influentiam habent super motum corporalium, vel ad minus quantum ad custodiam hominum, quae pertinet ad ultimum ordinem.

4. Les anges n’ont pas été créés pour le mouvement, car rien n’est créé pour ce qui est moins digne que lui. Si donc il existe des substances qui ne meuvent pas, il n’en découle pas qu’elles sont superflues. Toutefois, il faut cependant dire qu’un certaine utilité vient de toutes ces substances du fait qu’elles aident les réalités corporelles, car les anges inférieurs s’occupent du mouvement des sphères, comme le disent certains et comme cela semble probable, puisque Grégoire dit que la créature spirituelle s’occupe de la créature corporelle. Mais l’illumination des anges inférieurs vient de Dieu par les anges proches et intermédiaires, comme le dit Denys, et ainsi tous exercent une influence sur le mouvement des réalités corporelles ou, au moins, sur la garde des hommes, qui se rapporte à l’ordre ultime.

 

[3729] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod verba ista aliter a Gregorio et a Dionysio exponuntur; et quantum ad aliquid eodem modo: in hoc enim conveniunt quod Angelorum numerus non est determinatus nobis; sed in hoc differunt, quia Dionysius vult, quod cum dicitur, millia millium, unum mille multiplicat aliud, ac si diceret, millesies mille; et sic aequalis numerus importatur, cum dicitur, millia millium primo, et decies centena millia secundo, quod habet una littera. Tantum enim est decies centum millia, quantum millies millia. Et secundum hoc datur intelligi quasi aequalis numerus ministrantium et assistentium. Vel secundum aliam litteram quae habet, millia millium ministrabant ei, et decies millies centena millia assistebant ei, datur intelligi, quod numerus assistentium excedit numerum ministrantium propter suam nobilitatem: quod consonat ei quod supra dictum est secundum intentionem Dionysii, quod scilicet nobiliores creaturae plures sunt. Unde dicit, quod in hoc verbo maximus numerus apud nos nomen proprium habens, scilicet mille, multiplicatur per omnes maximos numeros, scilicet limites nominatos, scilicet per seipsum, cum dicitur millia millium; per denarium cum dicitur, decies millies; per centenarium cum dicitur centena millia; in quo ostenditur maxima numerositas excedens nostrum intellectum. Sed Gregorius vult quod sit constructio partitiva cum dicitur millia millium, quasi diceret, millia de numero millium: unde vult quod datur intelligi major numerus ministrantium quam assistentium, per hoc quod ad administrantes ponitur numerus non determinatus, et ad assistentes determinatus.

5. Ces paroles sont interprétées de manière différente par Grégoire et par Denys et, sous un aspect, de la même manière. En effet, ils sont d’accord que le nombre des anges n’est pas déterminé pour nous ; mais ils divergent, car Denys veut que, lorsqu’on dit : …des milliers de milliers, un seul mille en multiplie un autre, comme si on disait : « mille fois mille ». Et ainsi, le même nombre est visé lorsqu’on dit d’abord : …des milliers de milliers, puis : …une dizaine de centaines de milliers, ce que dit une version. En effet, une dizaine de centaines de milliers est égal à mille milliers. En ce sens, on laisse entendre que le nombre de ceux qui assurent le service et de ceux qui entourent est le même. Ou, selon une autre version, qui dit : Des milliers de milliers le servaient, et des dizaines de milliers de centaines de milliers l’entouraient, on laisse entendre que le nombre de ceux qui entourent dépasse le nombre de ceux qui assurent le service en raison de leur noblesse, ce qui s’accorde à ce qui a été dit plus haut selon l’intention de Denys, à savoir que les créatures plus nobles sont plus nombreuses. Il dit donc que, par cette expression, le plus grand nombre qui possède un nom propre pour nous, à savoir, mille, est multiplié par tous les plus grands nombres, à savoir, les nombres les plus élevés qui portent un nom par soi, comme lorsqu’on dit : mille milliers, par la dizaine, lorsqu’on dit : dizaine de milliers, par la centaine, lorsqu’on dit : centaine de milliers. par cela, On montre ainsi le nombre le plus grand qui dépasse notre intelligence. Mais Grégoire veut qu’il s’agisse d’une construction partitive, lorsqu’on dit : milliers de milliers, comme si on disait : « des milliers parmi un nombre de milliers ». Il veut donc qu’on laisse entendre que le nombre de ceux qui assurent le service est plus grand que celui de ceux qui entourent, du fait qu’un nombre indéterminé est donné pour ceux qui assurent le service, et un nombre déterminé pour ceux qui entourent.

 

 

 

 

Articulus 4 [3730] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 tit. Utrum unius speciei sint plures Angeli

Article 4 – Existe-t-il plusieurs anges d’une seule espèce ?

 

[3731] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod sint plures Angeli unius speciei. Sicut enim Angelus est substantia simplex, ita et anima. Sed omnes animae rationales sunt unius speciei. Ergo et omnes Angeli.

1. Il semble qu’il existe plusieurs anges d’une seule espèce. En effet, de même que l’ange est une substance simple, de même aussi l’âme. Or, toutes les âmes raisonnables appartiennent à une même espèce. Donc, tous les anges aussi.

 

[3732] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, perfectio una secundum speciem est eorum quae in specie conveniunt. Sed omnes Angeli sunt perfectibiles una perfectione secundum speciem, quae est gratia vel gloria. Ergo videtur quod sint unius speciei.

2. Ce qui appartient à une seule espèce possède une perfection unique selon l’espèce. Or, tous les anges sont susceptibles d’une seule perfection selon l’espèce : la grâce ou la gloire. Il semble donc qu’ils soient d’une seule espèce.

 

[3733] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, divinae bonitatis, ut dictum est, proprium est nobiliora in entibus magis multiplicare, ut bonitas sua magis diffundatur. Sed in vilibus creaturis invenitur magna multitudo participantium unam speciem. Ergo videtur quod multo fortius hoc sit in Angelis.

3. C’est le propre de la bonté divine, comme on l’a dit, de multiplier plutôt les plus nobles parmi les êtres afin que sa bonté se répande davantage. Or, dans les créatures sans noblesse, on trouve un grand nombre de participants à une seule espèce. Il semble donc qu’à bien plus forte raison ce soit le cas pour les anges.

 

[3734] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, secundum Boetium, nullius rei sine consortio potest esse jucunda possessio. Sed in Angelis est maxima jucunditas, cum delectatio sit de ratione felicitatis, secundum philosophum in 1 Ethic. Ergo videtur quod in Angelis sit multorum consortium in una specie.

4. Selon Boèce, il ne peut exister de possession joyeuse d’une chose sans y être unie. Or, chez les anges, existe la joie la plus grande, puisque la délectation fait partie de la félicité, selon le Philosophe dans Éthique, I. Il semble donc que, chez les anges, existe l’union de plusieurs dans une espèce.

 

[3735] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, multiplicatio individuorum unius speciei non est nisi ad conservandum speciei perpetuitatem, quae in uno salvari non potest: unde in corporibus incorruptibilibus non est nisi unum individuum unius speciei, ut sol et luna. Sed Angelus est substantia incorruptibilis. Ergo non sunt plures Angeli unius speciei.

Cependant, [1] la multiplication des individus d’une seule espèce n’existe que pour conserver la perpétuité de l’espèce, qui ne peut être sauvegardée par un seul ; aussi, dans les corps incorruptibles, n’existe-t-il qu’un seul individu d’une seule espèce, comme le soleil et la lune. Or, l’ange est une substance incorruptible. Il n’existe donc pas plusieurs anges d’une seule espèce.

 

[3736] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Angelus est perfectior quolibet corpore. Sed aliquod corpus ad tantam perfectionem pervenit ut nihil suae naturae sit extra ipsum, ut patet in his quae constant ex tota materia suae speciei, ut patet in caelo, ut dicitur in 1 Cael. et Mund. Ergo videtur quod multo fortius extra unum Angelum non sit aliquid suae speciei.

[2] L’ange est plus parfait que n’importe quel corps. Or, un corps parvient à la perfection selon laquelle rien de sa nature n’existe en dehors de lui ; cela ressort dans ce qui est constitué de toute la matière de son espèce, comme c’est le cas du ciel, ainsi que le dit Sur le ciel et le monde, I. Il semble donc qu’à bien plus forte raison, en dehors d’un seul ange, n’existe rien de son espèce.

 

[3737] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt tres opiniones. Quidam enim dixerunt, quod omnes Angeli sunt unius speciei, adeo quod etiam Angelus et anima non differunt specie. Alii vero dicunt quod Angelus et anima differunt specie, et Angeli unius ordinis ab Angelis alterius ordinis; sed omnes qui sunt unius ordinis, sunt unius speciei. Alii vero dicunt, quod nullus Angelus est unius speciei cum alio: et haec opinio concordat cum dictis philosophorum, et etiam Dionysii, qui ponit in 10 cap. Cael. Hierarch., in eodem ordine esse primos, medios, et ultimos. Et huic necessarium est consentire, tum ex immaterialitate, tum etiam ex incorporeitate. Si enim immateriales ponuntur, cum nulla forma vel natura multiplicet numerum nisi in diversitate materiae, oportet quod forma simplex et immaterialis, non recepta in aliqua materia, sit una tantum: unde quidquid est extra eam, est alterius naturae, eo quod distet ab eo secundum formam, non secundum materiale principium, quod ibi nullum est. Talis autem diversitas causat differentiam in specie. Unde oportet quoslibet duos Angelos acceptos differre secundum speciem. Hoc etiam de necessitate sequitur si ex materia componantur, dummodo non ponantur corporea: quod sic patet. Quorumcumque materia secundum esse differre ponitur, oportet, si ista materia est ejusdem ordinis in utroque (sicut materia generabilium et corruptibilium est una) quod diversae formae secundum quas diversum esse accipit, recipiantur in diversis partibus materiae. Non enim una pars materiae, diversas formas oppositas et disparatas simul recipere potest. Sed impossibile est in materia intelligere diversas partes, nisi praeintelligatur in materia quantitas dimensiva ad minus interminata, per quam dividatur, ut dicit Commentator in libro de substantia orbis, et in 1 Physic., quia separata quantitate a substantia, remanet indivisibilis, ut in 1 Phys. philosophus dicit. Sed nulla forma recipitur in materia sub quantitate intellecta, nisi forma corporalis. Ergo impossibile est duos Angelos communicare in materia, vel in potentia unius ordinis. Sed omnis forma vel natura quae recipitur in diversis gradibus potentiarum, recipitur secundum prius et posterius secundum esse. Impossibile est autem naturam speciei communicari ab individuis per prius et posterius, nec secundum esse, nec secundum intentionem; quamvis hoc sit possibile in natura generis, ut dicitur in 3 Metaph. Ergo impossibile est duos Angelos, si sunt incorporei, esse unius speciei.

Réponse. À ce sujet, il y a trois opinions. En effet, certains ont dit que tous les anges appartiennent à une seule espèce, de sorte que l’ange et l’âme ne diffèrent pas selon l’espèce. Mais d’autres disent que l’ange et l’âme diffèrent selon l’espèce, et les anges d’un ordre, des anges d’un autre ordre ; mais tous ceux qui appartiennent à un seul ordre sont d’une seule espèce. D’autres disent encore qu’aucun ange n’est de la même espèce qu’un autre, et cette opinion s’accorde avec ce que disent les philosophes et aussi Denys, qui affirme, dans La hiérarchie céleste, X, que les premiers [anges], les [anges] intermédiaires et les derniers appartiennent au même ordre. Et il faut être d’accord avec celui-ci, tant en raison de l’immatérialité qu’en raison de l’incorporéité. En effet, si on affirme qu’ils sont immatériels, puisqu’aucune forme ou nature ne se multiplie en nombre que par la diversité de la matière, il est nécessaire qu’une forme simple et immatérielle, non reçue dans une matière, soit unique seulement. Aussi tout ce qui est en dehors d’elle appartient-il à une autre nature, du fait qu’elle s’en éloigne selon la forme, et non selon le principe matériel, qui n’y existe pas. Or, une telle diversité cause une différence selon l’espèce. Aussi est-il nécessaire que deux anges, quels qu’ils soient, diffèrent selon l’espèce. C’est aussi une conséquence nécessaire s’ils sont composés de matière, pourvu qu’on n’affirme pas qu’ils sont corporels. Cela se démontre de la manière suivante. Il est nécessaire d’affirmer que la matière de n’importe quelle chose diffère selon l’être, si cette matière est du même ordre dans deux choses (ainsi, la matière de choses susceptibles de génération et de corruption est une), de telle sorte que les diverses formes selon lesquelles elle reçoit l’être soient reçues dans les diverses parties de la matière. En effet, une seule partie de la matière ne peut recevoir en même temps diverses formes opposées et disparates. Or, il est impossible de concevoir diverses parties dans la matière, à moins de concevoir au préalable dans la matière une quantité dimensionnelle, tout au moins indéterminée, par laquelle elle est divisée, comme le dit le Commentateur dans Physique, I, car si l’on sépare la quantité de la substance, elle demeure indivisible, comme le dit le Philosophe dans Physique, I. Or, aucune forme n’est reçue dans la matière conçue comme quantifiée, sinon une forme corporelle. Il est donc impossible que deux anges aient en commun une matière ou une puissance du même ordre. Or, toute forme ou nature qui est reçue dans divers degrés de puissances est reçue selon un avant et un après dans l’être. Pourtant, il est impossible que la nature d’une espèce soit communiquée à des individus selon un avant et un après, ni selon l’être, ni selon l’intention, bien que cela soit possible pour la nature du genre, comme on le dit dans Métaphysique, III. Il est donc impossible que deux anges, s’ils sont incorporels, soient d’une seule espèce.

 

[3738] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis anima sit forma simplex, sicut et Angelus, tamen anima non recipit esse a Deo nisi in corpore: quia, secundum Augustinum, et infundendo creatur, et creando infunditur. Unde ex corpore recipit esse individuatum: quod quia non dependet ex corpore, remanet individuatio, etiam destructo corpore. Ideo Augustinus dicit, quod impossibilis est positio illorum haereticorum qui dicunt, plures animas ante corpus creatas fuisse. Sic autem non est in Angelo: et ideo non est ratio similis.

1. Bien que l’âme soit une forme simple, comme l’ange, l’âme ne reçoit cependant de Dieu l’être que dans un corps, car, selon Augustin, « elle est créée par infusion et elle est infusée par création ». Elle reçoit donc du corps un être individué ; parce que celui-ci ne dépend pas du corps, l’individuation demeure, même lorsque le corps est détruit. C’est pourquoi Augustin dit qu’est impossible la position des hérétiques qui disent que plusieurs âmes ont été créées avant le corps. Mais il n’en va pas de même chez l’ange. Le raisonnement n’est donc pas semblable.

 

[3739] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc tenet in perfectionibus quae sunt de natura rei, non autem in perfectionibus superadditis, quae non sequuntur ex principiis naturae, quales sunt gratia et gloria. Possunt enim etiam in corporibus diversa secundum speciem unum specie colorem habere.

2. Cela vaut pour les perfections qui font partie de la nature d’une chose, mais non pour les perfections ajoutées, qui ne découlent pas des principes de la nature, comme c’est le cas de la grâce et de la gloire. En effet, des choses diverses selon l’espèce dans les corps peuvent aussi avoir une seule couleur selon l’espèce.

 

[3740] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod perfectio universi essentialis non attenditur in individuis, quorum multiplicatio ordinatur ad perfectionem speciei, sed in speciebus per se. Unde magis apparet divina bonitas in hoc quod sunt multi Angeli diversarum specierum, quam si sint unius speciei tantum.

3. La perfection essentielle de l’univers ne se prend pas des individus, dont la multiplication est ordonnée à la perfection de l’espèce, mais des espèces en elles-mêmes. Aussi la bonté divine se manifeste-t-elle davantage dans le fait qu’il existe beaucoup d’anges d’espèces différentes, que s’ils étaient seulement d’une seule espèce.

 

[3741] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod delectatio, secundum philosophum in Ethicis, sequitur operationem perfectam: et ideo ad jucunditatem consortium exigitur in illa natura in qua non potest esse in uno perfecta operatio sine alterius adjutorio, ut in hominibus, in quibus unus per seipsum non sufficit ad operationem suae speciei: quod non potest in Angelis poni: et ideo hujusmodi objectio est vana. Non tamen negamus quin unus Angelus ab alio juvetur, cum inferiores per superiores illuminentur; et in hac societate est jucunditas civium caelestis curiae. Sed ad hoc non exigitur unitas speciei, sed conformitas gratiae.

4. Selon le Philosophe, dans Éthique, la délectation découle d’une opération parfaite. C’est pourquoi l’union est requise pour la joie dans la nature, où ne peut exister en une seule chose une opération parfaite sans l’aide d’une autre, comme chez les hommes, chez qui un seul ne suffit pas par lui-même à l’opération de son espèce, ce qui ne peut pas être affirmé des anges. C’est pourquoi cette objection est vaine. Nous ne nions cependant pas qu’un ange soit aidé par un autre, puisque les [anges] inférieurs sont illuminés par les [anges] supérieurs ; et les citoyens de la cour céleste trouvent la joie dans cette société. Cependant, l’unité d’espèce n’est pas exigée pour cela, mais une même forme de la grâce.

 

 

 

 

Articulus 5: [3742] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 tit. Utrum Angeli sint unius generis

Article 5 – Les anges appartiennent-ils à un seul genre ?

 

[3743] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Angeli non reducantur in unum genus. Quaecumque enim sunt unius generis, communicant in una potentia generis, ut dicitur in 10 Metaphysic.: sed Angeli non communicant in una potentia generis, quia immateriales sunt. Ergo videtur quod non sint unius generis.

1. Il semble que les anges ne se ramènent pas à un seul genre. En effet, tout ce qui appartient à un seul genre a en commun la seule puissance de ce genre, comme il est dit dans Métaphysique, X. Or, les anges n’ont pas en commun une seule puissance d’un genre, parce qu’ils sont immatériels. Il semble donc qu’ils n’appartiennent pas à un seul genre.

 

[3744] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, quaecumque exeunt ab aliquo communi, per divisionem exeunt ab illo, et prius erant in illo in potentia. Sed Angelus non exit de potentia in actum nisi sumatur potentia agentis; alias esset generabilis et corruptibilis: nec iterum est ponere aliquod unum secundum rem in plures Angelos divisum: hoc enim non posset esse, nisi illud unum esset quantum. Ergo non inveniuntur plures Angeli unius generis.

2. Tout ce qui provient de quelque chose de commun provient de cela par division, et auparavant cela y existait en puissance. Or, l’ange ne passe de la puissance à l’acte que si l’on envisage la puissance de l’agent, autrement il serait susceptible d’être engendré et corrompu. De plus, on ne peut affirmer quelque chose d’unique réellement divisé entre plusieurs anges : en effet, cela ne pourrait exister que si cette réalité unique était quelque chose de quantifié. On ne trouve donc pas plusieurs anges d’un seul genre.

 

[3745] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, omne genus univoce et aequaliter praedicatur de suis speciebus. Sed essentialia Angelorum quae consequuntur naturam communem in ipsis, inveniuntur in Angelis secundum magis et minus, ut in littera dicitur. Ergo videtur quod non sint unius generis.

3. Tout genre est prédiqué univoquement et également de ses espèces. Or, les attributs essentiels des anges, qui découlent d’une nature commune chez eux, se trouvent chez les anges selon le plus et le moins, comme il est dit dans le texte. Il semble donc qu’ils n’appartiennent pas à un seul genre.

 

[3746] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, quod differt ab alio in specie, si communicat cum eo genere, oportet esse compositum ex genere et differentia. Sed compositio generis et differentiae praesupponit compositionem formae et materiae, ut videtur: quia, secundum Avicennam, differentia sumitur ex principiis formalibus rei, genus autem ex materialibus: unde in 5 Metaph., dicuntur esse genere unum quae in materia conveniunt. Ergo videtur, cum Angelus non sit compositus ex materia et forma, et unus differat in specie ab alio Angelo, quod non possit etiam in genere convenire.

4. Ce qui diffère d’un autre selon l’espèce, s’il a le genre en commun avec lui, doit être composé du genre et d’une différence. Or, la composition de genre et de différence présuppose la composition de matière et de forme, semble-t-il, car, selon Avicenne, la différence se prend des principes formels d’une chose, mais le genre, des principes matériels ; aussi, dans Métaphysique, V, est-il dit que ce qui a la matière en commun est un par le genre. Puisque l’ange n’est pas composé de matière et de forme et qu’un ange diffère d’un autre selon l’espèce, il semble donc qu’ils ne puissent se rejoindre dans un genre.

 

[3747] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, genus substantiae est tantum genus unum. Sed quilibet Angelus est in genere substantiae. Ergo videtur quod in genere uno conveniant.

Cependant, [1] le genre de la substance est un genre unique. Or, chaque ange est dans le genre de la substance. Il semble donc que [les anges] se rejoignent dans un seul genre.

 

[3748] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, differentia addita generi constituit speciem. Sed incorporeum, secundum Porphyr., est differentia substantiae. Ergo substantia incorporea est species substantiae. Praedicatur autem de multis Angelis specie differentibus. Ergo est genus subalternum. Et ita in genere subalterno etiam Angeli conveniunt.

[2] La différence ajoutée au genre constitue l’espèce. Or, selon Porphyre, l’incorporel est la différence de la substance. La substance incorporelle est donc l’espèce d’une substance. Or, cela est prédiqué de plusieurs anges différents selon l’espèce. Il s’agit donc d’un genre subalterne. Et ainsi, les anges se rejoignent aussi dans un genre subalterne.

 

[3749] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod secundum Avicennam, omne id quod habet esse aliud a sua quidditate, oportet quod sit in genere; et ita oportet quod omnes Angeli ponantur in praedicamento substantiae. Haec est enim ratio substantiae, prout est praedicamentum, secundum Avicennam, quod sit res quidditatem habens, cui debeatur esse per se, non in alio, scilicet quod sit aliud a quidditate ipsa: et ideo ex ipsa possibilitate quidditatis trahitur ratio generis: ex complemento autem quidditatis trahitur ratio differentiae, secundum quod appropinquat ad esse in actu; sed hoc differenter contingit in substantiis compositis et simplicibus: quia in compositis possibilitas est ex parte materiae, sed complementum est ex parte formae; et ideo ex parte materiae sumitur genus, et ex parte formae differentia: non autem ita quod materia sit genus, aut forma differentia, cum utrumque sit pars, et neutrum praedicetur; sed quia materia est materia totius, non solum formae; et forma perfectio totius, non solum materiae; ideo totum potest assignari ex materia et forma et ex utroque. Nomen autem designans totum ex materia, est nomen generis; et nomen designans totum ex forma, est nomen differentiae; et nomen designans totum ex utroque, est nomen speciei: et hoc patet si consideretur quomodo corpus est genus animati corporis, et animatum differentia: semper enim invenitur genus sumptum ab eo quod materiale est, et differentia ab eo quod est formale: et inde est quod differentia determinat genus sicut forma materiam. In simplicibus autem naturis non sumitur genus et differentia ab aliquibus partibus, eo quod complementum in eis et possibilitas non fundatur super diversas partes quidditatis, sed super illud simplex: quod quidem habet possibilitatem secundum quod de se non habet esse, et complementum prout est quaedam similitudo divini esse, secundum hoc quod appropinquabilis est magis et minus ad participandum divinum esse; et ideo quot sunt gradus complementi, tot sunt differentiae specificae.

Réponse. Selon Avicenne, tout ce qui possède un acte d’être différent de sa quiddité doit se trouver dans un genre ; il est ainsi nécessaire que tous les anges soient situés dans le prédicament de la substance. En effet, selon Avicenne, la raison de substance, pour autant qu’elle est un prédicament, consiste en ce qu’elle soit une chose qui possède une quiddité, à laquelle est dû un acte d’être par soi, et non dans un autre, c’est-à-dire qu’il soit autre que la quiddité elle-même. C’est pourquoi la raison de genre est tirée de la puissance de la quiddité ; mais la raison de la différence est tirée de l’ajout à la quiddité, selon qu’elle s’approche de l’acte d’être en acte. Mais cela se produit différemment dans les substances composées et dans les substances simples, car, dans les substances composées, la puissance se prend du côté de la matière, mais l’ajout, du côté de la forme ; c’est pourquoi le genre se prend du côté de la matière, et la différence, du côté de la forme ; non pas que la matière soit le genre ou la forme, la différence, puisque les deux sont des parties et qu’aucun des deux n’est prédiqué, mais parce que la matière est la matière du tout, et non seulement de la matière. C’est pourquoi le tout peut être attribué selon la matière et la forme et selon les deux. Or, le nom qui désigne le tout selon la matière est le nom du genre ; le nom qui désigne le tout selon la forme est le nom de la différence ; et le nom qui désigne le tout selon les deux est le nom de l’espèce. Et cela ressort si l’on considère comment le corps est le genre du corps animé, et le fait d’être animé, la différence. En effet, le genre est toujours pris de ce qui est matériel, et la différence, de ce qui est formel ; de là vient que la différence détermine le genre comme la forme la matière. Or, dans les natures simples, le genre et la différence ne se prennent pas de certaines parties, du fait que le complément et la puissance chez elles ne se fondent pas sur des parties différentes de la quiddité, mais sur quelque chose de simple, qui est en puissance selon qu’il ne possède pas l’acte d’être par soi, et sur un complément, selon qu’il s’approche plus ou moins de la participation à l’acte d’être divin. Aussi, autant il existe de degrés du complément, autant il existe de différences spécifiques.

 

[3750] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non oportet quod conveniant nisi in una intentione potentiae, quae est possibilitas recipiendi esse a Deo, in quo subsistant sine quantitate et materia.

1. Il n’est pas nécessaire qu’ils aient en commun une seule intention de la puissance, qui est la possibilité de recevoir de Dieu l’acte d’être dans lequel ils subsistent sans quantité ni matière.

 

[3751] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 ad 2 Et per hoc patet responsio ad secundum: quia non oportet esse unam numero potentiam quae dividatur in omnes Angelos, vel in qua prius fuerint in potentia quam in actu.

2. La réponse au deuxième argument ressort ainsi clairement, car il n’est pas nécessaire qu’existe une seule puissance en nombre, divisée entre tous les anges, ou dans laquelle ils aient d’abord existé en puissance avant [d’exister] en acte.

 

[3752] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod genus praedicatur aequaliter de speciebus quantum ad intentionem, sed non semper quantum ad esse, sicut in figura et numero, ut in 3 Metaph. dicitur. Sed hoc in speciebus non contingit, ut ibidem dicitur: unde ex hoc sufficienter posset probari quod non sunt unius speciei, non autem quod non sunt unius generis, cum conveniant in genere, ad quod se habent omnes Angeli sicut diversae species numerorum se habent ad numerum, quarum una secundum esse est prior alia.

3. Le genre est prédiqué également des espèces pour ce qui est de l’intention, mais pas toujours pour ce qui est de l’être, comme c’est le cas pour la figure et le nombre, ainsi que le dit Métaphysique, III. Mais cela ne se produit pas dans les espèces, ainsi qu’on le dit au même endroit. Aussi pourrait-on suffisamment démontrer par là qu’ils ne sont pas d’une seule espèce, mais non qu’ils n’appartiennent pas à un seul genre, puisqu’ils se rejoignent dans le genre, avec lequel tous les anges entretiennent le même rapport que les diverses espèces de nombres par rapport au nombre, l’une étant antérieure à l’autre selon l’être.

 

[3753] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum patet responsio per ea quae dicta sunt.

4. La réponse ressort clairement de ce qui a été dit.

 

 

 

 

Articulus 6 : [3754] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 tit. Utrum Angelus et anima differant specie

Article 6 – L’ange et l’âme diffèrent-ils selon l’espèce ?

 

[3755] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod Angelus et anima specie non differant. Quaecumque enim conveniunt in ultima differentia constitutiva, sunt eadem specie, quia ipsa est quae complet rationem speciei. Sed Angelus et anima sunt hujusmodi. Ergo non differunt secundum speciem. Probatio minoris. Ultima differentia constitutiva sumitur ab eo quod nobilissimum in re est, cum se habeat ad genus et differentias praecedentes proportionabiliter sicut forma ad materiam. Sed Angelus et anima conveniunt in eo quod est nobilissimum in utroque, scilicet in intellectu. Ergo conveniunt in ultima differentia constitutiva.

1. Il semble que l’ange et l’âme ne diffèrent pas selon l’espèce. En effet, tout ce qui a en commun une différence ultime constitutive est de la même espèce, car c’est elle qui achève la raison de l’espèce. Or, l’ange et l’âme sont de cette sorte. Ils ne diffèrent donc pas selon l’espèce. Démonstration de la mineure. La différence ultime constitutive se prend de ce qui est le plus noble dans une chose, puisqu’elle a un rapport proportionnel avec le genre et les différences précédentes, comme la forme et la matière. Or, l’ange et l’âme se rejoignent dans ce qui est le plus noble chez les deux, l’intelligence. Ils se rejoignent donc dans la différence ultime constitutive.

 

[3756] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 arg. 2 Si diceres, quod ultima differentia constitutiva Angeli est intellectuale, quod ab intellectu sumitur, ultima autem differentia animae est rationale, sicut etiam Dionysius, videtur distinguere ordinem intellectualium et rationabilium: contra. Ea quae conveniunt communiter in duobus, non distinguunt inter ipsa. Sed intellectus non tantum ponitur in Angelis sed etiam in anima, ut patet in 3 de anima: similiter et ratio non tantum animae sed etiam Angelo convenit; unde Gregorius in Homil. Epiph. Angelum animal rationale vocat; et supra Magister creaturam rationalem in Angelum et animam distinxit. Ergo Angelus et anima non differunt penes rationale et intellectuale.

2. Si tu disais que la différence ultime de l’ange est quelque chose d’intellectuel, qui se prend de l’intelligence, mais que la différence ultime de l’âme était quelque chose de raisonnable, comme Denys semble aussi distinguer l’ordre des réalités intellectuelles et des réalités raisonnables, on objecterait que ce qui se rejoint en deux choses ne les distingue pas. Or, l’intelligence n’est pas reconnue seulement aux anges, mais aussi à l’âme ; de même, la raison ne convient pas seulement à l’âme, mais aussi à l’ange. Aussi, dans une homélie susr l’Épiphanie, Grégoire appelle-t-il l’ange un animal raisonnable ; et plus haut, le Maître a-t-il fait une distinction à l’intérieur de la créature raisonnable entre l’ange et l’âme. L’ange et l’âme ne diffèrent donc pas selon ce qui est raisonnsable et ce qui est intellectuel.

 

[3757] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 arg. 3 Si diceres, quod distinguitur penes unibile corpori et non unibile: contra. Quidquid consequitur rem habentem esse completum, non distinguit eam essentialiter a re alia: quia omnia hujusmodi quae sic consequuntur rem, sunt de genere accidentium. Sed unio ad corpus est quaedam relatio quae consequitur animam habentem in se esse completum ad corpus non dependens; alias sine corpore esse non posset. Ergo hoc quod est unibile corpori, non distinguit essentialiter vel secundum speciem animam ab Angelo.

3. Si tu disais qu’ils se distinguent selon ce qui est susceptible d’être uni à un corps et ce qui ne l’est pas, on objecterait que tout ce qui découle d’une réalité qui possède un être complet ne la distingue pas essentiellement d’une autre chose, car toutes les choses de ce genre, qui découlent ainsi d’une chose, font partie du genre des accidents. Or, l’union au corps est une relation qui découle de l’âme qui possède en elle-même un être complet qui ne dépend pas du corps, autrement elle ne pourrait exister sans corps. Ce qui est susceptible d’être uni à un corps ne distingue donc pas l’âme de l’ange essentiellement ou selon l’espèce.

 

[3758] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, differentia specifica non assignatur alicui rei nisi secundum quod est in genere ut species: quia differentia est qua abundat species a genere. Sed anima inquantum est forma talis corporis, non est in genere substantiae ut species, sed ut principium. Cum ergo unibilitas non conveniat animae nisi secundum quod est forma, videtur quod esse unibile non possit esse distinguens secundum speciem animam ab Angelo.

4. La différence spécifique n’est attribuée à une chose qu’en se situant dans un genre comme une espèce, car la différence est ce par quoi l’espèce déborde du genre. Or, l’âme en tant qu’elle est la forme de tel corps, ne se situe pas dans le genre de la substance en tant qu’espèce, mais en tant que principe. Puisque que la susceptibilité d’être unie [au corps] ne convient à l’âme que selon qu’elle est une forme, il semble donc que la susceptibilité d’être unie ne puisse établir une distinction selon l’espèce entre l’âme et l’ange.

 

[3759] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, ea quorum est unus finis, non differunt specie, cum cuilibet rei proprius finis respondeat. Sed idem est finis Angeli et animae rationalis; scilicet beatitudo aeterna, ut supra, distinct. 1, Magister dicit; quod etiam haberi ex eo potest quod dicitur Matth. 23, 30: erunt sicut Angeli Dei in caelo. Ergo Angelus et anima non differunt specie.

5. Les réalités qui ont une seule fin ne diffèrent pas selon l’espèce, puisqu’une fin propre correspond à chaque chose. Or, la fin de l’ange et de l’âme raisonnable est la même : la béatitude éternelle, comme le Maître dit plus haut, d. 1, que ce qui est dit en Mt 23, 30 : Ils seront comme des anges de Dieu dans le ciel, peut aussi s’entendre d’elle. L’ange et l’âme ne diffèrent donc pas selon l’espèce.

 

[3760] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra, plus differt anima ab Angelo, quam unus Angelus ab alio. Sed unus Angelus differt ab alio secundum speciem, ut dictum est. Ergo multo fortius anima ab Angelo.

Cependant, [1] l’âme diffère davantage de l’ange qu’un ange d’un autre. Or, un ange diffère d’un autre selon l’espèce, comme on l’a dit. À bien plus forte raison, l’âme [diffère-t-elle] d’un ange.

 

[3761] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, eidem formae vel perfectioni respondet idem perfectibile. Sed anima et Angelus sunt quaedam formae, prout communiter omnes substantias a materia separatas formas dicimus, quarum formae materiales sunt imagines, ut Boetius in Lib. 1 de Trinit. dicit. Cum ergo animae respondeat hoc perfectibile quod est corpus humanum, Angelo vero vel nullius vel alterius speciei, ut corpus aereum, secundum quod Augustinus videtur dicere, vel etiam corpus caeleste secundum opinionem Avicennae et quorumdam philosophorum; videtur quod anima et Angelus non sunt unius speciei.

[2] À une même forme ou perfection correspond une même réalité perfectible. Or, l’âme et l’ange sont des formes, pour autant que nous appelions formes toutes les substances séparées de la matière, dont les formes matérielles sont des images, comme le dit Boèce, dans le livre Sur la Trinité, I. Puisque correspond à l’âme cette réalité perfectible qu’est le corps humain, mais à l’ange, ce qui ne relève d’aucune ou d’une autre espèce, tel un corps aérien, selon ce que semble dire Augustin, ou un corps céleste, selon l’opinion d’Avicenne et de certains philosophes, il semble que l’âme et l’ange ne fassent pas partie d’une seule espèce.

 

[3762] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt tres opiniones. Quidam enim dicunt, quod anima non est in genere substantiae sicut species, sed sicut principium, cum sit forma; unde non proprie dicitur anima specie differre vel convenire cum alia substantia; sed proprie dicitur, quod secundum animam compositum ab alia vel cum alia substantia convenit specie vel differt. Sed hoc non videtur esse necessarium: quia, ut Avicenna dicit in sua Metaph., ad hoc quod aliquid sit proprie in genere substantiae requiritur quod sit res quidditatem habens, cui debeatur esse absolutum, ut per se esse dicatur vel subsistens: et ideo duobus modis potest contingere quod aliquid ad substantiae genus pertinens, non sit in genere substantiae sicut species: vel quia res illa non habet quidditatem aliam nisi suum esse; et propter hoc Deus non est in genere substantiae sicut species, ut ipse Avicenna dicit: vel quia res illa non habet esse absolutum, ut ens per se dici possit; et propter hoc materia prima et formae materiales non sunt in genere substantiae sicut species, sed solum sicut principia. Anima autem rationalis habet esse absolutum, non dependens a materia; quod est aliud a sua quidditate, sicut etiam de Angelis dictum est: et ideo relinquitur quod sit in genere substantiae sicut species, et etiam sicut principium, inquantum est forma hujus corporis: et inde venit ista distinctio, quod formarum quaedam sunt formae materiales, quae non sunt species substantiae; quaedam vero sunt formae et substantiae, sicut animae rationales. Secunda opinio est eorum qui dicunt, animam et Angelum unius speciei esse: quod nullo modo potest esse, si ab anima et Angelo compositio formae et materiae removeatur, ut supra de Angelis dictum est. Et ideo tertia opinio communior est, cui assentiendum videtur, quod anima et Angelus specie differunt. Quibus autem differentiis specificis distinguantur, diversimode assignatur. Quidam enim assignant eas specie distingui, per hoc quod est unibile corpori et non unibile. Alii vero per hoc quod est rationale et intellectuale esse. Tertio secundum hoc quod est habere intellectum possibilem respectu superiorum tantum; quod convenit Angelo; qui a superiori, scilicet Deo vel Angelo, illuminationem recipit: et secundum hoc quod est habere intellectum possibilem respectu superiorum et inferiorum, quod convenit animae humanae, quae etiam a superioribus illuminatur, et a phantasmatibus cognitionem recipit. Quarto secundum hoc quod est habere vertibilitatem immutabilem, quod Angelo convenit, eo quod immutabiliter adhaereat bono vel malo ad quod se semel per electionem convertit; vel habere mutabilem vertibilitatem, quod homini convenit, qui de bono in malum converti potest, et e contrario. Quinto secundum virtutem interpretativam: quia, secundum Damascenum, Angelus interpretatur vel loquitur quibusdam nutibus et signis intellectualibus sine vocis expressione, ut infra patebit; homo autem loquitur voce expressa. Nec est mirum quod sic diversimode Angeli et animae differre assignantur: quia differentiae essentiales, quae ignotae et innominatae sunt, secundum philosophum designantur differentiis accidentalibus, quae ex essentialibus causantur, sicut causa designatur per suum effectum; sicut calidum et frigidum assignantur differentiae ignis et aquae. Unde possunt plures differentiae pro specificis assignari, secundum plures proprietates rerum differentium specie, ex essentialibus differentiis causatas; quarum tamen istae melius assignantur quae priores sunt, quasi essentialibus differentiis propinquiores. Cum ergo substantiarum simplicium, ut dictum est de Angelis, sit differentia in specie secundum gradum possibilitatis in eis, ex hoc anima rationalis ab Angelis differt, quia ultimum gradum in substantiis spiritualibus tenet, sicut materia prima in rebus sensibilibus, ut dicit Commentator in 3 de anima. Unde quia plurimum de possibilitate habet, esse suum est adeo propinquum rebus materialibus, ut corpus materiale illud possit participare, dum anima corpori unitur ad unum esse: et ideo consequuntur istae differentiae inter animam et Angelum, unibile, et non unibile, ex diverso gradu possibilitatis. Item ex eodem sequuntur aliae differentiae, rationale et intellectuale: quia ex hoc quod Angelus plus habet de actu quam anima, et minus habet de potentia, participat quasi in plena luce naturam intellectualem (unde intellectualis dicitur); anima vero quia extremum gradum in intellectualibus tenet, participat naturam intellectualem magis defective quasi obumbrata: et ideo dicitur rationalis, quia ratio, ut dicit Isaac oritur in umbra intelligentiae. Tertia vero distinctio sequitur ex prima et secunda: ex hoc enim quod anima corporis forma et actus est, procedunt ab essentia ejus quaedam potentiae organis affixae, ut sensus, et hujusmodi, ex quibus cognitionem intellectualem accipit, propter hoc quod rationalis est habens cognitionem decurrentem ab uno in aliud; et sic a sensibilibus in intelligibilia venit, et per hoc ab Angelo differt, qui non a sensibilibus discurrendo ad intelligibilia, cognitionem accipit. Quarta autem distinctio sequitur ex secunda: quia dicitur, quod per hoc quod Angelus intellectum deiformem habet, convertitur ad quodcumque immobiliter; per quod ab anima dicitur Angelus differre, quae non intellectu deiformi, sed per inquisitionem rationis cognitionem habet. Quinta etiam sequitur ex prima: quia propter hoc quod anima corpori unitur, potest vocem corporalem formare, non autem Angelus. Unde patet quod istarum distinctionum prima melior est, quia accipitur secundum esse animae, quod primum est; secunda autem et tertia accipiuntur penes virtutem cognoscitivam vel intellectivam tantum, sicut secunda, vel penes intellectivam simul et sensitivam, sicut tertia. Quarta autem accipitur penes virtutem appetitivam; quia electio ad appetitum pertinet, ut dicit philosophus in Ethicis, per quam anima mutabiliter convertitur. Unde cum appetitiva posterior sit cognitiva, haec minus valet quam praecedentes. Quinta accipitur penes virtutem motivam: formatio enim vocis est per motum corporalem membrorum. Motiva autem posterior est cognitiva et appetitiva; unde minus valet inter alias.

Réponse. À ce sujet, il y a trois opinions. En effet, certains disent que l’âme ne fait pas partie du genre de la substance comme l’espèce, mais comme un principe, puisqu’elle est une forme ; aussi ne parle-t-on pas au sens propre lorsqu’on dit que l’âme diffère ou rejoint une autre substance selon l’espèce ; mais on parle au sens propre lorsqu’on dit que le composé rejoint ou diffère d’une autre espèce selon l’âme. Mais cela ne semble pas être nécessaire, car, ainsi que le dit Avicenne dans sa Métaphysique, pour que quelque chose fasse partie du genre de la substance, il est nécessaire que ce soit une chose qui possède une quiddité, à laquelle est dû un être absolu, de sorte qu’on dise d’elle qu’elle existe par soi ou qu’elle est subsistante. Il peut donc arriver de deux manières que quelque chose qui relève du genre de la substance ne fasse pas partie du genre de la substance comme l’espèce. Soit cette chose ne possède pas d’autre quiddité que son acte d’être, et, pour cette raison, Dieu ne fait pas partie du genre de la substance comme l’espèce, comme Avicenne lui-même le dit. Soit cette chose ne possède pas un acte d’être absolu, de sorte qu’elle puisse être appelée un être par soi, et, pour cette raison, la matière première et les formes matérielles ne font pas partie du genre de la substance comme des espèces, mais comme des principes seulement. Or, l’âme raisonnable possède un acte d’être absolu, qui ne dépend pas de la matière, qui est différent de sa quiddité, comme on l’a dit aussi pour les anges. Il reste donc qu’elle fasse partie du genre de la substance comme une espèce, et aussi comme un principe, pour autant qu’elle est la forme de tel corps. De là vient la distinction selon laquelle, parmi les formes, certaines sont des formes matérielles, qui ne sont pas des espèces d’une substance, mais certaines sont des formes et des substances, comme les âmes raisonnables. La deuxième opinion est celle de ceux qui disent que l’âme et l’ange font partie d’une seule espèce, ce qui ne peut d’aucune manière être le cas, si on écarte de l’âme et de l’ange la composition de forme et de matière, comme on l’a dit plus haut à propos de l’ange. C’est pourquoi la troisième opinion est la plus commune et celle qu’il faut accepter : l’âme et l’ange diffèrent selon l’espèce. Mais par quelles différences spécifiques ils se distinguent, on le reconnaît de diverses manières. En effet, certains reconnaisssent qu’ils se distinguent selon l’espèce du fait de la possibilité ou de l’impossibilité de l’union à un corps. D’autres, du fait qu’ils ont un être raisonnable et intellectuel. Troisièmement, selon qu’ils possèdent un intellect possible par rapport à ce qui leur est supérieur seulement, ce qui convient à l’ange, qui reçoit l’illumination d’un supérieur, à savoir, Dieu ou un ange ; et selon le fait de posséder un intellect possible par rapport à ce qui est supérieur et inférieur, ce qui convient à l’âme humaine, qui est aussi illuminée par les réalités supérieures et reçoit des fantasmes la connaissance. Quatrièmement, selon qu’il peut se tourner de manière immuable, ce qui convient à l’ange, du fait qu’il adhère de manière immuable au bien ou au mal vers lequel il se tourne une seule fois par un choix ; ou selon qu’il peut se tourner de manière changeante, ce qui convient à l’homme, qui peut se tourner du bien vers le mal, et inversement. Cinquièmement, selon la capacité d’interprétation, car, selon [Jean] Damascène, l’ange interprète ou parle par certaines indications et signes intellectuels sans exprimer de parole, comme cela ressortira plus loin ; mais l’homme parle par la parole expresse. Et il n’est pas étonnant qu’on affirme des anges et des âmes qu’ils se distinguent ainsi de diverses manières, car les différences essentielles, qui sont inconnues et sans nom, sont, selon le Philosophe, désignées par des différences accidentelles, qui sont causées par les [différences] essentielles, comme la cause est désignée par son effet. Ainsi, le chaud et le froid sont donnés comme des différences du feu et de l’eau. Plusieurs différences peuvent donc être attribuées pour les [différences] spécifiques selon plusieurs propriétés de choses qui diffèrent selon l’espèce, et qui sont causées par les différences essentielles ; parmi elles, sont attribuées au mieux celles qui sont premières et, pour ainsi dire, plus rapprochées des différences essentielles. Puisque la différence entre les substances simples est, comme on l’a dit des anges, une différence selon l’espèce par le degré de puissance qu’elles ont, l’âme raisonnable diffère des anges par le fait qu’elle détient le dernier degré parmi les substances spirituelles, comme la matière première pour les réalités sensibles, ainsi que le dit le Commentateur dans Sur l’âme, III. Parce qu’elle possède davantage de potentialité, son être est à ce point proche des réalités matérielles, que le corps matériel peut y participer aussi longtemps que l’âme est unie au corps par un seul acte d’être. C’est pourquoi ces différences entre l’âme et l’ange en découlent : le fait de pouvoir ou non être uni, en raison du degré différent de puissance. De même, les autres différences : la rationalité et l’intellectualité, découlent-elles de la même chose, car, du fait que l’ange possède davantage d’acte que l’âme et possède moins de puissance, il participe à la nature intellectuelle pour ainsi dire par une pleine lumière (c’est la raison pour laquelle il est appelé intellectuel) ; mais l’âme, parce qu’elle occupe le dernier degré parmi les réalités intellectuelles, participe à la nature intellectuelle d’une manière plutôt déficiente et comme ombragée ; aussi est-elle appelée raisonnable, car, ainsi que le dit Isaac, « la raison se lève dans l’ombre de l’intelligence ». Mais la troisième distinction découle de la première et de la deuxième. En effet, parce que l’âme est la forme et l’acte du corps, certaines puissances reliées à des organes proviennent de son essence, comme le sens et celles de ce genre, à partir desquelles elle reçoit la connaissance intellectuelle ; c’est la raison pour laquelle [l’âme] raisonnable a une connaissance qui passe d’une chose à une autre. C’est ainsi qu’elle atteint ce qui est intelligible à partir des réalités sensibles. Elle diffère ainsi de l’ange, qui ne reçoit pas la connaissance en passant de ce qui est sensible à ce qui est intelligible. Mais la quatrième [différence] découle de la deuxième, car on dit que, parce que l’ange possède un intellect déiforme, il se tourne vers n’importe quoi d’une manière immobile. En cela, on dit que l’ange diffère de l’âme, qui possède la connaissance, non par un intellect déiforme, mais par une recherche de la raison. La cinquième [différence] découle aussi de la première, car, du fait que l’âme est unie au corps, elle peut formuler une parole corporelle, ce qui n’est pas le cas de l’ange. Il ressort donc ainsi clairement que la première de ces distinctions est meilleure, parce qu’elle se prend selon l’acte d’être de l’âme, qui est premier. Mais la deuxième et la troisième se prennent seulement de la puissance cognitive ou intellectuelle, comme la deuxième, ou, en même temps, de la [puissance] intellective et de la puissance sensible, comme la troisième. Mais la quatrième [différence] se prend de la puissance appétitive, car le choix relève de l’appétit, comme le dit le Philosophe dans l’Éthique ; par lui, l’âme se tourne de manière changeante. Puisque la [puissance] appétitive est postérieure à la [puissance] cognitive, cette [distinction] a donc moins de valeur que les précédentes. La cinquième [différence] se prend de la puissance motrice : en effet, la formation d’une parole se réalise par le mouvement de membres corporels. Or, la [puissance] motrice est postérieure aux [puissances] cognitive et appétitive ; elle a donc moins de valeur par rapport aux autres.

 

[3763] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod differentia non est nobilior genere, sicut natura una est nobilior altera, vel sicut forma una nobilior est alia: quia differentia nullam formam dicit, quae implicite in natura generis non contineatur, ut dicit Avicenna: genus enim non significat partem essentiae rei, sed totum. Sed dicitur genere nobilior, sicut determinatum indeterminato; et per hunc modum habere intellectum sic, est nobilius quam habere intellectum simpliciter; et habere sensum sic, quam habere sensum simpliciter: et ideo anima et Angelus non conveniunt in eo quod per modum istum est nobilissimum in eis; unde non oportet quod conveniant in differentia ultima specifica, et ita sint idem specie.

1. La différence n’est pas plus noble que le genre, comme une nature est plus noble qu’une autre, ou comme une forme est plus noble qu’une autre, car la différence n’exprime aucune forme qui ne soit contenue implicitement dans la nature du genre, comme le dit Avicenne. En effet, le genre ne signifie pas une partie de l’essence d’une chose, mais le tout. Mais on dit [de la différence] qu’elle est plus noble que le genre comme ce qui est déterminé par rapport à ce qui est indéterminé. Posséder ainsi l’intelligence est donc plus noble que posséder l’intelligence simplement; et posséder ainsi le sens, que posséder le sens simplement. C’est pourquoi l’âme et l’ange n’ont pas ainsi en commun ce qui est le plus noble en eux. Il n’est donc pas nécessaire qu’ils se rejoignent dans une différence ultime spécifique, et soient ainsi la même chose selon l’espèce.

 

[3764] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in homine est intellectus; non tamen propter hoc in ordine intellectualium proprie ponitur: quia illa substantia intellectualis dicitur cujus tota cognitio secundum intellectum est, quia omnia quae cognoscit, subito sine inquisitione sibi offeruntur: non autem ita est de cognitione animae, quia per inquisitionem et discursum rationis ad notitiam rei venit: et ideo rationalis dicitur, quia ejus cognitio secundum terminum tantum et secundum principium intellectualis est: secundum principium, quia prima principia sine inquisitione statim cognoscit (unde habitus principiorum indemonstrabilium intellectus dicitur): secundum terminum vero, quia inquisitio rationis ad intellectum rei terminatur; et ideo non habet intellectum ut naturam propriam, sed per quamdam participationem. Ratio autem et de Deo et de Angelis dicitur; tamen alio modo sumitur, secundum quod scilicet omnis cognitio immaterialis ratio potest dici, prout dividitur ratio contra sensum, et non contra intellectum.

2. L’intelligence existe chez l’homme ; cependant, il n’est pas pour autant situé à proprement parler dans l’ordre des réalités intellectuelles, car on appelle substance intellectuelle celle dont toute la connaissance se réalise selon l’intellect, puisque tout ce qu’elle connaît lui est offert d’un coup sans recherche. Mais il n’en va pas de même de la connaissance de l’âme, car elle parvient à la connaissance d’une chose par la recherche et la démarche de la raison. Elle est donc appelée raisonnable parce que sa connaissance n’est intellectuelle que dans son principe et dans son terme : dans son principe, parce qu’elle connaît les premiers principes sans recherche (c’est ainsi que l’habitus des principes indémontrables est appelé intelligence) ; mais, dans son terme, parce que la recherche de la raison aboutit à l’intelligence d’une chose. Elle ne possède donc pas l’intelligence comme sa nature propre, mais selon une certaine participation. Tooutefois, on parle de raison pour Dieu et pour les anges; mais on l’entend différemment, selon que toute connaissance immatérielle peut être appelée raison, pour autant que la raison s’oppose au sens, et non à l’intelligence.

 

[3765] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unibilitas non est propria differentia essentialis; sed est quaedam designatio essentialis differentiae per effectum, ut dictum est.

3. La capacité d’être unie n’est pas une différence essentielle, mais elle est une désignation de la différence essentielle en vertu de son effet, ainsi qu’on l’a dit.

 

[3766] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 ad 4 Et per hoc etiam patet responsio ad quartum; quia illud quod convenit animae inquantum est forma, est effectus differentiae essentialis.

4. Par cela, la réponse à la quatrième objection ressort clairement, car ce qui convient à l’âme en tant qu’elle est forme est un effet de la différence essentielle.

 

[3767] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ea quae differunt specie, differunt secundum finem proximum, qui est permanentia vel operatio rei, ut in 2 Cael. et mundi dicitur. Possunt tamen convenire in fine ultimo, et hujusmodi finis est beatitudo.

5. Les choses qui diffèrent selon l’espèce diffèrent selon la fin rapprochée, qui est la permanence ou l’opération de la chose, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, II. Elles peuvent cependant se rejoindre dans la fin ultime, et ce genre de fin est la béatitude.

 

 

 

 

Exposistio textus

Explication du texte

 

[3768] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 expos. Et quatuor quidem Angelis videntur attributa. Videtur inconvenienter numerare: quia Dionysius attribuit tria Angelis, scilicet essentiam, virtutem et operationem; hic autem de operatione non fit mentio. Praeterea, in 11 Metaph. dicitur a Commentatore, quod substantiae separatae dividuntur in voluntatem et intellectum; et ita videtur quod duo tantum debeant esse attributa. Praeterea, liberum arbitrium est facultas rationis et voluntatis. Ergo videtur quod non debeat dividi contra tertium attributum. Item quaeritur de ratione numeri. Ad hoc dicendum, quod haec attributa accipiuntur secundum haec tria: substantia, species, et virtus, quae sic differunt. Res enim potest considerari secundum quod est principium alterius; et sic invenitur in re virtus, et secundum hoc attribuitur Angelis liberum arbitrium. Vel secundum quod est in se, et hoc dupliciter: vel quantum ad ipsam naturam subsistentem, vel quantum ad modum perfectionis ejus, secundum quam speciem sortitur; et sic est species, et tertium attributum, quod est naturae rationalitas, secundum quod ratio dicta est in Angelis esse. Si vero quantum ad ipsam naturam subsistentem, sic est substantia; et secundum hanc duo sumuntur secundum duplicem acceptionem ejus: scilicet prout dicitur quidditas rei, et sic sumitur primum attributum, scilicet essentiae simplicitas; vel secundum quod dicitur hypostasis, et sic sumitur secundum, scilicet personalitas. Ad primum ergo dicendum, quod operationis principium est ipsemet Angelus; et ideo non numeratur inter collata sibi a creatione. Ad secundum dicendum, quod ista duo sunt quasi duae potentiae ejus; unde reducitur ad ultimum attributum et ad tertium diversimode. Ad tertium dicendum, quod in tertio attributo ponitur ratio et voluntas non secundum quod sunt potentiae consequentes essentiam, sed ut per eas designatur species essentiae ex qua procedunt, sicut etiam rationale ponitur differentia hominis: sed ad quartum pertinent, secundum quod sunt potentiae. Differentem essentiae tenuitatem, et differentem sapientiae perspicacitatem, atque differentem arbitrii libertatem et habilitatem recte habuisse intelligitur. Quomodo hoc sit ex dictis patet: quia quanto quidditas est magis propinqua ad esse divinum, tanto minus habet de potentia, et ita est major simplicitas; et ita etiam cetera nobiliora erunt inquantum nobilius esse recipiunt. Qui tunc per naturalia bona aliis excellebant, ipsi etiam per munera gratiae aliis praeerant. Quantum ad illos qui ponunt Angelos in gratuitis creatos facile est rationem assignare: quia ad nihil aliud potuit gratia mensurari nisi ad capacitatem naturae. Si autem ponantur in gratia non creati, tunc, cum in naturalibus simul accipiendus sit conatus secundum quod naturalia dicimus etiam illa in quae per principia naturalia possumus, prout naturale contra gratuitum dividitur; probabile est etiam ut cujus natura est dignior, etiam conatus esset major in illud ad quod natura ordinabatur, cum non esset aliquid retardans, sicut in nobis, in quibus corpus quod corrumpitur, aggravat animam, Sapient. 9, 15. Et ideo quidquid sit de Angelis, certum est quod nobis non infunditur gratia secundum mensuram naturalium, sed magis secundum mensuram conatus.

 

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’ange était-il mauvais au commencement de sa création ?]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[3769] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 pr. Hic Magister inquirit, quales Angeli effecti sunt secundum culpam vel gratiam; et dividitur in partes duas: in prima ostendit quod Angeli non sunt facti mali in principio suae creationis; in secunda ostendit qua perfectione erant boni, ibi: hic inquiri solet quam sapientiam habuerunt. Prima in duas: in prima ponit quaestionem; in secunda prosequitur eam, secundum diversas opiniones, ibi: putaverunt enim quidam, Angelos qui ceciderunt creatos esse malos. Et circa hoc duo facit: primo ponit opinionem dicentium Angelos creatos esse malos; secundo ponit contrariam opinionem, ibi: aliis autem videtur omnes Angelos creatos esse bonos. Et circa hoc tria facit: primo ponitur opinio; secundo improbatio primae opinionis, et confirmatio hujus auctoritate et ratione, ibi: ad hoc confirmandum utuntur testimonio Augustini; tertio ponitur responsio ad auctoritates primae opinionis, ibi: Augustinus exterminans opinionem eorum qui Angelos creatos fuisse malos putant, auctoritate et ratione probat bonos fuisse creatos; et primo exponitur auctoritas Job; secundo auctoritas Evangelii, ibi: deinde qualiter verba domini quae supra posuit accipienda sint Augustinus aperit. Hic inquiri solet quam sapientiam habuerunt ante casum vel confirmationem. Hic ostenditur quam perfectionem habuerint Angeli in principio suae creationis, et primo quantum ad cognitionem, secundo quantum ad dilectionem, ibi: solet etiam quaeri, utrum aliquam Dei vel sui dilectionem invicem habuerint. Hic tria quaeruntur: 1 utrum Angelus in principio suae creationis malus fuerit; 2 de naturali cognitione Angelorum; 3 de dilectione eorum.

Ici, le Maître se demande ce que sont devenus les anges par la faute ou par la grâce. Il y a deux parties : dans la première, il montre que les anges n’ont pas été créés mauvais au commencement de leur création ; dans la seconde, il montre par quelle perfection ils étaient bons, à cet endroit : « Ici, on a coutume de se demander quelle sagesse ils possédaient. » La première partie se divise en deux : dans la première, il pose une question ; dans la seconde, il la poursuit selon diverses opinions, à cet endroit : « En effet, certains ont pensé que les anges qui sont tombés ont été créés mauvais. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il présente l’opinion de ceux qui disent que les anges ont été créés mauvais ; deuxièmement, il présente l’opinion contraire, à cet endroit : « Il semble à d’autres que tous les anges ont été créés bons. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, l’opinion est présentée. Deuxièmement, la réfutation de la première opinion et la confirmation de celle-ci par l’autorité et par la raison, à cet endroit : « Pour confirmer cela, ils recourent au témoignage d’Augustin. » Troisièmement, la réponse aux autorités en faveur de la première opinion est présentée, à cet endroit : « Augustin, en détruisant l’opinion de ceux qui pensent que les anges ont été créés mauvais, démontre par l’autorité et la raison qu’ils ont été créés bons. » En premier lieu, l’autorité de Job est présentée. En second lieu, l’autorité de l’évangile, à cet endroit : « Ensuite, Augustin montre comment doivent être comprises les paroles du Seigneur qu’il a présentées plus haut. ». « Ici, on a coutume de se demander quelle sagesse ils ont eue avant la chute ou la confirmation. ». Il est montré ici quelle perfection les anges ont eue au commencement de leur création : d’abord, quant à la connaissance et, en second lieu, quant à l’amour, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander s’ils ont eu un amour de Dieu ou un amour de soi [ou] des uns pour les autres. » Ici, trois questions sont posées : 1. L’ange était-il mauvais au commencement de sa création ? 2. Sur la connaissance naturelle des anges. 3. Sur leur amour.

 

 

 

 

Articulus 1 : [3770] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 tit. Utrum Angelus in principio suae creationis potuerit esse malus

Article 1 – L’ange pouvait-il être mauvais au commencement de sa créaton ?

 

[3771] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angelus in principio suae creationis malus esse potuit. Dicitur enim ad Rom. 9, 21: numquid non habet potestatem figulus ex eodem luto facere aliud vas in honorem, et aliud in contumeliam? Vasa quae in honorem Deus, sicut figulus, facit, sunt sancti, qui praeparantur in gloriam: vasa autem in contumeliam sunt peccatores praeparati ad poenam. Ergo potest Deus quosdam justos et quosdam peccatores creare: et sic potuit Angelus in principio creationis suae malus esse.

1. Il semble que l’ange pouvait être mauvais au commencement de sa création. En effet, il est dit dans Rm 9, 21 : Le potier n’a-t-il pas le pouvoir de fabriquer avec la même argile un vase de luxe et un vase de honte ? Les vases que Dieu réalise comme le potier pour l’honneur sont les saints, qui sont préparés pour la gloire ; mais les vases [que Dieu prépare] pour la honte sont les pécheurs, qui sont préparés pour la peine. Dieu peut donc faire de certains des justes et de certains des pécheurs, et ainsi l’ange pouvait être mauvais au commencement de sa création.

 

[3772] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, Isaiae 45 dicitur, quod Deus est faciens bonum, et creans malum. Sed primum malum inventum est in Angelo. Ergo videtur quod a Deo creatus sit malus.

2. En Is 45, il est dit que Dieu fait le bien et crée le mal. Or, le premier mal s’est trouvé chez l’ange. Il semble donc qu’il ait été créé mauvais par Dieu.

 

[3773] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum Augustinum, Angelus et homo, ad minus secundum animam, simul creati sunt. Sed homo factus est propter reparationem ruinae angelicae; non autem hoc esset, Angelo adhuc non ruente. Ergo videtur quod Angelus in principio creationis suae malus et ruens fuit.

3. Selon Augustin, l’ange et l’homme ont été créés en même temps, du moins pour ce qui est de l’âme. Or, l’homme a été créé en vue de réparer la chute de l’ange ; mais cela n’aurait pas été le cas si l’ange n’était pas tombé. Il semble donc que l’ange ait été mauvais et soit tombé dès le commencement de sa création.

 

[3774] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, in naturis corporalibus videmus quod statim ut res incipit esse, habet operationem suam. Unde idem est instans ad quod terminatur generatio ignis, et in quo incipit motus localis ejus. Sed voluntas Angeli est virtuosior quam natura corporalis. Ergo in principio creationis voluntas in operationem exire potuit. Sed per operationem suam, quae indivisibilis est, et ita in instanti compleri potuit, factus est malus. Ergo bene dicitur, quod in primo instanti suae creationis potuit esse malus.

4. Dans les natures corporelles, nous voyons que dès qu’une chose commence à exister, elle possède son opération. Aussi est-ce le même instant où la génération du feu se termine et où son mouvement local commence. Au commencement de la création, la volonté pouvait donc passer à l’acte. Or, [l’ange] a été rendu mauvais par son opération, qui est indivisible et pouvait ainsi s’achever dans l’instant. C’est donc à juste titre qu’on dit qu’il a pu être mauvais dès le premier instant de sa création.

 

[3775] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, si prius fuit bonus et postea malus, est signare ultimum instans in quo fuit bonus vel innocens, et primum in quo fuit malus. Aut est ergo unum et idem instans; et sic simul est bonus et malus: aut aliud et aliud; et sic cum inter quaelibet duo instantia sit unum tempus medium, in tempore isto neque erit bonus neque malus: quorum utrumque est impossibile. Ergo Angelus non est factus ex bono malus, sed in principio creationis suae fuit malus.

5. Si [l’ange] a d’abord été bon et ensuite mauvais, il faut marquer le dernier instant où il était bon ou innocent, et le premier où il a été mauvais. Soit il s’agit d’un seul et même instant, et ainsi il est en même temps bon et mauvais ; soit il s’agit de deux instants, et ainsi, puisqu’il existe un temps intermédiaire entre deux instants, quels qu’ils soient, il n’était ni bon ni mauvais pendant ce temps, deux choses qui sont impossibles. L’ange n’est donc pas devenu mauvais après avoir été bon, mais il était mauvais dès le commencement de sa création.

 

[3776] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Gen. 1, 31, dicitur: vidit Deus cuncta quae fecerat, et erant valde bona. Sed Angelum fecerat. Ergo in principio suae creationis bonus erat.

Cependant, [1] il est dit en Gn 1, 31 : Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et cela était très bon. Or, il avait créé l’ange. Celui-ci était donc bon au commencement de sa création.

 

[3777] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, dicitur, quod inferiores Angeli peccaverunt occasionem sumentes ex peccato primi. Sed hoc non potest esse, nisi primo viderint eum bonum. Ergo videtur, quod aliquando fuit bonum.

[2] On dit que les anges inférieurs ont péché en prenant occasion du péché du premier [ange]. Or, cela est impossible s’ils ne l’avaient d’abord vu bon. Il semble donc qu’il ait été bon à un certain moment.

 

[3778] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc fuit triplex positio. Quidam enim dixerunt, quod Angelus a Deo creatus est malus. Hoc autem haereticum est, et impossibile. Nullus enim effectus consequitur ab agente nisi secundum conditionem agentis. Dictum est autem supra, quod causa creationis rerum est quia Deus bonitatem suam rebus communicare voluit; unde impossibile est quod ab ipso fiat aliquid nisi secundum quod suae bonitatis particeps est; et hujusmodi est bonum, et non malum. Ideo alii dixerunt, quod Angelus, in principio suae creationis, malus fuit, non tamen malitiam a Deo habuit, sed actu propriae voluntatis. Haec autem positio vana et erronea est et falsa. Vana, quia non habet fundamentum firmum per quod probetur, cum malitia Angeli ex voluntate ejus dependeat; et ideo cum voluntas se habeat ad utrumlibet, ratio inveniri non potest. Erronea est, quia primae opinioni nimis vicina est et a magistris damnata. Falsa est, quia impossibile est Angelum in primo instanti suae creationis peccasse: cujus impossibilitatis haec a quibusdam causa assignatur: quia duarum operationum se consequentium non potest esse unus terminus: operatio autem Angeli consequitur creationem; unde non potest esse quod idem sit instans in quo primo est ens, quod est terminus creationis, et in quo primo est malus, quod est terminus operationis. Sed haec ratio non videtur cogens: quia cum operatio voluntatis Angeli non sit continua, non oportet quod ultimum ejus differat a principio: principium autem potest esse simul cum termino creationis; unde et terminus operationis potest esse simul cum termino creationis. Nec potest dici, quod oporteat actum voluntatis sequi apprehensionem intellectus, nisi ordine naturae: quia de eodem potest simul esse cognitio et voluntas. Nec iterum potest dici quod oportet collationem praecedere de appetendo: quia intellectus Angeli non est inquisitivus vel collativus. Et ideo aliter dicendum, quod cum voluntas non sit nisi boni, non potest esse aliquid volitum nisi apprehendatur ut bonum ad appetendum; quod si vere est bonum, non est peccatum in appetitu. Ergo oportet, si est peccatum, quod sit verisimiliter bonum, et non vere bonum. Sed, secundum Augustinum in libro contra Academicos, non potest aliquis judicare verisimile, nisi verum sit cognitum. Ergo oportet ut intellectus veri boni praecedat intellectum verisimilis boni; et ita appetitus aestimati boni quo malus fit Angelus, non potest sequi primum actum intellectus secundum quod considerat verum bonum, sed secundum quod considerat verisimile bonum. Unde cum impossibile sit intellectui creato simul plura intelligere, non potuit in primo instanti creationis appetitus Angeli esse malus.

Réponse. À ce sujet, il y a eu trois opinions. En effet, certains on dit que l’ange a été créé mauvais par Dieu. Or, cela est hérétique et impossible. En effet, aucun effet ne découle d’un agent que selon la condition de l’agent. Or, on a dit plus haut que la cause de la création des choses est que Dieu a voulu communiquer sa bonté aux choses. Il est donc impossible qu’une chose ait été créée par lui, à moins de participer à sa bonté ; c’est là quelque chose de bon, et non de mal. C’est pourquoi d’autres ont dit que l’ange, au commencement de sa création, était mauvais ; toutefois il n’a pas reçu de Dieu sa méchanceté, mais de l’acte de sa propre volonté. Or, cette position est futile, erronée et fausse. Futile, car elle ne possède pas d’appui solide pour sa démonstration, puisque la malice de l’ange dépend de sa volonté. Puisque la volonté peut se porter sur les deux choses, on ne peut donc en trouver la raison. Elle est erronée, car elle est trop proche de la première opinion et a été condamnée par les maîtres. Elle est fausse, car il est impossible que l’ange ait péché au premier instant de sa création. Certains donnent comme cause de cette impossibilité le fait qu’il ne peut exister un seul terme pour deux opérations qui se suivent. Or, l’opération de l’ange découle de la création. L’instant dans lequel il est d’abord un être, qui est le terme de la création, et dans lequel il est d’abord mauvais, qui est le terme de son opération, ne peut donc être le même. Mais ce raisonnement ne semble pas contraignant. En effet, comme l’opération de la volonté de l’ange n’est pas continue, il n’est pas nécessaire que son point ultime coïncide avec celui de la création. Aussi le terme de l’opération peut-il exister en même temps que le terme de la création. Et on ne peut pas dire qu’il est nécessaire que l’acte de la volonté suit la saisie par l’intellect, si ce n’est selon un ordre de nature, car la connaissance et la volonté peuvent porter sur une même chose. On ne peut pas non plus dire qu’une comparaison doit précéder le désir, car l’intellect de l’ange ne recherche pas et ne fait pas de comparaisons. Il faut donc dire autre chose : puisque la volonté ne porte que sur le bien, une chose ne peut être voulue que si elle est saisie comme un bien à désirer ; s’il s’agit d’un vrai bien, il n’y a pas de péché dans l’appétit. Il est donc nécessaire, s’il y a péché, qu’il s’agisse d’un bien apparent, et non d’un véritable bien. Or, selon Augustin, dans le livre Contre les académiciens, quelqu’un ne peut juger d’un [bien] apparent, que s’il connaît le [bien] véritable. Il est donc nécessaire que la saisie du bien véritable précède la saisie du bien apparent. Et ainsi, l’appétit de ce qui est estimé un bien, par lequel l’ange devient mauvais, ne peut-il découler du premier acte de l’intellect par lequel il considère le bien véritable, mais selon qu’il considère un bien apparent. Puisqu’il est impossible à l’intellect créé d’intelliger plusieurs choses en même temps, l’appétit de l’ange n’a donc pas pu être mauvais dès le premier instant de sa création.

 

[3779] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in vasis contumeliae non facit Deus malitiam, sed naturam; sed ordinat malitiam ad poenam; et iste ordo designatur cum dicitur: in contumeliam. Potest enim designari ordo vel poenae ad culpam, et hic ordo est a Deo; vel culpae ad naturam, et haec conjunctio non est a Deo. Unde in proposito tenetur consecutive, non causative.

1. Dans les vases honteux, Dieu ne fait pas la malice, mais la nature ; toutefois, il ordonne la malice à la peine. Cet ordre est indiqué lorsqu’il est dit : pour la honte. En effet, on peut indiquer soit l’ordre de la peine à la faute, et cet ordre vient de Dieu ; soit [l’ordre] de la faute à la nature, et cette association ne vient pas de Dieu. Aussi, dans ce qui est en cause, parle-t-on de manière consécutive, et non causative.

 

[3780] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc intelligitur de malo poenae, et non de malo culpae; et de hoc infra plenius agetur, dist. 37.

2. Cela s’entend du mal de peine, et non du mal de faute. On en traitera davantage plus loin, d. 37.

 

[3781] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam supposito quod homo simul cum Angelo creatus sit, non oportet quod Angelo existente malo, creatus sit homo: quia non est principalis finis creationis hominis, reparatio ruinae angelicae, sed quaedam utilitas consequens, ut supra dictum est. Et hanc utilitatem Deus praevidebat, in cujus praescientia eventus omnium rerum erant.

3. Même en supposant que l’homme a été créé en même temps que l’ange, il n’est pas nécessaire que, l’ange devenant mauvais, l’homme soit créé, car la réparation de la chute de l’ange n’est pas la fin principale de la création de l’homme, mais un bien qui en découle, comme on l’a dit plus haut. Et Dieu prévoyait ce bien, dans la prescience de qui l’apparition de toutes choses se trouvait.

 

[3782] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in instanti suae creationis aliquem actum voluntatis habere potuit; non tamen primus actus potuit esse malus sicut nec prima cognitio falsa.

4. [L’ange] a pu avoir un acte de volonté dans l’instant de sa création ; mais son premier acte ne pouvait pas être mauvais, comme sa première connaissance ne pouvait être fausse.

 

[3783] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod secundum quosdam, in eodem instanti Angelus fuit primo bonus, et post malus, et illud instans quamvis sit unum re, tamen differt ratione, secundum quod est finis praeteriti et principium futuri. Sed diversa ratio comparationis non tollit conjunctionem eorum quae sunt in uno instanti; unde sequeretur quod innocentia et malitia ejus conjungerentur, quod est impossibile. Ideo alii dicunt, quod in toto tempore praecedenti fuit bonus, sed in istius temporis ultimo instanti est malus: et sicut non est assignare immediatum instans ante aliud instans, ita nec ultimum instans in quo fuit bonus. Sed ista ratio bona est, prout inducitur a philosopho, in 8 Physic., tunc quando nunc continuat tempus quietis et motus, qui semper se tenet cum passione, quae inest subjecto mobili tempore quietis, sive praecedat quies sive sequatur. Sed si poneretur instans inter duas quietes, vel inter duas partes motus continui, non magis se tenet cum uno quam cum alio. Non autem dicimus hic quod Angelus per aliquem motum continuum factus sit malus; et ideo primum instans malitiae suae non est medium inter quietem et motum, sed inter duas quietes. Unde ratio ista non est ad propositum. Ideo aliter dicendum, quod est assignare ultimum instans in quo Angelus fuit bonus et primum in quo fuit malus, nec inter haec instantia fuit tempus medium, quia tempus formaliter est numerus, nec sequitur ipsum continuitas nisi ex parte motus. Unde cum vicissitudo affectionum in Angelo, per quas est bonus et malus, non sit continua, nec ordinata ad aliquem motum continuum; numerus earum dicetur tempus, quia secundum prius et posterius se habent; sed non erit continuum; unde inter ejus instantia non necessario accipietur tempus medium, sicut nec inter duas unitates numerus.

5. Selon certains, l’ange a été d’abord bon, puis mauvais dans le même instant ; et cet instant, bien qu’il soit en réalité le même, est cependant différent selon la raison, selon qu’il est la fin de ce qui est passé et le commencement de ce qui est à venir. Or, une raison différente de comparer n’enlève pas l’association de choses qui existent dans le même instant. Il en découlerait donc que son innocence et sa méchanceté seraient unies, ce qui est impossible. C’est pourquoi d’autres disent que, pendant tout le temps précédent, il était bon, mais, dans l’instant ultime de ce temps, il est mauvais ; et de même qu’on ne précise pas d’instant qui précède immédiatement un autre instant, de même [ne précise-t-on] pas l’instant ultime où il était bon. Or, ce raisonnement est bon, tel qu’il est invoqué par le Philosophe dans Physique, VIII, lorsque se continue maintenant le temps du repos et du mouvement, qui a toujours lieu avec une passion, qui existe chez le sujet mobile au temps du repos, que le repos précède ou suive. Mais si on situait l’instant entre deux repos ou entre deux parties d’un mouvement continu, il n’est pas davantage du côté de l’un que de l’autre. Or, nous ne disons pas ici que l’ange a été rendu mauvais par un mouvement continu ; c’est pourquoi le premier instant de sa malice n’est pas intermédiaire entre le repos et le mouvement, mais entre deux repos. Ce raisonnement porte donc à faux. Il faut donc dire autre chose. Il faut préciser un instant ultime où l’ange était bon et un premier où il était mauvais ; entre ces instants, il n’y a pas eu de temps intermédiaire, car le temps est, au sens formel, un nombre, et sa continuité ne découle que du mouvement. Puisque le changement des inclinations chez l’ange, par lesquelles il est bon et mauvais, n’est pas continu et n’est pas ordonné à un mouvement continu, on parlera pour elles de temps, parce qu’on y trouve antérieur et ultérieur ; mais il ne sera pas continu. Aussi, entre ses instants, on ne comprendra pas nécessairement un temps intermédiaire, pas davantage qu’un nombre entre deux unités.

 

 

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La connaissance de l’ange]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[3784] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 pr. Deinde quaeritur de cognitione Angelorum, et circa hoc quatuor quaeruntur: 1 utrum Angelus cognoscat per species; 2 utrum in superioribus sint species magis universales; 3 utrum per species istas, singularium cognitionem habere possint; 4 utrum possint simul plura intelligere.

On s’interroge ensuite sur la connaissance des anges. À ce propos, quatre questions sont posées : 1. L’ange connaît-il par des espèces [ou par son essence] ? 2. Y a-t-il chez les [anges] supérieurs des espèces plus universelles ? 3. Peuvent-ils avoir une connaissance des réalités singulières par ces espèces ? 4. Peuvent-ils intelliger plusieurs choses en même temps ?

 

 

 

 

Articulus 1 : [3785] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 tit. Utrum Angelus cognoscat res per suam essentiam

Article 1 – L’ange connaît-il les choses par son essence ?

 

[3786] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod Angelus per essentiam suam res cognoscat et non per species aliquas. Quia, secundum philosophum, anima est species specierum. Sed Angelus simplicior est anima et nobilior. Ergo essentia Angeli est similitudo vel species rerum. Sed res potest in similitudine sui cognosci. Ergo videtur quod Angelus intuendo essentiam suam, res cognoscat, et non per species aliquas.

1. Il semble que l’ange connaisse les choses par son essence, et non par des espèces. En effet, selon le Philosophe, l’âme est l’espèce des espèces. Or, l’ange est plus simple et plus noble que l’âme. L’essence de l’ange est donc une ressemblance ou une espèce des choses. Or, une chose peut être connue par sa ressemblance. Il semble donc que l’ange connaisse les choses en regardant son essence, et non par des espèces.

 

[3787] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, omnis species vel est causa rei, vel a re accepta. Sed species rerum in intellectu Angeli non possunt esse causatae a rebus, cum Angelus careat potentiis et organis, quibus fit abstractio a sensibilibus: nec iterum sunt causae rerum, cum Angeli non sint causatores. Ergo videtur quod Angeli per species non cognoscant.

2. Toute espèce est soit la cause d’une chose, soit reçue d’une chose. Or, les espèces des choses dans l’intellect de l’ange ne peuvent être causées par les choses, puisque font défaut à l’ange les puissances et les organes, par lesquels l’abstraction à partir des réalités sensibles se réalise ; elles ne peuvent être non plus causes des choses, puisque les anges ne sont pas des causes. Il semble donc que les anges ne connaissent pas par des espèces.

 

[3788] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum Dionysium, nobiliora in entibus sunt inferiorum exemplaria. Sed in exemplari res optime cognoscitur. Cum ergo Angeli inter res creatas sint nobilissimi, quasi Deo propinquiores, secundum Augustinum; videtur quod natura sua inspecta, alias res cognoscant.

3. Selon Denys, les réalités les plus nobles parmi les êtres sont des modèles des réalités inférieures. Or, une chose est connue au mieux par son modèle. Puisque les anges, étant plus proches de Dieu, selon Augustin, sont les plus nobles parmi les réalités créées, il semble donc qu’ils connaissent les autres choses en regardant leur nature.

 

[3789] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, intellectum et intellectus non differunt nisi quando utrumque eorum est in potentia, ut in 1 Lib. dictum est. Ergo omnis intellectus qui est semper in actu, non differt in eo intelligens et intellectum. Sed intellectus substantiae separatae videtur semper in actu esse, cum suum intelligere non sequatur transmutationem aliquam. Ergo videtur quod in ea non differat species intellecta et substantia intellectus; et ita non per species cognoscit.

4. Ce qui est intelligé et l’intellect ne diffèrent que dans la mesure où les deux sont en puissance, comme on l’a dit dans le livre I. Celui qui intellige et ce qui est intelligé ne diffèrent donc pas en tout intellect qui est toujours en acte. Or, l’intellect de la substance séparée semble être toujours en acte, puisque son acte d’intelliger ne découle pas d’un changement. Il semble donc qu’en elle, l’espèce intelligée et la substance de l’intellect ne diffèrent pas, et ainsi elle ne connaît pas par des espèces.

 

[3790] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit quod Angeli illuminantur per scibiles rerum rationes. Hae autem non sunt nisi species rerum intellectae. Ergo per species rerum cognitionem habent.

Cependant, [1] les anges sont illuminés par les raisons connaissables des choses. Or, celles-ci ne sont que les espèces des réalités intelligées. Ils connaissent donc par des espèces des choses.

 

[3791] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in Lib. de causis dicitur, quod omnis intelligentia est plena formis. Sed illa quae sunt in intelligentia, sunt in ea per modum intelligibilem, ut in eodem libro dicitur; quae autem sic sunt in ea, sunt in ea ad cognoscendum. Ergo videtur quod res per formas cognoscant.

[2] Dans le livre Sur les causes, il est dit que toute intelligence est pleine de formes. Or, ce qui se trouve dans l’intelligence s’y trouve selon un mode intelligible, comme le même livre le dit. Or, ce qui s’y trouve s’y trouve en vue de la connaissance. Il semble donc qu’ils connaissent les choses par des formes.

 

[3792] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod intellectus angelicus est medius inter intellectum divinum et humanum, et virtute et modo cognoscendi. In intellectu enim divino similitudo rei intellectae est ipsa divina essentia, quae est rerum causa exemplaris et efficiens; in intellectu vero humano similitudo rei intellectae est aliud a substantia intellectus, et est sicut forma ejus; unde ex intellectu et similitudine rei efficitur unum completum, quod est intellectus in actu intelligens; et hujus similitudo est accepta a re. Sed in intellectu angelico similitudo rei intellectae est aliud a substantia intelligentis, non tamen est acquisita a re, cum non sint ex rebus divisibilibus cognitionem congregantes, ut Dionysius dicit. Nec tamen est causa rei secundum fidem, sed est infusa a Deo ad cognoscendum. Et ratio hujus sumi potest ex verbis Commentatoris, in 11 Metaph. Ipse enim dicit quod secundum ordinem simplicitatis naturarum separatarum est ordo distantiae speciei intellectae ab intellectu; unde in prima essentia, cui non admiscetur potentia aliqua, est omnino idem intelligens et intellectum; in aliis autem secundum quod plus admiscetur de potentia, est major distantia inter speciem intellectam et intellectum. Cujus ratio est quia nihil operatur nisi secundum quod est in actu; unde illud cujus essentia est purus actus, intelligit sine receptione alicujus perficientis, quod sit extra essentiam ejus; illud vero in quo est potentia, non poterit intelligere nisi perficiatur in actu per aliquid receptum ab extrinseco; et hoc est lumen intellectivum naturale, quod a Deo in substantias intellectivas emittitur. Et quia unumquodque recipitur in aliquo per modum recipientis; lumen illud quod in Deo est simplex, recipitur in mente Angeli ut divisum et multiplicatum: omnis enim potentia receptiva de se divisibilitatem habet secundum quod non est terminata ad unum, quod fit per actum terminantem: et ideo dicitur in libro de causis, quod sicut in natura inferiori multiplicantur singularia, ita et species intelligibiles in intelligentiis; utrumque enim est propter multiplicabilitatem potentiae; et istae sunt species per quas Angeli cognoscunt.

Réponse. Par sa puissance et par sa manière de connaître, l’intelligence angélique est intermédiaire entre l’intelligence divine et l’intelligence humaine. En effet, dans l’intelligence divine, la ressemblance de la chose intelligée est l’essence divine elle-même, qui est la cause exemplaire et efficiente des choses ; mais, dans l’intelligence humaine, la ressemblance de la chose intelligée est autre chose que la substance de l’intelligence : elle en est pour ainsi dire la forme. Aussi une seule réalité complète est-elle réalisée par l’intelligence et par la ressemblance : c’est l’intelligence qui intellige en acte, et cette ressemblance est reçue de la chose. Mais, dans l’intelligence angélique, la ressemblance de la chose intelligée est autre chose que la substance de celui qui intellige ; elle ne vient cependant pas de la chose, puisque [les anges] n’obtiennent pas leur connaissance à partir de réalités divisibles, comme le dit Denys. [Cette ressemblance] n’est cependant pas cause de la chose, selon la foi, mais elle est infusée par Dieu en vue de la connaissance. La raison de ceci peut être tirée des paroles du Commentateur, Métaphysique, XI. En effet, il dit qu’il existe un ordre dans la distance entre l’espèce intelligée et l’intelligence selon l’ordre de la simplicité entre les natures séparées. Ainsi, dans la première essence, à laquelle n’est mêlée aucune puissance, celui qui intellige et ce qui est intelligé sont tout à fait la même chose ; mais, chez les autres, il existe une distance plus ou moins grande entre l’espèce intelligée et l’intelligence selon que davantage de puissance y est mêlée. La raison de ceci est que rien n’agit que selon qu’il est en acte. Ce dont l’essence est acte pur intellige donc sans réception de rien qui vienne de l’extérieur de son essence pour le perfectionner. Mais ce en quoi existe une puissance ne pourra intelliger sans être perfectionné en acte par quelque chose qui est reçu de l’extérieur : c’est là la lumière naturelle de l’intelligence, qui est émise dans les substances intellectuelles. Et parce que tout est reçu dans quelque chose selon le mode de ce qui reçoit, cette lumière, qui est simple en Dieu, est reçu dans l’esprit de l’ange comme divisée et multipliée. En effet, toute puissance réceptive possède par soi-même une aptitude à la division selon qu’elle n’est pas déterminée à une seule chose, ce qui se réalise par l’acte qui met une limite. C’est pourquoi il est dit, dans le livre Sur les causes, que de même que, dans la nature inférieure, les choses singulières se multiplient, de même aussi les espèces intelligibles dans les intelligences. En effet, les deux choses se produisent en raison de l’aptitude à la multiplicité de la puissance. Telles sont les espèces par lesquelles les anges connaissent.

 

[3793] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima dicitur species specierum, inquantum per intellectum agentem facit species intelligibiles actu, et recipit eas secundum intellectum possibilem, sicut ibidem sensus dicitur species sensibilis, et manus organum organorum, inquantum videlicet omnia artificialia per manus efficiuntur; unde in 14 de animalibus dicitur, quod manus datae sunt homini loco cornuum, et omnium quibus alia animalia juvantur. Unde non sequitur quod essentia animae vel Angeli sit talis species in qua omnia cognoscantur.

1. L’âme est appelée espèce des espèces dans la mesure où elle produit par l’intellect agent des espèces intelligibles en acte ; et elle les reçoit par l’intellect possible, comme le sens est appelé au même endroit espèce sensible, et la main, organe des organes, dans la mesure où tout ce qui est œuvre d’art est réalisé par la main. C’est pourquoi, dans Sur les animaux, XIV, on dit que les mains ont été données à l’homme à la place des cornes et de tout ce par quoi les autres animaux sont aidés. Il n’en découle donc pas que l’essence de l’âme ou de l’ange soit une espèce dans laquelle tout est connu.

 

[3794] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudines rerum in intellectu Angeli existentes, non sunt a rebus acceptae, quia species intelligibilis non accipitur a re nisi mediante phantasmate, quod se habet ad intellectum sicut color ad visum, ut in 3 de anima dicitur. Nec tamen sunt causae rerum per modum creationis, sed forte per modum motus, si forte ponantur orbes movere, quorum motus est causa formarum naturalium. Nihilominus tamen oportet quod quaedam cognoscant quorum non sunt causae, sicut ipsos orbes, et alios Angelos. Unde dicendum, quod ad hoc quod aliquam assimilationem habeant ad invicem, potest contingere dupliciter; vel ita quod unum sit causa alterius, similitudinem suam illi imprimens, sicut ignis et aer calefactus; et hoc modo intellectus divinus et humanus habent assimilationem ad res intellectas, licet modo converso, quia intellectus divinus imprimit in rem formam, per quam res sibi similatur; intellectus autem humanus speciem, per quam rei assimilatur, a re accipit: vel ita quod utrumque sit ab una causa similem formam utrique imprimente; et sic intellectus angelicus rebus cognitis assimilatur, quia formae quae a Deo impressae sunt rebus ad subsistendum, sunt etiam Angelo impressae ad cognoscendum.

2. Les ressemblances des choses qui se trouvent dans l’intelligence de l’ange ne sont pas obtenues des choses parce que l’espèce intelligible n’est tirée d’une chose que par l’intermédiaire d’un fantasme, dont le rapport à l’intelligence est le même que celui de la couleur à la vue, comme il est dit dans Sur l’âme, III. Cependant, elles ne sont pas causes des choses par mode de création, mais peut-être par mode de mouvement, si on affirme que, peut-être, [les anges] meuvent les sphères, dont le mouvement est la cause des formes naturelles. Néanmoins, il est nécessaire qu’ils connaissent certaines choses dont ils ne sont pas les causes, comme les sphères elles-mêmes et les autres anges. Aussi faut-il dire qu’il peut arriver de deux façons que des choses aient une certaine ressemblance avec d’autres. Soit l’une est cause de l’autre et lui imprime sa ressemblance, comme le feu et l’air réchauffé. De cette manière, l’intelligence divine et l’intelligence humaine ont une ressemblance avec les choses intelligées, bien que de manière inverse, car l’intelligence divine imprime une forme dans la chose, par laquelle la chose lui est assimilée, mais l’intelligence humaine tire de la chose l’espèce par laquelle elle est assimilée à la chose. Soit que les deux proviennent d’une seule cause qui imprime une forme semblable dans les deux. Ainsi, l’intelligence angélique est-elle assimilée aux choses connues, parce que les formes, qui ont été imprimées par Dieu dans les choses en vue de les faire subsister, sont aussi imprimées chez l’ange afin qu’elles soient connues.

 

[3795] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod res non cognoscitur perfecte in exemplari, nisi a quo ducitur secundum totum quod in ipsa est; et hoc modo res cognoscuntur in primo exemplari, quod imitantur res secundum esse illud quod in re est. Sic autem non est de essentia Angeli, cum non sit causa vel exemplar totius quod in re est, scilicet materiae et formae: et propterea non est actu exemplar nisi per hoc quod potentia sua completur per lumen a Deo immissum, ut dictum est.

3. Une chose n’est connue parfaitement dans son modèle que si elle en est tirée selon tout ce qui existe en elle ; c’est de cette manière que les choses sont connues dans le premier modèle, que les choses imitent selon l’être qui se trouve dans la chose. Or, il n’en va pas de même de l’essence de l’ange, puisqu’il n’est pas la cause ou le modèle de tout ce existe dans une chose, à savoir, la matière et la forme. Pour cette raison, il n’est modèle en acte que dans la mesure où sa puissance est achevée par une lumière qui lui a été envoyéé par Dieu, comme on l’a dit.

 

[3796] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus angelicus etsi ponatur semper in actu respectu cognitorum naturalium, non tamen esse in actu habet a se, sed ab alio: unde sicut in ipso differt esse et quod est, propter hoc quod esse quod habet, habet ab alio; ita differt in eo intellectus et quo actu intelligit, propter hoc quod intelligere ab alio habet.

4. L’intelligence angélique, même si on dit qu’elle est toujours en acte par rapport à ce qu’elle connaît naturellement, ne tient cependant pas son être d’elle-même, mais d’un autre. De même qu’en elle diffère l’acte d’être et ce qui est, parce qu’elle tient d’un autre l’acte d’être qu’elle possède, de même donc diffère en elle l’intelligence et ce par quoi elle intellige, parce qu’elle tient d’un autre d’intelliger.

 

 

 

 

Articulus 2 [3797] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 tit. Utrum Angeli superiores intelligant per species universaliores

Article 2 – Les anges supérieurs intelligent-ils par des espèces plus universelles ?

 

[3798] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod species superiorum non sint universaliores speciebus quas habent Angeli inferiores. Quia, secundum philosophum in 1 de anima, animal universale aut nihil est, aut posterius est. Non enim dicitur esse posterius nisi propter abstractionem a rebus, in qua completur intentio universalitatis per actum intellectus abstrahentis. Cum ergo intellectus Angeli non abstrahat species a rebus, videtur quod species non sint universales in ipso.

1. Il semble que les espèces des [anges] supérieurs ne soient pas plus universelles que les espèces que possèdent les anges inférieurs. En effet, selon le Philosophe, Sur l’âme, I, ce qui est universel dans l’âme ou bien n’est rien, ou bien est postérieur. En effet, on ne dit que cela est postérieur ultérieur qu’en raison de l’abstraction à partir des choses, par laquelle s’achève l’intention d’universalité par l’acte de l’intellect qui abstrait. Puisque l’intelligence de l’ange n’abstrait pas les espèces à partir des choses, il semble donc que les espèces ne soient pas plus universelles en lui.

 

[3799] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, si dicantur universaliores, aut hoc est quantum ad cognitionem, aut quantum ad operationem. Non quantum ad cognitionem, quia naturalium causarum omnes cognitionem habent, et sui ipsorum, et Dei; non quantum ad operationem, quia non sunt rerum operatores, ut dictum est. Ergo videtur, quod nullo modo possint quorumdam species universaliores esse.

2. Si on dit que [les espèces] sont plus universelles, c’est soit par rapport à la connaissance, soit par rapport à l’opération. Or, ce n’est pas par rapport à la connaissance, car tous ont la connaissance des causes naturelles, d’eux-mêmes et de Dieu ; ce n’est pas non plus par rapport à l’opération, car ils ne sont pas agents des choses, comme on l’a dit. Il semble donc que les espèces de certains d’entre eux ne puissent pas être plus universelles.

 

[3800] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, quanto cognitio est magis propria, tanto est magis perfecta. Sed superiorum cognitio perfectior est, sicut et natura simplicior, ut ex praedictis patet. Ergo videtur quod superiorum species non sint magis universales.

3. Plus la connaissance est propre, plus elle est parfaite. Or, la connaisances des [anges] supérieurs est plus parfaite, comme leur nature est plus simple : cela ressort de ce qui a été dit auparavant. Il semble donc que les espèces des [anges] supérieurs ne soient pas plus universelles.

 

[3801] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, qui cognoscit universalia, non potest propria cognoscere, nisi acquirat aliquid de propriis rei. Si ergo inferiorum Angelorum species essent magis propriae, oporteret quod superiores non reducerentur in actum propriae cognitionis rerum nisi per inferiores: quod est inconveniens, cum magis e contra contingat, secundum Dionysium. Ergo videtur idem quod prius.

4. Celui qui connaît des réalités universelles ne peut connaître des réalités propres qu’en acquérant quelque chose des aspects propres d’une chose. Si donc les espèces des anges inférieurs étaient davantage propres, il faudrait que les anges supérieurs ne soient ramenés à l’acte de la connaissance propre des choses que par les [anges] inférieurs, ce qui est inapproprié, puisque c’est plutôt le contraire qui se produit, selon Denys. La conclusion semble donc être la même qu’antérieurement.

 

[3802] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit, quod superiores Angeli habent scientiam magis universalem, et inferiores particularem et subjectam.

Cependant, [1] Denys dit le contraire, à savoir que les [anges] supérieurs possèdent une science plus universelle, et les [anges] inférieurs, une science particulière et soumise [à celle des anges supérieurs].

 

[3803] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc idem videtur per hoc quod in libro de causis dicitur, quod cum omnis intelligentia sit plena formis, in quibusdam sunt formae magis universales, scilicet in superioribus; et in quibusdam minus, scilicet in inferioribus.

[2] La même chose semble être montrée par le fait que, dans le livre Sur les causes, on dit que toute intelligence est pleine de formes, parmi lesquelles se trouvent des formes plus universelles chez les [anges] supérieurs, et chez d’autres, les [anges] inférieurs, des [formes] moins [universelles].

 

[3804] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, secundum theologos et philosophos oportet ponere formas superiorum Angelorum esse magis universales. Cujus ratio est, quia in omnibus scientiis et artibus, sive speculativis sive operativis, oportet quod illa quae est altior et ordinativa aliarum, consideret rationes magis universales, eo quod principia sunt parva quantitate, et maxima virtute, et simplicia ad plurima se extendunt: verbi gratia, sub civili scientia est militaris, et sub militari equestris, et sic deinceps; civilis autem sub consideratione boni humani absolute; militaris autem considerat hoc idem, secundum quod determinatur ad res bellicas, et sic deinceps: et propter hoc inferior accipit principia sua a superiori, quae est quasi propter qui demonstrans: et hoc etiam facilius patet in scientiis speculativis: quia metaphysica, quae est ordinativa aliarum, considerat rationem entis absolute; aliae vero secundum determinationem aliquam. Hoc autem sic est in Angelis, et secundum omnes philosophos, et secundum nos: quia superiores per suam scientiam ordinant actus et officia inferiorum, illuminantes eos, et perficientes, et purgantes. Unde oportet quod scientia superiorum sit universalior, et species universaliores: quod quomodo contingat, potest videri ex verbis Commentatoris in 11 Metaph. Ipse enim dicit, quod secundum ordinem differentiae inter intelligens et intellectum, est etiam ordo multiplicationis intellectorum: quia in intellectu superiori, qui habet minus de possibilitate, minor est compositio intelligentis et intellecti: et inde est etiam, quod sunt in eo pauciores formae intelligibiles: quia quanto minus habet de potentia lumen intellectuale, minus dividitur et multiplicatur in eo; et ideo oportet quod istae formae sint universaliores formis magis multiplicatis. Secundum hoc ergo scientia Dei est universalissima: quia una similitudine, quae est sua essentia, omnia cognoscit, ac si aliquis per rationem communem entis omnia cognoscere possit; et quanto per pauciores formas intelligit, tanto scientia ejus est universalior, et similior divinae scientiae: ut si aliquis cognoscat omnia per intentionem decem generum, et aliquis non nisi acciperet species primas generum, et sic descendendo usque ad specialissima; secundum multiplicationem specierum inveniretur particulatio earum.

Réponse. Selon les philosophes et les théologiens, il est nécessaire d’affirmer que les formes des anges supérieurs sont plus universelles. La raison en est que, dans toutes les sciences et les arts, spéculatifs ou opératoires, il est nécessaire que celui qui est plus élevé et ordonne les autres considère des raisons plus universelles, du fait que ses principes sont peu nombreux et possèdent une plus grande puissance, et que les réalités simples s’étendent un plus grand nombre de choses. Par exemple, sous la science civile, se trouve la [science] militaire, et sous la [science] militaire, la chevalerie, et ainsi de suite. Or, la [science] civile est soumise à la considération du bien humain de manière absolue ; mais la [science] militaire envisage la même chose selon que celui-ci se limite aux réalités de la guerre, et ainsi de suite. Pour cette raison, la [science] inférieure reçoit ses principes de la [science] supérieure, qui en montre pour ainsi dire les raisons. Cela ressort plus facilement dans les sciences spéculatives, car la métaphysique, qui ordonne les autres [sciences], considère la raison d’un être de manière absolue ; mais les autres, selon une certaine détermination. Or, il en est de même chez les anges, selon tous les philosophes et selon nous, car les [anges] supérieurs ordonnent par leur science les actes et les fonctions des [anges] inférieurs en les illuminant, les perfectionnant et les purifiant. Il est donc nécessaire que la science des [anges] supérieurs soit plus universelle, et les espèces, plus universelles. Comment cela se produit, on peut le voir à partir de ce que dit le Commentateur, Métaphysique, XI. En effet, il dit que l’ordre de la multiplication des intelligences suit l’ordre de la différence entre celui qui intellige et ce qui est intelligé, car, dans l’intelligence supérieure, qui comporte moins de puissance, la composition entre celui qui est intellige et ce qui est intelligé est moindre. De là vient aussi qu’il y a en lui moins de formes intelligibles, car moins la lumière intellectuelle est en puissance, moins elle est divisée et multipliée en lui. C’est pourquoi il est nécessaire que ces formes soient plus universelles que les formes qui sont davantage multipliées. Dans cette ligne aussi, la science de Dieu est la plus universelle, car elle connaît toutes choses par une seule similitude, qui est sa propre essence, comme si quelqu’un pouvait connaître toutes choses par la raison commune d’être. Et plus elle peut connaître par un plus petit nombre de formes, plus sa science est universelle et davantage semblable à la science divine, comme si quelqu’un connaissait toutes choses par l’intention des dix genres, et quelqu’un ne pouvait saisir que les premières espèces des genres. Et en descendant ainsi jusqu’aux choses les plus particulières, on trouverait leur caractère particulier selon la division des espèces.

 

[3805] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod est triplex universale. Quoddam quod est in re, scilicet natura ipsa, quae est in particularibus, quamvis in eis non sit secundum rationem universalitatis in actu. Est etiam quoddam universale quod est a re acceptum per abstractionem, et hoc posterius est re; et hoc modo formae Angelorum non sunt universales. Est etiam quoddam universale ad rem, quod est prius re ipsa, sicut forma domus in mente aedificatoris; et per hunc modum sunt universales formae rerum in mente angelica existentes, non ita quod sint operativae, sed quia sunt operativis similes, sicut aliquis speculative scientiam operativam habet.

1. Il existe un triple universel. L’un existe dans la chose, à savoir, sa nature, qui se trouve dans les réalités particulières, bien qu’il n’y existe pas selon la raison d’universalité en acte. Il existe aussi un universel qui est tiré d’une chose par l’abstraction, et celui-ci est postérieur à la chose. Les formes des anges ne sont pas universelles de cette manière. Il existe aussi un universel ordonné à une chose, qui est antérieur à la chose elle-même, comme la forme de la maison dans l’esprit du constructeur. C’est de cette manière que les formes universelles des choses existent dans l’esprit des anges, non pas de telle sorte qu’elles soient opératoires, mais parce qu’elles ressemblent aux [formes] opératoires, comme lorsque quelqu’un possède une science opératoire de manière spéculative.

 

[3806] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sunt universaliores et quantum ad cognitionem et quantum ad operationem. Quantum ad cognitionem, tum ex parte ipsarum specierum, quia ad plura se extendunt; tum ex parte rerum cognitarum, quia superiores perfectius et clarius cognoscunt idem cognitum quam inferiores, unde illuminant eos; sicut etiam eamdem conclusionem aliter demonstrator, aliter dialecticus cognoscit. Nec etiam est remotum a veritate quin plura subjaceant cognitioni naturali superiorum quam inferiorum. Similiter etiam sunt universaliores quantum ad operationem, tam secundum philosophos, qui ponunt ordinem intelligentiarum secundum ordinem motuum, ex quo oportet quod causalitas formarum illius intelligentiae superioris sit universalior, cujus motus est universalior in causando, quam etiam secundum nos, qui ponimus eos ordines secundum diversa divina officia; unde superiores ordinant inferiores in suis officiis, et non e converso. Unde remanet nobis eadem via procedendi, secundum traditionem Dionysii, sicut etiam philosophis.

2. Elles sont plus universelles tant par rapport à la connaissance que par rapport à l’opération. Par rapport à la connaissance, tant du point de vue des espèces elles-mêmes, car elles s’étendent à plus de choses, que du point de vue des choses connues, parce que les [anges] supérieurs connaissent plus parfaitement et plus clairement la même chose qui est connue par les [anges] inférieurs; aussi les illuminent-ils. De la même manière, celui qui démontre une conclusion connaît la même conclusion autrement que le dialecticien. Il n’est pas non plus éloigné de la vérité qu’un plus grand nombre de choses soit soumis à la connaissance naturelle des [anges] supérieurs qu’à celle des [anges] inférieurs. Elles sont aussi plus universelles pour ce qui est de l’opération, aussi bien pour les philosophes, qui présentent l’ordre des intelligences selon l’ordre des mouvements : il est ainsi nécessaire que soit plus universelle la causalité des formes de l’intelligence supérieure dont le mouvement est plus universel lorsqu’il cause. Et aussi selon nous, qui affirmons que ces ordres [se conforment] aux diverses fonctions. Aussi les [anges] supérieurs ordonnent-ils les [anges] inférieurs dans leurs fonctions, et non le contraire. Il nous reste donc à avancer sur la même route que les philosophes en suivant l’enseignement de Denys.

 

[3807] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cognitio perfecta non habetur per medium universale, quia non est efficax ad cognitionem omnium propriorum. Si autem per medium universale omnia propria efficaciter cognoscerentur, esset perfectissima cognitio; quia quanto aliquid est magis unum et simplex, tanto est virtuosius et nobilius; et hoc modo dicimus, quod Angeli superiores sufficienter per formas universales cognoscunt res, sicut Deus per essentiam suam perfecte cognoscit omnia.

3. Une connaissance parfaite n’est pas obtenue par un moyen universel, car elle n’est pas efficace pour connaître tout ce qui est propre. Si tout ce qui est propre était connu efficacement par un moyen universel, ce serait la connaissance la plus parfaite, car plus quelque chose est un et simple, plus il est puissant et noble. Nous disons ainsi que les anges supérieurs connaissent suffisamment les choses par des formes universelles, comme Dieu connaît parfaitement toutes choses par son essence.

 

[3808] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio procederet, si formae universales superiorum non essent sufficientes ad cognitionem propriorum, quod falsum est: quia omnia quae cognoscit inferior per formas particulares, cognoscit superior per universales, vel etiam plura: et quia ex causis universalibus confirmantur particulares, inde est quod scientia inferiorum perficitur per superiores.

4. Le raisonnement serait valable si les formes universelles des [anges] supérieurs n’étaient pas suffisantes pour connaître ce qui ce qui propre, ce qui est faux, car tout ce que connaît un [ange] inférieur par des formes particulières, l’[ange] supérieur le connaît par des [formes] universelles, ou même plus de choses. Et parce que les causes particulières sont confirmées à partir des causes universelles, de là vient que la science des [anges] inférieurs est perfectionnée par les [anges] supérieurs.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3809] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 tit. Utrum Angeli intelligant particularia

Article 3 – Les anges intelligent-ils les réalités particulières ?

 

[3810] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Angeli per formas intellectuales particularia non cognoscant. Ubi enim invenitur una natura communis, non est diversitas in operatione consequente naturam. Sed natura intellectualis est in Angelis et in nobis. Cum ergo intellectus noster non possit esse singularium, videtur quod nec angelicus.

1. Il semble que les anges ne connaissent pas par des formes particulières. En effet, là où se trouve une seule nature commune, il n’existe pas de diversité dans l’opération qui découle de la nature. Or, la nature intellectuelle existe chez les anges et chez nous. Puisque notre intellect ne peut porter sur les réalités singulières, il semble donc que l’ange ne le puisse pas non plus.

 

[3811] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, omnis cognitio est per assimilationem. Sed quodlibet singulare in materialibus, est singulare per materiam. Cum ergo species rerum in mente angelica sint omnino a materia et a conditionibus materialibus absolutae, cum intellectus Angeli non sit minus immaterialis intellectu humano, videtur quod non possit esse principium cognoscendi singulare, prout est in sua singularitate consistens.

2. Toute connaissance se réalise par une ressemblance. Or, tout ce qui est singulier dans les réalités matérielles est singulier en raison de la matière. Puisque les espèces des choses dans l’esprit des anges existent d’une manière entièrement séparée de la matière et des conditions matérielles, et que l’intelligence de l’ange n’est pas moins immatérielle que l’intelligence humaine, il semble donc qu’il ne puisse être un principe de connaissance du singulier, en tant que celui-ci subsiste en sa singularité.

 

[3812] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, si cognoscunt singularia diversa, ergo aut uno, aut pluribus. Si uno, cum particularia sint infinita, videtur quod in intellectu Angeli sit unum quo cognoscat infinita; et sic aequabitur intellectui divino. Si autem pluribus, oportebit esse multitudinem specierum in intellectu Angeli existentium, secundum multitudinem individuorum quae possunt esse; et ita erunt infinitae species in actu in mente Angeli, quod est inconveniens.

3. S’ils connaissent divers singuliers, c’est soit par une seule chose, soit par plusieurs. Si c’est par une seule, puisque les réalités particulières sont infinies, il semble qu’il existe dans l’intelligence de l’ange une seule chose par laquelle il connaît des réalités infinies, et ainsi il égalera l’intelligence divine. Mais si c’est par plusieurs, il sera nécessaire qu’existe une multitude d’espèces dans l’intelligence de l’ange, selon la multitude des individus qui peuvent exister. Et ainsi, les espèces dans l’esprit de l’ange seront infinies, ce qui est inapproprié.

 

[3813] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, esse multorum singularium dependet ex causis contingentibus, ad minus quantum ad generationem; sicut generatio Platonis ex voluntate patris ejus, ut scilicet commisceretur ejus matri. Si ergo Angeli cognoscunt singularia, videtur quod cognoscunt futura contingentia; quod negatur, quia hoc solius Dei est. Ergo videtur quod singularia non cognoscant.

4. L’acte d’être de nombreux singuliers dépend de causes contingentes, du moins quant à la génération ; ainsi, la génération de Platon [dépend-elle] de la volonté de son père de s’unir à sa mère. Si donc les anges connaissent les réalités singulières, il semble que les anges connaissent les futurs contingents, ce qu’on nie, car cela appartient à Dieu seul. Il semble donc qu’ils ne connaissent pas les réalités singulières.

 

[3814] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed contra, officium quorumdam Angelorum est custodire homines, ut a sanctis traditur. Sed hoc non potest esse, nisi homines quos custodiunt, cognoscant. Ergo videtur quod singularia hominum cognoscant; et eadem ratione aliarum specierum.

Cependant, [1] la fonction de certains anges est de garder les hommes, comme l’enseignent les saints. Or, cela ne peut être le cas que s’ils connaissent les hommes qu’ils gardent. Il semble donc qu’ils connaissent les aspects singuliers des hommes et, pour la même raison, des autres espèces.

 

[3815] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, cognitio Angelorum est perfectior quam nostra. Sed nos scimus non tantum universalia, sed etiam singularia. Ergo videtur quod multo fortius Angeli.

[2] La connaissance des anges est plus parfaite que la nôtre. Or, nous connaissons non seulement des réalités universelles, mais aussi des réalités singulières. Il semble donc que ce soit à bien plus forte raison le cas de l’ange.

 

[3816] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod praeter illam positionem quae ponit Angelos singularium cognitionem non habere, quae haeretica est, et veritati sacrae Scripturae contraria, sunt diversae opiniones de modo quo Angeli cognoscunt singularia. Quidam enim dicunt, quod Angeli per formas innatas solum causas universales cognoscunt: sed ex rebus ipsius accipiunt, unde singularia ex causis universalibus producta cognoscunt. Sed hoc non videtur conveniens: quia illud quod est acceptum a re singulari, non ducit in cognitionem singularitatis ejus nisi quamdiu servantur in eo conditiones materiales individuantes illud; quod non potest esse nisi specie existente in organo corporali, ut in sensu et imaginatione. Unde cum Angeli organo corporali careant, etiamsi a rebus species abstraherent, non possent per hujusmodi species singularium cognitionem habere. Ideo alii dixerunt, quod omnia singularia producuntur ex causis universalibus ordinatis in natura; unde cum apud Angelum sint formae ordinis causarum universi, per hujusmodi formas omnia singularia cognoscere potest: et haec videtur via Avicennae. Sed tamen non est sufficiens secundum fidem nostram: quia in causis universalibus non cognoscitur aliquid secundum conditiones individuales, ut scilicet cognoscatur prout est hic et nunc, et hujusmodi. Unde dicit ipse Avicenna, quod Deus non cognoscit particularia particulariter, ut scilicet hoc nunc esse, et nunc non esse; et est simile de eo qui cognoscit eclipsim in causis suis universalibus, qui non cognoscit hanc eclipsim secundum quod est hic et nunc incipiens et nunc finiens, nisi sensu percipiat. Et ideo ad hanc positionem quidam addiderunt, quod ex applicatione harum formarum universalium ad hoc particulare vel illud determinatur Angeli cognitio ut hoc singulare cognoscat. Sed hoc iterum non videtur sufficiens: quia haec applicatio universalium causarum ad singulare, aut est ad singulare quod est in intellectu Angeli; et sic supposito, supponeretur illud de quo dubitatur, scilicet singularia esse in intellectu Angeli; vel ad singulare quod est in re, sicut dicere videtur, ut si lux solis esset intelligens, intelligeret corpora ad quae radii sui applicantur. Hoc autem esse non potest: quia cum cognitio non sit nisi secundum assimilationem, impossibile est quod cognitio extendat se ultra id in quo est assimilatio. Si ergo lux solis vel intellectus Angeli assimilatur rei quam irradiat, hoc non potest esse nisi vel ex eo quod illud quod est rei recipitur in intellectu aut in luce solis (et hoc ipsi non ponunt, quia rediret prima positio), vel ex eo quod a sole aliquid circa rem ponitur; et sic non cognosceret de re nisi hoc quod circa eam ponit; sicut si sol cognosceret naturam luminis, et non propriam rationem hujus vel illius coloris quae est ex diversa recipientium proportione: et similiter etiam Angelus per hujusmodi applicationem propriam cognitionem de rebus non haberet, cum propriam naturam ipsi rei non conferat. Alii vero dicunt, quod ex conjunctione universalium quae cognoscunt, resultat cognitio particularis, secundum quod ex pluribus formis congregatis resultat quaedam collectio accidentium, quam non est reperire in alio. Sed haec etiam non est sufficiens: quia formae individuatio non est nisi ex materia; unde quantumcumque formae aggregentur, semper remanet collectio illa communicabilis multis, quousque intelligatur per materiam individuata; unde cognitis hujusmodi formis aggregatis, non cognoscitur Socrates vel Plato. Et ideo aliter dicendum, quod eadem ratio est cognitionis singularium in Deo et in Angelis; unde considerandum est, qualiter Deus singularia cognoscat. Oportet enim illam virtutem quae cognoscit singulare, habere apud se rei similitudinem, quantum ad conditiones individuantes: et haec est ratio quare per speciem quae est in sensu, cognoscitur singulare, et non per speciem quae est in intellectu. Oportet autem ut apud artificem sit similitudo rei per artem conditae secundum totum illud quod ab artifice producitur: et propter hoc aedificator per artem cognoscit formam domus quam inducit in materiam; non autem hanc domum vel illam, nisi per hoc quod a sensu accipit; quia ipse materiam non facit; sed Deus est causa rei, non solum quantum ad formam, sed etiam quantum ad materiam, quae est principium individuationis; unde idea in mente divina est similitudo rei quantum ad utrumque, scilicet materiam et formam; et ideo per eam cognoscuntur res non tantum in universali, sed etiam in particulari. Formae autem quae sunt in mente Angeli, sunt simillimae rationibus idealibus in mente divina existentibus, sicut deductae immediate exemplariter ab eis; unde per eas Angeli cognoscere possunt rerum singularia, quia sunt similitudines rerum etiam quantum ad dispositiones materiales individuantes, sicut et rationes vel ideae rerum existentes in mente divina.

Réponse. En plus de la position qui affirme que les anges n’ont pas de connaissance des réalités singulières, ce qui est hérétique et contraire à la vérité de la Sainte Écriture, il existe diverses opinions sur la manière dont les anges connaissent les réalités singulières. En effet, certains disent que les anges connaissent par des formes innées seulement les causes universelles, mais qu’ils tirent des choses elles-mêmes (corr. Ipsius/ipsis) la manière de connaître les réalités singulières produites à partir de causes universelles. Mais cela ne paraît pas approprié, car ce qui est tiré d’une chose singulière ne conduit à la connaissance de sa singularité que dans la mesure où sont préservées en elle les conditions matérielles qui lui confèrent son caractère individuel, ce qui ne peut être le cas que pour l’espèce qui existe dans un organe corporel, comme dans le sens et dans l’imagination. Puisque les anges n’ont pas d’organe corporel, même s’ils abstrayaient des espèces des choses, ils ne pourraient obtenir une connaissance des réalités singulières par ces espèces. C’est pourquoi d’autres ont dit que toutes les réalités singulières sont produites à partir de causes universelles ordonnées dans la nature. Puisque les formes de l’ordre des causes de l’univers existent chez l’ange, il peut donc connaître par les formes de ce genre toutes les réalités singulières. Telle semble être la voie d’Avicenne. Cependant, cela n’est pas suffisant selon notre foi, car, dans les causes universelles, quelque chose n’est pas connu selon les conditions individuelles, de sorte que ce soit connu tel que cela existe ici et maintenant, et ainsi de suite. Aussi Avicenne lui-même dit-il que Dieu ne connaît pas les réalités particulières d’une manière particulière, de telle sorte qu’[il connaisse] que cela existe maintenant et n’existe pas à maintenant. Et il en va de même de celui qui connaît l’éclipse dans ses causes universelles : il ne connaît pas cette éclipse selon qu’elle commence et se termine ici et maintenant, à moins de la percevoir par le sens. C’est pourquoi certains ont ajouté à cette position que la connaissance de l’ange est déterminée à la connaissance de telle réalité singulière à partir de l’application de ces formes universelles à telle ou telle réalité singulière. Mais, de nouveau, cela ne paraît pas suffisant, car cette application de causes universelles à une réalité singulière se fait soit à une réalité singulière qui existe dans l’intelligence de l’ange : cela supposé, on supposerait ce dont on doute, à savoir s’il existe des réalités singulières dans l’intelligence de l’ange ; soit [cettte application se fait] à une réalité singulière qui existe dans une chose : on semble ainsi dire que si la lumière du soleil était intelligente, elle intelligerait les corps auxquels s’appliquent ses rayons. Or, cela ne peut être le cas, car, la connaissance ne se réalisant que par une assimilation, il est impossible que la connaissance s’étende au-delà de ce à quoi il y a assimilation. Si donc la lumière du soleil ou de l’intelligence de l’ange est rendue semblable à la chose qu’elle irradie, cela ne peut venir que du fait que ce qui appartient à la chose est reçu dans l’intelligence ou dans la lumière du soleil, (et ils n’affirment pas cela, car ce serait revenir à la première position), ou du fait que quelque chose est affirmé de la chose à partir du soleil. Ainsi, on ne connaîtrait de la chose que ce qu’on en affirme, comme si le soleil connaissait la nature de la lumière, et non la raison propre de telle ou telle couleur qui vient d’une proportion diverse de ceux qui reçoivent. De la même manière aussi, l’ange n’aurait une connaissance propre des choses par une telle application, puisqu’elle ne confère pas sa nature propre à la chose elle-même. Mais d’autres disent que, de l’assemblage des réalités universelles que [les anges] connaissent, résulte une connaissance particulière, selon que, de plusieurs formes assemblées, résulte un certain assemblage d’accidents qu’on ne trouve pas dans une autre chose. Mais cela aussi n’est pas suffisant, car l’individuation d’une forme ne vient que de la matière ; par conséquent, autant assemble-t-on de formes, cet assemblage demeure toujours susceptible d’être communiqué à plusieurs, jusqu’à ce qu’on comprenne qu’il est individué par la matière. Ainsi, une fois connues ces formes assemblées, on ne connaît pas Socrate ou Platon. Il faut donc dire autre chose. La raison de la connaissance des réalités singulières en Dieu et chez les anges est la même ; aussi faut-il examiner comment Dieu connaît les réalités singulières. En effet, il est nécessaire que la puissance qui connaît une réalité singulière possède en elle-même une similitude de la chose en ses conditions individuantes. C’est la raison pour laquelle une réalité singulière est connue par l’espèce qui existe dans le sens, et non par l’espèce qui existe dans l’intelligencce. Or, il est nécessaire qu’existe dans l’artisan une ressemblance de la chose réalisée par l’art selon tout ce qui est produit par l’art ; pour cette raison, le constucteur connaît par son art la forme de la maison qu’il amène dans la matière, mais non de telle ou telle maison, si ce n’est dans la mesure où il la reçoit du sens, car il ne fait pas la matière. Mais Dieu est cause de la chose, non seulement pour sa forme, mais aussi pour sa matière, qui est le principe de l’individuation. Aussi l’idée qui existe dans l’esprit de Dieu est-elle une similitude de la chose quant aux deux aspects, la matière et la forme. Aussi les choses sont-elles connues par elle non seulement dans l’universel, mais aussi dans le particulier. Or, les formes qui existent dans l’esprit de l’ange sont tout à fait semblables aux idées qui existent dans l’esprit de Dieu en tant qu’elles sont immédiatement tirées d’elles comme de modèles. Aussi les anges peuvent-ils connaître par elles les aspects singuliers des choses, parce qu’elles sont aussi des ressemblances des choses pour ce qui est des dispositions matérielles individuantes, comme les raisons ou les idées des choses qui existent dans l’esprit de Dieu.

 

[3817] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intellectus humanus est ultimus in gradu substantiarum intellectualium; et ideo est in eo maxima possibilitas respectu aliarum substantiarum intellectualium; et propter hoc recipit lumen intelligibile a Deo debilius, et minus simile lumini divini intellectus; unde lumen intellectuale in eo receptum, non est sufficiens ad determinandum propriam rei cognitionem nisi per species a rebus receptas, quas oportet in ipso recipi formaliter secundum modum suum: et ideo ex eis singularia non cognoscuntur, quae individuantur per materiam, nisi per reflexionem quamdam intellectus ad imaginationem et sensum, dum scilicet intellectus speciem universalem, quam a singularibus abstraxit, applicat formae singulari in imaginatione servatae. Sed in Angelo ex ipso lumine determinantur species quibus fit propria rerum cognitio, sine aliquo alio accepto: et ideo cum illud lumen sit similitudo totius rei inquantum est exemplariter a Deo traductum, per hujusmodi species propria singularium cognitio haberi potest: et ita patet quod secundum gradum naturae intellectualis, est etiam diversus intelligendi modus.

1. L’intellect humain est le dernier degré des substances intellectuelles. C’est pourquoi la plus grande puissance existe en lui par rapport aux autres substances intellectuelles. Pour cette raison, il reçoit de Dieu une lumière intelligible plus faible et moins semblable à la lumière de l’intellect divin. Aussi la lumière intellectuelle reçue en lui n’est-elle suffisante pour déterminer une connaissance propre d’une chose que par des espèces reçues des choses, qui doivent être reçues par lui selon son mode. C’est pourquoi les réalités singulières qui sont individuées par la matière ne sont connues à partir d’elles que par une certaine réflexion de l’intellect sur l’imagination et le sens, alors qu’il applique à la forme singulière conservée dans l’imagination l’espèce universelle qu’il a abstraite des réalités singulières. Mais, chez l’ange, sont déterminées par la même lumière les espèces par lesquelles se réalise une connaissance propre des choses, sans rien recevoir d’autre. Puisque cette lumière est une similitude de la chose tout entière en tant qu’elle est tirée de Dieu comme d’un modèle, [l’ange] peut donc avoir par ces espèces une connaissance des réalités singulières. Il ressort ainsi clairement que, selon le degré d’une nature intellectuelle, il existe un mode différent d’intellection.

 

[3818] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia divina quamvis sit actus purus, tamen est similitudo materiae, secundum quod omne ens, quantumcumque imperfectum, a primo ente exemplariter deducitur; et ita etiam formae immateriales quae sunt in intellectu Angeli, sunt rerum similitudines, etiam quantum ad principia materialia.

2. L’essence divine, bien qu’elle soit acte pur, est cependant une similitude de la matière selon que tout être, aussi imparfait soit-il, est tiré du premier être en tant que modèle. Même les formes immatérielles, qui se trouvent dans l’intelligence de l’ange, sont donc des similitudes des choses, même pour ce qui est de leurs principes matériels.

 

[3819] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut ex praedictis patet, quanto aliquis Angelus est superior, tanto plura una specie cognoscere potest; nullus tamen est in quo oporteat secundum numerum individuorum species multiplicari; quia per unam speciem omnia individua illius speciei cognoscit, et illa species efficitur propria ratio hujus vel illius secundum respectum ad hoc vel ad illud, per modum quo ideae in intellectu divino multiplicantur: et ita neque intellectus Angeli intellectui divino aequabitur, neque infinitae species in intellectu Angeli erunt. Relationes autem quae consequuntur actus rationis vel intellectus, in infinitum multiplicari, non est inconveniens.

3. Comme cela ressort de ce qui a été dit, plus un ange est supérieur, plus il peut connaître de choses dans une seule espèce. Cependant, il n’en existe aucun où il faille que les espèces soient multipliées selon le nombre des individus, car il connaît tous les individus de cette espèce par une seule espèce, et cette espèce devient la raison propre de telle ou telle chose selon le rapport à telle ou telle chose, à la manière dont les idées sont multitpliées dans l’intelligence divine. Ainsi, l’intelligence de l’ange n’égalera pas l’intelligence divine, et il n’existera pas d’espèces infinies dans l’intelligence de l’ange. Mais il n’est pas inapproprié que les relations qui découlent des actes de la raison et de l’intelligence se multiplient à l’infini.

 

[3820] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod per species sibi a creatione inditas cognoscunt Angeli causas habentes ordinem in natura, et omne illud quod in causis illis determinatur vel simpliciter, vel ut frequenter; et quia contingentia futura non sunt determinata in causis suis, sed facta determinatione causarum efficiuntur in actu praesentia; ideo eorum, quamdiu futura sunt, cognitionem non habent; sed hoc solius Dei est, qui omnes successiones temporum uno actu intuetur.

4. Les anges connaissent les causes qui ont un ordre dans la nature par les espèces qui leur sont infusées par la création, ainsi que tout ce qui est déterminé simplement ou le plus souvent dans ces causes. Et parce que les futurs contingents ne sont pas déterminés dans leurs causes, mais deviennent présents en acte par une détermination des causes, [les anges] n’en ont donc pas connaissance aussi longtemps que [les futurs contingents] sont à venir, mais cela appartient à Dieu seul, qui considérera toute la suite des temps en un seul acte.

 

 

 

 

Articulus 4 : [3821] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 tit. Utrum Angelus intelligat plura simul

Article 4 – L’ange intellige-t-il plusieurs choses en même temps ?

 

[3822] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Angelus simul actu plura intelligat. Quia, secundum Dionysium Angelus habet intellectum deiformem. Sed Deus in actu simul omnia intelligit: quia apud ipsum nulla est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio: Jac. 1, 17. Ergo et intellectus Angeli est simul plurium.

1. Il semble que l’ange saisisse plusieurs choses en même temps, car, selon Denys, l’ange a une intelligence déiforme. Or, Dieu saisit toutes choses en même temps en acte, car il n’y a pas de changement ni l’ombre d’une variation en lui, Jc 1, 17. L’ange saisit donc [plusieurs choses] en même temps.

 

[3823] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 arg. 2 Praeterea, in patria non erunt cogitationes volubiles. Sed sanctis in patria promittitur, quod erunt sicut Angeli in caelo, Matth. 22. Ergo videtur quod nec Angeli intellectus volvatur de uno in aliud, sed simul omnia cognoscat.

2. Dans la patrie, il n’y aura pas de pensées qui changent constamment. Or, il est promis aux saints qu’ils seront comme des anges dans le ciel, Mt 22. Il semble donc que l’intelligence de l’ange ne passe pas d’une chose à une autre, mais connaisse tout simultanément.

 

[3824] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum felicitas est in operatione, et non in habitu. Sed Angeli habent nobilissimam felicitatem, ad minus beati. Ergo videtur quod omnium cognitorum suorum cognitionem simul in actu habeant et non successive.

3. Selon le Philosophe, la félicité se trouve dans une opération, et non dans un habitus. Or, les anges possèdent la plus noble félicité, du moins ceux qui sont bienheureux. Il semble donc qu’ils aient une connaissance en acte de tout ce qu’ils connaissent simultanée, et non successive.

 

[3825] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 arg. 4 Praeterea, intellectus Angeli non est minus nobilis quam intellectus agens animae rationalis. Sed de hoc intellectu dicitur in 3 de anima, quod non quandoque intelligit et quandoque non, sed semper. Ergo multo fortius hoc verum est de intellectu Angeli.

4. L’intelligence de l’ange n’est pas moins noble que l’intellect agent de l’âme raisonnable. Or, dans Sur l’âme, III, on dit de cet intellect qu’il n’intellige pas à un certain moment et intellige à un autre, mais [qu’il intellige] toujours. À bien plus forte raison, cela est-il donc vrai de l’intelligence de l’ange.

 

[3826] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 s. c. 1 Sed contra, secundum Augustinum Deus movet spiritualem creaturam per tempus. Sed per tempus moveri, est per affectiones et conceptiones intellectus moveri. Ergo videtur quod in Angelis sit successio intellectuum.

Cependant, [1] selon Augustin, Dieu meut la créature spirituelle dans le temps. Or, être mû dans le temps, c’est être mû par les affections et les conceptions de l’intelligence. Il semble donc que, chez les anges, il existe une succession des [actes] d’intelligence.

 

[3827] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod causa quare non possunt plura simul intelligi in actu, haec est quam Algazel assignat, quia oportet semper intellectum configurari actu secundum speciem rei intelligibilem, quam apud se habet, rei intellectae in actu, ut sit assimilatio utriusque quae exigitur ad cognitionem rei. Sicut autem impossibile est, corpus secundum eamdem partem diversimode figurari diversis figuris, ita impossibile est unum intellectum diversis simul speciebus ad diversa intelligenda actu informari; et ideo considerandum est, quod quicumque intellectus plura intelligit per plures species, oportet quod ea non simul intelligat, ut patet in intellectu humano secundum statum viae a rebus accipiente. Intellectus autem divinus quia uno actu omnia cognoscit, ideo simul est actu omnium. Sed intellectus Angeli cognoscit res dupliciter. Uno modo per species plures, quae in intellectu ejus sunt; et sic oportet quod plura non simul cognoscat, nisi inquantum reducuntur ad unam speciem, per quam cognoscuntur. Alio modo cognoscunt res in uno quod est causa earum, et hoc est verbum; et sic possunt esse simul in actu cognitionis omnium. Haec autem cognitio est quasi formalis respectu praecedentis, a qua nunquam absolvuntur; et ideo frequenter invenitur traditum a sanctis et philosophis quod in intellectu ipsorum non est successio vel renovatio, quamvis sit vicissitudo inquantum intelligunt res in propria natura per species concreatas.

Réponse. La cause pour laquelle plusieurs choses choses ne peuvent pas être intelligées est celle que donne Algazel : il est nécesaire que l’intelligence soit toujours configurée en acte selon l’espèce intelligible de la chose intelligée en acte, possédée en elle-même, afin qu’il y ait entre les deux la ressemblance requise pour la connaissance de la chose. Or, de même qu’il est impossible qu’une même partie d’un corps soit représentée diversement par diverses figures, de même est-il impossible qu’un seul intellect reçoive en même temps la forme de diverses espèces pour saisir diverses choses. Aussi faut-il considérer que tout intellect qui intellige plusieurs choses par plusieurs espèces ne doit pas les intelliger en même temps, comme cela ressort pour l’intellect humain qui reçoit [les espèces] à partir des choses dans l’état du cheminement. Mais l’intellect divin, parce qu’il connaît tout par un seul acte, est donc en acte de tous simultanément. Cependant, l’intelligence de l’ange connaît les choses de deux manières. D’une manière, par plusieurs espèces qui se trouvent dans son intelligence ; il est ainsi nécessaire qu’il ne connaisse pas plusieurs choses en même temps, à moins qu’elles ne soient ramenées à une seule espèce par laquelle elles sont connues. D’une autre manière, [les anges] connaissent les choses dans quelque chose d’unique qui est leur cause : il s’agit du Verbe ; et ainsi, ils peuvent les connaître toutes en acte simultanément. Or, cette connaissance a le caractère de forme par rapport à la précédente, elles ne sont jamais séparées. C’est pourquoi on trouve fréquemment enseigné par les saints et les philosophes qu’il n’existe pas de succession ou de renouvellement dans l’intelligence [des anges], bien qu’il y ait un changement pour autant qu’ils saisissent les choses dans leur propre nature par des espèces concréées.

 

[3828] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 ad 1 Ad primum dicendum, quod intellectus Angelorum dicitur deiformis, eo quod divino intellectui conformis est: non autem in hoc quod uno actu omnia intelligat, et ita simul: sed in hoc quod a rebus cognitionem non accipit, sed sine investigatione rationis et sine adminiculo sensus cognoscit.

1. On dit que l’intelligence des anges est déiforme parce qu’elle est conforme à l’intelligence divine, non pas parce qu’elle saisit toutes choses en un seul acte, et ainsi simultanément, mais parce qu’elle ne reçoit pas sa connaissance à partir des choses, mais connaît sans recherche de la raison et sans l’aide du sens.

 

[3829] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cognitiones volubiles dicuntur in quibus est etiam revolutio secundum discursum rationis de causatis in causas procedentis; aut e contrario, ut ex notis in ignota deveniat: non tamen excluditur successio cognitionum ab Angelis et a sanctis nisi secundum contemplationem verbi, prout in perfectam assimilationem divinam perducuntur; et in hoc etiam eorum felicitas essentialis consistit.

2. On appelle connaissances qui changent constamment celles où il se produit un retour par la démarche de la raison, qui va des réalités causées à leurs causes, ou bien, en sens contraire, parce que qu’elle parvient à des choses inconnues à partir de choses connues. La succession des connaissances chez les anges et chez les saints n’est cependant exclue que pour la contemplation du Verbe, pour autant qu’ils sont conduits à une parfaite ressemblance avec Dieu. C’est en cela que consiste leur félicité essentielle.

 

[3830] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 ad 3 Unde patet responsio ad tertium.

3. La réponse au troisième argument est ainsi claire.

 

[3831] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus possibilis et agens est in Angelis sicut in nobis sed diversimode: quia intellectus possibilis in nobis est in potentia respectu specierum acceptarum a rebus per lumen intellectus agentis actu eas intelligibiles facientis; sed in eis est possibilis respectu luminis a Deo in eos procedentis. Similiter etiam lumen intellectus agentis in nobis non sufficit ad distinctam rerum cognitionem habendam, nisi secundum species receptas quas informat ut lux colores: sed lumen intellectuale in Angelis sufficit ad distinctam cognitionem rerum habendam: quia hoc ipsum lumen est ex quo formae intellectuales multiplicantur, quibus intelligentiae plenae dicuntur. Sic ergo intellectus agens ipsorum semper dicitur in actu esse, quia incessanter ad aliquid actu considerandum lucet in Angelis sicut in nobis quantum in ipso est: non tamen oportet quod semper ad unam speciem fiat conversio, ita ut semper unum intelligatur in actu.

4. L’intellect possible et l’intellect agent existent chez anges comme chez nous, mais de manière différente, car, chez nous, l’intellect possible est en puissance par rapport aux espèces reçues des choses par la lumière de l’intellect agent qui les rend intelligibles en acte ; mais, chez eux, l’intellect possible [est en puissance] par rapport à la lumière qui vient de Dieu en eux. De même aussi, la lumière de l’intellect agent en nous ne suffit pas pour avoir une connaissance distincte des choses, à moins que ce ne soit selon les espèces reçues auxquelles elle donne forme, comme la lumière aux couleurs ; mais la lumière intellectuelle chez les anges suffit pour qu’ils obtiennent une connaissance distincte des choses, car c’est cette lumière même par laquelle les formes intellectuelles sont multipliées, dont on dit que les intelligences sont remplies. Ainsi donc, on dit que leur intellect agent est toujours en acte, car, chez les anges, pour ce qui le concerne, il brille de manière incessante afin de considérer quelque chose en acte ; toutefois, il n’est pas nécessaire qu’il se tourne toujours vers une seule espèce, de sorte qu’une seule chose soit toujours intelligée en acte.

 

 

 

 

Quaestio 4

Question 4 – [Dans son état naturel, l’ange a-t-il aimé Dieu plus que lui-même et toutes les autres choses ?]

 

 

 

 

Articulus 1 : [3832] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 tit. Utrum Angelus in statu suo naturali dilexerit Deum plus quam se et omnia alia

Article 1 – Dans son état naturel, l’ange a-t-il aimé Dieu plus que lui-même et toutes les autres choses ?

 

[3833] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 1 Circa tertium principale quaeritur de dilectione, scilicet utrum Angeli si in gratia creati non sunt, in illo statu innocentiae Deum super se et plus quam omnia dilexerunt. Et videtur, quod non. Sic enim Deum diligere est actus caritatis, qui caritatem non habentis esse non potest. Sed Angeli in isto statu caritatem non habebant quae sine gratia non est, cum nunquam sit informis. Ergo videtur quod non dilexerunt Deum plus quam se.

1. À propos de la troisième question, on s’interroge sur l’amour : si les anges n’ont pas été créés avec la grâce, dans cet état d’innocence, ont-ils aimé Dieu plus qu’eux-mêmes et plus que toutes choses ? Il semble que non. En effet, aimer Dieu de cette manière est l’acte de la charité, qui ne peut exister chez celui qui n’a pas la charité. Or, dans cet état, les anges n’avaient pas la charité, qui n’existe pas sans la grâce, puisqu’elle n’est jamais sans forme. Il semble donc qu’ils n’ont pas aimé Dieu plus qu’eux-mêmes.

 

[3834] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Bernardum natura semper in se curva est. Sed dilectio Angelorum in primo statu non fuit nisi ex principio naturali. Ergo tota in amantem reflectebatur, ut quidquid diligerent Angeli, propter seipsos diligerent; et ita non Deum supra se diligebant.

2. Selon Bernard, la nature est toujours retournée vers elle-même. Or, l’amour des anges dans leur premier état ne provenait que d’un principe naturel. Il était donc entièrement retourné vers celui qui aimait, de sorte que quoi que les anges aient aimé, ils l’aimaient pour eux-mêmes. Et ainsi, ils n’aimaient pas Dieu plus qu’eux-mêmes.

 

[3835] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, Avicenna dicit, quod nulla actio alicujus naturae est liberalis, nisi solius Dei, ex hoc quod omnem actionem aliam sequitur aliquod commodum ipsius agentis. Sed dilectio qua aliquis Deum super se diligit, est maxime liberalis. Ergo videtur quod hoc non possit alicui convenire nisi per gratiam.

3. Avicenne dit qu’aucune action d’une nature n’est libérale, sauf celle de Dieu, du fait que quelque chose d’utile à celui qui agit découle de toute autre action. Or, l’amour par lequel quelqu’un aime Dieu plus que lui-même est libéral au plus haut point. Il semble donc que cela ne puisse convenir à quelqu’un que par grâce.

 

[3836] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 4 Praeterea, unumquodque naturaliter appetit acquirere suum finem. Sed omne quod desideratur ab aliquo ut sibi acquirendum, propter se et minus se diligitur. Cum ergo Angeli in statu naturalium Deum sicut suum finem dilexerint, videtur quod eum super se non dilexerunt.

4. Toute chose désire obtenir sa fin. Or, tout ce qui est désiré par quelque chose en vue de l’obtenir est aimé en vue de soi et moins que soi. Puisque les anges aimaient Dieu comme leur fin dans leur état naturel, il semble donc qu’ils ne l’aimaient pas plus qu’eux-mêmes.

 

[3837] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 5 Praeterea, secundum Dionysium, bona naturalia in Angelis remanent etiam post peccatum. Sed constat quod peccator homo vel Angelus non diligit Deum super omnia. Ergo videtur quod nec in statu naturalium.

5. Selon Denys, chez les anges, les biens naturels demeurent, même après le péché. Or, il est clair que l’homme ou l’ange pécheur n’aime pas Dieu par-dessus tout. Il semble donc que ce ne soit pas non plus le cas dans l’état de nature.

 

[3838] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed contra, omnis dilectio aut est usus, aut fruitionis. Si ergo Angeli diligebant Deum in statu innocentiae, aut ut utentes aut ut fruentes. Si ut utentes, ergo utebantur re fruenda, quod est magnae perversitatis, secundum Augustinum; et ita esset dilectio peccati, et non naturalis. Si ut fruentes, ergo Deum propter seipsum diligebant, quia frui est amore inhaerere alicui rei propter seipsam.

Cependant, [1] tout amour existe soit en vue d’’un usage, soit en vue de la jouissance. Si donc les anges aimaient Dieu dans l’état d’innocence, c’était soit pour un usage, soit pour en jouir. Si c’était pour un usage, ils faisaient usage d’une réalité dont ils devaient jouir, ce qui est une grande perversion, selon Augustin ; ce serait donc l’amour du péché, et non [un amour] naturel. Si c’était pour en jouir, ils aimaient donc Dieu pour lui-même, puisque jouir, c’est s’unir à une réalité pour elle-même.

 

[3839] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Deum esse super omnia diligendum, cum sit legis naturalis, scriptum erat in mente Angeli multo expressius quam in mente hominis. Sed non contingit sine peccato facere contra id quod per naturalem legem cordi inditum est. Ergo si Deum super omnia non diligebant, peccabant. Quamdiu ergo sine peccato fuerunt, Deum super omnia dilexerunt.

2. Que Dieu doive être aimé par-dessus tout, puisque cela relève de la loi naturelle, avait donc été inscrit dans l’esprit de l’ange beaucoup plus expressément que dans l’esprit de l’homme. Or, on ne peut agir sans péché à l’encontre de ce qui a été implanté dans le cœur par la loi naturelle. S’ils n’aimaient pas Dieu plus que toutes choses, ils péchaient donc. Aussi longtemps qu’ils ont été sans péché, ils ont donc aimé Dieu par-dessus toutes choses.

 

[3840] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim distinguunt dilectionem concupiscentiae et amicitiae: quae duo si diligenter consideremus, differunt secundum duos actus voluntatis, scilicet appetere, quod est rei non habitae, et amare, quod est rei habitae, secundum Augustinum. Est ergo dilectio concupiscentiae qua quis aliquid desiderat ad concupiscendum, quod est sibi bonum secundum aliquem modum; et tali dilectione Angeli in statu naturalium Deum plus quam se diligebant vehementius appetendo bonum divinum quam suum: quia hoc erat eis delectabilius; unde totam hanc dilectionem in seipsos retorquebant. Dilectio autem amicitiae est qua aliquis aliquid, vel similitudinem ejus quod in se habet, amat in altero volens bonum ejus ad quem similitudinem habet: et propter hoc philosophus dicit quod est similis a simili amari, sicut unus virtuosus alium diligit; in quibus tamen est vera amicitia; et tali dilectione Angeli quodammodo diligebant Deum supra se: quia ei majus bonum quam sibi optabant, scilicet esse Deum, quod sibi non volebant; sed aliquod minus bonum; sed tamen intensius sibi volebant bonum creatum quam Deo bonum divinum. Sed ista responsio non potest stare: oportet enim ponere Angelos ad Deum habuisse dilectionem amicitiae, cum secundum bona naturalia similitudo divina in eis resplenderet. Hoc autem est de ratione amicitiae quod quamvis habeat dilectiones et utilitates annexas, non tamen ad has oculus amantis respicit, sed ad bonum amatum. Ergo in corde amantis praeponderat bonum amatum omnibus utilitatibus vel dilectionibus quae consequuntur ex amato. Sed nullum bonum erat in Angelo quod non esset ex ipso amato, scilicet Deo. Ergo plus diligebant bonum amatum divinum quam bonum quod ipsi erant, vel quod in eis erat; et haec est alia opinio.

Réponse. À ce sujet, il y a une double opinion. En effet, certains font une distinction entre l’amour de concupiscence et l’amour d’amitié. Si on examine attentivement les deux, ils diffèrent selon les deux actes de la volonté : désirer, qui porte sur une chose non possédée, et aimer, qui porte sur une chose possédée, selon Augustin. L’amour de concupiscence est donc celui par lequel quelqu’un désire une chose, qui est bonne d’une certaine manière, en vue de la posséder. Selon un tel amour, les anges, dans l’état de nature, aimaient Dieu plus qu’eux-mêmes en désirant de manière plus ardente le bien divin que leur bien propre, car cela était plus délectable pour eux. Aussi ramenaient-ils tout cet amour à eux-mêmes. Mais l’amour d’amitié est celui par lequel quelqu’un aime chez un autre une chose ou une ressemblance de ce qui existe en lui-même, en voulant le bien de celui avec qui il a une ressemblance. Pour cette raison, le Philosophe dit qu’il appartient au semblable d’aimer son semblable, comme un vertueux en aime un autre. Selon un tel amour, les anges aimaient d’une certaine manière Dieu plus qu’eux-mêmes, car [ils aimaient] le plus grand bien qu’ils se souhaitaient, être Dieu, ce qu’ils ne voulaient pas pour eux-mêmes, mais un bien moindre. Toutefois, ils voulaient pour eux-mêmes plus intensément pour Dieu un bien créé pplutôt que le bien divin. Mais cette réponse ne peut tenir. En effet, il est nécessaire d’affirmer que les anges ont eu pour Dieu un amour d’amitié, puisque la ressemblance divine resplendissait en eux par les biens naturels. Or, il est de l’essence de l’amitié que, bien qu’elle comporte des amours et des biens qui lui sont associés, le regard de celui qui aime ne s’y porte pas, mais vers le bien aimé. Dans le cœur de celui qui aime, le bien aimé l’emporte donc sur tous les biens ou toutes les amours qui découlent de ce qui est aimé. Or, il n’y avait chez l’ange aucun bien qui ne venait ce cela même qui était aimé : Dieu. Ils aimaient donc davantage le bien aimé divin que le bien qu’ils étaient eux-mêmes et qui existait en eux. Telle est l’autre opinion.

 

[3841] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actus caritatis potest dici dupliciter: vel qui est ex caritate; et hoc non est nisi in habente caritatem: vel qui est ad caritatem, non sicut meritorius vel generativus, sed sicut praeparativus; et sic actus caritatis ante caritatem habitam haberi potest, sicut facere justa est ante habitum justitiae. Vel potest dici, quod in amicitia caritatis movetur animus ad amandum Deum ex similitudine gratiae; sed in dilectione naturali ex ipso boni naturae, quod etiam est similitudo summae bonitatis. Et propter hoc dicendum, quod cum dicitur, quod habens caritatem diligit Deum propter se ipsum, ly propter denotat habitudinem finis et efficientis, quia ipse Deus superaddit naturae unde in ejus dilectionem tendit; sed cum dicitur de carente caritate, quod diligit Deum propter se ipsum, ly propter denotat habitudinem finis, et non efficientis proximi, nisi sicut Deus in omni natura operante operatur.

1. Un acte peut être appelé de charité de deux manières : soit qu’il vienne de la charité, et cela n’existe que chez celui qui a la charité ; soit qu’il soit ordonné à la charité, non pas comme la méritant ou l’engendrant, mais comme la préparant. De cette manière, il ne peut y avoir d’acte de charité avant la possession de la charité, comme on peut faire des choses justes avant l’habitus de la justice. Ou bien on peut dire que, par l’amitié de la charité, l’âme est mue vers l’amour de Dieu en vertu de la ressemblance de la grâce, mais, pour l’amour naturel, en vertu du bien même de la nature, qui est aussi une ressemblance avec la bonté suprême. Pour cette raison, il faut dire que lorsqu’on dit que celui qui possède la charité aime Dieu pour lui-même, « pour » indique un rapport avec la fin et avec celui qui [la] réalise, car Dieu lui-même ajoute à la nature ce en vertu de quoi [la charité] tend à l’aimer. Mais lorsqu’on dit de celui à qui fait défaut la charité qu’il aime Dieu pour lui-même, « pour » indique un rapport avec la fin, mais avec celui qui la réalise de manière prochaine, mais non de ce qui la réalise de manière prochaine, si ce n’est que Dieu agit en toute nature qui agit.

 

[3842] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod natura in se curva dicitur, quia semper diligit bonum suum. Non tamen oportet quod in hoc quiescat intentio quod suum est, sed in hoc quod bonum est: nisi enim sibi esset bonum aliquo modo, vel secundum veritatem, vel secundum apparentiam, nunquam ipsum amaret. Non tamen propter hoc amat quia suum est; sed quia bonum est: bonum enim est per se objectum voluntatis.

2. On dit que la nature est retournée vers elle-même parce qu’elle aime toujours son propre bien. Toutefois, il n’est cependant pas nécessaire que son intention se repose dans ce qui est sien, mais dans ce qui est bon. En effet, si cela n’était pas bon pour elle de quelque manière, soit en vérité, soit en apparence, jamais elle ne l’aimerait. Elle ne l’aime cependant pas parce que cela est sien, mais parce que cela est bon : en effet, le bien est par soi l’objet de la volonté.

 

[3843] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis cuilibet naturae creatae agenti ex sua actione proveniat aliquod commodum, non tamen oportet quod illud commodum sit intentum; sicut patet in amicitia honestorum.

3. Bien qu’un certain bien soit acquis par toute nature en vertu de sa propre action, il n’est cependant pas nécessaire que ce bien soit visé, comme cela ressort dans l’amitié de gens honnêtes.

 

[3844] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod finis est duplex: quidam proportionatus rei, receptus in ipsa ut perfectio inhaerens sibi, sicut sanitas in operationibus medicinae; et quia iste finis non est secundum esse nisi in eo cui acquiritur, ideo absolute non amatur ab aliquo supra se; sed se esse sub tali perfectione, amatur supra se esse simpliciter. Sed est quidam finis per se subsistens non dependens secundum esse a re quae est ad finem; et iste finis desideratur quidem acquiri; sed amatur supra id quod acquisitum est ab illo; et talis finis est Deus, ut supra dictum est.

4. Il existe une double fin. L’une est proportionnée à la chose et reçue en elle comme une perfection qui lui est unie : ainsi, la santé dans les opérations de la médecine. Parce que cette fin n’existe que chez celui en qui elle est acquise, elle n’est pas aimée par quelqu’un plus que lui-même au sens absolu ; mais c’est d’exister avec une telle perfection qui est aimé plus que sa propre existence. Mais il existe une fin subsistant par elle-même, qui ne dépend pas pour exister d’une chose qui est ordonnée à une fin. L’obtention de cette fin est certes désirée, mais elle est aimée plus que ce qui est acquis par elle. Une telle fin est Dieu, comme on l’a dit plus haut.

 

[3845] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod bona naturalia, prout in esse naturae absolute considerantur, remanent integra post peccatum, tamen pervertuntur quantum ad rectum ordinem quem habebant in gratia vel virtute; et hanc rectitudinem consequebatur, super omnia Deum diligere.

5. En tant qu’ils sont considérés de manière absolue dans leur être naturel, les biens naturels demeurent intégralement après le péché ; cependant, ils sont sens dessus dessous pour ce qui est de l’ordre adéquat qu’ils possédaient sous la grâce et la vertu. C’est cette droiture qu’ils possédaient : aimer Dieu par-dessus toutes choses.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 3

 

[3846] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 expos. Hic quaeri solet quam sapientiam habuerunt ante casum vel confirmationem. Ponitur hic duplex Angelorum cognitio; una speculativa, qua cognoscebant Deum et seipsos et alias creaturas; et alia practica sequens eorum operationem, quae ad eos pertinebat, qua cognoscebant quid eligere et respuere deberent. Et haec erat similis cognitioni prudentiae in nobis.

 

 

 

 

 

Distinctio 4

Distinction 4 – [La béatitude initiale des anges]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[3847] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 pr. Ostenso quales fuerunt Angeli in principio suae creationis quantum ad naturam, et quantum ad culpam et innocentiam, hic inquirit quales fuerunt quantum ad gloriam et miseriam; et dividitur in partes tres: in prima movet quaestionem; in secunda determinat eam, ibi: ad quod dici potest, quod nec in beatitudine nec in miseria creati sunt; in tertia epilogat ea quae dixerat, ibi: quales fuerunt Angeli in creatione ostensum est. Secunda pars dividitur in duas, secundum duas quaestiones propositas, quarum prima quaerebat de beatitudine; secunda de perfectione beatitudini annexa quam determinat ibi: ad hoc autem quod quaerebant utrum perfecti vel imperfecti fuerint creati, dici potest, quod quodam modo perfecti fuerunt et quodam alio modo imperfecti. Circa primum tria facit: primo determinat quaestionem quantum ad malos; secundo quantum ad bonos, ibi: boni vero qui perstiterunt, forte suae beatitudinis praescii fuerunt; tertio solutionis virtutem post inquisitionem colligit, ibi: ex praedictis consequitur quod Angeli qui corruerunt, numquam beati fuerunt. Circa secundum duo facit: primo ponit quamdam viam per quam videtur Angelos bonos, beatos creatos; secundo excludit eam, ibi: sed haec magis opinando et quaerendo dicit Augustinus quam asserendo. Hic tria quaeruntur: 1 utrum Angeli in principio suae creationis beati fuerunt vel miseri, 2 si non, utrum beatitudinem suam vel miseriam praesciverunt; 3 utrum perfecti in gratia creati sunt.

Après avoir montré comment étaient les anges au commencement de leur création pour ce qui était de leur nature et pour ce qui était de la faute et de l’innocence, [le Maître] se demande ici comment ils étaient pour ce qui était de la gloire et de la misère. Cela se divise en trois parties. Dans la première, il soulève une question. Dans la deuxième, il en détermine, à cet endroit : « On peut dire à cela qu’ils n’ont été créés ni dans la béatitude ni dans la misère. » Dans la troisième, il termine ce qu’il avait dit, à cet endroit : « On a montré comment étaient les anges lors de leur création. » La deuxième partie se divise en deux, selon les deux questions mises de l’avant. La première s’interrogeait sur la béatitude ; la seconde, sur la perfection associée à la béatitude, qu’il précise à cet endroit : « À la question : ont-ils été créés parfaits ou imparfaits ? on peut dire qu’ils étaient parfaits d’une manière et imparfaits d’une autre. » À propos du premier point, [le Maître] fait trois choses. Premièrement, il détermine de la question pour ce qui est des méchants. Deuxièmement, pour ce qui est des bons, à cet endroit : « Mais les bons qui ont tenu connaissaient peut-être à l’avance leur béatitude. » Troisièmement, il recueille la force de la solution après la recherche, à cet endroit : « Il découle de ce qui a été dit que les anges qui sont tombés n’ont jamais été bienheureux. » À propos du deuxième point, il fait deux choses. Premièrement, il présente une démarche selon laquelle il semble que les anges bons ont été créés bienheureux. Deuxièmement, il l’écarte, en cet endroit : « Mais Augustin dit cela plutôt à titre d’opinion et en s’interrogeant plutôt qu’en affirmant. » Ici, trois questions sont posées : 1. Au commencement de leur création, les anges ont-ils été bienheureux ou misérables ? 2. Sinon, ont-ils connu d’avance leur béatitude ou leur misère ? 3. Ont-ils été créés parfaits dans la grâce ?

 

 

 

 

Articulus 1 : [3848] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 tit. Utrum Angeli sint creati beati

Article 1 – Les anges ont-ils été créés bienheureux ?

 

[3849] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angeli creati sint beati. Primo per Augustinum in Lib. de ecclesiasticis dogmatibus, qui dicit quod Angeli qui in illa in qua sunt creati beatitudine perseverant, non natura, sed gratia possident ut non mutentur. Sed Angeli boni, de quibus loquitur, perseverant in beatitudine perfectae gloriae. Ergo videtur quod in illa creati sint.

1. Il semble que les anges aient été créés bienheureux. Premièrement, selon Augustin, dans le livre Sur les enseignements de l’Église, qui dit des anges qui persévèrent dans la béatitude où ils ont été créés, qu’ils possèdent de ne pas changer, non pas par nature, mais par grâce Or, les anges bons, dont il est question, persévérent dans la béatitude de la gloire parfaite. Il semble donc qu’ils aient été créés avec celle-ci.

 

[3850] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, tota substantia beatitudinis consistit in Dei visione; unde dicitur Joan. 17, 3: haec est vita aeterna ut cognoscant te solum Deum verum et quem misisti Jesum Christum. Sed Angeli in principio suae creationis Deum viderunt: alias in verbo creaturas non cognovissent cognitione matutina, quam Augustinus ponit. Ergo videtur quod beati creati sunt.

2. Toute la substance de la béatitude consiste dans la vision de Dieu. Aussi est-il dit, en Jn 17, 3 : La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui qui tu as envoyé, Jésus, le Christ. Or, les anges ont vu Dieu au commencement de leur création, autrement ils n’auraient pas connu les créatures par une connaissance matinale dans le Verbe, ce qu’affirme Augustin. Il semble donc qu’ils aient été créés bienheureux.

 

[3851] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, supra dictum est, quod Angeli in principio suae creationis aliquam cognitionem de Deo habuerunt. Non autem cognoverunt in speculo et aenigmate, sicut nos modo ut dicitur 1 Corinth 13 : quia obscuritas aenigmatis est rationis obumbratae per continuum tempus, in quantum a sensibus et fantasmatibus cognitionem inquirendo accipit. Ergo cognoverunt per speciem, et ita beati fuerunt.

 

3. On a dit plus haut que les anges ont eu une certaine connaissance de Dieu au commencement de leur création. Or, ils ne l’ont pas connu dans un miroir et comme dans une énigme, comme c’est pour le cas pour nous maintenant, ainsi qu’il est dit en 1 Co 13, car l’obscurité de l’énigme est celle de la raison pendant la durée du temps, pour autant qu’elle reçoit sa connaissance en cherchant à partir des sens et des fantasmes. Ils ont donc connu selon la vision, et ainsi ils étaient bienheureux.

 

[3852] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, venire de posterioribus in priora, de causatis in causas, est virtutis inquirentis et conferentis. Sed intellectus angelicus non est hujusmodi; quinimmo deiformiter intelligit sine inquisitione sicut nos prima principia, quorum est intellectus. Ergo videtur quod Deum non ex creaturis cognoverunt, sed ipsum in se, et ita visionem gloriosam habuerunt.

4. Passer des réalités postérieures aux réalités antérieures, des réalités causées aux causes relève d’une puissance qui cherche compare. Or, l’intelligence angélique n’est pas de ce genre ; bien plutôt, elle intellige à la manière de Dieu, sans recherche, comme nous, les premiers principes, sur lesquels porte l’intelligence. Il semble que [les anges] n’aient pas connu Dieu à partir des créatures, mais qu’[ils l’aient connu] lui-même en lui-même, et ainsi qu’ils aient eu la vision glorieuse.

 

[3853] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, de ratione beatitudinis est status confirmatio; unde Boetius dicit: quid me felicem toties jactastis amici? Qui cecidit stabili non erat ille gradu. Sed Angeli in principio suae creationis non fuerunt confirmati omnes, quod quorumdam casus ostendit: nec etiam quidam aliis non confirmatis: quia culpam non potuit praecedere distinctio in carentia beneficiorum quae a Deo conferebantur. Ergo videtur quod non fuerunt creati beati in principio suae creationis.

Cependant, [1] la confirmation de son état fait partie de l’essence de la béatitude. Aussi Boèce dit-il : « Pourquoi me proclamez-vous bienheureux si souvent ? Celui qui est tombé ne se trouvait pas sur un degré solide. » Or, les anges, au commencement de leur création, n’ont pas tous été confirmés, ce que montre la chute de certains ; certains [n’ont pas non plus été confirmés], alors que d’autres n’étaient pas confirmés, car une différence dans le manque de bienfaits conférés par Dieu ne pouvait précéder la faute. Il semble donc qu’ils n’aient pas été créés bienheureux au commencement de leur création.

 

[3854] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, simul boni Angeli effecti sunt beati et mali Angeli miseri. Ergo videtur, cum mali Angeli in principio suae creationis non fuerint miseri, sicut nec peccatores, quod nec boni in principio suae creationis beati fuerunt.

[2] Les anges bons sont devenus bienheureux en même temps que les anges mauvais sont devenus misérables. Puisque les anges mauvais n’étaient pas misérables au commencement de leur création, pas davantage que pécheurs, il semble donc que les bons non plus n’étaient pas bienheureux au commencement de leur création.

 

[3855] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod beatitudo, sive felicitas, est in perfectissima operatione habentis rationem et intellectum. Intellectus autem perfectissima operatio est in contemplatione altissimi intelligibilis, quod Deus est. Unde tam Dei quam Angeli, quam etiam hominis ultima felicitas et beatitudo, Dei contemplatio est, non solum secundum sanctos, sed etiam secundum philosophos. Hanc autem operationem non est possibile aequaliter in omnibus inveniri; unde beatitudo uniuscujusque consistit, inquantum hanc operationem attingit secundum modum suae perfectionis; et ideo diversimode invenitur in Deo et in Angelo et in homine secundum eorum naturalia consideratis. Ipse enim Deus seipsum per essentiam suam videt et non per aliquam sui similitudinem. Intellectus autem Angeli naturali cognitione ipsum videt per similitudinem ejus acquisitam in ipso; unde in Lib. de causis dicitur, quod intelligentia scit quod est supra se, inquantum est creata ab eo; unde similitudinem divini esse participat secundum modum suum. Sed intellectus humanus non pervenit ad hanc visionem naturali cognitione nisi per similitudinem a creaturis receptam, inquantum per ea quae facta sunt, invisibilia cognoscit, ut dicitur Rom. 1. Et differt haec triplex visio, ut sensibiliter loquamur; sicut oculus videt lucem existentem in pupilla, non per aliquam speciem ejus; et haec est similis visioni qua Deus videt se. Sed visio qua Angelus videt Deum, est similis visioni qua aliquis videt hominem per similitudinem immediate ab ipso receptam. Sed visio intellectus humani qua Deum videt, similis est illi visioni qua aliquis hominem videt intuendo speculum, in quo hominis imago resultat: et propter hoc dicimur in speculo videre, 1 Corinth. 13: et in hac beatitudine visionis divinae, quae naturaliter Angelis debetur, Angeli creati sunt; et haec est perfectio eorum secundum tempus illud. Sed est alia perfectio, in quam per naturam suam non possunt devenire, cujus tamen capaces sunt: ut scilicet ipsum Deum in essentia sua videant, non per aliquam similitudinem receptam, ut eorum beatitudo divinae beatitudini sit conformis; et in hac beatitudine creati non sunt, sed ad eam, aliis cadentibus, pervenerunt.

Réponse. La béatitude ou la félicité consiste dans l’opération la plus parfaite de celui qui possède raison et intelligence. Or, l’opération la plus parfaite de l’intelligence consiste dans la contemplation de l’intelligible le plus élevé, qui est Dieu. Aussi la félicité et la béatitude ultimes de Dieu, des anges et même de l’homme consistent-elles dans la contemplation de Dieu, non seulement selon les saints, mais aussi selon les philosophes. Mais on ne peut trouver cette opération de manière égale chez tous. La béatitude de chacun consiste donc en ce qu’il atteigne cette opération selon le mode de sa perfection. C’est pourquoi elle se trouve différemment chez Dieu, chez l’ange et chez l’homme, considérés selon ce qui leur est naturel. En effet, Dieu lui-même se voit par sa propre essence, et non par une ressemblance de lui-même. Mais l’intelligence de l’ange le voit par une connaissance naturelle selon une ressemblance de lui-même acquise en elle-même ; aussi est-il dit, dans le livre Sur les causes, que l’intelligence connaît ce qui est au-dessus d’elle dans la mesure où elle est créée par lui. Elle participe donc à la ressemblance de l’être divin selon son mode propre. Mais l’intelligence humaine ne parvient à cette vision selon une vision naturelle que par une ressemblance reçue des créatures, dans la mesure où elle connaît les réalités invisibles par ce qui a été créé, comme il est dit dans Rm 1. Et, pour parler selon une comparaison avec les sens, cette triple vision diffère comme l’œil voit la lumière présente dans la pupille, et non pas une espèce d’elle, et cette vision est semblable à celle par laquelle Dieu se voit. Tooutefois, la vision par laquelle l’ange voit Dieu est semblable à la vision par laquelle quelqu’un voit un homme par une ressemblance immédiatement reçue de lui. Mais la vision de l’intelligence humaine par laquelle elle voit Dieu est semblable à la vision par laquelle quelqu’un voit un homme en regardant dans un miroir, dans lequel l’image de l’homme apparaît, 1 Co 13. Les anges ont été créés dans cette béatitude de la vision divine qui revient naturellement aux anges : telle est leur perfection à ce moment-là. Mais il existe une autre perfection, à laquelle ils ne peuvent parvenir par leur propre nature, mais dont ils sont cependant capables : qu’ils voient Dieu dans sa propre essence, et non pas par une ressemblance reçue, de sorte que leur béatitude soit conforme à la béatitude divine. Ils n’ont pas été créés dans cette béatitude, mais ils y sont parvenus, alors que les autres ont chuté.

 

[3856] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus nominat beatitudinem illam visionem Dei naturalem; per quam tamen non erant beati simpliciter, cum majoris perfectionis capaces essent secundum quid, scilicet secundum tempus illud: sicut et philosophus, dicit aliquos in hac vita beatos, non simpliciter sed ut homines.

1. Augustin appelle cette béatitude la vision naturelle de Dieu ; par elle, ils n’étaient cependant pas simplement bienheureux, puisqu’ils étaient capables d’une plus grande perfection sous un aspect, à savoir, selon ce temps. Ainsi, le Philosophes dit-il que certains sont bienheureux en cette vie, non pas simplement, mais comme des hommes.

 

[3857] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod viderunt verbum per similitudinem verbi in eis impressam; non tamen in hoc est ultima eorum beatitudo, ut dictum est.

2. Ils voyaient le Verbe par une ressemblance du Verbe imprimée en eux ; cependant, leur béatitude ultime ne consiste pas en cela, comme on l’a dit.

 

[3858] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non proprie dicitur illa cognitio specularis, sicut homo non dicitur videre in speculo illud cujus similitudo in oculo suo relinquitur, nisi ipse oculus speculum diceretur in quo species rei resultat. Nec tamen est visio beata, ut dictum est.

3. Au sens propre, on ne dit pas que cette connaissance est une connaissance dans un miroir, comme on ne dit pas que l’homme voit dans un miroir ce dont la ressemblance est restée dans son œil, à moins d’appeler miroir l’œil même dans lequel l’espèce de la chose apparaît. Il ne s’agit cependant pas de la vision bienheureuse, comme on l’a dit.

 

[3859] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtutis cognoscitivae est una conversio in speciem rei et in rem ipsam; unde ex hoc quod aliquis per speciem rei quam apud se habet, rem illam cognoscit, non dicitur conferre; sed ex eo quod ex similitudine unius rei aliam rem accipit; et ita patet quod non oportet intellectum Angeli ponere collativum et inquisitivum.

4. Il existe une conversion de la puissance cognitive qui se tourne vers l’espèce d’une chose et vers la chose elle-même. Du fait que quelqu’un connaît une chose par l’espèce de la chose qu’il a en lui-même, on ne dit pas qu’il compare, mais [on dit cela] du fait qu’il perçoit une autre chose à partir de la similitude d’une chose. Il ressort ainsi clairement qu’il ne faut pas affirmer que l’intelligence de l’ange compare et recherche.

 

 

 

 

Articulus 2 : [3860] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 tit. Utrum Angeli praesciverint suam miseriam vel beatitudinem

Article 2 – Les anges ont-ils connu à l’avance leur misère ou leur béatitude ?

 

[3861] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod Angeli suam miseriam vel beatitudinem praesciverunt. Sicut enim Angeli ita et hominis miseria est per peccatum. Sed homini suum peccatum quandoque praenuntiatur, sicut dominus Petro futurum peccatum praedixit, ut legitur Matth. 26. Ergo videtur quod etiam Angelis suum casum praenuntiare debuerit.

1. Il semble que les anges aient connu à l’avance leur misère ou leur béatitude. En effet, la misère de l’homme après le péché est semblable à celle de l’ange. Or, son péché est parfois annoncé à un homme à l’avance ; ainsi, le Seigneur a prédit à Pierre son péché à venir, comme on le lit en Mt 26. Il semble donc qu’il ait dû aussi annoncer à l’avance leur chute aux anges.

 

[3862] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Bernardus de gradibus humilitatis, dicit, quod Diabolus praevidit se super malos principatum habiturum, propter hoc in latere Aquilonis solium suum ponere volebat; ut dicitur Isai. 14. Sed non est factus princeps malorum, nisi per peccatum. Ergo videtur quod peccatum suum praesciverit.

2. À propos des degrés de l’humilité, Bernard dit que le Diable a vu à l’avance qu’il serait à la tête des méchants ; pour cette raison, il voulait placer son trône du côté de l’Aquilon, comme il est dit dans Is 14. Or, il n’est devenu le prince des méchants que par le péché. Il semble donc qu’il ait connu son péché.

 

[3863] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ante peccatum nullus dolor vel poena praecessit in Angelis. Sed esse incertum de sua salute est sanctis magna causa doloris, ut dicit Gregorius super illud Job 3, 23: viro cujus abscondita est vita et circumdedit eum Deus tenebris. Ergo videtur quod boni Angeli certi fuerunt de sua salute, et ita etiam mali de suo casu.

3. Aucune douleur ni peine n’a existé chez les anges avant le péché. Or, être incertain de leur salut est une grande cause de douleur pour les saints, comme le dit Grégoire à propos de Jb 3, 23 : Pour l’homme dont la vie est cachée et que Dieu a entouré de ténèbres. Il semble donc que les anges bons aient été certains de leur salut, et aussi les mauvais de leur chute.

 

[3864] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, quanto aliquid est magis remotum a cognoscente, tanto minus subjacet cognitioni ejus. Sed magis distant ab Angelis ea quorum ipsi non sunt causae (sicut res naturales quarum tamen cognitionem habebant) quam motus liberi arbitrii, quibus sunt conversi vel aversi, quorum ipsi sunt causae. Ergo suam conversionem et aversionem praesciverunt.

4. Plus quelque chose est éloigné de celui qui connaît, moins cela est soumis à sa connaissance. Or, ce dont les anges ne sont pas eux-mêmes causes (comme les réalités naturelles dont ils ont pourtant connaissance) est plus éloigné d’eux que les mouvements du libre arbitre, par lesquels ils se sont tournés [vers Dieu] ou détournés, et dont ils sont eux-mêmes causes. Ils ont donc connu à l’avance leur conversion ou leur détournement.

 

[3865] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, quicumque est certus de malo futuro, non potest simul sperare bonum contrarium. Si ergo Angeli qui ceciderunt, praescivissent suum casum, oportebat eos desperare de beatitudine accipienda. Ergo fuissent desperati antequam peccassent: quod est inconveniens.

Cependant, [1] quiconque est certain d’un mal à venir ne peut en même temps espérer le bien contraire. Si donc les anges qui sont tombés avaient connu leur chute à l’avance, il fallait qu’ils désespèrent de la béatitude à recevoir. Ils auraient donc été désespérés avant de pécher, ce qui est inapproprié.

 

[3866] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne quod quis apprehendit, oportet quod sit vel conveniens suae voluntati, vel discordans. Sed malum culpae non potest esse concordans voluntati peccantis sine peccato, nec potest aliquid cognitum discordare a voluntate sine dolore et poena. Ergo si casum suum praesciverunt, oportet quod poena vel culpa in eis praecederet primam culpam: quod est impossibile.

[2] Tout ce que quelqu’un saisit doit soit s’accorder à sa volonté, soit être en désaccord. Or, le mal de faute ne peut s’accorder sans péché à la volonté de celui qui pèche ; quelque chose de connu ne peut pas non plus être en désaccord avec sa volonté sans douleur ni peine. S’ils ont connu leur chute, il est donc nécessaire qu’une peine ou une faute ait précédé chez eux la première faute, ce qui est impossible.

 

[3867] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod aliquod potest praecognosci dupliciter: vel cognitione certa, sicut ea quae habent causas determinatas infallibiles, ut solem oriri cras; vel cognitione conjecturali, sicut ea quae habent causas determinatas ut in majori parte, sicut medicus praecognoscit sanitatem futuram, et nauta tempestatem. Cum ergo casus et confirmatio Angelorum dependeant ex libero arbitrio, quod non est causa determinata ad unum, non potuit eorum praecognitio haberi secundum certitudinem, nisi a Deo, qui praesentialiter omnia intuetur. Sed tamen secundum conjecturam poterant praesumere omnes se habituros beatitudinem, quia ad hoc eorum natura erat magis inclinata, velut ad hoc instituta; sed suum casum praescire non poterant ex seipsis nec per conjecturam nec per certitudinem; sed tantum potentiam cadendi. Nec etiam fuit congruum a Deo eis revelari, ne poena culpam praecederet; nec iterum bonis suam confirmationem, ne distinctio culpam praecederet, ut in littera dicitur. Si tamen utrisque revelatum fuisset; recepissent id non secundum certitudinem, prout in Deo erat, sed secundum modum suum, quasi ad cautelam dictum.

Réponse. Quelque chose peut être connu à l’avance de deux manières : d’une connaissance certaine, comme ce qui a des causes déterminées infaillibles : ainsi le soleil va se lever demain ; soit d’une connaissance par conjecture, comme ce qui a des causes déterminées dans la majorité des cas : ainsi le médecin connaît à l’avance la santé à venir, et le marin, la tempête. Puisque la chute et la confirmation des anges dépendent du libre arbitre, qui n’est pas une cause déterminée à une seule chose, leur connaissance à l’avance ne pouvait donc pas être certaine, à moins qu’elle ne vienne de Dieu, qui voit tout comme si cela était présent. Toutefois, par conjecture, ils pouvaient présumer qu’ils posséderaient tous la béatitude, car leur nature est davantage inclinée à cela puisqu’elle a été créée pour cela. Mais ils ne pouvaient connaître à l’avance leur chute par eux-mêmes ni par conjecture, ni de manière certaine, mais seulement leur pouvoir de tomber. Il n’était pas non plus convenable que cela leur soit révélé par Dieu, de sorte que la peine ne précède pas la faute ; non plus que leur confirmation [soit révélée] aux bons, de crainte qu’une distinction ne précède la faute, comme il est dit dans le texte. Cependant, si cela avait été révélé aux deux, ils l’auraient accuilli, non pas avec certitude, comme cela existait en Dieu, mais selon leur mode, comme une mise en garde.

 

[3868] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Petrus etiam domini praenuntiationem accepit non per certitudinem, sed ad comminationem dictam. Praeterea, non est simile de homine et de Angelo: quia homo cadit reparabiliter; unde desperare non cogitur ex praescientia sui casus, sicut Angelus, cujus casus est irreparabilis.

1. Pierre aussi a accueilli la prémonition du Seigneur, non pas avec certitude, mais comme exprimant une menace. De plus, il n’en va pas de même de l’homme et de l’ange, car l’homme tombe et peut être rétabli ; aussi n’est-il pas forcé de désespérer pour avoir connu à l’avance sa chute, comme c’est le cas de l’ange, dont la chute est irréparable.

 

[3869] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quando ad aliquod consequens potest per multa diversa antecedentia veniri, contingit consequens sciri sine hoc quod antecedentia determinate sciantur; sicut Joseph praevidit suum dominium super fratres, non tamen venditionem, et alia ex quibus dominium consecutus est. Ita et Daemon potuit praevidere suum principatum super malos sine hoc quod casum praesciret, quia poterat malorum princeps esse etiam bonus existens.

2. Lorsqu’on peut parvenir à une conclusion par de nombreux antécédents, il arrive qu’une conséquence soit connue sans que les antécédents soient connus de manière déterminée. Ainsi, Joseph connut à l’avance qu’il serait à la tête de ses frères, mais non sa vente et les autres choses par lesquelles il a obtenu d’être à leur tête. Ainsi le démon pouvait-il prévoir qu’il dirigerait les [anges] méchants, sans connaître la chute, car il pouvait être le prince des méchants en continuant d’être bon.

 

[3870] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa conjecturalis cognitio, per quam de sua bonitate praesumebant, omnem dubitationem et anxietatem ab eis auferebat, cum hoc quod non erat in eis aliquid ad casum trahens, sicut in nobis.

3. Cette connaissance conjecturale, par laquelle ils estimaient à l’avance leur bonté, leur enlevait tout doute et toute anxiété, en même temps que ce qui n’était pas chez eux quelque chose qui les entraînait à la chute, comme pour nous.

 

[3871] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod effectus naturales qui non habent causas determinatas ad unum, praescire non poterant in causis, sed tantum illa quae ex causis naturalibus determinatis ad unum procedunt: et ita in seipsis cognoscebant ea quae in natura eorum determinata erant, non autem illa quae ex libero arbitrio dependebant, ut dictum est.

4. Ils ne pouvaient connaître dans leurs causes les effets naturels qui n’ont pas de causes déterminées à une seule chose, mais seulement ce qui vient de causes naturelles déterminées à une seule chose. Et ainsi, ils connaissaient en eux-mêmes ce qui avait été déterminé dans leur nature, mais non ce qui dépendait du libre arbitre, comme on l’a dit.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3872] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 tit. Utrum Angeli creati fuerint in gratia

Article 3 – Les anges ont-ils été créés avec la grâce ?

 

[3873] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Angeli non sint creati in gratia. Sicut enim dicit Augustinus, per caelum, quod primo creatum commemoratur, datur intelligi informis natura spiritualis, sicut in se potest existere, non conversa ad creatorem. Sed haec conversio per gratiam fit. Ergo videtur quod angelica natura creata est informis sine gratia.

1. Il semble que les anges n’aient pas été créés avec la grâce. En effet, comme le dit Augusstin, par le « ciel », dont on rappelle qu’il a été créé en premier, on donne à comprendre la nature spirituelle informe, telle qu’elle peut exister chez eux, alors qu’elle n’est pas tournée (conversa) vers le Créateur. Or, cette conversion se réalise par la grâce. Il semble donc que la nature angélique ait été créée informe sans la grâce.

 

[3874] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut supra in littera habitum est, per ea quae Angeli in principio creationis acceperunt, poterant stare, sed non poterant proficere. Sed per gratiam potest aliquis mereri gratiae augmentum, et ita proficere. Ergo non fuerunt in gratia creati.

2. Comme on l’a lu plus haut dans le texte, par ce que les anges ont reçu au commencement de la création, ils pouvaient tenir, mais ils ne pouvaient pas progresser. Or, par la grâce, quelqu’un peut mériter l’accroissement de la grâce, et ainsi progresser. Ils n’ont donc pas été créés dans la grâce.

 

[3875] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit, ut supra habitum est, quod Diabolus continuo ut factus est, non cecidit ab eo quod accepit, sed quod acciperet, si Deo subdi voluisset. Cecidit autem a gratia. Ergo gratiam nondum acceperat.

3. Comme on l’a vu plus haut, Augustin dit que le Diable n’est pas immédiatement tombé de ce qu’il avait reçu, mais de ce qu’il aurait reçu, s’il avait voulu se soumettre à Dieu. Or, il est tombé de la grâce. Il n’avait donc pas encore reçu la grâce.

 

[3876] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum Augustinum, per lucem primo creatam significatur gratia Angelorum. Sed quam cito facta ex lux, divisa est a tenebris, per quas intelliguntur Angeli peccantes. Cum ergo nullus Angelus fuerit tenebra per peccatum in principio suae creationis, videtur quod nec etiam fuerunt lux per gratiam.

4. Selon Augustin, par la lumière créée en premier lieu, la grâce des anges est signifiée. Or, dès que la lumière a été créée (corr. ex/est), elle a été séparée des ténèbres, par lesquelles on entend les anges qui pèchent. Puisque aucun ange n’était ténèbre au commencement de leur création, il semble qu’ils n’étaient pas non plus lumière par la grâce.

 

[3877] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, cum in principio creationis non fuerit distinctio in Angelis quantum ad gratiam et culpam, si aliqui in gratia fuerint creati omnes in gratia creati fuissent. Sed illi qui ceciderunt, nunquam in gratia fuerunt: quia cum non fuisset in eis aliquid retrahens, impetum gratiae secuti fuissent dirigentis in Deum. Ergo videtur quod nullus in gratia creatus est.

5. Puisque, au commencement de la création, il n’y avait pas de séparation chez les anges pour ce qui est de la grâce et de la faute, si quelques-uns ont été créés avec la grâce, tous auraient été créés avec la grâce. Or, ceux qui sont tombés n’ont jamais eu la grâce, car, puisqu’il n’y avait rien chez pour les retenir, ils auraient suivi la poussée de la grâce qui oriente vers Dieu. Il semble donc qu’aucun n’a été créé avec la grâce.

 

[3878] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit, quod Deus simul erat condens naturam et largiens gratiam. Ergo in principio creationis gratiam habuerunt.

Cependant, [1] Augustin dit que Dieu établissait la nature en même temps qu’il donnait la grâce. Au commencement de la création, [les anges] avaient donc la grâce.

 

[3879] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, supra illud Oseae 3, 1: diligunt vinacia uvarum, dicit Glossa, quod Daemones in magna pinguedine sancti spiritus creati sunt, qua per peccatum sunt privati. Sed pinguedo sancti spiritus est gratia. Ergo in gratia creati sunt.

[2] À propos de Os 3, 1 : Ils aiment le marc de raisin, la Glose dit que les démons ont été créés dans une grande surabondance de l’Esprit Saint, par laquelle ils étaient privés de péché. Or, la surabondance de l’Esprit Saint est la grâce. Ils ont donc été créés avec la grâce.

 

[3880] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, ad divinam liberalitatem pertinet ut gratiam infundat omnibus qui sunt capaces gratiae, nisi in eis aliquid resistens inveniatur, multo amplius quam cuilibet materiae dispositae formam naturalem tribuat. Sed Angeli in principio suae creationis motum liberi arbitrii habuerunt, nec aliquid in eis impediens fuit. Ergo videtur quod statim in eis gratiam infudit.

[3] Il revient à la libéralité divine d’introduire la grâce en tous ceux qui sont capables de la grâce, encore bien davantage que de donner sa forme naturelle à toute matière disposée, à moins que ne se trouve chez eux un obstacle. Or, au commencement de leur création, les anges avaient le mouvement du libre arbitre, et il n’y avait pas d’obstacle chez eux. Il semble donc que [la libéralité divine] a immédiatement introduit la grâce en eux.

 

[3881] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 s. c. 4 Praeterea, gratiam per naturalia nullus mereri potuit, per quae tamen ad eam se praeparare potest. Sed praeparatio ad gratiam potest esse etiam per unum motum liberi arbitrii, sicut patet in contritione. Ergo videtur quod cum motum liberi arbitrii habuerint in principio creationis suae, pro nihilo differretur gratiae collatio: et ita videtur quod statim gratiam habuerunt.

[4] Personne ne pouvait mériter la grâce par ce qui est naturel, par quoi il peut cependant s’y préparer. Or, la préparation à la grâce peut aussi se réaliser par un mouvement du libre arbitre, comme cela ressort pour la contrition. Il semble donc que, puisque [les anges] ont eu le mouvement du libre arbitre au commencement de leur création, l’octroi de la grâce ne serait en rien différé. Et ainsi, il semble qu’ils ont aussitôt possédé la grâce.

 

[3882] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod Angeli non in gratia, sed in naturalibus tantum creati sunt; et haec opinio est communior. Alii vero dicunt, Angelos in gratia creatos esse. Harum autem opinionum quae verior sit, non potest efficaci ratione deprehendi, eo quod creaturarum principium ex simplici creatoris voluntate dependet, quam ratione investigare impossibile est; tamen secundum convenientiam ad alia ejus opera, potest una pars alia probabilius sustineri. Illa enim opinio quae ponit Angelos in naturalibus tantum creatos, consonat illi opinioni quae ponit omnia simul in materia, non autem per species distinctas creata: quia sicut se habet materia informis ad formas corporales, ita natura angelica ad gratiam. Illa autem opinio quae ponit Angelos in gratia creatos, magis consonat illi opinioni quae ponit omnia in exordio creationis per species distincta: quae opinio mihi magis placet, absque alterius partis praejudicio: quia huic positioni, praecipuae quantum ad gratiam Angelorum, plures sanctorum auctoritates consonare videntur.

Réponse. À ce propos, il existe une double opinion. En effet, certains disent que les anges ont été créés, non pas avec la grâce, mais avec leurs attributs naturels seulement, et cette opinion est la plus commune. Mais d’autres disent que les anges ont été créés avec la grâce. Or, on ne peut saisir par un raisonnement convaincant laquelle de ces deux opinions est plus vraie, du fait que le commencement des créatures dépend de la simple volonté du Créateur, qu’il est impossible de scruter par la raison. Toutefois, selon ce qui convient à ses autres œuvres, une opinion peut être soutenue comme plus probable. En effet, l’opinion qui affirme que les anges ont été créés avec leurs attributs naturels seulement est en harmonie avec l’opinion qui affirme que tout existe en même temps dans la matière, mais que cela n’a pas été créé selon des espèces distinctes, car le rapport entre la matière informe et les formes corporelles est le même qu’entre la nature angélique et la grâce. Mais l’opinion qui affirme que les anges ont été créés avec la grâce est davantage en harmonie avec l’opinion qui affirme qu’au début de la création, tout [a existé] selon des espèces distinctes, opinion qui me plaît davantage, sans préjudice pour l’autre partie, car les autorités de plusieurs saints me semblent être en harmonie avec cette position, surtout pour ce qui est de la grâce des anges.

 

[3883] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Augustinum, in illa distinctione operum quae in principio Genesis memorantur, non designatur successio temporis, sed ordo naturae tantum, secundum quod in via generationis est imperfectum ante perfectum, et in eodem potentia ante actum; quamvis actus simpliciter praecedat potentiam.

1. Selon Augustin, dans cette différenciation des œuvres qui est rappelée au début de la Genèse, ce n’est pas une succession dans le temps, mais un ordre de nature seulement qui est indiqué, selon que, sur le chemin de la génération, l’imparfait précède le parfait, et que la puissance se trouve chez le même avant l’acte, bien que l’acte précède la puissance simplement.

 

[3884] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dicuntur Angeli non potuisse proficere, non quia mereri non poterant, sed quia per suam virtutem in gloriam transferri non poterant, nisi ampliori lumine infuso.

2. On dit que les anges n’ont pas pu progresser, non pas parce qu’ils ne pouvaient pas mériter, mais parce qu’ils ne pouvaient pas être emportés dans la gloire par leur vertu, à moins qu’une plus grande lumière ne [leur] soit infusée.

 

[3885] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod oportet dicere, Angelos qui peccaverunt, ab aliquo quod habuerunt, cecidisse, sive in gratia creati fuerint, sive non; saltem ab innocentia vel rectitudine naturali: et ideo hoc quod dicitur, quod cecidit ab eo quod nondum receperat, referendum est ad casum a gloria: quod patet ex hoc quod praemittitur: beatae vitae dulcedinem non gustavit et cetera.

3. Il faut dire que les anges qui ont péché sont tombés de quelque chose qu’ils possédaient, qu’ils aient ou non été créés avec la grâce, du moins, de l’innocence ou de la droiture naturelle. C’est pourquoi ce qui est dit : qu’il est tombé de ce qu’il ne possédait pas déjà, doit être mis en rapport avec la chute depuis la gloire, ce qui ressort clairement de ce qui est dit précédemment : « … il n’a pas goûté à la douceur de la vie bienheureuse, etc. »

 

[3886] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in diaphano est aliquid de natura lucis, licet imperfecte, completur autem quando efficitur lucidum in actu; ita etiam in principio creationis Angelorum erat in eis aliquid de natura lucis vel gratiae; vel saltem naturalis intellectus tantum; unde oportet ut per hoc quod dicitur: fiat lux, intelligatur de luce perfecta, quae est gloria, quae non prius bonis infuit quam a malis divisi essent; si tamen intelligatur caelum factum prius tempore ante lucem. Si autem intelligatur non prius factum tempore, sed natura, ut Augustinus exponit in 1 super Genes., tunc potest intelligi de luce gratiae; et per tenebras non intelligitur peccatum Angelorum, sed informitas corporalis creaturae, quae formanda restabat, ut ipse in eodem exponit.

4. De même que, dans le diaphane, il existe quelque chose de la nature de la lumière, bien que de manière imparfaite, et que cela est complété lorsque cela devient lumineux en acte, de même aussi, au début de la création des anges, il y avait en eux quelque chose de la nature de la lumière ou de la grâce ou, tout au moins, seulement de l’intelligence naturelle. Aussi, par « Que la lumière soit ! » faut-il entendre la lumière parfaite, qui est la gloire, qui n’était pas présente chez les bons avant qu’ils ne soient séparés des méchants, à condition de comprendre que le ciel a été créé avant le temps, avant la lumière. Mais si on comprend qu’il n’a pas été créé antérieurement dans le temps, mais par nature, comme Augustin l’explique dans le Commentaire littéral de la Genèse, I, alors on peut l’entendre de la lumière de la grâce et, par les ténèbres, on n’entend pas le péché des anges, mais l’absence de forme chez la créature corporelle, qu’il restait à former, comme il l’explique lui-même dans le même livre.

 

[3887] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ex inclinatione gratiae in bonum, non potest concludi, quod habens gratiam a bono diverti non possit, etiam si nihil habeat retrahens; nisi sit perfecta gratia, quae fini conjungat, qualis est in beatis; quia habens gratiam non agit ex necessitate gratiae, sicut nec necessitate naturae, quae in bonum etiam ordinata est; sed ex libertate voluntatis.

5. À partir de l’inclination de la grâce au bien, on ne peut conclure que celui qui possède la grâce ne peut être détourné du bien, même si rien ne le retient, à moins qu’il s’agisse d’une grâce parfaite, qui unit à la fin, et qui se trouve chez les bienheureux, car celui qui possède la grâce n’agit pas selon nécessité de la grâce, pas davantage que par nécessité de la nature, qui est aussi ordonnée au bien, mais par liberté de sa volonté.

 

[3888] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 ad s. c. Qui autem aliam opinionem sustinent, respondent ad auctoritates, exponentes gratiam non pro gratia gratum faciente, sed pro alia gratia gratis data, sicut est perspicacitas ingenii, vel aliquid hujusmodi in hominibus. Dicunt autem ad alias rationes, quod Deus gratiam distulit, ut ostenderetur quod distat inter possibilitatem naturae et gratiae, ut sic creatura magis beneficium gratiae acceptum haberet.

[1]-[4] Ceux qui soutiennent une autre opinion répondent aux autorités en expliquant que la grâce n’est pas la grâce sanctifiante, mais une autre grâce gratuitement donnée, comme l’est la perspicacité de l’esprit ou quelque chose de ce genre chez les hommes. Mais, pour les autres arguments, ils disent que Dieu a reporté la grâce afin de montrer la distance entre le pouvoir de la nature et celui de la grâce, de sorte que la créature accueille mieux le bienfait de la grâce.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 4

 

[3889] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 expos. Qui sui eventus ignari fuerunt. Est enim de ratione felicitatis ut felix ea quae ad ipsum pertinent, non ignoret; quamvis non requiratur ad eam omnium scientiam habere. Universaliter autem et summe perfectum est cui nihil unquam deest. Huic consonat quod philosophus dicit in 5 Metaph., illud esse simpliciter perfectum quod habet in se omnes perfectiones quae in generibus rerum inveniuntur; et hanc perfectionem ibidem Commentator dicit esse in Deo.

 

 

 

 

 

Distinctio 5

Distinction 5 – [La conversion et l’aversion des anges]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’ange pouvait-il pécher ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[3890] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 pr. Post haec consideratio adducit inquirere, quales effecti sint, dum dividerentur aversione et conversione. Ostenso quales Angeli creati sunt, hic ostendit eorum differentiam ad invicem per aversionem et conversionem: et dividitur in partes duas: in prima determinat de aversione Angelorum; in secunda determinat quae consequuntur aversos et conversos secundum operationem eorum ad invicem, 6 dist., ibi: praeterea scire oportet, quoniam sicut de majoribus et minoribus quidam perstiterunt; ita de utroque gradu quidam corruerunt. Prima in duas: in prima determinat aversionem et conversionem quorumdam; in secunda ostendit per quid sunt aversi et conversi, ibi: habebant enim omnes liberum arbitrium. Et circa hoc duo facit: primo ostendit quod per liberum arbitrium sunt aversi et conversi; secundo inquirit, utrum liberum arbitrium sufficiat ad conversionem, sicut ad aversionem, ibi: si autem quaeritur utrum post creationem conversis aliquid collatum sit per quod converterentur (...) dicimus, quia eis collata est gratia cooperans. Et circa hoc duo facit: primo ostendit quod conversis apposita est gratia, per quam converterentur; secundo inquirit utrum per gratiam illam, suam beatitudinem meruerint, ibi: hic quaeri solet, utrum in ipsa confirmatione beati fuerint Angeli. Circa primum duo facit: primo determinat veritatem; secundo excludit objectum, ibi: ideoque a quibusdam dici solet, non esse imputandum illis qui aversi sunt. Hic est duplex quaestio. Prima est de aversione malorum Angelorum. Secunda de conversione bonorum. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum Angelus peccare potuerit; 2 quid appetendo peccaverit; 3 ad quod genus peccati, ejus peccatum reducatur.

« Après cela, l’examen conduit à se demander ce que [les anges] sont devenus, lorsqu’ils ont été séparés par l’aversion et la conversion. » Après avoir montré dans quel état les anges ont été créés, [le Maître] montre ici la différence entre eux selon l’aversion et de la conversion. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de l’aversion des anges ; dans la seconde, il détermine des conséquences, chez ceux qui se sont détournés (aversos) et ceux qui se sont tournés (conversos) [vers Dieu], pour leurs rapports mutuels, d. 6, à cet endroit : « De plus, il faut savoir que, de même que, parmi les plus grands et les plus petits, certains ont tenu, de même certains parmi les deux degrés ont chuté. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’aversion et de la conversion de certains ; dans la seconde, il montre par quoi ils ont été détournés ou se sont convertis, à cet endroit : « En effet, tous avaient le libre arbitre. » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’ils se sont détournés ou tournés par le libre arbitre ; deuxièmement, il se demande si le libre arbitre suffit à la conversion comme à l’aversion, à cet endroit : « Mais si on se demande si quelque chose a été conféré, après leur création, à ceux qui se sont convertis, par quoi ils se sont convertis…, nous disons que leur a été ajoutée la grâce coopérante. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre que la grâce a été apportée à ceux qui se sont convertis, par laquelle ils se sont convertis ; deuxièmement, il se demande si, par cette grâce, ils ont mérité leur béatitude, à cet endroit : « On a coutume de se demander ici si, par leur confirmation même, les anges ont été bienheureux. » À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il détermine de la vérité ; deuxièmement, il écarte une objection, à cet endroit : « C’est pourquoi certains ont coutume de dire qu’il ne faut pas imputer à ceux qui se sont détournés. » Il y a ici deux questions. La première porte sur le détournement des anges mauvais ; la seconde, sur la conversion des [anges] bons. À propos de la première, trois questions sont posées : 1. L’ange peut-il pécher ? 2. Qu’a-t-il désiré pour pécher ? 3. À quel genre de péché son péché se ramène-t-il ?

 

 

 

 

Articulus 1 : [3891] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Angelis possit esse peccatum

Article 1 – Le péché peut-il exister chez les anges ?

 

[3892] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Angelis non potuit esse peccatum. Sicut enim dicitur in 9 Metaph., in his quae semper sunt actu, non potest esse malum: unde Avicenna dicit, quod supra sphaeram lunae non est malum. Sed adhuc minus est de possibilitate in Angelo quam in corpore caelesti. Ergo in Angelis nullo modo potest esse peccatum.

1. Il semble qu’il ne pouvait y avoir de péché chez les anges. En effet, ainsi qu’on le dit dans Métaphysique, IX, chez les êtres qui sont toujours en acte, il ne peut exister de mal ; aussi Avicenne dit-il qu’il n’existe pas de mal au-delà de la sphère de la lune. Or, cette possibilité est encore moindre chez l’ange que dans un corps céleste. Il ne peut donc d’aucune manière y avoir de péché chez les anges.

 

[3893] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quod aliquid sit malum postquam fuit bonum, hoc non potest esse sine motu. Sed motus non est sine materia, ut dicitur in 2 Metaph. Cum ergo in Angelis non sit materia, ut supra dictum est, videtur quod non potuerit in eis peccatum esse.

2. Que quelque chose soit mauvais après avoir été bon, cela ne peut exister sans mouvement. Or, le mouvement n’existe pas sans matière, comme il est dit dans Métaphysique, II. Puisqu’il n’y a pas de matière chez les anges, ainsi qu’on l’a dit plus haut, il semble donc qu’il ne pouvait pas y avoir de péché chez eux.

 

[3894] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut dicitur in 7 Phys., omnis mutatio virtutis et vitii reducitur in alterationem, quae est secundum passiones partis sensitivae. Sed hujusmodi passiones non sunt in Angelis carentibus organis sensus. Ergo in Angelis non potest esse mutatio de virtute in vitium, ut peccent postquam boni fuerant.

3. Comme on le dit dans Physique, tout changement de la vertu et du vice se ramène à une altération, qui se rapporte aux passions de la partie sensible. Or, les passions de ce genre n’existent pas chez les anges à qui font défaut les organes du sens. Chez les anges, il ne peut donc y avoir de changement de la vertu au vice, de sorte qu’ils pèchent après avoir été bons.

 

[3895] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, voluntas non est nisi boni, vel apparentis boni. Ergo cui non potest apparere bonum nisi quod est bonum, non potest voluntas ferri nisi in bonum verum. Sed in Angelis non potest esse bonum apparens, nisi quod est verum bonum. Ergo non possunt desiderare nisi id quod est verum bonum; et ita non possunt peccare. Probatio mediae. Intellectus nunquam errat in his quorum proprie est intellectus, sicut in cognitione principiorum. Sed Angeli non habent nisi intellectivam cognitionem. Ergo non possunt in sua cognitione errare. Unde philosophus dicit in Lib. 3 de anima, quod intellectus semper est rectus, phantasia autem est recta et non recta. Hoc idem dicit Augustinus super Genes., Lib. 12.

4. La volonté n’a comme objet que le bien ou un bien apparent. Donc, celui à qui ne peut apparaître bien que ce qui est bien, sa volonté ne peut être porté que vers un bien vrai. Or, chez les anges, il ne peut exister de bien apparent, qui ne soit un vrai bien. Ils ne peuvent donc désirer que ce qui est bien et ainsi, ils ne peuvent pas pécher. Démonstration de la mineure. L’intelligence ne se trompe jamais à propos de ce qui relève de l’intelligence au sens propre, telle la connaissance des principes. Or, les anges n’ont qu’une connaissance intelligente. Aussi le Philosophe dit-il, Sur l’âme, III, que l’intelligence est toujours droite, mais que l’imagination est parfois droite et parfois non droite. Augustin dit la même chose dans son Commentaire littéral de la Genèse, XII.

 

[3896] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Job 4, 18: ecce qui serviunt ei non sunt stabiles, et in Angelis suis reperit pravitatem. Ergo et cetera.

Cependant, [1] Jb 4, 18 dit le contraire : Voici que ceux qui le servent ne sont pas solides, et il rencontre le mal chez ses anges. Donc, etc.

 

[3897] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ut supra dictum est, 3 dist., Angelis in sui creatione datum est liberum arbitrum. Sed liberum arbitrium quod est ex nihilo, potest etiam in malum deflecti. Ergo videtur quod Angeli peccare potuerunt.

[2] Plus haut, d. 3, on a dit que le libre arbitre a été donné aux anges lors de leur création. Or, le libre arbitre, qui vient du néant, peut aussi être fléchi vers le mal. Il semble donc que les anges puissent pécher.

 

[3898] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod apud omnes Catholicos certum est, Angelos peccasse, et Daemones effectos esse. Quomodo autem peccaverunt, difficile est videre: quia non potest esse peccatum in voluntate, nisi sit aliquo modo deceptio in ratione; unde omnis malus est quodammodo ignorans, ut in 3 Ethic., dicit philosophus: quod qualiter sit videndum est ad propositae quaestionis intellectum. Ipse enim distinguit in 7 Ethic., operandorum duplicem cognitionem, scilicet universalem, et particularem: et quia operationes sunt circa singularia, ideo aliquem recte in universali opinantem, circa singularia peccare contingit. Singularia enim contingit cognoscere dupliciter; scilicet in habitu, et in actu. Contingit ergo aliquem peccantem rectam existimationem etiam de singulari operabili in habitu habere, non tamen in actu; quia in nobis habitus passione ligatur, ne in actum exeat circa considerationem particularis operandi, sicut ebrietate, ita et ira et concupiscentia; adeo ut si verba pronuntiet, sensum mente non teneat, inquantum judicium rationis, vehementia passionis absorbetur: unde dicitur in 6 Ethic., quod delectatio corrumpit existimationem prudentiae. Sed quamvis hoc modo in Angelis judicium intellectus ligari non possit, eo quod tales passiones in eis non sunt, potest tamen ligari inquantum considerando unum retrahitur a consideratione alterius; eo quod ejus intellectus simul plurium non est, nisi sicut in verbo omnia contemplatur. Contingit autem aliquid esse eligendum secundum unam conditionem rei consideratam, quod tamen eligendum non est, omnibus conditionibus concurrentibus consideratis; et ita potuit in Angelis error electionis esse, et peccatum.

Réponse. Pour tous les catholiques, il est certain que des anges ont péché et sont devenus des démons. Mais comment ils ont péché, il est difficile de le voir, car il ne peut y avoir de péché dans la volonté que s’il y a d’une certaine manière erreur dans la raison ; aussi tout méchant est-il d’une certaine manière un ignorant, comme le dit le Philosophe dans Éthique, III. Comment cela se fait, il faut le voir pour comprendre la question proposée. En effet, [Aristote] lui-même fait une distinction entre une double connaissance de ce qui doit être fait : universelle et particulière. Et parce que les opérations portent sur des réalités singulières, il arrive que quelqu’un, qui a une opinion droite dans l’universel, pèche à propos du particulier. En effet, il arrive qu’on connaisse les réalités singulières de deux manières : selon l’habitus et selon l’acte. Il arrive donc qu’un pécheur ait en habitus une estimation droite, même du singulier qui doit être accompli, mais qu’il ne l’ait cependant pas en acte, de sorte qu’il ne passe pas à l’acte dans la considération du particulier à accomplir, par exemple, à cause de l’ébriété, de la colère et de la concupiscence, au point où s’il prononce des paroles, il ne les comprenne pas, dans la mesure où le jugement de la raison est absorbé par l’intensité de la passion. Aussi est-il dit, dans Éthique, VI, que le plaisir corrompt l’estimation de la prudence. Or, bien que le jugement de l’intelligence ne puisse être lié de cette façon chez les anges, du fait qu’il n’existe pas de telles passions chez eux, il peut cependant être lié dans la mesure où, considérant une chose, il est empêché d’en considérer une autre, du fait que son intelligence ne porte pas en même temps sur plusieurs choses, sauf en contemplant toutes choses dans le Verbe. Or, il arrive que quelque chose doive être choisi selon une condition de la chose considérée, qui ne doive cependant pas être choisi, si l’on considère toutes les conditions qui l’entourent. Une erreur dans le choix et un péché ont ainsi pu se produire chez les anges.

 

[3899] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in natura Angelorum non est alia potentia respectu alicujus formae quam acquirere et amittere possit, sicut est in generabilibus et corruptibilibus; et ideo non potest in eis esse malum naturae, sicut nec in ingenerabilibus et incorruptibilibus, cujusmodi sunt corpora caelestia. Sed tamen liberum arbitrium eorum est possibile respectu motus ordinati; et ita potest esse quantum ad hoc deordinatio ad malum.

1. Dans la nature des anges, il n’existe pas d’autres puissances en regard d’une forme qu’il pourrait acquérir ou écarter, comme c’est le cas dans les choses susceptibles de génération et de corruption. C’est pourquoi il ne peut y avoir de mal de nature chez eux, pas davantage que dans ce qui ne peut être engendré ni corrompu, comme c’est le cas des corps célestes. Toutefois, leur libre arbitre est en puissance par rapport à un mouvement ordonné. Ainsi, il peut exister sur ce point un désordre en direction du mal.

 

[3900] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut passio et receptio dicuntur aequivoce in operibus intellectualibus et naturalibus, ita et motus: unde non exigitur quod ad talem motum sit materia; sed sufficit potentia, qualis dicta est in Angelis esse.

2. De même qu’on parle de passion et de réception de manière équivoque pour les opérations intellectuelles et naturelles, de même parle-t-on de mouvement. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’il y ait une matière pour un tel mouvement, mais une puissance suffit, dont on dit qu’elle existe chez les anges.

 

[3901] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dictum philosophi est intelligendum de virtutibus et vitiis quae sunt circa passiones, et de scientia quae est a sensibus acquisita; et hoc in Angelis non invenitur.

3. La parole du Philosophe doit s’entendre des vertus et des vices qui portent sur les passions, et de la science qui est acquise à partir des sens. Et cela ne se rencontre pas chez les anges.

 

[3902] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis intellectus non possit errare ita ut judicet aliquid hujusmodi quod non est, quantum ad illud quod de re percipit; nihilominus intellectus creatus, quia non est omnium simul, potest deficere, ex hoc quod judicat de re quod sit conveniens secundum aliquam conditionem rei consideratam, quod non est conveniens secundum alia quae non considerat: sicut medicus judicans aliquid esse expediens uni aegroto secundum unam infirmitatem ejus consideratam, quod non est sibi simpliciter expediens propter aliam aegritudinem, quam vel non cognoscit, vel non considerat.

4. Bien que l’intelligence ne puisse errer au point de juger quelque chose de ce genre qui n’existe pas, quant à ce qu’elle perçoit de la chose, néanmoins l’intelligence créée, parce qu’elle ne porte pas en même temps sur tout, peut faire défaut en jugeant qu’une chose convient selon une certaine condition, qui ne convient pas selon d’autres choses qu’elle ne considère pas. Ainsi, un médecin juge que quelque chose est approprié pour un malade en considération une maladie, qui ne l’est tout simplement pas en raison d’une autre maladie qu’il ne connaît pas ou qu’il ne considère pas.

 

 

 

 

Articulus 2 [3903] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 tit. Utrum Angelus malus appetierit aequalitatem Dei

Article 2 – L’ange mauvais a-t-il désiré l’égalité avec Dieu ?

 

[3904] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Angelus Dei aequalitatem non appetierit. Quia, sicut dicit Augustinus de Adam loquens, non est credendum, quod vir spirituali mente praeditus, esse voluerit sicut Deus. Sed Angelus multo sapientior fuit homine. Ergo videtur quod Dei aequalitatem non appetiit.

1. Il semble que l’ange n’ait pas désiré l’égalité avec Dieu, car il ne faut pas croire que l’homme doué d’un esprit spirituel ait voulu être comme Dieu, comme le dit Augustin en parlant d’Adam. Or, l’ange était beaucoup plus sage que l’homme. Il semble don qu’il n’ait pas désiré l’égalité avec Dieu.

 

[3905] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod non cadit in apprehensionem, non cadit in voluntatem: quia voluntas non est nisi de aliquo bono apprehenso. Sed aequalitas creaturae ad Deum non cadit in apprehensionem, quia ipse Deus omnem intellectum creatum sua magnitudine excedit. Ergo videtur quod Dei aequalitatem non appetiit.

2. Ce qui n’est pas perçu n’est pas voulu, car la volonté ne porte que sur un bien perçu. Or, l’égalité de la créature avec Dieu n’est pas objet de perception, car Dieu lui-même dépasse tout intellect créé par sa grandeur. Il semble donc que [l’ange] n’ait pas désiré l’égalité avec Dieu.

 

[3906] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, quamvis voluntas sit possibilium et impossibilium, tamen electio non est nisi possibilium, ut dicitur in 3 Ethic. Sed electio Angeli fuit de eo quod desideravit, quia quicumque non peccat per electionem, peccat per infirmitatem vel ignorantiam, ut potest haberi a philosopho in 5 Ethic., quale non fuit peccatum Angeli. Ergo suum desideratum fuit possibile. Sed eum esse aequalem Deo est impossibile. Ergo non fuit suum desideratum.

3. Bien que la volonté porte sur ce qui est possible et impossible, le choix ne porte cependant que sur ce qui est possible, comme on le dit dans Éthique, III. Or, le choix de l’ange n’a porté que sur ce qu’il a désiré, car quiconque ne pèche pas par choix, pèche par faiblesse ou par ignorance, comme on peut le conclure de ce que dit le Philosophe, Éthique, V, ce que le péché de l’ange n’a pas été. Donc, ce qu’il a désiré était possible. Or, il est impossible qu’il soit égal à Dieu. Ce ne fut donc pas son désir.

 

[3907] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, nullus peccat in desiderio sui finis, quia hoc naturale est. Sed finis Angeli et cujuslibet creaturae est assimilari Deo. Ergo videtur quod non peccavit hoc appetendo.

4. Personne ne pèche en désirant sa fin, car cela est naturel. Or, la fin de l’ange et de toute créature est d’être semblable à Dieu. Il semble donc qu’il n’ait pas péché en [le] désirant.

 

[3908] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, quicumque vult assimilari alicui, convertitur ad illud: nullus enim vult esse similis ei quem odio habet. Sed Angelus peccando non est conversus, sed aversus a Deo. Ergo non appetiit similitudinem Dei vel aequalitatem.

5. Quiconque veut devenir semblable à quelqu’un se tourne vers lui : en effet, personne ne veut être semblable à celui qu’il hait. Or, l’ange en péchant ne se tourne pas vers Dieu, mais s’en détourne. Il ne désire donc pas être semblable ou égal à Dieu.

 

[3909] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, supra illud Psalm. 68, 5: quae non rapui, tunc exsolvebam, dicit Glossa, quod Eva sicut Diabolus rapere voluit divinitatem. Ergo videtur quod Diabolus Dei aequalitatem appetiit.

Cependant, [1] à propos de Ps 68, 5: Ce que je n’ai pas pris, je le rendais, la Glose dit qu’Ève, comme le Diable, a voulu ravir la divinité. Il semble donc que le Diable ait désiré l’égalité avec Dieu.

 

[3910] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Isa. 14, 13, ex persona Nabuchodonosor in figura Diaboli dicitur: in caelum ascendam. Non autem potest intelligi de caelo Empyreo, quia in illo creatus fuit. Ergo oportet ut intelligatur de caelo sanctae Trinitatis; et ita videtur quod aequalitatem divinae celsitudinis appetiit.

[2] Il est dit en Is 14, 13, en parlant de Nabuchodonosor comme figure du Diable : Je monterai au ciel. Or, on ne peut entendre cela du ciel empyrée, car il a été créé en celui-ci. Il faut donc l’entendre du ciel de la Sainte Trinité. Ainsi, il semble qu’il ait désiré l’égalité avec la grandeur divine.

 

[3911] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc triplex est opinio. Quidam namque simpliciter et absolute concedunt, quod peccatum Angeli fuit ex hoc quod Deo simpliciter aequalis esse voluit. Nec obstat quod hoc est impossibile: quia, secundum Augustinum, caeca ambitio semper praesumit plus quam possit. Sed hoc non videtur conveniens: quia quamvis homo possit plus desiderare quam possit habere, non tamen plus potest velle quam possit aestimare: quia intellectum voluntas sequitur, et non excedit. Et praeterea in Angelo non est ponere passionem quae ex appetitu honoris judicium intellectus liget, sicut est in nobis. Et praeterea nullus vult aliquid nunquam quo posito ejus natura non maneret. Si autem Angelus Deo aequalis esset, non esset hujus naturae, sed divinae: et ita suum non esse appeteret. Et ideo aliter alii dicunt, quod Dei aequalitatem directe non appetiit, sed indirecte: quia appetiit aliquid, quo habito sequeretur quod Deo esset aequalis, scilicet nulli subesse. Hoc etiam non videtur conveniens: quia totum bonum Angeli est in hoc quod Deo subest; sicut tota claritas aeris est in hoc quod subjicitur radiis solis; et ideo hoc ab Angelo non potuit appeti. Et ideo aliter est dicendum, quod non appetiit aequalitatem simpliciter quantum ad substantiam desiderati, ut scilicet vellet tantam bonitatem habere quantam Deus habet; sed tamen appetiit aequalitatem secundum quid, scilicet quantum ad modum habendi. Bonitas autem sive beatitudo est in Deo, quam habet per suam naturam, et a qua omnis creaturae beatitudo et bonitas transfunditur. Videns ergo Angelus dignitatem naturae suae, qua creaturis ceteris praeeminebat, voluit a se beatitudinem et bonitatem in omnia inferiora derivari; voluit etiam per sua naturalia in perfectionem beatitudinis pervenire: et ideo dicitur, quod sine merito habere voluit hoc quod ex meritis habiturus esset si perstitisset. Nec etiam quantum ad modum habendi, simpliciter Deo aequiparari voluit: non enim voluit a se beatitudinem habere, nec esse primum in alios transfundens; sed a Deo et sub Deo, secundum quod ipse in omni natura operatur.

Réponse. À ce sujet, il y a trois opinions. Car certains concèdent de manière simple et absolue que le péché de l’ange a consisté dans le fait d’avoir voulu être tout simplement égal à Dieu. Et le fait que cela soit impossible ne fait rien, car, selon Augustin, l’ambition aveugle présume toujours davantage qu’elle ne peut. Mais cela ne semble pas approprié, car, bien que l’homme puisse désirer davantage qu’il ne peut avoir, il ne peut cependant vouloir plus qu’il ne peut estimer, car la volonté suit l’intelligence et ne la dépasse pas. De plus, il ne faut pas mettre chez l’ange une passion qui lie le jugement de l’intelligence par un désir d’honneur, comme c’est le cas chez nous. De plus, personne ne veut jamais quelque chose qui, par son existence, empêcherait sa nature de demeurer. Or, si l’ange était l’égal de Dieu, il n’aurait pas la nature [de l’ange], mais celle de Dieu, et ainsi il ne désirerait pas son propre être. C’est pourquoi d’autres disent qu’il ne désire pas l’égalité avec Dieu directement, mais indirectement, car il désire quelque chose qui, par son existence, le rendrait égal à Dieu : n’être soumis à personne. Mais cela non plus ne semble pas approprié, car tout le bien de l’ange consiste à être soumis à Dieu, comme toute la clarté de l’air consiste dans le fait d’être soumis aux rayons du soleil. C’est pourquoi cela ne pouvait être désiré par l’ange. Il faut donc dire autre chose : [l’ange] ne désire pas tout simplement l’égalité quant à la substance de ce qui est désiré, c’est-à-dire posséder autant de bonté que Dieu en possède, mais il désire l’égalité sous un aspect : selon la manière de [la] posséder. Or, la bonté ou la béatitude existe en Dieu par sa nature, à partir de laquelle la béatitude et la bonté sont versées en toute créature. Voyant donc la dignité de sa nature, par laquelle il l’emportait sur toutes les autres créatures, [l’ange] a voulu que la bonté et la béatitude dérivent de lui dans toutes les réalités inférieures. Il a aussi voulu parvenir à la perfection de la béatitude par ses attributs naturels. C’est pourquoi on dit qu’il a voulu posséder sans le mériter ce qu’il aurait possédé par ses mérites, s’il avait persisté. Il n’a pas non plus voulu être tout simplement l’égal de Dieu par la manière de posséder : en effet, il n’a pas voulu tenir de lui-même la béatitude, ni être le premier à la répandre dans les autres, mais à partir de Dieu et dans la soumission à Dieu, selon qu’il agit en toute nature.

 

[3912] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Angelus noluit aequalitatem simpliciter, sicut nec homo; sed modo praedicto. Quidam tamen dicunt, quod Adam magis fuit praeditus spirituali mente quam Angelus; non tamen quantum ad gradum naturae, sed quantum ad divinam revelationem, quam habuisse creditur, cum dominus in eum soporem immisit.

1. L’ange n’a pas voulu tout simplement l’égalité, pas plus que l’homme, mais selon le mode exprimé plus haut. Cependant, certains disent qu’Adam a été davantage pourvu d’esprit spirituel que l’ange, non pas selon le degré de sa nature, mais selon la révélation divine, dont on croit qu’il l’a reçue lorsque le Seigneur le plongea dans le sommeil.

 

[3913] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum et tertium dicendum, quod rationes illae procedunt de aequalitate simpliciter, quam non dicimus Angelum appetiisse.

2-3. Quant au deuxième et au troisième argument, ces raisonnements viennent de l’égalité tout simplement, dont nous ne disons pas que l’ange l’a désirée.

 

[3914] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod assimilatio divina est finis uniuscujusque creaturae secundum modum sibi a creatore praefixum; unde sine deordinatione non potest esse quod appetitus tendat in divinam assimilationem ultra terminum naturae suae a Deo statutum.

4. La ressemblance avec Dieu est la fin de toute créature selon le mode qui a été déterminé d’avance pour elle. Aussi ce ne peut être sans désordre que l’appétit tende à la ressemblance avec Dieu au-delà des limites de sa nature décidées par Dieu.

 

[3915] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in quolibet peccatore aversio a Deo est praeter intentionem: quia malum non potest esse intentum, sed semper bonum, in quo est ad Deum assimilatio: et ita praeter intentionem ipsorum Angelorum fuit quod a Deo se averterent, cui assimilari volebant.

5. En tout pécheur, le détournement de Dieu dépasse son intention, car le mal ne peut être désiré, mais toujours le bien, en quoi consiste la ressemblance avec Dieu. C’était donc au-delà de l’intention des anges eux-mêmes de se détourner de Dieu, auquel ils voulaient ressembler.

 

 

 

 

Articulus 3 [3916] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 tit. Utrum primum peccatum Angeli fuerit superbia

Article 3 – Le premier péché de l’ange a-t-il été l’orgueil ?

 

[3917] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod peccatum Angeli primum non fuit de genere superbiae, sed aliud. Quia, sicut 1 Timoth., 6, 10, dicitur, radix omnium malorum est cupiditas vel avaritia. Sed peccatum Angeli fuit quasi omnium peccatorum radix. Ergo suum peccatum fuit cupiditatis, vel avaritiae.

1. Il semble que le premier péché de l’ange n’ait pas appartenu au genre de l’orgueil, mais à un autre, car, comme le dit 1 Tm 6, 10, la racine de tous les maux est la cupidité ou l’avarice. Or, le péché de l’ange a été pour ainsi dire la racine de tous les péchés. Son péché en fut donc un de cupidité ou d’avarice.

 

[3918] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, in littera dicitur, quod averti a Deo est odio habere vel invidere. Sed Angeli peccando a Deo aversi sunt. Ergo eorum peccatum fuit invidiae vel odii.

2. Il est dit dans le texte que se détourner de Dieu, c’est le haïr ou l’envier. Or, en péchant, les anges se sont détournés de Dieu. Leur péché en fut donc un d’envie ou de haine.

 

[3919] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, fugere laborem in bonis spiritualibus pertinet ad accidiam. Sed Bernardus dicit, quod in hoc fuit Angeli peccatum, quod sine labore gloriam habere voluit. Ergo videtur quod suum peccatum fuit accidiae.

3. Fuir l’effort en vue de biens spirituels relève de l’acédie. Or, Bernard dit que le péché de l’ange a consisté à vouloir posséder la gloire sans effort. Il semble donc que son péché en fut un d’acédie.

 

[3920] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, quicumque non facit illud ad quod tenetur, peccat per omissionem. Sed Angelus debuit conferre de Dei ordinatione, ne ultra ipsam appeteret aliquid, quod non fecit. Ergo per omissionem peccavit.

4. Quiconque ne fait pas ce à quoi il est tenu pèche par omission. Or, l’ange devait conclure de l’ordre voulu par Dieu qu’il ne devait pas désirer quelque chose au-delà de [cet ordre], ce qu’il n’a pas fait. Il a donc péché par omission.

 

[3921] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, inter virtutes primum locum tenet fides, quasi fundamentum. Sed infidelitas fidei opponitur. Ergo cum Angeli peccatum primum fuerit, videtur quod fuerit infidelitas.

5. La foi occupe la première place parmi les vertus en tant que fondement. Or, l’infidélité s’oppose à la foi. Puisque le péché de l’ange fut le premier, il semble donc qu’il en ait été un d’infidélité.

 

[3922] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, sicut dicitur Eccle. 10, 15, initium omnis peccati est superbia. Sed a malitia Diaboli omne peccatum originem trahit. Ergo videtur quod suum peccatum fuit superbia.

Cependant, [1] il est dit dans Si 10, 15 : Le commencement de tout péché est l’orgueil. Or, tout péché tire son origine de la malice du Diable. Il semble donc que son péché en ait été un d’orgueil.

 

[3923] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod superbia tribus modis accipitur. Uno modo prout sumitur habitualiter, scilicet quaedam inclinabilitas, vel ex naturae inflexibilitate tantum, vel ex fomitis corruptione, ad superbiam; et sic dicitur superbia initium omnis peccati. Alio modo dicitur superbia secundum quod aliquis actualiter se effert extra praecepti limites, ut praecipienti non subjiciatur; et sic non est speciale peccatum, sed quaedam generalis conditio, omne peccatum consequens ex parte aversionis. Tertio modo dicitur superbia inordinatus appetitus propriae excellentiae, et praecipue in dignitate vel honore; et sic est speciale peccatum, unum de septem capitalibus vitiis; et sic primum peccatum Angeli superbia fuit: quod patet tum ex desiderato, quia eminentiam dignitatis appetiit: tum etiam ex motivo, quia ex consideratione propriae pulchritudinis in peccatum ruit.

Réponse. L’orgueil s’entend de trois manières. D’une manière, en tant qu’il est considéré comme un habitus, c’est-à-dire une certaine inclination à l’orgueil, soit en raison seulement de l’inflexibilité de la nature, soit en raison de la corruption de la convoitise. C’est ainsi qu’on dit de l’orgueil qu’il est le commencement de tout péché. D’une autre manière, on parle d’orgueil selon que quelqu’un se porte par un acte au-delà des limites d’un commandement, de sorte qu’il ne se soumette pas à celui qui ordonne. Il n’est pas ainsi un péché particulier, mais une condition générale, puisque tout péché découle d’une aversión. De la troisième manière, on dit que l’orgueil est un désir désordonné de sa propre excellence, principalement pour ce qui est de la dignité ou de l’honneur. Il est ainsi un péché particulier, l’un des sept vices capitaux. Tel fut l’orgueil du premier ange, ce qui ressort tant de ce qui était désiré, car il a désiré l’éminence de la dignité, que du motif, car il est tombé dans le péché par considération pour sa propre beauté.

 

[3924] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cupiditas etiam tripliciter dicitur. Uno modo secundum quod est radix omnis peccati, et sic est quaedam inclinabilitas in desiderium inordinatum cujuscumque desiderabilis, vel ex corruptione fomitis, vel ex conditione naturae, quae flexibilis est, propter hoc quod est ex nihilo. Alio modo dicitur, secundum quod est conditio omne peccatum sequens ex parte conversionis, prout dicit desiderium actualiter inordinatum cujuscumque desiderabilis, vel honoris, vel scientiae, et cetera. Tertio modo dicitur, secundum quod est speciale vitium et unum de septem capitalibus, scilicet inordinatum desiderium habendi ea quae sufficientiam in vita promittunt, ut pecunia, et alia quorum pretium numismate mensuratur: et per se constat quod talium desiderio Diabolus non peccavit.

1. La cupidité s’entend aussi de trois manières. D’une manière, selon qu’elle est la racine de tout péché. Elle est ainsi une inclination à un désir désordonné de tout ce qui est désirable, soit en raison de la corruption de la convoitise, soit en raison de la condition de la nature, qui est changeante parce qu’elle vient du néant. D’une autre manière, on en parle comme de la condition qui découle de tout péché du point de vue de la conversion, en tant qu’elle exprime un désir actuel désordonné de tout ce qui est désirable : honneur, science, etc. D’une troisième manière, on en parle comme d’un vice particulier et d’un de sept [vices] captiaux, c’est-à-dire un désir désordonné de posséder ce qui promet de suffire pour la vie, comme l’argent et les autres choses dont le prix se mesure à prix d’argent. Il ressort clairement de soi que le Diable n’a pas péché par le désir de telles choses.

 

[3925] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod odium et invidia respectu Dei, praesupponunt in Angelo voluntatis pravitatem, ut dicit Augustinus super Genesim ad litteram, Lib. 11: quod sic patet: quia nullius rei potest esse odium, nisi quod est dissonum et contrarium voluntati. Illud autem quod est optimum, nihil defectus habens admixtum, non est contrarium nisi voluntati non rectae. Similiter invidia est dolor alienae prosperitatis, inquantum est impeditiva alicujus boni proprii; divina autem felicitas non est impeditiva alicujus proprii boni, nisi quod inordinate desideratur: quia ab eo omne bonum descendit; et ita odium et invidia praesupponunt aliquod peccatum per quod voluntas deordinetur; et sic non fuit peccatum ejus odii vel invidiae.

2. La haine et l’envie à l’égard de Dieu présupposent chez l’ange une méchanceté de la volonté, comme le dit Augustin dans son Commentaire littéral de la Genèse, XI. Voici comment : il ne peut y avoir de haine d’une chose que si elle est en désaccord et contraire à la volonté. Or, ce qui est le meilleur et n’est mêlé d’aucun manquement est seulement contraire à une volonté qui n’est pas droite. De même, l’envie est une douleur devant la prospérité d’un autre, pour autant qu’elle empêche son bien propre. Or, la félicité divine n’empêche aucun bien propre, sauf ce qui est désiré de manière désordonnée, car tout bien vient d’elle. Ainsi, la haine et l’envie présupposent un péché par lequel la volonté est désordonnée. Le péché [de l’ange] n’en fut donc pas un de haine ou d’envie.

 

[3926] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angeli in hoc quod Deo ministrant et merentur, laborem vel taedium non habent: et ideo peccatum accidiae eis non competit. Sed pro tanto dicuntur voluisse sine labore gloriam consequi, quia propria virtute assequi voluerunt, secundum quod laboriosum dicitur illud quod facultatem operantis excedit.

3. Les anges ne se fatiguent pas ou ne s’ennuient pas dans le service de Dieu et en méritant. C’est pourquoi le péché d’acédie ne leur convient pas. Mais on dit qu’ils ont voulu obtenir la gloire sans effort parce qu’ils ont voulu l’obtenir par leur propre puissance ; on dit ainsi qu’est laborieux ce qui dépasse la capacité de celui qui agit.

 

[3927] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omissio quandoque est speciale peccatum, quando scilicet dimittitur aliquid quod fieri debet, eo quod specialiter praeceptum est; quandoque vero est conditio omne peccatum consequens, secundum quod est dimissio alicujus circumstantiae in opere observandae: et hoc modo non est inconveniens quod in primo peccato Angeli fuerit omissio. Potest tamen dici, quod non tenebatur tunc actualiter conferre, quia alio modo peccatum vitare poterat.

4. L’omission est parfois un péché particulier, lorsqu’est écarté quelque chose qui doit être fait, du fait que cela a été ordonné de manière particulière ; mais, parfois, elle est une condition qui découle de tout péché, selon qu’elle est remet une circonstance qui doit être respectée dans l’acte. C’est de cette manière qu’il n’est pas inapproprié qu’il y ait eu omission dans le premier péché de l’ange. On peut cependant dire qu’il n’était pas tenu alors d’y faire appel de manière actuelle, car il pouvait éviter le péché d’une autre manière.

 

[3928] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ea quae sunt prima in generatione, non oportet quod sint prima in destructione; unde non sequitur, si fides est prima virtutum, quod infidelitas sit primum vitiorum.

5. Il n’est pas nécessaire que ce qui est premier dans la génération soit premier dans la destruction. Si la foi est la première des vertus, il n’en découle donc pas que l’infidélité soit le premier des vices.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 1 – [La conversion des anges bons]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[3929] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 pr. Circa secundum principale quaeritur de conversione bonorum Angelorum, et quaeruntur duo: 1 utrum fuerit eis aliqua gratia apposita ad conversionem; 2 utrum per illam gratiam suam beatitudinem meruerint.

À propos du deuxième point principal, on s’interroge sur la conversion des anges bons. Deux questions sont posées : 1. Y eut-il en eux une grâce associée à la conversion ? 2. Ont-ils mérité leur béatitude par cette grâce ?

 

 

 

 

Articulus 1 [3930] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 tit. Utrum Angeli indiguerint gratia ad hoc quod converterentur in Deum

Article 1 – Les anges ont-ils eu besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ?

 

[3931] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non indiguerint appositione alicujus gratiae, ut converterentur ad Deum. Ad libertatem enim liberi arbitrii pertinet ut ad utrumque flecti possit, et praecipue in bonum. Sed Angelis in statu creationis fuit liberum arbitrium nullo peccato debilitatum. Ergo non indigebant gratia ad hoc ut in bonum converterentur.

1. Il semble qu’ils n’ont pas eu besoin de l’ajout d’une grâce pour se tourner vers Dieu. En effet, il relève du libre arbitre qu’il puisse être incliné aux deux choses [le bien et le mal], et surtout au bien. Or, dans l’état de création, le libre arbitre des anges n’était affaibli par aucun péché. Ils n’avaient donc pas besoin d’une grâce pour se tourner vers le bien.

 

[3932] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, ut supra, dist. 4, in Lit. ex verbis Augustini habitum est, Deus non distinxit inter Angelos ante eorum conversionem et aversionem. Sed illis qui sunt aversi non fuit apposita gratia, ut in littera dicitur. Ergo nec illis qui fuerunt conversi, ante conversionem.

2. Comme on l’a vu à la d. 4, dans le texte, d’après les paroles d’Augustin, Dieu n’a pas fait de distinction entre les anges avant leur conversion et leur aversion. Or, une grâce n’a pas été donnée à ceux qui se sont détournés, comme on le dit dans le texte. Elle n’a donc pas non plus été donnée avant leur conversion à ceux qui se sont convertis,.

 

[3933] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, ex hoc quod Angeli conversi sunt, a Deo gratia repleti sunt; ita quod conversio ad gratiam est praeparatio. Si ergo conversio non potest esse nisi per gratiam aliquam praecedentem, nec iterum illa gratia sine praeparatione aliqua (alias omnibus daretur), videtur quod per hunc modum sit procedere in infinitum: quod et intellectus et natura respuit. Ergo est status in primo, quod scilicet ad conversionem non oportuit dari gratiam quae ad conversionem praepararet.

3. Les anges ont été remplis de grâce par Dieu du fait qu’ils se sont convertis, de sorte que la conversion est une préparation à la grâce. Si donc la conversion ne peut exister que par une grâce qui la précède, et cette grâce ne le peut pas non plus sans une certaine préparation (autrement, elle serait donnée à tous), il semble qu’on remonte ainsi à l’infini, ce que rejettent l’intelligence et la nature. Il faut donc s’en tenir à ce qui a été dit en premier, à savoir qu’il n’était pas nécessaire qu’une grâce préparatoire à la conversion soit donnée.

 

[3934] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, idem habitus est qui cooperatur habenti, bonum opus ejus reddens, et qui operatur in eo, bonum ipsum faciens. Sed Angelus non indiguit gratia operante, ut in littera dicitur. Ergo nec cooperante gratia ad opus conversionis.

4. C’est le même habitus qui coopère avec celui qui le possède pour rendre son acte bon, et qui agit en lui pour le rendre bon. Or, l’ange n’a pas eu besoin de la grâce opérante, comme il est dit dans le texte. Donc, ni de la grâce coopérant à l’acte de la conversion.

 

[3935] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, proficere ad meritum vitae nullus sine gratia potest. Sed per conversionem Angeli ad vitam profecerunt. Ergo ad eam gratia indiguerunt.

Cependant, [1] personne ne peut sans la grâce progresser en vue de mériter la vie. Or, par la conversion, les anges ont progressé vers la vie. Pour elle, ils ont donc eu besoin de la grâce.

 

[3936] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, converti ad Deum est amore ei adhaerere, ut in littera dicitur. Non autem intelligitur hoc de amore naturali: quia sic etiam eum prius dilexerant, ut supra habitum est. Ergo videtur quod intelligatur de amore caritatis, qui sine gratia non est: ergo conversio sine gratia non potuit esse.

[2] Se tourner vers Dieu, c’est adhérer à lui par l’amour, comme on le dit dans le texte. Or, cela ne s’entend pas de l’amour naturel, car ils l’avaient ainsi aimé auparavant, comme on l’a vu plus haut. Il semble donc que cela s’entende de l’amour de la charité, qui n’existe pas sans la grâce. Donc, la conversion ne peut exister sans la grâce.

 

[3937] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod ad conversionem meritoriam exigitur duplex gratia: una gratum faciens, quae informat conversionis actum, et meritorium reddit; alia gratis data, a qua elicitur substantia actus, et quae liberum arbitrium inclinat ad volendum. Sed istam gratiam ponere non videtur necessarium, nisi ipsa libertas arbitrii gratia dicatur, quae proculdubio nobis a Deo est, vel aliquae occasiones quae quandoque dantur hominibus a Deo ad conversionem, ut instructio legis, et castigatio ad humilitatem, et alia hujusmodi; sine quibus tamen possibile est gratiam consequi: quia si homo facit quod in se est, Deus dat ei gratiam. Ad hoc autem faciendum non exigitur aliquid aliud: illud enim ad quod non potest per se liberum arbitrium, non est in homine ut faciat illud: illud enim in nobis esse dicitur cujus nos domini sumus. Unde positio ista implicat contradictionem, dum ponit quod ad faciendum illud quod in nobis est, liberum arbitrium non sufficit. Et ideo aliter est dicendum, quod ad eliciendum actum conversionis sufficit liberum arbitrium, quod se ad habendam gratiam per hunc actum praeparat et disponit; sed efficacia conversionis ad meritum non potest esse nisi per gratiam; unde unus et idem motus est conversionis liberi arbitrii, in quo gratia infunditur, qui est dispositio ad gratiam secundum quod exit a libero arbitrio, et meritorius, secundum quod gratia informatur. Et simile est etiam in motu contritionis, quo primo justificatur impius. Qualiter autem hoc sit possibile potest videri ex his quae in natura contingunt. In eodem enim instanti quo primo est dispositio necessitans in materia, forma substantialis inducitur. Cum enim generatio sit terminus alterationis, oportet in eodem instanti alterationem terminari ad dispositionem quae est necessitans, et generationem ad formam substantialem. Sed quia alteratio est motus continuus; ideo principium alterationis et medium quo materia disponitur ad formam substantialem, tempore praecedunt introductionem formae substantialis. Motus autem voluntatis qui disponit ad gratiam, est simplex, et non continuus: ideo vel primus tantum est sufficiens dispositio ad gratiam, vel ultimus inter plures, qui agit in virtute omnium praecedentium: et ideo cum illo gratia infunditur.

Réponse. À ce sujet, il existe deux opinions. En effet, certains disent que, pour la conversion méritoire, une double grâce est nécessaire : l’une qui sanctifie, qui donne forme à l’acte de conversion et le rend méritoire ; l’autre, une grâce gratuitement donnée, dont émane la substance de l’acte et qui incline le libre arbitre à vouloir. Mais il n’est pas nécessaire d’affirmer cette grâce, à moins que la liberté même de l’arbitre soit appelée grâce, elle qui nous vient sans aucun doute de Dieu, ou certaines occasions de se convertir qui sont parfois données aux hommes par Dieu, tels l’enseignement de la loi et le châtiment en vue de l’humilité, et d’autres choses de ce genre. Cependant, il est possible d’obtenir sans elles la grâce, car si l’homme fait ce qui est en son pouvoir, Dieu lui donne la grâce. Or, pour faire cela, quelque chose d’autre n’est pas requis. En effet, ce que le libre arbitre ne peut accomplir par lui-même, il n’est pas au pouvoir de l’homme de l’accomplir, car nous disons de ce dont nous sommes maîtres que cela est en notre pouvoir. Cette position implique donc une contradiction, puisqu’elle affirme que, pour faire ce qui est en notre pouvoir, le libre arbitre ne suffit pas. C’est pourquoi il faut dire autre chose. Pour provoquer l’acte de la conversion, le libre arbitre suffit, lui qui se prépare et se dispose par cet acte à posséder la grâce ; mais l’efficacité méritoire de la conversion ne peut exister que par la grâce. Ainsi, un seul et même mouvement en est un de conversion du libre arbitre où la grâce est versée, qui est une disposition à la grâce selon qu’il émane du libre arbitre ; et il est méritoire selon que la grâce lui donne forme. Et il en est de même aussi pour le mouvement de contrition, par lequel l’impie est d’abord justifié. Comment cela est possible, on peut le voir à partir de ce qui se produit dans la nature. En effet, dans le même instant où existe une disposition nécessaire dans la matière, la forme substantielle est introduite. En effet, puisque la génération est le terme d’une altération, il est nécessaire que, dans le même instant, se terminent l’altération en vue d’une disposition nécessaire et la génération en vue de la forme substantielle. Mais parce que l’altération est un mouvement continu, le début et le milieu de l’altération, selon lesquels la matière est disposée à la forme substantielle, précèdent dans le temps l’introduction de la forme substantielle. Mais le mouvement de la volonté qui dispose à la grâce est simple, et non pas continu. C’est pourquoi, soit le premier [mouvement] seulement est une disposition suffisante à la grâce, soit le dernier de plusieurs, qui agit par la puissance de tous ceux qui précèdent. C’est ainsi que la grâce est infusée avec lui.

 

[3938] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis virtus liberi arbitrii de se possit in substantiam actus, non tamen in formam ejus, per quam meritorius est.

1. Bien que la puissance du libre arbitre puisse s’exercer sur la substance de l’acte, elle ne le peut cependant pas sur sa forme, par laquelle il est méritoire.

 

[3939] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod motus aversionis et conversionis, secundum quod sunt ex libero arbitrio, praecedunt infusionem gratiae in quibusdam et casum quorumdam, non tempore sed natura, secundum viam materiae et generationis, prout dispositio praecedit formam.

2. Le mouvement d’aversion et celui de conversion, selon qu’ils proviennent du libre arbitre, précèdent l’infusion de la grâce chez certains et la chute chez d’autres, non pas dans le temps mais par nature, à la manière de la matière et de la génération, pour autant que la disposition précède la forme.

 

[3940] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium.

3. La réponse au troisième argument ressort ainsi clairement.

 

[3941] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliquid dicitur fieri, vel operatum esse, dupliciter. Vel sicut ex contrario, prout dicimus, quod ex nigro fit album; et hoc modo dicitur gratia operans, qua de malo fit bonus; et sic non fuit in Angelis, ut in littera dicitur. Alio modo dicitur aliquod fieri ex negatione vel privatione, sicut ex non lucente lucens, et ex non figurato figuratum; et sic dicitur gratia operans, qua de non bono gratuita bonitate fit tali bonitate bonus: et sic gratia operans fuit in Angelis.

4. On dit d’une chose qu’elle est faite ou a été faite de deux manières. Soit à partir de son contraire, comme nous disons que le blanc vient du noir. C’est ainsi qu’on parle de la grâce opérante, par laquelle de mauvais on devient bon. Elle n’existait pas de cette manière chez les anges, comme il est dit dans le texte. D’une autre manière, on dit que quelque chose devient à partir de sa négation ou de sa privation ; ainsi, ce qui luit à partir de ce qui ne brille pas, et ce qui est figuré à partir de ce qui n’a pas de figure. C’est ainsi qu’on parle de la grâce opérante, par laquelle, en vertu d’une bonté gratuite, de non bon qu’on était on devient bon par une telle bonté. La grâce opérante existait ainsi chez les anges.

 

 

 

 

Articulus 2 [3942] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 tit. Utrum Angeli meruerint suam beatitudinem

Article 2 – Les anges ont-ils mérité leur béatitude ?

 

[3943] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Angeli suam beatitudinem non meruerint. Meritum enim praecedit praemium, sicut via terminum. Sed in Angelis non potuit esse meritum, quia ante beatitudinem gratiam non habebant, quae est radix merendi, ad minus si in gratia creati non sunt. Ergo videtur quod suam beatitudinem non meruerunt.

1. Il semble que les anges n’aient pas mérité leur béatitude. En effet, le mérite précède la récompense, comme le chemin, le terme. Or, chez les anges, il ne pouvait y avoir de mérite, car, avant la béatitude, ils n’avaient pas la grâce, qui est la racine du mérite, du moins s’ils n’ont pas été créés avec la grâce. Il semble donc qu’ils n’aient pas mérité leur béatitude.

 

[3944] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 2 Si dicatur, quod merentur eam per ministeria, quibus nobis jubente Deo obsequuntur; contra: secundum Dionysium, superiores non mittuntur ad explendum usum exterioris ministerii. Si ergo inferiores per ministerium merentur, videtur quod injuste cum superioribus agatur, quibus merendi facultas non conceditur.

2. Ils méritent [leur béatitude] par leurs ministères, par lesquels ils se plient à nos désirs sur l’ordre que Dieu. Cependant, selon Denys, les [anges] supérieurs ne sont pas envoyés pour faire usage de leur ministère extérieur. Si donc les [anges] inférieurs méritent par leur ministère, il semble qu’on agisse injustement avec les [anges] supérieurs, auxquels on n’accorde pas la capacité de mériter.

 

[3945] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, ordo unus in infinitum non excedit alterum. Si ergo inferiores continuo merentur per exterius ministerium, videtur quod quandoque perveniant ad gradum superioris ordinis: et ita esset ordinum confusio.

3. L’un ne dépasse l’autre à l’infini. Si donc les inférieurs méritent continuellement par leur ministère extérieur, il semble qu’ils parviennent parfois au degré d’un ordre supérieur. Il y aurait ainsi un mélange entre les ordres.

 

[3946] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, efficacia merendi in operatione est vel propter difficultatem operis, vel propter perfectionem. Sed non propter difficultatem, quia Angeli sua ministeria explent sine labore omni et difficultate. Ergo si propter perfectionem; cum operatio qua Deum contemplantur, sit nobilior et perfectior, videtur etiam quod per illam mereantur: et cum haec sit communis omnibus beatis et non interrupta, videtur quod facti sint in continuo merito; et ita quod eorum gloria in infinitum crescat.

4. L’efficacité du mérite tient à l’action, soit en raison de la difficulté de l’action, soit en raison de sa perfection. Or, ce n’est pas en raison de la difficulté, car les anges accomplissent leur ministères sans effort ni difficulté. Si donc c’est en raison de la perfection, puisque l’opération par laquelle ils contemplent Dieu est plus noble et plus parfaite, il semble aussi qu’ils méritent par celle-ci. Et puisque celle-ci est commune aux bienheureux et ininterrompue, il semble donc qu’ils méritent de manière continuelle, et ainsi que leur gloire s’accroisse à l’infini.

 

[3947] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, in quibuscumque invenitur perfectio unius rationis, in eis sunt eadem principia consequendi perfectionem illam. Sed in Angelis et hominibus est beatitudo unius rationis. Cum ergo homines ad beatitudinem sine merito non perveniant, videtur quod nec Angeli.

Cependant, [1] chez quiconque on trouve la perfection d’une seule raison, existent les principes pour obtenir cette perfection. Or, chez les anges et les hommes, existe une béatitude d’une seule essence. Puisque les hommes ne parviennent pas à la béatitude sans mérite, il semble donc que les anges non plus.

 

[3948] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum Bernardum, in hoc fuit peccatum Angeli quod gloriam sine merito habere voluit. Non autem hoc fuisset ei peccatum, si ad hoc ordinatus esset ut beatitudinem haberet quam non mereretur. Ergo videtur quod non habuerunt beatitudinem sine merito.

[2] Selon Bernard, le péché de l’ange a consisté en ce qu’il a voulu la gloire sans le mérite. Or, cela n’aurait pas été un péché pour lui s’il avait été ordonné à obtenir une béatitude qu’il n’aurait pas mérité. Il semble donc qu’ils n’aient pas possédé la béatitude mérite.

 

[3949] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sustinendo Angelos in gratia fuisse creatos, planum est ad hoc respondere: quia sic certissime meritum praemium praecessisset. Si autem in gratia creati non sunt, sed gratia fuit eis simul data cum gloria; tunc sunt tres opiniones. Quidam enim dicunt, quod suam beatitudinem nullo modo meruerunt, nec fuit eis data gratia ad merendum, sed ad beate vivendum. Hoc autem non videtur conveniens; quia beatitudo habet rationem praemii: praemium autem sine merito esse non potest, sicut nec poena sine culpa. Alii dicunt, quod per opera quae sunt post confirmationem, quibus nobis ministrant, merentur beatitudinem quam prius acceperunt, sicut aliquis miles meretur munus sibi a rege collatum, posterius militando. Sed hoc etiam, simpliciter loquendo, non videtur conveniens, quia beatitudo habet rationem termini; meritum autem, cum sit tendens in aliud, habet rationem viae; unde non videntur se posse compati, ut aliquis beatus in statu merendi existat. Sed secundum quid potest sustineri, ut scilicet mereri intelligantur non praemium essentiale, quod est eorum beatitudo, sed praemium accidentale, quod est gaudium de illis qui per eorum officia salvantur. Et ideo videtur cum aliis dicendum, quod meritum in eis non praecessit praemium tempore, sed natura: quod facile intelligi potest ex his quae supra dicta sunt. Sicut enim actus liberi arbitrii est dispositio ad gratiam, ita actus informatus gratia est meritum gloriae. Unde unus et idem conversionis motus est praeparatio ad gratiam secundum quod est ex libero arbitrio, et meritorius gloriae, secundum quod est gratia informatus: et iterum fruitionis actus, secundum quod completur per habitum gloriae.

Réponse. En soutenant que les anges ont été créés avec la grâce, il est facile de répondre à cela, car ainsi le mérite aurait très certainement précédé la récompense. Toutefois, s’ils n’ont pas été créés avec la grâce, mais que la grâce leur a été donnée en même temps que la gloire, il existe alors trois opinions. En effet, certains disent qu’ils n’ont mérité leur béatitude d’aucune manière, et que la grâce ne leur a pas été donnée pour mériter, mais pour bien vivre. Mais cela ne semble pas approprié, car la béatitude a un caractère de récompense. Or, il ne peut y avoir de récompense sans mérite, comme [il ne peut y avoir] de peine sans faute. D’autres disent que, par les actes qui suivent [leur] confirmation et par lesquels ils nous servent, ils méritent la béatitude qu’ils ont reçue antérieurement, comme un soldat mérite la récompense que leur a faite le roi en combattant par la suite. Mais cela aussi, à parler simplement, ne semble pas approprié, car la béatitude a raison de terme. Or, le mérite, qui consiste à tendre vers autre chose, a raison de chemin. Ils ne semblent donc pas pouvoir être compatibles, de sorte que quelqu’un soit bienheureux dans l’état de mérite. Mais on peut le soutenir sous un aspect, si on comprend qu’ils méritent, non pas la récompense essentielle, qui est leur béatitude, mais une récompense accidentelle, qui est la joie pour ceux qui sont sauvés par leurs fonctions. C’est pourquoi il faut dire avec d’autres que, chez eux, le mérite n’a pas précédé la récompense dans le temps, mais par nature, ce qui peut se comprendre facilement à partir de ce qui a été dit plus haut. En effet, de même que l’acte du libre arbitre est une disposition à la grâce, de même l’acte formé par la grâce est le mérite de la gloire. Aussi un seul et même acte de conversion est-il une préparation à la grâce, selon qu’il vient du libre arbitre, et est-il méritoire de la gloire, selon qu’il est formé par la grâce, et aussi l’acte de jouissance, selon qu’elle se réalise par l’habitus de la gloire.

 

[3950] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est necessarium meritum praecedere praemium tempore, sed natura tantum: quilibet enim actus meritorius habet aliquod praemium sibi adjunctum, sicut et quilibet actus inordinatus habet poenam, ut dicit Augustinus.

1. Il n’est pas nécessaire que le mérite précède dans le temps, mais seulement par nature. En effet, tout acte méritoire comporte une récompense qui lui est associée, comme tout acte désordonné comporte une peine, ainsi que le dit Augustin.

 

[3951] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etsi superiores non mittantur, nihilominus tamen per eos regulantur inferiores in suis ministeriis; et ideo meritum respectu accidentalis praemii commune est.

2. Même si les [anges] supérieurs ne sont pas envoyés, ils dirigent cependant les [anges] inférieurs dans l’exercice de leurs ministères. C’est pourquoi le mérite par rapport à la récompense accidentelle est commun.

 

[3952] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 ad 3 Et per hoc patet responsio ad tertium. Et praeterea ordines distinguuntur secundum gradum in praemio essentiali, quod per ministeria non augetur.

3. La réponse au troisième argument ressort ainsi clairement. De plus, les ordres se distinguent selon le degré de la récompense essentielle, qui n’est pas accru par les ministères.

 

[3953] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actus ministerii Angelorum habent efficaciam merendi ratione effectus, scilicet salutis hominum quibus ministrant, de quo redundat in eis gaudium, quod est accidentale praemium.

4. Les actes du ministère des anges sont efficaces pour le mérite en raison de leur effet : le salut des hommes qu’ils servent, dont la joie, qui est une récompense accidentelle, rejaillit sur eux.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 5

 

[3954] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 expos. Averti, odio habere, vel invidere. Videtur hoc etiam esse impossibile: quia sicut nihil amatur nisi bonum vel in ratione boni; ita nihil odio habetur nisi ratione mali. Sed in Deo nulla est ratio mali. Ergo odio haberi non potest. Sed contra est quod dicitur in Psalm. 77, 23: superbia eorum qui te oderunt, ascendit semper. Ad quod dicendum, quod ipsum Deum, secundum quod est, nullus odio habere potest; sed ratione alicujus effectus ejus, qui contrariatur voluntati inquantum est puniens vel prohibens, vel aliquid hujusmodi. Non ita quod prius data subtraheretur, sed quia nunquam est apposita ut converterentur; ex quo videtur quod in gratia creati non sunt. Sed haec sunt verba Magistri, qui hujus opinionis videtur fuisse.

 

 

 

 

 

Distinctio 6

Distinction 6 – [Les conséquences de l’aversion et de la conversion chez les anges]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [À quel ordre appartenait Lucifer ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[3955] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 pr. Ostensa divisione malorum Angelorum a bonis per aversionem et conversionem, hic incipit determinare ea quae consequuntur aversos et conversos, secundum quod in eis conveniunt vel differunt; et dividitur in partes tres: in prima determinat ea quae consequuntur eos quantum ad naturae cognitionem; in secunda, ea quae pertinent ad potestatem, 7 dist., ibi: supra dictum est quod Angeli qui perstiterunt, per gratiam confirmati sunt; in tertia, ea quae pertinent ad corporum assumptionem, 8 dist., ibi: solet in quaestione versari apud doctos, utrum Angeli omnes, boni scilicet ac mali, corporei sint. Prima in duas: in prima determinat veritatem; in secunda movet quaestionem ex determinatis, ibi: solet autem quaeri, utrum omnes in isto aere caliginoso sint. Circa primum duo facit: primo ponit eorum conditionem quantum ad naturae gradum ante peccatum; in secunda conditionem eorum post peccatum, ibi: et tantae superbiae merito de caelo (...) dejectus est in istum caliginosum aerem. Et primo quantum ad locum; secundo quantum ad praelationis gradum, qui gradum naturalium sequitur, ibi: et sicut inter bonos Angelos alii aliis praesunt; ita et inter malos alii aliis praelati sunt. Solet autem quaeri, utrum omnes in isto aere caliginoso sint. Hic movet quaestionem quantum ad ea quae dicta sunt de loco: et primo determinat eam in communi; secundo in speciali, ibi: de Lucifero autem quidam opinantur quod ibi religatus sit. Ubi primo determinat eam quantum ad primum Angelum; secundo quantum ad alios, ibi: aliis quoque, qui a sanctis juste et pudice viventibus vincuntur, potestas alios tentandi videtur adimi. Hic quinque quaeruntur: 1 de quo ordine fuit supremus Angelus inter peccantes qui Lucifer dicitur; 2 qualiter peccatum aliorum ad ejus peccatum se habeat; 3 de loco eis post peccatum debito; 4 si est inter eos praelationis gradus; 5 de pugna eorum ad nos.

Après avoir montré la distinction entre les anges bons et mauvais en raison de l’aversion et de la conversion, [le Maître] commence à déterminer des conséquences pour ceux qui se sont détournés et ceux qui se sont convertis, selon qu’ils se rejoignent ou diffèrent par elles. Il y a trois parties. Dans la première, il détermine des conséquences pour eux pour ce qui est de la connaissance naturelle. Dans la deuxième, pour ce qui se rapporte à leur pouvoir, d. 7, à cet endroit : « On a dit plus haut que les anges qui ont tenu ont été confirmés par la grâce. » Dans la troisième, pour ce qui se rapporte aux corps qu’ils prennent, d. 8, à cet endroit : « Les gens instruits ont coutume de se demander si tous les anges, bons et mauvais, sont corporels. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la vérité ; dans la seconde, il soulève une question à partir de ce qui a été déterminé, à cet endroit : « Mais on a coutume de se demander si tous se trouvent dans cet air nébuleux. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente leur condition pour ce qui est de leur degré naturel avant le péché ; dans la deuxième, [pour ce qui est de] leur condition après le péché, à cet endroit : « Et en raison d’un si grand orgueil…, il a à juste titre été rejeté du ciel dans cet air nébuleux. » D’abord, pour ce qui est du lieu ; deuxièmement, pour ce qui est du degré de supériorité, qui découle du degré des attributs naturels, à cet endroit : « Et de même que, parmi les anges bons, certains sont supérieurs à d’autres, de même, parmi les mauvais, certains sont-ils supérieurs aux autres. » « Mais on a coutume de se demander si tous se trouvent dans cet air nébuleux. » Ici, il soulève une question sur ce qui a été dit du lieu : premièrement, il en détermine d’une manière générale ; deuxièmement, en particulier, à cet endroit : « À propos de Lucifer, certains sont d’avis qu’il y a été relégué. » Premièrement, il détermine de cette question pour ce qui est du premier ange ; deuxièmement, pour ce qui est des autres, à cet endroit : « Aux autres aussi, qui sont vaincus par les saints qui vivent dans la justice et la pureté, le pouvoir de tenter les autres semble être enlevé. » Ici, cinq questions sont posées : 1. À quel ordre dit-on que Lucifer, l’ange le plus élevé, appartient parmi ceux qui ont péché ? 2. Quel est le rapport entre son péché et le péché des autres ? 3. Quel lieu leur revient après le péché ? 4. Existe-t-il un rapport de supériorité entre eux ? 5. Leur combat contre nous.

 

 

 

 

Articulus 1 [3956] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 tit. Utrum Lucifer fuerit supremus omnium Angelorum

Article 1 – Lucifer était-il le plus élevé de tous les anges ?

 

[3957] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod Lucifer non fuit supremus omnium: quia ad eum, secundum Ezech. 28, 14, dicitur: tu Cherub protegens et extentus. Sed ordo Cherubim, secundum Dionysium, et Gregorium, non est supremus ordo. Ergo videtur quod non fuit de supremo ordine.

1. Il semble que Lucifer n’était pas le plus élevé de tous, car il lui est dit, Ez 28, 14 : Toi, le chérubin protecteur et déployé. Or, l’ordre des Chérubins, selon Denys et Grégoire, n’est pas l’ordre le plus élevé. Il semble donc que [Lucifer] ne faisait pas partie du premier ordre.

 

[3958] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, Damascenus dicit de ipso, quod praeerat terrestri ordini. Sed inferioribus ministeriis, secundum Dionysium, praeferuntur inferiores ordines. Ergo videtur quod fuerit de inferioribus ordinibus.

2. [Jean] Damascène dit de lui qu’il dominait l’ordre terrestre. Or, pour les ministères inférieurs, selon Denys, les ordres inférieurs sont préférés. Il semble donc qu’il faisait partie des ordres inférieurs.

 

[3959] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, natura cujuslibet Angeli ordinata est ad beatitudinem. Sed non est probabile quod divina ordinatio in natura nobilissima totius universi frustrata sit. Ergo videtur quod iste Angelus qui ceteris superior fuit a beatitudine non cecidit.

3. La nature de tous les anges a été ordonnée à la béatitude. Or, il n’est pas probable que l’ordonnancement divin ait été rendu vain dans la nature la plus noble de tout l’univers. Il semble donc que cet ange, qui était supérieur aux autres, ne soit pas déchu de la béatitude.

 

[3960] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, peccatum non potest esse in natura aliqua nisi habente possibilitatem, quae consequitur eam secundum quod ex nihilo est. Sed superior Angelus quanto Deo, qui est actus purus, vicinior fuit, tanto minus de possibili habuit. Ergo videtur quod peccatum in eo minime locum habere potuit.

4. Le péché ne peut exister dans une nature que si la possibilité y existe, laquelle l’affecte du fait qu’elle vient du néant. Or, il existait d’autant moins de puissance chez l’ange supérieur qu’il était plus proche de Dieu, qui est acte pur. Il semble donc que le péché ne pouvait pas du tout avoir sa place en lui.

 

[3961] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Ezech. 31, 8: omne lignum Paradisi Dei non est assimilatum illi neque pulchritudini ejus. Sed per lignum Paradisi significantur Angeli. Ergo videtur quod Angelo peccanti, ad quem verba praedicta referuntur, nullus Angelorum aequari potuit.

Cependant, [1] Ez 31, 8 dit en sens contraire : Tout arbre du Paradis de Dieu ne lui ressemblait pas, ni à sa beauté. Or, par « arbre du Paradis », les anges sont signifiés. Il semble donc qu’à l’ange pécheur, auquel se rapportent les paroles qui précèdent, aucun des anges ne pouvait être égalé.

 

[3962] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit in littera, quod in aliorum comparatione ceteris clarior fuit. Sed ordo claritatis est secundum gradum naturae. Ergo peccans Angelus ceteris altior fuit.

[2] Grégoire dit dans le texte qu’il était plus éclatant par comparaison aux autres. Or, l’ordre de l’éclat suit le degré de la nature. L’ange pécheur était donc plus élevé que les autres.

 

[3963] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod hanc quaestionem Augustinus movet, 1 super Gen. ad litteram, et indeterminatam relinquit, eo quod de his quae pertinent ad Angelos, pauca voluit asserendo tradere. Sed postmodum Gregorius expresse determinat, quod fuit altior ceteris, non solum peccantibus sed etiam stantibus, cui consentit communis sententia: quae quidem probabilis est tum propter multas auctoritates quae hoc figurative exprimere videntur: tum etiam ex hoc quod non est probabile creatoris aequalitatem aliquo modo illum spiritum appetiisse qui etiam alteri creaturae subjectus erat. Unde oportet quod ille qui hoc appetiit, ceteris fuerit altior.

Réponse. Augustin soulève cette question, dans son Commentaire littéral de la Genèse, I, et la laisse indéterminée, parce qu’il voulait enseigner peu de choses sous forme d’affirmation à propos de ce qui se rapporte aux anges. Mais, par la suite, Grégoire détermine expressément qu’il était plus élevé que les autres, non seulement que ceux qui ont péché, mais aussi de ceux qui entouraient. La position commune est d’accord avec lui. Cette position est probable tant en raison des nombreuses autorités qui semblent l’exprimer par des figures, que du fait qu’il n’est pas probable que l’esprit qui était soumis à une autre créature ait désiré l’égalité avec le Créateur. Il est donc nécessaire que celui l’a désirée ait été plus élevé que les autres.

 

[3964] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dona inferiorum ordinum, quibus nominantur, sunt etiam in superioribus ordinibus eminenter; unde superior ordo nomine inferioris nominari potest; et ideo dico, quod Angelus ille non dicitur Cherub quia de ordine Cherubim fuerit, sed magis de ordine Seraphim. Dicitur autem Cherub ad exprimendum qualitatem culpae: quia enim per elationis vitium cecidit, ideo a scientia nominatur, quam nomen Cherub designat; de qua dicit apostolus, 1 Corinth. 8, 1: scientia inflat.

1. Les dons des ordres inférieurs, par lesquels ils sont désignés, existent aussi de manière éminente dans les ordres supérieurs. Aussi un ordre supérieur peut-il être désigné par le nom d’un ordre inférieur. C’est pourquoi je dis que cet ange n’est pas appelé chérubin parce qu’il faisait partie de l’ordre des Chérubins, mais plutôt de l’ordre des Séraphins. Mais il est appelé chérubin pour exprimer la qualité de la faute : en effet, il est tombé par le vice d’orgueil. C’est pourquoi il est appelé « science », que le nom « chérubin » désigne, et dont l’Apôtre dit, 1 Co 8, 1 : La science enfle.

 

[3965] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum quosdam, Damascenus loquitur recitando opinionem quorundam, et non veritatem asserendo. Vel dicendum, quod quamvis inferiorum ordinum sit praeferri terrestribus secundum hoc quod operationes immediate exequuntur, tamen etiam illi qui sunt superiores, terrestribus praesunt in hoc quod inferiores illuminant, et eorum actus dirigunt.

2. Selon certains, [Jean] Damascène parle en rapportant l’opinion de certains, et non en affirmant la vérité. Ou bien, il faut dire que, bien que ce qui relève des ordres inférieurs l’emporte sur les réalités terrestres, du fait qu’ils accomplissent immédiatement leurs opérations, ceux qui sont supérieurs l’emportent cependant sur les réalités terrestres du fait qu’ils illuminent les [ordres] inférieurs et dirigent leurs actes.

 

[3966] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod divina ordinatio de nulla creatura frustrari potest: quia etiam si deficiat ab uno ordine, relabitur in alium ordinem, ut in 1 Lib. dictum est.

3. L’ordonnancement divin ne peut faire fi d’aucune créature, car, même si elle déchoit d’un ordre, elle tombe dans un autre, comme on l’a dit dans le livre I.

 

[3967] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angeli non agunt secundum necessitatem naturae: et ideo ille in quo est minor dispositio ad peccatum, potest plus peccare; et ideo peccatum etiam primi Angeli ceteris gravius fuit, inquantum in eo minus fuit flexibilitas ad peccandum.

4. Les anges n’agissent pas par nécessité de nature. C’est pourquoi celui en qui existe une moindre disposition au péché peut davantage pécher. Ainsi, même le péché du premier ange fut plus grave que les autres, dans la mesure où il existait en lui une inclination moindre au péché.

 

 

 

 

Articulus 2 [3968] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 tit. Utrum peccatum primi Angeli fuerit occasio peccandi aliis

Article 2 – Le péché du premier ange a-t-il été une occasion de pécher pour les autres ?

 

[3969] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod peccatum primi Angeli non fuerit occasio peccandi aliis. Illud enim quod est deformatum, non potest occasionaliter movere ad suam imitationem. Sed statim ut Angelus peccavit, deformatus est. Ergo non movit alios ad suam imitationem.

1. Il semble que le péché du premier ange n’ait pas été une occasion de pécher pour les autres. En effet, ce qui est sans forme ne peut mouvoir par mode d’occasion à son imitation. Or, aussitôt que l’ange eut péché, il a été sans forme. Il ne meut donc pas les autres à l’imiter.

 

[3970] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, non videtur quod aliis occasionem peccandi daret nisi trahendo eos ad consensum sui desiderii, quod fuit ut ceteris creaturis, sicut Deus, praeferretur. Sed in hoc alii non videntur consensisse: quia ut sancti dicunt, per superbiam peccaverunt: dignius autem est superiori subesse, idest Deo, quam inferioribus, idest Angelis; et illud quod est dignius secundum aestimationem, ad minus est magis a superbiente desideratum. Ergo videtur quod supremus aliis non persuaserit casum.

2. Il ne semble pas qu’il ait donné aux autres l’occasion de pécher, si ce n’est en les entraînant à consentir à son désir, qui était de le préferer aux autres créatures et à Dieu. Or, les autres ne semblent pas avoir consenti à cela, car ils ont péché par orgueil, comme le disent les saints. Or, il est plus digne d’être soumis à un supérieur, en l’occurrence, Dieu, qu’à des inférieurs, en l’occurrence, des anges ; et ce qui est estimé plus digne est à tout le moins davantage désiré par l’orgueilleux. Il semble donc que le plus élevé d’entre eux ne les ait pas persuadés de chuter.

 

[3971] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, inter alias causas una assignatur reparationis hominis, quia per alium cecidit ut sic congrue per alium resurgeret. Sed inferiorum Angelorum casus non est reparabilis. Ergo videtur quod non ad suggestionem superioris Angeli ceciderunt.

3. Parmi les autres causes, l’une est celle de la réparation de l’homme : parce qu’il a chuté par un autre, il conviendrait aussi qu’il se relève par un autre. Or, la chute des anges inférieurs ne peut être réparée. Il semble donc qu’ils ne sont pas tombés à la suggestion d’un ange supérieur.

 

[3972] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut mali per aversionem ceciderunt, ita et boni per conversionem confirmati sunt. Sed non ponitur in bonis Angelis unus causa conversionis alterius. Ergo videtur quod nec ponendum sit in malis unum esse causam ruinae alterius.

4. De même que les mauvais [anges] sont tombés par leur aversion, de même aussi les bons ont-ils été confirmés par leur conversion. Or, chez les anges bons, on n’affirme pas que l’un soit cause de la conversion de l’autre. Il semble donc qu’il ne faille pas non plus affirmer chez les mauvais que l’un est la cause de la perte de l’autre.

 

[3973] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Apoc. 12, dicitur, quod draco de caelo cadens, secum traxit tertiam partem stellarum. Sed trahere pertinet ad causam aliquo modo moventem. Ergo videtur quod primus Angelus alios ad peccandum commoverit.

Cependant, [1] il est dit, dans Ap 12, que le dragon, en tombant du ciel, entraîna avec lui le tiers des étoiles. Or, entraîner relève d’une certaine manière d’une cause qui meut. Il semble donc que le premier ange ait mû les autres à pécher.

 

[3974] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Job 61, 25, dicitur de Diabolo in figura Leviathan, quod ipse est rex super omnes filios superbiae. Sed secundum philosophum, rex dicitur primus, inquantum movet per suam voluntatem et imperium, sibi subjectos. Ergo videtur quod primus Angelus alios ad peccandum traxerit.

[2] Dans Jb 61, 25, il est dit du Diable, sous la figure de Léviathan, qu’il règne sur tous les fils d’orgueil. Or, selon le Philosophe, on dit du roi qu’il est premier dans la mesure où il meut par sa volonté et son commandement ceux qui lui sont soumis. Il semble donc que le premier ange ait entraîné les autres à pécher.

 

[3975] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est multiplex opinio. Quidam enim dicunt, quod inter peccatum primi Angeli et aliorum non attenditur aliquis ordo nisi secundum quantitatem culpae, quia peccatum primi Angeli ceteris gravius fuit. Sed illud non videtur conveniens, propter hoc quod ex modo loquendi in Scriptura designatur aliqua causalitas primi Angeli ad peccatum aliorum. Et ideo alii dicunt, quod praecessit tam gravitate quam causalitate, et etiam temporis duratione. Sed hoc videtur inconveniens: quia, secundum Damascenum, quod est in hominibus mors, hoc est in Angelis casus; unde sicut morientes in peccatis, statim damnationi subjiciuntur, ita etiam Angelus peccans statim suam damnationem accepit, et a bonorum consortio ejectus est: unde alios non potuisset ad peccandum trahere. Et ideo dicendum, quod peccatum primi Angeli, aliorum peccata praecessit non tantum quantitate culpae, sed etiam causalitate, non tamen duratione; quod quomodo contingat, sic potest videri. Ipse primus Angelus, ut dictum est prius, voluit hoc consequi ut sicut natura alios praecellebat, ita eis quodammodo causa fuisset ultimam perfectionem consequendi: et quia ipse motus desiderii indivisibilis fuit et non continuus, ideo principium ejus non praecessit terminum ipsius: et ideo motus alicujus causatus ab ipso, qui incepit in termino ejus, simul omnino fuit cum ipso, secundum quod hoc quod desideravit, attentavit ut ad actum perduceret, aliis suum desiderium exponendo; et simul cum hoc fuit aliorum visio, et perversus desiderii consensus. Et simile contingit in omnibus operationibus instantaneis, quarum una est causa alterius, quod sunt simul tempore, sicut illuminatio aeris et visio coloris et discretio rei visae, etiam quantum ad sensibilia per accidens.

Réponse. À ce sujet, il existe de multiples opinions. En effet, certains disent qu’entre le péché du premier ange et celui des autres, on ne relève pas d’ordre, si ce n’est selon la quantité de la faute, parce que le péché du premier ange a été plus grave que les autres. Or, cela ne semble pas approprié parce que, selon la manière de parler de l’Écriture, est indiquée une causalité du premier ange sur le péché des autres. C’est pourquoi d’autres disent qu’il a précédé tant par sa gravité que par sa causalité, et même par sa durée. Mais cela semble inapproprié, car, selon [Jean] Damascène, ce qu’est la mort chez les hommes, la chute l’est chez les anges. De même que ceux qui meurent dans le péché sont immédiatement soumis à la damnation, de même aussi l’ange qui pèche a-t-il reçu immédiatement sa damnation et a-t-il été écarté de la compagnie des bons. Il n’aurait donc pas pu attirer les autres au péché. Il faut donc dire que le péché du premier ange a précédé les péchés des autres, non seulement par la quantité de la faute, mais aussi par sa causalité, toutefois, non pas par sa durée. Comment cela se produit, on peut le voir ainsi. Le premier ange lui-même, comme on l’a dit plus haut, a voulu obtenir que, de même qu’il l’emportait sur les autres par sa nature, il soit d’une certaine manière pour eux la cause de l’obtention de la perfection ultime. Et parce que le mouvement même de son désir était indivisible, et non pas continu, son principe n’a pas précédé son terme. Ainsi, le mouvement d’un autre causé par lui, qui a commencé à son terme, lui était donc simultané, selon que ce qu’il désirait, il a essayé de l’amener à l’acte, en exprimant son désir aux autres. En même temps que cela, se produisaient la vision des autres et leur consentement dévoyé à son désir. La même chose se produit dans toutes les opérations instantanées, dont l’une est cause d’une autre : elles sont simultanées dans le temps, comme l’illumination de l’air, la vision de la couleur et le discernement de la chose vue, même pour ce qui est sensible par accident.

 

[3976] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod deformitas consecuta est in primo Angelo ex actu suo, simul cum actu aliorum. Visio autem inferiorum Angelorum non ferebatur in Angelum primum, secundum quod ex actu in ipso relinquebatur deformitas, sed secundum quod ex ipso actus procedebat: quae enim conjuncta sunt tempore, per actum animae separantur, et praecipue quando unum naturaliter praecedit alterum.

1. La difformité a été encourue par le premier ange en raison de son acte, en même temps que l’acte des autres. Mais la vision des autres anges ne portait pas sur le premier ange, selon qu’une difformité demeurait chez lui en raison de son acte, mais selon que l’acte venait de lui. En effet, ce qui est associé dans le temps est séparé par un acte de l’âme, surtout lorsqu’une chose en précède une autre par nature.

 

[3977] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inferiores Angeli etiam per superbiam peccaverunt, et tamen superiori subesse voluerunt: unde aliquid appetebant sibi ipsis ex quo superbiebant, ut scilicet ipsimet secundum possibilitatem naturalium istorum, gloriam acquirerent, tamen sub Deo, et non sub superioribus Angelis; et quod eam in alios Angelos inferiores transfunderent: et aliquid appetebant ipsi superiori, in quo sibi consentiebant, ut scilicet dictam dignitatem assequeretur: quia eadem ratio erat de uno et de omnibus. Et est simile de illis qui pari ratione se habent ad aliquid acquirendum, et ideo omnes in unum conspirantes, quilibet sibi et aliis desiderat.

2. Les anges inférieurs aussi ont péché par orgueil ; ils ont cependant voulu être soumis au plus élevé. Aussi désiraient-ils quelque chose pour eux-mêmes, dont ils s’enorgueillissaient, à savoir qu’eux-mêmes, selon la possibilité de leurs attributs naturels, acquerraient la gloire, en étant toutefois soumis à Dieu, et non à des anges supérieurs, et qu’ils la communiqueraient aux autres anges inférieurs. Ils désiraient aussi quelque chose pour celui qui était supérieur, à qui ils donnaient leur consentement pour qu’il acquière la dignité en question, car la raison était la même pour un et pour tous. Cela ressemble à ceux qui, pour une raison égale, cherchent à acquérir quelque chose : alors que tous aspirent à une seule chose, chacun désire pour lui-même et pour les autres.

 

[3978] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ista non est propria causa quare peccatum Angeli fuit irremissibile; sed est aliqua congruitas, ut peccatum hominis magis remedietur. Et praeterea non est simile; quia homo peccavit per alium tentantem: sed inferiores Angeli per alium occasionem praestantem.

3. Ce n’était pas là la cause propre pour laquelle le péché de l’ange était irrémissible ; mais c’est une certaine convenance pour qu’il soit plutôt rémédié au péché de l’homme. De plus, ce n’est pas la même chose, car l’homme à péché parce qu’un autre le tentait, mais les anges inférieurs, parce qu’un autre en fournissait l’occasion.

 

[3979] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod conversio efficaciam habuit per gratiam, quae non est ex aliqua creatura, sed in aversionem sufficienter virtus creaturae potest. Praeterea non est a veritate remotum quod conversio unius Angeli esset occasio et exemplum conversionis aliorum; immo videtur ex hoc quod dicitur Apocal. 12, 7: Michael et Angeli ejus praeliabantur cum dracone.

4. La conversion reçut son efficacité de la grâce, qui ne vient pas d’une créature ; mais la capacité de la créature a un pouvoir suffisant pour se détourner. De plus, il n’est pas éloigné de la vérité que la conversion d’un seul ange serait l’occasion et l’exemple pour la conversion des autres ; bien plus, tel semble être le cas d’après ce qui est dit dans Ap 12, 7 : Michel et ses anges combattaient contre le dragon.

 

 

 

 

Articulus 3 [3980] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 tit. Utrum Angelis post casum convenienter assignetur locus

Article 3. – Est-il approprié d’assigner un lieu aux anges après la chute ?

 

[3981] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod inconvenienter assignetur locus ipsis Angelis malis post casum. Illi enim qui ex loco nullam impressionem recipit, aequaliter convenit omnis locus. Sed Daemones, cum sint incorporeae substantiae, non recipiunt aliquas impressiones locales et corporales, quia nec illuminantur lumine corporali, nec infrigidantur. Ergo videtur quod nihil sit dictu, quod eis unus locus magis quam alius debeatur.

1. Il semble qu’il ne soit pas approprié d’assigner un lieu aux anges mauvais après la chute. En effet, tout lieu convient également à celui qui n’est pas marqué par un lieu. Or, les démons, puisqu’ils possèdent une substance incorporelle, ne sont pas marqués localement ou corporellement, car ils n’illuminent pas par une lumière corporelle et ne sont pas non plus refroidis par elle. Il semble donc qu’il ne faille pas dire qu’un lieu leur revienne plutôt qu’un autre.

 

[3982] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, peccantibus non debetur nisi locus carceralis et poenalis. Sed secundum philosophum, Pythagoras locum ignis dixit esse carcerem. Ergo videtur quod ibi deberent esse post peccatum, et non in aere.

2. Seul un lieu d’emprisonnement et de peine est dû aux pécheurs. Or, selon le Philosophe, Pythagore disait que la prison était un lieu de feu. Il semble donc que [les anges déchus] devraient y être après le péché, et non dans l’air.

 

[3983] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, locus debet esse proportionatus locato. Sed Daemones per peccatum sunt obtenebrati. Ergo videtur quod debeatur eis locus circa terram, quae est corpus opacum.

3. Le lieu doit être proportionné à ce qui est dans le lieu. Or, les démons ont été entourés de ténèbres par le péché. Il semble donc qu’un lieu leur revienne sur la terre : un corps opaque.

 

[3984] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, cum Daemonibus debeatur perpetua poena, non debet eis concedi a Deo locus quem desiderent: quia desiderium completum mitigat poenam. Sed Daemones libenter volunt hic esse nobiscum: unde leguntur frequenter petivisse ne in Infernum mitterentur. Ergo videtur quod semper debeant in Inferno esse.

4. Puisqu’une peine perpétuelle est due aux démons, Dieu ne doit pas leur accorder un lieu qu’ils désireraient, car le désir assouvi adoucit la peine. Or, les démons veulent volontiers se trouver avec nous. On lit ainsi fréquemment, à leur sujet, qu’ils ont demandé de ne pas être envoyés en enfer. Il semble donc qu’ils doivent se trouver toujours en enfer.

 

[3985] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, peccatum Daemonis est gravius quam peccatum hominis. Sed animae damnatorum statim ad Inferna descendunt, nec hic nobiscum remanere permittuntur. Ergo videtur quod nec Daemones.

5. Le péché d’un démon est plus grave que le péché d’un homme. Or, les âmes des damnés descendent immédiatement en enfer et il ne leur est pas permis de demeurer avec nous. Il semble donc [ce ne le soit pas] non plus aux démons.

 

[3986] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, ut dicitur Jac. 2, in quadam Glossa, Daemones quocumque vadunt, secum ignem Inferni portant. Sed ignis ille, cum sit corporalis, agit ex necessitate naturae. Ergo videtur quod ad nos nunquam accedant: quia omnia quae circa nos sunt comburerentur.

6. Comme il est dit à propos de Jc 2, dans une glose, partout où les démons vont, ils emportent avec eux le feu de l’enfer. Or, ce feu, puisqu’il est corporel, agit par nécessité de nature. Il semble donc qu’ils ne s’approchent jamais de nous, car tout ce qui nous entoure serait brûlé.

 

[3987] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, quorum est unum pondus in corporibus, est unus locus, sicut omnium gravium centrum, in quod tendunt suo motu. Sed secundum Augustinum, idem est amor in spiritibus quod pondus in corporibus. Cum ergo omnes Daemones per affectum unius vitii peccaverint, videtur quod unus locus tantum eis debeatur.

7. Ce qui a un même poids chez les corps se trouve dans un même lieu, comme le centre de toutes les choses lourdes, vers lequel toutes ces choses tendent par leur mouvement. Or, selon Augustin, l’amour dans les esprits est la même chose que le poids dans les corps. Puisque tous les démons ont péché par affection d’un vice, il semble donc qu’un seul lieu leur revienne.

 

[3988] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod in littera dicitur.

Cependant, ce qui est dit dans le texte va en sens contraire.

 

[3989] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod Angelo secundum suam essentiam locus non debetur, ut in 1 Lib. dictum est, distinct. 37, sed solum quantum ad operationem: vel per modum congruentiae sicut in opere contemplationis, vel per modum necessitatis, sicut in his quae circa nos operantur. Operatio autem Angeli secundum naturam suam, cum sit intellectualis substantia, est contemplari: unde omnes in loco contemplationi congruenti, scilicet in caelo Empyreo, creati sunt. Operatio autem gloriae non differt ab operatione naturae eorum, nisi sicut perfectum ab imperfecto; et ideo idem locus debetur Angelis conditis et gloriosis. Sed quantum ad statum culpae vel miseriae, potest eorum operatio tripliciter attendi: aut secundum lucem naturae, quae in eis remansit, quamvis obtenebrata per peccatum; vel quantum ad culpae tenebras, et sic debetur eis locus tenebrosus et poenalis: vel quantum ad ordinem divinae sapientiae, quod ex eorum malitiis bonum elicitur, causa scilicet nostri exercitii; et quantum ad haec tria competit eis aer, praecipue quantum ad mediam sui partem: quia inquantum est diaphanus per naturam lucis consonat eorum naturae perfectae; quantum autem ad turbulentiam competit eis ut poenalis contra culpam; inquantum vero propinquus nobis, competit ad exercitium. Sed Inferni locus competit eis contra culpam, inquantum est horridus et tenebrosus; nostra autem habitatio competit eis propter nostrum exercitium.

Réponse. Un lieu ne revient pas à l’ange selon son essence, comme on l’a dit dans le livre I, d. 37, mais selon son opération, soit par mode convenance, comme dans l’acte de contemplation, soit par mode de nécessité, comme dans ce qu’ils accomplissent pour nous. Or, l’opération de l’ange selon sa nature, puisqu’il est une substance intellectuelle, consiste à contempler. Aussi tous ont-ils été créés dans un lieu approprié à la contemplation : le ciel empyrée. Or, l’opération de la gloire diffère seulement de l’opération de leur nature comme ce qui est parfait par rapport à ce qui est imparfait. C’est pourquoi un même lieu revient aux anges créés et glorieux. Mais, pour ce qui est l’état de faute ou de misère, on peut envisager leur opération de trois manières : selon la lumière de leur nature, qui demeure chez eux, bien que obscurcie par le péché ; selon les ténèbres de la faute, et ainsi un lieu de ténèbres et de peine leur revient ; selon l’ordre de la sagesse divine, qui tire un bien de leurs malices : la cause de nos combats. De ce triple point de vue, l’air leur convient, surtout quant à sa partie médiane, car, dans la mesure où [l’air] est diaphane, il s’harmonise avec leur nature parfaite par la nature de la lumière. Mais, par sa turbulence, il leur convient comme peine contre leur faute. En tant qu’il est proche de nous, [l’air] convient au combat. Toutefois, le lieu de l’enfer convient contre leur faute en tant qu’il est horrible et ténébreux ; mais notre demeure leur convient en raison de notre combat.

 

[3990] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non dicuntur esse in loco quasi ex loco corporali aliquid recipientes, sed quasi circa locum operantes aliquid proprietatibus loci consonum.

1. On ne dit pas qu’ils se trouvent dans un lieu comme s’ils recevaient quelque chose d’un lieu corporel, mais parce qu’ils réalisent dans un lieu quelque chose qui est en harmonie avec les propriétés du lieu.

 

[3991] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inter alia corpora generabilia et corruptibilia ignis est subtilissimus, et plus habet de luce: unde Angelis obtenebratis non competit: unde magis Deus et boni Angeli secundum metaphoras ab igne sumptas describuntur, ut dicit Dionysius. Pythagoras autem loquitur de igne quem in medio universi ponebat, ut ibidem dicitur et hunc nos dicimus esse ignem Inferni, qui est horridus et tenebrosus, et locus poenalis Daemonum.

2. Parmi les autres corps susceptibles de génération et de corruption, le feu est le plus subtil et il comporte davantage de lumière. Aussi ne convient-il pas aux anges entourés de ténèbres. C’est ainsi que Dieu et les anges bons sont davantage décrits selon des métaphores tirées du feu, comme le dit Denys. Mais Pythagore parle du feu qu’il situait au milieu de l’univers, de sorte qu’on dise de lui et que nous disons qu’il est le feu de l’enfer, qui est horrible et ténébreux, et un lieu de peine pour les démons.

 

[3992] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pars aeris juxta terram est lucidior et calidior ea quae est in media regione aeris: quia ex reflexione radiorum solis multiplicatur splendor et calor in aere qui est juxta terram: unde vapores resoluti ex aqua et terra elevantur, et ubi invenitur minor calor propter distantiam a loco reflexionis, vapor ille dimittitur naturae suae, unde infrigidatur et condensatur, sicut aqua calefacta separata a calefaciente: et propter hoc locus ille est frigidus et tenebrosus, et exinde descendunt pluviae et grandines, et venti, et hujusmodi. Et ideo ratio supponebat falsum.

3. La partie de l’air proche de la terre est plus claire et plus chaude que celle qui se trouve dans la région médiane de l’air, car, en raison de la réflexion des rayons du soleil, son éclat et sa chaleur sont multipliés dans l’air qui est proche de la terre. Aussi les vapeurs émanant de l’eau et de la terre montent-elles, et là où se trouve une chaleur moindre en raison de la distance du lieu de réflexion, cette vapeur est-elle renvoyée à sa nature. Elle se refroidit donc et se condense, comme l’eau réchauffée est séparée de ce qui la réchauffe. Pour cette raison, ce lieu est froid et ténébreux, et les pluies, la grêle, le vent et les choses de ce genre en descendent. C’est pourquoi le raisonnement supposait quelque chose de faux.

 

[3993] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ex hoc quod circa nos sunt, nullo modo eorum poena minuitur; nisi quod sibi poenale aestimant non posse nobis nocere, sicut quando in Inferno sunt.

4. Leur peine n’est diminuée par rien de ce qui nous concerne, à moins qu’ils n’estiment que ce soit pour eux une peine de ne pouvoir nous nuire, comme lorsqu’ils sont en enfer.

 

[3994] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod error Graecorum est ponentium nullam animam ante diem judicii neque in Infernum neque in caelum ire: et est derivatus a fabulis Pythagoricis et poetarum, qui ponebant animas occisorum circuire sepulcrum usque ad vindictam mortis, et iterum non redire ad comparem stellam ante completum periodum vitae, quae ante terminum immatura morte finita est. Sed quod statim animae damnatorum ad Inferna descendant, probatur in littera ex iustis, qui illuc descendebant, et Job 21, 13: ducunt in bonis dies suos, et in puncto ad Inferna descendunt. Luc. 15, 22: mortuus est dives, et sepultus est in Inferno. Et similiter quod sancti statim in caelos ascendant, probatur ex hoc quod habetur 2 Corinth. 5, 1: scio enim quod si terrestris domus nostra hujus habitationis dissolvatur, quod aedificationem ex Deo habemus. Et tamen utrique circa nos aliquando apparent ad utilitatem nostram, sicut Angeli beati huc ad nos accedunt. Nec est simile de animabus damnatorum et Daemonibus; quia Daemones secundum gradum naturae suae constituti erant supra nos, ut ex eis aliqua utilitas nobis proveniret; nec hoc omnino per eorum peccatum deperire debuit: unde dati sunt nobis in exercitium, quod animabus non competit.

5. L’erreur des Grecs consiste à affirmer qu’aucune âme ne va en enfer ni au Paradis avant le jour du jugement. Elle est dérivée des fables des pythagoriciens et des poètes, qui affirmaient que les âmes de ceus qui ont été tués rôdent autour de leur sépulcre jusqu’à la vengeance de leur mort, et qu’en plus, elles ne reviennent pas à une étoile égale avant d’avoir achevé la période de leur vie, qui s’est terminée avant le terme par une mort prématurée. Mais, que les âmes des damnés descendent immédiatement en enfer, cela est prouvé dans le texte [de l’Écriture] par les justes qui y descendaient, et par Jb 21, 13 : Ils mènent leurs jours dans l’abondance et ils descendent soudain en enfer, et Lc 15, 22 : Le riche mourut et fut enseveli en enfer. De même, que les saints montent aussitôt au ciel, cela est prouvé par ce qu’on trouve en 2 Co 5, 1 : En effet, je sais que si notre demeure terrestre est détruite, nous avons une demeure qui vient de Dieu. Cependant, les deux apparaissent parfois pour notre bien, comme lorsque les anges bienheureux s’approchent de nous. Mais il n’en va de même pour les âmes des damnés et des démons, car les démons, selon le degré de leur nature, avaient été établis au-dessus de nous, afin qu’une certaine utilité nous viennent d’eux ; et cela ne devait pas disparaître totalement en raison de leur péché. Ils nous ont donc été donnés comme entraînement, ce qui ne convient pas aux âmes.

 

[3995] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quidam dicunt poenam sensibilem ipsorum Daemonum dilatam esse usque ad diem judicii; sed hoc videtur esse et contra sanctorum auctoritates, et contra rationem divinae justitiae, quae statim animas damnatorum poenae infernalis ignis adjudicat, quarum tamen peccatum non est majus peccato Daemonum. Et ideo alii dicunt, quod in igne infernali semper ardent, quem etiam semper secum deferunt; non tamen ignis ille alia corpora comburit, quia agit ut instrumentum divinae justitiae in illa tantum quae ad talem poenam addicta sunt. Sed cum sint incorporei, non videtur probabile quod ignem corporalem secum deportent. Unde dicendum, quod semper igne infernali ardent, non tamen eis semper praesente secundum locum; quia non agit corporali modo calefaciendo et desiccando, sed modo spirituali: unde non requiritur determinata distantia, sicut in actione corporali.

6. Certains disent que la peine sensible des démons eux-mêmes a été reportée jusqu’au jour du jugement ; mais cela semble être contraire aux autorités des saints et contre la nature de la justice divine, qui condamne aussitôt les âmes des damnés à la peine de l’enfer, alors que leur péché n’est pas plus grand que le péché des démons. C’est pourquoi d’autres disent qu’ils brûlent toujours dans le feu de l’enfer, qu’ils emportent aussi toujours avec eux ; mais ce feu ne brûle pas les autres corps, car il agit seulement comme instrument de la justice divine sur ce qui a été condamné à une telle peine. Mais comme [les anges] sont incorporels, il ne semble pas probable qu’ils emportent avec eux un feu corporel. Aussi faut-il dire qu’ils brûlent toujours du feu de l’enfer, qui n’est cependant pas toujours présent pour eux selon le lieu, car il n’agit pas selon un mode corporel en réchauffant et en desséchant, mais selon un mode spirituel. Aussi une distance déterminée n’est-elle pas nécessaire, comme dans l’action corporelle.

 

[3996] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod tria dicta loca debentur cuilibet Daemoni secundum diversas conditiones, ut dictum est.

7. Les trois lieux mentionnés reviennent à tous les démons selon diverses conditions, comme on l’a dit.

 

 

 

 

Articulus 4 [3997] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 tit. Utrum in Daemonibus sit ordo

Article 4.‑. Existe-t-il un ordre parmi les démons ?

 

[3998] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod in Daemonibus non sit ordo. Dicitur enim Job 10, quod in terra miseriae et tenebrarum nullus ordo sed sempiternus horror inhabitat. Illius autem terrae Daemones sunt incolae. Ergo in eis non est aliquis ordo.

1. Il semble qu’il n’existe pas d’ordre chez les démons. En effet, il est dit en Jb 10 que, dans la terre de misère et de ténèbres, aucun ordre ne réside, mais une horreur éternelle. Or, les démons sont les habitants de cette terre. Il n’existe donc pas d’ordre parmi eux.

 

[3999] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, in quibuscumque est ordo praelationis, est aliqua concordia pacis. Sed Daemones videntur esse discordes: quia, ut dicitur Proverb. 13, 10, inter superbos semper sunt jurgia. Ergo et cetera.

2. Partout où existe un ordre de supériorité, existe une concorde pacifique. Or, les démons semblent être en désaccord [entre eux], car, ainsi qu’il est dit dans Pr 13, 10 : Il y a toujours des conflits entre les orgueilleux. Donc, etc.

 

[4000] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, ordo praelationis cujuslibet est secundum aliquam regulam juris. Sed voluntas Daemonum nullo jure dirigi potest. Ergo non potest in eis esse ordo praelationis.

3. L’ordre d’une supériorité se conforme à une règle du droit. Or, la volonté des démons ne peut être dirigée par aucun droit. Il ne peut donc exister parmi eux un ordre de supériorité.

 

[4001] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, superiores Daemones gravius peccaverunt secundum quod naturalia meliora acceperant, per quae stare possent. Sed illi qui magis peccaverunt, gravius debent puniri. Ergo non videtur probabile quod praelationem super alios acceperint.

4. Les démons supérieurs ont péché plus gravement du fait qu’ils avaient reçu de meilleurs attributs naturels, par lesquels ils pouvaient tenir. Or, ceux qui ont davantage péché doivent être punis plus lourdement. Il ne semble donc pas probable qu’ils aient reçu une supériorité sur les autres.

 

[4002] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, inter homines damnatos non ponitur aliquis ordo praelationis. Sed hominum damnatorum et Daemonum est una damnatio. Ergo videtur quod nec in Daemonibus sit aliquis ordo.

5. Entre les hommes damnés, on n’établit pas d’ordre de supériorité. Or, la damnation des hommes damnés et des démons est la même. Il semble donc qu’il n’existe pas non plus d’ordre entre les démons.

 

[4003] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Job 61, de squamis Leviathan, per quas membra Diaboli significantur, quod una uni adhaerebit, et tenentes se nequaquam separabuntur. Ergo videtur quod sit inter eos aliqua concordia, et ordo praelationis.

Cependant, [1] Jb 61 dit en sens contraire, à propos des écailles de Léviathan, par lesquelles sont signifiés les membres du Diable, que l’une adhérait à l’autre et qu’elles se tenaient pour ne jamais être séparées. Il semble donc qu’il existe entre eux une certaine concorde, et donc un ordre de supériorité.

 

[4004] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod ordinem praelationis in Daemonibus esse congruit eorum naturae, divinae sapientiae et propriae nequitiae. Ex natura enim quidam aliis superiores fuerunt: et quia peccatum naturam non tollit, consequitur etiam post peccatum, ut quidam aliis superiores remaneant. Ad sapientiam etiam divinam pertinet ut quae a Deo sunt, ordinata sint ab eo a quo omnis potestas est, ut dicitur Rom. 13; et ideo potestas Daemonum ad exercendum homines, et puniendos damnatos, a Deo est; et ideo ordinata per gradus praelationis debet esse. Similiter ex nequitia sua humano generi adversantur: amicos autem esse eos qui unius inimici sunt, consequitur: et ideo ut magis hominibus noceant, quasi ad invicem confoederantur, ut concorditer et ordinate impugnent.

Réponse. Qu’il existe un ordre de supériorité entre les démons convient à leur nature, à la sagesse divine et à leur propre méchanceté. En effet, certains étaient par nature supérieurs aux autres, et parce que le péché n’enlève pas la nature, même après le péché, il en découle que certains demeurent supérieurs aux autres. Il relève aussi de la sagesse divine que ce qui vient de Dieu soit ordonné par Celui dont tout pouvoir dépend, comme le dit Rm 13. C’est pourquoi le pouvoir des démoins de mettre les hommes à l’épreuve et de punir les damnés vient de Dieu. Aussi doit-il être ordonné selon des degrés de supériorité. De même, ils s’opposent au genre humain par leur méchanceté. Il en découle donc que ceux qui ont le même ennemi sont des amis. Aussi, pour nuire davantage aux hommes, ils s’allient pour ainsi dire les uns aux autres, afin de combattre dans la concorde et de manière ordonnée.

 

[4005] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ibi omnino removebitur ordo in finem beatitudinis, a quo irrecuperabiliter ceciderunt; erit tamen in eis ordo potestatis, quae magis a Deo quam ab ipsis est.

1. Là sera complètement enlevé l’ordre à la fin de la béatitude, dont ils sont déchus de manière irrécupérable ; il y aura cependant entre eux un ordre de pouvoir, qui vient davantage de Dieu que d’eux-mêmes.

 

[4006] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, quantum in ipsis est, Daemones nunquam concordiam haberent; sed ad aliquid unum efficiendum concordant: non enim est probabile quod benevolentiam aliquam ad invicem habeant, sed solum concordiam ad actum aliquem.

2. Pour ce qui est d’eux, les démons n’auraient jamais de concorde ; mais ils s’accordent pour réaliser une chose. En effet, il n’est pas probable qu’ils aient une certaine bienveillance les uns pour les autres, mais seulement une concorde en vue d’un certain acte.

 

[4007] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut in quolibet malo oportet aliquid boni remanere, cum non totum per malum corrumpatur; ita etiam in actibus injustitiae potest aliquis ordo juris remanere, sicut patet in latronibus, qui alios injuste spoliantes, inter se aliquam formam justitiae habent, dum sibi invicem fidem servant; et ita in Daemonibus esse potest.

3. De même qu’en tout mal, quelque chose de bon doit demeurer, puisque cela n’est pas totalement corrompu par le mal, de même aussi, dans les actes d’injustice, peut-il demeurer un ordre du droit, comme cela ressort chez les voleurs, qui, en spoliant injustement les autres, possèdent une certaine forme de justice entre eux, alors qu’ils préservent la fidélité entre eux. De même peut-il en être chez les démons.

 

[4008] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod per potestatem habitam, in nullo eorum poena mitigatur; quin potius quanto sunt superiores officio, tanto etiam graviori sunt subjecti tormento: unde dicitur Sapient. 6, 7: potentes potenter tormenta patientur. Nec potestas eis datur in praemium, sed in divinae sapientiae obsequium.

4. Leur peine n’est en rien mitigée par la possession d’un pouvoir ; bien plutôt, plus élevés ils sont par leur fonction, plus lourd est le châtiment auquel ils sont soumis. Aussi est-il dit dans Sg 6, 7 : Les puissants supporteront de puissants châtiments. Et le pouvoir ne leur est pas donné comme récompense, mais en vue d’obéir à la sagesse divine.

 

[4009] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod homines non sunt sibi invicem praeeminentes secundum ordinem naturae, et etiam non ordinantur damnati in exercitium aliorum vel in punitionem; et ita non est similis ratio de Daemonibus et hominibus.

5. Les hommes ne sont pas plus élevés les uns par rapport aux autres selon un ordre de nature, et les damnés ne sont pas non plus ordonnés en vue de mettre combattre ou de punir les autres. Le raisonnement n’est donc pas semblable pour les démons et pour les hommes.

 

 

 

 

Articulus 5 [4010] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 tit. Utrum Daemones qui vincuntur a sanctis, detrudantur in Infernum

Article 5 – Les démons qui sont vaincus par les saints sont-ils jetés en enfer ?

 

[4011] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Daemones qui a sanctis vincuntur, non retrudantur in Infernum. Infligere enim poenam ei qui in pugna succumbit, est incitare ad acrius impugnandum. Sed hoc non pertinet ad Dei misericordiam. Ergo et cetera.

1. Il semble que les démons qui sont vaincus par les saints soient jetés en enfer. En effet, infliger une peine à celui qui succombe au combat, c’est l’inciter à combattre avec plus d’énergie. Or, cela ne convient pas à la miséricorde de Dieu. Donc, etc.

 

[4012] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, Christus efficacius vicit suum tentatorem quam alii sancti. Sed Lucifer qui Christum tentavit, non est omnino a tentationis officio seclusus: quia tempore Antichristi gravissime homines tentabit. Ergo multo minus alii.

2. Le Christ a vaincu plus efficacement que les autres saints celui qui le tentait. Or, Lucifer, qui a tenté le Christ, n’a pas du tout été écarté de la fonction de tenter, car, au temps de l’Antéchrist, il tentera les hommes plus sérieusement. Donc, encore bien moins les autres.

 

[4013] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, quanto pauciores sunt tentatores, tanto levior est tentatio. Cum ergo continue a sanctis aliqui Daemones vincantur, si a tentatione qui vincuntur cessarent, in fine mundi levissima esset tentatio; quod falsum est. Ergo et primum.

3. Plus petit est est le nombre des tentateurs, plus légère est la tentation. Puisque certains démons sont vaincus de manière continue par les saints, si ceux qui sont vaincus cessaient de tenter, la tentation serait très faible à la fin du monde, ce qui est faux. Donc, [la conclusion est la même que] pour le premier [argument].

 

[4014] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, Daemones sunt ordinati a Deo ad nostrum exercitium. Si ergo omnino a tentationis exercitio cessarent, omnino ad nihil ordinati essent: quod non competit divinae sapientiae, quia nihil inordinatum reliquit. Ergo et cetera.

4. Les démons sont ordonnés par Dieu pour nous mettre à l’épreuve. Si donc ils cessaient complètement la pratique de la tentation, ils seraient totalement ordonnés au néant, ce qui ne convient pas à la sagesse divine, qui ne laisse rien de désordonné. Donc, etc.

 

[4015] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, pugnantibus debet institui aequalis conditio a justo judice. Sed Daemones nos vincentes nostrum exercitium minuunt. Ergo videtur quod similiter sit e converso.

Cependant, [1] une condition égale doit être établie par un juge juste pour les combattants. Or, les démons diminuent notre épreuve en l’emportant sur nous. De même, il semble donc en être de même en sens contraire.

 

[4016] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, hoc potest probari justitia humana, quae pugilem victum ad pugnam ulterius non admittit.

[2] Cela peut être démontré par la justice humaine, qui n’admet pas que le combattant vaincu se batte davantage.

 

[4017] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod omnes concedunt, Daemonem victum aliquo modo a tentatione cessare; sed circa hoc, scilicet qualiter cesset, sunt tres opiniones. Quidam enim dicunt, quod hoc modo repellitur, quod nec ipsum nec alium tentare possit, nec de eodem nec de alio peccato. Quidam vero dicunt, quod potest tentare de alio peccato, non autem de eodem, nec ipsum vincentem nec alios: et hae duae ponuntur in littera. Alii vero dicunt, quod ex quo aliquis perfecte de uno vitio Daemonem tentantem vincit, non potest de eodem vitio ab eo tentari, sed de alio potest; alios autem tentare potest et de eodem vitio et de alio. Haec autem opinio habet causam magis manifestam: quia ille dicitur perfecte Diabolum vincere de aliquo vitio in quo omnino vincuntur passiones ad vitium illud inclinantes, sicut est in illis in quibus acquiritur habitus virtutis consuetudinalis; et tunc non remanet magna pronitas ad peccatum illud; et ideo a Diabolo non tentatur de hoc peccato, qui vires ejus cognoscit. Aliarum autem opinionum ratio potest esse, quia cum caritas bona opera communia faciat in tota Ecclesia, ex victoria unius omnes aliquod commodum reportant, dum eorum hostes vincuntur. Quid tamen horum verius sit, ignotum est: quia nec ratione nec auctoritate multum confirmari potest.

Réponse. Tous concèdent qu’une fois le demon vaincu, il cesse d’une certaine manière de tenter ; mais sur la question de savoir comment il cesse, il existe trois opinions. En effet, certains disent qu’il est repoussé de telle sorte que lui-même ou un autre ne puisse tenter, ni pour le même péché ni pour un autre. Mais certains disent que que lui-même et les autres peuvent tenter pour un autre péché, mais non pour le même. Ces deux positions sont présentées dans le texte. Mais d’autres disent que, du fait que quelqu’un l’emporte parfaitement sur un démon qui le tente à propos d’un vice, il ne peut être tenté pour le même vice, mais qu’il le peut pour un autre ; mais il peut en tenteer d’autres pour le même vice et pour un autre. Or, cette oponion a une cause plus évidente, car on dit que quelqu’un l’emporte parfaitement sur le Diable à propos d’un vice lorsque les passions qui inclinent à ce vice sont totalement vaincues, comme c’est le cas pour ceux qui ont acquis un habitus coutumier. Il ne demeure pas alors de grande inclination à ce péché. C’est pourquoi il n’est pas tenté, à propos de péché, par le Diable qui connaît ses forces. Un argument en faveur des autres opinions peut être que, puisque la charité rend communes dans toute l’Église les actions bonnes, tous remportent un certain avantage, lorsque leurs ennemis sont vaincus. Laquelle de ces opinions est la plus vraie, on l’ignore, car elle ne peut être suffisamment confirmée ni par la raison ni par l’autorité.

 

[4018] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Daemonum voluntas semper manet in eadem obstinatione ad nocendum hominibus; et ideo magis prodest quod removeantur a pugna, quia per hoc potestas impugnandi compescitur, quorum iniqua voluntas non minuitur nec augetur.

1. La volonté des démons demeure toujours dans la même obstination pour nuire aux hommes. C’est pourquoi il est plus utile qu’ils soient éloignés du combat, car leur pouvoir de combattre est ainsi contenu, eux dont la volonté mauvaise n’est ni amoindrie ni accrue.

 

[4019] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illi qui etiam ponunt Daemones ab omni tentatione cessare, intelligunt ad tempus determinatum, post quod iterum ad pugnam redeunt.

2. Ceux-là aussi qui affirment que les démons cessent toute tentation l’entendent d’un temps déterminé, après lequel ils reviennent de nouveau au combat.

 

[4020] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 ad 3 Et per hoc patet responsio ad tertium.

3. La réponse au troisième argument ressort ainsi clairement.

 

[4021] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod malum eorum semper est ordinatum per poenam, quam et ipsi semper sustinent, et in Inferno damnatis infligunt.

4. Leur mal est toujours ordonné par la peine qu’ils supportent pour toujours et qu’ils infligent aux damnés dans l’enfer.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 6

 

[4022] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 expos. Draco de caelo cadens secum traxit tertiam partem stellarum. Per draconem intelligitur ipse Lucifer: per caudam suasio, qua aliis suum desiderium expressit: per stellas Angeli naturali luce fulgentes, quorum tertia pars cecidisse dicitur, non quantum ad numerum, sed quantum ad qualitatem; quia qui remanserunt, sunt Deo adhaerentes assistendo et ministrando; et alii per aversionem ceciderunt. Adversus principes et potestates mundi hujus. Sciendum quod quamvis probabile sit aliquos cecidisse de singulis ordinibus, non tamen Daemones nominantur ab illis ordinibus quorum nomina sumuntur ex donis gratiae gratum facientis, sicut Seraphim nominantur ab incendio caritatis, et throni ab inhabitatione divina; sed ab aliis, quorum nomina sumuntur ex gratiis gratis datis, quae ad scientiam et potentiam pertinent. Quamdiu durat mundus. Contra, semper remanebunt in diverso gradu naturae et poenae. Ergo semper remanebit ordo. Et dicendum, quod dicitur cessare praelatio bonorum et malorum spirituum quantum ad actus quos circa nos exercent, vel custodiendo vel tentando.

 

 

 

 

 

Distinctio 7

Distinction 7 – [Le pouvoir et la puissance des anges]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La confirmation des anges]

 

Prooemium

Prologue

 

[4023] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 pr. Determinatis his quae pertinent ad naturae conditionem quantum ad bonos et malos Angelos communiter, hic consequenter tractat ea quae pertinent ad eorum potestatem et virtutem; et dividitur in partes duas: in prima determinat eorum potestatem respectu operationum quas in seipsis habent; in secunda respectu illarum operationum quas in alia exercent, ibi: quorum scientia atque virtute etiam magicae artes exercentur. Circa primum duo facit: primo ostendit eorum virtutem respectu operationum voluntatis vel liberi arbitrii; in secunda respectu operationis intellectus, ibi: et licet mali Angeli ita per malitiam sint obdurati, vivaci tamen sensu non sunt penitus privati. Circa primum duo facit: primo determinat veritatem; secundo inducit quamdam quaestionem: quam primo movet, ibi: sed cum nec boni peccare possint, nec mali bene velle, vel bene operari; videtur quod jam non habeant liberum arbitrium; secundo determinat eam, ibi: ad quod dicimus et cetera. Circa quod primo confirmat illud verum quod in objectione supponebatur, scilicet quod boni Angeli et mali habent liberum arbitrium; secundo respondet ad objectionem, ibi: quod ergo Hieronymus ait (...) accipi oportet secundum statum in quo creata sunt. Quorum scientia atque virtute etiam magicae artes exercentur. Hic ostendit eorum virtutem in operationibus quas in subjectam materiam exercent; et circa hoc tria facit: primo enim ostendit hujus virtutis principium collativum, et finem. Secundo ostendit operandi modum, ibi: nec putandum est, istis transgressoribus Angelis ad nutum servire hanc visibilium rerum materiam. Tertio ostendit impedimentum operandi sua virtute, ibi: illud quoque sciendum est, quod Angeli mali quaedam possunt per naturae subtilitatem, quae tamen non possunt propter Dei vel bonorum Angelorum prohibitionem. Circa secundum tria facit: primo excludit duplicem modum falsum; secundo ostendit modum verum, ibi: omnium quippe rerum quae corporaliter visibiliterque nascuntur, occulta quaedam semina in corporeis mundi hujus elementis latent; tertio proponit exemplum primo in corporalibus actionibus, ibi: sicut ergo nec parentes dicimus creatores hominum (...) ita non solum malos sed nec bonos Angelos fas est putare creatores: secundo in spiritualibus, ibi: sicut ergo mentem nostram justificando formare non potest nisi Deus (...) ita creationem rerum visibilium Deus interius operatur. Hic est triplex quaestio. Prima de statu liberi arbitrii in bonis et in malis Angelis. Secunda de cognitione malorum. Tertia de virtute eorum. Circa primum quaeruntur duo: 1 de confirmatione bonorum Angelorum; 2 de obstinatione malorum.

Après avoir déterminé de ce qui se rapporte à la condition de la nature pour les anges bons et mauvais d’une manière générale, [le Maître] traite ensuite ici de ce qui se rapporte à leur pouvoir et à leur puissance. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de leur pouvoir par rapport aux actions qu’ils possèdent en eux-mêmes ; dans la seconde, par rapport aux actions qu’ils exercent sur d’autres choses, à cet endroit : « Par leur science et leur puissance, sont aussi exercés les arts magiques. » À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il montre leur puissance par rapport aux opérations de la volonté ou du libre arbitre ; dans la seconde partie, par rapport aux opérations de l’intelligence, à cet endroit : « Bien que les anges mauvais soient tellement endurcis dans leur malice, ils ne sont cependant pas tout à fait privés d’un sens éveillé. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité ; deuxièmement, il amène une question. D’abord, il la soulève, à cet endroit : « Mais puisque les bons ne peuvent pas pécher ni les mauvais, vouloir le bien ou bien agir, il semble qu’ils n’aient plus désormais de libre arbitre. » Deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « À cela nous disons, etc. ». À ce propos, il confirme d’abord la vérité qui était supposée dans l’objection, que les anges bons et mauvais ont le libre arbitre ; deuxièmement, il répond à l’objection à cet endroit : « Ce que dit Jérôme… doit être entendu de l’état dans lequel ils ont été créés. » « Par leur science et leur puissance, sont aussi exercés les arts magiques. » Il montre ici leur puissance pour les opérations qu’ils exercent sur la matière qui leur est soumise. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il montre le principe qui recueille cette puissance, et la fin. Deuxièmement, il montre leur manière d’agir, à cet endroit : « Et il ne faut pas penser que cette matière visible des choses sert à volonté les anges qui transgressent. » Troisièmement, il montre ce qui les empêche d’agir selon leur puissance, à cet endroit : « Il faut aussi savoir que les anges mauvais peuvent faire certaines choses par la subtilité de leur nature, qu’il ne peuvent cependant pas faire en raison d’un empêchement de Dieu ou des anges bons. » À propos du deuxième point, il fait trois choses. Premièrement, il écarte un double mode faux. Deuxièmement, il montre le mode vrai, à cet endroit : « Pour toutes les choses qui naissent corporellement et visiblement, certaines semences sont cachées dans les éléments corporels de ce monde. » Troisièmement, il propose en premier l’exemple des actions corporelles, à cet endroit : « De même donc que nous ne disons pas que les parents sont les créateurs des hommes…, de même il n’est pas légitime de penser que, non seulement les anges mauvais, mais aussi les anges bons sont des créateurs. » En second lieu, pour les actions spirituelles, à cet endroit : « De même donc que Dieu seul peut donner forme à notre esprit en le justifiant…, de même Dieu réalise-t-il de l’intérieur la création des réalités visibles. » Il y a ici une triple question. La première porte sur l’état du libre arbitre chez les anges bons et mauvais. La deuxième, sur la connaissance des anges mauvais. La troisième, sur leur puissance. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1. Sur la confirmation des anges bons. 2. Sur l’obstination des anges mauvais.

 

 

 

 

Articulus 1 [4024] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 tit. Utrum Angeli boni possint peccare

Article 1 – Les anges bons peuvent-ils pécher ?

 

[4025] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angeli possint peccare. Quia, secundum philosophum, potestates rationales sunt ad opposita. Sed liberum arbitrium quod in Angelis bonis manet, est rationalis potestas, quia est facultas rationis et voluntatis secundum Augustinum. Ergo videtur quod si possunt bene velle, quod etiam possint peccare.

1. Il semble que les anges puissent pécher, car, selon le Philosophe, les puissances raisonnables portent sur des choses opposées. Or, le libre, qui demeure chez les anges bons, est une puissance raisonnable, car il est une faculté de la raison et de la volonté, selon Augustin. Il semble donc que s’ils peuvent vouloir le bien, ils peuvent aussi pécher.

 

[4026] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut corruptibile nunquam mutatur ut fiat aeternum, ut dicit philosophus in 1 caeli et mundi, ita videtur, quod mobile nunquam fiat immobile. Sed liberum arbitrium Angeli fuit in statu creationis mobile in peccatum. Ergo nunquam factum est immobile.

2. De même qu’une réalité corruptible ne change jamais pour devenir éternelle, comme le dit le Philosophe dans Sur le ciel et le monde, I, de même il semble qu’une réalité susceptible de mouvement ne devient jamais immobile. Or, le libre arbitre de l’ange était susceptible de mouvement dans l’état de création. Il n’est donc jamais devenu immobile.

 

[4027] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliqua virtus magis est determinata ad unum, minus est libera, sicut patet in virtutibus naturalibus quae per necessitatem agunt. Sed arbitrium Angeli est liberius post confirmationem quam ante, ut in littera dicitur. Ergo videtur quod non sit determinatum tantum ad bonum sed possit etiam in peccatum.

3. Plus une puissance est déterminée à une seule chose, moins elle est libre, comme cela ressort pour les puissances naturelles qui agissent par nécessité. Or, l’arbitre de l’ange est plus libre après la confirmation qu’avant, comme il est dit dans le texte. Il semble donc qu’il ne soit pas seulement déterminé au bien, mais puisse aussi l’être au péché.

 

[4028] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, nulla ratio laudabilitatis subtrahenda est a bonis Angelis. Sed haec est ratio laudis in hominibus quod non peccent cum peccare possint; sicut Eccli. 31, 10, in laudem boni viri dicitur: qui potuit transgredi et non est transgressus. Ergo videtur quod hoc etiam in Angelis sit.

4. Aucune raison de les louer ne doit être enlevée aux anges bons. Or, le fait qu’ils ne pèchent pas, alors qu’ils peuvent pécher, est une raison de louer les hommes, comme le dit Si 31, 10, en louant l’homme bon : Lui qui pouvait transgresser, et n’a pas transgressé. Il semble donc que cela existe aussi chez les anges.

 

[4029] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, immobilitas est de ratione felicitatis, ut dicit philosophus. Non enim aestimandum est felicem esse chamelaeonta. Sed si peccarent, moverentur a statu rectitudinis. Ergo beati Angeli peccare non possunt.

Cependant, [1] l’immobilité fait partie de la félicité, comme le dit le Philosophe. En effet, on ne doit pas estimer heureux celui qui change constamment. Or, si [les anges] péchaient, ils quitteraient l’état de droiture. Les anges bienheureux, ne peuvent donc pas pécher.

 

[4030] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, motus non est in termino, sed in via ad terminum. Angeli autem non sunt viatores. Ergo moveri in peccatum non possunt.

[2] Le mouvement ne consiste pas dans le terme, mais dans le chemin vers le terme. Or, les anges ne sont pas en état de cheminement. Ils ne peuvent donc être mus en direction du péché.

 

[4031] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut Deus per naturam suam habet quod peccare non possit; ita et hoc Angelus habet per gratiam confirmationis: quod sic patet. Principium mutationis et causa est rei possibilitas; nec defectus esse potest nisi per potentiam incompletam. Illud ergo cui nihil admiscetur de potentia secundum naturam suam, nec mutari nec deficere potest: illud autem cui admiscetur potentia quae tamen tota per actum completur, potest quidem, quantum in se est, deficere et mutari secundum quod esse et completionem suam non nisi ab alio habet; sed ratione perfectae receptionis, quae nihil potentiae imperfectum relinquit, habet immobilitatem et indeficientiam. Hujusmodi autem exemplum sumi potest in naturalibus et intellectualibus. Invenitur autem in naturalibus quorumdam potentia naturalis omnino completa et per suum esse et per suam formam; et ideo esse indeficiens habent, sicut patet in corporibus caelestibus, quorum potentia non est susceptiva alicujus alterius esse vel formae, unde elongata sunt a privatione et per consequens a corruptione. Sed materia aquae non tota completur per formam aquae hoc modo ut reducatur in omnem perfectionem possibilem per eam; unde simul cum forma aquae manet privatio formae aeris, et ideo haec corruptibilia sunt. Et similiter patet in intellectualibus: quia principium immediatum naturaliter cognitum determinat potestatem totam rationis. Ante enim quam ad ipsum deveniatur per inquisitionem resolventem, ita adhaeretur uni parti, ut relinquatur quaedam pronitas ad partem aliam per modum dubitationis: sed quando resolvendo pervenitur ad primum principium per se notum, firmatur ad unum cum impossibilitate alterius. Similiter est de voluntate Angeli beati, ad quem ita se habet lumen gratiae vel gloriae, et virtus, sicut formae vel actus in naturalibus et finis ultimus in moralibus, et principium primum in speculativis: quia secundum philosophum finis in voluntariis operationibus est sicut principium in speculativis. Unde cum per lumen gloriae perfecte ultimo fini conjungantur per fruitionem plenam, ejus bonitate affecti toti in contrarium deflecti non possunt.

Réponse. De même que Dieu, par sa nature, est tel qu’il ne peut pas pécher, de même en est-il de l’ange par la grâce de la confirmation. Cela ressort de cette manière. Le principe et la cause du changement est la puissance dans une chose, et il ne peut y avoir de déficience qu’en raison d’une puissance incomplète. Ce à quoi aucune puissance n’est mêlée selon sa nature ne peut donc ni changer ni faire défaut ; mais une chose à laquelle est mêlée de la puissance, qui est cependant achevée par l’acte, peut effectivement faire défaut et être changée, pour ce qui relève de cette chose, pour autant qu’elle ne tient son être et son achèvemene que d’une autre chose. Mais, en raison d’une réception parfaite, qui ne laisse inachevé rien de la puissance, elle possède l’immobilité et l’indéfectibilité. L’exemple peut en être donné à partir des réalités naturelles et intellectuelles. On trouve dans les attributs naturels de certaines choses une puissance naturelle entièrement complétée par son acte d’être et par sa forme ; elles possèdent donc un être sans défaut, comme cela ressort pour les corps célestes, dont la puissance ne reçoit pas l’être ou la forme de quelque chose d’autre. Ils sont donc éloignés de la privation et, par conséquent, de la corruption. Mais la matière de l’eau n’est pas entièrement complétée par la forme de l’eau de manière à être ramenée par elle à toute la perfection possible ; aussi, en même temps que la forme de l’eau, demeure la privation de la forme de l’air. Ces réalités sont donc corruptibles. Cela ressort aussi pour les réalités intellectuelles, car le principe immédiat naturellement connu détermine toute la puissance de la raison. En effet, avant de parvenir à celui-ci par une recherche qui donne la solution, elle adhère à l’une des parties, de telle manière que demeure une certaine inclination vers l’autre partie par mode de doute ; mais lorsque, par la solution, elle parvient à un principe connu par soi, elle est affermie dans un aspect, de telle manière que l’autre est impossible. De même en est-il de la volonté de l’ange bienheureux : son rapport avec la lumière de la grâce ou de gloire et sa puissance est le même que celui de la forme ou de l’acte dans les réalités naturelles, de la fin ultime en matière morale et du principe premier en matière spéculative. En effet, selon le Philosophe, dans les opérations volontaires, la fin est comme le principe en matière spéculative. Puisque, par la lumière de la gloire, [la volonté de l’ange] est parfaitement unie à la fin par une pleine jouissance, tous ceux qui sont affectés en totalité par sa bonté ne peuvent être infléchis vers le contraire.

 

[4032] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod rationalis potestas dicitur esse oppositorum, quae sub electione cadunt, quorum proprie est liberum arbitrium. Electio autem non est de fine, sed de his quae sunt ad finem: et haec non eliguntur nisi secundum regulam finis quae est in aestimatione; et ideo de fine non potest voluntas contrarie se habere. Voluntas enim non potest esse de miseria neque de malo inquantum hujusmodi, sed semper est de bono et de beatitudine: ad quam tamen consequendam possunt homines diversas vias eligere, scilicet secundum quod in illis melius existimant se posse felicitatem consequi; unde potest esse error in electione eorum quae sunt ad finem ipsum; et ideo apud illos quorum est indeficienter recta aestimatio finis, sicut apud Angelos, qui ipso fine perficiuntur, impossibile est esse voluntatem alicujus eorum quae a fine deordinant, cujusmodi est voluntas peccati. Sed tamen possunt velle hoc vel illud, quorum neutrum a fine deordinat; et sic salvatur proprietas rationalis potestatis, inquantum possunt hoc facere vel non facere; quamvis non possint in haec opposita, bonum et malum.

1. On dit que le pouvoir raisonnable porte sur des contraires, qui relèvent d’un choix et sur les lesquels porte à proprement parler le libre arbitre. Or, le choix ne porte pas sur la fin, mais sur ce qui se rapporte à la fin, et ceci n’est choisi que selon la règle de la fin qui se trouve dans l’estimation. Aussi la volonté ne peut-elle pas traiter la fin comme s’il s’agissait de contraires. En effet, la volonté ne peut porter sur la misère ni sur le mal en tant que tels, mais elle porte toujours sur le bien et la béatitude. Mais, pour obtenir celle-ci, les hommes peuvent choisir diverses voies, selon qu’ils estiment mieux obtenir la félicité par elles. Aussi peut-il se produire une erreur dans le choix de ce qui se rapporte à la fin elle-même. C’est pourquoi, chez ceux qui ont une estimation de la fin indéfectiblement droite, comme chez les anges, qui sont perfectionnés par la fin elle-même, il est impossible qu’il y ait volonté d’une des choses qui détournent de la fin, en quoi consiste la volonté du péché. Cependant, ils peuvent vouloir telle ou telle chose qui n’est pas désordonnée par rapport à la fin. Ainsi se trouve préservée la propriété du pouvoir raisonnable, dans la mesure où ils peuvent faire telle ou telle chose, bien qu’ils ne puissent rien sur les contraires que sont le bien et le mal.

 

[4033] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est possibile ut in eodem subjecto succedant sibi corruptibilitas et incorruptibilitas, vel mobilitas et immobilitas, ita quod utrumque reducatur in ejus principia naturalia. Et sic etiam dicimus, quod liberum arbitrium Angeli, quod per naturam mobile erat, non est factum per naturam immobile, sed per gloriam.

2. Il n’est pas possible que se succèdent dans le même sujet la corruptibilité et l’incorruptibilité, ou la mobilité et l’immobilité, de sorte que les deux soient ramenées à ses principes naturels. Ainsi disons-nous aussi que le libre arbitre de l’ange, qui était par nature mobile, n’est pas devenu immobile par sa nature, mais par la gloire.

 

[4034] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potestas Angeli nunquam determinatur ad unum nisi in actibus conjungentibus fini, quin possit hoc facere vel non facere, aut hoc vel illud facere; non tamen potest propter hoc peccare: quia secundum Anselmum in Proslogio posse peccare non est liberum arbitrium nec pars libertatis: quia liberum arbitrium est libertas eligendi hoc vel illud eorum quae in finem ducunt.

3. La puissance de l’ange n’est jamais déterminée à une seule chose que pour les actes qui unissent à la fin, bien plus, il peut faire ou ne pas faire cela, ou faire ceci ou cela. Cependant, il ne peut pécher pour cette raison, puisque, selon Anselme, dans le Proslogion, pouvoir pécher n’est pas le libre arbitre ni une partie de la liberté, car le libre arbitre est la liberté de choisir ceci ou cela dans ce qui mène à la fin.

 

[4035] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod laudabilitas non dependet essentialiter a potestate peccandi sed a voluntate adhaerente bono: alias virtuosus, in quo est minor mobilitas ad peccandum, esset minus laudabilis in actu suo, quam carens virtute et bonum operans. Sed potestas peccandi est signum laudabilitatis respectu laudantium, inquantum ostendit non coacte voluntatem bono adhaerentem.

4. Pouvoir être loué ne dépend pas essentiellement du pouvoir de pécher, mais de la volonté qui adhère au bien, autrement, le vertueux, chez qui existe une moindre mobilité en vue de pécher, serait moins louable pour son acte que celui à qui la vertu fait défaut et qui fait le bien. Mais le pouvoir de pécher est un signe de la louange à adresser, du point de vue de ceux qui louent, dans la mesure où il montre que la bonté s’attache au bien sans y être forcée.

 

 

 

 

Articulus 2 [4036] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 tit. Utrum Daemones possint bonum facere

Article 2 – Les démons peuvent-ils faire le bien ?

 

[4037] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Daemones possint bonum facere et non sint obstinati in malo. Natura enim intellectualis ordinata est ad beatitudinem, cujus facta est capax. Sed in Daemonibus manet natura post peccatum. Ergo non sunt adeo obstinati quin possint bonum velle et beatitudinem consequi.

 

1. Il semble que les démons puissent faire le bien et ne soient pas obstinés dans le mal. En effet, la nature intellectuelle a été ordonnée à la béatitude, dont elle a été rendue capable. Or, chez les démons, la nature demeure après le péché. Ils ne sont donc pas obstinés au point qu’ils ne puissent vouloir le bien et obtenir la béatitude.

 

[4038] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Dionysius dicit, quod Daemones bonum appetunt, ut esse vivere et intelligere. Sed bona appetendo habet quis bonam voluntatem. Ergo videtur quod Daemones bonam voluntatem habere possint.

2. Denys dit que les démons désirent le bien, comme être, vivre et intelliger. Or, quelqu’un a une volonté bonne du fait qu’il désire des biens. Il semble donc que les démons puissent avoir une volonté bonne.

 

[4039] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, synderesis in Daemonibus non est extincta: alias vermem conscientiae non haberent: sed actus synderesis est remurmurare malo; hoc autem bonum est. Non ergo omnis eorum actus malus est.

3. La syndérèse n’est pas éteinte chez les démons, autrement ils n’auraient pas le ver de la conscience. Or, reprocher le mal est un acte de la syndérèse ; cela est cependant bon. Tous leurs actes ne sont donc pas mauvais.

 

[4040] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, Jac. 1 dicitur, quod Daemones credunt et contremiscunt. Sed utrumque horum bonum est. Ergo eorum aliquis bonus est actus.

4. Les démons croient et frémissent. Or, ces deux choses sont bonnes. Un de leurs actes est donc bon.

 

[4041] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, omni actu peccati aliquis in malitia crescit, et in merito majoris poenae. Si ergo Daemones omni actu suo peccant, videtur, quod poena eorum in infinitum crescat, cum obstinatio reatum poenae non tollat: aliter enim ex sua malitia commodum reportarent. Ergo poena eorum in infinitum crescit, quod est inconveniens.

5. On croît en malice et en mérite d’une peine plus grande par tout acte de péché. Si donc les démons pèchent par tous leurs actes, il semble que leurs péchés croissent à l’infini, puisque l’obstination n’enlève pas la culpabilité de la peine ; en effet, ils tireraient un avantage de leur malice. Leur peine augmente donc à l’infini, ce qui est inapproprié.

 

[4042] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Augustinus, dicit: Daemones nec mala voluntate carere possunt, nec poena. Sed ex mala voluntate nunquam procedit nisi actus malus. Ergo videtur quod omnis eorum actus malus sit.

Cependant, [1] Augustin dit : « Ni la volonté mauvaise ni la peine ne peuvent faire défaut aux démons. » Or, d’une volonté mauvaise, ne peut provenir qu’un acte mauvais. Il semble donc que tous leurs actes soient mauvais.

 

[4043] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut Angeli per conversionem effecti sunt boni, ita Daemones per aversionem facti sunt mali. Sed Angeli beati malum facere non possunt, ut prius dictum est. Ergo nec Daemones bonum.

[2] De même que les anges sont devenus bons par la conversion, de même les démons sont-ils devenus mauvais par l’aversion. Or, les anges bienheureux ne peuvent faire le mal, comme on l’a dit plus haut. Donc, ni les démons faire le bien.

 

[4044] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in Daemone est natura bona a Deo creata, sed voluntas mala: cujus malitiae ipsi sunt causa; et ideo omnis actus naturae eorum bonus est, sed actus voluntatis eorum est malus. Actum autem malum contingit esse dupliciter; aut quantum ad substantiam actus, sicut malus actus voluntatis est fornicari vel mentiri; aut quantum ad modum agentis, sicut cum quis appetitu laudis dat eleemosynas. Possunt ergo Daemones aliquem bonum actum ex genere facere, nullo tamen modo bona voluntate: cujus obstinationis ratio diversimode assignatur. Quidam enim dicunt, quod liberum arbitrium Angeli medium est inter divinum et humanum in hoc quod divinum immobile est ante electionem et post, humanum vero mobile ante et post; angelicum vero mobile ante sed immobile post. Sed haec ratio supponit illud cujus causa quaeritur, scilicet immobilitatem post Angelorum electionem. Et praeterea secundum hoc non posset assignari ratio confirmationis et obstinationis hominum defunctorum. Alia ratio assignatur, quia cum Angelus sit indivisibilis, ad quodcumque se convertit, totaliter convertitur. Sed haec videtur insufficiens: quia quamvis sit indivisibilis in essentia, est tamen divisibilis virtute, secundum quod virtus ejus ad multa se extendit, et hoc est secundum objecta; et secundum quod magis et minus alicui se applicat, et hoc est secundum intensionem et remissionem actus. Unde non oportet quod sua operatio procedat ab eo secundum totam suam virtutem, cum sit dominus sui actus. Alia ratio sumitur per hoc quod homo per alterum cecidit; unde decuit quod haberet reparatorem, per quem resurgeret: Angelus vero per seipsum: et ideo impossibile est ejus ruinam reparari: quia per se non potuit resurgere, nec decuit alium reparatorem habere. Sed hoc etiam non videtur sufficiens: quia per se vel per alium cadere, sunt circumstantiae peccati, quae in infinitum aggravare non possunt, ut peccato recuperabilitas auferatur. Et praeterea etiamsi homo nunquam reparatus esset, non tamen propter hoc obstinatus esset, ut patet in infidelibus, qui reparationis beneficium non consequuntur, quorum non omnes actus peccata sunt, ut infra dicetur, dist. 31: et ita etiamsi casus Daemonis sit irreparabilis, non ex hoc sequitur obstinatio voluntatis in malo qualis in ipso est. Alia ratio est, quia Angelus peccavit contra deiformem intellectum; homo autem contra dictamen rationis, ut patet ex Dionysio; et ideo peccatum Angeli fuit multo gravius et irrecuperabilius: quia ratio est intellectus quasi obumbratus, secundum quod dicit Isaac in Lib. de definitionibus, quod ratio oritur in umbra intelligentiae. Sed hoc etiam non videtur sufficiens; quia intellectus angelicus et ratio humana non improportionabiliter distant, sicut recuperabile et irrecuperabile; cum utrumque finitum sit. Alia ratio assignatur, quia natura hominis tota corrupta est per peccatum ejus in quo originaliter erat, non autem tota natura angelica; unde magis indigebat reparatione humana natura quam angelica. Sed hoc non videtur sufficiens: quia, secundum hoc, si primo homine non peccante, aliqui de filiis ejus peccassent, eorum peccatum irreparabile foret. Et praeterea in quolibet Angelo est natura secundum speciem ab alio differens; et ideo eo peccante tota natura suae speciei vitiata est. Et ideo oportet aliter dicere, ut inveniatur eadem ratio obstinationis in hominibus damnatis et in Angelis peccantibus: quia, secundum Damascenum, quod est in Angelis casus, hoc est in hominibus mors. Dicendum est ergo, quod sicut impossibile est a voluntate indeclinabiliter adhaerente recto fini procedere opus peccati; ita e contrario impossibile est a voluntate adhaerente inconvertibiliter perverso fini aliquod rectum opus provenire. Peccatum autem voluntatis contingit dupliciter circa finem; vel ex passione deducente rationem ab actuali consideratione recti finis; et talis peccator poenitens est passione cessante; vel ex malitia, quae, secundum philosophum in 7 Ethic., est corruptiva finis. Dicitur enim ex malitia peccare qui ex electione pravi finis peccat, eo quod qualis est secundum habitum, talis finis videtur ei; ut qui habet habitum luxuriae, delectationem veneream sibi ponit finem. Et cum error circa finem in operabilibus sit sicut error circa prima principia in speculativis, circa quae errantem non contingit ex aliis magis notis dirigi; oportet quod sic peccans sit impoenitens, ut dicit philosophus ibidem. Ergo de peccato nullus potest poenitere, nisi vel passione cessante, vel habitu remoto, quo malum finem eligebat. Removeri autem habitum non est possibile nisi in eo qui est in statu viae et mutabilitatis. Unde quandocumque aliquis devenit ad terminum viae, non potest deflecti ab eo fine cui adhaesit, sive sit bonus sive malus. Finis autem viae hominis est mors sua; finis autem Angeli est terminus electionis suae, qua bono adhaesit vel malo. Unde sicut homines post mortem in bono confirmantur vel in malo; ita et Angeli post conversionem vel aversionem. Datur autem homini longior via quam Angelo, quia erat magis a Deo distans, et oportebat quod in ejus cognitionem inquirendo perveniret; Angelus autem statim deiformi intellectu sine inquisitione in divina pervenire potuit.

Réponse. Chez le Démon, la nature bonne a été créée par Dieu, mais [add. non] non la volonté mauvaise, dont la malice est causée par eux ; aussi tout acte de leur nature est-il bon, mais l’acte de leur volonté est-il mauvais. Or, un acte peut être mauvais de deux manières : soit par la substance de l’acte, comme forniquer et mentir sont des actes mauvais de la volonté ; soit par la manière de celui qui agit, comme lorsqu’on fait l’aumône par désir de louange. Les démons peuvent donc accomplir un acte bon par son genre, mais aucunement par une volonté bonne. La raison de cette obstination est diversement assignée. En effet, certains disent que le libre arbitre de l’ange tient le milieu entre [le libre arbitre] divin et [le libre arbitre] humain, du fait que [le libre arbitre] divin est immobile avant et après son choix, que [le libre arbitre] humain est mobile avant et après, mais que [le libre arbitre] angélique est mobile avant mais immobile [après le choix]. Mais ce raisonnement suppose ce dont la cause est recherchée : l’immobilité après le choix des anges. De plus, on ne pourrait de cette manière assigner de raison pour la confirmation et l’obstination des hommes défunts. Une autre raison est donnée : puisque l’ange est indivisible, tout ce à quoi il se convertit, il s’y convertit en totalité. Mais cet argument semble insuffisant, car, bien que [l’ange] soit indivisible dans son essence, il est cependant divisible en sa puissance, selon que sa puissance porte sur plusieurs choses ‑ c’est là [être divisible] selon les objets ‑, et qu’elle s’applique plus ou moins à quelque chose ‑ c’est là [être divisible] selon l’intensité et le relâchement d’un acte. Il n’est donc pas nécessaire que son opération vienne de lui selon toute sa puissance, puisqu’il est maître de son acte. Une autre raison est tirée de ce que l’homme est tombé à cause d’un autre ; par conséquent, il convenait qu’il ait un réparateur, par qui il se relèverait. Mais l’ange [est tombé] par lui-même ; aussi est-il impossible que sa déchéance soit réparée, car il ne pouvait se relever par lui-même et il ne convenait pas qu’il ait un autre réparateur. Mais cela non plus ne semble pas suffisant, car tomber par soi ou par un autre sont des circonstances du péché qui ne peuvent l’aggraver à l’infini, au point où la possibilité d’en récupérer soit enlevée. De plus, même si l’homme n’avait jamais été rétabli, il n’aurait pas été obstiné à cause de cela, comme cela ressort chez les infidèles, qui n’obtiennent pas le bienfait de la réparation, mais dont tous les actes ne sont pas des péchés, comme on le dira plus loin, d. 31. Ainsi, même si la chute du démon est irréparable, il n’en découle pas une l’obstination dans le mal qui existe chez lui n’en découle pas. Une autre raison est que l’ange a péché contre son intelligence déiforme, mais l’homme contre l’ordre de la raison, comme cela ressort de Denys ; aussi le péché de l’ange était-il beaucoup plus grave et irrécupérable, car la raison est une intelligence pour ainsi dire couverte d’ombre, selon ce que dit Isaac dans le livre Sur les définitions, que la raison apparaît dans l’ombre de l’intelligence. Mais cela non plus ne paraît pas suffisant, car l’intelligence angélique et la raison humaine ne sont pas éloignées sans proportion, comme ce qui est récupérable et ce qui ne l’est pas, puisque les deux sont finies. Une autre raison est donnée : la nature humaine a été tout entière corrompue par le péché de celui en qui elle se trouvait originellement, mais non la nature angélique tout entière. Aussi la nature humaine avait-elle un plus grand besoin de réparation que la nature angélique. Mais cela ne paraît pas suffisant, car, d’après cela, si le premier homme n’avait pas péché, mais que certains de ses fils avaient péché, leur péché serait irréparable. De plus, en chaque ange, sa nature existe distincte d’une autre selon l’espèce ; aussi, s’il péchait, la nature entière de son espèce était-elle viciée. Aussi faut-il dire autre chose, pour trouver la même raison de l’obstination chez les hommes damnés et chez les anges pécheurs, car, selon [Jean] Damascène, ce qu’est la chute pour les anges, la mort l’est pour les hommes. Il faut donc dire que, de même qu’il est impossible qu’un acte de péché vienne d’une volonté qui adhère à la fin droite de manière inflexible, de même est-il au contraire impossible qu’un acte bon provienne d’une volonté qui adhère à une fin mauvaise d’une manière qui ne peut être changée. Or, un péché de la volonté par rapport à la fin survient de deux manières : soit par la passion qui écarte la raison de la considération actuelle de la fin droite, et un tel pécheur se repent lorsque la passion cesse ; soit par la malice, qui, selon le Philosophe, Éthique, VII, corrompt la fin. En effet, on dit que celui qui pèche par choix d’une mauvaise fin pèche par malice, du fait que tel il est selon l’habitus, telle la fin lui apparaît, de sorte que celui qui a l’habitus de la luxure se donne le plaisir sexuel comme fin. Et comme l’erreur sur la fin en matière d’action est comme l’erreur sur les principes en matière spéculative, celui qui erre sur ceux-ci ne pouvant pas être dirigé par d’autres [principes] plus connus, il faut nécessairement que celui qui pèche ainsi ne se repente pas, comme le dit le Philosophe au même endroit. Personne ne peut donc se repentir du péché à moins que ne cesse la passion ou que l’habitus ne soit enlevé, par lequels il choisissait une mauvaise fin. Or, l’enlèvement d’un habitus n’est possible que chez celui qui est en état de cheminement et susceptible de changement. Aussi quelqu’un arrive-t-il parfois au terme de sa vie et ne peut-il être détourné de la fin à laquelle il a adhéré, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Or, le terme de la vie de l’homme est sa mort, mais la fin de l’ange est le terme de son choix, par lequel il a adhéré au bien ou au mal. De même, donc, que les hommes après la mort sont confirmés dans le bien ou dans le mal, de même aussi les anges le sont-ils après leur conversion ou leur aversion. Mais un plus long chemin est donné à l’homme qu’à l’ange parce qu’il était plus éloigné de Dieu et qu’il luivfallait parvenir à sa connaissance en cherchant ; mais l’ange pouvait aussitôt parvenir à la réalité divine par son intelligence déiforme et sans recherche.

 

[4045] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in Daemonibus remanet naturalis potentia ad bonum, ut remota et indisposita et per contrarium habitum depravata, qua possent benefacere, si vellent; sed velle non possunt, quia habitus malitiae ab ejus voluntate removeri non potest, quia jam in statu viae non est.

1. Chez les démons, la puissance naturelle pour le bien demeure, éloignée, sans disposition et viciée par un habitus contraire, mais dont ils pourraient bénéficier, s’ils le voulaient. Mais ils ne peuvent pas le vouloir, car l’habitus de la malice ne peut être enlevé de sa volonté, puisqu’il ne se trouve plus dans en état de cheminement.

 

[4046] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum in Angelis natura sit bona, oportet quod naturalis appetitus eorum bonus sit; qui tamen per circumstantias depravatur, quas apponit deliberativa voluntas, inquantum volunt esse et vivere sub tali deformitate peccati, sicut luxuriosus desiderat vivere in sua turpi delectatione.

2. Puisque la nature est bonne chez les anges, il faut que leur appétit naturel soit bon ; il est cependant vicié par des circonstances que sa volonté délibérée ajoute, dans la mesure où ils veulent exister et vivre avec cette difformité du péché, comme l’homme luxurieux désire vivre dans son plaisir honteux.

 

[4047] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum quosdam synderesis in Daemonibus non remurmurat culpae, sed poenae; et in hoc magis peccant, ordinationi divinae justitiae renitentes. Sed hoc non videtur verum, quia impossibile est quod aliquid non renitatur suo contrario. In synderesi autem sunt universalia principia juris naturalis; unde oportet quod remurmuret omni ei quod contra jus naturale fit. Sed tamen istud murmur est actus naturae. In Daemonibus enim voluntas perversa repugnat, secundum quam claudunt suas virtutes inspectivas ab omni consideratione, ut dicit Dionysius.

3. Selon certains, la syndérèse, chez les démons, ne reproche pas la faute, mais la peine ; et ils pèchent ainsi encore plus, en résistant à ce qu’a ordonné la justice divine. Mais cela ne semble pas vrai, car il est impossible que quelque chose ne résiste pas à son contraire. Or, dans la syndérèse, se trouvent les principes universels du droit naturel. Il est donc nécessaire que [la syndérèse] reproche tout ce qui a été fait de contraire au droit naturel. Cependant, ce reproche est un acte de la nature. En effet, chez les démons, s’oppose une volonté perverse, selon laquelle ils empêchent leurs puissances d’examen de toute considération, comme le dit Denys.

 

[4048] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis isti actus in se boni sint, non tamen bene fiunt: quia coacte et non ex electione bonum quodcumque operantur.

4. Bien que ces actes soient en eux-mêmes bons, ils ne sont cependant pas bien accomplis, car [les anges mauvais] accomplissent tout ce qui est bien par coercition, et non par choix.

 

[4049] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quidam dicunt, quod eorum culpa et poena crescere potest usque ad diem judicii. Sed hoc non videtur verum: quia cum non sint in statu viae, sicut non in bonum, ita nec in pejus mutari possunt. Unde dicendum, quod eorum culpa vel superbia dicitur crescere, non quantum ad intensionem malitiae, sed quantum ad multiplicitatem actus. Poena etiam essentialis non crescit, sed accidentalis, quae est ex multitudine damnatorum, sicut est etiam de praemio bonorum Angelorum.

5. Certains disent que leur faute et leur peine peuvent augmenter jusqu’au jour du jugement. Mais cela ne semble pas vrai, car, n’étant pas en état de cheminement, ils ne peuvent être changés pour le bien ni pour le pire. Il faut donc dire qu’on parle de leur faute ou de leur orgueil qui augmentent, non pas par l’intensité de leur malice, mais par la multiplicité des actes. La peine essentielle n’augmente pas non plus, mais [la peine] accidentelle, qui vient de la multitude des damnés, comme elle fait partie de la récompense des anges bons.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La connaissance des démons]

 

Prooemium

Prologue

 

[4050] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 pr. Deinde quaeritur de cognitione Daemonum; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum Daemones vigeant acumine scientiae; 2 de divinatione quae per eos fit.

On s’interroge ensuite sur la connaissance des démons. À ce sujet, deux questions sont posées : 1. Les démons atteignent-ils le sommet de la connaissance ? 2. À propos de la divination qui se réalise par eux.

 

 

 

 

Articulus 1 [4051] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 tit. Utrum Daemones sint acutae scientiae

Article 1 – Les démons ont-ils une science pénétrante ?

 

[4052] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Daemones non sint acuti scientia, sicut in littera dicitur. Sicut enim dicit Dionysius: malum Daemonis est furor irrationalis, amens concupiscentia, et phantasia proterva. Haec autem omnia habitudinem cognitionis important. Ergo videtur quod scientiae acumine non polleant.

1. Il semble que les démons n’aient pas une science pénétrante, comme on le dit dans le texte. En effet, ainsi que le dit Denys, « le mal du démon est une fureur irrationnelle, une concupiscence insensée et une imagination impétueuse ». Or, toutes ces choses comportent un rapport avec la connaissance. Il semble donc qu’ils ne jouissent pas d’une science pénétrante.

 

[4053] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum philosophos natura substantiarum intellectivarum perficitur intellectu et voluntate. Sed sicut voluntas perficitur per appetitum boni, ita intellectus per cognitionem veri. Cum ergo voluntas eorum non possit in bonum, videtur quod nec intellectus in verum.

2. Selon les philosophes, la nature des substances intellectuelles se réalise par l’intelligence et la volonté. Or, de même que la volonté est perfectionnée par l’appétit du bien, de même l’intelligence l’est-elle par la connaissance du vrai. Puisque leur volonté ne peut pas tendre au bien, il semble donc que leur intelligence non plus ne puisse pas [tendre] vers le vrai.

 

[4054] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, revelatio supernorum spirituum fit per illuminationem. Sed Daemones cum sint in perpetuis tenebris, illuminari non possunt. Ergo nec aliqua cognoscere possunt revelatione bonorum Angelorum.

3. La révélation venant des esprits supérieurs se réalise par une illumination. Or, les démons, puisqu’ils se trouvent dans les ténèbres pour l’éternité, ne peuvent être illuminés. Ils ne peuvent donc connaître certaines choses par une révélation venant des anges bons.

 

[4055] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, cognitio per experientiam longi temporis est accipientis scientiam a rebus; quia ex multis memoriis fit unum experimentum, ut in principio metaphysicae dicitur; memoria vero a sensu oritur. Angeli autem cognitio non est ex rebus accepta. Ergo per experientiam longi temporis cognitionis acumen non habent.

4. Celui qui reçoit la science à partir des choses connaît par une longue expérience, car une seule expérience est constituée de plusieurs mémoires, comme il est dit au début de la Métaphysique, mais la mémoire vient du sens. Or, la connaissance de l’ange ne vient pas des choses. Ils n’ont donc pas une science pénétrante [acquise] par une longue expérience.

 

[4056] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod in littera auctoritatibus sanctorum probatur: quod etiam eorum nomen ostendit, quia Daemones dicuntur quasi sapientes.

Cependant, [1] ce qui est démontré dans le texte par des autorités des saints va en sens contraire, ce que leur nom même montre, car « démons » signifie « sages ».

 

[4057] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 s. c. 2 Item Dionysius dicit: data autem angelica dona nequaquam mutata esse dicimus, sed manere integra et splendidissima. Sed inter alia attributa naturalia Angelorum unum fuit perspicacitas intelligentiae. Ergo hoc adhuc in eis manet.

[2] Denys dit : « Nous disons que les dons angéliques n’ont jamais été changés, mais qu’ils demeurent complets et resplendissants au plus haut point. » Or, parmi les autres attributs naturels des anges, l’un était la perspicacité de leur intelligence. Cela demeure donc encore chez eux.

 

[4058] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum peccatum non tollat naturam, sed tantum diminuat habilitatem ad bonum, secundum quod facit magis a gratia distare, oportet in Daemonibus lumen intellectuale perspicuum remanere, quia natura eorum intellectualis est. Cognitio autem eorum de rebus est duplex. Quaedam enim sunt quorum cognitio per causas naturales vel signa haberi nondum potest; et talia non nisi revelatione supernorum spirituum cognoscunt. Quaedam vero sunt quorum cognitio per naturam haberi potest; et hoc dupliciter: vel per causas determinatas ad effectus naturales; et talia cognoscunt per subtilitatem naturae suae, inquantum in eis resplendent similitudines totius ordinis universi; vel per aliqua signa, ex quibus ut in pluribus potest alicujus cognitio haberi, sicut medici prognosticantur de sanitate vel de morte; et talia cognoscunt per experientiam temporum, secundum quod talibus signis pluries tales effectus concurrerunt.

Réponse. Puisque le péché n’enlève pas la nature, mais en diminue seulement l’aptitude au bien en l’éloignant davantage de la grâce, il est nécessaire qu’une lumière intellectuelle pénétrante demeure chez les démons, car leur nature est intellectuelle. Or, leur connaissance des choses est double. En effet, il existe certaines choses dont la connaissance ne peut être obtenue par des causes ou des signes naturels ; [les anges] ne peuvent connaître ces choses que par une révélation venant des esprits supérieurs. Mais il y a des choses dont la connaissance peut être obtenue par la nature, et cela, de deux manières : soit par des causes déterminées à des effets naturels, et [les anges] connaissent ces choses par la subtilité de leur nature, pour autant que brillent en eux les ressemblances de l’ordre entier de l’univers ; soit par des signes, à partir desquels la connaissance peut être obtenue dans la majorité des cas, comme les médecins font un pronostic de la santé ou de la mort, et [les anges] connaissent de telles choses par une longue expérience, selon que ces effets sont survenus plusieurs fois avec de tels signes.

 

[4059] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod furor et concupiscentia et phantasia non sunt in Daemonibus proprie, sed metaphorice, cum pertineant ad sensitivam partem, quae non est in Angelis. Omnis enim defectus animae qui in nobis accidit, vel est ex phantasia quantum ad cognitionem, cujus proprium est falsitas, secundum philosophum, vel ex passionibus irascibilis et concupiscibilis quantum ad affectionem: et ideo voluntas Daemonum inordinate detestans et appetens aliquid, dicitur furor et concupiscentia; et intellectus suus deordinatus, dicitur phantasia. Haec autem deordinatio intellectus est ex prava voluntate: et ideo dicitur phantasia proterva, quia protervus est qui pertinaciter verum impugnat. Irrationalitas autem et amentia, furor et concupiscentia important obliquitatem voluntatis a recto judicio intellectus vel rationis; et ignorantiam non speculationis, sed electionis, secundum quam omnis malus est ignorans.

1. La fureur, la concupiscence et l’imagination n’existent pas à proprement parler chez les démons, mais de manière métaphorique, puisqu’elles se rapportent à la partie sensible, qui n’existe pas chez les anges. En effet, toute déficience de l’âme chez nous vient soit de l’imagination, pour ce qui est de la connaissance, son propre étant la fausseté, selon le Philosophe ; soit des passions de l’irascible et du concupiscible, pour ce qui est de la partie affective. C’est pourquoi la volonté des démons, qui déteste et désire quelque chose de manière désordonnée, est appelée fureur et concupiscence, et son intelligence désordonnée est appelée imagination. Or, ce désordre de l’intelligence vient d’une volonté mauvaise. C’est pourquoi l’imagination est dite impétueuse, car l’impétueux est celui qui combat le vrai avec entêtement. Or, le caractère irrationnel et insensé, la fureur et la concupiscence, comportent une déviation de la volonté par rapport au jugement droit de l’intelligence ou de la raison, et une ignorance, non pas en matière de spéculation, mais en matière de choix, [ignorance] selon laquelle tout méchant est un ignorant.

 

[4060] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas est domina sui actus magis quam intellectus, qui ipsa rei veritate compellitur; et ideo secundum actum voluntatis homo dicitur malus vel bonus, quia actus voluntatis est actus hominis, quasi in ejus potestate existens; non autem secundum actum intellectus, cujus ipse non est dominus.

2. La volonté est davantage maîtresse de son acte que l’intelligence, qui est forcée par la vérité même d’une chose. C’est pourquoi l’homme est appelé mauvais ou bon selon l’acte de sa volonté, car l’acte de la volonté est l’acte de l’homme, pour autant qu’il est en son pouvoir ; mais [il ne l’est pas] selon l’acte de l’intelligence, dont il n’est pas maître.

 

[4061] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod revelatio supremorum spirituum facta Daemonibus, non est per modum illuminationis, ita quod lumen intellectuale Daemonis vigoretur per applicationem claritatis luminis angelici, sed per modum locutionis; ita quod sibi exponuntur cognoscibilia quaedam per modum quo prius non exponebantur, sicut infra patebit, dist. 11.

3. La révélation des esprits supérieurs faite aux démons ne se fait pas par mode d’illumination, de sorte que la lumière intellectuelle du démon soit renforcée par l’application de l’éclat de la lumière angélique, mais par mode de parole, de sorte que lui sont présentés certains objets de connaissance d’une manière dont ils n’étaient pas présentés auparavant, comme cela ressortira plus loin, d. 11.

 

[4062] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis cognitionem a rebus non accipiat Daemon, tamen acuitur ejus scientia per longitudinem temporis: per speciem enim rei quam habet innatam cognoscit rem, et ea quae in re sunt; sed antequam determinetur causa contingens, et praecipue ad utrumlibet, non est in ea effectus ejus, unde non potest in ipsa cognosci; qui tamen, cognita ipsa, cognoscitur quando jam ad effectum determinata est.

4. Bien que le démon ne tire pas sa connaissance des choses, sa science devient cependant plus pénétrante sur une longue durée. En effet, il connaît une chose et ce qui existe en elle par une espèce qu’il possède de manière innée. Mais avant que ne soit déterminée une cause contingente, surtout par rapport à deux choses [possibles], l’effet n’existe pas en elle ; il ne peut donc être connu en elle. Une fois la chose connue, il est cependant connu qu’elle était déjà déterminée à un effet.

 

 

 

 

Articulus 2 [4063] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 tit. Utrum per Daemones possit fieri divinatio

Article 2 – La divination peut-elle être réalisée par les démons ?

 

[4064] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod per Daemones divinatio fieri non possit. Praenuntiatio enim futurorum, divinitatis est signum: unde dicitur Isaiae 41, 23: ventura quoque annuntietis, et dicemus, quod dii estis. Sed Daemones sunt omnino divinitatis expertes. Ergo per eos divinatio de futuris fieri non potest.

1. Il semble que la divination ne puisse être réalisée par les démons. En effet, l’annonce du futur est un signe de la divinité. Aussi est-il dit dans Is 41, 23 : Vous annoncerez aussi ce qui va venir, et nous dirons que vous êtes des dieux. Or, les démons sont tout à fait dépourvus de divinité. La divination du futur ne peut donc être réalisée par eux.

 

[4065] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, bonorum prophetarum est veritatem de futuris praedicere, ut dicitur Hierem. 28, quod iste est propheta quem misit dominus, cujus verbum evenit. Si ergo homines virtute Daemonum vera de futuris divinando praenuntiant, videtur quod qui per revelationem Daemonum prophetant, veri prophetae dicendi sint.

2. C’est le propre des bons prophètes de prédire la vérité à propos du futur, comme il est dit en Jr 28, que le prophète dont la parole s’accomplit est celui que le Seigneur a envoyé. Si donc, des hommes annoncent des choses vraies à propos du futur par la puissance des démons en pratiquant la divination, il semble que ceux qui prophétisent par la révélation des démons doivent être appelés de vrais prophètes.

 

[4066] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, non est cognitio rei nisi per speciem ejus. Sed species eventus futuri non potest per Daemonem in anima fieri, nisi Daemon species causaret. Ergo videtur quod per ipsum divinatio fieri non possit.

3. Il n’y a de connaissance d’une chose que par son espèce. Or, une espèce d’un événement futur ne peut être réalisée dans l’âme par un démon, que si le démon cause l’espèce. Il semble donc que la divination ne puisse se réaliséer par lui.

 

[4067] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, mentem hominis nullus formare potest, nisi solus Deus, ut Augustinus in littera dicit. Sed non potest cognitio alicujus accipi nisi mens alicujus aliquo lumine formetur. Ergo videtur quod per Daemones praecognitio futurorum accipi non possit.

4. Personne ne peut donner forme à l’esprit de l’homme que Dieu seul, comme Augustin le dit dans le texte. Or, il ne peut y avoir connaissance d’une chose que si l’esprit de quelqu’un reçoit une forme par une certaine lumière. Il semble donc que la connaissance du futur ne puisse être reçue des démons.

 

[4068] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 5 Sed contra, in Daemonibus est potentior virtus intellectiva quam in hominibus. Sed homo potest alteri denuntiare quod scit futurum. Ergo et Daemones. Sciunt autem quaedam futura, cum etiam quorumdam futurorum cognitio ab hominibus habeatur, ut ab astrologis et medicis. Ergo per Daemones divinatio fieri potest.

5. La puissance intellective est plus grande chez les démons que chez les hommes. Or, un homme peut annoncer à un autre qu’il connaît le futur. Donc, les démons aussi. Ils connaissent certaines choses à venir, puisqu’une certaine connaissance du futur peut être obtenue par les hommes, comme par les astrologues et les médecins. La divination peut donc être réalisée par les démons.

 

[4069] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, quando anima retrahitur a motibus exterioribus circa corpus, ut in somno, quorumdam futurorum praecognitionem accipit: non enim omnino negandum est divinationem fieri in somniis, ut dicit philosophus. Sed Daemones circa regimen corporis non occupantur. Ergo videtur quod futurorum cognitionem et habere, et aliis conferre possint.

6. Lorsque l’âme se retire des mouvements corporels extérieurs, comme dans le sommeil, elle reçoit une certaine connaissance du futur. En effet, il ne faut pas nier complètement qu’une divination se produit dans les songes, comme le dit le Philosophe. Or, les démons ne s’occupent pas de diriger le corps. Il semble donc qu’ils puissent avoir une connaissance du futur et la donner à d’autres.

 

[4070] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod futurorum quaedam sunt determinata in suis causis, quaedam vero non habent causas determinatas, sicut quae sunt ad utrumlibet. Quilibet autem effectus, secundum quod in causa sua determinatur, in ea potest cognosci. Si enim determinatur in ea ut ex qua necessario contingat, certitudinarie cognoscetur; sicut sunt ea quae circa motum caeli accidunt, ut ortus et occasus, et eclipses, et conjunctiones luminarium: quae omnia multo melius Daemones sciunt per species causarum innatas, quam astrologus per artem. Si autem determinentur in causis ut ex quibus frequenter contingant, cum potestate tamen deficiendi in minori parte propter impedimentum ex parte agentis, vel ex parte recipientis actionem; eorum praecognitio non certitudinalis, sed conjecturalis haberi potest; et hoc modo astrologus praedicit quaedam futura quae consequuntur ex motibus caeli in istis inferioribus, quae tamen impediri possunt propter defectum inferiorum causarum; et haec praecognitio tanto magis ad certitudinem accedit, quanto ad unum effectum plures causae concurrentes cognoscuntur, et quanto virtus causae melius scitur; unde Daemones subtilissimi sunt in talium futurorum praecognitione. Sed ea quae non habent causas determinatas, ut quae sunt ad utrumlibet, vel in minori parte, non possunt cognosci in causis suis, sed in seipsis tantum, ut praesentia sunt: unde eorum praecognitio solius Dei est, cui ab aeterno praesentia sunt, et cui Deus revelare voluerit: et talium futurorum cognitionem nec homines nec Daemones habere possunt, nisi revelatione supernorum spirituum. Ea vero quae ipsi Daemones praecognoscunt, revelare possunt, non quidem objiciendo se animae sicut in speculum, in quo videntur quae in speculo relucent, ut quidam dicunt: quia anima humana, ad minus secundum statum viae, non videt ea quae sunt a materia separata, nisi quatenus ex phantasmatibus in eorum cognitionem venit. Nec iterum species quae sunt in intellectu angelico, sunt proportionatae intellectui humano, cum multo simpliciores sint, et universaliores. Unde sicut species quae sunt in intellectu imaginatio non potest comprehendere, nec sensus species quae sunt in imaginatione; ita nec intellectus humanus, secundum statum viae, species quae sunt in intellectu angelico. Sed Angelus bonus vel malus aliter ea quae cognoscit, revelare potest, scilicet per applicationem luminis sui ad phantasmata, sicut applicatur lumen intellectus agentis, ut ex eis quaedam intentiones in intellectu eliciantur; et quanto lumen fuerit fortius et perfectius, tanto plures et certiores cognitiones elicientur. Et ideo ex phantasmatibus illustratis lumine angelico resultat aliquorum cognitio in intellectu possibili hominis, ad quam eliciendam illustratio intellectus agentis humani non sufficeret, cum lumen ejus sit debilius lumine Angeli.

Réponse. Certaines choses à venir sont déterminées dans leurs causes, mais certaines n’ont pas de causes déterminées, comme celles qui peuvent aller dans un sens ou dans un autre. Or, tout effet, selon qu’il est déterminé dans sa cause, peut être connu en elle. En effet, s’il est déterminé en elle de telle manière qu’il soit produit par elle de manière nécessaire, il sera connu de manière certaine : c’est le cas de ce qui est produit pour le mouvement du ciel, comme le lever, le coucher, les éclipses et les conjonctions des luminaires. Par les espèces innées des causes, les démons les connaissent beaucoup mieux que l’astrologue par son art. Toutefois, s’ils sont déterminés dans leurs causes pour se produire souvent, avec cependant la possibilité de faire défaut dans une minorité de cas en raison d’un empêchement du côté de l’agent ou du côté de ce qui reçoit l’action, leur connaissance anticipée ne sera pas certaine, mais on pourra en avoir [une connaissance] conjecturale. C’est de cette manière que l’astrologue prédit certaines choses à venir qui découlent des mouvements que le ciel exerce sur les réalités inférieures, [choses] qui peuvent cependant être empêchées en raison d’une déficience des causes inférieures. Cette connaissance anticipée s’approche d’autant plus de la certitude qu’est connu un plus grand nombre de causes qui concourent à un seul effet et que la puissance de la cause est mieux connue. C’est pourquoi les démons sont très subtils dans la connaissance anticipée de ces choses à venir. Mais ce qui n’a pas de cause déterminée, comme ce qui peut aller dans un sens ou dans l’autre, ou ce qui se produit dans une minorité de cas, ne peut être connu dans ses causes, mais en soi seulement, tel que cela existe. Aussi la connaissance anticipée de ces choses appartient-elle à Dieu seul, pour qui cela est présent depuis l’éternité, et à celui à qui il aura voulu le révéler. Ni les hommes ni les démons ne peuvent avoir la connaissance de telles choses à venir, sauf par révélation des esprits supérieurs. Mais ce que les démons connaissent d’avance, ils peuvent le révéler, non pas en se plaçant devant l’âme comme un miroir dans lequel est vu ce qui est réfléchi par le miroir, comme certains le disent, car l’âme humaine, du moins dans l’état de cheminement, ne voit ce qui est séparé de la matière que dans la mesure où elle parvient à sa connaissance à partir des fantasmes. De plus, les espèces qui se trouvent dans l’intelligence angélique ne sont pas proportionnées à l’intelligence humaine, puisqu’elles sont beaucoup plus simples et universelles. De même que l’imagination ne peut comprendre les espèces qui se trouvent dans l’intelligence, ni le sens, les espèces qui se trouvent dans l’imagination, de même, dans l’état de cheminement, l’intelligence humaine ne [peut-elle] pas non plus [comprendre] les espèces qui se trouvent dans l’intelligence angélique. Mais l’ange bon ou mauvais peut révéler autrement ce qu’il connaît : par l’application de sa lumière aux fantasmes, comme la lumière de l’intellect agent est appliquée, afin que certaines intentions soient évoquées dans l’intelligence à partir d’eux ; et plus la lumière sera forte et parfaite, plus nombreuses et plus certaines seront les connaissances évoquées. C’est ainsi que la connaissance de certaines choses résulte dans l’intellect possible de l’homme à partir des fantasmes éclairés par la lumière angélique : pour la susciter, l’éclairage de l’intellect agent humain ne suffirait pas, puisque sa lumière est plus faible que la lumière de l’ange.

 

[4071] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod futura secundum quod habent determinationem in causis suis, accedunt ad rationem praesentium, inquantum jam quodammodo sunt determinata in causis suis: et ideo eorum praecognitio non proprie dicitur divinatio; ut quando medicus praedicit sanitatem futuram, et astrologus eclipsim vel pluviam, et aliquod hujusmodi; nisi forte apud eum quem latet ordo causae ad causatum: unde in illis quae omnibus nota sunt, nullus dicit divinationem esse, ut solem oriri cras; sed divinatio proprie est eorum quae causas determinatas non habent: haec enim praecognoscere, solius Dei est, a cujus actus usurpatione, divini vocantur qui futuris praenuntiandis intendunt.

1. Les choses à venir, pour autant qu’elles ont une détermination dans leurs causes, parviennent à la raison de choses présentes, dans la mesure où elles sont, d’une certaine manière, déterminées dans leurs causes. C’est pourquoi leur connaissance anticipée n’est pas appelée à proprement parler une divination, comme lorsque le médecin prédit la santé à venir et l’astrologue, l’éclipse ou la pluie, et quelque chose de ce genre, à moins que ne lui soit caché l’ordre entre la cause et ce qui est causé. Ainsi, pour ce qui est connu de tous, personne ne dit qu’il y a divination, comme le fait que soleil se lèvera demain. Mais, à proprement parler, la divination porte sur ce qui n’a pas de cause déterminée. En effet, connaître à l’avance relève de Dieu seul : c’est par usurpation de son acte que sont appelés divins ceux qui s’appliquent à prédire l’avenir.

 

[4072] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod falsi prophetae distinguuntur a veris quantum ad tria ad minus. Primo quantum ad revelationis auctorem: quia boni prophetae futura praedicunt divino lumine, mediantibus bonis Angelis inspirati; sed falsi prophetae vel sequuntur spiritum suum, nihil videntes, sed mendacia confingentes, vel per revelationem immundi spiritus. Secundo quantum ad intentionem praenuntiationis: quia falsorum prophetarum finis est aliquod lucrum temporale; unde dicitur Ezech. 13, 19: violant me ad populum meum propter pugillum hordei et fragmen panis; vel saltem ipsius Daemonis revelantis intentio perversa est, qui deceptionem intendit: sed prophetarum bonorum tota intentio in rectum finem ordinatur. Tertio quantum ad certitudinem praenuntiatorum: quia bonorum prophetia innititur divinae praescientiae, quae omnium futurorum eventus intuetur; sed praenuntiatio malorum prophetarum innititur praescientiae Daemonum, quae conjecturalis est.

2. Les faux prophètes se distinguent des vrais au moins sur trois points. Premièrement, quant à l’auteur de la révélation, car les bons prophètes prédisent l’avenir par une lumière divine, inspirés par l’intermédiaire des anges bons ; mais les faux prophètes ou bien suivent leur propre esprit, sans rien voir mais en inventant des mensonges, ou bien [suivent] la révélation d’un esprit impur. Deuxièmement, quant à l’intention de l’annonce anticipée, car la fin des faux prophètes est un avantage temporel ; aussi est-il dit dans Ez 13, 19 : Ils me déshonorent devant mon peuple pour une poignée d’orge et un morceau de pain. Ou à tout le moins, l’intention du démon qui révèle est perverse, car il a l’intention de tromper ; mais l’intention des bons prophètes est tout entière tournée vers une fin droite. Troisièmement, quant à la certitude de ce qui est annoncé à l’avance, car la prophétie des bons s’appuie sur la prescience divine, qui voit l’avènement de toutes les choses à venir ; mais l’annonce anticipée des mauvais prophètes s’appuie sur la prescience des démons, qui est conjecturale.

 

[4073] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Daemon potest aliquod ignotum manifestare sine causatione novae speciei, dupliciter: aut ex speciebus in imaginatione servatis, diversimode compositis et divisis, et fortiori lumine illustratis, alias intentiones eliciendo: aut etiam novas species in imaginatione formando, secundum aliquam transmutationem organi corporalis.

3. Le démon peut rendre manifeste quelque chose d’ignoré, sans causer une nouvelle espèce, de deux manières. Soit en tirant d’autres intentions des espèces conservées dans l’imagination, en les composant et en les divisant autrement et en les éclairant d’une lumière plus forte ; soit aussi en formant de nouvelles espèces dans l’imagination par un changement de l’organe corporel.

 

[4074] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod solus Deus format mentem hominis justificando; non tamen solus immediate intellectuali lumine illustrat; nisi intelligatur de lumine connaturali, quod a solo Deo est.

4. Seul Dieu donne forme à l’esprit de l’homme en le justifiant ; cependant, il n’est pas seul à éclairer de manière immédaite d’une lumière intellectuelle, à moins qu’on l’entende d’une lumière connaturelle, qui vient de Dieu seul.

 

[4075] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod astrologi non possunt praenuntiare eventus, nisi quia reducuntur ad motum caeli sicut ad causam, vel per se sicut transmutationes quae accidunt in corporalibus, ut tempestates et sterilitates et pestilentias, et hujusmodi; quae tamen impediri possunt fortioribus motibus supervenientibus, ut dicit philosophus in Lib. de Som. et Vig.: vel per accidens sicut ad transmutationem corporis disponitur animus ad aliquos actus magis quam ad alios, sicut ex naturali complexione quidam sunt proni ad luxuriam vel ad iram, et hujusmodi; non tamen talis dispositio corporis animae necessitatem inducit. Unde in his quae ex libero arbitrio dependent, maxime eorum judicia falluntur. Similiter etiam medici ex signis exterius apparentibus causas inferiores cognoscunt ex quibus sequitur sanitas vel mors, vel semper, vel in majori parte. Et haec omnia Daemones praecognoscere possunt. Non autem omnia futura sunt talia.

5. Les astrologues ne peuvent annoncer à l’avance des événements, à moins qu’ils ne se ramènent au mouvement du ciel comme à leur cause, soit par soi, comme les changements qui se produisent dans les choses corporelles, comme les tempêtes, les disettes, la peste et les choses de ce genre ‑ ils peuvent cependant être empêchés par des mouvements plus forts qui surviennent, comme le dit le Philosophe dans le livre Sur le sommeil et la veille ; soit par accident, comme, par un changement du corps, l’âme est disposée à certains actes plutôt qu’à d’autres : ainsi, en raison de leur complexion naturelle, certains sont enclins à la luxure ou à la colère, et à des choses de ce genre ; cependant, une telle disposition du corps n’entraîne pas de nécessité pour l’âme. Aussi, pour ce qui dépend du libre arbitre, leurs jugements se trompent-ils très souvent. De même aussi les médecins connaissent-ils les causes inférieures à partir de signes extérieurs, dont résulte la santé ou la mort, toujours ou dans la majorité des cas. Tout cela, les démons peuvent le connaître à l’avance. Mais toutes les réalités futures ne sont pas comme cela.

 

[4076] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod divinationes, etiam quae in somniis sunt, reducuntur in aliqua signa vel causas naturales. Hoc autem contingit dupliciter. Uno modo in his quorum causa est in ipso somniante; et hoc contingit dupliciter: vel ita quod ipsum somnium est causa eventus futuri, sicut quando quis propter hoc quod in somno videt, movetur ad aliquid faciendum; vel est signum futuri cujus causa in ipso est, sicut quando quis somniat se comedere dulcia, significatur, quod phlegma dulce in eo dominetur: ex quo medicus potest aliquem eventum futurum conjicere vel morbi vel salutis. Si autem neutro modo se habeat, tunc non est nisi per accidens, sicut contingit per accidens me cogitante de adventu alicujus, illum venire. Alio modo in his quae causam habent extra somniantem; et in his eventus frequenter rei somniatae se habet ad somnium ut per accidens; quandoque tamen somnium est signum eventus futuri. Hoc autem contingit dupliciter. Uno modo ex parte illa qua cognitionem a corpore accipit, inquantum imprimitur in ipsum virtus corporis caelestis: ex motibus enim corporum caelestium relinquuntur quaedam impressiones et motus, quae sunt signa motuum caelestium in corporibus inferioribus: et secundum quod isti motus perveniunt ad imaginationem, figurantur imagines illorum effectuum ad quos disponunt motus caelestes, secundum similitudinem magis vel minus expressam, secundum quod virtus imprimens est fortior vel debilior, et secundum quod virtus recipiens est magis disposita vel minus, et magis quieta ab aliis occupationibus: et propter hoc hujusmodi sentiuntur in dormiendo, quia anima vacat ab exterioribus motibus, et praecipue in nocte, et circa horam digestionis completae: et per hunc modum quaedam animalia praecognoscunt quaedam futura, secundum quod est necessarium ad eorum sustentationem; sicut pisces tempestatem futuram motibus suis praenuntiant, dum de loco ad locum moventur; et similiter etiam in formicis, et multis aliis animalibus, ut ad sensum patet, quorum imaginationes sunt magis quietae quam humanae propter multiplices motus rationis. Alio modo secundum quod anima cognitionem accipit ex influentia luminis substantiae separatae, vel Dei vel Angeli, cui vehementius conjungitur quanto magis ab occupatione corporis cessat: et propter hoc revelationes in somniis fiunt, et in illis praecipue quorum anima corporis affectionibus non subditur: et quanto eorum imaginatio magis obedit intellectui, tanto figurantur in ea expressiores similitudines; et propter hoc virtutes morales multum faciunt ad scientiam, et praecipue virtus castitatis, ut dicit Commentator in 7 Physic.: castitas enim praecipue inter virtutes morales corpus animae obediens reddit.

6. Les divinations, même celles qui ont lieu dans des rêves, se ramènent à certains signes ou causes naturelles. Or, cela se produit de deux manières. D’une manière, lorsque la cause se trouve chez celui qui rêve. Et cela se produit de deux manières : ou bien le rêve lui-même est la cause de l’événement à venir, comme lorsque quelqu’un est mû à faire quelque chose qu’il voit en rêve ; soit cela est le signe d’une chose à venir dont la cause est en lui, comme lorsque quelqu’un rêve qu’il mange un dessert, cela signifie qu’une humeur douce domine chez lui ; à partir de là, le médecin peut conjecturer un événement à venir, soit une maladie, soit la santé. Mais s’il ne s’agit d’aucun des deux cas, cela ne se produit que par accident, comme lorsqu’il arrive par accident, alors que je pense à l’arrivée de quelqu’un, que celui-ci arrive. D’une autre manière, lorsque la cause est extérieure à celui qui rêve. Dans ces cas, la réalisation d’une chose rêvée n’a avec le rêve qu’un rapport accidentel ; parfois, cependant, le songe est le signe d’un événement à venir. Or, cela se produit de deux manières. D’une manière, du fait qu’il tire sa connaissance du corps, dans la mesure où la puissance d’un corps céleste agit sur lui. En effet, à partir des mouvements des corps célestes, certains mouvements et impressions demeurent, qui sont des signes des mouvements célestes dans les corps inférieurs ; selon que ces mouvements parviennent à l’imagination, les effets auxquels disposent les mouvements célestes prennent figure, selon une ressemblance plus ou moins explicite, dans la mesure où la puissance qui agit est plus forte ou plus faible, et selon que la puissance qui reçoit est plus ou moins disposée, et plus ou moins libérée d’autres occupations. C’est pour cette raison que de telles choses sont ressenties dans le sommeil, car l’âme est libérée des mouvements extérieurs, surtout la nuit et à l’heure où la digestion est achevée. De cette manière, certains animaux connaissent certaines choses à venir d’après ce qui est nécessaire à leur alimentation. Ainsi, les poissons annoncent à l’avance par leurs mouvements la tempête à venir, lorsqu’ils vont d’un lieu à un autre. De même en est-il des fourmis et de bien d’autres animaux, comme cela tombe sous le sens, dont les imaginations sont plus paisibles que les imaginations humaines en raison des multiples mouvements de la raison. D’une autre manière, [cela se produit] parce que l’âme reçoit la connaissance de l’influence de la lumière d’une substance séparée, soit Dieu, soit un ange, à qui elle est unie de manière d’autant plus intense que cesse l’occupation corporelle. Pour cette raison, des révélations sont faites dans des rêves, et surtout à ceux dont l’âme n’est pas soumise aux affections du corps. Et plus leur imagination obéit à l’intelligence, plus expressses sont les ressemblances représentées en elle. Pour cette raison, les vertus morales contribuent beaucoup à la science, et surtout la vertu de chasteté, comme le dit le Commentateur dans Physique, VII : en effet, la chasteté surtout, parmi les vertus morales, rend le corps obéissant à l’âme.

 

 

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La puissance de l’action des démons]

 

Prooemium

Prologue

 

[4077] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 pr. Deinde quaeritur de virtute Daemonum in operando; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum possint aliquos veros effectus operari in materia corporali; 2 utrum eorum auxilio et consilio uti liceat.

1. On s’interroge ensuite sur la puissance de l’action des démons. À ce sujet, deux questions sont posées : 1. Peuvent-ils produire de vrais effets dans la matière corporelle ? 2. Est-il permis de recourir à leur aide et à leur conseil ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4078] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 tit. Utrum Daemones possint inducere in materia corporali verum effectum corporalem

Article 1 – Les démons peuvent-ils produire un véritable effet corporel dans la matière corporelle ?

 

[4079] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Daemones verum effectum corporalem inducere nequeant. Quia dicitur 2 Thessal. 2, quod Antichristus veniet in signis mendacibus. Sed tunc maximam potestatem Daemones habebunt. Ergo videtur quod nullo modo possint aliquem effectum verum inducere.

1. Il semble que les démons ne puissent pas produire un véritable effet corporel, car il est dit en 2 Th 2, que l’Antéchrist viendra au milieu de signes mensongers. Or, c’est alors que les démons auront leur plus grand pouvoir. Il semble donc qu’ils ne peuvent aucunement produire un véritable effet.

 

[4080] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, id quod datum est in manifestationem et confirmationem fidei, non debet concedi fidei adversariis. Sed operatio signorum data est ad confirmationem fidei, ut habetur Marci ult.: illi autem profecti praedicaverunt ubique domino cooperante, et sermonem confirmante sequentibus signis. Ergo videtur quod non subsit potestati Daemonum miracula facere.

2. Ce qui a été donné en vue de la manifestation et de l’affermissement de la foi ne doit pas être reconnu aux adversaires de la foi. Or, l’accomplissement de signes a été donné en vue de l’affermissement de la foi, comme on le trouve dans le dernier chapitre de Mc : Or, ceux-ci étant partis, ils prêchèrent partout, avec l’aide du Seigneur, qui appuyait la parole par les signes qui l’accompagnaient. Il semble donc qu’il ne relève pas du pouvoir des démons de faire des miracles.

 

[4081] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, omnis alteratio reducitur in motum localem, ut in 8 Physic., probatur, quorum primus est motus caeli. Sed Daemones motum caeli variare non possunt: quia hoc solius Dei est, ut Dionysius dicit. Ergo videtur quod nullam transmutationem in corporibus inferioribus facere possint de forma in formam.

3. Comme cela est démontré dans Physique, VIII, toute altération se ramène à un mouvement local, le premier étant le mouvement du ciel. Or, les démons ne peuvent modifier le mouvement du ciel, car cela relève de Dieu seul, comme le dit Denys. Il semble donc qu’ils ne puissent réaliser aucun changement d’une forme à une autre forme dans les corps inférieurs.

 

[4082] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, id quod subjacet virtuti corporali, non habet virtutem imprimendi in corpora. Sed Daemones subduntur virtutibus stellarum; unde etiam malefici constellationes determinatas observant ad invocandum Daemones. Ergo videtur quod non habeant virtutem imprimendi in corpora.

4. Ce qui est soumis à la puissance corporelle n’a pas le pouvoir d’agir sur les corps. Or, les démons sont soumis à la puissance des étoiles ; c’est pour cela que les sorciers observent des constellations déterminées pour invoquer les démons. Il semble donc qu’ils n’aient pas la puissance d’agir sur les corps.

 

[4083] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, Daemones non operantur nisi per modum artis. Sed ars non potest dare formam substantialem; unde dicitur in cap. de numeris: sciant auctores alchimiae, species transformari non posse. Ergo nec Daemones formas substantiales inducere possunt.

5. Les démons n’agissent que par mode d’art. Or, l’art ne peut donner une forme substantielle ; aussi est-il dit dans le chapitre Sur les nombres : « Que les auteurs d’alchimie sachent qu’ils ne peuvent transformer les espèces. » Les démons non plus ne peuvent donc pas introduire des formes substantielles.

 

[4084] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Exodi 7, quod magi Pharaonis virtute Daemonum operantes, virgas in serpentes verterunt.

Cependant, [1] dans Ex 7, il est dit que les mages du pharaon, agissant par la puissance des démons, changèrent leurs bâtons en serpents.

 

[4085] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, fortius agit in id quod minus est forte. Sed virtus Daemonis est fortior virtute corporali. Ergo possunt corpora transmutare propria virtute.

[2] Ce qui est plus fort agit sur ce qui est moins fort. Or, la puissance du démon est plus forte que la puissance corporelle. Ils peuvent donc changer les corps par leur propre puissance.

 

[4086] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc potest esse duplex error. Unus fuit gentilium, qui credebant Daemones, quorum virtute magi operabantur, deos esse; et ita per modum creationis posse novos effectus producere: et iste est secundus modus quem ponit in littera Magister. Alius est Avicennae, qui ponit quod materia corporalis multo fortius obedit conceptioni substantiae separatae, quam qualitatibus contrariis agentibus in natura: quia agentia naturalia sunt tantum disponentia ad formam quae est ex influentia substantiae separatae. Unde ad conceptionem substantiae separatae, etiam praeter ordinem motus caeli, sequitur aliquis effectus in inferioribus. Et ponit exemplum de anima humana, ad cujus conceptionem totum corpus movetur vel in libidinem ad imaginationem mulieris amatae, vel ad cadendum ex imaginatione et timore casus; et hic est primus modus qui tangitur in littera, quod materia corporalis deserviat Daemonibus ad nutum. Huic autem positioni contradicitur et a philosophis et a theologis. A philosophis quidem: quia dicunt quod motus caeli est instrumentum intelligentiae moventis; unde non nisi eo mediante potest provenire effectus in inferioribus ab intelligentia. A theologis etiam contra dicitur; quia formae corporales non sunt ex influentia Daemonum, sed ex influentia Dei, qui eas in potentia materiae posuit, et educere in actum potest sine adminiculo alicujus inferioris agentis, secundum quod in actum educuntur secundum cursum naturae ex determinatis agentibus naturalibus. Unde hujus positionis est falsum fundamentum. Et ideo dicendum, quod Daemones virtute propria nullam formam in materiam influere possunt, nec accidentalem nec substantialem; nec reducere eam in actum, nisi adminiculo proprii agentis naturalis: sicut enim artifex non propria virtute, sed virtute ignis appositi calefacit; ita Daemones ad determinata passiva possunt conjungere activa, ut sequatur effectus ex causis quidem naturalibus, sed praeter consuetum cursum naturae, propter multitudinem et vehementiam virtutis activae rerum aggregatarum, et propter habilitatem passivorum: et ideo effectus qui non sunt in potestate alicujus virtutis activae naturalis, producere non possunt, ut suscitare mortuum, vel aliquid hujusmodi, secundum veritatem; sed in praestigiis tantum, ut infra dicetur.

Réponse. À ce sujet, il peut y avoir une double erreur. L’une était celle des païens, qui croyaient que les démons, par la puissance de qui les mages agissaient, étaient des dieux, et ainsi que, par mode de création, ils pouvaient produire de nouveaux effets. C’est là le second mode que présente le Maître dans le texte. L’autre [erreur] est celle d’Avicenne, qui affirme que la matière corporelle obéit à bien plus forte raison à la conception de la substance séparée, qu’aux qualités contraires agissant dans la nature, car les agents naturels ne font que disposer à la forme, qui vient de l’influence de la substance séparée. Aussi, de la conception d’une substance séparée, découle un effet chez les inférieurs, même en dehors de l’ordre du mouvement du ciel. Et il donne l’exemple de l’âme humaine, à la conception de laquelle le corps tout entier est mû soit à un vif désir en imaginant la femme aimée, soit à une chute en imaginant et en craignant la chute. Tel est le premier mode qui est abordé dans le texte, selon lequel la matière corporelle est au service du bon plaisir des démons. Mais cette position est contredite par les philosophes et les théologiens. Par les philosophes, car ils disent que le mouvement du ciel est un instrument de l’intelligence qui meut ; aussi, depuis l’intelligence, l’effet ne peut-il atteindre les inférieurs que par son intermédiaire. Elle est aussi contredite par les théologiens, car les formes corporelles ne viennent pas de l’action des démons, mais de l’action de Dieu, qui les a mises dans la puissance de la matière et peut les amener à l’acte sans l’aide d’un agent inférieur, selon qu’elles sont amenées à l’acte dans le cours de la nature à partir des agents naturels. Cette position a donc un fondement faux. Il faut donc dire que, par leur propre puissance, les démons ne peuvent introduire dans la matière aucune forme, ni accidentelle ni substantielle ; [ils ne peuvent] non plus l’amener à l’acte qu’avec l’aide de l’agent naturel propre : en effet, de même que l’artisan ne réchauffe pas par sa propre puissance, mais par la puissance du feu appliqué, de même, les démons peuvent-ils unir des réalités passives à des réalités actives afin qu’il en découle des effets venus de causes naturelles, mais en dehors du cours habituel de la nature, en vertu de la multitude et de l’intensité de la puissance active des choses assemblées, et en raison de l’aptitude des réalités passives. C’est pourquoi ils ne peuvent pas vraiment produire des effets qui ne viennent pas d’une puissance active naturelle, comme ressusciter un mort ou quelque chose de ce genre, mais seulemenet d’impostures, comme on le dira plus loin.

 

[4087] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tempore Antichristi aliqua vera miracula fient virtute Daemonum, permissione divina, in illis tamen ad quae virtus Daemonis se extendit; tamen dicuntur omnia mendacia ex parte finis, quia ad decipiendum sunt.

1. Au temps de l’Antéchrist, certains miracles véritables seront accomplis par la puissance des démons par permission divine ; cependant, ils ne porteront que sur ce à quoi s’étend la puissance du démon. Cependant, [ces miracles] seront tous appelés des mensonges du point de vue de leur fin, car ils sont accomplis en vue de tromper.

 

[4088] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod signa facta per bonos possunt distingui ab illis quae per malos fiunt, tripliciter ad minus. Primo ex efficacia virtutis operantis: quia signa facta per bonos virtute divina, fiunt in illis etiam ad quae virtus activa naturae se nullo modo extendit, sicut suscitare mortuos, et hujusmodi; quae Daemones secundum veritatem facere non possunt, sed in praestigiis tantum, quae diu durare non possunt. Secundo ex utilitate signorum: quia signa per bonos facta, sunt de rebus utilibus, ut in curatione infirmitatum, et hujusmodi; signa autem per malos facta, sunt in rebus nocivis vel vanis, sicut quod volant in aere, vel reddunt membra hominum stupida, et hujusmodi: et hanc differentiam assignat beatus Petrus in itinerario Clementis. Tertia differentia est quantum ad finem: quia signa bonorum ordinantur ad aedificationem fidei et bonorum morum; sed signa malorum sunt in manifestum nocumentum fidei et honestatis. Et quantum ad modum differunt: quia boni operantur miracula per invocationem divini nominis pie et reverenter; sed mali quibusdam deliramentis, sicut quod incidunt se cultris, et hujusmodi turpia faciunt. Et ita signa per bonos facta, manifeste possunt discerni ab his quae virtute Daemonum fiunt.

2. Les signes accomplis par les bons peuvent être distingués de ceux qui sont accomplis par les méchants au moins de trois manières. Premièrement, en raison de l’efficacité de la puissance qui agit, car les signes accomplis par les bons en vertu de la puissance divine portent aussi sur ce à quoi la puissance active de la nature ne s’étend d’aucune manière, comme ressusciter des morts et les choses de ce genre. Les démons ne peuvent pas vraiment accomplir de telles, mais seulement par des impostures, qui ne peuvent durer longtemps. Deuxièmement, en raison de l’utilité des signes, car les signes accomplis par des bons portent sur des choses utiles, comme la guérison des malades et les choses de ce genre ; mais les signes accomplis par les méchants portent sur des choses nuisibles et vaines, comme voler dans les airs ou immobiliser des membres d’hommes, et des choses de ce genre. C’est cette différence qu’indique Pierre dans l’itinéraire de Clément. La troisième différence concerne la fin, car les signes des bons sont ordonnés à l’édification de la foi et des bonnes mœurs ; mais les signes des méchants visent manifestement à nuire à la foi et à l’honnêteté. Ils diffèrent aussi par leur mode, car les bons accomplissent des miracles par l’invocation pieuse et respectueuse du nom de Dieu ; mais les méchants, par des extravagances, comme ceux qui se jettent sur des couteaux et font des choses honteuses de ce genre. Et ainsi, les signes accomplis par les bons peuvent être clairement distingués de ceux qui sont accomplis par la puissance des démons.

 

[4089] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod talem alterationem praecedit aliquis motus localis, inquantum virtutes activas colligunt, et determinatis passivis apponunt; sed talis motus localis non reducitur in motum caelestem, quia non est secundum aliquam virtutem moventem naturalem, sed inquantum obedit virtuti Daemonis ad motum localem; quod est virtute naturae suae, quae supra corpora potest: non quidem ut aliquam formam influat, sed ut localiter moveat: quia motus localis non est secundum acquisitionem alicujus quod in re sit quae movetur, quia locus est extrinsecus locato.

3. Un mouvement local précède une telle altération dans la mesure où il rassemble des puissances actives et [les] joint à des puissances passives déterminées ; mais un tel mouvement local ne se ramène pas au mouvement céleste, car il n’est pas le fait d’une puissance agissante naturelle, mais il obéit à la puissance du démon sur le mouvement local. Celle-ci résulte de la puissance de sa nature, qui est supérieure aux corps, non pas pour qu’il agisse sur une forme, mais pour qu’il meuve localement, car le mouvement local ne se réalise pas par l’acquisition d’une chose qui serait dans la chose mue, car le lieu est extérieur à ce qui est localisé.

 

[4090] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod corpora caelestia non habent aliquam impressionem in Daemones, ut eis subdantur; sed ideo advocati sub certa constellatione veniunt, quia sciunt virtutem illius constellationis juvare ad effectum qui requiritur; vel propter hoc ut homines inducantur ad venerandum aliquod numen in stellis, ex quo idolatriae ritus procedit.

4. Les corps célestes n’exercent pas d’influence sur les démons pour qu’ils leur soient soumis ; mais ceux-ci sont invoqués selon une constellation déterminée parce qu’ils savent que la puissance de cette constellation aide à l’effet qui est demandé, ou pour que les hommes soient amenés à vénérer une puissance divine dans les étoiles, ce dont provient un culte idolâtre.

 

[4091] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ars virtute sua non potest formam substantialem conferre, quod tamen potest virtute naturalis agentis; sicut patet in hoc quod per artem inducitur forma ignis in lignis. Sed quaedam formae substantiales sunt quas nullo modo ars inducere potest, quia propria activa et passiva invenire non potest, sed in his potest aliquid simile facere; sicut alchimistae faciunt aliquid simile auro quantum ad accidentia exteriora; sed tamen non faciunt verum aurum: quia forma substantialis auri non est per calorem ignis quo utuntur alchimistae, sed per calorem solis in loco determinato, ubi viget virtus mineralis: et ideo tale aurum non habet operationem consequentem speciem; et similiter in aliis quae eorum operatione fiunt.

5. L’art ne peut conférer une forme substantielle par sa puissance propre, mais elle le peut par la puissance d’un agent naturel, comme cela ressort dans le fait que, par l’art, la forme du feu est introduite dans le bois. Mais il existe certaines formes naturelles que l’art ne peut d’aucune manière amener parce qu’il ne peut trouver leurs [éléments] actifs et passifs propres ; mais il peut réaliser quelque chose de semblable pour elles. Ainsi, les alchimistes produisent quelque chose de semblable à l’or par les accidents extérieurs ; cependant, ils ne produisent pas de l’or véritable parce que la forme substantielle de l’or n’est pas réalisée par la chaleur du feu qu’utilisent les alchimistes, mais par la chaleur du soleil en un lieu déterminé où la puissance minérale est vigoureuse. Un tel or ne possède donc pas l’opération qui découle de son espèce. De même en est-il pour les autres choses qui sont réalisées par leur action.

 

 

 

 

Articulus 2 [4092] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 tit. Utrum uti auxilio Daemonis ad effectus corporales sit malum

Article 2 – Est-il mal de recourir à l’aide du démon en vue d’effets corporels ?

 

[4093] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod uti auxilio Daemonum in talibus operationibus non sit malum. Ipse enim Paulus Corinthium fornicarium tradidit Satanae in interitum carnis, ut dicitur 1 Corinth. 5. Sed in hoc non dicitur peccasse. Ergo uti licet obsequio Daemonum. Praeterea, licet auxilium accipere etiam a peccatoribus, ut eleemosynam, vel aliquid hujusmodi. Sed in Daemonibus non est invenire nisi naturam, quae bona est, et peccatum. Ergo videtur quod auxilio eorum uti liceat.

1. Il semble qu’il ne soit pas mal de recourir à l’aide des démons pour de telles opérations. En effet, Paul lui-même a livré à Satan un Corinthien fornicateur pour une mort charnelle, comme on le dit dans 1 Co 5, 5. Or, on ne dit pas qu’il a péché à cause de cela. Il est donc permis de recourir à l’aide des démons. De plus, il est permis de recevoir une aide de la part de pécheurs, comme une aumône ou quelque chose de ce genre. Or, chez les démons, on ne peut trouver que leur nature, qui est bonne, et le péché. Il semble donc qu’il soit permis de recourir à leur aide.

 

[4094] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, Deus contulit virtutes verbis et rebus. Sed virtute quorumdam verborum et rerum Daemones advocantur, et quasi compelluntur. Ergo videtur quod eorum auxilio uti liceat.

3. Dieu a donné des pouvoirs à des paroles et à des choses. Or, les démons sont invoqués et comme contraints par la puissance de certaines paroles et de certaines choses. Il semble donc qu’il soit permis de recourir à leur aide.

 

[4095] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, id quod vergit in aliquam utilitatem et nulli derogat, non videtur esse peccatum. Sed per invocationes Daemonum frequenter multa utilia fiunt, sicut patet in inventione rerum amissarum. Ergo videtur quod in talibus uti liceat eorum auxilio.

4. Ce qui tourne à un certain bien et ne déroge en rien ne semble pas être un péché. Or, par des invocations aux démons, beaucoup de choses utiles sont fréquemment accomplies, comme cela ressort dans le fait de trouver des choses perdues. Il semble donc qu’il soit permis de recourir à leur aide pour de telles choses.

 

[4096] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Deuter. 18, praecepit dominus omnes incantatores et maleficos interfici. Mors autem corporalis non infligitur sine gravi peccato. Ergo videtur quod graviter peccant qui talibus intendunt.

Cependant, [1] en Dt 18, le Seigneur ordonne de mettre à mort tous ceux qui font des incantations et lancent des maléfices. Or, la mort corporelle n’est pas infligée sans un péché grave. Il semble donc que ceux qui ont en vue de telles choses pèchent gravement.

 

[4097] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, omnes divinationes esse fugiendas et cavendas. Ergo et cetera.

[2] Augustin dit que toutes les divinations doivent être fuies et évitées. Donc, etc.

 

[4098] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ea quae sunt supra facultatem humanam et naturae, a solo Deo requirenda sunt; et ideo sicut graviter peccat qui illud quod est Dei, creaturae impendit per idolatriae cultum; ita graviter peccant qui ea quae a Deo expetenda sunt, auxilio Daemonum implorant: et hujusmodi est vaticinatio de futuro; unde dicitur Isai. 8, 19: numquid non populus a Deo suo requiret? Et similiter etiam in aliis operibus magicis; in quibus complementum operis ex virtute Daemonum expectatur: in his enim omnibus est apostasia a fide per pactum initum cum Daemone, vel verbotenus, si invocatio intersit, vel facto aliquo, etiam si sacrificia desint: non enim potest homo duobus dominis servire, ut dicitur Matth. 6.

Réponse. Ce qui dépasse les capacités de l’homme et de la nature doit être demandé à Dieu seul. De même que pèche gravement celui qui rend à la créature par un culte idolâtre ce qui appartient à Dieu, de même donc pèchent gravement ceux qui implorent de l’aide des démons ce qu’on ne doit chercher à recevoir que de Dieu. Les vaticinations sur l’avenir sont de ce genre. Aussi est-il dit en Is 8, 19 : Le peuple ne le demandera-t-il pas à son Dieu ? Et il en va encore de même pour les autres opérations magiques, où l’on attend de la puissance des démons l’accomplissement d’une action. En effet, en tout cela, il y a apostasie de la foi par un pacte avec le démon, en paroles, s’il y a une invocation, ou par une action, même s’il n’y a pas de sacrifice. En effet, l’homme ne peut servir deux maîtres, comme il est dit en Mt 6.

 

[4099] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Paulus et quidam alii sancti leguntur aliqua per Daemones fecisse, non pacto cum eis inito, sed sicut virtutem divinam in eis exercentes; sicut et iam potestatum caelestium officium dicitur Daemones arcere.

1. On lit que Paul et certains autres saints ont fait certaines choses en recourant aux démons, non pas en vertu d’un pacte fait avec eux, mais par la puissance divine qui agissaient en eux, comme on dit aussi que les démons exercent la fonction des puissances célestes.

 

[4100] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatores, quamdiu in hac vita vivunt, possunt fieri membra Christi, quantumcumque videantur in malitia obstinati; et ideo ex caritate diligendi sunt, et ab eis beneficia recipi possunt et impendi, dummodo contra caritatem non sint: sed postquam a corpore in damnationem decedunt, idem est judicium de eis et de Daemonibus.

2. Aussi longtemps qu’ils sont en cette vie, les pécheurs peuvent devenir membres du Christ, même s’ils paraissent obstinés dans leur malice. C’est pourquoi ils doivent être aimés de charité et on peut recevoir d’eux des bienfaits et leur en accorder, pourvu que ceux-ci ne soient pas contre la charité. Mais, après qu’ils sont séparés de leur corps pour aller à leur damnation, le jugement est le même pour eux et pour les démons.

 

[4101] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est credendum aliquibus virtutibus corporalibus Daemones subjacere; et ideo non coguntur invocationibus et factis quibusdam maleficis, nisi inquantum per hoc cum eis foedus initur, secundum quod dicitur Isai. 28, 15: percussimus foedus cum morte, et cum Inferno fecimus pactum.

3. Il ne faut pas croire que les démons sont soumis à des puissances corporelles. Aussi ne sont-ils pas contraints par des invocations et par des maléfices, sinon dans la mesure où un pacte est ainsi contracté avec eux, selon ce qui est dit dans Is 28, 15 : Nous avons conclu une alliance avec la mort et nous avons fait un pacte avec l’enfer.

 

[4102] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nulla utilitas esse potest pro qua aliquid faciendum sit quod in Dei vergat injuriam: quod contingit quando illud quod ipsius est, non ab ipso quaeritur, sed cum ejus adversario foedus initur.

4. Il n’y a pas de raison valable de faire quelque chose qui tourne à l’outrage envers Dieu. C’est le cas lorsque ce qui relève de lui ne lui est pas demandé, mais qu’une alliance est contractée avec son adversaire.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 7

 

[4103] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 expos. Boni vero arbitrium multo liberius habent post confirmationem quam ante. Sed contra, liberum arbitrium est quod cogi non potest. Sed negationes non recipiunt magis et minus. Ergo nec liberum arbitrium. Ad quod dicendum, quod quamvis negatio, secundum illud quod est, magis vel minus non recipiat; tamen dicitur intendi et remitti, quatenus habet causam in subjecto; sicut qui caret substantia oculi, magis dicitur caecus quam ille cujus visus dicitur ab humore aliquo impeditus ad pupillam confluente: et ideo dici potest libertas arbitrii major et minor, secundum modum naturae in qua est. Occulta quaedam semina in corporeis hujus mundi elementis latent. Per haec semina intelliguntur virtutes activae existentes in rebus ex virtute caelesti, et ex qualitatibus activis et passivis: quia semen in 2 Phys., computatur inter causas activas.

 

 

 

 

 

Distinctio 8

Distinction 8 – [Les apparitions corporelles des anges bons et mauvais]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[4104] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 pr. Hic determinat Magister de Angelis bonis et malis, quantum ad corporum assumptionem; et dividitur in partes duas: in prima determinat de eis quantum ad assumptionem corporum; secundo quantum ad impressionem in nos, ibi: illud etiam consideratione dignum videtur, utrum Daemones (...) hominum substantialiter intrent corpora. Prima dividitur in partes duas: in prima determinat de apparitione Angelorum in corporalibus formis, utrum sit per corpus assumptum, vel naturaliter unitum; in secunda determinat de apparitione divina, ibi: nec dubitandum est, Deum in corporalibus formis apparuisse hominibus. Ubi duo facit: primo dicit, Deum apparuisse in corporalibus formis; secundo ostendit Deum nunquam in sua essentia visibiliter apparuisse, ibi: ceterum haec velut nimis profunda atque obscura, linquentes, illud indubitanter teneamus, quod Deus in specie essentiae suae nunquam mortalibus apparuit. Circa primum duo facit: primo ostendit, Deum in visibilibus formis apparuisse; secundo inquirit dictae apparitionis modum, ibi: sed ubi Deus hominibus in corporalibus imaginibus apparuisse asserit, perplexam quaestionem proponit. Hic sex quaeruntur: 1 utrum Angeli habeant corpora naturaliter unita; 2 si non habeant, utrum assumant; 3 si sic, qualiter sibi corpora assumant; 4 quas operationes per ea exerceant; 5 qualiter in nos imprimere possint; 6 quomodo Deus in formis corporalibus appareat.

Ici, [le Maître] détermine des apparitions corporelles des anges bons et mauvais. Il y a deux parties. Dans la première, il détermine des apparitions corporelles. Deuxièmement, de l’effet que [les anges] ont sur nous, à cet endroit : « Ceci encore semble mériter la considération : les anges… entrent-ils de manière substantielle dans les corps des hommes ? » La première partie se divise en deux parties. Dans la première, il détermine de l’apparition des anges sous des formes corporelles : se réalise-t-elle par la prise d’un corps ou par une union naturelle ? Dans la seconde, il détermine de l’apparition divine, à cet endroit : « Il n’est pas non plus douteux que Dieu soit apparu à des hommes sous des formes corporelles. » Il fait là deux choses : premièrement, il dit que Dieu est apparu sous des formes corporelles ; deuxièmement, il montre que Dieu n’est jamais visiblement apparu en son essence, à cet endroit : « De plus, en laissant de côté ces choses trop profondes et obscures, tenons sans douter que Dieu n’est jamais apparu à des mortels sous l’aspect de son essence. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que Dieu est apparu sous des formes visibles ; deuxièmement, il s’interroge sur le mode d’une telle apparition, à cet endroit : « Mais là où il affirme que Dieu est apparu à des hommes sous des images corporelles, il soulève une question compliquée. » Six questions sont posées ici : 1. Les anges ont-ils des corps qui leur sont naturellement unis ? 2. Sinon, les assument-ils ? 3. Si oui, comment assument-ils des corps ? 4. Quelles opérations exercent-ils par eux ? 5. Comment peuvent-ils être en contact avec nous ? 6. Comment Dieu apparaît-il sous des formes corporelles ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4105] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 tit. Utrum Angeli habeant corpora unita

Article 1 – Les anges ont-ils des corps qui leur sont unis ?

 

[4106] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angeli corpora unita habeant. Augustinus enim in Lib. de Civ. Dei, inducit verba Apuleji definientis Daemones sic: Daemones sunt genere animalia, animo passiva, mente rationalia, corpore aerea, tempore aeterna: nec hanc definitionem improbat. Ergo videtur quod habeant corpora aerea naturaliter unita.

1. Il semble que les anges aient des corps qui leur sont unis. En effet, dans le livre Sur la cité de Dieu, Augustin invoque les paroles d’Apulée qui définit ainsi les démons : « Les démons sont, par leur genre, des animaux susceptibles de passions par leur esprit, raisonnables par leur intelligence, aériens par leur corps, éternels par leur temps », et il ne repousse pas cette définition. Il semble donc qu’ils possèdent des corps aériens qui leur sont naturellement unis.

 

[4107] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, Gregorius dicit in homilia Epiphaniae, quod Judaeis annuntiavit Christi incarnationem rationale animal, idest Angelus. Sed animal est compositum ex anima et corpore. Ergo videtur quod Angeli habeant corpora naturaliter unita.

2. Dans une homélie sur l’Épiphanie, Grégoire dit qu’un animal raisonnable, c’est-à-dire un ange, a annoncé aux Juifs l’incarnation du Christ. Or, un animal est composé d’âme et de corps. Il semble donc que les anges aient des corps qui leur sont naturellement unis.

 

[4108] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, illud quod in se est incorporeum, respectu nullius potest corporeum dici: quia haec praedicatio est absoluta: quod enim absolute album est, respectu nullius est nigrum. Sed secundum Damascenum, et Gregorium, Angeli in comparatione Dei corporei sunt. Ergo in se incorporei non sunt.

3. Ce qui est incorporel en soi ne peut être appelé corporel par rapport à rien, car cette attribution est absolue. En effet, ce qui est blanc de manière absolue n’est noir sous aucun rapport. Or, selon [Jean] Damascène et Grégoire, les anges sont corporels par rapport à Dieu. Ils ne sont donc pas incorporels en eux-mêmes.

 

[4109] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, nobilius est quod in se habet vitam et alteri confert, quam quod alterum non vivificat, quamvis in seipso vivat. Sed vita Angeli est nobilior quam animae. Ergo videtur quod multo fortius habeat corpus unitum quod vivificet quam anima.

4. Ce qui possède en soi la vie et la donne à un autre est plus noble qu’une autre chose qui ne donne pas la vie, bien qu’elle vive par elle-même. Or, la vie d’un ange est plus noble que celle de l’âme. Il semble donc qu’à bien plus forte raison, il ait, plus que l’âme, un corps qui lui est uni et auquel il donne la vie.

 

[4110] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit, quod Angeli sicut incorporales ita et immateriales intelliguntur.

Cependant, [1] Denys dit qu’on pense des anges que, de même qu’ils sont incorporels, ils sont immatériels.

 

[4111] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis substantia vivificans corpus naturaliter sibi unitum, habet potentias aliquas quae sunt actus alicujus partis corporis. Si ergo Angelus uniatur naturaliter corpori tamquam vivificans illud, oportet quod habeat potentias affixas organis, sicut sunt potentiae animae sensitivae et nutritivae, quae si in Angelo ponantur, non differret Angelus ab homine.

[2] Toute substance qui donne la vie à un corps qui lui est naturellement uni a des puissances qui sont des actes d’une partie de son corps. Si donc l’ange est naturellement uni à un corps comme lui donnant la vie, il est nécessaire qu’il ait des puissances associées à des organes, comme le sont les puissances de l’âme sensible et nutritive. Mais si celles-ci sont attribuées à l’ange, l’ange ne serait pas différent de l’homme.

 

[4112] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Angeli neque boni neque mali habent corpora naturaliter unita: hoc enim esse non potest, nisi essent formae illorum corporum vel saltem motores proportionati illis corporibus; et cum sint perfectioris naturae ipsis animabus, oporteret, quod corpora nobiliora haberent. Inter omnia autem corpora generabilia et corruptibilia est nobilissimum corpus humanum quasi maxime accedens ad similitudinem caelestis corporis propter aequalitatem complexionis; unde oporteret illa corpora esse corpora caelestia: et sic rediret error philosophorum ponentium, Angelos esse formas orbium et multiplicari secundum eorum numerum: quod tamen longe probabilius esset quam eos habere corpora aerea naturaliter unita quod videtur Augustinus dicere; quamvis dicatur hoc non nisi ex hypothesi eum dixisse, ut utentem positionibus Platonicorum, contra quos disputabat.

Réponse. Ni les anges bons ni les anges mauvais n’ont de corps qui leur sont naturellement unis. En effet, cela ne peut être le cas que s’ils étaient les formes de ces corps ou, à tout le moins, des moteurs proportionnés à ces corps. Comme ils ont une nature plus parfaite que ces corps, il faudrait qu’ils aient des corps plus nobles. Or, parmi tous les corps susceptibles de génération et de corruption, le plus noble est le corps humain, qui s’approche le plus d’une ressemblance avec un corps céleste en raison de l’égalité de sa complexion. Il faudrait donc que ces corps soient des corps célestes, et ainsi reviendrait l’erreur des philosophes qui affirmaient que les anges sont les formes des sphères et que leur nombre est celui de celles-ci. Cela serait beaucoup plus probable que, pour eux, d’avoir des corps aériens naturellement unis, ce que semble dire Augustin, bien qu’il l’ait dit de manière hypothétique, en recourant aux positions des platoniciens contre lesquels il disputait.

 

[4113] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Apulejus falsum dixit, nec Augustinus contra hoc disputabat, quia pauca de Angelis asserere voluit.

1. Apulée a dit une fausseté. Augustin ne disputait pas contre cela, car il voulait dire peu de choses sur les anges.

 

[4114] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum Dionysium proprietates animales et humanae dicuntur de Angelis per modum eminentiorem: quia quod habet natura inferior, habet et superior, nec eodem modo, sed eminentius; unde dicitur Angelus animal, non quia compositus ex anima et corpore, sed ex eo quod habet virtutem cognoscendi sensibilia, non tamen per modum sensibilem, sed intellectualem.

2. Selon Denys, les propriétés animales et humaines sont affirmées des anges selon un mode plus élevé, car ce que possède une nature inférieure, la nature supérieure le possède, non pas selon le même mode, mais de manière plus élevée. Aussi l’ange est-il appelé un animal, non pas parce qu’il serait composé d’une âme et d’un corps, mais du fait qu’il a la puissance de connaître les réalités sensibles, non pas selon un mode sensible, mais selon un mode intellectuel.

 

[4115] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angeli dicuntur corporei in comparatione ad Deum, quia conveniunt cum corporibus in quadam proprietate, quae est loco definiri, in quo corpora a Deo distant; non quod aliquo modo naturam corporalem habeant.

3. On dit que les anges sont corporels par comparaison avec Dieu parce qu’ils ont une certaine propriété en commun avec les corps, qui consiste en ce qu’ils sont définis par un lieu, ce en quoi les corps sont éloignés de Dieu, et non pas parce qu’ils possèdent de quelque façon une nature corporelle.

 

[4116] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quanto aliquid habet esse vel vitam magis absolute, tanto nobilius est; et ideo cum omnis forma habeat esse in conjunctione ad materiam, nobilior est vita illius quod corpori non unitur quam id quod corporis forma est. Sed quod influit vitam per modum efficientis tantum, et non sicut forma conjuncta, hoc nobilius est. Sed hoc neque animae neque Angelo convenit, sed Deo tantum.

4. Plus uune chose possède l’être ou la vie de manière absolue, plus elle est noble. Puisque toute forme possède l’être en union avec une matière, la vie de ce qui n’est pas uni à un corps est plus noble que celle de ce qui est la forme d’un corps. Mais qu’il donne la vie par mode de [cause] efficiente seulement, et non comme une forme unie, cela est plus noble. Or, cela ne convient ni à l’âme ni à l’ange, mais à Dieu seulement.

 

 

 

 

Articulus 2 [4117] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 tit. Utrum Angeli assumant corpora

Article 2 – Les anges assument-ils un corps ?

 

[4118] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod Angeli corpora non assumant. Omnis enim assumptio terminatur ad aliquam unionem. Sed Angeli non possunt esse uniti corporibus. Ergo nec corpora assumere.

1. Il semble que les anges n’assument pas de corps. En effet, toute prise [d’un corps] se termine par une union. Or, les anges ne peuvent être unis à des corps. Ils ne peuvent donc pas non plus assumer des corps.

 

[4119] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut se habet spiritus unitus ad separationem, ita spiritus separatus ad unionem. Sed spiritus unitus, scilicet anima, non potest separari secundum suam voluntatem. Ergo nec spiritus separatus conjungitur corpori per assumptionem.

2. Le rapport de l’esprit uni et de la séparation est le même que celui de l’esprit séparé et de l’union. Or, l’esprit uni, l’âme, ne peut être séparé par sa volonté. L’esprit séparé ne peut donc pas non plus être uni à un corps en l’assumant.

 

[4120] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, si assumant corpora, hoc non est nisi propter eorum operationem; quia ad esse suum corporibus non egent nec quantum ad principium nec quantum ad finem; sicut animae rationales egent corporibus quantum ad principium, quia creantur in corpore; sed non quantum ad finem, quia remanent post corpus. Sed omnis virtus quanto magis est a corpore separata, tanto est fortior in operationibus suis, ut patet in anima rationali. Ergo videtur quod nullo modo corpora assumant.

3. S’ils assument des corps, ce n’est que pour leur opération, car ils n’ont pas besoin de corps pour être, ni pour leur commencement ni pour leur fin, comme les âmes raisonnables ont besoin de corps pour leur commencement, car elles sont créées dans un corps, mais non pour leur fin, car elles demeurent sans corps. Or, plus une puissance est séparée du corps, plus elle est forte dans ses opérations, comme cela ressort pour l’âme raisonnable. Il semble donc que [les anges] n’assument de corps d’aucune manière.

 

[4121] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, cum Angeli non possint esse formae corporum, ut dictum est, non possunt corporibus conjungi nisi sicut motor mobili. Sed hoc modo conjunguntur omni ei circa quod operantur. Ergo si hoc esset, corpus assumerent, quod non dicitur.

4. Puisque les anges ne peuvent être formes de corps, comme on l’a dit, ils ne peuvent être unis à des corps que comme un moteur l’est à un mobile. Or, ils sont unis de cette manière à tout ce sur quoi ils agissent. Si tel était le cas, ils assumeraient donc des corps, ce qu’on n’affirme pas.

 

[4122] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, quodcumque corpus assumit Angelus, in illo est. Sed omne corpus, cum sit indivisibile, plures partes habet, et quod primo et per se est in aliquo, est in qualibet parte ejus, ut probatur in 6 Phys.: quia si esset in una parte tantum, non diceretur in toto esse nisi ratione partis. Cum ergo Angelus non possit esse in pluribus locis simul, ut in 1 dictum est, videtur quod corpus non assumat.

5. Quel que soit le corps assumé par un ange, il existe en lui. Or, tout corps, puisqu’il est indivisible, comporte plusieurs parties, et ce qui existe en premier lieu et par soi dans quelque chose existe dans chacune de ses parties, comme cela est démontré dans Physique, VI, car s’il existait dans une seule partie seulement, on ne dirait qu’il existe dans le tout qu’en raison de cette partie. Puisque l’ange ne peut exister en plusieurs lieux en même temps, comme on l’a dit dans le [livre] I, il semble donc qu’il n’assume pas de corps.

 

[4123] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, illud quod per se incorporeum est videri non potest. Sed Angeli frequenter hominibus visibiliter apparuerunt, ut in sacra Scriptura legitur. Cum ergo sint incorporei, ut dictum est, videtur quod corpus assumant.

Cependant, [1] ce qui est incorporel par soi ne peut être vu. Or, les anges sont fréquemment apparus de manière visible, comme on le lit dans la Sainte Écriture. Puisqu’ils sont incorporels, comme on l’a dit, il semble donc qu’ils assument un corps.

 

[4124] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod hic est quorumdam error, dicentium Angelos nunquam corpus assumere, et omnia quaecumque de apparitionibus Angelorum Scriptura loquitur in praestigiis facta esse dicunt vel secundum visionem imaginariam. Sed quia sancti communiter dicunt, Angelos etiam corporali visione hominibus apparuisse, quibus Scripturae textus concordare videtur, ideo absque dubio dicendum est, Angelos quandoque corpora assumere, in quibus ab hominibus videntur. Quod qualiter sit, videndum est. Cum enim natura spiritualis superior sit natura corporali, oportet quod natura corporalis sibi obediat: non autem quantum ad formarum susceptionem: quia prima inchoatio formarum in materia, secundum quod in ea dicuntur esse habilitates quaedam ad formam, est ab opere creatoris, sed eductio earum in actum est per virtutem agentium naturalium determinatorum: sed quantum ad motum localem, per quem nulla forma ponitur in re mota, obedit corpus virtuti spirituali; et secundum hoc quod virtus spiritualis movet aliquod corpus, conjungitur sibi sicut motor mobili. Sed ulterius quando Angelus hoc corpus motum format per modum in praecedentibus dictum, ut appareant in eo aliquae proprietates visibiles invisibilibus ejus proprietatibus congruentes; tunc dicitur illud corpus assumere; unde quandoque apparent in figura hominis vel leonis, et hujusmodi, per quorum proprietates intelliguntur ipsae virtutes spirituales Angelorum.

Réponse. Il s’agit ici de l’erreur de certains qui disent que les anges n’assument jamais de corps : ils disent que tout ce qui est dit des apparitions des anges dans l’Écriture a été le fait d’illusions ou de visions imaginaires. Mais parce que les saints, avec qui les textes de l’Écriture semblent être d’accord, disent d’une manière générale que les anges sont aussi apparus aux hommes selon une vision corporelle, il faut donc dire sans aucun doute que les anges assument parfois des corps dans lesquels ils sont vus par les hommes. Comment cela se fait, il faut le voir. En effet, puisque la nature spirituelle est supérieure à la nature corporelle, il est nécessaire que la nature corporelle lui obéisse. Non pas pour la réception de formes, car la première amorce des formes dans la matière, selon qu’on dit qu’il existe en elle certaines aptitudes à une forme, vient de l’action du Créateur, mais les amener à l’acte se réalise par la puissance d’agents naturels déterminés. Mais, pour ce qui est du mouvement local, par lequel aucune forme n’est mise dans la chose mue, le corps obéit à la puissance spirituelle. Et selon qu’une puissance spirituelle meut un corps, elle lui est unie comme le moteur au mobile. Mais, en plus, lorsqu’un ange donne forme à ce corps mû de la manière indiquée plus haut, de sorte qu’apparaissent en lui certaines propriétés visibles qui s’accordent avec ses propriétés invisibles, on dit alors qu’il assume ce corps. Aussi apparaissent-ils parfois sous la forme d’un homme ou d’un lion et de choses du genre, dont les propriétés signifient les puissances spirituelles des anges.

 

[4125] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod talis assumptio terminatur ad aliquam unionem quae est motoris ad motum, ut nautae ad navem; non autem ut formae ad materiam.

1. Une telle prise [d.un corps] se termine à une union qui est celle du moteur avec ce qui est mû, comme celle du marin au navire, mais non celle de la forme à la matière.

 

[4126] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod spiritus conjunctus, scilicet anima, unitur corpori ad unum esse ut forma ejus; et ideo non potest separari per voluntatem, sed per naturam, facta indispositione circa corpus. Sed spiritus separatus potest per voluntatem conjungi corpori non sicut forma, sed sicut instrumento; unde virtute naturae suae potest assumere et deponere illud quando vult, sicut et homo suum instrumentum.

2. L’esprit uni, c’est-à-dire l’âme, est uni au corps comme sa forme en vue d’un seul être ; il ne peut donc être séparé par la volonté, mais par la nature, lorsqu’une indisposition survient dans le corps. Mais l’esprit séparé peut être uni au corps par sa volonté, non pas comme à sa forme, mais comme à un instrument. Il peut donc l’assumer et l’abandonner par la puissance de sa nature quand il le veut, comme l’homme son instrument.

 

[4127] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus Angeli non impeditur per corpus assumptum: quia non assumitur ut materia proportionata formae, nec etiam juvatur: sed tamen assumit ad consolationem eorum quibus apparet per instrumentum, ut ex visibilibus in invisibilium cognitionem manuducantur.

3. Le corps assumé n’est pas un obstacle à la puissance de l’ange, parce qu’il n’est pas assumé comme une matière proportionnée à la forme, et il n’est pas non plus aidé [par lui]. Il l’assume cependant pour la consolation de ceux à qui il apparaît par son instrument, afin qu’ils soient conduits par la main à la connaissance des réalités invisibles à partir de réalités visibles.

 

[4128] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad assumptionem corporis non sufficit motus; sed oportet quod sit formatio, ut dictum est.

4. Le mouvement ne suffit pas pour prendre un corps, mais il est nécessaire qu’il y ait une formation (formatio), comme on l’a dit.

 

[4129] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Angelus assumens corpus, est totus in qualibet ejus parte, nec tamen est in pluribus locis: quia totum hoc quod uno motu movetur comparatur ad ipsum sicut unus locus indivisibilis: quia non est in loco nisi per operationem, ut in 1 Lib. dictum est.

5. L’ange qui assume un corps existe tout entier en n’importe quelle de ses parties ; il ne se trouve cependant pas dans plusieurs lieux, parce que ce tout qui est mû par un seul mouvement se compare à lui comme un seul lieu indivisible, car il ne se trouve dans ce lieu que par son opération, comme on l’a dit dans le livre I.

 

 

 

 

Articulus 3 [4130] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 tit. Utrum corpora assumpta ab Angelis habeant veram naturam quam ostendunt

Article 3 – Les corps assumés par les anges ont-ils la nature véritable qu’ils montrent ?

 

[4131] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Angeli assumant corpora illa secundum veritatem, quae habent illam naturam quae videtur. Nuntios enim veritatis non decet aliqua fictio. Sed ostendere illud quod non est verum est quaedam fictio. Ergo videtur quod veram naturam habeant illarum rerum corpora assumpta.

1. Il semble que les anges assument ces corps selon la vérité de la nature qu’ils semblent avoir. En effet, une fiction ne convient pas aux messagers de la vérité. Or, montrer ce qui n’est pas vrai est une fiction. Il semble donc que les corps assumés possèdent la véritable nature de ces choses.

 

[4132] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, proprietates humanae non inveniuntur nisi in vero corpore humano. Sed hujusmodi apparitiones fiunt, secundum Dionysium, ut ex visibilium proprietatibus, de invisibilibus instruamur. Ergo videtur idem quod prius.

2. Les proprietés humaines ne se trouvent que dans un vrai corps humain. Or, ces apparitions ont lieu, selon Denys, pour que, à partir des propriétés des réalités visibles, nous soyons instruits des réalités invisibles. La conclusion est donc la même que précédemment.

 

[4133] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, non sunt eaedem proprietates diversorum ordinum. Sed assumptio corporalium figurarum est ad ostendendum invisibiles proprietates Angelorum. Ergo videtur quod non debeant in eadem figura apparere Angeli superiorum ordinum et inferiorum ordinum.

3. Les propriétés des divers ordres ne sont pas les mêmes. Or, la prise de figures corporelles vise à montrer les propriétés invisibles des anges. Il semble donc que les anges des ordres supérieurs et des ordres inférieurs ne doivent pas apparaître sous la même figure.

 

[4134] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, quaeritur de qua materia assumant, et videtur quod non de aere. Corpus enim quod Angeli assumunt habet determinatam figuram et est distinctum ab aliis corporibus. Sed aer non est figurabilis nisi secundum figurationem corporis alterius, eo quod eum sit maxime humidum, minime suis terminis terminatur sed alienis; unde et una pars aeris alteri continuatur. Ergo videtur quod non assumant corpus aereum.

4. On s’interroge sur la matière à partir de laquelle ils assument, et il semble que ce ne soit pas à partir de l’air. En effet, le corps que les anges assument possède une figure déterminée et il est différent des autres corps. Or, l’air n’est susceptible d’avoir une figure que selon la représentation d’un autre corps, du fait que, humide au plus haut point, il ne se termine pas selon ses propres limites, mais selon celles des autres [corps]. Aussi une partie de l’air est-elle continue avec une autre. Il semble donc qu’ils n’assument pas un corps aérien.

 

[4135] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 5 Item videtur quod nec terrenum. Angeli enim apparentes statim disparent. Sed hoc non potest fieri in corpore grosso terrestri. Ergo non hujusmodi corpus assumunt.

5. Il semble [qu’ils n’assument] pas non plus un [corps] terrestre. En effet, aussitôt après être apparus, les anges disparaissent. Or, cela ne peut se faire dans un corps terrestre grossier. Ils n’assument donc pas un corps de ce genre.

 

[4136] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, constat quod inter nos et caelum est ignis medius, qui est maxime activus in inferiora corpora. Si ergo de inferioribus elementis corpus assumerent, videtur quod quando in caelum ascendunt, corpora eorum cremarentur.

6. C’est un fait qu’entre nous et le ciel, existe un feu intermédiaire, qui est au plus haut point actif sur les corps inférieurs. Si donc [les anges] prenaient un corps à partir d’éléments inférieurs, il semble que lorsqu’ils monteraient au ciel, leurs corps brûleraient.

 

[4137] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, Dionysius dicit, quod inter alia corpora ignis maxime repraesentat proprietates spiritualium substantiarum. Sed propter eorum cognitionem fit corporum assumptio, ut dictum est. Ergo videtur quod semper de igne corpus assumant.

7. Denys dit que, parmi les autres corps, le feu représente le mieux les propriétés des substances spirituelles. Or, la prise de corps a été faite en vue de leur connaissance, comme on l’a dit. Il semble donc qu’ils assument toujours un corps à partir du feu.

 

[4138] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 8 Praeterea, corpus caeleste est nobilissimum corporum. Sed nobili motori debetur nobile mobile. Ergo videtur quod corpus quod ad motum assumunt, sit de natura quintae essentiae.

8. Un corps céleste est le plus noble des corps. Or, à un moteur noble est dû un mobile noble. Il semble donc que le corps qu’ils prennent en vue du mouvement ait la nature de la quinte essence.

 

[4139] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 co. Respondeo, quod qualitas corporis assumpti ab Angelis potest dupliciter inquiri: vel quantum ad veritatem naturae quam habet, vel quantum ad materiam de qua corpus assumit. Quantum ad primum dicendum est, quod corpus assumptum ab Angelo non habet veritatem illius naturae quae ostenditur; unde etsi aliquando Angelus bonus vel malus moveat corpus alicujus veri animalis, non dicitur proprie illud assumere; sicut non dicitur Angelus assumpsisse linguam asinae, per quam locutus est ad Balaam; nec Daemon corpus hominis quem vexat; cujus ratio est, quia proprietates quae secundum veritatem sunt in aliquo corpore, ducunt in cognitionem principiorum subjecti, et non actu in cognitionem substantiae spiritualis; quae ductio est totus finis visibilium formationum secundum Dionysium. Unde quantum ad finem apparitionis, oportet ut sint illae proprietates secundum similitudinem tantum, ut non intelligatur illis subesse aliqua res, nisi Angelus; ut quasi corpus Angeli esse videatur, et proprietates ejus sint proprietates Angeli. Si autem quaeratur de secundo, quale sit quantum ad materiam, dicendum est, quod materia corporis assumpti ab Angelo, potest considerari dupliciter: vel quantum ad principium assumptionis, vel quantum ad terminum. Si quantum ad principium, sic dico, sicut in littera dicitur, quod assumit de aere, propter hoc quia aer maxime transmutabilis est, et convertibilis in quaecumque; et hujus signum est, quod quidam videntes corpus a Daemone assumptum, scindere gladio vel perfodere volentes, id efficere non valuerunt, quia partes aeris divisi statim continuantur. Sed propter hoc quod aliquam figuram recipere possunt competentem Angelo apparenti, oportet quod quantum ad terminum assumptionis aer iste sit in aliquo inspissatus, et ad proprietatem terrae accedens, servata tamen aeris veritate: quod efficere possunt tum per motum localem congregando partes, tum etiam per semina in elementis respersa, ut prius dictum est.

Réponse. La qualité du corps assumé par les anges peut être examinée de deux manières : quant à la vérité de la nature qu’il possède ou quant à la matière à partir de laquelle il assume un corps. Sur le premier point, il faut dire que le corps assumé par un ange ne possède pas la vérité de la nature qui est montrée ; même si parfois un ange bon ou mauvais meut le corps d’un animal véritable, on ne dit pas qu’il l’assume au sens propre. Ainsi, on ne dit pas que l’ange a assumé la langue de l’âne par laquelle il a parlé à Balaam, ni le démon, le corps de l’homme qu’il secoue. La raison en est que les propriétés qui existent véritablement dans un corps conduisent à la connaissance des principes du sujet, et non pas en acte à la connaissance de la substance spirituelle ; et cette action de conduire est en totalité la fin des formations visibles, selon Denys. Du point de vue de la fin de l’apparition, il est donc nécessaire que ces propriétés ne possèdent qu’une ressemblance, de sorte qu’on comprenne que rien d’autre qu’un ange ne leur est sous-jacent : ainsi cela ressemblera au corps d’un ange et ses propriétés seront les propriétés d’un ange. Mais si on s’interroge sur le second point : de quelle matière est-il constitué ? il faut dire que la matière du corps assumé par un ange peut être considéré de deux manières : du point de vue du principe de l’assomption, ou du point de vue de son terme. Du point de vue du principe, je dis, comme le dit le texte, qu’il l’assume à partir de l’air, parce que l’air peut être facilement changé et être converti en tout ; le signe en est que certains, en voyant le corps assumé par le démon, voulant le couper ou le transpercer par un glaive, n’ont pas pu le faire, parce que les parties de l’air divisé retrouvent immédiatement leur continuité. Mais pour qu’ils puissent recevoir une forme convenant à l’ange qui apparaît, il est nécessaire, du point de vue du terme de l’assomption, que cet air soit de quelque façon condensé et s’approche des propriétés de la terre, tout en conservant la vérité de l’air. Ils peuvent faire cela en regroupant les parties par un mouvement local ou par les semences répandues dans les éléments, comme on l’a dit plus haut.

 

[4140] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in locutionibus metaphoricis non est falsitas, eo quod non proferuntur ad significandum res quibus nomina sunt imposita, sed magis illa in quibus dictarum rerum similitudines inveniuntur; ita etiam in apparitionibus Angelorum non est fictio, quia figurae illae non ostenduntur ad significandum esse naturale illius rei, sed proprietates Angeli.

1. De même qu’il n’y a pas de fausseté, dans les expressions métaphoriques, du fait qu’elles ne sont pas formulées pour signifier des choses auxquelles les mots sont attribués, mais plutôt ce qu’on trouve dans les ressemblances de ces choses, de même aussi, dans les apparitions des anges, il n’y a pas fiction, car ces figures ne sont pas montrées pour signifier l’être naturel de cette chose, mais les propriétés de l’ange.

 

[4141] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis verae proprietates hominis non sint nisi in corpore naturali, tamen similitudines illarum proprietatum in aliis esse possunt; et tales similitudines sufficiunt ad finem apparitionis.

2. Bien que les propriétés véritables d’un homme n’existent que dans son corps naturel, il peut cependant exister des ressemblances de ces propriétés dans d’autres choses, et ces ressemblances suffisent à la fin de l’apparition.

 

[4142] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum Dionysium, in eadem figura quandoque ostenditur superior et inferior Angelus; quia una res habet diversas proprietates, per quarum quasdam potest superiores repraesentare, et per alias inferiores. Praeter ea eaedem etiam proprietates sunt superiorum et inferiorum, quamvis diversimode, secundum Dionysium.

3. Selon Denys, sous la même figure, sont parfois montrés un ange supérieur et un ange inférieur, car une chose possède diverses propriétés, dont certaines peuvent représenter des [anges] supérieurs, et d’autres des [anges] inférieurs. De plus, les [anges] supérieurs et les [anges] inférieurs possèdent les mêmes propriétés, bien que de manière différente, selon Denys.

 

[4143] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aer aliquo modo inspissatus, potest figurari, et ab alio aere distingui.

4. L’air condensé d’une certaine manière peut recevoir une forme et être distingué d’un autre air.

 

[4144] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod est aliquo modo terrestre, inquantum habet terrae proprietatem per condensationem; sed illa densitas subito dissolvitur remotis causis densitatis.

5. [Le corps] est d’une certaine manière terrestre, dans la mesure où il possède une propriété de la terre par la condensation. Mais cette densité se dissout immédiatement lorsque les causes de la densité sont enlevées.

 

[4145] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum non assumant corpora nisi propter nos, non est probabile quod corpora assumpta in caelum Empyreum deferant, neque eis utantur, nisi quatenus oportet ad operationes quas circa nos exercent.

6. Puisqu’ils n’assument des corps que pour nous, il n’est pas probable qu’ils emportent les corps assumés dans le ciel empyrée ni n’en fassent usage, sinon dans la mesure où cela est nécessaire pour les opérations qu’ils exercent à notre endroit.

 

[4146] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in corporibus assumptis a bonis Angelis apparent proprietates ignis, praecipue quantum ad splendorem, sicut et proprietates hominis; non tamen oportet quod hujusmodi corpora materialiter de igne assumantur.

7. Dans les corps assumés par les anges bons, les propriétés du feu apparaissent, surtout en ce qui concerne l’éclat, ainsi que les propriétés de l’homme. Il n’est cependant pas nécessaire que les corps de cette sorte soient matériellement assumés à partir du feu.

 

[4147] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod cum corpus caeli sit incorruptibile, non potest dividi nisi secundum imaginationem; nec etiam recipit peregrinas impressiones, unde ex eo non potest corpus Angeli formari.

8. Puisque le corps du ciel est incorruptible, il ne peut être divisé que par l’imagination ; il ne reçoit pas non plus d’impressions passagères. Aussi le corps d’un ange ne peut-il être formé à partir de lui.

 

 

 

 

Articulus 4 [4148] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 tit. Utrum Angeli possint comedere in corporibus assumptis

Article 4 – Les anges peuvent-ils manger dans les corps assumés ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – Les anges peuvent-ils manger dans les corps assumés ?

 

[4149] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Angeli in corporibus assumptis comedere possint. Legitur enim Gen. cap. 18, quod Abraham Angelis sibi apparentibus cibos apposuerit. Sed ipse cognovit eos esse Angelos, quod ipsa collocutio cum eis habita ostendit. Ergo videtur quod comedere possint.

1. Il semble que les anges puissent manger dans les corps assumés. En effet, dans Gn 18, on lit qu’Abraham offrit de la nourriture aux anges qui lui apparaissaient. Or, il savait qu’ils étaient des anges, ce que montre la conversation qu’il a eue avec eux. Il semble donc qu’ils puissent manger.

 

[4150] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra hoc est quod expressissimum argumentum dominicae resurrectionis est ipsius Christi resurgentis comestio: unde dicitur actuum 10, 40: dedit eum manifestum fieri non omni populo, sed testibus praeordinatis a Deo, nobis qui manducavimus et bibimus cum illo. Sed actus qui spiritui potest convenire, non est argumentum corporalis resurrectionis. Ergo Angeli corpora assumentes non vere comedunt.

Cependant, [1] s’oppose à cela l’argument très explicite de la résurrection du Seigneur où le Christ ressuscité lui-même mange. Ainsi est-il dit dans Ac 10, 40 : Il a fait en sorte qu’il apparaisse, non pas à tout le peuple, mais aux témoins prévus par Dieu, à nous qui avons mangé et bu avec lui. Or, un acte qui peut convenir à un esprit n’est pas un argument en faveur de la résurrection corporelle. Les anges qui assument des corps ne mangent donc pas vraiment.

 

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – Peuvent-ils engendrer ?

 

[4151] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Item, videtur quod possint generare. Dicitur enim Genes. 6, 2: videntes autem filii Dei filias hominum quod essent pulchrae, acceperunt sibi uxores ex omnibus quas elegerant; et hoc Josephus exponit de Daemonibus incubis. Ergo videtur quod generare possint.

1. Il semble qu’ils puissent engendrer. En effet, il est dit en Gn 6, 2 : Les fils de Dieu, voyant que les filles des hommes étaient belles, prirent des épouses parmi celles qu’ils avaient choisies. Et Josèphe attribue cela aux démons incubes. Il semble donc qu’ils puissent engendrer.

 

[4152] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est, quod completur generatio per virtutem formativam quae est in semine ex corpore vivo resoluto. Sed corpus assumptum a Daemonibus et ab Angelis, non est vivum, ut dictum est. Ergo videtur quod generare non possint.

Cependant, [1] la génération se réalise par puissance formative qui se trouve dans la semence issue d’un corps vivant. Or, le corps assumé par les démons et par les anges n’est pas vivant, comme on l’a dit. Il semble donc qu’ils ne puissent engendrer.

 

[4153] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Si dicatur, quod generant per hoc quod idem Daemon succubus ad virum, est recipiens ab eo quod postmodum in mulierem transfundit, factus incubus ad eam; contra est, quod semen non habet virtutem generandi nisi quamdiu calor animae in eo retinetur, quem oportet exhalare per magnam distantiam delatum. Ergo videtur quod per istum modum generatio fieri non possit.

[2] Si on dit qu’ils engendrent du fait que le même démon succube pour un homme reçoit de lui ce qu’il reverse ensuite dans une femme, en en devenant incube[2], on opposera que la semence n’a de puissance d’engendrer qu’aussi longtemps que la chaleur de l’âme est retenue en elle, [chaleur] qu’elle perdra nécessairement en étant transportée sur une longue distance. Il semble donc que la génération ne puisse se produire de cette manière.

 

[4154] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 3 Praeterea, si fieret generatio talis per modum istum, non esset nisi secundum virtutem illius seminis. Ergo ex hoc non sequeretur quod geniti essent majoris virtutis quam alii homines, ut innuitur ex his quae sequuntur ibi, 4: isti sunt potentes a saeculo viri famosi.

[3] Si une telle génération se produisait de cette manière, ce ne serait que par la puissance de cette semence. Il en découlerait donc que ceux qui seraient engendrés seraient plus puissants que les autres hommes, comme l’insinue la suite, Gn 6, 4 : Ceux-là sont des hommes puissants du temps jadis, des hommes célèbres.

 

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – Peuvent-ils sentir ?

 

[4155] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Item, videtur quod possunt sentire. Assumunt enim corpora habentia diversa organa sensibilia. Sed hoc frustra esset, nisi per oculos viderent et per aures audirent. Ergo et cetera.

1. Il semble qu’ils puissent sentir. En effet, ils assument des corps qui possèdent différents organes sensibles. Or, cela serait inutile s’ils ne voyaient pas par les yeux et n’entendaient pas par les oreilles. Donc, etc.

 

[4156] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod sentire per organa corporalia est accipientis cognitionem a rebus: quod Angelis non convenit, ut dictum est. Ergo et cetera.

Cependant, [1] sentir par des organes est le fait de celui qui reçoit la connaissance à partir des choses, ce qui ne convient pas aux anges, comme on l’a dit. Donc, etc.

 

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – Peuvent-ils se mouvoir localement ?

 

[4157] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 1 Item, videtur quod possint localiter moveri, per id quod legitur Tobiae 6, et deinceps de Angelo qui comitatus est Tobiam per multa terrarum spatia.

1. Il semble qu’ils puissent se mouvoir localement selon ce qu’on lit en Tb 6 et, par la suite, à propos de l’ange qui accompagna Tobie sur une longue distance.

 

[4158] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est, quia quod conjungitur alicui solum ut motor, si in se sit immobile, non movetur ad motum ejus, sicut patet in motoribus orbium, secundum philosophos. Sed Angelus, inquantum in se est, est substantia spiritualis immobilis. Ergo videtur quod ad motum corporis, cui sicut motor tantum conjungitur, non moveatur.

Cependant, [1] ce qui est uni à quelque chose en tant que moteur seulement, s’il est en soi immobile, n’est pas mû par son mouvement, comme cela ressort pour les moteurs des sphères, selon le Philosophe. Or, en lui-même, l’ange est une substance spirituelle immobile. Il semble donc qu’il ne soit pas mû par le mouvement du corps auquel il est uni en tant que moteur.

 

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – Les anges parlent-ils ?

 

[4159] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 5 arg. 1 Item, videtur quod loquantur, ex multis Scripturae locis, quae frequenter eos hominibus locutos commemorat.

1. Il semble qu’ils parlent, d’après plusieurs passages de l’Écriture, qui rappelle qu’ils ont souvent parlé aux hommes.

 

[4160] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 5 s. c. 1 Sed contra est, quia in omni locutione exprimuntur quaedam intentiones intellectae. Sed hujusmodi intentiones non possunt pervenire de intellectu ad vocem, nisi aliquo mediante quod est proportionatum ad hujusmodi suscipienda, sicut imaginatio humana. Ergo videtur quod per corpus inanimatum assumptum vel per corpus brutum loqui non possunt.

Cependant, [1] en toute locution, sont exprimées les intentions comprises. Or, de telles intentions ne peuvent parvenir depuis l’intelligence jusqu’à la voix que par un intermédiaire qui est proportionné pour les recevoir, comme l’imagination humaine. Il semble donc que [les anges] ne puissent pas parler par un corps inanimé assumé ou par un corps d’animal sans raison.

 

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 

[4161] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod, ut praedictum est, Angeli corporibus assumptis vitam non influunt, sed tantum motum: et ideo considerandum est, quod omnes operationes quae sequuntur corpus vivum, inquantum vivum, non possunt Angelis in corporibus assumptis convenire; sed tantum illae quae consequuntur corpus mobile inquantum hujusmodi, ut movere, impellere, dividere et hujusmodi.

Comme on l’a dit plus haut, les anges ne donnent pas vie aux corps assumés, mais seulement le mouvement. C’est pourquoi il faut considérer que ne peuvent convenir aux anges dans des corps assumés toutes les opérations qui découlent d’un corps vivant, mais seulement celles qui découlent d’un corps mobile en tant que tel, comme mouvoir, pousser, diviser et les choses de ce genre.

 

[4162] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod comedere secundum completam rationem sui, non dicit solum divisionem cibi et trajectionem in os; sed et istum actum procedere a virtute potente digerere et convertere in nutrimentum: et ideo Angeli non vere comederunt, sed fuit ibi vera divisio cibi, et trajectio in corpus assumptum; qui postmodum non est conversus in corpus illud, sed virtute Angeli aliqua dissolutus est in praejacentem materiam. Christus autem vere comedit, quamvis cibus conversus non fuerit: quia illa decisio cibi fuit habentis virtutem nutritivam et conversivam. Abraham autem etsi in fine cognoverit eos esse Angelos, non tamen est inconveniens quod hoc eum in principio latuerit: vel si cognoverit, in alicujus mysterii commendationem eis cibos apposuit.

1. Manger, selon sa raison complète, n’exprime pas seulement la division de la nourriture et le passage par la bouche, mais le fait que cet acte provient d’une puissance qui peut digérer et convertir en nourriture. Aussi les anges n’ont-ils pas vraiment mangé, mais il y eut là une vraie division de la nourriture et un passage dans le corps assumé. Par la suite, elle ne fut pas convertie en ce corps, mais a été dissoute en la matière préexistante par la puissance de l’ange. Mais le Christ a vraiment mangé, bien que la nourriture n’ait pas été convertie, car cette division de la nourriture était le fait de celui qui possédait la puissance nutritive et de conversion. Même si, à la fin, Abraham a reconnu qu’ils étaient des anges, il n’est pas inapproprié que cela lui ait été caché au départ ; ou s’il le savait, il leur donna de la nourriture afin d’attirer l’attention sur un mystère.

 

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 

[4163] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad id quod secundo quaeritur, dicunt quidam, quod Daemones in corporibus assumptis nullo modo generare possunt; nec per filios Dei Angelos incubos significari dicunt, sed filios Seth, et per filias hominum eas quae de stirpe Cain descenderunt. Sed quia contrarium a multis dicitur, et quod multis videtur non potest omnino falsum esse, secundum philosophum, ideo potest dici, quod per eorum actum completur generatio, inquantum semen humanum apponere possunt in loco convenienti ad materiam proportionatam, sicut etiam semina aliarum rerum colligere possunt ad complendum aliquos effectus, ut in praecedenti distinctione dictum est, ut attribuatur id tantum eis quod est motus localis, non autem ipsa generatio cujus principium non est virtus Daemonis, aut corporis ab eo sumpti, sed virtus illius cujus semen fuit; unde et genitus non Daemonis sed alicujus hominis filius est.

À propos de la deuxième question, certains disent que les démons ne peuvent d’aucune manière engendrer dans les corps assumés. Ils disent aussi que par « fils de Dieu », ne sont pas signifiés les anges incubes, mais les fils de Seth, et par « filles des hommes », celles qui descendent de la lignée de Caïn. Mais parce que plusieurs disent le contraire et que ce que plusieurs croient ne peut être entièrement faux, selon le Philosophe, on peut dire que la génération est réalisée par leur acte dans la mesure où ils peuvent déposer la semence humaine dans le lieu qui convient à la matière proportionnée, de même qu’ils peuvent rassembler les semences d’autres choses afin de réaliser certains effets, comme on l’a dit dans la distinction précédente, de sorte que ne leur soit attribué que ce qui est mouvement local, mais non la génération elle-même, dont le principe n’est pas la puissance du démon ou du corps assumé par lui, mais la puissance de celui dont c’est la semence. Aussi celui qui est engendré n’est-il pas [le fils] du démon, mais le fils d’un homme.

 

[4164] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad s. c. 1 Et sic patet responsio ad primum quod contra objicitur.

[1] La réponse au premier argument ressort ainsi clairement.

 

[4165] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod cum hic Daemones velocissime moveantur propter victoriam virtutis moventis super rem motam, possunt aliqua ponere ad conservationem seminis, ne calor vitalis evaporet.

[2] Comme les démons sont mus ici très rapidement en raison de la victoire de la puissance qui meut sur la chose mue, ils peuvent mettre quelque chose pour conserver la semence afin que la chaleur vitale ne s’évapore pas.

 

[4166] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod Daemones possunt scire virtutem seminis decisi ex dispositione ejus a quo decisum est, et similiter mulierem proportionatam ad seminis illius susceptionem, et etiam constellationem juvantem ad effectum corporalem, scilicet optimae complexionis in genito: quibus omnibus concurrentibus, possibile est genitos corpore magnos esse vel fortes.

[3] Les démons peuvent savoir que la puissance de la semence séparée vient de la disposition de ce dont elle est séparée, et [connaître] aussi une femme proportionnée à la réception de cette semence, et aussi la constellation favorisant l’effet corporel, à savoir, la meilleure complexion de ce qui est engendré. Avec le concours de toutes ces choses, il est possible que ceux qui sont engendrés soient grands ou forts en leur corps.

 

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 

[4167] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad id quod tertio quaeritur, dicendum est, quod Angeli nullo modo vident per oculos corporis assumpti, quia haec est operatio potentiae corporis viventis; unde partes corporis assumpti non sunt organa sensibilia, sed similitudinem eorum habentia ad ostendendum Angelorum spirituales virtutes; unde Dionysius ex omnibus partibus humani corporis docet proprietates angelicas considerare; unde non frustra assumuntur.

À la troisième question, il faut répondre que les anges ne voient aucunement par les yeux du corps assumé, car c’est là l’opération d’une puissance du corps vivant. Aussi les parties du corps assumé ne sont-elles pas des organes sensibles, mais y ressemblent-elles pour montrer les puissances spirituelles des anges. Ainsi Denys, à partir de toutes les parties du corps humain, enseigne-t-il à considérer les propriétés angéliques. Elles ne sont donc pas assumées en vain.

 

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 

[4168] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 4 co. Ad id quod quarto quaeritur, dicendum est, quod moventur per accidens, motis corporibus in quibus sunt: quia definitive sunt in illis corporibus, ita quod non alibi. Deus autem non movetur ad motum alicujus corporis: quia ita est in uno quod etiam in alio: sicut anima non movetur per accidens ad motum manus sed ad motum totius corporis. Similiter etiam motor orbis coniungitur orbi secundum philosophos, et non uni parti tantum; quamvis virtus ejus primo appareat in parte dextera unde incipit motus, et ideo non movetur per accidens, quia totus orbis non movetur extra locum suum, nisi hoc modo quod sit in alio loco ratione et non subjecto.

Ils se meuvent par accident, alors que les corps dans lesquels ils se trouvent sont mus, car ils se trouvent dans ces corps de manière circonscrite, de telle sorte qu’ils ne sont pas ailleurs. Or, Dieu n’est pas mû par le mouvement d’un corps, car il se trouve dans une chose comme il se trouve aussi dans une autre, comme l’âme n’est pas mue par accident en raison du mouvement de la main, mais du mouvement de tout le corps. Le moteur du monde est ainsi uni au monde, selon les philosophes, et non pas à une seule partie seulement, bien que sa puissance apparaisse d’abord du côté droit d’où s’amorce le mouvement. Aussi n’est-il pas mû par accident, car le monde tout entier n’est pas mû en dehors de son lieu, si ce n’est qu’il se trouve de cette manière dans un autre lieu selon la raison, et non selon son sujet.

 

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

 

[4169] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 5 co. Ad id quod quinto quaeritur dicendum, quod loqui proprie est per formationem vocum ex percussione aeris respirati, determinatis organis, ad exprimendum aliquem intellectum; et ideo locutio corporalis Angelis convenire non potest in corporibus assumptis, secundum completam significationem, cum non habeant vera organa corporalia; sed est aliqua similitudo locutionis, inquantum intelligunt, et intellectum exprimunt quibusdam sonis, qui proprie non sunt voces sed similitudines vocum; sicut etiam quaedam animalia non respirantia dicuntur vocare, et etiam quaedam instrumenta, ut dicit philosophus. Intentiones autem intellectae ab Angelo efficiuntur in illis sonis non eaedem numero sed secundum similitudinem significationis per motus determinatos ab intellectu, sicut similitudo artis efficitur in materia, ut domus.

Au sens propre, parler se réalise par la formation de sons par le battement de l’air respiré à l’intérieur d’organes déterminés, afin d’exprimer une idée. C’est pourquoi, selon sa pleine signification, le langage corporel ne peut convenir, aux anges dans des corps assumés, puisqu’ils n’ont pas de véritables organes corporels. Mais il existe une certaine ressemblance avec la parole dans la mesure où ils intelligent et expriment ce qu’ils ont compris par certains sons, qui ne sont pas à proprement parler des mots, mais des ressemblances avec les mots, à la manière dont on dit que certains animaux qui ne respirent pas parlent et même certains instruments, comme le dit le Philosophe. Mais les intentions comprises par l’ange sont réalisées par ces sons sans être les mêmes numériquement, mais par une ressemblance avec la signification par des mouvements déterminés par l’intelligence, comme la similitude de l’art se réalise dans la matière, telle une maison.

 

 

 

 

Articulus 5 [4170] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 tit. Utrum Daemones possint esse intra corpora hominum

Article 5 – Les démons peuvent-ils se trouver à l’intérieur des corps des hommes ?

 

[4171] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Daemones intra corpora hominum esse non possint. Dicit enim Glossa super illud Habac. 2, 20: dominus in templo sancto suo, quod Daemones simulacris exterius praesidere possunt, non autem interius adesse. Ergo multo minus intra humana corpora.

1. Il semble que les démons ne peuvent pas se trouver à l’intérieur des corps des hommes. En effet, la Glose dit, à propos de Ha 2, 20 : Le Seigneur en son temple saint, devant lequel les démons peuvent être extérieurement assis par des simulacres, mais non y être présents intérieurement. Encore bien moins, donc, à l’intérieur des corps humains.

 

[4172] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, duo spiritus creati non possunt esse in eodem loco, ut in primo dictum est. Sed anima est in qualibet parte corporis. Ergo videtur quod in nulla parte ejus possit esse Daemon.

2. Deux esprits créés ne peuvent se trouver dans un même lieu, comme on l’a dit dans le premier [livre]. Or, l’âme se trouve dans toutes les parties du corps. Il semble donc que le démon ne puisse se trouver dans aucune de ses parties.

 

[4173] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, secundum Damascenum, Angelus est ubi operatur. Sed sicut operatur in corpore, ita etiam habet aliquam operationem circa animam. Ergo sicut intra animam non est, ita nec intra corpus.

3. Selon [Jean] Damascène, l’ange se trouve là où il agit. Or, de même qu’il opère dans le corps, de même a-t-il une certaine opération sur l’âme. De même qu’il ne se trouve pas à l’intérieur de l’âme, de même ne se trouve-t-il donc pas à l’intérieur du corps.

 

[4174] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, videtur quod in sensus corporales imprimere non possit praestigiis deludendo. Illa enim forma quae videtur oportet quod sit alicubi. Sed non potest esse tantum in sensu: quia sensus non habet aliquam speciem nisi a rebus acceptam: nec iterum potest esse in re quae videtur sic quod mulier videatur equa: quia duae formae substantiales non possunt esse in eodem; et praeterea res illa videretur talis ab omnibus: nec iterum in aere circumstante qui susceptibilis figurae non est, nec semper unus et idem circa rem illam manet, praecipue quando movetur. Ergo videtur quod hujusmodi ludificationes per Daemones fieri non possint.

4. Il semble qu’il ne puisse agir sur les sens corporels en les trompant par des impostures. En effet, il est nécessaire que la forme qui est vue soit quelque part. Or, elle ne peut se trouver seulement dans le sens, car le sens ne possède d’espèce que celle qui est tirée des choses ; de plus, elle ne peut se trouver dans la chose qui est vue, de telle sorte qu’une jument ressemble à une femme, car deux formes substantielles ne peuvent exister dans la même chose. De plus, cette chose se présenterait comme la même pour tous. Elle ne se trouve pas non plus dans l’air ambiant, qui peut recevoir la figure, toujours unique et identique en rapport avec cette chose, surtout lorsqu’elle se meut. Il semble donc que ces mystifications ne peuvent pas être accomplies par les démons.

 

[4175] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 5 Sed contra, videtur quod etiam in animam illabi possunt. Quia ea quae sunt in corde, nullus scire potest, nisi cordis intima penetret. Sed Daemones sciunt cogitationes malas peccatorum: quas apud Deum accusant, et ex quibus occasionem tentandi sumunt. Ergo videtur quod animae illabantur.

[5] Cependant, il semble qu’ils peuvent s’introduire dans l’âme, car ce qui se trouve dans le cœur, personne ne peut le savoir, à moins de pénétrer dans l’intimité des cœurs. Or, les démons connaissent les pensées mauvaises des pécheurs, qu’ils accusent devant Dieu et dont ils tirent occasion pour les tenter. Il semble donc qu’ils pénètrent dans l’âme.

 

[4176] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, ipsi immittunt malas cogitationes, ut dicitur in Psalm. 79, 49: immissiones per Angelos malos. Ergo videtur quod intellectum penetrare possint.

[6] Eux-mêmes envoient des pensées mauvaises, comme il est dit dans Ps 78, 49 : Des envois par des anges mauvais. Il semble donc qu’ils puissent pénétrer l’intelligence.

 

[4177] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 7 Praeterea, ipsi etiam dicuntur incentores malorum. Sed incendere pertinet ad affectum cujus est amare. Ergo videtur quod etiam in voluntatem nostram imprimere possint et eam intrare.

[7] On dit aussi qu’ils suscitent des maux. Or, susciter relève de l’affectivité, dont aimer est [un acte]. Il semble donc qu’ils puissent agir même sur notre volonté et y pénétrer.

 

[4178] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod Angeli boni et mali ex virtute naturae suae habent potestatem transmutandi corpora nostra sicut etiam alia corpora naturalia; et quia ubi operantur ibi sunt, ideo nostris corporibus illabuntur, et per consequens etiam impressionem habent in potentias affixas organis, quarum operationes immutantur ad immutationem organorum, sicut est sensus, imaginationis, et hujusmodi; sic etiam per accidens eorum operatio resultat in intellectum, cujus objectum est phantasia, sicut color visus, ut dicitur in 3 de anima. Sed tamen hoc non provenit usque ad voluntatem: quia voluntas neque quantum ad actum neque quantum ad objectum dependet ex organo corporali: quia objectum suum ab intellectu accipit secundum quod intellectus apprehendit aliquid in ratione boni.

Réponse. Les anges bons et mauvais possèdent, par la puissance de leur nature, le pouvoir de changer nos corps, comme les autres corps naturels. Et parce qu’ils sont là où ils agissent, c’est pourquoi ils pénètrent dans nos corps et, par conséquent, agissent sur les puissances associées à des organes, dont les opérations sont changées par le changement des organes, comme le sens, l’imagination et celles de ce genre. C’est ainsi que, par accident, leur opération affecte l’intelligence, dont l’objet est l’imagination, comme la couleur l’est de la vision, ainsi qu’il est dit dans Sur l’âme, III. Cependant, cela ne parvient pas jusqu’à la volonté, car la volonté ne dépend d’un organe corporel ni pour son acte ni pour son objet ; elle reçoit son objet de l’intelligence selon que l’intelligence saisit quelque chose sous la raison de bien.

 

[4179] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Daemon dicitur non intus adesse simulacro quasi virtus conjuncta, ita quod ex Daemone et simulacro fiat unum, sicut idolatrae putabant aliquod numen in imaginibus corporalibus esse.

1. On dit que le démon n’est pas intérieurement présent par un simulacre comme par une puissance associée, de telle sorte que le démon et le simulacre deviennent une seule chose, comme les idolâtres pensaient qu’il existait une puissance divine dans des images corporelles.

 

[4180] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima non est in corpore sicut in loco, sed sicut forma in materia; et ideo non est unius rationis operatio quam anima in corpus efficit, et Daemon; unde sine confusione operationum utrumque simul in eadem corporis parte esse potest.

2. L’âme n’est pas dans le corps comme dans un lieu, mais comme une forme dans la matière. C’est pourquoi l’opération que l’âme réalise sur le corps ne fait pas une seule chose avec le démon. Ainsi les deux peuvent se trouver en même temps dans la même partie du corps sans confusion des opérations.

 

[4181] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod esse intra aliquid, est esse intra terminos ejus. Corpus autem habet terminos duplicis rationis, scilicet quantitatis et essentiae; et ideo Angelus operans intra terminos corporalis quantitatis, corpori illabitur; non autem ita quod sit intra terminos essentiae suae, nec sicut pars, nec sicut virtus dans esse: quia esse est per creationem a Deo. Substantia autem spiritualis non habet terminos quantitatis, sed tantum essentiae; et ideo in ipsam non intrat nisi ille qui dat esse, scilicet Deus creator, qui habet intrinsecam essentiae operationem; aliae autem perfectiones sunt superadditae ad essentiam; unde Angelus illuminans non dicitur esse in Angelo et in anima, sed extrinsecus aliquid operari.

3. Être dans quelque chose, c’est être à l’intérieur de ses limites. Or, le corps a des limites pour une double raison : sa quantité et son essence. C’est pourquoi l’ange qui agit à l’intérieur des limites de la quantité corporelle pénètre dans le corps, mais non de telle sorte qu’il soit à l’intérieur des limites de son essence, ni en tant que partie, ni en tant que puissance qui donne l’être, car l’être vient de Dieu par création. Mais la substance spirituelle n’a pas de termes quantitifs, mais seulement essentiels. C’est pourquoi n’entre en elle que celui qui donne l’être, à savoir Dieu Créateur, qui agit sur l’essence de l’intérieur. Mais les autres perfections sont ajoutées à l’essence. Ainsi, on ne dit pas que l’ange qui illumine est dans l’ange et dans l’âme, mais qu’il fait quelque chose de l’extérieur.

 

[4182] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod formae quae videntur in istis praestigiis, non sunt nisi in sensu. Hoc autem potest dupliciter contingere per Daemonum operationem. Uno modo ut species quae sunt in imaginatione servatae operatione Daemonum ad organa sensuum fluant, sicut contingit in somno; et ideo quando illae species contingunt organa sensus exterioris, videntur ac si essent res praesentes extra, et actu sentirentur. Alius modus potest esse ex immutatione organorum, quibus immutatis, fallitur sensus judicium, sicut in eo qui habet gustum corruptum, cui omnia videntur amara. Hoc autem facere possunt virtute quarumdam rerum naturalium, sicut ad vaporationem cujusdam fumi trabes domus videntur serpentes, et multa experimenta hujusmodi inveniuntur.

4. Les formes qui sont vues dans ces impostures n’existent que dans le sens. Or, ceci peut se produire par l’opération des démons de deux manières. D’une manière, parce que les espèces qui sont conservées dans l’imagination parviennent aux organes des sens par l’opération des démons, comme cela se produit dans le sommeil ; aussi lorsque ces espèces atteignent les organes du sens extérieur, il semble qu’elles sont comme des choses présentes à l’extérieur et comme si elles étaient ressenties en acte. L’autre manière peut venir du changement des organes : une fois ceux-ci changés, le jugement du sens se trompe, comme celui qui a le goût corrompu et à qui tout paraît amer. [Les démons] peuvent faire cela par la puissance de certaines choses naturelles : ainsi, en raison de la vapeur d’une fumée, les poutres d’une maison paraissent être des serpents, et on trouve beaucoup d’expériences de ce genre.

 

[4183] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cogitationes cordium scire solius Dei est. Possunt tamen Angeli aliquas earum conjicere ex signis corporalibus exterioribus, scilicet ex immutatione vultus, sicut dicitur: in vultu legitur hominis secreta voluntas: et ex motu cordis, sicut per qualitatem pulsus etiam a medicis passiones animae cognoscuntur.

5. Connaître les pensées des cœurs relève de Dieu seul. Cependant, les anges peuvent en conjecturer certaines à partir de signes corporels extérieurs, par exemple, par le changement du visage, ainsi qu’il est dit : Sur le visage, on lit le désir secret de l’homme, et à partir du mouvement du cœur, comme les passions de l’âme sont aussi connues des médecins par la qualité du pouls.

 

[4184] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod mali Angeli cogitationes immittunt, ut prius dictum est, illustrando phantasmata, ut secundum diversas eorum compositiones possint novae intentiones ab eis accipi. Non tamen intellectus cogitur eas accipere: quia praeter objectum et potentiam cognoscentem, exigitur ad actualem cognitionem intentio cognoscentis vel per sensum vel per intellectum. Sed boni Angeli etiam directe in intellectum imprimere possunt: quia, secundum Augustinum, operantur in intelligentias nostras miris quibusdam modis. Hoc autem est inquantum lumen intellectus agentis nostri confortatur per intellectuale lumen ipsorum. Sed hoc Daemonibus non competit: quia quamvis naturale lumen eorum sit efficacius quam lumen intellectus nostri, tamen lumine gratiae non sunt perfecti, sed tenebris culpae obumbrati; et ideo non intendunt judicium rationis nostrae rectificare per conformationem intellectualis luminis, sed aliqua nobis ostendere ex quibus decipiamur, quod faciunt phantasmata illustrando.

6. Comme on l’a dit plus haut, les anges mauvais envoient des pensées en éclairant des fantasmes, de sorte que, selon leurs diverses compositions, de nouvelles intentions puissent être reçues d’eux. Toutefois, l’intelligence n’est pas obligée de les recevoir, car, en plus de l’objet et de la puissance connaissante, est nécessaire pour la connaissance en acte l’intention de celui qui connaît, soit par le sens, soit par l’intellect. Mais les anges bons peuvent aussi agir directement sur l’intelligence, car, selon Augustin, ils agissent sur nos intelligences selon des modes admirables. Cela est dû au fait que la lumière de notre intellect agent est renforcée par leur lumière intellectuelle. Mais cela ne convient pas aux démons : bien que leur lumière naturelle soit plus efficace que la lumière de notre intellect, ils ne sont cependant pas perfectionnés par la lumière de la grâce, mais ombragés par les ténèbres de la faute. Aussi ne cherchent-ils pas à redresser le jugement de notre raison par la conformité à leur lumière intellectuelle, mais à nous montrer des choses par lesquelles nous sommes trompés, ce qu’ils font en éclairant les fantasmes.

 

[4185] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Daemones dicuntur incentores, inquantum faciunt fervere sanguinem; et sic anima ad concupiscendum disponitur, sicut etiam quidam cibi libidinem provocant. In voluntatem autem imprimere solius Dei est, quod est propter libertatem voluntatis, quae est domina sui actus, et non cogitur ab objecto, sicut intellectus cogitur demonstratione. Unde patet ex praedictis quod Daemones imprimunt in phantasiam, sed Angeli etiam in intellectum; Deus autem solus in voluntatem.

7. Les démons sont appelés des incendiaires parce qu’ils échauffent le sang. L’âme se trouve ainsi disposée à convoiter, comme certains provoquent un désir désordonné de nourriture. Mais agir sur notre volonté est le fait de Dieu seul : la raison en est la liberté de la volonté, qui est maîtresse de son acte et n’est pas contrainte par son objet, comme l’intellect est contraint par une démonstration. Il ressort donc clairement de ce qui a été dit que les démons agissent sur les fantasmes, les anges [bons] aussi sur l’intellect, mais Dieu seul sur la volonté.

 

 

 

 

Articulus 6 [4186] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 tit. Utrum Deus apparuerit in figuris corporalibus

Article 6 – Dieu est-il apparu sous des figures corporelles ?

 

[4187] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod ipse Deus in corporalibus figuris non apparuerit. Hujusmodi enim apparitiones factae patribus in prophetis, factae sunt mediantibus Angelis, quorum etiam dispositione lex tradita est, ut dicitur Act. 7, et ad Hebr. 2. Sed ille apparet qui immediate revelationem facit. Ergo videtur quod in hujusmodi formis corporalibus Deus non apparuerit.

1. Il semble que Dieu lui-même ne soit pas apparu sous des figures corporelles. En effet, les apparitions de ce genre faites aux pères par les prophètes ont été réalisées par l’intermédiaire d’anges, par la disposition desquels la loi a aussi été transmise, comme il est dit dans Ac 7 et He 2. Or, celui-là apparaît qui fait une révélation de manière immédiate. Il semble donc que Dieu ne soit pas apparu sous des formes corporelles de ce genre.

 

[4188] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, Angelus apparens visibiliter assumit corpus in quo videtur. Sed Deus nunquam assumpsit corpus, nisi in unitate personae. Ergo videtur, quod ipse in corporalibus figuris non videatur.

2. L’ange qui apparaît assume visiblement le corps dans lequel il est vu. Or, Dieu n’a jamais assumé un corps que dans l’unité de la personne. Il semble donc que lui-même ne soit pas vu sous des figures corporelles.

 

[4189] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, Angelus qui apparet in aliquo corpore, est in eo in quo prius non fuerat. Sed in illis creaturis in quibus apparere dicitur Deus non est nisi sicut prius fuerat, scilicet per essentiam, praesentiam; et potentiam. Ergo videtur quod ipse non apparebat.

3. L’ange qui apparaît dans un corps se trouve là où il n’était pas antérieurement. Or, dans les créatures où l’on dit qu’il apparaît, Dieu ne se trouve qu’à la manière où il s’y trouvait antérieurement, à savoir, par son essence, sa présence et sa puissance. Il semble donc que lui-même n’est pas apparu.

 

[4190] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, si ipse Deus apparuerit, ergo videtur quod missio visibilis facta fuerit in veteri testamento, sicut etiam in novo, quod a sanctis negatur.

4. Si Dieu lui-même était apparu, il semble donc qu’une mission visible se soit réalisée sous l’Ancienne Alliance, comme sous la Nouvelle, ce qui est nié par les saints.

 

[4191] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra est, quod dicitur Exod. 20, 3, ubi dominus loquitur ad populum dicens: non erunt tibi alii dii praeter me; et frequenter etiam invenitur: ego dominus. Ergo videtur quod ipsemet Deus apparuerit.

Cependant, [1] il est dit en Ex 20, 3 : Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi. On trouve aussi fréquemment : Moi, le Seigneur. Il semble donc que Dieu lui-même soit apparu.

 

[4192] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, Isai. 6, 1, dicitur: vidi dominum sedentem super solium excelsum et elevatum, quod non potest convenire nisi ipsi Deo. Ergo videtur, quod ipsum Deum viderit.

[2] Il est dit en Is 6, 1 : Je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose et surélevé, ce qui ne peut convenir qu’à Dieu lui-même. Il semble donc que [Isaïe] a vu Dieu lui-même.

 

[4193] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod Deus secundum essentiam suam corporalibus oculis nunquam videri potest nec etiam intellectu nisi a beatis, sed in corporalibus formis hominibus apparuit. Haec autem apparitio facta est ministerio Angelorum, ut dicit Augustinus in Lib. de Trinitate: quia divinae illuminationes non veniunt in nos nisi mediante caelesti hierarchia, ut dicit Dionysius. Unde in omnibus illis apparitionibus corporalibus corpus formatum est et assumptum et motum ab Angelo; sed tamen in corpore assumpto per Angelum dicitur apparere Angelus, et aliquando Deus. Formatio enim et apparitio corporis assumpti, ut dictum est, fit ad ostendendas proprietates spiritualium substantiarum. Quandoque enim Angelus, qui immediate illuminat hominem, vult instruere eum de propria virtute quam ipse habet; et tunc in corpore illo exprimit similitudines suae virtutis; et sic dicitur ille inferior Angelus apparere. Aliquando autem vult instruere hominem de virtute divina, vel etiam superioris Angeli, per quam operatur; et tunc format corpus assumptum ad exprimendam eminentiam divinae majestatis vel etiam proprietates superioris Angeli; et tunc dicitur Deus apparere vel ille superior Angelus; et hoc etiam Gregorius dicit in Glossa Exodi 3 assignans causam quare Angelus qui loquebatur Moysi, quandoque vocatur Angelus, quandoque dominus.

Réponse. Dieu ne peut jamais être vu en son essence par des yeux corporels et [il ne peut l’être] par l’intelligence que par les bienheureux ; mais il est apparu à des hommes sous des formes corporelles. Or, cette apparition s’est réalisée par le ministère des anges, comme le dit Augustin dans le livre Sur la Trinité, car les illuminations divines ne nous parviennent que par l’intermédiaire de la hiérarchie céleste, comme le dit Denys. Aussi, dans toutes ces apparitions corporelles, un corps a-t-il été formé, assumé et mû par un ange. Cependant, on dit qu’un ange et parfois Dieu apparaissent dans le corps assumé par un ange. En effet, la formation et l’apparition du corps assumé, comme on l’a dit, se réalise en vue de manifester les propriétés des substances spirituelles, car l’ange, qui veut parfois illuminer un homme de manière immédiate, veut lui montrer la puissance propre que lui-même possède. Il représente alors des ressemblances de sa puissance dans ce corps. Ainsi dit-on que cet ange inférieur apparaît. Mais, parfois, il veut montrer à un homme la puissance divine ou même celle d’un ange supérieur, par laquelle il agit. Il forme alors le corps assumé afin de représenter l’élévation de la majesté divine ou encore les propriétés d’un ange supérieur. On dit alors que Dieu apparaît ou cet ange supérieur. C’est aussi ce que dit Grégoire dans une glose sur Ex 3, en indiquant la cause pour laquelle l’ange qui parlait à Moîse est appelé parfois « ange », et parfois « Seigneur ».

 

[4194] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum: quia non dicitur apparere ille Angelus qui immediate corpus format, sed Deus, cujus proprietates in figura ostensi corporis significantur.

1. Ainsi ressort clairement la réponse au premier argument, car on ne dit pas qu’apparaît l’ange qui forme le corps de manière immédiate, mais Dieu, dont les propriétés sont signifiées dans la figure du corps qui est montré.

 

[4195] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 ad 2 Et similiter ad secundum: quia quamvis Angelus corpus formet vel moveat, non tamen ipse apparere dicitur, ratione jam dicta, sed Deus.

2. Bien que l’ange forme et meuve le corps, on ne dit pas qu’il apparaît, mais Dieu, pour la raison déjà donnée.

 

[4196] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus erat in illis creaturis novo modo, sicut signatum in signo.

3. Dieu se trouvait dans ces créatures d’une nouvelle manière, comme ce qui est signifié dans le signe.

 

[4197] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod immissio visibilis divinae personae differt ab apparitione, de qua differentia dictum est, in 1, dist. 16.

4. L’envoi visible d’une personne divine diffère d’une apparition. Il a été question de cette différence dans le livre I, d. 16.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 8

 

[4198] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 expos. Ad patiendum humor et humus; ad faciendum aer et ignis aptitudinem habent. Videtur hoc esse falsum: quia in aqua dominatur qualitas activa, scilicet frigidum; et ita videtur magis esse activa quam aer in quo dominatur qualitas passiva, scilicet humidum. Et dicendum, quod ista objectio procedit, considerata actione et passione secundum qualitates activas et passivas. Sed aliter est, si consideretur secundum formas substantiales quae sunt prima principia actionis; quanto enim aliquid est magis subtile, magis est activum, quia plus habet de forma; et grossum est magis passivum, quia plus habet de materia. Sed ubi Deum hominibus in corporalibus imaginibus apparuisse asserit, perplexam quaestionem proponit. Hic movetur quaestio habens tres partes secundum tres modos quibus potest divina apparitio aestimari. Unus modus est ut aliqua nova creatura creetur ad hoc quod in ea Deus appareat, et hoc verum est si per creationem intelligatur formatio corporis facta per ministerium Angelorum. Secundus modus est ut Angeli corpora naturaliter unita diversimode transforment ad exprimendum diversas similitudines. Tertius modus est ut supra corpora quae habent, alia grossiora assumant, quasi indumenta quibus induantur: et utrumque istorum falsum est, quia supponit Angelos habere corpora naturaliter unita. Visibile enim quidquam non est quod non sit mutabile. Istud absolute verum est, si intelligatur de visu exteriori: quia omne visibile est corpus naturale, et omne corpus naturale est mobile vel secundum locum vel alio modo. Daemones per energicam operationem non credimus substantialiter illabi animae. Energia dicitur ab en quod est in, et ergia, quod est labor, et geos, quod est terra et convenit his qui interius terrestri et melanchonico humore laborant: quia tales usu rationis privantur; ideo energumeni etiam dicuntur illi qui interius a Daemone possidentur.

 

 

 

 

 

Distinctio 9

Distinction 9 – [La dignité des anges bons]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[4199] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 pr. Determinatis his quae pertinent ad statum creationis Angelorum, et ad distinctionem eorum per conversionem et aversionem, hic determinat ea quae pertinent ad dignitatem bonorum; et dividitur in partes duas: in prima determinat de distinctione ordinum; in secunda determinat quosdam actus qui sequuntur ordines distinctos, 10 dist.: hic etiam investigandum est, utrum omnes illi caelestes spiritus ad exteriora nuntianda mittantur. Prima in duas: in prima determinat ordinum Angelorum distinctionem; in secunda ostendit quomodo homines assumuntur ad ordines Angelorum, ibi: est notandum quod decimus ordo legitur de hominibus restaurandus. Prima in tres: in prima ostendit ordinum distinctionem; in secunda distinctionis principium quantum ad durationem, ibi: jam nunc inquirere restat, utrum et isti ordines a creationis initio ita fuerint distincti; in tertia distinctionis modum quantum ad aequalitatem, ibi: praeterea considerari oportet utrum omnes Angeli ejusdem ordinis aequales sint. Circa primum tria facit: primo ponit ordinum distinctionem; secundo assignat distinctionis rationem, ibi: hic considerandum est quid appelletur ordo; tertio assignat causam nominationis ipsorum, ibi: haec nomina non propter se, sed propter nos eis data sunt; et circa hoc duo facit: primo determinat veritatem; secundo excludit objectionem, ibi: sed oritur hic quaestio talis. Notandum est etiam, quod decimus ordo legitur de hominibus reparandus. Hic ostendit quomodo homines ad Angelorum ordines assumuntur; et circa hoc duo facit: primo ostendit per quem modum assumuntur, utrum ad unum ordinem decimum, vel ad omnes novem; secundo ostendit eorum qui assumuntur numerum, ibi: non enim juxta numerum eorum qui ceciderunt, sed eorum qui permanserunt, homines ad beatitudinem admittuntur; ubi duo facit: primo ostendit veritatem; secundo excludit contrarietatem, ibi: a quibusdam tamen putatur quod homines reparentur juxta numerum Angelorum qui ceciderunt. Hic quaeruntur octo: 1 quid sit hierarchia; 2 de actibus hierarchiae; 3 de distinctione hierarchiarum et ordinum; 4 de nominatione ordinum distinctorum; 5 de distinctione vel aequalitate personarum in uno ordine existentium; 6 de generatione hierarchiarum; 7 de principio ordinum; 8 de eorum restauratione per homines facta.

Après avoir déterminé de ce qui se rapporte à l’état de la création des anges et à leur distinction selon leur conversion et leur aversion, [le Maître] détermine ici de ce qui se rapporte à la dignité des [anges] bons. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de la distinction entre les ordres ; dans la seconde, il détermine de certains actes qui découlent des ordres distincts, d. 10 : « Il faut ici rechercher si tous les esprits célestes sont envoyés pour annoncer des choses extérieures. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la distinction des ordres des anges ; dans la seconde, il montre comment des hommes sont assumés dans les ordres des anges, à cet endroit : « Il faut noter ici qu’on lit, à propos d’un dixième ordre, qu’il doit être rétabli pour les hommes. » La première partie se divise en trois. Dans la première, il montre la distinction des ordres. Dans la deuxième, [il montre] le principe de la distinction du point de vue de la durée, à cet endroit : « Il reste maintenant à rechercher si ces ordres ont été ainsi distingués dès le début de la création. » Dans la troisième, [il montre] le mode de la distinction du point de vue de l’égalité, à cet endroit : « De plus, il faut examiner si tous les anges d’un même ordre sont égaux. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente la distinction des ordres. Deuxièmement, il donne la raison de la distinction, à cet endroit : « Ici, il faut considérer ce qu’on appelle un ordre... » Troisièmement, il donne la cause de leurs noms, à cet endroit : « Ces noms ne leur ont pas été donnés pour eux-mêmes, mais pour nous. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité ; deuxièmement, il écarte une objection, à cet endroit : « Mais cette question est soulevée ici… » « Il faut noter ici qu’on lit, à propos d’un dixième ordre, qu’il doit être rétabli pour les hommes. » Il montre ici comment les hommes sont assumés dans les ordres des anges. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre de quelle manière ils sont assumés dans un dixième ordre seulement, ou dans tous les neuf ; deuxièmement, il montre le nombre de ceux qui sont assumés, à cet endroit : « En effet, les hommes sont admis dans la béatitude, non pas selon le nombre des [anges] qui sont tombés, mais de ceux qui sont restés. » Il fait là deux choses : premièrement, il montre la vérité ; deuxièmement, il écarte son contraire, à cet endroit : « Certains pensent que les hommes sont rétablis selon le nombre des anges qui sont tombés. » Ici, huit questions sont posées : 1. Qu’est-ce qu’une hiérarchie ? 2. Sur les actes de la hiérarchie. 3. Sur la distinction entre les hiérarchies et les ordres. 4. Sur les noms des différents ordres. 5. Sur la distinction ou l’égalité des personnes se trouvant dans un seul ordre. 6. Sur la génération des hiérarchies. 7. Sur le principe des ordres. 8. Sur leur rétablissement réalisé par les hommes.

 

 

 

 

Articulus 1 [4200] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 tit. Utrum definitio hierarchiae data a Dionysio, sit conveniens

Article 1 – La définition de la hiérarchie donnée par Denys est-elle appropriée ?

 

[4201] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur: et ponitur definitio Dionysii in 4 cap. Cael. Hierar.: hierarchia est divinus ordo et scientia et actio, deiforme, quantum possibile est, similans, ad inditas ei divinitus illuminationes proportionabiliter in Dei similitudinem conscendens. Videtur autem quod sit incompetens. Quia definitio nihil superfluum debet continere. Sed ipse alibi definiens hierarchiam dicit: hierarchia est ad Deum, quantum possibile est, unitas et similitudo. Cum ergo in praeassignata descriptione praeter divinam similitudinem multa ponantur, videtur quod sint superflua.

1. La définition de Denys, La hiérarchie céleste, IV, est d’abord donnée : « La hiérarchie est un ordre divin, une science et une action, assimilant à quelque chose de déiforme, autant que cela est possible, qui s’élève d’une manière proportionnée par des illuminations divines infusées en vue d’une ressemblance avec Dieu. » Mais il semble qu’elle ne soit pas appropriée, car une définition ne doit contenir rien de superflu. Or, lui-même définit ailleurs la hiérarchie : « La hiérarchie est une unité et une ressemblance avec Dieu, autant que cela est possible. » Puisque, en plus de la ressemblance avec Dieu, plusieurs choses sont indiquées dans la description rappelée plus haut, il semble qu’elles soient superflues.

 

[4202] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, pars non debet poni in definitione totius, ad minus sicut genus. Sed ordo est pars hierarchiae, cum unaquaeque hierarchia tres ordines contineat. Ergo videtur inconvenienter dicere: hierarchia est ordo.

2. La partie ne doit pas être mise dans la définition du tout, du moins comme genre. Or, l’ordre est une partie de la hiérarchie, puisque chaque hiérarchie contient trois ordres. Il semble donc dire de manière inappropriée : « La hiérarchie est un ordre... »

 

[4203] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, in Angelis non tantum est ordo secundum scientiam, sed etiam secundum alia dona et naturalia et gratuita; quae omnia excellentius sunt in superioribus quam in inferioribus. Ergo sicut ponit scientiam, debuit alia dona ponere.

3. Chez les anges, il n’y a pas un ordre seulement selon la science, mais aussi selon d’autres dons, naturels et gratuits, qui existent tous de manière plus élevée chez les [anges] supérieurs que chez les inférieurs. De même que [Denys] indique la science, il devait donc indiquer les autres dons.

 

[4204] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, actio pertinet ad ministrantes. Sed hierarchia est communis ministrantibus et assistentibus. Ergo videtur quod describat commune per proprium; quod est contra artem definitionum.

4. L’action concerne ceux qui servent. Or, la hiérarchie est commune à ceux qui servent et à ceux qui entourent. Il semble donc que [Denys] décrive ce qui est commun par ce qui est propre, ce qui va à l’encontre de l’art des définitions.

 

[4205] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, idem non potest poni in diversis generibus non subalternatim positis. Ergo videtur, cum scientia et actio et ordo non subalternentur invicem, quod inconvenienter assignantur hierarchiae tamquam genera in praedicta descriptione.

5. La même chose ne peut être placée dans divers genres non sublaternés. Puisque la science, l’action et l’ordre ne sont pas subalternés, il semble donc qu’ils soient attribués de manière inappropriée à la hiérarchie comme des genres dans la description rappelée plus haut.

 

[4206] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, in divinis personis non est ordo scientiae et actionis, cum sit una scientia et actio trium. Hoc autem pertinet ad rationem hierarchiae, quod sit ordo scientiae et actionis. Ergo videtur quod non similet deiforme.

6. Chez les personnes divines, il n’existe pas d’ordre de la science et de l’action, puisqu’il n’existe qu’une seule science et une seule action chez les trois. Or, il relève de la raison de hiérarchie qu’il y ait un ordre de la science et de l’action. Il semble donc qu’elle n’assimile par à ce qui est déiforme.

 

[4207] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, idem est deiformitas et similitudo divina. Ergo videtur esse verborum inculcatio, cum dicit: in divinam similitudinem ascendens, postquam dixerat: deiforme similans.

7. De plus, être déiforme et être semblable à Dieu est la même chose. Il semble donc que ce soit une répétition lorsqu’il dit : « … s’élevant vers une ressemblance avec Dieu », après avoir dit : « assimilant à quelque chose de déiforme. »

 

[4208] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod hierarchia dicitur quasi sacer principatus a hieron, quod est sacrum, et archon, quod est princeps. In omni autem principatu requiritur gradus potestatis et finis; unde in sacro principatu oportet hujusmodi sacra et divina esse: et ideo, sicut in principatu saeculari finis est ut subjecta multitudo pacifice disponatur ad bonum intentum a principe, sicut patet in exercitu, qui, secundum philosophum, ordinatur ad bonum ducis sicut ad finem ultimum; ita oportet quod in sacro principatu finis sit assimilatio ad Deum. Hunc autem finem non est possibile Angelos consequi nisi per ordinatam actionem, ad quam exigitur ordinata potestas et scientia dirigens: et ideo in definitione hierarchiae ponitur ordo, in quo exprimitur gradus potestatis, et scientia sicut dirigens, et actio sicut ad finem inducens, et Dei similitudo sicut finis intentus.

Réponse. « Hiérarchie », tiré de « hieron », qui signifie « sacré », et de « archon », dirigeant, veut dire un « gouvernement saint ». Or, en tout gouvernement, un degré du pouvoir et de la fin est nécessaire. Aussi, pour un gouvernement saint, est-il nécessaire qu’existent des réalités saintes et divines. C’est pourquoi, de même que, pour le gouvernement séculier, la fin consiste en ce que la multitude soumise soit pacifiquement disposée au bien que le dirigeant a en vue, comme cela ressort clairement pour une armée, qui, selon le Philosophe, est ordonnée au bien que le chef a en vue comme à sa fin ultime, de même est-il nécessaire que, pour un gouvernement saint, la fin soit la ressemblance avec Dieu. Or, les anges ne peuvent atteindre cette fin que par une action ordonnée, pour laquelle sont nécessaires un pouvoir ordonné et une science qui dirige. C’est pourquoi, dans la définition de la hiérarchie, on met l’ordre, par lequel est exprimé le degré du pouvoir, la science, en tant que dirigeante, l’action, en tant que menant à la fin, et la ressemblance avec Dieu, comme la fin visée.

 

[4209] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod finis est causa causarum: et ideo definitio quae sumitur ex fine, formalior est inter omnes definitiones, et medium demonstrans eas; et ideo illa descriptio hierarchiae: est ad Deum unitas et similitudo, est sicut definitio quae est medium demonstrationis. Haec autem, hierarchia est ordo, scientia, et actio, si nihil addatur, est quasi demonstrationis conclusio, quia includit essentialia principia hierarchiae; unde Dionysius eam ex praedicta concludit. Sed illa quae posita est, perfecta est, quia comprehendit utrumque; unde est quasi demonstratio positione differens.

1. La fin est la cause des causes. C’est pourquoi la définition qui est prise à partir de la fin est la plus formelle de toutes les définitions et le moyen de mettre les autres en lumière. Aussi cette description de la hiérarchie : « … elle est une unité et une ressemblance avec Dieu », est-elle comme une définition qui est la mineure d’une démonstration. Mais celle-ci : « La hiérarchie est un ordre, une science et une action… », si on n’y ajoute rien, est comme la conclusion d’une démonstration, car elle inclut les principes essentiels de la hiérarchie. Aussi Denys en fait-il la conclusion de celle qui précède. Mais celle qui a été présentée est parfaite, car elle comprend les deux choses. Aussi est-elle comme une démonstration qui diffère par la présentation.

 

[4210] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ordo potest sumi dupliciter: vel secundum quod nominat unum gradum tantum, sicut qui sunt unius gradus, dicuntur unius ordinis; et sic ordo est pars hierarchiae: vel secundum quod nominat relationem quae est inter diversos gradus, ut ordo dicatur ipsa ordinatio; et sic sumitur quasi abstracte, et sic ponitur in definitione hierarchiae; primo autem modo sumitur concretive, ut dicatur ordo unus gradus ordinatus.

2. L’ordre peut s’entendre de deux manières. Soit il désigne un seul degré seulement, comme on dit de ceux qui font partie d’un seul degré qu’ils font partie d’un seul ordre. L’ordre est ainsi une partie de la hiérarchie. Soit il désigne une relation qui existe entre divers degrés, de sorte que l’ordre désigne le rapport lui-même. Il est ainsi pris d’une manière pour ainsi dire abstraite, et c’est ainsi qu’il est mis dans la définition de la hiérarchie. Cependant, de la première manière, il est pris d’une manière concrète, de sorte que l’ordre désigne un seul degré ordonné.

 

[4211] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut anima in corpore quemdam effectum inducit immediate in omnibus membris, ut esse, inquantum est forma corporis, alium autem inducit in uno membro mediante alio, ut motum: ita etiam Deus in omnibus ordinibus caelestis hierarchiae immediate inducit vitam naturae, gratiae et gloriae; sed ad executionem officiorum divinorum movet eos ordinate, per primos medios, et per medios ultimos: et ideo non ponitur natura vel gratia vel gloria in definitione hierarchiae, sed scientia, velut dirigens actionem in divinis officiis.

3. De même que l’âme dans le corps entraîne un effet immédiat dans tous les membres, comme l’être, en tant qu’elle est forme du corps, mais en entraîne un autre dans un membre par l’intermédiaire d’un autre [membre], comme le mouvement, de même aussi Dieu suscite immédiatement la vie de la nature, de la grâce et de la gloire dans tous les ordres de la hiéarchie céleste. Mais, pour exécuter les fonctions divines, il les meut de manière ordonnée, les intermédiaires par les premiers, et les derniers par les intermédiaires. C’est pourquoi la nature, la grâce ou la gloire ne sont pas mises dans la définition de la hiérarchie, mais la science en tant qu’elle dirige l’action dans les fonctions divines.

 

[4212] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actio circa nos exercita, est propria ministrantium, quae non ponitur in definitione hierarchiae; sed actio cognitionis, prout significat transfusionem percepti luminis a Deo ex uno in alium, communis est omnibus.

4. L’action exercée sur nous est à proprement parler celle des serviteurs, qui n’est pas mise dans la définition de la hiérarchie ; mais l’action de la connaissance, en tant qu’elle signifie le transvasement de la lumière reçue de Dieu de l’un vers l’autre, est commune à tous.

 

[4213] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Dionysius non intendit ordinare definitionem, sed principia essentialia hierarchiae tangere: quorum aliquod est sicut materiale, per modum generis se habens, scilicet ordo; alia vero sunt sicut formalia complentia rationem hierarchiae per modum differentiae; quorum primum est ipsa receptio divini luminis, quae in scientia importatur, quia scientia illa est secundum receptionem divini luminis; et secundum est ejus transfusio in alterum, quam designat actio; et tertium est consecutio finis in Dei similitudinem; et sic patet quod semper sequens est formale respectu praecedentis. Unde si debet ordinate tradi definitio, potest sic dici, quod hierarchia est divinus ordo secundum scientiam et actionem et cetera.

5. Denys n’entend pas donner la définition de manière ordonnée, mais aborder les principes essentiels de la hiérarchie. Ceux-ci comportent un élément matériel, qui joue le rôle de genre, à savoir l’ordre ; les autres éléments sont pour ainsi dire formels, complétant la notion de hiérarchie par mode de différence. Le premier d’entre eux est la réception même de la lumière divine, qui fait partie de la science, car cette science se réalise par la réception de la lumière divine. Le deuxième est son transvasement dans un autre, ce que désigne l’action. Le troisième est l’obtention de la fin par la ressemblance avec Dieu. Il ressort ainsi que ce qui suit a toujours un caractère formel par rapport à ce qui précède. Si la définition doit être donnée de manière ordonnée, on peut donc dire ceci : la hiérarchie est l’ordre divin selon la science, l’action, etc.

 

[4214] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod secundum quosdam in divinis personis est quaedam hierarchia, quam dicunt supercaelestem, quae attenditur secundum ordinem naturae in personis divinis, quam assimilat hierarchia caelestis Angelorum et subcaelestis hominum. Sed hoc non est conveniens, nec secundum intentionem Dionysii: quia in divinis personis principatum ponere unius ad alterum, est haereticum; aut quod pater purget filium, vel illuminet vel perficiat, vel quod id quod patris est, recipiatur in filio inferiori modo: quae tamen requiruntur ad rationem hierarchiae, secundum intentionem Dionysii et secundum vocabuli significationem. Et ideo dicendum est aliter; scilicet quod, similat deiforme, inquantum per lumen perceptum divinae claritati assimilatur, non quidem per aequiparantiam, sed secundum suam proportionem: propter quod dicit: quantum possibile est. Omnis etiam perfectio creaturae est similitudo divinae bonitatis, licet quaedam sit expressior alia.

6. Selon certains, il existe une certaine hiérarchie entre les personnes divines: ils l’appellent « supercéleste ». Elle vient de l’ordre de nature entre les personnes divines : la hiérarchie céleste entre les anges et la hiérarchie subcéleste entre les hommes lui ressemble. Mais cela n’est pas approprié, ni conforme à l’intention de Denys, car affirmer une prééminence d’une personne sur l’autre entre les personnes divines est hérétique, ou encore [affirmer] que le Père purifie le Fils, l’illumine, le perfectionne ou que ce qui appartient au Père est reçu selon un mode inférieur par le Fils. Cela est cependant nécessaire à la notion de hiérarchie, selon l’intention de Denys et selon la signification du terme. Il faut donc parler autrement : [la hiérarchie] rend déiforme pour autant que, par la lumière reçue, [l’ange] est assimilé à la clarté divine, non pas par mode d’égalité, mais selon sa proportion. C’est pourquoi il dit : « … autant qu’il est possible. » Toute perfection de la créature est aussi une ressemblance de la bonté divine, bien que l’une soit plus expresse qu’une autre.

 

[4215] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod alicui agenti vel imprimenti, potest aliquod recipiens assimilari dupliciter: vel secundum formam tantum; vel secundum formam et actionem; sicut aliquid illuminatur a sole, ut etiam alia illuminet ad similitudinem solis, sicut luna; et haec est assimilatio secundum convenientiam in forma et actione. Aliqua autem illuminantur ut in seipsis luceant, sed lumen in alterum non transfundant, ut terrestria colorata, quia color est aliquid lucis. Sic etiam assimilantur Angeli Deo in receptione divini luminis, et haec assimilatio ostenditur in hoc quod dicit: deiforme, inquantum possibile est, similans, et etiam in transfusione ejusdem in alios; et hoc ostenditur cum dicitur: ad inditas illuminationes, idest secundum virtutem et regulam datarum illuminationum ascendens in Dei similitudinem, operando in alios secundum suam proportionem; et ideo nominat ascensum, quia in hoc est perfectio similitudinis, et omnium divinius est Dei cooperatores fieri, sicut ibidem dicit Dionysius: propter quod etiam philosophi posuerunt finem intelligentiarum moventium orbes (quem intendunt) assimilationem divinam in causando. Et sic patet quod prima similitudo respondet scientiae, sed secunda actioni.

7. Ce qui reçoit peut devenir semblable à un agent ou à ce qui imprègne de deux manières : selon la forme seulement, ou selon la forme et l’action. Ainsi une chose est illuminée par le soleil, de telle sorte qu’elle illumine d’autres choses à la ressemblance du soleil, telle la lune. C’est là une assimilation selon ce qui convient à la forme et à l’action. Mais certaines choses sont illuminées afin de briller par elles-mêmes, mais elles ne transvasent pas leur lumière dans d’autres choses : ainsi les choses terrestres colorées, car la couleur fait partie de la lumière. C’est ainsi que les anges sont assimilés à Dieu par la réception de la lumière divine, et cette assimilation est montrée par ce qu’il dit : « … rendant déiforme, autant que cela est possible », et aussi par le transvasement de cette même [lumière] dans d’autres ; cela est montré lorsqu’il dit : « … s’élevant vers une ressemblance avec Dieu », c’est-à-dire « s’élevant vers la ressemblance avec Dieu » selon la puissance et la règle des illuminations données, en agissant sur les autres selon leur proportion. Aussi parle-t-il d’une élévation, car c’est en cela que consiste la perfection de la ressemblance, et ce qu’il y a de plus divin est de devenir collaborateurs de Dieu, comme le dit Denys au même endroit. Pour cette raison, même les philosophes ont affirmé que la fin recherchée par les intelligences qui meuvent les sphères est de devenir semblables à Dieu par leur causalité. Il ressort ainsi que la première ressemblance correspond à la science, mais la seconde à l’action.

 

 

 

 

Articulus 2 [4216] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 tit. Utrum unus Angelus purget alium

Article 2 – Un ange en purifie-t-il un autre ?

 

[4217] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod unus Angelus alium non purget. Purgatio enim non est nisi per gratiam. Sed solius Dei est dare gratiam. Ergo ipse solus purgat.

1. Il semble qu’un ange n’en purifie pas un autre. En effet, la purification ne se réalise que par la grâce. Or, il appartient à Dieu seul de donner la grâce. Donc, Lui seul purifie.

 

[4218] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, purgatio non est nisi ab immunditia. Sed in Angelis bonis post casum malorum, nulla remansit immunditia. Ergo non est ibi purgatio.

2. On ne purifie que de l’impureté. Or, chez les anges bons, après la chute des mauvais, aucune impureté n’est demeurée. Il n’y a donc pas là de purification.

 

[4219] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, videtur quod nec illuminatio unius per alterum fiat. Quia informare mentem est solius Dei, ut ait Augustinus. Sed illuminari non potest Angelus, nisi mens sua informetur. Ergo videtur quod unus Angelus alium non illuminet.

3. Il semble que l’illumination de l’un par l’autre n’existe pas, car il appartient à Dieu de donner sa forme à l’esprit, comme le dit Augustin. Or, un ange ne peut être illuminé que si son esprit reçoit sa forme. Il semble donc qu’un ange n’en illumine pas un autre.

 

[4220] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut habetur Matth. 23, 10, magister vester unus est Christus; ubi dicit Augustinus, quod ipse solus est qui interius docet. Sed illuminatio est per modum cujusdam doctrinae. Ergo videtur quod solus Deus mentem Angeli illuminet.

4. Comme on le lit en Mt 23, 10, le Christ est votre seul maître ; Augustin dit à ce propos qu’il est le seul à enseigner intérieurement. Or, l’illumination se réalise sous forme d’un certain enseignement. Il semble donc que seul Dieu illumine l’esprit de l’ange.

 

[4221] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, omnes Angeli beatitudinem suam habent ex hoc quod immediate vident Deum. Sed Deus est sufficiens medium ad omnium cognitionem. Ergo videtur quod unus alium non illuminet.

5. Tous les anges tiennent leur béatitude du fait qu’ils voient Dieu de manière immédiate. Or, Dieu est le moyen suffisant de tout connaître. Il semble donc que l’un n’en illumine pas un autre.

 

[4222] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, si unus illuminat alium, aut hoc facit creando novum lumen in mente ejus, aut transmutando lumen a Deo receptum. Sed primum est haereticum, cum Angeli non sint creatores. Secundum autem videtur impossibile, nisi ponatur aliquod medium deferens, sicut in illuminatione corporali: quod ibi non est etiam facile fingere. Ergo videtur quod unus alium non illuminet.

6. Si l’un en illumine un autre, ou bien il fait cela en créant une nouvelle lumière dans son esprit, ou bien en transportant la lumière reçue de Dieu. Or, le premier point est hérétique, puisque les anges ne sont pas créateurs. Mais le second semble impossible, à moins qu’on affirme un intermédiaire qui porte, comme pour l’illumination corporelle, ce qui n’est pas facile à y imaginer. Il semble donc que l’un n’illumine pas l’autre.

 

[4223] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 7 Item, videtur quod nec perficiat. Quia, ut supra, in 4 dist., dictum est, perfectio quae possibilis est in Angelo, est vel naturae conditae, vel glorificatae. Sed neutra potest esse in Angelo ab Angelo. Ergo videtur quod unus alium non perficiat.

7. Il semble qu’il ne perfectionne pas non plus, car, ainsi qu’on l’a dit plus haut, d, 4, une perfection qui est possibile chez l’ange est soit celle de la nature créée, soit celle de la nature glorifiée. Or, aucune des deux ne peut se trouver dans un ange à partir d’un autre ange. Il semble donc que l’un ne perfectionne pas l’autre.

 

[4224] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, nulla perfectio potest esse in Angelo nisi secundum receptionem divini luminis. Sed haec receptio est per illuminationem. Ergo perfectio ab illuminatione non differt.

8. Aucune perfection ne peut exister chez un ange que par la réception de la lumière divine. Or, une telle réception se fait par une illumination. La perfection ne diffère donc pas de l’illumination.

 

[4225] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod actio non potest esse nisi secundum exigentiam rei cujus est actio. Cum autem hierarchia perficiatur in scientia, ut ex definitione patet, oportet ut actio hierarchica in transfusione scientiae consistat: unde dicit Dionysius, quod purgatio, illuminatio et perfectio, est divinae scientiae assumptio. Ad scientiam autem concurrunt duo in sui acquisitione; scilicet expulsio contrarii vel privationis, et consummatio ejus; sicut est etiam in acquisitione cujuslibet formae. Sed consummatio scientiae in duobus consistit, sicut et visio corporalis ad quam requiritur lumen sub quo videatur visibile, et consequitur cognitio ipsius visibilis: similiter etiam per lumen intellectuale habetur cognitio intellectiva. Ergo quantum ad remotionem privationis est purgatio, quantum ad influentiam luminis est illuminatio; sed quantum ad cognitionem consequentem, in quam dirigit lumen sicut in ultimum terminum, est perfectio; et propter hoc perfectiones a Dionysio dicuntur, secundum traditionem sacrarum doctrinarum.

Réponse. L’action ne peut exister que selon ce qu’exige la chose dont elle est l’action. Puisque la hiérarchie est perfectionnée par la science, comme cela ressort de la définition, il est nécessaire que l’action hiérarchique consiste dans le transvasement de la science. Aussi Denys dit-il que la purification, l’illumination et la perfection sont une réception de la science divine. Or, deux choses concourent à l’acquisistion de la science : l’expulsion de son contraire ou de sa privation, et son achèvement, comme c’est le cas pour n’importe quelle forme. Or, l’achèvement de la science consiste dans deux choses, comme la vision corporelle, pour laquelle la lumière par laquelle l’objet visible est vu, et la connaissance de cela même qui est visible qui en découle. De même aussi, la connaissance intellectuelle vient-elle de la lumière intellectuelle. Pour ce qui concerne l’enlèvement de la privation, il y a donc la purification ; pour ce qui est de l’arrivée de la lumière, il y a l’illumination ; mais pour ce qui est de la connaissance qui en découle, vers laquelle la lumière dirige comme vers une fin ultime, il y a la perfection. C’est ainsi que Denys parle des perfections, selon la tradition des saints enseignements.

 

[4226] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod purgatio a culpa est per gratiam; sed a nescientia est per lumen doctrinae: et hoc etiam ab alio esse potest quam a Deo.

1. La purification de la faute se réalise par la grâce ; mais celle de l’ignorance se réalise par la lumière de l’enseignement. Et cela peut aussi se réaliser par un autre que Dieu.

 

[4227] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod purgatio quae est in Angelis, non est ab immunditia, sed a dissimilitudinis confusione, ut dicitur in 3 Caelest. Hierar.: vel a nescientia, ut dicitur in 6 cap. Caelest. Hier., et haec duo in idem redeunt; confusio enim intellectus est ex hoc quod est in potentia respectu plurium; et in hoc dissimilis est a primo intellectu, scilicet divino, cui nulla possibilitas admiscetur. Per lumen ergo receptum a Deo mediante superiori Angelo, liberatur intellectus angelicus ab hac dissimilitudinis confusione, inquantum terminatur ad unum; cui fortius inhaeret, quanto magis medium cognitionis efficax est: sicut patet in eo qui nescit quam partem contradictionis eligat; sed intento medio probabili, magis ad unam flectitur; sed addito medio demonstrativo, firmatur in illo.

2. La purification qui existe chez les anges n’est pas celle de l’impureté, mais celle du trouble de la ressemblance, comme il est dit dans La hiérarchie céleste, III, ou celle de l’ignorance, comme il est dit dans La hiérarchie céleste, VI. Et ces deux choses reviennent au même. En effet, le trouble de l’intelligence consiste en ce qu’elle se trouve en puissance vis-à-vis de plusieurs choses ; en cela, il est dissemblable à l’intelligence première, Dieu, auquel aucune puissance n’est mêlée. Donc, par la lumière reçue de Dieu par l’intermédiaire d’un ange supérieur, l’intelligence angélique est libérée de ce trouble de la dissemblance dans la mesure où elle se détermine à une seule chose, à laquelle elle adhère d’autant plus fortement que le moyen de sa connaissance est plus efficace, comme cela ressort chez celui qui ne sait quelle partie d’une contradiction choisir, mais, au vu d’une mineure probable, penche vers l’une ; mais, en ajoutant une mineure démonstrative, il est confirmé en elle.

 

[4228] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 3 Ad illud quod postea de illuminatione quaeritur, dicendum, quod circa hoc contrarie quidam opinati sunt. Quidam enim dixerunt, Angelos inferiores nunquam essentiam Dei videre; sed per illuminationem superiorum, qui eum immediate vident, Dei notitiam capere: cui obviat quod dicitur Matth. 18, 10: Angeli eorum semper vident faciem patris mei; ubi loquitur de Angelis inferioris ordinis, hominibus ad custodiam deputatis. Alii vero e contrario dicunt, Angelos omnes immediate a Deo illuminationem recipere, negantes inferiores a superioribus illuminari, et negantes totum hoc quod Dionysius de Angelis tradit auctoritatibus sacrae Scripturae probatum, et consonum philosophorum doctrinae. Unde mediam viam eligentes, dicimus, omnes quidem Angelos essentiam divinam immediate videre, ex quo beati sunt; sed non est necessarium quod qui videt causam, videat omnes ejus effectus, nisi ipsam secundum totam potentiam comprehendat; sicut Deus seipsum comprehendens, omnia cognoscit; aliorum autem qui ipsum videndo non comprehendunt, unusquisque tanto plura in eo cognoscit, quanto ipsum plenius capit fruitione gloriae; sicut etiam ex principiis speculativis qui melioris intellectus est, plures conclusiones elicere potest. Unde in his divinis effectibus pertinentibus ad statum naturae vel gratiae, quae per Angelorum officia dispensantur, superiores inferiores illuminant et instruunt, ut expresse habetur in 7 Caelest. Hier., et in principio 4 de divinis nominibus. Quod ergo tertio objicitur, quod mentem solus Deus formare potest, dicendum, quod verum est justificando per gratiam; sed de hac formatione nihil ad praesens.

3. Pour les questions qu’on pose ensuite sur l’illumination, il faut dire que certains ont eu des opinions contraires. En effet, certains ont dit que les anges inférieurs ne voient jamais l’essence de Dieu, mais que, par l’illumination des anges supérieurs, qui le voient de manière immédiate, ils acquièrent une connaissance de Dieu. À cela s’oppose ce qui est dit en Mt 18, 10 : Leurs anges voient toujours le visage de mon Père ; il est question là des anges d’un ordre inférieur, assignés à la garde des hommes. Mais d’autres disent, au contraire, que tous les anges reçoivent immédiatement de Dieu l’illumination, en niant que les inférieurs soient illuminés par les supérieurs et en niant tout ce que Denys enseigne et qui est prouvé par des autorités de la Sainte Écriture et s’accorde avec l’enseignement des philosophes. Choisissant une voie moyenne, nous disons donc que tous les anges voient immédiatement l’essence divine, par quoi ils sont bienheureux ; mais il n’est pas nécessaire que celui qui voit la cause en voit tous les effets, à moins de la comprendre selon toute sa puissance. Ainsi Dieu se connaît lui-même et il connaît toutes choses ; parmi ceux qui ne le « comprennent » (non comprehendunt) pas en le voyant, chacun connaît d’autant plus de choses en lui qu’il le saisit davantage par la jouissance de la gloire. Ainsi, à partir de principes spéculatifs, celui qui a une meilleure intelligence peut tirer davantage de conclusions. Pour les effets se rapportant à l’état de la nature ou de la grâce, qui sont dispensés par les fonctions des anges, les anges supérieurs illuminent donc et enseignent les anges inférieurs, comme on le lit explicitement dans La hiérarchie céleste, VII, et au début des Noms divins, IV. Quant à ce qui est objecté en troisième lieu, que seul Dieu peut donner forme à l’esprit, il faut dire que cela est vrai dans la justification par la grâce ; mais il ne s’agit nullement d’une telle transformation.

 

[4229] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in actionibus naturalibus inferius agens non habet efficaciam in productione effectus nisi per virtutem agentis primi, quae vehementius imprimit in effectum; ita etiam in intellectualibus inferior illuminans nihil potest efficere nisi per virtutem primi illuminantis: et propter hoc ipse Deus est qui omnes docet; nec tamen excluditur ab aliis illuminatio, sicut nec ab agentibus naturalibus naturalis actio. Vel dicendum quod docere proprie dicitur qui in cognitionem rei ducit. Sicut autem in cognitionem coloris sensibilem pervenit homo ex duobus, scilicet ex visibili objecto, et ex lumine sub quo videtur (unde et uterque dicitur demonstrare rem, scilicet qui lumen praeparat, et qui objectum repraesentat) ita etiam ad cognitionem intellectualem duo exiguntur; scilicet ipsum intelligibile, et lumen per quod videtur; et ideo dupliciter dicitur aliquis docere; vel sicut proponens intelligibile, vel sicut praebens lumen ad intelligendum. Hoc autem lumen est duplex. Unum intrinsecum vel connaturale intellectui, cui similatur lumen quod est de compositione oculi; et per collationem hujus luminis solus Deus docere dicitur. Secundum lumen est superveniens ad confortationem connaturalis luminis, cui similatur in visu corporali lumen solis vel candelae; et sic potest Angelus alium Angelum vel etiam hominem illuminare ad aliquid cognoscendum. Non autem homo sic docere potest, cum in eo lumen intellectuale debilissime recipiatur. Quidam tamen dicunt, quod nullo modo Angelus docet sicut lumen praebens: quod expresse dictis Dionysii, contrariari videtur. Similiter etiam intelligibile duplex est. Unum ad quod intelligendum sufficit intellectus alicujus hominis, dummodo sibi considerandum proponatur; unde et ipse proponens docere dicitur quasi in cognitionem ducens, sicut in visu corporali monstrat rem qui eam coram oculis ponit. Aliud est ad cujus cognitionem non sufficit intellectus discipuli, nisi in hoc manuducatur per aliquid sibi notum: unde et qui hoc magis notum sibi proponit, docere eum dicitur. Hujus simile est in visu corporali in hoc quod aliquis alicui rem a longe apparentem digito monstrat; et his duobus modis homo docere dicitur; et haec doctrina est non per modum illuminationis, sed per modum locutionis.

4. De même que, dans les actions naturelles, l’agent n’exerce son efficacité dans la production de l’effet que par la puissance du premier agent, qui exerce une plus forte influence en vue de l’effet, de même aussi, dans les actions intellectuelles, l’inférieur qui illumine ne peut rien faire que par la puissance du premier qui illumine. Pour cette raison, c’est Dieu lui-même qui enseigne tous ; une illumination n’est cependant pas exclue pour les autres, comme ne l’est pas l’action naturelle par les agents naturels. Ou bien il faut dire qu’au sens propre, enseigne celui qui mène à la connaissance d’une chose. Mais, de même que l’homme parvient à la connaissance de la couleur sensible par deux choses : par l’objet visible et par la lumière sous laquelle il est vu (c’est ainsi qu’on dit des deux qu’ils montrent une chose : celui qui prépare la lumière et celui qui représente l’objet), de même aussi deux choses sont requises pour la connaissance intellectuelle : l’intelligible lui-même, et la lumière par laquelle il est vu. C’est pourquoi on dit de quelqu’un qu’il enseigne de deux manières : en proposant l’intelligible, ou en fournissant la lumière pour intelliger. Or, cette lumière est double. L’une est intrinsèque ou connaturelle à l’intelligence, qui ressemble à la lumière qui fait partie de la composition de l’œil : en donnant cette lumière, on dit de Dieu seul qu’il enseigne. La seconde lumière s’ajoute pour renforcer la lumière connaturelle : à elle ressemble, dans la vision de l’œil, la lumière du soleil ou d’une bougie. C’est ainsi que l’ange peut illuminer un autre ange ou même un homme pour qu’il connaisse quelque chose. Mais l’homme ne peut enseigner de cette manière, car la lumière intellectuelle est très faiblement reçue en lui. Toutefois, certains disent que l’ange n’enseigne d’aucune manière en fournissant une lumière, ce qui semble contredire explicitement ce que dit Denys. De la même manière, l’intelligible est double. L’un, que l’intellect d’un homme suffit à connaître, pourvu qu’il soit proposé à sa considération. Aussi dit-on que celui qui propose enseigne, en conduisant pour ainsi dire à la connaissance, comme, pour la vision corporelle, celui qui place une chose devant les yeux la montre. L’autre [intelligible], à la connaissance duquel ne suffit pas l’intelligence du disciple, à moins qu’il n’y soit mené par quelque chose qui lui est connu. C’est ainsi qu’on dit de celui qui lui propose ce qui est plus connu qu’il l’enseigne. La même chose existe dans la vision corporelle lorsque quelqu’un montre du doigt à quelqu’un une chose lointaine. On dit ainsi que l’homme enseigne de ces deux manières, et cet enseignement ne se réalise pas par mode d’illumination, mais par mode de parole.

 

[4230] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis Deum omnes videant, non tamen ipsum comprehendunt; et ideo non oportet quod omnia omnes in ipso cognoscant: et propter hoc non removetur quin unus Angelus, qui aliquid in verbo Dei cognoscit, possit quantum ad hoc alium illuminare Angelum qui hoc in verbo Dei non cognoscit.

5. Bien que tous voient Dieu, ils ne le « comprennent » cependant pas. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que tous connaissent tout en lui. Pour cette raison, on n’écarte pas qu’un ange, qui connaît quelque chose dans le Verbe de Dieu, puisse sur ce point illuminer un ange qui ne connaît pas cela dans le Verbe.

 

[4231] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut in corporalibus illud quod est in actu, agit per hoc quod educit potentiam patientis in actum; ita etiam cum intellectus inferioris Angeli sit in potentia respectu quorumdam, poterit per superiorem Angelum, qui est in perfectiori actu, reduci in actum similem, non per creationem alicujus novi luminis, nec per hoc quod idem numero lumen quod est in superiori, recipitur ab inferiori. Nec oportet esse aliquod medium deferens virtutem agentis: quia in eis falso imaginatur quis distantiam situalem, sed quod est in corporibus situs, hoc est in spiritualibus ordo, secundum Augustinum.

6. De même que, pour les réalités corporelles, ce qui est en acte agit en amenant à l’acte la puissance de ce qui subit, de même aussi, puisque l’intelligence d’un ange inférieur est en puissance par rapport à certaines choses, pourra-t-il être amené à un acte semblable par un ange supérieur, qui est plus parfaitement en acte, non pas par création d’une nouvelle lumière, ni par le fait que la même lumière qui se trouve chez l’ange supérieur est reçue par l’ange inférieur. Et il n’est pas nécessaire qu’il y ait un intermédiaire qui porte la puissance de l’agent, car on imagine faussement pour eux une distance de site, mais ce qu’est le site pour les corps, l’ordre l’est pour les réalités spirituelles, selon Augustin.

 

[4232] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod perfectio hic dicitur illud ad quod terminatur motus illuminationis; non autem perfectio gloriae vel naturae.

7. On appelle ici perfection ce à quoi se termine le mouvement d’illumination, non la perfection de la gloire ou de la nature.

 

[4233] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod istae tres actiones quandoque conjunguntur, et ideo non differunt nisi secundum rationem: quia omnis perfectio in hoc quod perficit, illuminat et purgat, et omnis illuminans purgat; sed non convertitur, ut patet praecipue in nostra hierarchia secundum Dionysium: non enim quamlibet purgationem sequitur luminis receptio, sed perfectam: et similiter non quamlibet illuminationem sequitur perfectio cognitionis, sed consummatam.

8. Ces trois actions sont unies ; aussi ne diffèrent-elles que selon la raison, car toute perfection, par cela même qu’elle parfait, illumine et purifie, et tout ce qui illumine purifie, mais non l’inverse, comme cela ressort principalement dans notre hiérarchie, selon Denys. En effet, la réception de la lumière ne découle pas de toute purification, mais d’une [purification] parfaite. De même, la perfection de la connaissance ne découle pas de toute illumination, mais d’une [illumination] achevée.

 

 

 

 

Articulus 3 [4234] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 tit. Utrum hierarchia angelica dividatur convenienter in tres hierarchias et novem ordines

Article 3 – La hiérarchie angélique est-elle divisée de manière appropriée en trois hiérarchies et neuf ordres ?

 

[4235] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod inconvenienter dividatur angelica hierarchia in tres hierarchias, et in novem ordines. Aut enim illa divisio est per divisionem totius integralis in partes, vel generis in species. Primo modo non dividitur, quia definitio communis non conveniret partibus, sicut definitio domus non convenit parieti: nec item per modum generis, quia non omnes ordines aequaliter se habent ad participandum rationem hierarchiae. Ergo videtur quod nullo modo possit esse competens divisio.

1. Il semble que la hiérarchie angélique soit divisée de manière inappropriée en trois hiérarchies et neuf ordres. En effet, soit cette division est la division d’un tout intégral en ses parties, soit celle d’un genre en ses espèces. Elle n’est pas divisée de la première manière, car la définition commune ne conviendrait pas aux parties, comme la définition de la maison ne convient pas au mur ; elle ne l’est pas non plus à la manière d’un genre, car tous les ordres ne participent pas également à la raison de hiérarchie. Il semble donc que d’aucune manière ce ne puisse être une division appropriée.

 

[4236] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, quanto aliquid est propinquius uni primo, tanto est minoris multiplicationis. Sed hierarchia angelica media est inter nos et Deum, ut in 4 cap. Caelest. Hier. dicitur. Ergo cum hominum sit tantum una hierarchia, videtur quod Angelorum non sint tres hierarchiae.

2. Plus une chose est proche d’un premier, moins il y a de multiplication. Or, la hiérarchie angélique est intermédiaire entre nous et Dieu, comme le dit La hiérarchie céleste, IV. Puisqu’il n’y a qu’une seule hiérarchie pour les hommes, il semble donc qu’il n’y ait pas trois hiérachies pour les anges.

 

[4237] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, superius et inferius in Angelis non est secundum diversam proportionem et receptionem divinorum. Sed ordines se habent sicut superius et inferius. Ergo videtur quod sit in eis diversa proportio ad receptionem divinorum. Sed similiter hierarchiae se habent secundum superius et inferius. Ergo videtur quod eadem sit ratio distinguendi ordines et hierarchias.

3. « Supérieur » et « inférieur » chez les anges ne viennent pas d’une proportion différente et d’une réception de réalités divines. Or, les ordres se présentent en termes de supérieur et d’inférieur. Il semble donc qu’existe en eux une proportion différente par rapport à la réception des réalités divines. Or, les hiérarchies se présentent de même en termes de supérieur et d’inférieur. Il semble donc que la raison de distinguer les ordres et les hiérarchies soit la même.

 

[4238] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, ratio hierarchiae consistit in ordine potestatis. Sed potestates determinantur per actus. Cum ergo ratio hierarchica sit triplex, ut dictum est, videtur quod sint tantum tres ordines caelestis hierarchiae.

4. La raison d’une hiérarchie consiste dans l’ordre d’un pouvoir. Or, les pouvoirs sont déterminés par les actes. Puisque la raison hiérarchique est triple, ainsi qu’on l’a dit, il semble donc qu’il n’y ait que trois ordres de la hiérarchie céleste.

 

[4239] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, ecclesiastica hierarchia exemplata est a caelesti, secundum Dionysium. Sed in ecclesiastica hierarchia, secundum eumdem, sunt tantum tres ordines. Ergo videtur quod similiter in caelesti.

5. La hiérarchie ecclésiastique a comme modèle la [hiérarchie] céleste, selon Denys. Or, dans la hiérarchie ecclésiastique, il n’y a que trois ordres, selon le même. Il semble donc qu’il en soit de même pour la [hiérarchie] céleste.

 

[4240] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, unitas ordinis est, ut in littera dicitur, ex hoc quod multi spiritus conveniunt in uno munere gratiae. Sed dona spiritus sancti sunt septem, ut habetur Isa. 11. Ergo videtur quod sunt tantum septem ordines Angelorum.

6. L’unité d’ordre, comme le dit le texte, vient de ce que plusieurs esprits ont en commun un seul don de la grâce. Or, les dons de l’Esprit Saint sont au nombre de sept, comme on le lit en Is 11. Il semble donc qu’il n’y ait que sept ordres des anges.

 

[4241] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, videtur esse diversitas in distinctione hierarchiarum secundum Gregorium et Dionysium: quia Dionysius ponit virtutes medium ordinem secundae hierarchiae, et principatus primum tertiae hierarchiae, Gregorius autem e converso: et quaeritur ratio hujus.

7. Il semble qu’il y ait une différence dans la distinction des hiérarchies chez Grégoire et chez Denys, car Denys présente les Vertus comme l’ordre intermédiaire de la deuxième hiérarchie, et les Principautés comme le premier de la troisième hiérarchie, mais Grégoire fait le contraire. On en cherche donc la raison.

 

[4242] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod in Angelis invenitur triplex distinctio: una est hierarchiarum ad invicem; secunda est ordinum in eadem hierarchia; tertia est personarum ejusdem ordinis: et quaelibet illarum sumitur secundum diversam proportionem ad receptionem divini luminis. Diversitas enim hierarchiarum est secundum diversum modum recipiendi divinas illuminationes; diversitas vero ordinum est secundum diversos actus quos divinum lumen perficit secundum perfectius et minus perfectum; diversitas vero personarum unius ordinis est secundum diversam virtutem in executione actus minus vel magis efficaci: verbi gratia: nostra hierarchia distinguitur ab angelica in hoc quod nostra perficitur divino lumine velato per similitudines sensibiles tam in sacramentis quam in metaphoris Scripturarum; sed angelica perficitur lumine simplici et absoluto: et cum dictus modus sit communis omnibus qui sunt in nostra hierarchia, tamen eorum sunt diversi actus, secundum quos diversi ordines distinguuntur. Alius enim est actus sacerdotum et diaconorum; et in exercitio cujuslibet horum actuum quidam sunt aliis magis idonei. Angeli autem omnes, quamvis in hoc modo conveniant quod sine inquisitionis discursu et sine velamine figurarum, divinum lumen recipiunt; tamen differunt in hoc quod quidam eorum recipiunt in majori universalitate quam alii; unde superiores dicuntur habere scientiam magis universalem, ut dictum est. Hoc autem non potest nisi tripliciter variari. Aut enim cognitionem divinorum effectuum recipiunt in ipsa causa prima universali; et hic modus est proprius primae hierarchiae, quae est proportionata ad recipiendum illuminationes in ipso fulgore divini luminis; et propter hoc dicuntur circa Deum esse, ut omnes ordines ejus denominentur ab operatione circa Deum. Aut cognoscunt res in universalibus rerum rationibus; et hic est modus secundae hierarchiae: et ideo Angelorum hujus hierarchiae est accipere perfectionem cognitionis per illuminationem primae hierarchiae, in qua sunt formae maxime universales; et propter hoc ordines hujus hierarchiae non denominantur ab operibus circa Deum, sed nominibus pertinentibus ad potestatem operandi in res, inquantum formae per quas cognoscunt, sunt operativae ad minus respectu effectuum, in quibus Deo ministrant: et quia istae formae sunt universales, nominantur a potestate non limitata vel determinata ad aliquem vel ad aliquos. Aut cognoscunt res in propriis rationibus: et hic est modus ultimae hierarchiae, in qua sunt formae particulares et proportionatae ut ab eis recipiantur in intellectus nostros: propter quod dicuntur Angeli hierarchiae tertiae accipere divinum lumen, secundum convenientiam hierarchiae nostrae; et inde est quod ordines tertiae hierarchiae denominantur ab actibus limitatis circa unum hominem, vel unam provinciam. Hujus autem simile potest videri in terrenis principatibus: quia ministrorum qui sunt sub uno rege, quidam operantur immediate circa personam regis, quasi cubicularii et consiliarii et assessores; et hoc competit primae hierarchiae respectu Dei. Quidam vero habent officia ad regimen regni in communi, non deputati huic vel illi provinciae, ut domini regalis curiae, et principes militiae, et judices curiae, et hujusmodi: et his similes sunt Angeli secundae hierarchiae. Quidam vero praeponuntur ad regimen alicujus partis regni, ut praepositi et balivi, et hujusmodi officiales minores: et his similes sunt ordines tertiae hierarchiae. Et sic patet definitio trium hierarchiarum. Ordinum autem primae hierarchiae sic potest accipi numerus et distinctio, secundum tres actus fruitionis quibus anima Deo fruitur: quorum unus est comprehendere vel tenere, quo perficitur memoria; et secundum hoc accipitur ordo thronorum, quia in eis sedet Deus et quiescit, dum eos in se quiescere facit. Alius actus est videre, quo perficitur intellectiva; et secundum hoc accipitur ordo Cherubim, qui interpretatur plenitudo scientiae. Alius actus est amare, quo perficitur voluntas, et secundum hoc accipitur ordo Seraphim, qui interpretatur ardens vel incendens: et quia in hoc actu est completissima unio ad Deum, ex eo quod amor facit interiora amati penetrari; ideo ordo Seraphim est primus: secundus Cherubim, propter unitatem assimilationis, in qua completur scientia in actu; tertius est thronorum, quia in sessione importatur unio secundum contactum solum. Ordinum vero secundae hierarchiae sic potest accipi divisio et numerus: quia regimen alicujus communitatis est secundum hoc quod ordinate et pacifice bonum commune dispensatur. Hic autem ordo pacis disponitur tribus: scilicet aliquo sententiante quid unicuique debeatur; et ad hoc est ordo potestatum, unde dicuntur arcere aereas potestates; et hic non est ultimus finis, sed quietem et utilitatem bonorum dispensare, sicut potestas saecularis suspendit latronem ad pacem civitatis. Sed sententia debet esse efficax et recta: sed ad hoc ut sit efficax, indiget aliquo adjuvante et propugnante, ut nihil sit impossibile exequi quod per sententiam determinatur; et ad hoc est ordo virtutum, quae attingunt ultimum in operandis omnibus difficilibus pertinentibus ad ministeria divina; et ideo attribuitur eis miracula facere: quia obviare legibus naturae, est arduissimum. Ad hoc autem quod sit recta, indiget aliquo dirigente et imperante; et ad hoc ordo dominationum est, ad quem pertinet dirigere in omnibus ministeriis divinis, sicut architector in mechanicis, qui etiam est praeceptivus; et ideo hic ordo est primus secundae hierarchiae, quia ab ipso dirigitur et imperatur quidquid in ministeriis divinis per Angelos agitur; et secundus est ordo virtutum, a quibus actus potestatum efficaciam habet, sicut et leges saeculares oportet esse armatas, ut habeant vim coactivam. Ordinum autem tertiae hierarchiae sic numerus et ordo accipitur: quia cum habeant potestatem limitatam, oportet quod actus eorum vel limitentur ad unam provinciam, vel ad unum hominem. Si ad unam provinciam, sic est ordo principatuum, ut princeps Persarum, qui praeerat Persis, de quo habetur Daniel. 10. Si autem limitatur ad unum hominem, aut est de his quae pertinent ad ipsum tantum; et sic est ordo Angelorum, unde dicuntur minima nuntiare, quorum est etiam singulos custodire: aut de his quae pertinent ad bonum multorum, quae explentur per actum unius singularis personae; et ad hoc est ordo Archangelorum, sicut Gabriel qui nuntiavit nativitatem Christi, et Joannis Baptistae; et ideo nomen eorum compositum est ex duobus ordinibus extremis: dicuntur enim Archangeli, quasi principes Angeli: et propter hoc etiam dicuntur majora nuntiare, quia bonum gentis est divinius quam bonum unius hominis, secundum philosophum. Numerus autem eorum qui sunt in unoquoque ordine, ignotus est nobis.

Réponse. Chez les anges, on trouve une triple distinction : l’une, entre les hiérarchies l’une par rapport à l’autre ; la deuxième est la distinction des ordres à l’intérieur d’une même hiérarchie ; la troisième est celle entre les personnes du même ordre. Chacune d’entre elles est tirée d’une proportion différente par rapport à la réception de la lumière divine. En effet, la diversité des hiérarchies vient de la manière différente de recevoir les illuminations divines ; mais la diversité des ordres vient des divers actes que la lumière divine accomplit de manière plus ou moins parfaite. Toutefois, la diversité des personnes d’un seul ordre vient d’une puissance différente dans l’accomplissement d’un acte plus ou moins efficace. Par exemple, notre hiérarchie se distingue de la [hiérarchie] angélique par le fait que la nôtre est perfectionnée par la lumière divine voilée par des ressemblances sensibles, aussi bien dans les sacrements que dans les métaphores des Écritures ; mais la [hiérarchie] angélique est perfectionnée par une lumière simple et absolue. Alors que le mode indiqué est commun à tous ceux qui sont dans notre hiérarchie, ils ont cependant divers actes, selon lesquels les divers ordres se distinguent. En effet, l’acte des prêtres et des diacres est différent et, dans l’exercice de chacun de ces actes, certains sont plus aptes que d’autres. Mais tous les anges, bien qu’ils aient en commun de recevoir la lumière divine sans une démarche de recherche et sans le voile des figures, diffèrent cependant en ce que certains la reçoivent avec une plus grande universalité que d’autres. Aussi dit-on que les [anges] supérieurs ont une science plus universelle, ainsi qu’on l’a dit. Or, cela ne peut varier que de trois manières. En effet, soit ils reçoivent la connaissance des effets divins dans la cause première universelle elle-même : ce mode est propre à la première hiérarchie, qui est proportionnée à recevoir des illuminations dans l’éclair même de la lumière divine. Pour cette raison, on dit qu’ils entourent Dieu, de sorte que tous leurs ordres sont nommés d’après une opération portant sur Dieu. Soit ils connaissent les choses dans les raisons universelles des choses : tel est le mode de la deuxième hiérarchie. C’est pourquoi il revient aux anges de cette hiérarchie de recevoir la perfection de la connaissance par une illumination venant de la première hiérarchie, où se trouvent les formes les plus universelles. Pour cette raison, les ordres de cette hiérarchie ne sont pas nommés d’après des actions portant sur Dieu, mais selon des noms se rapportant au pouvoir d’agir sur les choses, pour autant que les formes par lesquelles ils connaissent, agissent au moins sur les effets, ce en quoi ils servent Dieu. Et parce que ces formes sont universelles, elles sont nommées d’après un pouvoir qui n’est pas limité ou déterminé par rapport à l’un ou à quelques-uns. Soit ils connaissent les choses selon leurs raisons propres. Tel est le mode de la dernière hiérarchie, dans laquelle se trouvent des formes particulières et proportionnées pour qu’elles soient reçues dans nos intelligences en venant d’eux. Pour cette raison, on dit que les anges de la troisième hiérarchie reçoivent la lumière divine selon ce qui convient à notre hiérarchie. De là vient de que les ordres de la troisième hiérarchie sont nommés à partir d’actes limités à un seul homme ou à une seule province. Òn peut voir la même chose pour les gouvernements terrestres, car, parmi les ministres placés sous un seul roi, certains agissent directement sur la personne du roi, comme les camériers, les conseillers et les assesseurs, et cela convient à la première hiérarchie par rapport à Dieu. Mais certains ont des fonctions pour gouverner le royaume dans son ensemble, sans être assignés à telle ou telle province, comme les seigneurs de la cour royale, les chefs de l’armée, les juges de la cour et ceux de ce genre. Ceux-là ressemblent aux anges de la deuxième hiérarchie. Mais certains sont placés à la tête du gouvernement d’une partie du royaume, comme les prévôts, les baillis et les officiers mineurs de ce genre. C’est à eux que ressemblent les ordres de la troisième hiérarchie [céleste]. Ainsi ressort la définition des trois hiérarchies. Mais le nombre et la distinction des ordres de la première hiérarchie peuvent être compris selon les trois actions par lesquelles l’âme jouit de Dieu. L’une est l’action de comprendre ou de retenir, par laquelle s’accomplit la mémoire ; on a ainsi l’ordre des Trônes, car Dieu est assis et se repose en eux, alors qu’Il les fait se reposer en eux. L’autre action est celle de voir, par laquelle se réalise l’intelligence ; on a ainsi l’ordre des Chérubins, dont la signification est « plénitude de science ». L’autre action est celle d’aimer, en laquelle s’accomplit la volonté ; on a ainsi l’ordre des Séraphins, dont la signification est « flambant » ou « brûlant ». Et parce que l’union la plus complète à Dieu se réalise par cette action, du fait que l’amour fait pénétrer l’intimité de celui qui est aimé, l’ordre des Séraphins est donc le premier ; le deuxième est celui des Chérubins, en raison de l’unité par la ressemblance, en laquelle s’accomplit la science en acte ; le troisième est celui des Trônes, car la position assise comporte l’union par contact seulement. Mais la division et le nombre des ordres de la deuxième hiérarchie peuvent être compris de cette manière. Le gouvernement d’une communauté se réalise par le fait que le bien commun est administré de manière ordonné et dans la paix. Or, cet ordre de la paix se réalise par trois choses. Par quelqu’un qui décide ce qui est dû à chacun : c’est le rôle de l’ordre des Puissances ; c’est pourquoi on dit qu’elles retiennent les puissances aériennes. Ce n’est pas ici la fin ultime, mais la dispensation du repos et de l’usage des biens, de la même manière que le pouvoir séculier pend un voleur en vue de la paix de la cité. Mais la sentence doit être efficace et droite. Pour être efficace, elle a besoin de quelqu’un qui l’aide et combatte pour elle, afin que rien ne soit impossible à exécuter de ce qui est déterminé par la sentence. C’est le rôle des Vertus, qui atteignent la perfection dans l’accomplissement de toutes les choses difficiles se rapportant aux fonctions divines ; aussi l’accomplissement des miracles leur est-il attribué, car aller à l’encontre les lois de la nature est très difficile. Pour être droite, elle a besoin de quelqu’un qui dirige et commande : c’est le rôle des Dominations, de qui il relève de diriger dans tous les ministères divins, comme l’architecte dans les [arts] mécaniques, qui exerce aussi le commandement. Aussi cet ordre est-il le premier de la deuxième hiérarchie, car tout ce qui est accompli et commandé dans les ministères divins est exécuté par [ces] anges. Le deuxième est l’ordre des Vertus, dont les actions des Puissances tiennent leur efficacité, de la même manière que les lois séculières doivent être armées pour avoir une force coercitive. Le nombre et l’ordre des ordres de la troisième hiérarchie se comprennent de la manière suivante. Puisqu’ils ont un pouvoir limité, il est nécessaire que leurs actions soient ou bien limitées à une seule seule province ou à un seul homme. Si c’est à une seule province, on a alors l’ordre des Principautés, comme le prince des Perses, qui était à la tête de la Perse, dont parle Dn 10. Mais si c’est à un homme, ou bien il s’occupe uniquement de ce qui le concerne : on a alors l’ordre des Anges. On dit ainsi qu’ils annoncent les plus petites choses ; il relève aussi d’eux de garder les individus. Ou bien il s’occupe de ce qui concerne le bien de plusieurs, qui s’accomplit par l’action d’une seule personne : on a ainsi l’ordre des Archanges, comme Gabriel qui a annoncé la naissance du Christ et de Jean-Baptiste. C’est pourquoi leur nom est composé des deux derniers ordres. En effet, on les appelle Archanges en tant que princes des anges ; pour cette raison, on dit qu’ils annoncent les choses plus importantes, car le bien d’une nation est plus divin que le bien d’un seul homme, selon le Philosophe. Mais le nombre de ceux qui se trouvent dans chaque ordre nous est inconnu.

 

[4243] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod divisio hierarchiae in ordines est totius potestativi in partes potentiales, sicut anima dividitur in suas potentias: et hoc totum est quasi medium inter totum universale et integrale. Universale enim est secundum essentiam et completam virtutem in qualibet sua parte, unde de omnibus aequaliter praedicatur; sed integrale nec est secundum essentiam nec secundum virtutem totam in unaquaque suarum partium, et ideo nullo modo de parte praedicatur; sed totum potentiale adest quidem secundum essentiam cuilibet parti, sed secundum completam virtutem est in parte suprema, quia semper superior potentia habet in se completius ea quae sunt inferioris: et ista est comparatio hierarchiae ad ordines.

1. La division d’une hiérarchie en ordres est celle d’un tout potentiel en ses parties potentielles, comme l’âme est divisée en ses puissances : ce tout est intermédiaire entre un tout universel et un tout intégral. En effet, le [tout] universel concerne l’essence et la puissance entière en chacune de leurs parties ; aussi est-il prédiqué également de toutes. Mais le [tout] intégral ne concerne pas l’essence ni la puissance entière en chacune de leurs parties. Aussi n’est-il d’aucune manière prédiqué d’une partie. Mais le tout potentiel est présent selon l’essence dans chacune des parties, quoique, selon sa puissance entière, dans la partie suprême, car la puissance supérieure possède toujours en elle-même de manière plus complète ce qui appartient à la [puissance] inférieure. Telle est la comparaison entre la hiérarchie et les ordres.

 

[4244] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnes homines sunt unius speciei; et ideo in omnibus est unus modus communis recipiendi divinas illuminationes, et propter hoc omnium est hierarchia una. Sed Angeli sunt diversarum specierum; et propter hoc in diversis hierarchiis ordinantur secundum diversum modum receptionis, ut dictum est. Sed verum est quod quaelibet natura in Angelis est magis una et simplex quam natura humana, quae est ultima natura intellectualis.

2. Tous les hommes font partie d’une seule espèce. C’est pourquoi il existe chez tous un mode commun de recevoir les illuminations divines. Pour cette raison, il n’existe qu’une seule hiérarchie pour tous. Mais les anges ont des espèces différentes ; pour cette raison, ils sont ordonnés en diverses hiérarchies selon un mode différent de réception [des illuminations divines], comme on l’a dit. Mais il est vrai que n’importe quelle nature chez les anges est davantage une et simple que la nature humaine, qui est la dernière nature intellectuelle.

 

[4245] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 3 Et per hoc patet responsio ad tertium: quia sicut humanae hierarchiae sunt tres ordines, secundum Dionysium, ita et cujuslibet caelestis; unde secundum tres hierarchias sunt novem ordines, ut sic in omnibus Trinitatis similitudo reluceat, secundum principium, medium et finem.

3. De même qu’il existe trois ordres dans la hiérarchie humaine, selon Denys, de même en est-il pour toutes les [hiérarchies] célestes. Aussi y a-t-il neuf ordres en trois hiérarchies, afin que la ressemblance de la Trinité se refléte en tous, selon un principe, un milieu et une fin.

 

[4246] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in nostra hierarchia distinguuntur ordines secundum tres actiones hierarchicas: quia ministrorum est purgare, sacerdotum illuminare simul et purgare; sed episcoporum perficere. Talis autem distinctio non potest esse in caelesti hierarchia: quia minimus ordo Angelorum est superior supremo ordine nostrae hierarchiae: unde potest et perficere et illuminare et purgare.

4. Dans notre hiérarchie, les ordres se distinguent selon trois actions hiérarchiques, car il revient aux ministres de purifier, aux prêtres d’illuminer et de purifier, et aux évêques de perfectionner. Mais une telle distinction ne peut exister dans la hiérarchie céleste, car l’ordre inférieur des anges est supérieur à l’ordre le plus élevé de notre hiérarchie. Il peut donc perfectionner, illuminer et purifier.

 

[4247] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod diversitas proportionum potest sumi multipliciter; aut secundum diversum genus proportionis, sicut duplum et sesquialterum; quorum primum est multiplex, secundum superparticulare: alia est enim genere proportio quatuor ad duo, quoniam dupla; et trium ad duo, quoniam sesquialtera: aut secundum diversas species ejusdem generis, sicut duplum et triplum; quorum est unum genus proportionis, scilicet multiplex: aut secundum diversos numeros in eadem specie proportionis, ut quatuor ad duo, et sex ad tria: et prima diversitas competit distinctioni hierarchiarum, secunda distinctioni ordinum, tertia distinctioni personarum unius ordinis.

5. La diversité des proportions peut se comprendre de plusieurs manières. Soit selon le genre différent de la proportion, comme le double et le double et demi : le premier est multiple, selon quelque chose de très particulier ; l’autre relève du genre de la proportion de quatre à deux, puisqu’elle est double, et de trois à deux, puisqu’elle est double et demi. Soit selon les diverses espèces d’un même genre, comme le double et le triple : l’un est le genre de la proportion, à savoir, un multiple. Soit selon divers nombres à l’intérieur d’une même espèce de proportion, comme quatre par rapport à deux et six par rapport à trois. La première diversité convient à la distinction des hiérarchies, mais la deuxième, à la distinction des ordres, et la troisième, à la distinction des personnes d’une même ordre,

 

[4248] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod dona secundum quae distinguuntur ordines, sunt dona perficientia in actibus hierarchicis, et haec variantur, ut dictum est: dona autem et virtutes perficiunt ad actus personales; et ideo secundum ea ordines non distinguuntur.

6. Les dons selon lesquels se distinguent les ordres sont des dons qui perfectionnent pour les actes hiérarchiques, et ceux-ci varient, comme on l’a dit. Mais les dons et les vertus perfectionnent pour les actes personnels. Aussi les ordres ne se distinguent-ils pas selon [ces dons].

 

[4249] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ordinatio Dionysii est rationabilior; quia ipse distinguit secundam hierarchiam a tertia secundum universale et particulare, non limitatum et limitatum: et ideo virtutes ponit in secunda, et principatus in tertia. Gregorius autem non multum intendit ordinare, sed numerare. Nihilominus ista ordinatio potest sumi secundum actus exteriores et secundum conformitatem ad nostram hierarchiam: et quia in nostra hierarchia habentes praelationem sunt super personas privatas, ideo in secunda hierarchia ordinat illos quorum nomina important officium praelationis, scilicet dominationes, principatus, et potestates: in tertia autem ordines quorum actus sunt etiam personarum privatarum; ut mirabilia facere, quae est virtutum; et nuntiare magna, quod est Archangelorum; et nuntiare parva, quod est Angelorum.

7. L’ordonnancement de Denys est plus raisonnable, car il distingue la deuxième hiérarchie de la troisième selon l’universel et le particulier, selon ce qui n’est pas limité et ce qui est limité ; c’est pourquoi il place les Vertus dans la deuxième [hiérarchie] et les Principautés dans la troisième. Mais Grégoire n’entend pas tellement ordonner, mais énumérer. Néanmoins, cet ordonnancement peut se comprendre selon les actes extérieurs et selon la conformité à notre hiérarchie. Et parce, dans notre hiérarchie, ceux qui ont une position de supériorité sont au-dessus des personnes privées, il situe dans la deuxième hiérarchie ceux dont les noms indiquent une fonction de supériorité : les Dominations, les Principautés et les Puissances ; mais, dans la troisième, les ordres dont les actes sont aussi ceux de personnes privées, comme accomplir des miracles, qui relève des Vertus, annoncer de grandes choses, qui relève des Archanges, et annoncer de petites choses, qui relève des anges.

 

 

 

 

Articulus 4 [4250] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 tit. Utrum nomina Angelorum convenienter distinguantur

Article 4 – Les noms des anges sont-ils distingués de manière appropriée ?

 

[4251] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod nomina Angelorum non convenienter distinguantur. Nomen enim totius non debet parti imponi. Sed ordo est pars hierarchiae. Cum ergo hierarchia sit idem quod sacer principatus, ut dictum est, videtur quod nullus ordo principatus debeat dici.

1. Il semble que les noms des anges ne soient pas distingués de manière appropriée. En effet, il ne convient pas que le nom d’un tout soit attribué à une partie. Or, « ordre » fait partie de « hiérarchie ». Puisque la hiérarchie est la même chose qu’une supériorité sacrée, comme on l’a dit, il semble donc qu’aucun ordre ne doive être appelé Principauté.

 

[4252] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, nomen totius non debet imponi alicui ordini illius naturae. Sed omnes caelestes spiritus Angeli vocantur. Ergo videtur quod ultimus ordo Angelorum non debeat nomine Angelorum vocari.

2. Le nom du tout ne doit pas être attribué à un ordre de cette nature. Or, tous les esprits célestes sont appelés des anges. Il semble donc que le dernier ordre des anges ne doive pas porter le nom d’Anges.

 

[4253] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, illud quod est superioris ordinis, non necessario invenitur in inferiori, quamvis e contrario. Sed nomina respondent rebus. Cum ergo omnes Angeli dicantur caelestes virtutes secundum Dionysium, videtur quod hoc nomine non debeat nominari medius ordo secundae hierarchiae: quia nomina superiorum non sunt inferiorum.

3. Ce qui appartient à un ordre supérieur ne se trouve pas nécessairement dans un ordre inférieur, bien que le contraire soit vrai. Or, les noms correspondent aux choses. Puisque tous les anges sont appelés des puissances célestes, selon Denys, il semble donc que l’ordre intermédiaire de la deuxième hiérarchie ne doive pas porter ce nom, car les noms des réalités supérieures n’appartiennent pas aux réalités inférieures.

 

[4254] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, omnis virtus est media inter essentiam et operationem. Sed nullus ordo vocatur in Angelis nomine essentiae vel operationis. Ergo nec etiam nomine virtutis.

4. Toute puissance est intermédiaire entre l’essence et l’opération. Or, aucun ordre ne porte chez les anges le nom de l’essence ou de l’opération. Il ne porte donc pas non plus le nom de la puissance.

 

[4255] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, per nomina ordinum devenimus in proprietates eorum, secundum Dionysium. Sed nulli Angelo convenit per caritatem inflammare, nec in voluntatem imprimere: quia hoc solius Dei est. Ergo videtur quod inconvenienter dicantur Seraphim incendentes.

5. Par les noms des ordres, nous parvenons aux propriétés des choses, selon Denys. Or, il ne convient à aucun ange d’enflammer par la charité ni d’agir sur la volonté, car cela relève de Dieu seul. Il semble donc inapproprié que les Séraphins soient appelés « brûlants ».

 

[4256] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, ardere caritate, et videre Deum, et tenere ipsum, sunt de substantia beatitudinis. Sed omnes Angeli sunt beati. Ergo nulli ordines debent ab his actibus nominari.

4. Brûler de charité, voir Dieu et le tenir font partie de la béatitude. Or, tous les anges sont bienheureux. Les ordres ne doivent donc en désigner aucun à partir de ces actes.

 

[4257] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 7 Praeterea, quaeritur, quomodo differant haec tria, Seraph, Seraphin, et Seraphim; et Cherub, Cherubin, et Cherubim.

5. On demande comment se distinguent ces trois choses : Seraph, Seraphin et Seraphim, et Cherub, Cherubin et Cherubim.

 

[4258] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod circa nominationes ordinum attendendum est, quod sicut unusquisque ordo est altior, ita etiam a perfectiori nominatur: et quamvis ea quae sunt superiorum, participentur quodammodo ab inferioribus et e contrario; non tamen debent esse confusa nomina, sed distincta. Ad hoc enim quod aliquod nomen nominet proprie aliquam rem, duo requiruntur: scilicet quod hoc quod significatur per nomen, habeatur perfecte secundum completum actum, et ut sit ultima perfectio ejus: et quia omnis denominatio est a forma, quae dat esse et est principium operationis; ideo Angeli denominantur ab eo quod est in eis loco formae, tamquam a digniori. Verbi gratia, in homine est quaedam participatio intellectus: et quia non habet plenum actum intellectus, ut sine inquisitione et imaginatione intelligere possit, ideo in ordine intellectualium non ponitur. Similiter etiam quamvis sensum habeat secundum completissimam operationem respectu omnium animalium: quia tamen sentire non est secundum ultimam perfectionem ejus, non ponitur in ordine sensitivorum, sed in ordine rationalium: quia rationis actum plene habet, et est actus ejus inquantum est homo. Secundum hoc ergo dico, quod donum superiorum est in inferioribus secundum quamdam participationem, non secundum completum actum: et ideo ab eo non possunt denominari: e contrario vero dona inferiorum sunt in superioribus eminentius; sed in illis actibus non est ultimum complementum eorum, unde ab his non denominantur sicut proprio nomine: et inde est quod dicuntur sibi in denominationibus cedere, ut scilicet superior ordo ab excellentiori actu proprium nomen sortiatur.

Réponse. À propos des noms des ordres, il faut remarquer que plus un ordre est élevé, plus est parfait ce dont il tire son nom. Et bien que les inférieurs participent d’une certaine manière à ce qui qui appartient aux supérieurs, et aussi le contraire, les noms ne doivent cependant pas être mélangés, mais distingués. En effet, pour qu’un nom désigne une chose au sens propre, deux choses sont requises : ce qui est signifié par le nom doit être possédé parfaitement en acte complet, et ce doit être sa perfection ultime. Et parce que tout nom donné vient de la forme, qui donne l’être et est le principe de l’opération, les anges sont donc nommés à partir de ce qui joue chez eux le rôle de forme parce que plus digne. Par exemple, il y a chez l’homme une certaine participation à l’intelligence. Et parce qu’il ne possède pas pleinement l’acte d’intelligence, de sorte qu’il puisse intelliger sans recherche et sans imagination, il n’est donc pas placé dans l’ordre des réalités intellectuelles ; de même encore, bien qu’il possède le sens selon son opération la plus achevée en regard de tous les animaux, parce que sentir ne correspond pas à sa perfection ultime, il n’est pas situé dans l’ordre des réalités sensibles, mais dans l’ordre des réalités raisonnables, car il possède pleinement l’acte de la raison, et cela est son acte en tant qu’il est homme. Conformément à cela, je dis donc que le don des [anges] supérieurs se trouve dans les [anges] inférieurs selon une certaine participation, mais non selon son acte complet ; c’est pourquoi ils n’en portent pas le nom. Mais, en sens contraire, les dons des [anges] inférieurs se trouvent chez les [anges] supérieurs de manière plus éminente ; mais leur achèvement ultime ne consiste dans ces actes. Aussi ne tirent-ils pas d’eux leur nom propre. De là vient qu’on dit d’eux qu’ils tirent leurs noms d’eux-mêmes, c’est-à-dire qu’un ordre supérieur tire son nom propre de son acte le plus éminent.

 

[4259] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod principatus communiter sumptus ad cujuslibet praelationis officium, intelligitur nomine hierarchiae; sed principatus specialiter sumptus ad regimen determinatae provinciae, est nomen unius specialis ordinis.

1. Le nom de « hiérarchie » s’entend d’une dignité, entendue au sens général pour toute fontion comportant une supériorité ; mais, pris au sens spécial de gouvernement d’une province particulière, « principauté » est le nom d’un ordre particulier.

 

[4260] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nomen Angeli designat manifestationem, cum Angelus nuntius dicatur: esse enim manifestativum simpliciter convenit omnibus ordinibus, inquantum scilicet secundum descensum ordinum, lumen intellectuale est in eis minus simplex et magis proportionatum intellectui sequentium; et ideo dicit Dionysius quod semper inferior Angelus manifestat superiorem omnibus sub se ordinatis; et ideo esse manifestativum omnium superiorum respectu nostri est ultimi ordinis: propter quod ultimum ordinem, Angelorum nomine significamus, aliis ordinibus nominatis ab his quae designant excellentiorem modum nuntiandi vel manifestandi; et per hunc modum Angelus est nomen naturae, quia conditionem naturae exprimit. Sed si nuntiare sumatur secundum exterius ministerium quod exercent, sic Angelus est nomen officii, non naturae, ut dicit Gregorius.

2. Le nom « ange » désigne une manifestation, puisqu’on appelle « ange » un messager. En effet, le fait de manifester tout simplement convient à tous les ordres, dans la mesure où, en descendant dans les ordres, la lumière intellectuelle est en eux moins simple et davantage proportionnée à l’intelligence des suivants. C’est pourquoi Denys dit que l’ange inférieur manieste toujours [l’ange] supérieur à tous ceux qui lui sont subordonnés. Ainsi, il revient au dernier ordre de manifester tous les [ordres] supérieurs à nous. Pour cette raison, nous marquons le dernier ordre du nom « anges » par rapport aux autres ordres nommés à partir de ce qui désigne un mode d’annoncer ou de manifester plus éminent. De cette manière, « ange » est un nom de nature parce qu’il exprime la condition d’une nature. Mais si on entend « annoncer » du ministère extérieur qu’ils exercent, « ange » est alors un nom de fonction, et non de nature, comme le dit Grégoire.

 

[4261] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nomen virtutum, secundum quod nominat specialem ordinem, sumitur a speciali dono vel actu, quod est exequi et perficere quidquid est arduum et difficillimum in ministeriis divinis; sed secundum quod convenit omnibus caelestibus spiritibus, sumitur a virtute sequente naturam.

3. Le nom de « Vertus », selon qu’il désigne un ordre particulier, est tiré d’un don ou d’un acte particulier, qui consiste à accomplir et à achever tout ce qui est dur et très difficile dans les fonctions divines ; mais, selon qu’il convient à tous les esprits célestes, il est tiré d’une puissamce découlant de la nature.

 

[4262] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angelorum nomina quaedam sunt communia omnibus ordinibus, quaedam autem propria determinatorum ordinum. Communium autem quaedam sumuntur ab essentia vel aliqua conditione naturali, ut quod dicuntur caelestes essentiae, et Angeli et spiritus et divinae mentes et divini intellectus et caelestes animi; quaedam vero a virtute, ut quod dicuntur caelestes virtutes; quaedam vero ab operatione, ut quod dicuntur Angeli; sed nomina specialium ordinum sumuntur a donis superadditis et officiis consequentibus dona; et ideo nomina specialium ordinum magis possunt aequivocari cum nominibus generalibus quae sumuntur a virtute et ab operatione, quae essentiae superadduntur, quam cum illis quae sumuntur a natura, quae non superadditur sed substernitur.

4. Certains des noms d’anges sont communs à tous les ordres, mais certains sont propres à des ordres déterminés. Certains des noms communs sont tirés de l’essence ou d’une condition naturelle, comme ceux d’essences célestes, d’anges, d’esprits, d’esprits divins, d’intelligences divines et d’esprits célestes. Mais certains [sont tirés] de leur puissance, comme ceux qui sont appelés Vertus célestes ; certains sont par ailleurs tirés de leur opération, comme ceux qui sont appelés Anges. Mais les noms des ordres particucliers sont tirés de dons ajoutés et de fonctions découlant des dons. C’est pourquoi les noms des ordres particuliers peuvent être davantage équivoques par rapport aux noms généraux, qui sont tirés d’une puissance et d’une opération, qui sont ajoutés à l’essence, que par rapport à ceux qui sont tirés de leur nature, qui n’est pas ajoutée mais sous-jacente.

 

[4263] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Seraphim non dicuntur incendentes quasi habitum caritatis influant; sed quia illuminant de his quae ad amorem caritatis pertinent.

5. Les Séraphins ne sont pas appelés « enflammés », comme s’ils donnaient l’habitus de la charité, mais parce qu’ils illuminent sur ce qui se rapporte à l’amour de charité.

 

[4264] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod nomina superiorum ordinum non sumuntur simpliciter ab actibus fruitionis, sed ab excellentia eorum quae tantum in superioribus inveniuntur; quamvis fruitio communis sit omnibus: non enim dicuntur amantes sed ardentes, in quo consummatio caritatis exprimitur: similiter Cherubim non dicuntur simpliciter videntes vel scientes, sed pleni scientia. Unde per istum modum scientiam habere non est commune omnibus, quamvis scientia vel visio omnibus sit communis: et propter hoc non possunt omnes dici Cherubim, ut dicit Dionysius.

6. Les noms des ordres supérieurs ne sont pas tirés simplement des actes de la jouissance, mais de l’excellence de ce qui se trouve seulement chez les [anges] supérieurs. Bien que la jouissance soit commune à tous, on ne dit cependant pas qu’ils sont « aimants », mais « brûlants », pour exprimer ainsi la consommation de la charité. De même, on ne dit pas simplement que les Chérubins « voient » ou « savent », mais [qu’ils voient et savent] selon une connaissance parfaite. Il n’est donc pas commun à tous de posséder la science de cette manière, bien que la science et la vision soient communes à tous. Pour cette raison, tous ne peuvent pas être appelés Chérubins, comme le dit Denys.

 

[4265] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod nomina ista desinentia in in, ut Cherubin, Seraphin, sunt neutri generis, pluralis numeri, et ponuntur pro toto collegio unius ordinis. Desinentia autem in im, sunt masculini generis, et pluralis numeri, et ponuntur pro pluribus personis unius ordinis. Sed Cherub et Seraph sunt masculini generis et singularis numeri, et significant unam personam illius ordinis.

7. Les noms dont la désinence est en –in, comme Chérubin, Séraphin, sont au neutre pluriel, et ils sont donnés à tout le collège d’un seul ordre. Ceux dont la désinence est en – im sont au masculin pluriel, et ils sont donnés à plusieurs personnes d’un seul ordre. Mais Cherub et Seraph sont au masculin singulier, et ils signifient une seule personne de cet ordre.

 

 

 

 

Articulus 5 [4266] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 tit. Utrum omnes Angeli unius ordinis sint aequales

Article 5 – Tous les anges d’un seul ordre sont-ils égaux ?

 

[4267] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod omnes Angeli unius ordinis sint aequales. Major enim est convenientia eorum qui sunt unius ordinis, quam eorum qui sunt unius hierarchiae. Sed Dionysius frequenter vocat aequipotentes eos qui sunt unius hierarchiae. Ergo videtur multo fortius quod illi qui sunt unius ordinis, sint aequales.

1. Il semble que tous les anges d’un seul ordre soient égaux. En effet, ceux qui sont dans un seul ordre ont plus en commun que ceux qui sont dans une seule hiérarchie. Or, Denys dit souvent que ceux qui font partie d’une seule hiérarchie ont un pouvoir égal. Il semble donc qu’à bien plus forte raison ceux qui font partie d’un seul ordre soient égaux.

 

[4268] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, quaecumque se habent sicut superius et inferius, sunt in diverso gradu vel ordine ordinati. Sed quicumque in Angelis sunt aequales, se habent sicut superius et inferius. Ergo videtur quod sint diversorum ordinum. Ergo si aliqui sint unius ordinis, videtur quod sint aequales.

2. Tout ce qui a un rapport de supériorité et d’infériorité se trouve placé à un degré ou dans un ordre différent. Or, tous ceux qui sont égaux parmi les anges ont un rapport de supérieurs et d’inférieurs. Il semble donc qu’ils appartiennent à des ordres différents. Si certains font partie d’un seul ordre, il semble donc qu’ils soient égaux.

 

[4269] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, dignitas Angelorum est secundum dona percepta. Sed illi qui sunt unius ordinis, perficiuntur uno dono, ut habetur ex definitione ordinis in littera posita. Ergo videtur quod sint aequales.

3. La dignité des anges vient des dons reçus. Or, ceux qui font partie d’un seul ordre sont perfectionnés par un seul don, comme on le voit par la définition de l’ordre donnée dans le texte. Il semble donc qu’ils soient égaux.

 

[4270] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, quanto aliquid immediatius conjungitur alteri, tanto minus distat ab illo; sicut tria minus distant a duobus quam decem. Sed si Angeli qui sunt unius ordinis, essent inaequales, inferior Angelus unius ordinis magis immediate se haberet ad primum Angelum inferioris ordinis quam ad superiorem sui ordinis. Ergo Angeli diversorum ordinum magis convenirent quam Angeli ejusdem ordinis: quod videtur absurdum. Ergo omnes Angeli unius ordinis sunt sibi immediati, ita quod se mutuo non excedunt.

4. Plus une chose est immédiatement unie à une autre chose, moins elle en est distante, comme trois est moins éloigné de dix que deux. Or, si les anges qui font partie d’un seul ordre étaient inégaux, l’ange inférieur d’un ordre serait plus distant du premier ange de l’ordre inférieur que de l’ange supérieur de son ordre. Les anges des divers ordres ont donc plus en commun que les anges d’un même ordre, ce qui semble absurde. Tous les anges d’un seul ordre sont donc immédiats les uns par rapport aux autres, de telle sorte qu’ils ne se dépassent pas les uns les autres.

 

[4271] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, ubicumque est primum, medium et ultimum, ibi est inaequalitas. Sed in Angelis unius ordinis est invenire primos, medios et ultimos, secundum Dionysium. Ergo Angeli unius ordinis non sunt aequales.

Cependant, [1] partout où il y a un premier, un deuxième et un dernier, il y a inégalité. Or, chez les anges d’un seul ordre, on trouve des premiers, des intérmédiaires et des derniers, selon Denys. Les anges d’un seul ordre ne sont donc pas égaux.

 

[4272] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, in Angelis est summa pulchritudo post Deum. Sed in diversorum graduum consonantia ordinata consistit ratio pulchritudinis. Ergo videtur quod in Angelis etiam unius ordinis est hujusmodi gradum invenire.

[2] Les anges sont ce qu’il y a de plus beau après Dieu. Or, la raison de beauté consiste dans l’harmonie ordonnée des divers ordres. Il semble donc qu’on trouve aussi ce genre de degré chez les anges d’un seul ordre.

 

[4273] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, Angeli secundum diversitatem naturalium diversimode etiam in gratuitis perfecti sunt, secundum quae dona in ordinibus distinguuntur. Cum autem supra dictum sit, quod in una specie non sint plures Angeli, et species in Angelis non possint differre nisi secundum quod magis et minus habent de potentialitate et actu; oportet quod unius Angeli semper natura sit sublimior quam alterius: ideo non est accipere duos Angelos aequales in tota caelesti hierarchia.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, les anges ont été aussi perfectionnés par des dons gratuits selon la diversité de leur nature, en fonction de laquelle les dons se distinguent selon les ordres. Comme on l’a dit plus haut qu’il n’y a pas plusieurs anges dans une seule espèce, et que, chez les anges, les espèces ne peuvent différer que dans la mesure où elles possèdent plus et moins de puissance et d’acte, il est nécessaire que la nature d’un ange soit plus élevée que celle d’un autre. On ne peut donc concevoir que deux anges soient égaux dans l’ensemble de la hiérarchie céleste.

 

[4274] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Angeli unius hierarchiae dicuntur aequipotentes, non simpliciter, sed secundum quid, scilicet quantum ad modum accipiendi illuminationes divinas, qui est proprius illi hierarchiae; et similiter Angeli unius ordinis sunt aequipotentes secundum convenientiam in actu illius ordinis, et non simpliciter.

1. On dit que les anges d’une hiérarchie ont la même puissance, non pas simplement, mais de manière relative, pour ce qui est de la manière de recevoir les illuminations divines, qui est propre à cette hiérarchie. De même, les anges d’un seul ordre ont-ils une puissance égale selon qu’ils ont en commun l’acte de cet ordre, et non pas simplement.

 

[4275] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non quaelibet distinctio gradus facit distantiam ordinum, ut supra dictum est, sed illa quae est secundum diversos actus.

2. Toute distinction de degré ne crée pas une distance entre les ordres, comme on l’a dit, mais celle qui se réalise selon des actes différents.

 

[4276] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis omnium sit unum donum, non tamen aequaliter omnes illud participant, sed secundum magis et minus.

3. Bien qu’il n’y ait qu’un seul don pour tous, ils n’y participent cependant pas de manière égale, mais en plus ou en moins.

 

[4277] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in naturalibus diversa quantitas et diversa intensio qualitatis non facit diversitatem in specie, sed est dispositio ad diversam speciem, inquantum unaquaeque species requirit determinatam quantitatem dimensionis, ut dicitur in 2 de anima, et similiter ad speciem ignis requiritur determinata intensio caloris; unde possibile est ut aliqua minus distent in quantitate vel intensione qualitatis, quae magis distant secundum speciem: ita etiam in ordinibus Angelorum, si consideretur distantia secundum rationem quantitatis tantum, non est inconveniens quod infimus Angelus alicujus ordinis plus distet a supremo sui ordinis quam a supremo inferioris ordinis, a quo tamen differentia formali et secundum speciem magis distat, inquantum attingit rationem superioris ordinis, quam alius non consequitur: sicut si diceretur, quod frigidissimus vir minus distat a calidissima muliere quam a calidissimo viro, cum quo tamen magis convenit ratione sexus. Et hoc universaliter invenitur verum in omni re quae compatitur aliquam latitudinem diversorum graduum.

4. De même que, pour les réalités naturelles, une quantité différente et une intensité différente ne donnent pas une diversité d’espèce, mais sont une disposition à une espèce différente, dans la mesure où chaque espèce requiert une quantité dimensionnelle déterminée, comme on le dit dans Sur l’âme, II, et que, de même, une intensité de chaleur déterminée est nécessaire pour l’espèce du feu ‑ il est ainsi possible que des choses soient moins distantes par la quantité ou l’intensité d’une qualité, qui sont davantage distantes selon l’espèce ‑, de même, dans les ordres des anges, si on considère la distance selon la raison de la quantité seulement, il n’est pas inapproprié que le plus petit ange d’un ordre soit davantage éloigné de l’ange le plus élevé dans son ordre que de l’ange le plus élevé d’un ordre inférieur, dont il est cependant plus éloigné par une différence de forme et selon l’espèce, pour autant qu’il atteint la raison d’un ordre supérieur qu’un autre n’obtient pas ‑ comme si on disait que l’homme le plus frigide est moins éloigné de la femme que l’homme le plus chaud, qu’il rejoint cependant en raison de son sexe. Et cela est universellement vrai pour tout ce qui supporte un certain écart entre divers degrés.

 

 

 

 

Articulus 6 [4278] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 tit. Utrum omnes hierarchiae sint connexae

Article 6 – Toutes les hiérarchies sont-elles connexes ?

 

[4279] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod non omnes hierarchiae sint connexae. Quorumcumque enim ratio consistit in distinctione, eorum non est aliqua connexio: quia connexio distinctioni opponitur. Sed ratio hierarchiae consistit in distinctione superioris et inferioris. Ergo earum non est connexio.

1. Il semble que toutes les hiérarchies ne soient pas connexes. En effet, entre tout ce dont la raison consiste dans une distinction, il n’existe pas de connexion, car la connexion s’oppose à la distinction. Or, la raison de hiérarchie consiste dans une distinction entre supérieur et inférieur. Il n’y a donc pas de connexion entre elles.

 

[4280] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, quae differunt in eo quod est maxime commune, non habent ulterius in quo connectantur; sicut quae specie differunt, genere conveniunt; et quae differunt generibus generalissimis, non univocantur in aliquo. Sed hierarchia est quid communissimum comprehendens sub se ordines et personas. Ergo diversae hierarchiae in nullo connectuntur.

2. Les choses qui diffèrent par ce qui est le plus commun n’ont pas en plus de quoi être connexes, comme les choses qui diffèrent par l’espèce ont le genre en commun, et les choses qui diffèrent selon les genres les plus généraux ne sont univoques avec rien. Or, la hiérarchie est ce qu’il y a de plus commun : elle inclut les ordres et les personnes. Les différentes hiérarchies ne sont donc en rien connexes.

 

[4281] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, in Angelis non est invenire nisi naturalia et gratuita. Sed in naturalibus non connectuntur, cum sint diversarum specierum: nec iterum in gratuitis, cum diversis muneribus gratiae diversi ordines perficiantur. Ergo videtur quod in nullo connectuntur.

3. On ne trouve chez les anges que ce qui est naturel et ce qui est gratuit. Or, ils ne sont pas connexes selon les réalités naturelles, puisqu’ils sont d’espèces différentes ; ni selon ce qui est gratuit, puisque les divers ordres sont perfectionnés par divers dons de la grâce. Il semble donc qu’ils ne sont en rien connexes.

 

[4282] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, ea quae non conjunguntur in aliquo uno termino communi, non videntur connexionem habere, sicut discreta. Sed hierarchiae et ordines non uniuntur in aliquo uno termino communi, cum non sit unus ordo diversarum hierarchiarum, nec unus Angelus diversorum ordinum. Ergo videtur quod non sit aliqua eorum connexio.

4. Ce qui n’est pas uni dans un terme commun ne semble pas avoir de connexion, comme ce qui est divisé. Or, les hiérarchies et les ordres ne sont pas unis dans un terme commun, puisqu’il n’y a pas un seul ordre pour les différentes hiérarchies, ni un seul ange pour les différents ordres. Il semble donc qu’il n’y ait pas de connexion entre eux.

 

[4283] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit assignans connexionem ordinum et hierarchiarum.

Cependant, [1] Denys dit le contraire en affirmant une connexion entre les ordres et les hiérarchies.

 

[4284] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, dicit Commentator in 11 Metaph., quod ordo substantiarum separatarum sub Deo et ad invicem, est sicut plurium artium sub una arte communi; (unde scientiam Dei assimilat metaphysicae, sub qua sunt omnes scientiae), et sicut plura officia ordinantur sub principe civitatis. Sed in omnibus his est aliqua connexio, secundum quod ad invicem dependent. Ergo videtur quod hierarchiarum caelestium et ordinum sit connexio.

[2] Dans Métaphysique, XI, le Commentateur dit que l’ordre entre les substances séparées sous Dieu et entre elles est semblable à celui qui existe entre plusieurs arts subordonnés à un art commun – ainsi assimile-t-il la science de Dieu à la métaphysique, sous laquelle se trouvent toutes les sciences ‑, et comme plusieurs fonctions sont ordonnées sous le dirigeant d’une cité. Or, entre toutes ces choses, il existe une connexion, selon qu’elles dépendent les unes des autres. Il semble donc qu’il y ait une connexion entre les hiérarchies et les ordres célestes.

 

[4285] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod ordines angelicae hierarchiae omnes sunt connexi ad invicem, et etiam ordinibus nostrae hierarchiae, ut Dionysius tradit ubi supra. Haec autem connexio intelligenda est ad modum ordinis universi. Sicut enim universi partes ad invicem ordinatae sunt, inquantum una alteram juvat ad consecutionem sui finis, et etiam ad ultimum bonum, quod est finis totius universi, ita etiam connexio hierarchiarum est et secundum relationem in unum finem ultimum, secundum quod omnis hierarchiae finis est unitas et similitudo ad Deum: et secundum ea quae sunt de essentia ipsius hierarchiae, scilicet secundum ordinem, scientiam, et actionem. Secundum ordinem quidem, inquantum in omnibus invenitur distinctio per primum, medium et ultimum: sicut enim angelica hierarchia, media est inter Deum et nos; ita etiam est accipere in ipsa hierarchia primam hierarchiam, et mediam et ultimam; et in unaquaque primum ordinem, medium et ultimum: in quorum unoquoque est accipere primos Angelos, medios et ultimos, et hoc a primo usque ad ultimum. Secundum scientiam vero, inquantum irradiatio divini luminis extenditur a primis usque ad ultimos, ut dicitur Job 25, 31: numquid est numerus militum ejus, et super quem non surgit lumen ejus? Quod tamen non uniformiter ab omnibus recipitur; sed a superioribus in majori simplicitate, et ab inferioribus in minori. Secundum actionem autem, quia primi habent actionem hierarchicam in medios, et medii in ultimos; et medii manifestant primos et ultimi medios eo modo qui supra expositus est: et sic secundum quatuor quae in definitione hierarchiae ponuntur, quadruplex ejus connexio assignatur.

Réponse. Les ordres de la hiérarchie angélique sont tous connexes les uns par rapport aux autres, et même par rapport aux ordres de notre hiérarchie, comme Denys l’enseigne à l’endroit indiqué plus haut. Or, cette connexion doit être comprise selon le mode de l’ordre de l’univers. En effet, de même que les parties de l’univers sont ordonnées les unes par rapport aux autres, dans la mesure où l’une en aide une autre pour l’obtention de sa fin, et aussi en vue du bien ultime, qui est la fin de tout l’univers, de même existe-t-il une connexion entre les hiérarchies aussi bien selon leur relation par rapport à une seule fin ultime, pour autant que la fin de toute hiérarchie est l’unité et la ressemblance avec Dieu, que pour ce qui est de l’essence de la hiérarchie elle-même, c’est-à-dire pour l’ordre, la science et l’action. Pour l’ordre, dans la mesure où l’on trouve en toutes une distinction entre ce qui est premier, intermédiaire et dernier. En effet, de même que la hiérarchie angélique est intermédiaire entre Dieu et nous, de même aussi faut-il concevoir dans la hiérarchie elle-même une première hiérarchie, une hiérarchie intermédiaire et une dernière hiérarchie ; et dans chacune d’elles, [faut-il concevoir] un premier ordre, un ordre intermédiaire et un dernier ordre ; et en chacun de ceux-ci, des anges premiers, intermédiaires et derniers, et cela, du premier jusqu’au dernier. Mais pour la science, dans la mesure où le rayonnement de la lumière divine s’étend depuis les premiers jusqu’aux derniers, comme il est dit en Jb 25, 3 : Peut-on dénombrer ses soldats, sur qui sa lumière se lève ? Cependant, elle n’est pas reçue par tous de manière uniforme, mais, par les anges supérieurs, selon une plus grande simplicité, et, par les anges inférieurs, selon une simplicité moins grande. Pour ce qui est de l’action, car les premiers exercent une action hiérarchique sur les intermédiaires, et les intermédiaires, sur les derniers. Et les premiers manifestent les premiers, et les intermédiaires, les derniers. Et les intermédiaires manifestent les premiers et les derniers, ainsi que les intermédiaires, les derniers, de la manière qui a été expliquée plus haut. Et ainsi, selon les quatre choses qui sont mises dans la définition de la hiérarchie, une quadruple connexion est-elle assignée.

 

[4286] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod distinctio quae est de ratione hierarchiae, est ordinatorum ad invicem, et ad aliquod unum: et talis distinctio connexionem non excludit, sed ponit.

1. La distinction qui fait partie de la raison de hiérarchie est celle de choses qui sont ordonnées les unes par rapport aux autres et à une seule chose. Une telle distinction n’exclut pas une connexion, mais elle l’affirme.

 

[4287] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod plurium hierarchiarum est unus finis communis, et una communis perfectio et ratio: et ideo quae differunt in hierarchia, connectuntur in fine ultimo, et in communi ratione hierarchiae, et in lumine perficiente hierarchiam; sed ordines unius hierarchiae praeter hoc connectuntur in his quae sunt propria illius hierarchiae: et qui sunt unius ordinis, in propriis illius ordinis.

2. Il n’existe qu’une seule fin et une seule perfection et raison communes de plusieurs hiérarchies. C’est pourquoi ce qui diffère à l’intérieur de la hiérarchie est connexe dans la fin ulltime, dans la raison commune de hiérarchie et dans la lumière qui perfectionne la hiérarchie. Mais, en plus de cela, les ordres d’une seule hiérarchie sont connexes dans ce qui est propre à cette hiérarchie, et ceux qui font partie d’un seul ordre [le sont] dans ce qui est propre à cet ordre.

 

[4288] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angeli perficiuntur duplici lumine: lumine scilicet naturali, prout sunt intellectus quidam, et lumine gratuito perficiente ad actus hierarchicos: et utrumque lumen est unum in omnibus ex parte principii a quo est, et finis ad quem ordinantur; sed utrumque distinguitur et appropriatur diversis secundum diversam capacitatem recipientium; tamen distinctio ordinata est, et ipse ordo connexionem ponit; et ideo talis distinctio connexionem non excludit.

3. Les anges sont perfectionnés par une double lumière : par une lumière naturelle, en tant qu’ils sont des intellects, et par une lumière gratuite, qui perfectionne en vue des actes hiérarchiques. Les deux lumières sont identiques pour tous du point de vue du principe d’où elles viennent et de la fin à laquelle elles sont ordonnées ; mais les deux sont distinctes et sont appropriées par chacun selon la capacité différente de ceux qui les reçoivent. Toutefois, la distinction est ordonnée, et l’ordre lui-même impose une connexion. C’est pourquoi une telle distinction n’exclut pas une connexion.

 

[4289] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod invenitur in hierarchiis et in ordinibus quidam communis finis, non quod unum sit in diversis, sed inquantum inveniuntur in uno diversorum proprietates secundum convenientiam et secundum ordinem sapientiae divinae, quae finem primorum conjungit principiis secundorum, ut dicit Dionysius. Et hoc patet discurrenti per singulas hierarchias. Primus enim ordo primae hierarchiae quodammodo secundum maximum excessum accedit ad divinas proprietates: unde nominantur Seraphim ex proprietate ignis, qui maxime significat divinas proprietates, ut dicit Dionysius. Ultimus vero ordo illius hierarchiae habet quamdam conglutinationem cum ordinibus secundae hierarchiae: unde et non denominatur tantum ab actu qui est circa Deum, sed et ab actu qui est in inferiora: et ideo dicuntur throni, inquantum Deus in eis sedet ut omnia judicans. Similiter etiam in secunda hierarchia primus ordo, scilicet dominationum, habet aliquid simile cum hierarchia prima, scilicet praeesse, et non exequi. Ita etiam primus ordo tertiae hierarchiae, scilicet principatus, habet aliquid simile cum ordinibus secundae hierarchiae: unde et nomen ejus praelationem importat. Similiter etiam et summus ordo nostrae hierarchiae habet aliquid simile eum ultimo ordine caelestis hierarchiae; et ideo sacerdos vocatur Angelus; Malach. 2, 7: labia sacerdotis custodient scientiam, et legem requirent ex ore ejus: quia Angelus domini exercituum est.

4. On trouve dans les hiérarchies et dans les ordres une fin commune, non pas qu’elle soit une seule chose pour [les hiérarchies et ordres] différents, mais dans la mesure où se rejoignent dans une seule chose les propriétés des [hiérarchies et des ordres] différents, selon une certaine convenance et un ordre de la sagesse divine, qui unit la fin des premiers aux commencements des seconds, comme le dit Denys. Et cela ressort si l’on parcourt chaque hiérarchie. En effet, le premier ordre de la première hiérarchie rejoint pour ainsi dire, en son plus grand dépassement, les propriétés divines ; aussi les Séraphins tirent-ils leur nom de la propriété du feu, qui signifie au mieux les propriétés divines, comme le dit Denys. Mais le dernier ordre de cette hiérarchie est comme lié aux ordres de la deuxième hiérarchie ; aussi ne tire-t-il pas son nom seulement de l’acte qui porte sur Dieu, mais de l’acte qui porte sur les réalités inférieures. Ils sont donc appelés Trônes, pour autant que Dieu siège en eux pour juger toutes choses. De même, dans la deuxième hiérarchie, le premier ordre, c’est-à-dire celui des Dominations, a-t-il quelque chose de semblable avec la première hiérarchie : diriger, et non exécuter. De même encore, le premier ordre de la troisième hiérarchie, celui des Principautés, a-t-il quelque chose de semblable avec les ordres de la deuxième hiérarchie ; aussi son nom comporte-t-il une supériorité. Et encore, l’ordre le plus élevé de notre hiérarchie a-t-il quelque chose de semblable avec (corr. eum/cum) le dernier ordre de la hiérarchie céleste ; c’est pourquoi le prêtre est appelé un ange. Ml 2, 7 : Les lèvres du prêtre garderont la science et chercheront la loi venant de la bouche [du Seigneur], car il est l’ange du Seigneur des armées.

 

 

 

 

Articulus 7 [4290] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 tit. Utrum distinctio ordinum sit a natura

Article 7 – La distinction entre les ordres vient-elle de la nature ?

 

[4291] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 arg. 1 Ad septimum sic proceditur. Videtur quod distinctio ordinum non sit a natura, ita quod a creatione inceperit. Conformitas enim mentis ad Deum est per gratiam. Sed hierarchia est deiforme, inquantum possibile est, similans. Ergo videtur quod ordines hierarchiae non distinguantur nisi per gratiam.

1. Il semble que la distinction des ordres ne vienne pas de la nature, de sorte qu’elle aurait commencé avec la création. En effet, la conformité de l’esprit avec Dieu vient de la grâce. Or, la hiérarchie est quelque chose qui fait ressembler à Dieu, autant que cela est possible. Il semble donc que les ordres de la hiérarchie ne se distinguent qu’en raison de la grâce.

 

[4292] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 arg. 2 Praeterea, secundum Dionysium, per nomina ordinum ostenduntur proprietates eorum. Sed quaedam nomina ordinum exprimunt gratiam, praecipue nomen Seraphim, quod imponitur ab ardore caritatis. Ergo videtur quod distinctio ordinum sit per gratiam.

2. Selon Denys, les propriétés des ordres sont montrées par leurs noms. Or, certains noms d’ordres expriment la grâce, surtout le nom de Séraphins, qui est donné en raison de l’ardeur de la charité. Il semble donc que la distinction des ordres vienne de la grâce.

 

[4293] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 arg. 3 Praeterea, nostra hierarchia exemplata est a caelesti. Sed in nostra hierarchia non est distinctio ordinum per naturam, sed solum per gratiam sacramentalem, quae confertur in sacramento ordinis. Ergo videtur quod nec in caelesti sit distinctio ordinum per naturam.

3. Notre hiérarchie tire son modèle de la [hiérarchie] céleste. Or, dans notre hiérarchie, il n’existe pas de distinction entre les ordres en raison de la nature, mais seulement en raison de la grâce sacramentelle, qui est donnée dans le sacrement de l’ordre. Il semble donc qu’il n’y ait pas non plus dans la [hiérarchie] céleste de distinction entre les ordres en raison de la nature.

 

[4294] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 arg. 4 Praeterea, ad distinctionem ordinum requiritur gradus secundum actiones hierarchicas, ut unus alium purget, illuminet, et perficiat. Sed hoc non potest esse nisi per divinum lumen in eis receptum. Ergo videtur quod ante collationem gratiae, nulla fuerit ordinum distinctio per naturam.

4. Pour la distinction des ordres, un degré est nécessaire selon les actions hiérarchiques, de sorte que l’un en purifie, illumine et perfectionne un autre. Or, cela ne peut exister que par la lumière divine reçue en eux. Il semble donc qu’avant que la grâce ne soit donnée, il n’y avait aucune distinction entre les ordres selon la nature.

 

[4295] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in definitione ordinis in littera posita, quod ordo est multitudo caelestium spirituum qui conveniunt in naturalibus datis, et in muneribus gratiae. Ergo videtur quod etiam per naturam sit distinctio ordinum.

Cependant, [1] il est dit, dans la définition de l’ordre, donnée dans le texte, qu’un ordre est un grand nombre d’esprits célestes qui ont en commun des dons naturels et des dons de la grâce. Il semble donc qu’il existe une distinction entre les ordres même selon la nature.

 

[4296] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 s. c. 2 Praeterea, ubicumque est diversitas gradus secundum superius et inferius, ibi est diversus ordo. Sed a principio creationis ante infusionem gratiae, si in gratia creati non sunt, fuit in eis gradus superior et inferior, secundum quod quidam erant subtilioris essentiae, et perspicacioris intelligentiae, ut supra dictum est. Ergo videtur quod a principio creationis fuerint in eis ordines distincti.

[2] Partout où il y a distinction de degré en plus et en moins, il existe un ordre différent. Or, depuis le début de la création et avant l’infusion de la grâce, à supposer qu’ils n’aient pas été créés avec la grâce, existait entre eux un degré supérieur et un degré inférieur, selon que certains possédaient une essence plus subtile et une intelligence plus pénétrante, comme on l’a dit plus haut. Il semble donc que, depuis le commencement de la création, des ordres distincts aient existé entre eux.

 

[4297] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 co. Respondeo dicendum, quod donum gratiae est perfectivum naturae; et ideo distinctio ordinum est per diversum donum gratuitum sicut per principium formale, et per diversum donum naturale sicut per principium quasi materiale et dispositivum: unde definitio ordinis utrumque complectitur, comprehendens principia materialia et formalia. Sic ergo quodammodo a principio creationis fuit distinctio ordinum, non tamen secundum ultimum complementum.

Réponse. Le don de la grâce perfectionne la nature ; c’est pourquoi une distinction entre les ordres se réalise par un don gratuit différent comme par son principe formel, et par un don naturel comme par un principe pour ainsi dire matériel et qui dispose. Aussi la définition de l’ordre embrasse-t-elle les deux, en incluant les principes matériels et formels. Ainsi donc, d’une certaine façon, une distinction entre les ordres a existé dès le commencement de la création ; elle ne comportait cependant pas son achèvement ultime.

 

[4298] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam in natura angelica est quaedam deiformitas, secundum quod prima et nobilior est inter naturas creatas, et magis accedens ad similitudinem divinam, secundum proprietates naturales; sed completa deiformitas est per dona gratuita.

1. Même dans la nature angélique, il existe une certaine conformité à Dieu, selon qu’elle est la première et la plus noble des natures créées, et celle qui s’approche le plus de la ressemblance avec Dieu selon ses propriétés naturelles ; mais la conformité complète avec Dieu se réalise par des dons gratuits.

 

[4299] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in Angelis ante infusionem gratiae erat etiam dilectio et cognitio naturalis, a cujus ardore et plenitudine possent dici Cherubim et Seraphim, quamvis non secundum completam rationem.

2. Chez les anges, avant l’infusion de la grâce, existaient aussi un amour et une connaissance naturels ; c’est en fonction de ceux-ci qu’ils pourraient être appelés Chérubins et Séraphins, bien que ce ne soit pas en un sens complet.

 

[4300] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod homines nostrae hierarchiae, omnes sunt unius speciei et naturae formaliter: unde tota diversitas individuorum in eadem specie causatur ex principiis materialibus: et ideo secundum naturam non est distinctio ordinis in nobis, sed secundum potestatem gratis concessam. Nec oportet quod in omnibus nostra hierarchia cum caelesti conveniat, etsi eam secundum modum suum imitetur.

3. Les hommes de notre hiérarchie appartiennent tous à une même espèce et à une même nature par leur forme. Aussi toute la diversité des individus de la même espèce est-elle causée par les principes matériels. C’est pourquoi il n’existe pas chez nous de distinction d’ordre selon la nature, mais selon une puissance gratuitement donnée. Et il n’est pas nécessaire que notre hiérarchie rejoigne la hiérarchie céleste en tout, même si elle l’imite à sa manière.

 

[4301] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si Angeli haberent naturalia tantum, adhuc lumen unius excederet lumen alterius; et ita posset esse aliqua illuminatio et perfectio, sed non complete.

4. Si les anges possédaient seulement des attributs naturels, la lumière de l’un dépasserait encore la lumière d’un autre. Et ainsi il pourrait exister une certaine illumination et un certain perfectionnement, mais pas de manière complète.

 

 

 

 

Articulus 8 [4302] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 tit. Utrum homines assumantur ad ordines Angelorum

Article 8 – [Les hommes sont-ils introduits dans les ordres des anges ?]

 

[4303] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 arg. 1 Ad octavum sic proceditur. Videtur quod homines nunquam ad ordines Angelorum assumantur. Quia, secundum Dionysium, distinguuntur quatuor gradus rerum, scilicet intellectualium, in quo comprehenduntur Angeli; rationalium, in quo sunt homines; sensibilium, in quo sunt bruta animalia; et existentium, in quo sunt res insensibiles. Sed sensitiva nunquam possunt pertingere ad gradum rationalium. Ergo rationalia nunquam possunt pertingere ad gradum intellectualium; et ita homines non assumuntur ad ordines Angelorum.

1. Il semble que les hommes ne soient jamais introduits dans les ordres des anges, car, selon Denys, on distingue quatre degrés entre les choses : les réalités intellectuelles, parmi lesquelles comptent les anges ; les réalités raisonnables, parmi lesquelles se trouvent les hommes ; les réalités sensibles, parmi lesquelles se trouvent les animaux sans raison ; et les réalités qui existent [seulement], parmi lesquelles se trouvent les choses insensibles. Or, les réalités sensibles ne peuvent jamais atteindre le degré des réalités raisonnables. Les réalités raisonnables ne peuvent donc jamais atteindre le degré des réalités intellectuelles, et ainsi les hommes ne sont pas introduits dans les ordres des anges.

 

[4304] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 arg. 2 Praeterea, plus distat natura hominis a natura Angelorum, et praecipue superiorum, quam natura unius Angeli a natura alterius. Sed Angelus inferioris naturae non fuit capax illius doni per quod superiores ordinantur in suo ordine; nec breviter Angelus unius ordinis potest pertingere ad superiorem ordinem. Ergo videtur quod nec homines ad ordines Angelorum assumantur.

2. La nature de l’homme est plus éloignée de la nature des anges, et surtout des anges supérieurs, que la nature d’un seul ange de la nature d’un autre. Or, un ange de nature inférieure n’était pas capable du don par lequel les anges supérieurs sont ordonnés à l’intérieur de leur ordre ; et un ange d’un ordre ne peut pas non plus atteindre un ordre supérieur. Il semble donc que les hommes non plus ne sont pas introduits dans les ordres des anges.

 

[4305] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 arg. 3 Praeterea, quantumcumque intellectus perficiatur lumine gratiae vel gloriae, semper oportet quod intelligat sub lumine naturali: quia gratia non tollit naturam, sed perficit. Sed lumen naturale in nobis est obumbratum respectu luminis naturalis Angeli. Ergo homo semper magis obscure videbit quam Angelus. Sed tota substantia gloriae est in visione. Ergo videtur quod homo nunquam pertingat ad gloriam Angelorum.

3. Autant l’intellect est perfectionné par la lumière de la grâce ou de la gloire, il est toujours nécessaire qu’il intellige selon une lumière naturelle, car la grâce n’enlève pas la nature mais la perfectionne. Or, la lumière naturelle en nous est ombragée en regard de la lumière naturelle de l’ange. L’homme verra donc toujours de manière plus obscure que l’ange. Or, la substance tout entière de la gloire consiste dans la vision. Il semble donc que l’homme n’atteigne jamais la gloire des anges.

 

[4306] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 arg. 4 Praeterea, quaecumque differunt in hierarchia, differunt et homines differunt in hierarchia. Ergo videtur quod etiam in ordine; et ita homines non assumantur ad ordines Angelorum.

4. Quelles que soient les choses qui se distinguent par la hiérarchie [corr. differunt et homines differunt/et homines differunt], les hommes diffèrent aussi par la hiérarchie. Il semble donc que ce soit aussi le cas pour un ordre. Et ainsi, les hommes ne sont pas introduits dans les ordres des anges.

 

[4307] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 arg. 5 Praeterea, quicumque est in ordine aliquo, habet actum illius ordinis. Sed actus alicujus ordinis est custodire homines et mitti in ministerium, quod non convenit animabus sanctis. Ergo videtur quod homines ad ordines Angelorum non assumantur.

5. Quiconque est à l’intérieur d’un ordre possède l’acte de cet ordre. Or, l’acte d’un ordre est de garder les hommes et de leur être envoyé pour un ministère, ce qui ne convient pas aux âmes saintes. Il semble donc que les hommes ne soient pas introduits dans les ordres des anges.

 

[4308] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 s. c. 1 Sed contra est quod dominus dixit Matth. 22, 30: quod erunt sicut Angeli Dei in caelo. Dionysius etiam dicit, quod homines Angelorum gloriam sortiuntur. Gregorius etiam dicit in homilia de centum ovibus, quod homines secundum diversitatem meritorum ad diversos ordines transferuntur.

Cependant, [1] le Seigneur dit le contraire en Mt 22, 30 : Ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. Denys dit aussi que les hommes partagent la gloire des anges. Grégoire dit encore, dans une homélie sur les cent brebis, que les hommes sont transférés dans divers ordres selon la diversité de leurs mérites.

 

[4309] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est triplex positio. Quidam enim Commentator Graecus episcopus Eustratius nomine, dicit in commento super 6 Ethic. Aristotelis, quod nullus tantum animae suae profectum sperare potest ut ad operationem intellectuum separatorum pertingat; et secundum hoc, hominum qui in gloriam assumuntur, esset unus ordo decimus, inferior novem ordinibus Angelorum. Sed haec positio est contraria dictis sanctorum, et videtur sapere haeresim, cum etiam beata virgo super choros Angelorum exaltata sit: nisi forte dictum Commentatoris intelligatur quantum ad naturalem operationem, inquantum scilicet ex naturalibus pertingere potest. Alia positio est, quod hominum quidam assumuntur ad ordines Angelorum. Alii vero faciunt unum ordinem decimum: et sic impletur similitudo de decima drachma perdita, quae ponitur Lucae 15. Sed hoc diversimode assignatur. Quidam enim dicunt, quod solum virgines ad hos ordines assumuntur, eo quod cognata est Angelis virginitas, ut dicit Hieronymus; alii vero electi decimum ordinem constituunt. Sed hoc non est verum, cum multi non virgines, ut Petrus et Magdalena, multis etiam virginibus eminentiores sint. Unde alii dicunt, quod perfecti assumuntur ad ordines Angelorum; sed illi qui sunt imperfectorum meritorum, decimum ordinem consummabunt. Sed cum ex hominibus et Angelis futura sit una Ecclesia et una hierarchia, non est probabile quod numerus ordinum qui caelesti hierarchiae competit, per tria terna distinctus, ut ipse numerus ordinum exprimat Trinitatis increatae vestigium, per homines augeatur. Unde tertia positio plus mihi placet, quae etiam dictis sanctorum magis consonat, scilicet quod omnes electi assumantur ad ordines Angelorum, quidam ad superiores, quidam ad inferiores, quidam ad medios pro diversitate suorum meritorum; sed beata virgo Maria super omnes. Sed utrum assumantur tot de hominibus quot ceciderunt Angeli, vel quot perstiterunt, vel quot fuerunt utrique, vel plures vel pauciores: ille scit cui soli cognitus est numerus electorum, in superna felicitate locandus.

Réponse. Sur ce sujet, il y a trois positions. En effet, un commentateur grec portant le nom de l’évêque Eustrate dit, dans son commentaire sur l’Éthique d’Aristote, VI, que personne ne peut espérer un si grand progrès de son âme qu’il rejoigne l’opération des intelligences séparées ; les hommes qui atteignent le gloire feraient ainsi partie d’un unique dixième ordre, inférieur aux neuf ordres des anges. Mais cette position est contraire à ce que disent les saints et a un relent d’hérésie, puisque la bienheureuse Vierge a été élevée au-dessus des chœurs des anges, à moins qu’on entende de l’opération naturelle ce que dit le commentateur : pour autant que [l’homme] puisse l’atteindre par ses [puissances] naturelles. Une autre position est que certains parmi les hommes sont intégrés aux ordres des anges ; Mais les autres constituent un unique dixième ordre. Ainsi s’accomplit la ressemblance avec la dixième drachme perdue qui est présentée en Lc 15. Mais cela est interprété de diverses manières. En effet, certains disent que seules les vierges font partie de ces ordres du fait que la virginité est apparentée aux anges, comme le dit Jérôme ; mais les autres constituent un dixième ordre. Mais cela n’est pas vrai, puisque beaucoup qui ne sont pas vierges, comme Pierre et Madeleine, sont supérieurs à un grand nombre de vierges. C’est pourquoi d’autres disent que les parfaits sont intégrés aux ordres des anges, mais que ceux qui ont des mérites imparfaits compléteront le dixième ordre. Mais comme une seule Église et une seule hiérarchie sera constituée d’hommes et d’anges, il n’est pas probable que le nombre des ordres qui convient à la hiérarchie céleste, divisé en trois afin que le nombre des ordres montre un vestige de la Trinité incréée, soit augmenté par des hommes. Aussi la troisième position me plaît-elle davantage ; elle s’harmonise aussi mieux avec ce que disent les saints, à savoir que tous les élus sont intégrés aux ordres des anges, certains aux ordres supérieurs, certains aux ordres inférieurs, certains aux ordres intermédiaires selon la diversité de leurs mérites ; mais la bienheureuse Vierge Marie est au-dessus de tous. Mais qu’un nombre d’hommes aussi grand soient intégrés que d’anges sont tombés, qu’autant [d’anges] ont tenu, qu’autant il y a d’anges chez les deux, ou qu’il y en ait davantage ou moins, Celui-là le sait à qui seul est connu le nombre des élus qui doivent se trouver dans l’éternelle félicité.

 

[4310] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod plus distat ratio a sensu quam intellectus a ratione: quia sensus et ratio non communicant in uno objecto; cum sensus apprehendat intentiones rerum cum conditionibus materiae; ratio autem et intellectus intentiones a conditionibus materiae separatas; unde in objecto conveniunt; differunt autem in modo: quia in cognitionem veritatis ratio inquirendo pervenit, quam intellectus simplici intuitu videt; unde ratio ad intellectum terminatur; unde etiam in demonstrationibus certitudo est per resolutionem ad prima principia, quorum est intellectus: et ideo non est inconveniens, si homines in sui ultimo gradu ad gradum intellectualium pertingunt.

1. Il y a une distance plus grande entre la raison et le sens qu’entre l’intelligence et la raison, car le sens et la raison n’ont pas d’objet commun, puisque le sens saisit les intentions des choses sous les conditions de la matière ; mais la raison et l’intelligence [en saisissent] les intentions séparées des conditions de la matière. Aussi ont-elles un objet commun; mais elles diffèrent par leur mode, car la raison parvient à la connaissance de la vérité en cherchant, alors que l’intelligence la voit d’un simple regard. Aussi la raison a-t-elle comme terme l’intelligence. C’est pourquoi, dans les démonstrations, la certitude s’acquiert par un retour aux premiers principes, sur lesquels porte l’intelligence. Il n’est donc pas inapproprié que les hommes, dans leur dernier degré, atteignent le degré des réalités intellectuelles.

 

[4311] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum, quod meritum hominis est efficacius quam meritum Angeli: tum propter difficultatem, quae est occasio majoris conatus: tum etiam propter continuum augmentum gratiae, quod potest esse in homine, ut de virtute in virtutem proficiat, cum homo sit diutius viator quam Angelus fuerit: tum etiam inquantum merita nostra efficaciam habent ex merito Christi, cujus gratia est quodammodo infinita: nusquam enim Angelos apprehendit, sed semen Abrahae, Hebr. 2, 10, et ideo magis possunt homines virtute meriti transferri in gradum altioris naturae quam etiam Angeli.

2. Le mérite de l’homme est plus efficace que le mérite de l’ange en raison de la difficulté, qui est l’occasion d’un plus grand effort ; en raison aussi de l’accroissement continu de la grâce qui peut exister chez l’homme, de sorte qu’il progresse de vertu en vertu, puisque l’homme est plus longtemps en cheminement que ne l’a été l’ange ; dans la mesure enfin où nos mérites tirent leur efficacité du mérite du Christ, dont la grâce est en quelque sorte infinie : En effet, il n’a jamais pris la condition des anges, mais celle de la descendance d’Abraham, He 2, 10. C’est pourquoi les hommes peuvent davantage que les anges être amenés, en vertu de leur mérite, au degré d’une nature supérieure.

 

[4312] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in homine naturalis actio nunquam potest attingere ad aequalitatem Angelorum; sed lumen gloriae superabundans omnem umbram evacuabit, non quidem tollendo naturam, sed perficiendo lumen intellectuale, quod secundum naturam in nobis defective participatur.

3. Chez l’homme, l’action naturelle ne peut jamais aller jusqu’à égaler les anges ; mais une lumière de la gloire surabondante éliminera toute ombre, non pas en enlevant la nature, mais en perfectionnant la lumière intellectuelle, à laquelle nous participons d’une manière déficiente selon notre nature.

 

[4313] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum Dionysium, sicut se habet nostra hierarchia vel Ecclesia ad caelestem, ita hierarchia veteris legis ad nostram; unde sicut vetus hierarchia erat via in nostram et significabat eam, et propter hoc, veniente nova, vetus assumpta est in illam et ad ordines ejus, ita etiam nostra hierarchia est via in caelestem, et signum ejus; unde in patria non erit alia hierarchia hominum et Angelorum, sed una et eadem et homines in ordines Angelorum distribuentur.

4. Selon Denys, le rapport entre notre hiérarchie ou l’Église avec la hiérarchie céleste est le même que celui de la hiérarchie de la loi ancienne avec la nôtre. De même que la hiérarchie ancienne était un chemin vers la nôtre et la signifiait – pour cette raison, une fois venue la nouvelle, l’ancienne lui a été intégrée ainsi qu’à ses ordres ‑, de même donc notre hiérarchie est un chemin vers la hiérarchie céleste et en est le signe. Ainsi, dans la patrie, la hiérarchie des hommes et celle des anges ne seront-elles pas distinctes, mais les hommes aussi seront-ils répartis entre les ordres des anges dans une seule et même [hiérarchie].

 

[4314] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod actus Angelorum in nos consequitur ordines Angelorum magis quantum ad gradum naturae (quia angelica natura medium est inter Deum et nos) quam secundum essentiales proprietates ordinis. Ideo sicut animae damnatorum non dantur nobis in exercitium, ita nec animae sanctorum in custodiam, quia hoc non competit eis secundum gradum naturae suae.

5. L’action des anges sur nous suit plutôt les ordres des anges selon le degré de la nature (car la nature angélique est intermédiaire entre Dieu et nous), que selon les propriétés essentielles de l’ordre. De même que les âmes des damnés ne nous sont pas données comme une épreuve, de même les âmes des saints ne nous le sont-elles pas pour notre garde, car cela ne leur revient pas selon le degré de leur nature.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 9

 

[4315] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 expos. Unde Dionysius tres ordines Angelorum esse tradit. Sciendum, quod Magister in verbis sequentibus partim accipit sententiam Dionysii, scilicet quantum ad numerum ordinum, partim sententiam Gregorii quantum ad eorum dispositionem: quia secundum Dionysium principatus sunt de inferioribus et virtutes de mediis; secundum Gregorium e converso. Sed ordo Dionysii est secundum quod ipse prius enumeravit, incipiens ab inferioribus, ibi: Angelos, Archangelos et cetera.

 

 

 

 

 

Distinctio 10

Distinction 10 – [Les actes des ordres angéliques]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[4316] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 pr. Posita distinctione ordinum, Magister hic determinat quosdam actus qui ordines distinctos consequuntur: et dividitur in partes duas: in prima determinat de quibusdam actibus qui consequuntur omnes ordines, scilicet assistere, et ministrare; in secunda determinat de actu custodiae, qui specialiter uni ordini competit, distinctione 11: illud quoque sciendum est, quod Angeli boni deputati sunt ad custodiam hominum. Prima in tres, secundum tres opiniones, quae in littera ponuntur; secunda incipit ibi: quibus objicitur quod Isaias ait; tertia vero ibi: alii vero dicunt, tres ordines supremos (...) ita creatori Deo assistere quod ad exteriora non exeunt. Circa secundum tria facit: primo ponit ea quae sunt ad confirmationem secundae positionis contra primam; secundo excludit quamdam quaestionem, ibi: hic oritur quaestio. Si omnes mittuntur (...) quare unus tantum inter novem ordines Angelorum nomine censetur? Tertio respondet ad probationes primae opinionis, ibi: qui autem omnes Angelos mitti asserunt, praedictas auctoritates (...) ita determinant. Quaestio autem quam removet, sumitur ex nomine Angeli; unde primo removet eam; secundo exponit quaedam nomina Angelorum, ostendens in quibus conveniant, ibi: et putant quidam Michaelem, Gabrielem, Raphaelem de superiori ordine fuisse. Hic quatuor quaeruntur: 1 utrum omnes Angeli assistant; 2 utrum omnes ministrent; 3 si non; qui assistant, et qui ministrent; 4 utrum illi qui ministrant, per ministerium a contemplatione retardentur.

Après avoir présenté la distinction des ordres, le Maître détermine ici de certains actes qui découlent des divers ordres. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de certains actes qui découlent de tous les ordres : le fait d’entourer et le service ; dans la seconde, il détermine de l’acte de garde, qui relève spécialement d’un ordre, d. 11 : « Il faut aussi savoir que des anges bons ont été assignés à la garde des hommes. » La première partie se divise en trois, selon trois opinions qui sont présentées dans le texte ; la deuxième commence à cet endroit : « Il leur est objecté ce que dit Isaïe… »; la troisième [commence] à cet endroit : « Mais d’autres disent que les trois ordres supérieurs… entourent tellement le Dieu créateur qu’ils ne vont pas à l’extérieur. » À propos de la deuxième partie, il fait trois choses. Premièrement, il présente ce qui confirme la deuxième position par opposition à la première ; deuxièmement, il écarte une question, à cet endroit : « Une question apparaît ici. Si tous sont envoyés…, pourquoi un seul des neux ordres des anges en porte-t-il le nom ? ; troisièmement, il répond aux démonstrations de la première opinion, à cet endroit : « Ceux qui affirment que tous les anges sont envoyés… déterminent de cette manière des autorités mentionnées. » La question qu’il écarte vient du nom « ange ». Premièrement, il l’écarte donc, à cet endroit : « Et ils pensent que Michel, Gabriel et Raphaël faisaient partie d’un ordre supérieur. » Ici, quatre questions sont posées : 1. Tous les anges entourent-ils ? 2. Tous servent-ils ? 3. Sinon, qui entoure et qui sert ? 4. Ceux qui servent sont-ils retenus de contempler par leur service ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4317] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 tit. Utrum omnes Angeli assistant

Article 1 – Tous les anges entourent-ils [Dieu] ?

 

[4318] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod omnes Angeli assistant. Assistere enim dicuntur regi qui ejus vultum praesentialiter intuentur. Sed Matth. 18, 10, dicitur de Angelis ad custodiam deputatis, quod semper vident faciem patris; qui tamen sunt inferioris ordinis. Ergo videtur quod omnes Deo assistant.

1. Il semble que tous les anges entourent. En effet, à propos du roi, on dit que l’entourent ceux qui, en sa présence, regardent son visage. Or, Mt 18, 10 dit, à propos des anges assignés à la garde, qu’ils voient sans cesse le visage du Père ; ils appartiennent cependant à un ordre inférieur. Il semble donc que tous entourent Dieu.

 

[4319] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Gregorium illi dicuntur assistere qui intima contemplatione perfruuntur. Sed omnes Angeli intime contemplantur, cum eos a contemplationis acumine nec pondus corporis neque culpa retardet. Ergo videtur quod omnes assistant.

2. Selon Grégoire, on dit qu’entourent [les anges] qui jouissent de la contemplation intime. Or, tous les anges le contemplent de manière intime, puisque ni le poids du corps ni la faute ne les retient du sommet de la contemplation. Il semble donc que tous l’entourent.

 

[4320] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, cuicumque convenit illud quod majus est, videtur etiam quod minus est sibi convenire, si utrumque sit dignitatis. Sed inter omnes actus patriae, fruitio est nobilissima. Ergo cum omnes fruantur, videtur multo fortius quod omnes assistant.

3. Il semble que tout ce qui convient à ce qui est plus grand convient aussi à ce qui est plus petit, si les deux choses font partie de sa dignité. Or, parmi tous les actes de la patrie, la jouissance est la plus noble. Puisque tous jouissent, il semble donc à plus forte raison que tous sont présents.

 

[4321] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, a conspectu Dei multo amplius distant mali Angeli quam boni. Sed mali Angeli etiam dicuntur Deo assistere, ut habetur Job, 1, 6, quod cum venissent filii Dei ut assisterent coram domino, affuit inter eos etiam Satan. Ergo videtur quod omnes Angeli assistant.

4. Les anges mauvais sont beaucoup plus éloignés de la vision de Dieu que les bons. Or, on dit que les anges mauvais aussi entourent Dieu, comme on le lit dans Jb 1, 6 : Lorsque les fils de Dieu s’approchèrent pour entourer le Seigneur, Satan était aussi parmi eux. Il semble donc que tous les anges l’entourent.

 

[4322] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Daniel. 7, 10 dicitur: millia millium ministrabant ei; ubi dicit Gregorius, quod alii sunt qui assistunt, alii qui ministrant. Ergo non omnes assistunt.

Cependant, [1] il est dit en Dn 7, 10 : Des milliers de milliers le servaient ; à ce propos, Grégoire dit que ceux qui [l’]entourent sont différents de ceux qui [le] servent. Tous ne l’entourent donc pas.

 

[4323] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, illi dicuntur regibus assistere qui in eorum palatiis habitant. Sed, secundum Dionysium, esse in vestibulos divinitatis est proprium primae hierarchiae. Ergo videtur quod illi tantum assistant.

[2] On dit qu’entourent les rois ceux qui habitent leurs palais. Or, selon Denys, se trouver au seuil de la divinité est le propre de la première hiérarchie. Il semble donc que ceux-là seulement entourent.

 

[4324] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod assistere dicitur in Angelis ad similitudinem eorum qui regibus assistunt. Assistere autem regi dicuntur qui circa eum sunt. Unde cum proprium primae hierarchiae assignet Dionysius circa Deum esse, eis tantum convenit assistere. Dicuntur autem circa Deum esse, inquantum immediate illuminationes percipere possunt in ipsa simplicitate divini luminis, et hoc propter perspicacitatem suae intelligentiae. Quanto enim aliquis intellectus est perspicacior, tanto ex principio universali cognito in plures conclusiones et in plura scibilia potest devenire: et illi qui minus sunt perspicacis intellectus, non possunt quaestionum veritates videre nisi in principiis contractis et appropriatis ad materiam illam. Et ideo illi supremi intellectus primae hierarchiae in ipso primo illuminationum principio omnis illuminationis rationes percipiunt; et propter hoc circa Deum esse dicuntur, et ei assistere; inferiores vero cognitionem accipiunt ex ipso lumine jam diviso et multiplicato in ipsis supremis Angelis respectu divinae simplicitatis; et propter hoc non dicuntur circa Deum esse, et sibi assistere.

Réponse. On dit des anges qu’ils sont auprès [de Dieu] par ressemblance avec les gens qui entourent les rois. Or, on dit que sont auprès du roi ceux qui l’entourent. Puisque Denys attribue à la première hiérarchie d’être auprès de Dieu, c’est à eux seulement qu’il convient de l’entourer. Or, on dit qu’ils sont auprès de Dieu pour autant qu’ils peuvent recevoir de manière immédiate des illuminations dans la simplicité même de la lumière divine, et cela, en raison de la perspicacité de leur intelligence. En effet, dans la mesure où une intelligence est plus perspicace, elle peut parvenir à un plus grand nombre de conclusions et à un plus grand nombre d’objets de connaissance à partir d’un principe universel ; et ceux qui ont une intelligence moins perspicace ne peuvent voir les vérités des questions que par les principes limités et adaptés à telle matière. Ainsi, ces intelligences supérieures de la première hiérarchie perçoivent-elles les raisons de toute illumination dans le principe premier même des illuminations. Pour cette raison, on dit qu’elles sont auprès de Dieu et l’entourent. Mais les [intelligences] inférieures reçoivent leur connaissance de la lumière même déjà divisée et multipliée dans les anges supérieurs eux-mêmes en regard de la simplicité divine. Pour cette raison, on ne dit pas qu’ils sont auprès de Dieu et l’entourent.

 

[4325] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis omnes immediate essentiam divinam contemplentur, non tamen in ipsa omnes inspicere possunt hoc quod ad eorum ordinem, idest hierarchiam, pertinet: et ideo non assistunt, proprie loquendo, omnes.

1. Bien que tous contemplent l’essence divine, tous ne peuvent cependant voir en elle ce qui relève de leur ordre, c’est-à-dire de leur hiérarchie. Aussi tous ne l’entourent-ils pas au sens propre.

 

[4326] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod intime contemplari potest dici aliquis tripliciter. Vel secundum quod ejus consideratio non distrahitur ad exteriora sensibilia; et sic omnes Angeli boni et mali intime contemplantur, quia scientiam a sensu non accipiunt: aut per hoc quod non indigent exteriori similitudine in qua Deum contemplentur, quae scilicet sit extra essentiam ejus, sed eum in essentia sua vident; et sic intime contemplantur omnes beati, non autem in statu creationis, nec iterum mali Angeli: aut per hoc quod non tantum essentiam Dei vident, sed ipsam penetrantes, in ipsa inspiciunt ejus effectus, qui in ipsa per similitudinem relucent; et sic intime contemplari est proprie assistere; et hoc solum Angelis primae hierarchiae convenit; secundum alios vero modos dicitur secundum quid assistere.

2. On peut dire de quelqu’un qu’il contemple de manière intime de trois manières. Selon que sa considération n’est pas détournée vers des réalités sensibles extérieures ; de cette manière, tous les anges bons et mauvais contemplent de manière intime, car ils ne reçoivent pas du sens leur science. Ou du fait qu’on n’a pas besoin d’une ressemblance extérieure à son essence, dans laquelle on contemple Dieu, mais qu’on le voie dans son essence. Ainsi, tous les bienheureux le contemplent-ils de manière intime, mais non dans l’état de création ni non plus dans celui de l’ange mauvais. Ou bien du fait qu’on ne voie pas seulement l’essence de Dieu, mais, en la pénétrant, qu’on voie en elle ses effets, qui brillent en elle selon une ressemblance. Contempler de cette manière est, à proprement parler, être présent. Cela ne convient qu’aux anges de la première hiérarchie ; selon les autres modes, on dit que les [anges] sont auprès [de Dieu] de manière relative.

 

[4327] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fruitio est nobilissimus actus patriae; qui quamvis omnibus communis sit, non tamen aequaliter omnibus contingit; sed sunt diversi gradus fruitionis, et altissima fruitio est in assistendo. Unde non sequitur quod omnes fruentes assistant.

3. La jouissance (fruitio) est l’acte le plus noble de la patrie. Bien qu’il soit commun à tous, il ne se produit cependant pas également chez tous, mais il existe divers degrés de jouissance, et la jouissance la plus élevée consiste dans le fait d’être auprès [de Dieu]. Il n’en découle donc pas que tous ceux qui jouissent soient auprès [de Dieu].

 

[4328] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Daemones dicuntur inter assistentes, inquantum cum eis conveniunt in primo modo intimae contemplationis.

4. Les démons sont placés parmi ceux qui sont auprès [de Dieu], pour autant qu’ils ont en commun avec [les anges bons] le premier mode de contemplation intime.

 

 

 

 

Articulus 2 [4329] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 tit. Utrum omnes Angeli mittantur in ministerium

Article 2 – Tous les anges sont-ils envoyés pour un ministère ?

 

[4330] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod omnes Angeli in ministerium mittantur. Nulli enim dubium est quin divinae personae excedant omnes Angelos in infinitum. Sed divinae personae mittuntur, ut filius et spiritus sanctus, ut in 1 Lib., dictum est. Ergo multo fortius omnes Angeli.

1. Il semble que tous les anges soient envoyés pour un ministère. En effet, personne ne doute que les personnes divines dépassent tous les anges d’une manière infinie. Or, les personnes divines sont envoyées, tels le Fils et le Saint-Eprit, comme on l’a dit dans le libre I. Donc, à bien plus forte raison, tous les anges.

 

[4331] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, inter omnes ordines primus ordo est Seraphim. Sed Seraphim leguntur missi. Isai. 6, 6: volavit ad me unus de Seraphim. Ergo videtur quod multo fortius alii mittantur.

2. Parmi tous les ordres, le premier est celui des Séraphins. Or, on lit que les Séraphins ont été envoyés, Is 6, 6 : Un des Séraphins vola vers moi. Il semble donc, à bien plus forte raison, que les autres soient envoyés.

 

[4332] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, apostolus ad Hebraeos intendit probare per ministerium Angelorum, Christum Angelis majorem esse, per hoc quod ipse, non sicut minister, sed sicut verus haeres in domo Dei patris est. Unde dicit ad Hebr. 1, 14, quod omnes sunt administratorii spiritus, in ministerium missi. Sed Christus simpliciter omnibus Angelis major est. Ergo videtur quod, secundum intentionem apostoli, omnes Angeli in ministerium mittantur.

3. Dans l’épître aux Hébreux, l’Apôtre entend démontrer par le ministère des anges que le Christ est plus grand que les anges, du fait que celui-ci n’est pas dans la maison de Dieu le Père comme un serviteur, mais comme le véritable héritier. Aussi dit-il, en He 1, 14, que tous ne sont pas des serviteurs de l’Esprit, envoyés pour un ministère ? Or, le Christ est tout simplement plus grand que tous les anges. Il semble donc que, selon l’intention de l’Apôtre, tous les anges soient envoyés pour un ministère.

 

[4333] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, omnes caelestes spiritus Angeli dicuntur. Sed Angelus idem est quod nuntius. Ergo videtur quod omnes ad exteriora nuntianda mittantur.

4. Tous les esprits célestes sont appelés « anges ». Or, « ange » est la même chose « messager ». Il semble donc que tous soient envoyés annoncer des choses extérieures.

 

[4334] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, quod Angeli ministrent nobis, hoc est propter eximiam caritatem eorum in nos. Sed quanto superiores sunt, tanto majori caritate fervent. Ergo videtur quod eis conveniat magis nobis ministrare.

5. Les anges nous servent en raison de la très grande charité qu’ils ont envers nous. Or, plus ils sont élevés, plus leur charité est fervente. Il semble donc qu’il leur convienne davantage de nous servir.

 

[4335] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, secundum Dionysium, haec est lex divinitatis inviolabiliter stabilita; quod a primis ultima per media perficiantur. Sed inter nos et primos Angelos sunt medii inferiores. Ergo primorum actio immediate non pervenit ad nos, sed est per medios secundos.

Cependant, [1] selon Denys, telle est la loi de la divinité établie de manière inviolable : les premières choses perfectionnent les dernières par des intermédiaires. Or, entre nous et les premiers anges, se trouvent des [anges] intermédiaires inférieurs. L’action des premiers ne parvient donc pas jusqu’à nous de manière immédiate, mais par des intermédiares de second rang.

 

[4336] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, inter agens et recipiens dicitur esse proportio. Sed recipere divinas illuminationes proportionatas nobis, et per convenientiam nostrae hierarchiae, convenit inferioribus Angelis. Ergo videtur quod tantum immediate ipsi ad nos mittantur.

[2] On dit qu’entre celui qui agit et celui qui reçoit, existe une proportion. Or, recevoir des illuminations divines qui sont proportionnées et d’une manière qui convient à notre hiérarchie convient aux anges inférieurs. Il semble donc qu’eux seuls nous soient envoyés de manière immédiate.

 

[4337] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod Gregorius istam quaestionem movet; sed in neutram partem assertive determinat. Quidam vero dicunt, aliquos Angelos ex officio ad ministerium deputari, ut inferiores; sed quod aliqua causa extra communem dispensationem exorta, etiam superiores in ministerium mittuntur. Sed istud non videtur necessarium: quia ad quantumcumque maxima nuntianda vel exequenda inferiores ordines sufficiunt. Et praeterea, quamvis hujusmodi magna fiant praeter communem cursum naturae, non tamen fiunt praeter ordinem gratiae, secundum quem ordinum distinctio attenditur. Et ideo secundum Dionysium dicendum, quod superiores Angeli nunquam immediate circa nos ministerium habent: et hujus ratio ex tribus potest assumi. Primo ex dispositione divinae sapientiae, cujus ordinatione vel lege sancitum est ut a superioribus in ultima per media actiones perveniant, ut sic sit ordinata connexio in omnibus partibus universi, et nulli sua nobilitas subtrahatur, quae est in hoc ut inferiorum quodammodo causa existat quantum ad aliquid. Secundo ex parte illuminationum. Sicut enim in actionibus corporalibus requiritur proportio inter agens et recipiens, quod praecipue in sensibus patet, qui ab excellenti sensibili corrumpuntur; ita etiam est in intellectualibus. Unde intellectus hebes ad subtilissimas veritates non pertingit. Cum ergo lumen intellectuale in supremis Angelis sit simplicissimum et universalissimum, non est proportionatum intellectui nostro, qui est in ultimo gradu intellectualium substantiarum; nisi prius contrahatur et determinetur in ipsis inferioribus, qui sunt minoris simplicitatis. Tertio ex parte ipsarum actionum quas circa nos exercent: cum enim actiones ministerii sint particulares, et circa particularia, oportet quod earum consecutio sit per formas magis contractas et particulares quam in superioribus. Hae autem sunt formae quae sunt in Angelis inferiorum ordinum: et ideo executio divinorum mysteriorum pertinet ad inferiores Angelos: et haec est causa quare philosophi posuerunt duplices motores orbium: scilicet quosdam conjunctos, quos vocabant orbium animas, quorum conceptiones sunt determinatae et particularizatae; et hos etiam Avicenna dicit Angelos ministrantes: alios vero separatos, quos intelligentias dicunt, in quibus sunt formae simplices et universales; et hos dicit Angelos esse assistentes. Unde patet quod haec positio rationabilior est: tum quia Dionysius hoc tradit, qui discipulus Pauli fuit, et dicitur ejus visiones scripsisse; unde eum frequenter in auctorem inducit, et praecipue in divisione hierarchiarum, et, sicut in 13 cap. Caelest. Hier. innuit, haec positio vulgata erat tempore primitivae Ecclesiae: tum etiam quia dictis philosophorum magis consonat, ut ab eis ea quae contra fidem non sunt, accipiamus, aliis resecatis.

Réponse. Grégoire soulève cette question, mais n’en détermine de manière affirmative ni dans un sens ni dans l’autre. Mais certains disent que des anges sont assignés à un ministère en vertu de leur fonction, tels les inférieurs ; mais que, advenant une cause hors du régime commun, même des [anges] supérieurs sont envoyés pour un ministère. Mais cela ne semble pas nécessaire, car, pour annoncer ou accomplir n’importe quelle des choses les plus grandes, les ordres inférieurs suffisent. De plus, bien que ces grandes choses soient accomplies en dehors du cours commun de la nature, elles ne sont cependant pas accomplies en dehors de l’ordre de la grâce, selon lequel on considère la distinction entre les ordres. C’est pourquoi, selon Denys, il faut dire que les anges supérieurs n’ont jamais de ministère à notre égard d’une manière immédiate, et la raison de cela peut être tirée de trois choses. Premièrement, en raison d’une disposition de la sagesse divine, par l’ordonnance ou loi de laquelle il a été décidé que les actions parviendraient des réalités premières aux réalités ultimes par des intermédiaires, de sorte qu’il existe une connexion ordonnée entre toutes les parties de l’univers et que rien ne soit privé de sa noblesse, qui consiste en ce que la cause chez les inférieurs existe en vue de quelque chose. Deuxièmement, du point de vue des illuminations. En effet, de même que, pour les actions corporelles, une proportion est nécessaire entre l’agent et ce qui reçoit ‑ ce qui est clair pour les sens qui sont corrumpus par un objet sensible très élevé ‑, de même en est-ils pour les réalités intellectuelles. Aussi une intelligence émoussée ne parvient-elle pas aux vérités les plus subtiles. Puisque, chez les anges supérieurs, la lumière intellectuelle est la plus simple et la plus universelle, elle n’est donc pas proportionnée à notre intellect, situé au dernier degré des substances intellectuelles, à moins d’être auparavant restreinte et déterminée chez les [anges] inférieurs eux-mêmes, dont la simplicité est moins grande. Troisièmement, du point de vue des actions mêmes que [les anges] exercent sur nous. En effet, puisque les actions du ministère sont particulières et portent sur des réalités singulières, il est nécessaire que leur mise en œuvre se réalise par des formes plus restreintes et particulières que ce n’est le cas chez les [anges] supérieurs. Or, telles sont les formes qui existent chez les anges des ordres inférieurs. C’est pourquoi la mise en œuvre des mystères divins relève des anges inférieurs. Et telle est la raison pour laquelle les philosophes ont affirmé deux moteurs des sphères. Les uns sont unis [aux sphères] : ils les appelaient les « âmes des sphères » et leurs conceptions sont déterminées et particularisées ‑ Avicenne aussi les appelle des « anges serviteurs ». Mais les autres sont séparés : [les philosophes] les appellent intelligences et, chez eux, existent des formes simples et universelles – [Avicenne] appelle ceux-là les « anges qui entourent ». Il est donc clair que cette position est plus raisonnable, d’abord parce que Denys l’enseigne, lui qui était un disciple de Paul et dont on dit qu’il a écrit ses visions. Aussi l’invoque-t-il souvent comme source, surtout pour la division des hiérarchies, et, comme il le suggère dans La hiérarchie céleste, XIII, cette position était commune à l’époque de l’Église primitive. Ensuite, parce qu’elle est davantage en harmonie avec les paroles des philosophes, de telle sorte que nous gardions d’eux ce qui n’est pas contraire à la foi, en retranchant le reste.

 

[4338] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod missio aequivoce convenit divinis personis, et ipsis Angelis: divinae enim personae non mittuntur mutando locum, sed per novum effectum gratiae gratum facientis in sanctis animabus; sed Angeli mittuntur mutando locum, et operando in nos, non sicut agens primum, sed sicut agentia secunda determinata et proportionata respectu propriorum receptivorum: et ideo ratio procedit ex aequivoco.

1. La mission convient de manière équivoque aux personnes divines et aux anges eux-mêmes. En effet, les personnes divines ne sont pas envoyées en changeant de lieu, mais par un nouvel effet de la grâce sanctifiante dans les âmes saintes. Mais les anges sont envoyés en changeant de lieu et en agissant sur nous, non pas comme le premier agent, mais comme des agents seconds déterminés et proportionnés à ceux qui les reçoivent en propre. Le raisonnement repose donc sur une équivoque.

 

[4339] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illam objectionem solvit Dionysius dupliciter. Primo ut dicatur, quod ille qui missus est ad purgandum labia Isaiae, fuit de inferiori ordine, et dictus est de Seraphim aequivoce, quia per ignem purgare venerat. Secundo ut dicatur, vere eum fuisse de ordine Seraphim. Non tamen ille Angelus qui visionem revelabat, erat de superiori ordine, sed de inferiori. Sed cum virtus hierarchica quae est in inferioribus Angelis, sit primo a Deo, et consequenter a superioribus descendens; Angelus visionem formans reduxit prophetam in cognitionem non solum virtutis immediate agentis, sed etiam virtutis divinae, unde ostendit dominum super solium sedentem; et per consequens virtutem supremorum in Angelis, unde ostendit Seraphim circa thronum stantia; et ostendit virtutem purgativam ab eis per inferiores Angelos usque in homines devenire, per hoc quod Seraphim videbatur ad eum volans pervenire. Et ponit exemplum de sacerdote, qui absolvit ex potestate a pontifice descendente; ac si diceret: pontifex te absolvit, qui mihi tradidit potestatem absolvendi te: ita et Angelus ostendit Seraphin purgantem, quia ipse in virtute ejus purgabat.

2. Denys répond à cette objection de deux manières. Premièrement, en disant que celui qui est envoyé pour purifier les lèvres d’Isaïe était d’un ordre inférieur, comme on le dit de manière équivoque du Séraphin, parce qu’il était venu purifier par le feu. Deuxièmement, en disant qu’il faisait vraiment partie de l’ordre des Séraphins. Cependant, l’ange qui révélait la vision ne faisait pas partie d’un ordre supérieur, mais d’un ordre inférieur. Mais, puisque la puissance hiérarchique qui se trouve chez les anges inférieurs vient en premier lieu de Dieu et, ensuite, descend depuis les [anges] supérieurs, l’ange qui a formé la vision ramena le prophète à la connaissance, non seulement de la puissance qui agissait de manière immédiate, mais aussi de la puissance divine. Aussi montre-t-il le Seigneur assis sur son trône. Par la suite, [il montre] la puissance de ceux qui sont supérieurs parmi les anges, et il montre les Séraphins qui se tiennent autour du trône. Et il montre que leur puissance purificatrice parvient jusqu’aux hommes par l’intermédiaire des anges inférieurs par le fait que le Séraphin semblait parvenir jusqu’à lui en volant. Et il donne l’exemple du prêtre, qui absout en vertu du pouvoir qui descend du pontife, comme s’il disait : « Le pontife t’a absous, lui qui m’a transmis le pouvoir de t’absoudre. » De même, l’ange montre le Sérpahin en train de purifier parce que lui-même purifiait en vertu de son pouvoir.

 

[4340] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 ad 3 Et per hoc etiam patet responsio ad tertium: quod omnes dicuntur ministrare, inquantum inferiores virtute superiorum, ministerium exequuntur. Vel potest dici, quod apostolus, Hebr. 1, intendit probare praeeminentiam novae legis ad veterem, propter eminentiam Christi, qui novam legem dedit, ad Angelos, per quos vetus lex tradita est. Unde loquitur quantum ad Angelos ultimi ordinis, per quos lex tradita est; ut sic lex nova, cujus Christus est auctor, legi veteri praeponatur.

3. La réponse au troisième argument ressort ainsi clairement : on dit que tous exercent un ministère dans la mesure où les inférieurs exercent un ministère en vertu du pouvoir des supérieurs. Ou on peut dire que l’Apôtre, en He 1, entend démontrer la prééminence de la loi nouvelle sur l’ancienne en raison de la prééminence du Christ, qui a donné la loi nouvelle, sur les anges par qui il a transmis la loi ancienne. Aussi parle-t-il des anges du dernier ordre, par qui la loi a été transmise, de sorte que la loi nouvelle, dont le Christ est l’auteur, soit placée au-dessus de la loi ancienne.

 

[4341] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnes caelestes spiritus, secundum Dionysium, dicuntur Angeli, non quia ad aliquid nobis nuntiandum mittantur, sed quia divinum lumen, quod caligini et tenebris propter sui simplicitatem, et immensitatem fulgoris comparatur, secundum quod est in suo fonte, in ipsis recipitur cum minori simplicitate; et ideo magis est proportionatum intelligibilibus sequentium; et propter hoc dicuntur nuntiare vel manifestare lumen divinum; et sic unusquisque Angelus inferior sui superioris manifestativus est, sicut nubes nuntiant lumen solis, quod in suo fonte inspici non potest. Si autem dicantur Angeli propter nuntiationem exteriorem, ut Gregorius dicere videtur, tunc etiam Angelis superioribus convenit, inquantum de rebus nuntiandis inferiores illuminant.

4. Selon Denys, tous les esprits célestes sont appelés « anges », non pas parce qu’ils sont envoyés pour nous annoncer quelque chose, mais parce que la lumière divine, qui, de la manière dont elle existe dans sa source, est comparée à l’immensité de l’éclair par rapport aux nuages et aux ténèbres en raison de sa simplicité, est reçue en eux avec une simplicité moindre. C’est pourquoi elle est davantage proportionnée aux intelligibles subséquents ; pour cette raison, on dit qu’ils annoncent ou manifestent la lumière divine. Et ainsi, tout ange inférieur manifeste-t-il son supérieur, comme les nuées annoncent la lumière du soleil, qui ne peut être regardée en sa source. Mais si on les appelle « anges » en raison d’une annonce extérieure, comme Grégoire semble le dire, alors cela convient aussi aux anges supérieurs dans la mesure où ils illuminent les [anges] inférieurs sur ce qui doit être annoncé.

 

[4342] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod superiores Angeli propter caritatem quam in nos habent, inferiores movent et dirigunt ad operandum nostram salutem: nec aliquid perfectae caritati detrahitur, si ministerium immediate non exequuntur.

5. En raison de la charité qu’ils ont envers nous, les anges supérieurs meuvent et dirigent les anges inférieurs afin qu’ils agissent pour notre salut. Et rien n’est enlevé à leur charité parfaite du fait qu’ils n’exercent pas de ministère de manière immédiate.

 

 

 

 

Articulus 3 [4343] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 tit. Utrum omnes Angeli secundae hierarchiae mittantur

Article 3 – Tous les anges de la deuxième hiérarchie sont-ils envoyés ?

 

[4344] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod omnes Angeli secundae hierarchiae mittantur. Omnes enim Angeli vel assistunt vel ministrant. Sed assistere est proprium primae hierarchiae, cujus est circa Deum esse, secundum Dionysium. Ergo omnes alii in ministerium mittuntur.

1. Il semble que tous les anges de la deuxième hiérarchie soient envoyés. En effet, tous les anges sont présents ou ils accomplissent un service. Or, être présent est le propre de la première hiérarchie, à qui il revient d’entourer Dieu, selon Denys. Tous les autres sont donc envoyés pour un ministère.

 

[4345] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, secundum Gregorium, plures sunt qui mittuntur quam qui assistunt. Sed si Angeli secundae hierarchiae non mittantur, plures assisterent, quia sex ordines, tribus tantum ministrantibus. Ergo illi de media hierarchia mittuntur.

2. Selon Grégoire, ceux qui sont envoyés sont plus nombreux que ceux qui sont présents. Or, si les anges de la deuxième hiérarchie ne sont pas envoyés, un plus grand nombre seraient présents, à savoir, six ordres, alors que trois seulement assureraient un service. Ceux qui font partie de la hiérarchie intermédiaire sont donc envoyés.

 

[4346] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, cum nullus Angelus alteri sit aequalis, quilibet Angelus praeter primum et ultimum, est medius inter aliquos duos. Si ergo de ratione mediae hierarchiae esset quod in ministerium non mitteretur, pari ratione nullus Angelus mitteretur in ministerium, nisi ultimus tantum: quod dissonat et a veteribus Scripturis et a dictis sanctorum. Ergo videtur quod illi de media hierarchia mittantur.

3. Puisque aucun ange n’est égal à un autre, tout ange, en dehors du premier et du dernier, est intermédiaire entre deux autres. Si donc il était de la nature de la deuxième hiérarchie que [ces anges] ne soient pas envoyés pour un ministère, pour la même raison aucun ange ne serait envoyé pour un ministère, à part le dernier, ce qui est contraire aux Écritures anciennes et à ce que disent les saints. Il semble donc que ceux qui font partie de la hiérarchie intermédiaire soient envoyés.

 

[4347] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, omnis potestas est ordinata ad executionem operis. Sed nomina ordinum secundae hierarchiae imponuntur a gradu potestatis. Ergo videtur quod eorum sit mitti ad exequendum ministerium.

4. Toute puissance est ordonnée à l’accomplissement d’une action. Or, les noms des ordres de la deuxième hiérarchie sont donnés selon le degré de puissance. Il semble donc qu’il leur revienne d’être envoyés pour accomplir un ministère.

 

[4348] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 5 Sed contra, ordines unius hierarchiae videntur esse aequipotentes in modo accipiendi divinas illuminationes. Sed dominationibus, quae sunt in media hierarchia, non convenit in ministerium mitti: quia ministrare est contra rationem dominii. Ergo videtur quod nec alii ordines mediae hierarchiae mittantur.

5. Cependant, les ordres qui font partie d’une seule hiérarchie semblent avoir un pouvoir égal dans la manière de recevoir les illuminations divines. Or, il ne convient pas aux Dominations, qui font partie de la hiérarchie intermédiaire, d’être envoyées pour un ministère, car accomplir un ministère est contraire à la notion de supériorité. Il semble donc les autres ordres de la hiérarchie intermédiaire ne soient pas non plus envoyés.

 

[4349] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, lex divinitatis est ut superiores reducant ultimos per medios. Sed inter mediam hierarchiam Angelorum et nostram est ultima hierarchia angelica. Ergo videtur quod illuminationes non immediate perveniant ad nos a media hierarchia; et ita Angeli illius hierarchiae non mittuntur.

6. La loi de la divinité consiste en ce que les supérieurs ramènent les derniers par les intermédiaires. Or, entre la hiérarchie intermédiaire des anges et la nôtre, il y a la dernière hiérarchie angélique. Il semble donc que les illuminations ne nous parviennent pas de manière immédiate par la hiérarchie intermédiaire, et ainsi les anges de cette hiérarchie ne sont pas envoyés.

 

[4350] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod quidam dicunt, Angelos primae hierarchiae nullo modo mitti sed assistere; Angelos vero tertiae hierarchiae mitti ad nos; sed Angelos mediae hierarchiae mitti ad illos de tertia: et haec est opinio quae tangitur in littera. Sed non videtur conveniens. Tum quia secundum hoc non esset differentia inter primam et mediam hierarchiam: non enim potest intelligi missio Angeli ad Angelum nisi per hoc quod unus alium illuminat: sicut autem secunda illuminat tertiam, ita prima secundam. Tum etiam quia dictis sanctorum non consonat, qui assignant ordinibus secundae hierarchiae actus qui in executione exterioris ministerii complentur, ut miracula facere, Daemones arcere, et hujusmodi. Et ideo sequendo rationes nominum in sacra Scriptura nobis traditorum, ex quibus, secundum doctrinam Dionysii, ordinum proprietates et officia colligere oportet, dicimus quod mediae hierarchiae duo ultimi ordines, scilicet virtutes et potestates, in exterius ministerium mittuntur; dominationibus autem mitti in ministerium non competit, sed dirigere omnes inferiores in suis ministeriis: hoc enim pertinet ad dignitatem domini ut ad nutum ejus dirigantur actiones subditorum, et ipse actionibus eorum non admisceatur. Unde a Gregorio principatibus et potestatibus praeesse dicitur, et a Dionysio major omni subjectione describitur dominationum ordo. Et ita relinquitur quod ordo virtutum sit supremus omnium ordinum qui mittuntur, quasi pertingens ad ultimum in divinis ministeriis: quod nomini competit: quia virtus dicitur ultimum in re de potentia, ut ponitur in 1 caeli et Mund.

Réponse. Certains disent que les anges de la première hiérarchie ne sont aucunement envoyés, mais qu’ils entourent [Dieu], mais que les anges de la troisième hiérarchie nous sont envoyés, et que les anges de la hiérarchie intermédiaire seraint envoyés à ceux qui font partie de la troisième. Mais cela ne paraît pas approprié. D’abord, parce que, de ce point de vue, il n’y aurait pas de différence entre la première hiérarchie et la hiérarchie intermédiaire. En effet, on ne peut comprendre la mission d’un ange à un autre ange que selon que l’un illumine l’autre : ainsi, la deuxième illumine la troisième et la première, la deuxième. Ensuite, parce que cela n’est pas en harmonie avec les paroles des saints, qui assignent aux ordres de la deuxième hiérarchie des actes qui s’achèvent dans l’accomplissement d’un ministère extérieur, comme le fait d’accomplir des miracles, de repousser les démons et les choses de ce genre. C’est pourquoi, en suivant le sens des noms qui nous sont transmis dans la Sainte Écriture, dont il faut, selon Denys, recueillir les propriétés et les fonctions des ordres, nous disons que les deux derniers de la hiérarchie intermédiaire, les Vertus et les Puissances, sont envoyés pour un ministère extérieur ; mais il ne convient pas que les Dominations soient envoyées pour un ministère, mais qu’elles dirigent tous les inférieurs dans leurs ministères. En effet, c’est le propre de la dignité du seigneur que les actions de ses subordonnés soient dirigées selon sa volonté et qu’il ne soit pas mêlé à leurs actions. Aussi Grégoire dit-il que les Principautés et les Puissances dirigent, et l’ordre des Dominations est-il décrit par Denys comme supérieur à toute soumission. Il reste ainsi que l’ordre des Vertus soit le plus éleve de tous les ordres, atteignant pour ainsi dire le point ultime des ministères divins, ce qui convient à son nom, car on dit d’une chose que sa vertu est le point le plus élevé de sa puissance, comme on l’affirme dans Sur le ciel et le monde, I.

 

[4351] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nullus ordo mediae hierarchiae est, proprie loquendo, de dispositione assistentium, sed pertinet ad dispositionem ministrantium. Sicut autem in artificialibus invenitur aliquis artifex qui tantum manu operatur exequens praeceptum alterius et nulli imperans, sicut ille qui praeparat materiam; alius vero qui praecipit praeparanti materiam, et ipse operatur ad inducendam formam; alius vero qui nihil operatur sed praecipit, habens rationes operis sumptas ex fine cujus est conjectator, et talis dicitur architector, quasi princeps artificum, vel usualis inquantum utitur ministerio subditorum ad suum finem, ut ex 2 Physic. habetur; ita etiam in ministeriis divinis dominationes sunt quasi artifices dirigentes et imperantes; alii vero sicut exequentes secundum gradum et modum suum: nihilominus omnes ministri dicuntur, sicut et isti omnes artifices.

1. A proprement parler, il n’y a aucun ordre de la hiérarchie intermédiaire qui n’ait la disposition de ceux qui entourent, mais cela se rapporte à la disposition de ceux qui assurent un ministère. Mais de même que, pour les réalités artificielles, on trouve un artisan qui agit seulement manuellement pour exécuter l’ordre d’un autre et qui ne commande à personne, comme celui qui prépare la matière, mais qu’un autre ordonne à celui qui prépare la matière, qui agit en vue d’amener une forme, et un autre qui ne fait rien mais ordonne, en ayant les raisons de l’action tirées de la fin dont il est le juge – celui-là s’appelle l’architecte, dirigeant des artisans, ou l’usager, dans la mesure où il fait usage du ministère de subordonnés en vue de sa fin, comme on le lit dans Physique, II ; de même aussi, pour le service de Dieu, les Dominations sont-elles pour ainsi dire les artisans qui dirigent et commandent, mais les autres, ceux qui exécutent selon leur degré et leur mode. Toutefois, tous sont appelés des ministres, comme tous [sont appelés] des artisans.

 

[4352] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum hanc positionem verificatur dictum Gregorii; quia plures erunt ordines ministrantium (quia sex) quam assistentium, qui sunt tres, ut ex dictis patet.

2. Ce que dit Grégoire est avéré selon certte position, car il y a plus d’ordres de serviteurs – ils sont au nombe de six – que d’ordres de ceux qui entourent, qui sont au nombre de trois, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 

[4353] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod medium, inquantum hujusmodi, non est immediate operativum: quia actio est secundum contactum vel secundum situm in corporalibus, vel secundum ordinem in spiritualibus: sed si aliquid sit medium quantum ad aliquid, et quantum ad aliud ultimum, potest immediate agere. Hoc autem contingit quando plures secundum gradum potentiae differentes, super idem operationem habent. Erit enim aliqua actio quam circa illud potest efficere superior quam non potest inferior facere; et quantum ad illam actionem illud supremum est ultimum. Alia vero actio est quam poterit inferior facere; et in illa est supremum operans et non ultimum; sed medium inter primum dirigens et ultimum operans; unde hanc actionem non faciet medium nisi mediante ultimo: quod patet in exemplo prius inducto. Artifex enim qui inducit formam, in hac operatione est ultimus: quia nullus infra eum hoc potest, ut verbi gratia, compaginare tabulas ad formam navis complendam; et ideo hoc immediate facit. Sed praeparationem materiae per dolationem tabularum facit mediante inferiori artifice, inquantum dat sibi regulas, quales debeant esse tabulae aptae ad compaginationem navis. Ita est etiam in ordinibus Angelorum. Potestates enim habent actum circa ea quae pertinent ad tranquillitatem totius universi inquantum habent potentiam non limitatam; et talia ordo potestatum per se facit. Alia vero sunt quae pertinent ad statum unius provinciae vel regni, et hoc non faciunt potestates nisi mediantibus principatibus, qui haec per se exequuntur. Quaedam vero sunt pertinentia ad aliquem vel ad aliqua specialiter: et haec etiam principatus non exequuntur nisi mediantibus Angelis: in quibus etiam quae majora sunt, fiunt immediate per superiores; et quae minora sunt, immediate ab inferioribus.

3. Ce qui est intermédiaire n’agit pas de manière immédiate en tant que tel, car l’action se réalise par le contact ou selon la position pour les réalités corporelles, ou selon l’ordre pour les réalités spirituelles. Mais si une chose est intermédiaire sous un aspect et dernier sous un autre, elle peut agir de manière immédiate. Or, cela se produit lorsque plusieurs choses, différant par le degré de leur puissance, exercent une action sur une même chose. En effet, il y aura une action que peut réaliser sur cette chose le supérieur, que l’inférieur ne peut pas réaliser ; pour ce qui est de cette action, ce qui est ainsi plus élevé est dernier. Mais il y a une autre action que l’inférieur peut accomplir ; pour celle-ci, ce qui est plus élevé agit, et non ce qui est dernier, mais ce qui dirige en premier lieu et est l’agent ultime. Aussi l’intermédiaire n’accomplira-t-il cette action que par l’intermédiaire du dernier, ce qui ressort clairement dans l’exemple invoqué plus haut. En effet, l’artisan qui entraîne la forme est dernier pour cette opération, car personne ne peut le faire au-dessous de lui : ainsi, par exemple, assembler les planches pour réaliser la forme d’un navire. C’est pourquoi il accomplit cela de manière immédiate. Mais il réalise la préparation de la matière par le polissage des planches par l’intermédiaire d’un artisan inférieur, dans la mesure où il lui donne les règles auxquelles doivent se conformer les planches pour l’assemblage du navire. Il en va ainsi de même pour les ordres des anges. En effet, les Puissances accomplissent un acte sur ce qui se rapporte à la tranquillité de tout l’univers dans la mesure où elles possèdent une puissance non limitée, et l’ordre des Puissance accomplit cela par lui-même. Mais il y a d’autres choses qui se rapportent à l’état d’une province ou d’un royaume : les Puissances n’accomplissent cela que par l’intermédiaire des Principautés, qui accomplissent cela par elles-mêmes. Mais il existe des choses qui se rapportent à quelqu’un ou à certaines choses de manièe spéciale : les Principautés n’accomplissent cela que par l’intermédiaire des anges. Parmi ces choses, celles qui sont plus grandes sont accomplies de manière immédiate par les [anges] supérieurs, et celles qui sont moins grandes, de manière immédiate par les [anges] inférieurs.

 

[4354] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ex hoc quod ordines secundae hierarchiae nominantur a potentia, significatur quod ad ministrativam dispositionem pertinent; sed non oportet quod omnes immediate ministerium exequantur.

4. Du fait que les ordres de la deuxième hiérarchie sont nommés selon leur puissances, on signifie qu’ils se rapportent à une disposition relative au service ; mais il n’est pas nécessaire que tous accomplissent ce service de manière immédiate.

 

[4355] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 ad 5 Ad alia etiam duo patet responsio per ea quae dicta sunt.

5. La réponse aux deux autres arguments ressort de ce qui a été dit.

 

 

 

 

Articulus 4 [4356] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 tit. Utrum Angeli impediantur a contemplatione per executionem ministerii

Article 4 – Les anges sont-ils empêchés de contempler par l’accomplissement d’un ministère ?

 

[4357] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Angeli per executionem ministerii a contemplatione retardentur: quia, ut habetur Tobiae 12, 20, Angelus in ministerio existens, dixit: tempus est ut revertar ad eum qui misit me. Sed non revertitur nisi per contemplationem. Ergo videtur quod per ministerium a contemplatione Dei abscesserit.

1. Il semble que les anges soient empêchés de contempler par l’accomplissement d’un ministère, car, ainsi qu’on le lit dans Tb 12, 20, l’ange qui se trouve en service a dit : Il est temps que je retourne vers Celui qui m’a envoyé. Or, il ne retourne que par la contemplation. Il semble donc qu’il s’était éloigné de la contemplation de Dieu par son ministère.

 

[4358] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, una potentia finita non potest simul in plures operationes. Sed potentia Angeli finita est. Ergo videtur quod non potest simul contemplari et ministrare.

2. Une puissance ne peut agir en même temps dans plusieurs opérations. Or, la puissance de l’ange est finie. Il semble donc qu’elle ne puisse en même temps contempler et servir.

 

[4359] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, intellectus creatus non potest simul plura intelligere. Sed quando ministrant Angeli, intellectu considerant ea quae agunt. Ergo videtur quod tunc divina contemplari non possunt.

3. Une intelligence créée ne peut intelliger plusieurs choses en même temps. Or, lorsque les anges sont en service, ils considèrent par l’intelligence ce qu’ils font. Il semble donc qu’ils ne peuvent alors contempler les réalités divines.

 

[4360] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, locus contemplationis est caelum Empyreum. Sed cum sunt hic, secundum Damascenum non sunt in caelo. Ergo videtur quod exequendo circa nos ministerium, a contemplatione retardentur.

4. Le lieu de la contemplation est le ciel empyrée. Or, lorsqu’ils sont ici, ils ne sont pas au ciel, selon [Jean] Damascène. Il semble donc qu’en accomplissant parmi nous un ministère, ils soient empêchés de la contemplation.

 

[4361] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Gregorius quod sic ad exteriora prodeunt quod ab intimis nunquam recedunt. Ergo videtur quod semper contemplentur vel assistant, si sunt iidem ministrantes et assistentes.

Cependant, [1] Grégoire dit au contraire qu’ils vont à l’extérieur de telle manière qu’ils ne s’éloignent jamais des réalités intérieures. Il semble donc qu’ils contemplent ou entourent toujours, si ce sont les mêmes qui servent et entourent.

 

[4362] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, beatitudo Angelorum non minuitur ex eorum ministerio. Sed eorum beatitudo tota est in contemplatione divinitatis. Ergo in nullo per ministerium eorum contemplatio retardatur.

[2] La béatitude des anges n’est pas diminuée par leur ministère. Or, leur béatitude est tout entière dans la contemplation de la divinité. Leur contemplation n’est donc nullement empêchée par leur ministère.

 

[4363] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod Angeli beati nullam operationem habent quae non sit essentialis beatitudini, vel in qua per contemplationem beatam non dirigantur; et ideo contemplatio eorum se habet ad ministeria quae exequuntur, sicut in artifice consideratio regularum artis ad executionem operis: eo quod ipse Deus est finis omnium operum hierarchicorum, et a fine sumitur ratio cujuslibet operis; et ita se habet finis ad operabilia sicut principium ad speculabilia, ut in 2 Physic. dicitur. Et ideo, sicut artifex simul considerat rationem artis et exequitur opus; ita et Angelus simul contemplatur Deum et ministrat nobis.

Réponse. Les anges bienheureux n’exercent aucune opération qui ne soit essentielle à leur béatitude ou dans laquelle ils ne soient pas dirigés par leur contemplation bienheureuse ; c’est pourquoi leur contemplation a avec le ministère qu’ils exercent le même rapport que, chez l’artisan, la considération des règles de l’art avec l’accomplissement d’une œuvre, du fait que Dieu lui-même est la fin de toutes les actions hiérarchiques et que la raison de toute action est prise de la fin. Ainsi, la fin joue, par rapport à ce qui peut être objet d’une action, le même rôle qu’un principe par rapport à ce qui peut être objet de spéculation, comme le dit Physique, II. C’est pourquoi, de même que l’artisan considère en même temps la raison de l’art et exécute une œuvre, de même aussi l’ange contemple Dieu en même temps qu’il nous sert.

 

[4364] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Angelus dicitur discedere a Deo non per intermissionem contemplationis, aut per locum (quia intra Deum currunt quocumque mittantur, ut dicit venerabilis Beda, eo quod Deus ubique est), sed per hoc quod ab invisibilitate recedens visibilis apparet, sicut filius exivit a patre et venit in mundum, visibilis hominibus factus, Joan. 16: et similiter dicuntur reverti ad Deum, quando deposita visibili specie ad pristinam invisibilitatem revertuntur.

1. On dit que l’ange s’éloigne de Dieu, non pas par l’interruption de la contemplation ou par le lieu (car, « partout où ils sont envoyés, ils courent à l’intérieur de Dieu », comme le dit le vénérable Bède, puisque Dieu est partout), mais par le fait que, s’éloignant de l’invisibilité, il apparaît de manière visible, comme le Fils est sorti du Père et est venu dans le monde en devenant visible aux hommes, Jn 16. De même dit-on qu’ils retournent à Dieu lorsque, en quittant une apparence visible, ils retournant à leur invisibilité première.

 

[4365] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod contemplatio Angelorum magis se habet per modum receptionis quam actionis; et ideo, sicut luna simul recipit lumen a sole et illuminat inferiora corpora; ita etiam Angelus simul illuminatur a superiore et illuminat inferiorem, vel ministrat circa nos.

2. La contemplation des anges est plutôt réception qu’action. C’est pourquoi, de même que la lune reçoit en même temps la lumière du soleil et illumine les corps inférieurs, de même aussi l’ange est-il illuminé par une réalité supérieure et illumine-t-il une réalité inférieure ou exerce un ministère envers nous.

 

[4366] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ea quae cognoscuntur diversis rationibus, intellectus non potest simul considerare: quia non potest consignari diversis similitudinibus simul, sicut nec corpus diversis figuris; sed ea quae cognoscuntur una ratione, vel quorum unum est ratio alterius, nihil prohibet simul intelligi.

3. L’intellect ne peut considérer les choses qui sont connues par des raisons différentes, car il ne peut être marqué par diverses similitudes, de même qu’un corps [ne peut avoir] en même temps plusieurs figures. Mais rien n’empêche que soit intelligé en même temps ce qui est connu par une seule raison ou dont une chose est la raison d’une autre.

 

[4367] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caelum Empyreum non est locus contemplationis secundum necessitatem, sed secundum congruentiam, sicut et Ecclesia domus orationis dicitur; et ideo ratio non sequitur.

4. Le ciel empyrée n’est pas le lieu de la contemplation par nécessité, mais par convenance, comme on dit que l’église est la maison de la prière. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 10

 

[4368] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 expos. Item Dionysius in hierarchia (...) ait. Verba quae sequuntur, sunt Gregorii inducentis auctoritatem Dionysii non quantum ad verba, sed quantum ad sensum. Et putant quidam Michaelem, Gabrielem et Raphaelem de superiori ordine fuisse. Hoc expresse contradicit Scripturae: quia Michael Daniel. 10, ponitur in ordine principum; Gabriel autem dicitur de ordine Archangelorum; Raphael autem posset poni in ordine Angelorum secundum ea quae circa singulares personas exercuit.

 

 

 

 

 

Distinctio 11

Distinction 11 – [La garde des hommes par les anges]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Les anges sont-ils assignés à la garde des hommes ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[4369] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 pr. Postquam determinavit de quibusdam actibus qui consequuntur omnes ordines, scilicet assistere et ministrare; hic determinat de quodam actu ad quem unus ordo specialiter deputatur, scilicet custodire homines; et dividitur in partes duas: in prima determinat de Angelis quantum ad officium custodiae; in secunda quantum ad profectum, praedictum officium consequentem, ibi: praeterea illud considerari oportet. Circa primum duo facit: primo determinat veritatem; secundo circa determinata movet quaestionem, ibi: solet etiam quaeri, utrum singuli Angeli singulis hominibus, an unus pluribus ad custodiam vel exercitium deputatus sit. Ubi tria facit: primo movet quaestionem; secundo excludit alteram partem, ibi: sed cum electi tot sint quot et boni Angeli sunt, plures constat esse omnes simul bonos et malos homines quam boni Angeli sint; tertio excludit reliquam, et exponit eam, ibi: ideoque dici oportet, unum eumdemque Angelum bonum vel malum pluribus hominibus deputari ad custodiam vel ad exercitium. Circa custodiam Angelorum quaeruntur hic quinque: 1 utrum Angeli hominibus ad custodiam deputentur; 2 cujus ordinis sit custodire; 3 quorum hominum sit custodiri; 4 utrum custodes Angeli semper custodiant homines quibus deputantur, vel quandoque eos derelinquant; 5 cum de salute hominum gaudeant Angeli, utrum e contrario de perditione eorum tristentur.

Après avoir déterminé de certains actes qui affectent tous les ordres : entourer et servir, [le Maître] détermine ici de l’acte auquel un ordre est spécialement assigné : la garde des hommes. Il y a deux parties : dans la première, il détermine des anges pour ce qui est de la fonction de la garde ; dans la seconde, pour ce qui est du progrès qui découle de cette fonction, à cet endroit : « De plus, il est nécessaire de considérer ceci… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité ; deuxièmement, il soulève une question à propos de ce qui a été déterminé, à cet endroit : « On a aussi coutume de demander si des anges sont assignés un à un à chaque homme ou si un seul [est assigné] à plusieurs en vue de les garder ou de les entraîner. » Il fait là trois choses. Premièrement, il soulève la question. Deuxièmement, il en écarte une partie, à cet endroit : « Mais puisqu’il y a le même nombre d’élus que de bons anges, il est clair que le nombre d’hommes bons et mauvais est plus grand que celui des anges bons. » Troisièmement, il écarte [la partie] qui reste et l’explique, à cet endroit : « C’est pourquoi il faut dire qu’un seul et même ange bon ou mauvais est assigné à plusieurs hommes pour les garder ou les entraîner. » À propos de la garde des anges, on pose ici cinq questions : 1. Des anges sont-ils assignés à la garde [des hommes] ? 2. À quel ordre revient-il de garder ? 3. Quels hommes doivent-ils être gardés ? 4. Les anges gardiens gardent-ils toujours les hommes à qui ils sont assignés ou les abandonnent-ils parfois ? 5. Puisque les anges se réjouissent du salut des hommes, en sens contraire, s’attristent-ils de leur perte ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4370] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 tit. Utrum Angeli custodiant homines

Article 1 – Des anges gardent-ils les hommes ?

 

[4371] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angeli homines non custodiant. Deus enim est custos hominum, ut dicitur Job 7. Sed perfectior est custos qui per seipsum sufficit ad custodiam quam qui custodit mediantibus aliis. Cum ergo omne quod est perfectissimum, Deo sit attribuendum, videtur quod ipse nos per Angelos non custodiat.

1. Il semble que des anges ne gardent pas les hommes. En effet, Dieu est le gardien des hommes, comme il est dit en Jb 7. Or, le gardien qui suffit par lui-même à garder est plus parfait que celui qui garde par l’intermédiaire d’autres. Puisque tout ce qu’il y a de plus parfait doit être attribué à Dieu, il semble donc qu’Il ne nous garde pas par l’intermédiaire d’anges.

 

[4372] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, custodia et conservatio hominum est per gratiam. Sed gratiam Deus immediate infundit animae, et non per Angelos. Ergo videtur quod eis non competat custodire nos.

2. La garde et la conservation des hommes se réalisent par la grâce. Or, Dieu infuse de manière immédiate la grâce dans l’âme, et non pas par l’intermédiaire d’anges. Il semble donc qu’il ne leur revient pas de nous garder.

 

[4373] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, unus effectus custodiae Angelorum ponitur quod deferant orationes nostras ad Deum. Sed hoc videtur omnino superfluum, cum Deus omnia cognoscat. Ergo videtur vanum ponere Angelos hominum custodes.

3. Le fait de porter nos prières jusqu’à Dieu est présenté comme un des effets de la garde des anges. Or, cela semble tout à fait superflu, puisque Dieu connaît tout. Il semble donc vain de présenter des anges comme les gardiens des hommes.

 

[4374] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, custos ponitur alicui aut propter imbecillitatem, ut scilicet juvetur et defendatur, aut propter ignorantiam, ut instruatur; sicut mulieribus et pueris doctores et paedagogi dantur. Sed homo per se potest cognoscere ea quae sunt facienda vel vitanda, per legem naturalem cordi impressam; et potest etiam exequi propter arbitrii libertatem. Ergo videtur quod custodia Angelorum non egeat.

4. Un gardien est assigné à quelqu’un soit en raison de sa faiblesse, afin qu’il soit aidé et défendu, soit en raison de son ignorance, afin qu’il soit instruit, comme des maîtres et des pédagogues sont donnés aux femmes et aux enfants. Or, l’homme peut, par la loi naturelle inscrite en son cœur, connaître par lui-même ce qu’il faut faire ou éviter ; il peut aussi l’accomplir par la liberté de son arbitre. Il semble donc qu’il n’ait pas besoin de la garde des anges.

 

[4375] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, custodis officium est retrahere custoditum ab his quae sibi sunt nociva. Sed Angeli non retrahunt homines a peccatis, cum multos in peccata praecipitari videamus. Ergo videtur quod Angeli hominum custodes non sint.

5. La fonction du gardien consiste à éloigner de ce qui lui est nuisible celui qui est gardé. Or, les anges n’éloignent pas les hommes des péchés, puisque nous en voyons plusieurs se précipiter dans les péchés. Il semble donc qu’il n’y ait pas d’anges gardiens des hommes.

 

[4376] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, custodis est instruere custoditum secundum modum ejus. Sed modus hominis est cognitionem a sensibilibus accipere. Ergo videtur quod visibilibus apparitionibus nos deberent instruere. Hoc autem non faciunt, nisi forte raro. Ergo videtur quod vel non custodiunt, vel sunt negligentes in custodiendo.

6. Il revient au gardien d’instruire celui qui est gardé selon son mode. Or, le mode de l’homme consiste à recevoir la connaissance à partir des réalités sensibles. Il semble donc qu’ils devraient nous instruire par des apparitions visibles. Mais ils ne font pas cela, sauf rarement. Il semble donc soit qu’ils ne gardent pas, soit qu’ils sont négligents dans leur garde.

 

[4377] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in Psalm. 90, 2: Angelis suis Deus mandavit de te, ut custodiant te in omnibus viis tuis

Cependant, [1] Ps 91, 11 dit le contraire : Dieu a donné ordre à ses anges à ton sujet pour qu’ils te gardent sur tous tes chemins.

 

[4378] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Deus est pronior ad miserendum quam ad puniendum. Sed Deus hominibus dedit Daemones ad exercitium, ut habetur ad Ephes. ult., 12: non est nobis colluctatio adversus carnem et sanguinem, sed adversus principes et potestates, adversus mundi rectores tenebrarum harum. Ergo videtur quod multo fortius dederit Angelos ad custodiendum.

[2] Dieu est plus enclin à faire miséricorde qu’à punir. Or, Dieu a donné aux hommes des démons pour les mettre à l’épreuve, comme on le lit dans Ep 6, 12 : Nous ne luttons pas contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dirigeants de ce monde de ténèbres. Il semble donc qu’à plus forte raison, il aura donné des anges pour [nous] garder.

 

[4379] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, secundum Boetium in libro de Consolat., Deus providentiam suam quam de omnibus rebus habet, mediantibus quibusdam causis exequitur. Ut autem in primo dictum est, quamvis omnium rerum providentiam habeat, speciali tamen modo substantiae rationales suae providentiae subduntur, inquantum altiori modo prae ceteris finem divinae bonitatis natae sunt consequi, et per altius principium, quod est voluntas. Quia ergo inter Deum et homines media est natura angelica, et secundum legem sapientiae suae hoc est ordinatum ut inferioribus per superiora provideat; ideo ipsi Angeli exequuntur divinam providentiam circa salutem hominum, adjuvando ad tendendum in finem, et liberando ab his quae processum in finem impediunt: et haec executio divinae providentiae per Angelos de hominibus, vocatur custodia Angelorum.

Réponse. Selon Boèce, dans le livre Sur la consolation, Dieu exerce la providence qu’il a pour toutes choses par certaines causes intermédiaires. Comme on l’a dit dans le premier [livre], bien qu’il exerce sa providence sur toutes choses, les substances raisonnables sont cependant soumises à sa providence d’une manière spéciale, dans la mesure où elles sont destinées à poursuivre la fin de la bonté divine selon un mode plus élevé que les autres et par un principe plus élevé, qui est la volonté. Parce que la nature angélique est intermédiaire entre Dieu et les hommes, et selon la loi de la sagesse [divine], il a donc été ordonné qu’il exerce sa providence sur les réalités inférieures par l’intermédiairre des réalités supérieures. C’est pourquoi les anges eux-mêmes réalisent la providence divine pour le salut des hommes en [les] aidant à tendre vers leur fin et en [les] libérant de ce qui [les] empêche de marcher vers leur fin. Une telle mise en œuvre de la providence divine par les anges à l’égard des hommes est appelée la garde des anges.

 

[4380] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus est custos primus et principalis, apud quem summa providentia residet: nec est propter suam insufficientiam quod suam providentiam de hominibus exequitur per Angelos, sed propter ordinem suae sapientiae. Tum quia congruit Angelis, ut scilicet eis haec dignitas non negetur, quod sint duces hominum reductionis in Deum; et in hoc Deum quodammodo imitantur, inquantum cooperantur Deo in introductione hominum in finem. Tum quia congruit hominibus, qui sunt in statu imperfectionis, quem pueritiae apostolus comparat 1 Corinth. 13; unde eis custodes tamquam pueris assignantur, donec veniente quod perfectum est, evacuetur quod ex parte est.

1. Dieu est le gardien premier et principal, en qui la providence suprême réside. Et ce n’est pas en raison de son insuffisance qu’il exerce sa providence sur les hommes par des anges, mais en raison de l’ordre de sa sagesse. Soit parce qu’il convient aux anges que la dignité de diriger les hommes dans leur retour vers Dieu ne leur soit pas refusée : en cela, ils imitent Dieu, d’une certaine manière, dans la mesure où ils coopèrent avec Dieu à mener les hommes à leur fin. Soit parce que cela convient aux hommes, qui sont dans un état d’imperfection, que l’Apôtre compare à l’enfance, 1 Co 13 ; ils leur sont par conséquent assignés comme à des enfants jusqu’à ce que, advenant ce qui est parfait, ce qui est imparfait soit rejeté.

 

[4381] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut in operationibus artificialibus, in quibus instrumenta quodammodo disponunt ad formam, ut ignis mollificando ferrum, et martellus dilatando; sed forma cultelli inducitur ab artifice per similitudinem artis quam habet: ita etiam Deus, qui est primus custos, inducit ultimam perfectionem conjungentem fini, et per hoc conservantem, scilicet gratiam et gloriam. Sed Angelorum est praeparare homines ad susceptionem gratiae per illuminationes, et alia hujusmodi.

2. Comme pour les opérations de l’art, dans lesquelles les instruments disposent d’une certaine manière à la forme, comme le feu en ramollissant le fer et le marteau en l’étendant, alors que la forme du couteau est amenée par l’artisan en vertu de la ressemblance de l’art qu’il possède, de même aussi Dieu, qui est le premier gardien, amène-t-il la perfection ultime qui unit à la fin et la conserve ainsi, à savoir, la grâce et la gloire. Mais il revient aux anges de préparer les hommes à recevoir la grâce par des illuminations et par d’autres choses de ce genre.

 

[4382] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non dicuntur Deo orationes nostras deferre quasi ipsum de hoc docentes, sed quasi ipsum orantes pro nobis; sicut etiam sacerdos offert Deo orationem populi, inquantum sua interventione effectum orationibus impetrat.

3. On ne dit pas qu’ils portent nos prières à Dieu comme s’ils les lui enseignaient, mais en tant qu’ils prient pour nous, de la même manière que le prêtre offre à Dieu la prière du peuple pour autant que, par son intervention, il obtient un résultat par ses prières.

 

[4383] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod lumen naturalis cognitionis imperfectum est, et praecipue ad dirigendum in illa quae naturam excedunt: voluntas etiam ejus potest ad malum inclinari multis occasionibus: et ideo providet hominibus Angelorum praesidium.

4. La lumière de la connaissance naturelle est imparfaite, surtout pour diriger dans ce qui dépasse la nature ; sa volonté peut aussi être encline au mal en beaucoup d’occasions. C’est pourquoi [Dieu] fournit aux hommes l’aide des anges.

 

[4384] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut providentiae divinae est sic impedire mala, ut tamen salvetur naturae conditio; ita etiam et Angelorum custodiae: et ideo ad Angelos non pertinet quod homines custodiendo ad virtutem cogant, et a vitiis retrahant: quia sic periret libertas arbitrii et ratio meriti.

5. De même qu’il revient à la providence divine d’empêcher le mal de telle manière que la condition de la nature soit sauvegardée, de même en est-il pour la garde des anges. C’est pourquoi il ne revient pas aux anges de forcer les hommes à la vertu et de les détourner des vices en les gardant, car ainsi la liberté de l’arbitre et la raison du mérite disparaîtraient.

 

[4385] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod hujusmodi apparitiones visibiles Angelorum, eo quod sunt supra cursum naturae, stuporem quemdam incutiunt, et quodammodo violenter incitant ad consensum: in quo perit aliquod bonum hominis quantum ad conditionem naturae, quod est inquisitio rationis. Unde hujusmodi apparitiones non omnibus fiunt; sed aliquibus factae sunt ad confirmationem fidei in multis, sicut etiam miracula. Nihilominus tamen per modum nostrum instruunt nos, illustrando phantasmata, et confortando lumen intellectus nostri, et excitando ad aliquid rectius considerandum.

6. Ces apparitions visibles des anges, du fait qu’elles dépassent le cours de la nature, frappent de stupéfaction et incitent en quelque sorte violemment au consentement. En cela disparaît un bien de l’homme pour ce qui est de la condition de sa nature : la recherche de la raison. Aussi ces apparitions ne sont-elles pas faites pour tous, mais elles ont eu lieu pour certains en vue de l’affermissement de la foi chez un grand nombre, comme aussi les miracles. Néanmoins, elles nous instruisent à notre manière en éclairant les fantasmes, en renforçant et en stimulant la lumière de notre intelligence en vue de considérer quelque chose d’une manière plus correcte.

 

 

 

 

Articulus 2 [4386] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 tit. Utrum ad omnes ordines tertiae hierarchiae pertineat custodire homines

Article 2 – Appartient-il à tous les ordres de la troisième hiérarchie de garder les hommes ?

 

[4387] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod custodire pertineat ad omnes ordines tertiae hierarchiae. Quia, secundum Dionysium, tertiae hierarchiae proprium est lumen divinum accipere per convenientiam nostrae hierarchiae, idest proportionatum ad immediate transferendum in nos. Sed ille Angelus dicitur custos hominis qui immediate ipsum illuminat. Ergo videtur quod custodire ad omnes pertineat.

1. Il semble que garder appartienne à tous les ordres de la troisième hiérarchie, car, selon Denys, c’est le propre de la troisième hiérarchie de recevoir la lumière divine d’une manière qui convient à notre hiérarchie, c’est-à-dire adaptée à nous la transférer de manière immédiate. Or, on appelle ange gardien de l’homme celui qui l’illumine de manière immédiate. Il semble donc qu’il convienne à tous de garder.

 

[4388] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Angelus custos defendit hominem ab impugnatione invisibilis hostis. Sed arcere, secundum Gregorium pertinet ad potestates. Ergo videtur quod illi ordini praecipue conveniat custodire.

2. L’ange gardien defend l’homme des assauts d’un ennemi invisible. Or, selon Grégoire, repousser relève des Puissances. Il semble donc qu’il convienne surtout à cet ordre de garder.

 

[4389] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, missio ordinatur ad custodiam. Sed Angeli quinque ordinum mittuntur ad explendum exterius ministerium, ut dictum est. Ergo omnibus convenit custodire.

3. La mission est ordonnée à la garde. Or, cinq ordres d’anges sont envoyés pour accomplir un ministère extérieur, comme on l’a dit. Il convient donc à tous [ceux-là] de garder.

 

[4390] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, in hominibus inveniuntur diversa officia. Sed secundum diversa officia distinguuntur ordines Angelorum, quorum officiorum aliquae similitudines inveniuntur in officiis humanis, ut dicit Gregorius, ostendens qualiter homines ad ordines Angelorum assumantur. Ergo videtur quod omnes ordines ad custodiam deputentur.

4. Chez les hommes, on trouve diverses fonctions. Or, les ordres des anges se distinguent par leurs fonctions différentes : on trouve certaines ressemblances avec les fonctions humaines, comme le dit Grégoire, en montrant comment les hommes sont intégrés aux ordres des anges. Il semble donc que tous les ordres soient assignés à la garde.

 

[4391] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Gregorius, Angelos esse qui minima nuntiant. Sed minima sunt quae ad singulares personas pertinent: quia quanto bonum est communius, tanto est divinius, secundum philosophum. Ergo videtur quod illi qui singulis hominibus praesunt, sunt tantum de ordine Angelorum.

Cependant, [1] Grégoire dit que les anges sont ceux qui annoncent les plus petites choses. Or, les plus petites choses sont celles qui se rapportent aux personnes singulières, car plus un bien est commun, plus il est divin, selon le Philosophe. Il semble donc que ceux qui s’occupent de chaque homme appartiennent seulement à l’ordre des anges.

 

[4392] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Bernardus dicit in Lib. de Considerat.: putamus Angelos dici qui singulis hominibus praeponuntur, in ministerium missi propter eos qui hereditatem capiunt salutis. Ergo videtur idem quod prius.

[2] Bernard dit, dans le livre Sur la considération : « Nous pensons qu’on appelle anges ceux qui s’occupent de chaque homme, envoyés pour un ministère auprès de ceux qui reçoivent l’héritage du salut. » Il semble donc que ce soit la même chose que précédemment.

 

[4393] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod illi Angeli dicuntur hominum custodes qui immediate illos illuminant, et habent actus limitatos circa humana officia, et procurant quae ad ipsos specialiter pertinent: et ex hoc quod immediate illuminant, excluduntur a custodia Angeli assistentes; ex hoc autem quod habent actus limitatos ad dirigendum in humanis officiis, excluditur media hierarchia, quae habet potestatem non limitatam ad humana officia. Per hoc autem quod per custodiam procurant ea quae pertinent ad aliquas determinatas personas, quod est ultimum et minimum in actibus Angelorum, deputatur custodia ultimo ordini, qui est ordo Angelorum.

Réponse. On appelle anges gardiens des hommes ceux qui les illuminant de manière immédiate, exercent des actes limités sur les fonctions humaines et leur procurent ce qui les concerne d’une manière spéciale. Du fait qu’ils illuminent de manière immédiate, sont exclus de la garde les anges qui entourent [Dieu] ; mais du fait qu’ils exercent des actes limités pour diriger les fonctions humaines, la hiérarchie intermédiaire est exclue, car elle possède un pouvoir non limité sur les fonctions humaines. Mais du fait qu’ils procurent par leur garde ce qui concerne des personnes déterminées, ce qui est le dernier et le plus petit des actes des anges, la garde est assignée au dernier ordre, qui est l’ordre des Anges.

 

[4394] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tota tertia hierarchia accipit illuminationes proportionatas ad actus et officia humana; non tamen ad hanc vel ad illam personam; sed hoc est Angelorum; et ita eis convenit custodire singulos homines, aliis vero convenit custodire singulas provincias vel regna.

1. La troisième hiérarchie au complet reçoit des illuminations proportionnées aux actions et aux fonctions humaines, mais non à telle ou telle personne ; cela revient aux Anges. Ainsi leur convient-il de garder chaque homme, mais il convient aux autres de garder chaque province ou royaume.

 

[4395] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inferiores Angeli participant virtutem superiorum, inquantum ab eis illuminantur, sicut, secundum Dionysium, dicitur inferior Angelus purgasse Isaiam per ignem virtute Seraphin: et ita etiam inferiores Angeli virtute potestatum Daemones cohibent; et similiter virtute aliorum superiorum ordinum possunt exequi aliqua quae ad eos pertinent circa determinatas personas.

2. Les anges inférieurs participent à la puissance supérieure pour autant qu’ils sont illuminés par elle ; ainsi Denys dit que l’ange inférieur a purifié Isaïe par le feu par puissance d’un Séraphin. Et ainsi, même les anges inférieurs retiennent les démons par le pouvoir des Puissances. De même, par la puissance des autres ordres supérieurs, peuvent-ils réaliser certaines choses qui leur reviennent concernant des personnes déterminées.

 

[4396] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnes Angeli custodes mittuntur; non tamen omnes qui mittuntur, custodiunt; sed ultimi tantum custodiunt, ut dictum est: quia superiores exequuntur ea quae ad multos pertinent; et quanto ad plures, tanto est ordo superior: et ideo virtutes sunt supremi inter exequentes ministeria, quia eorum actus se extendunt non tantum ad res humanas, sed etiam ad res naturales, ut patet in operatione signorum; et post potestates, quorum actus non tantum ad homines, sed etiam ad Daemones se extendit; et post principatus, quorum operatio est circa totam multitudinem; et ultimi Angeli, qui operantur circa determinatas personas; Archangeli vero medii sunt, habentes aliquid commune cum utrisque, ut prius dictum est.

3. Tous les anges gardiens sont envoyés ; cependant, tous ceux qui sont envoyés ne gardenet pas, mais seulement les derniers [dans la hiérarchie], comme on l’a dit, car les [anges] supérieurs accomplissent ce qui se rapporte à un grand nombre, et plus le nombre est grand, plus l’ordre est supérieur. C’est pourquoi les Vertus sont les plus élevées parmi ceux qui accomplissent des ministères, car leurs actes s’étendent non seulement aux choses humaines, mais aussi aux choses naturelles, comme cela ressort dans l’accomplissement de signes. Et après, les Puissances, dont l’acte s’étend non seulement aux hommes, mais aussi aux démons, et après, les Principautés, dont l’opération porte sur l’ensemble d’une multitude ; et les derniers Anges, qui agissent sur des personnes déterminées. Mais les Archanges sont intermédiaires, possédant quelque chose de commun aux deux, comme on l’a dit plus haut.

 

[4397] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnia officia humana pertinentia ad singulares personas, cum quibuscumque ordinibus similitudinem habeant, diriguntur per ultimum ordinem, inquantum participant virtutes superiorum, ut dictum est; sed illa officia quae ad multitudinem pertinent, diriguntur per principatus vel Archangelos: et ideo homo in praelatione constitutus illuminatur ab Angelo inferioris ordinis de his quae ad statum personae suae pertinent; sed ab Angelo principe de his quae respectant ad regimen multitudinis.

4. Toutes les fonctions humaines se rapportant dans des personnes singulières, alors qu’elles possèdent une ressemblance avec n’importe quel ordre, sont dirigées par le dernier ordre [des anges], pour autant qu’ils participent aux puissances des [anges] supérieurs, ainsi qu’on l’a dit. Mais les fonctions qui se rapportent à une multitude sont dirigées par les Principautés ou les Archanges. C’est pourquoi un homme établi dans une fonction de direction est illuminé par un ange de l’ordre inférieur pour ce qui se rapporte à l’état de sa personne, mais par un ange dirigeant pour ce qui concerne le gouvernement de la multitude.

 

 

 

 

Articulus 3 [4398] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 tit. Utrum omnibus hominibus deputentur Angeli ad custodiam

Article 3 – Des anges sont-ils assignés à tous les hommes pour les garder ?

 

[4399] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non omnibus hominibus deputentur Angeli ad custodiam. Custodia enim Angelorum valet hominibus ad evitandum pericula, et ad instruendam ignorantiam. Sed Adam in primo statu ab utroque liber fuit. Ergo Angelum custodem non habuit.

1. Il semble que des anges ne soient pas assignés à tous les hommes pour les garder. En effet, la garde des hommes par des anges a pour but d’éviter les dangers et d’instruire les ignorants. Or, Adam était libre des deux choses dans l’état primitif. Il n’avait donc pas d’ange gardien.

 

[4400] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, gratia confirmata in quibusdam hominibus hoc efficit ut mortaliter peccare non possint, ut patet in sanctificatis in utero. Sed contra impedimentum salutis per peccatum principaliter ordinata est custodia Angelorum. Ergo videtur quod tales ea non indigeant.

2. La grâce confirmée chez certains hommes fait en sorte qu’ils ne puissent pas pécher, comme cela ressort pour ceux qui ont été sanctifiés dans le sein. Or, la garde des anges a été principalement ordonnée contre l’empêchement au salut par le péché. Il semble donc que ceux-là n’ont pas besoin de cette [garde].

 

[4401] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, ante nativitatem ex utero sacramenta salutis puero conferri non possunt. Sed hoc est quod Angelus custos in homine promovere intendit, scilicet salutem. Ergo puerperio animato ante nativitatem Angelorum custodia non debetur.

3. Avant sa sortie du sein, les sacrements du salut ne peuvent être conférés à un enfant. Or, c’est ce que l’ange gardien a l’intention de promouvoir chez l’homme : le salut. La garde des anges n’est donc pas due au fœtus animé avant sa naissance.

 

[4402] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, custodia Angelorum est per hoc quod homines illuminando instruunt. Sed pueri ante perfectam aetatem non sunt capaces doctrinae. Ergo videtur quod careant Angelorum custodia.

4. La garde des anges se réalise par le fait qu’ils instruisent les hommes en les illuminant. Or, les enfants ne sont pas capables de recevoir un enseignement avant l’âge de raison. Il semble donc qu’ils soient privés de la garde des anges.

 

[4403] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, 2 Thessal. 1, dicitur, quod omnis actus Antichristi erit secundum operationem Satanae. Sed custodia Angelorum ordinatur contra tentationes malignorum spirituum. Ergo videtur quod frustra ab Angelo custodietur.

5. En 2 Th 1, il est dit que tous les actes de l’Antéchrist seront dirigés par Satan. Or, la garde des anges est ordonnée contre les tentations des esprits mauvais. Il semble donc que la garde des anges soit inutile.

 

[4404] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 6 Sed contra, videtur quod etiam Christus Angelum custodem habuit. Primo per hoc quod dicit Dionysius quod subdebatur paternis dispositionibus mediantibus Angelis. Sed, ut dictum est, per custodiam executio divinae dispositionis fit de hominibus per Angelos. Ergo videtur quod Christus Angelum custodem habuit.

6. Cependant, [1] il semble que même le Christ ait eu un ange gardien. En premier lieu, Denys dit qu’il était soumis aux dispositions de son Père par l’intermédiaire des anges. Or, ainsi qu’on l’a dit, par la garde, l’accomplissement de la disposition [divine] concernant les hommes est réalisé. Il semble donc que le Christ n’ait pas eu d’ange gardien.

 

[4405] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, Lucae 22, 43, dicitur, quod apparuit Angelus domini, confortans eum. Ergo videtur, cum confortare sit unus actus custodiae, quod Angelum custodem habuit.

7. [2] Il est dit en Lc 22, 43 : L’ange du Seigneur apparut pour le réconforter. Il semble donc que, le réconfort étant un acte de la garde, il ait eu un ange gardien.

 

[4406] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut in 1 libro, dictum est, providentia proprie est ad conferendum ea quae promovent in finem, et removendum ea quae impediunt. Ultimum autem in his adjutoriis est id quod conjungit fini, quod a solo Deo est: et ideo ea quae ab Angelis custodibus per divinam providentiam circa singulares personas exequuntur, sunt quaedam praeparationes juvantes ad consequendum finem ultimum. Praeparans autem non habet operationem circa rem, nisi quae est ordinata ad finem, ante finis consecutionem; et ideo omnibus hominibus, ab infusione animae rationalis per quam ad finem salutis ordinantur, custodia debetur usque ad mortem, quando terminatur via proficiendi in finem. Nulli ergo carent custodia Angelorum, nisi vel per hoc quod fiunt impoenitibiles, ut damnati, vel per hoc quod finem gloriae consequuntur, ut beati.

Réponse. Comme on l’a dit dans le livre I, au sens propre, la providence consiste à fournir ce qui contribue à la fin et à l’enlèvement de ce qui l’empêche. Or, la dernière de ces aides est ce qui unit à la fin, qui vient de Dieu seul. Aussi ce sont des préparations qui aident à l’obtention de la fin ultime qui sont accomplies par les anges gardiens en vertu de la providence divine à propos des personnes singulières, Or, celui qui prépare n’a d’opération concernant une chose que celle qui est ordonnée à la fin, avant l’obtention de la fin. C’est pourquoi la garde est due à tous les hommes à partir de l’infusion de l’âme raisonnable, par laquelle ils sont ordonnés à la fin du salut, jusqu’à la mort, alors que s’arrête la route qui avance vers la fin. Personne n’est donc privé de la garde des anges, sauf ceux qui ne peuvent faire pénitence, tels les damnés, ou parce qu’ils obtiennent la fin de la gloire, tels les bienheureux.

 

[4407] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in Adam non esset periculum ex aliqua corruptione carnis instigante ad malum, erat tamen periculum ex potentia peccandi, et ex Daemone oppugnante: et similiter erat debilioris cognitionis quam Angelus; et ideo indigebat praesidio custodis Angeli.

1. Bien qu’il n’y ait pas eu pour Adam de danger provenant d’une corruption de la chair qui incite au mal, il existait cependant un danger provenant de ce qu’il pouvait pécher et des assauts du démon. De même, il avait une connaissance plus faible que l’ange. C’est pourquoi il avait besoin de la protection d’un ange gardien.

 

[4408] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam si confirmati peccare non possint, possunt tamen proficere, et eorum profectus potest impediri; et propter hoc indigent custodia Angelorum ad promovendum in bonum, et removendum impedimentum.

2. Même si ceux qui sont confirmés [en grâce] ne peuvent pécher, ils peuvent cependant progresser et leur progrès peut être empêché. Pour cette raison, ils ont besoin de la garde des anges afin de progresser dans le bien et d’enlever ce qui l’empêche.

 

[4409] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pueri in materno utero non recipiunt sacramenta Ecclesiae, quia non subduntur actibus ministrorum: sed operibus divinis et Angelorum subduntur; et ideo eis ab infusione animae rationalis, custos Angelus assignatur, per quem prohibetur virtus Daemonis ab ejus nocumento, et propter multa impedimenta, quibus potest ejus complexio deteriorari, ut efficiatur pronior ad peccandum, vel etiam ipsa vita extingui: et in hoc etiam prosunt parvulis natis, quamvis eos non illuminent.

3. Les enfants dans le sein maternel ne reçoivent pas les sacrements de l’Église parce qu’ils ne sont pas soumis aux actes des ministres ; mais ils sont soumis aux actes de Dieu et des anges. C’est pourquoi un ange gardien leur est assigné dès l’infusion de l’âme raisonnable, par qui la puissance du démon est empêchée de nuire et, en raison des nombreux empêchements par lesquels sa constitution peut se détériorer, de sorte qu’il devienne plus enclin à pécher ou même à l’extinction de sa vie. En cela, ils sont aussi utiles aux enfants déjà nés, bien qu’ils ne les illuminent pas.

 

[4410] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 4 Unde patet responsio ad quartum.

4. La réponse au quatrième argument ressort ainsi clairement.

 

[4411] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Antichristus etiam habebit Angelum custodem: quia lex communis propter unum mutari non debet: et in hoc ejus poena justior apparebit, quia beneficia toti naturae humanae provisa, sibi non subtrahuntur. Nec tamen est omnino frustra custodia; quia etsi ad bonum non convertatur, a multis tamen malis cessabit, retractus ab Angelo custode: hunc enim effectum ad minus semper consequitur Angelus per custodiam in quocumque obstinato.

5. L’Antéchrist aussi aura un ange gardien, car la loi commune ne peut être changée pour un seul. À cause de cela, sa peine apparaîtra plus juste, car les bienfaits prévus pour toute la nature humaine ne lui sont pas retirés. Cependant, la garde n’est pas entièrement inutile, car, même s’il ne se convertit pas au bien, il s’abstiendra de beaucoup de maux, empêché qu’il est par [son] ange gardien. En effet, l’ange obtient toujours au moins cet effet chez tous les obstinés par sa garde.

 

[4412] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Christus non habuit Angelum custodem: tum quia anima sua omnibus Angelis superior fuit, immediate a verbo sibi unito illuminata: tum quia erat verus comprehensor: unde ejus bonum nec impediri nec juvari poterat. Dicitur vero subdi paternis dispositionibus per Angelos quodammodo indirecte, inquantum Angeli instruebant Joseph et matrem ejus de his quae circa ipsum puerum existentem agenda erant, ut habetur Matth. 2.

6. Le Christ n’a pas eu d’ange gardien, tant parce que son âme était supérieure à tous les anges, illuminée qu’elle était de manière immédiate par le Verbe qui lui était uni, que parce qu’il était véritablement bienheureux (verus comprehensor). Aussi son bien ne pouvait-il être ni empêché ni aidé. Mais on dit qu’il était soumis aux dispositions de son Père par l’intermédiaire des anges d’une manière pour ainsi dire indirecte, pour autant que les anges instruisaient Joseph et sa mère de ce qu’ils devaient faire pour lui alors qu’il était enfant, ainsi qu’on le lit dans Mt 2.

 

[4413] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Angelus dicitur confortasse eum, non aliquid in ipsum imprimendo, sed per modum ministerii, inquantum congratulabatur fortitudini ejus; sicut homo naturaliter in tribulatione confortatur ad praesentiam amicorum: et ita per modum quo fuerat vera tristitia, fuit confortatio vera, et non apparens tantum, ut quidam dicunt.

7. On dit que l’ange le réconforta, non en agissant sur lui, mais par mode de ministère, pour autant qu’il se félicitait de sa force, comme un homme est naturellement réconforté au milieu des tribulations par la présence d’amis. Et ainsi, de la manière dont avait existé une véritable tristesse, le réconfort était véritable, et non pas seulement apparent, comme certains le disent.

 

 

 

 

Articulus 4 [4414] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 tit. Utrum Angelus quandoque relinquat hominem cui deputatur

Article 4 – L’ange abandonne-t-il parfois l’homme auquel il est assigné ?

 

[4415] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Angelus quandoque relinquat hominem cui deputatur custos. Primo per hoc quod habetur Hierem. 51, 1: curavimus Babylonem, et non est sanata. Derelinquamus ergo eam. Sed hoc dicitur ex persona Angelorum, ut dicit Glossa. Ergo videtur quod relinquat, quando a peccato non corrigitur.

1. Il semble que l’ange abandonne parfois l’homme auquel il est assigné comme gardien, d’abord, par ce qu’on lit en Jr 51, 1 : Nous avons soigné Babylone, et elle n’est pas guérie. Abandonnons-la donc ! Or, cela est dit par la personne des anges, comme le dit la Glose. Il semble donc que [l’ange] abandonne, lorsqu’on n’est pas corrigé du péché.

 

[4416] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, Isa. 5, 5, dicitur: auferam sepem ejus et erit in direptionem. Glossa: idest custodiam Angelorum. Ergo idem quod prius.

2. De plus, Is 5, 5 dit : J’enlèverai son enceinte, et elle sera pillée. La Glose dit : « C’est-à-dire la garde des anges. » La conclusion est donc la même que précédemment.

 

[4417] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea efficacius custodit Deus hominem quam Angelus. Sed Deus quandoque relinquit hominem, ut in Psal. 21, 1, dicitur: quare me dereliquisti? Ergo multo fortius Angelus.

3. Dieu garde l’homme de manière plus efficace que l’ange. Or, Dieu abandonne parfois l’homme, comme il est dit dans Ps 21, 1 : Pourquoi m’as-tu abandonné ? Donc, à bien plus forte raison, l’ange.

 

[4418] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, Zachariae 4 dicitur, quod reversus est Angelus qui loquebatur ad eum: et similiter etiam Danielis 10. Sed non revertitur nisi qui abscedit. Ergo videtur quod Angelus quandoque hominem relinquat.

4. Za 4 dit que l’ange qui lui parlait est revenu vers lui ; de même aussi, en Dn 10. Or, ne revient que celui qui s’est éloigné. Il semble donc que l’ange abandonne parfois l’homme.

 

[4419] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, Angeli quandoque sunt in caelo Empyreo. Sed cum sunt ibi, non sunt circa nos, secundum Damascenum. Ergo videtur quod aliquando nos relinquant.

5. De plus, les anges sont parfois dans le ciel empyrée. Or, alors qu’ils sont là, ils ne sont pas avec nous, selon [Jean] Damascène. Il semble donc qu’ils nous abandonnent parfois.

 

[4420] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, medicus sapiens infirmum desperatum relinquit. Sed Angeli custodes possunt scire aliquem esse praescitum per revelationem, et videre aliquem obstinatum in peccatis. Talis autem est sicut infirmus desperatus. Ergo videtur quod etiam Angelus, qui est quasi medicus spiritualis, talem relinquat.

6. Un médecin sage abandonne un malade désespéré. Or, les anges gardiens peuvent savoir par une révélation que quelqu’un est connu d’avance (praescitus[3]) et voir que quelqu’un est obstiné dans ses péchés. Or, un tel individu est comme un malade désespéré. Il semble donc que l’ange aussi, qui est pour ainsi dire un médecin spirituel, l’abandonne.

 

[4421] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, boni Angeli sunt magis proni ad juvandum quam mali ad infestandum. Sed mali nunquam cessant ab infestatione. Ergo nec boni a custodia.

Cependant, [1] les anges bons sont plus enclins à aider que les mauvais à nuire. Or, les anges mauvais ne cessent jamais de nuire. Les anges bons [ne cessent donc pas] non plus leur garde.

 

[4422] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, de nemine est desperandum, quamdiu est in statu viae. Sed infirmus non relinquitur a medico nisi propter desperationem. Ergo videtur quod Angelus non dimittat hominem, quantumcumque peccatorem.

[2] Il ne faut désespérer de personne, aussi longtemps qu’il est dans l’état du cheminement (in statu viae). Or, un malade n’est abandonné par un médecin que par désespoir. Il semble donc que l’ange n’abandonne pas l’homme, aussi pécheur soit-il.

 

[4423] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod cum custodia Angelorum sit quaedam executio divinae providentiae, oportet esse idem judicium de utroque. Divina autem providentia nunquam relinquit hominem ex toto, quia omnino in nihilum redigeretur; sed verum est quod magis et minus providet diversis, secundum eorum conditionem: et ideo in Psalm. 33, 16, oculi Dei super justos dicuntur, et aures ejus ad preces eorum; quibus adeo perfecte providet ut omnia eis cooperentur in bonum, ut dicitur Rom. 8. Sed malos secundum aliquid derelinquit, inquantum permittit eos subjacere tribulationibus, et quod gravius est, etiam in peccata ruere; unde ad Rom. 1, 28: propterea tradidit eos Deus in reprobum sensum, ut faciant ea quae non conveniunt. Similiter etiam Angeli dicuntur aliquos derelinquere secundum quid, inquantum exponuntur tribulationibus, vel etiam justo Dei judicio ab aliquo peccato non retrahuntur; nunquam tamen ita relinquunt quin sit aliquis effectus custodiae, inquantum aliquod malum prohibent, et ad aliquod bonum promovent.

Réponse. Puisque la garde des anges est une mise en œuvre de la providence divine, il faut porter le même jugement sur les deux. Or, la providence divine n’abandonne jamais totalement un homme, car il retournerait complètement au néant ; mais il est vrai qu’elle s’exerce plus ou moins sur les divers individus, selon leur condition. C’est pourquoi, dans le Ps 33, 16, on dit que les yeux de Dieu sont tournés vers les justes, et ses oreilles vers leurs prières ; il exerce si parfaitement sa providence sur eux que tout contribue à leur bien, comme il est dit en Rm 8. Mais, d’une certaine manière, il abandonne les méchants dans la mesure où il permet qu’ils soient soumis aux tribulations et, ce qui est plus grave, qu’ils tombent dans le péché. Aussi est-il dit en Rm 1, 28 : C’est pourquoi Dieu les a abandonnés à leur sens dévoyé pour qu’ils fassent ce qui ne convient pas. De même aussi, on dit que, d’une certaine manière, les anges en abandonnent certains dans la mesure où ils sont exposés aux tribulations ou encore, par le juste jugement de Dieu, ne sont pas éloignés de pécher. Cependant, il ne les abandonne jamais au point qu’il n’y ait un effet de la garde, dans la mesure où [les anges] empêchent un mal et font avancer vers un bien.

 

[4424] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod haec intelligitur esse vox Angelorum discedentium ab homine peccatore in hora mortis; quia tunc primo desperatur de ejus salute. Vel potest dici, quod derelinquunt secundum quid, ut dictum est, sicut etiam et Deus.

1. On comprend qu’il s’agit de la voix des anges qui s’éloignent d’un homme pécheur à l’heure de sa mort, parce qu’on désespère alors de son salut. Ou bien on peut dire que, d’une certaine manière, ils l’abandonnent comme Dieu lui-même, ainsi qu’on l’a dit.

 

[4425] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 ad 2 Unde patet responsio ad secundum et tertium.

2-3. La réponse aux deuxième et troisième arguments est ainsi claire.

 

[4426] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angelus ab eo recesserat quantum ad aliquem effectum, quia scilicet ipsum de futuris non illuminaverat, et non quantum ad omnem effectum custodiae.

4. L’ange s’était éloigné de lui quant à un effet, à savoir qu’il ne l’avait pas éclairé sur l’avenir, mais non pas quant à tout effet de la garde.

 

[4427] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quandocumque aliquod agens imprimit fortem impressionem, remanet illa impressio in patiente per aliquod tempus, etiam ad absentiam agentis, ut patet in motibus violentis: et ita dico, quod ad unam actionem Angeli in hominem potest homo bonam dispositionem accipere, quae manet in eo ad aliquod tempus, ut patet quando aliquis semel devote orat, ad plures dies remanet inde devotior; et ita Angelus quamvis non semper sit praesens, potest semper custodire, inquantum effectus ejus manet post actionem suam.

5. Chaque fois qu’un agent exerce une forte pression, cette pression demeure dans le patient pendant un certain temps, même en l’absence de l’agent, comme cela ressort dans les mouvements violents. Et ainsi je dis que l’homme peut recevoir une bonne dispositon par l’action de l’ange sur l’homme. Cette disposition] peut demeurer en lui pendant un certain temps, comme il est clair que, lorsque quelqu’un prie une fois avec dévotion, il demeure ensuite plus dévôt pendant plusieurs jours. Et ainsi, bien que l’ange ne soit pas toujours présent, il peut toujours garder, dans la mesure où son effet demeure après son action.

 

[4428] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod nullus in statu viae est adeo obstinatus quin possit per poenitentiam converti; unde non est de eo desperandum; et si Angelus sciret eum praescitum, posset tamen multa mala in eo impedire, sicut de Antichristo dictum est, art. praeced.

6. Personne en état de cheminement n’est obstiné au point qu’il ne puisse se convertir par la pénitence ; aussi ne faut-il pas désespérer de lui. Et si l’ange savait qu’il est connu d’avance (praescitum), il pourrait néanmoins empêcher plusieurs maux en lui, comme on l’a dit pour l’Antéchrist, à l’article précédent.

 

 

 

 

Articulus 5 [4429] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 tit. Utrum Angeli doleant de damnatione hominum quos custodiunt

Article 5 – Les anges éprouvent-ils de la peine en raison de la damnation des hommes qu’ils gardent ?

 

[4430] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Angeli doleant de damnatione hominum quos custodiunt. Exterior enim luctus est signum interioris doloris. Sed Isai. 33, 7, dicitur: Angeli pacis amare flebant. Ergo videtur quod doleant.

1. Il semble que les anges aient de la peine pour la damnation des hommes qu’ils gardent. En effet, l’affliction extérieure est le signe d’une douleur intérieure. Or, il est dit dans Is 33, 7 : Les anges de la paix pleuraient amèrement. Il semble donc que [les anges] pleurent.

 

[4431] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, amicorum est compati sibi in necessitatibus. Sed Angeli ferventissima caritate nos diligunt. Ergo videtur quod contristentur, hominum damnationi compatiendo.

2. C’est le propre des amis de compatir à nos besoins. Or, les anges nous aiment de la plus fervente charité. Il semble donc qu’ils sont attristés en compatissant à la damnation des hommes.

 

[4432] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, sapientis est dolere de his per quae suum gaudium minuitur. Sed per damnationem hominum minuitur gaudium Angelorum quod esset de conversione eorum, de quo habetur Lucae 15, 10: gaudium est Angelis Dei super uno peccatore poenitentiam agente. Ergo de hominum damnatione dolent.

3. C’est le propre du sage de déplorer ce par quoi sa joie est diminuée. Or, par la damnation des hommes, la joie qu’auraient les anges pour leur conversion est diminuée. Lc 15, 10 dit à ce sujet : Les anges de Dieu se réjouissent pour un pécheur qui fait pénitence. Ils s’attristent donc de la damnation des hommes.

 

[4433] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, omne id quod est contrarium volito et repugnans fini, est contristans. Sed damnatio est contraria saluti quam volunt et per officium custodiae procurant. Ergo damnatio hominum eos contristat.

4. Tout ce qui est contraire à ce qui est voulu et qui s’oppose à la fin est attristant. Or, la damnation est contraire au salut que [les anges] veulent et qu’ils procurent par la fonction de la garde. La damnation des hommes les attriste donc.

 

[4434] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, Apoc. 21 dicitur, quod in caelesti Hierusalem nec est luctus nec est dolor. Illius autem urbis cives sunt Angeli. Ergo de nullo dolent.

Cependant, [1] Ap 21 dit que, dans la Jérusalem céleste, il n’y a ni pleurs ni douleur. Or, les citoyens de cette cité sont les anges. Ils ne pleurent donc sur rien.

 

[4435] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, perfecta beatitudo non compatitur secum miseriam. Sed omnis tristitia ad miseriam pertinet, et fugienda est, ut in 7 Ethic. philosophus dicit. Ergo Angeli beati tristes esse non possunt.

[2] La béatitude parfaite ne supporte pas la misère. Or, toute tristesse se rapporte à la misère et elle doit être fuie, comme le dit le Philosophe en Éthique, VII. Les anges bienheureux ne peuvent donc pas être tristes.

 

[4436] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod cum Angeli beati sint in divinae voluntatis continua contemplatione, cui perfectissime conformantur, nihil potest esse contra voluntatem eorum, sicut nec contra voluntatem Dei; potest tamen esse aliquid praeter voluntatem eorum: sed hoc ipsum, inquantum est permissum a Deo, est volitum ab eis, sicut a Deo; et ideo nihil potest accidere de quo doleant Angeli, sicut nec de quo doleat Deus. Et ideo simpliciter dicendum est quod neque de peccatis hominum tristantur, neque de damnatione; sed utrobique laetantur de justa permissione et punitione.

Réponse. Puisque les anges bienheureux contemplent de manière continue la volonté divine, à laquelle ils se conforment de la manière la plus parfaite, rien ne peut aller contre leur volonté, pas davantage que contre la volonté de Dieu. Il peut cependant exister quelque chose qui soit au-delà de leur volonté, mais même cela est voulu par eux, comme par Dieu, dans la mesure où cela est permis par Dieu. Aussi rien ne peut-il survenir dont les anges s’attristent, comme [rien] dont Dieu s’attriste. Il faut donc dire simplement qu’ils ne s’attristent pas des péchés des hommes ni de leur damnation, mais ils se réjouissent dans les deux cas d’une juste permission et punition.

 

[4437] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illud secundum litteram intelligitur de nuntiis Ezechiae, quos misit ad pacem ab Assyriis quaerendam, qui audientes blasphemias Rapsacis, scissis vestibus fleverunt. Allegorice vero exponitur de apostolis in Glossa. Si autem ad Angelos referatur, intelligendus est dolor non proprie, sed metaphorice, per modum quo etiam frequenter in Scripturis Deo attribuitur.

1. Au sens littéral, cela s’entend des envoyés d’Ézéchias, qu’il avait envoyés pour demander la paix aux Assyriens, et qui, entendant les blasphèmes de Rapsacis, pleurèrent en déchirant leurs vêtements. Mais, au sens allégorique, on l’interprète des apôtres dans la Glose. Si on le met en rapport avec les anges, il faut entendre la douleur d’une manière non pas propre, mais métaphorique, à la manière dont cela est souvent attribué à Dieu dans les Écritures.

 

[4438] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod compati non potest qui passibilis non est; et ideo ex impassibilitate Angelorum hoc accidit quod condolere non possunt, non ex caritatis defectu.

2. Celui qui n’est pas sujet à la souffrance ne peut pas compatir. C’est pourquoi, en raison de leur impassibilité, mais non par manque de charité, il arrive que les anges ne puissent pas compatir.

 

[4439] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angelorum gaudium non minuitur ex damnatione, quia electorum numerus minui non potest. Vel potest dici, quod ipsi semper gaudent de suis bonis operibus quae custodiendo egerunt, licet ille qui custoditus est non salvetur.

3. La joie des anges n’est pas diminuée par la damnation, parce que le nombre des élus ne peut être diminué. Ou bien on peut dire qu’ils se réjouissent toujours des bonnes actions qu’ils ont accomplies en gardant, bien que celui qui est gardé ne soit pas sauvé.

 

[4440] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angeli volunt salutem hominis voluntate antecedente sicut et Deus; sed voluntate consequente volunt hominem damnari, si meruerit; unde consequens est ut de ejus damnatione non doleant.

4. Les anges veulent le salut de l’homme d’une volonté antécédente, comme Dieu ; mais, par une volonté conséquente, ils veulent que l’homme soit damné, s’il l’a mérité. Il s’ensuit donc qu’ils ne s’attristent pas de sa damnation.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 11, q. 1

 

[4441] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 expos. Et unum malum ad exercitium habet. Videtur injuste agi cum homine: quia Daemones multo potentiores sunt hominibus: non enim est potestas super terram quae ei comparetur, ut dicitur Job 41. Ergo non justum est pugnam inter hominem et Daemonem constitui. Et dicendum, quod cum liberum arbitrium non possit cogi ad peccandum, quantumcumque sit Daemon fortis, homo resistere potest. Unde dicitur, quod debilis est hostis qui non potest vincere nisi volentem; et super hoc homini adest praesidium Angeli, et auxilium divinum, si suscipere velit.

 

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le progrès des anges]

 

Prooemium

Prologue

 

[4442] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 pr. Hic inquirit Magister, utrum Angeli, dum officium custodiae durat in merito vel praemio proficiant; et dividitur in partes duas: primo ponit duas opiniones; secundo eligit alteram illarum, ibi: illud vero quod alii superius dicunt, probabilius videtur. Prima in duas, secundum duas opiniones; quarum secunda incipit ibi: alii autem dicunt Angelos in confirmatione tanta deitatis dilectione atque notitia fuisse praeditos, ut in his ulterius non profecerint vel profecturi sint. Circa primum tria facit: primo ponit opinionem; secundo confirmat per auctoritatem, ibi: et quod Angeli proficiant in cognitione, ac per hoc in beatitudine, testimoniis sanctorum confirmant; tertio solvit contrarietatem ibi: his autem videtur contradicere Augustinus. Illud vero quod alii superius dicunt, probabilius videtur. Hic eligit alteram opinionem; et circa hoc duo facit: primo eligit primam opinionem; secundo respondet ad quasdam auctoritates quae sunt in contrarium, ibi: quibus tamen videntur obviare quarumdam auctoritatum verba. Hic quaeruntur sex: 1 utrum Angeli proficiant in cognitione Dei, quae est praemium essentiale; 2 utrum proficiant in cognitione aliarum rerum per illuminationem superiorum; 3 utrum accrescat eis aliqua cognitio per mutuam locutionem; 4 utrum mysterium incarnationis per Ecclesiam didicerint; 5 utrum inter eos sit pugna et contradictio; 6 utrum ordinum distinctio maneat post diem judicii.

Le Maître se demande ici si les anges progressent en mérite ou en récompense, pendant que dure la fonction de la garde. Il y a deux parties : premièrement, il présente deux opinions ; deuxièmement, il choisit l’une d’entre elles, à cet endroit : « Mais ce que d’autres disent plus haut semble plus probable. » La première partie se divise en deux, selon les deux opinions ; la deuxième commence à cet endroit : « Mais d’autres disent que les anges ont été pourvus d’un tel amour et d’une telle connaissance de Dieu lors de leur confirmation, qu’ils n’ont pas progressé ou ne progresseront pas davantage en eux. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente l’opinion. Deuxièmement, il la confirme par une autorité, à cet endroit : « Que les anges progressent en connaissance et, par elle, dans la béatitude, est confirmé par des témoignages des saints. » Troisièmement, il résout l’opinion contraire, à cet endroit : « Mais Augustin semble contredire cela. » « Mais ce que d’autres disent plus haut semble plus probable. » Ici, il choisit l’autre opinion et, à ce propos, il fait deux choses. Premièrement, il choisit la première opinion ; deuxièmement, il répond à certaines autorités qui vont en sens contraire, à cet endroit : « Les paroles de certaines autorités semblent toutefois s’opposer à cela. » Six questions sont posées ici : 1. Les anges progressent-ils dans la connaissance de Dieu qui est la récompense essentielle ? 2. Progressent-ils dans la connaissance des autres choses par l’illumination des [anges] supérieurs ? 3. Une certaine connaissance leur vient-elle en se parlant ? 4. Ont-ils appris le mystère de l’incarnation par l’Église ? 5. Combat et contradiction existent-ils entre eux ? 6. La distinction entre les ordres demeure-t-elle après le jour du jugement ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4443] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 tit. Utrum Angeli proficiant in visione Dei

Article 1 – Les anges progressent-ils dans la vision de Dieu ?

 

[4444] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Angeli in visione Dei proficiant. Perfectio enim virtutis non tollit sed auget efficaciam merendi. Sed in Angelis beatis est perfecta caritas, quae est radix merendi, qua omnes eorum actus informantur. Ergo videtur quod semper magis et magis mereantur divinam visionem in eis augeri.

1. Il semble que les anges progressent dans la vision de Dieu. En effet, la perfection de la vertu n’enlève pas, mais augmente l’efficacité du mérite. Or, chez les anges bienheureux, existe une charité parfaite, qui est la racine du mérite, dont tous leurs actes reçoivent leur forme. Il semble donc qu’ils méritent toujours de plus en plus que la vision de Dieu soit accrue en eux.

 

[4445] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Avicennam, omnis actio creaturae est ad aliquod commodum agentis; unde liberalitatem puram solius Dei propriam dicit. Sed Angeli creati sunt. Ergo ex actibus eorum circa nos aliquid eis accrescit; et ita videtur quod eorum bonum semper magis ac magis augeatur.

2. Selon Avicenne, toute action de la créature a en vue un bien de l’agent ; aussi dit-il que seul Dieu possède en propre une pure libéralité. Or, les anges ont été créés. Il leur vient donc quelque chose de leurs actes à notre endroit. Et ainsi, il semble que leur bien soit toujours de plus en plus augmenté.

 

[4446] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquis intellectus est clarior, tanto perspicacius intuetur. Sed inferiores Angeli continue a superioribus illuminantur. Ergo videtur quod semper limpidius Deum contemplentur.

3. Plus un intellect est clair, plus son regard sera perspicace. Or, les anges inférieurs sont illuminés par les [anges] supérieurs de manière continue. Il semble donc qu’ils contemplent Dieu de manière toujours plus limpide.

 

[4447] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, si non possunt proficere in Dei visione, aut hoc est quia pervenerunt ad summam perfectionem, aut quia majoris perfectionis capaces non sunt. Sed primum esse non potest, quia summa perfectio solius Dei est, quia seipsum comprehendendo videt: similiter nec secundum, quia sic homines essent capaciores inferioribus Angelis: quia homines, ut dictum est, possunt pervenire ad modum contemplationis supremorum ordinum. Ergo videtur quod Angeli etiam in divina contemplatione proficere possunt.

4. S’ils ne peuvent progresser dans la vision de Dieu, ou bien cela est dû au fait qu’ils sont parvenus à la plus grande perfection, ou bien au fait qu’ils ne sont pas capables d’une plus grande perfection. Or, la première hypothèse ne peut exister, car la perfection la plus élevée est le fait de Dieu seul, car il se voit en se comprenant (seipsum comprehendendo) ; de même, la seconde hypothèse ne peut-elle se réaliser, car les hommes, ainsi qu’on l’a dit, peuvent parvenir au mode de contemplation des ordres les plus élevés. Il semble donc que les anges aussi puissent progresser dans la contemplation de Dieu.

 

[4448] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Magister supra dixit, quod perfectio naturae glorificatae est, quando habet quidquid nata est habere. Sed Angeli sunt glorificati. Ergo totum id quod nati sunt habere, habent.

Cependant, [1] le Maître a dit plus haut que la perfection de la nature glorifiée consiste en ce qu’elle possède tout ce qu’elle est destinée à posséder. Or, les anges sont glorifiés. Ils possèdent donc tout ce qu’ils sont destinés à posséder.

 

[4449] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in termino motus non contingit esse motum. Sed Angeli non sunt in statu viae, cui competit motus, sed in termino. Ergo videtur quod ipsi proficere non possint, cum profectus sit motus quidam.

[2] Il n’arrive pas qu’il y ait mouvement au terme du mouvement. Or, les anges ne sont pas dans l’état de cheminement, auquel convient le mouvement, mais au terme. Il semble donc qu’ils ne puissent pas progresser, puisque le progrès est un certain mouvement.

 

[4450] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum philosophum, operatio et motus differunt: operatio enim est actus perfecti, ut lucidi lucere, et intellectus in actu, intelligere; sed motus est actus imperfecti tendentis in perfectionem: et ideo id quod est in sua ultima perfectione, habet operationem sine motu, sicut Deus; quod autem distat ab ultima perfectione, habet operationem conjunctam motui: quia proficere in beatitudine est quidam motus naturae tendentis in perfectionem: ideo quandocumque Angelus vel homo ponitur in ultima sua perfectione, operatio ejus non est meritoria nec proficiens. Sed in hoc, quando scilicet Angelus sit in sua ultima perfectione, est duplex opinio. Una quam Magister approbat, scilicet quod erit in die judicii. Alia est quae in littera tangitur, quod hoc fuit in prima eorum confirmatione; et haec videtur mihi probabilior: tum quid ultima perfectio rei est in termino suae viae; terminus autem viae Angelorum fuit eorum confirmatio: non enim nunc viatores dicuntur, nisi forte secundum quid, inquantum circa viatores operantur: tum quia idem judicium est de hominibus post mortem, et de Angelis post confirmationem vel casum. Homini autem statim post mortem ultima sua perfectio confertur, nisi forte aliquid purgandum repugnet, nec differtur usque ad diem judicii, ut Graeci errantes dicunt; et ideo dicimus, quod Angeli statim in confirmatione ultimam perfectionem beatitudinis consecuti sunt, nec postmodum in visione Dei proficiunt, in qua eorum beatitudo essentialiter consistit.

Réponse. Selon le Philosophe, l’opération et le mouvement diffèrent : en effet, l’opération est l’acte de ce qui est parfait, comme briller pour ce qui est brillant, et intelliger pour l’intellect en acte ; mais le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait tendant vers la perfection. C’est pourquoi ce qui se trouve en sa perfection ultime possède une opération sans mouvement, tel Dieu ; mais ce qui est éloigné de la perfection ultime possède une opération jointe au mouvement, car progresser dans la béatitude est le mouvement d’une nature qui tend vers la perfection. Aussi, toutes les fois que l’ange ou l’homme sont établis dans leur perfection, leur opération n’est-elle pas méritoire ni source de progrès. Mais sur la question de savoir quand l’ange est établi dans sa perfection ultime, il existe deux opinions. L’une, que le Maître approuve, à savoir que ce sera au jour du jugement. L’autre est celle qui est abordée dans le texte, à savoir que cela s’est produit lors de leur première confirmation. Celle-ci me semble plus probable, tant parce que la perfection d’une chose consiste dans le terme de son cheminement, et que le terme du cheminement des anges a été leur confirmation. En effet, on ne dit pas qu’ils soont présentement en route, si ce n’est de manière relative, pour autant qu’ils agissent sur ceux qui sont en route ; et aussi parce que le jugement des hommes après la mort est le même que celui des anges après leur confirmation ou leur chute. Or, son ultime perfection est donnée à l’homme aussitôt après la mort, à moins que ne s’y oppose quelque chose qui doive être purifié, et [cette perfection] n’est pas reportée jusqu’au jour du jugement, comme certains Grecs qui se trompent le disent. Aussi disons-nous que les anges ont obtenu l’ultime perfection de la béatitude dès leur confirmation et que, par la suite, ils ne progressent pas dans la vision de Dieu, en laquelle leur béatitude consiste essentiellement.

 

[4451] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod perfectio virtutis includens finem, tollit rationem meriti et motus, qui repugnat fini; sed in via ad finem auget efficaciam meriti.

1. La perfection d’une vertu qui inclut la fin enlève la raison de mérite et de mouvement, qui est incompatible avec la fin ; mais, en cours de cheminement, elle accroît l’efficacité du mérite.

 

[4452] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnis operatio creaturae ordinata est ad perfectionem ejus; sed quandoque operatio non est ad alium finem, sed ipsamet est finis, ut in 1 Ethic. dicitur; et sic dico, quod illuminare inferiores, in Angelis est dignitas eorum: quia in hoc maxime consequuntur Dei similitudinem: et ideo non oportet quod per hujusmodi operationes aliquid mereantur.

2. Toute opération de la créature est ordonnée à sa perfection ; mais parfois l’opération ne vise pas une autre fin, mais elle est elle-même la fin, comme il est dit en Éthique, I. Je dis ainsi qu’illuminer les inférieurs est pour les anges leur dignité, car ils obtiennent ainsi au plus haut point une ressemblance avec Dieu. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’ils méritent quelque chose par des opérations de ce genre.

 

[4453] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unus Angelus non illuminat alium, ut dictum est, de his quae ad essentiam beatitudinis pertinent, sed de aliis; et ideo non oportet quod propter hoc limpidius videant Deum, sed ea de quibus illuminantur.

3. Ainsi qu’on l’a dit, un ange n’en illumine pas un autre sur ce qui se rapporte à l’essence de la béatitude, mais sur d’autres choses. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’ils voient Dieu de manière plus limpide à cause de cela, mais [qu’ils voient] les choses sur lesquelles ils sont illuminés.

 

[4454] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angeli summum gradum contemplationis non attingunt; sed propter hoc dicuntur non proficere, quia tota eorum capacitas plena est: nec ampliari potest illa capacitas Angelorum per meritum, sicut in hominibus qui sunt in statu viae.

4. Les anges n’atteignent pas le degré suprême de la contemplation, mais on dit qu’ils ne progressent pas parce que toute leur capacité est remplie, et que cette capacité ne peut être accrue par le mérite, comme chez les hommes qui sont en état de cheminement.

 

 

 

 

Articulus 2 [4455] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 tit. Utrum Angeli inferiores illuminentur a superioribus

Article 2 – Les anges inférieurs sont-ils illuminés par les [anges] supérieurs ?

 

[4456] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Angeli inferiores per superiorum illuminationem in cognitionem rerum sive divinorum effectuum non proficiant. Omnis enim operatio Angeli aut pertinet ad naturam aut ad praemium. Sed in naturali cognitione non proficiunt, quam totam simul in creatione receperunt; nec etiam in merito aut in praemio proficiunt. Ergo videtur quod in eis cognitio divinorum effectuum non crescat.

1. Il semble que les anges inférieurs ne progressent pas dans la connaissance des choses ou des effets de Dieu par l’illumination des [anges] supérieurs. En effet, toute opération de l’ange se rapporte soit à sa nature, soit à la récompense. Or, ils ne progressent pas dans la connaissance naturelle, qu’ils ont reçue tout entière en même temps lors de leur création ; [ils ne progressent] pas non plus dans le mérite ou dans la récompense. Il semble donc que la connaissance des effets de Dieu ne croisse pas en eux.

 

[4457] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Deus est causa rerum per essentiam suam. Ergo in hoc quod videtur essentia sua, cognoscitur ipse esse causa. Sed quando cognoscitur aliquid inquantum est causa, cognoscitur etiam effectus ejus. Ergo videtur, cum Angeli beati essentiam divinam videant, quod etiam in ipsa effectus ejus cognoscant; et sic in cognitione divinorum effectuum non crescunt.

2. Dieu est la cause des choses par son essence. Donc, par le fait que son essence est vue, il est lui-même connu comme cause. Or, lorsque quelque chose est connu comme cause, son effet est connu. Puisque les anges bienheureux voient l’essence divine, il semble donc qu’ils connaissent aussi en elle ses effets, et ainsi ils ne progressent pas dans la connaissance des effets de Dieu.

 

[4458] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, nihil est cujus ratio non sit in Dei scientia, sive verbo ejus, quod est ars plena rationum viventium, ut dicit Augustinus. Sed Angeli beati vident Dei verbum. Ergo cognoscunt omnes divinos effectus; et sic idem quod prius.

3. Il n’existe rien dont la raison ne se trouve dans la science de Dieu ou dans son Verbe, qui est tout entier « un art rempli de raisons vivantes », comme le dit Augustin. Or, les anges bienheureux voient le Verbe de Dieu. Ils connaissent donc tous les effets de Dieu, et ainsi, la conclusion est la même que précédemment.

 

[4459] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, qui videt speculum, necessario videt formas relucentes in speculo, nisi diversitas partium speculi impediat, ut dum intuetur unam partem speculi, formas resultantes in alia parte non videat. Sed Dei verbum, quod est sapientia genita, est speculum sine macula, ut dicitur Sap. 7, in quo omnes rerum rationes resplendent. Ergo cum verbum sit indivisibile, Angeli intuentes verbum omnia in eo cognoscunt; et sic idem quod prius.

4. Celui qui voit le miroir voit nécessairement les formes reflétées par le miroir, à moins que la diversité des parties du miroir ne l’empêche, comme lorsqu’en regardant une partie du miroir, on ne voit pas les formes qui apparaissent dans une autre partie. Or, le Verbe de Dieu, qui est la Sagesse engendrée, est « un miroir sans tache », comme le dit Sg 7, 26, dans lequel toutes les raisons des choses brillent. Puisque le Verbe est indivisible, les anges qui regardent le Verbe connaissent donc tout en lui, et ainsi, la conclusion est la même que précédemment.

 

[4460] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, secundum philosophum, intellectus cum intelligit difficilia, non minus intelligit infima, sed magis: altissimum autem intelligibile est essentia divina. Sed eam Angeli vident. Ergo videtur quod omnia alia cognoscere possunt; et ita eorum cognitio non crescit.

5. Lorsque l’intelligence intellige des choses difficiles, elle n’en intellige pas moins les choses infimes, mais davantage. Or, l’intelligible le plus élevé est l’essence divine. Pourtant, les anges la voient. Il semble donc qu’ils peuvent connaître tout le reste, et ainsi, leur connaissance ne croît pas.

 

[4461] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Dionysius in fine Cael. Hierar. quod multae rationes sacramentorum latent supernas essentias, idest Angelos. Sed quaecumque latent aliquem, ipse potest in cognitionem eorum proficere. Ergo Angeli in cognitione proficere possunt.

Cependant, [1] Denys dit le contraire à la fin de La hiérarchie céleste, à savoir que plusieurs raisons des mystères (sacramentorum) sont cachées aux essences supérieures, c’est-à-dire, aux anges. Or, tout ce qui est caché à quelqu’un, celui-ci peut le connaître progressivement. Les anges peuvent donc progresser dans la connaissance.

 

[4462] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in 6 cap. ejusdem libri dicit, quod Angeli inferiores per superiores a nescientia purgantur. Sed non liberatur aliquis a nescientia nisi per scientiae acquisitionem. Ergo videtur quod Angeli in acquirendo scientiam proficiant.

[2] Dans le chapitre VI du même livre, [Denys] dit que les anges inférieurs sont purifiés de l’ignorance par les [anges] supérieurs. Or, quelqu’un n’est libéré de l’ignorance que par l’acquisition de la science. Il semble donc que les anges progressent en acquérant la science.

 

[4463] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod Angeli proficiunt in cognitione divinorum effectuum per illuminationes in inferiores a superioribus descendentes: et hoc patet sic. Cum enim Deus sit universalissima causa omnium entium, in visione essentiae ejus non cognoscuntur omnes effectus ipsius de necessitate, nisi intellectus totam virtutem ejus comprehendat: et quanto aliquis intellectus limpidius eam videt, tanto plura in ea cognoscere potest; sicut in principiis primis speculativis, qui perspicacioris intellectus est, plures conclusiones in eis videt: et ita superiores Angeli plures effectus in essentia divina cognoscunt quam inferiores, et de illis superiores inferiores illuminare et instruere possunt: et tamen aliqui effectus sunt quos omnes immediate in visione divinae essentiae percipiunt, quamvis etiam hos superiores perfectius cognoscant, sicut et divinam essentiam clarius intuentur; et unusquisque ordo ex illo nomen et rationem recipit, quod est ultimum suae virtutis ad capiendam rerum cognitionem immediate in visione divinae essentiae.

Réponse. Les anges progressent dans la connaissance des effets de Dieu par des illuminations qui descendent depuis les [anges] supérieurs vers les [anges] inférieurs. Cela ressort de la manière suivante. Puisque Dieu est la cause la plus universelle de tous les êtres, tous ses effets ne sont pas nécessairement connus dans la vision de son essence, à moins que l’intelligence n’en saisisse toute la puissance ; et plus une intelligence la voit clairement, plus elle peut voir de choses en elle. Ainsi, dans les principes premiers spéculatifs, celui qui possède une intelligence plus perspicace voit davantage de conclusions. De la même manière, les anges supérieurs connaissent-ils davantage d’effets dans l’essence divine que les [anges] inférieurs, et les [anges] supérieurs peuvent-ils illuminer et instruire les [anges] inférieurs. Toutefois, il existe certains effets que tous perçoivent de manière immédiate dans l’essence divine, bien que les [anges] supérieurs les connaissent plus parfaitement, de la même manière qu’ils connaîtront plus clairement l’essence divine. Et chaque ordre tire son nom et sa raison de ce qui est le point ultime de sa capacité de saisir de manière immédate la connaissance des choses dans la vision de l’essence divine.

 

[4464] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod revelationes divinorum effectuum pertinent ad praemium, non quidem essentiale, sed accidentale: et dicitur praemium accidentale ad quod merita directe non ordinantur, sed superadditur ex liberalitate retribuentis.

1. Les révélations des effets de Dieu relèvent non pas de la récompense essentielle, mais de la récompense accidentelle. On appelle récompense accidentelle celle à laquelle les mérites ne sont pas ordonnés directement, mais qui est ajoutée par la libéralité de celui qui récompense.

 

[4465] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per hanc rationem probat Algazel, Deum creaturarum scientiam habere, inquantum suam essentiam cognoscit; non tamen sequitur quod videns essentiam ejus omnia sciat, nisi ipsam perfecta cognitione comprehendat; et hoc Angelis non convenit.

2. Par ce raisonnement, Algazel prouve que Dieu a la science des créatures dans la mesure où il connaît son essence. Mais il n’en découle pas que celui qui voit son essence connaisse tout, à moins de l’embrasser d’une connaissance parfaite. Et cela ne convient pas aux anges.

 

[4466] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 ad 3 Et per hoc patet responsio ad tertium: quia quamvis verbum videant, non tamen ipsum secundum modum rei cognitae vident, sed secundum modum cognoscentium, idest sui ipsorum; et ideo non oportet quod omnia quae in verbo sunt cognoscant.

3. La réponse au troisième argument ressort ainsi clairement, car bien qu’ils voient le Verbe, ils ne le voient cependant pas selon le mode de la chose connue, mais selon le mode de ceux qui le connaissent, à savoir, eux-mêmes. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’ils connaissent tout ce qui se trouve dans le Verbe.

 

[4467] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dicit Boetius in Lib. de Trinit., in divinis non oportet ad imaginationem deduci. Unde non est imaginandum rationes rerum resplendere in speculo aeterno sicut formae visibiles in speculo materiali; sed magis sicut causatorum rationes praeexistunt in sua causa, ut Dionysius dicit in Lib. de divinis Nom. Non est autem necessarium ut qui causam videt, hoc ipso omnes rationes effectuum in ea cognoscat, ut dictum est; et ideo ratio non procedit. Vel dicendum, ut communiter dicitur, quod speculum aeternum voluntarium est: quia in eo non videtur nisi quod ipse vult ostendere. Secus est autem de speculo materiali, quod ex necessitate naturae repraesentat formas in eo relucentes.

4. Comme le dit Boèce, dans le libre Sur la Trinité, il ne faut pas être mené pas l’imagination pour les réalités divines. Aussi ne faut-il pas imaginer que les raisons des choses sont réfléchies dans le miroir éternel comme les formes visibles dans un miroir matériel, mais plutôt comme les raisons des choses causées préexistent dans leur cause, ainsi que le dit Denys, dans le livre Sur les noms divins. Or, il n’est pas nécessaire que celui qui voit la cause connaisse en elle par le fait même toutes les raisons des effets, comme on l’a dit. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant. Ou bien il faut dire, comme on le dit communément, que le miroir éternel est volontaire, car on ne voit en lui que ce qu’il veut montrer. Mais il en va autrement du miroir matériel, qui représente par une nécessité de nature les formes qui sont réfléchies en lui.

 

[4468] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quia nostra cognitio a sensu incipit, ideo de minus notis in magis nota secundum naturam devenimus; et ideo manifestissima naturae sunt nobis ultimo nota, et difficillima ad cognoscendum, scilicet res immateriales, ut Deus et Angeli. Sed in Angelis est e converso: quia ea quae sunt magis nota simpliciter, sunt etiam notiora quo ad eos; et ideo licet essentiam divinam maxime cognoscant, non tamen ex hoc sequitur quod omnia alia cognoscant; sed secundum quod perfectius ipsam vident, ex ea in plurium effectuum cognitionem procedere possunt.

5. Parce que notre connaissance commence par le sens, nous allons pour cette raison de choses moins connues aux choses plus connues ; c’est pourquoi les réalités les plus manifestes de la nature nous sont connues en dernier, ainsi que les plus difficiles, à savoir les réalités immatérielles, comme Dieu et les anges. Mais, chez les anges, c’est l’inverse, car ce qui est simplement plus connu leur est aussi plus connu. C’est pourquoi, bien qu’ils connaissent au mieux l’essence divine, il n’en découle cependant pas qu’ils connaissent tout le reste ; mais selon qu’ils la voient plus parfaitement, ils peuvent parvenir à la connaissance d’un plus grand nombre d’effets à partir d’elle.

 

 

 

 

Articulus 3 [4469] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 tit. Utrum Angeli cognoscant aliqua per mutuam locutionem

Article 3 – Les anges connaissent-ils certaines choses en se parlant ?

 

[4470] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Angeli non accipiant cognitionem aliquorum per mutuam locutionem. Dicit enim Basilius: si nuda et intecta anima viveremus, ex solis nutibus intentionum cogitationes alterutrum panderentur. Sed Angeli habent intellectum non obtectum corpore. Ergo unus alterius cogitationes videt; et ideo mutua locutione non egent.

1. Il semble que les anges ne reçoivent pas la connaissance de certaines choses en se parlant. En effet, Basile dit : « Si nous vivions par une âme nue et dépouillée, nos pensées nous seraient réciproquement communiquées par les signes des intentions. » Or, les anges ont une intelligence qui n’est pas recouverte par un corps. Chacun voit donc les pensées de l’autre, et ainsi, ils n’ont pas besoin de se parler.

 

[4471] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, in omni locutione oportet esse aliquod signum, quod mentis occultum conceptum exprimat. Sed tale signum in Angelis sensibile esse non potest, nec intellectuale: non sensibile, quia sensitivam cognitionem non habent; nec etiam manens in intellectu tantum, quia hoc esset aequaliter ignotum cum alio conceptu mentis qui manifestandus esset. Ergo videtur quod in Angelis manifestatio per locutionem esse non possit.

2. Dans toute parole, il doit y avoir un signe qui exprime un concept caché de l’esprit. Or, un tel signe, sensible ou intellectuel, ne peut exister chez les anges : non pas [un signe] sensible, car ils n’ont pas de connaissance sensible ; ni [un signe] demeurant dans l’intelligence seulement, car cela serait également inconnu par un autre concept de l’esprit qui devrait être rendu manifeste. Il semble donc que, chez les anges, il ne puisse y avoir de manifestation par la parole.

 

[4472] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, in omni locutione oportet esse aliquod medium, per quod intentio loquentis ad audientem deferatur. Sed tale medium in Angelis inveniri non potest. Ergo nec locutio.

3. En tout langage, il doit exister un moyen par lequel l’intention de celui qui parle est communiquée à celui qui entend. Or, on ne peut trouver un tel moyen chez les anges. Donc, non plus, de langage.

 

[4473] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, in locutione corporali sonus ad aures perveniens excitat audientem ad audiendum. Sed in Angelis non potest poni aliquod tale excitativum, cum nihil sit in uno postmodum in altero factum; et tamen necessaria esset excitatio ad attendendum, si esset locutio; quia unus Angelus non semper alterum considerat. Ergo non est ibi locutio.

4. Dans le langage corporel, le son qui parvient aux oreilles incite celui qui entend à écouter. Or, chez les anges, on ne peut affirmer une telle incitation, puisque rien n’existe chez l’un qui soit produit chez un autre par la suite. Cependant, l’incitation a écouter serait nécessaire, car un ange ne considère pas toujours un autre [ange]. Il n’y a donc pas là de langage.

 

[4474] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, a loquente recipitur aliquid in audiente. Sed superiores ab inferioribus nihil recipiunt. Ergo videtur quod ad minus inferiores superioribus loqui non possint.

5. Quelque chose est reçu de celui qui parle par celui qui écoute. Or, les [anges] supérieurs ne reçoivent rien des [anges] inférieurs. Il semble donc qu’au moins les [anges] inférieurs ne puissent pas parler aux [anges] supérieurs.

 

[4475] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 13, 1: si linguis hominum loquar et Angelorum. Sed locutio est actus linguae. Ergo Angeli loquuntur.

Cependant, [1] 1 Co 13, 1 dit le contraire : Si je parlais les langues des hommes et des anges. Or, le langage est un acte de la langue. Les anges parlent donc.

 

[4476] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Angelus est majoris virtutis naturaliter quam homo. Sed homo potest alteri loquendo suam cogitationem exprimere. Ergo multo fortius Angelus.

[2] L’ange est naturellement plus puissant que l’homme. Or, l’homme peut exprimer sa pensée à un autre en parlant. Donc, à bien plus forte raison, l’ange.

 

[4477] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod in Angelis est quaedam locutio, quae tamen ab illuminatione differt in duobus. Primo quantum ad ea de quibus sunt: quia illuminatio proprie est de his quae superior Angelus in lumine divinae essentiae apprehendit, quae inferior ibi non videt; unde indiget ut in lumine superioris Angeli magis determinato et contracto quam sit lumen divinum, illa cognoscat. Sed locutio est de motibus liberi arbitrii, quos in uno alius non videt. His enim duobus modis aliquid potest esse notum uni Angelo et ignotum alteri. Secundo quantum ad modum quo utrumque perficitur, differentem secundum duo quae ad visionem intellectualem requiruntur, ad similitudinem visionis corporalis, scilicet ipsa res quae intellectui proponitur, et lumen sub quo videtur. Illuminatio ergo fit per hoc quod lumen intellectus unius Angeli per perfectius lumen superioris confortatur ad aliquorum cognitionem; sed locutio per hoc quod aliqua prius occulta proponuntur ut cognoscenda sine hoc quod virtus cognoscentis fortificetur; ut patet in recitationibus historiarum, in quibus aliquis cognoscit quod prius nesciebat, sine hoc quod suus intellectus clarificetur. Qualiter autem aliquid possit proponi Angelo ut cognoscendum ab ipso, patet ex simili nostrae locutionis. Est enim aliquid in homine quod alius homo de ipso naturaliter percipere potest, ut ea quae exterioribus sensibus subjacent; aliquid vero quod videri non potest, sicut interiores conceptus mentis. Species ergo conceptae interius, secundum quod manent in simplici conceptione intellectus, habent rationem intelligibilis tantum: secundum autem quod ordinantur ab intelligente ut manifestandae alteri, habent rationem verbi, quod dicitur verbum cordis; secundum autem quod aptantur et quodammodo ordinantur signis exterius apparentibus, si quidem sunt signa ad visum, dicuntur nutus; si vero ad auditum, dicitur proprie locutio vocalis: hi enim duo sensus disciplinabiles sunt. Similiter in Angelis interior conceptus mentis libero arbitrio subjacens ab alio videri non potest. Quando ergo speciem conceptam ordinat ut manifestandam alteri, dicitur verbum cordis; quando vero coordinat eam alicui eorum quae unus Angelus in alio naturaliter videre potest, illud naturaliter cognoscibile fit signum expressivum interioris conceptus; et talis expressio vocatur locutio, non quidem vocalis, sed intellectualibus signis expressa; et virtus exprimendi dicitur lingua eorum.

Réponse. Il existe chez les anges un certain langage ; il diffère cependant de l’illumination sous deux aspects. Premièrement, par ce sur quoi ils portent, car l’illumination porte à proprement parler sur ce qu’un ange supérieur saisit par la lumière de l’essence divine, et qu’un ange inférieur ne voit pas. Aussi a-t-il besoin de connaître cela par la lumière plus déterminée et plus réduite d’un ange supérieur, que ne l’est la lumière divine. Mais le langage porte sur les mouvements du libre arbitre que l’un ne voit pas dans l’autre. En effet, c’est de ces deux manières que quelque chose peut être connu par un ange et ignoré par un autre. Deuxièmement, par la manière dont les deux se réalisent, qui diffère selon les deux choses qui sont nécessaires pour la vision intellectuelle, à la ressemblance de la vision corporelle : la chose elle-même qui est proposée à l’inelligence, et la lumière sous laquelle elle voit. L’illumination se réalise donc par le fait que la lumière de l’intelligence d’un ange est plus parfaitement renforcée par la lumière d’un [ange] supérieur pour connaître certaines choses ; mais le langage, par le fait que certaines choses, d’abord cachées, sont proposées à la connaissance sans que la puissance de celui qui connaît en soit renforcée, comme cela est clair pour les lectures d’histoires, par lesquelles quelqu’un connaît ce qu’il ne connaissait pas antérieurement, sans que son intelligence soit plus éclairée. Mais comment une chose peut être proposée à un ange pour qu’il la connaisse, cela ressort clairement par la ressemblance avec notre langage. En effet, il existe chez un homme quelque chose qu’un autre homme peut saisir naturellement à son sujet, comme ce qui tombe sous les sens extérieurs ; mais il existe quelque chose qui ne peut être vu, comme les concepts intérieurs de l’esprit. Les espèces conçues intérieurement, selon qu’elles demeurent dans la simple conception de l’intelligence, possèdent donc seulement la raison d’objet susceptible d’être intelligé ; mais, selon qu’elles sont ordonnées par celui qui intellige à être manifestées à un autre, elles ont raison de verbe, appelé verbe du cœur. Mais, selon qu’elles sont apprêtées et ordonnées en quelque manière par des signes extérieurs apparents, on parlera de gestes, – si ce sont des signes pour la vue ‑, ou de langage verbal au sens propre, ‑ si ce sont des signes pour l’ouïe. En effet, ces deux sens sont susceptibles d’enseignement. De la même manière, chez les anges, le concept intérieur de l’esprit soumis au libre arbitre ne peut pas être vu par un autre. Lors donc qu’il ordonne une espèce conçue à être manifestée à un autre, on parle de verbe du cœur ; mais lorsqu’il la coordonne avec quelque chose de ce qu’un ange peut voir naturellement dans un autre, ce qui est ainsi naturellement connaissable devient un signe qui exprime le concept de l’esprit. Une telle expression est appelée langage, non pas vocal, mais exprimé dans des signes intellectuels ; et la capacité de les exprimer est appelée leur langue.

 

[4478] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Basilius intendit ab anima separata excludere indigentiam vocalis locutionis: non autem spiritualis, qualis dicta est in Angelis esse; et sic etiam exponendae sunt multae auctoritates similes quae ad hoc induci possunt.

1. Basile entend exclure de l’âme séparée la nécessité d’un langage vocal, mais non [d’un langage] spirituel, dont on dit qu’il existe chez les anges. C’est ainsi que doivent être interprétées plusieurs autorités semblables qui peuvent être invoquées sur ce point.

 

[4479] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud naturaliter notum in uno Angelo ab alio, est quasi signum latentis interius cogitationis, non sensibile, sed intellectuale.

2. Ce qui est naturellement connu par un autre chez un ange est pour ainsi dire le signe d’une pensée cachée à l’intérieur, [un signe] non pas sensible, mais intellectuel.

 

[4480] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angeli non debent cogitari ut distantes secundum situm, sicut dicimus duo corpora vel duo puncta: quia quod facit in corporalibus situs, hoc facit in spiritualibus ordo, ut dicit Augustinus. Unde non exigitur aliquod medium per quod deferatur locutio unius ad alterum; sed sufficit ad hoc solus ordo intentionis unius ad manifestandum alteri. Vel dicendum, quod omnes continuantur in radiatione divini luminis, vel naturalis vel superadditi, ut supra dictum est: quod non fit unum numero in omnibus, sed ab uno principio, et in unum finem, et ordinate in diversis acceptum. Unde per illud lumen unus alterius locutionem cognoscit, sicut et essentialia ejus.

3. Nous ne devons pas penser que les anges sont éloignés par leur site, comme nous le disons de deux corps ou de deux points, car ce que fait le site pour les réalités corporelles, l’ordre le fait pour les réalités spirituelles, comme le dit Augustin. Aussi un intermédiaire n’est-il pas nécessaire pour que le langage de l’un en atteigne un autre, mais seul l’ordre de l’intention de l’un de manifester à un autre suffit. Ou bien il faut dire que tous se rejoignent dans l’irradiation de la lumière divine, naturelle ou ajoutée, comme on l’a dit plus haut ; cela ne se réalise pas par quelque chose d’unique en tous, mais par un seul principe et une seule fin, reçus chez tous de manière ordonnée. Aussi l’un connaît-il le langage d’un autre par cette lumière, de même que ce qui lui est essentiel.

 

[4481] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angelus, praecipue beatus, semper est in actuali consideratione sui ipsius, et per consequens eorum quae ad ipsum pertinent, quorum omnium ipse est ratio cognoscendi. Nihil enim prohibet plura intelligi simul, quae una ratione cognoscuntur. Quam cito autem unus Angelus ordinat locutionem suam ad alterum, efficitur locutio ejus de pertinentibus ad illum, et ita ab eo cognoscitur; et inde patet quomodo unus Angelus plures sibi loquentes audire potest, et unus sanctus plures eum invocantes.

4. L’ange, surtout celui qui est bienheureux, se considère toujours lui-même en acte et, par conséquent, ce qui se rapporte à lui ; lui-même est la raison de connaître tout cela. En effet, rien n’empêche que plusieurs choses soient intelligées en même temps si elles sont connues selon une seule raison. Or, aussitôt qu’un ange ordonne son langage à un autre, le langage existe pour ce qui se rapporte à lui et ainsi, cela est connu de lui. On voit ainsi clairement comment un ange peut en écouter plusieurs qui lui parlent, et un saint, plusieurs qui l’invoquent.

 

[4482] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod inferior Angelus potest loqui superiori, non illuminare eum: quia loquens non influit aliquid in audientem, sed solummodo proponit sibi ut cognoscibile.

5. L’ange inférieur peut parler à un [ange] supérieur, mais non l’illuminer, car, en parlant, il ne communique rien à celui qui écoute, mais il lui propose seulement un objet de connaissance.

 

 

 

 

Articulus 4 [4483] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 tit. Utrum Angeli didicerint mysterium incarnationis per homines

Article 4 – Les anges ont-ils appris le mystère de l’incarnation par des hommes ?

 

[4484] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Angeli per homines mysterium incarnationis didicerint. Primo per hoc quod habetur Ephes. 3, 9: ut innotescat principatibus et potestatibus in caelestibus per Ecclesiam multiformis sapientia Dei.

1. Il semble que les anges aient appris par des hommes le mystère de l’incarnation. Premièrement, par le fait qu’on lise en Ep 3, 9 : Afin que soit portée par l’Église à la connaissance des Principautés et des Puissances célestes la sagesse multiforme de Dieu.

 

[4485] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, superioris est illuminare et instruere inferiores. Sed quidam homines quibusdam Angelis superiores sunt: quod probatur ex hoc quod dicitur 1 Corinth. 6, 3: nonne Angelos judicabimus? Comparatione melioris facti, secundum Glossam. Ergo Angeli per homines illuminari possunt et instrui.

2. Il revient à [un ange] supérieur d’illuminer et d’instruire [les anges] inférieurs. Or, certains hommes sont supérieurs aux anges, ce qui est démontré par ce qui est dit en 1 Co 6, 3 : Ne jugerons-nous pas les anges ? « Par comparaison avec celui qui est devenu meilleur », selon la Glose. Les anges peuvent donc être illuminés et instruits par les hommes.

 

[4486] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, illi qui immediate a Deo recipiunt cognitionem, alios instruunt. Sed apostoli immediate de mysteriis Ecclesiae a Dei filio instructi sunt. Ergo videtur quod de hoc etiam Angelos instruere possint.

3. Ceux qui reçoivent immédiatement de Dieu la connaissance instruisent les autres. Or, les apôtres ont été immédiatement instruits des mystères de l’Église par le Fils de Dieu. Il semble donc qu’ils puissent aussi instruire les anges de cela.

 

[4487] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, Paulus dicitur ad tertium caelum raptus 2 Corinth. 2. Et exponit quaedam Glossa tertium caelum, tertiam Angelorum hierarchiam. Sed illi qui sunt in tertia hierarchia ascendendo, idest in summa, illuminant inferiores Angelos. Ergo videtur quod Paulus inferiores Angelos illuminare potuerit.

4. Il est dit que Paul a été emporté au troisième ciel, 2 Co 2. Et une glose interprète le troisième ciel de la troisième hiérarchie des anges. Or, ceux qui sont dans la troisième hiérarchie en montant, c’est-à-dire dans la plus élevée, illuminent les anges inférieurs. Il semble donc que Paul pouvait illuminer les anges inférieurs.

 

[4488] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, Angeli cognitionem aliquorum accipiunt et per illuminationem et per locutionem. Sed loqui etiam possunt inferiores superioribus. Ergo videtur quod Angeli ab hominibus, etsi sint inferiores, cognitionem accipere possint.

5. Les anges reçoivent la connaissance de certaines choses par illumination et par langage. Or, les [anges] inférieurs peuvent aussi parler aux [anges] supérieurs. Il semble donc que les anges puissent recevoir des hommes la connaissance, même s’ils sont inférieurs.

 

[4489] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit, quod Angeli de nativitate Christi primo edocti sunt, et per eos ad homines devenit. Ergo ipsi ab hominibus non didicerunt.

Cependant, [1] Denys dit le contraire : en premier lieu, les anges ont été instruits de la naissance du Christ, et elle est parvenue aux hommes par eux. Ils n’ont donc pas appris des hommes.

 

[4490] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, mysterium incarnationis a prophetis est praenuntiatum. Sed revelationes factae patribus et prophetis, mediantibus Angelis a Deo processerunt, ut sancti communiter dicunt. Ergo videtur quod ipsi praecognoverint mysterium incarnationis, et non ab hominibus didicerint.

[2] Le mystère de l’incarnation a été annoncé à l’avance par les prophètes. Or, les révélations faites aux pères et aux prophètes sont venues de Dieu par l’intermédiaire d’anges, comme les saints le disent d’une manière générale. Il semble donc qu’ils aient connu à l’avance le mystère de l’incarnation et qu’ils ne l’ont pas appris des hommes.

 

[4491] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in hoc videtur esse quaedam controversia inter Hieronymum et Augustinum et Dionysium. Hieronymus enim ponit duo: scilicet Angelos ante incarnationem mysterium humanitatis Christi nescivisse: et quantum ad hoc videtur Augustinus, sibi obviare, dicens, eos a saeculis, idest a principio mundi, cognovisse. Secundo ponit Hieronymus quod hoc per homines didicerunt: et quantum ad hoc videtur sibi obviare Dionysius, ponens homines de hoc ab Angelis edoctos esse, secundum ordinem divinae legis inviolabiliter constitutum. Ut autem sciatur qualiter unumquodque veritatem habere possit, distinguendum est quantum ad primum, quod mysterium incarnationis dupliciter potest considerari: vel quantum ad substantiam facti; et sic omnes a principio cognoverunt, scilicet incarnationem, passionem, et hujusmodi; vel quantum ad conditiones et circumstantias mysterii, scilicet quod sub tali praeside, vel tali hora, et hujusmodi; et hoc a principio non cognoverunt. His etiam modis differenter enarrant propheta et Evangelista: quia propheta annuntiavit substantiam facti; sed Evangelista recitat expletionis modum. Quantum etiam ad secundum distinguendum est, quod Angeli dupliciter accipiunt cognitionem aliquarum rerum: aut per illuminationem; et sic Angeli per homines nihil recipiunt, sed inferiores a superioribus illuminantur, et superiores immediate a Deo, per quem modum multas rationes mysteriorum Ecclesiae edocentur: aut per modum expletionis rerum; et sic futura contingentia cognoscunt quando actu complentur, per hoc quod eorum causae ad effectus determinantur, ut in eis cognosci possint; et ita quaedam quae circa incarnationis mysterium nesciebant, quando explebantur praedicantibus apostolis cognoverunt, non tamen ab apostolis edocti.

Réponse. Sur ce point, il semble exister une controverse entre Jérôme, Augustin et Denys. En effet, Jérôme présente deux choses : les anges ne connaissaient pas avant l’incarnation le mystère de l’humanité du Christ, et Augustin semble s’opposer à lui sur ce point en disant qu’ils le connaissaient depuis les siècles, c’est-à-dire depuis le commencement du monde. Deuxièmement, Jérôme affirme qu’ils l’ont appris par les hommes, et, sur ce point, Denys semble s’opposer à lui en affirmant que les hommes en ont été instruits par les anges, selon l’ordre de la loi divine établi de manière inviolable. Afin de savoir comment chaque affirmation peut être vraie, il faut faire, pour le premier point, une distinction. Le mystère de l’incarnation peut être envisagé de deux manières : quant à la substance du fait, et ainsi tous l’ont connu depuis le commencement, à savoir l’incarnation, la passion et les choses de ce genre ; quant aux conditions et aux circonstances du mystère, à savoir, sous tel dirigeant, à telle heure, et les choses de ce genre, et ils n’ont pas connu cela depuis le commencement. Le prophète et l’évangéliste les racontent aussi de manière différente, car le prophète a annoncé la substance du fait, mais l’évangéliste raconte le mode de son accomplissement. Pour le second point, il faut faire la distinction que les anges reçoivent de deux manières la connaissance de certaines choses : par illumination, et ainsi les anges ne reçoivent rien par l’intermédiaire des hommes, mais les [anges] inférieurs sont illuminés par les [anges] supérieurs, et les [anges] supérieurs le sont par Dieu de manière immédiate, manière selon laquelle plusieurs [corr. multas/multae] raisons des mystères de l’Église sont enseignées ; par la manière dont les choses s’accomplissent, et ainsi [les anges] connaissent les futurs contingents lorsqu’ils sont réalisés en acte, par le fait que leurs causes sont déterminées à des effets, de sorte qu’ils peuvent être connus en eux. Et ainsi, ils ne connaissaient pas certaines choses qui entouraient le mystère de l’incarnation, mais, lorsqu’elles s’accomplissaient, ils les connaissaient par la prédication des apôtres, sans cependant être enseignés par les apôtres.

 

[4492] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus vult, ut dicitur in Glossa super eumdem locum, quod haec determinatio per Ecclesiam non determinet hoc verbum innotescat; sed praecedens, scilicet illuminare omnes; ut sit sensus, quod apostolo erat data gratia illuminandi omnes per Ecclesiam, idest omnes de Ecclesia. Hieronymus tamen vult quod determinet hoc verbum innotescat; et tunc intelligendum est modo praedicto. Vel potest intelligi de Ecclesia Angelorum, ubi prima fuit Ecclesia, et ubi ultimo nostra Ecclesia congreganda est; ut sit sensus: incarnationis mysterium fuit absconditum in Deo, ita tamen quod a saeculis innotuit principibus per Ecclesiam, idest in Ecclesia caelesti: et hanc expositionem ponit Augustinus super Gen.

1. Comme le dit la Glose au même endroit, Augustin veut dire que cette détermination « par l’Église » ne détermine pas le mot « est portée à la connaissance », mais celui qui précède : « pour les éclairer tous », de sorte que le sens est que la grâce avait été donnée à l’Apôtre de les éclairer tous par l’Église, c’est-à-dire tous ceux qui font partie de l’Église. Toutefois, Jérôme entend que [« par l’Église »] détermine le mot « soit connue »; il faut alors l’entendre de la manière déjà dite. Ou bien on peut l’entendre de l’Église des anges, où se trouvait la première Église et où notre Église sera finalement rassemblée. Le sens est alors : le mystère de Dieu était caché en Dieu, de telle sorte cependant qu’il a été connu depuis les siècles aux dirigeants par l’Église, c’est-à-dire, à l’Église céleste. C’est cette interprétation que donne Augustin dans son Commentaire de la Genèse.

 

[4493] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum conditionem status, quilibet Angelus quolibet homine simpliciter viatore major est; unde dicitur Matth. 11, 11, quod qui minor est in regno caelorum, major est illo, scilicet Joanne Baptista, quo tamen nullus major inter natos mulierum surrexit. Sed quantum ad causam potest dici secundum quid aliquis homo aliquo Angelo major, inquantum per gratiam quam habet, meretur gradum quibusdam Angelis altiorem.

2. Selon la condition de son état, tout ange est simplement plus grand que tout homme en cheminement. C’est pourquoi il est dit en Mt 11, 11 : Le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que celui-ci, à savoir, Jean-Baptiste, alors que personne de ceux qui sont nés des femmes n’est plus grand que lui. Mais, du point de vue de la cause, on peut dire qu’un homme est plus grand qu’un ange sous un aspect, dans la mesure où la grâce qu’il possède lui mérite un rang plus élevé que certains anges.

 

[4494] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod apostoli immediate instruebantur a verbo incarnato, non quod essentiam verbi immediate viderent, quam tamen inferiores Angeli videbant; et ideo multo plura a verbo discebant quam etiam ipsi Angeli.

3. Les apôtres étaient instruits de manière immediate par le Verbe incarné, non pas qu’ils aient vu l’essence du Verbe de manière immédiate, que les anges inférieurs voyaient cependant. C’est pourquoi ils apprenaient du Verbe beaucoup plus de choses que les anges eux-mêmes.

 

[4495] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Paulus in illo raptu secundum quid participavit statum comprehensorum, non tamen tanta gloria perfectus fuit ut lumen in Angelos transfundere posset: quia, ut dicitur, factus est illius gloriae particeps miraculose quantum ad actum, et non quantum ad habitum, quod est lumen gloriae.

4. Par ce rapt, Paul a participé d’une certaine manière à l’état des bienheureux ; toutefois, il n’a pas été perfectionné par une gloire si grande qu’il pouvait communiquer une lumière aux anges, car, ainsi qu’on le dit, il est devenu participant de cette gloire de manière miraculeuse quant à l’acte, et non quant à l’habitus, qui est la lumière de gloire.

 

[4496] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Angelus ab homine per locutionem, quorumdam cognitionem accipere potest, eorum scilicet quae subduntur libero arbitrio hominis; sed talia non sunt mysteria incarnationis.

5. Par le langage, l’ange peut recevoir de l’homme la connaissance de certaines choses, à savoir, de celles qui sont soumises au libre arbitre de l’homme. Mais ces choses ne sont pas les mystères de l’incarnation.

 

 

 

 

Articulus 5 [4497] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 tit. Utrum inter Angelos possit esse pugna

Article 5 – Peut-il y avoir combat entre les anges ?

 

[4498] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod inter Angelos pugna esse non possit. Omnis enim discordia et pugna repugnat unitati caritatis. Sed Angeli sunt perfecti in caritate. Ergo inter eos pugna esse non potest.

1. Il semble qu’il ne puisse y avoir combat entre les anges. En effet, toute discorde et tout combat sont contraires à l’unité de la charité. Or, les anges ont une charité parfaite. Il ne peut donc y avoir de combast entre eux.

 

[4499] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, quicumque patrocinium praestant contrariis causis, ita se habent quod alter eorum injustam causam defendit. Sed hoc sanctis Angelis convenire non potest, quorum rectitudo confirmata, injustitiam non patitur. Ergo videtur quod non possint dici contrariis causis patrocinando pugnare.

2. Tous ceux qui accordent leur patronage à des causes contraires sont dans la position où l’un d’eux défend une cause injuste. Or, cela ne peut convenir aux anges saints, dont la droiture confirmée ne supporte pas d’injustice. Il semble donc qu’on ne puisse dire qu’ils sont en conflit parce qu’ils sont les patrons de causes contraires.

 

[4500] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, ubicumque est ordinata praelatio, non potest esse pugna vel contrarietas: quia hoc est contra rationem praelationis ut inferior superiori resistat. Sed Angeli ordinantur omnes secundum superius et inferius, ut prius dictum est, dist. 9, quaest. unic. art. 3. Ergo videtur quod unus alteri non repugnet.

3. Partout où existe une supériorité ordonnée, il ne peut exister de conflit ni de contrariété, car cela est contraire à la raison de supérorité qu’un inférieur résiste à un supérieur. Or, tous les anges sont ordonnés selon ce qui est supérieur et inférieur, comme on l’a dit plus haut, d. 9, q. unique, a. 3. Il semble donc que l’un ne s’oppose pas à l’autre.

 

[4501] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, cum nullus Angelus nitatur nisi ad hoc quod rectum sibi videtur, oportet si ad contraria nitatur, quod contrarias opiniones habeat. Sed contrariarum opinionum altera est falsa. Ergo aliquis Angelus habebit falsam opinionem. Hoc autem est falsum: quia falsitas in nobis appropriatur phantasiae, secundum philosophum in 4 Metaph., qua tamen Angeli carent. Ergo inter eos non potest esse pugna.

4. Puisque aucun ange ne tend que vers ce qui lui paraît droit, il est nécessaire, s’il tend vers des choses contraires, qu’il ait des opinions contraires. Or, l’une des opinions contraires est fausse. Un ange aura donc une opinion fausse. Or, cela est faux, car la fausseté chez nous est propre à l’imagination, selon le Philosophe, Métaphysique, IV, laquelle fait défaut aux anges. Il ne peut donc y avoir de conflit entre eux.

 

[4502] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra est quod habetur Daniel. 7, quod quatuor venti caeli repugnabant, per quos, secundum Glossam Hieronymi super eumdem locum, intelliguntur quatuor angelicae potestates, regnis principalibus praelatae. Ergo Angeli invicem repugnant.

Cependant, [1] Dn 7 dit le contraire, que les quatre vents du ciel combattaient ; selon une glose de Jérôme au même endroit, on entend par eux les quatre puissances angéliques établies sur les principaux royaumes. Les anges sont donc en conflit.

 

[4503] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 s. c. 2 Praeterea, hoc expresse habetur Danielis 10, 13, ubi Angelus ad eum loquens dixit: princeps Persarum restitit mihi viginti et uno diebus. Ergo videtur quod etiam longas concertationes ad invicem habeant.

[2] On lit expressément dans Dn 10, 13, où l’ange qui lui parle lui dit : Le prince des Perses m’a résisté pendant vingt et un jours. Il semble donc que [les anges] aient entre eux de longs conflits.

 

[4504] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod ista verba Danielis, unde tota dubitatio oritur, a sanctis diversimode exponuntur. Hieronymus enim dicit, quod ille princeps Persarum, qui restiterat liberationi populi, erat malus Angelus, Persis praelatus: sicut enim unicuique homini datur ad exercitium unus bonus et alter malus Angelus; ita singulis gentibus duo spiritus praeponuntur, unus bonus, et alter malus. Sed in hoc non est minor dubitatio. Constat enim quod Angelus Danieli loquens, bonus Angelus erat. Quomodo autem sibi efficaciter tot diebus malus Angelus restitisset, nisi justam causam haberet, non potest dici. Quod si justam habebat, etiam impossibile erat illam resistentiam multo magis per bonum Angelum fieri. Et ideo dicendum est cum Gregorio, quod uterque bonus Angelus fuit: quod etiam magis litterae consonat, quae in eadem locutionis serie principem Persarum nominat, et Michaelem principem Judaeorum, quem constat bonum Angelum esse. Haec autem pugna sic intelligenda est secundum Gregorium. Cum enim judicia Dei sint abyssus multa, profunditatem judiciorum ejus Angeli comprehendere non possunt: et ideo quid unicuique genti vel homini debeatur secundum dispositionem divinam non semper intelligunt, nisi eis reveletur. Contingit autem quandoque quod in diversis gentibus inveniantur diversa merita, secundum quorum diversitatem videtur quod una gens alteri subesse debeat, vel ab ejus dominio liberari, sicut tunc in Judaeis erat: quia Danielis oratio, quantum in se erat, liberationem populi merebatur; sed peccata populi, et etiam utilitas quam Judaei faciebant in regno Persarum, dum per eos Dei notitia diffundebatur, erant in contrarium. Et quia unusquisque Angelus secundum officium suum, ad examen divinae scientiae referebat merita sibi subditorum, ideo relatio contrariorum meritorum per diversos Angelos facta, sententiam divinam expectantes, pugna inter Angelos vocatur; et eorum concordia est in divinae illuminationis perceptione, per quam de divina voluntate instruuntur: hoc enim omnes concorditer volunt quod percipiunt Deum velle; unde dicitur Job 15, de Deo, quod facit concordiam in sublimibus.

Réponse. Ces paroles de Daniel, dont provient tout le doute, sont interprétées différemment par les saints. En effet, Jérôme dit que ce prince des Perses, qui avait résisté à la libération du peuple, était un ange mauvais placé à la tête des Perses. Ainsi, de même qu’à chaque homme sont donnés pour le mettre à l’épreuve un ange bon et un ange mauvais, de même, deux esprits sont-ils mis à la tête de chaque nation : un bon et un mauvais. Mais, sur ce point, il n’y a pas le plus petit doute. En effet, c’est un fait que l’ange qui parlait à Daniel était un ange bon. Comment un ange mauvais lui avait résisté pendant tant de jours, à moins qu’il n’ait eu une cause juste, on ne peut le dire. S’il avait une cause juste, il était aussi impossible que cette résistance ait été bien davantage le fait de l’ange bon. Aussi faut-il dire avec Grégoire que les deux étaient des anges bons. Cela s’harmonise aussi davantage avec le texte, qui, dans le même enchaînement du discours, nomme le prince des Perses et Michel, le prince des Juifs, dont il est avéré qu’il est un ange bon. Mais un tel conflit doit s’entendre ainsi selon Grégoire. En effet, puisque les jugements de Dieu sont des abîmes insondables, les anges ne peuvent comprendre la profondeur de ses jugements. C’est pourquoi ils ne comprennent pas toujours ce qui revient à une nation ou à un homme selon la disposition divine, à moins que cela ne leur soit révélé. Or, il arrive parfois que, chez diverses nations, se trouvent divers mérites ; selon leur diversité, il semble qu’une nation doive être soumise à une autre ou être libérée de sa domination, comme c’était alors le cas pour les Juifs, car la prière de Daniel méritait la libération du peuple par elle-même ; mais les péchés du peuple et aussi les services que les Juifs rendaient dans le royaume des Perses, alors que la connaissance de Dieu était répandue par eux, allaient en sens contraire. Et parce que chaque ange, selon sa fonction, soumettait au jugement de Dieu les mérites de ceux qui lui étaient soumis, le rapport des mérites contraires fait par divers anges, qui attendaient le jugement de Dieu, est appelé un conflit entre des anges ; et leur concorde se trouve dans la perception de l’illumination divine par laquelle ils sont instruits de la volonté divine. En effet, tous veulent d’un seul cœur ce qu’ils perçoivent être la volonté de Dieu. Aussi est-il dit en Jb 15, à propos de Dieu, qu’il établit la concorde dans les hauteurs.

 

[4505] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, secundum philosophum in 9 Ethic., amicitiae vel concordiae non repugnat diversitas opinionum, sed solum diversitas voluntatum: unde talis pugna quae est secundum judicia ex diversis meritis sumpta, non obstat unitati caritatis, cum voluntas eorum sit una, ut divina scilicet providentia expleatur.

1. Selon le Philosophe, Éthique, IX, la diversité des opinions ne s’oppose pas à l’amitié ou à la concorde, mais seulement la diversité des volontés. Le conflit qui vient de jugements tirés de divers mérites ne contrarie pas l’unité de la charité, puisqu’ils ont une seule volonté : que la providence divine soit accomplie.

 

[4506] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est inconveniens contrariarum causarum utramque aliquid justitiae habere; et secundum hoc utraque a bono defendi potest; et praecipue expectando divinam sententiam.

2. Il n’est pas inapproprié que chacune des causes contraires ait quelque chose de la justice ; sous cet aspect, les deux peuvent être défendues par un bon, surtout dans l’attente du jugement divin.

 

[4507] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ordo praelationis Angelorum perficitur per illuminationes divinitus receptas; et ideo ea recepta, unus alteri non obsistit.

3. L’ordre de supériorité des anges se réalise par des illuminations reçues de Dieu. Ainsi, une fois celles-ci reçues, l’un ne s’oppose pas à l’autre.

 

[4508] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis in Angelis non possit esse falsa opinio, potest tamen in eis esse quorumdam nescientia, ex hoc quod intellectus eorum propter potentialitatem admixtam, non omnino terminatur ad unum; et secundum quod eorum quae nesciunt, cognitionem a Deo vel superioribus Angelis expectant, interrogare in Scriptura dicuntur. Quia tamen ei quod nesciunt, per judicium non adhaerent, ideo falli non possunt; sed secundum contrarietatem rerum quae in judicium divinum veniunt, contrarietates inter eos memorantur.

4. Bien qu’il ne puisse pas exister d’opinion fausse chez les anges, peut cependant exister chez eux l’ignorance de certaines choses, du fait que leur intelligence, en raison de la puissance qui s’y mêle, n’est pas entièrement déterminée à une seule chose. Selon qu’ils attendent de Dieu ou d’anges supérieurs la connaissance de ce qu’ils ignorent, on dit dans l’Écriture qu’ils s’interrogent. Toutefois, parce qu’ils n’adhèrent pas par leur jugement à ce qu’ils ignorent, ils ne peuvent donc se tromper. Mais, selon le caractère contraire des choses qui sont soumises au jugement de Dieu, les oppositions entre eux sont rappelées.

 

 

 

 

Articulus 6 [4509] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 tit. Utrum ordines durabunt post diem judicii

Article 6 – Les ordres [des anges] dureront-ils au-delà du jour du jugement ?

 

[4510] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod ordines post diem judicii non durabunt. Dicitur enim 1 Corinth. 15, quod cum Christus tradiderit regnum Deo et patri, evacuabit omnem principatum et potestatem. Hoc autem erit in resurrectione. Ergo videtur quod eadem ratione alios ordines evacuabit.

1. Il semble que les ordres [des anges] ne dureront pas au-delà du jour du jugement. En effet, il est dit en 1 Co 15 que, lorsque le Christ aura remis le royaume à Dieu et au Père, il éliminera toute Principauté et Puissance. Or, cela se produira lors de la résurrection. Il semble donc que, pour la même raison, il éliminera les autres ordres.

 

[4511] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 arg. 2 Praeterea, quidam ordines actum proprium habent in directione divinorum; sicut principes, ut praesint regnis et provinciis; et Angeli, ut custodiant homines. Sed ista ministeria cessabunt post diem judicii. Ergo et ordines.

2. Certains ordres ont un acte propre dans le gouvernement des réalités divines; ainsi, les Principautés, en régnant sur les royaumes et les provinces ; et les anges, en gardant les hommes. Or, ces ministères cesseront après le jour du jugement. Donc, les ordres aussi.

 

[4512] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 arg. 3 Praeterea, major perfectio erit in Angelis quam in corporibus inferioribus. Sed in corporibus post diem judicii non erit actio, quia cessabit motus primi mobilis, et hoc propter perfectionem universi. Ergo multo minus in Angelis. Sed hierarchia est scientia et actio. Ergo non erunt hierarchiae et ordines post diem judicii.

3. Les anges auront une plus grande perfection que les corps inférieurs. Or, il n’y aura pas d’action dans les corps après le jour du jugement, car le mouvement du premier mobile cessera, et cela, en raison de la perfection de l’univers. Encore bien moins, donc, chez les anges. Or, la hiérarchie est science et action. Il n’y aura donc pas de hiérarchies ni d’ordres après le jour du jugement.

 

[4513] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 arg. 4 Praeterea, post diem judicii, Angeli in cognitione non proficient. Sed per purgationem et illuminationem superiorum inferiores proficiunt in cognitione, ut dictum est. Ergo non erit illuminatio et purgatio; et ita nec hierarchiarum et ordinum distinctio.

4. Après le jour du jugement, les anges ne progresseront pas dans la connaissance. Or, par la purification et l’illumination des [anges] supérieurs, les [anges] inférieurs progressent dans la connaissance, comme on l’a dit. Il n’y aura donc pas d’illumination et de purification, et ainsi pas de distinction entre les hiérarchies et les ordres.

 

[4514] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 s. c. 1 Sed contra, homines assumuntur ad ordines Angelorum. Sed frustra esset tam distincta et ordinata assumptio, si completo numero electorum, ordinata distinctio esse desineret. Ergo videtur quod ordines post diem judicii remanebunt.

Cependant, [1] les hommes sont intégrés aux ordres des anges. Or, une intégration si nette et ordonnée serait vaine si, une fois complété le nombre des élus, une distinction ordonnée cessait d’exister. Il semble donc que les ordres demeureront après le jour du jugement.

 

[4515] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 s. c. 2 Praeterea, ad distinctionem ordinum duo concurrunt, scilicet gradus naturae et distantia gratiae. Sed utrumque remanebit post diem judicii. Ergo et ordinum distinctio.

[2] Deux choses concourent à la distinction entre les ordres : les degrés de la nature et la distance dans la grâce. Or, les deux choses demeureront après le jour du jugement. Donc, aussi la distinction entre les ordres.

 

[4516] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod distinctio ordinum et hierarchiarum caelestium potest considerari vel quantum ad essentialia hierarchiae et ordinis, et sic semper erit, quia semper manebunt distincti gradus naturae in Angelis et diversae sortes gloriae et etiam actiones hierarchiae, quia unus alium illuminabit, purgabit, et perficiet: vel quantum ad actum consequentem, secundum quod mediantibus ordinibus Angelorum homines reducuntur in Deum; et quantum ad hoc praelatio ordinum cessabit, cessante statu viatorum.

Réponse. La distinction des ordres et des hiérarchies célestes peut être considérée soit du point de vue des aspects essentiels de la hiérarchie et de l’ordre, et ainsi, elle demeurera toujours, puisque les degrés distincts de la nature chez les anges, les diverses participations à la grâce et même les actions de la hiérarchie demeureront, alors que l’un illuminera, purifiera et perfectionnera l’autre ; soit du point de vue de l’acte qui en découle, selon que, par l’intermédiaire des ordres des anges, les hommes sont ramenés à Dieu, et ainsi la supériorité entre les ordres cessera, lorsque cessera l’état de ceux qui sont en chemin.

 

[4517] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum: quia secundum hoc ultimum intelligitur auctoritas.

1. Ainsi ressort clairement la réponse au premier argument, car l’autorité s’entend de ce dernier point.

 

[4518] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actus essentialis ordinum est principaliter in receptione divini luminis, et consequenter in transfusione ejusdem in inferiores; sed quod hoc ordinetur ad reductionem hominum viatorum, accidit ipsis ordinibus; unde cessante statu viae, non oportet quod cesset distinctio ordinum. Nihilominus tamen remanebit modus recipiendi divinum lumen, proportionatum statui viatorum reducendorum, si essent.

2. L’acte essentiel des ordres consiste principalement à recevoir la lumière divine et, ensuite, à la verser chez les inférieurs. Mais le fait que cela soit ordonné au retour des hommes en chemin est accidentel aux ordres. Aussi, lorsque cessera l’état de cheminement, il n’est pas nécessaire que cesse la distinction des ordres. Néanmoins, demeurera la manière de recevoir la lumière divine proportionnée à l’état de ceux qui sont en chemin et doivent être ramenés, s’il y en avait.

 

[4519] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actio corporum quae est per motum, tolletur, quia motus cessabit et omnis imperfectio evacuabitur; sed actio quae est sine motu, manebit: semper enim sol illuminabit inferiorem aerem: ita etiam et actiones hierarchicae, quae sine motu sunt, post diem judicii remanebunt.

3. L’action des corps qui se réalise par le mouvement sera écartée, car le mouvement cessera et toute imperfection sera éliminée ; mais l’action qui existe sans mouvement demeurera. En effet, le soleil éclairera toujours l’air inférieur ; de même aussi, les actions hiérarchiques, qui existent sans mouvement, demeureront-elles après le jour du jugement.

 

[4520] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 ad 4 Per hoc etiam patet responsio ad quartum: quia si non sit illuminatio et purgatio ordinata ad quorumdam novorum cognitionem per modum profectus et motus cujusdam, erit tamen continuatio illuminationis, secundum quod inferiores in lumine superiorum, rationes secretorum divinorum cognoscent.

4. La réponse au quatrième argument ressort ainsi clairement, car, s’il n’y a pas d’illumination et de purification ordonnées à la connaissance de choses nouvelles par mode de progrès et d’un certain mouvement, toutefois continuera l’illumination, par laquelle les inférieurs connaîtront les raisons des secrets divins par la lumière des supérieurs.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 11, q. 2, a. 6

 

[4521] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 expos. Dicit enim Isaias ex persona Angelorum (...) quis est iste qui venit de Edom, tinctis vestibus de Bosra? Hanc quaestionem Dionysius dicit esse superiorum Angelorum expectantium ab ipso Christo illuminari de secretis mysteriis suae incarnationis: non tamen ipsi Christo quaestionem proponunt, sed sibi invicem, ad significandum reverentiam eorum ad Christum; sicut discipuli mutuo disputantes determinationem Magistri expectant. Quid est quod illi nesciant qui scientem omnia sciunt? Hoc, sicut dicit Magister, potest intelligi de his quae ad beatitudinem pertinent: vel etiam quia nihil est ad cujus cognitionem medium illud non sufficiat, scilicet divina essentia: unde non est ex defectu ejus ut aliquid lateat ipsam videntem, sed ex defectu videntis, qui ipsam perfecte non comprehendit. Quanto autem intellectus videntis perspicacior est, tanto plura in ipsa videt; ad altiorem autem perspicacitatis gradum non nisi dono ipsius Dei visi ascendit: quod quidem non communicat necessitate, sed voluntate: et ideo dicitur illud speculum voluntarium esse, ut in se hoc solum quod vult ostendat.

 

 

 

 

 

Distinctio 12

Distinction 12 – [Les êtres corporels]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Les êtres corporels ont-ils une seule matière ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[4522] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 pr. In parte praecedenti determinavit Magister de natura pure corporali, quantum pertinet ad theologi considerationem, scilicet secundum quod a Deo in operibus sex dierum primitus instituta est. Dividitur autem in partes tres: in prima determinat institutionem corporalis naturae, quantum ad opus creationis; in secunda quantum ad opus distinctionis, 13 dist., ibi: prima autem distinctionis operatio fuit formatio lucis; in tertia quantum ad opus ornatus, 15 dist., ibi: sequitur: dixit Deus: fiant luminaria in firmamento caeli. Prima in duas: in prima determinat de opere creationis secundum se; in secunda per comparationem ad alia opera, ibi: nunc superest ut dispositionem illam qualiter perfecta sit ordine persequamur. Prima in duas: in prima ponit diversas opiniones de opere creationis; in secunda sequitur propositum secundum alteram illarum, ibi: secundum hanc itaque traditionem, ordinem atque modum creationis formationisque rerum inspiciamus. Circa primum duo facit: primo dicit de quo est intentio, et tangit opinionum diversitatem; secundo explicat eas, ibi: quidam namque sanctorum patrum (...) super hoc quasi adversa scripsisse videntur. Secundum hanc utique traditionem, ordinem atque modum creationis formationisque rerum inspiciamus. Hic prosequitur opus creationis secundum alteram dictarum opinionum; et circa hoc duo facit: primo manifestat creationem materiae primo creatae quantum ad nomen quo in Scripturis nominatur; secundo quantum ad ipsius conditionem, ibi: de qua prius quam tractemus, duo nobis discutienda occurrunt. Circa primum duo facit: primo manifestat propositum; secundo dubitationem excludit, ibi: attende quod hic dicit Augustinus, tenebras non esse aliquid. De qua prius quam tractemus, duo nobis discutienda sunt. Hic ostendit materiae primo creatae conditionem: et primo quantum ad formam; secundo quantum ad locum, ibi: nunc superest quod secundo proponebatur explicare. Nunc superest ut dispositionem illam qualiter perfecta sit, ordine prosequamur. Hic determinat de opere creationis per comparationem ad alia opera; et circa hoc duo facit: primo ponit operis universalitatem; secundo ponit divinorum operum distinctionem, ibi: quatuor enim modis (...) operatur Deus. Circa partem istam quinque quaeruntur: 1 utrum omnium corporalium sit una materia; 2 utrum omnia corpora sint simul creata in speciebus suis distincta; 3 si simul distinctionem receperunt, quomodo accipiendi sunt dies qui in principio Genesis numerantur; 4 si non simul distincta sunt, qualis fuit illa informis materia; 5 de numero quatuor coaevorum.

Dans la partie précédente, le Maître a déterminé de la nature purement corporelle, pour autant qu’elle relève de la considération du théologien, à savoir, selon qu’elle a été créée par Dieu à l’origine dans les œuvres des six jours. Il y a trois parties. Dans la première, il détermine de la création de la nature corporelle pour ce qui est de l’action créatrice. Dans la deuxième, pour ce qui est de la l’action qui a différencié [les réalités corporelles], d. 13, à cet endroit : « La première action de différenciation a été la formation de la lumière. » Dans la troisième [partie], pour ce qui est de l’action d’embellissement, d. 15, à cet endroit : « Vient ensuite : ‘‘Dieu dit : ‘Qu’apparaissent les luminaires dans le firmament du ciel’’. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’œuvre de la création en elle-même ; dans la seconde, par comparaison avec d’autres œuvres, à cet endroit : « Il nous reste donc maintenant à chercher comment cette disposition est parfaite dans son ordre. » La première partie se divise en deux : dans la première, il présente diverses opinions sur l’œuvre de la création ; dans la seconde, il poursuit son propos selon l’une d’entre elles, à cet endroit : « Examinons l’ordre et le mode de la création et de la formation selon cet enseignement. » À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il dit sur quoi porte son intention et aborde la diversisté des opinions. Deuxièmement, il les explique, à cet endroit : « Car certains des saints pères… semblent avoir écrit des choses opposées sur ce sujet. » « Examinons l’ordre et le mode de la création et de la formation selon cet enseignement. » Ici, il poursuit [l’examen] de l’œuvre de la création selon l’une des opinions rappelées et, à ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre la création de la matière créée à l’origine du point de vue du nom qu’elle porte dans les Écritures ; deuxièmement, du point de vue de sa condition, à cet endroit : « Avant d’en traiter, deux choses doivent être discutées. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il révèle son propos ; deuxièmement, il écarte un doute, à cet endroit : « Remarque qu’ici, Augustin dit que les ténèbres ne sont pas une chose. » « Avant d’en traiter, deux choses doivent être discutées. » Ici, il montre la condition de la matière créée à l’origine. Premièrement, du point de vue de sa forme ; deuxièmement, du point de vue du lieu, à cet endroit : « Il reste maintenant ce qu’on se proposait d’expliquer en second. » « Il nous reste donc maintenant à chercher comment cette disposition est parfaite dans son ordre. » Ici, [le Maître] détermine de l’œuvre de la création par comparaison avec d’autres œuvres. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il présente l’universalité de l’œuvre ; deuxièmement, il présente la distinction entre les œuvres de Dieu, à cet endroit : « En effet, Dieu agit… de quatre manières. » À propos de cette partie, cinq questions sont posées : 1. Les êtres corporels ont-ils une seule matière ? 2. Tous les corps ont-ils été créés en même temps, différenciés selon leurs espèces ? 3. S’ils ont été différenciés en même temps, comment faut-il concevoir les jours qui sont énumérés au début de la Genèse ? 4. S’ils n’ont pas été distingués en même temps, quel était l’état de cette matière informe ? 5. À propos de quatre choses [créées] en même temps.

 

 

 

 

Articulus 1 [4523] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 tit. Utrum omnium corporalium sit eadem materia

Article 1 – Les êtres corporels ont-ils une seule matière ?

 

[4524] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod omnium corporalium sit materia una. Quorumcumque enim est forma unius rationis, eorum est una materia communis, eo quod proprius actus in propria potentia fit, ut dicit philosophus. Sed forma corporeitatis est unius rationis in omnibus corporibus. Ergo videtur quod una materia sit superiorum et inferiorum corporum.

1. Il semble qu’il y ait une seule matière pour toutes les réalités corporelles. En effet, tout ce dont la forme relève d’une seule raison possède une matière commune du fait que l’acte propre se réalise dans une puissance propre, comme le dit le Philosophe. Or, la forme de la corporéité possède une seule raison dans tous les corps. Il semble donc qu’il n’y ait qu’une seule matière pour les corps supérieurs et les corps inférieurs.

 

[4525] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, in littera dicitur, quod ex materia informi primo creata omnia corpora, in formas distinctas formata sunt per opus distinctionis et ornatus. Ergo omnium corporum est una materia.

2. On dit dans le texte que tous les corps ont été créés à l’origine à partir d’une matière informe et qu’ils ont été formés selon des formes distinctes par l’œuvre de différenciation et d’embellissement. Il n’y a donc qu’une seule matière pour tous les corps.

 

[4526] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea quorumcumque est resolutio actu vel intellectu in unum et idem sicut in subjectum primum, eorum est materia una. Sed omnia corpora sunt hujusmodi. Ergo et cetera. Probatio mediae. Illud in quo stat ultima resolutio omnium, est simplex materia sine aliqua forma: quia quamdiu invenitur aliqua forma in materia, contingit ulterius resolvere. Sed in materia quae est sine omni forma, non est aliqua diversitas: quia principium distinctionis materiae est ex parte formae. Ergo omnium corporum resolutio stat in uno ultimo.

3. Tout ce qui se ramène par un acte ou par l’intellect à une seule et même chose comme à un sujet premier, possède une seule matière. Or, tous les corps sont de cette sorte. Donc, etc. Démonstration de la mineure. Ce à quoi se ramènent toutes choses est la simple matière sans aucune forme, car aussi longtemps qu’on trouve une forme dans la matière, il faut remonter encore plus loin. Or, dans la matière qui est sans forme, il n’existe pas de diversité, car le principe de différenciation de la matière vient de la forme. Pour tous les corps, il faut donc remonter à quelque chose d’unique.

 

[4527] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, philosophus in 1 Phys., unam tantum materiam primam ponit. Cum ergo in illo Lib. de mobili in communi determinetur, videtur quod omnium corporum mobilium sit una materia.

4. Dans Physique, I, le Philosophe affirme qu’il n’existe qu’une seule matière première. Puisque, dans ce livre, on détermine de ce qui est mobile d’une manière générale, il semble donc qu’il n’existe qu’une seule matière pour tous les corps mobiles.

 

[4528] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, secundum philosophum in 2 Met., necesse est imaginari materiam in re mota. Ergo quaecumque conveniunt in aliquo motu, videntur in materia convenire. Sed loci mutatio communis est superioribus et inferioribus corporibus. Ergo et materia.

5. Selon le Philosophe, Métaphysique, II, il est nécessaire d’imaginer la matière dans une chose qui est mue. Donc, tout ce qui a un mouvement en commun semble avoir la matière en commun. Or, le changement de lieu est commun aux corps supérieurs et aux corps inférieurs. Donc, la matière aussi.

 

[4529] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, quorumcumque non est una potentia, nec una materia: quia sicut forma est actus, ita materia est potentia. Sed corporum inferiorum et superiorum non est potentia eadem: quia, secundum philosophum, in inferioribus est potentia ad esse, sed in superioribus tantum ad ubi. Ergo videtur quod non eorum tantum sit una materia.

Cependant, [1] tout ce qui ne possède qu’une seule puissance ne possède aussi qu’une seule matière, car de même que la forme est acte, la matière est puissance. Or, la puissance des corps inférieurs et des corps supérieurs n’est pas la même, car, selon le Philosophe, dans les corps inférieurs, la puissance est ordonnée à l’acte d’être, mais, dans les corps supérieurs, elle n’est ordonnée qu’au lieu. Il semble donc qu’ils n’aient pas une seule matière.

 

[4530] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in quocumque invenitur aliquid, oportet invenire illud a quo nunquam separatur. Sed materia prima quae est in inferioribus, nunquam separatur a privatione formae: quia quandocumque est sub forma una, adjungitur sibi privatio formae alterius; privatio autem adjuncta materiae, inducit corruptibilitatem. Ergo videtur quod materia prima inferiorum corporum non inveniatur in corporibus caelestibus per suam naturam incorruptibilibus.

[2] En tout ce en quoi se trouve quelque chose, il est nécessaire que se trouve ce dont cela n’est jamais séparé. Or, la matière première qui se trouve dans les [corps] inférieurs n’est jamais séparée de la privation de la forme, car dès qu’elle est existe sous une forme, la privation d’une autre forme lui est associée. Or, la privation associée à la matière entraîne la corruptibilité. Il semble donc que la matière première des corps inférieurs ne se trouve pas dans les corps célestes, incorruptibles par leur nature.

 

[4531] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod super hoc invenitur duplex philosophorum opinio, quarum utraque sectatores habet. Avicenna enim, videtur ponere unam materiam esse omnium corporum, argumentum ex ratione corporeitatis assumens, quae cum sit unius rationis, una sibi materia debetur. Hanc autem positionem Commentator improbare intendit in Princ. caeli et mundi et in pluribus aliis locis, ex eo quod cum materia, quantum in se est, sit in potentia ad omnes formas, nec possit esse sub pluribus simul, oportet quod secundum quod est sub una inveniatur in potentia ad alias. Nulla autem potentia passiva invenitur in natura cui non respondeat aliqua potentia activa, potens eam in actu reducere; alias talis potentia frustra esset. Unde cum non inveniatur aliqua potentia naturalis activa quae substantiam caeli in actum alterius formae reducat, quia non habet contrarium, sicut motus ostendit, quia motui naturali ejus, scilicet circulari, non est aliquid contrarium, ut dicitur in 1 caeli et mundi, oportet quod in ipso nihil inveniatur de materia prima inferiorum corporum. Nec potest dici, quod materiae prout est sub forma caeli, tota potentia terminetur, ita quod nihil remaneat in eadem potentia ad aliam formam; non enim terminatur potentia nisi per adeptionem formae, ad quam erat in potentia; unde, cum materia prima secundum se considerata sit in potentia ad omnes formas naturales, non poterit tota ejus potentia terminari nisi per adeptionem omnium formarum. Non enim una forma recepta in materia (etiam si sit nobilior et magis perfecta) tollit potentiam ad formam aliam minus nobilem; materia enim sub forma ignis existens, adhuc remanet in potentia ad formam terrae. Unde etsi forma caeli sit nobilissima, nihilominus tamen, recepta in materia prima, non terminabit totam potentiam ejus, nisi simul cum ipsa recipiantur omnes aliae formae; quod est impossibile. Et praeterea si poneretur quod forma caeli per suam perfectionem, totam materiae potentiam terminaret, adhuc oporteret quod materia stans sub forma elementari, esset in potentia ad formam caeli, et reduceretur in actum per actionem virtutis caelestis; et ita caelum esset generabile et corruptibile. Et ideo ipse vult, quod nullo modo in materia conveniant superiora et inferiora corpora: et hoc videtur probabilius, et magis consonum dictis philosophi. Nec dico, sicut quidam dicunt, quod conveniunt in materia, si sumatur pro fundamento primo, quod nec est album nec est nigrum, ut dicitur in 1 Metaph., sed differunt in materia, secundum quod materia determinatur per motum: diversitas enim motus est signum diversitatis materiae, et non causa, sed e converso: quia motus est actus existentis in potentia; unde oportet quod ubi invenitur una materia per essentiam, inveniatur potentia respectu ejusdem motus, secundum quod materia est in potentia ad plura.

Réponse. Sur ce point, il existe deux opinions des philosophes, dont chacune a ses partisans. En effet, Avicenne semble affirmer qu’il n’existe qu’une seule matière pour tous les corps, en argumentant à partir de la raison de corporéité qui, ayant une seule raison, ne doit recevoir qu’une seule matière. Mais le Commentateur entend repousser cette position dans Les principes du ciel et du monde et en plusieurs autres endroits, du fait que la matière, étant par elle-même en puissance à toutes les formes et ne pouvant exister sous plusieurs en même temps, il est nécessaire que, lorsqu’elle existe sous l’une, elle soit en puissance aux autres. Or, aucune puissance passive n’existe dans la nature, à laquelle ne corresponde pas une puissance active qui puisse l’amener à l’acte, autrement une telle puissance serait inutile. Puisqu’on ne trouve aucune puissance naturelle active qui amène la substance du ciel à l’acte d’une autre forme, comme le montre son mouvement ‑ car celui-ci n’a pas de contraire : en effet, son mouvement circulaire naturel n’a pas de contraire, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I ‑, il faut qu’on ne trouve en lui rien de la matière première des corps inférieurs. Et on ne peut pas dire que toute la matière ait comme terme la matière telle qu’elle existe sous la forme du ciel, de telle sorte qu’il ne reste rien dans cette même matière qui soit ordonné à une autre forme – en effet, la puissance n’a de terme que par la réception de la forme à laquelle elle était en puissance ; puisque la matière première considérée en elle-même est en puissance à toutes les formes naturelles, toute sa puissance n’aura de terme que par la réception de toutes les formes. En effet, une seule forme reçue dans la matière (même si elle est plus noble et plus parfaite) n’enlève pas la puissance à une forme moins noble, car la matière qui existe sous la forme du feu demeure en puissance à la forme de la terre. Même si la forme du ciel est la plus noble, elle ne mettra cependant pas de terme à la puissance tout entière en étant reçue dans la matière première, à moins que ne soient reçues en elle en même temps toutes les autres formes, ce qui est impossible. De plus, si on affirmait que la forme du ciel, en raison de sa perfection, mettait un terme à toute la puissance de la matière, il faudrait encore que la matière qui existe sous une forme élémentaire soit en puissance à la forme du ciel et soit ramenée à l’acte par l’action de la puissance céleste ; et ainsi, le ciel serait susceptible de génération et de corruption. C’est pourquoi [le Commentateur] veut que les corps supérieurs et les corps inférieurs ne se rejoignent d’aucune manière par la matière. Ét cela semble plus probable et plus en harmonie avec ce que dit le Philosophe. Je ne dis pas, comme certains le disent, qu’ils se rejoignent dans la matière, si elle est considérée comme le fondement premier, qui n’est ni blanc ni noir, comme il est dit dans Métaphysique, I ; mais ils diffèrent par la matière selon que la matière est déterminée par le mouvement. En effet, la diversité de mouvement est le signe d’une diversité de matière, et non pas sa cause, mais c’est plutôt l’inverse, car le mouvement est l’acte de ce qui est en puissance. Aussi est-il nécessaire que là où l’on trouve une seule matière par essence, on trouve une puissance par rapport à ce même mouvement, en quoi la matière est en puissance à plusieurs choses.

 

[4532] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corporeitas secundum intentionem logicam univoce in omnibus corporibus invenitur; sed secundum esse considerata, non potest esse unius rationis in re corruptibili et incorruptibili: quia non similiter se habent in potentia essendi, cum unum sit possibile ad esse et ad non esse, et alterum non: et per modum istum dicit philosophus in 10 Metaph., quod de corruptibili et incorruptibili nihil commune dicitur, nisi communitate nominis; et per hoc Commentator ibidem hanc rationem solvit.

1. La corporéité, selon son intention logique, se trouve de manière univoque dans tous les corps ; mais considérée selon son être, elle ne peut avoir une seule raison dans une chose corruptible et dans une chose incorruptible, car elles n’ont pas le même rapport à la puissance d’être, puisque l’une est en puissance à l’être et au non-être, et l’autre, non. De cette manière, le Philosophe dit, Métaphysique, X, qu’on ne dit rien de commun pour ce qui est corruptible et pour ce qui est incorruptible, sinon en raison de la communauté de nom. Au même endroit, c’est ainsi que le Commentateur résout cet argument.

 

[4533] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut omnes res, prout modo sunt in suo complemento, dicuntur unus mundus, vel unum universum; ita etiam, prout erant informes ex defectu ultimi complementi, dicebantur una materia informis; non quidem per continuitatem, tamquam omnia ex una materia numero facta sint.

2. De même que toutes les choses, telles qu’elles existent maintenant dans leur achèvement, sont appelées un seul monde ou un seul univers, de même aussi, pour autant qu’elles étaient sans forme en l’absence de leur achèvement ultime, étaient-elles appelées une seule matière informe, mais non en raison de leur caractère continu, comme si toutes étaient individuellement faites d’une seule matière.

 

[4534] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum Avicennam, non est quaerenda differentia per aliquos actus nisi in illis quae in una potentia conveniunt: species enim quae conveniunt in una potentia generis, distinguuntur specificis differentiis; sed ipsae differentiae quae non conveniunt in genere, sic quod genus sit pars essentiae earum, seipsis distinguuntur: similiter etiam genera generalissima non dividuntur aliquibus differentiis, sed seipsis: similiter etiam composita quae conveniunt in materia distinguuntur per formas diversas; sed diversae materiae seipsis distinguuntur secundum analogiam ad diversos actus, prout in eis diversa ratio possibilitatis invenitur.

3. Selon Avicenne, il ne faut chercher de différence selon des actes que dans les choses qui se rejoignent dans une seule puissance. En effet, les espèces qui se rejoignent dans la seule puissance d’un genre se distinguent par des différences spécifiques ; mais les différences elles-mêmes, qui ne se rejoignent pas dans un genre, de telle sorte que le genre soit une partie de leur essence, se distinguent par elles-mêmes. De même, les genres les plus généraux ne sont pas divisés par des différences, mais par eux-mêmes. De même encore, les choses composées, qui ne se rejoignent pas dans une matière, se distinguent selon des formes différentes. Mais les matières différentes se distinguent par elles-mêmes par analogie avec les différents actes, pour autant qu’on y trouve une raison différente de puissance.

 

[4535] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod philosophus in libris Phys. nondum probaverat esse quintam essentiam, quod in principio caeli et mundi demonstrat; et ideo in libris Phys. nihil determinat de his quae sunt propria illi essentiae, propter quod etiam tractatum de infinito replicat, ut Commentator in 1 caeli et mundi recitat.

4. Dans les livres de la Physique, le Philosophe n’avait pas démontré qu’existe une quinte essence, ce qu’il démontre au début de Sur le ciel et le monde. C’est pourquoi, dans les livres de la Physique, il ne détermine en rien de ce qui est propre à cette essence, raison pour laquelle il répète le traité sur l’infini, comme le raconte le Commentateur dans Sur le ciel et le monde, I.

 

[4536] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut in 1 de Gen. dicitur, materia est immediate subjectum generationis et corruptionis; aliorum autem motuum per prius et posterius, tanto plus quanto illud secundum quod est mutatio, majorem perfectionem motus praesupponit: et ideo in illis tantum est unitas materiae primae quae in generatione et corruptione conveniunt, et per consequens etiam illa quae conveniunt in tribus motibus, scilicet augmento et diminutione et alteratione, secundum quod augmentum et diminutio non est sine generatione et corruptione, quae etiam alterationis terminus est. Sed loci mutatio, ut in 8 Phys. probatur, est maxime perfecta, quia nihil variat de eo quod est intraneum rei; unde subjectum hujus motus est ens completum in esse primo, et in omnibus proprietatibus intraneis rei; et talis motus convenit corpori caelesti; et ideo materia ejus est sicut subjectum completum in istis inferioribus, ut dicit Commentator in Lib. de substantia orbis; unde remanet communitas materiae secundum analogiam tantum.

5. Comme on le dit dans Sur la génération, I, la matière est de manière immédiate le sujet de la génération et de la corruption ; mais [elle est le sujet] des autres mouvements selon l’avant et l’après, et davantage lorsque ce par quoi se réalise le changement présuppose une plus grande perfection du mouvement. C’est pourquoi l’unité de la matière première n’existe que dans ce qui a en commun la génération et la corruption et, par conséquent, dans ce qui a en commun les trois mouvements : l’augmentation, la diminution et l’altération, selon que l’augmentation et la diminution n’existent pas sans génération ni corruption, qui sont aussi le terme de l’altération. Mais le changement de lieu, comme on le démontre dans Physique, VIII, est le plus parfait, car il ne change rien de ce qui est intrinsèque à une chose. Aussi le sujet de ce mouvement est-il un être achevé dans son acte d’être primaire et dans toutes les propriétés intrinsèques à une chose. C’est un tel mouvement qui convient au corps céleste. Aussi sa matière est-elle comme un sujet complet chez ces corps inférieurs, comme le dit le Commentateur dans le livre Sur la substance des sphères. Il ne reste donc de matière commune que par analogie seulement.

 

 

 

 

Articulus 2 [4537] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 tit. Utrum omnia sint creata simul, et distincta per species

Article 2 – Toutes les choses ont-elles été créées simultanément, différenciées selon les espèces ?

 

[4538] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod omnia sint simul creata, et distincta per species. Primo per hoc quod habetur Eccle. 18, 1: qui vivit in aeternum, creavit omnia simul.

1. Il semble que tout ait été créé en même temps, et différencié selon les espèces. Premièrement, du fait qu’on lit dans Si 18, 1 : Celui qui vit pour l’éteernité a tout créé en même temps.

 

[4539] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, magis distat spiritualis et corporalis creatura, quam duae corporales. Sed spiritualis et corporalis simul facta esse ponuntur. Ergo multo fortius omnes corporales.

2. Il y a une plus grande distance entre une créature spirituelle et une créature corporelle qu’entre deux créatures corporelles. Or, on affirme que la créature spirituelle et la créature corporelle ont été créées en même temps. À bien plus forte raison, donc, toutes les créatures corporelles.

 

[4540] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ut dicitur Deut. 32, 4, Dei perfecta sunt opera; nec potest esse ratio quare perfectio ad tempus differretur, quam creatura per se consequi non poterat, nec ab alio nisi a Deo. Cum ergo creaturae secundum suas perfectiones in species distinguantur, videtur quod a principio sub distinctione specierum creata sint omnia.

3. Comme il est dit dans Dt 32, 4 : Les œuvres de Dieu sont parfaites, et il ne peut y avoir de raison pour laquelle la perfection qu’une créature pouvait atteindre par elle-même serait différée pour un temps, ni par un autre que Dieu. Puisque les créatures se différencient par les espèces selon leurs perfections, il semble donc que toutes les choses ont été créées dès le début, différenciées selon les espèces.

 

[4541] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, opus creationis divinam potentiam manifestat. Sed potentiam agentis minus demonstrat effectus successive completus quam subito in sua perfectione productus. Ergo videtur quod a principio omnia simul distincta sint.

4. L’œuvre de la création manifeste la puissance divine. Or, l’effet réalisé par succession manifeste moins la puissance d’un agent que s’il est produit d’un coup dans son état parfait. Il semble donc que toutes choses aient été différenciées dès le début.

 

[4542] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, constat quod Deus totum opus unius diei in uno momento produxit. Ergo videtur ridiculum dicere, quod in toto die ab operando cessaverit usque ad principium alterius diei, quasi ex opere lassatus. Ergo videtur quod non per successiones dierum creaturae distinctae sint, sed a principio creationis.

5. Il apparaît que Dieu a produit toute l’œuvre d’un jour en un seul moment. Il semble donc ridicule de dire qu’il aura cessé d’agir pendant toute une journée jusqu’au début de l’autre jour, comme s’il était fatigué. Il semble donc que les créatures n’ont pas été différenciées selon des successions de jours, mais dès le début de la création.

 

[4543] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, partes universi dependent ab invicem, et praecipue inferiores a superioribus. Sed eorum quae dependent ab invicem, unum non est sine altero. Ergo videtur inconvenienter dici quod primo fuerit aqua et terra, et postmodum stellae factae sint.

6. Les parties de l’univers dépendent l’une de l’autre, et surtout les parties inférieures [dépendent-elles] des parties supérieures. Or, une chose n’existe pas sans l’autre parmi celles qui dépendent les unes des autres. Il semble donc qu’on dise de manière inappropriée qu’il y eut d’abord l’eau et la terre, et ensuite que les étoiles ont été créées.

 

[4544] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 7 Sed contra, Augustinus dicit, quod major est hujus Scripturae auctoritas quae habetur in principio Genesis, quam omnis humani ingenii perspicacitas. Sed ibi scriptum est, per senarium dierum creaturas distinctas esse. Ergo videtur quod ita necessarium sit ponere.

[7] Augustin dit que l’autorité de l’Écriture, qu’on lit au début de la Genèse, est plus grande que la perspicacité de tout génie humain. Or, il est écrit en cet endroit que les créatures ont été différenciées sur six jours. Il semble donc qu’il soit nécessaire d’affirmer qu’il en est ainsi.

 

[4545] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, natura imitatur operationem creatoris. Sed in operatione naturali est processus de imperfecto ad perfectum. Ergo videtur quod etiam in operatione creatoris; et ita videtur quod non omnia simul distincta sint in ipso creationis principio.

[8] La nature imite l’action du Créateur. Or, dans l’opération naturelle, on passe de l’imparfait au parfait. Il semble donc qu’il en est aussi de même dans l’œuvre du Créateur. Ainsi, il semble que toutes les choses n’aient pas été différenciées en même temps au début même de la création.

 

[4546] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quae ad fidem pertinent, dupliciter distinguuntur. Quaedam enim sunt per se substantia fidei, ut Deum esse trinum et unum, et hujusmodi: in quibus nulli licet aliter opinari; unde apostolus ad Gal. 1, dicit, quod si Angelus Dei aliter evangelizaverit quam ipse docuerat, anathema sit. Quaedam vero per accidens tantum, inquantum scilicet in Scriptura traduntur, quam fides supponit spiritu sancto dictante promulgatam esse: quae quidem ignorari sine periculo possunt ab his qui Scripturas scire non tenentur, sicut multa historialia: et in his etiam sancti diversa senserunt, Scripturam divinam diversimode exponentes. Sic ergo circa mundi principium aliquid est quod ad substantiam fidei pertinet, scilicet mundum incepisse creatum, et hoc omnes sancti concorditer dicunt. Quo autem modo et ordine factus sit, non pertinet ad fidem nisi per accidens, inquantum in Scriptura traditur, cujus veritatem diversa expositione sancti salvantes, diversa tradiderunt. Augustinus enim vult, in ipso creationis principio quasdam res per species suas distinctas fuisse in natura propria, ut elementa, corpora caelestia, et substantias spirituales; alia vero in rationibus seminalibus tantum, ut animalia, plantas, et homines, quae omnia postmodum in naturis propriis producta sunt in illo opere quo post senarium illorum dierum Deus naturam prius conditam administrat; de quo opere Joan. 5, 17, dicitur: pater meus usque modo operatur, et ego operor; nec in distinctione rerum attendendum esse ordinem temporis, sed naturae et doctrinae. Naturae, sicut sonus praecedit cantum natura, sed non tempore; et ita quae naturaliter priora sunt, prius facta memorantur, sicut terra prius quam animalia, et aqua prius quam pisces, et sic de aliis. Doctrinae vero ordine, sicut patet in docentibus geometriam: quamvis enim partes figurae sine ordine temporis figuram constituant, tamen geometria docet constitutionem fieri protrahendo lineam post lineam: et hoc fuit exemplum Platonis, ut dicitur in principio caeli et Mun. Ita etiam et Moyses rudem populum de creatione mundi instruens, per partes divisit quae simul facta sunt. Ambrosius vero, et alii sancti ponunt ordinem temporis in distinctione rerum servatum: et haec quidem positio est communior, et magis consona videtur litterae quantum ad superficiem; sed prior est rationabilior, et magis ab irrisione infidelium sacram Scripturam defendens: quod valde observandum docet Augustinus super Genes. ad Litt., libro 1, cap. 19, ut sic Scripturae exponantur, quod ab infidelibus non irrideantur; et haec opinio plus mihi placet; tamen utramque sustinendo, ad omnia argumenta respondendum est.

Réponse. Ce qui se rapporte à la foi comporte une double distinction. En effet, certaines choses appartiennent par elles-mêmes à la substance de la foi ; sur ces points, il n’est permis à personne d’avoir des opinions différentes. C’est pourquoi l’Apôtre dit, en Ga 1, que si un ange de Dieu annonçait autre chose qu’il avait lui-même enseigné, qu’il soit anthène ! Mais certaines choses [en font partie] par accident, du fait qu’elles sont transmises dans l’Écriture, que la foi suppose avoir été promulguée sous la dictée du Saint-Esprit. Celles-ci peuvent être ignorées sans danger par ceux qui ne sont pas tenus de connaître les Écritures. C’est le cas des récits historiques. Les saints ont aussi eu des opinions divergentes sur ces points, en expliquant l’Écriture de manière différente. Ainsi donc, à propos du commencement du monde, il y a quelque chose qui appartient à la substance de la foi, à savoir que le monde a commencé en étant créé : et cela, tous les saints le disent unaniment. Mais de quelle manière et selon quel ordre, cela ne relève de la foi que par accident, dans la mesure où cela est transmis dans l’Écriture : en en sauvegardant la vérité par une explication différente, les saints ont enseigné [sur ces sujets] des choses différentes. En effet, Augustin veut qu’au commencement de la création, certaines choses aient été différenciées par leurs espèces selon leur nature propre, tels les éléments, les corps célestes et les substances spirituelles ; mais les autres, dans leurs raisons séminales seulement, tels les animaux, les plantes et les hommes, toutes choses qui, par la suite, ont été amenées à l’existence dans leurs natures propres par l’action dont, après ces six jours, Dieu dirige une nature créée antérieurement. À propos de cette opération, Jn 5, 17 dit : Mon Père est à l’œuvre jusqu’à maintenant, et moi aussi je suis à l’œuvre. Il ne faut pas non plus retenir pour la différenciation des choses un ordre temporel, mais [un ordre] de nature et d’enseignement. [Un ordre] de nature, comme le son précède le chant par nature, mais non dans le temps ; et ainsi, on rappelle que ce qui est antérieur par nature a été fait antérieurement, comme la terre avant les animaux et l’eau avant les poissons, et ainsi des autres choses. Mais un ordre d’enseignement, comme cela ressort chez ceux qui enseignent la géométrie, bien que les parties d’une figure constituent la figure sans ordre dans le temps ; cependant, la géométrie enseigne qu’elle est constituée en prolongeant une ligne après l’autre. Tel était l’exemple de Platon, comme on le dit au début de Sur le ciel et le monde. Moïse aussi, afin d’instruire un peuple illettré sur la création du monde, a divisé en parties ce qui a été créé en même temps. Mais Ambroise et d’autres saints affirment qu’un ordre temporel est maintenu dans la différenciation des choses. Et cette position est plus commune et semble superficiellement plus en harmonie avec le texte ; mais la première est plus raisonnable et protège davantage la Sainte Écriture de la dérision des infidèles, ce qu’Augustin enseigne à beaucoup respecter dans son Commentaire littéral sur la Genèse, I, 19, de sorte que les Écritures soient interprétées de manière qu’elles ne soient pas un objet de dérision pour les infidèles. Cette opinion me plaît davantage ; toutefois, en maintenant les deux, il faut répondre à tous les arguments.

 

[4547] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum est, quod secundum Gregorium, dicuntur omnia simul creata per substantiam materiae, et non per speciem formae; vel etiam in sui similitudine, sicut anima rationalis, quae Angelis similis est, non ex materia propaganda.

1. Selon Grégoire, on dit que tout a été créé en même temps en raison de la substance de la matière, et non en raison de l’espèce de la forme ; ou encore à sa ressemblance, comme l’âme raisonnable, qui est semblable aux anges, puisqu’elle ne doit pas se perpétuer à partir de la matière.

 

[4548] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod corporalia omnia communicant in materia, sive sit una, sive plures: et quia materia non praecedit compositum, ideo ut ordo temporis ordini naturae responderet, prius facta est materia corporalis, et deinde per formas distincta. Non autem corporalis natura ex spirituali producitur vel sicut ex materia, vel sicut ex efficiente; et ideo non est similis ratio.

2. Toutes les choses corporelles se rejoignent dans la matière, qu’elle soit une ou qu’il y en ait plusieurs. Et parce que la matière ne précède pas le composé, afin que l’ordre dans le temps corresponde à l’ordre de nature, la matière corporelle a été créée en premier, et ensuite différenciée par des formes. Mais la nature corporelle n’est pas produite à partir de la nature spirituelle, comme à partir de sa matière ou comme à partir de sa cause efficiente. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même.

 

[4549] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut creatura non habet esse ex se, ita nec perfectionem: et ideo ad utrumque ostendendum, voluit Deus ut creatura prius non esset, et postmodum esset; et similiter prius esset imperfecta, et postmodum perfecta.

3. De même que la créature ne possède pas l’acte d’être par elle-même, de même [ne possède-t-elle pas] la perfection. Afin de montrer les deux choses, Dieu a voulu que la créature d’abord ne soit pas, et ensuite soit ; de même, qu’elle ne soit pas parfaite, et ensuite qu’elle soit parfaite.

 

[4550] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in creatione non tantum debet ostendi potentiae virtus; sed etiam sapientiae ordo, ut quae prius natura sunt, prius etiam instituantur.

4. Par la création, ne doit pas seulement être montrée la capacité de la puissance, mais aussi l’ordre de la sagesse, de sorte que ce qui antérieur par nature soit aussi établi antérieurement.

 

[4551] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ad ostendendum diversam distinctorum naturam, voluit Deus ut unicuique rerum distinctioni dies unus responderet, et non ex aliqua necessitate vel lassitudine agentis.

5. Afin de montrer la nature différente de choses différentes, Dieu a voulu qu’un jour corresponde à chaque distinction entre les choses, et non par obligation ou par fatigue de celui qui agissait.

 

[4552] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non est eadem natura rei jam perfectae, et prout est in suo fieri; et ideo quamvis natura mundi completi hoc exigat ut omnes partes essentiales universi sint simul, potuit tamen aliter esse ab ipsa mundi factione; sicut in homine perfecto non potest cor esse sine aliis partibus; et tamen in formatione embrionis, cor ante omnia membra generatur.

6. La nature d’une chose déjà achevée n’est pas la même que dans son devenir. Bien que la nature du monde achevé exige que toutes les parties essentielles de l’univers existent en même temps, il pouvait cependant en être autrement lors de la création du monde. Ainsi, dans l’homme achevé, le cœur ne peut exister sans les autres parties ; cependant, pendant la formation de l’embryon, le cœur est engendré avant les autres membres.

 

[4553] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod auctoritati Scripturae in nullo derogatur, dum diversimode exponitur, salva tamen fide: quia majori veritate eam spiritus sanctus fecundavit quam aliquis homo adinvenire possit.

[7] On ne déroge en rien à l’autorité de l’Écriture en l’interprétant diversement, en sauvegardant cependant la foi, car l’Esprit Saint l’a fécondée d’une vérité plus grande qu’un homme peut [y] trouver.

 

[4554] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod hoc est ex imperfectione creaturae quod ex imperfecto ad perfectionem operando venit; quae proculdubio ultimam perfectionem daret, quantumcumque posset, servata tamen operis conditione: et ideo non oportet quod in hoc, divinum opus operationi creaturae sit simile.

[8] Cela est dû à l’imperfection de la créature qu’elle passe de ce qui est imparfait à ce qui est parfait par son action ; celle-ci lui conférerait sans aucun doute sa perfection ultime, autant qu’elle le pourrait, tout en sauvegardant la condition de l’œuvre. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’en cela l’action divine soit semblable à l’opération de la créature.

 

 

 

 

Articulus 3 [4555] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 tit. Utrum distinctio dierum salvetur secundum expositionem Augustini

Article 3 – La distinction entre les jours est-elle sauvegardée selon l’interprétation d’Augustin ?

 

[4556] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod secundum expositionem Augustini, dierum distinctio non salvetur. Dies enim nominat quoddam tempus. Sed in rerum formatione, secundum Augustinum, non fuit successio temporis. Ergo nec salvata est distinctio dierum.

1. Il semble que la distinction entre les jours ne soit pas sauvegardée selon l’interpréation d’Augustin. En effet, le jour désigne un certain temps. Or, dans la formation des choses selon Augustin, il n’y a pas eu de succession dans le temps. La distinction entre les jours n’a donc pas non plus été sauvegardée.

 

[4557] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, cum dies ponat illuminationem quamdam, oportet quod dies intelligantur vel secundum illuminationem lucis corporalis, vel intellectualis. Sed non secundum lucem corporalem, quia hoc non facit dies nisi in pluribus revolutionibus, quae successione temporum complentur: nec iterum secundum lucem intellectualem, quia lux intellectualis creata non influit per modum irradiationis ad creationem rerum; sed ratio diei requirit irradiationem aliquam. Ergo videtur quod dies illi non convenienter assignentur.

2. Puisque le jour affirme une certaine illumination, il est nécessaire d’entendre le jour de l’illumination soit par la lumière corporelle, soit par la lumière intellectuelle. Or, ce n’est pas selon la lumière corporelle, car elle ne donne le jour que selon plusieurs révolutions, qui s’accomplissent dans une succession de temps. Ce n’est pas non plus selon la lumière intellectuelle, car la lumière intellectuelle créée ne se répand pas sous forme de rayonnement pour la création des choses. Or, la notion de jour exige un certain rayonnement. Il semble donc que ces jours ne soient pas désignés de manière appropriée.

 

[4558] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, in illuminatione spirituali non est invenire diversas partes. Sed diei assignantur diversae partes, scilicet mane et vespere. Ergo videtur quod non possint intelligi dies illi secundum illuminationem lucis spiritualis.

3. On ne trouve pas différentes parties dans l’illumination spirituelle. Or, différentes parties sont assignées au jour : le matin et le soir. Il semble donc que ces jours ne doivent pas être compris selon l’illumination de la lumière spirituelle.

 

[4559] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 4 Si dicatur, quod mane hujus diei est secundum cognitionem rerum in verbo, vespere autem secundum cognitionem rerum in propria natura; contra: quia in illo dicitur res cognosci a quo similitudo rei accipitur. Sed Angeli non habent rerum cognitionem per similitudines a rebus acceptas, sed per species a verbo in eorum mentem influxas. Ergo tantum in verbo cognoscunt res creatas, et non in propria natura; et sic habent tantum mane, non vespere.

4. Le matin de ce jour s’entend de la connaissance des choses dans le Verbe, mais le soir, de la connaissance des choses dans leur propre nature. Cependant, on dit qu’une chose est connue par ce dont la ressemblance de la chose est reçue. Or, les anges n’ont pas de connaissance des choses par des ressemblances reçues des choses, mais par des espèces infusées dans leur esprit par le Verbe. Ils ne connaissent donc les réalités créées que dans le Verbe, et non dans leur nature propre, et ainsi ils n’ont que le matin, et non le soir.

 

[4560] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, ubicumque est res, ibi potest cognosci. Sed res creata habet triplex esse, scilicet in verbo, et in mente Angeli, et in propria natura, quod significatur secundum Augustinum super Gen. ad Lit., per hoc quod dixit fiat quantum ad esse rei in verbo; factum est quantum ad esse rei in mente Angeli; fecit quantum ad esse rei in propria natura. Ergo hujus diei debent tres partes assignari.

5. Partout où existe une chose, elle peut y être connue. Or, une chose créée possède un triple être : dans le Verbe, dans l’esprit de l’ange et dans sa propre nature, ce qui est indiqué par Augustin, dans son Commentaire littéral de la Genèse, par le fait qu’il dit que « qu’elle existe ! » se rapporte à l’être de la chose dans le Verbe, « cela fut », à l’être de la chose dans l’esprit de l’ange, et « il la créa », à l’être de la chose dans sa nature propre. Il faut donc reconnaître trois parties dans ce jour.

 

[4561] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, sicut quilibet dies usitatus habet vespere et mane, ita et meridiem. Ergo sicut assignatur cognitio matutina et vespertina, ita et meridiana.

6. De même que tout jour ordinaire a un soir et un matin, de même a-t-il un midi. De même donc que sont reconnues une connaissance matinale et une connaissance vespérale, de même [faut-il reconnaître] une connaissance du midi.

 

[4562] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, omnes dies debent esse uniformes. Sed primae dici non assignatur mane, quia mane quod post vespere ponitur non potest esse mane a quo incipit primus dies, sed in quod terminatur; septima autem dies ponitur habere mane, ad quod terminatur sexta dies et non vespere. Ergo nec aliis diebus mane simul et vespere assignari debent.

7. Tous les jours doivent être uniformes. Or, un matin n’est pas attribué au premier jour, car le matin qui est placé après un soir ne peut être appelé le matin par lequel le premier jour a commencé, mais par lequel il s’est terminé. Or, le septième jour est donné comme ayant un matin, auquel se termine le sixième jour, et non au soir. Un matin et un soir ne doivent donc pas non plus être attribués aux autres jours.

 

[4563] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 8 Praeterea, de vespere in mane non transitur nisi per noctem. Sed de nocte nulla fit mentio. Ergo insufficienter traditur dierum ordo.

8. On ne passe du soir au matin que par la nuit. Or, il n’est fait aucune mention de la nuit. L’ordre des jours est donc présenté de manière insuffisante.

 

[4564] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod secundum Augustinum, illi sex dies sunt unus dies, sex rerum distinctionibus, secundum quas numeratur, simul praesentatus; sicut etiam unum verbum est quo omnia facta sunt, scilicet Dei filius; quamvis frequenter legatur: dixit Deus; et sicut illa opera salvantur in omnibus sequentibus quae ex eis propagantur operatione naturae, ita etiam illi sex dies manent in tota successione temporis. Quomodo autem hoc sit, videndum est. Natura angelica intellectualis est, et lux est; et si proprie lux est, oportet quod ejus illustratio dies dicatur. Angelica autem natura in principio conditionis rerum cognitionem earum accepit; et sic quodammodo lux intellectus ejus rebus creatis praesentabatur inquantum cognoscebantur; unde ipsa cognitio rerum dies dicitur; et secundum diversa genera cognitorum et ordinem distinguuntur et ordinantur dies: ut in primo die intelligatur formatio spiritualis creaturae per conversionem ad verbum; in secundo die formatio corporalis creaturae quantum ad superiorem partem, quae firmamentum dicitur; in tertia quantum ad inferiorem partem, scilicet terrae, aquae, et aeris vicini; in quarta superior pars, scilicet firmamentum ornatum; in quinta inferior quantum ad terram. Cum autem Deus sit lux plena, et tenebrae in eo non sint ullae, 1 Joan. 1, cognitio ipsius Dei in se est plena lux; sed quia creatura ex hoc quod ex nihilo est, tenebras possibilitatis et imperfectionis habet, ideo cognitio qua creatura cognoscitur, tenebris admixta est. Potest autem cognosci dupliciter. Vel in verbo, secundum quod exit ab arte divina: et sic ejus cognitio matutina dicitur: quia sicut mane est finis tenebrarum et principium lucis; ita creatura a verbo etiam principium lucis sumit postquam prius non fuerat. Cognoscitur etiam prout est in natura propria existens; et talis cognitio dicitur vespertina propter hoc quod sicut vespere est terminus lucis, et tendit in noctem; ita et creatura in se subsistens, est terminus operationis verbi, quasi facta per verbum, et de se in tenebras defectus tendens, nisi verbo portaretur. Nihilominus haec cognitio dies dicitur; quia sicut in comparatione ad cognitionem verbi tenebrosa est, ita est lux in comparatione ad ignorantiam, quae omnino tenebra est; sicut vita justorum praesens, caliginosa dicitur respectu futurae gloriae, quae tamen lux est in comparatione ad vitam peccatorum: et sic attenditur quaedam circulatio inter mane et vespere, secundum quod Angelus seipsum cognoscens in propria natura, hanc cognitionem retulit ad verbum sicut ad finem, in quo sequentis operis cognitionem sumpsit in principio: et sic hujusmodi mane est finis diei praecedentis, et principium sequentis. Et haec quidem expositio subtilis et congrua est, dummodo lux et dies proprie in spiritualibus dicantur, et non metaphorice, ut Augustinus vult super Genes. ad Lit.; aliter enim esset expositio mystica, et non litteralis. Sed quia a pluribus negatur, ideo sustinentes cum Augustino quod omnia sunt simul creata et in species distincta, possumus dicere, quod dies accipiuntur secundum illustrationem lucis corporalis; ita tamen quod ordo dierum attendatur secundum ordinem eorum et distinctionem, in quae lux corporalis refulget: sicut enim omnium creaturarum naturalium cognitionem Angeli acceperunt, ita etiam lux in omnia corporalia se diffundit, ut Dionysius dicit, diversimode in diversis recepta, secundum diversitatem recipientium: et ideo sicut Augustinus distinguit sex dies secundum praesentationem lucis spiritualis, quae primo die facta dicitur, sex rerum generibus; ita secundum praesentationem lucis corporalis sex rerum generibus possunt eodem modo sex dies distingui sine distinctione temporis. Et quia periodus unicuique rei corporali secundum influentiam lucis praefigitur quasi inter duos terminos, cum quaelibet virtus corporalis finita sit; ideo illi termini mane et vespere dicuntur, ultra quos virtus rei non extenditur.

Réponse. Selon Augustin, ces six jours sont un seul jour présenté simultanément en six distinctions entre les choses, par lesquelles il est dénombré, de la même manière qu’il n’existe qu’un seul Verbe, par lesquel tout a été créé, le Fils de Dieu, bien qu’on lise à plusieurs reprises : Dieu dit... Et de même que ces œuvres sont préservées dans toutes les [œuvres] qui, par la suite, se perpétuent par l’opération de la nature, de même aussi ces six jours demeurent-ils dans toute la suite du temps. Mais il faut voir comment cela se produit. La nature angélique est intellectuelle et elle est lumière ; et si elle est lumière au sens propre, il est nécessaire que son illumination soit appelée « jour ». Or, la nature angélique a reçu la connaissance des choses dès le commencement de leur création. Ainsi, d’une certaine manière, la lumière de son intelligence était-elle présente aux choses créées, pour autant qu’elles étaient connues. C’est pourquoi la connaissance même des choses est appelée « jour », et les jours sont ordonnés selon les divers genres de choses et selon l’ordre des choses connues, de sorte que, par le premier jour, soit entendue la réception de sa forme par la créature spirituelle alors qu’elle se tourne vers le Verbe ; par le deuxième jour, la réception de sa forme par la créature corporelle, pour ce qui est de sa partie supérieure, appelée « firmament »; par le troisième, pour ce qui est de sa partie inférieure : la terre, l’eau et l’air ambiant ; par le quatrième, la partie supérieure : le firmament embelli ; par le cinquième, la [partie] inférieure, pour ce qui est de la terre. Mais puisque Dieu est lumière plénière et qu’il n’y a pas de ténèbres en lui, 1 Jn 1, la connaissance de Dieu en lui-même est lumière plénière. Mais parce que la créature, issue de rien, possède les ténèbres de la puissance et de l’imperfection, la connaissance par laquelle la créature est connue est mélangée de ténèbres. Or, elle peut être connue de deux manières. Dans le Verbe, en tant qu’elle est issue de l’art de Dieu : ainsi, sa connaissance est appelée « matutinale », car, de même que le matin est la fin des ténèbres et le commencement de la lumière, de même la créature tire-t-elle du Verbe le commencement de la lumière, après n’avoir pas existé. [La créature] est aussi connue en tant qu’elle existe dans sa nature propre : une telle connaissance est appelée « vespérale » parce que, de même que le soir est le terme de la lumière et tend vers la nuit, de même aussi la créature qui subsiste en elle-même est-elle le terme de l’opération du Verbe, en tant qu’elle est créée par le Verbe, et son usure tend-elle par elle-même vers les ténèbres, à moins qu’elle ne soit portée par le Verbe. Néanmoins, cette connaissance est appelée « jour », car, de même que, comparée à la connaissance du Verbe, elle est enténébrée, de même est-elle lumière par comparaison avec l’ignorance, qui est entièrement ténèbres. Ainsi, la vie présente des justes est-elle dite « enténébrée » par rapport à la gloire future, alors qu’elle est lumière par rapport à la vie des pécheurs. Il se produit ainsi une sorte de mouvement circulaire entre le matin et le soir, selon que l’ange, se connaissant lui-même en sa nature propre, met cette connaissance en rapport avec le Verbe comme avec sa fin, en qui il a reçu la connaissance de l’œuvre suivante dès le commencement. Et ainsi, ce matin est-il la fin du jour précédent et le commencement du suivant. Cette interprétation est subtile et appropriée, pourvu que la lumière et le jour soient entendus au sens propre, et non métaphoriquement, chez les êtres spirituels, comme le veut Augutin dans son Commentaire littéral sur la Genèse. En effet, ce serait autrement une interprétation mystique, et non littérale. Mais parce qu’elle est refusée par plusieurs, en soutenant avec Augustin que tout a été créé en même temps et différencié selon les espèces, nous pouvons dire que les jours sont entendus selon l’éclairage de la lumière corporelle, de telle sorte cependant que l’ordre des jours soit considéré selon l’ordre et la distinction de ce sur quoi se reflète la lumière corporelle. En effet, de même que les anges ont reçu la connaissance de toutes les créatures naturelles, de même aussi la lumière se répand-elle sur toutes les réalités corporelles, comme le dit Denys, en étant reçue de manière différente selon les différentes réalités, en fonction de la diversité de celles qui la reçoivent. C’est pourquoi, de même que, selon la présentation de la lumière spirituelle, dont on dit qu’elle a été créée le premier jour, Augustin distinguer les six jours en six genres de choses, de même aussi, selon la présentation de la lumière corporelle, peut-on distinguer les six jours en six genres de choses sans distinction de temps. Et parce que la période est déterminée à l’avance pour chaque chose corporelle entre deux termes selon l’action de la lumière, puisque toute puissance corporelle est finie, c’est la raison pour laquelle ces termes sont appelés « matin » et « soir », au-delà desquels ne s’étend pas la puissance de la chose.

 

[4565] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dies etiam est pars temporis, et lucis effectus. Distinctio ergo primorum dierum non sumitur ex parte temporis, sed ex parte lucis, secundum quod diversa per lucem declarantur, vel quantum ad cognitionem angelicam, vel quantum ad influentiam lucis corporalis in diversa.

1. Le jour est aussi une partie du temps et un effet de la lumière. La distinction entre les premiers jours ne s’entend donc pas du point de vue du temps, mais du point de vue de la lumière, selon que différentes choses sont éclairées par la lumière, ou du point de vue de la connaissance angélique, ou du point de vue de l’action de la lumière corporelle sur diverses choses.

 

[4566] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod lux illa et corporalis et spiritualis potest intelligi: et si intelligatur corporalis, dies distinguetur secundum diversa illuminata, et non secundum illuminationis tempus; si autem intelligatur spiritualis, non est per influentiam lucis ad res creandas, sed per fulgorem lucis ad res cognoscendas.

2. Cette lumière peut s’entendre de la lumière corporelle et de la lumière spirituelle. Si on l’entend de la lumière corporelle, le jour se différenciera selon les diverses choses illuminées, et non selon le temps de l’illumination. Mais si on l’entend de la lumière spirituelle, ce ne sera pas en raison de l’action de la lumière sur les choses à créer, mais en raison de l’éclat de la lumière sur les choses à connaître.

 

[4567] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod partes diei secundum lucem spiritualem non sunt secundum diversa cognita, sed secundum diversos modos cognitionis ejusdem rei; et sicut dies non sunt successivi, quia Angelus in verbo simul diversa genera rerum intuetur: ita nec partes diei unius; quia simul videt in verbo creaturas, et in propria natura.

3. Selon la lumière spirituelle, les parties du jour n’existent pas en fonction des diverses choses connues, mais selon divers modes de connaissance d’une même chose. Et de même que les jours ne sont pas successifs, parce que l’ange verra en même temps dans le Verbe divers genres de choses, de même [ne verra-t-il pas] non plus les parties d’un seul jour, car il voit en même temps les créatures dans le Verbe et dans leur propre nature.

 

[4568] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non dicitur cognitio vespertina quae est rerum in propria natura ex eo quod ab ipsis rebus species sumant per quas cognoscant; sed quia per species quas a creatione receperunt, res cognoscunt, prout in propria natura subsistunt.

4. On ne dit pas que la connaissance du soir est celle des choses dans leur propre nature parce que [les anges] tirent des choses mêmes les espèces par lesquelles ils les connaissent, mais parce que, par les espèces qu’ils ont reçues lors de leur création, ils connaissent les choses telles qu’elles subsistent dans leur propre nature.

 

[4569] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod species rerum primum habent esse in arte divina, quae est verbum: quod esse significatur cum dicitur: dixit Deus, fiat, idest, verbum genuit, in quo erat ut fieret. Secundum esse habent in intelligentia angelica: quod significatur in hoc quod dicitur, factum est, per influentiam verbi. Tertium esse habent in rebus: quod significatur in hoc quod dicitur, fecit. Et ideo ista triplex distinctio non ponitur in productione lucis spiritualis, nec in formatione hominis, qui etiam intellectualis ponitur. Et sic etiam Angelus triplicem de rebus cognitionem habet, scilicet prout in verbo sunt, prout sunt in mente ejus, et prout sunt in propria natura. Quamvis autem nunquam cognoscat res in propria natura nisi per species quas habet apud se; tamen differt cognitio qua cognoscit prout sunt in seipso, et prout sunt in propria natura: potest enim intellectus converti ad speciem quam apud se habet, dupliciter: aut considerando ipsam secundum quod est ens quoddam in intellectu; et sic cognoscit de ea quod est intelligibile, vel universale, vel aliquid hujusmodi: aut secundum quod est similitudo rei: et sic intellectus consideratio non sistit in specie, sed per speciem transit in rem, cujus similitudo est; sicut oculus per speciem quae est in pupilla, videt lapidem: et est simile de imagine lapidea, quae potest considerari secundum quod est res quaedam, vel similitudo rei. Et ita patet quod duae cognitiones dictae differunt: sed utraque est vespertina: quia etiam esse ipsum intellectus Angeli creatura est, et in tenebras defectus tendens quantum in se est.

5. Les espèces des choses existent d’abord dans l’art de Dieu, qui est le Verbe. Cette existence est signifiée lorsqu’il est dit : « Et Dieu dit : ‘Que cela soit !’ », à savoir lorsqu’il engendra le Verbe en qui cela se trouvait exister. Elles ont une deuxième existence dans l’intelligence angélique, ce qui est signifié lorsqu’il dit : « Cela fut », par l’action du Verbe. Elles ont une troisième existence dans les choses, ce qui est signifié lorsqu’il dit : « Il créa. » C’est pourquoi cette triple distinction n’est pas indiquée dans la production de la lumière spirituelle ni dans la formation de l’homme, qui est aussi donné comme [une réalité] intellectuelle. Et ainsi, l’ange aussi a une triple connaissance des choses : en tant qu’elles existent dans le Verbe, en tant qu’elles existent dans l’esprit [de l’ange], et en tant qu’elles existent dans leur propre nature. Bien que [l’ange] ne connaisse jamais les choses dans leur propre nature que par les espèces qu’il en possède, la connaissance par laquelle il [les] connaît, en tant qu’elles existent en lui, et [celle par laquelle il les connaît], en tant qu’elles existent dans leur propre nature, sont cependant différentes. En effet, son intelligence peut se tourner vers l’espèce qu’il possède en lui de deux manières : soit en la considérant selon qu’elle est un être dans son intelligence, et ainsi il en connaît ce qui est intelligible ou universel, ou quelque chose de ce genre ; soit selon qu’elle est la ressemblance d’une chose, et ainsi la considération de son intelligence ne s’arrête pas à l’espèce, mais atteint la chose dont elle est la ressemblance en passant par l’espèce, comme l’œil voit la pierre par l’espèce qui se trouve dans l’œil. Et il en va de même de l’image de la pierre, qui peut être considérée selon qu’elle est une chose ou la similitude d’une chose. Il ressort ainsi clairement que les deux connaissances en question diffèrent, mais les deux sont des connaissances du soir, car même l’être de l’intelligence d’un ange est une créature et tend en lui-même vers les ténèbres de la défaillance.

 

[4570] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cognitio meridiana non potest esse cognitio creaturae cui defectibilitatis tenebra admixta est, sed cognitio ipsius Dei, qui est plena lux: et ideo in operibus creationis meridies non nominatur.

6. La connaissance du midi ne peut pas être la connaissance de la créature à laquelle se mêle les ténèbres de la défaillance, mais la connaissance de Dieu lui-même, qui est la pleine lumière. C’est pourquoi le midi n’est pas mentionné parmi les œuvres de la création.

 

[4571] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in prima die, secundum Augustinum, formatio narratur ipsius intellectualis naturae, cujus cognitio, esse ejus in propria natura naturaliter sequitur: et ideo sui ipsius cognitionem matutinam non habet, sed vespertinam. Similiter et septima dies pertinet ad quietem Dei in seipso ex omnibus operibus quae propter se fecit: et haec quies nullo defectu clauditur; et propter hoc in die illa vespere non nominatur.

7. Selon Augustin, le premier jour, est racontée la formation de la nature intellectuelle elle-même, dont la connaissance découle naturellement de son existence dans sa propre nature. C’est pourquoi elle n’a pas une connaissance matutinale d’elle-même, mais une connaissance vespérale. De même, le septième se rapporte au repos de Dieu en lui-même pour toutes les œuvres qu’il avait faites pour lui-même. Ce repos ne s’achève sur aucune défaillance, et, pour cette raison, le soir n’est pas mentionné pour ce jour.

 

[4572] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod si Angelus, cognitione creaturae accepta, eam in laudem creatoris non referret, in ipsa creatura sistens, nox in eo fieret; hoc enim esset perverse frui creatura; hoc autem non convenit beatis Angelis, qui per lucem significantur; et ideo in illo dierum senario nox non commemoratur. Vel potest dici secundum aliam viam, quod mane et vespere ponuntur, quia sunt principia diei et noctis. Ibi autem ostenditur institutio principiorum naturae, ex quibus omnia propagata sunt; et ideo ponuntur extrema, relictis mediis.

8. Si l’ange, en recevant la connaissance de la créature, ne la rapportait pas à la gloire du Créateur, en s’arrêtant à la créature elle-même, la nuit apparaîtrait en lui. En effet, ce serait là jouir de la créature d’une manière désordonnée. Mais cela ne convient pas aux anges bienheureux, qui sont signifiés par la lumière. Aussi la nuit n’est-elle pas rappelée pendant cette période de six jours. Ou bien on peut dire, selon une autre orientation, que le matin et le soir sont indiqués parce qu’ils sont le début du jour et de la nuit. Là est montré l’établissement des principes de la nature à partir desquels tout s’est développé. C’est pourquoi les extrêmes sont indiqués, en laissant de côté les intermédiaires.

 

 

 

 

Articulus 4 [4573] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 tit. Utrum prima materia fuerit informis

Article 4 – La matière première était-elle informe ?

 

[4574] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod prima materia informis erat. Illa enim materia communis erat omnibus elementis, quia ex illa omnia facta sunt. Sed elementa non conveniunt nisi in materia informi. Ergo prima materia omnino informis erat.

1. Il semble que la matière première était informe. En effet, cette matière était commune à tous les éléments, car tout en était constitué. Or, les éléments ne se rejoignent que dans la matière informe. La matière première était donc totalement informe.

 

[4575] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. Confess., ad Deum loquens: docuisti, domine famulum tuum, quod prius quam ista faceres, non aliquid erat, nec species, nec color etc.; nec tamen omnino nihil erat, quia informitas quaedam erat. Ergo prima materia omnino forma carebat.

2. Dans le libre des Confessions, Augustin dit, en parlant à Dieu: « Seigneur, tu as enseigné à ton serviteur qu’avant que tu ne crées ces choses, il n’y avait rien, ni espèce, ni couleur, etc. Toutefois, ce n’était pas le néant total, car il existait quelque chose d’informe. » La forme faisait donc totalement défaut à la matière première.

 

[4576] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, si illa materia formam aliquam habebat, aut habebat formam corporis mixti, aut corporis simplicis. Sed non corporis mixti, quia sic esset mixtum prius corporibus simplicibus, quod esset consonum positioni Anaxagorae. Ergo oportet quod haberet formam corporis simplicis; et sic redibit opinio antiquorum naturalium, qui ponebant unum elementum omnium, vel ignem, vel aquam, vel aerem.

3. Si cette matière possédait une forme, soit elle possédait la forme d’un corps mixte, soit d’un corps simple. Or, ce n’était pas celle d’un corps mixte, car ainsi un corps mixte existerait avant les corps simples, ce qui s’accorderait avec la position d’Anaxagore. Il faut donc qu’elle ait eu la forme d’un corps simple, et ainsi reviendrait l’opinion des anciens physiciens, qui affirmaient l’existence d’un seul élément pour toutes choses : le feu, l’eau ou l’air.

 

[4577] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 arg. 4 Si dicatur, quod non habebat aliquam harum formarum, sed aliam; contra: omne quod generatur, generatur ex suo contrario. Sed ex ista prima materia existente sub forma corporali, facta sunt elementa. Ergo oportet quod habuerit contrarietatem ad elementa quae ex ea facta sunt. Sed contrarietas primorum corporum non potest extendi ultra quaternarium numerum, ut in 2 de Gener. probatur. Ergo oportuit materiam illam esse sub forma alicujus quatuor elementorum, si fuit sub forma aliqua corporali; et ita unum tantum esset elementum primum: quod improbat philosophus. Oportuit ergo quod materia illa omnino fuerit informis.

4. Si on dit que [la matière première] n’avait aucune de ces formes, mais une autre, on opposera que tout ce qui est engendré est engendré à partir de son contraire. Or, les éléments ont été créés à partir de cette matière première existant sous une forme corporelle. Il faut donc qu’elle ait eu quelque chose de contraire aux éléments qui ont été créés à partir d’elle. Or, le caractère contraire des corps premiers ne peut aller au-delà de quatre, comme on le démontre dans Sur la génération, II. Il fallait donc que cette matière existe sous la forme d’un des quatre éléments, si elle existait sous une forme corporelle. Et ainsi, il n’y aurait qu’un seul élément premier, ce que repousse le Philosophe. Il fallait donc que cette matière soit totalement informe.

 

[4578] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, omne esse est a forma. Si ergo materia prima fuit ante rerum distinctionem, oportet quod formam aliquam habuerit.

Cependant, [1] tout être vient de la forme. Si donc existait une matière première avant la différenciation des choses, il faut qu’elle ait eu une forme.

 

[4579] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet corpus naturale ad diversas figuras, ita se habet materia prima ad formas substantiales. Sed impossibile est esse aliquod corpus absque omni figura. Ergo impossibile est esse materiam absque omni forma.

[2] Le rapport entre un corps naturel et les diverses figures est le même que celui de la matière première et des formes substantielles. Or, il est impossible qu’existe un corps naturel sans aucune figure. Il est donc impossible que la matière première existe sans aucune forme.

 

[4580] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod materia prima dicitur dupliciter: vel ita quod primum importet ordinem naturae; vel ita quod importet ordinem temporis. Secundum quod importat ordinem naturae, materia prima est illud in quo ultimo stat resolutio corporum naturalium, quod oportet esse absque omni forma: quia omne subjectum quod habet formam, est divisibile in formam et subjectum formae: et ideo, quia omnis cognitio est per formam, haec materia prima est scibilis, ut dicit philosophus in 1 Phys., secundum analogiam tantum, prout dicimus illud esse materiam primam quod ita se habet ad omnia corpora sicut se habet lignum ad lectum: et quamvis materia prima sic accepta, non habeat aliquam formam partem essentiae suae, nunquam tamen dividitur ab omni forma, ut probat Avicenna in sua Metaph.: immo quando amittit unam formam, acquirit aliam, secundum quod corruptio unius est generatio alterius: et ideo materia prima sic accepta, non potuit esse duratione ante corpora ex ea formata. Alio modo dicitur materia prima secundum quod primum importat ordinem temporis: illud scilicet quod duratione praecessit ordinatam dispositionem partium mundi, qualis nunc cernitur, secundum eos qui ponunt mundum non semper fuisse, nec a principio creationis omnia distincta fore: et sic accipiendo primam materiam, oportuit eam habere aliquam formam. Sed circa hoc antiqui philosophi diversificati sunt. Quidam enim posuerunt eam esse totam sub una forma, ponentes unum elementorum omnium primam materiam esse, vel aliquid inter ea: et ex isto omnia generari constituunt densitate et raritate. Alii vero posuerunt eam sub pluribus formis, non tamen ordinatis ad invicem, sed quadam confusione permixtis, quae creatoris operatione ad ordinem et distinctionem reductae sunt: et hoc tamen diversimode posuerunt, ut philosophus narrat, quod ad praesens non pertinet. Et hae omnes positiones a philosopho sufficienter improbatae sunt. Moderni etiam in has duas vias dividuntur. Quidam enim ponunt materiam illam primam totam sub una forma creatam; sed ne in antiquum errorem labi videantur, ponunt illam formam non esse unum quatuor elementorum, sed aliquid quod se habet in via ad ea, ut imperfectum ad perfectum; sicut forma embrionis se habet ad animal completum. Sed hoc non potest similiter dici in elementis: quia, secundum Commentatorem, prima habilitas quae est in materia, est ad formam elementi. Unde non invenitur aliqua forma media inter materiam primam et formam elementi, sicut inveniuntur multa media inter materiam primam et formam animalis; quarum una alteri succedit, quousque ad ultimam perfectionem veniatur, intermediis multis generationibus et corruptionibus, ut Avicenna dicit. Et praeterea, cum tunc naturalia principia instituta fuerint, oporteret etiam nunc in naturali elementorum generatione advertere aliam formam ante formam elementi; quod est contra sensum: nisi forte dicatur secundum positionem libri fontis vitae, esse unam primam formam, et sic in materia primo inductam fore formam corporalem communem, et postmodum formas speciales distinctas. Sed hanc positionem Avicenna improbat, quia omnis forma substantialis dat esse completum in genere substantiae. Quidquid autem advenit postquam res est in actu, est accidens: est enim in subjecto quod dicitur ens in se completum. Unde oporteret omnes alias formas naturales esse accidentia; et sic rediret antiquus error, quod generatio idem est quod alteratio. Unde ipse vult quod ab eadem forma per essentiam, ignis sit ignis et corpus et substantia. Et ideo tenendo viam aliorum sanctorum, qui ponunt successionem in operibus sex dierum, videtur mihi dicendum, quod prima materia fuit creata sub pluribus formis substantialibus, et quod omnes formae substantiales partium essentialium mundi in principio creationis productae sunt: et hoc sacra Scriptura ostendit, quae caelum et terram et aquam in principio commemorat: et hoc etiam Magister dicere videtur, ponens in illa informi materia hoc terreum elementum in medio consistere, et aquas rariores fuisse in modum nebulae supra extensas. Sed dico, quod virtutes activae et passivae nondum in principio partibus mundi collatae fuerant, secundum quas postmodum distingui et ordinari dicuntur. Et hoc esse possibile patet, si sustinere volumus opinionem Avicennae, qui ponit elementa in mixto remanere secundum formas substantiales quantum ad primum esse, transmutari autem quantum ad secundum, scilicet quantum ad qualitates activas et passivas: est enim mixtio miscibilium alteratorum unio. Unde possibile est materiam esse sub forma substantiali sine hoc quod habeat qualitates activas et passivas in sui complemento: et sic cum esse primum naturaliter praecedat esse secundum, expressus est ordo naturae in successione temporis, dum res prius fiunt in esse primo quam perficiantur in esse secundo.

Réponse. On parle de matière première de deux manières. Soit elle comporte d’abord un ordre de nature, soit qu’elle comporte un ordre temporel. Selon qu’elle comporte un ordre de nature, la matière première est ce à quoi se ramènent en dernier lieu les corps naturels, qui doit être sans aucune forme, puisque tout sujet qui possède une forme peut se diviser entre la forme et le sujet de la forme. Parce que toute connaissance se réalise par une forme, cette matière première n’est donc connaissable que par analogie, selon le Philosophe dans Physique, I : nous disons ainsi que la matière première est ce qui a avec à tous les corps le rapport qu’a le bois avec le lit. Et bien que la matière première ainsi entendue ne possède aucune forme comme partie de son essence, elle n’est cependant jamais séparée d’une forme, comme le démontre Avicenne dans sa Métaphysique. Bien plus, lorsqu’elle perd une forme, elle en acquiert une autre, selon que la corruption d’une chose est la génération d’une autre. La matière première ainsi comprise ne pouvait donc pas exister dans la durée avant les corps composés d’elle. D’une autre manière, on parle de matière première selon qu’elle comporte un rapport au temps : on parle alors de ce qui a précédé dans le durée la disposition ordonnée des parties du monde, tel qu’on le voit maintenant, d’après ceux qui affirment que le monde n’a pas toujours existé, ni que tout était différencié dès le commencement de la création. En entendant de cette manière la matière première, il faut qu’elle ait une certaine forme. En effet, certains ont affirmé qu’elle existait en totalité sous une seule forme, en affirmant qu’un de tous les éléments était la matière première ou quelque chose d’eux, et que tout a été constitué à partir de cela par la densité et la rareté. Mais d’autres l’ont présentée sous plusieurs formes, sans ordre les unes par rapport aux autres mais mélangées dans le désordre, et que l’opération du Créateur a ordonnées et différenciées. Ils ont cependant affirmé ceci de diverses manières, comme le raconte le Philosophe, ce qui n’a pas d’importance pour le moment. Toutes ces positions ont été suffisamment rejetées par le Philosophe. Les modernes se répartissent aussi entre ces deux directions. En effet, certains affirment que cette matière a été tout entière créée sous une seule forme ; mais pour ne pas sembler tomber dans une erreur ancienne, ils affirment que cette forme n’est pas un des quatre éléments, mais quelque chose qui est en progression vers eux, comme l’imparfait par rapport au parfait : ainsi, la forme de l’embryon est-elle en rapport avec l’animal achevé. Mais on ne peut parler ainsi des éléments, car, selon le Commentateur, la première aptitude qui existe dans la matière s’oriente vers la forme d’un élément. Aussi ne trouve-t-on pas de forme intermédiaire entre la matière première et la forme d’un élément, comme on trouve plusieurs intermédiaires entre la matière première et la forme d’un animal, l’un succédant à l’autre jusqu’à ce l’on parvienne à la perfection ultime par de nombreuses générations et corruptions intermédiaires, comme le dit Avicenne. De plus, tels que les principes naturels ont été alors établis, il faudrait aussi relever maintenant dans la génération naturelle des éléments une autre forme avant la forme d’un élément, ce qui va contre le sens, à moins de dire, selon la position du Livre de la source de vie, qu’il existe une seule forme première et qu’ainsi une forme corporelle commune a d’abord été introduite dans la matière et, par la suite, des formes particulières distinctes. Toutefois, Avicenne rejette cette position, car toute forme substantielle donne un acte d’être complet dans le genre de la substance. Aussi tout ce qui survient après qu’une chose existe en acte est un accident : en effet, cela existe dans un sujet dont on dit qu’il est un être complet. Il faudrait donc que toutes les autres formes naturelles soient des accidents, et ainsi reviendrait l’ancienne erreur selon laquelle la génération est la même chose que l’altération. Aussi veut-il que, par la même forme essentielle, le feu soit feu, corps et substance. C’est pourquoi, en suivant la voie des autres saints, qui affirment une succession dans les œuvres des six jours, il me semble devoir dire que la matière première a été créée sous plusieurs formes substantielles, et que toutes les formes substantielles des parties essentielles du monde ont été produites au commencement de la création. C’est ce que montre la Sainte Écriture, qui rappelle que le ciel, la terre et l’eau ont existé au commencement. C’est aussi ce que semble dire le Maître en affirmant que, par cette matière informe, l’élément terrestre se situe au milieu et que les eaux plus rares existaient sous forme de nuées répandues au-dessus. Mais je dis que les puissances actives et passives n’avaient pas encore été rassemblées au commencement dans les parties du monde de la manière dont on dit qu’elles sont différenciées et ordonnées par la suite. Il en ressort clairement que cela est possible, si nous voulons soutenir l’opinion d’Avicenne, qui affirme que les éléments sont, en premier lieu, demeurés dans un mélange selon leurs formes substantielles, mais que, en second lieu, il ont été transformés, à savoir, pour ce qui est de leurs qualités actives et passives. En effet, un mélange est l’union de choses altérées susceptibles d’être mélangées. Aussi est-il possible que la matière existe sous une forme substantielle sans posséder les qualités actives et passives de son état achevé. Et ainsi, puisque l’être premier précède naturellement l’être second, l’ordre de la nature a été exprimé dans la succession du temps, alors que les choses sont amenées à l’existence avant d’être perfectionnées dans leur être second.

 

[4581] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa materia prima quae una numero est in omnibus elementis ut pars essentiae eorum, est omnino informis in sua essentia considerata; sed haec non potuit elementa duratione praecedere; unde illa materia quae duratione praecessit, corporalis fuit, non una per unitatem essentiae, sed per similitudinem informitatis, quantum ad formas secundas.

1. Cette matière première, qui est unique en nombre dans tous les éléments en tant que partie de leur essence, est totalement dépourvue de forme, si on la considère dans son essence ; mais elle ne pouvait précéder les éléments dans la durée. Aussi cette matière qui a précédé dans la durée était-elle corporelle, non pas unique par l’unité de son essence, mais par la ressemblance de son absence de forme, pour ce qui est des formes secondes.

 

[4582] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum Augustinus non ponat ordinem durationis, sed naturae tantum; secundum ipsum oportet dicere, quod materia prima est omnino informis: quod non potest esse secundum aliorum positionem sanctorum.

2. Puisque Augustin ne présente pas un ordre de durée, mais de nature seulement, il faut dire, selon lui, que la matière première est tout à fait informe, ce qui ne peut être le cas selon la position des autres saints.

 

[4583] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non habebat formam unam, sed plures; non quidem formas corporum mixtorum, quia hae consequuntur virtutes activas et passivas principiorum mundi, ex quibus essentialiter integratur.

3. Elle n’avait pas une forme unique, mais plusieurs ; non pas les formes des corps mixtes, car celles-ci découlent des puissances actives et passives des principes du monde, dont elle est essentiellement constituée.

 

[4584] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 ad 4 Et per hoc patet responsio ad quartum.

4. Ainsi ressort clairement la réponse au quatrième argument.

 

 

 

 

Articulus 5 [4585] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 tit. Utrum quatuor coaeva convenienter assignentur

Article 5 – Assigne-t-on de manière appropriée au caractère contemporain à quatre choses : [le ciel empyrée, la nature angélique, la matière des quatre éléments et le temps] ?

 

[4586] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter assignentur quatuor coaeva, scilicet caelum Empyreum, angelica natura, materia quatuor elementorum, et tempus. Locus enim consequitur generationem rerum, sicut et tempus. Sed de loco nulla fit mentio inter prima creata. Ergo nec de tempore.

1. Il semble qu’on assigne de manière inappropriée un caractère contemporain à quatre choses : le ciel empyrée, la nature angélique, la matière des quatre éléments et le temps. En effet, le lieu découle de la génération des choses, comme aussi le temps. Or, on ne parle nulle part du lieu parmi les premières choses créées. Donc, du temps non plus.

 

[4587] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, tempus est accidens quoddam. Sed de aliis accidentibus non fit mentio, sed intelliguntur cum suis subjectis creata. Ergo videtur quod nec de tempore debet fieri.

2. Le temps est un accident. Or, il n’est pas fait mention des autres accidents, mais on comprend qu’ils ont été créés avec leurs sujets. Il semble donc qu’on ne doive pas non plus le faire pour le temps.

 

[4588] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, tempus est mensura motus primi mobilis. Sed primum mobile, scilicet firmamentum, factum est secundo die. Ergo tempus in principio creationis non fuit.

3. Le temps est la mesure du premier moteur mobile. Or, le premier mobile, le firmament, a été créé au deuxième jour. Il n’existait donc pas de temps au commencement de la création.

 

[4589] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, superiorum et inferiorum corporum non eadem est materia. Ergo videtur quod debeant esse sex, scilicet caelum Empyreum, materia firmamenti, materia quatuor elementorum et cetera.

4. La matière des corps supérieurs et inférieurs n’est pas la même. Il semble donc qu’il devait y avoir six choses : le ciel empyrée, la matière du firmament, la matière des quatre éléments, etc.

 

[4590] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, in quolibet sex dierum dicitur: dixit Deus, fiat, ut ostendatur, opus illius diei per verbum factum esse. Cum ergo informis materia per verbum facta sit, videtur quod in ejus creatione debeat dici: dixit Deus: fiat caelum et terra.

5. Pour chacun des six jours, il est dit : Dieu dit : « Que cela soit ! », afin de montrer que l’œuvre de ce jour a été créée par le Verbe. Puisque la matière a été créée informe par le Verbe, il semble donc que, lors de sa création, on doive dire : Dieu dit : « Qu’existent le ciel et la terre ! »

 

[4591] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum ad hoc ultimum. Primo quod per opus creationis instituta est tota creatura quantum ad esse suum informe; unde quae non possunt duci ad unum informe principium, quod est materia, faciunt numerum in operatione creationis. Substantia enim et accidens non reducuntur in unam materiam, quia accidentis pars materia non est; et ideo non conveniunt in materia ex qua. Potest tamen dici aliquo modo accidens convenire cum substantia in materia in qua, secundum quod accidens est in substantia: et ideo illud accidens quod est sicut extra mensurando denominans, substantiae connumeratur, scilicet tempus. Similiter substantia spiritualis et corporalis non reducuntur in unam materiam, cum spiritualia materia careant; et ita connumerantur Angelis. Similiter etiam corporum caelestium et inferiorum non est una materia; et ideo numeratur caelum, et materia quatuor elementorum. Et sic oportet in creationis opere quatuor praedicta connumerari.

Réponse. Il faut d’abord dire que, par l’œuvre de la création, l’ensemble des créatures a été établi pour ce qui est de son être sans forme ; aussi ce qui ne peut être ramené à un unique principe sans forme, qui est la matière, fait nombre dans l’œuvre de la création. En effet, la substance et l’accident ne se ramènent pas à une matière unique, car une partie d’un accident n’est pas la matière. Aussi n’ont-ils pas en commun la matière à partir de laquelle [tout a été établi]. On peut cependant dire que, d’une certaine manière, l’accident a en commun avec la substance la matière à partir de laquelle [tout a été établi], selon que l’accident existe dans la substance. C’est pourquoi l’accident qui désigne une mesure extérieure, le temps, est compté avec la substance. De même, la substance spirituelle et la substance corporelle ne se ramènent-elles pas à une seule matière, puisque la matière fait défaut aux réalités spirituelles ; [les substances spirituelles] sont ainsi comptées avec les anges. De même encore, la matière des corps célestes et celle des corps inférieurs ne sont-elles pas uniques ; aussi le ciel est-il compté, puis la matière des quatre éléments. Il est ainsi nécessaire de compter ensemble, dans l’œuvre de la création, les quatre choses déjà mentionnées.

 

[4592] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod locus est superficies corporis locantis; et ideo creatio loci cum creatione corporalis naturae intelligitur.

1. Le lieu est la superficie d’un corps qui définit le lieu. C’est pourquoi la création du lieu est comprise dans la création de la nature corporelle.

 

[4593] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod accidentia quaedam denominant illud in quo sunt, sicut albedo; et talia intelliguntur creata in creatione suorum subjectorum, si sunt de illis quae esse primum consequuntur, ut figura et quantitas, et hujusmodi. Quaedam autem denominant etiam illud in quo non sunt ut in subjecto, sicut locus. Non enim est locus corporis continentis in quo est ut in subjecto, sed corporis contenti: et tempus est numerus omnium motuum, etsi primo ejus in quo est ut in subjecto, scilicet motus primi mobilis, per quem omnes alii numerantur, ut in 10 Metaph. dicitur. Sed tamen alia est ratio de tempore et de loco: quia locus est idem per essentiam quod superficies corporis locantis; tempus autem non est idem numero cum aliquo accidente in substantia fundato: et praeterea locus totum complementum suum habet in re; sed temporis ratio aliquo modo completur ex actione animae numerantis; unde magis habet rationem extrinseci quam locus; et ideo potius connumeratur primo creatis quam locus, vel aliud aliquod accidens. Et praecipue hoc factum puto ad removendum antiquum errorem philosophorum, qui tempus posuerunt aeternum, praeter Platonem, ut in 8 Physic. dicitur.

2. Certains accidents désignent ce dans quoi ils existent, comme la blancheur ; on comprend que ceux-là sont créés par la création de leurs sujets, s’ils font partie de ceux qui découlent de l’être premier, comme la figure et la quantité, et ceux de ce genre. Mais certains désignent aussi ce dans quoi ils n’existent pas comme dans un sujet, comme le lieu. En effet, le lieu ne fait pas partie du corps contenant dans lequel il existe comme dans un sujet, mais du corps contenu. Et le temps est le nombre de tous les mouvements, même si on en parle d’abord pour ce dans quoi il existe en premier lieu comme dans un sujet, le mouvement du premier mobile, par lequel tous les autres sont dénombrés, comme on le dit dans Métaphysique, X. Cependant, il n’en va pas de même du temps et du lieu, car le lieu est par essence la même chose que la surface du corps situé dans un lieu ; mais le temps n’est pas numériquement la même chose qu’un accident ayant son fondement dans la substance. De plus, le lieu possède tout son achèvement dans une chose, mais la raison de temps se réalise d’une certaine manière par l’action de l’âme qui compte. Aussi a-t-il davantage un caractère extrinsèque que le lieu. C’est pourquoi il est d’abord plutôt compté parmi les choses créées que le lieu ou un autre accident. Et je pense que ceci a été fait surtout pour écarter l’erreur ancienne des philosophes, en plus de Platon, qui affirmaient que le temps est éternel, ainsi qu’on le dit dans Physique, VIII.

 

[4594] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod motus caeli incepit secunda die; sed non omnia simul creata sunt; unde non potest intelligi de tempore quod est numerus motus primi mobilis; sed oportet quod vel per tempus significetur aevum, ut quidam dicunt, vel tempus large sumatur pro numero cujuscumque successionis, ut sic tempus primo creatum dicatur quod mensurat ipsam creationem rerum, qua post non esse, in esse res prodierunt.

3. Le mouvement du ciel a commencé le deuxième jour ; mais tout n’a pas été créé en même temps. Aussi ne peut-on pas comprendre le temps comme le nombre du mouvement du premier mobile, mais il faut que, par le temps, soit signifié l’aevum, comme certains le disent, ou que le temps soit pris au sens large comme la mesure de toute succession, de telle sorte qu’on dise ainsi que le temps créé en premier mesure la création même des choses, par laquelle les choses sont venues à l’être après n’avoir pas été.

 

[4595] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod firmamentum secundum quosdam est de natura inferiorum corporum, et sic materia ejus intelligitur in materia quatuor elementorum; et sic solum caelum Empyreum erit alterius naturae, et quinta essentia. Sed si dicamus firmamentum esse quintam essentiam, tunc per caelum intelligitur Empyreum caelum, et caelum chrystallinum, et caelum sidereum; sed quantum ad naturam informem horum duorum: caelum enim Empyreum statim in sua creatione ultimum complementum habuit.

4. Selon certains, le firmament fait partie de la nature des corps inférieurs, et ainsi sa matière est comprise comme la matière des quatre éléments. Seul le ciel empyrée sera alors d’une autre nature, ainsi que la quinte essence. Mais si nous disons que la quinte essence est le firmament, on entend alors par « ciel » le ciel empyrée, le ciel cristallin et le ciel sidéral, mais selon la nature dépourvue de forme de ces deux derniers. En effet, le ciel empyrée a reçu d’emblée son ultime achèvement par sa création.

 

[4596] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod verbum proprie loquendo importat rationem formae exemplaris ad creaturas, eo quod verbum est ars, ut Augustinus dicit; et ideo in senario dierum, ubi formatio creaturae narratur, convenienter mentio de verbo fit; ubi autem narratur productio informis materiae, filius ostenditur causa ut principium, et non ut verbum. Unde diversimode utrobique totius Trinitatis causalitas ostenditur. In creatione siquidem informis materiae designatur pater nomine Dei qui creavit, filius nomine principii, spiritus sanctus nomine proprio, cum dicitur spiritus domini. In formatione vero rerum significatur pater ut dicens, filius ut verbum, spiritus sanctus ut benignitas, qua approbatur quod factum erat: eodem namque amore quo Deus voluit ut creatura fieret, ei placuit ut maneret.

5. À proprement parler, le Verbe a raison de forme exemplaire pour les créatures, du fait que « le Verbe est art », comme le dit Augustin. Aussi, dans les six jours où la formation de la créature est racontée, il est fait mention du Verbe de manière appropriée. Mais là où est racontée la production de la matière informe, le Fils est désigné comme cause en tant que principe, et non en tant que Verbe. Aussi la causalité de la Trinité est-elle montrée de manière différente dans les deux endroits. Dans la création de la matière sans forme, le Père est désigné par le nom de Dieu qui a créé, le Fils par le nom de principe, l’Esprit Saint par son nom propre, alors qu’il est appelé Esprit du Seigneur. Mais, dans la formation des choses, le Père est désigné comme celui qui profère [la Parole], le Fils comme le Verbe, l’Esprit Saint comme la bienveillance par laquelle est approuvée ce qui a été créé, car c’est par le même amour que Dieu a voulu que la créature soit, qu’il lui a plu qu’elle demeure.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 12

 

[4597] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 expos. Quam nomine terrae, ut Augustinus ait contra Manichaeos, ideo appellavit Moyses, quia terra inter omnia elementa mundi minus est speciosa. Sciendum, quod secundum Augustinum, qui non ponit in distinctione rerum ordinem temporis, oportet quod materia prima intelligatur omnino informis, ut dictum est; et sic vocabitur nomine aquae vel terrae propter similitudinem tantum, ut dicatur terra propter carentiam formae (terra enim inter omnia elementa minus habet de specie, cum sit magis elementum grossum); aqua vero propter receptibilitatem formarum, quia humidum est bene receptibile et terminabile; sed abyssus dicitur ex hoc quod est turpis per accidens, ut in 1 Physic., dicitur: abyssus enim dicitur ab a, quod est sine, et bysso, quod est genus lini candidissimi, idest sine candore; et hoc accidit materiae ratione privationis. Vel dicitur abyssus, quasi sine basi, de aliqua magna profunditate, et praecipuae aquarum, secundum Augustinum: et similiter materia prima abyssus dicitur, inquantum privatur forma, per quam esse substantificum recipit. Sed secundum alios sanctos possumus dicere, quod ad litteram erat sub forma substantiali terrae vel aquae. Terra autem erat inanis et vacua. Si intelligitur per terram materia informis, sic oportet exponi receptibilitas materiae quodammodo esse similis receptibilitati loci, inquantum in una materia manente succedunt sibi diversae formae, sicut in uno loco diversa corpora; propter quod Plato locum et materiam idem esse dixit, ut in 4 Physic., dicitur: et ideo ea quae sunt loci, similitudinarie de materia dicuntur; ut materia dicatur inanis et vacua, secundum carentiam formae: sed vacua inquantum forma implet capacitatem materiae; inanis, inquantum forma est finis in quem tendit appetitus materiae. Si autem terra sumatur pro elemento adhuc informi, sic ad litteram dicitur vacua et inanis propter carentiam corporum mixtorum, quorum ipsa est locus, et ad quae quasi ad finem ordinatur. Sive aeris obscura qualitate. Sciendum, quod omnis privatio, quantum ad id quod significatur per nomen, est non ens; sed tamen oportet quod aliquid praesupponatur: quia enim privatio est negatio in subjecto apto nato, ut in 4 Metaph. dicitur (unde praesupponitur subjectum, et habilitas ipsius ad receptionem formae quae privatur), ideo cum tenebra opponatur luci per modum privationis, potest tripliciter sumi. Aut pro ipso subjecto privato, quod est aer obscurus; et sic constat tenebras aliquid esse, et creaturas esse. Secundo modo potest sumi pro ipsa virtute aeris, per quam est receptivus lucis, quae est diaphaneitas, secundum quod non est perfecta per lucem; et sic tenebra potest dici obscura qualitas aeris, quae aliquid creatum est. Tertio modo sumitur proprie pro eo quod significatur per nomen; et sic privatio est non ens; et hoc modo, per se loquendo, non potest dici creata a Deo; sed solum per accidens, inquantum fecit naturam opacam, ex cujus oppositione ad corpus luminosum tenebra relinquitur; sicut dicitur tenebras in domo facere qui claudit fenestram. Primo in verbo, omnia disponendo. Videtur hoc esse falsum: quia nihil quod fit in verbo, est factum; et ita in verbo Deus nihil operatur. Ad quod dicendum, quod secundum quosdam Alcuinus improprie locutus est, et est exponendum, operatur in verbo; idest, genuit verbum, quod est ars omnium operandorum per ipsum. Hoc autem ideo dicunt, quia non faciunt differentiam inter operari et facere, cum multum differant. Quia facere proprie est actus rei transiens in exteriorem materiam; unde philosophus dicit in 6 Ethic., artificialia esse factibilia; et sic Deus non fecit aliquid ab aeterno. Sed operatio dicitur quilibet actus rei, etiamsi exterius non transeat, sicut intelligere est operatio intellectus, et potest esse sine motu; unde philosophus in 7 Ethic. dicit, quod Deus una simplici operatione gaudet; et per hunc modum Deus ab aeterno in verbo operatur, sicut artifex excogitando formas artificialium.

 

 

 

 

 

Distinctio 13

Distinction 13 – [L’œuvre du premier jour]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[4598] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 pr. Dicto de opere creationis, hic prosequitur distinctionis opus; et dividitur in partes tres: in prima determinat de opere primae diei; in secunda de opere secundae, 14 dist., ibi: dixit Deus: fiat firmamentum; in tertia de opere tertiae diei, ibi: sequitur: dixit Deus: congregentur aquae in locum unum. Prima dividitur in duas: in prima determinat primum opus distinctionis per lucis productionem; in secunda exponit quaedam dubia quae possent esse in his quae contra hoc opus dicuntur; et circa opera secunda, ibi: praeterea investigandum est, quomodo accipiendum sit quod ait, dixit Deus. Circa primum tria facit: primo determinat lucis productionem; secundo ejus conditiones, ibi: sed quaeritur qualis illa lux fuerit; tertio lucis effectum etc., ibi: hic notandum est, quod dies diversis modis accipitur in Scriptura. Secunda in duas: in prima ostendit conditionem lucis quantum ad ejus naturam vel genus; in secunda quantum ad ejus locum, ibi: si autem quaeritur, ubi facta est lux illa (...) dici potest in illis partibus facta quas nunc illustrat solis diurna lux. Tertia pars in qua determinat effectum lucis, qui est dies, dividitur in tres: in prima distinguit diem quantum ad variam acceptionem; in secunda quantum ad ordinem partium, ibi: hic est naturalis ordo distinctionis dierum; in tertia quantum ad causam efficientem, ibi: solet etiam quaeri quare factus est sol. Praeterea investigandum est, quomodo accipiendum sit quod ait, dixit Deus. Hic exponit, quomodo intelligendum sit quod dicitur, dixit Deus; et primo ponit expositionem; secundo movet dubitationem consequentem, ibi: hic quaeri solet, quomodo accipiendum sit quod dicitur pater operari in filio. Circa quod tria facit: primo movet quaestionem; secundo quorumdam errorem ponit, ibi: putaverunt quidam haeretici quod pater, velut auctor et artifex, filio et spiritu sancto in rerum operatione, quasi instrumento, uteretur; tertio determinat secundum veritatem, ibi: non est itaque intelligendum, ideo Scripturam frequenter commemorare patrem operari in filio (...) tamquam filius non posset facere, si ei non porrexisset pater dexteram. Ubi duas ponit solutiones; quarum secunda incipit, ibi: potest et illud aliter accipi. Circa primum duo facit: primo ponit responsionem; secundo excludit haereticorum obviationem, ibi: sed dicit haereticus et cetera. Hic quaeruntur quinque: 1 de opere distinctionis per differentiam ab aliis operibus; 2 utrum lux proprie in spiritualibus inveniatur; 3 utrum lux corporalis sit substantia, aut accidens; 4 de lucis productione; 5 quomodo pater dicitur per filium operari.

Après avoir parlé de l’œuvre de la création, on poursuit ici en parlant de l’œuvre de la différenciation [entre les créatures]. Il y a trois parties. Dans la première, [le Maître] détermine de l’œuvre du premier jour. Dans la deuxième, de l’œuvre du deuxième [jour], d. 14, à cet endroit : Dieu dit : « Que le firmament soit ! » Dans la troisième, de l’œuvre du troisième jour, à cet endroit : Puis, Dieu dit : « Que les eaux soient rassemblées en un seul lieu ! » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine d’abord de l’œuvre de la différenciation par la production de la lumière ; dans la deuxième, il explique certains doutes qui peuvent exister là où l’on parle contre cette œuvre ; à propos des œuvres faites en second, à cet endroit : « De plus, il faut chercher à comprendre ce qu’on dit : Dieu dit… » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il détermine de la production de la lumière ; deuxièmement, de ses conditions, à cet endroit : « Mais on cherche quelle était cette lumière »; troisièmement, de l’effet de la lumière, etc., à cet endroit : « Mais il faut remarquer ici que ‘jour’ s’entend de diverses manières dans l’Écriture. » La deuxième partie se divise en deux. Dans la première, il montre la condition de la lumière du point de vue de sa nature ou de son genre ; dans la deuxième, du point de vue de son lieu, à cet endroit : « Mais si on se demande où cette lumière a été créée…, on peut dire qu’elle a été créée dans les endroits où la lumière du soleil éclaire maintenant pendant le jour. » La troisième partie, dans laquelle il détermine de l’effet de la lumière, qui est le jour, se divise en trois. Dans la première, il fait une distinction entre les diverses acceptions de « jour » ; dans la deuxième, du point de vue de l’ordre de ses parties, à cet endroit : « On a ici l’ordre naturel de la différenciation entre les jours »; dans la troisième, du point de vue de la cause efficiente, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander pourquoi le soleil a été créé… » « De plus, il faut chercher à comprendre ce qu’on dit : Dieu dit… » [Le Maître] explique ici comment il faut comprendre ce qui est dit : Dieu dit… Premièrement, il présente son explication ; deuxièmement, il soulève un doute qui en est issu, à cet endroit : « On a ici coutume de se demander comment il faut comprendre que le Père agit dans le Fils. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il soulève une question. Deuxièmement, il présente l’erreur de certains, à cet endroit : « Certains hérétiques ont pensé que le Père, en tant qu’auteur et artisan, a employé le Fils et l’Esprit Saint comme un instrument pour la création des choses. » Troisièmement, il détermine selon la vérité, à cet endroit : « Il ne faut pas comprendre l’Écriture qui rappelle souvent que le Père agit dans le Fils… comme si le Fils ne pouvait pas agir, si le Père ne lui tendait sa droite. » Il présente là deux solutions ; la seconde commence à cet endroit : « Cela peut aussi se comprendre autrement. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente la réponse ; deuxièmement, il écarte l’obstacle des hérétiques, à cet endroit : « Mais l’hérétique dit, etc. » Cinq questions sont ici posées : 1. À propos de l’œuvre de différenciation, selon qu’elle est différente des autres œuvres. 2. La lumière existe-t-elle au sens propre chez les [créatures] spirituelles ? 3. La lumière corporelle est-elle une substance ou un accident ? 4. À propos de la production de la lumière. 5. Comment dit-on que le Père agit par le Fils ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4599] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 tit. Utrum opus distinctionis fuerit necessarium post opus creationis

Article 1 – L’œuvre de différenciation était-elle nécessaire après l’œuvre de la création ?

 

[4600] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod post opus creationis, distinctionis opus necessarium non fuerit. Distinctio enim non est nisi prius confusorum et commixtorum. Si ergo post creationem facta est rerum distinctio, oportet res prius mixtas fore creatas; et sic redibit opinio Anaxagorae et Anaximandri, quod res fiant per extractionem ex uno confuso et mixto.

1. Il semble qu’après l’œuvre de la création, l’œuvre de la différenciation n’était pas nécessaire. En effet, la différenciation n’existe que pour ce qui d’abord mêlé et mélangé. Si donc une différenciation entre les choses a été réalisée après la création, il faut que des choses mêlées aient d’abord été créées, et ainsi l’opinion d’Anaxagore et d’Anaximandre réapparaîtra : les choses sont réalisées par extraction à partir d’un seul tout mêlé et mélangé.

 

[4601] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, creatio terminatur ad esse. Ens enim, ut dicitur in Lib. de causis, est per creationem. Sed materia secundum esse distincta est, quamvis secundum essentiam sit una. Ergo videtur quod post creationem distinctione opus non sit.

2. La création a comme terme l’acte d’être. En effet, comme on le dit dans le livre Sur les causes, ce qui existe vient de la création. Or, la matière est différenciée en son être, bien qu’elle soit une en son essence. Il semble donc qu’après la création, on n’ait pas besoin de différenciation.

 

[4602] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, eorum est distinctio quorum potest esse commixtio et confusio secundum locum. Sed haec non possunt convenire nisi communicantibus in materia. Si ergo superioribus et inferioribus corporibus materia communis non sit, videtur quod superiorum ab inferioribus nulla sit facienda distinctio.

3. Il y a différenciation là où peuvent exister un mélange ou amalgame selon le lieu. Or, ces choses ne peuvent se rejoindre que si elles ont la matière en commun. Si donc la matière des corps supérieurs et des corps inférieurs n’est pas commune, il semble qu’il ne faille faire aucune distinction entre les [corps] supérieurs et les [corps] inférieurs.

 

[4603] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, quodlibet corpus est distinctum ab aliis corporibus. Cum ergo describatur in textu distinctio caeli chrystallini et caeli siderei, videtur quod inconvenienter subticeatur distinctio caeli Empyrei.

4. Tout corps est distinct des autres corps. Puisque la différence entre le ciel cristallin et le ciel sidéral est décrite dans le texte, il semble donc que soit ajoutée de manière inappropriée la différenciation du ciel empyrée.

 

[4604] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, supra dictum est in littera, dist. 12, quod sex diebus Deus creaturas per species distinxit. Ergo videtur quod totum opus sex dierum ad distinctionem pertineat; et ita ornatus videtur a distinctionis opere non differre.

5. On a dit plus haut dans le texte, d. 12, que Dieu a realisé la différenciation entre les créatures en six jours. Il semble donc que toute l’œuvre des six jours se rapporte à la différenciation, et ainsi l’embellisement ne diffère pas de l’œuvre de la différenciation.

 

[4605] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod natura in operibus sex dierum taliter instituta est ut naturae principia tunc condita in se subsisterent, et quod ex eis alia propagari possent per mutuam actionem et passionem; et ideo oportuit eis tunc esse conferri, et virtutes activas et passivas, quas Augustinus, vocat rationes seminales, quibus ex eis effectus consequentes producerentur. Quantum ergo ad esse ipsorum principiorum, sumitur opus creationis, per quod substantia elementorum mundi in esse producta est. Sed virtutum activarum et passivarum quaedam sunt moventes ad determinatas species, ut virtus quae est in semine leonis et equi: quaedam vero sunt communes moventes ad omnem speciem, ut calidum, frigidum, et hujusmodi. Per opus ergo distinctionis attributae sunt rebus creatis virtutes activae et passivae communes, moventes ad omnem speciem; sed per opus ornatus collatae sunt rebus virtutes moventes ad determinatas species. Sed distinctio non potest nisi tripliciter variari. Cum enim motus alterationis, secundum quem fit generatio et corruptio, reducatur in unum primum alterans non alteratum, scilicet caelum, oportet in principiis essentialibus mundi esse tria: primum, quod est alterans non alteratum, ut caelum; secundum, quod est alterans alteratum, ut media elementa, quae sunt ignis, aqua, et aer; tertium, quod est ultimum, et minimum habens de virtute alterandi, scilicet terra. Primo ergo oportuit distingui primum ab ultimo; et hoc factum est per lucis productionem; quae quidem formaliter est in caelo, et participatur in mediis elementis secundum plus et minus; sed ultimum elementum, scilicet terra, caret luce, vel minimum de ipsa habet. Secundo oportuit esse distinctionem primi a medio; et hoc factum est secunda die, quando divisae sunt aquae inferiores a superioribus, facto firmamento. Tertio est divisio medii ab ultimo; et hoc factum est tertia die, quando congregatae sunt aquae in unum locum, et apparuit arida.

Réponse. La nature a été établie au cours des six jours de telle manière que les principes de la nature alors créée subsistent en eux-mêmes, et que, à partir d’eux, les autres choses puissent se propager une action et une passion réciproques. Il fallait donc que leur soient alors conférées des puissances actives et passives, qu’Augustin appelle raisons séminales, par lesquelles seraient produits, à partir d’elles, les effets qui en découlent. Pour ce qui est de l’existence de ces principes mêmes, on parle de l’œuvre de la création, par laquelle la substance des éléments du monde a été amenée à l’acte d’être. Mais, parmi les puissances actives et passives, certaines meuvent à des espèces déterminées, comme la puissance qui se trouve dans la semence du lion et du cheval ; mais certaines sont communes et meuvent à toutes les espèces, comme le chaud, le froid et celles de ce genre. Par l’œuvre de différenciation, ont donc été attribuées aux choses créées les puissances actives et passives communes qui meuvent à toute espèce ; mais, par l’œuvre d’embellissement, ont été conférées aux choses des puissances qui meuvent à des espèces déterminées. Mais la différenciation ne peut varier que de trois manières. En effet, puisque le mouvement d’altération, selon lequel se réalisent la génération et la corruption, se ramène à un seul premier agent d’altération non altéré, à savoir, le ciel, il faut qu’il y ait trois choses dans les principes du monde : premièrement, ce qui altère sans être altéré, comme le ciel ; deuxièmement, ce qui altère en étant altéré, comme les éléments intermédiaires qui sont le feu, l’eau et l’air ; troisièmement, ce qui vient en dernier et possède le moins de puissance pour altérer, à savoir, la terre. Premièrement, il fallait donc faire une distinction entre le premier et le dernier : cela a été fait par la production de la lumière, qui se trouve formellement dans le ciel et participe plus ou moins aux éléments intermédiaires ; mais, au dernier élément, à savoir, la terre, fait défaut la lumière ou elle en possède très peu. Deuxièmement, il fallait faire une distinction entre ce qui est premier et ce qui est intermédiaire : cela a été fait le deuxième jour, alors que les eaux inférieures ont été séparées des eaux supérieures, lorsque le firmament a été créé. Troisièmement, il y a la division entre ce qui est intermédiaire et ce qui est dernier : cela a été fait le troisième jour, alors que les eaux ont été rassemblées en un seul lieu et que sont apparus les déserts.

 

[4606] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod distinctio partium mundi non est intelligenda per extractionem materialem ab aliquo mixto, sed formaliter per hoc quod diversis rebus diversae virtutes collatae sunt.

1. La distinction entre les parties du monde ne doit pas être comprise comme une extraction matérielle à partir d’un mélange, mais formellement, comme le fait que des puissances différentes ont été assemblées dans diverses choses.

 

[4607] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per opus creationis principia mundi distincta sunt quantum ad esse primum, quod est per formas substantiales. Sed oportuit advenire opus distinctionis, ut distinguerentur etiam quantum ad agere et pati, secundum diversas virtutes rebus collatas.

2. Par l’œuvre de la création, les principes du monde ont été différenciés quant à leur être premier, c’est-à dire par leur formes substantielles. Mais l’œuvre de différenciation devait survenir pour qu’ils soient aussi différenciés pour l’agir et le subir, selon les diverses puissances assemblées dans les choses.

 

[4608] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in istis distinctionibus est quaedam diversitas. Quia enim corpora superiora non sunt ejusdem materiae cum inferioribus, et per consequens secundum locum confundi non possunt, ideo prima distinctio, quae est primi ab ultimo, et secunda, quae est primi a medio, est tantum secundum collationem diversarum virtutum ad agendum et patiendum; sed tertia, quae est medii elementi ab ultimo, quae commisceri possunt et secundum locum confundi, est secundum utrumque, inquantum elementis collatae sunt qualitates quae sunt principia alterationis, ut calor et frigus et hujusmodi; et illa quae sunt principia motus localis, ut gravitas et levitas; et ideo in tertio die facta est mentio de loco, cum dicitur: congregentur aquae in unum locum, et non aliis praecedentibus.

3. Parmi ces différenciations, il existe une certaine diversité. En effet, parce que les corps supérieurs n’ont pas la même matière que les corps inférieurs et ne peuvent par conséquent être unis selon le lieu, la première différenciation, entre ce qui est celle de ce qui est premier par rapport à ce qui est dernier, et la deuxième, entre ce qui est premier par rapport à ce qui est intermédiaire, se réalisent seulement par assemblage de différentes puissances actives et passives. Mais la troisième, qui est celle d’un élément intermédiaire par rapport à un dernier, qui peuvent être mélangés et unis selon le lieu, se réalise selon les deux, pour autant que les qualités, qui sont les principes de l’altération, tels la chaleur, le froid et ceux de ce genre, sont assemblés avec les éléments, ainsi que ce qui est principe du mouvement local, telles la pesanteur et la légèreté. C’est pourquoi il est fait mention du lieu le troisième jour, lorsqu’il est dit : Que les eaux soient réunies en un seul lieu !, et non lors des autres jours précédents.

 

[4609] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caelum Empyreum, ut supra dictum est, non habet influentiam super inferiora corpora; et ideo inter opera distinctionis commemorari non debuit, per quam rebus virtutes activae datae sunt: sed caelum Empyreum ordinatum est ad gloriam beatorum; et ideo in principio creationis suae totum complementum suum habuit.

4. Comme on l’a dit, le ciel empyrée n’exerce pas d’influence sur les corps inférieurs ; il ne devait donc pas être rappelé parmi les œuvres de la différenciation, par laquelle des puissances actives ont été données aux choses. Mais le ciel empyrée a été ordonné pour la gloire des bienheureux. C’est pourquoi il a été entièrement achevé dès le commencement de la création.

 

[4610] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod opus distinctionis supra acceptum est communiter, prout dicit discretionem secundum quamcumque virtutis differentiam: et sic in se includit etiam ornatum; alio autem modo ab ornatu differt, ut dictum est. Et haec differentia potest sumi ex modo loquendi ipsius Scripturae, quae in operibus trium dierum quamdam divisionem insinuat.

5. L’œuvre de la différenciation a été entendue plus haut en un sens général, en tant qu’elle exprime une séparation selon n’importe quelle différence d’une puissance ; elle inclut ainsi même l’embellissement. Mais, en un autre sens, elle diffère de l’embellissement, comme on l’a dit. Cette différence peut être tirée de la manière dont parle l’Écriture elle-même, qui, parmi les œuvres des trois jours, suggère une certaine division.

 

 

 

 

Articulus 2 [4611] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 tit. Utrum lux proprie inveniatur in spiritualibus

Article 2 – Trouve-t-on de la lumière au sens propre dans les [substances] spirituelles ?

 

[4612] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod lux proprie in spiritualibus inveniatur. Primo per id quod dicitur Joan. 1, 9: erat lux vera quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum; quod de Deo intelligitur, qui maxime spiritualis est. Ergo videtur quod lux proprie in spiritualibus substantiis inveniatur.

1. Il semble qu’on trouve de la lumière au sens propre dans les substances spirituelles. Premièrement, selon ce qui est dit en Jn 1, 9 : Il était la lumière véritable qui illumine tout homme venant dans ce monde, ce qui s’entend de Dieu, qui est spirituel au plus haut point. Il semble donc qu’on trouve de la lumière dans les substances spirituelles.

 

[4613] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit: non Christus sic dicitur lux quomodo dicitur lapis; sed illud proprie, hoc utique figurative. Non autem Christus proprie diceretur lux, nisi lux proprie in spiritualibus inveniretur. Ergo et cetera.

2. Augustin dit : « On ne dit pas du Christ qu’il est la lumière comme on dit qu’il est la pierre ; mais on dit cela au sens propre, et ceci au sens figuré. » Or, le Christ ne serait pas appelé lumière, si on ne trouvait pas de lumière dans les [substances] spirituelles. Donc, etc.

 

[4614] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, inter alias creaturas spiritualis substantia nobilior est, quasi Deo proximior. Sed non est probabile, Scripturam divinam nobilissimae creaturae creationem subticuisse. Cum ergo de creatione Angelorum mentionem non faciat, videtur quod ad litteram et proprie per lucis productionem creatio naturae angelicae sit intelligenda.

3. Parmi les autres créatures, la créature spirituelle est une substance plus noble du fait qu’elle est plus proche de Dieu. Or, il n’est pas probable que l’Écriture ait tu la création de la créature la plus noble. Puisqu’elle ne fait pas mention de la création des anges, il semble donc qu’au sens littéral et propre, il faille entendre la création de la nature angélique par la production de la lumière.

 

[4615] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, luci convenit maxime activum esse; unde luci attribuitur diffusivum esse. Sed actio convenit verius spiritualibus quam corporalibus. Ergo et lux.

4. L’être le plus actif convient à la lumière ; aussi attribue-t-on à la lumière d’être apte à se diffuser. Or, l’action convient en un sens plus vrai aux êtres spirituels qu’aux êtres corporels. Donc, la lumière aussi.

 

[4616] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, actus proprius lucis est manifestare. Sed manifestatio magis proprie est in spiritualibus, ubi est nobilior cognitio. Ergo videtur quod et lux verius in eis inveniatur.

5. L’acte propre de la lumière est de rendre manifeste. Or, la manifestation existe en un sens plus propre chez les êtres spirituels, chez qui existe une connaissance plus noble. Il semble donc que la lumière aussi se trouve chez eux en un sens plus vrai.

 

[4617] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Ambrosius, qui inter ea quae transumptive de Deo dicuntur, ponit splendorem qui contingit ex multiplicatione luminis. Ergo videtur quod lux in spiritualibus non nisi metaphorice inveniatur.

Cependant, [1] Ambroise dit que, dans ce qui est dit de Dieu par métaphore, il met l’éclat, qui vient de la multiplication de la lumière. Il semble donc que la lumière ne se trouve chez Dieu que de manière métaphorique.

 

[4618] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Dionysius dicit, quod Deus dicitur lumen ex hoc quod similitudo ejus maxime resultat in radio solari quantum ad causalitatem. Sed omne nomen quod dicitur de Deo per similitudinem a creatura corporali sumptam, convenit sibi metaphorice. Ergo et cetera.

[2] Denys dit que Dieu est appelé lumière du fait que sa ressemblance se manifeste au plus haut point dans le rayon solaire, pour ce qui est de sa causalité. Or, tout nom qui est dit de Dieu selon une ressemblance avec une créature corporelle lui convient de manière métaphorique. Donc, etc.

 

[4619] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in hoc videtur esse quaedam diversitas inter sanctos. Augustinus enim videtur velle, quod lux in spiritualibus verius inveniatur quam in corporalibus. Sed Ambrosius et Dionysius videntur velle, quod in spiritualibus non nisi metaphorice inveniatur. Et hoc quidem videtur magis verum; quia nihil per se sensibile spiritualibus convenit nisi metaphorice, quia quamvis aliquid commune possit inveniri analogice in spiritualibus et corporalibus, non tamen aliquid per se sensibile, ut patet in ente, et calore; ens enim non est per se sensibile, quod utrique commune est; calor autem quod per se sensibile est, in spiritualibus proprie non invenitur. Unde cum lux sit qualitas per se visibilis, et species quaedam determinata in sensibilibus; non potest dici in spiritualibus nisi vel aequivoce vel metaphorice. Sciendum tamen, quod transferuntur corporalia in spiritualia per quamdam similitudinem, quae quidem est similitudo proportionabilitatis; et hanc similitudinem oportet reducere in aliquam communitatem univocationis, vel analogiae; et sic est in proposito: dicitur enim lux in spiritualibus illud quod ita se habet ad manifestationem intellectivam sicut se habet lux corporalis ad manifestationem sensitivam. Manifestatio autem verius est in spiritualibus; et quantum ad hoc, verum est dictum Augustini, quod lux verius est in spiritualibus quam in corporalibus, non secundum propriam rationem lucis, sed secundum rationem manifestationis, prout dicitur in canonica Joannis, quod omne quod manifestatur, lumen est; per quem modum omne quod manifestum est, clarum dicitur, et omne occultum obscurum.

Réponse. Sur ce point, il semble y avoir une certaine diversité entre les saints. En effet, Augustin semble vouloir que la lumière se trouve avec une plus grande vérité chez les êtres spirituels que chez les êtres corporels. Mais Ambroise et Denys semblent vouloir que, chez les êtres spirituels, on ne la trouve que de manière métaphorique. Et cela semble plus vrai, car rien de sensible par soi ne convient à des réalités spirituelles, sinon de manière métaphorique, car, bien qu’on puisse trouver de manière analogique quelque chose de commun entre les réalités spirituelles et les réalités corporelles, on n’[en trouve] cependant pas pour ce qui est sensible par soi, comme cela ressort pour l’être et pour la chaleur. En effet, l’être n’est pas par soi sensible, puisqu’il est commun aux deux ; mais la chaleur, qui est sensible par soi, ne se trouve pas à proprement parler chez les êtres spirituels. Puisque la lumière est une qualité visible par soi et une espèce déterminée parmi les réalités sensibles, elle ne peut donc être appliquée aux réalités spirituelles que de manière équivoque ou métaphorique. Toutefois, il faut savoir que les réalités corporelles sont reportées sur les réalités spirituelles en raison d’une certaine ressemblance, qui est une ressemblance de proportionnalité, et il faut ramener cette ressemblance à un caractère commun univoque ou analogue. Tel est ici le propos. En effet, on appelle lumière chez les êtres spirituels ce qui se rapporte à la manifestation intellectuelle, de la même manière que la lumière corporelle [se rapporte] à la manifestation sensible. Or, la manifestation est quelque chose de plus vrai chez les êtres spirituels et, de ce point de vue, ce qui est dit par Augustin est vrai, à savoir que la lumière existe avec plus de vérité chez les êtres spirituels que chez les êtres corporels ; non pas selon la raison propre de lumière, mais selon la raison de manifestation, comme il est dit dans la lettre canonique de Jean : Tout ce qui est manifesté est lumière (1 Jn 5, 13). De cette manière, tout ce qui est manifeste est éclatant, et tout ce qui est caché est obscur.

 

[4620] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus dicitur lux vera quantum ad veritatem ejus a quo sumitur similitudo, et non quantum ad veram naturam lucis; per quem etiam modum dicitur vitis vera, Joan. 15.

1. Dieu est appelé la lumière véritable du point de vue de la vérité de ce dont est tirée la ressemblance, et non du point de vue de la véritable nature de la lumière. De cette manière, il est aussi appelé la vigne véritable, Jn 15.

 

[4621] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus attendit quantum ad rationem manifestationis, magis quam ad nomen lucis. Vel dicendum, quod ea quae ibi dicit, ut ipse ibidem, cap. 28, protestatur, non asserendo, sed inquirendo dicit.

2. Augustin porte attention à la raison de manifestation plutôt qu’au mot « lumière ». Ou bien il faut dire que ce qu’il dit là, comme il l’atteste lui-même au chapitre XXVIII, il le dit en recherchant, et non en affirmant.

 

[4622] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, secundum Dionysium, Scriptura divina proponit nobis spiritualia sub similitudine rerum corporalium; et ideo non decuit ut creationem Angelorum expresse describeret; sed dedit eam intelligere ex productione corporalis lucis.

3. Selon Denys, l’Écriture divine nous propose des réalités spirituelles sous la ressemblance de réalités corporelles. Aussi ne convenait-il pas qu’elle décrive expressément la création des anges, mais elle l’a suggérée à partir de la production de la lumière corporelle.

 

[4623] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad propriam naturam lucis non pertinet quaelibet actio, sed talis quae est in corporalibus; et similiter non quaelibet manifestatio, sed quae est ad sensum visus.

4. N’importe quelle action ne convient pas à la nature propre de la lumière, mais celle qui existe dans les réalités corporelles ; de même, pas n’importe quelle manifestation, mais celle qui correspond au sens de la vue.

 

[4624] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 ad 5 Unde patet responsio ad quintum.

5. La réponse au cinquième argument ressort ainsi clairement.

 

 

 

 

Articulus 3 [4625] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 tit. Utrum lux sit accidens

Article 3 – La lumière est-elle un accident ?

 

[4626] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod lux non sit accidens. Primo per auctoritatem Augustini, qui dicit in Lib. 3 de Lib. Arbitr., quod lux in corporibus tenet primum locum; et multa hujusmodi in libris suis dicit. Sed nullum corpus est accidens. Ergo et cetera.

1. Il semble que la lumière ne soit pas un accident. Tout d’abord, par l’autorité d’Augustin, qui dit, dans le livre Sur le libre arbitre, III, que la lumière occupe la première place parmi les corps ; et il dit beaucoup d’autres choses du même même genre dans ses livres. Or, aucun corps n’est un accident. Donc, etc.

 

[4627] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, quaecumque conjunguntur et separantur ab invicem, manentia eadem numero, non sunt accidentia, quia accidens de subjecto in subjectum non transit, nec duo accidentia ejusdem speciei distincta, in eodem subjecto esse possunt. Sed duorum luminarium lumina conjunguntur et separantur ab invicem, ut dicit Dionysius. Ergo lux non est accidens.

2. Tout ce qui s’unit et se sépare, en demeurant identique numériquement, n’est pas un accident, car un accident ne passe pas d’un sujet à un autre sujet, et deux accidents distincts de la même espèce peuvent exister dans le même sujet. Or, les lumières des deux luminaires [le soleil et la lune] s’unissent et se séparent, comme le dit Denys. La lumière n’est donc pas un accident.

 

[4628] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, quidquid praedicatur de genere, et de specie. Sed secundum philosophum, lux est species ignis. Cum ergo ignis sit corpus et substantia, videtur quod similiter et lux.

3. Tout ce qui est attribué au genre l’est aussi à l’espèce. Or, selon le Philosophe, la lumière est une espèce du feu. Puisque le feu est un corps et une substance, il semble donc que la lumière le soit aussi.

 

[4629] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, nihil movetur nisi corpus, ut in 7 Physic., probatur. Sed radii moventur descendentes de sole ad nos. Ergo sunt corpus.

4. Seul un corps est mû, comme il est démontré dans Physique, VII. Or, les rayons sont mus en descendant du soleil vers nous. Ils sont donc un corps.

 

[4630] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, nihil reverberatur ad corpus nisi corpus, quia accidenti corpus non obsistit. Sed radii solares reverberantur ad corpus solidum. Ergo et cetera.

5. Rien n’est réfléchi par un corps qu’un autre corps, car un corps ne résiste pas à un accident. Or, les rayons du soleil sont réfléchis par un corps solide. Donc, etc.

 

[4631] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, corporum est ut ex eorum confricatione et compressione calor sequatur. Sed ex intersecatione radiorum solis et multiplicatione sequitur calor. Ergo et cetera.

6. Ce dont la friction et la compression produisent de la chaleur fait partie des corps. Or, une chaleur est produite par la division et la multiplication des rayons du soleil. Donc, etc.

 

[4632] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 7 Item, nihil agit ultra speciem suam, quia effectus non est altior agente. Sed per lumen solis producuntur formae substantiales in inferioribus, ut patet ex Dionysio, ubi dicit, quod lumen solare corporum visibilium generationi confert, et ad vitam ipsam movet. Cum ergo forma substantialis sit ultra naturam accidentis in perfectione et dignitate, videtur quod lumen accidens esse non possit.

7. Rien n’agit en dehors de son espèce, car l’effet n’est pas plus élevé que l’agent. Or, par la lumière, des formes substantielles sont produites dans les êtres inférieurs, comme cela ressort de Denys, là où il dit que la lumière du soleil contribue à la génération des corps visibles et meut en direction de la vie. Puisque la forme substantielle dépasse en perfection et en dignité la nature de l’accident, il semble donc que la lumière ne puisse pas être un accident.

 

[4633] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 8 Praeterea, si accidens est, oportet quod ad aliquod accidentis genus reducatur, nec potest ad aliud reduci quam ad genus qualitatis, cujus sibi nulla species competere videtur nisi tertia. Si ergo in tertia specie qualitatis non sit, videtur quod non sit accidens. Quod autem non sit in tertia specie qualitatis, sic probatur. In illa enim specie est passio, vel passibilis qualitas. Sed cuilibet passibili qualitati est aliquid contrarium. Cum ergo luci nihil contrarie opponatur, sed solum privative, scilicet tenebra, videtur quod lux non sit in tertia specie qualitatis.

8. Si [la lumière] est un accident, il faut qu’elle soit ramenée au genre de l’accident, et elle ne peut être ramenée à un autre qu’au genre de la qualité, auquel ne semble convenir aucune espèce, sinon la troisième [espèce de qualité]. Si donc elle ne se trouve pas dans la troisième espèce de qualité, il semble qu’elle ne soit pas un accident. Or, qu’elle ne soit pas dans la troisième espèce de qualité, on le démontre ainsi. En effet, , dans cette espèce, se trouve la passion ou une qualité susceptible de passion. Or, il existe un contraire de toute qualité susceptible de passion. Puisque rien de contraire ne s’oppose à la lumière, mais seulement quelque chose qui en prive, à savoir, les ténèbres, il semble donc que la lumière ne soit pas dans la troisième espèce de qualité.

 

[4634] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 9 Praeterea, omnis qualitas passibilis introducitur successive in materiam; quia secundum eam contingit alterationis motus, qui successivus est. Illuminatio autem fit subito. Ergo lumen non est hujusmodi qualitas.

9. Toute qualité susceptible de passion est introduite de manière successive dans la matière, car un mouvement d’altération, qui est successif, survient à cause d’elle. Or, l’illumination se réalise de manière subite. La lumière n’est donc pas une qualité de ce genre.

 

[4635] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 10 Praeterea, qualitates passibiles impressae in subjecto ab aliquo agente, remanent per aliquod tempus, etiam agente remoto, ut patet in aqua calefacta. Sed lumen factum in aere statim esse desinit ad absentiam solis illuminantis. Ergo et cetera.

10. Les qualités susceptibles de passion imprimées dans un sujet par un agent demeurent un certain temps, même si l’agent s’est retiré, comme cela est clair dans le cas de l’eau chaude. Or, la lumière qui apparît dans l’air cesse d’exister dès que le soleil qui éclaire n’est plus présent. Donc, etc.

 

[4636] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Damascenus, lucem esse qualitatem ignis. Qualitas autem est accidens. Ergo et lux.

Cependant, [1] [Jean] Damascène dit que la lumière est une qualité du feu. Or, la qualité est un accident. Donc, etc.

 

[4637] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 s. c. 2 Item, Avicenna dicit, quod lux est qualitas corporis lucidi inquantum hujusmodi, et quod lumen est qualitas quam mutuatur corpus diaphanum a corpore lucido. Ergo videtur quod tam lumen quam lux sit accidens.

[2] Avicenne dit que la lumière est une qualité d’un corps lumineux comme tel, et que la lumière est une qualité qu’un corps diaphane emprunte à un corps lumineux. Il semble donc que tant la lumière que la source de la lumière soient des accidents.

 

[4638] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod ista quatuor differunt, lux, lumen, radius et splendor. Lux enim dicitur, secundum quod est in aliquo corpore lucido in actu, a quo alia illuminantur, ut in sole. Lumen autem dicitur, secundum quod est receptum in corpore diaphano illuminato. Radius autem dicitur illuminatio secundum directam lineam ad corpus lucidum; et ideo ubicumque est radius, est lumen; sed non convertitur; contingit enim lumen esse in domo ex reflexione radiorum solis, quamvis non ex directa oppositione, propter aliquod corpus interjacens. Splendor autem est ex reflexione radii ad aliquod corpus tersum et politum, sicut ad aquam, et ad argentum, vel ad aliquod hujusmodi; ex qua reflexione etiam radii projiciuntur. His ergo visis, sciendum est, quod circa naturam lucis et luminis est multiplex opinio. Quidam enim dixerunt, quod lux est corpus, quod est ipsa substantia solis, ex quo fluunt quaedam corpora, et illa corpora dicuntur lumen vel radius. Haec autem positio multipliciter a philosophis improbata est. Primo, quia sequeretur quod illuminatio esset motus localis corporum a sole fluentium; et cum motus localis non possit esse subito, sequeretur illuminationem fieri successive, quae successio non posset sensum latere secundum maximum spatium, ab oriente scilicet in occidentem, et a sole ad nos. Secundo, quia sequeretur duo corpora esse simul in eodem loco, cum totum spatium quod illuminatur sit plenum aere: quamvis haec pro inconvenienti quidam eorum non habeant, omnino sensum negligentes. Alii vero dicunt, lumen recipi in poros aeris. Sed hoc ridiculum est; oporteret enim obtenebrato aere, poros vacuos remanere, et aerem non totum illuminari, et multa hujusmodi. Tertio, quia illa corpora aut deciduntur de substantia solis, et sic oporteret eum quotidie minorari, et quandoque consumi; nisi forte dicatur cibari vaporibus ex aqua et terra ascendentibus, ut sic deperdita restaurentur; quod est omnino fabulosum. Aut oporteret quod continue illa corpora de novo fiant; et hoc vel ex materia praejacente, et sic fierent corruptis quibusdam aliis; et cum in caelo sit illuminatio, sequeretur aliqua corpora ibi corrumpi ut alia generentur, et multa alia absurda: aut quod fiant per creationem novae materiae et naturae; nec poterit esse tunc illuminatio, nisi per miraculum a Deo. Sequeretur etiam, cum corpora creata in nihilum non reducantur, quod quantitas mundi semper augmentaretur, novis corporibus quotidie creatis; et hujusmodi multa absurda. Praeterea contra hoc Avicenna, multas rationes ponit in 6 de naturalibus. Unde haec positio tamquam absurda et extranea relinquenda est; non enim potest sustineri, nisi aliis principiis naturalis philosophiae inventis. Alii autem dicunt, quod lumen quod est receptum in corpore diaphano, est accidens, quia post esse completum advenit, et recedit rebus manentibus: sed in corpore lucido lux est substantia, vel ipsum corpus lucidum secundum quosdam, vel forma substantialis ejus, secundum alios. Hoc iterum stare non potest. Illuminatio enim est actio in aliud, quia lucidum illuminat. Unde si lumen in hoc aere est accidens, oportet quod principium illuminationis in corpore lucido sit accidens; sicut etiam Commentator probat quod calor non est forma substantialis ignis, quia in corporibus calefactis est accidens. Praeterea nulla substantia est per se sensibilis, quia quod quid est objectum intellectus. Unde oportet quod lux quae per se videtur, non sit forma substantialis. Et si dicatur, quod illud quod videtur, non est lux, sed fulgor quidam; dicendum, quod illud quod nos appellamus lucem, est illud quod per se videtur. Et si forma substantialis solis dicatur lux, non erit nisi aequivoce: quia accidens et substantia non univocantur in aliquo: et sic nihil prohibet etiam lapidem vocari lucem aut tenebras: quia etiam, secundum philosophum, non est inconveniens quod eodem nomine apud nos significetur homo, et apud alios non homo. Alii dixerunt, quod lux nihil addit supra colorem; sed ipsa evidentia coloris vocatur lux, vel lumen: et hanc positionem Avicenna multipliciter improbat, accipiendo omnes modos quibus intelligi potest. Sensibiliter tamen apparet esse falsum in noctilucis, quorum color in nocte occultatur, quando lux apparet; et quando color videtur in die, lux non sentitur: sed verum est quod per lucem videtur color, quia facit colorem esse visibilem in actu. Alii dicunt, quod lux non habet esse firmum et ratum in natura, sed est tantum intentio: sicut enim dicitur, quod species coloris per aerem ad pupillam delata, in aere non habet esse naturale, sed spirituale (unde et per eamdem partem aeris species albedinis et nigredinis deferuntur), ita etiam intentio corporis lucidi in aere relicta est lumen. Et haec opinio valde probabilis est. Primo, quia cum lumen det esse spirituale colori, multo fortius videtur quod ipsum spirituale esse habeat. Secundo, quia nulla qualitas habens esse naturale, immediate superposita organo visus, potest videri; lumen autem videtur contingens pupillam: unde videtur quod esse spirituale habeat. Sed hoc non videtur usquequaque verum: quia per illud quod habet esse intentionis tantum, non sequitur transmutatio nisi secundum operationem animae, ut in videndo et audiendo. Per illuminationem autem videmus sensibiliter naturales transmutationes fieri per caliditatem ex radiis solis consequentem. Unde non potest esse quod habeat esse intentionis tantum. Et ideo dicunt alii, quibus consentiendum videtur mihi, quod lux est forma accidentalis, habens esse ratum et firmum in natura, et quod, sicut calor, est qualitas activa ipsius solis, et in aliis est secundum quod magis cum sole communicant, qui totius luminis est fons. Unde Avicenna dicit quod nulla actio est a corporibus superioribus in inferiora, nisi mediante luce, sicut ignis etiam agit mediante calore: unde lux et lumen differunt, sicut calor in subjecto per se calido, et in calefacto. Et quia caelum est primum alterans, inde sequitur quod omnis alteratio quae est in inferioribus, perficiatur per virtutem luminis, sive sit alteratio secundum esse naturale, sive secundum sensum: et ex hoc habet lux quod omnibus corporibus generationem conferat, ut dicit Dionysius: ex hoc etiam est quod coloribus esse spirituale confert, secundum quod esse recipiunt in medio et in organo; unde et ipsum lumen virtutem spiritualem habet; et inde est etiam quod, secundum Augustinum, lumen est medium in omni sensu, sed in visu primo et immediate: qualitates enim visibiles sunt priores ceteris, prout secundum esse formale sunt inventae in corporibus inferioribus, secundum quod conveniunt cum corpore caelesti, ut patet in 2 de anima et in 2 de generatione, sed aliorum sensuum mediantibus aliis qualitatibus.

Réponse. Ces quatre choses sont différentes : la source de la lumière, la lumière, le rayon et l’éclat. En effet, on parle de source de lumière pour ce qui existe dans un corps lumineux en acte, par lequel les autres choses sont illuminées, comme c’est le cas pour le soleil. Mais on parle de lumière pour ce qui est reçu par un corps diaphane illuminé. Le rayon est l’illumination en ligne directe par rapport à un corps lumineux ; ainsi, partout où se trouve un rayon, existe la lumière, mais non l’inverse, car il arrive que la lumière existe dans une maison par réflexion des rayons du soleil, bien que ce ne soit pas par une exposition directe, en raison d’un corps qui se trouve entre les deux. L’éclat vient de la réflexion d’un rayon sur un corps nettoyé et poli, comme sur l’eau, l’argent ou sur quelque chose de ce genre. Des rayons sont aussi lancés par cette réflexion. Une fois ceci vu, il faut savoir qu’il existe plusieurs opinions sur la nature de la lumière et de sa source. En effet, certains ont dit que la lumière est un corps qui est la substance même du soleil, dont s’échappent certains corps, et que ces corps sont appelés lumière ou rayon. Or, cette position a été repoussée de plusieurs manières par les philosophes. Premièrement, parce qu’il en découlerait que l’illumination serait un mouvement local de corps s’échappant du soleil. Et puisque le mouvement local ne peut se réaliser subitement, il en découlerait que l’illumination se réalise de manière successive, succession qui ne pourrait échapper au sens sur une très grande distance, à savoir, de l’orient à l’occident, et du soleil jusqu’à nous. Deuxièmement, parce qu’il en découlerait que deux corps se trouvent en même temps dans un même lieu, puisque tout l’espace qui est illuminé est rempli d’air, bien que certains d’entre eux n’y voient pas d’inconvénient puisqu’ils négligent complètement le sens. Mais d’autres disent que la lumière est reçue dans les pores de l’air. Mais cela est ridicule. En effet, il faudrait que, lorsque les ténèbres remplissent l’air, les pores demeurent vides, que l’air ne soit pas entièrement illuminé et beaucoup d’autres choses du genre. Troisièmement, parce que ces pores sont retranchés de la substance du soleil ; il faudrait ainsi qu’il soit chaque jour diminué et, à un certain moment, consumé, à moins de dire qu’il se nourrit des vapeurs qui montent de l’eau et de la terre, de sorte que ce qui est perdu soit rétabli, ce qui relève entièrement de la fable. Ou bien il faudrait que ces corps soient continuellement refaits, soit à partir d’une matière préexistante, et ainsi ils seraient faits grâce à la corruption d’autres choses ; et lorsque le ciel est illuminé, il en découlerait que certains corps y sont corrompus pour que d’autres soient engendrés, et beaucoup d’autres choses absurdes. Ou bien [il faudrait qu’ils soient refaits] par création d’une nouvelle matière et d’une nouvelle nature ; il ne pourra y avoir alors d’illumination que par un miracle de Dieu. Puisque les corps créés ne sont pas ramenés au néant, il en découlerait aussi que la quantité du monde augmenterait toujours par la création quotidienne de nouveaux corps, et beaucoup d’autres absurdités. De plus, Avicenne présente plusieurs arguments contre cela dans Sur les choses naturelles, VI. Il faut donc abandonner cette position comme étant absurde et étrangère. En effet, elle ne peut être soutenue qu’en inventant d’autres principes de la philosophie naturelle. Mais d’autres disent que la lumière qui est reçue par un corps diaphane est un accident, car elle survient après un acte d’être complet et elle se retire alors que les choses demeurent. Mais, dans un corps lumineux, la lumière est une substance ou le corps lumineux lui-même, selon certains, ou, selon d’autres, sa forme substantielle. Mais cela non plus tenu ne tient pas debout. En effet, l’illumination est une action sur quelque chose d’autre, car elle illumine un corps lumineux. Si donc la lumière est un accident dans cet air, il faut que la source de l’illumination dans le corps illuminé soit un accident ; le Commentateur démontre aussi que la chaleur n’est pas la forme substantielle du feu, parce qu’elle est un accident dans les corps réchauffés. De plus, aucune substance n’est sensible par elle-même, car ce qu’est une chose est l’objet de l’intellect. Il faut donc que la lumière qui est vue par elle-même ne soit pas une forme substantielle. Et si l’on dit que ce qui est vu n’est pas la lumière, mais un certain éclat, il faut dire que ce que nous appelons lumière est ce qui est vu par soi. Et si on appelle lumière la forme substantielle du soleil, ce ne sera que de manière équivoque, car l’accident et la substance ne sont pas équivoques dans quelque chose. Et ainsi, rien n’empêche d’appeler aussi lumière une pierre ou les ténèbres, car, selon le Philosophe, il n’est pas inapproprié que le même nom signifie pour nous un homme et, pour d’autres, ce qui n’est pas un homme. D’autres ont dit que la lumière n’ajoute rien à la couleur ; mais la manifestation même de la couleur est appelée source de lumière ou lumière. Et Avicenne rejette de plusieurs manières cette position, en prenant tous les modes selon lesquels elle peut être comprise. Le sens montre cependant clairement qu’elle est fausse dans le cas des luminaires de nuit, dont la couleur est cachée pendant la nuit, alors que la lumière est manifeste ; et lorsque la couleur est vue pendant le jour, la lumière n’est pas sentie. Mais il est vrai que la couleur est vue à cause de la lumière, car celle-ci rend la couleur visible en acte. D’autres disent que la lumière n’a pas un être solide et assuré par nature, mais qu’elle n’est qu’une intention. En effet, de même qu’on dit de l’espèce de la couleur, qui est portée par l’air vers la pupille, qu’elle ne possède pas dans l’air un être naturel, mais [un être] spirituel (aussi l’espèce du blanc et celle du noir sont-elles portées par la même partie de l’air), de même aussi l’intention du corps lumineux laissé dans l’air est-elle la lumière. Et cette opinion est très probable. Premièrement, parce que, la lumière donnant un être spirituel à la couleur, il semble, à bien plus forte raison, qu’elle possède un être spirituel. Mais cela ne semble pas tout à fait vrai, car par le fait qu’elle possède seulement un être intentionnel, il n’en découle de changement que selon une opération de l’âme, comme lorsqu’on voit et entend. Mais, par l’illumination, nous voyons de manière sensible se produire des changements par la chaleur qui vient des rayons du soleil. Il ne se peut donc pas qu’elle ait seulement un être intentionnel. C’est pourquoi d’autres, auxquels il me semble devoir donner mon accord, disent que la lumière est une forme accidentelle, possédant un être assuré et ferme par nature, et que, comme la chaleur, elle est une qualité active du soleil lui-même, et qu’elle se trouve en d’autres choses selon qu’elles ont davantage en commun avec le soleil, qui est la source de toute lumière. Aussi Avicenne dit-il qu’aucune action des corps supérieurs ne se produit sur des corps inférieurs que par l’intermédiaire de la lumière, comme le feu lui aussi agit par l’intermédiaire de la chaleur. La source de lumière et la clarté diffèrent donc comme la chaleur dans un sujet chaud par lui-même et dans ce qui est réchauffé. Et parce que le ciel est le premier agent d’altération, il en découle que toute altération qui se produit dans les réalités inférieures se réalise par la puissance de la lumière, qu’elle soit une altération selon l’être naturel, ou qu’elle en soit une selon le sens. C’est de là que vient à la lumière le pouvoir d’apporter la génération à tous les corps, comme le dit Denys ; de là vient aussi qu’elle donne un être spirituel aux couleurs, selon qu’elles reçoivent l’être dans un milieu et dans un organe ; de là vient encore que la lumière elle-même possède une puissance spirituelle ; de là vient enfin que, selon Augustin, la lumière est un moyen pour tous les sens, mais en premier et de manière immédiate pour la vue. En effet, les qualités visibles sont antérieures aux autres pour autant qu’elles se trouvent selon leur être formel dans les corps inférieurs, dans la mesure où ils rejoignent un corps céleste, comme cela ressort de Sur l’âme, II et de Sur la génération, II. Mais [la lumière est un moyen] pour les autres sens par l’intermédiaire d’autres qualités.

 

[4639] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut tenebra sumitur quandoque pro aere obscurato, ut supra dictum est, ita etiam lux pro corpore lucido sumitur: et sic potest intelligi, quod Augustinus lucem aliis corporibus connumerat per modum loquendi, quo etiam Commentator in 2 de anima, calorem naturalem corpus esse probat. Nihilominus Augustinus non intendit hoc asserere, quasi fidei conveniens, sed sicut utens his quae philosophiam addiscens audierat. Et ideo illae auctoritates parum cogunt.

1. De même que les ténèbres sont parfois comprises comme de l’air obscurci, comme on l’a dit plus haut, de même aussi la lumière est-elle prise pour un corps lumineux. On peut comprendre ainsi qu’Augustin compte la lumière avec les autres corps selon une manière de parler par laquelle le Commentateur, dans Sur l’âme, II, démontre lui aussi que la chaleur est un corps naturel. Toutefois, Augustin n’entend pas affirmer que cela est conforme à la foi, mais il utilise ce qu’il avait entendu, alors qu’il étudiait la philosophie. C’est pourquoi ces autorités n’ont pas beaucoup de force.

 

[4640] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non intelligitur conjunctio et separatio luminum nisi secundum intensionem et remissionem luminis, multiplicatis vel subtractis luminaribus, quorum radii confusi esse dicuntur propter luminarium distinctionem.

2. L’union et la séparation des luminaires ne s’entendent que selon l’intensité et la faiblesse de la lumière, alors que des luminaires sont ajoutés ou enlevés ; on dit que leur rayons sont mêlés en raison de la distinction des luminaires.

 

[4641] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa divisio ignis sic intelligenda est, ut per lucem intelligatur ignis secundum quod in propria materia est, ut sic conjunctive sumatur; per alia vero secundum quod est in materia aliena: per carbonem quidem secundum quod est in sicco terrestri, per flammam autem secundum quod est in humido aereo; et sic ipsemet se exponit in Lib. de animalibus; sed tamen auctoritates Aristotelis quae ab exemplis inductis sumuntur, nihil valent: quia ipsemet testatur in principio de Generat. quod in eis non quaerit subjectum, sed modum; unde inducit ea non ad asserendum, sed quia erant suo tempore apud quosdam probabilia.

3. Cette division du feu doit être comprise selon que, par la lumière, on entend le feu qui existe dans sa propre matière : on l’entend ainsi par mode de conjonction. Mais [on l’entend aussi selon qu’il existe] dans d’autres choses, selon que [le feu] se trouve dans une matière étrangère : dans le charbon, selon qu’il se trouve dans une [matière] terrestre sèche; dans la flamme, selon qu’il se trouve dans une [matière] aérienne humide. C’est ainsi que lui-même l’explique dans le livre Sur les animaux. Cependant, les autorités d’Aristote invoquées à partir d’exemples n’ont aucune valeur, car lui-même atteste, au début de Sur la génération, qu’il ne cherche pas en eux le sujet, mais le mode. Aussi ne les présente-t-il pas en les affirmant, mais parce que, de son temps, ils étaient probables pour certains.

 

[4642] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, secundum Avicennam, quod cum dicitur radius moveri vel descendere, non proprie dicitur, sed transumptive, ex eo scilicet quod alteratio illuminationis incipit ab eo quod supra nos est: per quem etiam modum possumus dicere calorem ascendere vel descendere.

4. Selon Avicenne, lorsqu’on dit qu’un rayon se meut ou descend, on ne parle pas au sens propre, mais au sens métaphorique, du fait que l’altération de l’illumination commence par ce qui est au-dessus de nous. Nous pouvons aussi dire ainsi que la chaleur monte ou descend.

 

[4643] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod radius non dicitur reverberari ad corpus solidum sicut repulsus secundum motum localem, sicut pila quaedam; sed inquantum obsistit sua densitate illuminationi; per quem etiam modum aliae qualitates reflectuntur.

5. On ne dit pas qu’un rayon est réfléchi par un corps solide comme s’il était repoussé par un mouvement local, à la manière d’un pilier, mais pour autant qu’il résiste à l’illumination par sa densité. Les autres qualités sont aussi réfléchies de cette manière.

 

[4644] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ex intersectione radiorum non sequitur calor sicut ex confricatione corporum; sed quia ex concurrentibus multis radiis ad unum punctum oportet multiplicari lumen, et ex hoc multiplicatur calor, inquantum lumen, ex hoc quod est qualitas primi alterantis, habet quod ad alterationem juvet, et praecipue secundum illam qualitatem quae est simpliciter et maxime activa, scilicet calor, ac per hoc virtuti primi alterantis maxime conformis.

6. La chaleur ne découle pas de l’intersection des rayons comme du frottement de corps, mais parce que, par la convergence de plusieurs rayons en un point, il est nécessaire que la lumière se multiplie. À partir de là, la chaleur se multiplie, pour autant que la lumière, qui est une qualité du premier agent d’altération, est capable d’aider à l’altération, surtout par cette qualité qui est simplement et au plus haut point active, la chaleur, et ainsi la plus conforme à la puissance du premier agent d’altération.

 

[4645] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod forma substantialis, educitur in actum per virtutem caeli; et ideo oportet quod lumen quod per caelum in inferiora agit, generationem rebus conferat, et ad formam substantialem moveat, inquantum agit in virtute ipsius caeli; sicut etiam calor ignis movet ad formam substantialem ignis, secundum quod agit in virtute formae substantialis a qua fluit.

7. La forme substantielle est amenée à l’acte par la puissance du ciel. C’est pourquoi il faut que la lumière, qui agit sur les [corps] inférieurs par l’intermédiaire du ciel, apporte la génération aux choses et meuve vers la forme substantielle, dans la mesure où elle agit par la puissance du ciel lui-même, De la même manière, la chaleur du feu meut à la forme substantielle du feu en agissant par la puissance de la forme substantielle dont elle provient.

 

[4646] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod lux, et etiam lumen, in genere qualitatis est, ut dicit Avicenna; et quia passionem in sensu infert, oportet quod sit in tertia specie; nec tamen oportet quod contrarium habeat, eo quod est qualitas illius corporis quod a contrariis natura removit, ut sit universaliter movens et alterans.

8. La source de la lumière et la lumière aussi font partie du genre de la qualité, comme le dit Avicenne. Et parce que la passion agit sur le sens, il est nécessaire qu’elle fasse partie de la troisième espèce. Il n’est cependant pas nécessaire qu’elle ait un contraire du fait qu’elle est une qualité du corps que la nature soustrait aux contraires, afin qu’il soit de manière universelle un moteur et un agent d’altération.

 

[4647] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod successio quae est in alteratione aliarum qualitatum, contingit ex hoc quod in patiente est qualitas contraria, quae resistit actioni alterantis, quam oportet successive expelli. Sed cum lux non habeat contrarium, sicut nec forma substantialis, diaphanum ad praesentiam illuminantis statim lumen recipit, sicut materia statim necessitata per alterationem praecedentem recipit formam substantialem. Et ideo sicut generatio est terminus alterationis, ita illuminatio motus localis, quo illuminans fit praesens illuminato, ut dicit Commentator in 6 Phys.

9. La succession qui existe dans l’altération des autres qualités survient du fait que, chez ce qui subit, existe une qualité contraire, qui résiste à l’action de l’agent d’altération, et qu’il faut enlever de manière successive. Mais la lumière n’ayant pas de contraire ni de forme substantielle, le diaphane reçoit aussitôt la lumière en présence de ce qui illumine, comme la matière, forcée par une altération précédente, reçoit aussitôt la forme substantielle. C’est pourquoi, la génération étant le terme de l’altération, l’illumination l’est pour un mouvement local par lequel ce qui illumine est rendu présent à ce qui est illuminé, ainsi que le dit le Commentateur dans Physique, VI.

 

[4648] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, lumen solis recipitur in diversis corporibus diversimode secundum diversam capacitatem eorum; et ideo aliqua sunt quae illuminantur in superficie tantum, ut corpora opaca; aliqua vero sunt quae illuminantur etiam in profundo, sicut diaphana, quae tamen lucem non retinent, quia imperfecte lumen recipiunt, unde oportet quod lumen in eis cesset absente illuminante; alia vero sunt quae perfectius lumen recipiunt, et lumen tenent, ut carbunculus et hujusmodi.

10. Comme le dit Denys, la lumière du soleil est reçue par les divers corps de diverses manières selon leur diverse capacité. C’est pourquoi certains sont illuminés superficiellement seulement, comme les corps opaques ; mais certains sont aussi illuminés en profondeur, comme les [corps] diaphanes, qui ne retiennent cependant pas la lumière, car ils reçoivent la lumière imparfaitement ; aussi faut-il que la lumière cesse en eux lorsque ce qui illumine est absent. Mais il existe d’autres choses qui reçoivent plus parfaitement la lumière et conservent la lumière, comme le charbon et les choses de ce genre.

 

 

 

 

Articulus 4 [4649] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 tit. Utrum productio lucis convenienter recitetur

Article 4 – La production de la lumière est-elle racontée de manière appropriée ?

 

[4650] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter lucis productio recitetur. Cum enim Deus lux sit, non decet eum ut a tenebris opera sua inchoet. Sed ante lucem tenebrae fuerunt. Ergo videtur quod lux debeat esse de primo creatis, non ad opus distinctionis, sed ad opus creationis pertinens.

1. Il semble que la production de la lumière soit racontée de manière inappropriée. En effet, puisque Dieu est lumière, il ne convient pas qu’il commence son œuvre par les ténèbres. Il semble donc que la lumière doive se trouver parmi les premières choses créées, non pas comme ce qui est en rapport avec l’œuvre de la différenciation, mais comme ce qui est en rapport avec l’œuvre de la création.

 

[4651] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, lux invenitur in pluribus corporibus, nec omnium corporum est lux una. Ergo videtur, quod inconvenienter unius tantum lucis productio describatur, in illo tantum loco existentis ubi nunc est sol, ut in littera dicitur.

2. On trouve la lumière dans plusieurs corps et il n’existe pas de lumière unique pour tous les corps. Il semble donc que la production d’une seule lumière soit décrite de manière inappropriée, seulement là où se trouve maintenant le soleil, comme le dit le texte.

 

[4652] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, dies et nox non fuerunt nisi secundum accessum et recessum luminarium. Sed hoc non potest esse nisi per motum circularem lux deferatur. Cum ergo firmamentum, quod circulariter movetur, secunda die sit factum, videtur quod inconvenienter in prima die secundum lucem tunc creatam dies et nox commemoretur.

3. Le jour et la nuit ne sont apparus que par l’arrivée et le retrait des luminaires. Or, cela ne peut exister que si la lumière soit apportée par un mouvement circulaire. Puisque le firmament, qui se meut de manière circulaire, a été créé le deuxième jour, il semble donc que le jour et la nuit, selon la lumière alors créée, soient rappelés de manière inappropriée le premier jour.

 

[4653] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, omne quod fit ex aliquo, fit ex incontingenti, idest contrario, ut ex 1 Phys. patet. Sed soli non est aliquid contrarium. Ergo non potest esse quod ex luce tunc creata sol factus fuerit.

4. Tout ce qui est fait à partir de quelque chose est fait à partir de ce qui n’est pas contingent, c’est-à-dire contraire, comme cela ressort de Physique, I. Or, il n’y a rien qui soit contraire au soleil. Il ne peut donc se faire que le soleil ait été créé à partir de la lumière alors créée.

 

[4654] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, ut in 2 Metheor., habetur, nubes ex vaporibus congregantur, qui ex terra et aquis resoluti superius ascendunt. Sed corpora superiora non communicant in materia cum inferioribus, ut supra dictum est. Ergo lux ex qua sol quasi ex materia postmodum factus dicitur, nubes esse non potuit.

5. Dans Sur les météores, II, on lit que les nuages se forment à partir de vapeurs, qui montent de la terre et des eaux en étant relâchées. Or, les corps supérieurs n’ont pas de matière en commun avec les [corps] inférieurs, comme on l’a dit plus haut. La lumière à partir de laquelle on dit que, par la suite, le soleil a été fait comme à partir d’une matière ne pouvait donc pas être les nuages.

 

[4655] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed in contrarium sunt quae in littera dicuntur.

Cependant, on lit en sens contraire ce qui se trouve dans le texte.

 

[4656] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, lux est qualitas activa corporis caelestis, sicut calor est qualitas activa ignis. Calor autem habet quamdam actionem communem, inquantum est calor: quia secundum quod in diversis rebus invenitur, determinatur sua actio ad determinatos effectus; sicut calor qui est in homine, operatur ad conversionem cibi in carnem humanam, et in planta ad substantiam plantae. Ita etiam et lux, quamvis habeat actionem consequentem naturam lucis inquantum hujusmodi, determinatur tamen sua actio, secundum quod in diversis recipitur ad diversos effectus; unde alium effectum habet radius Saturni quam Jovis. Secundum hoc ergo dico, quod ipsa lux secundum virtutem communem pertinet ad opus distinctionis, sicut et calor; sed ideo inter opera distinctionis primo ponitur, quia primi corporis qualitas activa est. Sed postea determinatio ad diversos effectus secundum diversas virtutes corporibus collatas pertinet ad opus ornatus. Et ideo dicit Dionysius, quod lumen solare est illud lumen quod Moyses in tribus diebus nostri temporis narrat; quamvis tunc informe esset, quia scilicet terminatio virtutis non aderat.

Réponse. Comme on l’a dit, la lumière est une qualité active d’un corps céleste, comme la chaleur est une qualité active du feu. Or, la chaleur exerce une certaine action générale en tant que chaleur, car, selon qu’on la trouve dans diverses choses, son action est déterminée à des effets déterminés ; ainsi la chaleur qui existe chez l’homme agit en vue de la conversion de la nourriture en chair humaine, et chez la plante, en la substance de la plante. Il en va de même pour la lumière, bien qu’elle ait une action qui découle de la nature de la lumière en tant que telle ; son action est cependant déterminée selon qu’elle est reçue dans diverses choses en vue d’effets différents. Aussi le rayon de Saturne a-t-il un autre effet que celui de Jupiter. Par conséquent, je dis donc que la lumière, comme la chaleur, relève de l’œuvre de la différenciation par sa puissance commune ; mais la raison pour laquelle elle vient en premier parmi les œuvres de la différenciation est qu’elle est une qualité active du premier corps. Mais ensuite, la détermination en vue d’effets différents, selon les diverses puissances données aux corps, relève de l’œuvre d’embellissement. C’est pourquoi Denys dit que la lumière solaire est la lumière dont parle Moïse lors des trois jours de notre temps [dans la récit de la création], bien qu’elle ait alors été sans forme, parce que la délimitation de sa puissance n’était pas présente.

 

[4657] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod opus distinctionis statim cum opere creationis incepit; et ideo statim lux creata est cum primo creatis: et sic patet quod non a tenebris opus Dei inchoavit. Et hoc quidem oportet dicere secundum expositionem Augustini; quamvis etiam Augustinus velit quod productio informis materiae intelligatur ante omnem diem, non tempore, sed natura. Alii vero dicunt, quod prius tempore fuit opus creationis, et postea per aliquod intervallum temporis formata est lux, et tunc dies primo incepit; unde dicunt creationis opus ante omnem diem fuisse. Et hoc quidem magis consonat litterae Genesis secundum suum sensum planum; statim enim posita creatione, tenebras super faciem abyssi commemorat, et postmodum de lucis productione dicit. Nec tamen est inconveniens tenebras praecedentes non in genere privationis ponere: quia privatio esse non potuit antequam natura habitus oppositi, scilicet lucis, corporibus indita esset: sicut nec catulus ante nonum diem caecus vel privatus visu dicitur: unde per tenebras praecedentes lucem imperfectio corporalis naturae ostenditur, quam quidem ex Deo non habet, a quo habet omnino id quod perfectionis est. Decens est autem ut ab imperfectione ad perfectum divina opera adducerentur, et sic ab ipso omnis perfectio esse ostenderetur. Unde dicit Augustinus, quod si aliquid imperfectum Deus fecisse dicatur, quod postmodum ipse perficeret, nihil reprehensionis habet ista sententia.

1. À ce sujet, il existe deux opinions. En effet, certains disent que l’œuvre de la différenciation a commencé dès l’œuvre de la création ; c’est pourquoi la lumière a été créée parmi les premières choses créées, et il est ainsi clair que l’œuvre de Dieu n’a pas commencé par les ténèbres. Il faut dire cela selon l’explication d’Augustin, bien qu’Augustin veuille aussi que la production de la matière informe ait eu lieu avant tous les jours, non pas dans le temps, mais par nature. Mais d’autres disent que l’œuvre de la création a existé en premier dans le temps et que, par la suite, après un intervalle de temps, la lumière a été formée. C’est alors que le premier jour a commencé. Ils disent donc que l’œuvre de la création a eu lieu avant toute journée. Et cela s’harmonise davantage avec la lettre de la Genèse en son sens manifeste. En effet, après avoir rappelé la création, elle rappelle aussitôt les ténèbres sur la surface de l’abîme, et elle parle ensuite de la production de la lumière. Toutefois, il n’est pas inapproprié de ne pas placer les ténèbres qui précèdent dans le genre de la privation, car il ne pouvait y avoir de privation avant que la nature de l’état opposé, à savoir, la lumière, ait été mise dans les corps, comme on dit qu’un petit chien est aveugle ou privé de la vision avant le neuvième jour. Aussi, par les ténèbres qui précèdent la lumière, l’imperfection de la nature corporelle est-elle montrée ; elle ne la tient cependant pas de Dieu, dont elle tient tout ce qu’il y a de perfection. Or, il convient que les œuvres de Dieu soient amenées de l’imperfection à la perfection, et qu’il soit ainsi montré que toute perfection vient de lui. C’est ainsi qu’Augustin dit que si l’on dit que Dieu a fait quelque chose d’imparfait, que lui-même perfectionnerait par la suite, cette position ne comporte rien de répréhensible.

 

[4658] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in lucis productione intelligitur proprietas luciditatis et diaphaneitatis, quae ad lucis genus reducitur, omnibus corporibus lucidis et diaphanis collata fuisse; sed tamen, secundum Dionysium, sol est principium et fons luminis, illuminans superiora et inferiora corpora; et ideo per lucem illam ipse intelligit lumen solis tunc informe; et Magister etiam dicit in littera, quod ex ea formatum est corpus solis.

2. Par la production de la lumière, on entend que la propriété de la luminosité et du caractère diaphane, qui se ramène au genre de la lumière, a été donnée à tous les corps lumineux et diaphanes. Cependant, selon Denys, le soleil est le principe et la source de la lumière, qui illumine les corps supérieurs et inférieurs. C’est pourquoi il entend par cette lumière la lumière du soleil alors informe. Et le Maître dit aussi, dans le texte, que le corps du soleil a été formé à partir d’elle.

 

[4659] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Damascenus enim dicit, quod in illo die fiebat dies et nox per contractionem luminis et emissionem; sicut etiam suos radios sol retraxit in terra Aegypti, cum alibi lux esset, ut dicitur Exod. 10: et similiter in passione domini, quando tenebrae factae sunt super terram, ut habetur Matth. 27. Sed hoc non potest esse: quia illuminare est actio a corpore lucente proveniens secundum necessitatem naturae; et ideo oportet quod semper illuminet corpora sibi directe opposita; nisi forte poneretur habere aliqua coopercula, sicut sunt palpebrae oculorum, quibus se tegeret: quod est ridiculum dicere: aut nisi ponatur hoc virtute divina fieri, et quasi miraculose; et hoc non convenit ponere in prima institutione naturae, ut Augustinus dicit. Et praeterea exemplum de passione Christi non est conveniens: quia obscuritas illa non fuit facta per contractionem radiorum solis, sed per interpositionem corporis lunaris, ut Dionysius in epistola 7 ad Polycarpum dicit, sicut etiam fit in eclypsi solis, quamvis tunc tempus non esset eclypsis; unde miraculosa fuit. Et ideo alii dicunt, ut in littera dicitur, quod dies et nox fiebant per motum circularem illius lucis, quo accedebat et recedebat. Nec est inconveniens substantias sphaerarum, quae lucem revolverent, a principio creationis fuisse, quibus postmodum aliquae virtutes collatae sunt in operibus distinctionis et ornatus. Aut si substantiae sphaerarum non erant suis figuris determinatae, ipsum corpus lucidum naturaliter circulariter movebatur, cum esset de natura quintae essentiae; et ita suo motu circulum describebat, sicut lapis suo motu lineam rectam facit rectius etiam quam ars.

3. À ce sujet, il y a deux opinions. En effet, [Jean] Damascène dit qu’en ce jour, le jour et la nuit furent créés par le retrait et par l’émission de la lumière. Ainsi, le soleil a retiré ses rayons sur la terre d’Égypte, alors qu’il y avait de la lumière ailleurs, comme on le dit dans Ex 10 ; de même, lors de la passion du Seigneur, lorsque les ténèbres couvrirent la terre, comme on le lit dans Mt 27. Mais cela ne peut être le cas, car illuminer est une action provenant d’un corps lumineux se produisant par nécessité de nanture. Il faut donc qu’il illumine toujours les corps qui lui sont opposés, à moins que, par hasard, il ait un masque, comme le sont les paupières des yeux, dont il se couvrirait, ce qu’il est ridicule de dire, ou bien à moins qu’on affirme que cela est fait par la puissance divine et pour ainsi dire miraculeusement, et il ne convient pas de mettre cela dans le premier établissement de la nature, comme le dit Augustin. De plus, l’exemple tiré de la passion du Christ n’est pas approprié, car cette obscurité ne se produisit pas par le retrait des rayons du soleil, mais par l’interposition du corps lunaire, comme le dit Denys dans sa septième lettre à Polycarpe, et comme cela se produit lors d’une éclipse du soleil, bien qu’il n’y ait pas eu alors d’éclipse. [Cette obscurité] était donc miraculeuse. C’est pourquoi d’autres disent, comme le dit le texte, que le jour et la nuit étaient l’effet du mouvement circulaire de cette lumière par lequel elle arrivait et se retirait. Et il n’est pas inapproprié que les substances des sphères, qui déplaceraient la lumière, aient existé dès le commencement de la création et que, par la suite, certaines puissances leur aient été données par les œuvres de la différencitation et de l’embellissement. Ou bien, si les substances des sphères n’étaient pas déterminées dans leurs figures, le corps lumineux lui-même se mouvait naturellement de manière circulaire, puisqu’il faisait partie de la quinte essence ; et ainsi, il décrivait un cercle par son mouvement, comme la pierre, par son mouvement, réalise une ligne droite mieux que l’art lui-même.

 

[4660] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod substantia corporis solaris a principio creationis in sua forma substantiali fuit: unde ipsum corpus lucidum substantia solis fuit. Sed dicitur ex eo sol quarta die factus per additionem novae virtutis, sicut dicitur ex homine non musico fieri homo musicus.

4. La substance du corps solaire a existé dès le commencement de la création dans sa forme substantielle ; aussi la substance du soleil était-elle elle-même un corps lumineux. Mais il est dit que le soleil a été créé le quatrième jour à partir de [ce corps] par l’addition d’une nouvelle puissance, comme on dit qu’un homme qui n’est pas musicien devient un musicien.

 

[4661] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non fuit nubes secundum veritatem substantiae, sed secundum similitudinem proprietatis: quia sicut nubes lucida recipit lumen a sole in minori claritate quam sit in ipso fonte; ita etiam substantia solis habuit primo lumen imperfectum, quod postmodum quarta die consummatum est.

5. Ce n’était pas des nuages selon leur véritable substance, mais selon la ressemblance avec leur propriété, car, de même qu’un nuage lumineux reçoit la lumière du soleil avec moins d’éclat qu’il n’en existe dans la source elle-même, de même aussi la substance du soleil eut-elle d’abord une lumière imparfaite, qui, par la suite, fut achevée le quatrième jour.

 

 

 

 

Articulus 5 [4662] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 tit. Utrum pater faciat omnia per filium

Article 5 – Le Père accomplit-il tout par le Fils ?

 

[4663] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod pater non faciat omnia per filium. Illud enim per quod fit aliquid, immediatius se habet ad effectum quam faciens per ipsum. Sed filius non est immediatus principium rerum quam pater, cum ambo aeque immediate operentur. Ergo pater per filium non operatur.

1. Il semble que le Père n’accomplisse pas tout par le Fils. En effet, ce par quoi quelque chose est fait a un rapport plus immédiat avec l’effet que celui qui le réalise par lui-même. Or, le Fils n’est pas un principe plus immédiat des choses que le Père, puisque les deux agissent de manière également immédiate. Le Père n’agit donc pas par le Fils.

 

[4664] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, per denotat habitudinem causae. Sed filius respectu nullius quod est in patre, causa vel principium dici potest. Ergo filius non est per quem pater operatur.

2. « Par » dénote une rapport de cause. Or, le Fils ne peut être appelé « cause » ou « principe » pour rien de ce qui existe dans le Père. Le Fils n’est donc pas celui par qui le Père agit.

 

[4665] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, secundum Damascenum, excogitatio Dei est opus ejus. Sed non potest dici, quod pater sit sapiens per filium, vel intelligens. Ergo videtur quod nec per filium operetur, cum idem sit Deo esse quod operari.

3. Selon [Jean] Damascène, « la pensée de Dieu est son action ». Or, on ne peut dire que le Père est sage ou intelligent par le Fils. Il semble donc qu’il n’agisse pas non plus par le Fils, puisque l’être et l’action sont la même chose en Dieu.

 

[4666] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, per notat causam mediam: filius autem est causa prima. Ergo videtur quod non convenienter dicatur pater per filium operari.

4. « Per » indique une cause intermédiaire. Or, le Fils est cause première. Il semble donc qu’il soit inapproprié de dire que le Père agit par le Fils.

 

[4667] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur ad Hebr. 1, 2: quem constituit heredem universorum; per quem fecit et saecula.

Cependant, [1] He 1, 2 dit le contraire : … qu’il a établi comme héritier de toutes choses, par lequel il a aussi fait les siècles.

 

[4668] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, quilibet artifex per suam artem operatur. Sed secundum Augustinum, filius est ars patris plena rationum viventium. Ergo pater per filium operatur.

[2] Tout artisan agit par son art. Or, selon Augustin, « le Fils est l’art du Père rempli de raisons vivantes ». Le Père agit donc par le Fils.

 

[4669] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod operari per aliquem dicitur dupliciter. Uno modo operari per virtutem alicujus, sicut dicitur balivus operari per regem, scilicet per potestatem regis sibi commissam, quae immediatior est operi quam virtus ejus: et hoc modo nec pater per filium, nec filius per patrem dicitur operari: quia una et indivisibili virtute ambo operantur. Alio modo dicitur aliquis operari per aliquem sicut per operantem: et hoc modo rex per praefectum operari dicitur. Et hujus distinctionis ratio est, quia cum operatio sit medium inter operantem et operatum, causalitas importata per praepositionem per potest referri ad operationem secundum quod exit ab operante, et sic dicitur aliquis operari per illum qui est causa quod iste operetur, et est ille cujus virtute operatur; vel potest referri ad operationem secundum quod terminatur ad operatum; et sic dicitur aliquis operari per illud quod est ab operante ordinatum ad operatum ut causa. Unde designatur auctoritas in operante respectu ejus per quem operatur, in quo est causalitas respectu operati. Sed hoc contingit dupliciter. Uno modo quando illud quod ordinatur ab operante ut causa operati est causa ejus secundum virtutem aliam a virtute operantis, quam tamen ab ipso recipit: et hoc oportet esse instrumentum operantis, inquantum est motum ab operante, vel per imperium, sicut servus, vel motu corporali, sicut res inanimatae, ut securis. Unde philosophus dicit, quod servus est sicut organum animatum, et organa sunt sicut servi inanimati. Et hoc modo pater per filium non operatur, sicut haeretici intelligebant. Alio modo quando eadem virtute operatur, quam tamen ab operante recipit; et sic dicimus patrem per filium operari, quia est causa ipsorum operatorum una et indivisibili virtute cum patre, quam tamen a patre nascendo recepit.

Réponse. Agir par quelqu’un se dit de deux manières. D’une manière, agir par la puissance de quelqu’un, comme on dit que le bailli agit par le roi, c’est-à-dire par le pouvoir du roi qui lui a été confié, [pouvoir] qui est plus proche de l’œuvre que le pouvoir [du roi]. De cette manière, on ne dit pas que le Père agit par le Fils, ni que le Fils agit par le Père, car les deux agissent par une puissance unique et indivisible. D’une autre manière, on dit que quelqu’un agit par un autre en tant que celui-ci agit ; de cette manière, on dit que le roi agit par son préfet. La raison de cette distinction réside dans le fait que, l’opération étant intermédiaire entre celui qui agit et ce qui est accompli, la causalité impliquée par la préposition « par » peut être mise en rapport avec l’opération en tant qu’elle est issue de celui qui agit, et ainsi on dit de quelqu’un qu’il agit par celui qui est cause de lui, et il est celui par la puissance de qui il agit ; ou bien elle peut être mise en rapport avec l’opération en tant que celle-ci a comme terme ce qui est accompli, et ainsi on dit de quelqu’un qu’il agit par ce qui est ordonné par celui qui agit comme cause de ce qui est accompli. On indique ainsi le fait d’être premier (auctoritas[4]) pour celui qui agit, par rapport à celui par qui il agit, chez qui se trouve la causalité par rapport à ce qui est accompli. Or, cela se produit de deux manières. Premièrement, lorsque ce qui est ordonné par celui qui agit comme cause de ce qui est accompli en est la cause selon une puissance autre que la puissance de celui agit, qu’il reçoit cependant de lui : il faut que cela soit alors l’instrument de celui qui agit, pour autant que cela est mû par celui qui agit, soit par un commandement, comme c’est le cas du serviteur, soit par un mouvement corporel, comme c’est le cas d’une chose inanimée, telle une scie. Aussi le Philosophe dit-il que le serviteur est comme un instrument animé, et que les instruments sont comme des serviteurs inanimés. Le Père n’agit pas par le Fils de cette manière, comme le comprenaient les hérétiques. Deuxièmement, lorsqu’il agit par une même puissance, qu’il reçoit cependant de celui qui agit : nous disons ainsi que le Père agit par le Fils parce que celui-ci est la cause de ce qui est accompli en raison d’une puissance qui est une et indivisible avec le Père, qu’il reçoit cependant du Père en naissant.

 

[4670] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Deus operetur effectus naturae per causas naturales, ipse tamen immediate in omnibus effectibus naturae operatur; unde multo fortius immediate operatur in his quae per filium facit, cujus est eadem numero virtus quae est et patris.

1. Bien que Dieu accomplisse les effets de la nature par des causes naturelles, il agit cependant lui-même de manière immédiate dans tous les effets de la nature. À bien plus forte raison agit-il aussi de manière immédiate par le Fils dans ce qu’il fait par le Fils, dont la puissance est la même numériquement que celle du Père.

 

[4671] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod causalitas praepositionis non refertur ad operantem sed ad operatum, ut dictum est.

2. La causalité de la préposition ne se rapporte pas à celui qui agit mais à ce qui est accompli, comme on l’a dit.

 

[4672] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur, pater intelligit, non connotatur aliquid respectu cujus filius possit esse principium; et ideo non potest dici, quod pater per filium intelligat vel sciat, sicut dicitur in illis quae effectum in creatura important.

3. Lorsqu’on dit : « Le Père intellige », on ne connote rien dont le Fils puisse être le principe. On ne peut donc pas dire que le Père intellige ou connaît par le Fils, comme on le dit pour ce qui comporte un effet dans la créature.

 

[4673] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod primum dicitur quo non est aliquid prius. Illa autem auctoritas patris respectu filii, inquantum filius a patre habet et esse et operari, ratione cujus pater per filium operatur, non facit patrem filio majorem vel priorem esse. Unde non sequitur quod filius non sit prima causa ex hoc quod pater per filium operatur.

4. On parle de premier pour ce qui n’est précédé par rien d’autre. Or, cette autorité (autorité) du Père par rapport au Fils, pour autant que le Fils tient du Père l’être et l’agir, en raison de quoi le Père agit par le Fils, ne rend pas le Père plus grand ou antérieur au Fils. Il ne découle donc pas du fait que le Père agit par le Fils, que le Fils ne soit pas cause première.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 13

 

[4674] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 expos. Hic notandum est, quod dies diversis modis accipitur in Scriptura. Hic ponit acceptiones diei. Una est secundum quod dicimus diem naturalem qui habet viginti quatuor horas; et sic sumitur quod habetur Gen. 1, 5: factum est vespere et mane dies unus. Alio modo secundum quod dicitur artificialis, scilicet tempus quo sol nostrum hemisphaerium illuminat; et hoc modo sumitur cum dicitur, ibid., quod tenebras appellavit noctem, et lucem diem. Qui non ab aurora, sed a plena luce inchoavit. Videtur hoc esse falsum; quia a plena luce, quae est in meridie, usque in mane alterius diei non sunt viginti quatuor horae; et ita primus dies non habuisset tot horas, sicut in littera dicitur. Ad quod dicendum, quod in primo die dicitur dies non habuisse auroram, non quod lux illa quae suo motu diem faciebat, in oriente creata non fuerit, sed quia primae illi illuminationi tenebrae commixtae non erant, sicut modo est; eo quod aurora nunc est finis noctis et principium diei, quod tunc non contingit. Potest et aliter illud accipi. Haec expositio differt a praedicta in hoc quod praedicta sumebatur secundum operationem quam filius a patre habet; haec vero sumitur ex parte operantis, secundum quod filius qui est operans, a patre est. Si enim causa ejus pater est, secundum quod pater est; multo amplius eorum causa est quae per filium facta sunt. Hic communiter et improprie Chrysostomus loquitur. Non enim proprie in divinis personis causa recipitur; sed nomine principii utimur ad signandum originem personarum; et de hoc in primo libro dictum est.

 

 

 

 

 

Distinctio 14

Distinction 14 – [L’œuvre du deuxième et du troisième jour]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[4675] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 pr. Determinato primo opere distinctionis, quo lux formata est, hic determinat de opere secundae distinctionis, quod secundae diei competit, in qua firmamentum esse factum describitur. Dividitur autem haec pars in partes duas: in prima ostendit distinctionem secundo die factam; in secunda movet quasdam quaestiones, ibi: quaeri etiam solet, cujus figurae sit caelum. Circa primum duo facit: primo determinat opus primae distinctionis secundum positionem quorumdam dicentium, firmamentum ex aquis factum esse; secundo secundum expositionem eorum qui dicunt, firmamentum esse de natura ignis, ibi: quidam vero caelum quod excedit aeris spatia, igneae naturae dicunt. Quaeri etiam solet, cujus figurae sit caelum. Hic movet tres quaestiones: primam de figura caeli; secundam de motu ejus, ibi: quaeritur etiam si stet, an moveatur caelum; tertiam, quare praetermittitur hujus diei benedictio, ibi: post haec quaeri solet, quare hic non est dictum sicut in aliorum dierum operibus. Sequitur: dixit Deus: congregentur aquae in locum unum. Hic ponitur opus tertiae distinctionis ad quod tertia dies deputatur; et circa hoc duo facit: primo describit opus tertiae diei; secundo movet quasdam quaestiones circa hoc, ibi: si autem quaeratur, ubi congregatae sunt aquae (...) potuit fieri ut terra subsidens concavas partes praeberet, ut fluctuantes aquas reciperet. Ubi primo quaeritur de congregatione aquarum; secundo de unitate et pluralitate earum, ibi: cumque multa constet esse maria et flumina, in unum tamen locum dicit aquas congregatas propter continuationem. Hic quaeruntur quinque: 1 utrum supra firmamentum sint aliquae aquae; 2 cujus naturae sit firmamentum; 3 a quo moveatur; 4 de numero caelorum; 5 de opere diei tertiae.

Après avoir déterminé de l’œuvre de différenciation par laquelle la lumière a été formée, il détermine ici de l’œuvre de la deuxième différenciation, qui appartient au deuxième jour, dans laquelle la création du firmament est décrite. Cette partie se divise en deux parties : dans la première, il montre la différenciation réalisée le deuxième jour ; dans la seconde, il soulève certaines questions, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander quelle est la figure du ciel. » À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il détermine de l’œuvre de la première (corr. deuxième ?) différenciation selon la position de certains qui disent que le firmament a été fait à partir de l’eau ; deuxièmement, selon l’explication de ceux qui disent que le firmament a la nature du feu, à cet endroit : « Mais certains disent que le ciel, qui dépasse l’espace de l’air, a la nature du feu. » « On a aussi coutume de se demander quelle est la figure du ciel. » Ici, il soulève trois questions. La première, à propos de la figure du ciel ; la deuxième, à propos de son mouvement, à cet endroit : « On se demande aussi si le ciel est immobile ou s’il se meut »; troisièmement, pourquoi la bénédiction de ce jour est omise, à cet endroit : « Après cela, on a coutume de se demander pourquoi on ne parle pas ici de la même manière que pour les œuvres des autres jours. » Vient ensuite : Dieu dit : « Que les eaux soient rassemblées dans un seul lieu ! » Ici est présentée l’œuvre de la troisième différenciation, à laquelle le troisième jour est consacré. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il décrit l’œuvre du troisième jour ; deuxièmement, il soulève certaines questions à ce sujet, à cet endroit : « Mais si on se demande où les eaux ont été rassemblées…, il a pu arriver que la terre sous-jacente présentait des parties concaves où elle pourrait recevoir les eaux agitées. » On s’interroge en premier lieu sur le rassemblement des eaux ; deuxièmement, sur leur unité et leur pluralité, à cet endroit : « Puisqu’il est clair qu’il existe plusieurs mers et fleuves, il dit néanmoins que les eaux ont été rassemblées en un lieu en raison de leur [écoulement] sans interruption. » Cinq questions sont posées ici : 1. Y a-t-il des eaux au-dessus du firmament ? 2. Quelle est la nature du firmament ? 3. Par quoi est-il mû ? 4. À propos du nombre des cieux. 5. À propos de l’œuvre du troisième jour.

 

 

 

 

Articulus 1 [4676] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 tit. Utrum aquae sint super caelos

Article 1 – Y a-t-il des eaux au-dessus des cieux ?

 

[4677] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod aquae super caelos sint. Quia, ut dicit Augustinus, major est sacrae Scripturae auctoritas quam omnis humani ingenii perspicacitas. Sed Scriptura in pluribus locis aquas super caelos esse commemorat. Ergo videtur quod nulla ratione negandum sit.

1. Il semble qu’il existe des eaux au-dessus des cieux, car, ainsi que le dit Augustin, l’autorité de l’Écriture est plus grande que la perspicacité de tout génie humain. Or, l’Écriture rappelle en plusieurs endroits qu’il y a des eaux au-dessus des cieux. Il semble donc qu’on ne doive le nier pour aucune raison.

 

[4678] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, homo dicitur minor mundus, quia in eo est similitudo totius universi. Sed in corpore humano cerebrum, in quo est frigiditas, secundum philosophum, est positum supra cor, quod est fons totius caliditatis. Ergo videtur quod in universo aqua sit supra ignem collocata, et supra solem.

2. L’homme est appelé un microcosme (minor mundus) parce qu’il y a en lui une ressemblance de tout l’univers. Or, dans le corps humain, le cerveau, où se trouve le froid, selon le Philosophe, est placé au-dessus du cœur, qui est la source de toute chaleur. Il semble donc que, dans l’univers, l’eau soit placée au-dessus du feu et au-dessus du soleil.

 

[4679] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum, corpora caelestia per velocitatem sui motus, in inferioribus calorem generant. Sed Saturnus inter alios planetas velocissime movetur motu diurno, quia in partibus sphaerae quanto pars plus distat a centro, tanto velocius movetur. Ergo oportebit secundum hoc quod Saturnus sit calidissimi effectus, cujus contrarium ab astrologis dicitur. Oportet ergo ibi esse aquas, per quarum propinquitatem calor Saturni minuatur.

3. Selon le Philosophe, les corps célestes engendrent, par la vélocité de leur mouvemenet, une chaleur dans les corps inférieurs. Or, Saturne se meut le plus rapidement d’un mouvement diurne parmi les autres planètes, car, dans les parties de la sphère, plus une partie est éloignée du centre, plus elle est mue rapidement. Ainsi, il faudra donc que Saturne produise l’effet le plus chaud, alors que les astrologues disent le contraire. Il faut donc qu’il y ait là des eaux dont la proximité diminue la chaleur de Saturne.

 

[4680] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne continuum divisibile est in infinitum. Sed aqua aliquo modo divisa per rarefactionem ad aliquod spatium aeris ascendit, ut quando vapores elevantur. Ergo tantum poterit dividi quod supra caelum ascendet; et ita videtur aquas super caelum esse.

4. Tout continu divisible va à l’infini. Or, l’eau en quelque sorte divisée par raréfaction monte vers l’espace aérien, comme lorsque des vapeurs s’élèvent. Elle pourra donc être divisée autant qu’elle montera au-dessus du ciel. Et ainsi, il semble qu’il y ait des eaux au-dessus du ciel.

 

[4681] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, corpori ejusdem speciei debetur unus locus naturalis secundum numerum; unde in 3 Physic. dicitur, quod ad eumdem locum movetur pars terrae et tota terra. Sed omnis aqua omni aquae est eadem secundum speciem ut philosophus dicit. Cum ergo naturalis locus hujus aquae sit sub aere et super terram, quod motus ejus ostendit; videtur quod supra caelum locus naturalis aquae esse non possit.

Cependant, [1] un seul lieu naturel en nombre revient à un corps d’une même espèce ; aussi est-il dit, Physique, III, qu’une partie de la terre et la terre entière sont mues vers le même lieu. Or, toute eau est identique à toute autre eau par son espèce, comme le dit le Philosophe. Puisque le lieu naturel de cette eau est sous l’air et au-dessus de la terre, ce que montre son mouvement, il semble donc que le lieu naturel de l’eau ne puisse se trouver au-dessus du ciel.

 

[4682] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum, corpus continens se habet ad corpus contentum sicut totum ad partem, et sicut forma ad materiam; quia continens invenitur habere plus de specie quam contentum; unde in 2 de Gener. dicitur, quod species in terminis est. Sed aqua habet minus de specie quam aer et ignis, quod ejus grossities ostendit. Ergo videtur quod nullo modo aqua naturaliter possit esse super ignem et aerem.

[2] Selon le Philosophe, le corps qui contient a avec le corps contenu le même rapport que le tout avec la partie et que la matière avec la forme, car on trouve que le contenant possède davantage l’espèce que le contenu. Aussi est-il dit, dans Sur la génération, II, que l’espèce se situe à l’intérieur de limites. Or, l’eau possède moins de [son] espèce que l’air et le feu, ce que montre son caractère indéterminé. Il semble donc que l’eau ne puisse d’aucune manière se trouver au-dessus du feu et de l’air.

 

[4683] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc varia dicta sunt. Ambrosius enim in Lib. de spiritu sancto, videtur dicere, quod per aquas quae supra caelos sunt, spiritus sanctus intelligitur. Sed hoc magis ad analogicam expositionem pertinet quam ad litteralem, sive ad spiritum sanctum, sive ad Angelos referatur. Alii vero dicunt, aquas de natura hujus elementi quod apud nos est, super caelos virtute divina contineri. Sed hoc removet Augustinus ubi supra, quia in operibus sex dierum, quibus natura instituta est, non quaeritur quid Deus facere possit sua virtute, sed quid rerum natura patiatur. Augustinus etiam inquirendo tangit alium modum, ut scilicet firmamentum dicatur aer iste, super quem aquae per vapores ascendunt. Sed hoc non videtur sacrae Scripturae convenire, quae in firmamento caeli stellas positas dicit; nisi forte firmamentum aequivoce sumatur, sicut Rabbi Moyses dicit, qui etiam hanc expositionem innuit. Sed tamen melius possumus dicere, quod intelligatur de firmamento quod est caelum sidereum, supra quod sunt aquae, non quidem de natura hujus aquae quae apud nos est, sed de natura quintae essentiae, habentes similitudinem cum hac aqua, ratione cujus nomen aquae Scriptura eis attribuit, occulta per sensibilia nota manifestans. Haec autem similitudo non potest attendi nisi secundum lucidum et diaphanum, in quibus inferiora corpora conveniunt cum caelestibus, ut in 2 de anima dicitur. Et ideo sicut caelum Empyreum dicitur quod est simile igni in hoc quod est lucidum totum; ita etiam caelum chrystallinum vel aqueum dicitur, inquantum convenit cum aqua in hoc quod est diaphanum, sive quod sit aliqua pars ejus lucens (sicut est in caelo sidereo, cujus quaedam partes lucent, scilicet stellae) et aliqua pars diaphana. Huic etiam videtur consonare quod supra dixerat Magister, quod per aquas intelligitur prima materia, de cujus subtiliori parte factae sunt aquae quae super caelos sunt; ut sic non cogamur ponere aquas elementum supra caelos esse. Hoc autem caelum aqueum est nona sphaera, ad quam primo reducunt astrologi motum orbis signorum communem omnibus stellis, qui est de occidente in orientem; et iterum sphaeram decimam, ad quam reducunt motum diurnum, qui est de oriente in occidentem.

Réponse. À ce sujet, on a dit diverses choses. En effet, Ambroise, dans le livre Sur le Saint-Esprit, semble dire que, par les eaux qui se trouvent au-dessus des cieux, on entend l’Esprit Saint. Or, cela relève plutôt d’une interprétation analogique que de l’interprétation littérale, qu’on le mette en rapport avec l’Esprit Saint ou avec les anges. Mais d’autres disent que des eaux possédant la nature de l’élément qui existe chez nous sont contenues au-dessus des cieux par la puissance divine. Mais Augustin écarte cela à l’endroit cité plus haut, car, dans l’œuvre des six jours, au cours desquels la nature a été établie, on ne cherche pas ce que Dieu peut faire par sa puissance, mais ce que la nature des choses supporte. Augustin aborde aussi une autre manière par mode de recherche, à savoir que soit appelé firmament l’air au-dessus duquel les eaux montent sous forme de vapeurs. Mais cela ne semble pas convenir à la Sainte Écriture, qui dit des étoiles du ciel qu’elles ont été placées dans le firmament, à moins qu’on ne prenne le firmament de manière équivoque, comme le dit le rabbin Moïse, qui suggère aussi cette interprétation. Toutefois, nous pouvons mieux dire : on entend par firmament le ciel sidéral, au-dessus duquel se trouvent les eaux, non pas de même nature que l’eau qui existe chez nous, mais de la nature de la quinte essence ; elles ont une ressemblance avec cette eau, raison pour laquelle l’Écriture leur attribue le nom d’eaux, en montrant ce qui est caché par des réalités sensibles connues. Or, on ne peut observer cette ressemblance que selon le lumineux et le diaphane, que les corps inférieurs ont en commun avec les corps célestes, ainsi qu’on le dit dans Sur l’âme, II. C’est pourquoi, de même qu’on dit que le ciel empyrée ressemble au feu seulement parce qu’il est lumineux, de même le dit-on aussi du ciel cristallin ou aqueux, dans la mesure où il a en commun avec l’eau un caractère diaphane ou qu’une de ses parties brille (comme c’est le cas pour le ciel sidéral, dont certains parties brillent, telles les étoiles) et une autre partie est diaphane. Cela semble aussi s’accorder avec ce que le Maître avait dit plus haut que, par « eaux », on entend la matière première, dont les eaux qui sont au-dessus des cieux ont été faites à partir de sa partie plus subtile, de sorte que nous ne soyons pas forcés d’affirmer que les eaux existent en tant qu’élément au-dessus des cieux. Or, ce ciel aqueux est la neuvième sphère, à laquelle les astrologues ramènent en premier le mouvement de l’orbite des signes commun à toutes les étoiles, qui va de l’occident vers l’orient ; et aussi la dixième sphère, à laquelle ils ramènent le mouvement diurne, qui va de l’orient vers l’occident.

 

[4684] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hoc nihil auctoritati Scripturae derogatur, si diversimode exponatur, dummodo hoc firmiter teneatur quod sacra Scriptura nihil falsum contineat. Constat tamen in Scriptura sacra multa metaphorice tradita, quae secundum planam superficiem litterae intelligi non valent.

1. On ne déroge ainsi en rien à l’autorité de l’Écriture en l’interprétant de manière différente, pourvu qu’on tienne fermement que la Sainte Écriture ne contient rien de faux. Cependant, il est clair que beaucoup de choses sont transmises dans l’Écriture de manière métaphorique ; elles ne peuvent être comprises si l’on reste à la surface du texte.

 

[4685] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non oportet esse eumdem situm partium in universo, qui est in homine; quia in universo ordinantur corpora super nos, secundum quod minus sunt immaterialia; sed in homine, secundum quod expedit ad conservationem vitae, et ad convenientem executionem animae: et propter hoc, illud quod est principium vitae in homine, scilicet cor, est in medio positum, ut ab omni laesione conservetur, et vitam proportionaliter in omnes partes corporis diffundat; sed caelum, quod propter suam impassibilitatem est conservans non conservatum a corpore alio, est in extremo positum, quasi continens; cujus tamen motus est ut vita quaedam natura existentibus omnibus, ut in 8 Physic. dicitur, ad similitudinem motus cordis in animali, ut dicit Rabbi Moyses, ubi supra.

2. La position des parties de l’univers n’a pas besoin d’être la même que celle des parties de l’homme, car, dans l’univers, les corps sont placés au-dessus de nous selon qu’ils sont moins immatériels, mais, chez l’homme, selon qu’il convient à la conservation de la vie et à l’action qui convient à l’âme. Pour cette raison, ce qui est le principe de la vie chez l’homme, le cœur, est placé au centre afin d’être préservé de toute blessure et de répandre la vie dans tous les membres de manière proportionnelle. Mais le ciel, qui, en raison de son impasssibilité, conserve et n’est pas conservé par un autre corps, est situé à l’extrême, en tant que contenant ; cependant, son mouvement est pour ainsi dire la vie pour tout ce qui existe dans la nature, comme on le dit dans Physique, VIII, ressemblant en cela au mouvement du cœur dans l’animal, comme le dit le rabbin Moïse, à l’endroit indiqué plus haut.

 

[4686] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Saturnus habet infrigidare ex propria natura, et virtute consequente speciem suam; unde non oportet quod ad ejus infrigidationem aquae super caelos ponantur; quia si ibi essent, ipsum non infrigidarent, cum sint de natura quintae essentiae non susceptibilis peregrinae impressionis; quod iterum si esset possibile, magis infrigidarent stellas octavae sphaerae velut sibi propinquiores; quarum tamen quaedam inveniuntur esse calidissimi effectus.

3. Par nature, Saturne refroidit par sa propre nature et par la puissance qui découle de sa propre apparence. Aussi n’est-il pas nécessaire que les eaux qui se trouvent au-dessus des cieux soient refroidies comme elle, car si elles se trouvaient là, elles ne la refroidiraient pas, puisqu’elles possèdent la nature de la quinte essence qui ne peut recevoir une impulsion étrangère. Mais si cela était possible, elles refroidiraient plutôt les étoiles de la huitième sphère qui en sont plus rapprochées ; cependant, certaines d’entre elles se trouvent posséder un effet très chaud.

 

[4687] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod corpora naturalia in infinitum dividi non possunt, quia omnium natura constantium, ut in 2 de anima dicitur est terminus magnitudinis, nec tantum in augmento sed etiam in diminutione; et ideo etiam est invenire minimam carnem et minimam aquam, ut in 1 Physic. dicitur; et ideo in qualibet specie oportet esse terminum quemdam rarefactionis, ultra quem species non salvatur. Unde ultima raritas ad quam potest perveniri, est secundum quod materia stat sub forma ignis, ut dicit Commentator in 4 Physic. Unde posset aqua tantum rarefieri quod jam non esset aqua nec vapor, sed aer vel ignis. Praeterea cum ignis sit maxime activus, non posset pertransire regionem ignis vapor ille, quin consumeretur: et adhuc minus possibile esset ut substantiam orbium penetraret, qui, secundum omnes, sunt indivisibiles, nisi metaphorice dividi dicantur.

4. Les corps naturels ne peuvent être divisés à l’infini, car la nature de tout ce qui existe est le terme de la grandeur, non pas seulement pour la croissance, mais aussi pour la diminution, comme on le dit dans Sur l’âme, II. C’est pourquoi il faudra trouver la plus petite quantité de chair et la plus petite quantité d’eau, comme on le dit dans Physique, I. C’est pourquoi, en toute espèce, il faut qu’il y ait un terme à la raréfaction, au-delà duquel l’espèce n’est pas préservée. Aussi la rareté ultime à laquelle on puisse parvenir est celle de la matière qui est sous-jacente à la forme du feu, comme le dit le Commentateur dans Physique, IV. L’eau pourrait donc être raréfiée au point qu’il n’y ait plus ni eau ni vapeur, mais air et feu. De plus, comme le feu est ce qu’il y a de plus actif, cette vapeur ne pourrait traverser la région du feu sans être consumée, et il serait encore moins possible qu’elle pénètre la substance des sphères, qui, selon tous, sont indivisibles, à moins qu’on ne dise de manière métaphorique qu’elles sont divisées.

 

 

 

 

Articulus 2 [4688] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 tit. Utrum firmamentum sit de natura inferiorum corporum

Article 2 – Le firmament a-t-il la même nature que les corps inférieurs ?

 

[4689] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod firmamentum sit de natura inferiorum corporum. Dicit enim Basilius in Hexameron Hom. 3, quod est de natura ignis; in littera etiam dicitur, quod est de aqua in modum chrystalli congelata: quae duo constat esse de natura inferiorum corporum. Ergo et firmamentum.

1. Il semble que le firmament ait la même nature que les corps inférieurs. En effet, Basile dit, dans l’Hexaméron, hom. 3, qu’il a la nature du feu ; il est aussi dit dans le texte qu’il est fait d’eau congelée comme un cristal, deux choses qui ont manifestement la nature des corps inférieurs. C’est donc aussi le cas du firmament.

 

[4690] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, ignis est nobilissimum corporum inter elementa. Sed non est probabile ut nobilissimum corpus in operibus creationis praetermitteretur. Cum ergo Scriptura specialem mentionem de igne non faciat, videtur quod nomine firmamenti intelligatur.

2. Parmi les éléments, le feu est le plus noble. Or, il n’est pas probable que le corps le plus noble soit omis dans les œuvres de la création. Puisque l’Écriture ne fait pas mention du feu, il semble donc qu’on l’entende sous le nom de firmament.

 

[4691] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, omne agens agit sibi simile. Sed corpora superiora in inferioribus habent effectum caliditatis et humiditatis. Ergo videtur quod qualitatibus afficiantur; et ita videtur esse de natura inferiorum corporum.

3. Tout agent produit quelque chose de semblable à lui. Or, les corps supérieurs exercent un effet de chaleur et d’humidité sur les corps inférieurs. Il semble donc qu’il soit affecté par des qualités, et ainsi il semble avoir la même nature que les corps inférieurs.

 

[4692] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, proprium ignis est, secundum philosophum, esse specie subtilissimum corporum. Sed nihil corporeum est caelo subtilius et nobilius. Ergo videtur quod caelum sit ignis, et sic idem quod prius.

4. Selon le Philosophe, il est propre au feu d’être le plus subtil des corps par son espèce. Or, rien de corporel n’est plus subtil et plus noble que le ciel. Il semble donc que le ciel soit du feu, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

 

[4693] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Dionysius dicit quod caeli et stellae habent substantiam ingenerabilem et invariabilem. Sed inferiora corpora sunt generabilia et variabilia. Ergo firmamentum non est de natura inferiorum corporum.

Cependant, [1] Denys dit que le ciel et les étoiles ont une substance qui n’est pas susceptible d’être engendrée et qui ne varie pas. Or, les corps inférieurs sont susceptibles de génération et variables. Le firmament n’a donc pas la nature des corps inférieurs.

 

[4694] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, cum natura sit principium motus et quietis, oportet quod per motum judicium de natura corporis accipiamus. Sed motus circularis naturalis caelo est, quia est primus motus; motus autem violentus non potest esse primus: nulli autem inferiorum corporum naturalis est motus circularis. Ergo oportet quod caelum non sit de natura inferiorum corporum, nec habens contrarium, sicut nec motus ejus.

[2] Puisque la nature est le principe du mouvement et du repos, il est nécessaire que nous portions un jugement sur la nature d’un corps par le mouvement. Or, le mouvement circulaire est naturel au ciel, car il est le premier mouvement, mais un mouvement violent ne peut être le premier. Or, le mouvement circulaire ne peut être naturel à aucun des corps inférieurs. Il est donc nécessaire que le ciel n’ait pas la nature des corps inférieurs et n’ait pas non plus de contraire, pas davantage que son mouvement.

 

[4695] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc quaestionem fuit philosophorum diversa positio. Omnes enim ante Aristotelem posuerunt, caelum esse de natura quatuor elementorum. Aristoteles autem primus hanc viam improbavit, et posuit caelum esse quintam essentiam sine gravitate et levitate et aliis contrariis, ut patet in 1 caeli et mundi; et propter efficaciam rationum ejus, posteriores philosophi consenserunt sibi; unde nunc omnes opinionem ejus sequuntur. Similiter etiam expositores sacrae Scripturae in hoc diversificati sunt, secundum quod diversorum philosophorum sectatores fuerunt, a quibus in philosophicis eruditi sunt. Basilius enim et Augustinus et plures sanctorum sequuntur in philosophicis quae ad fidem non spectant, opiniones Platonis: et ideo ponunt caelum de natura quatuor elementorum. Dionysius autem fere ubique sequitur Aristotelem, ut patet diligenter inspicienti libros ejus: unde ipse separat corpora caelestia ab aliis corporibus. Et ideo hanc positionem sequens dico, quod caelum non est de natura quatuor elementorum, sed est quintum corpus.

Réponse. Sur cette question, les philosophes ont eu des positions différentes. En effet, tous ceux qui ont précédé Aristote ont affirmé que le ciel avait la nature des quatre éléments. Mais, le premier, Aristote a rejeté cette approche et a affirmé que le ciel relève de la quinte essence sans pesanteur ni légèreté, ni autres choses contraires, comme cela ressort dans Sur le ciel et le monde, I. En raison de la force de ses arguments, les philosophes qui l’ont suivi ont été d’accord avec lui. Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion. De même aussi, les interprètes de la Sainte Écriture se sont-ils divisés selon qu’ils étaient partisans de divers philosophes, dont ils avaient reçu leur formation en matière philosophique. En effet, Basile, Augustin et plusieurs saints ont suivi les opinions de Platon pour les questions philosophiques qui ne concernent pas la foi. Aussi affirment-ils que le ciel a la nature des quatre éléments. Mais Denys suit Aristote presque partout, comme cela ressort pour celui qui examine ses livres avec attention ; aussi sépare-t-il les corps célestes des autres corps. C’est pourquoi, en suivant cette opinion, je dis que le ciel n’a pas la nature des quatre éléments, mais est un cinquième corps.

 

[4696] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod alii sancti hoc tradiderunt, non quasi asserentes, sed sicut utentes his quae in philosophia didicerant; unde non sunt majoris auctoritatis quam dicta philosophorum quos sequuntur, nisi in hoc quod sunt ab omni infidelitatis suspicione separati. Vel potest dici quod sumunt ignem et aquam secundum similitudinem lucis et diaphaneitatis.

1. D’autres saints ont enseigné cela, non pas en l’affirmant, mais en recourant à ce qu’ils avaient appris en philosophie. Aussi leur autorité n’est-elle pas plus grande que ce que disent les philosophes qu’ils suivent, sauf qu’ils sont exempts de tout soupçon d’infidélité. Ou bien on peut dire qu’ils entendent le feu et l’eau par ressemblance avec la lumière et le diaphane.

 

[4697] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Rabbi Moyses dicit quod ignis intelligitur per tenebras quae in principio creationis commemorantur, ut sic numerus et ordo elementorum designetur, dum super terram aqua, super aquam spiritus, id est aer; super spiritum, qui est facies abyssi, tenebrae describuntur: eo quod ignis in sua sphaera non lucet, ut a philosophis probatum est. Sed quia haec expositio videtur nimis extranea, ideo potest melius dici, quod ibi non tangantur nisi creaturae quae habent manifestam apparentiam et utilitatem apud nos omnes: et propter hoc etiam de aere non fecit mentionem, quia aer esse corpus a vulgo non percipitur; unde quidam vacuum plenum aere dixerunt. Similiter et ignis elementum, secundum quod in sphaera sua est, non sensu, sed ratione deprehenditur; et ideo horum creatio rudi populo explicite non proponitur. Sed per aquam omnia tria intelliguntur, quasi medium corpus inter caelum et terram. Vel dicendum, secundum Augustinum, quod aer quantum ad superiorem partem propter tranquillitatem cum caelo computatur, quod est ignis, secundum ejus positionem: et idem nos possumus dicere de igne, ex quo non ponimus caelum de natura quatuor elementorum.

2. Le rabbin Moïse dit que le feu signifie les ténèbres qui sont rappelées au commencement de la création, de sorte que le nombre et l’ordre des éléments sont ainsi désignés, alors que l’eau était au-dessus de la terre et l’esprit au-dessus de l’eau, c’est-à-dire l’air. Les ténèbres sont décrites comme situées au-dessus de l’esprit, qui est le visage de l’abîme, du fait que le feu ne brille pas dans sa sphère, comme les philosophes l’ont démontré. Mais parce que cette interprétation semble être trop étrangère, on peut donc affirmer en mieux que sont abordées là seulement les créatures qui ont une apparence et une utilité pour nous tous. Pour cette raison aussi, on ne fait pas mention de l’air, car l’air n’est pas perçu comme un corps par le commun des hommes ; c’est ainsi que plusieurs ont dit que le vide était rempli d’air. De même, le feu comme élément, selon qu’il existe dans sa sphère, n’est pas perçu par le sens, mais par la raison ; c’est pourquoi la création de ces choses n’est pas proposée au peuple non-instruit. Mais l’eau signifie les trois choses, comme un élément intermédiaire entre le ciel et la terre. Ou bien il faut dire, selon Augustin, que l’air, pour ce qui est de sa partie supérieure, est compté avec ciel en raison de sa tranquillité, ce qui est le feu par sa position. Et nous pouvons dire la même chose du feu, raison pour laquelle nous situons le ciel dans la nature des quatre éléments.

 

[4698] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quando materia est proportionata ad recipiendam actionem secundum virtutem agentis, tunc agens facit sibi simile in specie, et dicitur agens univocum: quando autem materia non est proportionata ad recipiendam actionem secundum virtutem agentis, servatur quidem aliqua similitudo effectus ad agentem, secundum quod dicit Dionysius quod habent causata causarum suarum contingentes imagines: et tamen non oportet eodem modo inveniri aliquid in causa quo est in effectu, sed eminentiori: et ita etiam calor aliquo modo est in sole, non quidem denominans ipsum, ut dicatur calidus formaliter, sed effective secundum virtutem calefaciendi, quae in eo est.

3. Lorsque la matière est proportionnée à recevoir l’action selon la puissance de l’agent, l’agent réalise alors quelque chose de semblable à lui-même par l’espèce, et on parle d’agent univoque. Mais lorsque la matière n’est pas proportionnée à recevoir l’action selon la puissance de l’agent, une certaine ressemblance de l’effet à l’agent est préservée ; Denys dit que ce qui est ainsi causé est une image de ses causes. Cependant, il n’est pas nécessaire que quelque chose se trouve dans la cause de la manière dont cela se trouve dans l’effet, mais d’une manière supérieure. Ainsi, la chaleur existe d’une certaine manière dans le soleil, sans toutefois lui donner son nom, de sorte qu’on le dise chaud par sa forme, mais par son effet selon la puissance de réchauffer qui se trouve en lui.

 

[4699] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod subtilitas et raritas non invenitur univoce in corporibus caelestibus et inferioribus, ut dicit Commentator in Lib. de substantia orbis; unde ignis dicitur esse subtilissimum corporum secundum illam acceptionem qua subtilitas in inferioribus corporibus invenitur. Tamen auctoritates ex exemplis sumptae parum cogunt.

4. La subtilité et la rareté ne se trouvent pas de manière univoque dans les corps célestes et dans les corps terrestres, comme le dit le Commentateur, dans le libre Sur la substance de l’univers. Aussi le feu est-il appelé le plus subtil des corps au sens où la subtilité se trouve dans les corps inférieurs. Toutefois, les autorités tirées des exemples n’ont pas beaucoup de force.

 

 

 

 

Articulus 3 [4700] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 tit. Utrum motus caeli sit ab intelligentia

Article 3 – Le mouvement du ciel vient-il d’une intelligence ?

 

[4701] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod motus caeli non sit ab anima, vel intelligentia. Motus enim caeli est motus naturalis, ut in 1 caeli et Mund. dicit philosophus. Sed motus naturalis est cujus principium est forma corporis naturalis. Ergo videtur quod motus caeli sit a forma naturali ejus, et non ab aliquo movente per apprehensionem.

1. Il semble que le mouvement du ciel ne vienne pas d’une âme ou d’une intelligence. En effet, le mouvement du ciel est un mouvement naturel, comme le dit le Philosophe dans Sur le ciel et le monde. Or, un mouvement naturel est celui dont le principe est la forme d’un corps naturel. Il semble donc que le mouvement du ciel vienne de sa forme naturelle, et non de quelque chose qui le meut en le saisissant.

 

[4702] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omnis motus ab anima est cum labore et poena, ut in 2 Cael. et Mund. dicitur. Sed motus caeli non est hujusmodi: quia non posset esse continuus et uniformis. Ergo non movetur ab anima.

2. Tout mouvement venu de l’âme est accompagné de peine et de labeur, comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, II. Or, le mouvement du ciel n’est pas de ce genre, car il ne pourrait être continu et uniforme. [Le ciel] n’est donc pas mû par une âme.

 

[4703] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, anima intellectiva non conjungitur corpori nisi mediante sensitivo et nutritivo, ut patet ex comparatione partium animae ad species figurarum in 2 de anima. Sed corpora caelestia non possunt habere animam sensitivam vel nutritivam: quia non habent corpus complexionatum, quale exigitur ut sit instrumentum operationum animae vegetativae et sensitivae. Ergo videtur quod nec ab anima intellectiva moveri possit.

3. L’âme intellectuelle n’est unie au corps que par le moyen [d’une âme] sensible et nutritive, comme cela ressort de la comparaison des parties de l’âme à l’aspect des figures, dans Sur l’âme, II. Or, les corps célestes ne peuvent avoir d’âme sensible ou nutritive, car ils n’ont pas la complexion du corps requise pour que celui-ci soit l’instrument des opérations de l’âme végétative et sensible. Il semble donc qu’il ne puisse non plus être mû par une âme intellectuelle.

 

[4704] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, omne corpus motum ab anima, habet dextrum et sinistrum, et alias differentias positionis. Sed corpus caeleste cum sit totum uniforme, non habet hujusmodi diversitatem in partibus. Ergo videtur quod non possit esse motum ab anima.

4. Tout corps mû par une âme possède une droite et une gauche, et d’autres différences de position. Or, le corps céleste, puisqu’il est entièrement uniforme, ne possède pas ce genre de diversité dans ses parties. Il semble donc qu’il ne puisse être mû par une âme.

 

[4705] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est, quia probatur in 7 Physic., quod ex se movetur. Sed ex se motum non potest esse, ut probatur ibidem, nisi illud cujus una pars est movens, et altera mota; et omnis talis motus, est motus virtutis apprehendentis. Ergo oportet motum caeli esse ab aliqua virtute apprehendente.

Cependant, [1] il est démontré, en Physique, VII, que [le ciel] il se meut par lui-même. Or, être mû par soi, comme on le demontre au même endroit, ne peut être le fait que de ce dont une partie meut et une autre est mue, et tout mouvement de ce genre est le mouvement d’une puissance qui saisit. Il faut donc que le mouvement du ciel soit produit par une puissance qui saisit.

 

[4706] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, omnis motus naturalis est corpus existentis extra ubi suum. Hoc autem est impossibile in caelo ponere. Ergo motus caeli est ab aliqua apprehensione.

[2] Tout mouvement corporel est celui d’un corps [corr. corpus/corporis] se trouvant hors de son lieu naturel. Or, il est impossible d’affirmer cela du ciel. Le mouvement du ciel ne vient donc pas d’une prise.

 

[4707] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est multiplex opinio. Quidam enim dicunt, quod sicut motus aliorum corporum simplicium est ex naturis eorum corporalibus, ita etiam motus corporis caelestis. Illud autem non videtur esse verum. Quia omnis motus est ab aliquo motore. In motu autem corporum simplicium, quamvis forma naturalis sit principium motus, non tamen est motor; sed essentialis motor est generans quod dedit formam, et accidentalis est removens prohibens, ut probatur in 8 Physic.: quae nullo modo competunt corpori caelesti. Et praeterea motus naturalis est ad unam partem tantum, et perficitur quiete naturali, et est corporis existentis extra ubi naturale: quae omnia etiam a corpore caelesti aliena sunt. Et ideo alii dicunt, quod oportet motum corporis caelestis esse ab aliquo intellectu et voluntate, sed non immediate ab ipso Deo: hoc enim ordini divinae sapientiae non congruit, cujus effectus ad ultima per media deveniunt, ut Dionysius dicit. Et ideo Gregorius dicit, quod corporalis creatura per spiritualem administratur; et ideo probabile est quod aliquis intellectus creatus sit motor proximus caeli. Sciendum tamen quod philosophi posuerunt diversos motores in diversis motibus et mobilibus: unde secundum eorum numerum probaverunt numerum intelligentiarum moventium. Unicuique tamen orbi assignaverunt duos motores: unum conjunctum, quem dixerunt animam orbis; et alterum separatum, quem dixerunt intelligentiam. Cujus positionis ratio fuit, quia intelligentia secundum eos habet formas universales, quae non convenit ut immediate dirigant in renovationibus diversis motus caeli, et in his quae per motum caeli educuntur; et ideo oportet habere motorem in quo sint formae particulares dirigentes in motu, et hunc dicunt esse animam orbis. Haec autem positio partim est haeretica, et partim Catholice sustineri potest. Ipsi enim ponunt, quod res secundum ordinem exeunt a Deo, ita quod a causa prima, quae Deus est, creatur immediate intelligentia, a qua iterum exit anima orbis; et ab illa producitur substantia ipsius orbis: et pro tanto potest dici motor proximus forma ejus vel anima, quia dat sibi esse, sicut causa sibi proportionata. Hoc autem fides nostra non patitur, quae solum Deum rerum creatorem ponit, ut supra dictum est. Et ideo Angelos, qui movent orbes proxime, possumus motores dicere, non formas vel animas: quia orbes recipiunt ab eis motum tantum, non autem esse. In hoc autem sustineri potest, ut dicamus, superiores Angelos, qui habent formas magis universales, esse motores separatos et remotos; Angelos autem inferiores, qui habent formas magis particulares, ut prius dictum est, esse motores proximos. Unde etiam Avicenna dicit quod intelligentiae apud philosophos sunt qui in lege vocantur superiores Angeli, ut Cherubim, et Seraphim; animae vero orbium dicuntur inferiores, qui dicuntur Angeli ministerii.

Réponse. À ce sujet, il existe de multiples opinions. En effet, certains disent que, de même que le mouvement des autres corps simples vient de leurs natures corporelles, de même aussi le mouvement du corps céleste. Mais cela ne semble pas être vrai, car tout mouvement vient d’un moteur. Or, dans le mouvement des corps simples, bien que la forme naturelle soit le principe du moteur, elle n’en est cependant pas le moteur ; mais le moteur essentiel est ce qui engendre et a donné la forme, et le [moteur] accidentel est ce qui enlève un empêchement, comme on le démontre dans Physique, VIII, ce qui ne convient aucunement au corps céleste. De plus, le mouvement naturel va dans un sens seulement et il s’achève dans un repos naturel ; il est aussi celui d’un corps qui se trouve hors de son lieu naturel, toutes choses qui sont étrangères au corps céleste. C’est pourquoi d’autres disent qu’il est nécessaire que le mouvement du corps céleste vienne d’une intelligence et d’une volonté, mais non pas immédaitement de Dieu lui-même. En effet, cela ne convient pas à l’ordre de la sagesse divine, dont les effets atteignent leur point ultime par des intermédiaires, comme le dit Denys. C’est pourquoi Grégoire dit que la créature corporelle est dirigée par la créature spirituelle. Il est donc probable qu’une intelligence créée soit le moteur rapproché du ciel. Toutefois, il faut savoir que les philosophes ont affirmé l’existence de divers moteurs pour divers mouvements et mobiles ; aussi ont-ils montré le nombre des intelligences motrices selon leur nombre. Ils ont cependant assigné à chaque sphère deux moteurs : l’un uni, qu’ils ont appelé l’âme de la sphère ; l’autre séparé, qu’ils ont appelé intelligence. La raison de cette position était que, selon eux, l’intelligence possède des formes universelles et qu’il ne convient pas que celles-ci dirigent de manière immédiate les divers renouvellements du mouvement du ciel et, en eux, ce qui est entraîné par le mouvement du ciel. Il faut donc qu’il y ait un moteur dans lequel existent des formes particulières qui dirigent le mouvement : ils disent que celui-ci est l’âme de la sphère. Or, cette position est en partie hérétique et elle peut être en partie soutenue de manière catholique. En effet, ils affirment que les choses sont issues de Dieu selon un ordre, de telle sorte que l’intelligence est immédiatement créée par la cause première, qui est Dieu, et que la substance de la sphère est créée par elle. Pour autant, le moteur rapproché peut être appelé sa forme ou son âme, car elle lui donne d’être comme la cause qui lui est proportionnée. Mais notre foi ne soutient pas cela, car elle affirme que Dieu seul est créateur des choses, comme on l’a dit. C’est pourquoi nous pouvons appeler moteurs, mais non formes ou âmes, les anges qui meuvent les sphères de manière rapprochée, car les sphères ne reçoivent d’eux que le mouvement, mais non pas l’être. Mais [cette position] peut être soutenue si nous disons que les anges supérieurs, qui possèdent des formes plus universelles, sont des moteurs séparés et éloignés, mais que les anges inférieurs, qui possèdent des formes plus particuliéres, comme on l’a dit plus haut, sont des moteurs rapprochés. C’est pourquoi même Avicenne dit que les intelligences chez les philosophes sont ce que la loi [mosaïque] appelle des anges supérieurs, comme les Chéribins et les Séraphins ; mais les [anges] inférieurs, dont on dit qu’ils sont des anges ministériels, sont appelés âmes des sphères.

 

[4708] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut Commentator dicit in 1 caeli et mundi, motus caeli dicitur naturalis, non quia principium ejus activum sit aliqua forma naturalis, sed quia ipsum corpus caeleste est talis naturae ut talem motum natum sit suscipere ab aliquo intellectu, non habens naturam repugnantem huic motui voluntario, sicut est in nobis. Natura enim non tantum dicitur de forma, sed etiam de materia.

1. Comme le dit le Commentateur dans Sur le ciel et le monde, I, le mouvement du ciel est appelé naturel, non pas parce que son principe actif est une forme naturelle, mais parce que le corps céleste lui-même possède une nature telle qu’il est destiné à recevoir d’une intelligence un tel mouvement, en n’ayant pas une nature opposée à ce mouvement volontaire, comme c’est le cas chez nous. En effet, on ne parle pas seulement de nature pour ce qui joue le rôle de forme, mais aussi pour ce qui joue le rôle de matière.

 

[4709] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod philosophus loquitur contra illos qui ponebant caelum de natura inferiorum corporum: tunc enim motus ille esset ab anima contra naturam corporis moti; et ideo oporteret laborem et poenam esse in movendo. Sed si ponatur motus ille ab intellectu secundum conditionem corporis moti, non est ibi violentia nec labor.

2. Le Philosophe parle contre ceux qui affirmaient que le ciel a la même nature que les corps inférieurs : en effet, ce mouvement viendrait de l’âme contrairement à la nature du corps mû. C’est pourquoi il devrait y avoir labeur et peine à le mouvoir. Mais si on dit que ce mouvement vient d’une intelligence selon la condition du corps mû, il n’y a pas là violence ni labeur.

 

[4710] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut dicit Commentator in libro de substantia orbis, corpus caeleste non est generabile nec est corruptibile, sicut corpus nostrum; et ideo non indiget aliqua forma vegetante ipsum. Similiter etiam motor ejus non acquirit cognitionem a rebus, sed habet scientiam quasi activam; et ideo non indiget anima sensitiva; et ideo secundum philosophos non dicitur univoce anima caeli et hominis.

3. Comme le dit le Commentateur dans le livre Sur la substance du monde, le corps céleste n’est susceptible ni de génération ni de corruption, comme notre corps. C’est pourquoi il n’a pas besoin de forme végétative en lui. De même, son moteur ne reçoit pas la connaissance à partir des choses, mais il possède une science pour ainsi dire active. Aussi n’a-t-il pas besoin d’une âme sensible. Ainsi, selon les philosophes, ne parle-t-on pas de manière univoque de l’âme du ciel et de l’homme.

 

[4711] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum philosophum, in corpore caeli est assignare differentias positionum; ita quod dextrum ejus dicatur oriens, unde incipit motus; et sinistrum occidens, et superius polus meridionalis, et inferius polus Septemtrionalis, et anterius, superius hemisphaerium, et posterius, inferius; tamen istae partes, ut idem Commentator dicit, diversimode assignantur in corpore caelesti et in corporibus nostris quantum ad duo. Primo, quia in nobis istae partes figura et virtute diversificantur, non autem in corpore caelesti, cum undique sit sphaericum. Secundo, quia in nobis determinata pars est dextra, quae nunquam fit sinistra; in corpore autem caeli illa pars orbis quae nunc est dextra, postmodum fit sinistra: quia pars quae nunc est in oriente, postmodum est in occidente: quod contingit ex hoc quod virtus exequens motum in nobis, est actus corporis cujusdam affixa organis, scilicet musculis et nervis; quod non contingit in corpore caelesti.

4. Selon le Philosophe, il faut reconnaître des différences de position dans le corps du ciel, de telle sorte que sa droite est appelée orient, là où commence le mouvement, et sa gauche, occident, et que le pôle méridional [le sud] soit en haut, le pôle septentrional [le nord] en bas[5], et à l’avant, l’hémisphère supérieur, et à l’arrière, [l’hémisphère] inférieur. Toutefois, comme le dit le même Commentateur, ces parties sont attribuées au corps céleste et à nos corps de manière différente sous deux aspects. Premièrement, parce qu’en nous ces parties se différencient par la figure et la puissance, mais non dans le corps céleste, puisqu’il est sphérique de partout. Deuxièmement, parce qu’en nous, une partie déterminée est la droite, qui ne devient jamais la gauche ; mais, dans le corps céleste, cette partie de la sphère qui est maintenant la droite devient par la suite la gauche, puisque la partie qui se trouve maintenant à l’orient se trouve par la suite à l’occident. Cela se produit du fait que la puissance qui exécute le mouvement en nous est l’acte d’un corps lié à des organes, à savoir, des muscles et des nerfs, ce qui ne se produit pas dans le corps céleste.

 

 

 

 

Articulus 4 [4712] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 tit. Utrum numerus caelorum convenienter assignetur a Rabano

Article 4 – Le nombre des cieux est-il assigné de manière appropriée par Raban ?

 

[4713] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter a Rabano numerus caelorum assignetur. Ponit enim septem caelos, scilicet Empyreum, chrystallinum, sidereum, igneum, Olympium, aethereum, et aereum. Est enim caelum sanctae Trinitatis, in quod Lucifer ascendere voluit, ut supra dictum est. Hoc autem ab omnibus enumeratis differt. Ergo insufficienter videntur caeli enumerari.

1. Il semble que le nombre des cieux soit assigné de manière inappropriée par Raban. En effet, il présente sept cieux : l’empyrée, le cristallin, le sidéral, l’igné, l’olympien, l’éthérée et l’aérien ; en effet, il existe un ciel de la Sainte Trinité, vers lequel Lucifer a voulu monter, comme on l’a dit plus haut. Or, celui-ci est différent de tous ceux qui ont été énumérés. Les cieux semblent donc avoir été énumérés de manière insuffisante.

 

[4714] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, sicut in sphaera aeris et ignis differt convexum et concavum; ita etiam in sphaera caeli Empyrei et chrystallini. Sed penes convexum et concavum ignis et aeris, sumitur duplex caelum, ut infra dicetur. Ergo similiter in caelo Empyreo debet duplex caelum assignari.

2. De même que, dans la sphère aérienne et dans la sphère ignée, il y a une différence entre ce qui est convexe et ce qui est concave, de même aussi, dans la sphère du ciel empyrée et du cristallin. Or, selon ce qui est convexe et concave dans le feu et dans l’air, on considère deux cieux, comme on le dira plus loin. De même, il faut donc attribuer un double ciel au ciel empyrée.

 

[4715] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, praeter caelum sidereum, in quo sunt sidera fixa, sunt etiam orbes septem planetarum, qui etiam caeli nomen sortiuntur. Cum ergo de eis mentionem non faciat, videtur insufficienter caelos assignare.

3. En plus du ciel sidéral, où sont fixés les astres, existent aussi les sphères des sept planètes, qui portent aussi le nom de ciel. Puisque [Raban] ne fait pas mention d’eux, il semble donc qu’il assigne les cieux de manière insuffisante.

 

[4716] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, sicut aer et ignis communicant cum caelo in luce et diaphaneitate, ita etiam et aqua. Sed ratione hujus convenientiae aer et ignis caelum dicuntur. Ergo videtur quod oportuisset similiter aqueum elementum inter caelos computare.

4. De même que l’air et le feu ont en commun avec la terre la lumière et le caractère diaphane, de même aussi l’eau. Or, en raison de ce caractère commun, l’air et le feu sont aussi appelés ciel. Il semble donc qu’on aurait dû compter l’élément de l’eau parmi les cieux.

 

[4717] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 5 Sed contra, videtur quod non sint tot caeli, sed solum tres, per hoc quod legitur 1 Corinth. 12, Paulus usque ad tertium caelum raptus.

5. Il semble qu’il n’y ait pas autant de cieux, mais seulement trois, selon ce qu’on lit dans 1 Co 12, que Paul a été emporté jusqu’au troisième ciel.

 

[4718] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod caelum potest nominari aut solum ab aliqua caelesti proprietate, aut simul a proprietate et natura. Natura enim corporis caelestis est ut separatum sit a corruptione et a contrariis; proprietates autem ejus praecipue attenduntur in altitudine situs, et claritatis participatione. Si ergo nominemus caelum a natura et proprietate caelesti, sic est triplex caelum; quorum unum est uniforme et immobile, scilicet Empyreum; secundum uniforme et mobile, scilicet caelum chrystallinum; tertium difforme in partibus, et mobile, scilicet sidereum. Si autem dicatur caelum a proprietatibus caelestibus tantum, sic erit quadruplex caelum. Sunt enim duo elementa, quae simul claritatem lucis participant et altitudinem situs, scilicet aer et ignis: in quorum utroque distinguitur pars superior quantum ad convexum sphaerae ipsius, et pars inferior quantum ad concavum. Pars ergo superior sphaerae ignis dicitur caelum igneum, eo quod ignis ibi purissimus est, propriam naturam servans; pars autem inferior ejus caelum Olympium dicitur, a quodam monte, qui nominatur Olympus in Macedonia, qui ultra nubes in altum dicitur porrigi: superior vero pars aeris dicitur caelum aethereum, propter inflammationem illius partis ex propinquitate ignis, quia, ut in 1 Cael. et Mund. dicitur, nomen aetheris designat corpus velocis motus, cito inflammabile, vel inflammans; inferior vero pars aeris dicitur caelum aereum, in qua est aer servans proprietatem aeris nobis noti, et in usum nostrum venientis.

Réponse. On peut parler de ciel soit seulement en raison d’une propriété du ciel, soit en raison de cette propriété et de sa nature. En effet, le corps céleste est par nature séparé de la corruption et de contraires, mais on porte surtout attention à ses propriétés d’élévation de site et de participation à l’éclat. Si donc nous parlons de ciel pour la nature et pour une propriété céleste, il y a ainsi un triple ciel : l’un d’eux est uniforme et immobile, à savoir, le ciel empyrée ; le deuxième est uniforme et mobile, à savoir, le ciel cristallin ; le troisième n’est pas uniforme dans ses parties et il est mobile, à savoir, le ciel sidéral. Mais si on parle de ciel selon les propriétés célestes seulement, il y aura ainsi un quadruple ciel. En effet, il y a deux éléments qui participent en même temps à l’éclat de la lumière et à l’élévation du site, à savoir, l’air et le feu. Dans chacun des deux, on distingue une partie supérieure pour ce qui est convexe dans sa sphère, et une partie inférieure pour ce qui est concave. La partie supérieure de la sphère de feu est donc appelée le ciel igné, du fait que le feu y est le plus pur en conservant sa propre nature ; mais sa partie inférieure est appelée le ciel olympien en raison d’une montagne de la Macédoine, appelée l’Olympe, dont on dit qu’elle dépasse les nuages en hauteur. Mais la partie supérieure de l’air s’appelle le ciel éthéré en raison de cette partie qui flambe à cause de la proximité du feu, car, ainsi qu’on le dit dans Sur le ciel et le monde, I, le « éther » désigne un corps dont le mouvement est rapide, susceptible d’être rapidement enflammé ou de mettre le feu ; mais la partie inférieure de l’air est appelée ciel aérien, là où l’air conserve la propriété de l’air qui nous est connu et qui sert à notre usage.

 

[4719] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caelum sanctae Trinitatis nominatur metaphorice ipsa celsitudo divinae majestatis, et transumptiva similitudine, qualis potest esse corporalium et spiritualium secundum proportionabilitatem; et ideo non oportuit ut in eamdem divisionem cum caelis corporalibus veniret.

1. L’élévation de la majesté divine est appelée ciel de la Sainte Trinité de manière métaphorique et par transposition d’une ressemblance par proportionnalité, comme il peut en exister entre les êtres corporels et les êtres spirituels. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire qu’elle apparaisse dans la même division que les cieux corporels.

 

[4720] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod corpus illud quod natura caelum dicitur, non est alterabile ex contactu alterius corporis; et ideo eamdem naturam retinet in qualibet sui extremitate; et ideo in talibus corporibus non distinguitur duplex caelum secundum superiorem et inferiorem partem, sicut in aere et igne, cujus extremitates ex alteratione corporum contingentium diversis proprietatibus disponuntur.

2. Ce corps qu’on appelle ciel par nature ne peut être altéré par le contact d’un autre corps ; il garde donc la même nature dans n’importe quelle de ses extrémités. C’est pourquoi on ne distingue pas dans de tels corps un double ciel selon sa partie supérieure et sa partie inférieure, comme pour l’air et le feu, dont les extrémités sont disposées à diverses propriétés par une altération provenant des corps qui les affectent.

 

[4721] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sub caelo sidereo includuntur caeli septem planetarum, qui omnes in hoc conveniunt cum sphaera stellarum fixarum, quod habent difformitatem in partibus ex eo quod aliqua pars est lucida, ut stella, et altera pars diaphana, ut sunt reliquae aliae partes orbis.

3. On inclut dans le ciel sidéral les cieux des sept planètes, qui ont en commun avec la sphère des étoiles fixes d’avoir dans leurs parties une difformité, du fait qu’une partie est lumineuse, telle l’étoile, et une autre partie diaphane, comme le sont les parties de la sphère.

 

[4722] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis aqua participet diaphaneitatem, non tamen participat altitudinem situs, cum in pluribus sit grave quam leve: est enim grave in loco ignis et aeris, leve vero in loco terrae tantum; ignis vero est levis simpliciter; aer autem in pluribus levis quam gravis, ut dicitur in 4 Cael. et Mund.: et ideo elementum aquae non consequitur nomen caeli.

4. Bien que l’eau participe au diaphane, elle ne participe cependant pas à l’élévation du site, puisque ce qui est lourd se trouve dans un plus grand nombre de choses que ce qui est léger. En effet, ce qui est lourd se trouve dans le lieu du feu et de l’air, mais ce qui est léger, dans le lieu de la terre seulement. Mais le feu est simplement léger ; l’air se trouve cependant dans un plus grand nombre de choses que ce qui est léger, comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, IV. C’est pourquoi l’élément de l’eau ne reçoit pas le nom de ciel.

 

[4723] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per triplex caelum intelligitur, secundum Glossam, triplex genus visionis, vel etiam triplex hierarchia. Vel potest dici quod tertium dicitur Empyreum, ut tantum triplex caelum sumatur quod naturam caelestem habet, ut dictum est, scilicet Empyreum, chrystallinum, sidereum.

5. Par le triple ciel, on entend, selon la Glose, un triple genre de vision ou encore une triple hiérarchie. Ou bien on peut dire que le troisième s’appelle [le ciel] empyrée, de sorte que le triple ciel soit pris pour la nature céleste, comme on l’a dit : l’empyrée, le cristallin et le sidéral.

 

 

 

 

Articulus 5 [4724] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 tit. Utrum opus tertiae diei convenienter describatur

Article 5 – L’œuvre du troisième jour est-elle décrite de manière appropriée ?

 

[4725] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter opus tertiae diei describatur. In tertia enim die facta est distinctio medii elementi ab ultimo. Sed sub medio elemento includitur ignis, aer, et aqua, ut dictum est. Cum ergo ignis et aer sint nobiliora quam aqua, videtur quod inconvenienter eorum mentionem praetermisit.

1. Il semble que l’œuvre du troisième jour soit décrite de manière inappropriée. En effet, le troisième jour, une différenciation a été réalisée entre l’élément du milieu et le dernier. Or, on inclut dans l’élément du milieu le feu, l’air et l’eau, comme on l’a dit. Puisque le feu et l’air sont plus nobles que l’eau, il semble donc que leur mention est omise de manière inappropriée.

 

[4726] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, cuilibet corpori debetur locus naturalis secundum exigentiam suae formae. Unde Commentator dicit in 8 Phys. quod quanto ignis accipit de specie in generatione, tantum habet de ubi. Sed aqua etiam ante tertium diem formam naturalem habuerat, quod patet ex Scriptura, quae ipsius aquae in principio mentionem facit. Ergo a principio suae creationis in suum locum tendebat; ergo non videtur tertiae diei opus, congregatio aquarum in unum locum.

2. À chaque corps revient un lieu naturel, selon ce qu’exige sa forme. Aussi le Commentateur dit-il que plus le feu acquiert une espèce dans la génération, plus il acquiert uun lieu. Or, l’eau aussi, avant le troisième jour, avait eu sa forme naturelle, ce qui ressort de l’Écrsiture qui fait mention de l’eau elle-même au commencement. Elle tendait donc à son lieu depuis le commencement de sa création. Le rassemblement des eaux en un seul lieu ne semble donc pas être l’œuvre du trosième jour.

 

[4727] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, in elementis est talis ordo quod subtilius se habet ad minus subtile sicut continens ad contentum: unde ignis continet aerem, et aer aquam. Sed aqua est subtilior terra. Ergo aqua debet totam terram continere, et non in unam partem ejus congregari.

3. Il existe dans les éléments un ordre tel que le rapport du plus subtil au moins subtil est le même que celui du contenant au contenu. Aussi le feu contient-il l’air, et l’air l’eau. Or, l’eau est plus subtile que l’air. L’eau doit donc contenir toute la terre, et ne pas être rassemblée dans une de ses parties.

 

[4728] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, a loco in quem movetur corpus naturaliter, non potest moveri nisi violenter, ut in 1 Cael. et Mun. habetur. Si ergo aqua naturaliter congregatur in unam partem terrae, videtur quod ad alias partes defluere non posset nisi violenter. Nullus autem motus violentus est perpetuus, ut in 2 Cael. et Mun. dicitur. Cum ergo ex mari, quod dicitur locus congregationis aquarum, indeficienter aqua ad reliquas partes terrae derivetur, quod ipsa perennitas fluviorum ostendit, videtur quod non naturaliter aquae in unum locum congregentur: et ita inconvenienter talis congregatio in institutione naturae commemoratur.

4. Un corps ne peut être déplacé du lieu vers lequel il est mû naturellement que de manière violente, comme on le lit dans Sur le ciel et le monde, I. Si donc l’eau est rassemblée naturellement dans une partie de la terre, il semble qu’elle ne pourrait couler vers d’autres parties que de manière violente. Or, aucun mouvement violent n’est perpétuel, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, II. Puisque l’eau s’écoule de manière incessante depuis la mer, dont on dit qu’elle est le lieu du rassemblement des eaux, vers les autres parties de la terre, ce que montre la pérennité des fleuves, il semble donc que les eaux ne soient pas rassemblées en un seul lieu de manière naturelle, et ainsi un tel rassemblement est rappelé de manière inappropriée dans l’établissement de la nature.

 

[4729] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, in loco naturali unumquodque elementum est purum et simplex. Sed aqua in mari non videtur esse purum elementum, quod ipsa salsedo ostendit, cum aqua de natura sua sit insipida. Ergo videtur quod non naturaliter in locum unum, scilicet in mare, aquae congregentur; et sic idem quod prius.

5. Dans son lieu naturel, chaque element est pur et simple. Or, l’eau ne semble pas être un élément pur dans la mer, ce que montre son goût salé, alors que l’eau est sans saveur selon sa nature. Il semble donc que les eaux ne soient pas rassemblées dans un seul lieu, à savoir, dans la mer, de manière naturelle, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

 

[4730] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, plantae videntur ad ornatum terrae pertinere. Sed ad ornatum deputantur tres ultimi dies. Ergo in opere tertiae diei de productione plantarum mentio facienda non erat.

6. Les plantes semblent destinées à l’embellissement de la terre. Or, les trois derniers jours sont consacrés à l’embellissement. Il ne fallait donc pas faire mention de la production des plantes dans l’œuvre du troisième jour.

 

[4731] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 7 Praeterea, herbae quaedam vel plantae non videntur in tertia die esse productae, sed post peccatum hominis, ut habetur Gen. 3, 18: spinas et tribulos germinabit tibi. Ergo videtur quod inconvenienter in tertia die dicatur terra herbam virentem protulisse, cum hoc non sit universaliter verum.

7. Certaines herbes ou plantes ne semblent pas avoir été produites le troisième jour, mais après le péché de l’homme, comme on le lit dans Gn 3, 18 : Elle fera pousser des épines et des chardons pour toi. Il semble donc qu’il soit inapproprié de dire de la terre qu’elle a produit une herbe verdoyante, alors que cela n’est pas universellement vrai.

 

[4732] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 8 Praeterea, sicut plantae generantur in terra, ita etiam et corpora mineralia. Ergo videtur quod insufficienter rerum productionem determinet Scriptura, cum in hac die de mineralibus mentio non fiat.

8. De même que les plantes sont engendrées dans la terre, de même aussi les corps minéraux. Il semble donc que l’Écriture détermine de manière inappropriée la production des choses, puisqu’il n’est pas fait mention des minéraux en ce jour.

 

[4733] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod opus distinctionis attenditur secundum hoc quod corporibus, quae sunt elementa mundi, conferuntur virtutes universaliter ad naturales effectus moventes, cujusmodi sunt qualitates activae et passivae elementorum; et ideo hujusmodi qualitates in inferioribus elementis tertia die collatae intelliguntur, quibus ab invicem et proprietate et situ separantur, eo quod inter qualitates elementares etiam gravitas et levitas continentur, quae sunt principia motus elementorum ad propria loca, et etiam quietis naturalis eorum in eisdem, sicut caliditas et frigiditas sunt principia alterationis; et ideo ex collatione talis virtutis dicuntur aquae tertia die in unum locum congregatae.

Réponse. L’œuvre de différenciation est considérée sous l’angle où sont conférées de manière universelle aux corps, qui sont les éléments du monde, des puissances qui les meuvent à leurs effets naturels : telles sont les qualités actives et passives des éléments. C’est pourquoi on comprend que les qualités de ce genre aient été données le troisième jour aux éléments inférieurs : par elles, ceux-ci sont séparés les uns des autres par ce qui leur est propre et par leur site, de telle sorte que soient contenues, parmi les qualités élémentaires, la pesanteur et la légèreté, qui sont les principes du mouvement des éléments vers leur lieux propres, et aussi de leur repos naturel en [ces lieux] comme la chaleur et le froid sont les principes de l’altération. C’est pourquoi, en raison de la puissance ainsi donnée, on dit que les eaux ont été rassemblées en un seul lieu le troisième jour.

 

[4734] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ignis et aer sunt elementa magis latentia, eo quod non ita sensu percipiuntur sicut aqua; et ideo legislator rudi populo legem proponens, ex manifestis quae tetigit, occulta intelligenda reliquit. Vel dicendum, ut prius dictum est, quod aer quantum ad superiorem partem comprehenditur nomine caeli; quantum vero ad inferiorem nomine aquae propter similitudinem humiditatis quam cum aqua habet, cujus vaporibus resolutis, quodammodo aer inspissatur.

1. Le feu et l’air sont des éléments plus cachés, du fait qu’ils ne sont pas autant perçus que l’eau par le sens. Aussi le législateur, en proposant une loi au peuple, laisse-t-il entendre des choses cachées à partir de choses manifestes qu’il a abordées. Ou bien il faut dire, comme on l’a dit plus haut, que l’air est compris sous le nom de ciel, pour ce qui est de sa partie supérieure, mais, pour ce qui est de sa partie inférieure, sous le nom d’eau, en raison de la ressemblance qu’il a avec l’eau par l’humidité, à partir de laquelle, une fois les vapeurs dégagées, l’air est en quelque sorte condensé.

 

[4735] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut calor et frigus non sunt formae substantiales elementorum, ita nec gravitas et levitas; quia non possent esse aliis corporibus accidentales. Unde sicut substantia non est principium alterationis nisi mediante calore vel frigore; ita nec est principium motus vel quietis localis nisi mediante gravitate et levitate; et ideo quamvis aqua formam substantialem ex opere creationis habuerit, non tamen ex hoc in proprium locum congregabatur; sed per opus suae distinctionis intelliguntur haec opera ordinata secundum tempus, sive secundum naturam. Verbum autem Commentatoris intelligendum est de corporibus secundum quod sunt in sui complemento quantum ad primum et ad secundum esse.

2. De même que la chaleur et le froid ne sont pas des formes substantielles des éléments, de même non plus la pesanteur et la légèreté, parce qu’elles ne pourraient être des accidents pour les autres corps. De même donc que la substance n’est le principe de l’altération que par l’intermédiaire de la chaleur et du froid, de même n’est-elle le principe du mouvement ou du repos dans un lieu que par l’intermédiaire de la pesanteur et de la légèreté. Bien que l’eau ait reçu une forme substantielle par l’œuvre de la création, elle n’était cependant pas pour autant rassemblée dans son lieu propre. Mais, par l’œuvre de leur différenciation, on comprend que ces œuvres ont été ordonnées dans le temps ou selon leur nature. Ce que dit le Commentateur doit être compris des corps selon qu’ils ont obtenu leur achèvement quant à leur être premier et second.

 

[4736] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quanto aliquod elementum est subtilius, tanto est majus in quantitate; et ideo aer est major quam aqua, et aqua quam terra; et ideo aer complectitur ista duo undique complexus sphaericam figuram; a quo deficit aqua, quae quidem terram cingit, non totam operiens ipsam, complexa quidem circulum, sed deficiens a complexione sphaerae (et hoc etiam sequitur necessitatem finis, ut in terra possit esse habitatio animalium respirantium, et generatio plantarum): terra vero quasi minima in centro concluditur.

3. Plus un élément est subtil, plus il est grand en quantité ; aussi l’air est-il plus grand que l’eau, et l’eau que la terre. C’est pourquoi l’air embrasse les deux partout en épousant une figure sphérique, ce qui fait défaut à l’eau, qui enserre la terre en formant un cercle, sans la recouvrir entièrement ; il lui manque la figure sphérique (et cela découle nécessairement de sa fin, pour que la demeure des animaux qui respirent et la génération des plantes puissent se réaliser sur la terre). Mais la terre est enfermée en un centre pour ainsi dire comme une très petite chose.

 

[4737] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod corpora inferiora praeter motus proprios sequuntur quodammodo motum superiorum; et quanto est perfectius corpus inferius, tanto magis consequitur de motu superioris: quod patet ex hoc quod in corporibus caelestibus orbis inferior, praeter motum proprium, retinet motum superioris orbis quo defertur. Ita etiam est in elementis, quod ex motu corporum caelestium aliquid consequuntur de motu circulari, praeter motus proprios naturales; quod evidentissime apparet in refluxu maris, qui sequitur motum lunae; non tamen hoc fit per motum violentum; quia dicit Commentator in 4 caeli et mundi, quod motus quibus elementa sequuntur impressiones corporum caelestium non sunt violenti, cum sit secundum naturalem ordinem corporum quod inferiora impressionem superiorum sequantur; et tanto plus, quanto perfectius fuerit in natura corpus inferius: et per hunc modum ex impressione caeli moventis elementa ad mixtionem, aqua subingreditur terram, ut sit apta ad generationem mineralium et animalium et plantarum; et exinde in locum proprium naturali motu revertitur, ut dicitur Eccle. 1, 7: ad locum unde exeunt flumina, revertuntur.

4. En plus de leurs mouvements propres, les corps inférieurs suivent le mouvement des [corps] supérieurs ; plus le corps inférieur est parfait, mieux il suit le mouvement du [corps] supérieur, ce qui ressort du fait que, pour les corps célestes, la sphère inférieure, en plus de son mouvement propre, conserve le mouvement de la sphère supérieure par lequel elle est emportée. Il en est de même pour les éléments : à partir du mouvement des corps célestes, ils retiennent quelque chose du mouvement circulaire, en plus de leurs mouvements naturels propres, ce qui ressort de la manière la plus évidente dans le ressac de la mer, qui suit le mouvement de la lune. Toutefois, cela ne se réalise pas par un mouvement violent, car, dans Sur le ciel et le monde, IV, le Commentateur dit que les mouvements par lesquels les éléments suivent les influences des corps célestes ne sont pas violents, puisqu’il est conforme à l’ordre naturel des corps que les corps inférieurs suivent l’influence des corps supérieurs, et d’autant plus que la nature du corps naturel sera plus parfaite. De cette manière, à cause de l’influence du ciel qui pousse les éléments à se mêler, l’eau revient sur la terre afin qu’elle soit apte à la génération des minéraux, des animaux et des plantes ; et de là, elle revient vers son lieu naturel propre, comme le dit Si 1, 7 : Les fleuves retournent à l’endroit dont ils viennent.

 

[4738] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod omnia elementa in loco ubi contingunt se, alterantur a sua natura, ut sit quidam motus conjunctionis inter ea; et exinde in mari causatur salsedo ex admixtione vaporis terrestris, simul cum adustione radii solaris; et hoc praecipue prope terram, et in superficie; in profundo enim pelagi invenitur aqua dulcis, ut patet ex verbis philosophi dicentis in libro de animalibus, quod quidam piscis, qui dicitur malarie, invenitur valde magnus in locis pelagosis, in quibus abundant aquae dulces.

5. À l’endroit où tous les éléments se touchent, ils sont altérés dans leur nature, afin que se produise un mouvement d’union entre eux. Par là est causé dans la mer le goût salé par le mélange d’une vapeur terrestre, en même temps que par la brûlure du rayon solaire, et cela, surtout près de la terre et en surface. En effet, on trouve de l’eau douce au fond de la mer, comme cela ressort des paroles du Philosophe qui dit, dans le livre Sur les animaux, qu’on trouve un très gros poisson, appelé malarie, au fond de la mer, où abondent les eaux douces.

 

[4739] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod de productione plantarum videtur esse diversitas inter Augustinum et alios sanctos. Augustinus enim videtur velle, quod cum dicitur, producat terra herbam virentem et facientem semen, non intelligitur tunc plantas esse productas in propria natura: sed tunc terrae datam esse virtutem germinativam ad producendum plantas opere propagationis. Aliis autem videtur quod tunc etiam plantae productae sunt. Utroque autem modo convenienter productio plantarum ad opus distinctionis pertinet: quia ad earum pullulationem sufficit virtus caelestis loco patris, et virtus terrae loco matris, ut philosophus dicit. Et sic principia communia activa, quae ad opus distinctionis pertinent, sufficiunt ad generationem plantarum; non autem ad productionem animalium, ad quam requiritur virtus formativa in semine existens. Vel quia quaelibet res pertinet ad ornatum illius loci in quo movetur, et non in quo quiescit; plantae autem radicitus infixae terrae adhaerent; ideo ad ornatum ejus non pertinent, sed cum ipsa computantur, sicut dicit Augustinus super Gen. ad Litter.

6. À propos de la production des plantes, il semble y avoir une divergence entre Augustin et les autres saints. En effet, Augustin semble entendre que, lorsqu’il est dit : Que la terre produise une herbe verdoyante et donnant une semence, on n’entend pas que les plantes ont été produites dans leur nature propre, mais qu’a alors été donnée à la terre la puissance de germer, afin de produire les plantes par l’action de la reproduction. Mais il semble aux autres que les plantes ont aussi été produites à ce moment. Mais, de manière appropriée, la production des plantes relève des deux façons de l’œuvre de la différenciation, car suffisent à leur pullulement la puissance céleste comme père et la puissance de la terre comme mère, comme le Philosophe le dit. Et ainsi, les principes communs actifs, qui relèvent de l’œuvre de la différenciation, suffisent pour la génération des plantes, mais non à la production des animaux, pour laquelle est requise une puisse formative qui se trouve dans la semence. Ou bien, parce que toutes choses concernent l’embellissement du lieu où elle se meut, et non pas dans lequel elle repose, alors que les plantes adhèrent à la terre dans laquelle elles sont fixées par leurs racines, elles ne concernent donc pas son embellissement, mais elles sont comptées avec elle, comme le dit Augustin dans son Commentaire littéral de la Genèse.

 

[4740] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod plantae nocivae simul etiam cum aliis productae sunt; non tamen homini ante peccatum nocivae fuissent, divina providentia ipsum protegente: sed post peccatum in nocumentum hominis esse coeperunt: unde signanter dicitur: germinabit tibi.

7. Les plantes nocives ont été produites en même temps que les autres. Cependant, elles n’auraient pas été nuisibles à l’homme avant le péché, alors que la providence divine le protégeait. Mais, après le péché, elles ont commencé à être nuisibles à l’homme. Aussi est-il dit clairement : Elle fera pousser pour toi.

 

[4741] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod generatio mineralium est occulta in visceribus terrae; et ideo non oportuit de his populo facere mentionem, sed de his solum quae manifesta sunt. Praeterea, mineralia non participant aliquem gradum dignitatis in entibus supra elementa, cum vita careant: propter quod non oportuit de his specialiter fieri mentionem.

8. La génération des minéraux est cachée dans les entrailles de la terre. Aussi ne fallait-il pas en faire mention au peuple, mais seulement de ce qui est manifeste. De plus, parmi les êtres, les minéraux ne participent pas à un degré de dignité supérieur aux éléments, puisque la vie leur fait défaut. Pour cette raison, il ne fallait pas en faire une mention spéciale.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 14

 

[4742] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 expos. Quod de aquis factum esse credi potest. Hoc intelligendum est quantum ad proprietatem perspicuitatis, et non quantum ad naturam corporis elementaris; sed hoc etiam credi potest, quia contra fidem non est. Sed spiritus sanctus, quamvis auctores nostri sciverint, per eos dicere noluit nisi quod prosit saluti. Notandum, quod hic auctores nostros nominat eos qui libros canonicos ediderunt, scilicet apostolos et prophetas, qui haec scribere non curaverunt: sed ab aliis sanctis asseritur, et a philosophis probatur, caelum esse sphaericae figurae; quod rationibus naturalibus, et etiam mathematicis demonstratur. Quaeritur etiam ei stet et cetera. De hoc etiam apud philosophos est duplex opinio. Aristoteles enim vult tantum orbes moveri, et non stellas per se; sed Ptolomaeus vult stellas habere proprium motum, praeter motum orbis. Quamvis autem utroque modo motus localis caelestibus orbibus ascribatur, motus tamen varians aliquid in ejus substantia, ab eo excluditur, ex cujus privatione firmamentum vocatur. Post haec quaeri solet, quare non est dictum (...) vidit Deus quod esset bonum. Praeter hanc rationem mysticam quae in littera tangitur, aliam litteralem Magister in historiis assignat, quam etiam Rabbi Moyses tangit, quia scilicet in secundo die medium elementum a supremo distinguebatur, et ita non erat perfecta distinctio medii elementi, nisi etiam ab infimo distingueretur: et sic patet opus secundae diei in tertia die consummatum esse: et ideo benedictio tertiae diei ad utrumque refertur.

 

 

 

 

 

Distinctio 15

Distinction 15 – [L’œuvre d’embellissement]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La production des étoiles]

 

Prooemium

Prologue

 

[4743] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 pr. Post opus creationis et distinctionis, hic incipit Magister prosequi opus ornatus; et dividitur in partes duas: in prima determinat de operibus trium ultimorum dierum, qui ad ornatum deputantur; in secunda determinat de quiete septimae diei, in qua totius operis consummatio ostenditur, ibi: jam de septimae diei requie aliquid nos eloqui oportet. Prima in duas: in prima prosequitur opus ornatus secundum sententiam aliquorum sanctorum; in secunda prosequitur sententiam Augustini de operibus sex dierum, ibi: sed antequam de hominis creatione tractemus, quod supra breviter tetigimus plenius versantes clarius faciamus. Prima in tres, secundum tres dies quibus opus ornatus perficitur: in prima enim determinat de opere quartae diei; in secunda de opere quintae, ibi: dixit Deus: producant aquae reptile animae viventis; in tertia de opere sextae diei, ibi: sequitur: dixit Deus: producat terra animam viventem. Circa primum duo facit: primo distinguit opera ornatus ab invicem, et ab operibus distinctionis; secundo prosequitur specialiter opus quartae diei, ibi: quia ergo caelum ceteris elementis specie praestat (...), ideo ante alia ornatur in quarto die; tertio movet quamdam dubitationem, et solvit, ibi: quod autem subditur: et sint in signa, et tempora, et dies et annos: quomodo accipiendum sit, quaeri solet. Sequitur: dixit Deus: producat terra animam viventem. Hic describitur opus sextae diei; et circa hoc tria facit: primo ponit opus quod sexto die factum est; secundo movet circa hoc duas quaestiones; unam de animalibus nocivis, ibi: quaeri solet de venenosis animalibus; aliam de animalibus ex putrefactione generatis, ibi: de quibusdam etiam minutis animantibus quaestio est; tertio assignat rationem ordinis ejus quod ultimo factum est, ad opera praecedentia, ibi: omnibus autem creatis atque dispositis novissime factus est homo. Jam de septimae diei requie aliquid nos eloqui oportet. Hic Magister prosequitur ea quae ad septimum diem pertinent; et circa hoc tria facit: primo ostendit quomodo intelligatur auctoris requies; secundo quomodo intelligatur operis consummatio, ibi: sed quaeritur, quomodo septima die dicatur Deus complevisse opus suum; tertio ostendit quomodo intelligatur diei sanctificatio, ibi: illum autem diem sanctificasse et benedixisse legitur. Hic tria quaeruntur: primo de productione stellarum, quae ad quartum diem pertinet; secundo de productione animalium, quae pertinet ad quintum et sextum; tertio de quiete opificis, quae pertinet ad septimum. Circa primum quaeruntur tria: 1 de ipsa productione stellarum; 2 de effectu earum in inferiora corpora; 3 de effectu earum in ea quae sunt ex libero arbitrio.

Après l’œuvre de la création et de la différenciation, le Maître commence ici à traiter de l’œuvre d’embellissement. Il y a deux parties : dans la première, il détermine des œuvres des trois derniers jours, qui sont consacrés à l’embellissement ; dans la seconde, il détermine du repos du septième jour, par quoi est montrée l’achèvement de toute l’œuvre, à cet endroit : « Il nous faut maintenant dire quelque chose du repos du septième jour. » La première partie se divise en deux parties : dans la première, il traite de l’œuvre d’embellissement selon la position de certains saints ; dans la seconde, il traite de la position d’Augustin sur les œuvres des six jours, à cet endroit : « Mais avant de traiter de la création de l’homme, examinons plus clairement ce que nous avons brièvement abordé plus haut. » La première partie [se divise] en trois, selon les trois jours pendant lesquels l’œuvre d’embellissement est accomplie. En effet, dans la première, il détermine de l’œuvre du quatrième jour ; dans la deuxième, de l’œuvre du cinquième jour, à cet endroit : Dieu dit : « Que les eaux produisent l’animal vivant qui rampe »; dans la troisième, de l’œuvre du sixième jour, à cet endroit : « Vient ensuite : Dieu dit : ‘Que la terre produise une âme vivante.’ » À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il fait une distinction entre les œuvres d’embellissement les unes par rapport aux autres et par rapport aux œuvres de différenciation. Deuxièmement, il traite en particulier de l’œuvre du quatrième jour, à cet endroit : « Parce que le ciel l’emporte en apparence sur les autres éléments…, c’est la raison pour laquelle il est embelli avant les autres choses au quatrième jour. » Troisièmement, il soulève un doute et le résout, à cet endroit : « Ce qui vient ensuite : Qu’il y ait des signes, des époques, des jours et des années, on a coutume de se demander comment il faut l’entendre. » « Vient ensuite : Dieu dit : ‘Que la terre produise une âme vivante.’ » Ici est décrite l’œuvre du sixième jour. À ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il présente l’œuvre accomplie le sixième jour. Deuxièmement, il soulève deux questions à ce sujet : l’une, sur les animaux nuisibles, à cet endroit : « On a coutume de s’interroger sur les animaux venimeux »; l’autre, sur les animaux engendrés par la putréfaction, à cet endroit : « Il est aussi question de certains animaux minuscules… » Troisièmement, il donne la raison de l’ordre de ce qui a été fait en dernier, à cet endroit : « Après que tout a été créé et disposé, l’homme a été créé en dernier. » « Il nous faut dès maintenant dire quelque chose sur le repos du septième jour. » Ici, le Maître traite de ce qui se rapporte au septième jour. À ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il montre comment on entend le repos du Créateur. Deuxièmement, comment on entend l’achèvement de l’œuvre, à cet endroit : « Mais on se demande pourquoi on dit que Dieu, le septième jour, a achevé son œuvre. » Troisièmement, il montre comment on entend la sanctification de ce jour, à cet endroit : « On lit que ce jour a été sanctifié et béni. » Ici, trois questions sont posées : premièrement, à propos de la production des étoiles, qui relève du quatrième jour ; deuxièmement, à propos de la production des animaux, qui se rapporte aux cinquième et sixième jours ; troisièmement, à propos du repos de l’artisan, qui se rapporte au septième. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1. À propos de la production des étoiles. 2. À propos de leur effet sur les corps inférieurs. 3. À propos de leur effet sur ce qui relève du libre arbitre.

 

 

 

 

Articulus 1 [4744] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 tit. Utrum productio stellarum convenienter describatur

Article 1 – La production des étoiles est-elle décrite de manière appropriée ?

 

[4745] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod stellarum productio incompetenter describatur. Ea enim quae sunt priora secundum naturam, per prius ab ordinatissimo auctore prodiere. Sed sol et aliae stellae naturaliter praecedunt inferiora corpora, sicut movens praecedit motum, et agens passum. Ergo inconvenienter describitur productio solis et aliarum stellarum post distinctionem inferiorum elementorum.

1. Il semble que la production des étoiles soit décrite de manière inappropriée. En effet, ce qui premier par nature est issu en premier de l’auteur le plus ordonné. Or, le soleil et les autres étoiles précèdent naturellemet les corps inférieurs, comme ce qui meut précède ce qui est mû, et comme l’agent [précède] le patient. La production du soleil et des autres étoiles est donc décrite de manière inappropriée après la différenciation des éléments inférieurs.

 

[4746] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 2 caeli et mundi, stellae sunt partes orbium immobiles in orbibus permanentes, per eorum motum delatae. Sed plantae dicuntur ad ornatum non pertinere, quia terrae affixae sunt. Ergo videtur quod nec etiam stellae.

2. Selon le Philosophe, Sur le ciel et le monde, II, les étoiles sont des parties immobiles des sphères demeurant à l’intérieur des sphères et portées par leur mouvement. Or, on dit que les plantes ne relèvent pas de l’embellissement, car elles sont fixées dans la terre. Il semble donc que les étoiles non plus.

 

[4747] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut probant astrologi, multae stellae sunt majores luna. Sed cum dicitur esse duo magna luminaria, discretive intelligitur excedens magnitudo. Ergo videtur quod inconvenienter haec de luna dicantur.

3. Comme le démontrent les astrologues, plusieurs étoiles sont plus grandes que la lune. Or, lorsqu’on dit qu’il y a deux grands luminaires, on entend la grandeur excédentaire par mode de distinction. Il semble donc que cela soit dit de la lune de manière inappropriée.

 

[4748] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, luminare videtur dici quod est vas luminis. Sed illud corpus dicitur vas luminis quod a se lumen habet; quod lunae non competit, quam a sole illuminari, eclipsis lunae, et augmentatio et diminutio ostendit. Ergo videtur inconvenienter lunam luminare dici.

4. Il semble qu’on parle de luminaire pour un vase lumineux. Or, on appelle corps un vase lumineux qui possède la lumière par lui-même, ce qui ne convient pas à la lune ; l’éclipse de lune, son augmentation et sa diminution montrent qu’elle est illuminée par le soleil. Il semble donc qu’on appelle la lune un luminaire de manière inappropriée.

 

[4749] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, unumquodque luminare tempori illi praeesse videtur in quo apparet. Sed luna quandoque etiam in die apparet. Ergo non debet dici solum nocti praeesse.

5. Il semble que chaque luminaire préside au temps où il apparaît. Or, la lune apparaît parfois même le jour. On ne doit donc pas dire qu’elle préside seulement à la nuit.

 

[4750] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, nobilius nunquam est propter vilius se. Sed non nisi absurde dici potest, minuta animalia, quae lucem solis ferre non possunt, luna et sideribus digniora esse. Ergo videtur inconvenienter in littera dici, ideo factam esse lunam et sidera, ut lucerent propter talia animalia.

6. De plus, ce qui est plus noble n’est jamais destiné à ce qui est inférieur. Or, on ne peut dire que de manière absurde que de minuscules animaux, qui ne peuvent supporter la lumière du soleil, sont plus dignes que la lune et les astres. Il semble donc que le texte dise de manière inappropriée que la lune et les astres ont été créés afin d’éclairer de tels animaux.

 

[4751] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut supra dictum est, praeter principia et communia activa in tota natura, exiguntur determinatae virtutes moventes ad determinatas species; et hujusmodi virtutes per opus ornatus rebus inditae sunt. Sicut autem actio virtutum inferiorum communiter agentium reducitur in virtutem caelestem activam universaliter; ita etiam virtutes quae sunt in inferioribus, moventes ad determinatas species, reducuntur in aliquas virtutes caelestes determinatas; et hujusmodi virtutes determinatae consistunt praecipue in stellis, quae secundum diversos aspectus et conjunctiones, imprimunt ad determinatas species, ut dicit Commentator in 11 Metaph., unde virtutes inferiores sunt sicut instrumenta virtutum superiorum, ut dicit Commentator in 8 Physic., et ideo ut ordo ornatus, distinctionis ordini responderet, primo ponitur ornatus supremi elementi, secundum productionem luminarium, in quibus determinatae virtutes consistunt; secundo ornatus medii elementi per formationem piscium et avium: tertio ornatus infimi elementi in productione animalium terrestrium.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, en plus des principes communs actifs dans l’ensemble de la nature, des puissances motrices déterminées agissant en vue d’espèces déterminées sont nécessaires ; ces puissances sont placées dans les choses par l’œuvre d’embellissement. Or, de même que l’action des puissances inférieures agissant d’une manière générale se ramène à la puissance céleste active d’une manière universelle, de même aussi les puissances qui existent dans les réalités inférieures et les meuvent vers des espèces déterminées se ramènent-elles à certaines puissances célestes déterminées. Ces puissances déterminées consistent principalement dans les étoiles, qui, selon leurs divers aspects et conjonctions, agissent dans le sens d’espèces déterminées, comme le dit le Commentateur dans Métaphysique, XI. Ainsi les puissances inférieures sont-elles comme des instruments des puissances supérieures, comme le dit le Commentateur dans Physique, VIII. C’est pourquoi, afin que l’ordre de l’embellissement corresponde à l’ordre de la différenciation, l’embellissement de l’élément suprême est mis en premier dans la production des luminaires, dans lesquels les puissances déterminées consistent ; en deuxième lieu, est mis l’embellissement de l’élément intermédiaire par la formation des poissons et des oiseaux ; en troisième lieu, l’embellissement du plus petit élément par la production des animaux terrestres.

 

[4752] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per hoc quod dicitur: fiant luminaria in firmamento caeli, non intelligitur quod hujusmodi corpora luminarium secundum esse suum specificum ex praejacenti materia facta sint; sed eorum substantia prius existente, tunc primo virtutes determinatae eis collatae sunt, ex quo ultimum complementum sui acquisiere. Hae autem determinatae virtutes corporum caelestium non respondent communibus virtutibus quae sunt in elementis, sed propriis quae sunt in determinatis rebus; ut sicut lucis productio elementorum distinctionem praecesserat, ita luminarium institutio praecederet naturalium specierum diversitatem.

1. Ce qui est dit : Qu’existent les luminaires dans le firmament du ciel ! ne veut pas dire que les corps de ces luminaires, selon leur être spécifique, ont été faits à partir de la matière préexistante, mais que, leur substance étant existante, des puissances déterminées leur ont d’abord été données en premier, par lesquelles elles ont reçu leur achèvement ultime. Or, les puissances détérminées des corps célestes ne correspondent pas aux puissances communes qui existent dans les éléments, mais aux [puissances] propres qui existent dans des choses déterminées, de sorte que, de même que la production de la lumière avait précédé la différenciation des éléments, de même l’établissement des luminaires précéderait la diversité des espèces naturelles.

 

[4753] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad productionem plantarum sufficiunt communes virtutes elementorum, quae ex diversa commixtione elementorum, diversimode speciem sortiuntur; quod in animalibus perfectis accidere non potest, quamvis quidam philosophi hoc posuerint: et haec est causa quare plantae ad opus distinctionis pertinent. Unde non oportet quod stellae pertineant ad opus distinctionis, in quibus sunt virtutes moventes ad determinatas species. Vel potest dici, quod stellae etsi non moventur in caelo per se, moventur tamen cum orbibus suis; plantae vero nec per se nec cum alio moventur.

2. Pour la production des plantes, les puissances communes des éléments suffisent, lesquelles déterminent l’espèce de manière différente à partir d’un mélange différent des éléments. Mais cela ne peut se produire pour les animaux achevés, bien que certains philosophes l’aient affirmé. Telle est la raison pour laquelle les plantes relèvent de l’œuvre de différenciation. Il n’est donc pas nécessaire que les étoiles appartiennent à l’œuvre de différenciation, chez lesquelles existent des puissances qui meuvent vers des espèces déterminées. Ou bien on peut dire que les étoiles, même si elles ne se meuvent pas par elles-mêmes dans le ciel, sont cependant mues avec leurs sphères, mais que les plantes ne sont mues ni par elles-mêmes ni avec autre chose.

 

[4754] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sol dicitur magnum luminare et propter quantitatem et propter virtutem; luna vero dicitur magnum, non tam propter quantitatem veram, quam propter excessum claritatis respectu aliarum stellarum, ex propinquitate ejus ad nos, et propter evidentiam effectus quem habet in rebus humidis.

3. Le soleil est appelé un grand luminaire en raison de sa quantité et en raison de sa puissance ; mais la lune est appelée un grand [luminaire], non pas tant en raison de sa veritable quantité, qu’en raison de son surplus d’éclat par rapport aux autres étoiles, résultant de sa proximité par rapport à nous et du caractère manifeste de l’effet qu’elle exerce sur les réalités humides.

 

[4755] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut philosophi probant, et etiam Dionysius asserit, a sole illuminantur omnia corpora, et superiora et inferiora, et non tantum luna. Nec tamen hoc impedit quin alia corpora luminaria dicantur: quia cum lumen solis, ut Dionysius dicit, recipiatur diversimode in diversis corporibus secundum eorum proportionem, quaedam corpora recipiunt lumen praedictum ut lucentia et radios emittentia, sicut luna et stellae; et talia possunt luminaria et vasa luminis dici: quaedam autem recipiunt non ut radios ex se emittentia; et hoc dupliciter; vel in profundo, ut aer, vel in superficie, ut corpora opaca; quorum neutrum luminare dici potest.

4. Comme le démontrent les philosophes et l’affirme Denys, tous les corps sont illuminés par le soleil, les supérieurs comme les inférieurs, et non pas seulement la lune. Cela n’empêche cependant pas que d’autres corps soient appelés des luminaires, car, ainsi que le dit Denys, puisque la lumière du soleil est diversement reçue par des corps différents selon leur proportion, certains corps reçoivent cette lumière comme des [corps] brillants et émettant des rayons, telles la lune et les étoiles : ceux-ci peuvent être appelés luminaires et vases de luminaires ; mais certains [la] reçoivent, non pas en émettant des rayons qui partent d’eux, et cela de deux manières : soit, en profondeur, tel l’air, soit en surface, tels les corps opaques. Aucun d’entre eux ne peut être appelé un luminaire.

 

[4756] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis luna in die appareat, non tamen lumen ejus in die dominatur, propter praesentiam majoris luminis; et ideo dicitur nocti praeesse, non diei.

5. Bien que la lune apparaisse pendant le jour, sa lumière ne domine cependant pas pendant le jour en raison de la présence d’une plus grande lumière. Aussi dit-on qu’elle préside à la nuit, et non au jour.

 

[4757] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod aliquid potest esse propter aliud dupliciter. Aut quia ordinatur ad ipsum sicut ad finem proprium et principalem; et sic inconveniens est dicere, quod aliquid sit propter vilius se, ut luna et stellae propter noctuas et vespertiliones; cum finis potior sit his quae sunt ad finem. Alio modo potest dici aliquid esse propter aliud, cui ex ipso provenit aliqua utilitas; eo modo quo posset rex dici propter rusticum, ex cujus regimine provenit ei pax: et per hunc modum est intelligendum quod in littera dicitur: omnes enim utilitates quae ex corporibus caelestibus proveniunt in inferioribus, sunt a Deo provisae, qui corpora illa instituit.

6. Quelque chose peut être ordonné à autre chose de deux manières. Soit parce que cela y est ordonné comme à sa fin propre et principale : il est ainsi inapproprié de dire qu’une chose existe en vue de plus bas que soi, comme la lune et les étoiles en vue des chouettes et des chauves-souris, puisque la fin l’emporte dans ce qui existe pour une fin. D’une autre manière, on peut dire que quelque chose existe pour une autre chose dont lui vient quelque utilité : on pourrait ainsi dire que le roi existe pour le paysan, parce que celui-ci a la paix par le gouvernement [du roi]. C’est de cette manière qu’il faut entendre ce qui est dit dans le texte : en effet, tout le profit que les corps inférieurs retirent des corps célestes est donné par Dieu, qui a établi ces corps.

 

 

 

 

Articulus 2 [4758] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 tit. Utrum corpora caelestia habeant aliquem effectum in corporibus inferioribus

Article 2 – Les corps célestes exercent-ils une influence sur les corps inférieurs ?

 

[4759] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod corpora caelestia non habeant aliquem effectum in inferioribus corporibus. Primo per hoc quod in littera dicitur, quod facta sunt hujusmodi corpora ut sint in signa. Signum autem contra causam dividitur. Ergo videtur quod non sint causae aliquorum quae in inferioribus contingunt.

1. Il semble que les corps célestes n’aient pas d’influence sur les corps inférieurs. Premièrement, en raison de ce qui est dit dans le texte, que les corps de ce genre ont été créés pour servir de signes. Or, un signe est distinct d’une cause. Il semble donc qu’ils ne soient pas causes de certaines choses qui se produisent dans les corps inférieurs.

 

[4760] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Damascenus dicit: nos autem dicimus, quod ipsa, scilicet corpora caelestia, non sunt causa generationis eorum quae generantur, neque corruptionis eorum quae corrumpuntur. Sed generatio et corruptio ad corporalia pertinent. Ergo videtur quod nec in corporalibus effectum habeant.

2. [Jean] Damascène dit : « Mais nous disons que ceux-ci – à savoir, les corps célestes – ne sont pas la cause de la génération pour ce qui est engendré, ni de la corruption pour ce qui est corrompu. » Or, la génération et la corruption concernent les réalités corporelles. Il semble donc qu’ils n’exercent pas d’influence sur les réalités corporelles.

 

[4761] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, necessitas effectus procedit ex necessitate causae, ut in 5 Metaph. philosophus dicit. Sed motus corporum caelestium et dispositiones eorum sunt de rebus necessariis et invariabilibus, ut etiam dicit Dionysius in epistola 7, ad Polycarpum. Si ergo ex corporibus caelestibus causarentur alterationes et motus corporum inferiorum, oporteret quod in inferioribus omnia ex necessitate contingerent. Hoc autem apparet esse falsum. Ergo et cetera.

3. Le caractère d’un effet vient du caractère nécessaire de sa cause, comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, V. Or, le mouvement des corps célestes et leurs dispositions font partie des choses nécessaires et invariables, comme le dit aussi Denys dans sa lettre 7 à Polycarpe. Si donc des altérations et des mouvements des corps inférieurs étaient causés par des corps célestes, il faudrait que, chez les [corps] inférieurs, tout se produise de manière nécessaire. Or, cela semble faux. Donc, etc.

 

[4762] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne agens agit sibi simile. Sed corpora superiora non afficiuntur qualitatibus inferiorum corporum, scilicet calore et frigore, ut philosophus probat. Ergo videtur quod non possint esse causa motuum et alterationum ad has formas.

4. Tout agent réalise quelque chose de semblable à lui-même. Or, les corps supérieurs ne sont pas affectés par les qualités des corps inférieurs : la chaleur et le froid, comme le montre le Philosophe. Il semble donc qu’ils ne puissent être la cause des mouvements et des altérations en vue de ces formes.

 

[4763] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 5 Si dicatur, quod causant calorem per motum et per naturam lucis; contra. Ubi est eadem causa, et idem effectus. Sed omnia corpora caelestia convenienter motus et lumen habent. Ergo omnia haberent eumdem effectum: quod est contra omnes qui ponunt causalitatem corporum caelestium super inferiora, cum quaedam eorum dicantur effective calida ut sol, quaedam vero frigida, ut Saturnus et luna.

5. Si on dit qu’ils causent la chaleur par le mouvement et la nature de la lumière, on objectera que là où existe une même cause, l’effet est aussi le même. Or, tous les corps célestes ont de manière appropriée des mouvements et de la lumière. Donc, tous auraient le même effet, ce qui va à l’encontre de tous ceux qui affirment la causalité des corps célestes sur les [corps] inférieurs, puisqu’on dit de certains qu’ils sont effectivement chauds, tel le soleil, et de certains qu’ils sont froids, tels Saturne et la lune.

 

[4764] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, cum movens et motum oporteat esse simul, et agens et passum, ut probatur in 8 Phys., non potest ab uno extremo provenire actio in alterum nisi per impressionem factam in medio. Sed inter stellas superiores et corpora inferiora sunt medii orbes planetarum. Cum ergo illi orbes non recipiant impressionem caloris et frigoris, non videtur quod ad minus a superioribus stellis aliqua impressio in inferiora corpora fiat, nec etiam ab aliquo planetarum; nisi forte a luna.

6. Puisque le moteur et le mobile doivent exister en même temps, ainsi que l’agent et le patient, comme il est démontré dans Physique, VIII, l’action ne peut parvenir d’un extrême à l’autre que par une influence exercée sur le milieu. Or, les sphères intermédiaires des planètes se trouvent entre les étoiles supérieures et les corps inférieurs. Puisque ces sphères ne reçoivent pas l’influence de la chaleur et du froid, il ne semble donc pas que les étoiles supérieures, tout au moins, exercent une influence sur les corps inférieurs, ni quelqu’une des planètes, sauf peut-être la lune.

 

[4765] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Augustinus Lib. 5, cap. 6 de Civit. Dei: non usquequaque absurde dici potest ad solas corporum differentias afflatus quosdam sidereos pervenire. Dionysius etiam dicit in 4 cap. de Divin. Nomin. de radio solari tractans: generationem visibilium corporum confert, et ad vitam ipsam movet, et auget et nutrit et perficit. Hoc etiam ipse sensus ostendit, praecipue quantum ad effectum solis et lunae.

Cependant, [1] Augustin dit, La cité de Dieu, V, 6 : « Il n’est pas tout à fait absurde de dire que certaines émanations des astres parvient aux seules différences entre les corps. » Denys dit aussi, Les noms divins, IV, en parlant du rayon solaire : « Il apporte la génération aux corps visibles et les meut, fait croître, nourrit et perfectionne pour qu’ils vivent. » Le sens aussi montre cela, surtout pour ce qui est de l’effet du soleil et de la lune.

 

[4766] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc quaestionem fuit multiplex error. Quidam enim antiqui naturales non intelligentes aliquam substantiam praeter corpora esse, ea quae sunt nobilissima in corporibus, posuerunt esse nobilissima in entibus: unde etiam scientiam naturalem, primam scientiarum dicebant, ut in 4 Metaph. dicitur; et propter hoc corpora caelestia deos appellabant, credentes etiam ea esse animata, quia ipsam animam corpus esse dicebant, ut in 1 de anima patet: et ideo sequebatur corpora caelestia habere primam influentiam in inferiora corpora ex se et non ab alio: et haec fuit causa inducens idolatriam. Sed haec positio ostenditur erronea, non tantum per Scripturas sanctas, sed etiam per rationes philosophorum, qui substantias intellectuales primas esse probaverunt; quarum unam esse primam omnium causam ostendunt, scilicet Deum. Alia positio est quorumdam philosophorum, qui quidem concedunt nobiscum, corpora caelestia non esse primas causas inferiorum; sed ipsa esse ab alio habere et virtutem agendi: dicunt tamen, quod esse corporum inferiorum procedit a Deo mediantibus corporibus caelestibus: unde et materiam elementorum Avicenna dicit a substantia caeli causari: et hoc ut ostendat omnia a Deo secundum ordinem processisse, scilicet animas mediantibus intelligentiis, et corporalia mediantibus spiritualibus, et corruptibilia mediantibus incorruptibilibus. Sed haec positio erronea est et contra fidem, quae ponit Deum solum materiae et omnium rerum creatorem esse, ut supra dictum est. Aliorum positio est, quod omnino nullum effectum in corporibus habent. Sed hoc omnino est contra sensum et contra sanctorum auctoritates. Et ideo aliter dicendum est, quod secundum Avicennam, duplex est agens; scilicet agens divinum, quod est dans esse; et agens naturale, quod est transmutans. Dico ergo, quod primus modus actionis soli Deo convenit; sed secundus modus etiam aliis convenire potest: et per modum istum dicendum est, corpora caelestia causare generationem et corruptionem in inferioribus, inquantum motus eorum est causa omnium inferiorum mutationum. Sed cum omnis motus sit actus motoris et moti, oportet quod in motu relinquatur virtus motoris et virtus mobilis: unde ex ipso mobili, quod corpus est, habet virtutem movendi inferiora corpora ad dispositiones corporales. Ex parte autem motoris, qui est substantia spiritualis, quaecumque sit illa, habet virtutem movendi ad formas substantiales, secundum quas est esse specificum, quod divinum esse dicitur. Relinquitur autem virtus spiritualis substantiae in motu corporis caelestis, ad modum quo virtus motoris relinquitur in instrumento: et per hunc modum omnes formae naturales descendunt a formis quae sunt sine materia, ut Boetius dicit, 1 de Trin., cap. 3, in fin., et Commentator in 11 Metaph., sicut formae artificiatorum ab artifice.

Réponse. À propos de cette question, il a existé plusieurs erreurs. En effet, certains anciens [philosophes] de la nature, ne comprenant pas qu’une autre substance que les corps existe, ont affirmé que les corps les plus nobles sont les plus nobles des êtres ; en conséquence, ils disaient que la science naturelle est la première des sciences, comme on le dit dans Métaphysique, IV. Pour cette raison, ils appelaient dieux les corps célestes, en croyant aussi que ceux-ci étaient animés, car ils disaient que l’âme elle-même était un corps, comme cela ressort de Sur l’âme, I. Il en découlait donc que les corps célestes avaient par eux-mêmes, et non par un autre, la première influence sur les corps inférieurs. Telle fut la cause de l’idolâtrie. Mais le caractère erroné de cette position est montré, non seulememnt par les Saintes Écritures, mais aussi par les arguments des philosophes, qui ont montré que les substances intellectuelles sont les premières, parmi lesquelles ils montrent que l’une est première de toutes : Dieu. Une autre position est celle de certains philosophes qui concèdent avec nous que les corps célestes ne sont pas les causes premières des [corps] inférieurs, mais qu’ils reçoivent d’un autre leur être et leur puissance d’agir. Toutefois, ils disent que l’être des corps inférieurs vient de Dieu par l’intermédiaire des corps célestes. Aussi Avicenne dit-il que la matière des éléments est causée par la substance du ciel, et cela, afin de montrer que tout est issu de Dieu selon un ordre, à savoir, les âmes par l’intermédiaire des intelligences, et les réalités corruptibles par l’intermédiaire des réalités spirituelles. Mais cette position est erronée et contraire à la foi, qui affirme que Dieu seul est créateur de la matière et de toutes choses, comme on l’a dit plus haut. D’autres adoptent la posistion que [les corps célestes] n’exercent aucune influence sur les corps [inférieurs]. Mais cela est tout à fait contraire au sens et contraire aux autorités des saints. Aussi faut-il dire autre chose. Selon Avicenne, il existe un double agent : l’agent divin, qui donne l’être, et l’agent naturel, qui le transforme. Je dis donc que le premier mode d’action ne convient qu’à Dieu ; mais le second mode peut aussi convenir à d’autres. De cette manière, on doit dire que les corps célestes causent la génération et la corruption dans les [corps] inférieurs dans la mesure où leur mouvement est la cause de tous les changements des [corps] inférieurs. Mais puisque tout mouvement est l’acte d’un moteur et de ce qui est mû, il faut que la puissance du moteur et du mobile demeure dans le mouvement. Aussi, du côté du mobile lui-même, qui est un corps, possède-t-il la puissance de mouvoir les corps inférieurs à des dispositions corporelles. Mais, du côté du moteur, qui est une substance spirituelle, quelle qu’elle soit, il possède la puissance de mouvoir à des formes substantielles, qui confèrent un être spécifique : on l’appelle l’être divin. Mais il reste la puissance d’une substance spirituelle dans le mouvement d’un corps céleste, à la manière dont la puissance d’un moteur demeure dans un instrument : de cette manière, toutes les formes naturelles viennent de formes qui sont sans matière, comme les formes des objets d’art viennent de l’artisan, ainsi que le disent Boèce, Sur la Trinité, I, 3, à la fin, et le Commentateur, Métaphysique, XI,

 

[4767] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod contingit aliquando idem esse signum et causam: causam, inquantum operatur ad effectum; signum, inquantum sensibus repraesentatum in cognitionem effectus ducit. Unde per hoc quod dicuntur signa, non excluditur eorum causalitas; quam tamen Scriptura subticuit, ne idolatrandi aliqua occasio daretur, ad quam tunc temporis homines proni erant.

1. Il arrive parfois qu’une même chose soit signe et cause : cause, en tant qu’elle agit en vue d’un effet ; signe, en tant que ce qui est représenté aux sens conduit à la connaissance d’un effet. Aussi le fait qu’on parle de signes n’écarte pas leur causalité. Toutefois, l’Écriture l’a tu pour que ne soit pas donnée une occasion d’idolâtrie, à laquelle les hommes de cette époque étaient enclins.

 

[4768] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Damascenus intendit negare a corporibus caelestibus illam causalitatem quae idolatriam inducebat, ut patet ex praedictis.

2. [Jean] Damascène entend refuser aux corps délestes la causalité qui entraînait l’idolâtrie, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 

[4769] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod impressio alicujus agentis non recipitur in aliquo nisi per modum recipientis: et quia natura inferior est talis quae impediri potest, et deficere in minori parte; ideo impressiones corporum caelestium non recipiuntur in corporibus inferioribus secundum necessitatem, ut semper ita eveniat, sed ut in pluribus, sicut expresse habetur a philosopho in fine de somno et vigilia.

3. L’influence d’un agent n’est reçue dans une chose que selon le mode de ce qui reçoit. Et parce que la nature inférieure est telle qu’elle peut être empêchée et faire défaut dans une minorité de cas, les influences des corps célestes ne sont pas nécessairement reçues par les corps inférieurs, de sorte qu’elles se réalisent toujours, mais dans la plupart des cas, comme le dit le Philosophe, à la fin de Sur le sommeil et la veille.

 

[4770] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod similia sunt quae in eadem forma communicant; sed contingit quod illam formam non uniformiter participant quaedam; quia quod est in uno deficienter, in altero est eminentius: et hoc oportet inveniri, secundum Dionysium, in omnibus causis essentialibus: et ideo ipse dicit quod sol uniformiter praeaccepit in se omnia ea quae divisim per actionem in aliis causantur: et secundum hoc dico, quod calor et frigus et hujusmodi inveniuntur in corporibus caelestibus nobiliori modo quam in elementis; non quod istis qualitatibus afficiantur et denominentur, sed sunt in eis sicut in virtute activa; et talis similitudo sufficit ad actionem agentis non univoce.

4. Est semblable ce qui partage la même forme. Mais il arrive que certaines choses ne partagent pas uniformément cette forme, car ce qui existe chez l’une de manière déficiente existe chez l’autre de manière éminente. Selon Denys, cela se rencontre dans toutes les causes essentielles. Aussi dit-il que le soleil possède en lui-même tout ce qui est causé dans d’autres choses par son action. De ce point de vue, je dis que la chaleur, le froid et les choses de ce genre se trouvent dans les corps célestes d’une manière plus noble que dans les éléments ; non pas qu’ils soient affectés et désignés selon ces qualités, mais elles existent en eux comme dans une puissance active, et une telle ressemblance suffit pour l’action d’un agent non-univoque.

 

[4771] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod lux, quantum est de se, semper est effectiva caloris; etiam lux lunae. Unde dicit philosophus de partibus Animal. quod noctes plenilunii sunt calidiores. Sed praeter naturam lucis quae communis est omnibus corporibus caelestibus, quaelibet stella habet virtutem determinatam, consequentem suam speciem, ratione cujus lux ejus et motus habet vel infrigidare vel humectare, et sic de aliis; sicut etiam et praeter motum communem, qui est motus diurnus, quilibet orbis habet motum proprium.

5. En elle-même, la lumière produit toujours la chaleur, même la lumière de la lune. Aussi le Philosophe dit-il, Sur les parties des animaux, que les nuits de pleine lune sont plus chaudes. Mais en plus de la nature de la lumière qui est commune à tous les corps célestes, chaque étoile possède une puissance déterminée, découlant de son espèce, en raison de quoi sa lumière et son mouvement peuvent refroidir ou humidifier, et ainsi de suite, comme aussi, en plus du mouvement commun, qui est le mouvement quotidien, chaque sphère possède son mouvement propre.

 

[4772] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cujuslibet agentis habentis situm, actio prius recipitur in medio quam in termino; non tamen oportet quod recipiatur in utroque eodem modo; sed secundum quod exigit dispositio utriusque, sicut ponit exemplum Commentator in 8 Physic., de pisce qui retentus in reti, stupefacit manum praeter hoc quod stupefaciat rete, quae stupefactionis capax non est, et tamen secundum aliquem modum rete alteratur ex virtute piscis. Ita etiam oportet quod virtutes superiorum stellarum prius recipiantur in mediis orbibus quam in inferiora corpora, quamvis non eosdem effectus utrobique habeant.

6. L’action de tout agent qui est dans un site est d’abord reçue au centre avant d’atteindre le terme ; il n’est cependant pas nécessaire qu’elle soit reçue par les deux de la même façon, mais selon que l’exige la disposition de chacun des deux, selon l’exemple donné par le Commentateur dans Physique, VIII, à propos du poisson qui, retenu dans le filet, surprend la main sans surprendre le filet, qui n’est pas susceptible de surprise ; néanmoins, le filet est altéré d’une certaine manière par la puissance du poisson. De même est-il nécessaire que les puissances des étoiles supérieures soient d’abord reçues au centre des sphères avant d’atteindre les corps inférieurs, bien qu’elles n’aient pas les mêmes effets aux deux endroits.

 

 

 

 

Articulus 3 [4773] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 tit. Utrum corpora superiora habeant causalitatem super motus liberi arbitrii

Article 3 – Les corps supérieurs exercent-ils une causalité sur les mouvements du libre arbitre ?

 

[4774] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod corpora superiora habeant causalitatem etiam super motus liberi arbitrii. Dionysius enim, in 4 cap. de Divin. Nom. de corporibus caelestibus tractans, ea, inquit, quae sunt in tempore determinant et numerant et ordinant et continent. Sed opera quae sunt ex libero arbitrio sunt in tempore. Ergo determinantur et ordinantur virtute corporum caelestium.

1. Il semble que les corps supérieurs exercent aussi une causalité sur les mouvements du libre arbitre. En effet, dans Sur les noms divins, IV, Denys dit, en traitant des corps célestes : « Ils déterminent, comptent, ordonnent et contiennent ce qui existe dans le temps. » Or, les actions qui viennent du libre arbitre existent dans le temps. Elles sont donc déterminées et ordonnées par la puissance des corps célestes.

 

[4775] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omne quod non est eodem modo se habens, oportet reducere in causam semper eodem modo se habentem: quia contingentia procedunt ex necessariis et difformia ab uniformibus. Sed actus ex libero arbitrio dependentes maxime sunt variabiles. Ergo oportet eos reducere in motus caelestes sicut in causas uniformes.

2. Tout ce qui n’existe pas de la même manière doit être ramené à une cause qui existe toujours de la même manière, car ce qui est contingent vient de ce qui est nécessaire et ce qui est difforme, de ce qui est uniforme. Or, les actes qui dépendent du libre arbitre sont variables au plus haut point. Il est donc nécessaire de les ramener aux mouvements célestes comme à leurs causes uniformes.

 

[4776] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut se habet movens et mobile ad aliud movens et mobile; ita se habet motus ad motum. Sed motor corporis caelestis est nobilior motore corporis humani, et potens in ipsum imprimere; et similiter corpus caeleste in corpus humanum. Ergo et motus caelestis est aliquo modo causa operum humanorum, quae ex libero dependent arbitrio.

3. Le rapport entre ce qui meut et ce qui est mobile à quelque chose d’autre qui meut et à un autre mobile est le même que [celui qui existe] entre les deux mouvements. Or, le moteur d’un corps céleste est plus noble que le moteur du corps humain, et il peut agir sur celui-ci ; de même, le corps céleste peut-il agir sur le corps humain. Le mouvement céleste est donc lui aussi de quelque manière la cause des actes humains, qui dépendent du libre arbitre.

 

[4777] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, praecognitio aliquorum futurorum non potest accipi nisi ex illis in quibus illa futura sunt aliquo modo sicut in causis; sive per se cognoscantur causae illae, sive per aliquos effectus, qui dicuntur earum signa, et per consequens aliorum effectuum. Sed praecognitiones operum humanorum ex libertate arbitrii dependentium accipiuntur ex motibus caelestibus, sicut patet ex astrologis, qui multa de his divinando praedicunt. Ergo videtur quod corpora caelestia habeant causalitatem super ea quae ex libertate arbitrii dependent.

4. La connaissance préalable de certaines choses à venir ne peut être obtenue qu’à partir de ce en quoi se trouvent d’une certaine manière ces choses à venir comme dans leurs causes : soit que ces causes soient connues par elles-mêmes, soit qu’elles le soient par certains effets, qu’on appelle leurs signes, et, par conséquent, ceux d’autres effets. Or, les connaissances préalables des actes humains dépendant du libre arbitre sont tirées des mouvements célestes, comme cela ressort chez les astrologues, qui prédisent beaucoup de choses en les devinant à partir de ceux-ci. Il semble donc que les corps célestes exercent une causalité sur ce qui dépend du libre arbitre.

 

[4778] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, sicut dicit philosophus, agens oportet esse praestantius patiente. Sed corpus caeleste est multo inferius in ordine entium quam anima rationalis. Ergo non potest in ipsa agere, ut causet aliquem effectum ejus.

Cependant, [1] comme le dit le Philosophe, l’agent doit être supérieur au patient. Or, le corps céleste est de beaucoup inférieur à l’âme raisonnable dans l’ordre des êtres. Il ne peut donc pas agir en elle de telle sorte qu’il en cause l’effet.

 

[4779] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, ut probat philosophus in nobis est bonos vel malos esse. Sed boni vel mali efficimur per actus nostros. Ergo in nobis est quod bonos actus nostros faciamus. Ergo non causantur ex aliqua virtute vel impressione virtutis caelestis.

[2] Comme le montre le Philosophe, il relève de nous d’être bons ou méchants. Or, nous devenons bons ou méchants par nos actes. Il nous revient donc de poseer des actes bons. Ils ne sont donc pas causés par la puissance ou l’influence d’une puissance céleste.

 

[4780] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum propria rei operatio sequatur naturam ipsius, illud tantum causa operationis esse potest quod aliquo modo naturam in esse producit: et ideo, cum actus ex libertate arbitrii procedentes, ex hoc quod voluntarii sunt et in potestate nostra, actus humani proprie dicantur; non possunt in aliquam causam directe reduci quae ipsius animae causa non sit; et ideo secundum diversas positiones de causalitate rationalis animae, consecutae sunt diversae opiniones de operibus humanis. Quidam enim antiqui philosophi sensum et intellectum idem esse dixerunt, intantum quod sicut ex transmutatione corporis transmutatur sensus, ita etiam mutaretur intellectus, ut de Democrito philosophus narrat. Et cum omnes virtutes corporales ex corpore dependentes reducantur in virtutes primorum corporum sicut in causas, sequebatur quod corpora caelestia directe causalitatem haberent super animam rationalem, et per consequens supra operationes ejus. Unde ponebant, quod qualis unusquisque est secundum dispositionem quam ex nativitate sortiebatur secundum impressionem superiorum corporum, talis finis videbatur ei; et secundum hoc diversificabantur electiones hominum, quibusdam hoc, quibusdam aliud eligentibus. Haec autem positio reprobata est a philosophis tum quantum ad causam, quia probaverunt intellectum non esse virtutem corporalem, nec actum ejus proprium organo corporali expleri; tum etiam quantum ad id quod sequitur, ostendentes bonam vel malam electionem in nostra potestate esse: alias injuste darentur poenae vel praemia. Similiter etiam damnata est a sanctis tamquam fidei contraria. Alii vero philosophi ponentes intellectum a sensu differre in hoc quod ad corpus non dependet, nec corporali organo suum actum explet, dixerunt nullam virtutem corporalem causalitatem super intellectum humanum habere, sed omnino ab extrinseco esse, et ideo etiam electionem humanam non dependere ex corporibus caelestibus nisi per accidens, inquantum videlicet ex dispositione corporis, quam impressio caelestis relinquit, aliquo modo anima inclinatur ad sequendum affectiones corporis per modum quo passiones corporales rationem inclinant, et quandoque deducunt. Sed tamen quia ponunt animas humanas creari a Deo mediantibus intelligentiis, ponunt quod motores orbium causent ipsos motus voluntatis, praeter ordinem motus; ut Avicenna dicit in fine Metaph. suae, quod varietas operum voluntatis reducitur sicut in causam in conceptiones uniformes motorum caelestium. Nec tamen ponunt quod tollatur libertas electionis, cum impressio recipiatur per modum recipientis. Haec etiam positio falsa est et contra fidem, quae immediate animas humanas a Deo creari ponit. Unde relinquitur quod electionis humanae non sit causa, per se loquendo, neque corpus caeleste, neque anima ejus vel intelligentia movens ipsum; sed solus Deus, qui operatur omnia in omnibus.

Réponse. Puisque l’opération propre d’une chose découle de sa nature, cela seul peut être cause de l’opération qui, d’une certaine manière, amène la nature à l’être. Puisque les actes qui viennent du libre arbitre sont appelés humains au sens propre parce qu’ils sont volontaires et sont en notre pouvoir, ils ne peuvent donc être directement ramenés à une cause qui ne soit pas cause de l’âme même. Les diverses opinions sur les actes humains découlent donc des diverses positions sur la cause de l’âme raisonnable. En effet, certains philosophes anciens ont dit que le sens et l’intelligence sont la même chose, au point où, de la manière dont le sens est changé par un changement du corps, de même aussi l’intelligence est-elle changée, comme le raconte le Philosophe à propos de Démocrite. Comme toutes les puissances corporelles dépendant du corps se ramènent aux puissances des corps premiers comme à leurs causes, il en découlait donc que les corps célestes exerçaient une causalité directe sur l’âme raisonnable et, par conséquent, sur ses opérations. Aussi affirmaient-ils que, tel que chacun est selon la disposition qu’il reçoit à sa naissance par l’action des corps supérieurs, telle la fin lui paraissait. C’est ainsi que les choix des hommes se différenciaient, certains choisissant ceci, d’autres cela. Mais cette position a été rejetée par les philosophes autant en sa cause, car ils ont montré que l’intelligence n’est pas une puissance corporelle et que son acte propre n’est pas accompli par un organe corporel, que par ce qui en découle, alors qu’ils montrent qu’un choix bon ou mauvais est en notre pouvoir, autrement les peines ou les récompenses seraient injustement données. [Cette position] a aussi été condamnée par les saints comme étant contraire à la foi. Mais d’autres philosophes, qui affirment que l’intelligence diffère du sens du fait qu’elle ne dépend pas du corps et que son acte ne s’accomplit pas par un organe corporel, ont dit qu’aucune puissance corporelle n’exerce de causalité sur l’intelligence humaine, mais qu’elle agit entièrement de l’extérieur. Ils ont donc aussi [dit] que le choix humain ne dépend des corps célestes que par accident, dans la mesure où, en raison d’une disposition du corps laissée par l’influence céleste, l’âme est en quelque sorte encline à suivre les affections du corps à la manière dont les passions corporelles inclinent la raison, et parfois la conduisent. Toutefois, parce qu’ils affirment que les âmes humaines ont été créées par Dieu par l’intermédiaire des intelligences, ils affirment que les moteurs des sphères causent les mouvements mêmes de la volonté par-delà l’ordre du mouvement ; ainsi Avicenne dit-il, à la fin de sa Métaphysique, que la diversité des actes de la volonté se ramène comme à sa cause aux conceptions uniformes des moteurs célestes. Ils n’affirment cependant pas que la liberté du choix est enlevée, puisque l’influence est reçue selon le mode de celui qui reçoit. Cette position aussi est fausse et contraire à la foi, qui affirme que les âmes humaines sont créées par Dieu de manière immédiate. Il reste donc, à proprement parler, que ni le corps céleste, ni son âme ou intelligence qui le meut n’est la cause du choix humain, mais Dieu seul, qui accomplit tout en tous [1 Co 12, 6].

 

[4781] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actus liberi arbitrii non sunt temporales nisi per accidens, inquantum scilicet habent ordinem ad virtutes corporales, a quibus ratio scientiam accipit, et voluntas earum passionibus inclinatur.

1. Les actes du libre arbitre ne sont temporels que par accident, pour autant qu’ils aient un rapport avec les puissances corporelles, dont la raison reçoit la science et par les passions desquelles la volonté est inclinée.

 

[4782] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod motus voluntatum reducitur in unam causam uniformem; sed illa causa non est motus caelestis, aut aliqua virtus creata, sed ipsa voluntas divina, a qua est omnis voluntas.

2. Le mouvement de la volonté se ramène à une seule cause uniforme. Cependant, cette cause n’est pas le mouvement céleste ou quelque puissance créée, mais la volonté divine elle-même, de qui vient toute volonté.

 

[4783] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actuum qui dependent ex libero arbitrio quidam in sola electione consistunt, sicut interiores actus; et in hos non habent causalitatem caelestia corpora, nisi forte per modum dispositionis, secundum quod ex qualitate corporis inclinatur anima ad hanc vel ad illam electionem; et si etiam poneretur quod essent ex impressione superiorum motorum, hoc esset praeter ordinem motus: quod tamen falsum est, nisi Deum immediate caelos movere dicamus. Alii vero motus sunt per organa corporalia completi, ut ambulare, et hujusmodi: et super hos actus non est dubium motus corporum caelestium causalitatem habere, non quidem a parte illa qua sunt a voluntate imperati, sed secundum quod consistunt in executione corporis; cum omnis motus inferiorum reducatur in superiores motus sicut in causas.

3. Parmi les actes qui dépendent du libre arbitre, certains consistent dans le seul choix, comme les actes intérieurs ; sur ceux-ci, les corps célestes n’exercent pas de causalité, sauf par mode de disposition, selon qu’en vertu d’une qualité du corps, l’âme est encline à tel ou tel choix. Et même si on affirmait qu’ils viennent de l’influence de moteurs supérieurs, cela serait par-delà l’ordre du mouvement, ce qui est cependant faux, à moins que nous disions que Dieu meut les cieux de manière immédiate. Mais d’autres mouvements sont accomplis par des organes corporels, comme marcher et les mouvements de genre. Il n’y a pas de doute que les corps célestes exercent une causalité sur ces mouvements, non pas sous l’aspect où ils sont commandés par la volonté, mais selon qu’ils consistent dans l’exécution par le corps. [Et cela], parce que tout mouvement des inférieurs se ramène à des [mouvements] supérieurs comme à leurs causes.

 

[4784] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dictum est, electio animae multum inclinatur ex complexione corporis; unde etiam medici judicant aliquem esse invidum vel tristem vel lascivum vel aliquid hujusmodi: quorum judicia frequenter vera sunt, eo quod ut in pluribus ratio passionibus succumbit, et ab eis deducitur; quamvis non de necessitate, eo quod ratio imperium super passiones habet; et per hunc etiam modum ex motibus corporum caelestium aliqua possunt de operibus humanis praesciri, cum non sit dubium dispositiones corporis humani impressiones corporum caelestium sequi. Quamvis talibus praedictionibus non sit tutum nimis intendere, ut dicit Augustinus, 2 super Gen., cum plerumque astrologi de futuris vera praenuntient, non tam ex signis caelestibus, quam ex occulto Daemonis instinctu, quem humanae mentes interdum nescientes patiuntur; et sic cum hujusmodi divinationibus quodammodo foedus initur.

4. Comme on l’a dit, le choix de l’âme est fortement incliné par la complexion du corps ; aussi les médecins eux-mêmes jugent-ils que quelqu’un est envieux, triste, lascif ou quelque chose de ce genre, et leurs jugements sont souvent vrais parce que, dans la plupart des cas, la raison succombe aux passions et est menée par elles, bien que cela ne soit pas nécessaire, puisque la raison peut commander aux passions. C’est de cette manière aussi que les mouvements des actes humains peuvent être connus à l’avance à partir des mouvements des corps célestes, puisqu’il n’y a pas de doute que les dispositions du corps humain suivent l’influence des corps célestes. Toutefois, il n’est pas sûr de trop s’arrêter à de telles prédictions, comme le dit Augustin dans son Commentaire littéral de la Genèse, II, puisque les astrologues annoncent la plupart du temps des choses vraies sur l’avenir, non pas tant à partir des signes célestes que par une inspiration occulte du Démon, que les esprits humains subissent parfois sans le savoir. De cette manière, un pacte est donc d’une certaine manière contracté avec ce genre de divinations.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La production des animaux]

 

Prooemium

Prologue

 

[4785] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 pr. Deinde quaeritur de productione animalium quae ad quintam et sextam diem pertinet; et circa hoc quaeruntur duo: 1 de materia ipsorum; 2 de locis quae eis ornari dicuntur.

On s’interroge ensuite sur la production des animaux, qui appartient aux cinquième et sixième jours. À ce sujet, deux questions sont posées : 1. À propos de leur matière. 2. À propos des endroits dont on dit qu’ils sont embellis par eux.

 

 

 

 

Articulus 1 [4786] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 tit. Utrum quaedam animalia sumpserint materiam ex aquis, quaedam ex terra

Article 1 – Certains animaux ont-ils tiré leur matière des eaux et d’autres, de la terre ?

 

[4787] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur falsum esse quod dicitur, quaedam animalia ex aquis, quaedam ex terris materiam suscepisse. Corpus enim cujuslibet animalis oportet esse sensibile. Sed nihil est sensitivum sine calore, ut philosophus dicit, 2 de anima. Ergo in corporibus animalium praecipue debet ignis dominari, qui est fons caloris.

1. Il semble faux de dire que certains animaux ont reçu leur matière des eaux et d’autres, de la terre. En effet, le corps de tous les animaux doit être sensible. Or, rien n’est sensible sans la chaleur, comme le dit le Philosophe, Sur l’âme, II. Dans le corps des animaux, le feu, qui est la source de la chaleur, doit donc surtout dominer.

 

[4788] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, inter omnia corpora inferiora sunt nobilissima corpora animalium: quod patet ex hoc quod nobilissimam perfectionem sortiuntur, scilicet animam. Cum ergo corpora rariora, scilicet ignis et aer, sint nobiliora, quasi plus habentia de specie, et minus de materia; videtur quod ex ipsis praecipue animalium corpora constare debeant.

2. Parmi tous les corps inférieurs, les plus nobles sont ceux des animaux, ce qui ressort du fait qu’ils partagent la perfection la plus noble, à savoir, l’âme. Puisque les corps plus rares, c’est-à-dire le feu et l’air, sont plus nobles pour autant qu’ils possèdent davantage l’espèce et moins de matière, il semble donc que les corps des animaux doivent être surtout constitués d’eux.

 

[4789] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, ut dicit philosophus, quaecumque ex calido condensantur, terrae sunt magis; quae vero ex frigido, aquae. Sed corpora omnium animalium condensantur ex calore digerente, et humores in membra convertente. Ergo non videtur esse aliquod animal in quo dominetur aqua.

3. Comme le dit le Philosophe, tout ce qui se condense par la chaleur appartient davantage à la terre, mais ce qui se condense par le froid [appartient davantage] à l’eau. Or, les corps de tous les animaux se condensent par la chaleur, qui réalise la digestion et convertit les humeurs dans les membres. Il semble donc n’y avoir aucun animal chez lequel l’eau domine.

 

[4790] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, unicuique corpori mixto debetur locus secundum elementum praedominans in ipso, ut dicitur in 1 caeli et mundi. Sed locus avium est aer, ut in littera dicitur. Ergo videtur quod non aqua, sed aer praecipue in avibus dominetur.

4. Pour chaque corps mixte, il doit y avoir un lieu conforme à l’élément prédominant chez lui, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I. Or, le lieu des oiseaux est l’air, comme on le dit dans le texte. Il semble donc que ce ne soit pas l’eau, mais l’air qui l’emporte chez les oiseaux.

 

[4791] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod in littera dicitur, quod ex aqua pisces et aves producuntur, ex terra autem alia animalia.

Cependant, on dit dans le texte que les poissons et les oiseaux sont produits à partir de l’eau, mais les autres animaux à partir de la terre.

 

[4792] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod elementum praedominari in aliquo corpore potest intelligi dupliciter; vel secundum suum genus, vel quantum ad id quod est proprium illi corpori in genere illo. Cum enim alicui generi deputatur aliqua complexio, hoc non est secundum aliquem indivisibilem gradum, sed secundum latitudinem quamdam; ita quod est invenire aliquos terminos ultra quos non salvatur complexio illius generis. Sed inter illos terminos est multa diversitas, secundum quod acceditur ad unum vel alterum: verbi gratia, complexio debita corpori humano est complexio temperatissima; et tamen sunt multi gradus temperamenti, secundum quos quidam dicuntur melancholici, quidam cholerici, et sic de aliis, secundum propinquitatem ad terminos complexionis humanae speciei vel in calore vel in frigore; ita tamen quod est aliquis gradus caloris vel frigoris, quem non transit humana complexio. Dico ergo, quod si loquimur de elemento praedominante in corpore animalis quantum ad complexionem consequentem ipsum genus, oportet quod elementa inferiora grossiora secundum quantitatem excedant elementa subtiliora, quae tamen excedunt secundum virtutem, scilicet secundum calidum et humidum, in quo vita consistit; quae sunt qualitates principales ignis et aeris. Cum enim corpora animalium debeant esse aliis temperatiora, ut magis a contrariis remota, et per aequalitatem complexionis naturae corpori caelesti assimilata, perfectionem magis similem sortiantur virtuti quae movet caelos; oportet inferiora elementa, quae sunt minus activa eo quod habent plus de materia et minus de forma, secundum quantitatem excedere; ut virtutis defectum suppleat quantitatis excessus. Sed tamen complexio in qua salvatur natura animalis, habet multas diversitates; et secundum quod accedit ad unum extremum vel ad alterum, dicitur in altero dominari hoc vel illud elementum.

Réponse. On peut entendre de deux manières la prédominance d’un élément dans un corps : selon son genre ou selon ce qui est propre à ce corps à l’intérieur de ce genre. En effet, alors qu’on attribue une complexion à un genre, cela ne se fait pas selon un degré indivisible, mais selon une certaine étendue, de sorte qu’il y ait certaines limites au-delà desquelles la complexion de ce genre n’est pas préservée. Mais, à l’intérieur de ces limites, il existe une grande diversité, selon que [cette complexion] affecte l’un ou l’autre : par exemple, la complexion qui est celle du corps humain est une complexion très tempérée. Cependant, il existe plusieurs degrés du tempérament, selon lesquels on dit que certains sont mélancoliques, certains colériques et ainsi de suite pour les autres, selon leur proximité par rapport aux limites de la complexion de l’espèce humaine, soit pour la chaleur, soit pour le froid, de telle sorte cependant qu’il existe un degré de chaleur ou de froid que ne dépasse pas la complexion humaine. Je dis donc que, si nous parlons de l’élément prédominant dans le corps d’un animal du point de vue de sa complexion, qui découle de son genre, il est nécessaire que les éléments inférieurs les plus importants par leur quantité dépassent les éléments plus subtils, qui l’emportent cependant par leur puissance, à savoir, par le chaud et l’humide, en quoi consiste la vie : ce sont les qualités principales du feu et de l’air. En effet, puisque les corps des animaux doivent être plus tempérés, parce qu’ils sont plus éloignés des contraires et ressemblent davantage, par l’égalité de la complexion de leur nature, à un corps céleste, ils ont une perfection qui ressemble davantage à la puissance qui meut les cieux. il est nécessaire que les éléments inférieurs, qui sont moins actifs du fait qu’ils ont plus de matière et moins de forme, dépassent par la quantité, de sorte que le dépassement par la quantité remplace le manque de puissance. Cependant, la complexion de la nature animale est sauvegardée sous plusieurs diversités ; et selon qu’elle s’approche d’un extrême ou de l’autre, on dit que domine chez un autre tel ou tel élément.

 

[4793] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ignis dominatur secundum virtutem in corpore sensitivo, eo quod calor est instrumentum animae: non tamen potest esse quod ignis dominetur secundum quantitatem materiae: eo quod cum sit maxime activus, alia elementa consumeret; et ideo non dicitur animalis corpus ex igne materialiter formatum.

1. Le feu l’emporte par sa puissance dans un corps sensible du fait que la chaleur est un instrument de l’âme ; cependant, il ne peut arriver que le feu l’emporte selon la quantité de la matière, du fait qu’étant actif au plus haut point, il consumerait les autres éléments. C’est pourquoi on ne dit pas que le corps animal est matériellement formé de feu.

 

[4794] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in quolibet genere tanto aliquid est nobilius quanto magis accedit ad nobilissimum in genere illo: et ideo simpliciter loquendo per respectum ad ultimam perfectionem, corpus aequalis complexionis, in quo secundum quantitatem excedunt corpora grossiora, est nobilius corpore ignis vel aeris, quia nihil est corpori caelesti similius. Sed nihil prohibet quantum ad aliquas virtutes corporales, ut calorem et frigus et hujusmodi, subtiliora corpora nobiliora esse.

2. En tout genre, une chose est d’autant plus noble qu’elle s’approche davantage de ce qui est le plus noble dans ce genre. C’est pourquoi, à parler simplement, en regard de la perfection ultime, un corps d’égale complexion, dans lequel des corps moins nobles l’emportent par la quantité, est plus noble que le corps du feu ou de l’air, car rien n’est plus semblable à un corps céleste. Mais rien n’empêche que, du point de vue de certaines puissances corporelles, comme la chaleur, le froid et celles de ce genre, des corps plus subtils soient plus nobles.

 

[4795] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in corporibus omnium animalium simpliciter dominatur terra secundum quantitatem, eo quod aqua est quasi continuans partes, ut non communionem, sed commixtionem faciant; sed illa animalia quae plus habent de aqua aliis animalibus, dicuntur ex aqua constare, pensata eorum propria complexione, secundum comparationem ad complexionem debitam generi communi: et secundum hoc ex aqua dicuntur esse pisces quantum ad id quod in ea grossius est; aves autem quantum ad id quod in ea subtilius est; quod quidem in vapore resolutum est, quasi medium inter aerem et aquam: propter hoc aves in aere elevantur, et pisces gurgiti remittuntur.

3. Dans les corps de tous les animaux, la terre l’emporte par la quantité, du fait que l’eau assure la continuité entre les parties, de sorte qu’elles ne réalisent pas une communion, mais un mélange. Mais on dit que les animaux qui ont plus d’eau que les autres animaux sont constitués d’eau, en prenant en considération leur complexion propre par comparaison avec la complexion qui revient au genre commun. Conformément à cela, on dit que les poissons viennent de l’eau selon ce qui l’emporte en eux, mais les oiseaux, selon ce qui est plus subtil en eux. Mais ce qui s’est transformé en vapeur est en quelque sorte un état intermédiaire entre l’air et l’eau. Pour cette raison, les eaux s’élèvent dans l’air et les poissons gorgés [d’eau] sont rejetés.

 

[4796] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod philosophus loquitur de loco naturali, qui est terminus motus naturalis, et in quo naturaliter quiescit corpus. Sic autem aer non est locus avium, quia non in aere, sed in terra quiescunt; sed est locus eorum secundum motum animalem, cujus principium non est gravitas et levitas.

4. Le Philosophe parle du lieu naturel, qui est le terme du mouvement naturel, dans lequel un corps naturel repose naturellement. Or, l’air n’est pas ainsi le lieu des oiseaux, car ils ne se reposent pas dans l’air, mais sur la terre ; mais il est leur lieu selon leur mouvement animal, dont le principe n’est pas la pesanteur et la légèreté.

 

 

 

 

Articulus 2 [4797] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 tit. Utrum ornatus elementorum convenienter describatur secundum tria genera

Article 2 – L’embellissement des éléments est-il décrit de manière appropriée en trois genres ?

 

[4798] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter ornatus trium elementorum, secundum tria genera animalium describatur. Ignis enim est principalior inter elementa. Sed ei nullus ornatus assignatur. Ergo videtur quod insufficienter ornatus elementorum assignetur.

1. Il semble que l’embellissement de trois éléments soit décrit selon trois genres d’animaux. En effet, le feu est le principal des éléments. Or, aucun embellissement ne lui est assigné. Il semble donc que l’embellissement des éléments soit attribué de manière insuffisante.

 

[4799] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, locus naturalis est locus quietis. Sed aves non quiescunt in aere, ut dictum est. Ergo videtur quod aer avibus non ornetur.

2. Le lieu naturel est un lieu de repos. Or, les oiseaux ne se reposent pas dans l’air, comme on l’a dit. Il semble donc que l’air ne soit pas embelli par les oiseaux.

 

[4800] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, reptile est genus terrestris animalis. Sed diversorum elementorum diversus est ornatus. Ergo videtur quod inconvenienter in ornatu aquae reptile commemoretur.

3. Le reptile est un genre d’animal terrestre. Or, l’embrellisement est différent selon les différents éléments. Il semble donc que le reptile soit rappelé comme ornement de l’eau de manière inappropriée.

 

[4801] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, nobiliori corpori debetur nobilior locus. Sed animalia gressibilia sunt nobiliora avibus vel piscibus, quia sunt magis completa, ut eorum generatio ostendit, et membrorum dispositio. Ergo, cum aer et aqua sint nobiliora elementa quam terra, videtur quod inconvenienter aves et pisces aeri et aquae, animalia vero gressibilia terrae ascribantur.

4. Un lieu plus noble revient à un corps plus noble. Or, les animaux qui peuvent marcher sont plus nobles que les oiseaux ou les poissons, car ils sont plus complets, comme le montrent leur génération et la disposition de leurs membres. Puisque l’air et l’eau sont des éléments plus nobles que la terre, il semble donc qu’il soit inapproprié de situer les oiseaux et les poissons dans l’air et dans l’eau, mais que les animaux qui peuvent marcher soient attribués à la terre.

 

[4802] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, secundum philosophum, quaedam animalia sunt media inter terrestria et aquatica, quae utrobique morantur. Horum autem mentio nulla facta est. Ergo videtur insufficienter elementorum ornatus describi per animalia.

5. Selon le Philosophe, certains animaux sont intermédiaires entre les animaux terrestres et les animaux aquatiques : ils demeurent dans les deux. Or, il n’est fait aucune mention d’eux. Il semble donc que l’embellissement des éléments par les animaux soit décrit de manière insuffisante.

 

[4803] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, plus distat homo a gressibilibus quam gressibile a volatili: quia est in alio gradu entium, scilicet rationalium; cum omnia bruta in uno gradu entium, scilicet sensibilium, computentur. Sed non eadem die producta sunt gressibilia et volatilia. Ergo videtur quod nec eadem die debuit homo cum aliis animalibus fieri.

6. De plus, l’homme est plus éloigné d’un animal qui peut marcher qu’un animal qui peut marcher l’est d’un volatile, car il est dans un autre degré des êtres, à savoir, les êtres raisonnables, alors que tous les animaux sans raison sont comptés dans un seul genre d’être, les êtres sensibles. Or, les animaux qui peuvent marcher et les volatiles n’ont pas été produits le même jour. Il semble donc que l’homme ne devait pas être créé le même jour que les autres animaux.

 

[4804] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, quorum est major similitudo, est etiam major continuatio. Sed, ut dicit Avicenna, corpus humanum est simillimum corporibus caelestibus. Ergo videtur quod statim post ornatum caelorum corpus hominis formari debuit ante alia animalia.

7. Les êtres dont la ressemblance est plus grande sont plus rapprochés. Or, comme le dit Avicenne, le corps humain est le plus semblable aux corps célestes. Il semble donc qu’aussitôt après l’embellissement des cieux, le corps de l’homme devait être formé avant les autres animaux.

 

[4805] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod animalia non dicuntur ornamenta elementorum nisi secundum quod comparantur ad elementa ut locatum ad locum. Comparatio autem corporis ad locum suum est secundum motum et quietem. Motus autem animalis est duplex: unus consequens naturam corporis ejus secundum virtutem elementi dominantis in ipso; alius consequitur apprehensionem et appetitum; et hic est motus proprius animalis inquantum est animal; et ideo ad illius elementi ornatum animal pertinet in quo motum animalem habet proprium, non ad quod fertur motu consequente naturam sui corporis: hujusmodi enim motus non sequitur animal inquantum hujusmodi, sed secundum quod componitur ex gravibus et levibus; et ideo animalia gressibilia ad ornatum terrae pertinere dicuntur, quia in eo motum animalem habent; et pari ratione natatilia ad ornatum aquae, et volatilia ad ornatum aeris.

Réponse. Il faut dire que les animaux ne sont pas appelés des embellissements des éléments seulement si on les compare aux éléments, comme ce qui est dans un lieu l’est au lieu. Or, la comparaison du corps avec son lieu se réalise selon le mouvement et le repos. Cependant, le mouvement animal est double : l’un qui découle de la nature de son corps, selon la puissance de l’élément qui l’emporte en lui ; l’autre suit la perception et le désir, et celui-ci est le mouvement de l’animal en tant qu’animal. C’est pourquoi l’animal appartient à l’embellissement de l’élément dans lequel il exerce son mouvement animal propre, et non vers lequel il est porté par le mouvement qui découle de la nature de son corps. En effet, un mouvement de ce genre ne découle pas de l’animal en tant que tel, mais en tant qu’il est composé d’éléments lourds et légers. C’est pour cette raison qu’on dit des animaux capables de marcher qu’ils font partie de l’embellissement de la terre, car ils ont un mouvement animal sur elle. Pour la même raison, les animaux capables de nager font-ils partie de l’embellissement de l’eau, et les volatiles, de l’embrellissement de l’air.

 

[4806] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis aliquae res commixtae possint ad tempus sine laesione in igne servari, tamen nulla res est quae tandem ab igne non consumatur, si diu in eo permaneat, ut Galenus dicit in libro de Simplic. Medic., et ideo non est possibile aliquod animal vivere in igne, ut in libro de proprietatibus elementorum dicit, nisi forte ad modicum tempus, ut de salamandra dicitur.

1. Bien que certaines choses mélangées puissent pour un temps rester dans le feu sans êre blessées, il n’existe cependant aucune chose qui ne soit finalement consumée par le feu, si elle y demeure longtemps, comme le dit Gallien dans le livre Sur la simple médecine. C’est pourquoi il n’est pas possible qu’un animal vive dans le feu, comme il le dit dans le livre Sur les propriétés des éléments, sauf peut-être pour une courte période, comme on le dit de la salamandre.

 

[4807] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima avis in motu animali movet corpus contra naturam corporis; et ideo talis motus est cum labore et poena, ut in 5 Cael. et Mund. dicitur; et ideo oportet quod quies, qua huic labori succurritur, sit in loco convenienti naturae corporis: ex quo tamen non habetur quod terra sit proprius locus avis, inquantum est animal.

2. L’âme de l’oiseau, par son mouvement animal, meut le corps à l’encontre de la nature du corps. C’est pourquoi un tel mouvement se fait avec effort et peine, comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, V. Il faut donc que le repos, qui vient au secours de cet effort, soit pris dans un lieu qui convient à la nature du corps. On ne peut cependant en conclure que la terre est le lieu propre de l’oiseau en tant qu’il est un animal.

 

[4808] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod reptilium quaedam genera sunt terrestria, quaedam aquatica; et ideo reptile cum utroque commemoratur: dicitur enim reptile quod se rapit. Hoc autem contingit multipliciter: quoddam enim rapit se virtute costarum, ut serpentes; quoddam vi quorumdam annulorum, ut animalia annulosa; quoddam vi oris, ut quidam vermes, qui ore terrae affixo totum corpus post se trahunt; quoddam vero vi pennularum quarumdam se movet, ut pisces; et universaliter omne animal videtur reptile dici, cujus corpus non multum a terra elevatur per instrumenta motus.

3. Certains genres de reptiles sont terrestres, certains aquatiques ; aussi le reptile est-il rappelé pour les deux. En effet, on appelle reptile (reptile) ce qui rampe (rapit). Or, cela se produit de plusieurs façons. L’un rampe par la force de ses côtes, comme les serpents ; un autre, par la puissance d’anneaux, comme les animaux annelés ; un autre, par la puissance de sa bouche, comme certains vers, qui tirent tout leur corps après eux une fois leur bouche fixée à la terre. Mais un autre se meut par la force d’une petite nageoire, comme les poissons. Et, de manière universelle, il semble qu’on puisse appeler un reptile tout animal dont le corps n’est pas très élevé au-dessus de la terre par les instruments de son mouvement.

 

[4809] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nobilioribus animalibus debetur nobilior locus per comparationem ad ipsa animalia. Quamvis autem aer sit nobilior terra in natura sua, tamen terra inquantum competit dispositionibus animalium, est nobilior aqua vel aere, quia in ea nutrimenta animalium magis abundant, et magis competit locus iste aequalitati complexionis.

4. Un lieu plus noble revient aux animaux plus nobles par comparaison avec les animaux eux-mêmes. Bien que l’air soit plus noble que la terre par sa nature, la terre, dans la mesure où elle convient aux dispositions des animaux, est plus noble que l’eau ou l’air, parce que la nourriture des animaux y est plus abondante et que ce lieu convient davantage à l’égalité de leur complexion.

 

[4810] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod animalia media computantur cum illo extremorum cum quo magis communicant: non enim invenitur aliquod animal quod alterius naturam non magis sapiat.

5. Les animaux intermédiaires sont comptés dans l’extrême avec lequel ils ont le plus en commun : en effet, on ne trouve pas d’animal qui ne connaisse pas davantage la nature d’un autre.

 

[4811] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illud hominis quo ceteris animalibus anteponitur, non est aliquid corporale, vel corporalis forma, sed intellectus. Sed quantum ad naturam corporis sui non est inconveniens quod magis conveniat cum quibusdam animalibus quam quaedam cum aliis secundum materiam. Animalia enim deputantur diversis diebus, vel uni, secundum materiam ex qua corpus producitur; diversis vero elementis in ornatum attribuuntur secundum diversum motum, qui etiam corporalibus organis completur.

6. Ce en vertu de quoi l’homme est placé avant les autres animaux n’est pas quelque chose de corporel ou sa forme corporelle, mais l’intelligence. Mais, pour ce qui est de la nature de son corps, il n’est pas inapproprié qu’il ait davantage en commun avec certains animaux qu’avec d’autres pour la matière. En effet, les animaux sont imputés à divers jours ou à un seul selon la matière dont leur corps est produit ; mais, pour l’embellissement, ils sont attribués à divers éléments selon des mouvements différents, qui sont aussi accomplis par des organes corporels.

 

[4812] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in via generationis, quanto aliquid est perfectius et magis assimilatum agenti, tanto tempore posterius est, quamvis sit prius natura: et ideo, quia homo perfectissimus animalium est, ultimo inter animalia fieri debuit, et non immediate post corpora caelestia, quae cum inferioribus corporibus non ordinantur secundum viam generationis, cum in materia non communicent cum eis.

7. En cours de génération, plus une chose est parfaite et ressemble à l’agent, plus elle est tardive, bien qu’elle soit première par nature. Ainsi, parce que l’homme est le plus parfait des animaux, il devait être créé en dernier lieu parmi les animaux, et non pas immédiatement après les corps célestes, qui ne sont pas placés avec les corps inférieurs en cours de génération, puisqu’ils n’ont pas de matière commune avec eux.

 

 

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Le septième jour]

 

Prooemium

Prologue

 

[4813] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 pr. Deinde quaeritur de his quae ad septimum diem pertinent; et circa hoc quaeruntur tria: 1 de consummatione operum divinorum; 2 de quiete Dei, 3 de sanctificatione septimae diei.

On s’interroge ensuite sur ce qui appartient au septième jour. À ce sujet, trois questions sont posées : 1. Sur l’achèvement des œuvres de Dieu. 2. Sur le repos de Dieu. 3. Sur la sanctification du septième jour.

 

 

 

 

Articulus 1 [4814] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 tit. Utrum Deus compleverit opus suum septimo die

Article 1 – Dieu a-t-il achevé son œuvre le septième jour ?

 

[4815] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non consummaverit septimo die opus suum. Perfectus enim numerus consummationi operum divinorum convenit. Sed senarius numerum perfectus est, et non septenarius. Ergo die sexto, et non septimo, Deus opus suum consummare debuit.

1. Il semble que Dieu n’ait pas achevé son œuvre le septième jour. En effet, un nombre parfait convient à l’achèvement des œuvres de Dieu. Or, six est un nombre parfait, et non pas sept. Dieu devait donc achever son œuvre le sixième jour, et non le septième.

 

[4816] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, consummatio operis attenditur secundum hoc quod aliqua perfectio operi adjicitur. Sed nulla perfectio potest rei operatae accrescere nisi ex actu operantis. Cum ergo Deus die septima quieverit, ut Scriptura dicit, non videtur ista die opus suum consummasse.

2. On remarque l’achèvement d’une œuvre par une perfection ajoutée à l’œuvre. Or, aucune perfection ne peut être ajoutée à une chose que par un acte de celui qui agit. Puisque Dieu s’est reposé le septième jour, comme le dit l’Écriture, il ne semble pas qu’il ait achevé son œuvre en ce jour.

 

[4817] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, quamdiu artifex ab opere suo non cessat, opus suum non consummat. Sed Deus nunquam ab operatione sua cessat, cum operatio sua sit essentia sua, quae aeterna est. Ergo Deus die septimo opus suum non consummavit.

3. Aussi longtemps que l’artisan ne cesse pas de travailler, il n’achève pas son œuvre. Or, Dieu ne cesse jamais d’agir, puisque son opération est son essence, qui est éternelle. Dieu n’a donc pas achevé son œuvre le septième jour.

 

[4818] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum Avicennam, omne agens quod non agit per motum, non habet actionem in effectu solum quamdiu fit, sed quamdiu in esse perdurat; cum non tantum sit causa fieri, sed essendi. Sed Deus est causa rei, agens non per motum, cum non requirat materiam ex qua agat, quam oporteret esse subjectum motus. Ergo videtur quod ipse, quamdiu mundus durat, sua actione esse mundo influat; et ita videtur quod septima die non cessaverit ab opere; et sic idem quod prius.

4. Selon Avicenne, tout agent qui n’agit pas par un mouvement n’exerce pas son action sur l’effet seulement pendant qu’il est réalisé, mais pendant que [celui-ci] continue à être, puisqu’il n’est pas seulememt la cause du devenir, mais de l’être. Or, Dieu est cause d’une chose en agissant sans mouvement, puisqu’il n’a pas besoin de matière sur laquelle agir, laquelle devrait être le sujet de [son] mouvement. Il semble donc qu’aussi longtemps que le monde dure, [Dieu] influe sur le monde par son action ; et ainsi, il semble qu’il n’ait pas cessé d’agir le septième jour. La conclusion est donc la même que précédemment.

 

[4819] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, Deus non tantum rerum factor est, sed etiam conservator. Sed non potest dici quod conservet nisi per aliquam actionem in res. Ergo videtur quod quamdiu res in esse conservantur, Deus in res operatur. Ergo et cetera.

5. Dieu n’est pas seulement le créateur des choses, mais aussi celui qui les conserve. Or, on ne peut dire qu’il conserve, si ce n’est par une action sur les choses. Il semble donc qu’aussi longtemps que les choses conservent l’être, Dieu agisse sur les choses. Donc, etc.

 

[4820] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 6 Praeterea, dies septimus creatura quaedam est. Sed omnis creatura est ex operatione divina, nec prius diem septimum fecit quam esset, quia esse successivorum est in fieri. Ergo videtur quod die septimo novam creationem fecerit; et ita non ab omni opere cessavit; unde ut prius.

6. Le septième jour est une créature. Or, toute créature vient de l’opération divine, et il n’a pas fait le septième jour avant qu’il ne soit, car l’être des choses successives se réalise dans le devenir. Il semble donc que, le septième jour, il ait fait une nouvelle création, et ainsi il n’a pas cessé toute opération. La conclusión est donc la même que précédemment.

 

[4821] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 7 Praeterea, ut dicit philosophus in 17 de animalibus, frequenter apparent novae species animalium, quae prius nunquam apparebant; ut patet in illis quae ex putrefactione generantur. Ergo videtur quod nec etiam ab instituendis novis speciebus Deus die septima cessaverit; et sic idem quod prius.

7. Comme le dit le Philosophe dans Sur les animaux, XVII, de nouvelles espèces d’animaux apparaissent fréquemment, qui n’apparaissaient jamais auparavant, comme cela ressort pour celles qui sont engendrées par la putréfaction. Il semble donc que Dieu n’a pas cessé de façonner de nouvelles espèces le septième jour. C’est donc la même conclusion que précédemment.

 

[4822] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 8 Praeterea, quaedam sunt in quibus sola divina virtus operatur, sicut in creatione animarum, in infusione gratiae, et miraculorum operatione. Ergo videtur quod tunc non cessaverit ab operatione et institutione novarum creaturarum. Ergo et cetera.

8. Il existe certaines choses pour lesquelles seule la puissance divine est à l’œuvre, comme la création des âmes, l’infusion de la grâce et l’accomplissement de miracles. Il semble donc qu’il n’ait pas alors cessé d’agir et de façonner de nouvelles créatures. Donc, etc.

 

[4823] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra haec est quod dicitur Genes. 2, quod consummavit Deus die septimo opus suum.

Cependant, [1] en Gn 2, il est dit que Dieu acheva son œuvre le septième jour.

 

[4824] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in perfectione operis cujuslibet diei spiritus sanctus significatur, cum dicitur: vidit Deus quod esset bonum; ut dicit Augustinus in 1 super Genes. Sed septenarius numerus spiritui sancto attribuitur, qui septiformis in munere dicitur. Ergo convenienter consummatio operum septimae diei adscribitur.

[2] Par la perfection de l’œuvre de chaque jour, l’Esprit Saint est signifié, lorsqu’on dit : Dieu vit que cela était bon, comme le dit Augustin dans le Commentaire littéral sur la Genèse, I. Or, le nombre sept est attribué à l’Esprit Saint, dont on dit que le don est septiforme. L’achèvement des œuvres [de Dieu] est donc attribué au septième jour de manière appropriée.

 

[4825] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut Magister dicit in littera, in hoc discordat nostra translatio ab alia quam Augustinus exponit. In nostra enim translatione consummatio operum adscribitur diei septimae, in alia vero diei sextae. Utraque autem veritatem habere potest, sive intelligatur septimus dies sequi alios sex successione temporis, ut alii sancti volunt; sive ponantur septem dies unus dies, ut Augustinus vult, septempliciter rebus praesentatus, scilicet cognitio angelica. Loquendo enim secundum Augustinum, distinguenda est rei duplex perfectio. Una enim est perfectio totalitatis, quam res habet ex hoc quod ex omnibus partibus suis essentialibus integrata est; et talis perfectio mundi, sextae diei competit: quia post sex primos dies nulla creatura mundo addita est, quae non aliquo modo in operibus sex dierum esset, ut patebit. Alia vero perfectio rei est quam habet ex ratione finis, quae est ultima perfectio: et talis perfectio mundi debetur septimae diei, in qua Deus ab omnibus operibus requievit in se sicut in fine. Sed sequendo alios sanctos, distinguenda est iterum duplex perfectio. Una est perfectio prima, quam scilicet res habet secundum esse suum; et haec perfectio mundi completa est sexta die: quia nulla pars mundi postmodum addita est quae in primis sex diebus non praecesserit aliquo modo. Alia est perfectio secunda, quae est operatio rei, ut dicitur 2 de anima: et talis perfectio mundi fuit in septima die: quia ex tunc cessante operatione qua Deus naturam instituit, incepit operatio propagationis in toto universo, secundum quod ex naturis jam conditis res aliae producuntur; quam operationem in rebus omnibus Deus usque nunc facit. Joan. 5, 17: pater meus usque modo operatur, et ego operor.

Réponse. Comme le dit le Maître, sur ce point, notre traduction est en désaccord avec une autre qu’explique Augustin. En effet, dans notre traduction, l’achèvement des œuvres est attribué au septième jour, mais dans l’autre, au sixième jour. Mais les deux peuvent être comporter de la vérité, soit qu’on comprenne que le septième jour suit les six autres selon une succession temporelle, comme d’autres saints le veulent, soit qu’on affirme que sept jours, comme le veut Augustin, sont un seul jour présenté sept fois, c’est-à-dire la connaissance angélique. En effet, en parlant comme Augustin, il faut distinguer une double perfection dans une chose. L’une est la perfection de la totalité, qu’une chose possède du fait qu’elle est constituée de toutes ses parties essentielles. Une telle perfection du monde convient au sixième jour, car, après les six premiers jours, n’est ajoutée au monde aucune créature, qui ne se trouverait pas déjà d’une certaine manière dans les œuvres des six jours, comme on le montrera. Mais une autre perfection d’une chose vient de sa fin, qui est la perfection ultime. Une telle perfection ne revient au monde qu’au septième jour, où Dieu se reposa de toutes ses œuvres en lui-même comme dans la fin. Mais, en suivant d’autres saints, il faut distinguer à nouveau une double perfection. L’une est la perfection première qu’une chose possède selon son être ; cette perfection du monde a été achevée le sixième jour, car n’a été ajoutée par la suite aucune partie du monde qui n’ait précédé de quelque manière dans les premiers six jours. L’autre est la perfection seconde, qui est l’opération d’une chose, comme on le dit dans Sur l’âme, II. Une telle perfection existait au septième jour, car, après qu’eut cessé l’opération par laquelle Dieu a instauré la nature, a commencé l’opération de la reproduction dans tout l’univers, selon laquelle d’autres choses sont produites à partir des natures déjà créées, opération que Dieu accomplit dans les choses jusqu’à maintenant. Jn 5, 17 : Mon Père agit jusqu’à la fin du monde, et moi aussi j’agis.

 

[4826] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod senarius numerus ratione partium perfectus dicitur, quia ex omnibus partibus ejus aliquoties aggregatis consurgit; et ideo perfectio senarii congruit illi perfectioni mundi quae consistit in totalitate partium quantum ad esse primum; et sicut partes aliquotae senarii ordinatim et continue sibi succedunt sine alterius numeri interpositione, scilicet unum, duo, tria: ita etiam in productione partium universi, ordo servatus est, ut post productionem primae partis statim narraretur productio secundae partis, et sic deinceps usque ad sextam.

1. Le nombre six est appelé parfait en raison de ses parties, car il vient de l’assemblage aléatoire de toutes ses parties. Aussi la perfection du nombre six convenait-elle à la perfection du monde qui consiste dans la totalité des parties par rapport à l’être premier. Et de même que toutes les parties du nombre six – un, deux, trois ‑ se succèdent dans l’ordre et de manière continue sans intervention d’un autre nombre, de même aussi, dans la production des parties de l’univers, l’ordre a été préservé, de sorte qu’après la production de la première partie, soit aussitôt rapportée la production de la deuxième partie, et ainsi de suite jusqu’à la sixième.

 

[4827] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod consummatio operum intelligitur secundum aliquid perfectionis ipsis rebus collatum quod est ipsa operatio, per quam natura propagatur. Haec autem operatio est a Deo, et a virtute creaturae: et ideo Deus dicitur consummasse opus cujus virtute natura mota in operationem exit. Nec tamen aliquid novum in natura efficitur; quia operatio consequitur ex virtute naturae, prius rebus collata. Consummatio autem, quae est ex parte finis, non est secundum aliquid additum in re.

2. L’achèvement des œuvres s’entend d’un élément de la perfection donné aux choses: leur opération, par laquelle la nature est propagée. Or, cette opération vient de Dieu et de la puissance de la créature. C’est pourquoi on dit que Dieu, par la puissance de qui la nature passe à l’action, a achevé son œuvre. Cependant, rien de nouveau n’est réalisé dans la nature, car l’opération découle de la puissance de la nature d’abord donnée aux choses. Mais l’achèvement qui vient de la fin ne se réalise pas par un ajout dans la chose.

 

[4828] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus non dicitur cessare ab operatione nisi ex parte effectus consequentis: ipse enim non agit aliqua operatione media, vel intrinseca vel extrinseca, quae non sit sua essentia: quia suum velle est suum facere, et suum velle est suum esse. Nec tamen ab aeterna operatione sequitur effectus nisi secundum determinationem voluntatis, ut prius dictum est: unde dicitur incipere operari vel ab operatione cessare ex parte effectus.

3. On dit que Dieu cesse d’agir seulement du point de vue de l’effet qui en découle. En effet, il n’agit pas par l’intermédiaire d’une opération, intrinsèque ou extrinsèque, qui n’est pas son essence, car son vouloir est son faire, et son vouloir est son être. Toutefois, l’effet ne découle de l’opération éternelle que selon une détermination de la volonté, comme on l’a dit antérieurement. Aussi dit-on qu’il commence à agir ou cesse d’agir du point de vue de l’effet.

 

[4829] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut influentia solis per irradiationem est semper, quamdiu aer illuminatur, ut possit dici semper sol facit lumen in aere; ita divina bonitas semper esse rebus influit; non aliud et aliud, sed unum et idem. Nec tamen res dicuntur semper fieri vel creari vel institui apud nos; sed tunc cum primo esse acceperint: et ideo dicitur, quod cessat creare vel facere mundum.

4. De même que l’influence du soleil s’exerce toujours par l’irradiation, aussi longtemps que l’air est illuminé, de sorte qu’il est possible de dire que le soleil produit la lumière dans l’air, de même la bonté divine fait-elle toujours se répandre l’être dans les choses ; non pas un autre [être], puis un autre, mais un seul et même. Cependant, on ne dit pas que les choses sont toujours faites, créées ou instaurées pour nous, mais au moment où elles ont d’abord reçu l’être. Aussi dit-on que [Dieu] cesse de créer ou de faire le monde.

 

[4830] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod conservatio rerum in esse, nihil aliud est quam influentia esse rei, secundum quod dictum est, scilicet quod Deus, quamdiu res est, causat et efficit esse rei: nec tamen talis conservatio repugnat praedictae cessationi; quia esse rei consequitur principia essentialia, sicut operatio virtutem.

5. La conservation des choses dans l’être n’est rien d’autre que l’écoulement de l’être dans la chose selon ce qu’on a dit, à savoir que Dieu, aussi longtemps qu’existe une chose, cause et réalise l’être de la chose. Toutefois, une telle conservation ne s’oppose pas à la cessation mentionnée, car l’être d’une chose découle de ses principes essentiels, comme l’opération [découle] d’une puissance.

 

[4831] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod dies ille septimus praecesserat, secundum similitudinem ad minus, in primis sex diebus: et praeterea esse diei causatur a principiis naturalibus, prius naturae collatis, quia motus est causa temporis. Vel est idem dies cum praecedentibus, secundum Augustinum.

6. Ce septième jour avait précédé, tout au moins par sa ressemblance, au cours des six premiers jours ; de plus, l’être du jour est causé par ses principes naturels, conférés antérieurement à la nature, car le mouvement est la cause du temps. Ou bien c’est le même jour que les précédents, selon Augustin.

 

[4832] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod illae novae species producuntur ex virtute caelesti; quae tenet locum virtutis formativae, in animalibus ex putrefactione generatis: et ideo istae species fuerunt productae in operibus sex dierum in suis principiis, scilicet materia, et in rationibus seminalibus, sicut etiam alia quae per operationem naturae producuntur.

7. Ces nouvelles espèces sont produites par la puissance céleste, qui tient lieu de puissance formatrice, chez les animaux engendrés par la putréfaction. Aussi ces espèces ont-elles été produites en leurs príncipes dans les œuvres des six jours, à savoir la matière et les raisons séminales, comme les autres choses qui sont produites par l’opération de la nature.

 

[4833] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod nihil facit Deus in creatura quod aliquo modo in primis diebus non praecesserit: sed diversimode. Quaedam enim fuerunt in operibus sex dierum ut in principiis activis et materialibus, et secundum similitudinem speciei, ut ea quae generantur ex sibi similibus in natura: quaedam vero sicut in principiis activis et materialibus, sed non secundum similitudinem speciei, sicut quaedam animalia ex putrefactione generata: quaedam vero sicut ex principiis disponentibus et non activis, et secundum similitudinem speciei, sicut anima rationalis: quaedam vero ut in potentia obedientiae tantum, sicut ea quae per miraculum fiunt.

8. Dieu ne fait rien dans la créature, qui n’ait d’une certaine manière précédé dans les premiers jours, mais d’une manière différente. En effet, certaines choses se trouvaient dans les œuvres des six jours comme dans leurs principes actifs et matériels, et selon la ressemblance de l’espèce, comme celles qui sont engendrées par la nature à partir de choses semblables. Certaines choses [se trouvaient] toutefois dans leurs principes actifs et matériels, mais non pas selon la ressemblance de l’espèce, comme certains animaux engendrés par la putréfaction. Mais certaines choses [se trouvaient] dans des principes qui disposaient mais n’étaient pas actifs, et selon la ressemblance de l’espèce, comme l’âme raisonnable. Certaines enfin [se trouvaient] comme en puissance d’obéir seulement, comme celles qui viennent d’un miracle.

 

 

 

 

Articulus 2 [4834] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 tit. Utrum Deus convenienter dicatur quievisse septima die

Article 2 – Est-ce qu’on dit de Dieu de manière appropriée qu’il s’est reposé le septième jour ?

 

[4835] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter dicatur Deus die septima requievisse. Opposita enim nata sunt fieri circa idem. Sed quies opponitur motui. Ergo cum Deus non moveatur, Jac. 1, 17, apud quem non est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio, videtur quod nec possit dici quiescere.

1. Il semble qu’on dise de Dieu de manière inappropriée qu’il s’est reposé le septième jour. En effet, les choses opposées sont destinées à se réaliser dans une même réalité. Or, le repos est opposé au mouvement. Puisque Dieu ne se meut pas, Jc 1, 17 : En qui il n’y a pas de changement ni l’ombre d’une variation, il semble donc qu’on ne puisse pas non plus dire qu’il se repose.

 

[4836] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 2 Si dicatur quod quies dicitur de Deo non secundum quod opponitur motui, sed secundum quod opponitur labori; contra. Secundum philosophum in 7 et 10 Ethicor., operatio cui non adjungitur motus, est secundum se delectabilis, et nullo modo laboriosa: quia labor in operatione causatur ex motu innaturali. Sed operatio Dei est omnino sine motu, quia immobilis manens dat cuncta moveri, ut dicit Boetius. Ergo nullus labor sibi accidit in hoc quod res creavit: ergo nec quies quae opponitur labori, sibi convenit.

2. On parle de repos pour Dieu, non pas par opposition au mouvement, mais par opposition à l’effort. En sens contraire, selon le Philosophe, Éthique, VII et X, une opération à laquelle un mouvement n’est pas associé est en elle-même délectable et nullement laborieuse, car l’effort dans l’opération est causé par un mouvement qui n’est pas naturel. Or, l’opération de Dieu se réalise sans aucun mouvement, car « en demeurant immobile, il donne à toutes choses d’être mues », comme le dit Boèce. Aucun effort ne survient donc en lui du fait qu’il a créé les choses et donc, le repos qui s’oppose à l’effort ne lui convient pas non plus.

 

[4837] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 3 Si dicatur quod Deus dicitur requievisse inquantum facit nos in se requiescere; sicut dicitur cognoscere aliquid, quando facit nos illud cognoscere, ut Genes. 22, 12, dicit Abrahae: nunc cognovi quod timeas Deum: contra. Requies septimae diei condividitur contra operationem sex dierum. Sed in sex diebus dicitur Deus fecisse quia ipsemet fecit, non quia fecit nos facere. Ergo et in septima die ipsemet requievit, non solum fecit nos requiescere.

3. Si on dit que Dieu s’est reposé pour autant qu’il nous fait nous reposer en lui, comme on dit qu’il connaît quelque chose lorsqu’il nous le fait connaitre – ainsi en Gn 22, 12, il dit à Abraham : Maintenant je sais que tu crains Dieu ‑, on dira en sens contraire que le repos du septième jour est distinct de l’opération des six jours. Or, pendant les six jours, on dit que Dieu a réalisé parce qu’il a lui-même réalisé, et non parce qu’il nous a fait réaliser. Il s’est donc lui-même reposé le septième jour, et il n’a pas fait seulement que nous nous reposions.

 

[4838] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 4 Si dicatur, quod Deus quievisse dicitur sicut voluntas quiescit in fine; contra. Sicut quies corporis opponitur motui ejus, ita quies voluntatis opponitur motui ejus, ut utrumque per similitudinem de voluntate dicatur. Sed motus voluntatis non potest esse nisi secundum quod procedit de his quae sunt ad finem in finem ipsum. Cum igitur talis motus Deo non conveniat, qui ex rebus aliis nec in sui cognitionem, nec in sui amorem venit, videtur quod nec quies voluntatis sibi convenire possit.

4. Si on dit que Dieu s’est reposé comme la volonté se repose dans la fin, on dira en sens contraire que, de même que le repos du corps s’oppose à son mouvement, de même le repos de la volonté s’oppose à son mouvement, de sorte que les deux choses se disent de la volonté par similitude. Or, le mouvement de la volonté ne peut exister que parce qu’elle passe de ce qui est ordonné à la fin à la fin elle-même. Puisqu’un tel mouvement ne convient pas à Dieu, qui ne parvient pas à la connaissance de lui-même ni à l’amour de lui-même à partir d’autres choses, il semble que le repos de la volonté ne puisse non plus lui convenir.

 

[4839] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, ea quae sunt aeterna non convenienter connumerantur inter ea quae ex tempore inceperunt. Sed quies voluntatis divinae in suo fine est aeterna. Ergo inconvenienter dies quietis divinae connumeratur diebus creationis rerum, quae ex tempore inceperunt.

5. Ce qui est éternel n’est pas compté avec ce qui a commencé dans le temps. Or, le repos de la volonté divine dans sa fin est éternel. Le jour du repos de Dieu est donc compté de manière inappropriée avec les jours de la création des choses, qui ont commencé dans le temps.

 

[4840] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 6 Praeterea, finis divinae voluntatis non est aliud a Deo. Si igitur intelligitur requievisse propter voluntatem quiescentem in fine, videtur inconvenienter dici in die septima requievisse, cum dies septima creatura sit.

6. La fin de la volonté n’est rien d’autre que Dieu. Si donc on comprend qu’il s’est reposé parce que sa volonté se repose dans sa fin, il semble qu’on dise de manière inappropriée qu’il s’est reposé le septième jour, puisque le septième jour est une créature.

 

[4841] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 7 Si dicatur, quod non requievit in die septima sicut in objecto quietis, sed sicut in tempore quietis; contra. Illud quod est aeternum, non est in tempore, sed supra tempus. Sed quies divinae voluntatis est aeterna. Igitur non est in septima die sicut in tempore.

7. Si on dit que, le septième jour, il ne s’est pas reposé dans l’objet de son repos, mais pour une période de repos, on dira en sens contraire que ce qui est éternel n’existe pas dans le temps, mais au-dessus du temps. Or, le repos de la volonté divine est éternel. Il n’existe donc pas le septième jour comme pour un temps.

 

[4842] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 8 Praeterea, sicut quies Dei qua in se quiescit, non habet finem, ita non habet principium. Sed sicut vesperum est finis diei, ita mane est principium ejus. Ergo dies septima, si dicto modo accipiatur quies, non debet habere mane, sicut nec habet vespere. Ergo cum assignetur sibi mane, non potest dici Deum die septima modo praedicto quievisse.

8. De même que le repos par lequel Dieu se repose en lui-même n’a pas de fin, de même n’a-t-il pas de commencement. Or, de même que le soir est la fin du jour, de même le matin en est-il le commencement. Si le repos est entendu de la manière dite, le septième jour ne doit donc pas avoir de matin, de même qu’il n’a pas de soir. Puisqu’un matin lui est attribué, on ne peut donc pas dire que Dieu s’est reposé le septième jour de la manière dite.

 

[4843] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Deuter. 32, 4, Dei perfecta sunt opera. Sed omnis artifex perfecto opere suo quiescit. Ergo Deo post naturae institutionem, quae fuit in sex diebus, quies die septima convenit.

Cependant, [1] Dt 32, 4 dit en sens contraire : Les œuvres de Dieu sont parfaites. Or, tout artisan se repose une fois son œuvre achevée. Le repos convient donc à Dieu le septième jour, après l’instauration de la nature qui s’est réalisée en six jours.

 

[4844] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, homo bene dispositus dicitur ex operibus suis in Deo requiescere, quia opera sua ad Dei bonitatem refert. Cum ergo Deus omnia propter bonitatem suam operetur, ut dicit Augustinus, et dictum est in prima distinct. 2 Lib., videtur quod sibi conveniat ex his quae fecit, in seipso requiescere.

[2] On dit de l’homme bien disposé qu’il se repose de ses œuvres en Dieu, car il met ses œuvres en rapport avec la bonté de Dieu. Puisque Dieu accomplit tout en raison de sa bonté, comme le dit Augustin et comme on l’a dit dans la première distinction du livre II, il semble donc qu’il lui convienne de se reposer de ce qu’il a accompli.

 

[4845] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quies, proprie loquendo, motui opponitur. Quia vero motus causat laborem in operationibus nostris, ut dicit philosophus inde consecutum est ut quies labori opponatur; et ex duabus significationibus quietis transumptae sunt aliae duae: quia enim nostris operationibus motus adjungitur, inde in usum venit ut omnis operatio motus dicatur, quamvis improprie; et secundum hoc omnis cessatio a quacumque operatione quies dicitur; et haec significatio transumitur a prima. Sed quia nihil laborat nisi ex hoc quod a perfectione propriae naturae distat, ut patet in motibus violentis; inde est ut in illo res quiescere dicatur in quo sufficientiam invenit; et secundum hunc modum voluntas quiescit in ultimo fine: et haec significatio quietis transumitur a secunda. Constat ergo quod Deo non potest quies attribui quantum ad primam vel secundam significationem, sed quantum ad tertiam vel quartam potest. Sed quantum ad tertiam sciendum, ut ex praecedenti articulo patet, quod Deus ab operatione cessare non dicitur quasi ipsa operatio qua operatur, deficiat, cum sua operatio sit essentia ejus; sed ratione effectus hoc dicitur, quia operatione aeterna facit ut aliquis effectus temporaliter sit. Nec sic tamen ex parte effectus operatio ejus cessare dicitur die septima, quasi nihil in rebus fecerit postea, vel saltem in die septima: quia si operatio ejus in creatura vel ad momentum cessaret, creatura esse desineret, ut dicit Augustinus. Sed sic dicitur ab opere cessasse die septima, quia a die septima deinceps novam creaturam non fecit quae non aliquo modo in operibus sex dierum praecesserit, ut supra dictum est. Sed quantum ad quartum notandum, quod quies voluntatis divinae in fine, potest accipi dupliciter. Vel absolute, secundum quod in seipso sufficientiam invenit; et sic quies aeterna est. Alio modo potest intelligi per relationem ad creaturam, secundum quod creatura Deo placet: non tamen ita ut ea indigeat, quasi in ea sufficientiam suae beatitudinis inveniens; sed eam ad seipsum ordinans, in seipso sufficientiam invenit: et sic quiescere dicitur Deus proprie a rebus conditis: quod non potest intelligi nisi rebus jam conditis, quod est post senarium diem: et ita quies Dei, secundum duas ultimas acceptiones, convenienter septimo diei ascribitur.

Réponse. À proprement parler, le repos s’oppose au mouvement. Mais parce que le mouvement cause l’effort dans nos opérations, comme le dit le Philosophe, il en découle que le repos s’oppose à l’effort. Et à partir de ces deux significations du repos, les deux autres ont été transposées. En effet, parce que le mouvement est associé à nos opérations, on a pris l’habitude de dire que toute opération est un mouvement, bien que de manière impropre. Pour cette raison, toute cessation de n’importe quelle opération est-elle appelée un repos : cette signification est transposée à partir de la première. Mais parce que rien ne fournit d’effort que parce qu’il est éloigné de sa propre perfection, comme cela ressort pour les mouvements violents, de là vient qu’on dit d’une chose qu’elle se repose dans ce où elle trouve ce qui lui suffit. De cette manière, la volonté se repose dans sa fin ultime : cette signification du repos est transposée à partir de la seconde [manière d’entendre le repos]. Il est donc clair qu’on ne peut attribuer de repos à Dieu selon la première et la deuxième signification, mais qu’on le peut selon la troisième et la quatrième. En ce qui concerne la troisième signification, comme cela ressort de l’article précédent, il faut savoir qu’on ne dit pas de Dieu qu’il cesse d’agir comme si l’opération par laquelle il agit était déficiente, puisque son opération est son essence, mais on dit cela en raison de l’effet, parce qu’il fait, par une opération éternelle, qu’un effet existe temporellement. Cependant, on ne dit pas que son opération cesse du point de vue de son effet, comme s’il n’accomplissait rien dans les choses par la suite ou tout au moins le septième jour, car « si son opération dans la créature ne cessait qu’un moment, la créature cesserait d’être », comme le dit Augustin. Mais on dit de [Dieu] qu’il a cessé le septième jour parce que, à partir du septième jour, il n’a pas fait de créature nouvelle par la suite, qui n’ait pas précédé de quelque manière dans les œuvres des six jours, comme on l’a dit plus haut. Pour ce qui est de la quatrième signification, il faut remarquer que le repos de la volonté divine dans la fin peut être entendu de deux manières. Soit absolument, selon qu’il trouve en lui-même ce qui lui suffit, et ainsi le repos est éternel ; d’une autre manière, on peut l’entendre en relation avec la créature, selon que la créature plaît à Dieu, non pas cependant qu’il en ait besoin, comme s’il trouvait en elle ce qui suffit à sa béatitude, mais en l’ordonnant à lui-même, il trouve en lui-même ce qui lui suffit. Ainsi, on dit que Dieu se repose au sens propre de ce qu’il a accompli, ce qu’on ne peut entendre que des choses qui ont déjà été réalisées, c’est-à-dire après les six jours. Et ainsi, le repos de Dieu est attribué de manière appropriée au septième jour, selon les deux dernières acceptions.

 

[4846] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 1 Primum ergo et secundum concedimus: quia Deo non attribuitur quies opposita motui vel labori.

1-2. Nous concédons le premier et le deuxième argument, car on n’attribue pas à Dieu le repos opposé au mouvement ou à l’effort.

 

[4847] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 3 Tertium similiter concedimus: quia non solum illo modo dicitur Deus quievisse septima die; sed ut dictum est, aliis modis.

3. Nous concédons aussi le troisième argument, car on ne dit pas de Dieu qu’il s’est reposé de cette manière le septième jour seulement, mais, comme on l’a dit, des autres manières.

 

[4848] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod motus voluntatis divinae metaphorice dicitur, non ex hoc quod voluntas ejus finem consequatur per aliqua media, sed quia ea quae ab ipso sunt, in seipsum ordinat.

4. On parle de mouvement de la volonté divine en un sens métaphorique, non pas parce que sa volonté atteint sa fin par des moyens, mais parce qu’il ordonne à lui-même ce qui vient de lui.

 

[4849] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis Deus ab aeterno in seipso quieverit, non tamen quievit a creaturis conditis in seipso; sed solum quievit sic, quando jam creaturae fuerant conditae.

5. Bien que Dieu se soit reposé en lui-même depuis l’éternité, il ne s’est cependant pas reposé en lui-même des créatures réalisées, mais il s’est reposé de cette manière seulement lorsque les créatures eurent été réalisées.

 

[4850] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod dies septimus nullo modo ponitur ut objectum quietis. Sed vel secundum Augustinum Deus dicitur in septimo die quievisse inquantum quietem propriam, qua in seipso a rebus conditis quiescit, naturae angelicae monstravit; cujus cognitionem diem appellat: vel, secundum alios sanctos, dies septima significat tempus quoddam, non ita quod quies divina tempore mensuretur, sed quia simul cum tempore est; per quem modum verba temporalia de Deo dicuntur.

6. Le septième jour n’est aucunement donné comme l’objet du repos. Mais, selon Augustin, on dit de Dieu qu’il s’est reposé le septième jour au sens où il a manifesté à la nature angélique son propre repos, par lequel il s’est reposé en lui-même des choses réalisées ; Augustin appelle « jour » cette connaissance. Ou bien, selon d’autres saints, le septième jour signifie un certain temps, non pas que le repos de Dieu soit mesuré par le temps, mais parce qu’il existe en même temps que le temps, manière dont on applique à Dieu les verbes temporels.

 

[4851] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 7 Unde patet responsio ad septimum.

7. Ainsi ressort la réponse au septième argument.

 

[4852] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod quamvis quies Dei principium non habeat, tamen quies creaturae a Deo, secundum quod in eo stabilitur, principium habet, sed non finem: quia qualitercumque creatura mutetur, nunquam in non ens simpliciter cedit; ut dicit Augustinus. Vel aliter dicendum, quod etiam ipsa quies qua Deus quiescit, quodammodo principium habet, non inquantum quiescit in seipso absolute, sed inquantum quiescit in seipso a rebus conditis, eis non egendo: quod tamen finem non habet, quia eis nunquam egebit: et ideo dies septima habet mane, sed non vespere.

8. Bien que le repos de Dieu n’ait pas de commencement, le repos de la créature qui vient de Dieu, selon qu’elle est affermie en lui, a un commencement, mais pas de fin, car, quel que soit le changement de la créature, elle ne tombe jamais dans le néant, comme le dit Augustin. Ou bien il faut parler autrement : même le repos dont Dieu se repose a, d’une certaine manière, un commencement, non pas en tant qu’il se repose en lui-même de manière absolue, mais en tant qu’il se repose en lui-même des choses réalisées sans qu’il en ait besoin ; [ce repos] n’a cependant pas de fin, car [Dieu] n’aura jamais besoin d’elles. Ainsi, le septième jour possède un matin, mais non un soir.

 

 

 

 

Articulus 3 [4853] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 tit. Utrum Deus debuerit sanctificare septimum diem prae aliis

Article 3 – Dieu devait-il sanctifier le septième jour plutôt que les autres ?

 

[4854] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod diem septimum Deus prae aliis sanctificare non debuit. Operatio enim nobilior est otio, ut dicitur 10 Ethic.: unde non in otio, sed in operatione felicitas consistit. Sed sex diebus Deus operatus est, septima vero die ab opere cessavit. Ergo sextam diem potius quam septimam sanctificare debuit.

1. Il semble que Dieu ne devait pas sanctifier le septième jour plutôt que les autres. En effet, l’opération est plus noble que le loisir, comme on le dit dans Éthique, X ; aussi la félicité ne consiste-t-elle pas dans le loisir, mais dans une opération. Or, Dieu a travaillé pendant six jours, mais il a cessé de travailler le septième. Il devait donc sanctifier le sixième jour plutôt que le septième.

 

[4855] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, sanctificatio et benedictio congrue bonitati respondet. Sed bonum est communicativum sui, ut dicit Dionysius. Cum ergo Deus in sex diebus bonitatem suam communicaverit, res in esse producendo, videtur quod eisdem sex diebus magis quam septimae sanctificatio competat.

2. La sanctification et la bénédiction correspondent à la bonté de manière appropriée. Or, le bien se communique de lui-même, comme le dit Denys. Puisque Dieu a communiqué sa bonté pendant six jours en amenant les choses à l’être, il semble donc que la sanctification convienne plutôt aux six jours qu’au septième.

 

[4856] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, ut dicit Rabbi Moyses observatio sabbati in lege fuit instituta, ut in fide populi firmiter permaneret novitas mundi, ex qua facillima probatio sumitur ad ostendendum Deum esse, et omnipotentiam ejus, et alia hujusmodi. Sed secundum apostolum Rom. 1, per ea quae facta sunt, in invisibilia Dei devenimus. Ergo potius sex dies in quibus creaturae factae sunt, sanctificari deberent, quam dies septima.

3. Comme le dit le rabbin Moïse, l’observance du sabbat a été établie par la loi afin que la grandeur du monde demeure solidement dans la foi du peuple ; d’elle est tirée la démonstration la plus facile de l’existence de Dieu, de sa toute-puissance et des autres choses de ce genre. Or, selon l’Apôtre, Rm 1, nous parvenons à ce qui est invisible en Dieu à partir de ce qui a été créé. Les six jours pendant lesquels les créatures ont été réalisées devraient donc être sanctifiés plutôt que le septième jour.

 

[4857] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, ei cui nihil decrescit in operando aliquid exterius, non est acceptior quies quam operatio. Sed Deo nihil decrescit in faciendo creaturas: quia faciendo non laborat, ut dictum est, neque virtus ejus exhauritur, quin semper in infinita possit; nec intellectus ejus distrahitur, quin semper in sui contemplatione perfecte maneat. Ergo non debuit magis sanctificare diem quietis quam dies in quibus operatus est.

4. Pour celui qui ne perd rien en réalisant quelque chose d’extérieur, le repos n’est pas davantage bienvenu que l’opération. Or, Dieu ne perd rien en réalisant les créatures, car il ne fait pas d’effort en [les] réalisant, ainsi qu’on l’a dit, et sa puissance n’est pas épuisée, de sorte qu’elle peut continuer à l’infini ; son intelligence non plus n’est pas distraite, de sorte qu’il peut demeurer parfaitement dans la contemplation de lui-même. [Dieu] ne devait donc pas sanctifier le jour du repos plutôt que les jours pendant lesquels il a travaillé.

 

[4858] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 arg. 5 Praeterea, magis indicat divinam potentiam operatio qua Deus operatur instituendo naturam, quam illa qua operatur in natura operante ad naturae propagationem. Sed in primis sex diebus Deus operatus est, naturam instituendo nullo mediante; in septima vero die et deinceps operatus est, naturam conservando et movendo in motibus naturae, et principiis. Ergo senarius dierum magis manifestat divinam potentiam quam dies septimus, et ita magis sanctificari debuit.

5. L’opération par laquelle Dieu agit pour instaurer la nature manifeste davantage sa puissance, que celle par laquelle il agit dans la nature, qui agit en vue de diffuser la nature. Or, pendant les six premiers jours, Dieu a agi en instaurant la nature sans intermédiaire ; mais, le septième jour et par la suite, il a agi en conservant la nature et la mouvant selon les mouvements et les principes de la nature. Les six jours manifestent donc davantage la puissance divine que le septième jour, et ainsi ils devaient plutôt être sanctifiés.

 

[4859] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed contra, sanctificatio et benedictio bonitati debetur. Sed bonum, secundum philosophum in 3 Metaph., dicitur ex ratione finis. Cum igitur perfectio rerum quae est ex ordine ad finem debeatur diei septimo, ille dies prae aliis sanctificari et benedici debuit.

Cependant, [1] la sanctification et la bénédiction sont dues à la bonté. Or, selon le Philosophe, Métaphysique, III, on parle du bien en raison de la fin. Puisque la perfection des choses qui vient du rapport à la fin est due au septième jour, ce jour devait donc être sanctifié et béni plus que les autres.

 

[4860] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, vita contemplativa activae praefertur. Unde Luc. 10, 43: optimam partem elegit sibi Maria, per quam vita contemplativa signatur. Sed senarius dierum attribuitur actioni, qua Deus res produxit; septimus autem quieti divinae contemplationis, qua seipso Deus perfruitur. Ergo sanctificatio et benedictio praecipue diei septimae debetur.

[2] La vie contemplative se situe au-dessus de la vie active. Aussi est-il dit en Lc 10, 43 : Marie a choisi pour elle-même la meilleure part, par quoi est indiquée la vie contemplative. Or, les six jours sont consacrés à l’action, par laquelle Dieu a produit les choses ; mais le septième, au repos de la contemplation divine, par laquelle Dieu jouit de lui-même. La sanctification et la bénédiction sont donc dues principalement au septième jour.

 

[4861] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod septimae diei duo attribuuntur; scilicet consummatio operum et quies opificis. Quantum vero ad primum, debetur diei septimae benedictio: quia secundum Gregorium benedictio Dei significat collationem donorum ejus et multiplicationem eorumdem. Multiplicatio autem creaturarum praesupponit duplicem perfectionem rerum; unam scilicet qua universum perfectum est, ex omnibus suis partibus essentialibus constans; unde philosophus in 4 Meteor. dicit, quod perfectum est unumquodque quando potest facere alterum quale ipsum est; et aliam, qua scilicet universum perfectum est ex ordine ad finem: quia multiplicatio creaturarum per generationem est ad hoc ut divinum esse quantum possunt participent, ut in 2 de Generat. dicitur. Omnis etiam creaturae operatio naturalis ad finem ordinata est; et ideo benedictio diei septimae debetur, in qua post perfectionem primam universi, quae sexto die completa est, etiam in ordine ad finem universum perfectum est. Sed quantum ad secundum, quod est quies opificis, debetur diei septimae sanctificatio. In sacra enim Scriptura sanctificatio interdum dicitur ex hoc quod aliquid ad cultum Dei dedicatur: sic enim dicitur tabernaculum sanctificari, et vasa ejus et ministri; et ita etiam dies septimus sanctificatus est, idest ad cultum Dei dedicatus est; ut sicut scilicet Deus, qui res condidit, non in ipsis rebus conditis quasi in fine quievit, sed a rebus conditis in seipso in quo beatitudo sua consistit: cum non sit beatus ex hoc quod res fecerit sed quod factis non eget, in seipso sufficientiam habens: ita etiam et nos non in operibus ejus aut in operibus nostris discamus quiescere sicut in fine; sed ab operibus in ipso Deo in quo beatitudo nostra consistit: propter hoc enim institutum est ut homo sex diebus laborans in operibus propriis, septimo die quiesceret, ejus cultui vacans. Haec autem quies in Deo Christianis non ad tempus, sed perpetuo indicitur, quibus indicitur sine intermissione orare, 1 Thessal. 5. Et ideo illa temporalis observatio in lege nova cessavit.

Réponse. Deux choses sont attribuées au septième jour : l’achèvement des œuvres et le repos de l’artisan. Pour ce qui est du premier point, la bénédiction est due au septième jour, car, selon Grégoire, la bénédiction de Dieu signifie l’octroi de ses dons et leur multiplication. Or, la multiplication des créatures présuppose une double perfection des choses. L’une, par laquelle l’univers est achevé, constitué de toutes ses parties essentielles. Aussi le Philosophe dit-il, Météores, IV, que chaque chose est parfaite lorsqu’elle peut en faire une autre semblable à elle. L’autre [perfection], par laquelle l’univers est parfait par rapport à sa fin, car la multiplication des créatures se réalise par la génération pour qu’elles participent le plus possible à l’être de Dieu, comme il est dit dans Sur la génération, II. L’opération naturelle de toute créature a aussi été ordonnée à la fin. C’est pourquoi la bénédiction est due au septième jour où, après la perfection première de l’univers, qui a été achevée le sixième jour, l’univers a aussi été achevé par rapport à sa fin. Pour ce qui est du second point, qui est le repos de l’artisan, la sanctification est due au septième jour. En effet, dans la Sainte Écriture, on parle parfois de sanctification pour ce qui est dédié au culte de Dieu. On dit ainsi que le tabernacle a été sanctifié, ses vases et ses ministres. Le septième jour a aussi été sanctifié de cette manière, c’est-à-dire dédié au culte de Dieu, à la manière dont Dieu, qui a fait les choses, ne s’est pas reposé dans ce qu’il a accompli comme dans sa fin, mais, à partir de ce qu’il a réalisé, [s’est reposé] en lui-même, en qui consiste sa béatitude, puisqu’il n’est pas bienheureux du fait qu’il a réalisé les choses, mais du fait que, n’ayant pas besoin des choses réalisées, il possède en lui-même ce qui lui suffit. Ainsi, apprenons-nous nous-mêmes à ne pas nous reposer comme dans la fin dans ses œuvres ou dans nos œuvres, mais, à partir des œuvres, en Dieu lui-même, en qui consiste notre béatitude. C’est pour cette raison qu’il a été établi que l’homme, après s’être adonné pendant six jours à ses propres œuvres, se reposerait le septième jour en s’adonnant au culte [de Dieu]. Or, ce repos en Dieu a été prescrit aux chrétiens, non pas de manière temporaire, mais à perpétuité, eux à qui il a été prescrit de prier sans cesse, 1 Th 5. C’est la raison pour laquelle cette observance a cessé sous la loi nouvelle.

 

[4862] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod felicitas Dei non consistit in operatione qua creaturas condidit, sed in operatione qua seipso perfruitur, creaturis non egens; et haec operatio ad quietem septimae diei pertinet.

1. La félicité de Dieu ne consiste pas dans l’opération par laquelle il a fait les créatures, mais dans l’opération par laquelle il jouit de lui-même, sans avoir besoin des créatures. Cette opération relève du repos du septième jour.

 

[4863] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis bonitas Dei manifestetur in hoc quod esse communicavit rebus per creationem, tamen perfectio bonitatis ostenditur in hoc quod rebus conditis Deus non eget, sed in seipso sufficientiam habet.

2. Bien que la bonté de Dieu se manifeste par le fait qu’il ait communiqué l’être aux choses par la création, la perfection de sa bonté se manifeste cependant dans le fait qu’il n’a pas besoin des choses réalisées, mais qu’il se suffit à lui-même.

 

[4864] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod creaturae sunt sicut via, per quam devenitur in cognitionem creatoris. Perfectio autem non consistit in via, sed in termino viae. Unde non debet sanctificari dies in quo creaturae sunt conditae, sed dies in quo sicut in fine quiescit.

3. Les creatures sont comme le chemin par lequel on parvient à la connaissance du Créateur. Or, la perfection ne consiste pas dans le chemin, mais dans le terme du chemin. Aussi le jour où les créatures ont été faites ne doit-il pas être sanctifié, mais le jour où l’on se repose comme dans la fin.

 

[4865] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis per operationem qua res in esse producit, nihil Deo decrescat; tamen hoc potius apud eum est quod aliis non eget, in seipso quiescens, quam quod alia facit; et ideo dies quietis magis benedicitur quam dies productionis creaturae.

4. Bien que Dieu ne perde rien par l’opération par laquelle il amène les choses à l’être, il lui revient cependant davantage de ne pas avoir besoin des autres choses, en se reposant en lui-même, que de faire d’autres choses. C’est pourquoi le jour du repos est béni, plutôt que les jours où la créature est réalisée.

 

[4866] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Deus eadem virtute qua esse rebus tribuit, eas in esse proprio conservat. Unde non magis ostendit divinam potentiam productio creaturarum quam earum conservatio.

5. Dieu conserve les choses dans leur être propre par la même puissance par laquelle il donne l’être aux choses. Aussi la production des créatures ne montre-t-elle pas davantage la puissance divine que leur conservation.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 15

 

[4867] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 expos. Jumenta et reptilia et bestias. Quid sit reptile, dictum est, qu. 2, art. 2. Jumenta vero dicuntur quae adjutorium homini conferunt, praecipue vehendo ipsum ut equi vel asini et hujusmodi. Bestiae dicuntur propter crudelitatem, quasi vastiae, ut leones et ursi: et hujusmodi creata non fuerunt nisi potentialiter et materialiter, ut intelligatur tam de potentia activa, quam de materiali. Quia non potuit simul ab homine dici quod a Deo simul potuit fieri. Videtur hoc nihil esse, quia licet non potuerit simul pronuntiare, potuit tamen dicere, ea quae successive narrabat, simul esse facta. Sed dicendum quod dicitur non potuisse dicere, non quia non simpliciter non potuit dicere simul esse facta, sed quia non potuit haec dicere secundum convenientiam disciplinae, ut faciliter quod dicebatur a rudibus caperetur, ut faciunt geometrae in descriptionibus figurarum lineam post lineam protrahentes, quae tamen simul figuram constituunt. Alia translatio habet: consummavit Deus die sexto. Utraque translatio veritatem continet, si, ut praedictum est, completio distinguatur.

 

 

 

 

 

Distinctio 16

Distinction 16 – [L’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu]

 

Prooemium

Prologue

 

[4868] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 pr. Determinato de natura pure spirituali, idest angelica, et de natura pure corporali, hic tertio multipliciter prosequitur de natura composita ex spirituali et corporali, scilicet de homine. Dividitur ergo pars ista in partes duas: in prima determinat de homine quantum ad primam sui institutionem; in secunda quantum ad ejus casum, 21 dist., ibi: videns ergo Diabolus hominem per obedientiae humilitatem posse ascendere unde ipse per superbiam corruerat, invidit ei. Prima in duas: in prima determinat conditionis humanae principium; in secunda ostendit hominis conditi statum, 19 dist., ibi: solent plura quaeri de primi hominis statu. Prima in duas: in prima ostendit formationem hominis, secundum quod exit a sua causa et in similitudinem ejus, ut ostendatur quodammodo esse actio univoca; in secunda determinat institutionem hominis, secundum quod ex suis partibus constat, 17 dist., ibi: hic de origine animae plura quaeri solent. Prima in tres: in prima ostendit hominem ad imaginem et similitudinem Dei institutum; in secunda ponit horum expositionem, ibi: imago autem et similitudo in hoc loco vel increata intelligitur (...) vel creata; in tertia ostendit, secundum quam partem hominis, esse ad imaginem sibi conveniat, ibi: factus est homo secundum animam ad imaginem et similitudinem (...) totius Trinitatis. Secunda pars dividitur in tres: in prima ponit suam expositionem; in secunda excludit alias quorumdam expositiones, ibi: filius vero proprie imago patris dicitur; in tertia supplet quoddam ad suam expositionem, quod in aliis expositionibus tangebatur, scilicet in quo imago et similitudo differant, ibi: verumtamen haec distinctio licet reprobabilis penitus non videatur (...) congruentius in ipso homine imago et similitudo Dei quaerenda est. Factus est ergo homo secundum animam ad imaginem et similitudinem Dei. Hic ostendit, secundum quam partem in homine sit imago assignanda: et primo ostendit quod secundum animam; secundo ostendit quod hujusmodi indicium etiam in corpore ostenditur, ibi: sed in corpore quamdam habet proprietatem quae hoc indicat. Circa primum duo facit: primo ponit hominem esse ad imaginem Trinitatis, non solum patris vel filii, ut alii dicebant, et hoc secundum animam; secundo ostendit quomodo differenter imago secundum animam homini et filio Dei conveniat, ibi: quocirca homo et imago et ad imaginem dicitur; filius autem imago, non ad imaginem. Hic quatuor quaeruntur: 1 utrum in aliqua creatura imago Dei inveniri possit; 2 in quibus inveniatur; 3 utrum in illis in quibus invenitur aequaliter inveniatur; 4 de differentia imaginis et similitudinis.

Après avoir déterminé de la nature purement spirituelle, c’est-à-dire angélique, et de la nature purement corporelle, [le Maître] traite ici de plusieurs manières de la nature composée de spirituel et de corporel, c’est-à-dire, de l’homme. Cette partie est donc divisée en deux parties : dans la première, il détermine de l’homme du point de vue de sa première formation ; dans la seconde, du point de vue de sa chute, d. 21, à cet endroit : « Donc, le Diable, voyant que l’homme pouvait monter par l’humilité de l’obéissance là d’où il était lui-même tombé par l’orgueil, il l’envia. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine du commencement de la formation de l’homme ; dans la seconde, il montre l’état de l’homme formé, d. 19, à cet endroit : « On a coutume de soulever plusieurs questions sur l’état du premier homme. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre la formation de l’homme, tel qu’il est issu de sa cause et à sa ressemblance, afin de montrer qu’il s’agit, d’une certaine manière, d’une action univoque ; dans la seconde, il détermine de la formation de l’homme selon qu’il est constitué de ses parties, d. 17, à cet endroit : « Ici, on a coutume de soulever plusieurs questions sur l’origine de l’âme. » La première partie se divise en trois. Dans la première, il montre l’homme formé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Dans la deuxième, il présente l’explication de ces choses, à cet endroit : « L’image et la ressemblance, en cet endroit, signifient soit [l’image et la ressemblance] incréées…, soit [l’image et la ressemblance] créées. » Dans la troisième partie, il montre selon quelle partie de l’homme il lui convient d’être à l’image [de Dieu], à cet endroit : « L’homme a été créé selon son âme à l’image et à la ressemblance… de toute la Trinité. » La seconde partie se divise en trois. Dans la première, il présente son explication. Dans la deuxième, il écarte les autres explications données par d’autres, à cet endroit : « Mais le fils est appelé au sens propre l’image de son père. » Dans la troisième, il ajoute à son explication quelque chose qui était abordé dans les autres explications, à savoir, en quoi l’image et la ressemblance diffèrent, en cet endroit : « Toutefois, bien que cette distinction ne semble pas devoir être tout à fait réprouvée…, il est plus approprié de chercher dans l’homme l’image et la ressemblance de Dieu. » « L’homme a donc été créé selon son âme à l’image et à la ressemblance de Dieu. » Ici, il montre selon quelle partie il faut attribuer à l’homme l’image [de Dieu]. Premièrement, il montre que c’est selon son âme. Deuxièmement, il montre qu’un indice de cela se présente aussi dans le corps, à cet endroit : « Mais le corps possède une certaine propriété qui indique cela. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que l’homme est à l’image de la Trinité, et non du Père et du Fils, comme d’autres le disaient, et cela, selon son âme ; deuxièmement, il montre comment l’image selon l’âme convient de manière différente à l’homme et au Fils de Dieu, à cet endroit : « À ce propos, on dit de l’homme qu’il est l’image et à l’image ; mais du Fils, qu’il est l’image, mais non à l’image. » Ici, quatre questions sont posées : 1. Peut-on trouver dans une créature l’image de Dieu ? 2. Dans quelles [créatures] se trouve-t-elle ? 3. Se trouve-t-elle également chez ceux où elle se trouve ? 4. À propos de la différence entre l’image et la ressemblance.

 

 

 

 

Articulus 1 [4869] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 tit. Utrum aliqua creatura possit dici esse ad imaginem

Article 1 – Peut-on dire d’une créature qu’elle est à l’image [de Dieu] ?

 

[4870] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nulla creatura possit dici ad imaginem Dei esse. Cujuscumque enim est aliqua imago creata, ei contingit aliquam imaginem ponere. Sed Deo non contingit aliquam imaginem ponere. Isai. 40, 18: cui similem fecistis Deum aut quam imaginem ponetis ei? Ergo et cetera.

1. Il semble qu’on ne puisse dire d’aucune créature qu’elle est à l’image de Dieu. En effet, quel que soit celui dont existe une image créée, il arrive qu’on en produise une image. Or, on ne peut produire d’image de Dieu. Is 40, 18 : À qui comparerez-vous Dieu, ou quelle image en produirez-vous ? Donc, etc.

 

[4871] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, proprietates unius non inveniuntur in alio. Sed imago indicat proprietatem filii, ut in primo dictum est, qui increatus est. Ergo nulli creaturae convenit.

2. Les propriétés de l’un ne se trouvent pas chez l’autre. Or, ainsi qu’on l’a dit dans le premier [livre], l’image indique une propriété du Fils, lequel est incréé. Donc, cela ne convient à aucune créature.

 

[4872] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, in imagine importatur convenientia quaedam cum aliquo uno; unde dicit Hilarius, imaginem esse speciem non differentem ejus rei ad quam imaginatur. Sed quaecumque conveniunt in aliquo uno, habent aliquid prius et simplicius se, sive sit convenientia analogiae, sive univocationis: est enim ens prius substantia et accidente, sicut animal prius homine et equo. Deo autem nihil est prius et simplicius. Ergo non potest esse ejus imago in creatura.

3. Dans l’image, la possession commune d’une seule chose est impliquée. Aussi Hilaire dit-il que « l’image est une représentation qui ne diffère pas de la chose dont elle est l’image ». Or, tout ce qui a quelque chose en commun possède quelque chose qui le précède et qui est plus simple que lui, que ce soit un caractère commun par analogie ou par équivoque. En effet, l’être est antérieur à la substance et à l’accident, comme l’animal est antérieur à l’homme et au cheval. Or, il n’y a rien d’antérieur et de plus simple que Dieu. Son image ne peut donc exister dans une créature.

 

[4873] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, de ratione imaginis est aequalitas: dicit enim Hilarius, imaginem esse rei ad rem coaequandam. Sed nulla aequalitas potest esse creaturae ad Deum. Ergo nec imago ejus esse potest.

4. L’égalité fait partie de la raison d’image. En effet, Hilaire dit que l’image cherche à égaliser une chose par rapport à une autre. Or, il ne peut exister aucune égalité entre la créature et Dieu. Il ne peut donc pas non plus y avoir d’image de lui.

 

[4874] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, infinite distantium non potest esse indiscretio et unio. Sed imago, ut dicit Hilarius, est similitudo indiscreta et unita. Ergo creatura non potest esse ad imaginem Dei, a quo in infinitum distat.

5. Il ne peut exister de continuité et d’union entre ce qui est infiniment distant. Or, comme le dit Hilaire, « l’image est une ressemblance continue et unie ». La créature ne peut donc être à l’image de Dieu, dont elle est infiniment distante.

 

[4875] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod habetur Genesis 1, 26: faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram.

Cependant, [1] on lit en Gn 1, 16 : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance.

 

[4876] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea ad perfectionem operis exigitur ut perducatur in similitudinem agentis. Sed Dei perfecta sunt opera: Deuter. 32, 4. Ergo oportet esse aliquod operum ejus in quo ipsius imago repraesentetur.

[2] Il est nécessaire pour la perfection d’une œuvre qu’elle soit amenée à la ressemblance de l’agent. Or, les œuvres de Dieu sont parfaites, Dt 32, 4. Il est donc nécessaire qu’il y ait une de ses œuvres dans laquelle son image soit représentée.

 

[4877] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, imago proprie dicitur quod ad alterius imitationem est: nec tamen quaelibet imitatio rationem imaginis perficit; ut si hoc sit album et illud album, non ex hoc dicitur ejus imago: sed ad rationem imaginis exigitur imitatio in aliquo quod speciem exprimat et essentiam: propter quod ab Hilario dicitur species indifferens. Et inde est quod in corporalibus secundum imitationem figurae potissimum imago attenditur, quia figura est quasi certum signum ostendens unitatem et differentiam speciei. Haec autem imitatio potest esse dupliciter: aut simul quantum ad speciem et signum speciei, et sic imago hominis est in filio suo, qui ipsum in humana specie et figura imitatur, et haec est perfecta imago: aut quantum ad signum tantum, et non quantum ad veritatem speciei, sicut imago hominis est statua lapidea; et haec est imperfecta imago. Et primo modo filius est imago patris, sicut in natura communicans; secundo autem modo imago Dei est in creaturis; et ideo creatura potest esse imago Dei, licet non perfecta.

Réponse. À proprement parler, on parle d’image pour ce qui en imite un autre. Cependant, toute imitation ne réslise pas la raison d’image. Ainsi, si ceci est blanc et cela est blanc, on ne dit pas pour autant que cela en est l’image. Mais la notion d’image comporte nécessairement l’imitation selon quelque chose qui exprime l’espèce et l’essence. Pour cette raison, Hilaire dit qu’elle est « une représentation qui ne diffère pas ». De là vient que, dans les choses corporelles, on observe l’image surtout pour l’imitation de la figure, car la figure est pour ainsi dire un signe certain montrant l’unité et la différence de l’espèce. Or, cette imitation peut se réaliser de deux façons. Soit pour ce qui est de l’espèce et du signe de l’espèce, et ainsi l’image de l’homme se trouve dans son fils, qui l’imite par l’espèce humaine et par sa figure : telle est l’image parfaite. Soit pour ce qui est du signe seulement, et non pour la vérité de l’espèce, comme une statue de pierre est l’image de l’homme : celle-ci est une image imparfaite. De la première manière, le fils est l’image en tant qu’il possède la [même] nature ; de la seconde manière, l’image de Dieu se trouve dans les créatures. C’est pourquoi la créature peut être l’image de Dieu, bien qu’elle ne le soit pas parfaitement.

 

[4878] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod propheta loquitur contra idolatras, qui Deum in corporalibus figuris imaginari nitebantur; et ideo non est ad propositum.

1. Le prophète parle contre les idolâtres qui s’efforçaient de donner une image de Dieu dans des réalités corporelles. [Cet argument] porte donc à faux.

 

[4879] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod imago secundum perfectam rationem indicat proprietatem filii; et sic creaturae non convenit, sed secundum imperfectam significationem, ut sic nomen imaginis a filio in creaturas descendat, sicut a patre nomen paternitatis, ad Eph. 3.

2. Selon sa raison parfaite, l’image indique ce qui est propre au Fils. Elle ne convient pas en ce sens à la créature, mais selon une signification imparfaite. Ainsi, le nom d’image descend depuis le Fils vers les créatures, comme le nom de la paternité [descend] du Père, Ep 3.

 

[4880] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod convenientia potest esse dupliciter: aut duorum participantium aliquod unum: et talis convenientia non potest esse creatoris et creaturae, ut objectum est aut secundum quod unum per se est simpliciter, et alterum participat de similitudine ejus quantum potest; ut si poneremus calorem esse sine materia, et ignem convenire cum eo, ex hoc quod aliquid caloris participaret: et talis convenientia esse potest creaturae ad Deum: quia Deus dicitur ens hoc modo quod est ipsum suum esse; creatura vero non est ipsum suum esse, sed dicitur ens, quasi esse participans; et hoc sufficit ad rationem imaginis.

3. Une chose peut être commune de deux manières. Soit elle est une seule chose pour les deux qui y participent : le Créateur et la créature ne peuvent avoir ainsi quelque chose en commun, comme on l’a objecté. Soit une chose existe par soi simplement, et l’autre participe à sa ressemblance autant qu’elle le peut, comme si nous disions que la chaleur existe sans matière et que le feu a quelque chose en commun avec elle, du fait qu’il participe à quelque chose de la chaleur. Dieu et la créature peuvent ainsi avoir quelque chose en commun, car on dit de Dieu qu’il est en étant son propre acte d’être. Or, la créature n’est pas son propre acte d’être, mais on dit qu’elle est un être en tant qu’elle participe à l’être. Cela suffit à la raison d’image.

 

[4881] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad rationem imaginis non exigitur aequalitas aequiparantiae, cum magni hominis in parva pictura imago exprimatur; sed exigitur aequalitas proportionis, ut scilicet eadem sit proportio partium ad invicem in imagine quae est in imaginato: et talis aequalitas invenitur in anima respectu Dei: quia sicut ex patre filius, et ex utroque spiritus sanctus, ita ex mente notitia, et ex utraque amor procedit.

4. Une égalité par équivalence n’est pas nécessaire à la raison d’image, puisque l’image d’un homme grand est exprimée dans une peinture petite ; mais une égalité de proportion est nécessaire, à savoir que la proportion entre les parties soit la même dans l’image et dans ce qu’elle représente. Une telle égalité existe dans l’âme par rapport à Dieu, car, de même que le Fils vient du Père et l’Esprit Saint [vient] des deux, de même la connaissance vient-elle de l’esprit, et l’amour procède-t-il des deux.

 

[4882] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ubi est perfecta imaginis ratio, ibi est perfecta indiscretio et unitas, ut patet in filio ad patrem: creatura autem, quantum ad hoc quod Deum imitatur, non discernitur ab eo, sed quodammodo sibi unitur unitate convenientiae, quamvis semper remaneat major differentia: et sic non ex toto tollitur ratio imaginis, sed solum imaginis perfectae.

5. Là où existe une parfaite raison d’image, là existe une continuité et une unité parfaites, comme cela ressort pour le Fils par rapport au Père. Or, la créature, pour autant qu’elle imite Dieu, n’est pas séparée de lui, mais elle lui est, d’une certaine manière, unie selon une unité de partage, bien que demeure toujours une différence plus grande. Ainsi la raison d’image n’est-elle pas entièrement écartée, mais seulement celle d’image parfaite.

 

 

 

 

Articulus 2 [4883] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 tit. Utrum imago Dei inveniatur tantum in creaturis rationalibus

Article 2 – L’image de Dieu se trouve-t-elle seulement dans les créatures raisonnables ?

 

[4884] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non tantum in rationalibus creaturis imago Dei inveniatur. Ad rationem enim imaginis, qualis in creaturis esse potest, non exigitur perfecta similitudo, ut dictum est, sed sufficit imperfecta imitatio. Sed quaelibet creatura ex hoc esse habet quod divinam perfectionem imitatur. Ergo quaelibet creatura dici debet ad imaginem Dei.

1. Il semble que l’image de Dieu ne se trouve pas seulement dans les créatures raisonnables. En effet, une ressemblance parfaite n’est pas nécessaire pour la raison d’image, telle qu’elle peut exister dans les créatures, mais, comme on l’a dit, une imitation imparfaite suffit. Or, toute créature possède l’être du fait qu’elle imite la perfection divine. On doit donc dire que toute créature est à l’image de Dieu.

 

[4885] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, dicit Boetius in Lib. de Consol. philosophiae de Deo loquens: mundum mente gerens, similique in imagine formans. Sed quaelibet creatura in esse prodiit ex hoc quod in mente divina per suam ideam gestabatur. Ergo quaelibet creatura potest dici facta ad imaginem Dei.

2. En parlant de Dieu dans le livre Sur la consolation de la philosophie, Boèce dit que [Dieu] « porte le monde dans son esprit et lui donne forme selon une image qui lui ressemble ». Or, toute créature est venue à l’être du fait qu’elle était engendrée dans l’esprit de Dieu par son idée. On doit donc dire que toute créature est créée à l’image de Dieu.

 

[4886] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ubi est expressior similitudo, ibi magis salvatur ratio imaginis. Sed perfectio divinae bonitatis expressius repraesentatur in toto universo quam in aliqua parte ejus. Ergo totum universum magis debet dici ad imaginem Dei quam aliqua creatura rationalis.

3. Là où la ressemblance est plus expresse, là est davantage préservée la raison d’image. Or, la perfection de la bonté divine est représentée de manière plus expresse dans l’ensemble de l’univers que dans une de ses parties. On doit donc dire que l’ensemble de l’univers est à l’image de Dieu, plutôt qu’une créature raisonnable.

 

[4887] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, Dionysius ostendit similitudinem divinae bonitatis maxime apparere in radio solari. Sed expressio similitudinis causat imaginem. Ergo radius solaris debet dici esse ad imaginem Dei.

4. Denys montre que la ressemblance avec la bonté divine se manifeste surtout dans le rayon solaire. Or, le caractère exprès de la ressemblance cause l’image. On doit donc dire que le rayon solaire est à l’image de Dieu.

 

[4888] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, illud quod maxime exprimit proprietatem alicujus, maxime videtur ad ipsum convenientiam habere. Sed in fine Caelest. hierarchiae dicit Dionysius, quod in igne maxime ostenduntur divinae proprietates. Ergo ignis maxime debet dici ad imaginem Dei.

5. Ce qui exprime le plus le caractère propre de quelqu’un semble avoir le plus en commun avec lui. Or, à la fin de La hiérarchie céleste, Denys dit que les propriétés divines sont montrées au mieux par le feu. On doit donc dire du feu qu’il est le plus à l’image de Dieu.

 

[4889] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, ex hoc anima dicitur imago Dei quia ejus capax est, ut Augustinus dicit. Sed sola creatura rationalis est capax Dei. Ergo ipsa sola est ad imaginem Dei.

Cependant, [1] on dit de l’âme qu’elle est l’image de Dieu parce qu’elle est capable de Dieu, comme le dit Augustin. Or, seule la créature raisonnable est capable de Dieu. Elle seule est donc à l’image de Dieu.

 

[4890] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, quanto aliqua creatura est perfectior, tanto est Deo similior. Sed inter alias creaturas rationalis natura altissimum gradum tenet. In ipsa ergo praecipue imago Dei invenitur.

[2] Plus une créature est parfaite, plus elle est semblable à Dieu. Or, parmi les autres créatures, la nature raisonnable occupe le degré le plus élevé. L’image de Dieu se trouve donc principalement en elle.

 

[4891] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, ut dictum est, illa imitatio rationem imaginis constituit quae est in aliquo ad speciem pertinente. Ex primo autem et communi nihil sortitur speciem, sed ex ultimo et proprio, sicut est differentia constitutiva. Consideratis autem divinae bonitatis processibus in creaturis, quibus naturae creatae constituuntur in similitudinem naturae increatae, ultima invenitur intellectualis dignitatis participatio, et quae omnes alias praesupponat: et ideo intellectualis natura attingit ad imitationem divinam, in qua quodammodo consistit species naturae ejus; et inde est quod in eadem operatione ponimus ultimam felicitatem intellectualis creaturae, in qua est felicitas Dei, scilicet in contemplatione intellectiva; et ideo sola intellectualis creatura rationabiliter ad imaginem Dei dicitur esse.

Réponse. Comme on l’a dit, c’est l’imitation se rapportant à l’espèce qui fonde chez quelqu’un la raison d’image. Or, rien ne reçoit son espèce de ce qui est premier et commun, mais de ce qui est dernier et propre, comme l’est une différence constitutive. Or, si l’on considère les démarches de la bonté divine dans les créatures, par lesquelles des natures créées sont produites à la ressemblance de la nature incréée, on trouve que la dernière est la participation à la dignité intellectuelle, qui présuppose toutes les autres. Aussi la nature intellectuelle parvient-elle à l’imitation de Dieu, en quoi consiste d’une certaine manière l’espèce de sa nature. De là vient que nous situons dans la même opération, en laquelle existe la félicité de Dieu, la félicité ultime de la créature intellectuelle, à savoir, dans la contemplation intellectuelle. On dit donc de manière raisonnable que seule la créature intellectuelle est à l’image de Dieu.

 

[4892] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis quaelibet creatura aliquid participet de ratione similitudinis divinae, non tamen potest dici ejus imago ratione praedicta.

1. Bien que toute créature participe sous quelque aspect à la raison de la ressemblance avec Dieu, elle ne peut cependant être appelée son image pour la raison qui a été dite.

 

[4893] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudo operis potest dici ad operantem dupliciter; aut quantum ad id quod habet in natura sua, sicut homo generat hominem; aut quantum ad id quod habet in intellectu suo, sicut artificiatum ab artifice in similitudinem artis suae procedit. Utroque modo procedit creatura a Deo in similitudinem ejus. Primo modo, quia ab ente sunt entia, et a vivo viventia. Secundo modo, quia procedunt a rationibus idealibus. Cum ergo unaquaeque res pertingat ad perfectam imitationem ejus quod est in intellectu divino, quia talis est qualem eam esse disposuit; ideo quantum ad hunc modum similitudinis quaelibet creatura potest dici imago ideae in mente divina existentis; unde dicit Boetius quod formae quae sunt in materia, possunt dici imagines, eo quod ab his formis venerunt quae sine materia sunt: sed quantum ad alium modum sola intellectualis natura pertingit ad ultimum gradum imitationis, ut dictum est, et ideo ipsa sola dicitur imago Dei.

2. On peut parler de deux manières de la ressemblance de l’œuvre avec celui qui la produit. Soit par rapport à ce qu’il possède par sa nature, comme un homme engendre un homme ; soit par rapport à ce qu’il possède par son intelligence, comme l’œuvre fabriquée par un artisan est produite selon une ressemblance avec son art. La créature est issue de Dieu à son image des deux manières. De la première manière, parce que les êtres viennent de ce qui est, et les vivants, de ce qui est vivant. De la seconde manière, parce qu’elles procèdent de raisons idéales. Puisque chaque chose atteint la parfaite imitation de ce qui se trouve dans l’intelligence divine, car elle est telle qu’il en a disposé l’être, on peut donc dire que toute créature, selon ce mode de ressemblance, est l’image de l’idée qui existe qui dans l’esprit de Dieu. Aussi Boèce dit-il que les formes qui existent dans la matière peuvent être appelées des images, du fait qu’elles sont venues des formes qui existent sans matière. Mais, pour ce qui est de l’autre mode, seule la nature intellectuelle atteint le dernier degré d’imitation, ainsi qu’on l’a dit. C’est pourquoi on dit d’elle seule qu’elle est l’image de Dieu.

 

[4894] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod similitudo divinae bonitatis, quantum ad nobilissimas participationes ipsius, non resultat in universo nisi ratione nobilissimarum partium ejus, quae sunt intellectuales naturae: nec per se de toto potest dici, et primo, quod non convenit sibi ratione omnium partium, ut in 6 Physic. dicitur frequenter: et ideo universum non potest dici imago Dei, sed intellectualis natura.

3. La ressemblance avec la bonté divine, pour ce qui est de ses participations les plus nobles, ne se répercute dans l’univers que dans ses parties les plus nobles, qui sont les natures intellectuelles. On ne peut pas non plus le dire de l’ensemble [de l’univers], d’abord parce que cela ne lui convient pas en raison de toutes ses parties, comme on le dit souvent dans Physique, VI. C’est pourquoi on ne peut dire que l’univers est l’image de Dieu, mais la nature intellectuelle.

 

[4895] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod similitudo radii solaris ad divinam bonitatem tota attenditur quantum ad causalitatem, et non quantum ad dignitatem naturae, quae rationem imaginis perficit.

4. La ressemblance du rayon solaire avec la bonté divine est prise entièrement du point de vue de la causalité, et non du point de vue de la dignité de la nature, qui complète la raison d’image.

 

[4896] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod proprietates divinae ostenduntur in creaturis dupliciter: vel secundum similitudinem analogiae, sicut vita, sapientia, et hujusmodi, quae analogice Deo et creaturis conveniunt; et sic divinae proprietates praecipue ostenduntur in rationali natura; vel secundum similitudinem proportionis, secundum quod spirituales proprietates corporalibus metaphorice designantur; et hoc modo in igne ostenduntur proprietates divinae, ut in 1 Lib., dist. 33, dictum est. Sed haec similitudo non facit rationem imaginis; unde Dionysius vocat eam dissimilem similitudinem.

5. Les propriétés divines sont manifestées dans les créatures de deux manières. Soit par une ressemblance analogique, telles la vie, la sagesse et les [propriétés] de ce genre, qui conviennent à Dieu et aux créatures de manière analogique. Les propriétés divines sont ainsi principalement manifestées dans la nature raisonnable. Soit par une ressemblance proportionnelle, selon que les propriétés spirituelles sont désignées métaphoriquement par des propriétés corporelles. C’est de cette manière que les propriétés divines sont montrées par le feu, comme on l’a dit dans le livre I, d. 33. Mais cette ressemblance ne réalise pas la raison d’image. Aussi Denys l’appelle-t-il « une ressemblance dissemblable ».

 

 

 

 

Articulus 3 [4897] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 tit. Utrum imago Dei magis reperiatur in Angelis quam in hominibus

Article 3 – L’image de Dieu se trouve-t-elle davantage chez les anges que chez les hommes ?

 

[4898] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod imago non magis in Angelis quam in hominibus inveniatur. Ea enim quae sequuntur naturam, aequaliter inveniuntur in omnibus habentibus naturam illam, ut risibile in hominibus. Sed esse ad imaginem Dei, consequitur intellectualem naturam. Ergo in omnibus habentibus intellectum est aequaliter.

1. Il semble que l’image ne se trouve pas davantage chez les anges que chez les hommes. En effet, ce qui découle de la nature se trouve également chez tous ceux qui possèdent cette nature, comme la capacité de rire chez les hommes. Or, être à l’image de Dieu découle de la nature intellectuelle. Cela existe donc également chez tous ceux qui possèdent une intelligence.

 

[4899] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, secundum Augustinum, eo ipso est anima imago Dei quod capax ejus esse potest. Sed non magis capax Dei est Angelus quam homo, cum in fruitione divinitatis homines Angelis aequentur. Ergo esse ad imaginem non magis Angelis quam hominibus convenit.

2. Selon Augustin, c’est par le fait que l’âme est l’image de Dieu qu’elle peut être capable de lui. Or, l’ange n’est pas plus capable de Dieu que l’homme, puisque les hommes sont les égaux des anges dans la jouissance de Dieu. Être à l’image ne convient donc pas davantage aux anges qu’aux hommes.

 

[4900] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, ut dicit Augustinus, inter mentem nostram et Deum nihil est medium. Sed quod magis imitatur Deum, cadit medium inter ipsum et id quod minus imitatur ipsum. Ergo Angelus non magis est ad imaginem Dei quam mens humana.

3. Comme le dit Augustin, il n’y a pas d’intermédiaire entre notre esprit et Dieu. Or, ce qui imite davantage Dieu occupe le milieu entre lui et ce qui l’imite moins. L’ange est donc davantage à l’image de Dieu que l’esprit humain.

 

[4901] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, ad Hebr. 2 dicit Glossa, quod natura mentis humanae quam Christus assumpsit, nihil post Deum est melius. Sed Christus assumpsit mentem ejusdem naturae cum nostris mentibus. Cum ergo unumquodque tanto sit melius quanto expressiori imagine Deum imitatur; videtur quod esse ad imaginem non magis Angelis quam hominibus conveniat.

4. La Glose sur He 2 dit que rien n’est meilleur après Dieu que la nature de l’esprit humain que le Christ a assumée. Or, le Christ a assumé un esprit de même nature que nos esprits. Puisque toutes choses sont d’autant meilleures qu’elles imitent Dieu selon une image plus expresse, il semble donc qu’être à l’image [de Dieu] ne convient pas davantage aux anges qu’aux hommes.

 

[4902] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, de beata virgine dicit Hieronymus quod exaltata est super choros Angelorum ad caelestia regna. Sed hoc non posset esse, si ipsa esset minus ad imaginem Dei quam Angeli. Ergo cum ipsa vere et pure naturam humanam habeat, videtur quod imago non plus in Angelis quam in hominibus inveniatur.

5. Jérôme dit de la bienheureuse Vierge qu’elle « a été élevée dans le royaume céleste au-dessus des chœurs des anges ». Or, cela ne pourrait pas être le cas si elle était moins à l’image de Dieu que les anges. Puisqu’elle possède véritablement et purement la nature humaine, il semble donc qu’on ne trouve pas davantage l’image chez les anges que chez les hommes.

 

[4903] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Gregorius quod Angelus dicitur signaculum similitudinis, quia in eo divinae imaginis similitudo magis insinuatur expressa. Sed secundum hoc aliquid dicitur esse magis ad imaginem, secundum quod expressius imago Dei in ipso relucet. Ergo Angeli sunt magis ad imaginem Dei quam homo.

Cependant, [1] Grégoire dit au contraire que l’ange est appelé le « sceau de la ressemblance » parce qu’une ressemblance plus expresse avec l’image de Dieu a été implantée en lui. Or, on dit d’une chose qu’elle est davantage à l’image parce que l’image de Dieu brille en lui de manière plus expresse. Les anges sont donc davantage à l’image de Dieu que l’homme.

 

[4904] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 s. c. 2 Similiter etiam videtur quod sit vir magis quam mulier per id quod 1 Corinth. 11, quidam gradus inter virum et mulierem constituitur, dum dicitur vir imago Dei, et mulier imago viri: et ita non in omnibus habentibus imaginem imago aequaliter invenitur.

[2] Il semble aussi que l’homme le soit davantage que la femme, selon ce qui est dit dans 1 Co 11, qui établit un degré entre l’homme et la femme, lorsqu’on dit que l’homme est l’image de Dieu et la femme, l’image de l’homme. On ne trouve donc pas également l’image chez tous ceux qui possèdent l’image.

 

[4905] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod de imagine possumus loqui dupliciter: aut quantum ad id in quo proprie consistit imaginis ratio; aut quantum ad id quod secundario assignatur similitudo imaginis: proprie enim et principaliter imago intellectualem naturam consequitur; unde oportet quod ubi intellectualis natura perfectius invenitur, etiam ibi sit imago expressior: et sic cum natura intellectualis multo sit dignior in Angelis quam in homine, eo quod propter obumbrationem intellectualis luminis homo rationalis dicitur, cum ratio sit quidam intellectus obumbratus; oportet quod in Angelis sit expressior Dei imago quam in anima, et in Angelis superioribus quam in inferioribus, et in viro quam in muliere: quamvis illa diversitas sit minor quam prima, quia non sequitur diversitatem naturae secundum speciem. Assignatur etiam imago Dei in homine, sed non ita proprie, quantum ad aliquas proprietates consequentes, sicut quod homo dominatur inferioribus creaturis (sicut etiam Deus in toto universo), et est quodammodo finis earum: et hoc innuitur Gen. 1, 26, ubi post id quod dictum est: faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram, subjungitur: ut praesit piscibus maris, et volatilibus caeli, et bestiis universaeque terrae, omnique reptili quod movetur in terra. Et similiter sicut Deus est totus in qualibet parte universi, ita anima in qualibet parte corporis; et secundum hoc et hujusmodi alia nihil prohibet hominem magis ad imaginem Dei esse quam Angelum. Sed hoc est secundum quid, et non simpliciter: quia judicium similitudinis vel diversitatis quod sumitur ab essentialibus rei, est multo firmius.

Réponse. Nous pouvons parler de l’image de deux manières : soit pour ce en quoi la raison d’image consiste au sens propre ; soit pour ce à quoi est attribuée de manière secondaire la ressemblance de l’image. En effet, au sens propre et principal, l’image découle de la nature intellectuelle. Il faut donc que là où la nature intellectuelle se trouve de manière plus parfaite, là existe aussi une image plus expresse. Ainsi, puisque la nature intellectuelle est beaucoup plus digne chez les anges que chez l’homme, du fait que l’homme est appelé raisonnable en raison d’une lumière intellectuelle ombragée, puisque la raison est une intelligence ombragée, il faut donc qu’existe chez les anges une image de Dieu plus expresse que dans l’âme, chez les anges supérieurs davantage que chez les [anges] inférieurs, et chez l’homme davantage que chez la femme, bien que cette diversité soit moindre que la première, parce qu’elle ne découle pas d’une diversité de nature selon l’espèce. L’image de Dieu est aussi attribuée à l’homme, mais d’une manière qui n’est pas aussi propre, pour ce qui est de certaines propriétés qui en découlent, comme le fait pour l’homme d’être maître des créatures inférieures (comme Dieu l’est pour l’ensemble de l’univers), et d’être en quelque sorte leur fin. Ceci est suggéré par Gn 1, 26, où, après que [Dieu] a dit : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, il ajoute : Afin qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les animaux de la terre et tout ce qui se déplace en rampant sur la terre. Et encore, de même que Dieu est tout entier en chaque partie de l’univers, de même l’âme l’est-elle en chaque partie du corps. De cette manière et d’autres du genre, rien n’empêche que l’homme soit davantage à l’image de Dieu que l’ange. Mais c’est là une manière relative, et non pas simple, car le jugement sur la ressemblance ou la diversité tiré des éléments essentiels d’une chose est bien plus solide.

 

[4906] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ea quae consequuntur naturam, aequaliter inveniuntur in omnibus habentibus naturam illam aequaliter. Natura autem intellectualis non aequaliter invenitur in Angelis et in hominibus; sed in Angelis multo nobilior.

1. Ce qui découle de la nature se trouve également chez tous ceux qui possèdent également cette nature. Or, la nature intellectuelle ne se trouve pas également chez les anges et chez les hommes, mais elle est beaucoup plus noble chez les anges.

 

[4907] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod imago invenitur in homine et in Angelo quantum ad naturalia sua, non quantum ad habitum gratiae vel gloriae. Consideratis autem naturalibus Angeli et hominis, magis est capax divinae cognitionis Angelus quam homo; et quod homo ad aequalitatem Angelorum perducitur in divina fruitione, est gratiae, et non naturae: et ideo objectio non procedit.

2. L’image se trouve chez l’homme et chez l’ange pour leurs éléments essentiels, et non pour l’habitus de la grâce ou de la gloire. Or, si l’on considère les éléments naturels de l’ange et de l’homme, l’ange est plus capable de connaître Dieu que l’homme. Que l’homme soit amené à l’égalité des anges pour la jouissance de Dieu, cela relève de la grâce, et non de la nature. L’objection n’est donc pas concluante.

 

[4908] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod inter mentem nostram et Deum nihil est medium quasi objectum beatitudinis, sed immediate in Deum nostra mens tendit, a quo etiam immediate per gratiam vivificatur; et tamen est aliquid medium quantum ad gradum naturae, scilicet angelica natura, ut patet ex Dionysio; Augustinus etiam dicit, Angelum prope Deum factum, et materiam prope nihil. Et ideo objectio nulla est.

3. Entre notre esprit et Dieu, aucun intermédiaire n’existe comme objet de la béatitude, mais notre esprit tend vers Dieu de manière immédiate, par qui il est aussi vivifié de manière immédiate par la grâce. Toutefois, il existe quelque chose d’intermédiaire pour ce qui est du degré de la nature, à savoir, la nature angélique, comme cela ressort de Denys. Augustin dit aussi que l’ange a été créé proche de Dieu, et la matière proche du néant. L’objection n’a donc aucune valeur.

 

[4909] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod natura humana quam Christus assumpsit, est multo nobilior quam quaelibet creatura; sed hoc habet ex unione divinitatis, et non ex principiis essentialibus; et ideo non sequitur similis ratio de mentibus humanis non unitis. Assumpsit enim Dei filius humanam naturam, ut Damascenus dicit, in atomo, idest in individuo, et non in specie; et sic etiam natura mentis humanae in Glossa praedicta accipitur.

4. La nature humaine que le Christ a assumée est beaucoup plus noble que n’importe quelle créature, mais elle tient cela de l’union avec la divinité, et non de ses principes essentiels. Il n’en va donc pas de même pour les esprits humains qui ne sont pas unis [à la divinité]. En effet, comme le dit [Jean] Damascène, le Fils de Dieu a assumé une nature humaine de manière indivisible, c’est-à-dire dans un individu, et non selon l’espèce. C’est ainsi que la nature de l’esprit humain est entendue dans la glose mentionnée.

 

[4910] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod exaltatio beatae virginis super choros Angelorum non fuit naturae sed gratiae; et ideo per hoc nihil probatur.

5. L’élévation de la bienheureuse Vierge au-dessus des chœurs des anges n’a pas été le fait de la nature mais de la grâce. Rien n’est donc démontré par [cet argument].

 

 

 

 

Articulus 4 [4911] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 tit. Utrum imago et similitudo convenienter distinguantur in littera

Article 4 – L’image et la ressemblance sont-elles distinguées de manière appropriée dans le texte ?

 

[4912] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter imago et similitudo in littera distinguantur. Illud enim quod ponitur in definitione alicujus ut genus, non distinguitur ab ipso, sicut animal ab homine. Sed secundum Hilarium: imago est rei ad rem coaequandam imaginata et indiscreta similitudo. Ergo imago et similitudo distingui non debent.

1. Il semble que l’image et la ressemblance soient distinguées de manière inappropriée dans le texte. En effet, ce qui est mis comme genre dans la définition d’une chose ne s’en distingue pas, comme l’animal [ne se distingue pas] de l’homme. Or, selon Hilaire, « l’image est une ressemblance représentée et indissociable d’une chose, qui vise à l’égalité avec elle ». L’image et la ressemblance ne doivent donc pas être distinguées.

 

[4913] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, secundum quorumdam opinionem homo in gratuitis creatus non est. Sed innocentia et justitia ad gratiam pertinent. Ergo inconvenienter similitudo, in qua homo factus est, per justitiam et innocentiam exponitur in littera.

2. Selon l’opinion de certains, l’homme n’a pas été créé avec les [dons] gratuits. Or, l’innocence et la justice relèvent de la grâce. La ressemblance avec laquelle l’homme a été créé est donc expliquée dans le texte de manière inappropriée par la justice et l’innocence.

 

[4914] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, cognitio et amor nominant actum vel passionem. Sed actus et passio non semper remanent in animo. Cum ergo imago semper maneat, videtur quod inconvenienter imago secundum dilectionem vel cognitionem assignetur.

3. La connaissance et l’amour désignent un acte ou une passion. Or, l’acte et la passion ne demeurent pas toujours dans l’esprit. Puisque l’image demeure toujours, il semble donc inapproprié que l’image soit attribuée à l’amour et à la connaissance.

 

[4915] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, amor ad voluntatem pertinet. Voluntas autem est pars imaginis. Ergo inconvenienter distinguitur similitudo ab imagine per hoc quod similitudo in amore virtutis consistit.

4. L’amour relève de la volonté. Or, la volonté fait partie de l’image. La ressemblance est donc distinguée de l’image de manière inappropriée par une ressemblance qui consiste dans l’amour de la vertu.

 

[4916] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, voluntas ad cognitionem non pertinet, et tamen pars imaginis ab Augustino ponitur. Ergo videtur quod inconvenienter dicatur imago ad cognitionem veritatis pertinere.

5. La volonté ne relève pas de la connaissance ; elle est cependant donnée par Augustin comme une partie de l’image. Il semble donc inapproprié de dire que l’image relève de la connaissance de la vérité.

 

[4917] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, natura intellectualis ad essentiam animae pertinet. Sed naturam intellectualem sequitur imago, ut dictum est. Ergo videtur inconvenienter dici, quod similitudo ad essentiam pertineat, imago vero ad alia quae sunt in anima.

6. La nature intellectuelle fait partie de l’essence de l’âme. Or, l’image découle de la nature intellectuelle, comme on l’a dit. Il semble donc inapproprié de dire que la ressemblance relève de l’essence, mais l’image, d’autres choses qui existent dans l’âme.

 

[4918] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in ratione imaginis includitur similitudo, et non e converso; unde si similitudo contra imaginem distinguatur, oportet specialiter sumi similitudinem quae deficit a ratione imaginis: sicut proprium condividitur definitioni, non secundum nomen commune quod de definitione praedicatur, sed secundum illam rationem determinate acceptam qua deficit a perfectione definitionis. Cum ergo imago importet imitationem in his quae pertinent ad speciem demonstrandam, oportet quod similitudo accipiatur in eo quod deficit a demonstratione specialis naturae. Hoc autem contingit dupliciter: aut quia est prius et communius quam sit natura speciei, sicut proprietates consequentes naturam generis: aut quia est posterius his quae speciem demonstrant, ut accidentia consequentia principia individui. Si ergo accipiatur defectus primo modo, sic est ultima distinctio quae in littera assignatur: secundum hoc enim dicitur similitudo secundum convenientiam in illis quae consequuntur essentiam, inquantum est essentia, et non inquantum est intellectualis, ut incorruptibile et indivisibile et hujusmodi; imago autem attenditur secundum ea quae proprie intellectualem naturam consequuntur. Si autem attendatur defectus ex hoc quod est posterius, hoc est dupliciter: quia aut hoc est secundum ordinem potentiae naturalis ad potentiam: et sic primum demonstrans naturam intellectualem est potentia cognoscitiva et actus ejus, et posterius erit voluntas et actus ejus, quae consequitur apprehensionem cognoscitivae virtutis; et sic erit secunda distinctio, quia imago pertinebit ad cognitionem veritatis, quae est primum demonstrans naturam intellectualem, similitudo autem ad amorem virtutis: aut secundum ordinem potentiae ad habitum; et sic erit prima distinctio, secundum quod imago pertinet ad potentias, scilicet memoriam, intelligentiam, et voluntatem; similitudo vero ad habitus consequentes, scilicet innocentiam, et justitiam.

Réponse. La ressemblance est incluse dans la notion d’image, mais non l’inverse. Si l’on distingue la ressemblance de l’image, il faut donc entendre d’une manière particulière la ressemblance à laquelle manque la raison d’image, comme ce qui est propre est distingué de la définition, non pas selon le nom commun qui est prédiqué de la définition, mais selon la raison considérée de manière déterminée, par laquelle il lui manque la perfection de la définition. Puisque l’image comporte une imitation de ce qui est destiné à manifester l’espèce, il faut que la ressemblance soit entendue de ce qui fait défaut à la manifestation d’une nature particulière. Or, cela se produit de deux manières : soit elle est quelque chose d’antérieur et de plus commun que la nature de l’espèce, comme les propriétés qui découlent de la nature du genre ; soit elle est quelque chose de postérieur à ce qui manifeste l’espèce, comme les accidents qui découlent des principes d’un individu. Si on entend le manque de la première manière, elle est ainsi la distinction ultime qui est indiquée dans le texte. En effet, on parle de ressemblance pour les éléments communs qui découlent de l’essence en tant qu’essence, et non en tant qu’intellectuelle, tels le fait d’être incorruptible, indivisible et les choses de ce genre. Or, on considère l’image selon ce qui découle de la nature intellectuelle au sens propre. Mais si on considère le manque à partir de ce qui est postérieur [à ce qui manifeste l’espèce], ce peut être de deux manières. Soit selon l’ordre d’une puissance naturelle à la puissance, et ainsi la première chose qui manifeste la nature intellectuelle est la puissance cognitive et son acte ; et, par la suite, ce sera la volonté et son acte, qui découlent de la perception de la puissance cognitive, et ainsi, il y aura une seconde distinction, car l’image relèvera de la connaissance de la vérité, qui est la première chose qui manifeste la nature intellectuelle, mais la ressemblance, de l’amour de la vertu. Soit selon l’ordre de la puissance à l’habitus. Ce sera ainsi la première distinction selon laquelle l’image se rapporte aux puissances, à savoir, la mémoire, l’intelligence et la volonté ; mais la ressemblance [se rapportera] aux habitus qui en découlent, à savoir, l’innocence et la justice.

 

[4919] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod similitudo communiter sumpta, non dividitur contra imaginem; sed similitudo deficiens a ratione imaginis, sicut proprium contra definitionem.

1. Entendue au sens commun, la ressemblance n’est pas distinguée de l’image, mais la ressemblance à laquelle fait défaut la raison d’image [le fait], comme ce qui est propre [est distingué] de la définition.

 

[4920] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam si ponatur homo non creatus in habitibus gratuitis, constat tamen eum esse creatum in habitibus naturalibus integris et perfectis: et quantum ad hoc similitudo attenderetur.

2. Même si on affirme que l’homme a été créé sans les [dons] gratuits, il est cependant clair qu’il a été créé avec des habitus naturels complets et parfaits. Sur ce point, on tiendrait compte de la ressemblance.

 

[4921] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentiae innotescunt per actus et passiones: et ideo per cognitionem et amorem debet intelligi potentia cognoscitiva et amativa, quae est voluntas.

3. Les puissances sont connues par les actes et les passions Aussi, par la connaissance et l’amour, il faut entendre la puissance cognitive et la puissance d’aimer, qui est la volonté.

 

[4922] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa non valet, quia procedit ex diversis distinctionibus: nec est inconveniens ut secundum unam distinctionem aliquid pertineat ad imaginem, et secundum aliam pertineat ad similitudinem: quia in una comparatione potest aliquid accipi ut prius aliquo, quod in alia accipitur ut posterius respectu alterius: secundum quem modum possunt comparari potentiae intellectivae naturae ad habitus, quibus inveniuntur priores, vel una ad alteram, et sic est una prior altera. Et ita sicut aliquid est prius et posterius in aliqua comparatione diversimode acceptum: ita etiam potest ad imaginem et similitudinem pertinere ratione praedicta.

4. Cet argument n’a pas de valeur, car il est fondé sur des distinctions différentes. Et il n’est pas inapproprié que quelque chose se rapporte à l’image selon une distinction, et se rapporte à la ressemblance selon une autre, car quelque chose peut être perçu comme antérieur à une autre chose selon une comparaison, et être perçu comme postérieur par rapport à une autre. De cette manière, les puissances intellectives de la nature peuvent être comparées aux habitus, auxquels ils sont antérieurs, ou l’une à l’autre, et ainsi l’une est antérieure à l’autre. Et ainsi, de même qu’une chose est antérieure et postérieure selon une comparaison considérée de manière différente, de même cela peut aussi se rapporter à l’image et à la ressemblance pour la raison déjà donnée.

 

[4923] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 ad 5 Et similiter dicendum est ad quintum.

5. Il faut dire la même chose pour le cinquième [argument].

 

[4924] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod intellectualitas, quamvis pertineat ad essentiam naturae intellectualis, non tamen est de ratione essentiae inquantum essentia: et ideo non pertinet ad similitudinem, quae assignatur secundum communes differentias entis, scilicet simplex et compositum, corruptibile et incorruptibile, et hujusmodi.

6. L’intellectualité, bien qu’elle se rapporte à l’essence de la nature intellectuelle, ne fait cependant pas partie de la notion d’essence en tant qu’essence. C’est pourquoi elle ne se rapporte pas à la ressemblance, qui est attribuée selon les différences communes de l’être, à savoir, simple et composé, corruptible et incorruptible, et celles de ce genre.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 16

 

[4925] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 expos. Quare creatus sit homo, idest causa finalis hominis, et qualiter institutus, quia ex anima et corpore: haec duo in prima distinctione hujus libri dicta sunt: et qualiter et quomodo factus, hic incipit prosequi: deinde qualiter sit lapsus: hoc prosequitur 21 distinctione, et deinceps: postremo qualiter et per quam sit reparatus; hoc in 3 Lib. et in 4. Quae in mente rationali naturaliter sunt. Hoc potest intelligi etiam de habitibus gratuitis, ad quos anima naturaliter est ordinata, non quod per principia naturae causentur; vel potest intelligi de habitibus innatis, sicut philosophus in 6 Ethicor. ponit etiam quasdam virtutes naturales. Imago ergo pertinet ad formam, scilicet specialem; similitudo ad naturam, scilicet communem: et hoc secundum ultimam distinctionem quam posuit. Quocirca homo et imago est, et ad imaginem. Ratio hujus est, quia haec praepositio ad notat distantiam: quia, ut dicit Augustinus, filius est imago patris nulla ex parte ei dissimilis: ideo ita dicitur imago quod non ad imaginem: homo autem, quia ipse Deum imitatur in natura intellectuali, et a perfecta imitatione filii distat, in quam tamen tendit ut potest; ideo imago dicitur, et ad imaginem.

 

 

 

 

 

Distinctio 17

Distinction 17 – [La création de l’homme en ses parties]

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 1 – [L’âme fait-elle partie de l’essence divine ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[4926] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 pr. Ostenso quod homo prodiit a Deo in similitudinem ejus, sicut a causa quodammodo univoca, hic determinat productionem hominis in se, secundum quod ex suis partibus constat; et dividitur haec pars in duas: in prima determinat productionem viri; in secunda productionem feminae, 18 dist. ibi: in eodem quoque Paradiso mulierem formavit Deus de substantia viri. Prima in duas: in prima determinat constitutionem hominis; in secunda determinat locum qui sibi constituto in esse assignatus est, sicut etiam in naturalibus rei generatae debetur aliquis locus, ibi: hominem autem ita formatum tulit Deus, ut Scriptura docet, et posuit in Paradiso voluptatis. Prima in duas: in prima determinat productionem hominis ex parte animae; in secunda ex parte corporis, ibi: solet quaeri, utrum Deus hominem repente in virili aetate fecerit. Circa primum tria facit: primo determinat animae productionem a Deo; secundo excludit circa hoc quorumdam errores; unum ex parte creantis, ibi: non ergo carnaliter putemus Deum corporis manibus formasse corpus; alterum ex parte creati, ibi: putaverunt enim quidam haeretici, Deum de sua substantia animam creasse. Tertio determinat quamdam dubitationem, ibi: sed utrum in corpore an extra corpus, etiam inter doctores scrupulosa quaestio est. Hominem autem ita formatum tulit Deus, ut Scriptura docet, et posuit in Paradiso voluptatis. Hic determinat locum qui homini creato est assignatus, scilicet Paradisum, et dividitur in duas partes: in prima describit Paradisum; in secunda ligna Paradisi, ibi: in hoc autem Paradiso erant ligna diversi generis. Hic duo quaeruntur. Primo de creatione ejus ex parte animae. Secundo de formatione ejus ex parte corporis. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum anima humana sit de essentia divina; 2 si non, utrum sit de aliqua materia creata; 3 utrum anima extra corpus creata sit.

Après avoir montré que l’homme vient de Dieu à sa ressemblance, comme d’une cause en quelque sorte univoque, [le Maître] détermine ici de la production de l’homme en lui-même, selon qu’il est constitué de ses parties. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la production de l’homme ; dans la seconde, de la production de la femme, d.°18, à cet endroit : « Dans le même paradis, Dieu a formé la femme à partir de la substance de l’homme. » La première partie se divise en deux [parties] : dans la première, il détermine de la constitution de l’homme ; dans la seconde, il détermine du lieu qui lui a été assigné, une fois constitué, de la même manière qu’un certain lieu revient à une chose engendrée parmi les êtres naturels, à cet endroit : « Or, Dieu prit l’homme ainsi formé et le plaça dans un paradis de délices. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il détermine de la production de l’homme du point de vue de l’âme ; dans la seconde, du point de vue du corps, à cet endroit : « On a coutume de se demander si Dieu a d’un coup créé l’homme à l’âge adulte. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il détermine de la production de l’âme par Dieu. Deuxièmement, il écarte les erreurs de certains à ce sujet, l’une, du point de vue du Créateur, à cet endroit : « Ne pensons donc pas que Dieu a formé le corps avec les mains du corps » ; l’autre, du point de vue de ce qui a été créé, à cet endroit : « En effet, certains hérétiques ont pensé que Dieu a créé l’âme à partir de sa propre substance. » Troisièmement, il détermine d’un doute, à cet endroit : « À l’intérieur du corps ou à l’extérieur du corps, c’est encore une question qui fait difficulté parmi les docteurs. » « Or, Dieu prit l’homme ainsi formé et, comme l’enseigne l’Écriture, le plaça dans un paradis de délices. » Ici, il détermine du lieu qui a été assigné à l’homme une fois créé, à savoir, le Paradis, et il y a deux parties : dans la première, il décrit le Paradis ; dans la seconde, les arbres du Paradis, à cet endroit : « Or, dans ce Paradis, il y avait des arbres de diverses espèces. » Ici, deux questions sont posées. Premièrement, à propos de sa création du point de vue de l’âme ; deuxièmement, à propos de sa formation du point de vue du corps. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1. L’âme humaine vient-elle de l’essence divine ? 2. Si ce n’est pas le cas, vient-elle d’une matière créée ? 3. L’âme a-t-elle été créée hors du corps ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4927] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 tit. Utrum anima humana sit de essentia divina

Article 1 – L’âme humaine fait-elle partie de l’essence divine ?

 

[4928] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod anima sit de essentia divina, per id quod habetur Genes. 2, 7: inspiravit in faciem ejus spiraculum vitae. Sed illud quod inspirat aliquid, flatum de se emittit. Ergo anima est de essentia Dei.

1. Il semble que l’âme fasse partie de l’essence divine, selon ce qu’on lit en Gn 2, 7 : [Dieu] insuffla sur son visage un souffle de vie. Or, ce qui insuffle quelque chose émet un souffle à partir de lui-même. L’âme fait donc partie de l’essence de Dieu.

 

[4929] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, dicitur Act. 17, 28: nos enim genus Dei sumus. Hoc autem non convenit homini nisi secundum animam, qua ab aliis sensibilibus secernitur. Ergo videtur quod anima sit de substantia naturae divinae.

2. Il est dit en Ac 17, 28 : En effet, nous sommes de la race de Dieu. Or, cela ne convient à l’homme que selon son âme, par laquelle il se distingue des autres [natures] sensibles. Il semble donc que l’âme fasse partie de la substance de la nature divine.

 

[4930] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, cum naturalis operatio consequatur naturam, oportet ea quae in operatione conveniunt, in natura vel essentia convenire. Sed anima rationalis convenit in operatione intellectus cum Deo, ut philosophus in 10 Ethic. dicit. Ergo communicat cum ipso in essentia.

3. Puisque l’opération naturelle découle de la nature, il est nécessaire que ce qui possède une opération en commun ait en commun la nature ou l’essence. Or, l’âme raisonnable a en commun avec Dieu l’opération de l’intelligence, comme le dit le Philosophe, Éthique, X. Elle a donc avec lui une essence commune.

 

[4931] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod intelligitur, intelligitur per similitudinem vel identitatem; oportet enim quod intellectus in actu sit intellectum in actu, quod non contingit, nisi vel quia sunt idem per essentiam, sicut Deus seipsum intelligit, vel quia similitudo intellecti recipitur in intelligente ut perfectio ejus. Sed intellectus noster intelligit Deum, et similiter materiam primam. Ergo vel per similitudinem, vel per identitatem. Sed hoc non potest esse per similitudinem abstractam ab eis, quia a simplicissimo nihil potest abstrahi. Ergo oportet quod intelligat ipsa per identitatem; et sic est idem per essentiam Deus et materia prima et anima intellectiva.

4. Tout ce qui est intelligé, est intelligé par une ressemblance ou une identité. En effet, il faut que l’intellect en acte soit l’intelligé en acte, ce qui ne se produit que s’ils sont une même chose par essence, comme Dieu s’intellige lui-même, ou parce que la similitude de ce qui est intelligé est reçue comme sa perfection par celui qui intellige. Or, notre intelligence intellige Dieu et, de la même manière, la matière première. C’est donc par une similitude ou par une identié. Or, cela ne peut être par une similitude abstraite [à partir de Dieu et de la matière première], car rien ne peut être abstrait à partir de ce qui est le plus simple. Il faut donc que [notre intelligence] intellige par une identité, et ainsi, Dieu, la matière première et l’âme intellectuelle sont une même chose par essence.

 

[4932] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, quaecumque sunt et nullo modo differunt, sunt penitus idem. Sed intellectus et materia prima et Deus sunt, et nullo modo differunt. Ergo sunt penitus idem. Probatio mediae quantum ad secundam partem: quia prima constat. Quaecumque differunt, aliqua differentia differunt; sed omne quod differt ab altero aliqua differentia, est compositum ex differentia et quodam alio. Cum ergo praedicta tria sint penitus simplicia, videtur, quod nullo modo differant.

5. Toutes les choses qui existent sans aucune différence sont tout à fait la même chose. Or, l’intellect, la matière première et Dieu existent, et ils ne diffèrent d’aucune manière. Ils sont donc tout à fait la même chose. Démonstration de la seconde partie de la mineure, car la première va de soi. Tout ce qui diffère diffère par une certaine différence. Or, tout ce qui diffère d’une autre chose par une certaine différence est composé de la différence et de quelque chose d’autre. Puisque les trois choses mentionnées sont tout à fait simples, il semble donc qu’elles ne diffèrent d’aucune manière.

 

[4933] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, illud quod participatur ab esse cujuslibet rei, est de essentia cujuslibet rei. Sed, sicut dicit Dionysius, participatione divinae bonitatis anima et omnes aliae res sunt et bonae sunt. Ergo videtur quod divina bonitas sit essentia cujuslibet animae et cujuslibet rei. Sed divina bonitas est sua essentia. Ergo essentia divina est ipsa essentia animae, vel aliquid ejus.

6. Ce qui participe à l’être d’une chose fait partie de l’essence de cette chose. Or, comme le dit Denys, l’âme et toutes les autres choses sont et sont bonnes par participation à la bonté divine. Il semble donc que la bonté divine fasse partie de l’essence de toute âme et de toutes choses. Or, la bonté de Dieu est son essence. L’essence de Dieu est donc l’essence de l’âme ou quelque chose d’elle.

 

[4934] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, illud quod est in se tantum actus, non est possibile ad speciem alteram, vel ad esse aliud. Sed essentia divina est actus purus, cui nulla potentia permiscetur. Ergo non est possibilis ad hoc ut transformetur in naturam animae vel alicujus alterius, vel additionem aliquam recipiat.

Cependant, [1] ce qui est seulement acte en soi ne peut faire partie d’une autre espèce ou d’un autre être. Or, l’essence divine est acte pur, auquel aucune puissance n’est mêlée. Elle ne peut donc être transformée en la nature de l’âme ou de n’importe quoi d’autre, ou recevoir un ajout.

 

[4935] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ei quod est actus purus, non admiscetur aliqua privatio: quia privatio est ejus quod est natum haberi, et nondum habetur. Sed animae adjunguntur multi defectus vel privationes, ut ignorantia, malitia, et hujusmodi. Ergo anima non est de essentia divina.

[2] Aucune privation n’est mêlée à ce qui est acte pur, car la privation est le fait de ce qui est destiné à être possédé, mais n’est pas encore possédé. Or, beaucoup de manques ou de privations sont associés à l’âme, comme l’ignorance, la malice et des choses de ce genre. L’âme ne fait donc pas partie de l’essence divine.

 

[4936] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quorumdam antiquorum philosophorum error fuit, quod Deus esset de essentia omnium rerum: ponebant enim omnia esse unum simpliciter, et non differre, nisi forte secundum sensum vel aestimationem, ut Parmenides dixit: et illos etiam antiquos philosophos secuti sunt quidam moderni; ut David de Dinando. Divisit enim res in partes tres, in corpora, animas, et substantias aeternas separatas; et primum indivisibile, ex quo constituuntur corpora, dixit yle; primum autem indivisibile, ex quo constituuntur animae, dixit noym, vel mentem; primum autem indivisibile in substantiis aeternis dixit Deum; et haec tria esse unum et idem: ex quo iterum consequitur esse omnia per essentiam unum. Verumtamen haec positio et sensui contradicit, et a philosophis sufficienter improbata est. Alii vero minus errantes dixerunt, Deum esse, non quidem essentiam omnium, sed substantiarum intellectivarum, considerantes similitudinem operationis, et dignitatem intellectus, et immaterialitatem ejus: qui error ortum habere potuit ex opinione Anaxagorae, qui posuit intellectum moventem omnia: et fulcimentum habere potuit ex auctoritate Genesis 1 inducta, male intellecta. Sed hoc etiam fidei contrariatur, et philosophorum dictis, qui substantias intellectuales in diversis ordinibus constituunt, et intellectum humanum ultimum in ordine omnium intellectualium, inter quos primum ponunt intellectum divinum: et hunc quidem esse omnino immobilem, et fides tenet, et ratio demonstrat; anima autem humana aliquo modo variabilis est, scilicet secundum virtutem et vitium, et scientiam et ignorantiam. Horum autem omnium errorum et similium unum videtur esse principium et fundamentum, quo destructo, nihil probabilitatis remanet. Plures enim antiquorum ex intentionibus intellectis judicium rerum naturalium sumere volunt: unde quaecumque inveniuntur convenire in aliqua intentione intellecta, voluerunt quod communicarent in una re: et inde ortus est error Parmenidis et Melissi, qui videntes ens praedicari de omnibus, locuti sunt de ente sicut de una quadam re, ostendentes ens esse unum et non multa, ut eorum rationes indicant in 1 Physicor. recitatae. Ex hoc etiam secuta est opinio Pythagorae et Platonis, ponentium mathematica et intelligibilia principia sensibilium: ut quia numerus invenitur in his et illis, quae communicant in numero, sint etiam in quadam essentia unum; et similiter quia Socrates et Plato sunt homo, quod sit unus homo per essentiam, qui de omnibus praedicatur. Ex hoc etiam procedunt plures rationes Avicebronis in libro fontis vitae, qui semper unitatem materiae venatur ex aequali communitate praedicationis. Ex hoc etiam derivatur opinio quae dicit, unam essentiam generis esse in omnibus speciebus re, non tantum secundum rationem. Sed hoc fundamentum est valde debile: non enim oportet, si hoc est homo et illud homo, quod eadem sit humanitas numero utriusque, sicut in duobus albis non est eadem albedo numero; sed quod hoc similetur illi in hoc quod habet humanitatem sicut illud: unde intellectus accipiens humanitatem non secundum quod est hujus, sed ut est humanitas, format intentionem communem omnibus: et ita etiam non est necessarium quod si in anima est natura intellectualis et in Deo, quod sit eadem intellectualitas utriusque per essentiam, per quam eamdem essentiam utrumque dicatur ens.

Réponse. L’erreur de certains philosophes anciens a été de dire que Dieu faisait partie de l’essence de toutes choses. En effet, ils affirmaient que toutes les choses étaient simplement une seule chose et qu’elles ne différaient que selon le sens ou le jugement, comme le disait Parménide. Et certains modernes ont aussi suivi ces anciens philosophes, tel David de Dinant. En effet, il a divisé les choses en trois parties : les corps, les âmes et les substances séparées éternelles. Il appelait hylè [matière] le premier indivisible, dont les corps sont constitués. Il appelait noèm ou esprit le premier indivisible dont sont constituées les âmes. Il appelait Dieu le premier indivisible parmi les substances éternelles. Ces trois choses étaient une seule et même chose. Il en découle que toutes les choses sont une seule chose par essence. Toutefois, cette position est contraire au sens et a été suffisamment repoussée par les philosophes. D’autres, en s’égarant moins, ont dit que Dieu était, non pas l’essence de toutes choses, mais [l’essence] des substances intellectuelles, en prenant en compte la ressemblance de l’opération, la dignité de l’intellect et son immatérialité. Cette erreur pouvait tirer son origine de l’opinion d’Anaxagore, qui affirmait que l’intellect meut toutes choses. Elle pouvait aussi s’appuyer sur l’autorité de Gn 1 invoquée, mais mal comprise. Mais cela est aussi contraire à la foi et à ce qu’ont dit les philosophes, qui ont placé les substances intellectuelles dans divers ordres, et l’intellect humain dans le dernier ordre de tous les intellects, parmi lesquels ils donnent le premier rang à l’intellect divin. Que celui-ci soit tout à fait immobile, la foi le tient et la raison le démontre, mais [elle démontre] aussi que l’âme humaine est en quelque manière changeante, par exemple, selon la vertu et le vice, la science et l’ignorance. Or, il semble n’y avoir qu’un seul principe et fondement de toutes ces erreurs et [d’erreurs] semblables : si l’on détruit celui-ci, il ne reste rien qui puisse être démontré. En effet, plusieurs parmi les anciens veulent tirer un jugement sur les choses naturelles à partir des intentions intelligées ; aussi ils ont voulu que tout ce qui semble commun selon une intention intelligée soit commun dans une seule réalité. De là vient l’erreur de Parménide et de Mélisse, qui, voyant que l’être est prédiqué de toutes les choses, ont parlé de l’être comme d’une seule chose, en montrant que l’être est unique et non pas multiple, comme l’indiquent leurs raisonnements rapportés dans Physique, I. C’est ce dont découle aussi l’opinion de Pythagore et de Platon, qui affirmaient que les principes mathématiques et intelligibles des choses sensibles – ainsi, on trouve un nombre dans telle et telle chose : elles ont le nombre en commun – existent comme une seule chose dans une seule essence ; de même, parce que Socrate et Platon sont des hommes, [ìls affirmaient] qu’il n’y avait qu’un seul homme par essence, lequel était prédiqué de tous. De là encore proviennent plusieurs raisonnements d’Avicebron [ibn Gabirol], dans le Livre sur la source de vie, qui cherche toujours l’unité de matière à partir d’une égale prédication commune. De là découle encore l’opinion disant qu’il existe en réalité, et non seulement selon la raison, une seule essence du genre dans toutes les espèces. Mais ce fondement est très faible. En effet, il n’est pas nécessaire, si ceci est un homme et cela est un homme, que l’humanité soit la même numériquement chez les deux, de même que la même blancheur soit numériquement dans deux choses blanches ; mais [il est nécessaire] que ceci soit semblable à cela en ce qu’il a l’humanité comme l’autre. Aussi, l’intellect, en concevant l’humanité, non pas selon qu’elle appartient à ceci, mais en tant qu’humanité, forme une intention commune aux deux. De même, il n’est pas nécessaire que, s’il existe une nature intellectuelle dans l’âme et en Dieu, ce soit essentiellement la même intellectualité chez les deux, une même essence selon laquelle on dit des deux qu’ils sont.

 

[4937] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut Augustinus dicit, illa auctoritas non cogit ponere animam de substantia Dei esse. Primo, quia hoc quod homo flando emittit, est de aere exteriori quem respirando attraxit, non de substantia ejus. Secundo, quia etsi esset de substantia sufflantis, nullo modo esset de substantia animae, etsi etiam poneretur de substantia corporis. Deus autem hoc modo se habet ad totum universum regendo ipsum, sicut anima ad corpus; unde non sequitur animam hominis esse de substantia Dei. Tertio, quia anima tantummodo corpori dominatur, unde flatum non nisi de corpore facere potest; Deus autem est supra omnem naturam; unde non oportet ut de corporalibus elementis animam faciat; sed de nihilo eam creat immensitate potestatis suae; unde figurative dicitur flare, quasi flatum faceret. Isaiae 57, 16: omnem flatum ego feci.

1. Comme le dit Augustin, cette autorité ne force pas à affirmer que l’âme vient de la substance de Dieu. Premièrement, parce que ce que l’homme émet en soufflant vient de l’air extérieur qu’il a attiré en respirant, et non de sa substance. Deuxièmement, parce que, même si cela venait de la substance de celui qui souffle, cela ne viendrait pas du tout de la substance de l’âme, même si on affirmait que cela vient de la substance du corps. Or, Dieu a avec tout l’univers en le gouvernant le même rapport que l’âme a avec le corps. Aussi n’en découle-t-il pas que l’âme de l’homme appartienne à la substance de Dieu. Troisièmement, parce que l’âme commande de manière à ce qu’elle ne puisse produire un souffle qu’à partir du corps. Or, Dieu est au-dessus de toute nature ; aussi n’est-il pas nécessaire qu’il crée l’âme à partir d’éléments corporels, mais il la créé à partir de rien par l’immensité de sa puissance. Aussi est-ce par mode de figure qu’on dit de lui qu’il souffle, comme s’il produisait un souffle. Is 57, 16 : J’ai produit tout souffle.

 

[4938] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dicimur nos esse genus Dei quantum ad animam, non ita quod anima sit de divina essentia, sed quia participat naturam intellectualem quae etiam in Deo est; secundum quod etiam dicitur ad imaginem Dei.

2. Il est dit de nous que nous sommes la race de Dieu quant à l’âme, non pas parce que l’âme fait partie de l’essence de Dieu, mais parce qu’elle participe à la nature intellectuelle qui existe aussi en Dieu, selon quoi on dit aussi qu’elle est à l’image de Dieu.

 

[4939] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum anima non habeat eamdem operationem numero quam Deus habet, sed similem, non sequitur quod habeat eamdem naturam, sed similem: nec ex tali similitudine unitas essentiae concludi potest, ut dictum est.

3. Puisque l’âme n’a pas numériquement la même opération que Dieu a, mais [une opération] semblable, il n’en découle pas qu’elle ait la même nature, mais [une nature] semblable. On ne peut pas non plus conclure d’une telle ressemblance à l’unité d’essence, comme on l’a dit.

 

[4940] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus creatus intelligit Deum non per identitatem naturae, sed per unionem ad ipsum, quae est vel per aliquam similitudinem non quidem abstractam, sed effluxam a Deo in intellectum; et hunc modum intelligendi vocat Avicenna, per impressionem, dicens, intelligentias in nobis esse ex hoc quod impressiones earum in nobis sunt: vel per unionem ad ipsam essentiam lucis increatae, sicut erit in patria. Materia autem prima cognoscibilis est, non per aliquam speciem ab ipsa receptam, sed per analogiam ad formam, ut dicitur in 1 Phys.; et ideo est de illis quae suo defectu perfecte intelligi non valent, ut dicit Boetius in Lib. de duabus naturis.

4. L’intellect créé intellige Dieu, non pas en vertu d’une identité de nature, mais par l’union à lui, qui se réalise par une certaine ressemblance, non pas abstraite, mais reçue de Dieu dans l’intellect. Avicenne dit de ce mode d’intellection qu’il se réalise par une empreinte, lorsqu’il dit que les intelligences sont en nous du fait que leur empreinte se trouve en nous, ou bien par l’union à l’essence même de la lumière incréée, comme ce sera le cas dans la patrie. Mais la matière première est connaissable, non pas par une espèce reçue d’elle, mais par analogie avec la forme, comme on le dit dans Physique, I. Elle fait donc partie de ce qui ne peut être connu parfaitement en raison de sa carence, comme le dit Boèce dans le livre Sur les deux natures.

 

[4941] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod secundum philosophum in 10 Metaph., non est idem esse diversum et esse differens: quia differens ad aliquid dicitur (unde oportet omne differens, proprie loquendo, aliquo differre); diversum autem absolute dicitur; unde quae diversa sunt, non oportet aliquo diversa esse, sed seipsis: si enim oporteret omnia diversa in aliquo differre, in infinitum abiretur; et ideo oportet devenire ad prima simplicia, quae seipsis diversa sunt, ut patet in differentiis, quibus species distinguuntur. Si ergo differens stricte sumatur secundum praedictam acceptionem, sic prima propositio falsa est, eo quod aliqua non differunt quae diversa sunt. Idem autem non differenti sed diverso opponitur. Si autem sumatur differens large pro diverso et differenti, sic prima propositio vera est, sed media est falsa, ut ex praedictis patet.

5. Selon le Philosophe, Métaphysique, X, être divers et être différent ne sont pas la même chose, car être différent se dit par rapport à quelque chose (aussi, à proprement parler, faut-il que tout ce qui est différent diffère de quelque chose). Mais être divers se dit de manière absolue ; aussi n’est-il pas nécessaire que des choses diverses soient diverses par rapport à autre chose, mais par rapport à elles-mêmes. En effet, s’il fallait que tout ce qui est divers diffère par quelque chose, on remonterait à l’infini ; c’est pourquoi il faudrait en venir à des choses simples premières, qui sont diverses l’une par rapport à l’autre, comme cela ressort pour les différences par lesquelles les espèces sont distinctes. Si donc on entend « différent » au sens strict dans le sens mentionné plus haut, la première proposition est ainsi fausse, du fait que certaines choses qui sont diverses ne sont pas différentes. Or, ce qui est identique ne s’oppose pas à ce qui est différent mais à ce qui est divers. Mais si on entend « différent » au sens large pour ce qui est divers et ce qui est différent, la première proposition est ainsi vraie, mais la mineure est fausse, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut.

 

[4942] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod creaturae non dicuntur divinam bonitatem participare quasi partem essentiae suae, sed quia similitudine divinae bonitatis in esse constituuntur, secundum quam non perfecte divinam bonitatem imitantur, sed ex parte.

6. On ne dit pas que les créatures participent à la bonté divine en tant que parties de son essence, mais parce qu’elles sont établies dans l’être selon une ressemblance avec la bonté divine, par laquelle elles n’imitent pas la bonté divine parfaitement, mais partiellement.

 

 

 

 

Articulus 2 [4943] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 tit. Utrum anima humana sit constituta ex aliqua materia

Article 2 – L’âme humaine est-elle constituée de quelque matière ?

 

[4944] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod anima ex aliqua materia constituta sit. Omne enim quod est hoc aliquid in natura, est compositum ex materia, ut in 2 de anima patet. Sed anima rationalis est hujusmodi: quia est per se sine corpore existens, ab alia anima ejusdem speciei numero distincta. Ergo et cetera.

1. Il semble que l’âme soit constituée de quelque matière. En effet, tout ce qui telle chose dans la nature est composé de matière, comme cela ressort de Sur l’âme, II. Or, l’âme raisonnable est de ce genre, car elle existe par elle-même sans corps, numériquement distincte d’une âme de la même espèce. Donc, etc.

 

[4945] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in quocumque inveniuntur proprietates materiae, oportet materiam inveniri, cum proprietates rei a re non separentur. Sed in anima inveniuntur quaedam proprietates materiae, ut subjici, recipere, pati, et hujusmodi. Ergo videtur quod sit ex materia composita.

2. Il est nécessaire de trouver de la matière en toutes choses où se trouvent les propriétés de la matière, puisque les propriétés d’une chose ne sont pas séparées de la chose. Or, on trouve dans l’âme certaines propriétés de la matière, comme le fait d’être assujettie, de recevoir, d’être passive et celles de ce genre. Il semble donc qu’elle soit composée de matière.

 

[4946] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum in 2 Metaph., necesse est imaginari materiam in re mota. Sed animae mutabilitas ostenditur ex hoc quod vitiis et fallaciis deformis redditur; formatur autem virtutibus veritatisque doctrina, secundum Augustinum. Ergo in anima est materia.

3. Selon le Philosophe, Métaphysique, II, il est nécessaire de se représeneter une matière dans une chose mue. Or, la mobilité de l’âme est montrée par le fait qu’elle est rendue difforme par les vices et les tromperies, mais elle est formée par les vertus et l’enseignement de la vérité, selon Augustin. Il y a donc une matière dans l’âme.

 

[4947] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, secundum philosophum, in 8 Metaph., nullius agentis actio terminatur nisi ad compositum. Sed actio creantis Dei terminatur ad animam, quam in esse producit. Ergo est ex materia et forma composita.

4. Selon le Philosophe, Métaphysique, VIII, toute action d’un agent n’a son terme que dans le composé. Or, l’action créatrice de Dieu a son terme dans l’âme, qu’elle amène à l’être. Elle est donc composée de matière et de forme.

 

[4948] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, nihil vivit seipso nisi Deus. Sed anima non tantum vivificat corpus, sed etiam vivit. Ergo seipsa non vivit, sed aliquo sui. Sed omne illud in quo est principium vitae et recipiens vitam, est ex materia et forma compositum. Ergo et cetera.

5. Rien ne vit par soi-même que Dieu. Or, l’âme ne vivifie pas seulement le corps, mais elle vit, elle aussi. Elle ne vit donc pas par elle-même, mais par quelque chose d’elle-même. Or, tout ce en quoi il y a principe de vie et ce qui reçoit la vie est composé de matière et de forme. Donc, etc.

 

[4949] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, in omni creato differt quod operatur et quo operatur: quia solum primo agenti convenit per essentiam agere; aliis autem per participationem alicujus quod ad essentiam additur. Sed anima habet operationes proprias, et sic illis operationibus ipsa est operans. Ergo non est quo operatur: et sic non videtur esse forma simplex, sed materiam habens: quia forma est principium quo operatio producitur.

6. En tout ce qui est créé, il existe une différence entre ce qui agit et ce par quoi il agit, car il convient seulement au premier agent d’agir par [son] essence, et aux autres, [d’agir] par la participation à quelque chose qui est ajouté à l’essence. Or, l’âme possède ses propres opérations, et ainsi elle-même agit par ces opérations. Elle n’est donc pas ce par quoi elle agit. Ainsi, elle ne semble pas être une forme simple, mais posséder une matière, car la forme est le principe par lequel l’opération est produite.

 

[4950] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, quanto aliquid est propinquius uni primo et simplici, tanto magis est unum et simplex, ut in Libr. de causis dicitur. Sed inter formas naturales anima Deo est propinquior. Ergo cum aliae formae sint simplices, multo fortius anima.

Cependant, [1] plus une chose se rapproche de quelque chose d’un et de simple, plus elle est une et simple, comme on le dit dans le livre Sur les causes. Or, parmi les formes naturelles, l’âme se rapproche le plus de Dieu. Puisque les autres formes sont simples, à bien plus forte raison l’âme [l’est] donc.

 

[4951] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, formae substantialis non est forma substantialis, sicut nec qualitatis qualitas. Sed omne quod habet materiam, habet etiam substantialem formam dantem esse materiae. Cum ergo anima sit forma substantialis, videtur quod ex materia composita non sit.

2. Il n’y a pas de forme substantielle d’une forme substantielle, comme il n’y a pas de qualité d’une qualité. Or, tout ce qui possède une matière possède aussi une forme substantielle qui donne l’être à la matière. Puisque l’âme est une forme substantielle, il semble donc qu’elle ne soit pas composée de matière.

 

[4952] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, Augustinus, deducendo per singula, ostendit animam ex materia non esse factam. Non enim potest facta fuisse ex materia spirituali rationali. Quia si natura rationalis ex qua fit, beata fuisset, non in pejus immutata esset, quia materia, cum formatur a Deo, in melius formatur. Si vero misera fuit, oportet quod praecesserit culpa; quod est contra apostolum, Roman. 9, 12: cum nondum aliquid boni egissent aut mali et cetera. Si autem nec beata nec misera, tunc usum rationis nondum habebat, sicut in pueritia contingit, et sic otiosa erat. Similiter nec ex materia spirituali irrationali: quia hoc esset propinquum opinioni quae ponit animarum de corpore in corpus transitum; et sic pejus adhuc, quia illa positio non dicit animam bestiae in hominem transire, sed e converso. Similiter nec ex materia corporali: non enim ex eodem facta est anima ex quo facta est caro. Et praeterea, cum anima aliquid intelligit, ab omnibus corporalibus se retrahit: quod non contingeret, si de natura corporis esset. Sed ex omnibus praedictis sic potest argui. Omne quod habet materiam, secundum Augustinum, dicitur ex materia factum, quamvis materia tempore non praecesserit. Si ergo anima non potest dici facta ex materia, ut probatum est, anima materiam non habet.

[3] En déduisant pour chaque point, Augustin montre que l’âme n’est pas produite à partir d’une matière. En effet, elle ne peut avoir été produite à partir d’une matière spirituelle raisonnable, car, si la nature raisonnable dont elle est faite avait été bienheureuse, elle n’aurait pas été changée pour le pire, puisque la matière, formée par Dieu, est formée pour le mieux. Si donc elle a été misérable, il faut qu’une faute ait précédé, ce qui va à l’encontre de l’Apôtre, Rm 9, 12 : Puisqu’ils n’avaient encore fait rien de bon ni de mal, etc. Or, si elle n’était ni bienheureuse ni misérable, elle n’avait donc pas encore l’usage de la raison, comme cela se produit dans l’enfance, et ainsi elle était inactive. De même, [elle ne peut avoir été produite] à partir d’une matière spirituelle sans raison, car cela se rapprocherait davantage de l’opinion qui affirme le passage des âmes d’un corps à un autre ; et ce serait ainsi encore pire, car cette position ne dit pas que l’âme d’une bête passe dans un homme, mais le contraire. [Elle ne peut pas non plus avoir été produite à partir] d’une matière corporelle : en effet, l’âme n’a pas été faite à partir de ce par quoi la chair a été faite. De plus, lorsque l’âme intellige quelque chose, elle s’éloigne de tout ce qui est corporel, ce qui ne se produirait pas si elle avait la nature du corps. Or, on peut ainsi raisonner à partir de tout ce qui a été dit plus haut. Selon Augustin, on dit que tout ce qui a une matière a été créé, bien que la matière n’ait pas précédé dans le temps. Si donc on ne peut dire que l’âme a été faite à partir d’une matière, comme on l’a montré, l’âme n’a pas de matière.

 

[4953] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod mihi non videtur in anima vel in aliqua spirituali substantia aliquo modo esse materiam; sed ipsas esse simplices formas et naturas; quamvis quidam aliter dicant. Et praeter alias rationes quibus hoc de Angelis impossibile videtur, ut supra, distinct. 4, dictum est, etiam quadam speciali ratione materia a ratione animae secluditur: cum enim anima sit forma corporis, oportet quod vel secundum totam essentiam suam sit corporis forma; vel secundum partem essentiae suae. Si secundum essentiam suam totam, impossibile est quod pars essentiae sit materia: quia id quod in se est potentia pura, non potest esse forma vel actus alicujus: omnis autem potentia in genere substantiae est potentia pura, quia est immediatum subjectum substantialis formae et generationis, ut in 1 de generatione dicitur. Si autem secundum partem substantiae suae est forma corporis, per quam est in actu, et non secundum alteram quae est materia ejus; sequuntur duo inconvenientia. Unum est quod unus actus numero est forma diversarum materiarum, scilicet materiae corporalis, et materiae spiritualis, ex qua essentia animae constituitur. Aliud est quod in potentiis non unius generis est unus actus perficiens; corporalis enim materia et spiritualis non possunt esse unius rationis. Et praeterea illud quod est tantum actus corporis viventis, animam vocamus. Ex simili ratione Avicenna ostendit in sua metaphysica, intelligentias esse simplices. Nec tamen negamus animam rationalem quemdam modum compositionis habere, scilicet ex esse et quod est, ut supra, dist. 3 de Angelis, et in 1, dist. 8, de ipsa anima expositum est, qui tamen compositionis modus in aliis formis non invenitur, quia non possunt esse subsistentes quasi in esse suo, sed sunt per esse compositi: et in hoc anima deficit a simplicitate divina. Hoc etiam, in 1, dist. 8, plenius expositum est.

Réponse. Il ne me semble pas qu’il y ait de quelque manière une matière dans l’âme ou dans une quelconque substance spirituelle ; mais elles sont des formes et des natures simples, bien que certains disent autre chose. En plus des raisons pour lesquelles cela semble impossible pour les anges, comme on l’a dit plus haut, d. 4, la matière est exclue de l’essence de l’âme pour une raison particulière. En effet, puisque l’âme est la forme du corps, il faut qu’elle soit forme du corps soit par toute son essence, soit par une partie de son essence. Si c’est par toute son essence, il est imposible qu’une partie de son essence soit une matière, car ce qui est en soi pure puissance ne peut être la forme ou l’acte de quelque chose. Or, toute puissance dans le genre de la substance est une pure puissance, car elle est le sujet immédiat de la forme substantielle et de la génération, comme on le dit dans Sur la génération, I. Mais si [l’âme] est forme du corps selon une partie de sa substance par laquelle elle est en acte, et non par une autre qui est sa matière, il en découle deux inconvénients. L’un est qu’un seul acte est numériquement la forme de diverses matières, à savoir d’une matière corporelle et d’une matière spirituelle, dont l’essence de l’âme est constituée. L’autre est que, dans les puissances, un seul acte qui perfectionne ne relève pas d’un seul genre : en effet, la matière corporelle et la matière spirituelle ne peuvent relever d’une même raison. De plus, nous appelons « âme » ce qui est seulement l’acte d’un corps vivant. Par un raisonnement semblable, Avicenne montre, dans sa Métaphysique, que les intelligences sont simples. Nous ne nions cependant pas que l’âme raisonnable possède un certain mode de composition, à savoir, d’acte d’être et de sujet qui est, comme on l’a expliqué à propos de l’âme elle-même dans la d. 3 sur les anges et dans le livre I, d. 8 ; toutefois, ce mode de composition ne se trouve pas dans les autres formes, car elles ne peuvent pour ainsi dire subsister dans leur être, mais elles sont composées de leur acte d’être. En cela, la simplicité divine fait défaut à l’âme. Cela aussi a été plus longuement expliqué dans le libre I, d. 8.

 

[4954] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc aliquid in natura potest dici ex duobus. Aut ex eo quod habet esse subsistens in natura; et sic anima rationalis est hoc aliquid. Sed ex hoc non sequitur quod ex materia componatur: hoc enim subsistenti accidit, scilicet ex materia componi. Alio modo potest dici hoc aliquid per hoc quod aliquid quod est pars essentiae suae, individuatur: et sic anima non est hoc aliquid principium enim individuationis animarum est ex parte corporis; et tamen etiam post separationem corporis remanent individuatae et distinctae, ut in 1 Lib. dictum est, dist. 8: et sic accipit philosophus hoc aliquid in 2 de anima; unde ibi expresse negat animam esse hoc aliquid.

1. On peut parler de telle chose en sa nature de deux façons. Soit parce qu’elle a un acte d’être subsistant dans une nature ; l’âme raisonnable est ainsi telle chose. Mais il n’en découle pas qu’elle soit composée de matière. En effet, c’est à ce qui subsiste qu’il arrive d’être composé de matière. D’une autre manière, elle peut être appelée telle chose du fait que quelque chose qui fait partie de son essence est individué ; ainsi, l’âme n’est pas telle chose. En effet, le principe d’individuation des âmes vient du corps. Toutefois, après la séparation du corps, elles demeurent individuées et distinctes, comme on l’a dit dans le livre I, d. 8. C’est ainsi que le Philosophe entend telle chose, dans Sur l’âme, II. Aussi nie-t-il en cet endroit que l’âme soit telle chose.

 

[4955] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pati et recipere, et omnia hujusmodi, dicuntur de anima et de rebus materialibus aequivoce, ut patet ex philosopho in 3 de anima, et ex Commentatore ibidem: unde non oportet quod materia in anima inveniatur; sed sufficit quod sit ibi aliqua potentialitas. Qualis autem illa sit, supra, 3 dist., de Angelis, dictum est.

2. On parle de manière équivoque de subir et de recevoir, et de toutes les choses de ce genre, pour l’âme et pour les réalités matérielles, comme cela ressort de ce que disent le Philosophe, Sur l’âme, III, et le Commentateur, au même endroit. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’il y ait de la matière dans l’âme, mais il suffit qu’y soit présente une certaine puissance. Qu’est-elle ? On l’a dit plus haut en parlant des anges, d. 3.

 

[4956] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non requiritur materia ejusdem rationis ad omnes motus: quia ad motum localem non requiritur materia quae sit in potentia ad esse, sed solum quae est in potentia ad ubi. Similiter etiam ad variationem quae est de vitio ad virtutem, vel e converso, non requiritur materia quae sit in potentia ad esse, quasi pars essentiae ipsius mobilis; sed requiritur materia tantum quae sit in potentia ad virtutem, et haec est ipsa substantia animae.

3. Une même raison de matière n’est pas nécessaire pour tous les mouvements, car, pour le mouvement local, une matière qui est en puissance à l’être n’est pas nécessaire, mais seulement celle qui est en puissance à un lieu. De même, pour le changement du vice à la vertu, ou pour l’inverse, une matière qui soit puissance à l’être, comme partie de l’essence de ce qui est mobile, n’est pas nécessaire, mais il faut seulement une matière qui soit en puissance à la vertu : c’est la substance même de l’âme.

 

[4957] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod philosophus loquitur de agente naturali, quod ex materia operatur, ut rationes suae ostendunt, quae ex hoc principio procedunt quod in omni factione oportet esse tria, scilicet ex quo fit, et id in quod factio terminatur, et ipsum faciens: et ex hoc concludit quod fieri non est formarum nisi per accidens. Ista autem principia non concedimus in actione divina per quam animam creat; et ideo non oportet animam, vel aliam substantiam spiritualem a Deo creatam ex materia compositam esse: quia etiam secundum Avicennam, agens divinum non agit per motum ut materiam exigat. Commentator etiam dicit in 11 Metaphys., quod actio aequivoce dicitur de actione qua Deus agit, et de actione naturali.

4. Le Philosophe parle d’un agent naturel, qui agit à partir de la matière, comme ses raisonnements le montrent : ils partent du principe que, dans toute réalisation, il faut trois choses : ce à partir de quoi on réalise, ce que la réalisation a comme terme et celui qui réalise. Il en conclut que le devenir n’est le fait des formes que par accident. Mais nous ne concédons pas ces principes pour l’action divine par laquelle celle-ci crée l’âme. Aussi n’est-il pas nécessaire que l’âme ou une autre substance spirituelle créée par Dieu ait été composée de matière, car, même selon Avicenne, l’agent divin n’agit pas par un mouvement qui exige une matière. En Métaphysique, XI, le Commentateur dit aussi que c’est d’une manière équivoque qu’on parle de l’action par laquelle Dieu agit et de l’action naturelle.

 

[4958] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, secundum philosophum in 2 de anima, vivere nihil aliud est quam esse viventium: unde sicut anima rationalis est nec est, illud quo est: ita etiam vivit, nec est illud quo vivit. Sed sicut illud quo est formaliter, non est aliqua forma quae sit pars essentiae ejus, sed ipsum suum esse; ita id quo vivit formaliter, non est aliqua forma quae sit pars essentiae ejus, sed ipsum suum vivere. Sed id quo est et quo vivit effective, est ipse Deus, qui omnibus esse et vitam influit: in rebus quidem compositis mediante forma, quae est pars essentiae earum; in substantiis autem simplicibus per totam essentiam earum. Deus autem non est nec vivit ab aliquo efficiente principio; sed ipse etiam est suum vivere et suum esse: et in utroque horum deficit anima a perfectione divinae vitae.

5. Selon le Philosophe, Sur l’âme, II, vivre n’est rien d’autre que d’être pour les vivants. De même que l’âme raisonnable est et n’est pas ce par quoi elle est, de même aussi vit-elle et n’est-elle pas ce par quoi elle vit. Or, de même que ce par quoi elle est de manière formelle n’est pas une forme qui est partie de son essence, mais son être même, de même ce par quoi elle vit formellement n’est-il pas une forme qui est partie de son essence, mais son propre acte de vivre. Or, ce par quoi elle est et par quoi elle vit en tant que cause efficiente est Dieu lui-même, qui donne à toutes choses être et vie : aux choses composées, par l’intermédiaire de la forme, qui est partie de leur essence ; mais aux substances simples, par toute leur essence. Mais Dieu lui-même ne vit pas par quelque principe efficient, mais il est lui-même son acte de vivre et d’être ; et, sur ces deux points, la perfection divine fait défaut à l’âme.

 

[4959] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illud quo operatur anima, dupliciter acceptum differt ab ipsa. Operatur enim anima aliquo influente sibi esse, vivere et operari, scilicet Deo, qui operatur omnia in omnibus; quae constat ab anima differre. Operatur etiam naturali sua potentia, quae est principium suae operationis, scilicet sensu vel intellectu: quae non est essentia ejus, sed virtus ab essentia fluens. Neutro autem modo Deus operatur alio a se, quia a seipso operari habet, et ipse est sua virtus. Non autem dicitur anima operari aliquo quod non sit ipsa sed pars essentiae suae, sicut corpora naturalia operantur forma quae est pars essentiae eorum, licet mediante aliqua virtute quasi instrumento, sicut ignis mediante calore.

6. Ce par quoi l’âme opère diffère d’elle-même de deux manières. En effet, l’âme opère par quelqu’un qui lui donne l’être, le vivre et l’agir, à savoir, Dieu, qui réalise tout en tous [1 Co 1, 6], dont il est clair que l’âme diffère. [L’âme] opère aussi par sa puissance, qui est le principe de son opération, à savoir, par le sens et par l’intellect, qui ne sont pas son essence, mais des puissances issues de son essence. Or, Dieu n’agit d’aucune des deux manières par quelque chose d’autre que lui-même, car il possède par lui-même son agir et il est lui-même sa propre puissance. Mais on ne dit pas que l’âme agit par quelque chose qui n’est pas elle-même, mais [qui est] une partie de son essence, comme les corps naturels agissent par une forme qui est partie de leur essence, bien que ce soit par l’intermédiaire d’une puissance comme instrument, tel le feu par l’intermédiaire de la chaleur.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 1 – [L’âme a-t-elle été créée hors du corps ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[4960] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 pr. Tertio quaeritur, utrum anima extra corpus creata sit; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum sit una anima vel intellectus omnium hominum, quasi quaedam substantia separata in omnia corpora influens; 2 si sint plures, utrum sint in corpore, an extra corpus creatae.

Troisièmement, on demande si l’âme a été créée hors du corps. À ce sujet, deux questions sont posées : 1. Y a-t-il une seule âme ou un seul intellect de tous les hommes, comme une substance séparée agissant dans tous les corps ? 2. S’il y en a plusieurs, ont-elles été créées dans un corps ou en dehors d’un corps ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4961] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 tit. Utrum anima intellectiva vel intellectus sit, unus in omnibus hominibus

Article 1 – L’âme intellectuelle ou l’intellect est-il unique pour tous les hommes ?

 

[4962] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod anima rationalis vel intellectus sit unus numero in omnibus. Nulla enim forma multiplicatur secundum esse ad divisionem materiae, nisi forma materialis. Sed intellectus, ut in 3 de anima probatur, non est forma materialis, cum non sit actus corporis cujusdam: quod ex ipso suo actu probatur, quia cognoscit omnes formas materiales; quod non posset esse, si aliquam earum haberet in natura sua, vel determinaretur ad eam ex corpore cujus esset actus: sicut virtus visiva non cognosceret omnes colores, si pupilla quae est organum ejus, haberet determinatum colorem. Ergo intellectus non multiplicatur secundum esse ad divisionem materiae; et ita manet unus in omnibus individuis humanae speciei, quae non nisi per materiam dividuntur.

1. Il semble que l’âme raisonnable ou l’intellect soit numériquement unique pour tous. En effet, aucune forme n’est multipliée selon l’être par la division de la matière, sauf une forme matérielle. Or, comme on le démontre dans Sur l’âme, III, l’intellect, n’est pas une forme matérielle, puisqu’elle n’est pas l’acte d’un corps. Cela est démontré par son acte, car elle connaît toutes les formes matérielles, ce qui ne pourrait être le cas, si elle en possédait une dans sa nature, ou bien elle serait déterminée à elle en raison du corps dont elle serait l’acte. Ainsi, la capacité de voir ne connaîtrait pas plusieurs couleurs, si la pupille, qui est son organe, possédait une couleur déterminée. L’intellect n’est donc pas multiplié selon l’être par la division de la matière. Et ainsi, il demeure unique pour tous les individus de l’espèce humaine, qui ne sont divisés que par la matière.

 

[4963] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, impossibile est quod principium sit materialius quam principiatum, quia principium oportet esse simplicius. Sed, sicut ab omnibus conceditur, aliquae sunt potentiae animae rationalis quae non sunt actus corporis cujusdam, nec organis affixae, cujus principium et radix est ipsa essentia animae. Ergo videtur quod nec ipsa anima rationalis corpori uniatur per essentiam suam sicut actus ejus; et ita sequitur, ut videtur, quod ad divisionem corporum, anima rationalis non distinguatur.

2. Il est impossible que le principe soit plus matériel que ce dont il est le principe, car il faut que le principe soit plus simple. Or, comme tous les concèdent, il existe certaines puissances de l’âme raisonnable qui ne sont pas des actes du corps et ne sont pas non plus associées à des organes, et dont le principe et la racine sont l’essence même de l’âme. Il semble donc que l’âme raisonnable elle-même ne soit pas unie au corps par son essence en tant que son acte ; il en découle, semble-t-il, que les âmes raisonnables ne se distinguent pas par la division des corps.

 

[4964] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, omne quod recipitur in aliquo, recipitur in eo per modum recipientis, et non per modum sui, ut ex Dionysio et ex Lib. de causis habetur. Si ergo intellectus individuetur ad divisionem corporis, ut sit alius diversorum, oportet quod formae intellectuales in eo receptae, etiam sint individuatae: ex quo videntur sequi duo inconvenientia. Unum est, cum nullum particulare sit intellectum in actu, sed in potentia, quod hujusmodi species non erunt intelligibiles in actu, sed indigebunt intelligi per alias species, et sic in infinitum procedetur. Aliud est quod erit idem modus recipiendi formas in materia prima et in intellectu possibili, quia utrobique recipiuntur ut sunt istae, et non ut sunt formae simpliciter: et ita, sicut materia prima non est cognoscibilis per formas quas recipit, ita nec intellectus possibilis, ut videtur.

3. Ce qui est reçu dans une chose y est reçu selon le mode de ce qui reçoit, et non selon son mode, comme on le lit chez Denys et dans le Livre sur les causes. Si donc l’intellect est individué selon la division du corps, de sorte qu’il est différent pour les différents [corps], il est nécessaire que les formes intellectuelles reçues en lui soient aussi individuées. Deux conséquences inappropriées semblent découler de cela. L’une est que, puisque rien de particulier n’est intelligé en acte, mais en puissance, ces espèces ne seront pas intelligibles en acte, mais elles auront besoin d’être intelligées par d’autres espèces, et l’on irait ainsi à l’infini. L’autre est que le mode de réception des formes dans la matière première et dans l’intellect possible sera le même – car elles sont reçues ches les deux telles qu’elles sont, et non comme de simples formes ‑. Et ainsi, de même que la matière première n’est pas connaissable par les formes qu’elle reçoit, de même en sera-t-il aussi de l’intellect possible, semble-t-il.

 

[4965] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, quaecumque distinguuntur ad invicem, oportet quod aliquid diversum sit in natura utriusque. Sed cum intellectus nihil sit eorum quae sunt ante intelligere, videtur quod non sit aliquid diversum invenire in eo nisi secundum diversitatem specierum intellectivarum. Ergo non differunt intellectus istius et illius per essentiam, sed per species intellectas tantum.

4. Tout ce qui se distingue réciproquement doit être différent selon la nature de chacun. Or, puisque l’intellect n’est rien de ce qui existe avant d’intelliger, il semble qu’on ne puisse trouver rien de différent en lui, sauf selon la diversité des espèces intellectives. L’intellect de l’un n’est donc pas différent de l’intellect d’un autre par essence, mais par les espèces intelligées seulement.

 

[4966] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, in omnibus substantiis per se existentibus et immaterialibus diversitas secundum numerum redundat in diversitatem speciei: quia si habent esse suum absolutum subsistens, non possunt distingui essentialiter per aliquid quod sit extra essentiam earum, super quod deferantur, sicut formae corporales super materiam delatae. In essentia autem earum non est diversitas formae, quae diversitatem speciei inducit. Sed non est dicere quod intellectus diversorum hominum differant secundum speciem, quia et ipsi homines specie differunt ad diversitatem suarum formarum. Ergo cum anima rationalis sit substantia in se subsistens (alias post corpus non maneret), et etiam sit immaterialis, videtur quod nec etiam numero in diversis hominibus differat.

5. Chez toutes les substances qui existent par elles-mêmes et sont immatérielles, la diversité numérique revient à la diversité de l’espèce, car si elles possédent leur être absolu subsistant, elles ne peuvent être distinguées selon l’essence par quelque chose qui est extérieur à leur essence, sur quoi elles sont reportées, comme les formes corporelles sur la matière présentée. Or, à l’intérieur de leur essence, il n’y a pas de diversité de forme, qui entraîne une diversité d’espèce. Mais on ne peut dire que les intellects des divers hommes diffèrent selon l’espèce, car les hommes eux-mêmes diffèrent par l’espèce selon la diversité de leur forme. Puisque l’âme raisonnable est une substance qui subsiste en elle-même (autrement, elle ne demeurerait pas après le corps) et qu’elle est même immatérielle, il semble donc qu’elle ne diffère pas non plus chez les divers hommes.

 

[4967] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra est, quod impossibile est plurium individuorum esse unam formam numero. Sed anima rationalis est forma cujuslibet hominis: si enim homo haberet esse a substantia sensitivae, vel nutritivae, non posset in homine inveniri quantum ad suum esse primum unde animalia excederet; quod est inconveniens. Ergo impossibile est unam tantum esse animam rationalem omnium.

Cependant, [1] il est impossible qu’il n’existe numériquement qu’une seule forme chez plusieurs individus. Or, l’âme raisonnable est la forme de tout homme : en effet, si l’homme tenait son être d’une substance sensible ou nutritive, on ne pourrait trouver en l’homme ce par quoi il dépasserait les animaux par son être premier, ce qui est inapproprié. Il est donc impossible qu’il n’existe qu’une seule âme raisonnable pour tous.

 

[4968] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, impossibile est inveniri diversitatem quoad esse secundum in illis quorum nulla est diversitas quoad esse primum: quia diversitas secundarum perfectionum et contrarietas non potest esse simul cum unitate perfectionis primae, quia sic contraria essent in eodem. Sed nos invenimus perfectiones ultimas quantum ad esse secundum, esse in diversis hominibus diversas et contrarias; quorum quidam sunt stulti et quidam sapientes, et quidam vitiosi et quidam virtuosi. Ergo oportet primam perfectionem, scilicet animam, quantum ad esse primum, in diversis variari.

[2] Il est impossible de trouver une diversité pour l’être second chez ceux qui n’ont aucune diversité pour leur être premier, car la diversité et le caractère contraire des perfections secondes ne peuvent exister en même temps que l’unité de perfection première, puisque des contraires existeraient alors dans le même. Or, nous trouvons que des perfections ultimes pour l’être second existent diverses et contraires chez divers hommes, dont certains sont idiots et d’autres sages, certains sont vicieux et d’autres vertueux. Il est donc nécessaire que la perfection première, c’est-à-dire l’âme, soit différente chez les différents [hommes] pour ce qui est de l’être premier.

 

[4969] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, anima est forma corporis et motor. Sed in corporibus caelestibus, secundum positionem philosophorum, diversis corporibus assignantur diversi motores. Ergo videtur quod multo fortius in diversis hominibus sint diversae animae.

[3] L’âme est la forme et le moteur du corps. Or, chez les corps célestes, divers moteurs sont assignés aux divers corps, selon la position des philosophes. Il semble donc qu’à bien plus forte raison, les âmes soient différentes chez les divers hommes.

 

[4970] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa unitatem et diversitatem animae rationalis sunt plures philosophorum opiniones, praetermissis illis qui ponunt intellectum esse unum in tota natura intellectuali, vel qui ponunt intellectum esse idem quod divina essentia. Ad quarum intellectum oportet intelligere, quod distinguitur secundum philosophos tripliciter intellectus: scilicet intellectus possibilis, intellectus agens, et intellectus in habitu: et dicitur intellectus possibilis qui est in potentia ad recipiendum omnes formas intellectas, sicut oculus est in potentia ad recipiendum omnes colores; intellectus autem agens dicitur qui facit intelligibilia in potentia esse in actu, sicut lumen quod facit colores in potentia visibiles, esse actu visibiles: intellectus autem in habitu vel formalis ab eis dicitur quando intellectus possibilis jam perfectus est specie intelligibili, ut operari possit: nulla enim potentia passiva habet operationem nisi per speciem objecti sui perfecta fuerit, sicut visus non videt antequam recipiat speciem coloris. His ergo visis, sciendum est, quod in hoc fere omnes philosophi concordant post Aristotelem, quod intellectus agens et possibilis differunt secundum substantiam; et quod intellectus agens sit substantia quaedam separata, et postrema in substantiis separatis, et ita se habet ad intellectum possibilem quo intelligimus, sicut intelligentiae superiores ad animas orbium. Sed hoc secundum fidem non potest sustineri. Si enim, ut Anselmus probat, reparationem hominis per Angelum Deus fieri noluit, ne paritas hominis et Angeli in gloria tolleretur, dum Angelus homini fieret causa salutis; similiter si poneretur anima nostra secundum naturalem operationem dependere ab aliqua intelligentia vel Angelo, non posset rationabiliter sustineri, quod anima Angelis par sit in gloria futura, quia ultima perfectio uniuscujusque substantiae est in complemento suae operationis: et ideo uniri cum intelligentia agente ponunt praedicti philosophi ultimam felicitatem hominis. Et ideo quidam Catholici doctores corrigentes hanc opinionem, et partim sequentes, satis probabiliter posuerunt, ipsum Deum esse intellectum agentem; quia per applicationem ad ipsum, anima nostra beata est; et hoc confirmant per hoc quod dicitur Joan. 1, 9: erat lux vera, quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum. De intellectu autem possibili similiter fuit magna diversitas inter philosophos sequentes Aristotelem. Quidam enim dixerunt, intellectum possibilem esse diversum in diversis; quidam vero esse unum in omnibus. Eorum autem qui posuerunt eum diversum esse in diversis, sunt tres opiniones. Quidam enim dicunt, intellectum possibilem nihil aliud esse quam praeparationem quae est in natura humana ad recipiendam impressionem intellectus agentis; et hanc esse virtutem corporalem consequentem complexionem humanam: et haec fuit opinio Alexandri. Sed hoc non potest stare etiam secundum intentionem Aristotelis qui vult quod intellectus possibilis sit receptivus specierum intelligibilium. Praeparatio autem non est receptiva, sed magis praeparativa: praeparatum autem hac praeparatione est corpus, vel virtus in corpore: et ita illud quod recipit formas intelligibiles, esset corpus, vel virtus in corpore: quod philosophus improbat. Praeterea sequeretur quod intellectus possibilis non esset virtus cognoscitiva. Nulla enim virtus causata ex commixtione elementorum, est cognoscitiva: quia sic qualitas elementorum ageret ultra suam speciem, quod est impossibile. Et ideo alii dixerunt, quod intellectus possibilis nihil aliud est quam virtus imaginativa, secundum quod est nata ut sint in ea formae quae fuerunt intellectae in actu: et haec est opinio Avempace. Sed hoc etiam est impossibile: quia, secundum philosophum in 3 de anima, phantasmata quae sunt in imaginativa, se habent ad intellectum humanum sicut colores ad visum: et ideo oportet quod phantasmata sint moventia intellectum possibilem, sicut color movet visum: unde aptitudo quae est in intellectu possibili ad intelligendum, est similis aptitudini quae est in patiente in potentia, ut sit patiens in actu: aptitudo autem quae est in imaginativa, est sicut aptitudo agentis in potentia, ut sit agens in actu. Impossibile autem est quod idem sit movens et motum, et agens et patiens. Ergo impossibile est quod virtus imaginativa sit intellectus possibilis. Praeterea, adhuc sequeretur quod virtus recipiens intelligibilia in actu, quae dicitur intellectus possibilis, esset utens organo corporali, cum virtus imaginativa habeat determinatum organum. Sciendum est etiam, quod secundum has opiniones intellectus possibilis generatur generato corpore, et corrumpitur corrupto corpore: et cum non sit differentia intellectus in diversis hominibus nisi intellectus possibilis, quia agens est unus; sequeretur quod illud quod remanet de intellectu ex omnibus hominibus post mortem, esset unum numero, scilicet intellectus agens: et hoc est valde haereticum, quia sic tolleretur retributio meritorum post mortem. Et ideo tertia opinio est Avicennae qui ponit intellectum possibilem in diversis diversum, fundatum in essentia animae rationalis, et non esse virtutem corporalem, et cum corpore incipere, sed non cum corpore finiri. Unde quantum ad intellectum possibilem, ejus opinio est quam tenemus secundum fidem Catholicam, quamvis erret cum aliis de intellectu agente, ut dictum est. Eorum autem qui ponunt unum intellectum possibilem in omnibus, duplex est opinio. Una est Themistii et Theophrasti, ut Commentator eis imponit in 3 de anima. Dicunt enim, quod intellectus in habitu, qui est tertius, est unus in omnibus, et aeternus, et est quasi compositus ex intellectu agente et possibili, ita quod intellectus agens est sicut forma ejus, et per continuationem intellectus possibilis continuatur etiam in nobis intellectus agens; ita quod intellectus agens est de substantia intellectus speculativi, qui etiam dicitur intellectus in habitu, per quem intelligimus: et hujusmodi signum inducunt, quia illa actio intellectus quae est in potestate nostra, pertinet ad intellectum in habitu. Cum ergo abstrahere species a phantasmatibus sit in potestate nostra, oportet quod intellectus agens sit intellectus in habitu sicut forma ejus. Et ad hanc positionem deducuntur qui ex demonstratione Aristotelis volunt habere, quod intellectus possibilis sit unus in omnibus: quia non est hoc aliquid nec virtus in corpore; et per consequens quod sit aeternus. Et dicunt iterum, quod intellectus agens similiter sit aeternus, et quod impossibile sit effectum esse generabilem et corruptibilem, si agens et recipiens sit aeternum. Unde posuerunt, quod species intellectae sunt aeternae; et ideo non contingit quod intellectus quandoque intelligat et quandoque non, per hoc quod fiant novae species intelligibiles quae prius non fuerunt; sed ex conjunctione intellectus agentis cum possibili, secundum quod continuatur in nobis per impressionem suam. Sed hanc opinionem Commentator improbat: quia sequeretur quod formae rerum naturalium quae intelliguntur, essent ab aeterno sine materia, et extra animam, ex quo species illae non ponuntur in intellectu possibili ut forma ejus; quia forma intellectus possibilis ponitur ab eis intellectus agens. Sequeretur etiam, cum ultima perfectio hominis sit secundum intellectum in habitu, et prima secundum intellectum possibilem, quod homo non differret ab homine neque secundum ultimam perfectionem neque secundum primam; et sic esset unum esse et una perfectio omnium hominum, quod est impossibile. Et ideo ipse tenet aliam viam, quod tam intellectus agens quam possibilis, est aeternus et unus in omnibus; sed species intelligibiles non sunt aeternae; et ponit quod intellectus agens non se habet ad possibilem ut forma ejus, sed ut artifex ad materiam; et species intellectae abstractae a phantasmatibus, sunt sicut forma intellectus possibilis, ex quibus duobus efficitur intellectus in habitu. Et per hanc positionem nititur evadere omnia inconvenientia quae contingunt Themistio. Primo, quia ostendit quod non est necessarium quod si intellectus agens est aeternus et recipiens aeternum, scilicet intellectus possibilis, quod formae sint aeternae, scilicet species intelligibiles. Sicut enim species visibilis habet duplex subjectum; unum in quo habet esse spirituale, scilicet visum; et aliud in quo habet esse materiale, scilicet corpus coloratum; ita etiam species intelligibilis habet duplex subjectum; unum in quo habet esse materiale, scilicet ipsa phantasmata quae sunt in imagine, et secundum hoc esse istae species non sunt aeternae: aliud est in quo habet esse immateriale, scilicet intellectum possibilem; et secundum hoc subjectum non habent quod sint generabiles et corruptibiles. Sed ista responsio nulla videtur. Sicut enim non est eadem numero species coloris quae est in pariete et quae est in oculo; ita non est eadem numero species quae est in imaginatione et in intellectu possibili; unde adhuc remanet quod illa species quae est in intellectu possibili, habeat unum subjectum tantum, et illa quae est in imaginatione generabilis et corruptibilis, sit alia numero: nisi forte dicatur, quod sunt aeternae simpliciter, sed non quo ad eum in quo ab aeterno non sunt phantasmata, quorum similitudines sunt apud intellectum possibilem. Sed tamen, cum nulla phantasmata sint aeterna, adhuc sequeretur quod illae species quae sunt ab aeterno in intellectu possibili, non essent abstractae ab aliquibus phantasmatibus; et hoc est contra intentionem et verba philosophi. Secundo autem nititur ostendere, quod ex hac positione non sequitur quod omnium hominum sit unum esse et una operatio, secundum quam omnes sint aequaliter facientes. Dicit enim, quod cum species intellecta se habeat ad intellectum possibilem quodammodo ut forma ad materiam, hoc modo quod ex eis quodammodo efficitur unum completum, conjunctio ejus ad nos est per id quod est formale in dicta conjunctione, scilicet per speciem intellectam (cujus unum subjectum dicit esse phantasma, quod est in nobis) et ad ipsum intellectum possibilem. Unde cum in diversis sint diversa phantasmata, diversis hominibus conjungitur intellectus possibilis diversa conjunctione: et ex hoc homines habent esse diversum: ex hoc etiam unus scit quod alter ignorat, quia secundum unam speciem intellectam conjungitur uni secundum quam non conjungitur alteri, quamvis quaedam intentiones intellectae sint, ut primae conceptiones intellectus, secundum quas omnibus conjungitur, a quibus intellectus possibilis nunquam denudatur, hominibus ab aeterno existentibus, ut ipse dicit. Unde concludit quod illud quod est in nobis de intellectu, quodammodo est corruptibile, et quodammodo est incorruptibile: quia ex parte illa unde multiplicantur phantasmata, accidit corruptio; sed ex parte intellectus possibilis est incorruptibilitas. Unde sequitur etiam ex hoc quod post corporum corruptionem nulla diversitas animarum remaneat. Sed haec ratio ostenditur esse frivola multipliciter. Primo, quia, ut dictum est, species quae est forma intellectus possibilis, non est eadem numero in phantasmate et in subjecto; sed est similitudo illius; unde sequitur quod intellectus nullo modo nobis conjungatur, et sic per ipsum non intelligamus. Secundo, quia conjunctio intellectus cum specie intellecta, est per operationem intellectus, pertinens ad perfectionem secundam; unde impossibile est quod mediante tali conjunctione acquiratur homini perfectio sua prima et esse substantiale: et sic, cum homo ex tali conjunctione sit habens intellectum, ut dicunt, homo non esset homo in specie determinata per hoc quod est habens intellectum: quia illud medium, scilicet species intellecta, cum utroque extremorum conjungitur modo accidentis ad subjectum, scilicet cum virtute imaginativa, et cum intellectu possibili; quod est contra philosophum in 8 Metaph., ubi dicit, animam corpori nullo mediante uniri, nec etiam mediante scientia, ut Licophron dicebat; in quod ista positio redire videtur. Tertio, quia operatio non egreditur ab objecto, sed a potentia: non enim visibile videt, sed visus. Si ergo non conjungitur intellectus nobiscum, nisi per hoc quod species intellecta aliquo modo habet subjectum in nobis, sequitur quod hic homo, scilicet Socrates, non intelligat, sed quod intellectus separatus intelligat ea quae ipse imaginatur: et plura alia absurda non difficile est adducere. Et ideo, remotis omnibus praedictis erroribus, dico cum Avicenna, intellectum possibilem incipere quidem esse in corpore, sed cum corpore non deficere, et in diversis diversum esse, et multiplicari secundum divisionem materiae in diversis individuis, sicut alias formas substantiales: et superaddo etiam, intellectum agentem esse in diversis diversum: non enim videtur probabile quod in anima rationali non sit principium aliquod quod naturalem operationem explere possit; quod sequitur, si ponatur unus intellectus agens, sive dicatur Deus, vel intelligentia. Nec iterum dico, haec duo, scilicet intellectum agentem et possibilem, esse unam potentiam diversimode nominatam secundum diversas operationes; quia quaecumque actiones reducuntur in contraria principia, impossibile est eas reducere in eamdem potentiam; propter quod memoria a sensu distinguitur, quia recipere species sensibilium, quod est sensus, et tenere, quod est memoriae, reducuntur in contraria principia etiam in corporibus, scilicet humidum, et siccum. Cum ergo recipere species intellectas, quod est intellectus possibilis, et facere eas intelligibiles actu, quod est intellectus agentis, non possint secundum idem convenire; sed recipere convenit alicui secundum quod est in potentia, et facere secundum quod est in actu: impossibile est agentem et possibilem non esse diversas potentias. Sed quomodo possint radicari in una substantia, est difficile videre: non enim videtur quod uni substantiae possit convenire esse in potentia respectu omnium formarum intelligibilium, quod est intellectus possibilis, et esse actu respectu omnium illarum, quod est intellectus agentis: alias non posset facere omnes formas intelligibiles, cum nihil agat nisi secundum quod est in actu. Sed tamen sciendum quod non est inconveniens aliqua duo esse, quorum utrumque secundum diversa est in potentia respectu alterius; sicut ignis est in potentia frigidus, quod actu aquae convenit; et aqua est in potentia calida, quod actu est in igne; unde agunt et patiuntur ad invicem. Similiter dico quod se habet res sensibilis ad animam intellectivam: res enim sensibilis est potentia intelligibilis, et actu naturam distinctam habens: in anima vero est actu lumen intellectuale; sed determinatio cognitionis respectu hujus vel illius naturae est in potentia; sicut pupilla est in potentia respectu hujus vel illius coloris; et ideo anima virtutem habet per quam facit species sensibiles esse intelligibiles actu, quae est intellectus agens; et habet virtutem per quam est in potentia, ut efficiatur in actu determinatae cognitionis a specie rei sensibilis, factae intelligibilis actu: et haec virtus vel potentia dicitur intellectus possibilis: et harum duarum virtutum operationes sequitur omne nostrum intelligere, tam principiorum, quam conclusionum; unde apparet falsum esse quod quidam dicunt, habitum principiorum esse intellectum agentem.

Réponse. À propos de l’unité et de la diversité de l’âme raisonnable, il existe plusieurs opinions chez les philosophes, en laissant de côté ceux qui affirment que l’intellect est unique pour toute nature intellectuelle ou qui affirment que l’intellect est la même chose que l’essence divine. Pour les saisir, il faut comprendre qu’il existe une triple disitinction dans l’intellect selon les philosophes : l’intellect possible, l’intellect agent et l’intellect en habitus. On appelle intellect possible celui qui est en puissance de recevoir toutes les formes intelligées, comme l’œil est en puissance de recevoir toutes les couleurs. Mais on parle d’intellect agent pour celui qui fait passer à l’acte ce qui est intelligible en puissance, comme la lumière qui rend visibles en acte les couleurs visibles en puissance. [Les philosophes] parlent d’intellect en habitus ou formel lorsque l’intellect possible a déjà été perfectionné par l’espèce intelligible afin de pouvoir opérer. En effet, aucune puissance passive n’opère que si elle a été perfectionnée par l’espèce de son objet, comme la vue ne voit pas avant de recevoir l’espèce de la couleur. Après avoir vu cela, il faut savoir que presque tous les philosophes s’accordent avec Aristote sur le fait que l’intellect agent et l’intellect possible diffèrent selon leur substance, que l’intellect agent est une substance séparée ultime chez les substances séparées, et que son rapport à l’intellect possible, par lequel nous intelligeons, est semblable à celui des intelligences supérieures par rapport aux âmes des sphères. Or, cela ne peut être soutenu selon la foi. En effet, comme le montre Anselme, si Dieu n’a pas voulu que la restauration de l’homme se réalise par un ange, de sorte que l’égalité en gloire de l’homme et de l’ange ne soit pas enlevée par le fait que l’ange serait devenu pour l’homme cause du salut ; de même, si on affirmait que notre âme dépend d’une intelligence ou d’un ange pour son opération naturelle, on ne pourrait raisonnablement soutenir que l’âme est égale aux anges pour la gloire future, car la perfection ultime de toute substance est dans l’accomplissement de son opération. C’est pourquoi les philosophes mentionnés affirment que l’ultime félicité de l’homme consiste à ce qu’il soit uni à l’intellect agent. Aussi certains docteurs catholiques, en corrigeant cette opinion et en la suivant en partie, ont affirmé d’une manière assez convaincante que Dieu lui-même est l’intellect agent, car, en s’appliquant à lui, notre âme est bienheureuse. Et ils confirment cela par ce qui est dit en Jn 1, 9 : Il était la lumière, qui illumine tout homme venant en ce monde. À propos de l’intellect possible, il y a aussi eu une grande diversité parmi les philosophes qui ont suivi Aristote. En effet, certains ont dit que l’intellect possible est distinct chez les divers hommes, mais certains, qu’il est unique chez tous. Parmi ceux qui ont affirmé qu’il est distinct chez les divers hommes, il y a trois opinions. En effet, certains disent que l’intellect possible n’est rien d’autre que la préparation à recevoir l’empreinte de l’intellect agent qui existe dans la nature humaine, et que celle-ci est une puissance corporelle découlant de la complexion humaine. Telle fut l’opinion d’Alexandre. Mais cela ne peut pas être soutenu, même selon l’intention d’Aristote, qui veut que l’intellect possible soit réceptif par rapport aux espèces intelligibles. Or, la préparation n’est pas réceptive, mais plutôt préparatoire, et ce qui est préparé par une telle préparation est le corps ou une puissance dans le corps. Et ainsi, ce qui reçoit les formes intelligibles serait le corps ou une puissance dans le corps, ce que le Philosophe repousse. De plus, il en découlerait que l’intellect possible ne serait pas une puissance cognitive. En effet, aucune puissance causée par un mélange d’éléments n’est cognitive, car la qualité des éléments agirait ainsi au-delà de son espèce, ce qui est impossible. C’est pourquoi d’autres ont dit que l’intellect possible n’est rien d’autre que la puissance imaginative, selon qu’elle est destinée à posséder en elle les formes qui ont été intelligées en acte : telle est l’opinion d’Avempace [ibn Baja]. Mais cela aussi est impossible, car, selon le Philosophe, Sur l’âme, III, les fantasmes qui se trouvent dans l’imagination ont avec l’intellect humain le même rapport que les couleurs avec la vue. Aussi faut-il que les fantasmes causent un mouvement dans l’intellect possible, comme la couleur meut la vue. La capacité d’intelliger de l’intellect possible est ainsi semblable à la capacité qui existe dans ce qui subit en puissance, faisant en sorte que ce qui subit passe à l’acte. Or, la capacité qui existe dans l’imagination est semblable à celle d’un agent en puissance de devenir un agent en acte. Or, il est impossible qu’une même chose soit ce qui meut et ce qui est mû, et agent et patient. Il est donc impossible que la puissance imaginative soit l’intellect possible. De plus, il en découlerait encore que la puissance qui reçoit les intelligibles en acte, appelée intellect possible, utiliserait un organe corporel, puisque la puissance imaginative a un organe déterminé. Il faut aussi savoir que, selon ces opinions, l’intellect possible est engendré lorsque le corps est engendré, et est corrompu lorsque le corps est corrompu. Et comme il n’existe pas de différence entre les divers hommes, sinon celle de l’intellect possible ‑ car ce qui agit est unique ‑, il en découlerait que ce qui reste de l’intellect pour tous les hommes après la mort serait numériquement unique, à savoir l’intellect agent. Et cela est profondément hérétique, car on enlèverait ainsi la récompense des mérites après la mort. Aussi y a-t-il une troisième opinion, celle d’Avicenne : il affirme que l’intellect possible est divers chez les divers hommes, qu’il est fondé dans l’essence de l’âme raisonnable et qu’il n’est pas une puissance corporelle, qu’il commence avec le corps, mais qu’il ne se termine pas avec le corps. Pour ce qui concerne l’intellect possible, son opinion est donc celle que nous tenons selon la foi catholique, bien qu’il erre avec les autres à propos de l’intellect agent, comme on l’a dit. Or, il existe deux opinions chez ceux qui affirment que l’intellect possible est unique pour tous. L’une est celle de Thémistius et de Théophraste, telle que la leur attribue le Commentateur, Sur l’âme, III. Ils disent en effet que l’intellect en habitus, qui est le troisième [intellect], est unique pour tous et éternel, et qu’il est pour ainsi dire composé de l’intellect agent et de l’intellect possible, de telle sorte que l’intellect agent est comme la forme de celui-ci et que, par la continuité de l’intellect possible, l’intellect agent se continue encore chez nous. Ainsi, l’intellect agent fait partie de la substance de l’intellect spéculatif, appelé aussi intellect en habitus, par lequel nous intelligeons. Ils en donnent comme signe que l’action de l’intellect qui est en notre pouvoir relève de l’intellect en habitus. Puisque abstraire des espèces à partir des fantasmes est en notre pouvoir, il faut donc que l’intellect agent soit l’intellect en habitus en tant que sa forme. C’est à cette position que sont conduits ceux qui, à partir de la démonstration d’Aristote, veulent conclure que l’intellect possible est unique pour tous, car il n’est pas telle chose ni une puissance dans le corps et, par conséquent, il est éternel. Ils disent encore que l’intellect agent est aussi éternel et qu’il est impossible que l’effet soit engendré et corruptible, si ce qui agit et ce qui reçoit est éternel. Aussi ont-ils affirmé que les espèces intelligées sont éternelles. Il n’arrive donc pas que l’intellect parfois intellige et parfois non, du fait que de nouvelles espèces deviennent intelligibles, alors qu’elles ne l’étaient pas auparavant, mais [cela se produit] par l’union de l’intellect agent à l’intellect possible, selon qu’il se prolonge en nous par son empreinte. Mais le Commentateur repousse cette opinion, car il en découlerait que les formes des choses naturelles qui sont intelligées existeraient éternellement sans matière hors de l’âme ; de ce fait, ces espèces ne sont pas considérées comme la forme de l’intellect possible, car ils disent que la forme de l’intellect possible est l’intellect agent. Il en découlerait aussi, puisque la perfection ultime de l’homme consiste dans l’intellect en habitus et sa [perfection] première dans l’intellect possible, qu’un homme ne différerait d’un autre homme ni selon la perfection ultime ni selon la [perfection] première. Il n’y aurait ainsi qu’une seule perfection pour tous les hommes, ce qui est impossible. Aussi emprunte-t-il lui-même une autre voie : aussi bien l’intellect agent que l’intellect possible sont-ils éternels et uniques pour tous les hommes ; mais les espèces intelligibles ne sont pas éternelles. Et il affirme que le rapport de l’intellect agent avec l’intellect possible ne consiste pas à être la forme de celui-ci, mais à être un artisan par rapport à une matière ; et les espèces intelligées abstraites des fantasmes sont pour ainsi dire la forme de l’intellect possible. L’intellect en habitus est réalisé par ces deux choses. Par cette position, il s’efforce d’échapper aux inconvénients qui se présentent à Thémistius. Premièrement, parce qu’il montre qu’il n’est pas nécessaire que, même si l’intellect agent est éternel et [l’intellect] qui reçoit sont éternels – à savoir, l’intellect possible ‑, les formes soient éternelles, à savoir, les espèces intelligibles. En effet, de même que l’espèce visible a un double sujet : l’un, dans lequel elle possède un être spirituel, la vue, et l’autre, dans lequel elle possède un être matériel, le corps coloré, de même aussi l’espèce intelligible possède-t-elle un double sujet : l’un, dans lequel elle possède un être matériel, les fantasmes eux-mêmes qui se trouvent dans l’imagination [corr. imagine/imaginatione], et, selon cet être, ces espèces ne sont pas éternelles ; l’autre, dans lequel elle possède un être immatériel, l’intellect possible, et selon ce sujet, [les espèces intelligibles] ne sont pas telles qu’elles puissent être engendrées et corrompues. Mais cette réponse ne semble pas en être une. En effet, de même que ce n’est pas numériquement la même espèce qui se trouve sur un mur et qui se trouve dans l’œil, de même n’est-ce pas numériquement la même espèce qui se trouve dans l’imagination et dans l’intellect possible. Il reste donc encore que l’espèce qui se trouve dans l’intellect possible possède un seul sujet, et celle qui se trouve dans l’imagination, susceptible d’être engendrée et corrompue, est numériquement autre ; à moins qu’on ne dise qu’elles sont simplement éternelles, mais non chez celui en qui les fantasmes n’existent pas éternellement, et dont les similitudes se trouvent dans l’intellect possible. Toutefois, comme aucun fantasme n’est éternel, il en découlerait encore que les espèces qui existent éternellement dans l’intellect possible ne seraient pas abstraites de fantasmes, et cela va à l’encontre de l’intention et des paroles du Philosophe. Deuxièmement, [le Commentateur] s’efforce de démontrer qu’il ne découle pas de cette position qu’il n’y a pour tous les hommes qu’un seul être et une seule opération, selon lesquels tous agissent également. En effet, il dit que, puisque l’espèce intelligée a en quelque sorte avec l’intellect possible un rapport de forme à matière, pour autant qu’un seul être complet est en quelque manière réalisé à partir d’eux, son union avec nous s’effectue par ce qui est formel dans cette union, à savoir, par l’espèce intelligée (dont il dit que le seul sujet est l’imagination, qui existe en nous), et par l’intellect possible lui-même. Aussi, puisque les fantasmes sont différents chez les différents hommes, l’intellect possible est uni aux différents hommes par une union différente. De ce fait, les hommes possèdent un être différent ; de ce fait aussi, l’un connaît ce qu’un autre ignore, car, par l’espèce intelligée, [l’intellect possible] est uni à l’un comme il n’est pas uni à un autre, bien que certaines intentions soient intelligées, telles les premières conceptions de l’intellect, par lesquelles [l’intellect possible] est uni à tous : l’intellect possible n’en est jamais dépouillé, elles existent éternellement chez les hommes, comme il le dit lui-même. Aussi conclut-il que ce qu’il y a d’intelligence en nous est en partie corruptible et en partie incorruptible, car, dans la partie où se multiplient les fantasmes, la corruption survient ; mais, du point de vue de l’intellect possible, il y a incorruptibilité. Il découle aussi de cela qu’après la corruption du corps, aucune diversité des âmes ne demeure. Mais ce raisonnement se révèle frivole de plusieurs manières. Premièrement, comme on l’a dit, puisque l’espèce qui est la forme de l’intellect possible, n’est pas numériquement la même dans le fantasme et dans le sujet, mais en est une ressemblance, il en découle que l’intellect ne nous est uni d’aucune manière et qu’ainsi nous n’intelligeons pas par lui. Deuxièmement, parce que l’union de l’intellect à l’espèce intelligée se réalise par une opération de l’intellect qui se rapporte à sa perfection seconde ; aussi est-il impossible que l’homme acquière sa perfection première et son être substantiel par l’intermédiaire d’une telle union. Et ainsi, puisque l’homme possède l’intellect par une telle union, comme on dit, l’homme ne serait pas homme dans une espèce déterminée par le fait qu’il possède l’intellect, car, cet intermédiaire, à savoir l’espèce intelligée, est uni aux deux extrêmes de la manière dont l’accident l’est à son sujet, à savoir la puissance imaginative, et avec l’intellect possible, ce qui va à l’encontre du Philosophe, Métaphysique, VIII, où il dit que l’âme est unie au corps sans intermédiaire, pas même par l’intermédiaire de la science, comme le disait Licophron, ce à quoi semble se ramener cette position. Troisièmement, parce que l’opération ne vient pas de l’objet, mais de la puissance. En effet, ce n’est pas ce qui est visible qui voit, mais la vue. Si donc l’intellect ne nous est uni que par le fait que l’espèce intelligée nous a en quelque manière comme sujet, il en découle que cet homme, à savoir Socrate, n’intellige pas, mais que l’intellect séparé intellige ce qu’il imagine. Et il n’est pas difficile de présenter plusieurs autres absurdités. Aussi, après avoir écarté toutes les erreurs mentionnées, je dis avec Avicenne que l’intellect possible commence à exister dans un corps, mais qu’il ne disparaît pas avec le corps, qu’il est différent chez les différents hommes, et qu’il est multiplié selon la division de la matière chez les divers individus, comme les autres formes substantielles. J’ajoute aussi que l’intellect agent existe différent chez les différents individus. En effet, il ne semble pas probable que n’existe pas dans l’âme raisonnable un principe qui puisse accomplir une opération naturelle, ce qui en découle si on affirme un seul intellect agent, qu’on l’appelle Dieu ou une intelligence. Je ne dis cependant pas que ces deux choses : l’intellect agent et l’intellect possible, sont une seule puissance, portant divers noms selon diverses opérations, car il est impossible de ramener à une même puissance toutes les actions qui se ramènent à des principes contraires. Ainsi, la mémoire est-elle distincte du sens parce que recevoir des espèces sensibles, ce qui relève du sens, et les conserver, ce qui relève de la mémoire, se ramènent à des principes contraires, même à des corps [contraires], à savoir, l’humide et le sec. Puisque recevoir des espèces intelligibles, ce qui relève de l’intellect possible, et les rendre intelligibles en acte, ce qui relève de l’intellect agent, ne peuvent être une même chose – recevoir convient à une chose selon qu’elle est en puissance, et faire, selon qu’elle est en acte –, il est donc impossible que [l’intellect] agent et [l’intellect] possible ne soient pas des puissances différentes. Mais il est difficile de voir comment elles peuvent s’enraciner dans une seule substance. En effet, il ne semble pas qu’il puisse convenir à une seule puissance d’être en puissance par rapport à toutes les formes intelligibles, ce qui relève de l’intellect possible, et d’être en acte par rapport par elles toutes, ce qui relève de l’intellect agent, autrement, il ne pourrait pas rendre toutes les formes intelligibles, puisqu’il n’accomplit rien que selon qu’il est en acte. Toutefois, il faut savoir qu’il n’est pas inapproprié que deux choses existent, dont les deux sont en puissance par rapport à autre chose sous divers aspects. Ainsi, le feu est froid en puissance, ce qui convient à l’eau en acte ; et l’eau est chaude en puissance, ce qui convient au feu en acte. Ainsi agissent-ils et sont-ils réceptifs réciproquement. De la même manière, je dis que le rapport entre une chose sensible et l’âme intellective est le même. En effet, la chose sensible est intelligible en puissance et possède en acte une nature distincte ; cependant, la lumière intellectuelle existe en acte dans l’âme, mais la détermination de la connaissance à telle ou telle nature existe en puissance, comme la pupille est en puissance par rapport à telle ou telle couleur. Aussi l’âme possède-t-elle une puissance par laquelle elle rend les espèces sensibles intelligibles en acte : c’est l’intellect agent ; et elle possède une puissance par laquelle elle est en puissance d’être actualisée par la connaissance déterminée de l’espèce d’une chose sensible, rendue intelligible en acte : cette capacité ou puissance est appelée intellect possible. Toute notre intellection découle des opérations de ces deux puissances, tant celle des principes que celle des conclusions. Aussi apparaît-il que ce que certains disent est faux : que l’habitus des principes est l’intellect agent.

 

[4971] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intellectus non negatur esse forma materialis quin det esse materiae sicut forma substantialis quantum ad esse primum; et ideo oportet quod ad divisionem materiae, quae causat diversa individua, sequatur etiam multiplicatio intellectus, idest animae intellectivae. Sed dicitur immaterialis respectu actus secundi, qui est operatio: quia intelligere non expletur mediante organo corporali, et hoc contingit quia ab essentia animae non exit operatio nisi mediante virtute ejus vel potentia; unde cum habeat quasdam virtutes quae non sunt actus aliquorum organorum corporis, oportet quod quaedam operationes animae sint non mediante corpore.

1. On ne nie pas que l’intellect soit une forme matérielle, de sorte qu’il donne l’être à la matière en tant que forme substantielle, pour ce qui est de l’être premier. C’est pourquoi il est nécessaire qu’une multiplication de l’intellect, à savoir, de l’âme intellective, découle de la division de la matière. Mais on dit qu’elle est immatérielle pour ce qui est de son acte second, qui est l’opération, car intelliger ne s’accomplit pas par l’intermédiaire d’un organe corporel, et cela se produit parce l’opération n’est issue de l’essence de l’âme que par l’intermédiaire de sa puissance ou capacité. Puisqu’elle possède certaines puissances qui ne sont pas des actes d’organes corporels, il est donc nécessaire que certaines opérations de l’âme existent sans la médiation du corps.

 

[4972] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quandocumque conjunguntur duo quorum unum est potentius altero, et trahit ad se illud, habet aliquam virtutem praeter illud quod sibi subjicitur; ut patet in flamma; quia ignis vincens vaporem cui conjungitur, habet virtutem illuminandi, ultra quam possit se extendere actio vaporis incensi calefaciendo. Cum ergo in conjunctione formae ad materiam forma inveniatur dominans; quanto forma est nobilior, et magis vincens materiam, tanto magis poterit habere virtutem praeter conditionem materiae. Unde quaedam corpora mixta praeter virtutes qualitatum activarum et passivarum, quae tenent se ex parte materiae, habent quasdam virtutes quae consequuntur speciem, ut quod magnes attrahit ferrum: et magis hoc invenitur in plantis, ut patet in augmento quod terminatur per virtutem animae, quod non posset esse per virtutem ignis, ut dicitur 2 de anima: et hoc adhuc invenitur plus in animalibus, quia sentire omnino est supra virtutem qualitatum elementarium: et perfectissime in anima rationali, quae est nobilissima formarum; et ideo ipsa habet quasdam virtutes in quibus nullo modo communicat corpus, et quasdam in quibus communicat.

2. Parfois, deux choses sont unies, dont l’une est plus puissante que l’autre, attire l’autre à elle-même et possède une puissance qui dépasse ce qui lui est soumis, comme cela ressort pour la flamme, car le feu, l’emportant sur la vapeur à laquelle il est uni, possède la puissance d’éclairer, au-delà de laquelle l’action de la vapeur consumée peut s’étendre en réchauffant. Puisque, lors de l’union d’une forme à une matière, on trouve que la forme l’emporte, plus une forme est noble et l’emporte sur la matière, plus grande sera sa puissance par-delà la condition de la matière. Aussi certains corps mixtes, en plus des puissances de leurs qualités actives et passives, qu’ils tiennent de la matière, possèdent-ils certaines puissances qui découlent de leur espèce ; ainsi, l’aimant attire le fer. Et on trouve cela surtout chez les plantes, comme cela apparaît dans la croissance qui est achevée par la puissance de l’âme, ce qui ne pourrait venir de la puissance du feu, comme on le dit dans Sur l’âme, II. On trouve cela encore davantage chez les animaux, car sentir dépasse tout à fait la puissance des qualités élémentaires. Et [on trouve cela] de la manière la plus parfaite dans l’âme raisonnable, qui est la plus noble des formes. Aussi possède-t-elle certaines puissances qu’elle n’a pas du tout en commun avec le corps, et certaines qu’elle a en commun.

 

[4973] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum Avicennam species intellecta potest dupliciter considerari: aut secundum esse quod habet in intellectu, et sic habet esse singulare; aut secundum quod est similitudo talis rei intellectae, prout ducit in cognitionem ejus; et ex hac parte habet universalitatem: quia non est similitudo hujus rei secundum quod haec res est, sed secundum naturam in qua cum aliis suae speciei convenit. Nec oportet omne singulare esse intelligibile tantum in potentia (sicut patet de substantiis separatis), sed in illis quae individuantur per materiam, sicut sunt corporalia: sed species istae individuantur per individuationem intellectus; unde non perdunt esse intelligibile in actu; sicut intelligo me intelligere, quamvis ipsum meum intelligere sit quaedam operatio singularis. Patet etiam per se, quod secundum inconveniens non sequitur: quia alius individuationis modus est per intellectum et per materiam primam.

3. Selon Avicenne, l’espèce intelligée peut être envisagée de deux manières : soit selon l’être qu’elle a dans l’intellect, et ainsi elle possède un être singulier ; soit selon qu’elle est une ressemblance de telle chose intelligée, en tant qu’elle en exprime la connaissance ; de ce point de vue, elle possède une universalité, car elle n’est pas une ressemblance de cette chose selon que cette chose existe, mais selon la nature que [cette chose] possède en commun avec les autres choses de son espèce. Et il n’est pas nécessaire que toute réalité singulière soit intelligible en puissance seulement (comme cela ressort pour les substances séparées), mais chez celles qui sont individuées par la matière, comme le sont les réalités corporelles ‑ mais ces espèces sont individuées par l’individuation de l’intellect. Aussi ne perdent-elles pas leur être intelligible en acte. Ainsi, je m’intellige en train d’intelliger, bien que cet acte de m’intelliger soit une opération singulière. Il est aussi de soi clair que le second inconvénient n’en découle pas, car le mode d’individuation par l’intellect et celui par la matière première sont différents.

 

[4974] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut Commentator etiam dicit in 3 de anima, illud quod est receptivum aliquorum, non oportet quod sit privatum qualibet natura determinata, sed quod sit denudatum a natura receptorum, sicut pupilla a natura colorum: et ideo intellectum possibilem necesse est habere naturam determinatam; sed ante intelligere, quod est per receptionem speciei, non habet in natura sua aliquid eorum quae a sensibilibus recipit: et hoc est quod dicitur, quod nihil est eorum quae sunt.

4. Comme le Commentateur le dit dans Sur l’âme, III, il n’est pas nécessaire que ce qui reçoit certaines choses soit privé de toute nature déterminée, mais qu’il soit dépouillé de la nature de ce qu’il reçoit, comme la pupille l’est de la nature des couleurs. Aussi est-il nécessaire que l’intellect possible possède une nature déterminée, mais, avant d’intelliger, ce qui se réalise par la réception de l’espèce, il ne possède dans sa nature rien de ce qu’il reçoit des réalités sensibles. C’est ce qui est dit : « Il n’est rien de ce qui existe. »

 

[4975] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis anima non habeat materiam partem sui ex qua sit, habet tamen materiam in qua est, cujus perfectio est; ad ejus enim divisionem multiplicatur secundum numerum, et non secundum speciem. Secus autem est in illis substantiis immaterialibus quae non habent etiam materiam cujus sint formae: quia in eis nulla materialis multiplicatio esse potest, sed tantum formalis, quae diversitatem speciei inducit.

5. Bien que l’âme n’ait pas de matière comme partie d’elle-même par laquelle elle existe, elle a cependant une matière dans laquelle elle existe, dont elle est la perfection. Selon sa division, elle est multipliée en nombre, et non selon l’espèce. Il en va autrement des substances immatérielles qui n’ont même pas de matière dont elles sont les formes, car il ne peut y avoir chez elles aucune multiplication matérielle, mais seulement formelle, qui entraîne la diversité d’espèce.

 

 

 

 

Articulus 2 [4976] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 tit. Utrum animae fuerint creatae extra corpora

Article 2 – Les âmes ont-elles été créées en dehors des corps ?

 

[4977] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod animae fuerint creatae extra corpora. Genes. 2, 2, dicitur, quod die septimo requievit Deus ab omni opere quod patrarat, idest cessavit aliquod opus novum facere. Sed novum opus est quod nec in se unquam fuit, nec in materia praecessit. Cum ergo anima immaterialis sit, et non possit dici quod secundum materiam praecesserit in operibus sex dierum, videtur quod ipsa in se praecesserit: alias Deus novum opus faceret in animae creatione. Ergo videtur quod animae extra corpora creatae fuerunt, cum corpora singularium ab initio non fuerint.

1. Il semble que les âmes aient été créées en dehors des corps. Il est dit en Gn 2, 2, que, le septième jour, Dieu se reposa de toutes les œuvres qu’il avait réalisées, c’est-à-dire qu’il cessa de réaliser toute œuvre nouvelle. Or, une œuvre nouvelle est celle qui n’a jamais existé en elle-même, et qui n’a pas non plus existé au préalable dans la matière. Puisque l’âme est immatérielle et qu’on ne peut dire qu’elle a précédé selon la matière dans les œuvres des six jours, il semble qu’elle ait précédé en elle-même, autrement Dieu réaliserait une œuvre nouvelle par la création de l’âme. Il semble donc que les âmes aient été créées en dehors des corps, puisque, au départ, il n’existait pas de corps pour chacune.

 

[4978] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 2 Si dicas, quod quamvis anima non praecesserit in materia in operibus sex dierum, praecessit tamen quantum ad rationem seminalem; contra. Si ratio seminalis animae praecesserit, oportet quod in aliqua creatura praecesserit, vel corporali, vel spirituali. Sed illud in quo est ratio seminalis alicujus rei, est effectivum ejus: unde philosophus in 2 Physic. ponit semen in genere causae efficientis. Ergo vel Angelus esset factor animae, ut philosophi quidam posuerunt, quod falsum est; vel aliqua creatura corporalis, quod est magis falsum. Ergo et primum est impossibile.

2. Bien que l’âme n’ait pas précédé dans la matière dans les œuvres des six jours, elle a cependant précédé par une raison séminale. En sens contraire, si la raison séminale de l’âme a précédé, il est nécessaire qu’elle ait précédé dans une créature corporelle ou spirituelle. Or, ce en quoi existe la raison séminale d’une chose est ce qui la réalise ; aussi, en Physique, II, le Philosophe affirme-t-il que la semence fait partie du genre de la cause efficiente. Donc, soit l’ange serait le créateur de l’âme, comme certains philosophes l’ont affirmé, ce qui est faux ; soit une créature corporelle, ce qui est encore plus faux. La première proposition est donc impossible.

 

[4979] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, opus creationis praecedit distinctionem et ornatum. Sed anima educitur in esse per creationem. Ergo non incipit esse post opera sex dierum, in quibus res distinctae et ornatae sunt; et sic idem quod prius.

3. L’œuvre de la création précède l’œuvre de la différenciation et de l’embellissement. Or, l’âme est amenée à l’être par création. Elle ne commence donc pas à exister après les œuvres des six jours, par lesquelles les choses ont été différenciées et embellies. La conclusion est donc la même que précédemment.

 

[4980] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne illud quod non dependet ab altero secundum suum esse, potest incipere non incipiente illo. Sed anima rationalis non dependet ex corpore secundum suum esse, cum destructo corpore remaneat. Ergo non videtur inconveniens ponere animas extra corpus creatas.

4. Tout ce qui ne dépend pas d’un autre selon son être peut commencer sans que cet autre commence. Or, l’âme raisonnable ne dépend pas du corps selon son être, puisqu’elle demeure alors que le corps est détruit. Il ne semble donc pas inapproprié d’affirmer que les âmes ont été créées hors du corps.

 

[4981] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, anima et Angelus conveniunt in natura intellectuali. Cum ergo naturae intellectualis conditio sit immaterialitas, videtur quod sicut Angeli ex sua creatione habent quod corpori non uniuntur, similiter animae rationales in sua creatione corpori unitae non sint.

5. L’âme et l’ange ont en commun la nature intellectuelle. Puisque la condition de la nature intellectuelle est l’immatérialité, il semble donc que, de même que les anges possèdent par leur création de ne pas être unis à un corps, de même les âmes raisonnables n’ont-elles pas été unies à un corps lors de leur création.

 

[4982] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, magis pertinet ad perfectionem universi natura spiritualis quam corporalis. Si ergo animae rationales quotidie de novo creentur, videtur quod a principio universum perfectum non fuerit, et quod quotidie ejus perfectioni adjiciatur: cujus contrarium habetur Genes. 2, 1: igitur perfecti sunt caeli et terra, et omnis ornatus eorum.

6. La nature spirituelle concerne davantage la perfection de l’univers que la [nature] corporelle. Si donc les âmes raisonnables étaient de nouveau créées tous les jours, il semble que l’univers n’aurait pas été parfait dès son commencement, et qu’il serait ajouté à sa perfection tous les jours. On lit le contraire en Gn 2, 1 : Le ciel et la terre ont été achevés, et tous leurs ornements.

 

[4983] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, proprius actus est in propria potentia. Sed anima rationalis est proprius actus corporis. Ergo videtur quod non sit nisi in corpore.

Cependant, [1] un acte propre existe dans une puissance propre. Or, l’âme raisonnable est l’acte propre du corps. Il semble donc qu’elle n’existe pas sans le corps.

 

[4984] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, terminus motus nunquam praecedit motum, praecipue in generatione. Sed anima est terminus generationis humanae, sicut quaelibet alia substantialis forma rei generatae. Ergo ante generationem corporis anima esse non potuit.

[2] Le terme d’un mouvement ne précède jamais le mouvement, surtout dans la génération. Or, l’âme est le terme de la génération humaine, comme toute autre forme substantielle d’une chose engendrée. Avant la génération du corps, l’âme ne pouvait donc pas exister.

 

[4985] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quorumdam antiquorum opinio fuit animas esse extra corpora a principio creatas: cujus erroris occasio fuit quod animam corpori uniri posuerunt quasi accidentaliter, sicut nautam navi, vel sicut hominem indumento, ut de Platone Gregorius Nyssenus narrat: unde dicebat, hominem esse animam corpore indutam: et ideo etiam, secundum Pythagoricos, de corpore in corpus transibat. Hoc autem Aristoteles reprobat, ostendens animam, cum det esse substantiale et specificum in tali corpore, habere essentialem habitudinem ad corpus, intantum quod anima quae dat esse uni corpori, aliud perficere non possit. Similiter Avicenna istum errorem reprobat satis efficaci ratione, supposita animae immaterialitate. Impossibile est enim diversitatem in numero sub eadem specie causari nisi ex diversitate materiae: quia ad diversitatem formalium principiorum sequitur diversitas specierum. Si ergo anima, ut dictum est, non habeat materiam ex qua sit, non possunt plures animae unius speciei esse diversae numero, nisi per diversitatem materiae in qua sunt. Unde si ante corpus creatae fuissent, oportuisset eas vel esse diversas in specie, et sic omnes homines specie differre ex diversitate formarum: aut quod esset una tantum numero, et sic rediret error tactus in praecedenti articulo. Augustinus tamen dicit, 7 super Genes., animam primi hominis creatam esse ante formationem corporis; quod tamen non asserit.

Réponse. Certains anciens étaient d’avis que les âmes ont été créées au commencement en dehors des corps. L’occasion de cette erreur était qu’ils avaient affirmé que l’âme était unie au corps pour ainsi dire comme par accident, comme le marin au navire ou comme l’homme à son vêtement, ainsi que le raconte Grégoire de Nysse à propos de Platon. Aussi disait-il que l’âme était revêtue par le corps ; et aussi, en conséquence, qu’elle passait d’un corps à un autre, selon les Pythagoriciens. Mais Aristote repousse cela en montrant que l’âme, puisqu’elle donne un être substantiel et spécifique en tel corps, possède un rapport essentiel au corps, au point où l’âme qui donne l’être à un corps ne peut pas en perfectionner un autre. De même, Avicenne repousse-t-il cette erreur par un raisonnement assez efficace, en supposant l’immatérialité de l’âme. En effet, il est impossible qu’une diversité numérique à l’intérieur d’une même espèce soit causée autrement que par la diversité de la matière, car la diversité des espèces découle de la diversité des principes formels. Si donc l’âme, comme on l’a dit, n’a pas de matière par laquelle existe, il ne peut exister plusieurs âmes d’une seule espèce que par la diversité de la matière dans laquelle elles existent. Si donc elles avaient été créées avant le corps, il aurait fallu ou bien qu’elles soient d’espèce différente ‑ et ainsi, que tous les hommes soient différents en raison de la diversité de leurs formes ; ou bien qu’elle soit unique – et ainsi réapparaîtrait l’erreur abordée dans l’article précédent. Toutefois, Augustin dit, dans son Commentaire littéral de la Genèse, VII, que l’âme du premier homme a été créée avant la formation de son corps, ce qu’il n’affirme cependant pas.

 

[4986] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pro tanto Deus dicitur ab opere septima die cessasse, quia nihil postea fecit quod non aliquo modo in primis operibus praecesserit vel secundum materiam et rationem seminalem, sicut corpora quae de novo generantur; vel secundum similitudinem, sicut animae quae de novo creantur. Sciendum autem, quod similitudo animae praecessit etiam in opere creationis aliquo modo, cum omnia simul creata legantur, ut Eccli. 18 dicitur: sed haec similitudo fuit in natura communi, in qua anima et Angelus conveniunt, scilicet in intellectuali. Praecessit etiam in operibus sex dierum hujus animae quae nunc creatur, similitudo in specie; quia inter alia sex dierum opera etiam homo creatus est, rationali anima perfectus secundum alios sanctos; quamvis secundum Augustinum, fuerit in illis sex diebus factus homo quantum ad materiam et rationem seminalem ratione corporis; ratione vero animae, ipsa primi hominis anima fuerit in se facta.

1. On dit que Dieu a cessé de travailler le septième jour parce qu’il n’a rien fait qui n’ait précédé d’une certaine manière dans ses premières œuvres, soit selon la matière, ou par une raison séminale, comme les nouveaux corps engendrés, soit selon une ressemblance, comme les nouvelles âmes créées. Il faut cependant savoir que la ressemblance de l’âme a aussi précédé, d’une certaine manière, dans l’œuvre de la création, puisqu’on lit que tout a été créé en même temps, comme le dit Si 18, 1. Mais c’était une ressemblance selon une nature commune, dans laquelle l’âme et les anges se rejoignent, à savoir, [la nature] intellectuelle. Une similitude selon l’espèce a aussi précédé dans les œuvres des six jours les âmes qui sont maintenant créées, car, parmi les autres œuvres des six jours, l’homme a aussi été créé, perfectionné par une âme raisonnable, selon d’autres saints, bien que, selon Augustin, l’homme ait été créé quant à sa matière et quant à sa raison séminale en raison de son corps ; mais, pour ce qui est de son âme, l’âme même du premier homme a été créée en lui.

 

[4987] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet responsio ad secundum: quia concedimus quod ratio seminalis animae, ejus creationem in nulla creatura praecedat.

2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire, car nous concédons que la raison séminale de l’âme ne précède sa création dans aucune créature.

 

[4988] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quaedam creatio est quae non praesupponit materiam nec ex qua nec in qua illud quod creatur fiat; et talis est creatio quae distinctionem et ornatum praecessit. Sed creatio animae quamvis non sit ex materia, tamen praeexigit materiam in qua creatur. Et quia illa materia non potest disponi ut efficiatur propria, nisi per actionem naturae, ideo talis creatio sequitur distinctionem et ornatum, secundum quae principia activa in natura constituta sunt, ut prius dictum est.

3. Une certaine création ne présuppose pas de matière ni à partir de laquelle, ni dans laquelle ce qui est créé devient : telle est la création qui a précédé la différenciation et l’embellissement. Mais la création de l’âme, bien qu’elle ne vienne pas de la matière, exige cependant une matière dans laquelle celle-ci est créée. Parce que cette matière ne peut être disposée de manière à devenir propre que par l’action de la nature, une telle création découle donc de la différenciation et de l’embellissement, selon les principes actifs qui ont été établis dans la nature, comme on l’a dit antérieurement.

 

[4989] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut Avicenna dicit, anima quamvis non dependeat a corpore quantum ad suum esse vel quantum ad suum finem, dependet tamen quodammodo quantum ad suum principium. Cujus ratio est, quia cum universalia non habeant aliquod esse nisi in anima, oportet quod quidquid in esse naturae producitur, producatur secundum hoc quod individuatur. Cum ergo anima esse individuatum non possit habere nisi secundum quod conjungitur corpori ut forma ejus, ut probatum est, oportet quod non incipiat esse nisi in corpore; sed tamen in corpore acquiritur sibi esse absolutum, non depressum vel obligatum ad corpus: et ideo etiam post destructionem corporis manet secundum suum esse individuata et distincta ab alia anima.

4. Comme le dit Avicenne, bien que l’âme ne dépende pas du corps quant à son être ou quant à sa fin, elle [en] dépend cependant, d’une certaine manière, pour ce qui est de son commencement. La raison en est que, puisque les universaux n’ont d’existence que dans l’âme, il est nécessaire que tout ce qui est amené à l’être de nature soit amené selon ce qui est individué. Puisque l’âme ne peut avoir d’être individuel qu’en étant unie à un corps en tant que sa forme, comme on l’a démontré, il est donc nécessaire qu’elle ne commence à être que dans un corps ; toutefois, elle acquiert dans le corps son être absolu, et non pas diminué ou lié au corps. C’est pourquoi, après la destruction du corps, elle demeure individuée et distincte d’une autre âme dans son être.

 

[4990] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod anima et Angelus in hoc conveniunt quod utrumque est substantia subsistens, esse absolutum habens, et quod materiam partem sui non habent; ex quibus consequitur intellectualitas in utroque: in hoc tamen differunt quod cum natura angelica sit sublimior et Deo propinquior, acquiritur sibi esse altius, in cujus participationem nullo modo corpus adduci potest, ac per hoc nec Angelus potest forma corporis esse; sed animae acquiritur esse inferius et minus nobile, in quo corpus sibi unitur, ut unum sit animae esse et corporis, quod est esse conjuncti: et ideo est forma corporis, et individuatio sua est ex unione ejus ad corpus: et de hoc etiam in 1 Lib., dist. 8, habitum est.

5. L’âme et l’ange ont en commun d’être tous deux des substances subsistantes, possédant un être absolu, et de ne pas avoir de matière comme partie d’elles-mêmes. L’intellectualité en découle chez les deux. Mais ils diffèrent cependant en ce que, la nature angélique étant plus élevée et plus proche de Dieu, elle obtient un être plus élevé, auquel le corps ne peut d’aucune manière être amené à participer ; ainsi, l’ange ne peut pas non plus être forme du corps. Mais l’âme acquiert un être inférieur et moins noble, dans lequel le corps lui est uni, de telle sorte que l’âme et le corps ne forment qu’un seul être, qui est l’être du composé. C’est pourquoi elle est la forme du corps et son individuation vient de son union au corps. Cette question a été abordée dans le livre I, d.°8.

 

[4991] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod essentialis universi perfectio consistit in speciebus; accidentalis vero in individuis. Cum ergo multiplicatio animarum non sit secundum diversam speciem, sed secundum numerum tantum, relinquitur quod per hoc quod multae animae quotidie creantur, nihil ad essentialem universi perfectionem adjungitur, sed ad accidentalem tantum: et hoc non est inconveniens.

6. La perfection essentielle de l’univers consiste dans les espèces, mais [sa perfection] accidentelle, dans les individus. Puisque la multiplication des âmes ne se réalise pas selon une espèce différente, mais selon le nombre seulement, il reste donc que, par le fait que beaucoup d’âmes sont créées chaque jour, rien n’est ajouté à la perfection essentielle de l’univers, mais à [sa perfection] accidentelle seulement. Et cela n’est pas inapproprié.

 

 

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La formation du corps de l’homme]

 

Prooemium

Prologue

 

[4992] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 pr. Deinde quaeritur de formatione hominis ex parte corporis: et circa hoc quaeruntur duo: 1 de qua natura corpus hominis compositum sit; 2 de loco corporali in quo positus est, scilicet in Paradiso.

On s’interroge ensuite sur la formation de l’homme du point de vue du corps. Deux questions sont posées à ce sujet : 1. De quelle nature le corps de l’homme est-il composé ? 2. À propos du lieu corporel où il a été placé : le Paradis.

 

 

 

 

Articulus 1 [4993] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 tit. Utrum in compositione hominis sit aliquid de natura corporis caelestis

Article 1 – Existe-t-il quelque chose de la nature d’un corps céleste dans la composition de l’homme ?

 

[4994] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in compositione corporis humani sit aliqua pars de natura corporis caelestis. Eidem enim formae debetur idem perfectibile. Sed forma corporis humani convenit in natura intellectuali cum forma separata, quae corpus caeli movet. Ergo videtur quod aliquid de natura caelestis corporis in compositionem humani corporis veniat.

1. Il semble que, dans la composition du corps humain, il y ait une part venant de la nature d’un corps céleste. En effet, à une même forme est due un même sujet de perfectionnement. Or, la forme du corps humain a en commun avec la forme séparée la nature intellectuelle, qui meut le corps du ciel. Il semble donc que quelque chose de la nature corps céleste entre dans la composition du corps humain.

 

[4995] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, impossibile est contraria ad maximam aequalitatem venire, nisi per aliquid concilientur. Sed non potest contraria conciliare nisi quod est a contrarietate remotum, quale est inter corpora solum corpus caeleste. Ergo oportet ad compositionem corporis humani, in quo ad maximam aequalitatem elementa perveniunt, aliquid de natura corporis caelestis advenire.

2. Il est impossible que des contraires parviennent à une même égalité, à moins qu’ils ne soient concilés par quelque chose. Or, seulement ce qui est éloigné du caractère contraire peut concilier des contraires : seul parmi les corps, le corps céleste est tel. Il est donc nécessaire à la composition du corps humain, dans lequel les éléments atteignent la plus grande égalité, que quelque chose de la nature du corps céleste entre en ligne de compte.

 

[4996] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, Avicenna dicit, quod spiritus qui per membra diffunduntur, sunt de natura lucis. Haec autem est natura quinti corporis: unde etiam philosophus dicit in 2 de anima, quod lucidum et diaphanum invenitur in inferioribus corporibus secundum quod communicant cum superiori corpore. Ergo videtur quod in corpore humano sit aliquid de essentia corporis caelestis.

3. Avicenne dit que les esprits répandus dans tous les membres ont la nature de la lumière. Or, celle-ci est la nature du cinquième corps ; aussi, même le Philosophe dit, Sur l’âme, II, que ce qui est lumineux et ce qui est diaphane se trouvent dans les corps inférieurs selon qu’ils ont en commun un corps supérieur. Il semble donc qu’il y ait dans le corps humain quelque chose de l’essence d’un corps céleste.

 

[4997] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, sicut dicit philosophus, oportet quod in semine sit triplex calor: scilicet calor elementaris, scilicet igneus, et caelestis, et vitalis, qui est animae. Sed accidentia indicant naturam, ut in 1 de anima dicitur. Ergo videtur quod praeter naturam elementarem sit etiam in corpore hominis natura caelestis, et natura animae.

4. Comme le dit le Philosophe, il faut qu’il y ait dans la semence trois chaleurs : la chaleur élémentaire, à savoir celle du feu ; la [chaleur] céleste et la chaleur vitale, qui vient de l’âme. Or, les accidents indiquent la nature, comme on le dit dans Sur l’âme, I. Il semble donc que la nature céleste et la nature de l’âme existent dans le corps de l’homme, en plus de la nature élémentaire.

 

[4998] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, homo dicitur minor mundus, quia in eo omnium creaturarum naturae concurrunt. Sed corpus caeleste est maxime pars universi. Ergo videtur quod aliquid de natura illius corporis veniat in compositionem corporis humani.

5. On dit de l’homme qu’il est un microcosme parce que se rejoignent en lui les natures de toutes les créatures. Or, le corps céleste est au plus haut point une partie de l’univers. Il semble donc que quelque chose de la nature de ce corps entre dans la composition du corps humain.

 

[4999] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra, quidquid venit in compositionem corporis humani, est aliquo modo perfectum ab anima. Sed quidquid incipit esse sub aliqua forma substantiali, est generabile et corruptibile; anima vero substantialis forma est. Cum ergo natura corporis caelestis sit incorruptibilis et ingenerabilis, videtur quod ad compositionem corporis humani non veniat.

Cependant, [1] tout ce qui entre dans la composition du corps humain est, d’une certaine manière, perfectionné par l’âme. Or, tout ce qui commence à exister sous une forme substantielle est susceptible d’être engendré et corrompu. Or, l’âme est une forme substantielle. Puisque la nature du corps céleste est incorruptible et inengendrable, il semble donc qu’elle n’entre pas dans la composition du corps humain.

 

[5000] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ut in 1 Cael. et Mun. philosophus dicit, idem est locus naturalis totius corporis et partis ejus. Sed locus corporis caelestis est supra elementa. Ergo nihil de natura illius corporis potest hic esse nisi sicut in loco innaturali, et per motum violentum. Illius autem corporis non potest esse violentus motus, cum motus ejus circularis contrarium non habeat, ut in 1 Cael. et Mund., probatur; cum tamen oporteat motum violentum naturali contrarium esse. Ergo nihil de natura corporis caelestis ad compositionem hominis venit.

[2] Comme le dit le Philosophe dans Sur le ciel et le monde, I, le lieu naturel est le même pour la totalité d’un corps et pour une de ses parties. Or, le lieu naturel du corps céleste est au-desssus des éléments. Rien de la nature de ce corps ne peut donc être ici, si ce n’est dans un lieu qui n’est pas naturel et par un mouvement violent. Or, il ne peut y avoir de mouvement violent de ce corps, puisque son mouvement circulaire n’a pas de contraire, comme on le démontre dans Sur le ciel et le monde, I, alors qu’un mouvement violent contraire au [mouvement] naturel doit être contraire. Rien de la nature du corps céleste n’entre donc dans la composition de l’homme.

 

[5001] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod aliquid venire in compositionem alicujus contingit dupliciter. Aut per essentiam suam per modum principii materialis vel formalis; et sic nullo modo aliquid de natura corporis caelestis venit in compositionem humani corporis. Quia quod plura corpora veniant ad constitutionem unius, hoc non potest esse nisi tribus modis: vel per simplicem aggregationem, sicut ex lapidibus fit acervus: vel per compositionem, quae est cum ordine partium determinato et ligamento sicut ex lignis et lapidibus fit domus: vel per mixtionem, sicut ex elementis efficitur mixtum. Nullo autem istorum modorum potest aliqua pars de natura caelestis corporis in compositionem humani corporis venire: quia in primis duobus modis oportet unamquamque partium esse distinctam secundum situm ab alia; non autem videmus hoc in compositione humani corporis, quod sit ibi aliquid de natura corporis caelestis, ab aliis, scilicet elementis, secundum situm distinctum: in tertio autem modo oportet adesse alterationem componentium, quia mixtio est miscibilium alteratorum unio, ut in 1 de Gener. dicitur; natura autem caelestis inalterabilis est. Alio autem modo venit aliquid in compositionem alicujus per effectum virtutis suae; et hoc modo natura corporis caelestis venit in compositionem corporis humani, et omnium mixtorum corporum: quia nihil consequitur formam substantialem nisi per virtutem caelestem, eo quod corpus caeli est primum alterans, cujus virtute omnes alterationes regulantur, et ad fines proprios perducuntur. Quidam tamen dicunt, aliquid de natura corporis caelestis venire in compositionem humani corporis essentialiter, quasi concilians elementa; et hoc dicunt esse lucem, quam ponunt corpus esse. Sed haec positio falso fundamento innititur, dum ponit lucem esse corpus, ut supra dictum est, quo remoto veritatem haberet quodammodo: quia, ut supra dictum est, virtutes corporum caelestium participantur ab inferioribus corporibus mediante luce. Nec tamen adhuc esset de compositione humani corporis corpus caelestis naturae: quia illa lux non est forma substantialis corporis humani, sed aliquo modo est causa ejus; et de hoc supra dictum est, distinct. 13.

Réponse. Entrer dans la composition de quelque chose se produit de deux manières. Soit par son essence, par mode de principe matériel ou formel ; rien de la nature du corps céleste n’entre ainsi dans la composition du corps humain, car le fait que plusieurs corps entrent dans la constitution d’un seul ne peut se faire que de trois manières : par simple aggrégation, comme un amas est fait de pierres ; par composition, qui est réalisée par l’ordre déterminé entre les parties et ce qui les relie, comme lorsqu’une maison est faite de bois et de pierres ; par mélange, comme lorsqu’une mixture est réalisée à partir d’éléments. D’aucune de ces manières une partie de la nature du corps céleste ne peut entrer dans la composition du corps humain, car, pour les deux premières manières, il est nécessaire que chacune des parties soit distincte d’une autre par son emplacement. Or, nous ne voyons pas dans la composition du corps humain qu’il y ait quelque chose de la nature du corps céleste, qui y soit distinct des autres éléments par l’emplacement. Dans la troisième manière, il faut qu’il y ait une altération des composantes, car le mélange est l’union de ce qui peut être mélangé avec autre chose, comme on le dit dans Sur la génération, I. Or, la nature céleste est inaltérable. Mais une chose entre dans la composition d’une autre chose par l’effet de sa puissance. De cette manière, le corps céleste entre dans la composition du corps humain et de tous les corps mixtes, car rien de découle d’une forme substantielle que par la puissance céleste, du fait que le corps du ciel est le premier agent d’altération, par la puissance duquel toutes les altérations sont régies et sont amenées à leurs fins propres. Toutefois, certains disent que quelque chose de la nature du corps céleste entre de manière essentielle dans la composition du corps humain pour concilier les éléments : ils disent que c’est la lumière, dont ils disent qu’elle est un corps. Mais cette position s’appuie sur un fondement faux dès lors qu’elle affirme que la lumière est un corps, comme on l’a dit plus haut. Si cela était écarté, elle comporterait une part de vérité, car, ainsi qu’on l’a dit plus haut, les corps inférieurs participent aux puissances des corps célestes par l’intermédiaire de la lumière. Cependant, elle n’entrerait pas dans la composition du corps humain, car cette lumière n’est pas la forme substantielle du corps humain, mais elle en est la cause d’une certaine manière. On a parlé de cela plus haut, d. 13.

 

[5002] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima quae movet corpus humanum, non est ejusdem speciei cum natura quae movet corpus caeleste, quamvis sit simillima sibi inter omnes formas naturales. Unde non oportet quod aliquid de caelesti corpore sit essentialiter pars humani corporis, sed quod humanum corpus maxime caelo similetur: quod contingit in hoc quod est temperatissimae complexionis, et maxime recedens a contrarietate, dum ad medium pervenit, quod neutrum est contrariorum.

1. L’âme qui meut le corps humain n’appartient pas à la même espèce que la nature qui meut le corps céleste, bien qu’elle en soit la plus semblable parmi toutes les formes naturelles. Il n’est donc pas nécessaire que quelque chose du corps céleste fasse essentiellement partie du corps humain, mais que le corps humain ressemble au plus haut point au ciel ; cela se produit du fait qu’il a une complexion très tempérée et très éloignée d’un caractère contraire, puisqu’il atteint un milieu, ce qui n’est le cas d’aucun des contraires.

 

[5003] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad illam elementorum conciliationem sufficit effectus virtutis caelestis; unde non oportet corpus caeleste compositionem humani corporis essentialiter ingredi.

2. L’effet de la puissance céleste suffit à la conciliation des éléments. Aussi n’est-il pas nécessaire que le corps céleste entre de manière essentielle dans la composition du corps humain.

 

[5004] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non oportet omne quod est lucidum, pertinere ad naturam quintae essentiae, nisi per similitudinem et convenientiam quamdam. Unde quanto corpus fuerit nobilius, tanto magis participat proprietates ejus; unde in igne est plus de luce quam in aere, et sic deinceps. Non ergo intendit Avicenna dicere spiritus esse de natura quintae essentiae, cum post ipse dicat ex quibusdam cibis vel potibus subtiliores et clariores spiritus generari.

3. Il n’est pas nécessaire que tout ce qui est lumineux appartienne à la nature de la quinte essence, si ce n’est par une certaine ressemblance et un certain rapprochement. Plus un corps sera noble, plus il participe donc à ses propriétés ; ainsi, dans le feu, il y a plus de lumière que dans l’air, et ainsi de suite. Mais Avicenne n’a pas l’intention de dire que l’esprit fait partie de la quinte essence, puisque par la suite il dit lui-même à partir de quels aliments ou de quels breuvages plus subtils et plus clairs les esprits sont engendrés.

 

[5005] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in semine non est calor caelestis corporis, qui sit in corpore caelesti sicut in subjecto: sic enim sequeretur corpus caeleste in semine esse, sed quod virtus corporis caelestis operatur in semine, sicut virtus motoris primi relinquitur in instrumento.

4. Il n’y a pas de chaleur du corps céleste dans la semence, qui serait dans le corps céleste comme dans son sujet. En effet, il en découlerait que le corps céleste se trouve dans la semence, mais que la puissance du corps céleste agit dans la semence comme la puissance du premier moteur persiste dans un instrument.

 

[5006] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non omnia veniunt in compositionem humani corporis per essentiam, sed per similitudinem et convenientiam quamdam, ut dicit Gregorius, quod homo intelligit cum Angelis, vivit cum arboribus et sic de aliis.

5. Tout n’entre pas dans la composition du corps humain par essence, mais par une certaine ressemblance et un certain rapprochement. Ainsi Grégoire dit que « l’homme intellige avec les anges, vit avec les arbres, et ainsi de suite ».

 

 

 

 

Articulus 2 [5007] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 tit. Utrum Paradisus in quo fuit Adam possit esse locus corporalis

Article 2 – Le Paradis dans lequel Adam était peut-il être un lieu corporel ?

 

[5008] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Paradisus de quo fit hic mentio, locus corporalis esse non possit. Homo enim ab aliis animalibus in re corporali non distinguitur, cum quibus vitam et sensum communicat, sed in re spirituali, scilicet intellectu. Cum ergo ab aliis animalibus in Paradiso dicatur distingui, quia alia animalia ibi posita non fuerunt, videtur quod Paradisus sit locus tantum spiritualis.

1. Il semble que le Paradis mentionné ici ne puisse pas être un lieu corporel. En effet, l’homme ne se distingue pas des animaux, avec lesquels il a en commun la vie et le sens, par une réalité corporelle, mais par une réalité spirituelle : l’intellect. Puisqu’on dit qu’il se distiguait des autres animaux dans le Paradis, puisque les autres animaux n’y avait pas été placés, il semble donc que le Paradis soit un lieu spirituel seulement.

 

[5009] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, nullus locus terrenus est usque ad lunarem globum pertingens, cum circa lunam sit ignis maxime activus, et extranei corporis consumptivus. Sed in littera dicitur, quod pertingit Paradisus usque ad lunarem globum. Ergo videtur quod non sit locus terrenus, sed spiritualis.

2. Aucun lieu terrestre ne peut atteindre le globe lunaire, puisqu’il y a autour de la lune un feu très actif et capable de consumer un corps extérieur. Or, il est dit dans le texte que le Paradis atteignait le globe lunaire. Il semble donc qu’il ne soit pas un lieu terrestre, mais spirituel.

 

[5010] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, philosophi et historiographi inveniuntur de diversis terrae locis scripsisse. De hoc autem loco nullus unquam scripsit. Ergo videtur probabile quod non sit locus corporalis.

3. On trouve que les philosophes et les historiens ont écrit sur les divers lieux de la terre. Or, personne n’a jamais écrit sur ce lieu. Il semble donc probable qu’il ne soit pas un lieu corporel.

 

[5011] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, Damascenus dicit, quod fons unde dicuntur egredi flumina Paradisi, est ipse Oceanus. Sed Oceanus circuit totam terram, et non aliquem locum determinatum. Ergo videtur quod nullus locus determinatus in terra sit Paradisus.

4. [Jean] Damascène dit que la source dont on dit que sortaient les fleuves du Paradis est l’océan lui-même. Or, l’océan entoure toute la terre, et non pas un lieu déterminé. Il semble donc qu’aucun lieu déterminé de la terre ne soit le Paradis.

 

[5012] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, quatuor flumina quae Scriptura commemorat de Paradiso egredi, ex diversis fontibus emanant. Cum ergo Scriptura de uno fonte qui in Paradiso est, dicat horum fluminum esse originem, videtur quod non possit intelligi de fonte et fluminibus corporalibus, ut nec alia quae de Paradiso dicuntur.

5. Les quatre fleuves dont l’Écriture rappelle qu’ils sortent du Paradis surgissent de sources différentes. Puisque l’Écriture dit d’un fleuve qui se trouve dans le Paradis qu’il est l’origine de ces fleuves, il semble donc qu’on ne puisse entendre cela d’une source et de fleuves corporels, pas davantage que les autres choses qui font partie du Paradis.

 

[5013] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 6 Praeterea, lignum vitae est sapientia, ut dicitur Proverb. 13. Cum igitur sapientia non sit quid corporale, videtur quod nec haec nec alia quae de Paradiso dicuntur, corporaliter accipienda sint.

6. La sagesse est l’arbre de vie, comme le dit Pr 13. Puisque la sagesse n’est pas quelque chose de corporel, il semble donc que les autres choses dont on dit qu’elles font partie du Paradis ne doivent pas être entendues en un sens corporel.

 

[5014] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 7 Praeterea, id quod debetur homini damnato non convenit proprie naturae institutae. Sed agricultura data est in poenam homini damnato: Genes. 3, 19: in sudore vultus tui vesceris pane. Ergo videtur quod non nisi mystice dictum sit, hominem in Paradiso positum, ut operaretur illum.

7. Ce qui est dû à l’homme condamné ne convient pas à proprement parler à la nature créée. Or, la culture de la terre a été donnée comme une peine à l’homme condamné. Gn 3, 19 : Tu te nourriras de pain à la sueur de ton front. Il semble donc qu’il ait été dit seulement au sens mystique que l’homme a été placé au Paradis pour y travailler.

 

[5015] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 8 Praeterea, ubi nullus invasor timetur, non est necessaria custodia. Sed nullus Paradisum invadere poterat. Ergo non potest proprie intelligi hominem in Paradiso positum ad custodiendum illum.

8. Là où il n’y a aucun envahisseur, la surveillance n’est pas nécessaire. Or, personne ne pouvait envahir le Paradis. On ne peut donc entendre au sens propre que l’homme a été placé au Paradis pour le surveiller.

 

[5016] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod in littera determinatur, et communis Ecclesiae traditio tenet.

Cependant, ce qui est déterminé dans le texte va en sens contraire et la tradition commune de l’Église le soutient.

 

[5017] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod Origenes posuit Paradisum non esse locum aliquem corporalem, sed omnia quae de Paradiso dicuntur, allegorice de Paradiso spirituali interpretanda esse: quod pro errore reprobat Epiphanius Cypri episcopus in quadam epistola per Hieronymum translata. Unde simpliciter concedendum est Paradisum locum quemdam corporalem esse in determinata parte terrae situm, temperatissimum, et amoenum, ut homo nullis perturbationibus impeditus, spiritualibus deliciis quiete frueretur. Hunc autem locum existimant sub aequinoctiali esse versus partem Orientalem, eo quod quidam philosophi locum illum temperatissimum asserunt, ex quo etiam loco Nilus, unus de quatuor fluminibus Paradisi, fluere videtur.

Réponse. Origène affirmait que le Paradis n’était pas un lieu corporel, mais que tout ce qui est dit du Paradis devait être interprété d’un Paradis spirituel. Épiphane, évêque de Chypre, rejette cela comme une erreur, dans une lettre traduite par Jérôme. Il faut donc concéder tout simplement que le Paradis est un lieu corporel, situé dans une partie déterminée de la terre, très tempéré et doux, afin que l’homme, empêché par aucune perturbation, jouisse en paix des délices spirituelles. Or, on estime que ce lieu, sous l’équinoxe, est tourné vers l’Orient, parce que certains philosophes affirment qu’il est très tempéré. Depuis ce lieu encore, le Nil, un des quatre fleuves du Paradis, semble s’écouler.

 

[5018] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam in virtute sensitiva homo alia animalia excedit, quia etiam melioris tactus est, et magis vigent in eo inferiores sensus, ut per eos operatio intellectus melius compleri possit; et ideo etiam ut quietius operationi intellectuali vacaret, locum tranquillum seorsum ab aliis animalibus accepit: non enim probabile est illuc alia animalia pervenire potuisse ex seipsis, nisi aut virtute divina ad tempus, ut quando adducta sunt animalia ad Adam, ut videret quid vocaret ea, ut legitur Genes. 2 (nisi forte hoc per interiorem revelationem factum exponatur), vel etiam operatione Daemonis, ut patet de serpente.

1. L’homme dépasse les autres animaux, même par sa puissance sensible, car il a un meilleur toucher et les sens inférieurs sont plus vigoureux chez lui, afin que l’opération de l’intellect puisse être mieux accomplie. C’est pourquoi il a reçu un lieu tranquille à part des autres animaux, afin de s’adonner plus paisiblement à l’activité intellectuelle. En effet, il n’est pas probable que les autres aient pu y parvenir d’eux-mêmes, à moins qu’au moment opportun les animaux aienet été amenés à Adam par la puissance divine, afin qu’il voie le nom qu’il leur donnerait, Gn 2 (à moins peut-être d’expliquer que cela s’est produit par une révélation intérieure), ou encore par l’action du Démon, comme cela ressort pour le serpent.

 

[5019] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non potest intelligi Paradisus terrestris usque ad lunarem globum se extendere secundum situm, sed secundum quamdam similitudinem propter temperantiam et incorruptionem quae loco illi debebatur, et habitatoribus ejus; a luna vero et supra neque contrarietas neque corruptio est.

2. On ne peut comprendre que le Paradis terrestre s’étendait jusqu’au globe lunaire selon son emplacement, mais selon une certaine ressemblance, en raison du caractère tempéré et de l’incorruptibilité qui revenaient à cet endroit et à ses habitants. Mais, à partir de la lune et au-dessus, il n’existe ni caractère contraire ni corruption.

 

[5020] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod locus ille, ut in littera dicitur, est semotus etiam a nostra habitatione aliquibus impedimentis, ut adiri non possit, vel montibus, vel aquis, vel etiam aeris intemperie in loco intermedio; et ideo ejus notitia haberi non potuit nisi per revelationem Scripturae.

3. Comme le dit le texte, ce lieu est aussi séparé de l’endroit où nous habitons par certains obstacles, de sorte qu’on ne puisse y aller : montagnes, eaux, intempéries dans un lieu intermédiaire. Aussi ne pouvait-on le connaître que par la révélation de l’Écriture.

 

[5021] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod primum principium illorum fluminum, sicut et ceterarum aquarum, est Oceanus: sed principium proximum est fons ille qui in illa parte terrae surgit.

4. La première origine de ces fleuves, comme de toutes les eaux, est l’océan ; mais l’origine rapprochée est cette source qui jaillit dans cette partie de la terre.

 

[5022] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut contingit in quibusdam fluminibus, ut fontes a quibus originem habent, sub terram intrent postquam per aliquod spatium fluxerunt, et iterum in aliis locis erumpant; ita etiam dicit Augustinus, hoc in illis fluminibus contingere, quod primum principium eorum est fons Paradisi, qui in aliquo loco nobis ignoto terram subintrat, et deinde in aliis locis aqua illa erumpit, ubi videtur illorum fluminum esse principium.

5. Comme il arrive pour certains fleuves, dont les sources d’où ils tirent leur origine deviennent souterraines, après avoir coulé pendant un certain temps, et rejaillissent en d’autres endroits, de même Augustin dit que c’était le cas pour ces fleuves : leur première origine est la source du Paradis, qui devient souterraine dans un endroit qui nous est inconnu, cette eau jaillissant ensuite en d’autres endroits, où semble se trouver l’origine de ces fleuves.

 

[5023] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut per Hierusalem significatur praesens Ecclesia, et etiam caelestis patria, et tamen ad litteram Hierusalem civitas quaedam fuit; ita etiam quamvis per lignum vitae sapientia significetur, non removetur quin lignum vitae arbor quaedam ad litteram intelligatur.

6. De même que l’Église est signifiée par Jérusalem, et même la patrie céleste, alors que Jérusalem était une ville au sens littéral, de même aussi, bien que la sagesse soit signifée par l’arbre de vie, il n’est pas exclu qu’on entende par l’arbre de vie un arbre particulier.

 

[5024] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in statu innocentiae non fuisset agricultura laboriosa, sicut est in statu peccati; sed delectabilis, ex consideratione divinae providentiae, et naturalis virtutis.

7. Dans l’état d’innocence, il n’y aurait pas eu de culture pénible du sol, comme dans l’état de péché, mais [une culture] délectable, en prenant en compte la providence divine et la puissance naturelle.

 

[5025] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod homo est positus in Paradiso ad custodiendum ipsum sibi, non contra aliquem invasorem, ne scilicet per peccatum ipsum amitteret. Vel dicendum, quod hoc non sic intelligendum est quasi homo debeat operari Paradisum, vel custodire: sed ideo positus est in Paradiso, ut Deus ibi operaretur hominem, et custodiret eum; sicut enim homo operatur terram ut faciat eam fructiferam, sic Deus operatur hominem ut justus sit, et custodit eum, quia sine ejus adjutorio tutus esse non potest, ut dicit Augustinus.

8. L’homme a été placé au Paradis pour le garder pour lui-même, et non contre un envahisseur, de sorte qu’il ne le perde pas par le péché. Ou bien il faut dire que cela ne doit pas être entendu au sens où l’homme devait travailler ou garder le Paradis ; mais il a été placé au Paradis pour que Dieu y travaille l’homme et le garde. En effet, de même que l’homme travaille la terre pour qu’elle puisse fructifier, de même Dieu travaille l’homme afin qu’il soit juste, et il le garde parce que, sans son aide, il ne peut être en sécurité, comme le dit Augustin.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 17

 

[5026] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 expos. Animam cum Angelis sine corpore fuisse creatam. Haec positio videtur irrationabilis: quia eorum quae sunt unius speciei est etiam unus modus originis; unde si aliae animae in corpore creantur, non potest rationabiliter sustineri quod anima primi hominis extra corpus creata sit. Quamvis Augustinus sine assertione hoc dicat, 7 super Genes. Deo autem natura est quod facit. Ipse enim per naturam suam omnipotens est: ipse etiam naturarum institutor et conditor est: sicut enim ex operatione hominis formae artificiales proveniunt, ita etiam ab intellectu Dei formae naturales profluxere; unde id quod ab eo fit, naturae rationem habet. Si autem ibi aliter futura sunt, potius futura sunt sicut ibi sunt ubi praescit ille qui non potest falli. Hujus ratio est quia causae inferiores impediri possunt, ut non omne contingat quod in eis futurum est; sed scientia Dei falli non potest, et ideo non potest esse ut ipse sciat aliquid futurum quod non sit. Unde nec aquae diluvii illuc pervenerunt. Hoc non tantum fuit propter loci altitudinem quam propter loci puritatem, qui purgatione non indigebat.

 

 

 

 

 

Distinctio 18

Distinction 18 – [L’origine de la femme]

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le corps de la femme a-t-il été fait à partir d’une côte d’Adam ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[5027] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 pr. Postquam determinavit originem hominis ex parte ipsius viri, hic determinat de origine mulieris, et dividitur in duas partes: in prima de origine ipsius secundum corpus; in secunda de origine ipsius secundum animam, ibi: quemadmodum mulieris corpus de viri corpore traductum fuit, ita putaverunt aliqui ipsius animam de viri anima propagatam. Prima in duas: in prima ostendit modum productionis mulieris ex parte corporis; in secunda inquirit producti corporis principium, ibi: solet etiam quaeri, utrum de costa illa sine adjectione rei extrinsecae facta sit mulier. Circa primum duo facit: primo proponit modum originis; secundo assignat propositorum causas; ubi primo ostendit quare de viro formata sit mulier, ibi: hic attendendum est quare non creavit simul virum et mulierem; secundo quare de tali parte, ibi: cum autem his de causis facta sit mulier de viro, non de qualibet parte corporis viri, sed de latere ejus formata est; tertio quare de viro dormiente, ibi: non sine causa quoque dormienti viro potius quam vigilanti detracta est costa. Solet etiam quaeri, utrum de illa costa sine adjectione rei extrinsecae facta sit mulier. Hic inquirit principia producti corporis: et primo inquirit principium materiale; secundo principium activum, ibi: illud etiam scire oportet, quod, cum Angelorum ministerio facta sit mulieris formatio, non est eis tamen tribuenda creationis potestas. Ubi primo inquirit utrum corpus mulieris productum fuerit per actionem Angeli; secundo utrum per actionem naturae, ibi: sed quaeritur, an ratio quam Deus primis operibus concreavit, id haberet ut secundum ipsam ex viri latere feminam fieri necesse foret; et circa hoc duo facit: primo praemittit quaedam necessaria ad solutionis manifestationem; secundo quaestionis solutionem prosequitur, ibi: omnium rerum causae in Deo sunt. Quemadmodum mulieris corpus de viri corpore traductum fuit, ita putaverunt aliqui ipsius animam de viri anima propagatam. Hic inquirit modum originis mulieris ex parte animae: ubi excludit duas haereses, et astruit veritatem Catholicam, ut per se patet in littera. Hic est duplex quaestio. Prima de productione mulieris ex parte corporis. Secunda de origine animae. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum corpus mulieris de costa viri factum fuerit: et quia dicitur hoc non fuisse factum active per rationes seminales, sed primordiales, 2 quaeritur de differentia harum rationum: et quia ea quae praeter rationes seminales fiunt dicuntur in littera miraculose fieri, 3 quaeritur cujusmodi opera debeant dici miracula.

Après avoir déterminé de l’origine de l’homme du côté de l’homme lui-même, [le Maître] détermine ici de l’origine de la femme. Il y a deux parties : dans la première, [il détermine] de son origine selon son corps ; dans la seconde, de son origine selon l’âme, à cet endroit : « De même que le corps de la femme a été tiré du corps de l’homme, de même certains ont-ils pensé que son âme a été tirée de l’âme de l’homme. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre le mode de production de la femme du point de vue de son corps ; dans la seconde, il cherche le principe du corps ainsi produit, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander si la femme a été faite à partir de cette côte, sans ajout de quelque chose d’extérieur. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il propose le mode de l’origine ; deuxièmement, il assigne les causes de ce qui a été proposé, où il montre, premièrement, pourquoi elle a été formée à partir de l’homme, à cet endroit : « Il faut remarquer ici pourquoi [Dieu] n’a pas créé en même temps l’homme et la femme »; deuxièmement, pourquoi [il l’a créé à partir] d’une telle partie, à cet endroit : « Puisque la femme a été faite à partir de l’homme pour ces raisons, elle n’a pas été formée de n’importe quelle partie, mais de son côté »; troisièmement, pourquoi [elle a été créée] pendant le sommeil de l’homme, à cet endroit : « Ce n’est pas sans raison que la côté a été retirée pendant que l’homme dormait plutôt qu’à l’état de veille. » « On a aussi coutume de se demander si la femme a été faite à partir de cette côte, sans ajout de quelque chose d’extérieur. » Ici, [le Maître] s’enquiert des principes du corps produit. Premièrement, il s’enquiert de son principe matériel ; deuxièmement, de son principe actif, à cet endroit : « Il faut aussi savoir que, même si la formation de la femme a été réalisée par le ministère des anges, la puissance de créer ne doit cependant pas leur être attribuée. » En premier lieu, il se demande si le corps de la femme a été formé par l’action d’un ange ; deuxièmement, si c’est par l’action de la nature, à cet endroit : « Mais on se demande si la raison pour laquelle Dieu a concréé par ses premières œuvres devait nécessairement exister pour que la femme soit créée à partir du côté de l’homme. » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il présente au départ certaines choses qui sont nécessaires pour meettre en lumière la solution ; deuxièmement, il présente la solution de la question, à cet endroit : « Toutes les causes des choses sont en Dieu. » « De même que le corps de la femme a été tiré du corps de l’homme, de même certains ont-ils pensé que son âme a été tirée de l’âme de l’homme. » Il s’enquiert ici du mode de l’origine de la femme du côté de son âme. Il écarte là deux hérésies et affirme la vérité catholique, comme cela ressort clairement du texte. Il y a ici deux questions : la première, à propos de la production de la femme du point de vue de son corps ; la seconde, à propos de l’origine de son âme. À propos du premier point, trois questions se posent : 1. Le corps de la femme a-t-il été fait à partir d’une côte d’Adam, car il est dit que cela n’a pas été réalisé de manière active par des raisons séminales, mais primordiales ? 2. On s’interroge sur la différence de ces raisons, car il est dit dans le texte que ce qui est réalisé par-delà les raisons séminales est accompli miraculeusement ; 3. On demande quel genre d’œuvres doivent être appelées des miracles.

 

 

 

 

Articulus 1 [5028] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 tit. Utrum corpus mulieris debuerit fieri de costa viri

Article 1 – Le corps de la femme devait-il être formé à partir d’une côté de l’homme ?

 

[5029] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod corpus mulieris de costa viri fieri non debuit. Distinctio enim sexus communis est homini et aliis animalibus. Sed in aliis animalibus mas et femina simul producta sunt, et neutrum ab altero sumptum. Ergo videtur quod nec femina hominis de viro sumi debuit.

1. Il semble que le corps de la femme ne devait pas être formé à partir d’une côte de l’homme. En effet, la différence de sexe est commune à l’homme et aux autres animaux. Or, chez les autres animaux, le mâle et la femelle ont été formés en même temps, et aucun des deux ne vient de l’autre. Il semble donc que la femelle de l’homme non plus ne devait pas être tirée de l’homme.

 

[5030] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, materia non potest transmutari de parva quantitate in magnam nisi vel per rarefactionem, sicut ex uno pugillo aquae generantur decem aeris, vel per alterius additionem. Unde dicit Augustinus: quid est absurdius quam ullum esse corpus manente naturae suae quantitate, idest sine additione, quod undique crescat, nisi rarescat? Sed non potuit esse ut per rarefactionem una costa in quantitatem mulieris excresceret, quia inveniretur corpus mulieris etiam ipso aere rarius. Ergo oportebit hoc per additionem exterioris fieri, quod oportuit multo amplius esse quam costam ipsam. Cum ergo unumquodque denominandum sit a majori parte, videtur quod non debeat dici ex costa viri corpus mulieris formatum.

2. La matière ne peut être changée d’une petite à une grande quantité que par raréfaction, comme d’une poignée d’eau sont engendrées dix [poignées] d’air, ou par l’ajout d’autre chose. Aussi Augustin dit-il : « Est-il plus absurde que, sa quantité demeurant la même – à savoir, sans addition ‑, un corps augmente de partout, ou qu’il se raréfie ? » Or, il n’était pas possible qu’une côte de l’homme s’accroisse par raréfaction jusqu’à la quantité de la femme, car le corps de la femme serait encore plus raréfié que l’air lui-même. Il faudra donc que cela se produise par ajout de quelque chose d’extérieur, qui devait être beaucoup plus étendu que la côté elle-même. Puisque chaque chose doit être nommée à partir de sa plus grande part, il semble donc qu’on ne doive pas dire que le corps de la femme a été formé à partir d’une côte de l’homme.

 

[5031] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, cum in operibus divinis nihil sit superfluum, oportet quod costa illa de perfectione corporis Adae fuerit. Sed subtracto eo quod ad perfectionem rei pertinet, sequitur diminutio. Cum ergo omnis diminutio in resurrectione restauretur, videtur quod costa illa in corpore Adae resurget. Si ergo de costa illa factum est corpus Evae, videtur quod Eva non resurget: quod est inconveniens. Non ergo de costa viri facta est mulier.

3. Comme il n’existe rien de superflu dans les œuvres de Dieu, il est donc nécessaire que cette côte ait fait partie de la perfection du corps d’Adam. Or, si on enlève ce qui fait partie de la perfection d’une chose, une diminution en découle. Puisque toute diminution sera rétablie lors de la résurrection, il semble donc que cette côte ressuscitera dans le corps d’Adam. Si donc le corps d’Ève a été formé à partir de cette côte, il semble qu’Ève ne ressuscitera pas, ce qui est inapproprié. La femme n’a donc pas été formée à partir du corps de l’homme.

 

[5032] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, in corpore sensibili non potest esse divisio continui sine dolore. Sed corpus Adae propter naturae institutae integritatem maxime sensibile fuit. Ergo cum nullus dolor in ipso praecederet culpam, videtur quod ex ejus costa mulier formata non sit.

4. Dans un corps sensible, il ne peut y avoir de division du continu sans douleur. Or, le corps d’Adam était sensible au plus point en raison de l’intégrité de la nature créée. Puisque aucune douleur ne devait précéder chez lui la faute, il semble donc que la femme n’ait pas été formée de sa côte.

 

[5033] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, ut dicit Augustinus, in omnibus operibus creationis non quid Deus facere possit quaeritur, sed quid rerum natura patiatur. Cum ergo naturalis modus propagationis mulieris non sit de costa viri, sed ex semine (quia his quae sunt ejusdem speciei, debetur unus modus originis), videtur quod inconvenienter ex costa viri mulier facta ponatur.

5. Comme le dit Augustin, « pour toutes les œuvres de la création, on ne se demande pas ce que Dieu peut faire, mais ce que la nature des choses supporte ». Puisque le mode naturel de reproduction de la femme ne consiste pas à provenir de la côte de l’homme, mais de la semence (car un seul mode d’origine revient à ce qui fait partie de la même espèce), il semble donc qu’on affirme de manière inappropriée que la femme a été formée à partir d’une côte de l’homme.

 

[5034] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Boetius: necesse est quod imperfectum a perfecto sumat originem. Sed mulier est vir imperfectus sive occasionatus, ut 16 de animalibus philosophus dicit. Ergo congruum fuit ut de corpore viri corpus mulieris sumeretur.

Cependant, [1] Boèce dit en sens contraire : « Il est nécessaire que ce qui est imparfait tire son origine de ce qui est parfait. » Or, la femme est un homme imparfait ou diminué, comme le dit le Philosophe dans Sur les animaux, XVI. Il convenait donc que le corps de la femme soit tiré du corps de l’homme.

 

[5035] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, primum principium et finis in idem reducuntur; unde idem ponimus universitatis finem et principium. Sed mulier propter virum facta est, quia in adjutorium viri facta legitur Genes. 2. Ergo congruum fuit ut etiam vir mulieris esset principium: et sic idem quod prius.

[2] Le principe premier et la fin se ramènent à une même chose ; aussi affirmons-nous que la fin et le premier principe de l’univers sont la même chose. Or, la femme a été faite pour l’homme, car on lit en Gn 2, qu’elle a été faite comme une aide de l’homme. Il convenait donc que l’homme soit aussi le principe de la femme, et ainsi, la conclusion est la même que précédemment.

 

[5036] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod apud Catholicos dubium esse non debet quin mulier de costa viri formata fuerit, quamvis Judaei de hoc multa fabulentur: non enim magis rationi resistit vel divinae potentiae mulierem ex corpore viri sumi, quam corpus viri ex limo terrae formari, cum utrumque a naturae virtute separatum sit. Modum tamen quo id factum est, non omnes similiter assignant. Quidam enim, ut Magister in littera, et Hugo de sancto Victore volunt ex costa viri sine alicujus exterioris additione, vel novae materiae creatione, corpus mulieris formatum fuisse. Hoc autem non videtur intelligibile. Si enim per multiplicationem materiae hoc factum dicant, oportet multiplicationem hanc aut secundum quantitatem tantum attendi, aut secundum essentiam materiae. Si primo modo, sic oportet ut eadem materia numero quae fuit primo sub parvis dimensionibus, postmodum majores dimensiones recipiat: hoc autem idem est quod rarefieri, ut ex 4 physicorum patet: et ita sequeretur corpus mulieris ex costa viri per modum rarefactionis esse formatum, quod expresse impossibile est. Si vero multiplicatio essentiam materiae attingat, cum nihil aliud sit multiplicari quam aliquid fieri quod prius non erat, oportet quod aliquid materiae sit sub forma corporis mulieris quod prius sub forma costae non erat. Hoc autem aliter esse non potest nisi vel per conversionem alterius corporis in corpus mulieris, cujus materia sub forma ejus remaneat, vel per hoc quod aliquid materiae sit de novo creatum: et ita oportet quod per additionem alicujus materiae, vel de novo creatae, vel sub forma alterius corporis praeexistentis, ex costa viri corpus mulieris formatum sit; et sic etiam panum multiplicatio intelligi potest. Verius tamen videtur quod per additionem materiae praeexistentis hoc factum fuerit, cum omnia simul fuisse creata ad minus in materia, sancti communiter tradant.

Réponse. Pour les catholiques, il ne peut y avoir de doute que la femme a été formée à partir d’une côte de l’homme, bien que les Juifs racontent beaucoup de choses à ce sujet. En effet, il n’est pas davantage contraire à la raison ou à la puissance divine que la femme soit tirée du corps de l’homme, que le corps de l’homme soit formé à partir du limon de la terre, puisque les deux ont été séparés à partir de la puissance de la nature. Cependant, tous ne précisent pas de la même manière la façon dont cela s’est produit. En effet, certains, comme le Maître dans le texte et Hugues de Saint-Victor, veulent que le corps de la femme ait été formé à partir d’une côte de l’homme sans aucun apport de l’extérieur. Mais cela ne peut pas se comprendre. En effet, s’ils disent que cela a été fait par la multiplication de la matière, il faut que cette multiplication soit envisagée selon la quantité seulement ou selon l’essence de la matière. Si c’est de la première façon, il faut ainsi que la même matière numériquement, qui existait d’abord sous de petites dimensions, reçoive par la suite de plus grandes dimensions. Or, c’est là la même chose que d’être raréfiée, comme cela ressort de Physique, IV. Il en découlerait ainsi que le corps de la femme a été formé à partir de la côte de l’homme par mode de raréfaction, ce qui est manifestement impossible. Mais si la multiplication atteint l’essence de la matière, puisque être multiplié n’est rien d’autre que devenir ce qu’on n’était pas auparavant, il est nécessaire que quelque chose de la matière existe sous la forme du corps de la femme, qui n’existait pas antérieurement sous la forme de la côte. Or, cela ne peut se faire autrement que par la conversion de l’autre corps au corps de la femme, dont la matière demeure sous la forme de celui-là, ou que quelque chose de la matière a été à nouveau créé. Et ainsi, il faut que, par l’addition d’une certaine matière ou d’une matière à nouveau créée, ou qui existait sous la forme de l’autre corps qui préexistait, le corps de la femme ait été formé à partir d’une côte de l’homme. On peut aussi comprendre de cette manière la multiplication des pains. Il semble cependant plus vrai que cela ait été fait par l’ajout d’une matière préexistante, puisque les saints enseignent généralement que tout a été créé en même temps, du moins dans la matière.

 

[5037] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, ut dicit Philos. in VIII Ethicorum, mas et femina in hominibus conjunguntur non solum propter prolis generationem, sicut in aliis animalibus, sed etiam propter communicationem operum in vita communi, ut sic sibi sufficiant ad invicem propria opera conferentes; unde apparet diversa esse opera viri et mulieris. Quia ergo in communicatione vitae et regimine domus, vir caput est mulieris, ideo mas in hominibus magis habet rationem principii respectu feminae, quam in aliis animalibus; et propter hoc magis decuit feminam hominis ex viro sumi quam in aliis animalibus. Et praeterea in littera assignantur duae rationes, quae per se patent.

1. Comme le dit le Philosophe, Éthique, VIII, le mâle et la femelle chez les hommes sont unis, non seulement en vue de la génération d’une descendance, comme chez les autres animaux, mais aussi pour le partage des tâches dans la vie commune, de sorte qu’ils se suffisent ainsi réciproquement en joignant leurs tâches propres. Aussi les tâches de l’homme et de la femme apparaissent-elles différentes. Puisque, dans la vie commune et le gouvernement du ménage, l’homme est le chef de la femme, le mâle chez les hommes a donc davantage que chez les autres animaux raison de principe par rapport à la femelle. Pour cette raison, il convenait davantage que la femelle humaine vienne de l’homme que chez les autres animaux. De plus, deux raisons sont données dans le texte : elles sont évidentes par elles-mêmes.

 

[5038] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per additionem rei exterioris ex costa corpus mulieris factum est; nec tamen oportet quod ex illo adjecto corpus mulieris factum dicatur, etsi sit amplius in quantitate: quia illud adjectum non venit in materiam mulieris nisi mediante costa: sicut etiam menstruum materia embrionis dicitur, quamvis oporteat etiam ex cibis conversis corpus embrionis majorem quantitatem assumere: sicut etiam aqua in sanguinem Christi transfertur mediante vino, etiamsi esset major quantitas aquae; dummodo virtute potentioris vini, natura aquae absorberi possit.

2. Le corps de la femme a été formé par l’ajout de quelque chose d’extérieur. Il n’est cependant pas nécessaire de dire que le corps de la femme a été formé à partir de cet ajout, même s’il est plus grand en quantité, car cet ajout n’est entré dans la matière de la femme que par l’intermédiaire de la côte. On dit ainsi que les menstrues sont la matière de l’embryon, bien qu’il faille aussi que le corps de l’embryon reçoive des aliments convertis sa plus grande quantité. On dit encore que l’eau est changée au sang du Christ par l’intermédiaire du vin, même s’il y avait une plus grande quantité d’eau, pourvu que la nature de l’eau puisse être absorbée par la puissance d’un vin plus fort.

 

[5039] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquid dicitur esse de perfectione alicujus dupliciter: vel quia est necessarium ad esse individui, et sic costa illa non erat de perfectione corporis Adae; aut quia est necessarium ad conservationem speciei, sicut semen in 15 de animalibus dicitur esse superfluum respectu individui, quo tamen indigetur ad speciei conservationem: et hoc modo costa fuit de perfectione corporis Adae, inquantum Adam erat principium humani generis. Ex quo patet quod costa illa resurget in Eva et non in Adam, cum sit de perfectione corporis Evae etiam quantum ad esse individui, et ita magis ad ipsam pertineat.

3. On dit que quelque chose fait partie de la perfection d’une chose de deux manières. Soit parce que cela est nécessaire à l’être de l’individu, et ainsi cette côte ne faisait pas partie de la perfection du corps d’Adam ; soit parce que cela est nécessaire à la conservation de l’espèce, comme on dit de la semence, Sur les animaux, XV, qu’elle est superflue pour l’individu, mais qu’elle est nécessaire pour la conservation de l’espèce. C’est de cette manière que la côte était nécessaire à la perfection du corps d’Adam, pour autant que Adam était le principe du genre humain. Il ressort de cela que cette côte ressuscitera en Ève, et non en Adam, puisqu’elle fait partie du corps d’Ève, même pour ce qui est de l’être de l’individu, et qu’elle lui appartient ainsi davantage.

 

[5040] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod ordinatum est ad conservationem speciei, non solum sine dolore, sed etiam cum delectatione rescinditur; et ita non oportet quod in separatione illius costae, dolorem senserit. Vel dicendum, ut Magister dicit, hoc divina virtute et miraculose factum, ut dolorem vulneris non sentiret.

4. Ce qui a été ordonné à la conservation de l’espèce est séparé, non seulement sans douleur, mais avec plaisisr. Ainsi il n’est pas nécessaire que, lors de la séparation de cette côte, [Adam] ait ressenti de la douleur. Ou bien il faut dire, comme le dit le Maître, que le fait qu’il n’ait pas ressenti la douleur de la blessure a été accompli par la puissance divine et de manière miraculeuse.

 

[5041] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod institutio rerum naturalium potest considerari dupliciter: vel quantum ad modum fiendi, vel quantum ad proprietates consequentes res institutas. Modus quidem fiendi naturalis esse non potuit, cum non praecesserint aliqua principia naturalia quorum actiones et passiones sufficerent ad effectus naturaliter producendos; et ideo oportuit per virtutem supernaturalem prima principia in naturis constituere, ut corpus hominis formaretur ex terra, et corpus mulieris ex costa, et sic de aliis. Sed proprietates consequentes naturas institutas non debent miraculo attribui, ut quod aquae miraculose super caelos consistant.

5. L’instauration des réalités naturelles peut être envisagée de deux manières : soit quant à la manière d’accomplir, soit quant aux propriétés qui découlent des réalités instaurées. Ce ne pouvait pas être un mode de faire naturel, puisque certains principes naturels n’ont pas précédé, dont les actions et les passions suffiraient à produire naturellement les effets. Aussi fallait-il établir dans les natures des principes premiers en vertu de la puissance divine, pour que le corps de l’homme soit formé à partir de la terre et le corps de la femme à partir de la côte, et ainsi de suite pour les autres choses. Or, les propriétés qui découlent des natures instaurées ne doivent pas être attribuées à un miracle, comme le fait pour que les eaux séjourneraient au-dessus des cieux par miracle.

 

 

 

 

Articulus 2 [5042] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus convenienter indiderit materiae rationes seminales

Article 2 – Dieu a-t-il implanté dans la matière des raisons séminales de manière appropriée ?

 

[5043] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter dicatur rationes seminales materiae Deus indidisse. Quod enim recipitur in materia sensibili, est in ea per esse naturae, et non per esse intentionis; quia materia cognoscitiva non est formarum quas recipit, sed per eas in esse specifico perficitur. Sed ratio non nominat formam secundum esse naturae, sed per modum intentionis. Ergo virtutes rebus sensibilibus inditae rationes dici non debent.

1. Il semble qu’on dise de manière inappropriée que Dieu a implanté dans la matière des raisons séminales. En effet, ce qui est reçu dans la matière sensible s’y trouve selon un être naturel, et non selon un être intentionnel, car la matière cognitive n’est pas celle des formes qu’elle reçoit, mais de celles qui la perfectionnent dans son être spécifique. Or, la raison ne désigne pas une forme selon son être naturel, mais selon par un mode d’intention. Les puissances implantées dans les réalités sensibles ne peuvent donc être appelées des raisons.

 

[5044] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, semen, ut ex 2 Physic. habetur, principium activum nominat. Potentia autem materiae non est activa, sed passiva, cum nihil agat nisi secundum quod est in actu. Ergo ratio seminalis materiae attributa non est.

2. Comme on le lit dans Physique, II, la semence désigne un príncipe actif. Or, la puissance de la matière n’est pas active, mais passive, puisque rien n’agit que selon qu’il est en acte. Une raison séminale n’a donc pas été attribuée à la matière.

 

[5045] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, quod est in aliquo, non producitur ab eo nisi per modum exitus. Si ergo omnium rerum semina Deus in natura prius posuit, videtur quod generatio rerum sit per exitum unius rei ab alia, et sic redibit error Anaxagorae, qui posuit quodlibet esse in quolibet, et nihil pure esse hoc vel illud, ut os vel caro; sed unumquodque nominari ex praedominante: quod in 1 Physic. improbatur.

3. Ce qui se trouve dans une chose n’est amené en dehors d’elle que par mode de sortie. Si donc Dieu a d’abord placé les semences de toutes les choses dans la nature, il semble que la génération des choses se réalise par la sortie d’une chose à partir d’une autre, et ainsi reviendra l’erreur d’Anaxagore, qui affirmait que tout était dans tout, et que rien n’était à proprement parler ceci ou cela, comme un os ou de la chair, mais que tout était désigné par ce qui y prédominait, ce qui est réfuté dans Physique, I.

 

[5046] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, ad generationem rerum naturalium non tantum sunt necessariae virtutes activae, sed etiam passivae. Cum ergo in seminalibus rationibus virtutes passivae non includantur, videtur quod praeter rationes seminales etiam aliae rationes rebus inditae debeant dici.

4. Pour la génération des choses naturelles, non seulement les puissances actives, mais aussi les puissances passives sont nécessaires. Puisque les puissances passives ne sont pas incluses dans les raisons séminales, il semble donc qu’en plus des raisons séminales, on doive dire que d’autres raisons ont aussi été implantées dans les choses.

 

[5047] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, in natura inferiori effectus non procedunt ex suis causis ut semper vel necessario, sed ut frequenter. Cum ergo in littera describantur rationes seminales secundum quas necesse est aliquid fieri, videtur quod ad minus in natura inferiori rationes seminales positae non sint.

5. Dans une nature inférieure, les effets ne viennent pas de leurs causes toujours et de manière nécessaire, mais souvent. Puisque, dans le texte, on décrit les raisons séminales selon lesquelles il est nécessaire que quelque chose soit fait, il semble donc qu’au moins dans la nature inférieure, des raisons séminales n’ont pas été déposées.

 

[5048] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra: quia, ut dicit Gregorius, benedictio Dei dicitur bonorum ejus collatio et eorumdem multiplicatio. Cum ergo Deus legatur Gen. 1 sua opera benedixisse, videtur quod eis dederit virtutes quibus fieret eorum multiplicatio. Hoc autem importat ratio seminalis. Ergo rationes seminales a Deo rebus inditae sunt.

Cependant, [1] Grégoire dit en sens contraire qu’on appelle bénédiction de Dieu le don de ses bienfaits et leur multiplication. Puisqu’on lit, en Gn 1, que Dieu a béni ses œuvres, il semble donc qu’il leur a donné les puissances par lesquelles se réaliserait leur multiplication. Or, c’est cela que comporte une raison séminale. Des raisons séminales ont donc été implantées par Dieu dans les choses.

 

[5049] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Deuter. 32, 4, dicitur: Dei perfecta sunt opera. Perfectum autem unumquodque est, ut in 4 Meteor. dicitur, quando potest alterum tale producere quale ipsum est. Ergo virtutes quibus hoc fieri possit, rebus attributae sunt, et hae sunt rationes seminales: ergo et cetera.

[2] Il est dit en Dt 32, 4 : Les œuvres de Dieu sont parfaites. Or, comme on le dit dans Météores, IV, toute chose est parfaite lorsqu’une chose peut en produire une autre semblable à elle-même. Des puissances par lesquelles cela peut être réalisé ont donc été attribuées aux choses : ce sont les raisons séminales. Donc, etc.

 

[5050] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod emanatio creaturarum a Deo est sicut exitus artificiatorum ab artifice; unde sicut ab arte artificis effluunt formae artificiales in materia, ita etiam ab ideis in mente divina existentibus fluunt omnes formae et virtutes naturales. Sed quia, ut Dionysius dicit, ea quae sunt causatorum abundanter praeinsunt causis, formae receptae in materia non adaequant virtutem vel artem increatam a qua procedunt; unde apud artificem remanet ex arte sua virtus aliquid aliter operandi circa ipsa artificiata, quibus virtus artis alligata non est: et similiter in virtute divina est ut aliquid rebus creatis addat vel mutet vel abstrahat. In duobus autem differt operatio Dei ab operatione artificis. Primo ex parte materiae: quia cum artifex materiam non producat, sed ex materia data operetur, potentiam materiae non confert ad recipiendum formas quas materiae inducit, nec inferre in materiam potest; Deus autem, qui totius rei auctor est, non solum formas et virtutes naturales rebus contulit, sed etiam potentiam recipiendi illud quod ipse in materia facere vult. Secundo ex parte formae: quia formae quas inducit artifex, non producunt sibi similes: quia lectus putrescens non pullulat in lectum, sed in plantam, ut ex 1 Physic. patet: formae autem naturales sibi similes producere possunt; et ideo proprietatem seminis habent, et seminales dici possunt. Formae autem rerum secundum quod in arte divina existunt, primordiales esse dicuntur, eo quod ipsae sunt prima principia simpliciter rerum producendarum: potentia autem quae rebus indita est ad suscipiendum illud in se quod voluntas Dei disponit, rationes obedientiales a quibusdam dicuntur, secundum quas inest materiae ut fieri possit ex ea quod Deus vult. Ipsae autem virtutes in materia positae, per quas naturales effectus consequuntur, rationes seminales dicuntur. Sed quid sint secundum rem seminales rationes, a diversis diversimode assignatur. Quidam enim dicunt, quod forma speciei non recipitur in materia nisi mediante forma generis; adeo quod est alia forma numero per quam ignis est ignis, et per quam ignis est corpus. Illa ergo forma generalis incompleta ratio seminalis dicitur: quia propter talem formam inest materiae quaedam inclinatio ad recipiendum formas specificas. Hoc autem non videtur esse verum: quia omnis forma quae advenit post aliquod esse substantiale, est forma accidentalis. Si enim post esse in genere substantiae constitutum advenit, ergo ea recedente, adhuc remanet individuum in genere substantiae; quod est contra rationem formae substantialis, sicut dicitur in 2 de anima. Et praeterea, cum omnis forma det aliquod esse, et impossibile sit unam rem habere duplex esse substantiale, oportet, si prima forma substantialis adveniens materiae det sibi esse substantiale, quod secunda superveniens det esse accidentale: et ideo non est alia forma qua ignis est ignis, et qua est corpus, ut Avicenna vult. Et si Commentator dicat in 2 Metaph. genus non esse materiam sed formam mediam inter materiam et ultimam formam: hoc non dicitur ad significandum ordinem formarum secundum rem sed secundum rationem: quia genus quamvis significet totum, ut Avicenna dicit, significat tamen ut indistinctum, et ita propinque se habet ad rationem materiae. Et praeterea sequeretur quod res signata per genus esset pars speciei constitutae per formam superadditam, et ita de specie praedicari non posset. Nec etiam hoc convenit secundum intentionem Augustini: quia ex virtute formae generalis non necessario sequitur forma specialis: unde non est talis virtus secundum quam necesse sit fieri, sed secundum quam fieri potest. Ideo alii dicunt, quod cum omnes formae, secundum philosophum, de potentia materiae educantur, oportet ipsas formas praeexistere in materia incomplete, secundum quamdam quasi inchoationem; et quia non sunt in esse suo perfectae, non habent perfectam virtutem agendi, sed incompletam; et ideo non possunt per se exire in actus, nisi sit agens exterius quod excitet formam incompletam ad agendum, ut sic cooperetur agenti exteriori; aliter enim non esset generatio mutatio naturalis, sed violenta: quia, ut in 3 Ethic. dicitur, violentum est cujus principium est extra, nil conferente vim passo. Has ergo virtutes incompletas in materia praeexistentes, rationes seminales dicunt, quia sunt secundum esse completum in materia, sicut virtus formativa in semine. Hoc autem verum non videtur; quia quamvis formae educantur de potentia materiae, illa tamen potentia materiae non est activa, sed passiva tantum; sicut enim, ut Commentator dicit in 8 Physic., in motu locali oportet esse aliud movens et motum; ita etiam in motu alterationis; et ponit exemplum quod quando corpus naturaliter sanatur, cor est sanans, et alia membra sanata; et ideo sicut in corporibus simplicibus non dicimus quod sint mota ex se secundum locum, quia ignis non potest dividi in movens et motum; ita etiam non potest esse alteratum ex se, quasi aliqua potentia existens in materia aliquo modo agat in ipsam materiam in qua est, educendo eam in actum. Sed utrumque contingit in animatis, quia sunt mota secundum locum ex se, et etiam alterata, propter distinctionem organorum vel partium, quarum una est movens et alterans, et alia mota et alterata; et ideo non hoc modo potest accipi virtus seminalis in aliis rebus sicut in habentibus animam. Nec tamen sequitur, si in materia est potentia passiva tantum, quod non sit generatio naturalis: quia materia coadjuvat ad generationem non agendo, sed inquantum est habilis ad recipiendum talem actionem: quae etiam habilitas appetitus materiae dicitur, et inchoatio formae. Non enim eodem modo omnes motus naturales dicuntur, ut in 2 Physic. et in 1 Cael. et Mund. Commentator dicit, sed quidam propter principium activum intus existens, ut motus localis gravium et levium; et quidam propter principium passivum quod est secundum potentiam ab agente naturali natam in actum educi, ut in generatione et alteratione simplicium corporum: unde et natura dividitur in materiam et formam. Et ideo concedo quod in materia nulla potentia activa est, sed pure passiva; et quod rationes seminales dicuntur virtutes activae completae in natura cum propriis passivis, ut calor et frigus, et forma ignis, et virtus solis, et hujusmodi; et dicuntur seminales non propter esse imperfectum quod habeant, sicut virtus formativa in semine; sed quia rerum individuis primo creatis hujusmodi virtutes collatae sunt, per opera sex dierum, ut ex eis quasi ex quibusdam seminibus producerentur et multiplicarentur res naturales.

Réponse. L’émanation des créatures depuis Dieu est semblable à la provenance des réalités artificielles depuis l’artisan. Ainsi, de même que des formes artificielles passent de l’art de l’artisan dans la matière, de même aussi toutes les formes et puissances naturelles découlent-elles des idées existant dans l’esprit de Dieu. Or, parce que, comme le dit Denys, « ce qui existe préexiste en abondance dans les causes des réalités causées », les formes reçues dans la matière ne sont pas égales à la puissance ou à l’art incréés dont elles proviennent. Aussi reste-t-il dans l’artisan, en vertu de son art, une puissance de réaliser quelque chose d’autre dans ses œuvres d’art, par lesquelles la puissance de l’art n’est pas liée. De même, la puissance divine peut-elle ajouter, changer ou enlever quelque chose aux réalités créées. Mais l’opération de Dieu diffère sur deux points de l’opération de l’artisan. Premièrement, du point de vue de la matière, car l’artisan ne produisant pas la matière, mais opérant à partir d’une matière donnée, il ne donne pas à la matière la puissance de recevoir les formes qu’il confère à la matière, et il ne peut agir sur la matière. Mais Dieu, qui est l’auteur de toutes choses, non seulement donne aux choses leurs formes et leurs puissances naturelles, mais aussi la puissance de recevoir ce qu’il veut réaliser dans la matière. Deuxièmement, du point de vue de la forme, car les formes que l’artisan apporte n’en produisent pas de semblables à elles-mêmes : un lit en putréfaction ne prolifère pas sous forme de lit, mais sous forme de plante, comme cela ressort de Physique, I ; mais les formes naturelles peuvent en produire de semblables à elles-mêmes. Elles ont donc la propriété de la semence et peuvent être appelées séminales. Mais les formes des choses qui existent dans l’art divin sont appelés primordiales, du fait qu’elles sont simplement les principes premiers des choses à produire ; cependant, la puissance qui a été implantée dans les choses en vue qu’elles reçoivent en elles-mêmes ce que la volonté de Dieu a établi est appelée par certains raison obédientielle, selon laquelle la matière est disposée à ce que se réalise en elle ce que Dieu veut. Toutefois, les puissances, mêmes implantées dans la matière, dont découlent des effets naturels, sont appelées raisons séminales. Mais ce que sont en réalité les raisons séminales, cela est précisé de manière différente par différents [auteurs]. En effet, certains disent que la forme de l’espèce n’est reçue dans la matière que par l’intermédiaire de la forme du genre, de telle sorte que c’est numériquement une autre forme par laquelle le feu est feu, et par laquelle le feu est corps. Cette forme générique incomplète est donc appelée raison séminale, car, en raison d’une telle forme, existe à l’intérieur de la matière une certaine inclination à recevoir des formes spécifiques. Mais cela ne semble pas être vrai, car toute forme qui survient après un être substantiel est une forme accidentelle. En effet, si quelque chose est établi après l’être dans le genre de la substance, en retirant celle-ci, il reste encore l’individu dans le genre de la substance, ce qui va à l’encontre de la raison de la forme substantielle, comme on le dit dans Sur l’âme, II. De plus, puisque toute forme donne un certain être et qu’il est impossible qu’une chose possède un double être substantiel, il est nécessaire, si la première forme substantielle qui survient dans la matière lui donne un être substantiel, que la seconde qui survient [lui] donne un être accidentel. C’est pourquoi la forme par laquelle le feu est feu n’est pas différente de celle par laquelle il est un corps, comme le veut Avicenne. Et même si le Commentateur dit, Métaphysique, II, que le genre n’est pas la matière, mais une forme intermédiaire entre la matière et la forme ultime, cela ne signifie pas un ordre réel entre les formes, mais [un ordre] selon la raison, car le genre, bien qu’il signifie le tout, comme le dit Avicenne, le signifie cependant d’une manière indistincte, et ainsi il se rapproche de la raison de matière. De plus, il en découlerait qu’une chose indiquée par son genre ne serait pas une partie de l’espèce établie par une forme qui s’y ajoute, et ainsi il ne pourrait être prédiqué de l’espèce. Cela ne s’accorde pas non plus avec l’intenton d’Augustin, car une forme spécifique ne découle pas nécessairement de la puissance d’une forme générique ; elle n’est donc pas une puissance selon laquelle elle surviendra nécessairement, mais selon laquelle elle peut survenir. C’est pourquoi d’autres disent que, puisque toutes les formes, selon le Philosophe, sont tirées de la puissance de la matière, il est nécessaire que les formes elles-mêmes préexistent de manière incomplète dans la matière selon une certaine amorce ; et parce qu’elles n’existent pas achevées dans leur être, elles ne possèdent pas une parfaite puissance d’agir, mais [une puissance] incomplète. C’est pourquoi elles ne peuvent passer elles-mêmes à l’acte que par un agent extérieur qui stimule la forme incomplète à agir, de telle sorte qu’elle coopère avec l’agent extérieur. En effet, la génération ne serait pas autrement un changement naturel, mais violent, car, ainsi qu’on le dit dans Éthique, III, « ce qui est violent est ce dont le principe vient de l’extérieur, sans que ce qui subit y coopère ». [Ceux-là] appellent donc ces puissances incomplètes à l’intérieur de la matière des raisons séminales, car elles n’existent pas selon leur être complet dans la matière, comme la puissance formatrice dans la semence. Mais cela ne semble pas vrai, car, bien que les formes soient tirées de la puissance de la matière, cette puissance de la matière n’est cependant pas active, mais seulement passive. En effet, comme le dit le Commentateur, Physique, VIII, il faut qu’il y ait dans le mouvement local quelque chose qui meut et quelque chose qui est mû ; de même aussi dans le mouvement d’altération. Et il donne l’exemple du corps qui guérit naturellement, dans lequel le cœur est sain et d’autres membres sont guéris. De même que, pour les corps simples, nous ne disons pas qu’ils sont mus par eux-mêmes selon le lieu, car ne feu ne peut être divisé en ce qui meut et ce qui est mû, de même aussi ne peut-il exister de réalité altérée par elle-même, comme si une certaine puissace existant dans la matière agissait en quelque sorte sur la matière même dans laquelle elle existe, en l’amenant à l’acte. Mais les deux choses se produisent dans les réalités animées, car elles sont mues par elles-mêmes selon le lieu, et elles sont aussi altérées en raison de la distinction entre les organes ou les parties, dont l’une est motrice et provoque le changement, et l’autre est mue et subit le changement. C’est pourquoi on ne peut entendre de cette manière la puissance séminale dans d’autres choses que celles qui possèdent une âme. Il n’en découle cependant pas, s’il existe dans la matière une puissance passive seulement, que la génération ne soit pas naturelle, car la matière coopère à la génération, non pas en agissant, mais pour autant qu’elle est apte à recevoir une telle action. Cette aptitude est appelée un appétit de la matière et une amorce de la forme. En effet, on n’appelle pas naturels de la même manière tous les mouvements, comme on le dit dans Physique, II et comme le Commentateur le dit dans Sur le ciel et le monde, I, mais certains le sont en raison d’un principe actif intrinsèque, comme le mouvement local des [corps] lourds et légers ; d’autres, en raison d’un principe passif qui existe selon une puissance destinée à être amenée à l’acte par un agent naturel, comme dans la génération et l’altération des corps simples. Aussi la nature est-elle aussi divisée en matière et forme. C’est pourquoi je concède qu’il n’existe aucune puissance active dans la matière, mais une puissance purement passive : les raisons séminales sont ainsi appelées par nature des puissances actives complètes, avec leurs propres puissances passives, comme la chaleur et le froid, la forme du feu et la puissance du soleil, et les choses de ce genre ; et elles sont appelées séminales, non pas en raison de l’être imparfait qu’elles possèdent, comme la puissance formatrive dans la semence, mais parce que ces puissances ont été données en premier lieu aux réalités ainsi créées par l’œuvre des six jours, afin que les réalités naturelles soient produites et se multiplient à partir d’elles comme à partir de semences.

 

[5051] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hujusmodi virtutes activae in natura dicuntur rationes, non quod sint in materia per modum intentionis, sed quia ab arte divina producuntur, et manet in eis ordo et directio intellectus divini, sicut in re artificiata manet directio artificis in finem determinatum.

1. Les puissances actives de cette sorte existant dans la nature sont appelées raisons, non pas parce qu’elles existent dans la matière sous forme d’intention, mais parce qu’elles ont été produites par l’art de Dieu et que demeurent en elles l’ordre et l’orientation de l’intelligence divine, comme l’orientation de l’artisan vers une fin déterminée demeure dans l’œuvre d’art.

 

[5052] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod rationes seminales dicuntur materiae inditae, non quia sint intelligendae praeexistere in materia ante adventum formae completae, quasi pertinentes ad essentiam materiae, vel ad rationem ejus, secundum quod est materia; sed per modum quo etiam formae completae in materia esse dicuntur.

2. On dit que les raisons séminales ont été implantées dans la matière, non pas parce qu’il faut entendre qu’elles préexistent dans la matière avant l’avènement d’une forme complète, comme si elles se rapportaient à l’essence de la matière ou à sa raison, en tant qu’elle est matière, mais selon le mode dont on dit que même les formes complètes existent dans la matière.

 

[5053] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Anaxagoras ponebat, in aere, ex quo generabatur ignis, praeexistere quasdam partes ignis in actu latentes, per quarum exitum et congregationem, ignis generari videbatur. Hoc autem nos non ponimus; sed quod in materia aeris praecessit aptitudo ad formam ignis, et in igne generante virtus activa, per quam haec aptitudo in actum reducitur: et hoc non est inconveniens.

3. Anaxagore affirmait que, dans l’air, à partir duquel le feu était engendré, préexistaient d’une manière cachée certaines parties du feu en acte, par la sortie et l’assemblage desquelles le feu semblait être engendré. Nous n’affirmons pas cela, mais [nous affirmons] que préexistait dans la matière de l’air une aptitude à la forme du feu, et, dans le feu qui engendre, une puissance active, par laquelle cette aptitude est amenée à l’acte. Cela n’est pas inapproprié.

 

[5054] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sub rationibus seminalibus comprehenduntur tam virtutes activae quam etiam passivae, quae perfici possunt per agentia naturalia; sicut et in generatione animalis semen extento nomine dicitur non solum sperma, sed etiam menstruum.

4. Autant les puissances actives que les puissances passives, qui peuvent être perfectionnées par les agents naturels, sont comprises sous les raisons séminales. Ainsi, dans la génération d’un animal, on n’appelle pas semence au sens large le seul sperme, mais aussi les menstrues.

 

[5055] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod concurrentibus omnibus causis naturalibus, ex quibus omnibus una perfecta causa constat, necesse est effectum sequi, nisi aliquid impediat: et hoc modo loquitur Augustinus.

5. Par la rencontre de toutes les causes naturelles, qui toutes constituent une seule cause parfaite, il est nécessaire que suive un effet, à moins que quelque chose ne l’empêche. C’est de cette manière que parle Augustin.

 

 

 

 

Articulus 3 [5056] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 tit. Utrum ea quae fiunt praeter rationes seminales, sint miracula

Article 3 – Les choses accomplies par-delà des raisons séminales sont-elles des miracles ?

 

[5057] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod ea quae praeter rationes seminales fiunt, non omnia miracula sint. In opus enim creationis virtus seminalis naturae non potest, nec tamen opus creationis miraculosum dicitur; quia miracula sunt ad manifestationem gratiae, ut in littera dicitur; ad quod creatio non est ordinata, sed magis ad institutionem naturae. Ergo videtur quod non sit ratio miraculi in hoc quod praeter causas seminales aliquid fiat.

1. Il semble que les choses accomplies par-delà les raisons séminales ne sont pas toutes des miracles. En effet, la puissance séminale de la nature n’a pas d’emprisee sur l’œuvre de la création, et pourtant l’œuvre de la création n’est pas appelée miraculeuse, car les miracles ont comme fin la manifestation de la grâce, comme le texte le dit ; la création n’est pas ordonnée à cela, mais plutôt à l’établissement de la nature. Il semble donc qu’il ne relève pas de la raison du miracle que quelque chose soit accompli par-delà les causes séminales.

 

[5058] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, creatio animarum et justificatio impiorum, cum frequenter fiat, miraculosa non est; quia miraculum est aliquod arduum et insolitum, ut Augustinus dicit; et tamen isti effectus praeter rationes seminales producuntur. Ergo idem quod prius.

2. Alors que la création des âmes et la justification des impies sont fréquemment accomplies, elles ne pas miraculeuses, car le miracle est quelque chose de difficile et d’insolite, comme le dit Augustin. Cependant, ces effets sont produits par-delà les raisons séminales.

 

[5059] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, resurrectio mortuorum, cum in spe fidelium sit, miraculosa non est, quia miraculum est praeter spem admirantis apparens, ut Augustinus dicit; et tamen resurrectio mortuorum per naturam fieri non potest. Ergo non omnia quae praeter virtutem naturae fiunt, miracula dicuntur.

3. La résurrection des morts, puisqu’elle fait partie de l’espérance des croyants, n’est pas miraculeuse, car le miracle dépasse l’espérance de celui qui s’en étonne, comme le dit Augustin. Cependant, la résurrection des morts ne peut être réalisée par la nature. Tout ce qui est accompli par-delà la puissance de la nature n’est donc pas appelé miracle.

 

[5060] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, quaedam quandoque fiunt praeter rationes seminales, quae facultatem naturae non excedunt, sicut quod aqua convertatur in vinum, ut factum legitur Joan. 2. Sed miraculum est supra facultatem naturae apparens, ut Augustinus dicit. Ergo videtur quod non omnia quae praeter rationes seminales fiunt, miracula sint.

4. Certaines choses se réalisent parfois par-delà les raisons séminales ; elles ne dépassent cependant pas la capacité de la nature, comme le fait pour l’eau d’être convertie en vin, comme on lit en Jn 2 que cela s’est réalisé. Or, le miracle semble dépasser la capacité de la nature, comme le dit Augustin. Il semble donc que tout ce qui est accompli par-delà les raisons séminales ne soit pas un miracle.

 

[5061] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, omnes virtutes activae creaturis collatae, rationes seminales dici possunt. Sed Angeli et homines dicuntur miracula facere. Ergo videtur quod non omnia miracula praeter rationes seminales fiant.

5. Toutes les puissances actives conférées aux créatures ne peuvent pas être appelées des raisons séminales. Or, on dit des anges et des hommes qu’ils peuvent accomplir des miracles. Il semble donc que tous les miracles ne soient pas accomplis par-delà les raisons séminales.

 

[5062] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, monstra in natura contingunt, et praeter intentionem naturae agentis; non tamen miracula dicuntur. Ergo non in hoc consistit ratio miraculi quod est praeter rationes seminales fieri.

6. Des monstres surviennent dans la nature par-delà l’intention de la nature qui agit ; ils ne sont cependant pas appelés des miracles. La raison de miracle ne consiste donc pas dans le fait qu’ils sont accomplis par-delà les raisons séminales.

 

[5063] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, illa opera miraculosa dicimus quae in admirationis divinae virtutis inducunt. Sed mutare cursum solitum naturae, non est nisi illius virtutis quae naturam instituit. Ergo ea proprie miracula dici debent quae praeter virtutes activas in natura contingunt.

Cependant, [1] nous appelons miracles ce qui conduit à l’admiration de la puissance divine. Or, changer le cours de la nature relève seulement de la puissance qui a établi la nature. On doit donc appeler miracles au sens propre ce qui se produit dans la nature par-delà ses puissances actives.

 

[5064] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod sicut ex verbis philosophi habetur in principio Metaphysic., admiratio ex duobus causatur; scilicet ex hoc quod alicujus effectus causa occulta est, et ex eo quod aliquid in re videtur per quod aliter esse deberet; unde in hoc quod est diametrum quadrati non posse commensurari lateri, admiratio causatur ex hoc quod hujus causa ignoratur, et ex hoc quod ex parvitate linearum videtur quod una alteri commensurari possit. Contingit ergo aliquid esse admirabile simpliciter, et aliquid esse admirabile quo ad hunc. Admirabile huic est id cujus causa occulta est sibi, et cui videtur secundum suam aestimationem aliquid obviare, quare non ita esse deberet; quamvis in re nihil sit repugnans, nec causa in se sit nimis occulta; et hoc potest dici mirum illi. Admirabile autem in se est id cujus causa simpliciter occulta est, ita etiam quod in re est aliqua virtus secundum rei veritatem per quam aliter debeat contingere. Hujusmodi autem sunt quae immediate a virtute divina causantur, quae est causa occultissima, alio modo quam se habeat ordo causarum naturalium: sicut quod caecus iterum videat, et quod mortuus resurgat, et hujusmodi: et haec proprie miracula dicuntur, quasi in seipsis et simpliciter mira. Haec autem quandoque sunt supra naturam, quandoque praeter naturam, quandoque contra naturam. Supra naturam dicitur esse miraculum, quando natura non potest in ipsam substantiam facti, sicut divisio maris rubri, suscitatio mortui, et hujusmodi. Illa vero dicuntur praeter naturam fieri in quae quidem natura potest quantum ad substantiam facti, sed tamen praeter operationem naturae fiunt jussu divino. Et quod haec dicantur miracula, contingit ex tribus. Primo propter excessum, et singularem quemdam modum: sicut ranae productae in Aegypto in tanta multitudine sicut antea visum non fuerat. Secundo propter hoc quod hora determinata contingunt ad invocationem divini nominis, sicut quod manus Jeroboam extensa contra prophetam arefacta fuit, et ara ejus divisa, 3 Reg., 13. Tertio quando aliquid universaliter contingit, sicut in veteri lege de aqua zelotypiae, Numer. 5, quod post potum illius venter adulterae divino miraculo putrescebat. Contra naturam autem dicitur fieri, quando in re est aliquid contrarium ei quod fit; sicut si grave sursum moveretur, et quod virgo peperit, vel aliquid hujusmodi; ita quod miraculose sequatur actus manente contraria natura, quae scilicet est principium contrarii actus.

Réponse. Selon les paroles du Philosophe, au début de la Métaphysique, l’étonnement est causé par deux choses : par le fait que la cause d’un effet est cachée, et par le fait qu’on voit dans une chose quelque chose par quoi elle devrait être différente. Ainsi, par le fait que le diamètre d’un carré ne peut être égal au côté, l’étonnement est causé parce que la cause est ignorée, et aussi par le fait que la faible longueur des lignes en rend possible l’égalité. Il arrive donc que quelque chose soit étonnant tout simplement, et que quelque chose soit étonnant pour telle personne. Ce qui est étonnant pour une personne est ce dont la cause lui est cachée et à quoi, selon son jugement, quelque chose semble s’opposer, bien que, en réalité, rien ne s’y oppose et que la cause n’en soit pas en elle-même tellement cachée. On peut dire que cela est étonnant pour cette personne. Mais ce qui étonnant par soi est ce dont la cause est tout simplement cachée, de telle sorte que, même en réalité, existe en vérité une puissance par laquelle elle doive se produire autrement. Or, telles sont les choses qui sont causées de manière immédiate par la puissance divine, qui est la cause la plus cachée, d’une manière différente que ne se comporte l’ordre des causes naturelles : ainsi, le fait pour un aveugle de voir de nouveau et, pour un mort, de ressusciter, et les choses de ce genre. Ces choses sont appelées des miracles au sens propre, en tant qu’elles sont étonnantes en elles-mêmes et tout simplement. Or, parfois, elles dépassent la nature, parfois elles sont par-delà la nature, parfois contre la nature. On dit qu’un miracle dépasse la nature lorsque la nature n’a pas pouvoir sur la substance de ce qui est accompli, comme la séparation de la Mer rouge, la résurrection d’un mort, et les choses de ce genre. Mais on dit que des choses sont accomplies par-delà la nature lorsque la nature a pouvoir sur la substance de ce qui est accompli, mais qu’elles sont accomplies par-delà l’opération de la nature sur l’ordre de Dieu. On parle de miracles pour ces choses de trois manières. Premièrement, en raison d’un dépassement et d’un mode singulier : ainsi, les grenouilles sont apparues en Égypte en si grand nombre qu’on ne l’avait pas vu auparavant. Deuxièmement, parce qu’elles se réalisent à une heure déterminée à l’invocation du nom de Dieu : ainsi, la main que Jéroboam avait portée contre le prophète se dessécha et son autel se divisa, 1 R 13. Troisièmement, lorsque quelque chose survient de manière universelle, comme, dans la loi ancienne, l’eau de jalousie, qui, une fois bue, flétrissait le ventre de l’adultère par un miracle divin. Mais on dit que le miracle est accompli contre nature lorsque quelque chose de contraire à une chose y survient, comme si quelque chose de lourd était mû vers le haut et qu’une vierge engendre, ou quelque chose de ce genre. De telle sorte qu’un acte en découle miraculeusement, alors que demeure une nature contraire, qui est le principe d’un acte contraire.

 

[5065] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum dicendum, quod creatio, proprie loquendo, non est opus miraculosum, quia deficit una conditio miraculi: quamvis enim causam occultam habeat, tamen non est in re unde aliter esse deberet: immo esse rerum naturali quodam ordine a primo ente producitur, quamvis non per necessitatem naturae.

1. À proprement parler, la création n’est pas une œuvre miraculeuse, car une condition du miracle lui manque. En effet, bien qu’elle ait une cause cachée, il n’y a cependant pas quelque chose qui devrait être autrement ; bien plus, l’être des choses est produit par le premier Être selon un certain ordre, bien que ce ne soit pas par nécessité de nature.

 

[5066] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nec etiam creatio animarum vel justificatio impiorum proprie miracula debent dici: quia quamvis sint praeter rationes seminales agentes ad perfectionem effectus, non tamen sunt praeter eas disponentes: dispositio enim corporis ad receptionem animae, et praeparatio voluntatis ad susceptionem gratiae, est per virtutem creaturae collatam. Si tamen sine tali praecedente praeparatione vel anima infunderetur vel gratia conferretur, utrumque miraculum dici posset; ut patet in formatione primi hominis, et in conversione Pauli. Nec tamen sequitur ex vi rationis inductae: quia insolitum, quod in definitione miraculi ponitur, non dicit raritatem facti, sed excludit solitum cursum naturae; unde si quotidie caeci illuminarentur, nihilominus miraculum esset; quia praeter cursum naturalem, qui nobis est consuetus, contingeret.

2. La création des âmes ou la justification des impies ne peuvent pas non plus être appelées miraculeuses, car, tout en étant par-delà les raisons séminales agissant en vue de l’achèvement d’un effet, elles ne vont cependant pas à l’encontre d’une disposition par celles-ci. En effet, la disposition du corps à la réception de l’âme et la préparation de la volonté à la réception de la grâce se réalisent par une puissance donnée à la créature. Toutefois, si l’âme était infusée ou la grâce donnée sans une telle préparation qui les précéderait, les deux choses pourraient être appelées des miracles, comme cela ressort dans la formation du premier homme et dans la conversion de Paul. Cela ne découle cependant pas de la raison invoquée, car l’insolite, qui fait partie de la définition du miracle, ne signifie pas la rareté d’un fait, mais il exclut le cours habituel de la nature. De sorte que si des aveugles voyaient quotidiennement la lumière, ce serait néanmoins un miracle, car cela se produirait par-delà le cours de la nature, auquel nous sommes habitués.

 

[5067] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod resurrectio miraculosa erit: quamvis enim sit secundum spem gratiae, est tamen supra spem naturae: et haec duplex spes distinguitur in Glossa, Rom. 4, super illud: qui contra spem in spem credidit et cetera.

3. La résurrection sera miraculeuse. En effet, bien qu’elle soit conforme à l’espérance de la grâce, elle dépasse cependant l’espérance de la nature. Cette double espérance est distinguée dans la Glose sur Rm 4 : Celui qui a cru en l’espérance contre l’espérance, etc.

 

[5068] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis conversio aquae in vinum non fuerit supra facultatem naturae quantum ad substantiam facti, tamen fuit supra ejus facultatem quantum ad modum faciendi: non enim potest natura aquam in vase existentem subito in vinum convertere, sed per digestionem et maturationem uvae.

4. Bien que le changement de l’eau en vin n’ait pas dépassé la capacité de la nature quant à la substance du fait, il dépassait cependant sa capacité quant au mode d’accomplissement : en effet, la nature ne peut pas subitement changer en vin l’eau qui se trouve dans un vase, mais par la digestion et la maturation du raisin.

 

[5069] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod miracula non faciunt homines et Angeli quasi eorum virtute effectus ille agatur; sed homines impetrando precibus, et Angeli per ministerium.

5. Les hommes et les anges n’accomplissent pas de miracles comme si un tel effet venait de leur puissance, mais les hommes en l’obtenant par leurs prières, et les anges par leur ministère.

 

[5070] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis monstra contingant in natura praeter intentionem virtutis formativae quae agit in semine, tamen reducuntur in aliquas causas naturales; contingunt enim ex aliqua indispositione materiae sicut ex principio proximo, vel ex impressione alicujus signi caelestis sicut ex principio remoto.

6. Bien que des monstres surviennent dans la nature par-delà l’intention de la puissance formatrice qui agit dans la semence, ils se ramènent cependant à certaines causes naturelles. En effet, ils surviennent en raison d’une indisposition de la matière comme de leur principe prochain, ou de l’action de quelque signe céleste comme de leur principe éloigné.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La formation de la femme du point de vue de son àme]

 

Prooemium

Prologue

 

[5071] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 pr. Deinde quaeritur de formatione mulieris ex parte animae; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum anima rationalis sit ex traduce, vel per creationem. Si non ex traduce, quaeritur 2 utrum creetur a Deo immediate, vel mediantibus Angelis; et 3 quaeritur, utrum anima sensibilis et vegetabilis sit ex traduce.

On s’interroge ensuite sur la formation de la femme du point de vue de son âme. À ce propos, trois questions sont posées : 1. L’âme raisonnable vient-elle par transmission ou par création ? Si elle ne vient pas par transmission, une deuxième question se pose : 2. Est-elle créée par Dieu de manière immédiate ou par l’intermédiaire des anges ? 3. L’âme sensible et végétative viennent-elles par transmission ?

 

 

 

 

Articulus 1 [5072] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 tit. Utrum anima humana traducatur a parentibus

Article 1 – L’âme humaine est-elle transmise par les parents ?

 

[5073] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod anima humana etiam a parentibus traducatur. Dicitur enim Genes. 46, 26: omnes animae quae egressae sunt de femore Jacob (...) sexaginta sex. Sed non egreditur aliquid filii ex femore patris nisi per traductionem seminis. Ergo videtur quod hoc modo anima filii ex parentibus veniat.

1. Il semble que l’âme humaine soit aussi transmise par les parents. En effet, il est dit en Gn 46, 26 : Toutes les âmes qui sont issues de la cuisse de Jacob…soixante-six. Or, rien du fils n’est issu de la cuisse de son père que par transmission de la semence. Ils semble donc que l’âme du fils vienne de ses parents de cette manière.

 

[5074] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne id quod dat complementum operationi, cooperatur operanti. Si ergo Deus per hoc quod infundit animam adulterorum operationem perficeret, videtur quod adulteris cooperaretur; et hoc videtur inconveniens, quia qui cooperatur iniquo, non est ab iniquitate immunis. Ergo videtur quod anima rationalis non infundatur a Deo, sed traducatur a patre.

2. Tout ce qui apporte un achèvement à une opération coopère avec celui qui agit. Si donc Dieu donnait son achèvement à l’acte d’adultères en infusant l’âme, il semble qu’il coopérerait avec des adultères, et cela semble inapproprié, car celui qui coopère avec un impie n’est pas exempt d’iniquité. Il semble donc que l’âme raisonnable ne soit pas infusée par Dieu, mais transmise par le père.

 

[5075] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, filii a parentibus originale peccatum contrahunt, ut apostolus docet Rom. 5. Sed accidens non potest traduci nisi traducatur subjectum ejus. Ergo videtur quod anima rationalis, quae est subjectum culpae originalis, a parentibus traducatur.

3. Les enfants contractent de leurs parents le péché originel, comme l’Apôtre l’enseigne, Rm 5. Or, un accident ne peut être transmis à moins que son sujet soit transmis. Il semble donc que l’âme raisonnable, qui est le sujet de la faute originelle, soit transmise par les parents.

 

[5076] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, in omni generatione univoca generans dat speciem suam generato: quia agens et finis generationis incidunt in idem specie, ut in 2 Physic. dicitur. Sed cum homo ex homine procedit, est generatio univoca. Cum ergo homo speciem habeat ex anima rationali, videtur quod animam rationalem ex parentibus recipiat.

4. En toute génération univoque, celui qui engendre donne son espèce à ce qui est engendré, car l’agent et la fin de la génération se rejoignent dans ce qui est identique selon l’espèce, comme on le dit en Physique, II. Or, puisque l’homme vient de l’homme, il s’agit d’une génération univoque. Puisque l’homme tient son espèce de son âme raisonnable, il semble donc qu’il reçoive de ses parents son âme raisonnable.

 

[5077] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, sicut dicit Commentator in 2 Metaph., impossibile est ut sint diversi agentes quorum unius actio terminetur ad subjectum formae, et alterius ad formam: quia ad subjectum formae actio agentis non terminatur nisi secundum quod recipit formam: sequeretur enim, ut ipse dicit, quod subjectum et forma essent duo distincta, ex quibus non fieret unum, si essent termini diversarum actionum. Sed corpus organicum est subjectum hujus formae quae est anima rationalis. Cum ergo per actionem virtutis formativae corpus organizetur, videtur quod ejus actio se extendat ad ipsam rationalem animam; et sic anima rationalis traducitur.

5. De plus, comme le dit le Commentateur à propos de Métaphysique, II, il est impossible qu’il y ait des agents différents, dont l’action de l’un ait comme terme le sujet de la forme, et celle d’un autre, la forme, car l’action d’un agent n’a comme terme le sujet de la forme que selon que celui-ci reçoit la forme. En effet, comme il le dit lui-même, il en découlerait que le sujet et la forme seraient deux choses distinctes dont une seule serait constituée, s’ils étaient les termes d’actions différentes. Or, le corps organique est le sujet de cette forme qu’est l’âme raisonnable. Puisque le corps est organisé par l’action de la puissance formatrice, il semble donc que son action s’étende à l’âme raisonnable elle-même, et ainsi l’âme raisonnable est transmise.

 

[5078] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, ut in 4 Meteor. dicitur, perfectum unumquodque est quando sibi simile potest producere. Cum ergo anima rationalis sit perfectior omnibus formis naturalibus, videtur quod cum virtute aliarum formarum educantur similes formae in actum, multo fortius anima rationalis hoc possit facere.

6. En Météores, IV, on dit qu’est parfait ce qui peut produire son semblable. Puisque l’âme raisonnable est plus parfaite que toutes les formes naturelles, il semble donc que, des formes semblables en acte étant amenées par la puissance des autres formes, à bien plus forte raison l’âme raisonnable puisse faire cela.

 

[5079] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 arg. 7 Praeterea, Deus die septima a condendis novis creaturis cessavit. Sed novum est quod nullo modo in praeexistentibus praeexistit. Ergo oportet animas singulorum hominum qui modo generantur, in operibus sex dierum praeextitisse. Cum igitur in prima natura non praeextiterint, ut haeretici dicunt, videtur omnes animas in anima primi hominis extitisse. Ergo videtur quod ex ejus anima omnes animae traducantur sicut ex ejus carne omnis caro humana traducitur.

7. Dieu a cessé de produire de nouvelles créatures le septième jour. Or, est nouveau ce qui ne préexistait d’aucune manière dans ce qui existait antérieurement. Il est donc nécessaire que les âmes de tous les hommes qui sont maintenant engendrés aient préexisté dans les œuvres des six jours. Puisqu’elles ne préexistaient pas dans la nature première, comme le disent les hérétiques, il semble donc que toutes les âmes se soient trouvées dans l’âme du premier homme. Il semble donc que toutes les âmes soient transmises à partir de son âme, comme toute chair humaine est transmise à partir de sa chair.

 

[5080] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit philosophus in 16 de animalibus, quod intellectus ab extrinseco est: et in Lib. de proprietatibus elementorum dicit, quod in nato fit spiritus vitae jussu Dei: et ita videtur quod non traducatur a patre. Hoc etiam auctoritate sacrae Scripturae ostenditur, quia Genes. 2, 23, dicitur: hoc nunc os de ossibus meis, et caro de carne mea: multoque carius amantiusque diceretur, anima de anima mea si sic esset anima de anima ut caro de carne, et os de osse.

Cependant, [1] le Philosophe dit, dans Sur les animaux, XVI, que l’intellect vient de l’extérieur ; et dans le livre sur Les proprités des éléments, il dit que le souffle de vie en celui qui survient sur l’ordre de Dieu ; et ainsi, il semble qu’il ne soit pas transmis par le père. Cela est aussi montré par l’autorité de la Sainte Écriture, car il est dit, en Gn 2, 23 : Ceci est l’os de mes os et la chair de ma chair. Et il dirait avec beaucoup plus de tendresse et d’amour : « Ceci est l’âme de mon âme », si l’âme venait ainsi de son âme, comme la chair de sa chair et l’os de ses os.

 

[5081] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Isai. 7, 16, dicitur ex persona domini: omnem flatum ego feci, idest animam: et sic videtur anima, non ex traduce, sed ex creatione esse.

[2] Il est dit de la personne du Seigneur, en Is 7, 16 : J’ai créé tout souffle, c’est-à-dire, toute âme. Il semble ainsi que l’âme n’existe pas par transmission, mais par création.

 

[5082] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Eccle. ult., 7, dicitur: donec spiritus revertatur ad Deum qui fecit illum: et sic videtur humana anima a Deo creata esse: et hoc Augustinus disputando inducit 10 super Genes. ad Litter.

[3] Il est dit en Si 51, 7 : Jusqu’à ce que l’esprit retourne à Dieu qui l’a créé. Il semble ainsi que l’âme humaine ait été créée par Dieu, et Augustin invoque cela en argumentant dans le Commentaire littéral de la Genèse, X.

 

[5083] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod traductio duo importat; scilicet originem et decisionem: non enim ignis generatus ab igne generante traduci proprie dicitur; similiter nec lignum divisum in partes dicitur quod ejus una pars ab alia traducatur; unde traductio proprie dicitur in generatione animatorum, quae est per decisionem seminis; et ideo non potest dici traduci ab aliquo illud quod ab eo originem non habet nec divisionem recipit. Dividitur autem aliquid dupliciter; scilicet per se, ut corpus; et per accidens, ut forma corporalis materiae impressa. Anima vero rationalis nec corpus est, nec virtus corporalis; quod ipsa sua operatio ostendit, quae sine corpore est; et ideo traduci non potest per modum divisionis: et in hoc consistit ratio Aristotelis 16 de animalibus. Vult enim quod quorum principiorum operationes sunt sine corpore, illa principia non traducantur per semen. Similiter etiam patet quod nullo alio modo originem potest habere anima filii ex anima patris: aut enim hoc esset quia intellectus filii ab intellectu patris oriretur mediante virtute generativa et formativa, aut immediate. Primum autem est impossibile: quia effectus non potest esse immaterialior sua causa; unde cum virtus generativa sit potentia materialis, non potest ejus actio ad formam immaterialem terminari. Secundum etiam esse non potest: quia cum sit duplex agens, secundum Avicennam, unum quod habet causalitatem respectu totius speciei, sicut sol qui est causa generabilium et corruptibilium; aliud autem est causa respectu unius individui tantum, sicut quod hic ignis est causa hujus: neutro modo anima unius potest esse causa animae alterius. In causis enim quae essentialiter habent ordinem ad totam speciem, oportet quod causa et causatum non sint ejusdem ordinis nec ejusdem speciei: quia habent directe causalitatem suam supra essentiam speciei inquantum hujusmodi; unde secundum hoc non omnes animae rationales essent ejusdem speciei. Similiter etiam non potest esse per alium modum quo aliquid in una specie est causa alterius in eadem specie: quia hoc non contingit nisi secundum hoc quod agens movet materiam ad talem formam: anima autem rationalis non est quid ex materia (ad minus praeexistente) et forma compositum: nec est forma materialis, quae possit educi de potentia materiae, sicut aliae formae materiales, ut dictum est. Unde relinquitur quod principium originis ipsius animae rationalis sit aliquod principium separatum: et hoc quidem communiter conceditur et a theologis et a philosophis.

Réponse. La transmission comporte deux choses : l’origine et la séparation. En effet, on ne dit pas au sens propre que le feu engendré à partir du feu est transmis ; de même, on ne dit pas qu’une partie du bois divisé en parties est transmis à partir d’une autre partie. Ainsi, on parle de transmission pour la génération des vivants qui se réalise par séparation de la semence. On ne peut donc dire qu’est transmis par quelqu’un ce qui ne tient pas de lui son origine et n’en est pas divisé. Or, une chose est divisée de deux manières : par soi, comme le corps ; par accident, comme la forme corporelle empreinte dans la matière. Mais l’âme raisonnable n’est ni le corps, ni une puissance corporelle, ce que montre son opération, qui existe sans le corps. Elle ne peut donc pas être transmise par séparation : c’est en cela que consiste le raisonnement d’Aristote, dans Sur les animaux, XVI. En effet, il veut dire que les principes de ce dont les principes des opérations existent sans le corps ne sont pas transmis par la semence. De la même manière, il est clair aussi que l’âme du fils ne peut d’aucune autre manière tirer son origine de l’âme du père. En effet, ou bien ce serait parce que l’intellect du fils viendrait de l’intellect du père par l’intermédiaire de la puissance génératricce et formatrice, ou bien de manière immédiate. Or, la première manière est impossible, car l’effet ne peut pas être plus immatériel que sa cause. Puisque la puissance génératrice est une puissance matérielle, son action ne peut donc avoir comme terme une forme immatérielle. La seconde manière est aussi impossible, car, l’agent est double, selon Avicenne : l’un, qui exerce une causalité par rapport à toute l’espèce, comme le soleil est la cause de ce qui ce qui est susceptible d’être engendré et corrompu ; l’autre, qui est cause par rapport à un individu seulement, comme ce feu est cause de tel [feu] ; mais l’âme de l’un ne peut être cause de l’âme d’un autre d’aucune des deux manières. En effet, pour les causes qui ont par essence un rapport avec toute l’espèce, il est nécessaire que la cause et ce qui est causé ne soient pas du même ordre ni de la même espèce, car [ces causes] exercent directement leur causalité sur l’essence de l’espèce comme telle. De cette manière, toutes les âmes raisonnables ne seraient donc pas de la même espèce. De même, ce ne peut être de l’autre manière, selon laquelle une chose d’une espèce est cause de quelque chose d’autre dans la même espèce, car cela ne se produit qu’en raison d’un agent qui meut la matière vers cette forme. Or, l’âme raisonnable n’est pas une chose composée de matière (du moins, préexistante) et de forme ; elle n’est pas non plus une forme matérielle, qui pourrait être tirée de la puissance de la matière, comme les autres formes matérielles, ainsi qu’on l’a dit. Il reste donc que le principe de l’origine de l’âme raisonnable elle-même est un principe séparé. Et cela est généralement concédé par les théologiens et par les philosophes.

 

[5084] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod locutio illa est synecdochica; ponitur enim pars principalis, scilicet anima, pro toto homine; et hic modus loquendi consuetus est in sacra Scriptura, et apud philosophos; unde philosophus dicit 9 Ethic., quod totus homo dicitur intellectus, per modum quo etiam tota civitas dicitur rector civitatis.

1. Cette expression est synecdotique. En effet, la partie principale, l’âme, est utilisée pour la totalité de l’homme. Cette manière de parler est coutumière dans l’Écriture Sainte et chez les philosophes. Aussi le Philosophe dit-il, Éthique, IX, que « l’homme tout entier est appelé intellect à la manière dont le dirigeant d’une ville est appelé la ville tout entière ».

 

[5085] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod operatio adulteri potest dupliciter considerari. Aut secundum esse morale; et sic, prout est deformis, non cooperatur ad ipsam Deus, sed prohibet: aut secundum quod est in specie naturali; et sic est bonum quoddam; unde non est inconveniens ut tali operationi, inquantum bona est, Deus qui in omnibus operatur, complementum apponat.

2. L’opération de l’adultère peut être considérée de deux manières. Soit selon son être moral : ainsi, pour autant qu’il est difforme, Dieu n’y coopère pas, mais l’interdit. Soit selon qu’il fait partie d’une espèce naturelle, et il est ainsi un certain bien. Il n’est donc pas inapproprié que Dieu, qui agit en toutes choses, apporte un complément à une telle opération, dans la mesure où elle est bonne.

 

[5086] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis peccatum originale sit in anima sicut in subjecto, tamen causatur in anima ex infectione seminis, et est in eo, scilicet in semine, quamvis non sicut in subjecto, tamen sicut in causa; et ideo per traductionem seminis, et non animae, peccatum originale traducitur.

3. Bien que le péché originel se trouve dans l’âme comme dans son sujet, il est cependant causé dans l’âme par l’infection de la semence, et il se trouve en elle, la semence, bien qu’il ne s’y trouve pas comme dans son sujet, mais comme dans une cause. C’est pourquoi le péché originel est transmis par la transmission de la semence, et non pas de l’âme.

 

[5087] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc quod agens agat sibi simile, contingit dupliciter: aut quia forma secundum quam similitudo attenditur per actionem de potentia in actum educitur; aut quia per actionem disponitur materia, ut sit necessitas ad receptionem formae; et primus modus est quo ad omnes in formis accidentalibus; secundus autem est etiam, secundum Avicennam, in omnibus formis substantialibus, quia ipse vult omnes formas substantiales esse a principio separato; sed secundum Aristotelem et Commentatorem, formae substantiales materiales pertinent ad primum modum, et anima rationalis ad secundum; et hic modus sufficit ad hoc quod agens agat sibi simile; quia non proprie forma generatur, sed compositum.

4. Qu’un agent fasse quelque chose de semblable à lui-même se produit de deux manières : soit parce que la forme selon laquelle on relève une ressemblance est amenée de la puissance à l’acte par l’action [de l’agent] ; soit parce que la matière est disposée par l’action, afin qu’il devienne nécessaire qu’elle reçoive la forme. Le premier mode relève de toutes les formes accidentelles, mais le second existe aussi, selon Avicenne, pour toutes les formes substantielles, car il entend que toutes les formes substantielles viennent d’un principe séparé. Mais, selon Aristote et le Commentateur, les formes substantielles matérielles relèvent du premier mode, et l’âme raisonnable, du second. Et ce mode suffit pour qu’un agent fasse quelque chose de semblable à lui-même, car la forme n’est pas engendrée au sens propre, mais le composé.

 

[5088] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratio illa procedit de diversis agentibus non ordinatis, scilicet quorum unum non operatur in altero; sed in ipsa operatione naturae operatur Deus; unde non est inconveniens quod actio ejus pertingat ad aliquem terminum in quem non se extendit actio formativae virtutis; sic enim ipse Deus in natura operans, etiam organizationem corporis facit; unde est quasi actio continua, reducta in unum agens, et quae terminatur ad ultimam dispositionem subjecti, et quae terminatur ad formam; quamvis quantum ad primum cooperetur sibi natura, et non quantum ad secundum.

5. Ce raisonnement prend comme point de départ des agents non ordonnés, dont l’un n’agit pas sur l’autre ; mais Dieu agit à l’intérieur même de l’opération de la nature. Il n’est donc pas inapproprié que son action atteigne un terme auquel ne s’étend pas l’action de la puissance formatrice. En effet, Dieu lui-même, agissant à l’intérieur de la nature, réalise l’organisation du corps. Aussi s’agit-il d’une action pour ainsi dire unique, qui se ramène à un seul agent, qui se termine par la disposition ultime du sujet et qui a comme terme la forme, bien que, sur le premier point, la nature coopère avec lui, mais non sur le second.

 

[5089] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod anima rationalis nec ex materia composita est, nec est forma materialis, quasi in materia impressa; et ideo non potest produci ab aliquo agente quod accidentalem causalitatem habeat ad ipsam ex parte materiae quae inducitur ad formam, sicut est in aliis formis materialibus; sed oportet quod producatur a principio quod habet causalitatem essentialem respectu essentiae ejus; et hoc non potest esse unius speciei.

6. L’âme raisonnable n’est pas composée de matière ; elle n’est pas non plus une forme matérielle, pour ainsi dire empreinte dans la matière. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elle soit produite par un agent qui exerce une causalité accidentelle sur elle du point de vue de la matière qui est amenée à la forme, comme pour les autres formes matérielles. Mais il est nécessaire qu’elle soit produite par un principe qui exerce une causalité essentielle par rapport à son essence, et celui-ci ne peut être le fait d’une seule espèce.

 

[5090] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod animae quae nunc creantur, sunt ejusdem speciei cum anima Adae, quae in operibus sex dierum creata fuit; et ideo, ut Augustinus dicit, jam tunc animam fecerat, quales et nunc facit; et ideo non aliquod novum creaturae genus nunc facit quod tunc in suis consummatis operibus non creaverit, scilicet quod quantum ad similitudinem speciei non praeextiterit etiam quodammodo in illis primis operibus secundum causales rationes; quia, sicut ibidem subdit Augustinus, corporibus humanis, quorum ex istis operibus propagatio continuata successione protenditur, tales congruit animas inseri, quales nunc facit, atque conserit.

7. Les âmes qui sont créées maintenant sont de la même espèce que l’âme d’Adam, qui a été créée parmi les œuvres des six jours. C’est pourquoi, comme le dit Augustin, [Dieu] avait déjà créé l’âme telle qu’il les créé maintenant. Aussi ne réalise-t-il pas maintenant un nouveau genre de créature, qu’il n’aurait pas créée au cours des six jours achevés, c’est-à-dire qui n’aurait pas aussi, d’une certaine manière, préexisté dans ces premières œuvres, selon des raisons causales, pour ce qui est de la ressemblance de l’espèce. En effet, comme l’ajoute Augustin au même endroit, il convenait que soient introduites dans les corps humains, dont la propagation se prolonge à partir de ces œuvres selon une succession continue, les mêmes âmes qu’il crée et joint maintenant [aux corps humains].

 

 

 

 

Articulus 2 [5091] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 tit. Utrum anima rationalis sit a Deo mediantibus Angelis

Article 2 – L’âme raisonnable vient-elle de Dieu par l’intermédiaire des anges ?

 

[5092] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod anima rationalis procedat a Deo mediantibus Angelis. Primo per hoc quod habetur in Lib. de causis, quia intelligentiae primae influunt formas fixas stantes, sicut est anima. Sed intelligentias Angelos dicimus. Ergo videtur quod a Deo mediantibus Angelis producatur.

1. Il semble que l’âme raisonnable vienne de Dieu par l’intermédiaire des anges. D’abord, en raison de ce qu’on lit dans le Livre sur les causes, car les premières intelligences agissent sur les formes qui demeurent stables, comme c’est le cas de l’âme. Or, nous appelons anges ces intelligences. Ils semble donc que [l’âme raisonnable] soit produite par Dieu par l’intermédiaire des anges.

 

[5093] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, a causa infinita non potest immediate procedere effectus finitus, ut potest probari per demonstrationes philosophi in 1 Cael. et Mund., ubi probat quod corpus infinitum non potest agere. Sed Deus est causa infinitae virtutis. Ergo cum anima sit quid finitum, non potest immediate a Deo produci.

2. Un effet fini ne peut venir de manière immédiate d’une cause infinie, comme on peut le prouver par les démonstrations du Philosophe, Sur le ciel et le monde, I, où il prouve qu’un corps infini ne peut agir. Or, Dieu est une cause d’une infinie puissance. Puisque l’âme est quelque chose de fini, elle ne peut donc être produite par Dieu de manière immédiate.

 

[5094] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, non minor est ordo in spiritualibus quam in corporalibus, sed videmus in corporalibus superiora inferiorum causas esse. Ergo multo fortius hic in substantiis spiritualibus esse debet. Ergo cum Angeli sint altioris naturae quam animae, videtur quod ab Angelis animae producantur.

3. L’ordre entre les réalités spirituelles n’est pas moindre qu’entre les réalités corporelles. Or, dans les réalités corporelles, nous voyons que celles qui sont supérieures sont causes de celles qui sont inférieures. À bien plus forte raison, donc, cela doit-il exister pour les substances spirituelles. Puisque les anges possèdent une nature plus élevée que celle de l’âme, il semble donc que les âmes soient produites par les anges.

 

[5095] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, per eadem est reditus in finem ultimum et exitus a primo principio. Sed anima rationalis in Deum reducitur per Angelos, ut Dionysius dicit. Ergo videtur quod etiam mediantibus Angelis a Deo procedat.

4. Le retour (reditus) à la fin ultime se réalise par les mêmes choses que la sortie (exitus) du principe premier. Or, « l’âme raisonnable est ramenée à Dieu par les anges », comme le dit Denys. Il semble donc qu’elle vienne aussi de Dieu par l’intermédiaire des anges.

 

[5096] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, cum omnis operatio sequatur naturam rei, ab illo res habet esse, cujus virtute propriam operationem participat. Sed propria operatio animae rationalis est operatio intellectualis. Cum ergo haec operatio conveniat sibi ex virtute intelligentiae, ut in libro de causis, dicitur, videtur quod ipsa secundum suum esse mediantibus Angelis producatur.

5. Puisque toute opération découle de la nature d’une chose, la chose tient son être de la puissance à laquelle participe son opération propre. Or, l’opération propre de l’âme raisonnable est l’opération intellectuelle. Puisque cette opération lui convient en vertu de l’intelligence, comme on le dit dans le Livre sur les causes, il semble donc qu’elle soit produite selon son être par l’intermédiaire des anges.

 

[5097] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Genes. 2, 7, dicitur, quod inspiravit Deus in faciem ejus spiraculum vitae. Haec autem est anima rationalis, qua homo vivit. Ergo videtur quod immediate a Deo sit.

Cependant, [1] il est dit en Gn 2, 7, que Dieu insuffla sur son visage un souffle de vie. Or, telle est l’âme raisonnable par laquelle l’homme vit. Il semble donc qu’elle vienne de Dieu sans intermédiaire.

 

[5098] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Damascenus dicit omnes illos cum patre suo Diabolo maledictos qui Angelos aliquid creasse dicunt. Sed anima non potest educi in esse nisi per creationem, cum de potentia materiae non educatur, ut dictum est, nec ex materia composita, ut sic possit generabilis esse vel per se vel per accidens. Ergo videtur quod mediantibus Angelis producta non sit.

[2] [Jean] Damascène dit que sont maudits tous ceux qui, avec leur père, le Diable, disent que les anges ont créé quelque chose. Or, l’âme ne peut être amenée à l’être que par création, puisqu’elle n’est ni tirée de la puissance de la matière, ainsi qu’on l’a dit, ni composée de matière, de telle sorte qu’elle puisse être engendrée par soi ou par accident. Il semble donc qu’elle n’ait pas été produite par l’intermédiaire des anges.

 

[5099] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, res sub quodam ordine a primo principio prodiisse quidam philosophi opinati sunt: posuerunt enim a primo principio, quod Deus est, eo quod est unum et simplex, non potuisse immediate plura prodire, eo quod idem natum est facere idem; et ideo a primo immediate procedit intelligentia prima, in quam incidit, ex eo quod ab alio esse habet, quaedam pluralitas potentiae et actus; et ita ab hac intelligentia, secundum hoc quod intelligit primum principium, dicunt effluere secundam intelligentiam, quae est minoris actualitatis quam prima causa, cum causatum sit deficiens a sua causa essentiali; secundum autem quod intelligit se, prout est in actu, fluit ab ea anima orbis, quam movet; et secundum quod considerat se quantum ad id quod est in ipsa potentia, fluit ab ea ipsa substantia orbis; et sic deinceps usque ad ultimam intelligentiam, quae movet ultimum orbem, quam dicunt intelligentiam agentem: et ab hac dicit Avicenna, effluere animas humanas et omnes alias formas substantiales in istis inferioribus; et materiam generabilium et corruptibilium reducunt sicut in causam in substantiam orbis; et diversas variationes quae circa materiam accidunt, reducunt sicut in causam in motus caelestes; et omnes has causas medias, sicut et primam, ponunt agentia essentialia, quae causant essentiam rei sine motu; non autem sunt causa fiendi tantum per motum, sicut causae agentes naturales; et ideo omnibus intelligentiis attribuunt quemdam modum creationis, secundum quod eorum actio nihil praesupponit ex parte rei quae producitur, sed tantum ex parte agentis, cujus actio firmatur super actionem causae superioris: ut sic sola actio primi principii possit vere dici creatio, quae non firmatur in alterius actione, sed in ipsa firmantur ceterae actiones. Haec autem positio debile habet fundamentum, sicut etiam Commentator ostendit in 11 Metaph.; quia cum dicitur actio de Deo et de rebus naturalibus, est quasi aequivoce dicta; quia in naturalibus agentibus actio sequitur ex necessitate formae; unde secundum unitatem formae oportet esse unitatem in effectu; sed in divinis actio sequitur intellectum; et ideo secundum quod diversa ab uno possunt intelligi, ita diversi effectus ab uno immediate procedere possunt; et secundum hoc multitudo a Deo processit, prout se intellexit ut ideam plurium, idest ut participabilem diversimoda imitatione. Ipsa etiam positio veritati fidei non consonat, quae solum Deum creatorem enuntiat; in quo omnis idolatria tollitur, cui proculdubio maximum fomentum dicta opinio subministrat; unde secundum fidem non potest poni aliquid esse causa alterius post Deum, nisi per viam motus et generationis; et ideo omnium eorum quae per generationem non inceperunt, oportet Deum immediatam causam ponere, ut sunt Angeli, animae, substantiae caelorum, et materia elementorum, et primae hypostases in omnibus speciebus. Dicta etiam positio tollit honorem animarum sanctarum, quibus promittitur Angelorum aequalitas, Matth. 11, in consecutione ultimi finis, quod non posset esse si causa essentialis animae Angelus esset; cum esse causati semper dependeat a sua causa essentiali; sicut et Anselmus probat quod reparatio humani generis per Angelum fieri non debuit ne dignitati animarum derogaretur. Sequeretur etiam aliud inconveniens, quod ultima beatitudo animarum non esset in divina fruitione, sed potius in fruitione Angelorum: quia ultima perfectio ad quam res potest pervenire, est haec ut conjungatur suo principio: et ideo a philosophis ponitur ultimam felicitatem hominis esse in continuatione intellectus possibilis ad intelligentiam agentem, sive talis continuatio sit in hac vita secundum quosdam, sive post hanc vitam secundum alios.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, certains philosophes ont affirmé que les choses sont issues du premier principe selon un certain ordre. En effet, ils ont affirmé que plusieurs choses ne pouvaient provenir de manière immédiate du premier principe, qui est Dieu, du fait qu’il est unique et simple, étant donné qu’une chose ne peut faire que qu’une chose identique à elle-même. C’est pourquoi procède immédiatement du premier [principe] une intelligence première, dans laquelle survient une certaine pluralité de puissance et d’acte, du fait qu’elle tient son être d’un autre. Et ainsi, ils disent que, du fait que cette intelligence intellige le premier principe, découle d’elle une intelligence seconde, qui possède une actualité moindre que la cause première, puisque ce qui est causé est moins efficace que sa cause essentielle ; selon qu’elle s’intellige elle-même comme étant en acte, découle d’elle l’âme de l’univers, qu’elle meut ; et selon qu’elle considère sa propre puissance, découle d’elle la substance même de l’univers. Et ainsi de suite, jusqu’à l’intelligence ultime, qui meut la dernière sphère, qu’ils appellent l’intellect agent. Et Avicenne dit que découlent d’elle les âmes humaines et toutes les autres formes substantielles chez les êtres inférieurs ; ils ramènent aussi la matière de ce qui peut être engendré et corrompu à la substance de l’univers comme à leur cause. Ils ramènent encore aux mouvements célestes comme à leur cause les divers changements qui peuvent survenir dans la matière. Ils affirment aussi que toutes ces causes intermédiaires, de même que la [cause] première, sont des agents essentiels, qui causent l’essence d’une chose sans mouvement ; mais elles ne sont pas les causes du devenir par le seul mouvement, comme les causes efficientes naturelles. C’est pourquoi ils attribuent à toutes les intelligences un certain mode de création, selon que leur action ne présuppose rien du côté de la chose qui est produite, mais seulement du côté de l’agent, dont l’action s’appuie sur l’action d’une cause supérieure. Ainsi, seule l’action du premier principe peut-elle être vraiment appelée une création, car elle ne s’appuie pas sur l’action d’un autre, mais elle est celle sur laquelle toutes les autres actions s’appuient. Toutefois, cette position a un fondement faible, comme le montre aussi le Commentateur, Métaphysique, XI. En effet, lorsqu’on parle d’action pour Dieu et pour les réalités naturelles, on en parle pour ainsi dire de manière équivoque, car, chez les agents naturels, l’action découle nécessairement de leur forme. Aussi l’unité d’effet dépend-elle de l’unité de la forme. Mais, lorsqu’il s’agit de Dieu, l’action découle de son intellect. C’est pourquoi divers effets peuvent venir d’un seul de manière immédiate. C’est ainsi qu’une multitude [de choses] est issue de Dieu, pour autant qu’il s’est intelligé comme idée de plusieurs choses, c’est-à-dire comme susceptible d’être participé selon une imitation diversifiée. La position [dont il a été question] n’est pas non plus en accord avec la vérité de la foi, qui affirme que seul Dieu est créateur. Par là, toute idolâtrie est écartée, que cette opinion sert sans aucun doute à attiser au plus haut point. Aussi, selon la foi, rien ne peut être présenté comme cause d’une autre chose après Dieu, sinon par mode de mouvement et de génération. C’est pourquoi il est nécessaire d’affirmer que Dieu est la cause immédiate de tout ce qui n’a pas commencé par génération, tels les anges, les âmes, les substances du ciel et la matière des éléments, et les premières hypostases pour toutes les espèces. La position mentionnée enlève aussi l’honneur des âmes saintes, auxquelles est promise l’égalité avec les anges, Mt 11, dans l’obtention de la fin ultime, ce qui ne pourrait être le cas si la cause essentielle de l’âme était l’ange, puisque l’être de ce qui est causé dépend toujours de sa cause essentielle. Ainsi, Anselme démontre que la restauration du genre humain ne devait pas être réalisée par un ange de crainte qu’elle ne déroge à la dignité des âmes. Il en découlerait aussi un autre inconvénient : la béatitude ultime des âmes ne consisterait pas dans la jouissance de Dieu, mais plutôt dans la jouissance des anges, car la perfection ultime qu’une chose peut atteindre consiste à ce qu’elle soit unie à son principe. C’est pourquoi les philosophes affirment que la félicité ultime consiste dans la continuité entre l’intellect possible et l’intellect agent, que cette continuité se réalise en cette vie, selon certains, ou après cette vie, selon d’autres.

 

[5100] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hac materia auctoritates libri de causis recipiendae non sunt: quia ille qui librum illum composuit, hujus erroris auctor fuisse invenitur: nisi quis velit exponere, quod est praeter nostrum propositum.

1. En cette matière, les autorités du Livre sur les causes ne doivent pas être acceptées, car il se trouve que celui qui a écrit ce livre a été l’auteur de cette erreur, à moins qu’on veuille l’exposer, ce qui est hors de notre propos.

 

[5101] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa ratio, si vim habeat, concludit quod nihil a Deo immediate causetur: quia omne quod est praeter ipsum, finitum est: nisi forte secundum aliquem modum substantias separatas infinitas esse ponamus, non simpliciter, sed secundum quid, scilicet versus inferius, ut in Lib. de causis dicitur: hoc est secundum quod earum virtus non limitatur ad determinatos effectus in his quae suae operationi subduntur: quo etiam modo infinitatem habet anima rationalis tam ex parte intellectus agentis, quo est omnia facere, quam ex parte intellectus possibilis quo est omnia fieri, et cujus est formam universalem recipere in qua sunt potentia infinita singularia: quod est etiam evidens argumentum immaterialitatis ipsius animae et quod ex traduce non sit: quia omnis forma materialis finita est, ut in 8 Physic. probatur. Et ideo ad rationem illam dicendum est quod etiamsi Deus sit infinitus simpliciter, effectus tamen ejus dupliciter limitatur. Primo et principaliter ex ordine sapientiae ejus, quae cuilibet rei certos terminos praefigit. Secundo ex parte recipientis, quia influentiam agentis recipit patiens per modum virtutis suae, et non per modum virtutis ipsius agentis.

2. Ce raisonnement, s’il est convaincant, conclut que rien n’est causé par Dieu de manière immédiate, car tout ce qui est autre que lui est fini, sauf peut-être si nous affirmons que les substances séparées sont d’une certaine manière infinies, non pas simplement, mais de manière relative, à savoir, par rapport à ce qui est inférieur, comme on le dit dans le Livre sur les causes. Cela vient de ce que leur puissance n’est pas limitée à des effets déterminés pour ce qui est soumis à leur opération. De cette manière aussi, l’âme raisonnable possède une infinité tant du point de vue de l’intellect agent, à qui il revient de tout réaliser, que du point de vue de l’intellect possible, à qui il revient de pouvoir devenir tout et de recevoir une forme universelle dans laquelle sont présents en puissance des singuliers infinis. C’est là aussi un argument évident en faveur de l’immatérialité de l’âme elle-même et du fait qu’elle n’existe pas par transmission, car toute forme matérielle est finie, comme le démontre Physique, VIII. Compte tenu de ce raisonnement, il faut donc dire que même si Dieu est infini simplement, son effet est limité de deux manières. Premièrement et principalement, en raison de l’ordre de sa sagesse, qui fixe des limites déterminées à toutes choses. Deuxièmement, du point de vue de ce qui reçoit, car ce qui reçoit reçoit l’influence de l’agent selon sa propre puissance, et non selon la puissance de l’agent lui-même.

 

[5102] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam in corporalibus non ponimus superius esse causam inferioris, nisi per modum moventis et generantis; et haec in substantiis spiritualibus non ponimus, quia per generationem et motum in esse non producuntur; sed tamen sicut superiora corpora movent inferiora ad generationem, ita superiores substantiae spirituales movent inferiores ad propriam operationem, secundum quod Dionysius dicit, inferiores Angelos a superioribus illuminari, et homines ab Angelis.

3. Même pour les réalités corporelles, nous n’affirmons pas que ce qui est supérieur est la cause de ce qui est inférieur, sinon par mode de mouvement et de génération. Nous n’affirmons pas de telles choses pour les substances spirituelles, car elles ne sont pas amenées à l’être par la génération et le mouvement. Cependant, de même que les corps supérieurs meuvent les corps inférieurs en vue de la génération, de même les substances spirituelles supérieures meuvent-elles les [substances spirituelles] inférieures en vue de leur propre opération, conformément à ce que dit Denys, que les anges inférieurs sont illuminés par les anges supérieurs, et les hommes par les anges.

 

[5103] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quaelibet res tendit in finem ultimum per propriam operationem: et ideo secundum quod per illuminationem superiorum inferiores illuminantur ad proprias operationes, dicuntur per eos in Deum reduci. Non est enim inconveniens ut una creatura ponatur causa motus vel operationis alterius. Sed non est similis ratio de exitu rerum a primo principio: quia res non exit a suo principio per hoc quod aliquid operetur, sed solum per hoc quod aliquid a principio recipiat.

4. Toute chose tend à sa fin ultime par sa propre opération. C’est pourquoi, selon que les réalités inférieures sont illuminées par les réalités supérieures en vue de leurs propres opérations, on dit qu’elles sont ramenées à Dieu par elles. En effet, il n’est pas inapproprié qu’une créature soit donnée comme cause du mouvement ou de l’opération d’une autre. Mais le raisonnement ne vaut pas pour la sortie des choses du premier principe, car une chose n’est pas issue de son principe parce qu’elle fait quelque chose, mais seulement parce qu’elle reçoit quelque chose du principe.

 

[5104] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod si intelligatur anima participare operationem intellectualem ab intelligentia, hoc modo quod potentia intelligendi insit animae per virtutem intelligentiae, haereticum est et redit in dictum errorem, quia potentia intelligendi sequitur naturam animae: si autem intelligatur hoc modo quod anima juvatur in sua operatione per illuminationem Angelorum, ex hoc non potest concludi quod anima secundum suam naturam ab Angelis creata sit: non enim a quocumque juvatur res vel movetur ad opus, ab eo esse habet.

5. Si on veut parler d’une participation à l’opération intellectuelle d’une intelligence de telle sorte que la puissance d’intelliger soit présente dans l’âme par la puissance de cette intelligence, cela est hérétique et revient à l’erreur déjà mentionnée, car la puissance d’intelliger découle de la nature de l’âme. Mais si on l’entend de telle sorte que l’âme soit aidée dans son opération par l’illumination des anges, on ne peut en conclure que l’âme a été créée par les anges selon sa nature. En effet, une chose ne possède pas l’être par l’aide ou par le fait qu’elle est mue par qui que ce soit à agir.

 

 

 

 

Articulus 3 [5105] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 tit. Utrum anima sensibilis sit ex traduce

Article 3 – L’âme sensible apparaît-elle par transmission ?

 

[5106] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod etiam anima sensibilis non sit ex traduce. Nulla enim substantia simplex perfecta in esse quae sit hoc aliquid, educitur in esse nisi per creationem. Sed anima sensibilis est hujusmodi substantia. Ergo et cetera. Probatio mediae. Illud quod est tantum forma et non hoc aliquid, non potest esse motor; unde in 8 Physic. philosophus vult quod forma ignis non sit motor in motu ejus naturali: non enim potest habere perfectam et absolutam actionem quae debetur motori qui non habet esse perfectum. Sed anima sensibilis est motor in animali. Ergo est hoc aliquid habens esse perfectum; et quod sit simplex, per se patet.

1. Il semble que même l’âme sensible n’apparaisse pas par transmission. En effet, aucune substance simple, parfaite en son être au point d’être telle chose, n’est amenée à l’être, sinon par création. Or, l’âme sensible est une substance de cette sorte. Donc, etc. Démonstration de la mineure. Ce qui est seulement une forme, et non telle chose, ne peut être un moteur. Aussi, en Physique, VIII, le Philosophe veut-il que la forme du feu ne soit pas un moteur par son mouvement naturel. En effet, elle ne peut avoir une action parfaite et absolue, qui relève d’un moteur qui n’a pas un être parfait. Or, l’âme sensible est un moteur chez l’animal. Elle est donc une chose qui possède un être parfait ; et qu’elle soit simple, cela est évident de soi.

 

[5107] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, Commentator dicit in 3 de anima, quod non potest esse aliqua virtus cognoscitiva ex commixtione elementorum. Sed ea quae producuntur per actionem naturae in inferioribus elementis, producuntur per actionem qualitatum activarum et passivarum elementorum commixtorum; eo quod nulla virtus activa est in istis inferioribus nisi per qualitates elementares, ut Commentator dicit 11 Metaphys. Cum ergo anima sensibilis sit virtus cognoscitiva, videtur quod non per operationem naturae traduci possit, sed per creationem in esse producatur.

2. Dans Sur l’âme, III, le Commentateur dit qu’une puissance cognitive ne peut venir d’un mélange d’éléments. Or, ce qui est produit par l’action de la nature dans les éléments inférieurs est produit par l’action des qualités actives et passives d’éléments mixtes, du fait qu’aucune puissance active n’existe dans les éléments inférieurs, sinon par les qualités élémentaires, comme le Commentateur le dit dans Métaphysique, XI. Puisque l’âme sensible est une puissance cognitive, il semble donc qu’elle ne puisse être transmise par l’opération de la nature, mais qu’elle est amenée à l’être par création.

 

[5108] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, omnis operatio naturae inferioris reducitur in virtutem caelestem, sicut in virtutem primi alterantis. Sed per virtutem caeli anima sensibilis educi non potest, cum corpus caeleste inanimatum sit, et nihil agat ultra suam speciem; quia effectus non potest esse potior causa agente. Ergo videtur quod non per operationem naturae, sed per creationem in esse educatur.

3. Toute opération d’une nature inférieure se ramène à la puissance céleste comme à la puissance du premier agent d’altération. Or, l’âme sensible ne peut être produite par la puissance du ciel, puisque le corps céleste est inanimé et que rien n’agit au-delà de son espèce, car l’effet ne peut pas être plus puissant que la cause agente. Il semble donc que [l’âme sensible] ne soit pas amenée à l’être par une opération de la nature, mais par création.

 

[5109] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, eorum quae sunt idem secundum substantiam, non potest unum creari quin alterum creetur. Sed in homine anima sensibilis et anima rationalis sunt idem per essentiam. Ergo videtur, cum anima rationalis non traducitur, sed creetur, quod similiter nec anima sensibilis. Sed secundum animam sensibilem non differt homo a bruto. Ergo videtur quod etiam an brutis anima sensibilis sit per creationem.

4. Entre des choses qui sont identiques selon leur substance, il est impossible que l’une soit créée sans que l’autre ne soit créée. Or, chez l’homme, l’âme sensible et l’âme raisonnable sont une même chose par essence. Puisque l’âme raisonnable n’est pas transmise, il semble donc que l’âme sensible ne le soit pas non plus. Or, l’homme ne diffère pas de l’animal sans raison par l’âme sensible. Il semble donc que l’âme sensible existe aussi chez les animaux sans raison par création.

 

[5110] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, quanto aliquid est nobilius, tanto nobiliorem causam habet, vel saltem non minus nobilem. Sed anima sensibilis nobilior est in animalibus perfectis quam in generatis ex putrefactione. Ergo cum in generatis ex putrefactione non possit poni anima sensibilis ex aliquo principio naturali produci, cum non generentur ex sibi similibus, et ita oporteat quod a principio supernaturali animam sortiantur, videtur quod multo fortius hoc necessarium sit in animalibus perfectis.

5. Plus une chose est noble, plus noble est sa cause ou, tout au moins, elle n’est pas moins noble. Or, l’âme sensible est plus noble chez les animaux parfaits que chez ce qui est engendré par putréfaction. Puisque dans ce qui est engendré par putréfaction on ne peut affirmer qu’une âme sensible est produite à partir d’un principe naturel – en effet, ce qui y est engendré ne l’est pas à partir de choses qui lui sont semblables ‑, et qu’il faut ainsi qu’ils reçoivent une âme d’un principe surnaturel, il semble donc qu’à bien plus forte raison, cela soit nécessaire pour les animaux parfaits.

 

[5111] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Gen. 1, 20: producant aquae reptile animae viventis. Sed aquae non producunt nisi illud quod virtute naturae producitur. Ergo videtur quod per virtutem seminalem rebus collatam animae sensibiles producantur.

Cependant, [1] il est dit en Gn 1, 20 : Que les eaux produisent le reptile vivant ! Or, les eaux ne produisent que ce qui est produit par la puissance de la nature. Il semble donc que les âmes sensibles soient produites par une puissance séminale donnée aux choses,.

 

[5112] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in 16 de animalibus, quod intellectus solum ab extrinseco est. Ergo videtur quod anima sensibilis non sit ab extrinseco.

[2] Le Philosophe dit, Sur les animaux, XVI, que seul l’intellect vient de l’extérieur. Il semble donc que l’âme sensible ne vienne pas de l’extérieur.

 

[5113] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc quaestionem diversae inveniuntur opiniones et philosophorum, et etiam magistrorum. Quidam enim philosophi, ut Plato, Avicenna et Themistius, posuerunt omnes animas a principio separato esse, quod quidem principium Plato ideam posuit, Avicenna intelligentiam agentem, et theologi hanc viam tenentes, ipsum Deum. Ratio autem quae praedictos philosophos movit, ut Commentator narrat 7 et 11 Metaph., est sumpta ex animalibus putrefactis, quae etiam objiciendo tacta est: et similiter ex hoc quod in naturalibus nihil invenitur agens nisi forma accidentalis, ut calor et frigus quorum actione non potest anima produci, cum nihil agat ultra suam speciem. Sed tamen advertendum est, quod nullus philosophus inter animam sensibilem et alias formas substantiales distinxit quantum ad originem: quia praedicti philosophi omnes formas substantiales esse a principio separato posuerunt; tam animam sensibilem, quam formam lapidis vel ignis. Alii vero, ut Aristoteles et Commentator ejus, qui ponunt formas alias materiales ex potentia materiae educi virtute agentium naturalium, ponunt etiam animam sensibilem et vegetabilem ex traduce esse, eo quod esse formarum naturalium non est ipsarum absolute, sed ipsorum compositorum: non enim per se possunt subsistere: et ideo ipsis formis per se loquendo non acquiritur esse, sed substantiis compositis; unde forma per se loquendo neque fit neque generatur, sed compositum. Et quia omne quod generatur, generatur ex sibi simili; ideo oportet quod generans vel inducens ad formam sit compositum ex materia et forma, et non forma tantum, vel substantia separata; et in hoc sustentatur Aristoteles in 7 Metaphys., et per eamdem rationem ostendit in 16 de animalibus, animam vegetabilem et sensibilem non ab extrinseco esse, ostendens eas esse formas materiales ex hoc quod operationes exercent mediante corpore: quod enim habet esse absolutum a materia, habet etiam operationem a materia absolutam. Et ideo vult quod omnia principia vel virtutes quarum operationes non exercentur sine corpore, non sint ab extrinseco, sed ab agente corporali: et quod intellectus solus sit ab extrinseco: quia ejus operatio est sine corpore, et etiam ejus esse absolutum est; unde sibi debetur factio non tantum per accidens, sed etiam per se, ut esse incipiat, et oportet tunc quod hic sit secundum modum sibi competentem, et a principio separato. Alii vero philosophi attenderunt ad ipsas formas, ac si eis per se fieri deberetur; et ideo posuerunt omnes formas esse a principio formali separato. Sed positio Aristotelis multo rationabilior est: quia nihil incipit vel fit vel generatur nisi secundum modum quo esse habet: et ideo concedimus animam sensibilem et vegetabilem ex traduce esse. Modus autem traductionis talis est; cum enim omne agens univocum et proximum inducat speciem suam in patiente, et cibus, secundum quod est patiens et alteratum, in nutrimentum corporis cedat (quia nutrit secundum quod est potentia caro, ut in 1 de Gener., text. 39 et in de anima a text. 45 usque ad 50 dicitur), oportet quod in fine speciem et virtutem nutrimenti recipiat. Ante ergo ultimam assimilationem, quando efficitur actu pars determinata, ut caro vel os, est in eo virtus speciei indeterminate ad hoc vel illud: quia determinatio ad hoc vel illud est secundum propriam virtutem determinatae partis: et ideo cum semen sit residuum ultimi cibi propinquissimi ad ultimam conversionem, est in eo potentia totum et non actu aliqua pars: ante vero quam resolvatur per actum virtutis generativae separatum a reliquo sui generis, est in eo potentia illa indistincta sicut forma totius non est in parte nisi in potentia: quando autem separatur, efficitur actu habens talem potentiam vel formam: sicut etiam videmus in animalibus annulosis, in quibus, secundum philosophum, una est anima in actu, et plures in potentia; unde quando dividuntur, efficitur quaelibet pars animata habens animam distinctam: in hoc tamen differunt, quia propter parvam differentiam organorum in illis animalibus pars est fere toti consimilis; et ideo in parte remanet anima perfecta, sicut erat in toto: semen autem decisum nondum est actu simile toti, sed in potentia propinqua: et ideo non remanet post divisionem animae in actu, sed in potentia: propter quod dicitur 2 de anima, quod semen in potentia vivit et non actu. Haec autem potentia non est passiva in semine maris sicut dicimus ligna et lapides esse in potentia domus (sic enim est potentia in menstruo mulieris), sed est potentia activa, sicut dicimus formam domus in mente artificis esse potentia domum; unde arti comparat eam philosophus in 17 de animalibus; et hanc potentiam Avicenna et Commentator in 7 Metaphysic. vocant virtutem formativam: quae quidem virtus quantum ad modum operandi media est inter intellectum et alias vires animae. Aliae enim vires utuntur in suis operationibus determinatis organis: intellectus autem nullo: haec autem utitur aliquo corporali in sua operatione quod nondum habet determinatam speciem. Subjectum autem et organum hujus virtutis est spiritus vitalis inclusus in semine; unde ad continendum hujusmodi spiritum semen est spumosum, et haec est causa albedinis ejus. Huic autem spiritui conjungitur virtus formativa, magis per modum motoris quam per modum formae, etsi forma ejus aliquo modo sit; unde dicit Commentator in 7 Metaphys., quod includitur in semine virtus illa quodammodo sicut uniuntur motores orbibus. Illi autem corporali spiritui conjungitur triplex calor: scilicet calor elementaris, qui est sicut instrumentum resolvens et consumens et hujusmodi operans; et calor animae, qui est vivificans; et calor caeli cujus virtute movet ad speciem determinatam: et virtute hujus triplicis caloris, virtus formativa convertit materiam a muliere praeparatam in substantiam membrorum per modum quo est transmutatio corporis in augmento ut 15 de animalibus dicitur; et secundum quod proceditur in perfectione organorum, secundum hoc anima incipit magis ac magis actu esse in semine, quae prius erat in potentia: ita quod conceptum primo participat opera vitae nutritivae, et tunc dicitur vivere vita plantae; et sic deinceps, donec perveniat ad completam similitudinem generantis.

Réponse. Sur cette question, on trouve diverses opinions chez les philosophes et aussi chez les maîtres. En effet, certains philosophes, tels Platon, Avicenne et Thémistius, ont affirmé que toutes les âmes viennent d’un principe séparé : Platon affirmait que ce principe est l’idée, Avicenne, l’intellect agent, et les théologiens qui suivent cette voie, Dieu lui-même. Or, comme le raconte le Commentateur dans Métaphysique, VII et XI, la raison qui a convaincu les philosophes était tirée des animaux décomposés : elle a aussi été abordée dans les objections. Elle venait aussi du fait que, dans les choses naturelles, rien ne joue le rôle d’agent que la forme accidentelle, comme la chaleur et le froid, par l’action desquels une âme ne peut être produite, puisque rien n’agit au-delà de son espèce. Toutefois, il faut remarquer qu’aucun philosophe n’a fait de distinction entre l’âme sensible et les autres formes substantielles pour ce qui est de leur origine, car ces philosophes affirmaient que toutes les formes substantielles viennent d’un principe séparé, aussi bien l’âme sensible que la forme de la pierre ou du feu. Mais d’autres, tels Aristote et son Commentateur, qui soutiennent que les autres formes matérielles sont tirées de la puissance de la matière par la puissance des agents naturels, affirment que l’âme sensible comme l’âme végétative viennent par transmission, du fait que l’être des formes naturelles ne leur appartient pas de manière absolue, mais appartient aux composés eux-mêmes. En effet, elles ne peuvent pas subsister par elles-mêmes. Aussi, à proprement parler, les formes elles-mêmes n’acquièrent pas l’être, mais les substances composées. À proprement parler, la forme n’est donc ni produite ni engendrée, mais le composé. Et parce que tout ce qui est engendré est engendré à partir de ce qui lui est semblable, il est donc nécessaire que ce qui engendre ou amène la forme soit composé de matière et de forme, et non d’une forme seulement ou d’une substance séparée. C’est ce que soutient Aristote dans Métaphysique, VII, et il montre par le même raisonnement, Sur les animaux, XVI, que l’âme végétative et l’âme sensible ne viennent pas de l’extérieur, en montrant qu’elles sont des formes matérielles, du fait qu’elles exercent leurs opérations par l’intermédiaire du corps. En effet, ce qui possède un être séparé de la matière possède aussi une opération séparée de la matière. C’est pourquoi il soutient que tous les principes ou puissances, dont les opérations ne s’exercent pas sans le corps, ne viennent pas de l’extérieur, mais d’un agent corporel, et que seul l’intellect vient de l’extérieur parce que son opération s’exerce sans le corps et que son être aussi est absolu. Aussi lui revient-il d’être produit, non pas seulement par accident, mais par soi pour commencer à être ; il faut alors que ce soit selon un mode qui lui convienne et à partir d’un principe séparé. Mais d’autres philosophes ont porté leur attention sur les formes elles-mêmes, comme s’il leur appartenait d’être produites par elles-mêmes. C’est ainsi qu’ils ont affirmé que toutes les formes viennent d’un principe formel séparé. Mais la position d’Aristoe est beaucoup plus raisonnable, car rien de commence, n’est produit ou n’est engendré que selon le mode où cela possède l’être. C’est pourquoi nous concédons que l’âme sensible et l’âme végétative viennent par transmission. Or, le mode de la transmission est le suivant. Puisque tout agent univoque et rapproché entraîne son espèce chez le patient, et que l’aliment, pour autant qu’il joue le rôle de patient et est altéré, se transforme en nourriture du corps (car il nourrit pour autant qu’il est chair en puissance, comme il est dit dans Sur la génération, texte 39, et dans Sur l’âme, du texte 45 au texte 50), il est nécessaire qu’il reçoive à la fin l’espèce et la puissance de la nourriture. Avant la dernière assimilation, alors qu’il devient une partie déterminée en acte, chair ou os, il existe en lui une puissance d’espèce indéterminée à ceci ou à cela, car la détermination à ceci ou à cela se réalise selon la puissance propre à une partie déterminée. Puisque la semence est le résidu du dernier aliment le plus rapproché de l’ultime transformation, c’est pourquoi existe en lui un tout en puissance, et non une partie en acte. Mais avant que ne soit dégagé par l’acte de la puissance génératrice une chose de séparée du reste de son espèce, cette puissance existe en lui de manière indistincte, comme la forme du tout n’existe dans une partie qu’en puissance. Mais lorsqu’elle est séparée, elle se met à posséder en acte telle puissance ou forme, comme nous le voyons chez les animaux annelés, chez lesquels existe une seule âme en acte, selon le Philosophe, et plusieurs en puissance. Aussi, lorsqu’ils sont divisés, chaque partie devient animée en acte et possède une âme distincte. Ils diffèrent cependant en cela qu’en raison de la petite différence des organes chez ces animaux, la partie est presque entièrement semblable au tout. C’est pourquoi une âme parfaite demeure dans la partie, telle qu’elle existait dans le tout. Mais la semence séparée [de celui qui la produit] n’est pas encore semblable au tout en acte, mais en puissance rapprochée. C’est pourquoi elle ne demeure pas après la division de l’âme en acte, mais en puissance. C’est la raison pour laquelle il est dit, dans Sur l’âme, II, que la semence vit en puissance, et non en acte. Mais cette puissance n’est pas passive dans la semence du mari, comme nous disons que le bois et les pierres sont la maison en puissance – en effet, telle est la puissance dans les menstrues de la femme ‑, mais il s’agit d’une puissance active, comme nous disons que la forme de la maison existe en puissance dans l’esprit de l’artisan. C’est pourquoi le Philosophe la compare à l’art, Sur les animaux, XVII, et Avicenne, ainsi que le Commentateur, dans Métaphysique, VII, l’appellent puissance formatrice. Du point de vue de sa manière d’agir, cette puissance est intermédiaire entre l’intellect et les autres puissances de l’âme. En effet, les autres puissances utilisent pour leurs opérations des organes déterminés, mais l’intellect, aucun ; mais cette [puissance formatrice] utilise pour son opération quelque chose de corporel qui n’a pas encore d’espèce déterminée. Mais le sujet et l’organe de cette puissance est l’esprit de vie compris dans la semence ; aussi, pour contenir un esprit de ce genre, la semence est-elle écumante : telle est la cause de sa blancheur. À cette puissance est unie la puissance formatrice, plutôt par mode de moteur que par mode de forme, même si elle en est d’une certaine manière la forme. Aussi le Commentateur dit-il, Métaphysique, VII, qu’est comprise dans la semence une puissance à la manière dont sont unis les moteurs des sphères. Mais, à cet esprit corporel, est unie une triple chaleur : la chaleur élémentaire, qui agit comme instrument pour transformer, consumer, et pour des actions de ce genre ; la chaleur de l’âme, qui donne la vie ; et la chaleur du ciel, dont la puissance meut vers une espèce déterminée. Et par la puissance de cette triple chaleur, la puissance formatrice convertit la matière préparée par la femme en substance des membres à la manière dont se réalise la transformation du corps dans la croissance, comme on le dit dans Sur les animaux, XV ; et selon qu’on avance dans l’achèvement des organes, l’âme commence de plus en plus a exister en acte dans la semence, alors qu’elle existait auparavant en puissance, de telle sorte que le fœtus participe d’abord aux actes de la vie nutritive et que, par la suite, on dise de lui qu’il vit de la vie de la plante. Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il parvienne à une ressemblance complète avec celui qui l’a engendré.

 

[5114] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima sensibilis nullo modo est hoc aliquid: quia nec habet aliquam partem sui per quam individuetur: nec habet esse subsistens et absolutum, cum nulla ejus operatio sit nisi mediante corpore; nec hoc ipsum quod est moveri motu progressivo, facit sine organo corporali. Est enim duplex virtus motiva: una imperans, et altera imperata. Imperans est virtus appetitiva sensitiva, cujus actus constat quod non est sine organo corporali. Virtus autem motiva imperata et exequens motum est vis quaedam musculis et lacertis affixa, ad quorum motum totum corpus movetur. Et sic patet quod in motu animalis haec operatio quae est movere, non est animae sensitivae secundum se, sed mediante organo corporali; unde non sequitur quod esse absolutum habeat.

1. L’âme sensible n’est d’aucune manière telle chose, car elle ne possède aucune partie d’elle-même par laquelle elle est individuée ; elle ne possède pas non plus d’être subsistant et absolu, puisqu’elle n’exerce aucune opération, sinon par l’intermédiaire du corps ; elle ne réalise pas non plus sans organe corporel le mouvement qui consiste à avancer. En effet, il existe une double puissance motrice : l’une qui commande, et l’autre qui reçoit le commandement. Celle qui commande est la puissance appétitive sensible, dont l’acte ne s’exerce manifestement pas sans organe corporel. Mais la puissance motrice commandée et exécutant le mouvement est une puissance associée aux muscles et aux nerfs, par le mouvement desquels tout le corps est mû. Il ressort ainsi clairement que, dans le mouvement d’un animal, l’opération qui consiste à mouvoir n’est pas le fait de l’âme sensible en elle-même, mais par l’intermédiaire d’un organe corporel. Il n’en découle donc pas qu’elle possède un être absolu.

 

[5115] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex actione qualitatum elementarium sequitur aliquid dupliciter. Uno modo ex ipsis secundum se, sicut sapor et odor, durum et molle, et alia quae determinantur in 4 Meteor.: et sic nec anima sensibilis nec aliqua forma substantialis ex actionibus earum sequitur: quia sequeretur quod formae substantiales ex necessitate materiae inducerentur, ut Empedocles dixit. Alio autem modo sequitur aliquid ex eis sicut ex instrumentis, ut dicit philosophus in 2 de anima, quod ignis in motu augmenti est sicut instrumentum regulatum, sed principaliter agens et regulans est virtus animae dirigens in determinatam quantitatem. Et similiter dico, quod ex actionibus qualitatum activarum consequitur anima sensibilis et aliae formae substantiales secundum quod in eis ut instrumentis manet virtus animae, vel alterius substantialis formae et ipsius caeli; et ideo non oportet, cum non agant in virtute sua tantum, quod ex actionibus earum nihil sequatur ultra earum speciem: quia ex motu instrumenti sequitur effectus secundum rationem principalis agentis.

2. Quelque chose découle de l’action des qualités élémentaires de deux manières. D’une manière, de celles-ci en elles-mêmes, comme la saveur et l’odeur, le dur et le mou, et les autres choses qui sont déterminées dans Météores, IV. De cette manière, ni l’âme sensible ni aucune autre forme substantielle ne découle de leur action, car il en découlerait que les formes substantielles seraient entraînées selon une nécessité de la matière, comme le dit Empédocle. Mais, d’une autre manière, quelque chose découle d’elles comme d’instruments, comme le Philosophe dit, dans Sur l’âme, II, que, dans le mouvement de la croissance, le feu est comme un instrument soumis à une règle ; mais la puissance de l’âme qui dirige vers une quantité déterminée est l’agent principal et ce qui impose la règle. Je dis donc la même chose : des actions des qualités actives, l’âme sensible et les autres formes substantielles découlent selon que la puissance de l’âme ou d’une autre forme substantielle, et celle du ciel lui-même demeurent en elles comme dans des instruments. Aussi n’est-il pas nécessaire, puisqu’elles n’agissent pas par leur propre puissance seulement, que rien ne découle de leurs actions au-delà de leur espèce, car, du mouvement de l’instrument, découle un effet conforme à la raison de l’agent principal.

 

[5116] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod supposito secundum fidem nostram quod caelum sit corpus inanimatum, nihilominus tamen ponimus quod motus ejus sit ab aliqua substantia spirituali sicut motore: et cum motus sit actus motoris et mobilis, oportet quod in motu non tantum relinquatur virtus corporalis ex parte mobilis, sed etiam virtus quaedam spiritualis ex parte motoris: et quia motor est vivens nobilissima vita, ideo non est inconveniens, si motus caelestis, inquantum est in eo intensio et virtus motoris, per modum quo virtus agentis principalis est in instrumento, est causa vitae materialis, qualis est per animam sensibilem et vegetabilem.

3. En prenant pour acquis, selon notre foi, que le ciel est un corps inanimé, nous affirmons néanmoins que son mouvement vient d’une substance spirituelle comme d’un moteur. Et puisque le mouvement est l’acte d’un moteur et d’un mobile, il est nécessaire que, dans le mouvement, ne soit pas laissée une puissance corporelle du côté du mobile seulement, mais aussi une certaine puissance spirituelle du côté du moteur. Et parce que le moteur est un vivant possédant la vie la plus noble, il n’est donc pas inapproprié que le mouvement céleste, pour autant qu’existent en lui l’impulsion et la puissance du moteur, existe en lui à la manière dont la puissance d’un agent principal existant dans un instrument est cause de vie matérielle, telle qu’est celle qui existe par l’âme sensible et végétative.

 

[5117] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis homo et equus in hoc conveniant quod est sensibile, non tamen oportet quod anima sensibilis sit unius rationis in homine et equo: quia homo et equus non sunt unum animal in specie; unde in homine anima sensibilis est multo nobilior quam in aliis animalibus quantum ad principales actus, ut patet in actibus interiorum sensuum, et in operatione tactus, qui est principalis sensus: in omni enim toto potestativo potentia inferior superiori conjuncta perfectior invenitur; ut potestas praepositi multo excellentior est in rege. Anima autem sensibilis in homine per essentiam conjungitur animae rationali; et ideo totum est per creationem. Sed tamen modus traductionis seminis est similis in homine et in aliis animalibus; quia in semine hominis est etiam virtus formativa, sicut in animalibus; sed quia actio illius virtutis est materialis, ut dictum est, non potest actio ejus pertingere ad essentiam immaterialem; sed tamen per actionem hujus virtutis primo consequitur conceptus vitam nutritivam et postea vitam sensitivam. Sed quia, ut Avicenna dicit, in hoc processu sunt plurimae generationes et corruptiones, sicut quod semen convertitur in sanguinem, et sic deinceps; quando venitur ad secundam perfectionem, prima perfectio non manet eadem numero, sed acquiritur simul cum acquisitione secundae; et sic patet quod in infusione animae rationalis homo simul consequitur in una essentia animae animam sensitivam et vegetativam; et priores perfectiones non manent eaedem numero.

4. Bien que l’homme et le cheval aient en commun d’être quelque chose de sensible, il n’est cependant pas nécessaire que l’âme sensible ait une seule raison chez l’homme et chez le cheval, car l’homme et le cheval ne sont pas un seul animal selon l’espèce. Aussi, chez l’homme, l’âme sensible est-elle beaucoup plus noble que chez les autres animaux quant à ses actes principaux, comme cela ressort pour les actes des sens intérieurs et pour l’opération du toucher, qui est le sens principal. En effet, en n’importe quel tout potentiel, la puissance inférieure unie à la [puissance] supérieure se trouve plus parfaite, comme le pouvoir du prévôt existe d’une manière bien plus excellente chez le roi. Or, chez l’homme, l’âme sensible est unie par essence à l’âme raisonnable ; c’est pourquoi le tout existe par création. Cependant, le mode de transmission de la semence est semblable chez l’homme et chez les autres animaux, car, dans la semence de l’homme, existe aussi une puissance formatrice comme chez les animaux ; mais parce que l’action de cette puissance est matérielle, comme on l’a dit, son action ne peut parvenir à une essence immatérielle. Toutefois, par l’action de cette puissance, le fœtus acquiert la vie nutritive et ensuite la vie sensible. Mais parce que, comme le dit Avicenne, il y a dans ce processus plusieurs générations et corruptions ‑ ainsi, la semence est convertie en sang, et ainsi de suite ‑, lorsqu’on atteint la deuxième perfection, la première perfection ne reste pas numériquement identique, mais elle est acquise en même temps que l’acquisition de la deuxième. Il ressort ainsi que, dans l’infusion de l’âme raisonnable, l’homme acquiert en même temps, dans une seule essence de l’âme, l’âme sensible et végétative, et que les perfections antérieures ne demeurent pas numériquement les mêmes.

 

[5118] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in animalibus generatis ex putrefactione virtus caeli, ut Commentator dicit in 7 Metaph., supplet locum virtutis formativae in semine: hujusmodi enim animalia propter sui imperfectionem non requirunt tot ad sui generationem sicut animalia perfectiora, in quibus oportet quod cum virtute caelesti adsit in semine virtus animae a patre derivata: est enim virtus caelestis in omnibus corporibus inferioribus sicut virtus motoris in moto, ut inducat unumquodque in speciem secundum materiae dispositionem: et hae virtutes caelestes in elementis receptae vocantur a philosopho in 16 de animalibus virtutes animae, quibus omnia elementa plena dicit, eo quod hujusmodi virtutes sunt sufficientes ad animationem materiae, si pertingat ad aliquam complexionis aequalitatem.

5. Comme le dit le Commentateur à propos de Métaphysique, VII, chez les animaux engendrés par putréfaction, la puissance du ciel supplée au rôle de la puissance formatrice dans la semence. En effet, les animaux de ce genre, en raison de leur imperfection, n’exigent pas, pour la génération, autant que les animaux plus parfaits, chez lesquels il faut, en plus de la puissance céleste, une puissance de l’âme dérivée du père dans la semence, car la puissance céleste existe dans tous les corps inférieurs comme la puissance d’un moteur dans ce qui est mû, afin d’entraîner chaque chose selon son espèce par une disposition de la matière. Et ces puissances célestes reçues dans les éléments sont appelées par le Philosophe, Sur les animaux, XVI, des puissances de l’âme, dont tous les éléments sont remplis, du fait que ces puissances sont suffisantes pour animer la matière, si elle atteint une certaine égalité de complexion.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 18

 

[5119] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 2 a. 3 expos. Aut si de pedibus, ad servitutem subjicienda. Non videtur esse verum per hoc quod dicitur Gen. 3, 16: sub viri potestate eris. Et dicendum quod hoc in poenam mulieris inobedientis inductum est. Vel dicendum quod non est sub potestate viri per modum servitutis, sed per modum gubernationis. Ideoque potius de illo addito quam de ipsa costa mulier facta deberet dici. Haec conclusio non sequitur: cujus ratio in objectionibus dicta est. Eo sane miraculo quo postea de quinque panibus a Jesu caelesti benedictione multiplicatis quinque millia hominum satiata sunt. Haec similitudo etiam ad probandum ejus propositum non valet: quia Augustinus eo modo multiplicationem illam factam dicit, super Joan., sicut ex paucis granis crescunt multae segetes: quod quidem per attractionem humoris a terra certum est fieri. Cum Angelorum ministerio facta sit mulieris formatio, non est eis tamen tribuenda creationis potentia. Quod quidem ministerium esse potuit in separatione costae, et in congregatione materiae, ex cujus conditione corpus mulieris formatum est. Tamen propter effectus diversos pluraliter dicit Augustinus causas primordiales omnium rerum in Deo esse. Et hoc est secundum quod dicuntur plures ideae secundum diversos respectus ad creaturas, ut supra in 1 libro dictum est.

 

 

 

 

 

Distinctio 19

Distinction 19 – [Le premier état de la nature]

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’immortalité de l’homme selon son âme]

 

Prooemium

Prologue

 

[5120] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 pr. Determinata superius institutione humanae naturae quantum ad utrumque sexum, hic prosequitur conditiones naturae institutae quantum ad primum statum sui. Dividitur autem in partes duas: in prima determinat ea quae pertinent ad conservationem individui in esse per immortalitatem; in secunda ea quae pertinent etiam ad multiplicationem speciei per generationem, 20 dist., ibi: post haec videndum est qualiter primi parentes, si non peccassent, filios procreassent. Prima in duas: in prima ostendit immortalitatem hominis quantum ad primum statum; in secunda inquirit causam ac modum ejus, ibi: solet hic quaeri, cum homo primus mortale et immortale corpus habuerit, utrum ex conditione naturae habuerit utrumque, an alterum beneficium esset gratiae. Circa primum tria facit: primo manifestat intentionem; secundo proponit hominis immortalitatem, ibi: primus ergo homo secundum naturam corporis terreni immortalis fuit quodammodo; tertio manifestat differentiam illius primi status ad duos status sequentes, ibi: in primo statu fuit corpus hominis animale. Solet hic quaeri. Hic inquirit causam immortalitatis, et modum, utrum scilicet esset per gratiam, vel per naturam; et circa hoc tria facit: primo movet quaestionem; secundo determinat eam ex verbis Augustini, ibi: ad quod dici potest; tertio inducit quorumdam disceptationem super hac determinatione, ibi: propter hoc aliqui dicunt quod nisi illo ligno vitae uteretur, non semper viveret, quia peccaret. Et circa hoc duo facit: primo ponit quorumdam opinionem, qui simpliciter dictae determinationi adhaerent, dicentes, solam gratiam esse causam immortalitatis; secundo objicit in contrarium, et ponit contrariam opinionem, ibi: sed adhuc quaeritur. Et circa hoc tria facit: primo ponit objectionem contra primam opinionem; secundo ex hoc inducit opinionem contrariam, ibi: aliqui dicunt quod si non fuisset ei praeceptum vesci illo ligno, et sic aliis, non illo, vesceretur, viveret semper; tertio ponit quaedam verba Augustini ex quibus secunda opinio firmamentum habere videtur, ibi: de hac vero hominis immortalitate qualis fuerit, Augustinus (...) sic ait. Ubi prius verba Augustini ponit, qualitatem potentiae immortalitatis exprimentia; secundo ex his concludit secundam opinionem, ad quam firmandam aliam auctoritatem Augustini inducit, ibi: ideo alii dicunt, quod immortalitatem de natura habebat. Hic quaeruntur quinque: 1 de immortalitate hominis secundum animam; 2 utrum homo in statu innocentiae fuerit immortalis secundum corpus; 3 utrum fuerit impassibilis; 4 supposito quod sic, utrum illa immortalitas et impassibilitas fuerit per naturam, vel per gratiam; 5 utrum illa immortalitas sit eadem cum immortalitate resurgentium.

Après avoir déterminé plus haut de l’établissement de la nature humaine pour ce qui est des deux sexes, on poursuit en examinant les conditions de la nature établie pour ce qui est de son premier état. Il y a deux parties : dans la première, [le Maître] détermine de ce qui se rapporte à la conservation de l’individu dans l’être par l’immortalité ; dans la seconde, de ce qui se rapporte aussi à la multiplication de l’espèce par la génération, d. 20, à cet endroit : « Après cela, il faut voir comment les premiers parents, s’ils n’avaient pas péché, auraient procréé des enfants. » La première partie [se divise] en deux : dans la première, il montre l’immortalité de l’homme, pour ce qui est de son premier état ; dans la seconde, il s’interroge sur la cause et sur le mode de celle-ci, à cet endroit : « On a coutume de demander ici, puisque le premier homme avait un corps mortel et immortel, s’il avait les deux [qualités] par condition de nature, ou si la seconde était un bienfait de la grâce. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre [son] intention. Deuxièmement, il présente l’immortalité de l’homme, à cet endroit : « Le premier homme, selon la nature de son corps terrestre, était donc immortel d’une certaine manière. » Troisièmement, il montre la différence entre ce premier état et les deux autres suivants, à cet endroit : « Dans le premier état, le corps de l’homme était animal. » « On a coutume de se demander ici… » Ici, on s’interroge sur la cause de l’immortalité et sur son mode, à savoir, si elle était l’effet de la grâce ou de la nature. À ce sujet, [le Maître] fait trois choses. Premièrement, il soulève la question. Deuxièmement, il en détermine à partir des paroles d’Augustin, à cet endroit : « Sur ce point, on peut dire… » Troisièmement, il introduit le débat de certains sur cette détermination, à cet endroit : « Pour cette raison, certains disent que, s’il n’avait pas fait usage de cet arbre de vie, il ne vivrait pas toujours, car il pécherait. » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il présente l’opinion de certains, qui partagent tout simplement cette détermination, en disant que seule la grâce est cause d’immortalité ; deuxièmement, il fait une objection en sens contraire et présente une opinion contraire, à cet endroit : « Mais on demande encore… » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il présente une objection contre la première opinion. Deuxièmement, il invoque à partir de cela une opinion contraire, à cet endroit : « Certains disent que, s’il n’y avait pas eu de commandement de se nourrir de cet arbre, et qu’ainsi il s’était nourri des autres, mais non de celui-là, il vivrait toujours. » Troisièmement, il présente certaines paroles d’Augustin sur lesquelles semble s’appuyer la seconde opinion, à cet endroit : « Mais, au sujet de cette immortalité de l’homme, Augustin… parle ainsi. » [Le Maître] explique d’abord les paroles par lesquelles Augustin exprime la qualité du pouvoir d’immortalité. Deuxièmement, il en conclut à la seconde opinion et invoque une autre autorité d’Augustin pour l’appuyer, à cet endroit : « C’est pourquoi d’autres disent qu’il possédait l’immortalité par nature. » Ici, cinq questions sont posées : 1. À propos de l’immortalité de l’homme selon son âme. 2. Dans l’état d’innocence, l’homme était-il immortel selon son corps ? 3. Était-il impassible ? 4. En supposant que tel était le cas, cette immortalité et cette impassibilité existaient-elle par nature ou par grâce ? 5. Cette immortalité est-elle la même que l’immortalité de ceux qui ressuscitent ?

 

 

 

 

Articulus 1 [5121] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 tit. Utrum anima hominis corrumpatur ad corruptionem corporis

Article 1 – L’âme de l’homme est-elle corrompue lors de la corruption du corps ?

 

[5122] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod anima hominis corrupto corpore corrumpatur. Primo per hoc quod habetur Eccle. 3, 19: unus est interitus hominis et jumentorum. Sed jumenta simul in corpore et in anima intereunt. Ergo videtur quod etiam homo.

1. Il semble que l’âme de l’homme soit corrompue lorsque le corps est corrompu. Premièrement, selon ce qu’on trouve en Si 3, 19 : La mort de l’homme est comme celle des animaux. Or, les animaux meurent en même temps dans leur corps et dans leur âme. Il semble donc que l’homme aussi.

 

[5123] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, differentiae superiores participantur uniformiter ab his quae conveniunt in aliquo inferiori; sicut omne animal aequaliter se habet ut dicatur corporeum. Sed incorruptibile et corruptibile sunt differentiae entis. Ergo eodem modo conveniunt omnibus quae sunt in aliquo determinato genere. Sed in omnibus animalibus accidit corruptio per hoc quod forma eorum in non ens secedit. Ergo videtur quod similiter in hominibus.

2. Ceux qui se rejoignent dans quelque chose d’inférieur participent de manière uniforme aux différences supérieures ; ainsi, tout animal est également corporel. Or, l’incorruptible et le corruptible sont des différences de l’être. Ils se retrouvent donc de la même manière dans tout ce qui se trouve dans un genre déterminé. Or, chez tous les animaux, la corruption survient du fait que leur forme se retire dans le néant. Il semble donc qu’il en soit de même pour les hommes.

 

[5124] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quorumcumque est unum esse, non potest corrumpi unum sine corruptione alterius, cum corruptio sit mutatio de esse in non esse. Sed formae et materiae est unum esse, cum esse debeatur composito, quod ex utroque resultat. Ergo non potest esse corruptio materiae sine corruptione formae. Sed anima est forma corporis, ut in 2 de anima habetur. Ergo corrupto corpore etiam anima corrumpitur.

3. En tout ce qui possède un seul être, l’un ne peut être corrompu sans corruption de l’autre, puisque la corruption est un passage de l’être au néant. Or, il n’existe qu’un seul être de la matière et de la forme, puisque l’être revient au composé, qui résulte des deux. Il ne peut donc y avoir corruption de la matière sans corruption de la forme. Or, l’âme est la forme du corps, comme on le trouve dans Sur l’âme, II. Lorsque le corps est corrompu, l’âme est donc aussi corrompue.

 

[5125] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 4 Si dicatur, quod anima etiam est forma et substantia, et post mortem non manet inquantum est forma, sed inquantum est substantia; contra. Aut anima est forma per essentiam suam, aut per aliquod accidens suum. Si primo modo, ergo cum unius rei non sint plures essentiae, si anima post mortem non manet inquantum est forma, essentia sua penitus annihilabitur. Si autem secundo modo, cum ex anima et corpore non constituatur unum quod est homo nisi inquantum anima est forma corporis, sequeretur quod homo sit ens per accidens, et non significet aliquid in praedicamento substantiae, quod est valde absurdum. Ergo videtur quod post mortem nullo modo anima remaneat.

4. Si on dit que l’âme est à la fois une forme et une substance et que, après la mort, elle ne demeure pas comme forme, mais comme substance, on objectera [ce qui suit]. Soit l’âme est forme par son essence, soit par un de ses accidents. Si elle l’est de la première manière, puisqu’il n’y a pas plusieurs essences d’une même chose, si l’âme ne demeure pas en tant que forme, son essence est entièrement anéantie. Mais si c’est de la seconde manière, puisque qu’une seule réalité, qui est un homme, n’est constituée d’âme et de corps qu’en tant que l’âme est forme du corps, il en découlerait que l’homme est un être par accident et qu’il ne signifie rien dans le prédicament de la substance, ce qui est tout à fait absurde. Il semble donc qu’après la mort, l’âme ne demeure d’aucune manière.

 

[5126] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, ut in 1 caeli et mundi probat philosophus, impossibile est quod aliquid habeat virtutem ad essendum semper, quod non semper fuit: quia virtus quae est ad hoc ut sit semper, determinatur ad tempus infinitum; et quod in tempore infinito potest esse, non habet virtutem determinatam ad hoc ut quandoque sit, et quandoque non sit, quod invenitur in omni eo quod esse coepit. Sed anima rationalis non semper fuit, quinimmo cum corpore incepit. Ergo nec semper erit, sed cum corpore finietur.

5. Comme le prouve le Philosophe dans Sur le ciel et le monde, I, il est impossible qu’une chose qui n’a pas toujours existé possède toujours la capacité d’être, car la capacité de toujours exister est déterminée pour un temps infini ; et ce qui peut exister pour un temps infini n’a pas de capacité déterminée à se trouver en tout ce qui a commencé à être, alors que cela existe à un certain moment et n’existe pas à un autre moment. Or, l’âme raisonnable n’a pas toujours existé, bien plutôt elle a commencé à exister avec le corps. Elle n’existera donc pas toujoours, mais finira avec le corps.

 

[5127] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, cum nulla sit substantia sine propria operatione, ut Damascenus dicit, impossibile est animam separari a corpore, si in omni operatione sua indiget corpore. Sed in intelligendo corpore indiget: quia non est intelligere sine phantasmate, ut in 1 et 3 de anima dicitur, et hujusmodi intelligere corrumpitur corrupto corpore, ut in 1 de anima dicitur: de aliis etiam operationibus ejus planum est quod sine corpore non exercentur. Ergo animam a corpore separatam remanere est impossibile.

6. Puisque aucune substance n’existe sans sa propre opération, comme le dit [Jean] Damascène, il est impossible que l’âme soit séparée du corps, si elle a besoin du corps pour toutes ses opérations. Or, pour initelliger, [l’âme] a besoin du coprs, car il n’y a pas d’acte d’intellection sans fantasme, comme on le dit dans Sur l’âme, I et III, et cet acte d’intellection est corrompu lorsque le corps est corrompu, comme on le dit dans Sur l’âme, I. Il est aussi clair que [l’âme] ne peut exercer les autres opérations sans le corps. Il est donc impossible que l’âme demeure séparée du corps.

 

[5128] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, omne quod est ex nihilo, ut Damascenus dicit, vertibile est in nihil. Sed anima, cum sit creatura, ex nihilo est. Ergo videtur quod in nihil vertibilis sit; et ita est corruptibilis.

7. Comme le dit [Jean] Damascène, tout ce qui vient de rien est susceptible de retourner au néant. Or, puisqu’elle est une créature, l’âme vient de rien. Il semble donc qu’elle est susceptible de retourner au néant, et elle est ainsi corruptible.

 

[5129] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium est quod dicit philosophus in 2 de anima, quod reliquum genus animae, scilicet intellectus, separatur ab aliis partibus animae, sicut perpetuum a corruptibili; et in 1 de anima, quod intellectus videtur substantia quaedam esse, et non corrumpi: non enim corrumpitur per se, cum etiam inferiores vires, ut sensitivae, de quibus minus videtur, debilitentur tantum ex indispositione organorum: nec etiam per accidens, cum non sit forma super aliud delata, sed substantia quaedam per se subsistens.

Cependant, [1] en sens contraire, le Philosophe dit, Sur l’âme, II, que ce qui reste du genre de l’âme, à savoir, l’intellect, se distingue des autres parties de l’âme comme ce qui est perpétuel [se distingue] de ce qui est corruptible. Et, dans Sur l’âme, I, [il dit] que l’intellect semble être une substance et ne pas être corrompue. En effet, elle n’est pas corrompue en elle-même, puisque ses puissances inférieures, comme [les puissances] sensibles – pour lesquelles cela est moins évident – ne sont affaiblies que par une indisposition des organes ; [elle n’est pas corrompue] non plus par accident, puisqu’elle n’est pas une forme placée sur une autre, mais une substance qui subsiste en elle-même.

 

[5130] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in 10 Ethic. philosophus probat felicitatem contemplativam activa digniorem esse, quia est diuturnior. Sed felicitas activa extenditur usque ad terminum hujus corporalis vitae. Ergo contemplativa remanet etiam post hanc vitam. Non autem in corpore. Ergo in anima.

[2] Dans Éthique, X, le Philosophe prouve que la félicité contemplative est plus digne que [la félicité] active, car elle est plus durable. Or, la félicité active s’étend jusqu’au terme de cette vie corporelle. La vie contemplative demeure donc encore après cette vie. Or, ce n’est pas dans le corps. C’est donc dans l’âme.

 

[5131] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, ad Deum pertinet habere curam et providentiam de omnibus quae in mundo fiunt, et praecipue de his quae circa homines geruntur, et praecipue circa bonos, et qui sunt Deo simillimi, ut habetur ex verbis philosophi 10 Ethicorum, quod homo sapiens est Deo simillimus, et sibi amantissimus. Sed non potest esse sine injustitia provisoris et gubernantis, ut mali non puniantur et boni non praemientur. Cum ergo injustitia in Deum cadere non possit, oportet omne malum puniri, et omne bonum praemiari. Hoc autem in vita ista non contingit, cum frequenter bona malis eveniant, et e converso. Ergo videtur quod hoc erit post hanc vitam.

[3] Il revient à Dieu de prendre soin et de voir à tout ce qui se fait dans le monde, et principalement à tout ce qui concerne les hommes, surtout les bons, qui sont aussi le plus semblables à Dieu, comme on trouve, dans les paroles du Philosophe, Éthique, X, que l’homme sage est le plus semblable à Dieu et celui qui l’aime le plus. Or, ce ne peut être sans injustice de la part de celui qui pourvoit et gouverne, que les méchants ne soient pas punis et les bons, récompensés. Puisqu’il ne peut y avoir d’injustice en Dieu, il faut donc que tout mal soit puni et tout bien récompensé. Or, cela ne se produit pas en cette vie, puisque des biens arrivent fréquemment aux méchants, et aussi l’inverse. Il semble donc que ce sera après cette vie.

 

[5132] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 s. c. 4 Praeterea, ut in 3 de anima philosophus dicit, anima est locus specierum. Sed locus conservat locatum. Ergo si similitudo bona est, oportet quod in anima intellectiva, de qua loquitur, species intelligibiles conserventur. Sed intellectus potest intelligere praesentibus intelligibilibus, sicut sensus sentire praesentibus sensibilibus. Ergo anima potest per se in actum intelligendi, sine hoc quod aliquid a corpore accipiat; et ita videtur quod sine corpore esse possit, ex regula quam Aristoteles in principio de anima ponit, quod si anima habet operationem propriam sine corpore, est separabilis.

[4] Dans Sur l’âme, III, le Philosophe dit que l’âme est le lieu des espèces. Or, le lieu conserve ce qui se trouve dans le lieu. Si la ressemblance est bonne, il est donc nécessaire que les espèces intelligibles soient conservées dans l’âme intellective dont on parle. Or, l’intellect peut intelliger en présence de ce qui est intelligible, comme le sens peut sentir en présence de ce qui est sensible. L’âme peut donc exercer par elle-même l’acte d’intelliger, sans rien recevoir du corps. Il semble ainsi qu’elle puisse exister sans le corps, selon la règle donnée par Aristote, au début de Sur l’âme, que si l’âme possède une opération propre sans le corps, elle est séparable [du corps].

 

[5133] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc quatuor sunt positiones. Prima fuit antiquorum naturalium, qui intellectum a sensu non discernebant; unde sicut operatio sensus dependet a corpore, ita etiam ponebant intellectus operationem ex corpore dependere et animam intellectivam consequi naturam corporalem: unde quidam ponebant animam esse ignem, quidam vaporem, quidam harmoniam, et sic de aliis, secundum quod tantum sensus et motus animalium considerabant; et ideo secundum eos necessarium fuit ponere animam post corpus non remanere. Hanc autem opinionem Aristoteles, sufficienter infringit, ostendens intellectum habere esse absolutum, non dependens a corpore; propter quod dicitur non esse actus corporis; et ab Avicenna dicitur non esse forma submersa in materia; et in libro de causis dicitur non esse super corpus delata. Hujus autem probationis medium sumitur ex parte operationis ejus. Cum enim operatio non possit esse nisi rei per se existentis, oportet illud quod per se habet operationem absolutam, etiam esse absolutum per se habere. Operatio autem intellectus est ipsius absolute, sine hoc quod in hac operatione aliquod organum corporale communicet; quod patet praecipue ex tribus. Primo, quia haec operatio est omnium formarum corporalium sicut objectorum; unde oportet illud principium cujus est haec operatio, ab omni forma corporali absolutum esse. Secundo, quia intelligere est universalium; in organo autem corporali recipi non possunt nisi intentiones individuatae. Tertio, quia intellectus intelligit se; quod non contingit in aliqua virtute cujus operatio sit per organum corporale; cujus ratio est, quia secundum Avicennam, cujuslibet virtutis operantis per organum corporale, oportet ut organum sit medium inter ipsam et objectum ejus. Visus enim nihil cognoscit nisi illud cujus species potest fieri in pupilla. Unde cum non sit possibile ut organum corporale cadat medium inter virtutem aliquam et ipsam essentiam virtutis, non erit possibile ut aliqua virtus operans mediante organo corporali cognoscat seipsam. Et haec probatio tangitur in libro de causis in illa propositione 15: omnis sciens qui scit essentiam suam, est rediens ad essentiam suam reditione completa. Et dicitur redire complete ad essentiam, ut ibi Commentator exponit, cujus essentia est fixa stans, non super aliud delata. Ex quibus omnibus patet quod anima intellectiva habet esse absolutum, non dependens ad corpus; unde corrupto corpore non corrumpitur. Secunda fuit Pythagorae et Platonis, qui videntes incorruptionem animae, erraverunt in hoc quod posuerunt animas de corpore in corpus transire. Et hanc positionem improbat philosophus in 1 de anima, ostendens quod anima est forma corporis et motor ejus. Oportet autem ut determinatae formae determinata materia debeatur, et determinato motori determinatum organum, sicut quaelibet ars in agente utitur propriis instrumentis: unde haec anima non potest esse forma et motor nisi hujus corporis. Tertia positio est eorum qui dicunt, animam intellectivam secundum quid corruptibilem esse, et secundum quid incorruptibilem; quia secundum hoc quod de anima est huic corpori proprium, corrumpitur corrupto corpore; secundum autem id quod omnibus est commune, incorruptibilis est. Ponunt enim intellectum esse unum in substantia omnium; quidam agentem, et quidam possibilem, ut supra dictum est, dist. 17: et hunc esse substantiam incorruptibilem, et in nobis non esse nisi phantasmata illustrata lumine intellectus agentis, et moventia intellectum possibilem, quibus intelligentes sumus, secundum quod per ea continuamur intellectui separato. Ex quo sequitur quod si id quod est proprium, destruitur, tantum communi remanente, ex omnibus animabus humanis una tantum substantia remaneat, dissolutis corporibus. Haec autem positio quibus rationibus innitatur, et quomodo improbari possit, supra dictum est, 17 dist. Quarta positio est quam fides nostra tenet, quod anima intellectiva sit substantia non dependens ex corpore, et quod sint plures intellectivae substantiae secundum corporum multitudinem, et quod destructis corporibus remanent separatae, non in alia corpora transeuntes; sed in resurrectione idem corpus numero quod deposuerat unaquaeque assumat.

Réponse. À ce sujet, il y a quatre positions. La première était celle des anciens naturalistes, qui ne distinguaient pas l’intellect du sens. Puisque l’opération du sens dépend du corps, ils affirmaient donc aussi que l’opération de l’intellect dépendait du corps et que l’âme intellective découlait de la nature corporelle. Aussi certains affirmaient-ils que l’âme était du feu, d’autres, de la vapeur, d’autres, une harmonie, et ainsi de suite pour les autres, parce qu’ils ne prenaient en compte que les sens et les mouvements des animaux. Selon eux, il était donc nécessaire d’affirmer que l’âme ne demeurait pas après le corps. Mais Aristote a suffisamment démoli cette opinion en montrant que l’intellect possède un être absolu, qui ne dépend pas du corps. C’est pourquoi on dit qu’elle n’est pas l’acte du corps ; et Avicenne dit qu’elle n’est pas une forme immergée dans la matière. Dans le Livre sur les causes, on dit aussi qu’elle n’est pas superposée au corps. Or, la mineure de cette démonstration est tirée de son opération. En effet, puisque l’opération ne peut être le fait que d’une réalité qui existe par elle-même, il est nécessaire que ce qui possède de soi une opération absolue possède aussi de soi un être absolu. Or, l’opération de l’intellect lui appartient de manière absolue, sans qu’un organe corporel participe à cette opération, ce qui ressort de trois manières. Premièrement, parce que cette opération a comme objet toutes les formes corporelles. Il est donc nécessaire que le principe dont relève cette opération soit séparé de toute forme corporelle. Deuxièmement, parce que l’acte d’intellection porte sur des réalités universelles. Or, un organe corporel ne peut recevoir que des intentions individuelles. Troisièmement, parce que l’intellect s’intellige lui-même, ce qui ne se produit pas dans une puissance dont l’opération se réalise par un organe corporel. Selon Avicenne, la raison en est que, pour toute puissance qui agit par un organe corporel, il faut que l’organe soit l’intermédiaire entre elle et son objet. En effet, la vue ne connaît que ce dont l’espèce peut exister dans la pupille. Puisqu’il n’est pas possible qu’un organe corporel soit intermédiaire entre une puissance et l’essence même de la cette puissance, il ne sera donc pas possible qu’une puissance qui opère par l’intermédiaire d’un organe corporel se connaisse elle-même. Cette démonstration est abordée dans le Livrre sur les causes, dans la proposition 15 : « Tout être connaissant qui connaît sa propre essence revient à sa propre essence par un retour complet. » Et on parle de revenir à son essence, comme l’explique le Commentateur à cet endroit, pour ce dont l’essence est quelque chose qui se tient solidement, qui n’est pas superposé à autre chose. À partir de tout cela, il ressort clairement que l’âme intellective possède un être absolu, qui ne dépend pas du corps. Aussi, lorsque le corps est corrompu, l’âme n’est-elle pas corrompue. La deuxième position était celle de Pythagore et de Platon, qui, voyant que l’âme ne se corrompt pas, se sont trompés en affirmant que les âmes passaient d’un corps à un autre. Le Philosophe réfute cette position dans Sur l’âme, I, en montrant que l’âme est la forme du corps et son moteur. Or, il est nécessaire qu’une matière déterminée revienne à une forme déterminée, et un organe déterminé à un moteur déterminé, de la même manière que n’importe quel art chez un agent fait usage de ses propres instruments. Telle âme ne peut donc être forme et moteur que de tel corps. La troisième position est celle de ceux qui disent que l’âme intellective est corruptible sous un aspect et incorruptible sous un autre aspect : selon qu’une âme est propre à tel corps, elle est corrompue lorsque [ce] corps est corrompu ; mais selon qu’elle est commune à tous [les corps], elle est incorruptible. En effet, ils affirment qu’il n’existe qu’un seul intellect dans la substance pour tous, l’un agent, l’autre possible, comme on l’a dit plus haut, d. 17 : celui-ci est une substance incorruptible, et il n’existe en nous que des fantasmes éclairés par la lumière de l’intellect agent et qui meuvent l’intellect possible ; par eux, nous intelligeons en acte en étant unis à l’intellect séparé. Il découle de cela que si ce qui est propre est détruit, alors que demeure ce qui est commun seulement, une seule substance demeure pour toutes les âmes humaines, lorsque les corps sont dissous. Sur quels arguments cette position se fonde et comment elle peut être réfutée, on l’a dit plus haut, d. 17. La quatrième position est celle que tient notre foi : l’âme intellective est une substance qui ne dépend pas du corps et plusieurs substances intellectives existent selon la multitude des corps ; lorsque les corps sont détruits, elles demeurent séparées et ne passent pas dans d’autres corps, mais, lors de la résurrection, chaque [âme] assume le corps, numériquement le même, qu’elle avait déposé.

 

[5134] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Salomon ibi loquitur more concionatoris, assumens in se diversorum hominum sententias, et sapientum, et stultorum; ut in fine omnibus appareat quae sit verior sententia; unde concludit quasi sententiam proferens, dicens, cap. 12 et 13: finem loquendi omnes pariter audiamus: Deum time, et mandata ejus observa. Et hoc est unum ex illis quae ab eo in persona stultorum inducuntur.

1. Salomon parle là à la manière d’un orateur, qui reprend les positions de différents individus, sages et sots, pour que finalement ressorte la position qui est la plus vraie. Aussi conclut-il, comme s’il présentait sa position, ch. 12 et 13 : « Écoutons ce que tous disent à la fin : crains Dieu et observe ses commandements. » Et cela est une des choses qui est invoquée par lui en la personne des sots.

 

[5135] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod corruptio invenitur in omnibus corruptibilibus secundum unam rationem communem, quantum ad id quod per se corruptioni convenit, sed non quantum ad id quod accidit ei. Cum enim corruptio sit proprie compositi transmutatio de esse in non esse, hoc per se ad corruptionem pertinet ut compositum esse desistat; et quia compositum habet esse ex conjunctione formae ad materiam, ideo divisio formae a tali materia invenitur in qualibet corruptione; sed quod forma in nihil cadat, vel non, hoc corruptioni accidit ex ratione propria hujus formae vel illius. Si enim sit forma talis cujus esse sit absolutum et non dependens, in cujus esse participationem materia adducitur ex hoc quod perficitur tali forma, contingit ut ex defectu materiae compositum hujusmodi esse amittat, secundum hoc quod improportionata ad ipsum efficitur: et tamen ipsa forma remanet in suo esse, et sic destructio est compositi, forma remanente. Si vero forma non habeat esse absolutum in quo subsistat, sed sit per esse compositi, tunc ex quo compositum desinit esse, oportet quod forma etiam esse amittat, et per accidens corrumpatur.

2. La corruption se trouve en tout ce qui est susceptible de se corrompre selon une seule raison commune : selon ce qui convient par soi à la corruption, mais non selon ce qui s’y ajoute. En effet, puisque la corruption est, à proprement parler, le changement d’un composé depuis l’être au non-être, il relève par soi de la corruption que le composé cesse d’exister. Et parce que le composé possède l’être par l’union de la forme à la matière, la séparation de la forme d’une telle matière se rencontre en toute corruption. Mais le fait que la forme tombe dans le néant ou non, cela s’ajoute à la corruption par la raison propre de telle ou telle forme. En effet, si elle est une forme dont l’être est absolu et non dépendant, dont la matière est amenée à participer à son être du fait qu’elle est perfectionnée par cette forme, il arrive qu’en raison d’une destruction de la matière, un composé de ce genre perde l’être, parce que [cette forme] perd la proportion qu’elle avait par rapport à lui. Toutefois, la forme demeure dans son être, et ainsi il y a destruction du composé, alors que la forme demeure. Mais si la forme n’a pas un être absolu dans lequel elle subsiste, mais existe par l’être du composé, alors lorsque le composé cesse d’être, il est nécessaire que la forme aussi perde l’être et soit corrompue par accident.

 

[5136] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut dicit Commentator in 3 de anima, intellectus non eodem modo dicitur forma cum aliis formis materialibus; quod quantum ad hoc dico verum esse (licet ipse aliud intendat) quod anima cum habeat esse absolutum, ut ejus operatio ostendit, non habet esse per esse compositi, quin potius compositum per esse ejus; et ideo corrupto corpore non corrumpitur per accidens anima sicut aliae formae, quae non sunt nisi per esse compositi, nec aliquam operationem habent nisi mediante materia.

3. Comme le dit le Commentateur dans Sur l’âme, III, on ne dit pas que l’intellect est une forme de la même manière qu’on le dit des formes matérielles. Pour autant, je dis qu’il est vrai (bien que [le Commentateur] ait en vue autre chose) que l’âme, puisqu’elle a un être absolu, comme le montre son opération, ne possède pas l’être par l’être du composé, mais plutôt que le composé [possède l’être] par l’être [de l’âme]. C’est pourquoi, lorsque le corps est corrompu, [l’âme] n’est pas corrompue par accident comme les autres formes, qui n’existent que par l’être du composé et ne possèdent d’opération que par l’intermédiaire de la matière.

 

[5137] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod anima rationalis praeter alias formas dicitur esse substantia et hoc aliquid, secundum quod habet esse absolutum; et quod dicitur, quod anima potest dupliciter considerari, scilicet secundum quod est substantia, et secundum quod est forma, non est intelligendum quantum ad diversa quae in ipsa sunt, quasi aliud sit essentia sua et aliud ipsam esse formam, ut sic esse formam accidat sibi sicut color corpori: sed distinctio accipitur secundum ejus diversam considerationem; non enim ex hoc quod est forma habet quod post corpus remaneat; sed ex hoc quod habet esse absolutum, ut substantia subsistens: sicut etiam homo non habet quod intelligat ex hoc quod est animal, sed ex hoc quod est rationalis; quamvis utrumque sit sibi essentiale.

4. On dit que l’âme raisonnable est une substance et telle chose, au-delà les autres formes, pour autant qu’elle possède un être absolu. Et il ne faut pas entendre ce qui est dit ‑ à savoir que l’âme peut être envisagée de deux manières : selon qu’elle est une substance et selon qu’elle est une forme, selon diverses réalités qui existent en elle ‑, comme si son essence était une chose différente du fait qu’elle est une forme, de sorte que le fait pour elle d’être une forme lui advienne comme la couleur au corps; mais cette distinction vient d’une manière différente de l’envisager. En effet, elle ne tient pas du fait qu’elle est une forme de demeurer après le corps, mais du fait qu’elle possède un être absolu, en tant que substance qui subsiste. Ainsi l’homme n’intellige pas du fait qu’il est un animal, mais du fait qu’il est raisonnable, bien que les deux choses lui soient esentielles.

 

[5138] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ex ratione illa non plus probatur quam hoc, scilicet quod id quod habet virtutem ad hoc ut sit semper, dum habet illam virtutem, non terminat esse suum ad aliquod tempus ante vel post, quasi non potuerit per hanc virtutem plus quam certo tempore durasse; et hoc etiam in anima verum est; quia per virtutem quam modo habet, potuisset per mille millia annorum durasse. Sed quia hanc virtutem a se non habet, sed ab alio, tunc ex hac virtute incepit sua duratio quando haec virtus data est sibi.

5. Cet argument ne démontre pas davantage que ce qui a la capacité de toujours exister, aussi longtemps qu’il possède cette capacité, ne cesse pas d’être à un certain moment, avant ou après, comme si, par cette puissance, il ne pouvait avoir duré plus qu’un temps déterminé. Cela est vrai aussi pour l’âme, car, par la puissance qu’elle possède maintenant, elle aurait pu durer pendant des milliers de milliers d’années. Mais parce qu’elle ne tient pas cette puissance d’elle-même mais d’un autre, en vertu de cette puissance, sa durée a commencé lorsque cette puissance lui a été donnée.

 

[5139] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod intelligere cum aliquo vel sine aliquo dicitur dupliciter. Vel hoc modo quod illud etiam intelligatur esse particeps operationis, sicut organum virtutis visivae simul cum virtute visiva videt, quia videre est compositi; et sic intellectus omnino sine corpore intelligit, quia haec operatio non perficitur mediante organo corporali; vel ita quod illud sit objectum operationis, sicut visus non potest videre sine colore; et hoc modo etiam intellectus in statu viae non potest intelligere sine phantasmate, quod se habet ad intellectum sicut color ad visum, ut philosophus dicit. Et ex hoc non ostenditur quod anima intellectiva habeat esse dependens ad corpus, cum operatio egrediatur ab ipsa absolute. Sed post mortem alium modum intelligendi habebit, de quo locus erit inquirendi in fine quarti libri.

6. Intelliger avec quelque chose et sans quelque chose s’entend de deux manières. Soit que cette chose participe à l’opération, comme l’organe de la puissance visuelle voit en même temps que la puissance visuelle parce que voir est le fait du composé ; ainsi, l’intellect intellige entièrement sans le corps, car cette opération n’est pas accomplie par l’intermédiaire d’un organe corporel. Soit que cette chose soit l’objet de l’opération, comme la vue ne peut pas voir sans la couleur ; de cette manière aussi, l’intellect, dans l’état du cheminement, ne peut intelliger sans fantasme, dont le rapport avec l’intellect est le même que celui de la couleur avec la vue, comme le dit le Philosophe. Par là, on ne montre pas que l’âme intellective possède un être qui dépend du corps, puisque l’opération procède d’elle de manière absolue. Mais, après la mort, elle possédera un autre mode d’intellection, sur lequel il y aura lieu de s’interroger à la fin du livre IV.

 

[5140] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod vertibilitas in nihil, nihil aliud ponit in creatura quam dependentiam esse ejus ad principium a quo esse habet; adeo quod si influentia ejus cessaret, quaelibet creatura esse desisteret. Sed ex hoc non potest creatura corruptibilis dici, ut in 1 Lib. dictum est, dist. 8.

7. La possibilité de retourner au néant n’affirme rien dans la créature que la dépendance de son être du principe dont elle tient l’être, au point où, si son action cessait, toute créature cesserait d’exister. Mais la créature ne peut être dite corruptible pour cette raison, comme on l’a dit dans le livre I, d. 18.

 

 

 

 

Articulus 2 [5141] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 tit. Utrum homo in primo statu habuerit necessitatem moriendi

Article 2 – L’homme dans son premier état devait-il nécessairement mourir ?

 

[5142] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod homo in primo statu habuit necessitatem moriendi secundum corpus. Quidquid enim sequitur ex necessitate materiae, est necessarium necessitate absoluta, ut in 2 Phys. habetur. Sed corruptio compositi ex contrariis sequitur ex necessitate materiae. Ergo corpus hominis, quod ex contrariis compositum erat, simpliciter et absolute erat necesse corrumpi.

1. Il semble que l’homme dans son premier état devait nécessairement mourir selon son corps. En effet, tout ce qui découle de la nécessité de la matière est nécessaire d’une manière absolue, comme on le lit dans Physique, II. Or, la corruption d’un composé de contraires découle de la nécessité de la matière. Le corps de l’homme, qui avait été composé de contraires, devait donc nécessairement être simplement et absolument corrompu.

 

[5143] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, quod est corruptibile secundum partem, est etiam secundum totum dissolubile. Sed corpus hominis in primo statu secundum aliquam partem dissolubile erat: alias cibo non uteretur (praecipue quia est formatus in perfecta quantitate), cum nutrimentum sit ad restaurationem deperditi. Ergo videtur quod etiam totum corpus dissolubile foret.

2. Ce qui est en partie corruptible est aussi susceptible d’une dissolution totale. Or, le corps de l’homme dans son premier état était susceptible de dissolution partielle, autrement il n’aurait pas utilisé d’aliment (surtout qu’il a été formé selon une quantité parfaite), puisque la nourriture est nécessaire pour restaurer ce qui a été perdu. Il semble donc que tout le corps aurait été susceptible de dissolution.

 

[5144] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ut in 5 Metaph. dicitur, necessitas cibi est de illis sine quibus non potest esse vita. Sed homo in primo statu habebat vitam cibis indigentem, ut in littera dicitur. Ergo sine cibis vivere non potuisset; et ita videtur quod, quantum in se erat, necessitatem mortis haberet.

3. Comme on le dit dans Métaphysique, V, la nécessité de la nourriture fait partie de ce sans quoi il ne peut y avoir de vie. Or, l’homme dans son premier état possédait une vie qui avait besoin de nourriture, comme on le dit dans le texte. Il n’aurait donc pas pu vivre sans nourriture, et ainsi il semble que, pour ce qui était de lui, il était nécessaire qu’il meure.

 

[5145] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, ea quae differunt secundum genus, non sunt transmutabilia invicem. Sed corruptibile et incorruptibile sunt hujusmodi, ut in 10 Metaph. dicitur. Ergo non potest esse ut homo, qui nunc est corruptibilis, prius fuerit incorruptibilis.

4. Les choses qui diffèrent selon le genre ne sont pas interchangeables. Or, le corruptible et l’incorruptible sont de cette sorte, comme on le dit dans Métaphysique, X. Il ne peut donc arriver que l’homme, qui est maintenant corruptible, ait d’abord été incorruptible.

 

[5146] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, mortale est una de differentiis constitutivis hominis. Sed, ut in 8 Metaph. dicitur, qualibet differentia apposita vel amota, fit alia species; sicut etiam numerus per additionem et subtractionem unitatis. Ergo si homo ante peccatum fuisset immortalis, fuisset alterius speciei: quod est inconveniens.

5. Être mortel fait partie des différences constitutives de l’homme. Or, comme on le dit en Métaphysique, VIII, une autre espèce apparaît par n’importe quelle différence ajoutée ou enlevée, comme un nombre par l’addition et la soustraction d’une unité. Si l’homme avait été immortel avant le péché, il aurait donc été d’une autre espèce, ce qui est inapproprié.

 

[5147] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, apostolus, Rom. 6, 23, dicit: stipendia peccati mors. Ergo homo ante peccatum mortuus non fuisset. Idem potest haberi ex hoc quod dicitur Sapient. 1, 13: Deus mortem non fecit (...) sed impii manibus et verbis accersierunt illam.

Cependant, [1] en Rm 6, 23, dit : La mort est le salaire du péché. Avant le péché, l’homme ne serait donc pas mort. On peut tirer la même conclusion de ce qui est dit dans Sg 1, 13 : Dieu n’a pas fait la mort…, mais les impies l’ont attirée par leurs mains et leurs paroles.

 

[5148] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, poena non praecedit culpam. Sed mors est maxima poenarum; unde a philosopho finis terribilium dicitur in 3 Ethic. Ergo ante peccatum mortuus non fuisset.

[2] La peine ne précède pas la faute. Or, la mort est la plus grande des peines ; aussi est-elle appelée par le Philosophe « la limite de la terreur », Éthique, III. Avant le péché, [l’homme] ne serait donc pas mort.

 

[5149] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, ut ex 2 Phys. habetur, ea quae sunt ad finem, instituuntur secundum rationem finis, ut patet praecipue in artificialibus. Cum ergo homo institutus esset ad finem beatitudinis excedentis omnem facultatem humanae naturae, oportuit quod in ipsa sui institutione aliquid sibi collatum fuerit supra facultatem principiorum naturalium. Ex principiis autem naturalibus esse perpetuum habere non potest, cum ex contrariis componatur, quod est causa corruptionis in rebus, cum forma materiam perficiat secundum ejus capacitatem. Unde hoc sibi supra conditionem naturae suae collatum fuit ut anima, quae in tam nobilem finem ordinabatur, secundum potestatem suam supra communem naturae ordinem quo materia recipit esse secundum sui conditionem, esse perpetuum materiae communicaret. Et quia haec potestas animae super corpus consequebatur ex ordinatione ejus in finem, non poterat impediri ejus effectus nisi per deordinationem ejus a fine, quae sine peccato esse non poterat: et quia peccare poterat, libero arbitrio nondum in justitia confirmato, poterat impediri ejus effectus, ut morte esse perpetuum interciperetur: et ideo quodammodo erat mortalis, inquantum poterat mori; et quodammodo immortalis, inquantum poterat non mori. Sed potentia moriendi non poterat reduci statim in actum, nisi praecedente immutatione animae secundum actum peccati: ideo simpliciter dicendus erat homo in statu illo immortalis, et mortalis non nisi secundum quid, scilicet si peccaret: quia, ut in 9 Metaphys. dicitur, illud dicitur simpliciter esse in potentia ad aliquid quod potest statim reduci in actum uno motore: sicut non dicimus quod ex terra possit fieri statua, sed ex cupro, quamvis ex terra fiat cuprum.

Réponse. Comme on le dit dans Physique, II, ce qui se rapporte à la fin est établi selon la raison de la fin, comme cela ressort principalement pour les œuvres d’art. Puisque l’homme a été établi pour la fin d’une béatitude qui dépasse toute capacité de la nature humaine, il fallait que, dès son établissement, quelque chose lui fût donné au-delà de la capacité de ses princicpes naturels. Or, il ne peut avoir un être perpétuel par ses principes naturels, puisqu’il est composé de contraires, ce qui est la cause de la corruption dans les choses, la forme perfectionnant la matière selon sa capacité. Au-delà la condition de sa nature, il lui a donc été donné que son âme, qui était ordonnée à une fin si noble, communique à la matière un être perpétuel, comme elle le pouvait et par-delà l’ordre commun de la nature par lequel la matière reçoit l’être selon sa condition, Et parce que ce pouvoir de l’âme sur le corps découlait de son orientation vers sa fin, son effet ne pouvait être empêché que par sa désorientation par rapport à la fin, qui ne pouvait survenir sans péché. Parce qu’il pouvait pécher, puisque son libre arbitre n’avait pas encore été confirmé dans la justice, l’effet [de l’âme] pouvait être empêché, de sorte que l’être perpétuel [de l’homme] serait emporté dans l’intervalle. C’est pourquoi il était mortel d’une certaine manière, dans la mesure où il pouvait mourir, et immortel d’une autre manière, dans la mesure où il pouvait ne pas mourir. Or, le pouvoir de mourir ne pouvait être aussitôt amené à l’acte que s’il était précédé par un changement de l’âme par l’acte du péché. Aussi fallait-il dire simplement que l’homme, dans cet état, était immortel, et mortel seulement de manière relative, à savoir, s’il péchait, car, ainsi qu’il est dit dans Métaphysique, IX, on dit que quelque chose est simplement en puissance à autre chose lorsque cela peut être aussitôt amené à l’acte par un seul moteur. Ainsi ne disons-nous pas qu’une statue peut être faite de terre, mais de cuivre, bien que le cuivre vienne de la terre.

 

[5150] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procederet, si compositum esse recepisset secundum conditionem materiae, et non secundum potestatem formae, cujus esse perpetuum est: et hoc idem animae in principio, super communem naturae cursum, collatum est.

1. Cet argument serait valable si le composé avait reçu l’être selon la condition de la matière, et non selon la capacité de la forme, dont l’être est perpétuel. Cela même a été donné à l’âme au commencement, par-delà le cours commun de la nature.

 

[5151] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam dicunt, quod nulla dissolutio vel perditio facta fuisset in corpore Adae, et cibus ab eo non sumebatur ad restaurationem deperditi, sed contra hunc defectum communem omni creaturae, qui est vertibilitas in nihil. Sed hoc ridiculum videtur: quia secundum hoc etiam corpora caelestia cibis indigerent, et etiam incorporeae substantiae: nec contra hunc defectum per cibos subvenitur, ut vel tollatur dependentia sui esse per cibum, vel saltem minuatur. Irrationabile autem est quod indiguerit propter defectum aliquem, propter quem illi defectui subveniri non possit. Et ideo dicendum est, quod cibus sumebatur ad restaurationem deperditi, et ad augmentum corporis in quantitate perfecta, et ad multiplicationem speciei per viam seminalem, secundum quod nutritiva augmentativae et vegetativae deservire dicitur: et ideo oportet ponere quod aliqua particularis deperditio in corpore Adae fieret; non tamen poterat subsequi dissolutio in toto propter virtutem regitivam corporis, quae erat ex parte animae, ut dictum est, sicut etiam in partibus mundi contingit elementorum in partibus corruptionem fieri; non autem in toto contingit elementa corrumpi, ex eo quod inferiorum corporum ordo virtute superiorum conservatur.

2. Certains disent qu’aucune dissolution ni perdition ne se serait produite dans le corps d’Adam et que la nourriture n’était pas prise par lui pour rétablir ce qui avait été perdu, mais contre cette déficience commune à toute créature, qui est la possibilité de retourner au néant. Or, cela semble ridicule, car, conformément à cela, les corps célestes aussi auraient besoin de nourriture, et même les substances incorporelles ; et on ne pare pas à cette déficience par les aliments, de sorte que la dépendance de son être soit enlevée ou tout au moins diminuée par la nourriture. Or, il est tout à fait déraisonnable qu’il ait eu un besoin en raison d’une carence à laquelle il n’aurait pu parer. Il faut donc dire que la nourriture était prise pour rétablir ce qui avait été perdu, pour la croissance du corps en quantité parfaite et pour la multiplication de l’espèce par voie séminale, comme il est dit de la [puissance] nutritive qu’elle est au service de la [puissance] de croissance et de la [puissance] végétative. C’est pourquoi il faut affirmer qu’il se produisait une perte particulière dans le corps d’Adam. Il ne pouvait cependant en découler une dissolution totale en raison de la puissance de gouvernement du corps qui venait de l’âme, comme on l’a dit, comme il arrive aussi dans les parties du monde qu’une corruption partielle des éléments se produise du fait que l’ordre des corps inférieurs est préservé par la puissance des [corps] supérieurs.

 

[5152] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si Adam non comedisset, moreretur: nec tamen mori poterat ante peccatum; quia hoc ipsum quod erat non comedere tempore determinato, fuisset sibi peccatum: tum quia erat contra praeceptum divinitus promulgatum, quo praeceptum erat sibi ut de omni ligno Paradisi comederet, Genes. 2, tum quia non existente praecepto, foret contra legem naturaliter insitam. Tempus autem determinatum comedendi non per experientiam defectus cognovisset, sed judicio rationis.

3. Si Adam n’avait pas mangé, il serait mort. Cependant, il ne pouvait mourir avant le péché, car le fait même de ne pas manger au temps déterminé aurait été un péché de sa part, tant parce que cela était contre un précepte promulgué par Dieu, précepte qui consistait en ce qu’il mange de tout arbre du Paradis, Gn 2, que parce que, si le précepte n’avait pas existé, cela aurait serait allé contre la loi implantée naturellement. Mais il aurait connu le temps déterminé pour manger, non par l’expérience d’une carence, mais par le jugement de la raison.

 

[5153] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod impossibile est quod de corruptibili in incorruptibile transmutatio fiat, vel e contrario, si sumantur ut opposita, idest supra eadem principia fundata. Incorruptibilitas autem illa quam primus homo habuit, non fuit in principiis naturae fundata, sed in virtute animae divinitus concessa: et ideo quando naturae suae derelictus est, mortem quam in natura sua habebat, necesse fuit in actum exire, quae quidem dictae immortalitati opposita non erat.

4. Il est impossible que se produise une transformation de quelque chose de corruptible en quelque chose d’incorruptible, ou le contraire, s’ils sont considérés comme des opposés, à savoir qu’ils sont fondés sur les mêmes principes. Mais l’incorruptibilité qu’avait le premier homme n’était pas fondée sur les principes de la nature, mais sur une puissance donnée à l’âme par Dieu. Aussi, lorsqu’il a été laissé à sa nature, était-il nécessaire que la mort qu’il avait dans sa nature passe à l’acte, elle qui n’était pas opposée à l’immortalité dont il a été question.

 

[5154] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 2 ad 5 Unde patet responsio ad quintum: quia illa immortalitas principia naturae, in quibus consistit mortalitas, non tollebat: unde nulla differentia constitutiva diminuitur: dicebatur enim homo tunc mortalis, prout mortale est differentia ejus, secundum quod ex conditione naturae suae mortem habuit.

5. La réponse au cinquième argument ressort ainsi clairement. Cette immortalité n’enlevait pas les principes de la nature sur lesquels repose la mortalité. Aussi aucune différence constitutive n’est-elle diminuée. En effet, on disait que l’homme était alors mortel pour autant que « mortel » est sa différence, selon que la mort était avec lui par la condition de sa nature.

 

 

 

 

Articulus 3 [5155] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 tit. Utrum corpus Adae fuerit passibile

Article 3 – Le corps d’Adam était-il passible ?

 

[5156] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod corpus Adae fuerit passibile. Sentire enim, secundum philosophum, quoddam pati est. Sed Adam habuit corpus sensibile. Ergo et passibile.

1. Il semble que le corps d’Adam était passible. En effet, selon le Philosophe, sentir, c’est subir [pati] d’une certaine manière. Or, Adam avait un corps sensible. [Son corps] était donc passible.

 

[5157] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, corpora superiora sunt causa motuum in inferioribus corporibus. Sed corpus Adae aliquo modo mutabile erat, ad minus secundum augmentum. Ergo erat receptivum impressionum superiorum corporum. Sed recipere impressionem agentis est pati. Ergo habuit corpus passibile.

2. Les corps supérieurs sont la cause des mouvements dans les corps inférieurs. Or, le corps d’Adam pouvait être mû d’une certaine manière, du moins, selon sa croissance. Il pouvait donc recevoir l’impulsion des corps supérieurs. Or, recevoir l’impulsion d’un agent, c’est subir. [Adam] avait donc un corps passible.

 

[5158] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, somnus est passio quaedam, et immobilitatio organorum sensibilium, ut philosophus ostendit. Sed Adam in primo statu dormivisset; unde Genes. 2, immissus in eo sopor a domino dicitur. Ergo corpus passibile habebat.

3. Le sommeil et l’immobilisation des organes des sens constituent d’une certaine manière une passion, comme le montre le Philosophe. Or, dans son premier état, Adam aurait dormi ; c’est ainsi qu’en Gn 2, un sommeil lui a été envoyé par le Seigneur. Il possédait donc un corps passible.

 

[5159] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, augmentum sine alteratione esse non potest, nec alteratio sine passione, ut in 1 de generatione dicitur. Sed corpus Adae erat augmentabile. Ergo et alterabile, et passibile.

4. Il ne peut y avoir croissance sans altération, ni altération sans passion, comme il est dit dans Sur la génération, I. Or, le corps d’Adam était susceptible de croissance. Il était donc altérable et passible.

 

[5160] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, omne molle obvians duro, oportet quod cedat sibi. Sed Adam habuit in carne sua mollitiem. Ergo ab aliquo corpore duro, ut securi, secari potuisset; similiter etiam uri, ut dicitur, ab excellenti calido; et sic de omnibus aliis passibilibus corporalibus.

5. Tout [corps] délicat qui rencontre un [corps] dur doit nécessairement lui céder. Or, Adam avait en sa chair une certaine délicatesse. Il aurait donc pu être coupé par un corps dur, telle une scie ; de même aurait-il pu brûler, comme on le dit, à cause d’un [corps] très chaud. Et ainsi de suite pour toutes les autres passibilités corporelles.

 

[5161] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, omnis passio magis facta abjicit a substantia, ut dicit philosophus. Sed quod abjicitur a substantia, est via in corruptionem. Ergo cum corpus Adae fuerit incorruptibile, non potuit simul esse passibile.

Cependant, [1] toute passion qui s’intensifie enlève à la substance, comme le dit le Philosophe. Or, ce qui est enlevé à la substance est un chemin vers la corruption. Puisque le corps d’Adam était incorruptible, il ne pouvait donc pas être en même temps passible.

 

[5162] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, cum semper patiens sit ignobilius agente, passio aliquem defectum importat in patiente. Sed corpus Adae nulli defectui subjici poterat. Ergo passibile non erat.

[2] Puisque ce qui subit [patiens] est toujours moins noble que ce qui agit [agens], la passion comporte une carence chez ce qui subit. Or, le corps d’Adam ne pouvait être soumis à aucune carence. Il n’était donc pas passible.

 

[5163] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod pati dicitur dupliciter: uno modo communiter, alio modo proprie. Communiter dicitur pati quidquid recipit aliquid quocumque modo; et sic cum omne recipiens careat eo quod recipit et sit in potentia ad illud, et e contrario omne quod est in potentia ad aliquid sit receptivum alicujus; a tali passibilitate nihil absolvitur, nisi illud quod est actus purus, scilicet Deus: omnis enim creatura passibilis dici potest, secundum quod alicujus perfectionis receptibilis est. Sed quia illud quod perfectionem recipit, non proprie dicitur passum vel alteratum, sed magis perfectum, ut in 7 Phys. dicitur, ideo proprie dicitur pati secundum quod passio sequitur alterationem qua aliquid transmutatur ab eo quod est sibi secundum naturam: sicut si aqua calefiat, vel aer inspissetur, et si corpus animalis infirmetur, non autem si sanetur. Primo ergo modo accepta passione, corpus Adae passibile erat; sed secundo modo accepta, tunc dicendum est, corpus ejus fuisse passibile secundum quid, scilicet si peccaret; et impassibile simpliciter, sicut de mortali et immortali dictum est supra, art. 2 in corp.

Réponse. On parle de subir [pati] de deux manières : d’une manière commune et d’une manière propre. On parle de subir de manière commune pour tout ce qui reçoit quelque chose de quelque manière que ce soit ; puisque tout ce qui reçoit est dépourvu de ce qu’il reçoit et est en puissance par rapport à cela, et que, en sens contraire, tout ce qui est en puissance à quelque chose est réceptif de quelque chose, rien n’est délié d’une telle passibilité que ce qui est acte pur, à savoir, Dieu. En effet, toute créature peut être appelée passible pour autant qu’elle est susceptible de recevoir une perfection. Mais parce qu’on ne dit pas au sens propre que ce qui reçoit une perfection a subi ou a été altéré, mais a plutôt été perfectionné, comme on le dit dans Physique, VII, on parle de subir [pati] au sens propre selon que la passion [passio] entraîne entraîne une altération, par laquelle quelque chose est changé par rapport à ce qui lui appartient par nature, comme lorsque l’eau est chauffée ou l’air alourdi, et le corps d’un animal est malade, mais non s’il guérit. En entendant « passion » au premier sens, le corps d’Adam était passible ; mais en l’entendant au second sens, il faut alors dire que son corps était passible de manière relative, à savoir, s’il péchait, et impassible simplement, comme on l’a dit plus haut à propos de mortel et d’immortel, a. 2, c.

 

[5164] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod duplex est passio. Una quae sequitur actionem naturae: quando scilicet species agentis recipitur in patiente secundum esse materiale, sicut quando aqua calefit ab igne. Alia quae sequitur actionem quae est per modum animae; quando scilicet species agentis recipitur in patiente secundum esse spirituale, ut intentio quaedam, secundum quem modum res habet esse in anima, sicut species lapidis recipitur in pupilla; et talis passio semper est ad perfectionem patientis; unde talem passionem non excludimus a corpore Adae.

1. Il existe une double passion. L’une qui découle de l’action de la nature, alors que l’espèce de l’agent est reçue par le patient selon un être matériel, comme lorsque l’eau est réchauffée par le feu. L’autre qui découle de l’action qui se réalise à la manière de l’âme, alors que l’espèce de l’agent est reçue dans le patient selon un être spirituel, telle une intention ; selon ce mode, la chose possède l’être dans l’âme, comme l’espèce de la pierre est reçue dans la pupille. Une telle passion vise toujours la perfection du patient. Aussi n’excluons-nous pas une telle passion du corps d’Adam.

 

[5165] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum motus superiorum corporum sit ut vita quaedam, quae inest natura existentibus omnibus, ut in 8 Phys. dicitur, passio illa secundum quam corpora inferiora superiorum impressionem recipiunt, est ad perfectionem et conservationem eorum; unde nec etiam talis passio a corpore Adae excluditur.

2. Comme le mouvement des corps supérieurs ressemble à une vie, qui est implantée par la nature dans tous les êtres, ainsi qu’on le dit dans Physique, VIII, la passion par laquelle les corps inférieurs reçoivent l’impulsion des [corps] supérieurs vise leur perfection et leur conservation. Aussi une telle passion n’est-elle pas non plus exclue du corps d’Adam.

 

[5166] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum quosdam homo in primo statu non dormivisset. Sed quia hoc ratione vel auctoritate firmari non potest, probabilius videtur ut ex quo vitam animalem habebat, ea quae talem vitam consequuntur sibi non deessent. Somnus autem quandoque convenit ex causa naturali, sicut ex vaporatione alimenti, vel ex humiditate cerebri, ut in prima aetate; et sic videtur utraque de causa potuisse esse somnum in primo statu: quandoque vero ex causa innaturali, sicut ex labore aut aegritudine; et sic non fuisset ibi somnus. Somnus enim quantum in se est, est passio ad perfectionem totius animalis pertinens, eo quod in somno intenduntur virtutes naturales, et quietantur virtutes animales, ut postmodum fortiores sint in actibus suis.

3. Selon certains, l’homme en son premier état n’aurait pas dormi. Comme cela ne peut s’appuyer sur la raison ou l’autorité, il semble plus probable que, du fait qu’il possédait une vie animale, ce qui découle d’une telle vie ne lui aurait pas fait défaut. Or, le sommeil convient parfois en raison d’une cause naturelle, comme en raison de l’évaporation d’un aliment ou de l’humidité du cerveau : c’est le cas dans la petite enfance. Il semble ainsi que le sommeil a pu se produire pour les deux causes dans le premier état. Mais, parfois, [le sommeil] provient d’une cause non naturelle, par exemple, de l’effort ou de la maladie : et ainsi n’y aurait-il pas eu là de sommeil. En effet, le sommeil en lui-même est une passion qui se rapporte à la perfection de l’animal tout entier, du fait que, dans le sommeil, les puissances naturelles se s’intensifient et que les puissances animales s’apaisent, afin que, par la suite, elles soient plus fortes dans leurs actes.

 

[5167] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in augmento est alteratio ejus quod additur, quia convertitur in substantiam ejus quod augetur; non autem oportet quod sit alteratio ejus cui additur, per quam a perfectione naturae suae transmutatur; et hoc quod augetur, est illud cui additur alimentum; unde ex augmento non potest concludi passibilitas corporis augmentati.

4. Dans la croissance, il y a une altération de ce qui est ajouté, car cela est converti en la substance de ce qui est augmenté ; mais il n’est pas nécessaire qu’il y ait une altération de ce à quoi on ajoute, par laquelle la perfection de sa nature est transformée. Et ce qui est augmenté est ce à quoi est ajouté l’aliment. On ne peut donc conclure de la croissance à une passibilité du corps accru.

 

[5168] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis caro Adae mollis esset et divisibilis, tamen per providentiam suam continebatur a tali passione, dum sibi a nocivis cavebat, quod si non faceret, peccaret. Sed per divinam providentiam ab omni violentia conservabatur illaesus.

5. Bien que la chair d’Adam ait été délicate et divisible, elle était cependant préservée d’une telle passion par sa prudence, alors qu’il évitait ce qui était nuisible ; s’il ne l’avait pas fait, il aurait péché. Mais il était préservé intact de toute violence par la providence divine.

 

 

 

 

Articulus 4 [5169] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 tit. Utrum homo in primo statu fuerit impassibilis et immortalis per naturam

Article 4 – En son premier état, l’homme était-il impassible et immortel ?

 

[5170] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod per naturam homo in primo statu erat impassibilis et immortalis. Ejusdem enim est infundere et continuare vitam. Sed anima naturaliter vitam corpori infundit. Ergo etiam naturaliter in perpetuum vitam in corpore continuasset.

1. Il semble que, dans son premier état, l’homme ait été impassible et immortel par nature. En effet, il relève de la même chose d’implanter et de continuer la vie. Or, l’âme implante naturellement la vie dans le corps. Elle aurait donc continué naturellement et pour toujours la vie dans le corps.

 

[5171] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, ut dicit Augustinus, 11 super Genes., et philosophus in 3 de anima, agens est nobilius patiente. Sed corpus Adae nobilissimum corporum erat. Ergo a nullo corpore pati poterat, ut corrumperetur, etiam secundum conditionem naturae suae.

2. Comme le disent Augustin, Commentaire littéral de la Genèse, XI, et le Philosophe, Sur l’âme, III, l’agent est plus noble que le patient. Or, le corps d’Adam était un corps très noble. Il ne pouvait donc rien subir de la part d’aucun corps, de sorte qu’il aurait été corrompu, et cela, même selon la condition de sa nature.

 

[5172] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, corruptio contingit in corporibus mixtis ex hoc quod aliquod elementorum praedominans harmoniam mixtionis dissolvit. Sed corpus Adae erat temperatissimum. Ergo videtur quod non poterat ibi sequi corruptio naturalis per excessum alicujus contrarii.

3. La corruption se produit dans les corps mixtes du fait qu’un des éléments dominants dissout l’harmonie. Or, le corps d’Adam était très tempéré. Il semble donc qu’une corruption naturelle par l’excès d’un contraire ne pouvait s’y produire.

 

[5173] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, corruptio naturalis animalium contingit ex consumptione humoris naturalis. Sed in corpore Adae, si aliquid deperdebatur, poterat per cibum assumptum restaurari, praecipue cum ipse quantitatem deperditi et virtutem cibi assumpti cognosceret, et in edendo modum conservaret. Ergo videtur quod nunquam naturaliter corruptus fuisset.

4. La corruption naturelle des animaux provient de la destruction d’une humeur naturelle. Or, dans le corps d’Adam, si quelque chose était détruit, il pouvait le restaurer en prenant de la nourriture, surtout qu’il connaîtrait la quantité de ce qui était détruit et la puissance de la nourriture prise, et qu’il en préserverait la mesure en mangeant. Il semble donc qu’il ne se serait jamais corrompu naturellement.

 

[5174] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, illa dicimus naturaliter evenire quae ex rationibus seminalibus rebus inditis consequuntur. Sed per virtutem ligni vitae immortalitatem consecutus fuisset, ut in littera dicitur. Ergo videtur, cum lignum illud esset corpus naturale, quod naturaliter vitam conservare potuisset.

5. Nous disons qu’arrivent naturellement les choses qui découlent des raisons séminales implantées dans les choses. Or, par la puissance de l’arbre de vie, il aurait obtenu l’immortalité, comme on le dit dans le texte. Il semble donc qu’il aurait pu conserver naturellement la vie, puisque cet arbre était un corps naturel.

 

[5175] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est, quia Dionysius dicit in 4 cap. de Div. Nom., quod data naturalia Daemones per peccatum non perdiderunt. Sed homo non amplius quam Daemon peccavit. Ergo si immortalitatem habuisset, eam nullatenus amisisset.

Cependant, [1] Denys dit, Les noms divins, IV, que les démons n’ont pas perdu leurs dons naturels par le péché. Or, l’homme n’a pas péché plus que le Démon. S’il avait possédé l’immortalité, il ne l’aurait donc perdu d’aucune façon.

 

[5176] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, differentiae consequuntur ex principiis essentialibus speciei. Sed mortale est differentia hominis. Ergo ex naturalibus principiis homo habet quod sit mortalis. Cum ergo natura speciei eadem sit ante peccatum et post; videtur quod ante peccatum etiam naturaliter mortalis erat.

[2] Les différences découlent des principes essentiels d’une espèce. Or, être mortel est une différence de l’homme. L’homme tient donc de ses principes naturels le fait d’être mortel. Puisque la nature de l’espèce est la même avant et après le péché, il semble donc qu’avant le péché, il était aussi naturellement mortel.

 

[5177] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod immortalitas illa et impassibilitas quam homo habuit in primo statu, non inerat sibi ex suis principiis naturae, ut dictum est, sed ex beneficio conditoris: unde naturalis proprie dici non potest, nisi forte naturale dicatur omne illud quod natura incipiens accepit. Sed contra multiplices modos corruptionis et causas, pluribus remediis a corruptione conservabatur. Est enim quadruplex modus quo corpora animalium corrumpuntur. Primus est, qui communiter invenitur in omnibus generabilibus et corruptibilibus, ex hoc quod res materiales habent virtutem finitam ad essendum; unde oportet quod omnes certa periodo corrumpantur, ut in 2 de Gener. dicitur. Secundus est communis omnibus corporibus mixtis, ex excessu inordinato alicujus contrariorum; et contra utrumque istorum defectum subveniebatur homini per quamdam virtutem animae collatam ad hoc ut secundum conditionem suam materiam perficeret; ut sicut ipsa anima habet esse indeficiens, ita indeficiens esse corpori tribueret et perpetuam aequalitatem complexionis. Tertium modum corruptionis proprium habent corpora animata, sicut et proprium modum generationis, ex hoc scilicet quod calor qui est instrumentum animae, humidum consumit in quo est vita: et contra hunc defectum subveniebatur sibi duplici beneficio: quia per esum aliorum lignorum Paradisi restaurabatur continua deperditio facta in corpore, sicut etiam in nobis fit per cibos quibus utimur. Sed quia illud quod ex nutrimento convertitur, non est adeo perfecte subserviens virtuti speciei sicut quod prius erat, eo quod virtutes naturales semper debilitantur in agendo: ideo in nobis oportet quod in fine sequatur diminutio quando virtus speciei adeo debilitatur propter mixtionem extranei quod non potest fieri tanta restauratio quanta fit consumptio; et sic in fine oportet consumptionem esse, ut philosophus in 1 de Gener. dicit: et ponit exemplum de vino, cui semper admiscetur aqua, quod tandem aquosum fit. Sed ad hoc subveniebat ei lignum vitae, cujus virtute divinitus concessa alimentum assumptum in perfectam assimilationem adducebatur: propter quod etiam a quibusdam dicitur, quod ad restaurationem humidi radicalis deperditi conferebat. Quartus autem modus corruptionis est per violentiam ab aliquo extrinseco agente, sicut per incisionem gladii vel adustionem ignis, et hujusmodi: et ab hoc modo corruptionis conservabat hominem illaesum divina providentia, per quam decretum erat ut nullum nocumentum homo pateretur in corpore, nisi prius a mentis innocentia deviasset.

Réponse. L’immortalité et l’impasssibilité que l’homme possédait en son premier état n’existaient pas en lui en vertu de ses principes naturels, comme on l’a dit, mais par un bienfait du Créateur. Elles ne peuvent donc être appelées naturelles au sens propre, à moins qu’on appelle naturel tout ce que reçoit une nature qui commence. Mais il était préservé de la corruption par plusieurs remèdes, selon les multiples formes et causes de corruption. En effet, il existe quatre manières d’être corrompus pour les corps des animaux. La première est celle qui se rencontre d’une manière générale dans tout ce qui est susceptible de génération et de corruption, du fait que les choses matérielles ont une capacité finie d’être ; aussi est-il nécessaire qu’elles soient corrompues à un certain moment, comme on le dit dans Sur la génération, II. La deuxième est commune à tous les corps mixtes en raison de l’excès désordonné d’un des contraires. Il était rémédié pour l’homme à la carence de ces deux choses par une certaine puissance donnée à l’âme pour qu’elle perfectionne la matière selon sa condition ; ainsi, puisque l’âme possédait un être inaltérable, de même donnerait-elle au corps un être inaltérable et une égalité de complexion perpétuelle. Les corps animés ont en propre le troisième mode de corruption, de même qu’un mode propre de génération, du fait que la chaleur, qui est l’instrument de l’âme, détruit l’humide dans lequel se trouve la vie. Contre cette carence, il était secouru par un double bienfait, car, en mangeant des autres arbres du Paradis, la déperdition continue qui se produisait dans le corps était restaurée, comme elle se réalise chez nous par les aliments dont nous faisons usage. Mais parce que ce qui est converti de la nourriture n’aide pas aussi parfaitement la puissance de l’espèce que ce qui existait auparavant, du fait que les puissances naturelles sont toujours affaiblies en agissant, il faut que, chez nous, découle une diminution, lorsque la puissance de l’espèce est tellement affaiblie, en raison du mélange de quelque chose d’extérieur, que la restauration ne peut pas être aussi grande que la dégradation. Ainsi, il faut qu’il y ait finalement une dégradation, comme le Philosophe le dit dans Sur la génération, I. Et il donne l’exemple du vin, auquel on mélangera tellement d’eau qu’il deviendra finalement aqueux. Mais l’homme était aidé pour cela par l’arbre de vie : par la puissance qu’il avait reçue de Dieu, l’aliment pris était porté à une assimilation parfaite ; pour cette raison, certains disent aussi qu’il contribuait à la restauration de l’humide en sa source. Mais le quatrième mode de corruption se réalise par la violence provenant d’un agent extérieur, comme par la coupure d’un glaive ou la brûlure du feu, et par des choses de ce genre. La providence divine préservait l’homme de ce mode de corruption ; il avait été décrété par elle que l’homme ne souffrirait aucune nuisance en son corps, à moins qu’il ne se soit auparavant écarté de l’innocence de l’esprit.

 

[5178] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod animae non est naturale infundere vitam nisi tali corpori, scilicet quod est sic complexionatum et organizatum; et manente tali dispositione corporis, vita continuatur ab anima. Sed hanc non est possibile semper durare secundum potestatem inferioris naturae; unde non oportet quod immortalitas sit naturalis.

1. Il n’est naturel à l’âme de donner la vie qu’à tel corps, à savoir, celui qui a telle complexion et telle organisation ; pourvu que demeure une telle disposition du corps, la vie se poursuit par l’âme. Mais, selon la puissance de la nature inférieure, il n’est pas toujours possible que [la vie] dure. Aussi n’est-il pas nécessaire que l’immortalité soit naturelle.

 

[5179] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod impossibile est aliquod mixtum esse in quo non praedominetur alterum contrariorum, multis de causis. Primo, cum naturae elementares se habeant quasi materialiter ad formam mixti, non posset mixtum consequi unam formam simpliciter nisi elementa aggregarentur in unum hoc modo quod unum sit formale et praedominans. Secundo, quia ad mixtionem exigitur elementorum alteratio, quam esse non contingeret, si ponerentur eorum aequales virtutes: oportet enim quod virtus alterantis virtutem alterati excedat. Tertio, quia nullum locum naturalem haberet, si nullum elementum in eo dominaretur; et ita nec motum naturalem: in quo deficeret a proprietate corporis naturalis. Quarto, quia in animatis specialiter calor est instrumentum animae, ut in 2 de anima dicitur; unde oportet calorem praedominari: et sic oportet quod in quolibet mixto tandem sequatur corruptio.

2. Il est impossible qu’existe un [corps] mixte dans lequel ne domine pas l’un des contraires, et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, comme les natures élémentaires jouent le rôle de matière pour la forme du [corps] mixte, celui-ci ne pourrait avoir simplement une seule forme, à moins que les éléments ne soient assemblés en une seule chose de telle manière que ce qui est un joue le rôle de forme et prédomine. Deuxièmement, parce que l’altéation des éléments est nécessaire au mélange : [cette altération] ne se produirait pas s’ils avaient des puissances égales. En effet, il est nécessaire que la puissance de ce qui altère dépasse la puissance de ce qui est altéré. Troisièmement, parce que [ce corps] n’aurait aucun lieu naturel, si aucun élément ne dominait en lui. Et ainsi, il n’aurait pas non plus de mouvement naturel ; il lui manquerait ainsi une propriété du corps naturel. Quatrièmement, parce que, dans les [corps] animés, la chaleur est l’instrument de l’âme, comme on le dit dans Sur l’âme, II. Il est donc nécessaire que la chaleur domine. Et ainsi, il est nécessaire qu’en tout [corps] mixte se produise une corruption.

 

[5180] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nihil prohibet, illud quod est nobilius simpliciter, esse minus nobile secundum aliquid; sicut caro humana, quae quidem secundum naturam suae speciei nobilior est gladio, tamen secundum proprietatem duri et mollis, est ignobilior, quia durum nominat potentiam naturalem respectu illius rei cujus molle impotentiam dicit; et eodem modo est ignobilior quam ignis, cum habeat in potentia calorem, quem ignis habet actu; actus vero semper potentia est nobilior; et ideo contingit corpus nobilius ab ignobiliori pati secundum naturam, ut corpus animalis ab igne.

3. Rien n’empêche que ce qui est plus noble simplement soit moins noble relativement ; ainsi, la chair humaine qui, selon la nature de son espèce, est plus noble que l’épée, est cependant moins noble selon la propriété de ce qui est dur et délicat, car être dur désigne une puissance naturelle par rapport à la chose dont sa délicatesse exprime son impuissance. De la même manière, [la chair humaine] est moins noble que le feu, puisqu’elle possède en puissance la chaleur que le feu possède en acte. Or, l’acte est toujours plus noble que la puissance. Aussi arrive-t-il qu’un corps plus noble subisse de la part d’un corps moins noble par nature, comme le corps de l’animal de la part du feu.

 

[5181] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod ex nutrimento in carnem convertitur, semper efficitur minus ac minus habens de virtute speciei; tum quia virtus naturalis ex actione debilitatur, eo quod agens simul patitur, ut in 6 Physic. dicitur; tum quia perfectius recipit virtutes speciei quod per se generatur quam quod generatur per admixtionem ad alterum; sicut vinum quod generatur in vite virtuosius est quam hoc quod aggeneratur ex additione aquae transumptae in vinum, ex cujus etiam admixtione totum vinum debilitatur: tum etiam quia omnis virtus quanto plus est unita, tanto efficacior est ad agendum; et quanto materia magis multiplicatur, tanto calor naturalis magis diffunditur, unde est minus potens ad convertendum; sicut etiam in libro 13 de animalibus dicit philosophus, quod animalia quae habent magnum cor, sunt timida; quia calor in magno corde est dispersus, et in parvo congregatus: et ideo in puero tantum de alimento convertitur quod sufficit non solum ad restaurationem deperditi, sed etiam ad augmentum; sed postea convertitur solum hoc quod ad restaurationem deperditi sufficit; tandem vero non tantum natura potest convertere quantum deperditur; unde oportet quod sequatur diminutio et tandem corruptio. Et ideo per virtutem naturalem hoc non potest contingere ut per sumptionem cibi vita hominis perpetuo conservetur.

4. Ce qui, de la nourriture, est converti en chair possède toujours de moins en moins la puissance de l’espèce, parce que la puissance naturelle est affaiblie par l’action, du fait que l’agent subit en même temps, comme on le dit dans Physique, VI. Aussi parce qu’il reçoit plus parfaitement les puissances de l’espèce qui est engendrée par soi, que de celle qui est engendrée par un mélange avec autre chose ; ainsi, le vin qui est engendré dans la vigne est plus puissant que celui qui est engendré par l’addition d’eau transformée en vin, mélange par lequel le vin tout entier est aussi affaibli. Aussi parce que toute puissance est d’autant plus efficace pour agir qu’elle est plus unifiée ; et plus la matière est multipliée, plus la chaleur naturelle est distribuée. Aussi est-elle moins puissante pour réaliser la conversion. Ainsi, dans Sur les animaux, XIII, le Philosophe dit-il que les animaux qui ont un gros cœur sont peureux, parce que la chaleur est dispersée dans le grand cœur et regroupée dans un petit. C’est pourquoi, chez l’enfant, la conversion de la nourriture est si grande qu’elle ne suffit pas seulement à la restauration de ce qui a été perdu, mais aussi à la croissance ; mais, par la suite, seulement ce qui suffit à la restauration de ce qui a été perdu est converti. Mais, à la fin, la nature ne peut convertir autant [de nourriture] que ce qui a été perdu ; aussi est-il nécessaire que s’ensuivent une diminution et, finalement, une corruption. C’est pourquoi il ne peut arriver par la puissance corporelle que, par l’absorption de nourriture, la vie de l’homme soit conservée pour toujours.

 

[5182] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod lignum vitae non erat principalis causa immortalitatis, sed coadjuvans ad continuationem vitae modo praedeterminato; ideo immortalitas non est judicanda naturalis propter virtutem ligni vitae; sed magis gratuita propter virtutem animae supra naturam collatam quae principalis causa immortalitatis erat. Et praeterea in rebus viventibus non dicitur aliquid naturale nisi quod ex principio intrinseco consequitur; quamvis etiam per actionem quarumdam rerum naturalium extrinsecus agentium aliquid in eis efficiatur, ut patet in unctione, et aliis similibus.

5. L’arbre de vie n’était pas la cause principale de l’immortalité, mais il contribuait à la continuation de la vie selon un mode prédéterminé. C’est pourquoi il ne faut pas estimer que l’immortalité était naturelle en raison de la puissance de l’arbre de vie, mais qu’elle était plutôt gratuite en raison d’une puissance conférée à l’âme par-delà sa nature, laquelle était la cause principale de l’immortalité. De plus, pour les vivants, on ne dit pas que quelque chose est naturel, à moins que cela ne découle d’un principe intrinsèque, bien que, aussi par l’action de certaines choses naturelles qui agissent de l’extérieur, quelque chose soit réalisé en elles, comme cela ressort de la friction et d’autres choses semblables.

 

 

 

 

Articulus 5 [5183] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 5 tit. Utrum immortalitas Adae fuerit eadem cum immortalitate resurgentium

Article 5 – L’immortalité d’Adam était-elle la même que l’immortalité des ressuscités ?

 

[5184] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod immortalitas Adae non sit eadem cum immortalitate resurgentium. Primo per hoc quod Augustinus dicit quod alia est immortalitas quam in Adam perdidimus, et alia quam per Christum in resurrectione speramus.

1. Il semble que l’immortalité d’Adam ne soit pas la même que l’immortalité des ressuscités. Premièrement, en raison de ce que dit Augustin, que « l’immortalité que nous avons perdue en Adam est différente de celle que nous espérons du Christ lors de la résurrection ».

 

[5185] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, de eodem in idem non est aliqua transmutatio. Sed infra dicetur, quod si Adam perstitisset, transferendus erat de immortalitate quam habebat, in spiritualem vitam. Ergo immortalitas spiritualis, qualis est resurgentium, non est eadem cum immortalitate Adae.

2. Il n’y a pas de transformation du même au même. Or, on dira plus loin que, si Adam avait persisté, il aurait été transféré de l’immortalité qu’il possédait vers une vie spirituelle. L’immortalité spirituelle, qui est celle des ressuscités, n’est donc pas la même que l’immortalité d’Adam.

 

[5186] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, impassibilitas resurgentium est quaedam ipsorum dos. Sed Adam in primo statu dotem non habuit, cum dos non debeatur nisi ei qui traducitur in domum caelestis sponsi per modum sponsae. Ergo et cetera.

3. L’impassibilité des ressuscités est une de leurs dots. Or, Adam ne possédait pas de dot en son premier état, puisque la dot n’est due qu’à celui qui est amené dans la maison de l’Époux céleste à la manière d’une épouse. Donc, etc.

 

[5187] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, ea quae causantur ex diversis principiis, oportet esse diversa. Sed immortalitas Adae causabatur ex innocentiae gratia; immortalitas autem resurgentium causabitur ex habitu gloriae in beatis. Ergo non eadem immortalitas est utrobique.

4. Ce qui est causé par des principes différents doit être different. Or, l’immortalité d’Adam était causée par la grâce de l’innocence ; mais l’immortalité des ressuscités sera causée par l’habitus de la gloire chez les bienheureux. L’immortalité n’est donc pas la même aux deux endroits.

 

[5188] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, immortalitas corporis consequitur libertatem arbitrii, secundum ejus diversum statum. Sed in omnibus statibus est eadem libertas arbitrii. Ergo eadem est immortalitas corporis in primo et ultimo resurgentium statu.

Cependant, [1] l’immortalité du corps découle du libre arbitre, selon ses différents états. Or, dans tous les états, la liberté de l’arbitre est la même. L’immortalité du corps dans le premier état et dans le dernier état des ressuscités sont donc les mêmes.

 

[5189] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, una et eadem potentia est quae prius disposita est, et postmodum efficitur necessitas. Sed corpus hominis in primo statu erat immortale, quasi secundum potentiam dispositam tantum, eo quod poterat mori et non mori; in ultimo vero statu erit immortale secundum potentiam quae est necessitas ad vitam, quia impossibile erit mori. Ergo est una et eadem immortalitas.

[2] C’est une seule et même puissance qui a d’abord été disposée et qui devient ensuite une nécessité. Or, le corps de l’homme en son premier état était immortel selon une puissance disposée seulement, du fait qu’il pouvait mourir et ne pas mourir ; mais, dans le dernier état, il sera immortel selon une puissance qui est nécessité de vivre, car il sera impossible de mourir. C’est donc une seule et même immortalité.

 

[5190] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod immortalitas dicit potentiam quamdam ad semper vivendum et non moriendum. Haec autem potentia in natura humana ex parte corporis non invenitur, nisi imperfecta, quasi potentia obedientiae tantum; eo quod per principia naturae, vitae sempiternitas haberi non potest; sed complementum hujus potentiae est ex aliquo divino munere gratis collato. Sic ergo immortalitas dupliciter considerari potest: vel quantum ad potentiam incompletam naturalem; et sic est una et eadem immortalitas, sicut una et eadem natura; vel quantum ad munus gratiae, quod est quasi formale complens dictam potentiam, et sic invenitur differentia utriusque immortalitatis et impassibilitatis; quia prima fuit per gratiam innocentiae, ultima vero erit per donum gloriae. In primo enim statu talis erat victoria animae super corpus ut nihil in corpore fieri posset quod animae adversaretur; sed in ultimo statu amplior erit victoria in hoc quod proprietates animae quodammodo in corpus redundabunt, ut corpus agile et lucidum et spirituale efficiatur, et impassibile.

Réponse. L’immortalité veut dire une certaine puissance de vivre toujours et de ne pas mourir. Or, du côté du corps, cette puissance ne se trouve dans la nature humaine que d’une manière imparfaite, sous forme d’une puissance d’obéir seulement ; [cela vient] de ce que l’éternité de la vie ne peut être obtenue par les principes de la nature, mais un complément à cette puissance vient d’un bienfait de Dieu gratuitement donné. L’immortalité peut donc être considérée de deux manières. Soit selon la puissance naturelle incomplète : l’immortalité est ainsi une et la même, comme la nature est une et la même ; soit selon le bienfait de la grâce, qui joue en quelque sorte le rôle de forme qui parfait cette puissance. Il existe ainsi une différence entre les deux immortalités et impassibilités, car la première venait de la grâce de l’innocence, mais la dernière viendra du don de la gloire. En effet, dans le premier état, la victoire de l’âme sur le corps était telle que rien d’opposé à l’âme ne pouvait être accompli dans le corps ; mais, dans le dernier état, la victoire sera encore plus grande du fait que les propriétés de l’âme rejailleront d’une certaine manière sur le corps, de sorte que le corps deviendra agile, lumineux et spirituel, et aussi impassibile.

 

[5191] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 5 ad arg. Et per hoc patet responsio ad utramque partem.

La réponse aux deux parties ressort ainsi clairement.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 19

 

[5192] Super Sent., lib. 2 d. 19 q. 1 a. 5 expos. In primo statu fuit corpus hominis animale. Videtur quod tale etiam erit in tertio statu, cum animal genus hominis sit, et semper de specie praedicetur. Et dicendum, quod differt animal et animale quantum ad nominis significationem; quia animal nominat naturam generis, quae a specie nunquam removetur, unde semper homo dicetur animal; sed animale dicit aliquod denominatum ex natura animalis. Cum autem denominatio proprie sit ab eo quod est formale et perfectivum rei, illi tantum animale esse competit in quo proprietates animalis quantum ad aliquod dominantur. Hae autem sunt in quibus homo cum aliis animalibus convenit: et ideo qui brutales motus sequitur, idest passiones sensitivae partis, animalis homo ab apostolo dicitur, 1 Corinth., 2. Quia ergo in primo statu hominem oportebat occupari circa opera nutritivae et generativae, sine quibus vitam conservare non poterat; ideo animalem vitam dicebatur habere. Corpus propter peccatum mortuum est. Videtur hoc esse falsum, et expositio insufficiens quae adjungitur: quia quod in futurum necessarium est, nondum tamen dicitur esse factum: ergo etsi ex peccato necessitatem mortis homo incurrat, non tamen corpus ejus mortuum dici debet. Et dicendum secundum quosdam, quod homo post peccatum est in continuo actu deficiendi usque ad mortem, secundum quod dicitur Sapient. 5, 13: continuo nati desivimus esse; et ideo statim homo mortuus potest dici. Sed hoc videtur redire in opinionem Heracliti, qui ponebat omnia moveri semper: volebat enim omnem transmutationem quae in longo tempore contingit, puta augmenti, dividere secundum omnes particulas temporis, ut in qualibet parte temporis esset assignare aliam partem motus, sicut est in motu locali qui solus proprie et vere continuus est, ut in 8 physicorum Commentator dicit, et hoc satis a philosophis improbatur. Praeterea non est possibile quod duo motus contrarii sint continui; unde cum generatio et corruptio sint contraria, oportet inter tempus generationis et corruptionis ejusdem rei esse aliquod tempus in quo non corrumpitur nec generatur. Et praeterea adhuc non debet dici mortuum, sed mori. Et ideo aliter dicendum est, quod expositio Augustini est sufficiens, ut scilicet ex hoc mortuum dicatur, quia necessitatem mortis habet: quod enim est in futurum necessarium, etsi nondum in actu in seipso, est tamen jam determinatum in causa sua, ut quodammodo possit dici esse. Unde et de ortu solis et luminarium, et occasu et eclipsibus fiunt demonstrationes, ut de his quae sunt semper: quia causas determinatas habent, quas non contingit aliquo modo deficere. Unde dicit Augustinus 9 super Genes., quod hoc modo dicitur corpus hominis post peccatum mortuum, sicut a medicis homo infirmus desperatus propter impossibilitatem evadendi dicitur mortuus. Quod autem dicitur: continuo nati desivimus esse, non est intelligendum quasi transmutatio corruptionis hominis sit toto tempore vitae ejus in actu: sed vel hoc dicitur propter brevitatem vitae (quod enim parum est, quasi nihil esse videtur, ut dicitur in 2 Physic.), vel quia dies ad vitam determinati a Deo, continue labuntur. Quod erat ei de ligno vitae. Videtur quod hoc dictum redeat in fabulas antiquorum, quas philosophus deridet et improbat in 3 Metaph., qui dicebant deos qui gustaverunt de quodam cibo, factos esse immortales, alios autem remansisse mortales. Sed dicendum, quod non est simile: quia illi fabulose totam causam immortalitatis cibo conferebant; Augustinus vero non intendit quod lignum vitae esset principalis causa immortalitatis, sed quoddam immortalitatem coadjuvans, ut dictum est. Numquid posset non mori? Ad hujus quaestionis solutionem sciendum, quod etsi praeceptum exterius non accepisset, tamen interior ratio dictabat determinato tempore cibum sumendum esse: et ideo si cibum non assumpsisset tam de illo ligno quam de aliis, contra legem naturalem fecisset, et ideo peccasset, et mortuus fuisset.

 

 

 

 

 

Distinctio 20

Distinction 20 – [La multiplication des iindividus par la génération]

 

Quaestio 1

Question 1 – [La génération aurait-elle existé dans le premier état ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[5193] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de immortalitate Adae per quam esse individui perpetuum conservabatur, hic determinat de generatione filiorum per quam species multiplicatur in individuis. Dividitur autem in partes duas: in prima determinat ea quae pertinent ad statum generationis; in secunda ostendit in quem statum post hoc transferendus erat, ibi: talis erat hominis institutio ante peccatum, secundum corporis conditionem. Prima dividitur in duas: in prima determinat conditionem generationis ex parte generantis; in secunda determinat qualitatem generatorum, ibi: si vero quaeritur quales, si non peccasset homo, filios genuisset (...) responderi potest, quod filios parvulos nasci oportebat propter materni uteri necessitatem. Circa primum tria facit: primo ostendit modum generationis, quia per concubitum sine pruritu libidinis. Secundo ostendit generationis principium, quia non in Paradiso conjuncti sunt ante peccatum ad generationem, ibi: cur ergo in Paradiso non coierunt; tertio inquirit generationis terminum, ibi: de termino vero temporis, quo transferrentur ad spiritualem caelestemque vitam, certum aliquid Scriptura non tradit. Si vero quaeritur, quales, si non peccasset homo, filios genuisset et cetera. Hic inquirit qualitatem generatorum, et primo quantum ad corpus; secundo quantum ad animam, ibi: et cum de corpore humano non sit absurdum vel inconveniens hoc existimare, quaeri solet, utrum de sensu animae et cognitione veritatis eodem modo sentiendum sit. Circa primum duo facit: primo determinat qualitatem natorum in primo statu; secundo movet quasdam objectiones, ibi: ad hoc autem opponitur. Circa primum tria facit: primo movet quaestionem; secundo ostendit eam esse dubitabilem, ex verbis Augustini, ibi: et super hoc Augustinus ambigue loquitur; tertio determinat ipsam, consentiendo in alteram partem, ibi: sed cum Augustinus sub assertione de his nihil tradat, non irrationabiliter quibusdam placuit primorum parentum filios nascituros parvos. Ad hoc autem opponitur. Hic movet objectiones contra determinata: et primo ostendendo quod comestione non indigebant; secundo quod cibum non sumebant, quia superfluum fuisset, ibi: item opponitur. Et utriusque patet solutio in littera. Et cum de corpore humano non sit absurdum vel inconveniens hoc existimare, quaeri solet, utrum de sensu animae et cognitione veritatis eodem modo sentiendum sit. Hic ostendit qualitatem natorum ex parte animae; et circa hoc tria facit: primo movet quaestionem; secundo determinat eam, ibi: illi qui sentiunt parvulos natos in statura corporis et usu membrorum per accessum temporis profecturos, non diffitentur eosdem in exordio nativitatis sensu imperfectos existere; tertio movet objectionem in contrarium, et solvit, ibi: ad quod quidam opponunt. Hic quaeruntur duo: primo de generatione primorum parentum. Secundo de qualitate natorum. Circa primum quaeruntur duo: 1 an generatio fuisset in primo statu; 2 quis modus generationis fuisset.

Après avoir déterminé de l’immortalité d’Adam, par laquelle l’être de l’individu était conservé pour toujours, le Maître détermine ici de la génération des enfants, par laquelle l’espèce se multiplie dans des individus. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de ce qui se rapporte à l’état de la génération ; dans la seconde, il montre en quel état il devait être transféré après cela, à cet endroit : « Tel était l’établissement de l’homme avant le péché selon la condition de son corps. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il détermine de la condition de la génération du point de vue de celui qui engendrait ; dans la seconde, il détermine de la qualité de ceux qui étaient engendrés, à cet endroit : « Mais si on demande l’état des enfants que l’homme aurait engendrés, s’il n’avait pas péché…, on peut répondre que les enfants devaient naître petits en raison des exigences du sein maternel. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre le mode de la génération, car [elle aurait eu lieu] par l’union sexuelle, sans la démangeaison d’un désir désordonné. Deuxièmement, il montre le principe de la génération, car [l’homme et la femme] ne se sont pas unis en vue de la génération dans le Paradis avant le péché, à cet endroit : « Pourquoi donc ne se sont-ils pas unis dans le Paradis ? » Troisièmement, il s’interroge sur le terme de la génération, à cet endroit : « À propos du terme temporel, où ils auraient été transférés dans une vie spirituelle et céleste, l’Écriture n’enseigne rien de certain. » « Mais si on demande l’état des enfants que l’homme aurait engendrés, etc. » Ici, il s’interroge sur la qualité de ceux qui seraient engendrés : premièrement, en leur corps ; deuxièmement, en leur âme, à cet endroit : « Comme il n’est pas absurde et inapproprié de penser cela du corps humain, on a coutume de se demander s’il faut penser de la même façon à propos du sens de l’âme et de la connaissance de la vérité. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la qualité de ceux qui seraient nés dans le premier état ; deuxièmement, il soulève certaines objections, à cet endroit : « Mais on oppose à cela… » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il montre que celle-ci peut être mise en doute, selon les paroles d’Augustin, à cet endroit : « À ce sujet, Augustin parle de manière ambiguë. » Troisièmement, il en détermine en se rangeant à la deuxième partie, à cet endroit : « Mais puisque Augustin n’enseigne rien en parlant de cela, il n’a pas paru inapproprié à certains que les enfants des premiers parents naissent petits. » « Mais on oppose à cela… » Ici, il soulève des objections contre ce qui a été déterminé : premièrement, en montrant qu’ils n’avaient pas besoin de manger ; deuxièmement, qu’ils ne prenaient pas de nourriture parce qu’elle aurait été superflue, à cet endroit : « De même, on objecte… » La réponse aux deux [objections] ressort clairement dans le texte. « Et comme il n’est pas absurde et inapproprié de penser cela du corps humain, on a coutume de se demander s’il faut penser de la même façon à propos du sens de l’âme et de la connaissance de la vérité. » Ici, il montre la qualité de ceux qui seraient nés du point de vue de leur âme. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il soulève une question. Deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « Ceux qui pensent que les enfants, nés petits par la stature du corps, auraient progressé dans l’usage de leurs membres à mesure que passait le temps n’hésitent pas à dire que les mêmes auraient possédé des sens imparfaits au commencement de leur naissance. » Troisièmement, il soulève une objection en sens contraire et il la résout, à cet endroit : « Certains opposent à cela… » Ici, deux questions sont posées : premièrement, à propos de la génération des premiers parents ; deuxièmement, à propos de la qualité de ceux qui seraient nés. À propos de la première, deux questions sont posées : 1. La génération aurait-elle existé dans le premier état ? 2. Quel aurait été le mode de la génération ?

 

 

 

 

Articulus 1 [5194] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 1 tit. Utrum in statu innocentiae fuisset generatio

Article 1 – La génération aurait-elle existé dans le premier état ?

 

[5195] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in statu innocentiae generatio non fuisset. Generatio enim non est nisi ad multiplicationem individuorum. Sed, sicut dicit Damascenus, poterat Deus genus hoc, scilicet humanum, sine generatione multiplicare. Cum ergo via compendiosior semper eligenda sit, videtur quod generatio non fuisset.

1. Il semble que, dans l’état d’innocence, la génération n’aurait pas existé. En effet, la seule fin de la génération est la multiplication des individus. Or, comme le dit [Jean] Damascène, « Dieu pouvait multiplier ce genre, à savoir, le genre humain, sans génération ». Puisque le chemin le plus court doit toujours être choisi, il semble donc que la génération n’aurait pas eu lieu.

 

[5196] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, omne generabile est corruptibile, et e converso, ut probat in 1 caeli et Mund. Sed corpora humana in primo statu erant incorruptibilia. Ergo videtur quod per generationem in esse non producerentur.

2. Selon le Philosophe, tout ce qui est susceptible d’être engendré est susceptible d’être corrompu, et inversement, comme il le prouve dans Sur le ciel et le monde, I. Or, les corps en leur premier état étaient incorruptibles. Il semble donc qu’ils n’auraient pas été amenés à l’être par la génération.

 

[5197] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, finis generationis, ut philosophus in 2 de anima ostendit, est ut id quod non potest conservari in esse perpetuo idem in numero, perpetuetur in esse secundum idem specie. Sed corpus humanum secundum idem in numero in perpetua vita conservari potuisset in statu innocentiae. Ergo videtur quod generatio non fuisset, cum in operationibus Dei nihil sit frustra.

3. Comme le montre le Philosophe dans Sur l’âme, II, la fin de la génération est que ce qui ne peut être perpétuellement préservé dans l’être en étant numériquement le même, soit perpétué dans l’être en étant le même selon l’espèce. Or, dans l’état d’innocence, le corps humain aurait pu être maintenu dans une vie perpétuelle, en étant le même numériquement. Il semble donc qu’il n’y aurait pas eu de génération, puisque rien n’existe sans raison dans les actions de Dieu.

 

[5198] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, eorum quae sunt idem in specie est etiam unus modus originis. Sed primi parentes non sunt producti in esse per generationem naturalem, sed per operationem divinam. Ergo et eorum posteritas sine generatione naturali propaganda esset.

4. Les choses qui sont identiques selon l’espèce ont aussi un seul mode d’origine. Or, les premiers parents n’ont pas été amenés à l’être par la génération naturelle, mais par une opération divine. Leur postérité devait donc aussi se propager sans la génération naturelle.

 

[5199] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Genes., 1, 28: crescite et multiplicamini, et replete terram. Sed imperium ad aliquos factum, non est nisi de actibus quorum ipsi sunt causa. Ergo multiplicationis humani generis primi parentes naturali generatione causa fuissent.

Cependant, [1] il est dit en Gn 1, 28 : Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre. Or, le commandement adressé à certains ne porte que sur les actions dont ils sont eux-mêmes la cause. Les premiers parents auraient donc été la cause de la multiplication du genre humain par la génération naturelle.

 

[5200] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, imago divinitatis in homine per innocentiam in nullo diminuta fuisset. Sed in hoc quodammodo homo divinae imaginis similitudinem gerit quod omnium sui generis principium est. Ergo in statu innocentiae per generationem naturalem principium fuisset posterorum.

[2] L’image de Dieu dans l’homme n’aurait en rien été diminuée par l’innocence. Or, l’homme représente d’une certaine manière une ressemblance à l’image de Dieu, du fait qu’il est le principe de tous ceux qui sont de sa lignée. Dans l’état d’innocence, [l’homme] aurait donc été, par la génération naturelle, le principe de ceux qui venaient après lui.

 

[5201] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod per peccatum natura specie variata non est; unde quaecumque ad perfectionem humanae speciei pertinent oportet homini in statu innocentiae attribuere. In omnibus autem per naturam generabilibus et corruptibilibus ad perfectionem pertinet ut unumquodque tale alterum facere possit quale ipsum est, ut in 4 Meteor. dicit philosophus; et ideo oportet in natura humana ponere aliquem statum naturalis generationis etiamsi in ea nunquam peccatum fuisset; et hic est status innocentiae, post quem homines transferendi erant in statum gloriae ubi omnino generationis cessat officium ut dicitur Matth. 22, 20: in resurrectione neque nubent, neque nubentur.

Réponse. La nature n’a pas été changée par le péché : aussi faut-il attribuer à l’homme, dans l’état d’innocence, tout ce qui relève de la perfection de l’espèce humaine. Or, chez tous ceux qui sont susceptibles d’être engendrés et corrompus, il relève de la perfection que chacun puisse en faire un autre qui soit semblable à lui-même, comme le dit le Philosophe dans Les météores, IV. Aussi est-il nécessaire de reconnaître à la nature humaine un état de la génération naturelle, même s’il n’y avait jamais eu de péché en elle. Tel est l’état d’innocence, après lequel les hommes devaient être transférés dans l’état de la gloire, où cesse complètement la fonction de la génération, comme le dit Mt 22, 30 : Dans la résurrection, on ne marie pas et on ne se marie pas.

 

[5202] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis potuisset sine operatione alicujus naturalis principii humanum genus multiplicare, tamen hoc velut magis congruum ex ordine suae sapientiae decrevit ut rebus omnibus operationes proprias conferret, in quibus earum perfectio consistit: quia tanto in eis divina bonitas magis relucet, quanto res perfectiores sunt.

1. Bien que [Dieu] eût pu multiplier le genre humain sans l’opération d’un principe naturel, il a cependant décidé, selon l’ordre de sa sagesse, qu’il était plus approprié de donner à toutes les choses des opérations propres, dans lesquelles consiste leur perfection, car la bonté divine brille d’autant plus en elles que les choses sont plus parfaites.

 

[5203] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod corpus humanum quamvis in statu innocentiae fuerit incorruptibile per gratiam innocentiae, erat tamen corruptibile per naturam; et ideo naturali virtute ad generandum non privabatur: quia etsi quodam modo immortalis esset, ut posset non mori; alio tamen modo mortalis erat, quia poterat etiam mori.

2. Bien que, dans l’état d’innocence, le corps humain ait été incorruptible par la grâce de l’innocence, il était cependant corruptible par nature. C’est pourquoi il n’était pas privé de la puissance naturelle d’engendrer, car, même s’il était immortel d’une certaine manière, de sorte qu’il pouvait ne pas mourir, il était cependant mortel d’une autre manière, car il pouvait aussi mourir.

 

[5204] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omne perpetuum est per se intentum in natura; unde secundum quod aliqua se habent ad perpetuitatem, hoc modo sunt de intentione naturae. Quaedam igitur sunt quae non habent perpetuitatem nisi ratione speciei; et in his multiplicatio individuorum non est per se intenta a natura, sed per accidens, prout scilicet in tali multiplicatione speciei perpetuitas conservatur; unde in his non est generatio nisi ut conservetur idem secundum speciem, quod secundum numerum idem conservari non potest. In hominibus autem secus est: quia quantum ad aliquam partem sui, scilicet animam, incorruptibilitatem habent etiam secundum naturam: et ideo hominum multiplicatio est per se intenta, etiam sine hoc quod ad conservationem speciei pertinet.

3. Tout ce qui est perpétuel est voulu par nature ; aussi, le rapport que certaines choses ont avec la perpétuité est-il le même que celui qu’elles ont avec l’intention de la nature. Il y a donc certaines choses qui ne possèdent la perpétuité qu’en raison de leur espèce ; pour celles-ci, la multiplication des individus est voulue par la nature, mais par accident, à savoir, pour autant que, par une telle multiplication, la perpétuité de l’espèce est conservée. Aussi la génération n’existe-t-elle en elles que pour que soit conservée identique selon l’espèce une chose qui ne peut être conservée numériquement identique. Mais, chez les hommes, il en va autrement, car, pour une part d’eux-mêmes, l’âme, ils possèdent l’incorruptibilité même selon leur nature. C’est pourquooi la multiplication des hommes est voulue par soi, même sans ce qui se rapporte à la conservation de l’espèce.

 

[5205] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in primis operibus natura instituenda erat; et ideo oportebat illa opera immediate a principio supernaturali esse: sed postmodum natura instituta in proprios effectus per naturalem operationem pervenire poterat; et hoc de perfectione ipsius erat.

4. Dans les premières œuvres, la nature avait été établie. C’est pourquoi il fallait que ces œuvres viennent de manière immédiate d’un principe surnaturel. Mais, par la suite, la nature établie pouvait parvenir à ses effets propres par une opération naturelle, et cela faisait partie de sa propre perfection.

 

 

 

 

Articulus 2 [5206] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 tit. Utrum in statu innocentiae fuisset generatio per coitum

Article 2 – Dans l’état d’innocence, la génération se serait-elle réalisée par l’union sexuelle ?

 

[5207] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in primo statu non fuisset generatio per coitum. Non enim potest esse coitus sine virginitatis corruptione. Sed indecens erat in primo statu virginitatis corruptionem fuisse, quando humana natura omnino integra erat, et nulla dignitate privanda. Ergo videtur quod non fuisset ibi generatio per coitum.

1. Il semble que, dans le premier état, il n’y aurait pas eu de génération par l’union sexuelle. En effet, l’union sexuelle ne peut exister sans corruption de la virginité. Or, dans le premier état, il était inapproprié qu’il y ait corruption de la virginité, alors que la nature humaine était intacte et qu’elle ne devait être privée d’aucune dignité. Il semble donc qu’il n’y aurait pas eu de génération par l’union sexuelle.

 

[5208] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in meliori natura major est delectatio, quia et major consensus convenientis cum convenienti, ex quo causatur delectatio. Sed natura humana in primo statu purior erat quam post peccatum. Cum ergo post peccatum delectatio quae est in coitu, propter suam magnitudinem usum rationis absorbeat, videtur quod multo amplius in statu innocentiae fuisset: et ita fuisset perversitas ordinis in partibus animae, quam originalis justitia non patiebatur.

2. La délectation est plus grande dans une nature meilleure, car l’accord entre ceux qui s’unissent, par lequel la délectation est causée, est plus grand. Or, la nature humaine en son premier état était plus pure qu’après le péché. Puisque, après le péché, la délectation qui existe dans l’union sexuelle absorbe l’usage de la raison par son intensité, il semble donc qu’à bien plus forte raison elle aurait existé dans l’état d’innocence, et ainsi il y aurait eu une perversion de l’ordre entre les parties de l’âme, que la justice originelle ne supportait pas.

 

[5209] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 3 Si dicatur, quod ratio poterat illam delectationem comprimere; contra. Generativa et nutritiva potentia et augmentativa ad eamdem partem animae reducuntur, quia sunt potentiae vegetabilis animae. Sed ratio imperare non poterat nutritivae et augmentativae, ut sine cibo homo nutriri et augeri posset. Ergo nec generativae, ut delectatio actui ejus conveniens remitteretur.

3. Si on dit que la raison pouvait contenir cette délectation, on objectera que les puissances de génération, de nutrition et de croissance se ramènent à la même partie de l’âme, car elles sont des puissances de l’âme végétative. Or, la raison ne pouvait pas commander aux puissances de nutrition et de croissance, de telle sorte que l’homme pourrait se nourrir et croître sans nourriture. [Elle ne pouvait] donc pas non plus [commander] à la puissance génératrice, de sorte que la délectation qui convient à son acte soit diminuée.

 

[5210] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, generatio quae est per coitum, completur per decisionem seminis. Sed in corporibus naturalibus decisio est inductiva corruptionis. Ergo cum corpus humanum in primo statu incorruptibile foret, talis generationis modus ibi esse non poterat.

4. La génération par l’union sexuelle s’accomplit par la séparation de la semence. Or, chez les corps naturels, la séparation conduit à la corruption. Puisque le corps humain en son premier état devait être incorruptible, un tel mode de génération ne pouvait donc y exister.

 

[5211] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, secundum philosophum in 15 de animalibus, semen est superfluum alimenti. Sed omnis superfluitas nutrimenti assumpti inordinationi attestatur, quae in primo statu esse non poterat. Ergo nec talis generationis modus.

5. Selon le Philosophe, Sur les animaux, XV, la semence est le superflu des aliments. Or, tout superflu dans la prise de nourriture témoigne d’un désordre, qui ne pouvait exister dans le premier état. Donc, ni un tel mode de génération.

 

[5212] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, aliae superfluitates alimenti, ut egestiones, urinae, et hujusmodi, ut videtur, in primo statu non fuissent, cum turpitudinem quamdam habeant, quae sine poena esse non potest. Ergo cum eadem sit ratio de uno superfluo et de aliis, videtur quod nec generatio per seminis decisionem ibi fuisset, cum semen sit superfluum, ut dictum est.

6. Les autres superflus de nourriture, comme les déjections, l’urine et ceux de ce genre, n’auraient pas existé dans le premier état, semble-t-il, puisqu’ils comportent une certaine honte, qui ne peut exister sans une peine. Puisque la raison d’un superflu et des autres est la même, il semble donc que la génération par séparation de la semence n’y aurait pas non plus existé, puisque la semence est un superflu, comme on l’a dit.

 

[5213] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Genes. 1, 27: masculum et feminam creavit eos. Sed distinctio sexuum est ordinata in animalibus ad generationem quae est per coitum. Ergo talis modus generationis ibi fuisset.

Cependant, [1] Gn 1, 27 dit en sens contraire : Il les créa mâle et femelle. Or, la distinction des sexes est ordonnée chez les animaux à la génération qui se réalise par l’union sexuelle. Un tel mode de génération y aurait donc existé.

 

[5214] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum id quod commune est, non attenditur aliquorum differentia. Sed in virtute generativa homo convenit cum aliis animalibus. Ergo cum in animalibus perfectis, quibus perfectior est homo, sit generatio per coitum, videtur quod etiam hominibus talis modus generationis connaturalis sit.

[2] On ne relève pas de différence entre des choses selon ce qui leur est commun. Or, l’homme a en commun avec les autres animaux la puissance génératrice. Puisque, chez les animaux parfaits, parmi lesquels l’homme est le plus parfait, la génération se réalise par l’union sexuelle, il semble donc que, chez les hommes aussi, un tel mode de génération soit connaturel.

 

[5215] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ad quamlibet generationem oportet duo concurrere: scilicet agens quod inducit formam, et patiens quod offert materiam; nec haec duo in idem reducuntur, cum nihil patiatur vel moveatur a seipso: in omnibus enim viventibus perfectis in quibus est sexus distinctio, femina se habet ut patiens et materiam ministrans, et mas se habet ut agens et formam inducens, ut in 15 de animalibus dicitur. Unde non poterat compleri generatio humana nisi per conjunctionem maris et feminae; propter quod mulier in adjutorium viri facta dicitur, Gen. 2.

Réponse. Deux choses doivent se retrouver en toute génération : un agent qui apporte la forme, et un patient qui offre la matière, et que ces deux choses ne soient pas ramenées à une même chose, puisque rien ne subit ou n’est mû par soi-même. En effet, chez tous les vivants parfaits où existe une distinction des sexes, la femelle a le rôle de patient qui fournit la matière, et le mâle a le rôle d’agent qui apporte la forme, comme on le dit dans Sur les animaux, XV. La génération humaine ne pouvait donc s’accomplir que par l’union de l’homme et de la femme, raison pour laquelle il est dit que la femme a été créée comme une aide pour l’homme, Gn 2.

 

[5216] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad perfectionem virginitatis duo concurrunt; scilicet integritas carnis cum integritate mentis; quorum alterum, scilicet integritas mentis, honorabilius est, reliquum virginitati essentialius. Dicendum ergo, quod in omni concubitu solvitur virginitas quantum ad integritatem carnis etiam in primo statu. Sed integritatem mentis contingit solvi dupliciter: vel quantum ad habitum; et sic solvitur per illicitum concubitum, qui tollit habitum castitatis; vel quantum ad actum; et sic in statu post peccatum solvitur etiam per concubitum matrimonialem, eo quod propter vehementiam delectationis ratio in ipso actu absorbetur. In primo vero statu, neutro modo integritas mentis soluta fuisset; sed sola integritas carnis, cui praeponderasset fecunditas prolis.

1. Deux choses concourent à la perfection de la virginité : l’intégrité de la chair associée à l’intégrité de l’esprit ; la seconde, l’intégrité de l’esprit, est quelque chose de plus honorable, un reliquat plus essentiel pour la virginité. Il faut donc dire qu’en toute union sexuelle, la virgnité est rompue pour ce qui est de l’intégrité de la chair, même dans le premier état. Mais il arrive que l’intégrité de l’esprit soit rompue de deux manières : par un habitus, et ainsi elle est rompue par une union sexuelle interdite et qui enlève l’habitus de la chasteté ; par un acte, et ainsi elle est rompue dans l’état postérieur au péché, même dans l’union sexuelle conjugale, du fait qu’en raison de l’intensité de la délectation, la raison est absorbée par l’acte même. Mais, dans le premier état, l’intégrité de l’esprit n’aurait été rompue d’aucune des deux manières, mais seulement l’intégrité de la chair, sur laquelle l’emporte la fécondité d’une descendance.

 

[5217] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantitas alicujus potest attendi dupliciter: vel absolute, vel secundum proportionem. Dicendum ergo, quod absolute loquendo major delectatio coitus fuisset in primo statu quam etiam modo sit; sed secundum proportionem ad rationem, fuisset multo minor: quia ratio in suo actu fortiter persistens, delectationi penitus dominaretur; et ideo non fuisset superabundans vel fervens delectatio, sicut modo est: quia, secundum philosophum in 2 Ethic., abundantia et defectus in operibus humanis sumitur secundum proportionem, ut aliquis cibus est moderatus uni, qui esset superfluus alteri.

2. La quantité de quelque chose peut être envisagée de deux manières : de manière absolue et de manière proportionnelle. Il faut donc dire qu’à parler de manière absolue, le plaisir de l’union sexuelle aurait été plus grand dans le premier état qu’il ne l’est même maintenant. Mais, par proportion avec la raison, il aurait été beaucoup moindre, car la raison, persistant avec force dans son acte, l’aurait complètement emporté sur le plaisir. C’est pourquoi il n’aurait pas été aussi surabondant ou intense que maintenant, car, selon le Philosophe, Éthique, II, l’abondance et la carence dans les actes humains se prennent selon une proportion, de telle sorte qu’un aliment peut être modéré pour l’un, alors qu’il serait superflu pour un autre.

 

[5218] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentiae animae vegetabilis in actibus propriis non obediunt rationi, ut in 1 Ethic. dicitur; sed quidam actus sunt sensitivae partis vel motivae, ordinati ad actus vegetativae; et isti actus subjacent rationis imperio. Delectatio autem non est per se ad generativam pertinens, sed ad sensitivam: quia, secundum definitionem Platonis, delectatio est generatio sensibilis in natura, idest naturae conveniens.

3. Les puissances de l’âme végétative n’obéissent pas à la raison pour leurs actes propres, comme on le dit dans Éthique, I ; mais il existe certains actes de la partie sensible ou motrice, qui sont ordonnés aux actes de l’âme végétative : ces actes sont soumis au commandement de la raison. Or, le plaisir ne se rapporte pas de soi à la partie génératrice, mais à la partie sensible, car, selon la définition de Platon, la délectation est la génération [de la partie] sensible dans la nature, c’est-à-dire qui convient à la nature.

 

[5219] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod emissio seminis non est per decisionem alicujus quod fuerit in actu pars: quia sic corrumperetur, et non haberet virtutem speciei, ut in 15 de animalibus dicitur: sed est per quamdam resolutionem cujusdam humiditatis propinquissimae ad ultimam conversionem, quae non est actu pars, sed potentia totum; unde per hoc nihil corporis humani corrumpebatur.

4. L’écoulement de la semence ne se réalise pas par séparation de quelque chose qui était une partie en acte, car ainsi elle se corromprait et ne posséderait pas la puissance de l’espèce, comme on le dit dans Sur les animaux, XV. Mais il se réalise par la dissolution d’une humidité très rapprochée de la conversion ultime, qui n’est pas une partie en acte, mais un tout en puissance. Aussi rien du corps humain n’était-il corrompu par cela.

 

[5220] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, sicut philosophus dicit in 15 de animalibus, semen est superfluum quo indigetur: quia superest de eo quod per actum nutritivae in substantiam membrorum convertitur; unde superfluum dicitur: et tamen indigetur eo ad generationem; unde tale superfluum inordinatam cibi sumptionem non ostendit: tantum enim homo ordinate de cibo sumere poterat, quantum necessarium erat ad actum nutritivae, augmentativae, et generativae.

5. Comme le dit le Philosophe dans Sur les animaux, XV, la semence est un superflu dont on a besoin, car elle est un reliquat de ce qui est converti en la substance des membres par l’acte de la [partie] nutritive. C’est pour cela qu’elle est appelée un superflu. Toutefois, on a besoin d’elle pour la génération ; aussi un tel superflu ne montre-t-il pas une prise de nourriture désordonnée. En effet, l’homme pouvait prendre de manière ordonnée autant de nourriture qu’il était nécessaire pour l’acte des [parties se rapportant à la] nutrition, à la croissance et à la génération.

 

[5221] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quaedam superfluitates sunt quae attestantur defectui naturae, ut putredines, sudores, et hujusmodi; et tales superfluitates in primo statu esse non poterant; quaedam vero superfluitates naturae perfectionem ostendunt, sicut semen, et egestiones, et hujusmodi, quae secundum cursum naturalem fiunt tanto melius, quanto robustior natura fuerit; unde etiam ad virtutem naturalem reducuntur, scilicet expulsivam; et tales superfluitates in primo statu fuissent, licet absque omni foeditate.

6. Certains superflus témoignent d’une carence de la nature, comme les mauvaises odeurs, la sueur et les choses de ce genre. De tels superflus ne pouvaient exister dans le premier état. Mais certains superflus montrent la perfection de la nature, comme la semence, les évacuations et les choses de ce genre : selon le cours naturel, ils se produisent d’autant mieux que la nature aura été plus vigoureuse. Aussi se ramènent-ils à une puissance naturelle : [la puissance] d’expulsion. De tels superflus auraient existé dans le premier état, bien que sans aucune honte.

 

Quaestio 2

Question 2 – [La qualité corporelle des enfants]

 

Prooemium

Prologue

 

[5222] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 pr. Deinde quaeritur de qualitate natorum; et circa hoc quaeruntur tria: 1 quales fuissent secundum corpus; 2 quales fuissent secundum intellectum in cognitione veritatis; 3 quales fuissent secundum affectionem in amore virtutis.

On s’interroge ensuite sur la qualité des enfants. À ce sujet, trois questions sont posées : 1. Comment auraient-ils été en leur corps ? 2. Comment auraient-ils été, selon leur intelligence, pour la connaissance de la vérité ? 3. Comment auraient-ils été, selon leur affectivité, pour l’amour de la vertu ?

 

 

 

 

Articulus 1 [5223] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 tit. Utrum in statu innocentiae homines habuissent omnem perfectionem corporis quo ad virtutem et staturam et sexum, statim post nativitatem

Article 1 – Dans l’état d’innocence, les hommes auraient-ils eu, aussitôt après leur naissance, toute la perfection corporelle pour ce qui est la force, de la stature et du sexe ?

 

[5224] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod homines in statu innocentiae statim nati, omnem perfectionem corporis habuissent et quantum ad staturam, et quantum ad sexum. Sicut enim philosophus dicit in 16 de animalibus, mulier est vir occasionatus. Illud autem occasionatum dicitur quod non est per se intentum, sed ex aliqua corruptione vel defectu proveniens. Cum ergo in primo statu nullus defectus naturalis operationis fuisset, videtur quod omnes nati fuissent in perfecto sexu, scilicet virili.

1. Il semble que, dans l’état d’innocence, les hommes auraient eu, aussitôt nés, toute la perfection corporelle pour ce qui est de la stature et pour ce qui est du sexe. En effet, comme le dit le Philosophe dans Sur les animaux, XVI, la femme est un homme par accident. En effet, on appelle par accident ce qui n’est pas voulu par soi, mais provient d’une corruption ou d’une carence. Puisque, dans le premier état, il n’y aurait eu aucune carence naturelle de l’opération, il semble donc que tous les enfants auraient eu le sexe parfait, à savoir, le sexe masculin.

 

[5225] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, agens perfectum inducit similitudinem suam in patiente, nisi sit defectus ex parte recipientis. Sed in generatione hominum semen maris est agens, et sanguis mulieris est materia et patiens. Cum ergo ex neutra parte in statu innocentiae aliquis defectus fuisset, videtur quod semper proles in similitudinem patris producta fuisset in sexu virili.

2. L’agent parfait donne au patient sa ressemblance, à moins qu’il n’y ait une carence du côté de ce qui reçoit. Or, dans la génération des hommes, la semence de l’homme est l’agent, et le sang de la femme est la matière ou le patient. Puisque, dans l’état d’innocence, il n’y aurait eu aucune carence des deux côtés, il semble donc que l’enfant aurait toujours été de sexe masculin.

 

[5226] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, magis distat limus terrae ab humano corpore quam materia a muliere administrata ad formationem conceptus in naturali generatione. Sed primus homo de limo terrae formatus, statim in perfecta quantitate et virtute membrorum productus est. Ergo multo fortius filii qui ex eo nascerentur.

3. Le limon de la terre est plus éloigné du corps humain que la matière fournie par la femme pour le fœtus dans la génération naturelle. Or, le premier homme formé à partir du limon de la terre a été créé avec une quantité et une puissance des membres parfaites. À bien plus forte raison, donc, les enfants qui seraient issus de lui.

 

[5227] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, Augustinus dicit in littera, quod infirmitas carnis quae est in pueris, congruit infirmitati mentis. Sed in statu innocentiae nulla fuisset mentis infirmitas. Ergo nec in tali infirmitate carnis pueri nati forent.

4. Dans le texte, Augustin dit que la faiblesse de la chair qui existe chez les enfants s’accorde avec la faiblesse de l’esprit. Or, dans l’état d’innocence, il n’y aurait eu aucune faiblesse de l’esprit. Les enfants ne seraient donc pas nés avec une telle faiblesse de la chair.

 

[5228] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnium animalium nobilissimum est homo. Sed quorumdam animalium filii naturaliter statim nati officia membrorum habent. Ergo defectus qui in pueris nunc videtur accidere, non est naturalis, sed ex peccato inductus: ergo ante peccatum non fuisset.

5. L’homme est le plus noble des animaux. Or, les petits de certains animaux, aussitôt nés, possèdent les fonctions de leurs membres. La carence qu’on voit se produire maintenant chez les enfants n’est donc pas naturelle, mais entraînée par le péché. Elle n’aurait donc pas existé avant le péché.

 

[5229] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, omnis virtus naturalis, multiplicata materia, roboratur secundum debitam proportionem, quia in majori quantitate major est virtus. Sed pueros oportebat parvulos nasci propter materni uteri necessitatem, ut in littera dicitur. Ergo oportuit ut eorum virtus motiva, quae materialis est, imperfecta esset.

Cependant, [1] lorsque la matière est multipliée, toute puissance naturelle est renforcée selon la proportion appropriée, car il existe une plus grande puissance dans une plus grande quantité. Or, il fallait que les enfants naissent petits en raison des exigences du sein maternel, comme on le dit dans le texte. Il fallait donc que leur puissance motrice, qui est matérielle, soit imparfaite.

 

[5230] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in pueris oportet expectari tempus ad generandum, quousque completur tempus augmenti: quamdiu enim est augmentum in suo vigore, sicut in duobus primis septenniis, generativa opus suum non habet: tum quia digestio completa non est, ut semen debito modo maturari possit: tum etiam quia quod residuum est ab opere nutritivae, cedit in usum augmentativae. Sed sicut generativae deserviunt quaedam membra, ita et aliis animae viribus. Ergo et per eamdem rationem nec aliorum membrorum usum habuissent, ad quorum actus exigitur aliquorum membrorum fortificatio et completio.

[2] Chez les enfants, il faut attendre le temps de la génération, jusqu’à ce que soit achevé le temps de la croissance. En effet, pendant que se produit un accroissement de sa force, comme au cours des deux premiers septennats, la [puissance] génératrice ne possède pas son opération, tant parce que la digestion n’est pas complète, de sorte que la semence puisse atteindre la maturité appropriée, que parce que le résidu que l’opération de la [puissance] nutritive est utilisé pour la croissance. Or, de même que les [puissances] génératrices sont destinées à certains membres, de même en est-il pour les autres puissances de l’âme. Pour la même raison, [les enfants] n’auraient donc pas eu non plus l’usage des autres membres dont l’acte exige un renforcement et un achèvement des membres.

 

[5231] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in hominis vita est quaedam circulatio, eo quod a defectu incipit, in statum debitae perfectionis deveniens, ex quo iterum in defectum terminatur; unde et principium hominis quidam defectus consequuntur in pueritia, et similiter finem in senectute. Homo autem ante peccatum etsi vitae termino caruisset, tamen habuisset vitae principium per nativitatem; unde hos defectus qui ordinantur ad vitae terminum, ut aegritudines et defectus seniles, non habuisset: defectus autem illos qui principium originis consequuntur, nihil prohibet eum habuisse, ut Magister in littera dicit: nec hoc fuisset ei in poenam, quia ex hoc nullum incommodum sentiret, divina providentia eum gubernante. Quidam vero dicunt aliter, innitentes verbis Augustini quae in littera ponuntur. Sed cum Augustinus de his nihil asserat, ut in littera dicitur, probabilius sustinebitur illud quod naturalis cursus habet, ubi Scripturae auctoritas non repugnat.

Réponse. La vie de l’homme a un mouvement circulaire, du fait qu’elle commence par une carence, atteint l’état de la perfection appropriée, après laquelle elle se termine de nouveau par une carence ; ainsi certaines carences découlent-elles du commencement de l’homme, au cours de l’enfance et, semblablement, de la fin [de l’homme], au cours de la vieillesse. Or, avant le péché, même si la vie de l’homme n’avait pas eu de terme, elle aurait cependant eu un commencement par la naissance. Il n’aurait donc pas eu les carences qui se rapportent au terme de la vie, comme les maladies et les carences de la vieillesse ; mais rien n’empêche qu’il ait eu les carences qui découlent du début de la vie, comme le dit le Maître dans le texte. Et cela n’aurait pas été pour lui une peine, car il n’aurait éprouvé aucun inconvénient à cause de cela, parce que Dieu l’aurait gouverné par sa providence. Mais certains disent autre chose, en s’appuyant sur les paroles d’Augustin qui sont données dans le texte. Mais comme Augustin n’affirme rien par celles-ci, comme le texte le dit, on soutiendra avec une plus grande probabilité ce que le cours naturel comporte, lorsque l’autorité de l’Écriture ne s’y oppose pas.

 

[5232] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis mulier sit praeter intentionem naturae particularis, quae agit in hoc semine, intendens prolem adducere in perfectam similitudinem generantis, non tamen est praeter intentionem naturae universalis, sicut nec corruptio: quia sine femina non posset esse generatio, ut perpetuitas speciei salvaretur: et ideo etiam per divinam providentiam ad officium generationis mulieres aliquas nasci oportebat, et in aequali numero cum viris, ut una unius esset.

1. Bien que la femme soit opposée à l’intention d’une nature particulière, qui agit dans cette semence avec l’intention d’amener un descendant à sa parfaite ressemblance, elle n’est cependant pas opposée à l’intention de la nature universelle, comme la corruption non plus, car, sans la femme, il ne pourrait y avoir de génération pour assurer la perpétuité de l’espèce. C’est pourquoi il était aussi nécessaire, en vertu de la providence divine, que naissent des femmes pour la fonction de la génération, et en nombre égal des hommes, afin qu’un seul appartienne à une seule.

 

[5233] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod generatio mulieris contingit, ut in 18 de animalibus dicitur, ex hoc quod semen viri non potest vincere super materiam mulieris, ut digerat ipsam ultima digestione, et in perfectum sexum adducat. Hujusmodi autem impotentiae causa potest esse triplex. Una est ex defectu naturalis principii agentis cum semine; quia calor est diminutus in semine propter ejus indigestionem; unde ante tertium septennium, ut philosophus dicit, viri ut in pluribus feminas generant: et talis causa non multum fuisset in primo statu: quia tempus in quo est perfecta generatio non anticiparetur. Alia causa est ex virtute imaginativa quam sequuntur etiam virtutes corporales, sicut patet quod ad imaginationem alicujus terribilis totum corpus concutitur et tremit: et ita videmus quod filii frequenter nascuntur similes illis quos parentes imaginantur in actu conceptionis: sicut etiam Hieronymus narrat de quadam muliere quae peperit filium nigrum propter hoc quod in tempore coitus vidit imaginem nigram: et talis causa generationis feminae potuit esse in statu innocentiae, ut filii nascerentur in hoc vel in illo sexu, secundum voluntatem parentum, et praecipue propter magnam obedientiam corporis ad animam in statu illo. Tertia causa est ex aliquo principio extrinseco: quia parva immutatio, ut philosophus dicit in 18 de animalibus, vel venti, vel temporis vel hujusmodi, sexus variationem facit; unde dicit, quod expertum est apud pastores, quod quando flat ventus Septemtrionalis, concipiuntur mares, et quando flat meridionalis, concipiuntur feminae, propter abundantiam humiditatis: et etiam si in tempore coitus aspiciant ad partem Septentrionalem vel meridionalem, sequitur etiam dicta diversitas ut frequenter: et talis causa potuit esse in statu illo.

2. Comme on le dit dans Sur les animaux, XVIII, la génération de la femme se produit du fait que la semence de l’homme ne peut l’emporter sur la matière de la femme, afin de la digérer dans une ultime digestion et de l’amener au sexe parfait. Or, il peut y avoir trois causes de cette impuissance. L’une vient d’une carence du principe naturel qui agit avec la semence, car la chaleur est diminuée dans la semence en raison d’une indigestion. Aussi, avant le troisième septennat, comme le dit le Philosophe, les hommes engendrent-ils des femmes dans la plupart des cas. Une telle cause n’aurait pas tellement existé dans le premier état, car le temps où se produit une génération parfaite n’aurait pas été devancé. Une autre cause vient de la puissance imaginative, que suivent aussi certaines puissances corporelles, comme cela ressort lorsque, par l’imagination de quelque chose de terrible, le corps tout entier est agité et tremble. Nous voyons ainsi que, souvent, des enfants naissent semblables à ceux que les parents imaginaient lors de l’acte de la conception. Ainsi Jérôme raconte qu’une femme a engendré un enfant noir parce que, au moment de l’union sexuelle, elle avait vu une image noire. Une telle cause de la génération de la femme a pu exister dans l’état d’innocence, de sorte que des enfants seraient nés avec tel ou tel sexe selon la volonté des parents, et surtout en raison de la grande obéissance du corps à l’âme dans cet état. La troisième cause vient d’un principe extérieur, car un petit changement, comme le dit le Philosophe dans Sur les animaux, XVIII, que ce soit du temps, du moment ou de quelque chose de ce genre, produit un changement de sexe. C’est pourquoi il dit que des pasteurs ont constaté que, lorsque souffle un vent du nord, des mâles sont conçus, et lorsque souffle un vent du sud, des femelles sont conçues, en raison de l’abondance d’humidité. De même, si, au moment de l’union sexuelle, on regarde vers le nord ou vers le sud, la même diversité en découle souvent. Et une telle cause a pu exister dans cet état.

 

[5234] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de limo terrae corpus primi hominis formatum est virtute divina, cujus est statim ad perfectum adducere cum voluerit; sed propagatio filiorum fuisset per virtutem naturae, cujus non est subito operari; et ideo per successiones temporum in ultimum perfectionis statum proles perducta fuisset.

3. Le corps du premier homme a été formé du limon de la terre par la puissance divine, à qui il revient de mener à quelque chose de parfait lorsqu’elle le veut. Mais la propagation des enfants aurait eu lieu par une puissance de la nature, à laquelle il n’appartient pas d’agir d’un coup. C’est pourquoi l’enfant aurait été amené au dernier état de perfection selon la succession des temps.

 

[5235] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod infirmitas carnis nunc in pueris duo complectitur: scilicet defectum usus membrorum; et hoc congruit naturali infirmitati mentis, inquantum adhuc non pervenit ad ultimum complementum scientiae vel virtutis; quod etiam in primo statu esse potuit: complectitur etiam quamdam poenam in esurie et fletu, et talis infirmitas congruit infirmitati culpae; unde neutrum horum in primo statu fuisset, scilicet nec poena nec culpa.

4. La faiblesse actuelle de la chair chez les enfants comporte deux choses : une carence de l’usage des membres, et cela s’accorde avec la faiblesse naturelle de l’esprit, dans la mesure où il n’est pas encore parvenu à l’achèvement ultime de la science ou de la vertu ; et cela pouvait aussi exister dans le premier état. Elle comporte aussi une peine par la faim et les pleurs, et une telle faiblesse est en accord avec à la faiblesse de la faute. Aussi aucune des deux n’aurait-elle existé dans le premier état, ni la peine ni la faute.

 

[5236] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc est ex nobili complexione hominis, quod defectum talem in pueritia prae quibusdam animalibus patitur: quia enim est mollis complexionis, ideo membra puerilia ex sui mollitie sunt impotentia ad suos actus exercendos: et etiam propter humiditatem abundantem in pueritia, quod contingit in hominibus prae quibusdam animalibus tum ex magnitudine cerebri, quod homo majus prae aliis animalibus habet, secundum proportionem sui corporis; tum etiam propter qualitatem complexionis, a qua si in humidiorem recedatur, propter complexionem aetatis invenietur superabundans humiditas, quae praecipue impedit motum nervorum. Unde animalia siccae complexionis ut caprae, nascuntur cum membris ad motum habilibus.

5. Cela vient de la complexion noble de l’homme qu’il subisse une telle carence dans l’enfance, contrairement à certains animaux. En effet, parce qu’il a une complexion délicate, les membres de l’enfant, en raison de leur délicatesse, sont impuissants à exercer leurs actes ; aussi en raison d’une humidité abondante dans l’enfance, ce qui se produit chez les hommes plus que chez certains animaux, tant en raison de la dimension de son cerveau, qui chez l’homme est plus grand que chez d’autres animaux en proportion de son corps, qu’en raison de la qualité de sa complexion : s’il régresse vers une [complexion] plus humide, on trouvera une humidité surabondante en raison de la complexion de l’âge, [humidité] qui empêche le mouvement des nerfs. Aussi les animaux à complexion sèche, comme les chèvres, naissent-ils avec des membres aptes au mouvement.

 

 

 

 

Articulus 2 [5237] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 tit. Utrum in statu innocentiae pueri mox nati, fuissent perfecti in cognitione

Article 2 – Dans l’état d’innocence, les enfants, aussitôt nés, auraient-ils eu une connaissance parfaite ?

 

[5238] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod pueri mox nati, perfecti in cognitione fuissent. Omnis enim virtus cujus actus impeditur ex imperfectione corporis, est virtus materialis. Sed intellectus non est actus corporis cujusdam, ut philosophus dicit. Ergo naturaliter non impeditur a suo actu propter defectum corporis: ergo videtur quod in statu integritatis naturae, pueri perfectam cognitionem habuissent, etiam si defectum membrorum paterentur.

1. Il semble qu’aussitôt nés, les enfants auraient eu une connaissance parfaite. En effet, toute puissance dont l’acte est empêché par une imperfection du corps est une puissance matérielle. Or, l’acte d’intelligence n’est pas l’acte du corps, comme le dit le Philosophe. Il n’est donc pas empêché dans son acte en raison d’une carence du corps. Il semble donc que, dans l’état d’intégrité de la nature, les enfants auraient eu une connaissance parfaite, même s’ils avaient été affectés d’une carence des membres.

 

[5239] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 arg. 2 Si dicatur, quod intellectus impeditur per accidens ex impedimento corporis inquantum indiget accipere a virtutibus corporalibus, contra. Quod superiores vires ab inferioribus accipiant, videtur esse perversitas ordinis. Sed in primo statu nulla deordinatio in partibus animae erat. Ergo intellectus non accipiebat perfectionem suam ex viribus sensibilibus.

2. Si on dit que l’intellect est empêché par accident en raison d’un empêchement du corps, dans la mesure où il a besoin de recevoir des puissances corporelles, on dira en sens contraire que le fait que les puissances supérieures reçoivent des puissances inférieures semble être une perversion de l’ordre. Or, dans le premier état, il n’existait aucun désordre dans les parties de l’âme. L’intellect ne recevait donc pas sa perfection des puissances sensibles.

 

[5240] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, intellectus non indiget sensu nisi ad acquirendam scientiam; unde qui privatur visu scientiam de coloribus retinet quam per visum accepit. Sed in primo statu habitum scientiae homo habuisset immediate ex divina influentia, et forte per ministerium Angelorum. Ergo ad intelligendum et sciendum in actu, sensibus non indigebat; et sic idem quod prius.

3. L’intellect n’a besoin du sens que pour acquérir la science ; aussi celui qui est privé de vision conserve-t-il la science des couleurs qu’il a reçue par la vue. Or, dans le premier état, l’homme aurait reçu l’habitus de science de manière immédiate par l’influence et peut-être par le ministère des anges. Pour intelliger et connaître en acte, il n’avait donc pas besoin des sens, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

 

[5241] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, sensus puerorum in primo statu non fuissent imperfectiores quam modo sint. Sed modo pueri perfecte possunt videre et audire, et sic de aliis. Ergo et tunc: et ita per defectum sensibilium virium actus intellectus non impeditur.

4. Les sens des enfants dans le premier état n’auraient pas été plus imparfaits qu’ils le sont maintenant. Or, maintenant, les enfants peuvent parfaitement voir et entendre, et ainsi de suite pour les autres [sens]. Donc, alors aussi. Et ainsi, l’acte de l’intellect n’est-il pas empêché par une carence des puissances sensibles.

 

[5242] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, perfectioris cognitionis secundum suam naturam aliis animalibus est homo. Sed alia animalia mox nata habent cognitionem quarumdam rerum quae prosunt eis vel nocent; unde agnus sequitur matrem, et fugit lupum. Ergo multo fortius hoc homo secundum suam naturam habere debet: et ita videtur quod defectus cognitionis qui est in pueris, non est naturalis, sed ex peccato inductus: et ita videtur quod ante peccatum perfectam cognitionem habuissent.

5. Selon sa nature, l’homme a une connaissance plus parfaite que les autres animaux. Or, les autres animaux, aussitôt nés, ont la connaissance de certaines choses qui leur sont utiles ou nuisibles ; aussi l’agneau suit-il sa mère et fuit-il le loup. À bien plus forte raison, selon sa nature, l’homme doit-il faire cela. Et ainsi, il semble que la carence de la connaissance qui existe chez les enfants n’est pas naturelle, mais entraînée par le péché. Il semble ainsi qu’avant le péché, ils auraient eu une connaissance parfaite.

 

[5243] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, ut dicit philosophus 7 Physic., in quiescendo fit anima sciens et prudens. Sed in pueritia non potest esse perfecta quies corporis, propter multos motus, et praecipue propter augmentum. Ergo nec perfectam cognitionem secundum naturam habere potest.

Cependant, [1] comme le dit le Philosophe dans Physique, VII, l’âme devient connaissante et prudente en se reposant. Or, dans l’enfance, il ne peut y avoir un parfait repos du corps en raison des nombreux mouvements et surtout en raison de la croissance. Elle ne peut donc pas avoir une connaissance parfaite selon la nature.

 

[5244] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, ad hoc anima infusa est corpori ut in ipso acquirat perfectionem scientiae et virtutis. Sed hoc non esset, si per seipsam scientiam perfectam haberet, quam per temporum successionem in corpore acquireret. Ergo non statim dum corpori infunditur, perfectam cognitionem habet, sed experimento indiget et tempore intellectualis virtus, ut philosophus in 2 Ethic. dicit.

[2] L’âme a été introduite dans le corps afin qu’elle acquierre en lui la perfection de la science et de la vertu. Or, cela ne serait pas le cas si elle avait par elle-même une science parfaite, qu’elle acquerrait dans le corps avec le passage du temps. Elle n’a donc pas une connaissance parfaite aussitôt après avoir été introduite dans le corps, mais la vertu intellectuelle a besoin d’expérience et de temps, comme le dit le Philosophe dans Éthique, II.

 

[5245] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut Magister dicit in littera, oportet quod positio de perfectione intellectus consonet positioni de perfectione corporis; unde cum posuerimus pueros in principio non habituros fuisse membrorum usum, oportet ponere quod nec usum perfectae cognitionis habuissent. Qui autem membrorum perfectionem concedunt, perfectum usum rationis etiam concedere possunt. Inter alia enim membra corporis, cerebrum humidissimum est. Unde si propter humiditatem aetatis; membrorum aliorum officia pueri habere non poterant, multo minus plenum usum imaginativae virtutis, cujus organum est in anteriori parte cerebri, habere poterant. Abundantia enim humiditatis confusionem quamdam phantasmatum creat, sicut patet in ebriis, ex multo vapore ad caput ascendente. Phantasmata autem, ut in 3 de anima dicitur, se habent ad intellectum sicut colores ad visum. Unde sicut ad confusionem colorum sequitur indeterminatio et confusio in actu virtutis visivae; ita ad confusionem phantasmatum sequitur quaedam confusio in actu virtutis intellectivae; et inde est quod pueri in principio confusam cognitionem habent universalium quorumdam, et postmodum per successiones temporis distincte unumquodque cognoscunt; unde in 1 Physicor. dicitur, quod pueri in principio appellant omnem virum patrem, posterius autem determinant unumquodque.

Réponse. Comme le Maître le dit dans le texte, il est nécessaire que la position sur la perfection de l’intellect soit en harmonie avec la position sur la perfection du corps. Puisque nous avons affirmé que les enfants n’avaient pas dès le début l’usage de leurs membres, il faut donc affirmer qu’ils n’auraient pas eu non plus l’usage d’une connaisssance parfaite. Mais ceux qui concèdent la perfection des membres peuvent aussi concéder l’usage parfait de la raison. En effet, parmi les autres membres du corps, le cerveau est le plus humide. Si donc en raison de l’humidité de l’âge, les enfants ne pouvaient avoir les fonctions des autres membres, encore bien moins pouvaient-ils avoir le plein usage de la puissance imaginative, dont l’organe est dans la partie antérieure du cerveau. En effet, l’abondance d’humidité crée une certaine confusion des fantasmes, comme cela ressort chez les ivrognes, en raison de l’abondance de vapeur qui monte à la tête. Or, comme on le dit dans Sur l’âme, III, les fantasmes jouent pour l’intellect le même rôle que les couleurs pour la vision. De même donc qu’une indétermination et une confusion dans l’acte de la puissance visuelle entraînent une confusion des couleurs, de même une confusion des fantasmes entraîne-t-elle une confusion de l’acte de la puissance intellectuelle. De là vient qu’au début, les enfants ont une connaissance confuse de certains universaux et que, par la suite, ils connaissent chacun de manière distincte avec le passage du temps. Aussi dit-on, dans Physique, I, que les enfants, au début, appellent tous les hommes « père », mais que, par la suite, ils précisent chacun.

 

[5246] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod operatio intellectus non impeditur propter defectum corporis per se, sed per accidens, ut dictum est, scilicet ex defectu virium a quibus intellectus accipit.

1. L’opération de l’intellect n’est pas empêchée de soi par une carence du corps, mais par accident, ainsi qu’on l’a dit, à savoir, en raison de la carence des puissances dont l’intellect reçoit.

 

[5247] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perfectio intellectus possibilis est per receptionem objecti sui, quod est species intelligibilis in actu. Sicut autem in objecto visus est aliquid quasi materiale, quod accipitur ex parte lucis, quae facit visibile in potentia esse visibile in actu: ita etiam objectum intellectus quasi materialiter administratur vel offertur a virtute imaginativa; sed in esse formali intelligibili completur ex lumine intellectus agentis, et secundum hanc formam habet quod sit perfectio in actu intellectus possibilis: et ita non sequitur deordinatio in partibus animae, si intellectus possibilis perficiatur per species a phantasmatibus acceptas, inquantum illustrantur lumine intellectus agentis, quae est potentia altior quam intellectus possibilis.

2. La perfection de l’intellect possible se réalise par la réception de son objet, qui est l’espèce intelligible en acte. Mais, de même que, dans l’objet de la vision, il y a quelque chose de matériel, qui se prend du côté de la lumière, qui fait que ce qui est visible en puissance est visible en acte, de même aussi l’objet de l’intellect est comme servi ou offert par la puissance imaginative ; mais il atteint son achèvement dans son être intelligible formel par la lumière de l’intellect agent, et c’est selon cette forme qu’il peut être une perfection en acte de l’intellect possible. Et ainsi, il n’en découle pas un désosrdre dans les parties de l’âme, si l’intellect possible est perfectionné par des espèces reçues des fantasmes, pour autant qu’ils sont éclairés par la lumière de l’intellect agent, qui est une puissance plus élevée que l’intellect possible.

 

[5248] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum phantasma sit objectum intellectus possibilis, ut dictum est, secundum statum viae, anima ad suum actum phantasmatibus indiget, non solum ut ab eis scientiam accipiat secundum motum qui est a sensibus ad animam, sed etiam ut habitum cognitionis quam habet circa species phantasmatum, ponat secundum motum qui est ab anima ad sensus, ut sic inspiciat in actu quod per habitum cognitionis tenet in mente. Unde etiam Dionysius dicit in epistola ad Titum, quod illi qui intellectuales revelationes accipiunt, eas quibusdam figuris circumponunt; unde laesa imaginatione per laesionem organi, ut est in phraenticis, intellectus impeditur ab actuali consideratione etiam eorum quae prius sciebat.

3. Puisque les fantasmes sont l’objet de l’intellect possible, comme on l’a dit, dans l’état de cheminement, l’âme a besoin des fantasmes pour son acte, non seulement pour recevoir d’eux la science par le mouvement qui consiste à passer des sens à l’âme, mais aussi pour établir l’habitus de connaissance qu’elle possède pour les espèces des fantasmes, selon le mouvement qui va de l’âme vers les sens, de sorte qu’elle examine en acte, par l’habitus de la connaissance, ce qu’elle garde dans l’esprit. Aussi Denys lui-même dit-il, dans sa lettre à Tite, que ceux qui reçoivent des révélations intellectuelles les présentent sous certaines figures. Si donc l’imagination est atteinte par la blessure d’un organe, comme c’est le cas pour les fous, l’intellect est empêché de considérer en acte même ce qu’il connaissait auparavant.

 

[5249] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod exteriorum sensuum actus in pueris distincti sunt, sed imaginatio confusa est propter cerebri humiditatem excedentem, et ita etiam oportet quod operatio intellectus sit confusa: non enim intellectus immediate ab exterioribus sensibus accipit, sed ab interioribus.

4. Chez les enfants, les actes des sens extérieurs sont distincts, mais l’imagination est confuse en raison de l’humidité excessive du cerveau ; il est ainsi nécessaire que l’opération de l’intellect soit confuse. En effet, l’intellect ne reçoit pas des sens de manière immédiate, mais des sens intérieurs.

 

[5250] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod alia animalia non prosequuntur conveniens et fugiunt nocivum per rationis deliberationem, sed per naturalem instinctum aestimativae virtutis: et talis naturalis instinctus est etiam in pueris; unde etiam mamillas accipiunt, et alia eis convenientia, etiam sine hoc quod ab aliis doceantur.

5. Les autres animaux ne recherchent pas ce qui est approprié et ne fuient pas ce qui est nuisible par une délibération de la raison, mais par un instinct naturel de leur puissance estimative. Un tel instinct naturel existe aussi chez les enfants. Aussi acceptent-ils les mamelles et les autres choses qui leur conviennent, même sans que d’autres le leur enseignent.

 

 

 

 

Articulus 3 [5251] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 tit. Utrum in statu innocentiae pueri nascerentur in gratia

Article 3 – Dans l’état d’innocence, les enfants seraient-ils nés avec la grâce ?

 

[5252] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in statu innocentiae pueri in gratia nascerentur. Quia secundum considerationem philosophi, sicut se habet propositum in proposito, ita et oppositum in opposito. Sed homo corruptus per peccatum transmisit peccatum in posteros. Ergo etiam et gratiam et justitiam quam habuit, in posteros transmisisset.

1. Il semble que, dans l’état d’innocence, les enfants seraient nés avec la grâce, car, selon ce que dit le Philosophe, le rapport entre ce qu’on se propose comme intention est le même qu’entre ce qui est ce qui est opposé en sens contraire. Or, l’homme corrompu par le péché a transmis le péché à ses descendants. Il aurait donc aussi transmis à ses descendants la grâce et la justice qu’il possédait.

 

[5253] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, bonum est potentius quam malum: quia malum non agit nisi virtute boni, ut dicit Dionysius. Si ergo malum primi hominis adeo fuit potens ut totum humanum genus inficeret, multo amplius ejus gratia totum humanum genus justificasset.

2. « Le bien est plus fort que le mal, car le mal n’agit qu’en vertu du bien », comme le dit Denys. Si donc le mal du premier homme était si puissant qu’il devait affecter tout le genre humain, à bien plus forte raison sa grâce aurait-elle justifié le genre humain tout entier.

 

[5254] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, Adam non solum sibi, sed etiam nobis demeruit: quia per unum hominem peccatum et mors in mundum intravit, Rom. 5. Sed meritum et demeritum ab eadem potentia procedunt. Ergo et ipse, si perstitisset, omnibus mereri potuisset; et ita omnes per ejus meritum primam gratiam consecuti fuissent.

3. Adam n’a pas démérité seulement pour lui-même, mais aussi pour nous, car, par un seul homme, le péché et la mort sont entrés dans le monde, Rm 5. Or, le mérite et le démérite viennent de la même puissance. S’il avait persisté, [Adam] aurait donc pu mériter pour tous, et ainsi tous auraient obtenu une première grâce par son mérite.

 

[5255] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, impossibile est esse poenam sine culpa. Sed poena peccati originalis est carentia visionis divinae. Ergo cum in statu innocentiae homines sine peccato originali nati fuissent, habuissent meritum visionis divinae. Sed hoc non potest haberi nisi per gratiam. Ergo nati fuissent in justitia gratuita.

4. Il est impossible qu’une peine existe sans une faute. Or, la peine du péché originel est la privation de la vision de Dieu. Puisque, dans l’état d’innocence, les hommes seraient nés sans le péché originel, ils auraient donc mérité la vision de Dieu. Or, cela ne peut être obtenu que par la grâce. Ils seraient donc nés avec une justice gratuite.

 

[5256] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, homo per peccatum necessitatem peccandi incurrit. Ergo si perstitisset, in justitia confirmatus fuisset. Sed secundum Anselmum, oportuit ut qualis ipse fuit, tales etiam filios genuisset. Ergo et omnes in justitia confirmati fuissent mox a nativitate sua, ut peccare non possent.

5. Par le péché, l’homme a encouru la nécessité de pécher. S’il avait persisté, il aurait donc été confirmé dans la justice. Or, selon Anselme, il fallait qu’il engendre des enfants selon ce qu’il était. Tous auraient donc été confirmés dans la justice aussitôt après leur naissance, de sorte qu’ils n’auraient pas péché.

 

[5257] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, illud quod infunditur immediate a Deo, ut anima rationalis, non transfunditur a parentibus. Sed gratia est hujusmodi, ut in 1 libro probatum est, dist. 14. Ergo gratiam vel justitiam in posteros non transfudisset.

Cependant, [1] ce qui est communiqué de manière immédiate par Dieu, comme l’âme raisonnable, n’est pas transmis par les parents. Or, la grâce est de ce genre, comme on l’a démontré dans le livre I, d. 14. [Le premier homme] n’aurait donc pas transmis la justice chez ses descendants.

 

[5258] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Hugo de sancto Victore dicit quod homo si perstitisset, generasset filios sine peccato, sed tamen non necessario paternae haeredes justitiae; et ita videtur quod justitiam vel gratiam non transfudisset.

[2] Hugues de Saint-Victor dit que, si l’homme avait persisté, il aurait engendré sans péché des enfants, mais qu’ils n’auraient pas été nécessairement les héritiers de la justice paternelle. Il semble ainsi que [le premier homme] n’aurait pas transmis la justice ou la grâce.

 

[5259] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dicit philosophus in 2 de Generat., in generatione est quaedam circulatio, quae tamen non redit in idem numero, sed ad idem specie: homo enim generat hominem, non Socrates Socratem; et inde est quod generatum generanti assimilatur in omnibus illis quae ad naturam speciei pertinent, nisi adveniat impedimentum, ut in monstris apparet; non autem oportet quod assimiletur in proprietatibus quae consequuntur individuum ratione individui: et si aliquando contingat quod in aliquibus proprietatibus etiam personalibus assimiletur filius patri, hoc tantum accidit in accidentibus corporalibus, sicut quod albus generat album, et podagricus podagricum: non autem in perfectionibus animae generat sibi similem secundum actum, ut grammaticus non generat grammaticum; sed forte secundum aptitudinem tantum; secundum quod ex complexione corporis unus est habilior alio ad scientiam vel doctrinam vel virtutem. Sciendum est ergo quod duplex justitia primo homini poterat convenire. Una originalis, quae erat secundum debitum ordinem corporis sub anima, et inferiorum virium sub superiori, et superioris sub Deo; et haec quidem justitia ipsam naturam humanam ordinabat in sui primordio ex divino munere; et ideo talem justitiam in filios transfudisset. Est etiam alia justitia gratuita, quae actus meritorios elicit; et de hac est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod primus homo in naturalibus tantum creatus est, et non in gratuitis; et secundum hoc videtur quod ad talem justitiam requirebatur quaedam praeparatio per actus personales; unde secundum hoc talis gratia proprietas personalis erat ex parte animae; et ideo nullo modo transfusa fuisset, nisi secundum aptitudinem tantum. Alii vero dicunt, quod homo in gratia creatus est; et secundum hoc videtur quod donum gratuitae justitiae ipsi humanae naturae collatum sit; unde cum transfusione naturae simul etiam infusa fuisset.

Réponse. Comme le dit le Philosophe dans Sur la génération, II, il se produit dans la génération un mouvement circulaire, qui ne revient cependant pas à une même chose numériquement, mais à la même chose selon l’espèce. En effet, l’homme engendre l’homme, mais Socrate [n’engendre pas] Socrate. De là vient que ce qui est engendré ressemble à celui qui engendre pour tout ce qui relève de la nature, à moins que ne survienne un empêchement, comme chez les monstres ; mais il n’est pas nécessaire qu’il lui ressemble pour les propriétés qui découlent de l’individu en raison de l’individu. Et s’il arrive parfois que le fils ressemble au père même pour certaines propriétés personnelles, cela se produit seulement pour les accidents corporels : ainsi, un blanc engendre un blanc, et un goutteux, un goutteux. Mais il n’engendre pas un semblable à lui-même en acte pour les perfections de l’âme : ainsi, un grammairien n’engendre pas un grammairien ; mais peut-être le fait-il seulement selon une aptitude, selon que, par la complexion du corps, l’un est plus doué qu’un autre pour la science, l’enseignement ou la vertu. Il faut donc savoir qu’une double justice pouvait convenir au premier homme. L’une, originelle, qui se réalisait par la soumission appropriée du corps à l’âme, [par la soumission] des puissances inférieures à une puissance supérieure et par la soumission de cette [puissance] supérieure à Dieu. Cette justice ordonnait donc la nature humaine elle-même à ses débuts en vertu d’un don de Dieu ; c’est pourquoi [Adam] aurait transmis une telle justice dans ses enfants. Mais il existe une autre justice gratuite, qui produit les actes méritoires. Sur celle-ci, il existe deux opinions. En effet, certains disent que le premier homme a été créé seulement avec ses [attributs] naturels, et non avec des [attributs] gratuits. Selon cette position, il semble qu’une certaine préparation à une telle justice par des actes personnels était nécessaire ; aussi n’aurait-elle été reversée d’aucune manière, si ce n’est selon la seule capacité. Mais d’autres disent que l’homme a été créé avec la grâce ; selon cette position, il semble que le don de la justice gratuite a été conféré à la nature humaine elle-même ; aussi aurait-elle été communiquée en même temps que la nature aurait été transmise.

 

[5260] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod peccatum originale est primo et per se peccatum naturae, et per posterius personae; actuale autem est proprie peccatum personae quod per actum personalem incurritur: et ideo, sicut peccatum originale transfunditur, et non peccatum actuale, ita etiam justitia originalis naturalis transfusa fuisset, et forte non gratuita.

1. Le péché originel est en premier lieu et de soi un péché de nature et, par suite, un péché de la personne. Mais le péché actuel est à proprement parler un péché de la personne, qui est encouru par un acte personnel, De même donc que le péché originel est transmis, mais non le péché actuel, de même aussi la justice originelle aurait-elle été transmise, et peut-être pas la [justice] gratuite.

 

[5261] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum sicut ad primum.

2. La réponse au deuxième argument est la même que pour le premier.

 

[5262] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod peccatum non transit in posteros a primo parente per modum demeriti, quasi ipse omnibus mortem meruerit, et infectionem peccati; sed per modum traductionis consequentis traductionem naturae: non enim unius personae actus toti naturae mereri vel demereri potest, nisi limites humanae naturae transcendat, ut patet in Christo, qui Deus et homo est: unde a Christo nascuntur filii gratiae, non per carnis traductionem, sed per meritum actionis; ab Adam vero nascimur filii irae per propagationem, non per demeritum.

3. Le péché n’est pas transmis aux descendants à partir du premier parent par mode de démérite, comme s’il avait mérité pour tous la mort et l’infection du péché, mais par mode d’une transmission découlant d’une transmission de la nature. En effet, l’acte d’une seule personne ne peut mériter ou démériter pour la nature tout entière, à moins de dépasser les limites de la nature, comme cela ressort chez le Christ, qui est Dieu et homme. Aussi des enfants de la grâce sont-ils nés du Christ, non par transmission de la chair, mais par le mérite de l’action. Mais nous naissons d’Adam fils de la colère par reproduction, et non par démérite.

 

[5263] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod carentia visionis divinae potest dupliciter intelligi: vel negative, et sic non est poena, sed defectus naturalis: cuilibet enim naturae creatae convenit ut ex se non habeat unde in Dei visionem ascendere possit: vel privative, et sic est poena, secundum quod importat quamdam obnoxietatem ad non videndum Deum.

4. La privation de la vision divine peut s’entendre de deux manières. Soit de manière négative, et ainsi elle n’est pas une peine, mais une carence naturelle : en effet, il convient à toute nature créée de ne pas posséder ce par quoi elle pourrait s’élever jusqu’à la vision de Dieu. Soit de manière privative : et ainsi elle est une peine, selon qu’elle comporte une obligation de ne pas voir Dieu.

 

[5264] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod probabile videtur quod si Adam primae tentationi restitisset, nondum statim confirmationem justitiae fuisset adeptus; sed quando in spiritualem vitam fuisset translatus, simul immortalitatem accepisset in corpore et justitiae confirmationem in anima. Quod ergo dicitur, quod quia tentationi succubuit, peccandi necessitatem incurrit, verum est de peccato veniali, quod gratiae non opponitur, sed cuidam accidenti gratiae, scilicet fervori; sed necessitatem peccandi mortaliter homo etiam in peccato existens non habet, nisi peccare intelligatur in peccato esse, sicut videre dicitur habere visum. Non enim qui in peccato est potest per se non esse in peccato ut possit a peccato per se sine gratiae infusione resurgere: nec tamen sequitur, si homo post peccatum non potest in peccato non esse, quod in gratia existens non possit in gratia non esse: quia homo per seipsum peccare potest, sed non per se resurgere. Si tamen concedatur quod Adam confirmatus fuisset statim post victoriam tentationis, adhuc non sequitur quod filios confirmatos in justitia genuisset; quia hoc sequebatur actus personales ejus, et ita erat perfectio ad personam pertinens, quam non oportet in filios propagari; sicut si Adam donum philosophiae habuit, vel miracula faciendi, non oporteret quod filii ejus hoc habuissent.

5. Il semble probable que, si Adam avait résisté à la première tentation, il n’aurait pas acquis immédiatement la confirmation dans la justice ; mais lorsqu’il aurait été transporté dans une vie spirituelle, il aurait reçu en même temps l’immortalité du corps et la confirmation dans la justice pour l’âme. Qu’on dise que, parce qu’il a succombé à la tentation, il a encouru la nécessité de pécher, cela est vrai du péché véniel, qui n’est pas opposé à la grâce, mais à un accident de la grâce, à savoir, la ferveur ; mais l’homme, même s’il se trouve dans le péché, n’est pas obligé de pécher mortellement, à moins qu’on entende le péché du fait d’être dans le péché, comme on dit que voir, c’est avoir la vue. En effet, celui qui est dans le péché ne peut pas par lui-même ne pas être dans le péché, de telle sorte qu’il puisse se relever du péché par lui-même sans la grâce. Mais si l’homme, après le péché, ne peut pas ne pas être dans le péché, il n’en découle cependant pas que celui qui se trouve dans la grâce ne puisse pas ne pas être dans la grâce, car l’homme peut pécher par lui-même, mais non pas se relever par lui-même. Toutefois, si l’on concède qu’Adam aurait été confirmé aussitôt après sa victoire sur la tentation, il n’en découle pas non plus qu’il aurait engendré des enfants confirnés dans la justice, car cela ne découlait pas de ses actes personnels. Il s’agissait ainsi d’une perfection qui concernait sa personne, qu’il n’était pas nécessaire de transmettre à ses enfants. Ainsi, si Adam avait le don de la philosophie ou celui de faire des miracles, il ne serait pas nécessaire que ses enfants l’aient.

 

[5265] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 ad s. c. 1 Ad aliam etiam patet de plano solutio: quia non intelligitur gratia in posteros propagari a parentibus quasi, per virtutem seminalem, gratiam filii consequerentur: sed quia cum transfusione naturae, cui, ex provisione divina gratia debebatur, simul gratia infusa fuisset, secundum unam opinionem.

[1] La solution à un autre [argument] ressort aussi facilement, car on ne veut pas dire que la grâce passe à d’autres depuis les parents comme si, par la puissance séminale, les fils obtenaient la grâce, mais, parce que, avec la transmission de la nature, à laquelle elle était due en vertu d’une disposition divine, la grâce aurait été communiquée en même temps, selon une opinion.

 

[5266] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 ad s. c. 2 Alia etiam auctoritas inducta intelligitur de justitia gratuita, et non de originali, secundum unam opinionem. Vel potest intelligi de operibus justitiae: quia si cum gratia nati fuissent, poterant per liberum arbitrium a justitia parentum deviare.

[2] L’autorité invoquée s’entend de la justice gratuite, et non de [la justice] originelle, selon une opinion. Ou bien on peut l’entendre des œuvres de justice, car, s’ils étaient nés avec la grâce, ils pouvaient s’écarter de la justice des parents par le libre arbitre.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 20

 

[5267] Super Sent., lib. 2 d. 20 q. 2 a. 3 expos. Excipitur honestate nuptiali, hoc modo ut scilicet quod sine nuptiis turpitudinem culpae et poenae haberet, per honestatem matrimonii turpitudine poenae remanente, turpitudo culpae tollatur. Sed potuerunt in Paradiso eis esse nuptiae honorabiles: quia in statu illo nuptiae simpliciter virginitate honorabiliores fuissent, eo quod in nullo integritate mentis laesa, fecunditas carnis in matrimonio, sterilitati virginitatis praevaluisset. Vel quia Deus nondum jusserat. Videtur hoc esse falsum: quia actum matrimonialem praeceperat Deus, dicens: crescite et multiplicamini et replete terram. Sed quod dicitur hic potest intelligi de speciali jussione ad determinatum tempus. Responderi potest, quod filios parvulos nasci oportebat propter materni uteri necessitatem. In hac responsione Magister unum asserit, scilicet, quod oporteat pueros in principio nativitatis parvos quantitate esse: sed tria sub dubio relinquit. Quorum unum est, si statim post nativitatem in perfectam quantitatem transformati fuissent. Sed hoc non potuit fieri operatione naturae, sed solum divino miraculo. Secundum est an essent parvuli per aliquod tempus, ita quod defectum quantitatis haberent sed non virtutis quantum ad membrorum officium. Tertium si in utroque per aliquod tempus imperfecti fuissent, scilicet et quantitate et virtute.

 

 

 

 

 

Distinctio 21

Distinction 21 – [La chute de l’homme par le péché]

 

Quaestio 1

Question 1 – [À qui revient-il de tenter ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[5268] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister institutionem humanae naturae, hic determinat lapsum ejus per peccatum; et dividitur in duas partes: in prima determinat humanae naturae lapsum in primis parentibus quantum ad actuale peccatum ipsorum; in secunda determinat lapsum humanae naturae in posteris, dist. 30, ibi: in superioribus insinuatum est, licet ex parte (...) qualiter primus homo deliquerit (...) quibus adjiciendum est peccatum simul ac poenam per eum transisse in posteros. Prima in duas: in prima determinat principium peccati in primis parentibus; in secunda autem principium quo contra peccatum juvabantur, circa medium 33 dist., ibi: et quidem secundum animam rationalis fuit homo. Prima in tres: in prima determinat tentationem hostis, qui fuit principium peccati exterius; in secunda inquirit quod fuit principium intrinsecum, 22 dist., ibi: hic videtur diligenter investigandum. Item inquirit de permissione divina, quae fuit causa sine qua non, 23 dist., ibi: praeterea quaeri solet. Prima in duas: in prima determinat modum et ordinem tentationis; in secunda ex modo tentationis concludit gravitatem culpae, ibi: porro sciendum est duas esse species tentationis. Circa primum tria facit: primo ostendit motivum ad tentandum; secundo tentationis ordinem, ibi: unde et mulierem tentavit; tertio tentationis formam, ibi: tentatio autem hoc modo facta est. Circa secundum duo facit: primo ostendit quare per mulierem virum tentare voluit; secundo quare mulierem per serpentem, ibi: sed quia illi per violentiam nocere non poterat, ad fraudem se convertit. Circa quod duo facit: primo assignat dicti rationem; secundo removet duas dubitationes; unam, ibi: ideoque serpens dictus est esse callidior cunctis animantibus terrae; alteram, ibi: hic quaeri solet, quare mulier non horruit serpentem. Circa tertium duo facit: primo ostendit astutiam tentationis, investigando conditionem tentati; secundo persuasionem sui propositi, ibi: qui ad persuasionem suam pleniter suffulciendam (...) et malum quod mulier timuit negando removit et repromissionem addidit. Porro sciendum est duas esse species tentationis. Hic ex ipsa tentatione ostendit modum culpae; et circa hoc tria facit: primo distinguit tentationis modos, et quis eorum sit gravior, quia ille qui est a carne; secundo ostendit quod peccatum Adae gravitatem quamdam habet, quia tantum exteriori tentatione pulsatus cecidit; et tamen remissibile est, quia per alium tentatus fuit, ibi: homo ergo, qui sola exteriori tentatione pulsatus cecidit, tanto gravius plectendus erat quanto leviori impulsu fuerat prostratus; tertio removet quasdam dubitationes, ibi: illud etiam notandum est. Circa secundum duo facit: primo ponit rationem quam principaliter intendit, quare peccatum hominis sit remissibile, ex praedictis deductam; secundo adjungit quamdam aliam, ibi: praeterea angelica natura, quoniam non tota perierat, sed ex parte perstiterat, non est redempta. Circa tertium duo facit secundum duas quaestiones quas movet, quae per se in littera patent. Secunda incipit ibi: si quaeritur quomodo loqui potuerunt (...) dicimus quia Deus eos tales fecerat. Hic est duplex quaestio. Prima de tentatione in communi. Secunda de tentatione primorum parentum. Circa primum quaeruntur tria: 1 cujus sit tentare; 2 utrum omnis tentatio passive accepta, cum peccato sit; 3 utrum tentatio sit appetenda.

Après avoir déterminé de l’établissement de la nature humaine, le Maître détermine ici de sa chute par le péché. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de la chute de la nature humaine chez les premiers parents pour ce qui est de leur péché actuel ; dans la seconde, il détermine de la chute de la nature humaine chez leurs descendants, d. 30, à cet endroit : « Plus haut, on a suggéré, quoique de manière partielle…, comment le premier homme a péché…, qui il a affecté et comment la peine est transmise aux descendants. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine du principe du péché chez les premiers parents ; dans la seconde, du principe par lequel ils étaient aidés contre le péché, vers le milieu de la d. 33, à cet endroit : « Et aussi, l’homme était raisonnable selon son âme… ». La première partie se divise en trois. Dans la première, il détermine de la tentation par l’Ennemi, qui a été le principe extérieur du péché. Dans la deuxième, il se demande quel a été le principe intérieur, d. 22, à cet endroit : « Ici, il semble qu’il faille rechercher avec soin… » De même, il s’interroge sur la permission divine, qui était la cause indispensable, d. 23, à cet endroit : « De plus, on a coutume de se demander… » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine du mode et de l’ordre de la tentation ; dans la seconde, il conclut à la gravité de la faute en raison du mode de la tentation, à cet endroit : « Il faut encore savoir qu’il existe deux espèces de tentation. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre le motif de la tentation. Deuxièmement, l’ordre de la tentation, à cet endroit : « Aussi a-t-il tenté la femme… » Troisièmement, la forme de la tentation, à cet endroit : « Or, la tentation s’est déroulée de cette manière. » À propos du deuxième point, il fait deux choses : premièrement, il montre pourquoi [le serpent] a voulu tenter l’homme par l’intermédiaire de la femme ; deuxièmement, pourquoi la femme [a été tentée] par le serpent, à cet endroit : « Mais parce qu’il ne pouvait lui nuire par la violence, il s’est tourné vers la tromperie. » À ce propos, il fait deux choses. Premièrement, il indique la raison de ce qui a été dit. Deuxièmement, il écarte deux doutes, à cet endroit : « Ici, on a coutume de se demander pourquoi la femme n’a pas eu horreur du serpent. » À propos du troisième point, il fait deux choses : premièrement, il montre la fourberie de la tentation en examinant la condition de celui qui était tenté ; deuxièmement, [il montre] la persuasion de ce qui était proposé, à cet endroit : « Pour que sa persuasion suffise…, il écarte en le niant le mal que la femme craignait et ajoute une promesse. » « Il faut encore savoir qu’il existe deux espèces de tentation. » Ici, il montre le mode de la faute à partir de la tentation elle-même. À ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il distingue les modes de tentation et lequel d’entre eux est plus grave, car c’est celui qui vient de la chair. Deuxièmement, il montre que le péché d’Adam a une certaine gravité, car celui-ci n’est tombé que sous la poussée d’une tentation extérieure ; toutefois, il est rémissible, car il a été tenté par un autre, à cet endroit : « Donc, l’homme, qui est tombé sous la poussée de la seule tentation extérieure, devait être puni d’autant plus lourdement qu’il était tombé sous une poussée plus légère. » Troisièmement, il écarte certains doutes, à cet endroit : « Il faut aussi remarquer… » À propos du deuxième point, il fait deux choses : premièrement, il présente la première raison envisagée pour que le péché de l’homme soit rémissible, en la déduisant de ce qui a été dit auparavant ; deuxièmement, il en ajoute une autre, à cet endroit : « De plus, la nature angélique, parce qu’elle n’avait pas entièrement péri mais avait persisté en partie, n’a pas été rachetée. » À propos du troisième point, il fait deux choses, selon les deux questions qu’il soulève, qui ressortent d’elles-mêmes dans le texte. La seconde commence à cet endroit : « Si on se demande comment ils pouvaient parler…, nous disons que Dieu les avait créés ainsi. » Ici, il y a une double question : la première, à propos de la tentation ; la seconde, à propos de la tentation des premiers parents. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1. À qui revient-il de tenter ? 2. Toute tentation, comprise de manière passive, comporte-t-elle un péché ? 3. Faut-il désirer la tentation ?

 

 

 

 

Articulus 1 [5269] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus tentet aliquem

Article 1 – Dieu tente-t-il quelqu’un ?

 

[5270] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 1 arg. 1 Circa primum sic proceditur. Videtur quod Dei non sit tentare. Tentatio enim est ad sumendum experimentum alicujus quod nescitur. Sed Deus nihil ignorat. Ergo tentare sibi non competit.

1. Il semble qu’il ne revienne pas à Dieu de tenter. En effet, la tentation vise à vérifier ce qu’on ne connaît pas. Or, Dieu n’ignore rien. Il ne lui revient donc pas de tenter.

 

[5271] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, videtur quod nec Daemoni. Intentio enim Daemonis est ad fallendum. Sed tentatoris, inquantum hujusmodi, non est fallere, sed experiri. Ergo Daemonis proprie officium non est tentare.

2. Il semble que cela [ne revienne] pas non plus au Démon. En effet, l’intention du Démon est de faire tomber. Or, l’intention du tentateur en tant que tel n’est pas de faire tomber, mais de vérifier. La fonction propre du Démon n’est donc pas de tenter.

 

[5272] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, videtur quod nec carni conveniat. Caro enim cognitionis particeps esse non potest. Sed ei quod non cognoscit, non convenit experiri vel tentare. Ergo nullus proprie ad peccandum a carne tentatur.

3. Il semble que cela ne convienne pas non plus à la chair. En effet, la chair ne peut pas participer à la connaissance. Or, il ne convient pas à ce qui ne connaît pas de vérifier ou de tenter. Au sens propre, personne n’est donc tenté de pécher par la chair.

 

[5273] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, videtur quod nec mundo. Nullus enim tentat eum quem abjectum reputat, quia tentatio de dubiis fit. Sed mundus sanctos quasi abjectos reputat. Ergo mundus non tentat eos.

4. Il semble que cela [ne convienne] pas non plus au monde. En effet, personne ne tente ce qu’il estime abject, car la tentation porte sur ce qui est douteux. Or, le monde estime que les saints sont abjects. Le monde ne les tente donc pas.

 

[5274] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, 1 Thess. 3, 5, dicitur: ne forte tentaverit vos is qui tentat, scilicet solus Diabolus, cujus officium est tentare. Ergo videtur quod nec mundus nec caro, nec etiam Deus tentat.

5. Il est dit en 1 Th 3, 5 : Afin que celui qui tente ne vous tente pas, à savoir, le Diable seulement, dont c’est la fonction de tenter. Il semble donc que ni le monde, ni la chair, ni Dieu même ne tente.

 

[5275] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Gen. 22, 1: tentavit Deus Abraham.

Cependant, [1] il est dit en Gn 22, 1 : Dieu tenta Abraham.

 

[5276] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 1 s. c. 2 Item Jacob. 14 dicitur: unusquisque tentatur a concupiscentia sua. Concupiscentia autem est peccatum quod in carne habitat. Ergo est aliqua tentatio a carne.

[2] Il est dit en Jc 14 : Chacun est tenté par sa concupiscence. Or, la concupiscence est un péché qui réside dans la chair. Il existe donc une tentation de la chair.

 

[5277] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ad perfectam rationem tentationis tria concurrunt. Primo ut per tentationem alicujus dubii cognitio accipiatur; secundo ut hoc sit intentum ab eo qui tentat; tertio ut ipsemet qui tentat, cognitionem illius rei accipere velit: et secundum hunc modum invenitur tentatio in hominibus, secundum quod homo hominem tentat, ut experimentum sumat scientiae vel alterius quod in ipso est. Alia vero dicitur tentatio in qua salvantur duo ex his, scilicet manifestatio ignoti, et intentio ejus: et hoc modo tentare dicitur Deus, ut patet in tentatione Abrahae: praeceptum enim de immolatione filii, tentatio ejus dicitur: quia per hoc manifestabatur qualis esset in obedientia et fide: hanc etiam manifestationem Deus intendebat. Sed tertium praedictorum huic tentationi defuit: non enim ad hoc tentavit Deus Abraham, ut fidei ejus cognitionem acciperet quam prius sciebat, sed ut aliis manifesta esset in exemplum. Alia vero tentatio est in qua salvatur unum tantum dictorum, scilicet manifestatio tentati: et sic dicitur caro tentare, vel mundus: quia in his cognoscitur manifeste virtus vel infirmitas mentis, sicut in bello cognoscitur virtus militis; quamvis hostes non impugnent ut cognoscant, sed ut vincant; unde ipsa impugnatio virtutis tentatio dicitur. Hoc autem est vel a principio intrinseco, scilicet ex corruptione carnis, et sic dicitur tentatio a carne: vel a principio extrinseco; et hoc dupliciter; quia illud quod exterius est, vel impugnat per modum objecti, et sic est tentatio a mundo, cujus rebus corda hominum alliciuntur ad peccandum: vel per modum agentis, qui trahit ad peccatum persuadendo, terrendo, blandiendo, et sic de aliis; et sic dicitur esse tentatio ab hoste, scilicet Diabolo, et ab his qui sunt membra ejus.

Réponse. Trois choses concourent à la notion parfaite de tentation. Premièrement, que, par la tentation, on tire une connaissance sur un doute ; deuxièmement, que ce soit là l’intention de celui qui tente ; troisièmement, que celui-là même qui tente veuille tirer une connaissance de cette chose. C’est ainsi qu’on trouve la tentation chez les hommes, selon qu’un homme tente un homme afin de vérifier la science ou quelque chose d’autre qui est en lui. On parle d’une autre tentation lorsque deux éléments sont préservés [sur les trois], à savoir, la manifestation de ce qui est ignoré et son intention. C’est de cette manière qu’on dit de Dieu qu’il tente, comme cela ressort dans la tentation d’Abraham. En effet, on dit que l’ordre d’immoler son fils a été pour lui une tentation, car il était ainsi manifesté quelles seraient son obéissance et sa foi ; Dieu avait aussi en vue cette manifestation. Mais le troisième des éléments mentionnés plus haut manquait à cette tentation : en effet, Dieu n’a pas tenté Abraham pour connaître sa foi, qu’il connaissait auparavant, mais pour qu’elle soit montrée en exemple. Mais il existe une tentation qui ne garde qu’un seul [des éléments] mentionnés, à savoir, la manifestation de celui est tenté. C’est ainsi qu’on dit de la chair ou du monde qu’ils tentent, car par eux sont connues de manière manifeste la vertu ou la faiblesse de l’esprit, comme la force du soldat est connue dans la guerre, bien que les ennemis ne combattent pas afin de connaître, mais pour vaincre. C’est ainsi que l’assaut contre la vertu est appelé une tentation. Or, cela se produit soit à partir d’un principe intérieur, à savoir, la corruption de la chair : on parle ainsi de tentation de la chair ; soit à partir d’un principe extérieur, et cela de deux manières. En effet, ce qui est extérieur donne l’assaut soit par mode d’objet, et ainsi on a la tentation du monde, dont les réalités attirent les cœurs des hommes en vue du péché ; soit par mode d’agent, qui attire vers le péché en persuadant, terrifiant, trompant, et ainsi de suite : on parle ainsi d’une tentation par l’Ennemi, à savoir, le Diable, et par ceux qui sont ses membres.

 

[5278] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus non tentat ut sibi aliquid ignotum manifestum fiat, sed ut aliis manifestetur, ut dictum est.

1. Dieu ne tente pas pour que quelque chose ignoré de lui lui devienne manifeste, mais afin que cela soit manifesté aux autres, comme on l’a dit.

 

[5279] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in tentatione Daemonis est duplex finis. Unus ultimus, scilicet inducere ad peccatum; et quantum ad hoc habet rationem tentationis, secundum quod quaelibet impugnatio dicitur tentatio. Alius est finis proximus, scilicet experiri ad quod vitium quisque maxime pronus est, ut ad illud impugnando trahat; et sic salvatur ibi ratio tentationis quantum ad primum modum. Unde Hugo de sancto Victore definiens Diaboli tentationem, dicit sic: tentare est callide experiri, et ante violentam impulsionem quasi quibusdam blandis conatibus probare.

2. Il y a une double fin à la tentation du Démon. L’une est [la fin] ultime, à savoir, mener au péché ; sous cet aspect, elle a raison de tentation, selon que n’importe quel assaut est appelé une tentation. L’autre est la fin prochaine, à savoir, vérifier à quel vice chacun est davantage porté, afin de l’attirer à cela en l’assaillant ; c’est ainsi que la raison de tentation est sauve pour ce qui est de son premier mode. C’est pourquoi Hugues de Saint-Victor, en définissant la tentation du Diable, dit : « Tenter, c’est vérifier sournoisement et mettre à l’épreuve, comme par des approches sournoises, avant un violent assaut. »

 

[5280] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium et quartum patet solutio per illud quod jam supra dictum est, quia non salvatur ibi tentatio secundum quod includit omnia tria praedicta.

3-4. La réponse aux troisième et quatrième arguments ressort clairement de ce qui a déjà été dit plus haut, car la notion de tentation n’est pas ici sauve selon qu’elle inclut chacune des trois choses mentionées.

 

[5281] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod solus Diabolus dicitur tentare, non quia ipse sit semper immediatus tentator, sed quia ipse primo tentavit hominem, ex qua tentatione parata est aliis tentantibus via. Vel aliter dicendum, quod Diabolus solus dicitur tentare, quia illi soli et membris ejus convenit impugnare virtutem cum intentione occidendi hominem per peccatum: hoc autem caro non intendit, sed delectabili cognito perfrui: vel quia ipse utitur rebus mundi et carne sicut instrumentis ad tentandum hominem.

5. On dit que seul le Diable tente, non parce qu’il est toujours le tentateur immédiat, mais parce qu’il a en premier tenté l’homme, tentation à partir de laquelle la route a été préparée aux autres tentations. Ou bien il faut dire autre chose : on dit que seul le Diable tente parce qu’il convient à lui seul et à ses membres de donner l’assaut à la vertu avec l’intention de tuer l’homme par le péché ‑ la chair n’a pas cet objectif, mais celui de jouir de la connaissance de quelque chose de délectable ‑, ou parce qu’il fait usage des réalités du monde et de la chair comme d’instruments pour tenter l’homme.

 

 

 

 

Articulus 2 [5282] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 tit. Utrum tentatio a Diabolo sit peccatum

Article 2 – La tentation par le Diable est-elle un péché ?

 

[5283] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod tentatio quae est ab hoste, etiam sit peccatum. Potestas enim minor non potest intentionem potestatis majoris repellere. Sed potestas Daemonis est major quam potestas hominis, ut dicitur Job 41, 24: non est potestas super terram quae ei possit comparari. Ergo cum intentio Daemonis sit ut inducat homines ad peccandum, videtur quod homo semper quando ab eo tentatur peccet.

1. Il semble que la tentation qui vient de l’Ennemi soit elle-même un péché. En effet, une puissance inférieure ne peut repousser l’intention d’une puissance plus grande. Or, la puissance du Démon est plus grande que la puissance de l’homme, comme il est dit en Jb 41, 24 : Il n’existe pas de pouvoir sur la terre qui puisse lui être comparé. Puisque l’intention du Diable est de conduire les hommes au péché, il semble donc que l’homme pèche toujours lorsqu’il est tenté par lui.

 

[5284] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, cum violentia excuset peccatum, ubi est major violentia, ibi minus peccatum. Sed, sicut in littera dicitur, gravior est tentatio quae est a carne quam ab hoste. Ergo cum illa quae est a carne, sit peccatum, ut in littera dicitur; multo amplius illa quae est ab hoste, peccatum erit.

2. Puisque la violence excuse le péché, là où la violence est plus grande, le péché est moindre. Or, comme on le dit dans le texte, la tentation qui vient de la chair est plus grande que celle qui vient de l’Ennemi. Puisque [la tentation] qui vient de la chair est un péché, comme on le dit dans le texte, à bien plus forte raison celle qui vient de l’Ennemi sera-t-elle un péché.

 

[5285] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, illud quod vitari non potest, non est in potestate nostra. Sed quamdiu in hac mortali vita vivimus, non omnino tentationem carnis vitare possumus. Ergo non est in potestate nostra; et tamen peccatum est: ergo et tentatio quae est ab hoste, quamvis in potestate nostra non sit, peccatum erit, cum in idem illicitum tendat.

3. Ce qui ne peut être évité n’est pas en notre pouvoir. Or, aussi longtemps que nous vivons en cette vie mortelle, nous ne pouvons éviter complètement la tentation de la chair. Elle n’est donc pas en notre pouvoir. Elle est cependant un péché. Donc aussi, la tentation qui vient de l’Ennemi, bien qu’elle ne soit pas en notre pouvoir, sera-t-elle un péché, puisqu’elle tend vers la même chose qui est interdite.

 

[5286] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, Diabolus tentare non potest, nisi aliquid in hominem imprimendo. Sed cum ipse sit pater iniquitatis et mendacii, Joan. 8, 44: ipse est mendax, et pater ejus, impressum ab eo non potest esse nisi peccatum. Ergo videtur quod semper quando tentat, in hominem peccatum imprimat.

4. Le Diable ne peut tenter qu’en faisant pression sur l’homme. Or, comme il est le père de l’iniquité et du mensonge, Jn 8, 44 : Lui-même est menteur et père du mensonge, ce qui est fait sous sa pression ne peut être qu’un péché. Il semble donc que toujours lorsqu’il tente, il laisse dans l’homme l’empreinte d’un péché.

 

[5287] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, motus vis concupiscibilis in illicitum tendens, tentatio carnis est, quae peccatum in littera dicitur. Sed vis concupiscibilis, cum sit affixa organo corporali, cogi potest et immutari per immutationem organi. Ergo videtur quod Daemon tentando nos possit facere in nobis peccatum esse; et ita tentatio quae est tantum ab hoste peccatum erit.

5. Un mouvement de la puissance concupiscible ayant quelque chose d’interdit comme objet est une tentation de la chair, qu’on appelle péché dans le texte. Or, la puissance concupiscible, puisqu’elle est liée à un organe corporel, peut être forcée et changée par un changement de l’organe. Il semble donc qu’en nous tentant, le Diable peut faire qu’un péché existe en nous, et ainsi la tentation qui vient seulement de l’Ennemi sera un péché.

 

[5288] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, ut dicitur Matth. 4, Christus a Diabolo tentatus fuit. Sed in eo locus peccati non fuit; unde ipse dicit Joan. 14, 30: venit princeps mundi hujus, et in me non habet quidquam. Ergo non omnis tentatio quae est ab hoste, peccatum est.

Cependant, [1] comme il est dit en Mt 4, le Christ a été tenté par le Diable. Or, il n’y avait pas place pour le péché en lui ; aussi dit-il, Jn 14, 30 : Le Prince de ce monde est venu, et il n’y a rien pour lui en moi. Toute tentation qui vient de l’Ennemi n’est donc pas un péché.

 

[5289] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, ut Augustinus dicit, nullus peccat in eo quod vitare non potest. Sed homo nullo modo vitare potest quin hostis eum tentet. Ergo tentatio quae est ab hoste non est peccatum.

[2] Comme le dit Augustin, « personne ne pèche en ce qu’il ne peut éviter ». Or, l’homme ne peut aucunement éviter que l’Ennemi le tente. La tentation qui vient de l’Ennemi n’est donc pas un péché.

 

[5290] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod peccatum unius non consistit in actu alterius, sed in actu proprio, prout dicitur Ezech. 18, 20: anima quae peccaverit, ipsa morietur. In tentatione autem carnis, ipse appetitus illicitus, secundum quem aliquis tentari dicitur, est actus ejus qui tentatur: non enim sola caro concupiscit, sed conjunctum: et ideo talis tentatio est peccatum in eo qui tentatur. Tentatio autem quae est a mundo, vel ab hoste, est a principio extrinseco; unde actus non pertinet ad tentatum, sed passio tantum: et propter hoc non est peccatum in tali tentatione nisi per delectationem consensus, quia tunc tentatus incipit cooperari tentanti.

Réponse. Le péché de quelqu’un ne consiste pas dans l’acte d’un autre, mais dans son acte propre, ainsi que le dit Ez 18, 20 : C’est l’âme qui aura péché qui mourra. Or, dans la tentation de la chair, le désir interdit lui-même, selon lequel on dit de quelqu’un qu’il est tenté, est un acte de celui qui est tenté. En effet, non seulement la chair désire de manière désordonnée, mais le composé. Une telle tentation est donc un péché chez celui qui est tenté. Mais la tentation du monde ou de l’Ennemi vient d’un principe extérieur. L’acte ne relève donc pas de celui qui est tenté, mais seulement le fait de subir. Pour cette raison, il n’y a pas de péché dans une telle tentation, sauf par le plaisir du consentement, car alors celui qui est tenté commence à coopérer avec celui qui tente.

 

[5291] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis potestas Daemonis sit simpliciter major quam potestas hominis, tamen quantum ad aliquid non est major, scilicet quantum ad actus liberi arbitrii, qui cogi non possunt: quia horum actuum ipse homo dominus est et non Daemon; et ideo potest homo tentationi ejus resistere.

1. Bien que le pouvoir du Démon soit simplement plus grand que le pouvoir de l’homme, il n’est cependant pas plus grand sous un aspect, à savoir, pour ce qui est des actes du libre arbitre, qui ne peuvent être forcés, car l’homme lui-même est le maître de ces actes, et non le Démon. C’est pourquoi l’homme peut résister à toute tentation.

 

[5292] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod tentatio carnis pro tanto dicitur esse gravior, quia est ipsi tentato proximior, secundum quod per eam quodammodo in diversa desideria dividitur interioris et exterioris hominis. Nec tamen est ibi violentia absoluta: quia interior homo non cogitur sequi motum exterioris hominis; unde adhuc remanet ratio peccati, et magis quam in tentatione hostis, secundum quod ipsum desiderium est actus ipsius tentati, et quodammodo in potestate ejus.

2. On dit que la tentation de la chair est plus grande parce qu’elle est plus proche de celui qui est tenté, selon que, par elle, il est d’une certaine manière divisé entre les désirs différents de l’homme intérieur et de l’homme extérieur. Cependant, il n’y a pas là de violence absolue, car l’homme intérieur n’est pas forcé de suivre les mouvements de l’homme extérieur. Aussi reste-t-il une raison de péché, et davantage que dans la tentation de l’Ennemi, selon que le désir même est un acte de celui qui est tenté et, d’une certaine manière, en son pouvoir.

 

[5293] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis homo non possit vitare tentationem carnis ita quod nullam habeat, potest tamen vitare hanc vel illam singulariter; et ita quodammodo est in potestate ejus. Sed tentatio quae est ab hoste, nullo modo.

3. Bien que l’homme ne puisse éviter la tentation de la chair au point de n’en avoir aucune, il peut cependant éviter telle ou telle individuellement ; elle est ainsi, d’une certaine manière, en son pouvoir. Mais la tentation qui vient de l’Ennemi ne l’est d’aucune manière.

 

[5294] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Daemon potestatem habet imprimendi in imaginationem vel repraesentando aliqua sensibilia exterius, vel etiam turbando imaginationem interius: et quomodo hoc sit, supra in tractatu de Angelis dictum est: et ideo secundum quod hoc modo imprimit in nos, tentare dicitur. Haec autem impressio ex hoc non habet rationem peccati, cum non sit in appetitu, sed in apprehensione tantum; sed est tendens in peccatum quantum est de ratione tentantis.

4. Le Démon a le pouvoir de faire pression sur l’imagination soit en représentant de l’extérieur certaines réalités sensibles, soit encore en troublant l’imagination de l’intérieur. Comment cela peut se faire, on l’a dit plus haut dans le traité sur les anges. C’est pourquoi on dit qu’il tente selon qu’il peut faire ainsi pression sur nous. Or, cette pression n’a pas en elle-même raison de péché, puisqu’elle ne se trouve pas dans l’appétit, mais dans la perception seulement ; mais elle tend vers le péché pour autant qu’elle relève de la raison de celui qui tente.

 

[5295] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod motus vis concupiscibilis potest dupliciter insurgere. Vel ex qualitate organi, sicut calefacto corpore insurgit motus libidinis sine aliqua imagine; et ille motus est pure naturalis nec rationem peccati habens: et ad hoc potest virtus Daemonis ex potestate suae naturae, quae in transmutationem corporalium potest nisi virtute divina cohibeatur. Alius motus concupiscibilis est qui insurgit ex apprehensione delectabilis; et ex parte illa appetitus concupiscibilis habet quamdam libertatem, ad minus in homine, secundum quod potest obedire imperio rationis prohibentis; et sic in concupiscibili potest esse peccatum. Sed hunc motum Diabolus extorquere non potest.

5. Un mouvement de la puissance concupiscible peut se manifester de deux manières. Soit en raison de la qualité de l’organe, comme lorsque se manifeste un mouvement désordonné de désir, sans aucune image, alors que le corps est réchauffé. Ce mouvement est purement naturel et n’a pas raison de péché. La puissance du Démon a pouvoir sur cela en raison du pouvoir de sa nature, qui peut agir pour transformer les réalités corporelles, à moins qu’il n’en soit empêché par la puissance divine. Il y a un autre mouvement du concupiscible qui se manifeste par la perception de ce qui est délectable. Sous cet aspect, l’appétit concupiscible a une certaine liberté, du moins chez l’homme, selon qu’il peut obéir au commandement de la raison qui l’interdit ; et un péché peut ainsi exister dans le concupiscible. Mais le Diable ne peut arracher un tel mouvement par la force.

 

 

 

 

Articulus 3 [5296] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 tit. Utrum tentatio sit appetenda

Article 3 – Faut-il désirer la tentation ?

 

[5297] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod tentatio sit appetenda. Primo per hoc quod dicitur Jacob. 1, 2: omne gaudium existimate, fratres mei, cum in tentationes varias incideritis. Sed illud de quo gaudendum est quando habetur, est appetendum quando non habetur. Ergo tentatio est appetenda.

1. Il semble que la tentation doive être désirée. Premièrement, en raison de ce qui est dit en Jc 1, 2 : Tenez pour une joie suprême, mes frères, d’être soumis à toutes sortes de tentations. Or, ce dont il faut se réjouir lorsqu’on le possède doit être désiré lorsqu’on ne le possède pas. La tentation doit donc être désirée.

 

[5298] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, illud in quo manifestatur bonum alicujus est appetendum. Sed virtus mentis in tentationibus ostenditur, et ibi quodammodo refloret. Ergo idem quod prius.

2. Ce par quoi se manifeste le bien de quelqu’un doit être désiré. Or, la puissance de l’esprit est manifestée par les tentations et, en quelque sorte, elle y refleurit. La conclusion est donc la même que précédemment.

 

[5299] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, illud quod est materia et organum virtutis, est appetendum. Sed sicut dicit Augustinus, tentatio cui non consentitur est materia exercendae virtutis. Ergo est appetenda.

3. Ce qui est la matière et l’instrument de la vertu doit être désiré. Or, comme le dit Augustin, « la tentation à laquelle on ne consent pas est matière à l’exercice de la vertu ». Elle doit donc être désirée.

 

[5300] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud sine quo non potest perveniri ad regnum, est studio appetendum. Sed tentatio est hujusmodi: quia non coronabitur nisi qui legitime certaverit: 2 Tim., 2. Certamen autem spirituale sine tentatione non est. Ergo tentatio est appetenda.

4. Ce sans quoi on ne peut parvenir au royaume doit être désiré avec application. Or, la tentation est de ce genre, car ne sera couronné que celui qui aura combattu selon les règles, 2 Tm 2. Or, il ne peut exister de combat spirituel sans tentation. La tentation doit donc être désirée.

 

[5301] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, ut scribitur 2 Corinth., 12, Paulus petivit stimulum carnis a se removeri, per quem carnis tentatio intelligitur. Sed ibi dicit Glossa, quod ipse hoc petens nescivit quid peteret. Ergo videtur quod non est desiderandum extra tentationem esse.

5. Comme il est écrit en 2 Co 12, Paul a demandé que l’aiguillon dans sa chair lui soit retiré, par quoi on entend la tentation de la chair. Or, la Glose dit à cet endroit qu’en demandant cela, il ne savait pas ce qu’il demandait. Il semble donc qu’il ne faille pas désirer ne pas être tenté.

 

[5302] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra illud quod debemus orare, debemus desiderare. Sed dominus Matth. 6, 13, docet nos orare, dicens: et ne nos inducas in tentationem. Ergo debemus desiderare tentationes a nobis removeri.

Cependant, [1] nous devons désirer ce pour quoi nous devons prier. Or, le Seigneur nous enseigne à prier en disant, Mt 6, 13 : Et ne nous soumets pas à la tentation. Nous devons donc désirer que les tentations soient écartées de nous.

 

[5303] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, sicut voluntas nostra debet divinae voluntati esse conformis, ita a voluntate hostis debet esse discordans. Sed hostis vult et petit nos tentare, ut habetur Lucae 22, 31: ecce Satan expetivit vos, ut cribraret sicut triticum. Ergo tentationem velle non debemus.

[2] De même que notre volonté doit être conforme à la volonté divine, de même doit-elle être en désaccord avec la volonté de l’Ennemi. Or, l’Ennemi veut et demande de nous tenter, comme on le lit en Lc 22, 31 : Voici que Satan vous a réclamés, afin de vous passer au crible comme le froment. Nous ne devons donc pas vouloir la tentation.

 

[5304] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum bonum sit objectum voluntatis et desiderii, eo modo aliquid est adamandum quo est bonum. Inter bona autem invenitur aliquod quod est bonum simpliciter et per se, sicut bona honesta, quae tamquam fines appetuntur sui gratia, etsi in aliud ducant: quia in omnibus honestis utilitas honestati coincidit, nisi in ultimo, quod est finis finium, quod propter se tantum appetendum est. Aliquid tamen est quod in se bonitatem habet, non tamen appetitur, si absolute consideretur, sed ex ordine ad finem bonitatem quamdam sortitur quae utilitas nominatur: et haec sunt tantum propter aliud appetenda, ut sectio membri propter sanitatem, et hujusmodi. Sed sciendum, quod ad finem aliquem consequendum contingit aliquid dupliciter ordinari; per se scilicet, et per accidens. Per se dico quod, quantum est in se, in finem debitum ductivum est; per accidens autem quod, quantum in se est, in aliud duceret, sed ex concursu alterius causae ducit ad finem ipsum; sicut qui comedit venenum ut moriatur, et contingit ex hoc sanitas. Cum ergo causa per accidens non sit proportionata ad effectum, sed solum causa per se; ex ordine ad finem qui est per accidens, non erit dicendum aliquid bonum vel appetibile simpliciter acceptum, sed solum concurrentibus omnibus quae ad hunc effectum determinant. Dico ergo, quod tentatio per se ordinata est ad hominis perditionem; ad salutem vero non ordinatur nisi per accidens, scilicet ex hoc quod vincitur per auxilium gratiae divinae: et ideo tentari simpliciter non est appetendum; sed tentari et vincere simul acceptum appetendum est. Sed quia propter nostram fragilitatem victoria nimis dubia est, ideo securius fugitur quam quaeratur.

Réponse. Puisque le bien est l’objet de la volonté et du désir, nous devons aimer une chose selon qu’elle est un bien. Or, parmi les biens, on en trouve un qui est bon simplement et par soi, comme les biens honorables, qui sont désirés comme des fins en eux-mêmes, même s’ils conduisent à autre chose, car, en tout ce qui est honorable, l’utilité coïncide avec ce qui est honorable, sauf dans ce qui est ultime, qui est la fin des fins, qui doit être désiré pour soi seulement. Il existe cependant quelque chose qui possède une bonté en soi, mais n’est cependant pas désiré, si on le considère de manière absolue, mais tire sa bonté de son rapport à la fin : on appelle cela utile. Cela doit être désiré pour autre chose seulement, comme l’amputation d’un membre en vue de la santé, et les choses de ce genre. Or, il faut savoir qu’une chose est ordonnée à une fin de deux manières : par soi et par accident. Je dis « par soi » pour ce qui de soi est susceptible de mener à la fin appropriée ; mais « par accident », pour ce qui de soi mènerait à autre chose, mais qui, en raison de l’intervention d’une autre cause, mène à la fin elle-même ; ainsi, celui qui mange un poison devrait mourir, mais la santé en provient. Ainsi donc, puisque la cause par accident n’est pas proportionnée à l’effet, mais seulement la cause par soi, en raison de l’ordre à la fin qui est accidentel, on ne devra donc pas dire d’une chose qu’elle est bonne ou doit être désirée à la considérer simplement, mais seulement par le concours de tout ce qui détermine à cet effet. Je dis donc que la tentation est ordonnée de soi à la perdition de l’homme, mais elle n’est ordonnée à son salut que par accident, du fait qu’elle est vaincue par l’aide de la grâce divine. C’est pourquoi on ne doit pas désirer simplement être tenté, mais être tenté et vaincre, pris ensemble, doivent être désirés. Mais parce qu’en raison de notre fragilité, la victoire est trop douteuse, il est donc plus sûr de la fuir que de la rechercher.

 

[5305] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod beatus Jacobus loquitur de tentatione tribulationum, ad quarum patientiam hortatur, ut inter eas aequanimitatem et gaudium mentis servent: non enim aliter eas vincere possunt nisi per patientiam. Unde ipsum gaudium victoria quaedam est: quod quidem est non de tentationibus secundum se, sed de patientia, quae tentationem vincit.

1. Le bienheureux Jacques parle de la tentation par les tribulations, qu’il exhorte [de supporter] avec patience afin que soient préservées au milieu d’elles l’égalité d’âme et la joie : en effet, on ne peut vaincre parmi elles que par la patience. Aussi la joie même est-elle une victoire, ce qui ne vient pas des tentations en elles-mêmes, mais de la patience qui vainc la tentation.

 

[5306] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in tentationibus non lucet bonum hominis nisi praesupposito quodam alio, scilicet earum victoria, cum qua appetendae sunt.

2. Au milieu des tentations, le bien de l’homme ne brille qu’en présupposant autre chose : la victoire sur elles, avec laquelle elles doivent être désirées.

 

[5307] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non sunt materia virtutis tamquam per se ad virtutem ordinatae, sed per accidens tantum.

3. Elles ne sont pas matière à la vertu en tant qu’ordonnées par elles-mêmes à la vertu, mais par accident seulement.

 

[5308] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tentationes non sunt necessariae ut perveniatur ad regnum, nisi necessitate conditionata; sic scilicet ut si tentationes adveniant, non veniatur ad regnum, nisi vincantur. Sed tentationes advenire non est necessarium absolute, nisi secundum corruptionem status praesentis, ex qua sequitur pugna carnis adversus spiritum, quae tentatio dicitur.

4. Les tentations ne sont nécessaires pour parvenir au royaume que selon une nécessité conditionnelle, à savoir que si les tentations surviennent, on ne parvient au royaume qu’en l’emportant sur elles. Mais il n’est nécessaire de manière absolue que les tentations surviennent qu’en raison de la corruption de l’état présent, dont découle le combat de la chair contre l’esprit, qu’on appelle tentation.

 

[5309] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Paulus petens a se stimulum carnis removeri, recte petiit, habita consideratione ipsius stimuli absolute: sed quia considerato eventu pugnae, in qua victor futurus erat, remotio stimuli non sibi expediebat, qui tamen eventus sibi certus non erat; pro tanto dicitur nescisse quid peteret; unde certificatus de victoria, verbo domini dicentis, loc. cit., sufficit tibi gratia mea, patienter stimulum sustinuit.

5. En demandant que l’aiguillon de la chair lui soit retiré, Paul a fait une demande correcte, si on prend en considération l’aiguillon même de manière absolue ; mais parce que, en prenant en compte l’éventualité de la victoire par laquelle il devait être vainqueur, l’enlèvement de l’aiguillon ne lui convenait pas, alors que cette éventualité n’était pas certaine pour lui. Pour autant, on dit qu’il ne savait pas ce qu’il demandait. C’est pourquoi, assuré de la victoire par la parole du Seigneur disant, à l’endroit indiqué : Ma grâce te suffit, il a patiemment supporté l’aiguillon.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le déroulement de la tentation des premiers parents]

 

Prooemium

Prologue

 

[5310] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 pr. Deinde quaeritur specialiter de tentatione primorum parentum; et circa hoc quaeruntur tria: 1 de progressu tentationis; 2 de quantitate peccati tentationem sequentis; 3 utrum Adam potuerit peccare venialiter antequam mortaliter.

Ensuite, on s’interroge de manière particulière sur la tentation des premiers parents. À ce sujet, on pose trois questions : 1. Sur le déroulement de la tentation. 2. Sur la grandeur du péché qui a découlé de la tentation. 3. Adam pouvait-il pécher véniellement avant de pécher mortellement ?

 

 

 

 

Articulus 1 [5311] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 tit. Utrum Diabolus ex invidia, et in forma serpentis tentaverit Evam

Article 1 – Le Diable a-t-il tenté Ève par envie et sous la forme d’un serpent ?

 

[5312] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur non fuisse talis tentationis progressus, qualis in littera describitur. Invidia enim respectu superioris est; unde dicitur Job 5, 2: parvulum occidit invidia. Sed Adam non erat superior Daemone, ad minus reputatione Daemonis, qui fuit superbissimus. Ergo non est ex invidia stimulatus ad tentandum.

1. Il semble que le déroulement de la tentation n’a pas été celui qui a été décrit dans le texte. En effet, l’envie concerne quelqu’un de supérieur; aussi est-il dit en Jb 5, 2: L’envie détruit le petit. Or, Adam n’était pas supérieur au Démon, du moins selon ce que pensait le Démon, qui était très orgueilleux. Il n’a donc pas été incité à tenter par envie.

 

[5313] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, in primo statu anima corpori omnino imperabat. Ergo diversitas quae erat ex parte corporis, nullo modo in animam redundabat. Sed mulier differebat a viro secundum corporis dispositionem; unde philosophus in 10 Metaph. dicit, quod mas et femina differunt differentiis materialibus. Ergo tunc temporis non oportebat quod femina esset minus sapiens vel fortis quam vir; et ita nulla ratio videtur quare per mulierem ad virum tentando transierit.

2. Dans le premier état, l’âme commandait tout à fait au corps ; la diversité qui venait du corps ne rejaillissait donc d’aucune manière sur l’âme. Or, la femme différait de l’homme selon la disposition de son corps ; aussi le Philosophe dit-il, Métaphysique, X, que « l’homme et la femme diffèrent par des différences matérielles ». Il n’était donc pas nécessaire qu’à ce moment-là, la femme soit moins sage ou moins forte que l’homme. Et ainsi, il ne semble exister aucune raison pour que le [Démon] rejoigne l’homme par l’intermédiaire de la femme en la tentant.

 

[5314] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, tentatio est assimilatio boni ad fallendum, ut Cassiodorus super Psalmos dicit. Si ergo iniquus persuasor tentare hominem disponebat, formam boni persuasoris, scilicet Angeli, assumere debuit.

3. « La tentation est une ressemblance avec quelqu’un de bon en vue de faire tomber », comme le dit Cassiodore en commentant les psaumes. Si donc l’injuste qui entraînait décidait de tenter l’homme, il devait prendre la forme de quelqu’un de bon qui entraînerait, à savoir, celle d’un ange.

 

[5315] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 4 Si dicatur, quod non fuit permissus, ne homo quasi violenter deciperetur; contra. Ad pium custodem pertinet magis infirmis majoris defensionis auxilium exhibere. Cum ergo post peccatum, quando natura humana est infirmior, non cohibeatur Satanas quin in Angelum lucis se transformet, ut dicitur 2 Cor. 10, multo minus tunc cohiberi debuit.

4. Si on dit qu’il n’a pas été permis que l’homme soit trompé pour ainsi dire violemment, on dira en sens contraire qu’il relève d’un gardien attentif de porter secours aux faibles par une défense plus grande. Puisque, après le péché, alors que la nature humaine est plus faible, Satan n’a pas été empêché de se transformer en ange de lumière, comme il est dit en 2 Co, 10, à bien moins forte raison devait-il être alors empêché.

 

[5316] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, consideratio praecepti in actu a peccato retrahit; et sic tentationis effectum impedit. Si ergo tentator ad trahendum in peccatum venerat, videtur quod inconvenienter mulierem in memoriam praecepti adduxerit.

5. La considération en acte du commandement retient de pécher, et ainsi elle empêche l’effet de la tentation. Si donc le Tentateur était venu pour entraîner au péché, il semble qu’il aura de manière inappropriée amené la femme à se rappeler le commandement.

 

[5317] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Sap. 2, 24: invidia Diaboli mors introivit in orbem terrarum. Et ita videtur quod ex invidia Diabolus commotus fuerit ad tentandum.

Cependant, [1] il est dit en sens conntraire dans Sg 2, 24 : C’est par l’envie du Diable que la mort est entrée dans le monde. Il semble ainsi que c’est par l’envie que le Diable à été poussé à tenter.

 

[5318] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ut Augustinus dicit, ordo tentationis interioris qui in nobis nunc agitur, repraesentat ordinem tentationis in primis parentibus servatum. Sed in nobis tentatio a sensualitate incipit, et per inferiorem rationem in superiorem producitur. Cum ergo sensualitas serpentem repraesentet, et inferior ratio mulierem, et superior virum; videtur quod decentissimus fuit talis ordo tentationis in primo peccato, ut in eo possit peccatorum sequentium similitudo ostendi.

[2] Comme le dit Augustin, « l’ordre de la tentation intérieure qui se passe maintenant en nous représente l’ordre de la tentation observé chez les premiers parents ». Or, chez nous, la tentation commence par la sensualité et passe de la raison inférieure à la raison supérieure. Puisque la sensualité représente le serpent, la raison inférieure, la femme, et la raison supérieure, l’homme, il semble donc que l’ordre de la tentation, lors du premier péché, a été tout à fait approprié, de sorte que, par lui, puisse être montrée une ressemblance des péchés suivants.

 

[5319] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut Magister dixit, 7 dist., Daemones quaedam possunt per naturae suae potestatem quae non possunt propter Dei vel Angelorum cohibitionem; ita etiam et eorum astutia intellectus et nequitia voluntatis in multis impeditur, ut non faciant omne quod volunt, etiam quod ad finem suae intentionis conveniens astute vident; unde in tentatione primorum parentum Diabolus aliquid fecit quod voluit, ut scilicet a muliere tentationem inciperet, et ut aliena forma veniret; quod autem in forma serpentis veniret, non sponte elegit, sed ex permissione divina, quae eum alias species, in quibus magis posset latere, assumere prohibebat, ut in littera dicitur.

Réponse. Comme le dit le Maître, d. 7, les démons peuvent faire certaines choses par le pouvoir de leur nature, qu’ils ne peuvent pas faire parce que Dieu ou les anges les en empêchent ; de même, l’habileté de leur intelligence et la méchanceté de leur volonté sont empêchées en plusieurs choses, de sorte qu’ils ne font pas tout ce qu’ils veulent, même ce qu’ils estiment convenir habilement à la fin de leur intention. Aussi, dans la tentation des premiers parents, le Diable a-t-il fait quelque chose qu’il voulait, à savoir, commencer la tentation par la femme en prenant une forme étrangère ; mais qu’il ait dû prendre la forme du serpent, il ne l’a pas choisi de son gré, mais par une permission divine, qui l’empêchait de prendre d’autres formes sous lesquelles il pourrait mieux se cacher, comme le dit le texte.

 

[5320] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Diabolus homini invidebat, quem sibi superiorem futurum putabat, si illuc ascenderet unde ipse descenderat; et in hoc ipso jam superiorem quod ad bonum illud habendum paratus erat homo quod ipse Daemon in perpetuum amiserat: nec in hoc aliquid ejus superbiae derogatur, quia superbia potius est in appetitu excellentiae quam in aestimatione, nisi prout aestimatio ex appetitu excellentiae nascitur, qui oculos mentis claudit. Unde superbi frequenter alios se superiores in multis aestimant, qui tamen multa sibi magis digna esse cogitant, propter alia bona in quibus alios excedere videntur: et ideo ex ipsa superbia invidiae zelus oritur. Unde dicit Augustinus: amando quisque excellentiam suam, vel paribus invidet quod ei coaequantur, vel inferioribus ne sibi coaequentur, vel superioribus quod eis non coaequetur.

1. Le Diable enviait l’homme, dont il pensait qu’il allait lui devenir supérieur, s’il remontait là d’où il était descendu. En cela, l’homme était prèt à posséder ce bien supérieur que le Démon lui-même avait perdu pour toujours. Et cela ne dérogeait en rien à son orgueil, car l’orgueil se trouve plutôt dans le désir d’excellence que dans le jugement, à moins que le jugement ne naisse du désir d’excellence, qui ferme les yeux de l’esprit. Aussi les orgueilleux jugent-ils souvent que les autres leur sont supérieurs en beaucoup de choses ; ils pensent cependant que beaucoup de choses sont plus dignes d’eux en raison des autres biens où ils paraissent dépasser les autres. C’est pourquoi l’ardeur de l’envie naît de l’orgueil même. Augustin dit ainsi : « En aimant sa propre excellence, soit il envie ses égaux pour ce en quoi ils lui sont égaux, soit ses inférieurs, de crainte qu’ils ne lui soient égaux, soit ses supérieurs pour ce en quoi il ne leur est pas égal. »

 

[5321] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod alia est obedientia corporis ad animam in primo statu, et alia in ultimo. In primo enim statu sic erat subjectum corpus animae ut nihil in corpore contingere posset quod contra bonum animae foret vel quantum ad esse vel quantum ad operationem; nec tamen removebatur quin etiam tunc secundum diversitatem corporum diversa fuisset dignitas animarum, cum oporteat animae ad corpus proportionem esse, ut formae ad materiam, et motoris ad motum: et ideo mulier, etiam quantum ad animam viro imperfectior erat. In ultimo vero statu talis erit subjectio ut etiam qualitas corporis sequatur virtutem mentis; unde secundum diversitatem meritorum erit anima unius alia dignior, et corpus gloriosius; unde non erit differentia propter sexum diversum.

2. Autre est l’obéissance du corps à l’âme dans le premier état, autre dans le dernier. En effet, dans le premier état, le corps était soumis à l’âme au point que rien ne pouvait se produire dans le corps qui pourrait être contraire au bien de l’âme, soit pour son être, soit pour son opération. Toutefois, cela n’empêchait pas que, selon la diversité des corps, existe une dignité différente des âmes, puisqu’il est nécessaire qu’existe une proportion entre l’âme et le corps, comme entre la forme et la matière, et entre le moteur et ce qui est mû. C’est pourquoi la femme, même pour ce qui était de son âme, était plus imparfaite que l’homme. Mais, dans le dernier état, la soumission sera telle que la qualité même du corps suivra la puissance de l’esprit. Selon la diversité des mérites, une âme sera donc plus digne qu’une autre et un corps, plus glorieux. Aussi n’y aura-t-il pas de différence en raison de la différence de sexe.

 

[5322] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut in littera dicitur, aliam speciem in qua appareret, et praecipue boni Angeli, libenter elegisset; sed permissus non fuit.

3. Comme il est dit dans le texte, il aurait volontiers choisi une autre apparence sous laquelle il serait apparu, et surtout celle d’un ange bon ; mais cela ne lui fut pas permis.

 

[5323] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis homo in primo statu esset fortior, tamen post peccatum factus est cautior per experientiam mali; unde fraudibus hostis quas quotidie experitur, melius resistere novit; vel quia in poenam peccati hoc consecutum est, ut homo, qui Diabolo se sponte subjecit, violentius ab eo impugnetur.

4. Bien que, dans son premier état, l’homme ait été plus fort, il est devenu, après le péché, plus défiant en raison de son expérience du mal. Aussi a-t-il appris à mieux résister aux ruses de l’Ennemi qu’il éprouve tous les jours. Ou bien parce qu’il est arrivé comme peine du péché que l’homme, qui s’est soumis au Diable de son plein gré, soit assailli par lui plus violemment.

 

[5324] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, secundum philosophum in 3, et in 7 Ethic., omnis malus quodammodo ignorans est: oportet enim quod existimatio rationis in peccante corrumpatur, quia malum pro bono eligit. Hoc autem contingit dupliciter; vel in universali, vel in particulari. Rectam autem aestimationem in particulari corrumpit delectatio, ut philosophus, in 6 Ethic., dicit; et etiam aliae passiones, quae tunc inesse homini non poterant praeter regulam rationis; et ideo oportuit ut in universali aestimatio corrumperetur; et ideo praeceptum ad memoriam reduxit tentator, ut aestimationem rectam falsis suasionibus corrumperet, et sic ad peccandum inclinaret. Vel dicendum, ut dicit Augustinus, 11 super Genes., quod ideo prius interrogavit serpens, et respondit haec mulier, ut in praevaricatione esset inexcusabilis, nec ullo modo dici posset, illud quod praeceperat Deus, oblitam fuisse mulierem; quamquam et oblivio praecepti, maxime unius, et tam necessarii, ad maximam culpam damnabilis negligentiae pertineret. Verumtamen evidentior ejus transgressio est, cum memoriae retinetur, et tamquam in illo Deus assistens praesensque contemnitur.

5. Selon le Philosophe, dans Éthique, III et VII, « tout méchant est d’une certaine manière un ignorant ». En effet, il faut que le jugement de la raison soit corrompu chez celui qui pèche, car il choisit le mal à la place du bien. Or, cela se produit de deux manières: soit de manière universelle, soit de manière particulière. Le plaisir corrompt le jugement droit de manière particulière, comme le dit le Philosophe, Éthique, VI; et aussi les autres passions, qui ne pouvaient alors exister chez l’homme en dehors de la règle de la raison. C’est pourquoi il fallait que le jugement soit corrompu de manière universelle. Aussi le Tentateur a-t-il rappelé le commanement à la mémoire afin de corrompre le jugement droit par des conseils faux et ainsi l’incliner à pécher. Ou bien il faut dire, comme le dit Augustin, Commentaire littéral de la Genèse, XI, que le serpent a d’abord interrogé et la femme répondu cela « afin qu’elle soit inexcusable dans sa prévarication et qu’on ne puisse jamais dire que la femme avait oublié ce que Dieu avait ordonné, bien que l’oubli du commandement, surtout d’un seul si nécessaire, relevait de la faute très grande d’une négligence coupable. À la vérité, la transgression est plus évidente lorsque [le commandement] est gardé en mémoire et que Dieu, qui aide et est présent, est méprisé en lui. »

 

 

 

 

Articulus 2 [5325] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 tit. Utrum peccatum Adae fuerit gravius omnibus aliis peccatis

Article 2 – Le péché d’Adam a-t-il été plus grave que tous les autres péchés ?

 

[5326] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod peccatum Adae gravius fuerit omnibus aliis peccatis. Quia, sicut dicit Augustinus, in Lib. 14 de civitate Dei, magna est enim in peccando iniquitas, cui tanta est in non peccando facilitas. Sed Adam facilius potuit vitare peccatum quam aliquis sequentium. Ergo ipse gravius peccavit.

1. Il semble que le péché d’Adam a été plus grave que tous les autres péchés, car, ainsi que le dit Augustin, La cité de Dieu, XIV, « grave est en effet l’iniquité du péché chez celui à qui a été donnée une telle facilité de ne pas pécher ». Or, Adam pouvait plus facilement éviter le péché que l’un de ses descendants. Il a donc péché plus gravement.

 

[5327] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod ex hoc aliquid est malum, quia adimit bonum. Sed peccatum primi hominis plus de bono ademit, totam naturam humanam corrumpens, quam aliquod peccatorum sequentium. Ergo pejus aliis fuit.

2. Augustin dit qu’une chose est mal parce que cela enlève un bien. Or, le péché du premier homme a enlevé davantage de bien, en corrompant toute la nature humaine, qu’un péché des descendants. Il était donc pire que les autres.

 

[5328] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, majori culpae major poena debetur. Sed peccatum Adae gravissime punitum fuit a Deo, quia ad omnes posteros ejus poena extenditur. Ergo gravius aliis fuit.

3. Une plus grande peine est due pour un péché plus grand. Or, le péché d’Adam a été le plus gravement puni par Dieu, car la peine s’étend à tous ses descendants. Il a donc été plus grave que les autres.

 

[5329] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, videtur quod etiam irremissibile fuerit. Quia bonum gratiae excedit bonum naturae. Angelus autem per peccatum a statu naturalium tantum cecidit, secundum opinionem illorum qui dicunt eos in naturalibus tantum creatos; homo autem etiam a statu gratiae cecidit. Cum ergo tantum casus sit gravior quantum gradus est altior, videtur quod irremissibilius fuerit peccatum Adae quam etiam Daemonis.

4. Il semble qu’il ait aussi été irrémissible, car le bien de la grâce dépasse le bien de la nature. Or, l’ange n’est déchu par son péché que de son état naturel, selon l’opinion de ceux qui disent qu’ils n’ont été créés qu’avec leurs attributs naturels ; mais l’homme est aussi déchu de l’état de la grâce. Puisque la chute est d’autant plus grave que le degré est plus élevé, il semble donc que le péché d’Adam ait été plus irrémissible que même celui du Démon.

 

[5330] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, bonum est potentius quam malum. Sed Adam per peccatum totam naturam humanam corrupit, quia in eo originaliter erat. Si ergo poenitere potuisset, et sic remedium peccati sui habere, videtur quod totam naturam humanam reintegrare potuisset: quod falsum est, quia hoc solus filius Dei potuit. Ergo idem quod prius.

5. Le bien est plus puissant que le mal. Or, Adam a corrompu toute la nature humaine par le péché, car celui-ci était en lui comme en son origine. S’il avait pu se repentir et ainsi obtenir un remède de son péché, il semble qu’il aurait pu redonner son intégrité à toute la nature humaine, ce qui est faux, car seul le Fils de Dieu pouvait cela. La conclusión est donc la même que précédemment.

 

[5331] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, illud quod habet plures rationes mali, magis est malum. Sed Adam peccavit faciendo illud quod erat malum, solum quia prohibitum; multi autem peccant faciendo illud quod est utroque modo malum, et secundum se, et quia prohibitum. Ergo videtur quod multorum peccata graviora sint peccato Adae.

Cependant, [1] ce qui a plusieurs raisons de mal est plus mauvsais. Or, Adam a péché en faisant ce qui était mal seulement parce que cela était défendu ; mais beaucoup pèchent en faisant ce qui est mal des deux manières : en soi et parce que cela est défendu. Il semble donc que les péchés de beaucoup sont plus graves que le péché d’Adam.

 

[5332] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, peccatum quod est ex certa malitia, gravius est peccato quod est per ignorantiam. Sed peccatum primum hominis fuit quodammodo per ignorantiam, ut infra patebit. Ergo videtur quod eo multa graviora sint, quae ex certa malitia perpetrantur.

[2] Le péché qui vient d’une malice certaine est plus grave que le péché qui vient de l’ignorance. Or, le premier péché de l’homme en était pour ainsi dire un d’ignorance, comme cela ressortira plus loin. Il semble donc qu’il y en ait de plus graves que celui-là : ceux qui sont perpétrés par une malice certaine.

 

[5333] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in peccato possunt multa considerari, ex quibus peccatum gravitatem trahere potest; et contingit quod illud peccatum quod secundum unum est gravius, secundum aliud levius inveniatur. Illud tamen simpliciter gravius considerandum est quod secundum plura et potentiora gravius invenitur, et praecipue secundum speciem peccati: quia quantitas consequens speciem peccati, est peccato essentialior quam quae circumstantias peccati sequitur. Secundum hoc ergo dicendum, quod peccatum Adae quantum ad hoc gravius aliis fuit quod minori tentatione pulsatus cecidit, et quod facilius resistere potuisset; sed quantum ad speciem peccati, et quantum ad alias circumstantias, quae peccatum magis exaggerant, multa graviora peccata sunt secuta.

Réponse. Dans le péché, on peut envisager plusieurs choses, dont le péché peut tirer sa gravité, et il arrive que le péché qui, sous un aspect, est plus grave se révèle plus léger sous un autre. Toutefois, doit être considéré comme simplement plus grave le péché qui se révèle plus grave sous un plus grand nombre d’aspects plus importants, surtout selon l’espèce du péché. En effet, la quantité qui découle de l’espèce du péché est plus essentielle au péché que celle qui découle des circonstances du péché. Par conséquent, il faut dire que le péché d’Adam a été plus grave que les autres du fait qu’il est tombé en étant poussé par une tentation moindre, et qu’il aurait pu résister plus facilement. Mais, pour ce qui est de l’espèce du péché et des autres circonstances, qui augmentent davantage le péché, beaucoup de péchés plus graves ont suivi.

 

[5334] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum.

1. La réponse au premier argument ressort ainsi clairement.

 

[5335] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc fuit per accidens quod majorem laesionem intulit, ex hoc scilicet quod naturam integram invenit; unde non sequitur quod gravius ceteris fuerit, quia hoc idem etiam sequentia peccata fecissent, si talem naturam invenissent; sicut et secundum peccatum mortale gratia non privat, quia eam non invenit; sed privaret, si inveniret.

2. C’est par accident qu’il entraîna une blessure plus grande, à savoir qu’il rencontra une nature intègre. Il n’en découle donc pas qu’il ait été plus grave que les autres, car même les péchés suivants auraient produit la même chose, s’ils avaient trouvé la nature dans le même état. Ainsi, un second péché mortel ne prive pas de la grâce, car il ne la trouve pas ; mais il en priverait, s’il la trouvait.

 

[5336] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poena peccati Adae dupliciter dicitur. Una quae debetur sibi inquantum est quoddam singulare peccatum et personale; et sic multis aliis peccatis gravior poena debita fuit. Alia quae debetur sibi indirecte ratione infectionis originalis peccati ex ipso creatae, et sic maxima poena ipsum primum peccatum secuta est. Sed gravitas hujus poenae non commensuratur quantitati primi peccati ut fuit quoddam personale peccatum, sed secundum quod corrumpit naturam.

3. On parle de peine du péché d’Adam de deux manières. L’une lui est due en tant qu’il est un péché particulier et personnel ; et ainsi, une peine plus grave était due à beaucoup d’autres péchés. L’autre lui est due indirectement en raison de l’infection du péché originel créée par lui ; et ainsi, la plus grande peine a découlé du premier péché lui-même. Mais la gravité de cette peine n’est pas proportionnelle à la quantité du premier péché en tant qu’il a été un péché personnel, mais en tant qu’il a corrompu la nature.

 

[5337] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis gratia excedat naturam, tamen quia potentia naturalis est quae substantiam actus administrat (qui ex gratia informatur), ideo defectus naturalis boni magis excusat peccati actum quam etiam carentia gratiae: gratia enim non elevat hominem ut statim eliciat actum intellectus deiformis, quod tamen Angelus ex natura habet: et ideo magis facit ad irremissibilitatem peccati superioritas naturae quam excessus gratiae. Causa tamen quare peccatum Angeli est irremissibile, et non peccatum hominis, supra, in tractatu de Angelis, dicta est.

4. Bien que la grâce dépasse la nature, parce que la puissance naturelle est celle qui exerce la substance de l’acte (qui tire sa forme de la grâce), la carence d’un bien naturel excuse davantage l’acte de péché que même la carence de la grâce. En effet, la grâce n’élève pas l’homme de telle sorte qu’il produise un acte d’intelligence déiforme, ce que l’ange possède cependant par nature. La supériorité de nature contribue donc davantage au caractère irrémissible du péché que l’éloignement de la grâce. Toutefois, la raison pour laquelle le péché de l’ange est irrémissible, et non le péché de l’homme, a été dite plus haut, dans le traité sur les anges.

 

[5338] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut homo per se gratiam amittere potest, nec tamen per se potest gratiam recuperare, quia gratia virtutem naturae excedit: ita etiam homo potuit integritatem innocentiae amittere, quae conditionem naturae excedebat, ut dictum est, nec tamen potuit eam recuperare nisi ille qui supra naturam erat: nam gratia quae postmodum Adae reddita creditur, non nisi ad actus personales se extendebat; unde naturam in illud quod supra se est, elevare non poterat, scilicet in originalem justitiam, et impassibilitatem, quae supra conditionem principiorum naturae humanae erat.

5. De même que l’homme peut perdre la grâce par lui-même, mais ne peut cependant récupérer la grâce par lui-même, car la grâce dépasse la puissance de la nature, de même, aussi l’homme pouvait-il perdre l’intégrité de l’innocence, qui dépassait la condition de la nature, comme on l’a dit, mais seul celui qui était au-dessus de la nature pouvait la récupérer. En effet, la grâce, qu’on croit avoir été redonnée à Adam par la suite, ne s’étendait qu’aux actes personnels ; elle ne pouvait donc élever la nature à ce qui était au-dessus d’elle, à savoir, la justice originelle et l’impassibilité, qui étaient au-dessus de la condition des principes de la nature humaine.

 

 

 

 

Articulus 3 [5339] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 tit. Utrum Adam in statu innocentiae potuerit peccare venialiter

Article 3 – Adam pouvait-il pécher véniellement dans l’état de nature ?

 

[5340] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Adam in primo statu venialiter peccare potuit. Dispositio enim praecedit perfectionem. Sed veniale est dispositio ad mortale. Ergo videtur quod prius venialiter quam mortaliter peccaverit.

1. Il semble qu’Adam pouvait pécher véniellement dans son premier état. En effet, la disposition précède la perfection. Or, le péché véniel est une disposition au péché mortel. Il semble donc qu’il ait péché véniellement avant de pécher mortellement

 

[5341] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, liberum arbitrium se habet ad opposita, et praecipue si confirmatum non sit. Sed liberum arbitrium hominis in primo statu confirmatum non erat. Ergo sicut poterat non peccare venialiter, ita etiam poterat peccare venialiter.

2. Le libre arbitre est confronté à des choses opposées, surtout s’il n’a pas été confirmé. Or, le libre arbitre de l’homme n’avait pas été confirmé dans son premier état. De même qu’il pouvait ne pas pécher véniellement, de même aussi pouvait-il donc pécher véniellement.

 

[5342] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, quicumque potest id quod plus est, potest illud quod minus est. Sed plus est peccare mortaliter quam venialiter. Cum ergo potuit peccare mortaliter, potuit peccare venialiter.

3. Celui qui peut plus peut moins. Or, pécher mortellement est plus que pécher véniellement. Puisqu’il pouvait pécher mortellement, il pouvait donc pécher véniellement.

 

[5343] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, mortale peccatum magis repugnat rectitudini et gratiae, quam peccatum veniale. Sed rectitudo innocentiae non impediebat quin mortaliter peccare posset. Ergo multo minus impediebat quin etiam venialiter peccaret.

4. Le péché mortel s’oppose davantage à la droiture et à la grâce que le péché véniel. Or, la droiture de l’innocence ne l’empêchait pas de pouvoir pécher mortellement. Encore bien moins l’empêchait-elle donc de pécher véniellement.

 

[5344] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, impossibile est quod aliquis credat vel aestimet illud de cujus contrario certus est. Sed Adam, ut dicit Augustinus, credidit peccatum quod ipse committeret, veniale esse. Ergo ipse nesciebat se non posse venialiter peccare. Sed si non potuisset, scivisset se non posse; quia hoc nobilitatis in eo erat; et inconveniens est nos habere nobilissimos habitus, qui nos lateant, ut philosophus dicit in 2 Poster. Ergo Adam venialiter peccare potuit.

5. Il est impossible que quelqu’un croie ou juge ce dont il est certain du contraire. Or, comme le dit Augustin, Adam croyait que le péché qu’il commettrait était véniel. Il ne savait donc pas qu’il ne pouvait pas pécher véniellement. Or, s’il ne le pouvait pas, il aurait su qu’il ne le pouvait pas, car cela relevait de la noblesse qui était en lui ; et il est inapproprié que nous ayons des habitus qui nous seraient cachés, comme le dit le Philosophe, Postérieurs Analytiques, II. Adam pouvait donc pécher véniellement.

 

[5345] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 6 Si dicatur, quod non potuit peccare venialiter, quia non poterant inferiores vires averti nisi prius ratio superior averteretur; contra. In ratione superiori non tantum est peccatum mortale, sed etiam veniale. Ergo potuisset deordinatio aliqua in superiori ratione fuisse per veniale peccatum, sicut et quando aliquis aliquem motum infidelitatis sentit.

6. Si on dit qu’il ne pouvait pécher véniellement parce que les puissances inférieures ne pouvaient être détournées sans que la raison supérieure soit détournée, on dira en sens contraire que, dans la raison supérieure, n’existe pas seulement le péché mortel, mais aussi le péché véniel. Un désordre aurait donc pu exister dans la raison supérieure en raison d’un péché véniel, comme lorsque quelqu’un éprouve un mouvement d’infidélité.

 

[5346] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, peccatum veniale in nobis causatur ex pronitate ad peccandum, et ex quadam impulsione carnis corruptae. Sed hoc totum per peccatum secutum est. Ergo videtur quod ante mortale peccatum, veniale peccatum esse non potuit.

Cependant, [1] le péché véniel est causé en nous par un penchant au péché et par une impulsion de la chair corrompue. Or, tout cela a été entraîné par le péché. Il semble donc qu’avant un péché mortel, ne pouvait exister un péché véniel.

 

[5347] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, parvum motivum non commovet magnam virtutem. Sed veniale peccatum parvum habet motivum, in quo appetitus non ut in fine quiescit. Ergo cum virtus humana in primo statu esset fortissima, videtur quod per veniale peccatum commoveri non poterat.

2. Un petit motif ne meut pas une grande puissance. Or, le péché véniel a un petit motif, dans lequel l’appétit ne se repose pas comme dans une fin. Puisque la capacité humaine aurait été très forte dans le premier état, il semble donc qu’elle ne pouvait être mue par un péché véniel.

 

[5348] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, talis erat primi status rectitudo ut superior pars rationis Deo subjiceretur, cui subjicerentur inferiores vires, quibus subjiceretur corpus; ita quod prima subjectio erat causa secundae, et sic deinceps. Manente autem causa, maneret effectus; unde sicut quamdiu homo erat subditus Deo, nihil in corporis partibus contingere poterat contrarium animae; ita etiam nihil in viribus animae contingere poterat quod superior ratio non ordinaret in Deum. Quod autem in Deum recte ordinatum est, veniale peccatum non est: et ita veniale peccatum in primo statu contingere non poterat, sicut nec mors, nisi prius ordo mentis ad Deum tolleretur; quod sine peccato mortali fieri non potuit.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, la droiture du premier état était telle que la partie supérieure de la raison était soumise à Dieu, que les puissances inférieures étaient soumises à celle-ci, et que le corps leur était soumis, de telle sorte que la première soumission était la cause de la deuxième, et ainsi de suite. Si la cause demeurait, l’effet demeurerait. Aussi longtemps que l’homme était soumis à Dieu, rien de contraire à l’âme ne pouvait donc survenir dans les parties du corps. De même, rien ne pouvait survenir dans les parties de l’âme, que la raison supérieure n’ordonnerait pas à Dieu. Or, ce qui est correctement ordonné à Dieu n’est pas un péché véniel. Ainsi, le péché véniel ne pouvait-il pas survenir dans le premier état, pas plus que la mort, à moins que le premier ordre de l’esprit à Dieu ne soit enlevé, ce qui était impossible sans un péché mortel.

 

[5349] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod duplex est dispositio. Quaedam est quae necessaria est ad esse ejus ad quod disponit: et haec semper praecedit illud ad quod disponit, sicut calor formam ignis. Quaedam vero dispositio ordinatur ad facilitatem ejus ad quod disponit: quod quidem sine ea esse potest, sed non ita de facili, sicut quod ligna perfunduntur oleo, ut inflammentur citius; et sic veniale peccatum est dispositio ad mortale.

1. Il existe une double disposition. L’une est nécessaire à l’existence de ce à quoi elle dispose : celle-ci précède toujours ce à quoi elle dispose, comme la chaleur [précède] la forme du feu. Mais l’autre disposition est ordonnée à faciliter ce à quoi elle dispose, qui peut exister sans elle, mais pas aussi facilement, comme le fait de répandre de l’huile sur le bois afin qu’il flambe plus rapidement. C’est ainsi que le péché véniel est une disposition au péché mortel.

 

[5350] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Adam in primo statu habebat liberum arbitrium ad peccandum venialiter; sed hoc non poterat in actum exire, nisi prius peccaret mortaliter. Et ratio hujus dicta est. Vel potest dici, quod comparando liberum arbitrium ad objectum suum, confirmatum non erat: sed comparando unum ordinem ad alium, habebat quamdam confirmationem, ut scilicet inferior ordo superiorem inviolabiliter sequeretur.

2. Dans le premier état, Adam avait le libre arbitre de pécher véniellement ; mais celui-ci ne pouvait passer à l’acte à moins de pécher d’abord mortellement. La raison en a été donnée. Ou bien on peut dire, en comparant le libre arbitre à son objet, qu’il n’avait pas été confirmé ; mais, en comparant un ordre à un autre, il possédait une certaine confirmation, de sorte que l’ordre inférieur suivrait l’ordre supérieur de manière inviolable.

 

[5351] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod differt in potentiis activis et passivis: quia in potentiis activis, quod potest in plus, etiam in minus potest; ut qui potest ferre centum libras, potest etiam ferre decem; in potentiis autem passivis est e converso: qui enim potest pati a parvo, potest etiam pati a majori, ut si aliquis potest vinci ab uno, potest etiam vinci a duobus; sed non convertitur: et talis potentia est potentia peccandi; qui enim peccat, a peccati sui concupiscentia vincitur.

3. Il existe une différence entre les puissances actives et les puissances passives, car, dans les puissances actives, ce qui peut le plus peut aussi le moins ; ainsi, celui qui peut porter cent livres peut aussi en porter dix. Mais, dans les puissances passives, c’est le contraire. En effet, celui qui peut subir quelque chose de petit peut aussi subir quelque chose de plus grand. Ainsi, si quelqu’un peut être vaincu par un seul, il aussi être vaincu par deux. Mais le contraire n’est pas vrai. Telle est la puissance de pécher : en effet, celui qui pèche est vaincu par le désir désordonné de son péché.

 

[5352] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod rectitudo originalis justitiae intantum repugnabat culpae mortali ut simul cum ea esse non posset; tamen culpa mortalis quae ei opposita erat, ipsam privare poterat. Venialis autem culpa nec privare justitiam originalem poterat, cujus principium erat in ordine superioris partis in Deum, a quo veniale peccatum non separat, nec simul poterat cum ea esse propter ordinem inferiorum sub superiori.

4. La droiture de la justice originelle s’opposait tellement à la faute mortelle qu’elle ne pouvait exister en même temps que celle-ci ; cependant, la faute mortelle qui lui était opposée pouvait en priver. Mais la faute vénielle ne pouvait priver de la justice originelle, dont le principe se trouvait dans l’ordre de la partie supérieure à Dieu, dont le péché véniel ne sépare pas ; elle ne pouvait non plus exister en même temps qu’elle en raison de l’ordre des [parties] inférieures soumises à la [partie] supérieure.

 

[5353] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Adam etsi peccare non posset venialiter, tamen poterat de hoc certus non esse: quod enim habitus nobilissimi nos non lateant, intelligitur de habitibus cognitivae partis, de quorum perfectione certitudo est; non autem de habitibus affectivae, qui latent, ut in caritate patet. Et praeterea si scivisset in universali, poterat in particulari non considerare. Vel melius dicendum, quod veniale dicitur tripliciter: scilicet veniale ex genere, ut verbum otiosum; veniale ex causa, ut quod ex infirmitate vel ignorantia geritur, quod excusabilitatem quamdam habet; et est veniale ex eventu, sicut culpam praecedentem mortalem confessio sequens venialem facit, ut Ambrosius dicit, quia relinquitur reatus temporalis poenae. Cum ergo Augustinus dicit, quod credidit peccatum esse veniale, intelligitur veniale ex causa, quod quandoque etiam mortale est simpliciter.

5. Même si Adam ne pouvait pécher véniellement, il ne pouvait cependant en être certain. En effet, le fait que les habitus les plus nobles ne nous sont pas cachés s’entend des habitus de la partie cognitive, pour la perfection desquels il existe une certitude, mais non des habitus de la [partie] affective, qui sont cachés, comme cela ressort pour la charité. De plus, s’il le savait de manière universelle, il pouvait ne pas le considérer de manière particulière. Ou bien il faut mieux dire qu’on parle du péché véniel de trois manières : véniel par son genre, comme une parole oiseuse ; véniel par sa cause, comme ce qui est fait par faiblesse ou par ignorance, qui peut être excusé d’une certaine manière ; véniel en raison d’un événement, comme « la confession qui suit une faute mortelle rend vénielle la faute précédente », comme le dit Ambroise, parce que demeure la dette d’une peine temporelle. Lorsque Augustin dit qu’il croyait que le péché était véniel, il entend le péché véniel par sa cause, qui est aussi parfois mortel simplement.

 

[5354] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut in parte intellectiva speculativa, suprema pars est quae principiis per se notis inhaeret; ita in ratione practica suprema pars est quae fini adhaeret, quia finis in operabilibus est sicut principium primum indemonstrabile in speculativis, ut in 6 et 7 Ethic. philosophus dicit: et haec pars non potest deordinata esse nisi per peccatum mortale, quod finem contrarium ponit. Ab ordine autem hujus partis totus ordo originalis justitiae dependebat; et ideo nisi prius mortaliter peccasset, nulla inordinatio in eo esse potuisset.

6. De même que, dans la partie intellectuelle spéculative, la partie supérieure est celle qui adhère aux principes connus par eux-mêmes, de même, dans la raison pratique, la partie supérieure est celle qui adhère à la fin, car, dans les actions à poser, la fin joue le rôle d’un principe premier indémontrable en matière spéculative, comme le dit le Philosophe, Éthique, VI et VII. Et cette partie ne peut être désordonnée que par un péché mortel, qui établit une fin contraire. Or, la justice originelle tout entière dépendait de l’ordre de cette partie. C’est pourquoi il n’aurait pu y avoir aucun désordre en celui-ci, à moins qu’il n’ait péché auparavant.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 21

 

[5355] Super Sent., lib. 2 d. 21 q. 2 a. 3 expos. Diabolus per serpentem tentabat, in quo loquebatur. Modus quo Angeli boni vel mali in assumptis corporibus loqui possunt, supra, dist. 8, qu. 1, art. 4, tactus est. Serpens dictus est esse callidior. Videtur hoc esse falsum: quia quodcumque animal Diabolus assumpsisset, eamdem calliditatem habuisset, si propria calliditate astutus non erat, ut ipse subdit. Sed dicendum, quod in his quae visibiliter gerebantur, ea quae non videntur, intelligi poterant. Serpens autem etsi astutiam ad nocendum homini spiritualiter ex se non haberet, habet tamen astutiam ad nocendum sibi corporaliter; unde astutia exterior serpentis astutiam spiritualem Daemonis designat; et ideo callidior aliis animantibus dicitur propter astutiam Daemonis, qua movebatur, per quam et Diabolus designabatur. Sicut per energumenos et phanaticos. Energumeni dicuntur quasi interius laborantes ab en quod est in, et erge quod est labor. Phanatici dicuntur ex hoc quod in fanis, vel templis idolorum a Daemonibus responsa accipiebant. Sed utrumque hic pro arreptis a Daemone accipitur. Avaritia immoderata habendi cupiditas. Hoc quod hic dicitur de avaritia, non est intelligendum de ea secundum quod est speciale vitium, unum de septem capitalibus; quia sic non differt a superbia, quae est appetitus immoderatus propriae excellentiae; sed sumitur hic avaritia prout est generale vitium ad omnia peccata, quae in appetitu quorumcumque bonorum naturalium consistunt, ut curiositas, superbia, et hujusmodi, ut distinguit Augustinus.

 

 

 

 

 

Distinctio 22

Distinction 22 – [Le principe intérieur de la chute]

 

Quaestio 1

Question 1 – [Quel était le genre du premier péché ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[5356] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 pr. Postquam determinavit principium humani casus ex parte tentatoris, hic determinat principium intrinsecum ex parte ipsius hominis peccantis, et dividitur in partes duas: in prima inquirit quod fuerit in homine primum peccatum, origo et radix peccatorum sequentium; in secunda inquirit quod fuerit principium illius primi peccati, ibi: solet etiam quaeri, cum sine vitio esset natura hominis; unde consensus mali processerit. Prima dividitur in partes tres: in prima dicit quod primum peccatum in homine fuit elatio; in secunda ostendit quod diversimode fuit in viro et muliere, ibi: et talis quidem elatio in mente mulieris fuit; in tertia ex hoc concludit, peccatum mulieris gravius peccato viri fuisse, ibi: ex quo manifeste animadverti potest quis eorum plus peccaverit. Circa primum tria facit: primo ponit quorumdam opinionem et rationes eorum, ponentium superbiam in corde hominis etiam tentationem Daemonis praecessisse; secundo objicit in contrarium, ibi: quod si ita fuit, non ergo alterius suggestione prius peccavit; tertio determinat veritatem, ibi: quocirca praedicta Augustini verba pium ac diligentem lectorem efflagitant. Et talis quidem elatio in mente mulieris fuit. Hic ostendit qualis fuerit elatio viri et mulieris: et primo qualis fuerit elatio mulieris; secundo qualis fuerit elatio viri, ibi: solet quaerit utrum illa talis elatio et amor propriae potestatis in viro fuerit, sicut in muliere. Ex quo manifeste animadverti potest, quis eorum plus peccaverit. Hic concludit ex praedictis quod peccatum mulieris gravius fuit peccato viri: et primo ostendit propositum; secundo objicit in contrarium, ibi: sed huic videtur contrarium quod Augustinus (...) ait. Quod autem peccatum mulieris gravius fuerit ostendit tripliciter: primo ex motivo ad peccandum, quia ex majori superbia; secundo ex offensa, quia in plures peccavit, ibi: quae etiam in se et in proximum et in Deum peccavit; tertio ex poena, quia gravius punita est, ibi: inde etiam colligitur quod mulier plus peccaverit, quia gravius punita est. Sed huic videtur contrarium quod Augustinus (...) de viro et muliere peccatum suum excusantibus ait. Hic objicit contra hoc quod dictum est: et primo ostendit aequale fuisse peccatum; secundo ostendit peccatum viri fuisse gravius, ibi: hic autem opponi solet. Circa primum duo facit, secundum quod duas auctoritates contra definita inducit. Secunda incipit, ibi: verumtamen et de vero legitur quod voluit esse sicut Deus. Quaelibet autem istarum partium dividitur in objectionem et responsionem. Solet etiam quaeri, cum sine vitio esset natura hominis, unde consensus peccati processerit. Hic inquirit quod fuerit principium illius peccati: et dividitur in duas partes secundum quod duas movet quaestiones; secunda incipit, ibi: si vero quaeritur, utrum voluntas illud peccatum praecesserit, dicimus quia peccatum illud et in voluntate et in actu consistit. Hic duo quaeruntur: primo de peccato primi hominis. Secundo de ignorantia. Circa primum quaeruntur tria: 1 quod fuerit primum peccatum secundum genus; 2 quid homo peccando appetiit; 3 quis plus peccavit, utrum vir vel mulier.

Après avoir déterminé du principe de la chute de l’homme du côté du Tentateur, [le Maître] détermine ici du principe intérieur du côté de l’homme pécheur lui-même. Il y a deux parties : dans la première, il se demande quel a été en l’homme le premier péché, origine et racine des péchés subséquents ; dans la seconde, il se demande quel a été le principe de ce premier péché, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander, puisque la nature de l’homme était sans péché, d’où venait le consentement au mal. » La première partie est divisée en trois parties. Dans la première, il dit que le premier péché chez l’homme en était un d’orgueil. Dans la seconde, il montre qu’il existait de manière différente chez l’homme et chez la femme, à cet endroit : « Et un tel orgueil a existé dans l’esprit de la femme. » Dans la troisième, il tire la conclusion que le péché de la femme était plus grave que le péché de l’homme, à cet endroit : « À partir de cela, on peut clairement observer lequel d’entre eux a péché davantage. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente l’opinion de certains et leurs arguments : ils affirment que l’orgueil dans le cœur de l’homme a précédé la tentation du Démon. Deuxièmement, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit : « S’il en a été ainsi, il n’a donc pas péché d’abord à la suggestion d’un autre. » Troisièmement, il détermine de la vérité, à cet endroit : « À ce sujet, les paroles d’Augustin rappelées plus haut pressent le lecteur pieux et attentif. » « Et un tel orgueil a existé dans l’esprit de la femme. » Ici, il montre quel a été l’orgueil de l’homme et de la femme : premièrement, quel a été l’orgueil de la femme ; deuxièmement, quel a été l’orgueil de l’homme, à cet endroit : « On a coutume de se demander [corr. quaerit/quaeri] si un tel orgueil et amour de son propre pouvoir ont existé chez l’homme comme chez la femme. » « À partir de cela, on peut clairement remarquer lequel d’entre eux a péché davantage. » À partir de ce qui a été dit plus haut, il conclut ici que le péché de la femme a été plus grave que le péché de l’homme : premièrement, il montre ce qui vient d’être dit ; deuxièmement, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit : « Mais cela semble contraire à ce qu’Augustin… dit. » Que le péché de la femme ait été plus grave, il le montre de trois façons. Premièrement, à partir du motif du péché, car il vient d’un orgueil plus grand. Deuxièmement, en raison de l’offense, car elle a péché envers plusieurs, à cet endroit : « Elle a péché envers elle-même, envers son prochain et envers Dieu. » Troisièmement, en raison de la peine, car elle a été punie plus gravement, à cet endroit : « On conclut aussi que la femme a péché davantage, car elle a été punie plus gravement. » « Mais cela semble contraire à ce qu’Augustin… dit de l’homme et de la femme qui se disculpaient de leur péché. » [Le Maître] présente ici une objection contre ce qui a été dit : premièrement, il montre que leur péché était égal ; deuxièmement, il montre que le péché de l’homme était plus grave, à cet endroit : « Ici, on a coutume d’opposer… » À propos du premier point, il fait deux choses, en invoquant deux autorités contre ce qui a été défini. La seconde commence à cet endroit : « À la vérité, on lit qu’il a voulu être comme Dieu. » Chacune de ces parties est divisée en objection et réponse. « Puisque la nature humaine était exempte de vice, on a aussi coutume de se demander d’où provenait le consentement au péché. » Il se demande ici quel a été le principe de ce péché. Il y a deux parties selon les deux objections qu’il soulève ; la seconde commence à cet endroit : « Mais si on se demande si la volonté a précédé ce péché, nous disons que ce péché consiste dans la volonté et dans un acte. » Ici, il y a deux questions : premièrement, à propos du péché du premier homme ; deuxièmement, à propos de l’ignorance. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1. Quel était le genre du premier péché ? 2. Qu’est-ce que l’homme a désiré en péchant ? 3. Qui a péché davantage : l’homme ou la femme ?

 

 

 

 

Articulus 1 [5357] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 tit. Utrum primum peccatum hominis fuerit superbia

Article 1 – Le premier péché de l’homme en fut-il un d’orgueil ?

 

[5358] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod superbia non fuit primum hominis peccatum. Discredere enim verba divina peccatum infidelitatis est. Sed peccatum hominis ex hoc processisse videtur quod verba Dei discredidit, vel de eis dubitavit, ut supra dictum est. Ergo primum peccatum hominis fuit infidelitas.

1. Il semble que l’orgueil ne fut pas le premier péché de l’homme. En effet, refuser de croire aux paroles de Dieu est un péché d’infidélité. Or, le péché de l’homme semble être venu du fait qu’il n’ait pas cru aux paroles de Dieu ou en ait douté, comme on l’a dit plus haut. Le premier péché de l’homme en a donc été un d’infidélité.

 

[5359] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, in spirituali aedificio primum fundamentum est fides, ut Hebr. 11 dicitur. Sed fidei opponitur infidelitas. Ergo etiam in progressu perditionis humanae primum peccatum fuit infidelitas, et non superbia.

2. Dans l’édifice spirituel, le premier fondement est la foi, comme il est dit en He 1. Or, la foi s’oppose à l’infidélité. Donc, dans le déroulement de la perdition humaine, le premier péché en a donc été un d’infidélité, et non d’orgueil.

 

[5360] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, Rom. 5, 19, dicitur: per inobedientiam unius hominis peccatores constituti sunt multi, et loquitur ibi de peccato primo hominis; per peccatum enim mors in mundum intravit. Ergo primum peccatum est inobedientia.

3. Rm 5, 19 dit: Par la désobéissance d’un seul homme, beaucoup sont devenus pécheurs, et il est question ici du premier péché de l’homme : en effet, la mort est entrée dans le monde par le péché. Le premier péché en fut donc un de désobéissance.

 

[5361] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, species peccati determinatur ex motivo ad peccandum. Sed mulier mota fuit ad peccandum ex delectabili secundum gustum; unde dicitur Genes. 3, 6: videns ergo mulier lignum et cetera. Cum ergo circa delectabile ad esum sit gula, videtur quod primum hominis peccatum sit gula.

4. L’espèce d’un péché est déterminée par le motif du péché. Or, la femme a été poussée à pécher par quelque chose de délectable au goût ; aussi est-il dit en Gn 3, 6 : Voyant l’arbre, la femme, etc. Puisque la gourmandise porte sur ce qui est plaisant à manger, il semble donc que le premier péché de l’homme soit la gourmandise.

 

[5362] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, promissio Daemonis mulierem ad peccandum instigavit. Sed Daemon promisit perfectionem scientiae. Ergo ex appetitu scientiae peccavit. Sed immoderatus appetitus sciendi est curiositas. Ergo primum peccatum est curiositas.

5. La promesse du Diable poussa la femme à pécher. Or, le Démon promettait la perfection de la connaissance. Elle a donc péché par appétit de connaissance. Or, le désir immodéré de science est la curiosité. Le premier péché en fut donc un de curiosité.

 

[5363] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, quicumque non facit illud quod facere tenetur, peccat peccato omissionis. Sed tenebatur homo in tentatione conferre de praecepto injuncto: quia si contulisset, non peccasset. Ergo videtur quod peccato omissionis primo peccaverit.

6. Quiconque ne fait pas ce qu’il est tenu de faire pèche par un péché d’omission. Or, l’homme était tenu de réfléchir au commandement imposé au cours de la tentation, car, s’il s’y était arrêté, il n’aurait pas péché. Il semble donc qu’il ait péché par un péché d’omission.

 

[5364] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, primum peccatum hominis fuit radix et origo sequentium peccatorum. Sed, sicut dicitur 1 Timoth., ult., 10, radix omnium malorum est cupiditas. Ergo videtur quod primum peccatum fuit cupiditas, et non superbia vel elatio, ut in littera dicitur.

7. Le premier péché de l’homme a été la racine et l’origine des péchés subséquents. Or, comme le dit 1 Tm 6, 10, la racine de tous les maux est la cupidité. Il semble donc que le premier péché fut la cupidité, et non l’orgueil ou l’insolence, comme le dit le texte.

 

[5365] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Eccli. 10, 15: initium omnis peccati superbia est. Sed in primo peccato hominis omne peccatum initium sumpsit. Ergo primum peccatum fuit superbia.

Cependant, [1] il est dit en Qo 10, 15 : Le commencement de tout péché est l’orgueil. Or, tout péché a tiré son origine du premier péché de l’homme. Le premier péché a donc été l’orgueil.

 

[5366] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Diabolus tentans hominem, sui imitatorem conatus est reddere. Sed Daemon per superbiam peccavit, ut supra dictum est. Ergo et homo.

[2] En tentant l’homme, le Diable s’est efforcé d’en faire son imitateur. Or, le Démon a péché par orgueil, comme on l’a dit plus haut. Donc, l’homme aussi.

 

[5367] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod contingit quandoque in uno actu, plurium peccatorum deformitates inveniri: sed illa deformitas est principalior et formalior, complens speciem peccati, quae ex principali motivo relinquitur, in quod ordinantur alia: quia finis est id quod primum cadit in voluntate, ex qua est origo peccati; et ex fine actus morales specificantur; unde philosophus dicit in 5 Ethic. quod si aliquis moechatur ut accipiat lucrum, magis avarus, seu injustus, quam moechus est. Secundum hoc dico, quod in primo peccato hominis multae deformitates apparent; unde Magister supra in eo notavit gulam, inanem gloriam, et avaritiam: propter quod unum peccatum multiplex potest dici; nihilominus tamen sunt omnia alia materialia respectu superbiae: quia ad finem excellentiae consequendae omnia ordinavit, sicut promissio Daemonis ostendit quae ad peccatum instigavit, dixit enim: eritis sicut dii, Genes. 3, 5. Et merito utriusque peccatum, et Daemonis et hominis a superbia incepit, quia omnium aliorum peccatorum defectus aliquis occasio solet esse: sola vero superbia est quae fundamentum ex perfectione sumit; unde Augustinus dicit, quod etiam bonis operibus insidiatur ut pereant.

Réponse. Il arrive parfois qu’on trouve les difformités de plusieurs péchés dans un seul acte ; mais la difformité principale et formelle, qui donne son espèce au péché, est celle qui vient du motif principal, auquel les autres sont ordonnés, car la fin est ce qui concerne en premier lieu la volonté : l’origine du péché en provient et les actes moraux tirent leur espèce de la fin. C’est pourquoi le Philosophe dit, Éthique, V, que si quelqu’un fornique pour un gain, il est davantage avare ou injuste qu’il n’est fornicateur. Conformément à cela, je dis que, dans le premier péché de l’homme, plusieurs difformités apparaissent. Aussi le Maître a-t-il relevé en lui la gourmandise, la vaine gloire et l’avarice. Pour cette raison, un seul péché peut être appelé multiple. Cependant, tous les autres ont un caractère matériel par rapport à l’orgueil, car il a tout ordonné à la fin d’obtenir une supériorité, comme le montre la promesse du Démon qui a poussé au péché. En effet, il dit : Vous serez comme des dieux, Gn 3, 5. Et à juste titre, le péché des deux, le Démon et l’homme, a-t-il commencé par l’orgueil, car une certaine carence est habituellement l’occasion d’autres péchés ; mais seul l’orgueil tire son fondement d’une perfection. C’est pourquoi Augustin dit qu’il « se glisse même dans les actions bonnes pour les faire mourir ».

 

[5368] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non crediderunt Deum falsum dixisse (hoc enim simpliciter infidelitatis fuisset), sed crediderunt forte alio modo intelligendum fore metaphorice, vel ad aliquid significandum esse dictum. Vel dicendum, quod ex ipsa elatione qua illud quod promittebatur appetebant, oculus mentis impeditus fuit ne actualiter veritatem divini dicti attenderent, secundum quod omnis malus aliquo modo ignorans est. Sed talis ignorantia vel dubietas, etiam credendorum, infidelitatem non facit.

1. Ils n’ont pas cru que Dieu disait quelque chose de faux (en effet, cela aurait relevé simplement de l’infidélité), mais ils ont peut-être cru qu’il fallait l’entendre métaphoriquement d’une autre manière ou que cela avait été dit pour signifier quelque chose. Ou bien il faut dire que, par l’orgueil même par lequel ils désiraient ce qui était promis, l’œil de l’esprit était empêché de s’arrêter à la vérité de ce que Dieu avait effectivement dit : de cette manière, tout méchant est d’une certaine manière ignorant. Mais une telle ignorance ou un tel doute, même portant sur ce qu’il faut croire, ne constitue pas l’infidélité.

 

[5369] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ordo compositionis est contrarius ordini resolutionis: quia quod est primum in compositione, est ultimum in resolutione: et ideo non sequitur quod si fides est prima in compositione aedificii spiritualis, infidelitas sit prima in resolutione ejusdem.

2. L’ordre de la construction est le contraire de l’ordre de la dissolution, car ce qui est premier dans la construction est dernier dans la dissolution. C’est pourquoi, si la foi est première dans la construction de l’édifice spirituel, il n’en découle pas que l’infidélité soit première dans sa dissolution.

 

[5370] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod inobedientia dupliciter sumitur: quandoque enim est speciale peccatum, quando scilicet ex contemptu praecepti aliquis specialiter peccat; quandoque autem sumitur prout est conditio generalis consequens omne peccatum mortale: cum enim praeceptum legis actus omnium virtutum ordinet, consequens est ut quodlibet vitium transgressionem annexam praecepti habeat, et inobedientiam: et sic dicitur: per inobedientiam unius hominis peccatores constituti sunt multi.

3. La désobéissance s’entend de deux manières. En effet, elle est parfois un péché particulier, lorsque quelqu’un pèche de manière particulière par mépris d’un commandement. Mais elle est parfois entendue de la condition générale découlant de tout péché mortel. En effet, puisqu’un commandement de la loi ordonne les actes de toutes les vertus, il en découle que tout vice comporte en accompagnement une transgression d’un commandement et une désobéissance. C’est ainsi qu’il est dit : Par la désobéissance d’un seul homme, beaucoup sont devenus pécheurs.

 

[5371] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod motivum gulae non fuit principale motivum, sed secundarium, et ordinatum ad aliud, ut dictum est.

4. Le motif de la gourmandise ne fut pas un motif principal, mais secondaire et ordonné à autre chose, ainsi qu’on l’a dit.

 

[5372] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non peccavit mulier in hoc quod appeteret scientiam eorum quae ad ipsam non pertinebant, quia hoc curiositas fuisset; sed in hoc quod in scientia eminentiam desideravit, ut in hoc quodammodo Deo aequaretur.

5. La femme n’a pas péché en désirant la connaissance de ce qui ne la concernait pas, car cela aurait été de la curiosité, mais par le fait qu’elle a désiré une supériorité par la connaissance, de sorte que, d’une certaine manière, elle soit par elle égale à Dieu.

 

[5373] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non tenebatur tunc conferre, quia etiam sine collatione poterat tentationi resistere. Vel dicendum melius, quod fuit ibi omissio, non prout est speciale peccatum, sed prout est consequens omne peccatum: in omni enim peccato commune est hoc quod aliquis non facit quod in se est ad resistendum peccato, quod si faceret, non peccaret.

6. Elle n’était pas obligée de réfléchir, car, même sans réfléchir, elle pouvait résister à la tentation. Ou bien il faut dire mieux : il y eut là une omission, non pas en tant qu’elle est un péché particulier, mais en tant qu’elle découle de tout péché. En effet, en tout péché, il y a ceci de commun qu’on ne fait pas ce qui est en son pouvoir pour résister au péché ; si on le faisait, on ne pécherait pas.

 

[5374] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod cupiditas tripliciter sumitur. Uno modo prout est speciale peccatum, et habet materiam specialem, scilicet bona ad usum vitae pertinentia, prout possidentur: et sic non est radix omnis peccati, nisi secundum quod infra Magister dicit, quod non est aliquod genus peccati quod non interdum ex avaritia oriatur. Secundo modo dicitur cupiditas, ut est generale peccatum, prout est immoderatus appetitus habendi quodcumque, vel scientiam, vel possessionem, vel quodlibet aliud: et hoc modo supra Magister dixit in primo peccato hominis esse avaritiam: et hos duos modos ponit Augustinus 11 super Genes. Tertio modo, prout non est peccatum, sed radix peccati, prout dicit quamdam pronitatem appetitus ut inclinetur ad aliquid inordinate appetendum in actu. Et constat quod primo modo, ut cupiditas est speciale peccatum, homo ex avaritia non peccavit.

7. La cupidité s’entend de trois manières. D’une manière, comme un péché particulier et qui possède une matière particulière, à savoir les biens qui se rapportent aux besoins de la vie, en tant qu’ils sont possédés. Elle n’est pas ainsi la racine de tout péché, si ce n’est selon ce dit le Maître plus loin, qu’il n’y a pas de genre de péché qui ne soit issu de la cupidité à un certain moment. On parle de cupidité d’une deuxième manière, comme d’un péché général, en tant qu’elle est un désir immodéré de posséder n’importe quoi : la science, un bien ou n’importe quelle autre chose. Plus haut, le Maître a dit qu’il y avait avarice dans le premier péché de l’homme. Augustin présente ces deux manières dans le Commentaire littéral de la Genèse, XI. La troisième manière, en tant qu’elle n’est pas un péché, mais la racine du péché, pour autant qu’elle exprime un penchant de l’appétit à être enclin en acte à quelque chose d’une manière désordonnée. Et il est clair que l’homme n’a pas péché par avarice selon la première manière, selon laquelle la cupidité est un péché particulier.

 

 

 

 

Articulus 2 [5375] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 2 tit. Utrum peccatum hominis fuerit hoc quod appetierit esse sicut Deus

Article 2 – Le péché de l’homme a-t-il consisté à désirer être comme Dieu ?

 

[5376] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod peccatum hominis non fuerit in hoc quod appetiit esse sicut Deus. Completa enim voluntas prudentis de impossibili esse non potest, et praecipue de illo quod in apprehensionem non cadit. Sed aliquam creaturam esse sicut Deus est impossibile, nec intellectu capi potest. Ergo hoc modo non appetiit, cum prudentiam et reliquas virtutes haberet, ut infra Magister dicit.

1. Il semble que le péché de l’homme ait consisté à désirer être comme Dieu. En effet, la volonté achevée de l’homme prudent ne peut pas porter sur l’impossible, surtout sur celui qui ne peut pas être saisi. Or, il est impossible qu’une créature soit comme Dieu, et cela ne peut être saisi par l’intelligence. Il n’a donc pas désiré de cette manière, puisqu’il possédait la prudence et les autres vertus, comme le dit plus loin le Maître.

 

[5377] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 2 Si dicatur, quod non appetiit esse sicut Deus per aequalitatem, sed per similitudinem, contra. Sicut dicit Augustinus, amor est eorum quae habentur, sed appetitus eorum quae non habentur. Cum ergo homo in sui creatione ad Dei similitudinem factus sit, videtur quod hoc homo non appetiit.

2. Si on dit qu’il n’a pas désiré être comme Dieu selon une égalité, mais selon une ressemblance, on dira en sens contraire, comme le dit Augustin, que l’amour porte sur ce qu’on possède, mais le désir, sur ce qu’on ne possède pas. Puisque l’homme, par sa création, a été créé à la ressemblance de Dieu, il semble que l’homme n’ait pas désiré cela.

 

[5378] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, constat quod malum per experientiam Deus scire non potest. Sed scientia boni et mali intelligitur de malo per experientiam, quae prius erat per cognitionem tantum. Ergo videtur quod ex hoc quod appetiit scientiam boni et mali, Dei similitudinem non affectavit.

3. Il est clair que Dieu ne peut connaître le mal par expérience. Or, la connaissance du bien et du mal s’entend du mal par expérience, alors qu’il n’était auparavant qu’objet de connaissance. Il semble donc que, par le fait de désirer la connaissance du bien et du mal, il n’ait pas désiré ressembler à Dieu.

 

[5379] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, philosophus dicit 10 Ethic., quod debemus nos in divina trahere quantum possumus: quia ipse nobis divina non invidet, ut quidam poeta mentiebatur. Dionysius autem et Augustinus dicunt quod ad Deum acceditur non loco sed similitudine. Cum ergo ad ipsum accedere debeamus, ut in Psal. 33, 6 dicitur: accedite ad eum, et illuminamini, videtur quod non peccavit in hoc quod Dei similitudinem appetiit.

4. En Éthique, X, le Philosophe dit que nous devons tendre vers les réalités divines autant que nous le pouvons, car « [Dieu] ne nous envie pas les réalités divines », comme le disait un poète de manière mensongère. Or, Denys et Augustin disent qu’on s’approche de Dieu, non pas par le lieu, mais par la ressemblance. Puisque nous devons nous approcher de lui, comme le dit Ps 33, 6 : Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés, il semble qu’[Adam] n’ait pas péché par le fait de désirer une ressemblance avec Dieu.

 

[5380] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, nullus peccat in appetendo illud quod naturaliter desiderat. Sed omnes homines, ut philosophus dicit, natura desiderant scire. Cum ergo non appetiit divinam similitudinem nisi in scientia, ut verba serpentis ostendunt, videtur, quod in appetendo Dei similitudinem non peccavit.

5. Personne ne pèche en recherchant ce qu’il désire naturellement. Or, comme le dit le Philosophe, tous les hommes désirent naturellement connaître. Puisque qu’on ne recherche la ressemblance à Dieu que par la connaissance, comme le montrent les paroles du serpent, il semble qu’[Adam] n’ait pas péché en recherchant la ressemblance avec Dieu.

 

[5381] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod in littera dicitur per Augustinum: qui perverse vult esse sicut Deus, perverse vult esse similis Deo, ut Diabolus et homo. Hoc etiam videtur ex improperio Dei, quod Genes. 3, 22 ponitur: ecce Adam quasi unus ex nobis factus est.

Cependant, [1] Augustin dit en sens contraire, dans le texte : « Celui qui veut incorrectement être comme Dieu, veut incorrectement être semblable à Dieu, comme le Diable et l’homme. » Cela semble aussi être le cas, compte tenu du reproche de Dieu présenté en Gn 2, 22 : Voici qu’Adam créé comme l’un de nous.

 

[5382] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod homo quantum ad aliquid appetiit esse sicut Deus: quantum vero ad aliquid non. Si enim sicut dicat aequalitatem in aliqua perfectione, sic homo noluit quod ipse haberet tantam scientiam vel potentiam vel bonitatem quantam habet Deus: quia hoc ipsum impossibile et incogitabile est: sed quantum ad aliquem modum habendi voluit Deo parificari tam homo quam Diabolus, ut scilicet uterque haberet perfectionem sibi datam, sicut habet Deus secundum aliquem modum; sed differenter: quia superbus Angelus appetiit talem aequalitatem in potestate, sed homo in scientia. Cujus ratio est, quia primus Angelus inter alias creaturas excellentior erat; unde quodammodo ex ordine suae naturae influentiam super alias creaturas habebat. Voluit ergo dignitati suae naturae innixus, ut ipse principium quoddam creaturarum sequentium existeret et gubernationis et causalitatis cujusdam modi, tamen sub primo principio a quo suam potentiam recognoscebat, sed hoc secundum dignitatem naturae suae adipisci praesumebat, non ex divino munere superaddito. Homo vero qui creaturis inferioribus superpositus erat, ut eas regeret, et eis uteretur, non tam per potentiam quam per prudentiam, hoc modo appetiit ut per naturae suae conditionem et ligni prohibiti edulium tantam scientiae plenitudinem consequeretur ut ex lumine propriae rationis (quod tamen a Deo sibi collatum esse credebat) et seipsum regeret in omnibus, et inferiora sibi subjecta. Unde Augustinus dicit, quod noluit ut servus teneri praecepto quasi ab alia regula per lumen naturali lumini superadditum. Et hoc etiam verba serpentis ostendunt, qui promisit scientiam boni et mali, quod ad actiones pertinet, et ad gubernationem rerum.

Réponse. Sous un aspect, l’homme désire être comme Dieu, mais sous un autre, il ne [le désire pas]. En effet, si c’est pour en être l’égal dans quelque perfection, l’homme n’a pas voulu ainsi posséder autant de science, de puissance et de bonté que Dieu en possède, car cela est impossible et impensable. Mais, selon une certaine manière de [les] posséder, tant le Diable que l’homme ont voulu être les égaux de Dieu, de telle sorte que chacun posséderait la perfection qui lui a été donnée comme Dieu la possède d’une certaine manière, mais différemment. En effet, l’ange orgueilleux a désiré une telle égalité en puissance, mais l’homme, en connaissance. La raison en est que le premier ange était le plus élevé parmi les autres créatures ; aussi possédait-il selon l’ordre de sa nature une influence sur les autres créatures. Il a donc voulu, en s’appuyant sur la dignité de sa nature, être lui-même, en quelque sorte, un principe d’existence, de gouvernement et de causalité pour les autres créatures, soumis cependant au premier principe dont il reconnaissait avoir reçu sa puissance ; il présumait cependant l’obtenir selon la dignité de sa nature, et non par un don de Dieu surajouté. Mais l’homme, qui avait été placé à la tête des créatures inférieures afin de les gouverner et de les utiliser, non pas tant par sa puissance que par sa prudence, a désiré obtenir une si grande plénitude de science par la condition de sa nature et par le fruit bon à manger de l’arbre défendu, afin de se gouverner lui-même en tout, ainsi que les choses inférieures qui lui étaient soumises, par la lumière de sa propre raison (qu’il croyait cependant lui avoir été donnée par Dieu). Aussi Augustin dit-il qu’il « n’a pas voulu être considéré comme esclave d’un commandement provenant pour ainsi dire d’une autre règle, par une lumière ajoutée à la lumière naturelle ». C’est aussi cela que montrent les paroles du serpent, qui promettait la connaissance du bien et du mal, ce qui se rapporte aux actions et au gouvernement des choses.

 

[5383] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod elatio in tantum caecat oculos mentis ut illud aestimet esse possibile quod possibile non est; unde potuit esse ut ad verba serpentis homo excellentiam inordinate appeteret in communi: ex illo appetitu vero excaecatus, perversum judicium de impossibili proferret, et sic appetitus declinaret ad hunc excellentiae modum. Vel dicendum, quod aequalitatem aequiparantiae (quod impossibile est et cogitari non potest) non appetiit, sed assimilationem quamdam, ut dictum est, quam cogitare potuit.

1. L’orgueil aveugle tellement les yeux de l’esprit qu’il estime possible ce qui n’est pas possible. Il pouvait arriver que, selon les paroles du serpent, l’homme désire de manière désordonnée son élévation d’une manière générale ; mais, aveuglé par ce désir, il allait poser un jugement déréglé sur ce qui est impossible, et ainsi le désir pencherait vers ce mode d’élévation. Ou bien il faut dire qu’il ne désirait par une égalité totale (ce qui est impossible et ne pouvait être pensé), mais une certaine ressemblance qu’il pouvait penser, comme on l’a dit.

 

[5384] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudinem naturalis dignitatis quam in creatione accepit appetendo non peccavit sed quia ipse super hoc aliam similitudinem appetiit, ut scilicet sicut Deus lumine suae naturae omnia regit et gubernat, ita etiam homo per naturale lumen rationis sibi subdita gubernaret, et seipsum sine adjutorio exterioris luminis.

2. Il n’a pas péché en désirant la ressemblance de sa dignité naturelle qu’il avait reçue par la création, mais parce qu’il a désiré une autre ressemblance qui dépassait cela, à savoir que, de même que Dieu régit et gouverne tout par la lumière de sa nature, de même il gouvernerait ce qui lui était soumis par la lumière naturelle de sa raison, et lui-même sans l’aide d’une lumière extérieure.

 

[5385] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod homo non appetiit mala per experientiam scientiae, sed per judicium: sed hoc consecutum est ex peccato suo quod malum per experimentum cognosceret; ut sic et Daemonis promissio verificaretur completa, cujus consuetudo est ut dubiis verbis homines fallat, et ut nomen arbori impositum non frustra videatur.

3. L’homme n’a pas désiré des choses mauvaises par l’expérience de la science, mais par son jugement. Mais il a obtenu par son péché de connaître le mal par expérience, de sorte que la promesse du Démon s’est tout entière réalisée, lui dont c’est l’habitude de tromper les hommes par des paroles douteuses, et afin que le nom donné à l’arbre ne paraisse pas vain.

 

[5386] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad Dei similitudinem accedendum est, secundum modum et ordinem unicuique a Deo praestitum; sed qui proprio motu ad Dei similitudinem accesserit, perverse vult esse similis Deo, ut Augustinus dicit in littera: omnis enim peccator appetit similitudinem Dei, cum nihil sit appetibile nisi prout ejus similitudinem habet: sed in hoc peccat, quia quaerit ejus similitudinem inordinate, et in quo quaerenda non est.

4. Chaque chose doit s’approcher d’une ressemblance avec Dieu, selon le mode et l’ordre donnés par Dieu ; mais celui qui veut s’approcher de la ressemblance de Dieu par son propre mouvement veut être semblable à Dieu de manière déréglée, comme Augustin le dit dans le texte. En effet, tout pécheur désire la ressemblance avec Dieu, puisque rien n’est désirable que dans la mesure où cela possède sa ressemblance. Mais il pèche par le fait de rechercher une ressemblance avec lui de manière désordonnée et là où il ne faut pas la chercher.

 

[5387] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non peccavit in hoc quod scientiam appetiit, sed quia inordinate appetiit, ut dictum est.

5. Il n’a pas péché en désirant la connaissance, mais parce qu’il l’a désirée de manière désordonnée, comme on l’a dit.

 

 

 

 

Articulus 3 [5388] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 3 tit. Utrum mulier gravius peccaverit quam vir

Article 3 – La femme a-t-elle péché plus gravement que l’homme ?

 

[5389] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod mulier gravius quam vir non peccaverit. Uterque enim elationis vitio peccavit. Sed elatio illa non fuit nisi in hoc quod Dei similitudinem perverse appetierunt. Ergo videtur quod uterque idem appetiit, et aequaliter peccaverunt.

1. Il semble que la femme n’ait pas péché plus gravement que l’homme. En effet, les deux ont péché par le vice de l’orgueil. Or, cet orgueil a consisté seulement dans le fait qu’ils ont recherché de manière désordonnée une ressemblance avec Dieu. Il semble donc que les deux désiraient la même chose et aient péché également.

 

[5390] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, infirmitas peccatum excusat. Sed mulier infirmior fuit viro, propter quod Diabolus, ut dictum est supra, eam primo aggressus est. Ergo videtur quod ipsa minus peccaverit.

2. La faiblesse excuse le péché. Or, la femme était plus faible que l’homme, raison pour laquelle le Diable, ainsi qu’on l’a dit, s’en est d’abord pris à elle. Il semble donc qu’elle ait moins péché.

 

[5391] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, propter hoc peccatum Daemonis gravius judicatur quam peccatum hominis, quod eminentiorem cognitionem de Deo habebat. Sed vir magis erat praeditus spirituali mente quam mulier, ut in littera dicitur. Ergo videtur quod ipse gravius peccaverit.

3. Le péché du Démon est estimé plus grave que le péché de l’homme parce qu’il avait une connaissance de Dieu plus élevée. Or, l’homme était davantage doué d’un esprit spirituel que la femme, comme le dit le texte. Il semble donc qu’il ait lui-même plus gravement péché.

 

[5392] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, regimen mulieris ad virum pertinebat; unde et supra dictum est, quod per virum ad mulierem praeceptum delatum est. Ergo videtur quod etiam peccatum mulieris viro imputandum sit, et magis aggravandum.

4. Le gouvernement de la femme relevait de l’homme ; aussi a-t-on dit plus haut que le commandement a été porté à la femme par l’homme. Il semble donc que même le péché de la femme doive être imputé à l’homme et doive être davantage aggravé.

 

[5393] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, peccare ex consideratione misericordiae divinae, videtur esse peccatum praesumptionis, quae est species peccati in spiritum sanctum, quod est gravissimum. Cum ergo vir peccaverit cogitans de Dei misericordia, ut in littera dicitur, videtur quod ipse gravius peccaverit quam mulier.

5. Pécher en prenant en compte la miséricorde de Dieu semble être un péché de présomption, qui est une espèce du péché contre l’Esprit Saint, le plus grave. Puisque l’homme a péché en pensant à la miséricorde de Dieu, comme il est dit dans le texte, il semble donc qu’il ait péché plus gravement que la femme.

 

[5394] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, peccatum a Diabolo pervenit in mulierem, et a muliere in virum. Sed Diabolus gravius peccavit quam mulier. Ergo et mulier gravius quam vir.

Cependant, [1] le péché est passé du Diable à la femme, et de la femme à l’homme. Or, le Diable a péché plus gravement que la femme. Donc aussi, la femme plus gravement que l’homme.

 

[5395] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, ad idem sunt ea quae in littera adducuntur.

[2] Ce qui est invoqué dans le texte va dans le même sens.

 

[5396] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, non est inconveniens quod duorum peccatorum unum sit altero gravius, diversis circumstantiis consideratis; illud tamen simpliciter gravius dicendum est quod in pluribus sive potioribus praeponderat: illud autem potissimum in quolibet peccato est quod ad peccatum movet, ut prius dictum est, et ideo secundum hoc maxime gravitas peccati attendenda est: et secundum hoc patet quod peccatum mulieris gravius est; mulier enim ex sola elatione mentis ad peccandum mota fuit, vir autem non ex sola elatione, sed simul cum hoc ex quadam amicabili benignitate ad uxorem, quod aliquo modo peccatum ejus mitigat. Item elatio quae movit mulierem, major fuit quam elatio quae movit virum. In muliere enim talis fuit elationis progressus ut ad verba serpentis tantum excellentiae appetitum conciperet ut judicium rationis perverteret, et crederet hoc possibile et verum quod Diabolus dicebat: et propter hoc dicitur esse seducta. In viro autem non tantum excrevit in principio amor propriae excellentiae ut judicium ejus perverteret, quasi crederet hoc esse futurum; sed quia illud vellet, si possibile foret; et ideo non dicitur fuisset seductus: sed tamen talis elatio ad experiendum ipsum incitavit; unde aliquam dubitationem elatio in eo fecit, quae in muliere firmam opinionem conceperat: et ideo etiam voluntas mulieris perfecta consecuta est in appetitum divinae similitudinis; sed viri imperfecta, scilicet sub conditione si possibile foret.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, il n’est pas inapproprié que, de deux péchés, l’un soit plus grave que l’autre, en prenant en compte des circonstances diverses ; toutefois, on doit appeler plus grave ce qui l’emporte la plupart du temps ou pour ce qui est plus déterminant. Or, le plus déterminant en chaque péché est ce qui pousse au péché, comme on l’a dit plus haut ; aussi la gravité du péché doit-elle être surtout considérée d’après cela. Sous cet aspect, il ressort clairement que le péché de la femme est plus grave. En effet, la femme a été poussée à pécher par le seull orgueil de l’esprit, mais l’homme, non pas par le seul orgueil, mais en même temps par une certaine bienveillance amicale envers son épouse, ce qui diminue son péché d’une certaine manière. De même, l’orgueil qui a poussé la femme était plus grand que l’orgueil qui a poussé l’homme. En effet, chez la femme, la progression de l’orgueil fut telle qu’elle conçut un si grand désir d’élévation, conformément aux paroles du serpent, qu’elle allait bouleverser le jugement de la raison et croire que ce que le Diable disait était possible et vrai ; c’est la raison pour laquelle on dit qu’elle a été séduite. Mais, chez l’homme, l’amour de sa propre élévation n’a pas augmenté au départ au point d’avoir bouleversé son jugement, comme s’il croyait que cela allait arriver, mais au point de vouloir cela, s’il était possible que cela se produise. Aussi ne dit-on pas qu’il a été séduit ; cependant, un tel orgueil l’a incité à faire lui-même l’expérience. L’orgueil a donc suscité chez en lui un doute, alors qu’il avait conçu une opinion ferme chez la femme. C’est pourquoi aussi la volonté parfaite de la femme a été suivie du désir de la ressemblance avec Dieu, mais la volonté imparfaite de l’homme, à la condition que cela soit possible.

 

[5397] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut ex praedictis patet, licet id quodammodo uterque appetierit, non tamen aequaliter: quod enim creditur esse possibile, completum desiderium habet, id vero quod impossibile creditur esse, vel de cujus possibilitate dubitatur, habet desiderium conditionatum tantum: quia homo illud vellet si possibile foret. Quia ergo mens mulieris per elationem ad verba serpentis conceptam intantum excaecata est ut illud possibile crederet quod Diabolus promittebat, completum desiderium habuit; vir vero incompletum, quia hoc possibile non credidit.

1. Comme cela ressort de ce qui a été dit, bien que les deux aient désiré cela d’une certaine manière, [ils ne l’ont pas désiré] également. En effet, ce qui est cru possible comporte un désir complet, mais ce dont on croit que cela est impossible ou dont on doute que ce soit possible comporte un désir conditionné seulement, car l’homme voudrait cela, si cela était possible. Ainsi donc, parce que l’esprit de la femme a été à ce point aveuglé par l’orgueil qu’elle conçut conformément aux paroles du serpent, qu’elle allait croire que ce que promettait le Diable était possible, elle eut un désir complet ; mais l’homme [eut un désir] incomplet, car il n’a pas cru cela possible.

 

[5398] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in muliere non erat tanta debilitas quin peccato resistere posset; unde quamvis debilitas mulieris sit aliqua circumstantia diminuens peccatum ipsius per comparationem ad virum non tamen simpliciter minus peccatum fecit.

2. Il n’y avait pas chez la femme une faiblesse telle qu’elle ne pouvait pas résister au péché. Bien que la faiblesse de la femme soit une circonstance diminuant son péché par rapport à l’homme, elle n’en commit pas moins simplement un péché.

 

[5399] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 3 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium et quartum.

3-4. Il faut dire la même chose pour le troisième et le quatrième argument.

 

[5400] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cogitare de Dei misericordia cum proposito poenitendi et resiliendi a peccato, non facit praesumptionis peccatum, sed magis peccatum alleviat; sed cogitare de Dei misericordia sine proposito poenitendi hoc praesumptionis est, et contemptus divinae justitiae: nec sic Adam de misericordia cogitavit.

5. Penser à la miséricorde de Dieu avec le propos de se repentir et de se détourner du péché n’est pas un péché de présomption, mais cela allège plutôt le péché. Mais penser à la miséricorde de Dieu sans le propos de se repentir, cela relève de la présomption et du mépris de la justice divine. Mais Adam ne pensait pas ainsi de la miséricorde.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’ignorance est-elle un péché ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[5401] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 pr. Deinde quaeritur de ignorantia de qua fit mentio in littera; et quaeruntur duo: 1 an ignorantia peccatum sit; 2 an peccatum excuset.

On s’interroge ensuite sur l’ignorance dont il est fait mention dans le texte. Deux questions sont posées : 1. L’ignorance est-elle un péché ? 2. [L’ignorance] excuse-t-elle le péché ?

 

 

 

 

Articulus 1 [5402] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 tit. Utrum ignorantia sit peccatum

Article 1 – L’ignorance est-elle un péché ?

 

[5403] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod ignorantia peccatum non sit. Omne enim peccatum, ut Augustinus dicit, est in voluntate. Ignorantia autem est intellectu. Ergo non est peccatum.

1. Il semble que l’ignorance ne soit pas un péché. En effet, comme le dit Augustin, « tout péché réside dans la volonté ». Or, l’ignorance réside dans l’intelligence. Elle n’est donc pas un péché.

 

[5404] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne peccatum est originale vel actuale. Sed ignorantia non est originale peccatum, sed magis concupiscentia, ut infra dicetur: nec etiam est actuale, quia non est dictum vel factum vel concupitum contra legem Dei. Ergo ignorantia non est peccatum.

2. Tout péché est originel ou actuel. Or, l’ignorance n’est pas le péché originel, mais plutôt la concupiscence, comme on le dira plus loin ; elle n’est pas non plus un péché actuel, car elle n’est pas une parole, un acte ou un désir opposé à la loi de Dieu. L’ignorance n’est donc pas un péché.

 

[5405] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, omne peccatum consistit in defectu alicujus actus, et non in defectu alicujus habitus: alias aliquis dormiendo peccaret. Ignorantia autem magis opponitur habitui quam actui. Ergo idem quod prius.

3. Tout péché consiste dans une carence d’un acte, et non dans une carence d’un habitus, autrement on pécherait en dormant. Or, l’ignorance s’oppose davantage à l’habitus qu’à l’acte. La conclusion est donc la même que précédemment.

 

[5406] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, ignorans in ignorantia sua continue manet. Si ergo ipsum ignorare peccatum esset, videtur quod continue peccaret; non enim apparet ratio quare magis nunc sit peccatum quam prius. Sed hoc videtur grave dicere. Ergo videtur quod ignorantia non sit peccatum.

4. L’ignorant demeure dans son ignorance de manière continue. Si donc le fait même d’ignorer était un péché, il semble qu’il pécherait de manière continue : en effet, il n’y a pas de raison manifeste pour laquelle ce serait davantage péché maintenant qu’antérieurement. Or, il semble grave de dire cela. Il semble donc que l’ignorance ne soit pas un péché.

 

[5407] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, Augustinus, ubi supra, dicit, quod omne peccatum est voluntarium. Ignorantia autem non est voluntarium, cum ab hominibus naturaliter scientia desideretur, secundum philosophum. Ergo non est peccatum.

5. À l’endroit ci-dessus, Augustin dit que tout péché est volontaire. Or, l’ignorance n’est pas volontaire, puisque la science est naturellement désirée par les hommes, selon le Philosophe. Elle n’est donc pas un péché.

 

[5408] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod 1 Corinth. 14, 38, dicitur: qui ignorat, ignorabitur; et loquitur de ignorantia reprobationis. Sed nulli debetur reprobatio nisi pro peccato mortali. Ergo ignorantia est peccatum mortale.

Cependant, [1] 1 Co 14, 38 dit en sens contraire : Celui qui ignore sera ignoré, et on parle de l’ignorance de la réprobation. Or, la réprobation n’est méritée par personne, si ce n’est pour un péché mortel. L’ignorance est donc un péché mortel.

 

[5409] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Isaiae 5, 13, dicitur: propterea captivus ductus est populus meus, quia non habuit scientiam. Sed poena non debetur nisi culpae. Ergo carere scientia, est culpa.

[2] Il est dit en Is 5, 13 : Mon peuple a été emmené captif parce qu’il n’avait pas la science. Or, la peine n’est due que pour une faute. Manquer de science est donc une faute.

 

[5410] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 co. Respondeo, quod quidam dixerunt, nullam ignorantiam, quantum in se est, culpam esse, sed ratione alicujus annexi, vel praecedentis vel sequentis: praecedentis, ut causae, scilicet negligentiae addiscendi; sequentis, ut effectus, scilicet alicujus inordinati actus, qui ignorantiam sequitur. Sed quia de ratione culpae non est plus, nisi quod sit privatio alicujus quod debitum est haberi, in potestate ejus qui privatur, existens; ideo etiam ipsam ignorantiam secundum se possumus culpam dicere; si tamen ignorantia privative et non negative accipiatur: et dico ignorantiam privative acceptam quae est ejus quidem quod quis natus est addiscere, quidquid sit illud: non enim idem est quod omnes scire tenentur, cum ad plura scienda quidam magis aliis teneantur; unde aliqua ignorantia est peccatum uni quae non est peccatum alteri: unicuique enim peccatum est ignorantia eorum quae ad bonos mores et fidei veritatem pertinent; sed alicui in officio constituto est etiam peccatum ignorantia eorum quae ad suum officium pertinent. Nec est mirum, si hoc ipsum quod est scientia carere, peccatum est ei qui potest et tenetur habere; cum etiam carere aliquo corporali ad officium pertinente peccatum sit, ut tonsura, vel veste ad officium accommodata; et quod ista in se peccata sint, poena ostendit quae pro eis juste infligitur.

Réponse. Certains ont dit que, considérée en elle-même, aucune ignorance n’est une faute, mais en raison de quelque chose d’associé qui la précède ou la suit : qui la précède comme une cause, à savoir, la négligence à apprendre ; qui la suit comme un effet, à savoir, en raison d’un acte désordonné qui découle de l’ignorance. Mais parce qu’il est de la raison de la faute de ne pas être davantage que la privation de quelque chose qu’on devrait avoir et qui est au pouvoir de celui qui est privé, nous pouvons aussi dire que l’ignorance est elle-même une faute, si l’on entend cependant l’ignorance de manière privative, et non de manière négative. J’appelle ignorance considérée de manière privative, celle portant sur une chose que quelqu’un devrait acquérir, qulelle que soit cette chose. En effet, tous ne sont pas obligés de connaître la même chose, puisque certains sont obligés de connaître plus de choses que d’autres. Une certaine ignorance est donc un péché pour l’un, mais ne l’est pas pour un autre. En effet, pour tous, l’ignorance de ce qui se rapporte aux bonnes mœurs et à la vérité de la foi est un péché ; mais, pour celui qui est établi dans une fonction, l’ignorance de ce qui se rapporte à sa fonction est aussi un péché. Et il n’est pas étonnant que le fait de manquer de science soit un péché pour celui qui peut et qui est tenu de la posséder, alors qu’être dépourvu de quelque chose de corporel se rapportant à une fonction est un péché, comme c’est le cas pour la tonsure ou pour un vêtement adapté à une fonction. Que ces choses soient en elles-mêmes des péchés, la peine justement infligée pour elles le montre.

 

[5411] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod esse in voluntate contingit dupliciter: vel sicut in subjecto; et hoc modo non omne peccatum in voluntate est; aliquod enim est in concupiscibili vel irascibili, et sic de aliis viribus; vel sicut in causa, ut scilicet ipsa voluntas sit domina ejus quod in ea esse dicitur, quasi in ejus potestate existens; et hoc modo omne peccatum in voluntate est, etiam ignorantia: ipsa enim voluntas imperat aliis viribus et intellectui; unde actus aliarum virium sunt in potestate voluntatis, et defectus earum, scilicet solum illi qui rationi obediunt.

1. Résider dans la volonté se réalise de deux manières. Soit comme un sujet, et de cette manière, tout péché ne réside pas dans la volonté. En effet, il existe [des péchés] dans le concupiscible et dans l’irascible, et ainsi de suite dans d’autres puissances. Soit comme dans une cause, à savoir que la volonté même soit la maîtresse de ce qu’on dit résider en elle, pour autant que cela est en son pouvoir. De cette manière, tout péché réside dans la volonté, même l’ignorance. En effet, la volonté commande aux autres puissances, et aussi à [la puissance] intellectuelle. Aussi les actes des autres puissances sont-elles au pouvoir de la volonté, ainsi que leurs carences, à savoir, celles-là seulement qui obéissent à la raison.

 

[5412] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ignorantia non est originale peccatum (non enim ignorantia imputatur puero in peccatum, antequam ad tempus deputatum venerit), sed est peccatum actuale eo modo quo omissio peccatum actuale dicitur; et eodem modo convenit peccati actualis descriptio ignorantiae sicut omissioni; quod qualiter sit, infra dicetur.

2. L’ignorance n’est pas le péché originel (en effet, l’ignorance n’est pas imputée à l’enfant dans le péché, avant qu’il ne soit parvenu à l’âge désigné), mais elle est un péché actuel selon que l’omission est appelée un péché actuel. Et la description du péché actuel convient à l’ignorance de la même manière dont elle convient à l’omission. Comment c’est le cas, on le dira plus loin.

 

[5413] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis scientia, cui opponitur ignorantia, non sit actus qui est operatio, sed habitus; tamen per operationem aliquam quae est in potestate voluntatis acquiritur; et ideo hoc ipsum quod est scientiam habere, voluntati subjectum est; et per consequens hoc quod est scientia carere; et inde est quod culpae rationem habet.

3. Bien que la science, à laquelle l’ignorance s’oppose, ne soit pas un acte qui est une opération, mais un habitus, elle est cependant acquise par une opération qui est au pouvoir de la volonté. C’est pourquoi le fait même d’avoir la science est soumis à la volonté et, par conséquent, le fait de manquer de science. De là vient qu’elle a raison de faute.

 

[5414] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod peccatum omissionis non habet rationem culpae nisi ex hoc quod opponitur praecepto affirmativo legis naturalis vel scriptae. Praeceptum autem affirmativum obligat semper, sed non ad semper; et ideo omnis omissio pro illo tempore est peccatum in actu in quo quis per praeceptum obligatur; et quoties illud tempus revertitur, toties peccatum multiplicatur.

4. Le péché d’omission n’a pas raison de faute, si ce n’est parce qu’il s’oppose à un commandement affirmatif de la loi naturelle ou écrite. Or, le commandement affirmatif oblige toujours, mais non pas en tout temps. C’est pourquoi toute omission est un péché en acte pour le temps pendant lequel quelqu’un est obligé par le commandement ; et chaque fois que ce temps revient, le péché est chaque fois multiplié.

 

[5415] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis omnis homo naturaliter scientiam desideret et scientiam velit, non tamen omnes volunt id per quod ad scientiam pervenitur; et sic quodammodo ignorantia voluntarium efficitur, non per se, sed per accidens, sicut et quodlibet malum.

5. Bien que tout homme désire naturellement la science et veuille la science, tous ne veulent cependant pas ce par quoi on parvient à la science. Et ainsi, l’ignorance devient parfois volontaire, non pas en elle-même, mais par accident, comme c’est le cas de tout mal.

 

 

 

 

Articulus 2 [5416] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 tit. Utrum ignorantia excuset peccatum

Article 2 – L’ignorance excuse-t-elle le péché ?

 

[5417] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ignorantia peccatum non excuset. Primo per hoc quod dicit Glossa Ambrosii Rom. 2: gravissime peccat, si ignorat. Sed quod aggravat peccatum, non excusat. Ergo ignorantia non excusat peccatum.

1. Il semble que l’ignorance n’excuse pas le péché. Premièrement, d’après ce que dit une glose d’Ambroise sur Rm 2 : Celui qui ignore pèche très gravement. Or, le fait d’aggraver n’excuse pas. L’ignorance n’excuse donc pas le péché.

 

[5418] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, qui per ebrietatem hominem occidit, constat quod per ignorantiam peccat. Sed secundum philosophum in 3 Ethic., talis meretur duplices mulctationes. Ergo ignorantia non excusat, sed aggravat.

2. Celui qui tue un homme parce qu’il est ivre pèche manifestement par ignorance. Or, selon le Philosophe, Éthique, III, celui-là mérite une double condamnation. L’ignorance n’excuse donc pas, mais aggrave.

 

[5419] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, peccatum additum peccato non excusat, sed aggravat. Sed ignorantia peccatum est, ut dictum est supra. Peccatum ergo non excusat.

3. Le péché ajouté au péché n’excuse pas, mais aggrave. Or, l’ignorance est un péché, comme on l’a dit plus haut. Le péché n’excuse donc pas.

 

[5420] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, illud quod consequitur omne peccatum, non potest excusare vel alleviare peccatum; quia sic de quolibet excusaret. Sed ignorantia sequitur omne peccatum; quia omnis malus est ignorans, secundum philosophum in 3 Ethic., ut supra. Ergo idem quod prius.

4. Ce qui découle de tout péché ne peut excuser ni alléger le péché, car on excuserait ainsi de tout [péché]. Or, l’ignorance découle de tout péché, car tout méchant est ignorant, selon le Philosophe, plus haut, Éthique, III. La conclusion est donc la même que précédemment.

 

[5421] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, ut Beda dicit, quatuor sunt poenalitates quae nos ex peccato primi hominis consequuntur, scilicet ignorantia, infirmitas, concupiscentia, et malitia. Sed malitia non excusat, sed aggravat peccatum, nec etiam concupiscentia. Ergo videtur quod nec ignorantia nec infirmitas.

5. Comme le dit Bède, quatre peines découlent du péché du premier homme : l’ignorance, la faiblesse, la concupiscence et la malice. Or, la malice, pas plus que la concupiscence, n’excuse pas, mais aggrave le péché. Il semble donc que ni l’ignorance ni la faiblesse [ne l’excusent].

 

[5422] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod apostolus dicit, 1 Timoth. 1, 13: misericordiam consecutus sum, quia ignorans feci. Sed nihil provocat ad misericordiam nisi peccatum excuset vel alleviet. Ergo ignorantia excusat vel alleviat peccatum.

Cependant, [1] l’Apôtre dit le contraire en 1 Tm 1, 13 : J’ai obtenu miséricorde parce que j’ai agi par ignorance. Or, rien ne pousse à la miséricorde que ce qui excuse le péché ou l’allège. L’ignorance excuse donc ou allège le péché.

 

[5423] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne peccatum est voluntarium, secundum Augustinum. Ergo quod tollit vel diminuit rationem voluntarii, excusat vel alleviat peccatum. Sed ignorantia est hujusmodi, quia involuntarium per ignorantiam causatur, ut philosophus in 3 Ethic., dicit. Ergo ignorantia vel excusat vel alleviat peccatum.

[2] Tout péché est volontaire, selon Augustin. Ce qui enlève ou diminue la raison de volontaire excuse ou allège donc le péché. Or, l’ignorance est de ce genre, car l’ignorance cause l’involontaire, comme le dit le Philosophe, Éthique, III. Donc, l’ignorance excuse ou allège le péché.

 

[5424] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ignorantia quaedam ex toto excusat peccatum; quaedam vero alleviat in parte; quaedam vero nec in toto excusat, nec in parte alleviat. Et ad hujusmodi evidentiam sciendum est, quod ignorantiae divisio tripliciter potest sumi. Primo ex parte ipsius scientis; quia quaedam est in potestate scientis, et haec dicitur ignorantia vincibilis, vel affectata; quaedam autem non est in potestate ejus, et haec dicitur invincibilis. Sed hoc quod ignorantia sit in potestate ejus qui ignorat, contingit dupliciter: quia vel est in potestate ejus secundum se, sicut qui ignorat aliquod praeceptum quod statim scire posset; vel est in potestate ejus quantum ad suam causam, licet non in se; ut patet in ignorantia ebrii; quia ebrietas quae est causa ignorantiae, in potestate ejus fuit; non autem ignorantia consequens, cum usus rationis impediatur. Secundo sumitur divisio ignorantiae ex parte scibilis. Est enim quaedam ignorantia ejus quod quis scire tenetur, et haec dicitur secundum philosophum ignorantia universalis, et secundum jurisperitos ignorantia juris; et haec variatur in diversis, ut supra dictum est: quia quaedam tenetur scire unus quae non tenetur scire alius. Quaedam vero ignorantia est ejus quod quis scire non tenetur, et haec est scientia particularium circumstantiarum in actu, quam philosophus vocat ignorantiam particularis, juristae vero ignorantiam facti. Tertia divisio sumitur ex ordine ad actum. Quaedam enim ignorantia est quae est causa actus, quia si non ignoraret, non faceret; et tunc dicitur per ignorantiam peccare; et hujus signum est poenitentia de actu. Quaedam vero est ignorantia quae non est causa actus, sed per accidens se habet ad actum; et secundum hanc, ut philosophus in 3 Ethic. dicit, non dicitur aliquis per ignorantiam facere, sed ignorans; unde in actu talis non poenitet: ut si aliquis credens accedere ad unam mulierem, accedat ad aliam, ad quam tamen accederet, si eam non ignorasset. Quaedam vero ignorantia est quae quodammodo affectum peccati consequitur, ut quando ex concupiscentia peccati, quam voluntas non reprimit, absorbetur judicium rationis de particulari operabili, secundum quod dicitur in 6 Ethic., quod delectatio corrumpit existimationem prudentiae: et haec est ignorantia electionis, secundum quam omnis malus dicitur ignorans. His ergo visis, sciendum est, quod ignorantia non excusat nec minuit peccatum nisi secundum quod causat involuntarium: non enim potest esse voluntarium quod est ignoratum. Ignorantia autem quae non est causa actus, non causat involuntarium, ut philosophus dicit in 3 Ethic.; unde illa nullo modo excusat nec diminuit peccatum; sed solum illa quae est causa actus. Haec autem potest excusare peccatum vel in toto vel in parte. Si enim sit talis ignorantia cui nullo modo admisceatur ratio culpae, ex eo quod ignorantia est, sic excusat in toto, sicut ignorantia invincibilis et ignorantia particularis, adhibita tamen debita diligentia. Ignorantia vero quae rationem culpae habet, excusat quidem quantum ad aliquid, scilicet inquantum ignorantia est; quia sic habet quod involuntarium causet; non autem excusat inquantum culpa est, quia sic rationem voluntarii retinet: et ideo ignorantia universalis excusat peccatum sequens non ex toto, sed a tanto. Similiter etiam ignorantia vincibilis, sit sive secundum se vincibilis, sive secundum causam suam, dum tamen rei illicitae operam non dederit quando ignorantiam incurrit: si enim operam rei licitae dedisset moderate, ignorantia sequens culpam non haberet: et ita potest sequens peccatum ex toto excusare, ut patet in his qui exercitio spiritualium operationum in amentiam vertuntur.

Réponse. Une certaine ignorance excuse entièrement le péché ; une autre l’allège en partie ; mais une autre ne l’excuse pas du tout ni ne l’allège en partie. Pour éclairer ceci, il faut savoir que la division de l’ignorance peut être prise de trois manières. Premièrement, du point de vue de celui-là même qui connaît, car une certaine [ignorance] est au pouvoir de celui qui connaît, et celle-ci s’appelle l’ignorance vincible ou affectée. Mais une autre n’est pas en son pouvoir, et celle-ci s’appelle iinvincible. Or, le fait que l’ignorance soit au pouvoir de celui qui ignore se produit de deux manières : soit elle est en son pouvoir par elle-même, comme celui qui ignore un commandement qu’il pourrait connaître de manière immédiate ; soit elle est en son pouvoir quant à sa cause, mais non en elle-même, comme cela ressort pour l’ignorance de celui qui est ivre, car l’ébriété qui est la cause de l’ignorance était en son pouvoir, mais non l’ignorance consécutive, puisque l’usage de la raison est empêché. Deuxièmement, la division de l’ignorance se prend du point de vue de ce qui peut être connu. En effet, il existe une ignorance de ce que quelqu’un est tenu de savoir et, selon le Philosophe, celle-ci s’appelle l’ignorance universelle et, selon les juristes, l’ignorance du droit. Celle-ci varie selon les individus, ainsi qu’on l’a dit plus haut, car l’un est tenu de savoir ce qu’un autre n’est pas tenu de savoir. Mais il existe une ignorance de ce que quelqu’un n’est pas tenu de savoir, et celle-ci est la science des circonstances particulières en acte, que le Philosophe appelle l’ignorance du particulier, mais les juristes, l’ignorance du fait. En effet, une certaine ignorance est cause d’un acte, car si on n’était pas dans l’ignorance, on ne le poserait pas. On dit alors qu’on pèche par ignorance, et le signe en est la pénitence en acte. Mais il existe une ignorance qui n’est pas cause d’un acte, mais a un rapport accidentel avec cet acte. Comme le dit le Philosophe, Éthique, III, on ne dit pas [dans ce cas] que quelqu’un agit par ignorance, mais en ignorant. Aussi celui-ci ne se repent-il pas en acte ; par exemple, si quelqu’un, croyant s’approcher d’une femme, s’approche d’une autre, dont il s’approcherait cependant, s’il ne l’ignorait pas. Mais il existe une ignorance qui découle d’une certaine manière du désir de pécher, comme lorsque, en raison du désir désordonné du péché que ne réprime pas la volonté, le jugement de la raison est absorbé dans une action particulière à poser ; comme il est dit dans Éthique, VI, le plaisir corrompt le jugement de la prudence. Telle est l’ignorance du choix, selon laquelle tout méchant est appelé ignorant. Après avoir vu cela, il faut savoir que l’ignorance ne diminue ni n’allège le péché que si elle cause l’involontaire. En effet, ce qui est ignoré ne peut être volontaire. Mais l’ignorance qui n’est pas la cause de l’acte ne cause pas l’involontaire, mais seulement celle qui est cause de l’acte. Or, celle-ci peut excuser le péché en tout ou en partie. En effet, si l’ignorance est telle qu’il ne s’y mêle d’aucune manière une raison de faute, en tant qu’elle est ignorance, elle excuse ainsi entièrement, comme l’ignorance invincible et l’ignorance du particulier, à condition qu’un soin approprié ait été apporté. Mais l’ignorance qui a raison de faute excuse en partie, pour autant qu’elle est ignorance, car elle cause ainsi de l’involontaire ; mais elle n’excuse pas en tant qu’elle est une faute, car elle garde ainsi la raison de volontaire. C’est pourquoi l’ignorance universelle excuse le péché qui suit, non pas en totalité, mais dans une certaine mesure. De même aussi, l’ignorance vincible, qu’elle soit vincible en elle-même ou dans sa cause, pourvu cependant qu’on ne s’adonne pas à la chose défendue pendant que dure l’ignorance. En effet, si on s’était adonné de manière modérée à une chose permise, l’ignorance consécutive ne comporterait pas de faute. Ainsi peut-elle excuser en totalité un péché consécutif, comme cela ressort chez ceux qui deviennent fous pendant la pratique des œuvres spirituelles.

 

[5425] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ignorans dicitur gravissime peccare, non propter quantitatem peccati, sed propter periculum: quia dum morbum non cognoscit, medicinam non quaerit. Vel dicendum, quod Ambrosius loquitur de gravitate peccati quod est ignorantia ipsa beneficiorum Dei, quod est gravissimum inter species ingratitudinis, cum scilicet homo beneficium non recognoscit.

1. On dit que l’ignorant pèche gravement, non pas en raison de la quantité du péché, mais en raison du danger, car, alors qu’il ne connaît pas la maladie, il ne cherche pas de remède. Ou bien il faut dire qu’Ambroise parle de la gravité du péché qu’est l’ignorance, même des bienfaits de Dieu, qui est la plus grave des espèces d’ingratitude, alors que l’homme ne reconnaît pas un bienfait.

 

[5426] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ebrius homicida duobus peccatis peccat, scilicet ebrietate, et homicidio: propter quod dicitur, duplices mulctationes mereri. Nihil tamen prohibet quin quantitas sequentis peccati per ignorantiam ex praecedenti consequentem minuatur. Unde in processu argumenti est figura dictionis, quia mutatur discretum in continuum.

2. L’homme ivre homicide commet deux péchés : l’ébriété et l’homicide ; c’est pourquoi on dit qu’il mérite une double peine. Mais rien n’empêche que la quantité du péché consécutif soit diminuée par l’ignorance découlant d’un [péché] antérieur. C’est pourquoi, dans le cours du raisonnement, il y a une figure de style, car le discontinu est changé en continu.

 

[5427] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ignorantia omnis quae est peccatum, est in intellectu sicut in subjecto, et in voluntate sicut in causa, ut supra dictum est; unde secundum hoc quod est in intellectu, prout scilicet privat directam scientiam in actu, minuit quantitatem sequentis peccati, nec ex eo habet quod peccatum sit; sed prout est in voluntate, sicut in causa, habet quod peccatum sit: et sic non habet quod excuset, sed quod ad peccatum addat: et potest esse quandoque quod plus ponderat ipsum peccatum ignorantiae quam illud quod per ignorantiam de sequenti peccato minuitur.

3. Toute ignorance qui est un péché réside dans l’intelligence comme dans son sujet et dans la volonté comme dans sa cause, comme on l’a dit plus haut. Selon qu’elle réside dans l’intelligence, c’est-à-dire selon qu’elle prive d’une connaissance directe en acte, elle diminue la quantité du péché consécutif et elle n’a pas de quoi être un péché. Mais, pour autant qu’elle réside dans la volonté comme dans sa cause, elle a de quoi être un péché. Elle ne peut ainsi excuser, mais elle ajoute au péché. Et il peut parfois arriver que le péché d’ignorance pèse davantage que ce qui est diminué par l’ignorance dans le péché consécutif.

 

[5428] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ignorantia quae consequitur omne peccatum, non est causa peccati, ut dictum est, et ideo non excusat nec diminuit peccatum.

4. L’ignorance qui accompagne tout péché n’est pas cause de péché, comme on l’a dit ; c’est pourquoi elle n’excuse pas ni ne diminue le péché.

 

[5429] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ignorantia et infirmitas habent quod excusent peccatum vel in toto vel in parte, ex hoc quod causant involuntarium; malitia vero et concupiscentia magis voluntarium augent, et ideo non excusant, sed aggravant peccatum; et hoc dico si concupiscentia sumatur pro actu voluntatis: si vero sumatur pro passione concupiscibilis trahente voluntatem quodammodo renitentem, sic concupiscentia excusat: quia quanto aliquis majori tentationi succumbit, minus peccat; sed hoc ad infirmitatem reducitur.

5. L’ignorance et la faiblesse peuvent excuser le péché en tout ou en partie, du fait qu’elles causent de l’involontaire ; mais la malice et la concupiscence augmentent plutôt le volontaire. C’est pourquoi elles n’excusent pas, mais aggravent le péché. Et je dis cela pour le cas où la concupiscence est entendue comme un acte de la volonté ; mais si elle est entendue de la passion du concupiscible qui traîne pour ainsi dire une volonté récalcitrante, alors la concupiscence excuse, car plus grande est la tentation à laquelle quelqu’un succombe, moins il pèche. Mais cela se ramène à la faiblesse.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 22

 

[5430] Super Sent., lib. 2 d. 22 q. 2 a. 2 expos. Quae per tentationem fuerat convincenda vel perimenda, scilicet spirituali morte vel etiam corporali, vel a se, vel a viro, vel a Deo, si de muliere intelligatur, ut Magister exponit. In eo tamen fuisse seductum credi potest, quod commissum veniale crederet. Hoc intelligitur, ut supra dictum est, de veniali ex causa et non ex genere. Putavit enim quod quia fecit ut uxori morem gereret, quod peccatum suum excusationis causam haberet et veniam de facili acciperet, et hujusmodi seductionis causa videtur fuisse elatio mentis, quae ad suggestionem mulieris surrepsit, ex qua voluit lignum vetitum experiri. Cum enim experimentum non sit nisi de dubiis, patet quod ex elatione in quamdam dubitationem adductus est ejus rei, puta experimenti ligni vetiti, in quo etiam mulier seducta fuit. Tribus modis, ut ait Isidorus, peccatum geritur. Videtur quod insufficienter enumeret: quia quoddam peccatum est etiam ex concupiscentia, de qua mentionem non facit. Et dicendum, quod peccatum ex concupiscentia proveniens ad peccatum ex infirmitate reducitur: non enim tunc solum est ex infirmitate peccatum quando aliquis aliquo exteriori impulsu peccat, sed etiam quando per tentationem carnis in peccatum labitur. Quae etiam ipsa peccatum est. Hoc verum est si sit eorum quae quis scire tenetur: alias non: quia etiam habere voluntatem non sciendi geometriam, peccatum non est ei qui illam non profitetur per officium magisterii.

 

 

 

 

 

DISTINCTIO 23

Distinction 23 – [Comment Dieu a-t-il permis le péché ?]

 

 

QUAESTIO 1

Question 1 – [Dieu aurait-il pu faire en sorte qu’une nature créée ne puisse pas pécher, compte tenu de la condition de sa nature ?]

PROOEMIUM

Prologue

[5431] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 pr.Postquam definivit Magister principium humanae perditionis et ex parte tentationis et ex parte peccantis; in parte ista determinat de permissione divina, quae quodammodo principium peccati dicitur, sicut causa sine qua non: si enim Deus non permisisset, homo non peccasset: et dividitur in quinque partes, secundum quinque quaestiones quas movet; secunda incipit ibi: moventur etiam quidam; tertia, ibi: addunt etiam talem hominem debere facere qui nollet omnino peccare; quarta ibi: item inquiunt: si Deus vellet, et illi boni essent: quinta ibi: item inquiunt: posset Deus voluntatem eorum vertere in bonum. Deinde accedendum ad partem alteram, in qua ostendit quam perfectionem animae habuit Adam ut posset peccato resistere, quae incipit ibi: et quidem secundum animam rationalis fuit homo. Et dividitur ibi per tres: in prima ostendit qualis fuit factus secundum animam quantum ad scientiam; in secunda quantum ad naturalem potentiam, 24 distinct., ibi: nunc diligenter investigandum; in tertia ostendit qualis fuerit quantum ad gratiam, 26 distinct., ibi: haec est gratia operans et cooperans. Prima in duas: in prima ostendit quorum cognitionem homo in principio suae conditionis accepit; in secunda ostendit qualem de his notitiam habuit, ibi: rerum quippe cognitionem hominem accepisse perspicuum est. Et circa hoc tria facit: primo ostendit qualem cognitionem habuit de rebus creatis; secundo qualem de Deo, ibi: cognitionem quoque creatoris primus homo habuisse creditur; tertio qualem de seipso: porro sui cognitionem idem homo accepisse videtur. Et circa hoc duo facit: primo determinat veritatem; secundo movet dubitationem, et solvit, ibi: si autem quaeritur utrum homo scientiam habuerit eorum quae circa eum futura erant (...) responderi potest quod ei magis facienda indicta sunt quam futura revelata. Hic est duplex quaestio: prima de permissione divina respectu peccati primi hominis. Secunda de cognitione primi hominis quantum ad primum statum. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum Deus potuerit conferre alicui naturae creatae ut peccare non posset ex naturae conditione; 2 utrum Deus debuerit permittere hominem tentari et peccare.

Après avoir défini le principe de la perdition humaine du point de vue de la tentation et du point de vue du pécheur, dans cette partie, le Maître détermine de la permission divine, dont on dit qu’elle est d’une certaine manière principe du péché, en tant que cause sine qua non. En effet, si Dieu ne l’avait pas permis, l’homme n’aurait pas péché. Il y a cinq parties, selon les cinq questions qu’il soulève. La deuxième commence à cet endroit : « Certains sont aussi amenés… » La troisième, à cet endroit : « Ils ajoutent aussi qu’il devait créer un homme qui ne voudrait pas du tout pécher. » La quatrième, à cet endroit : « Ils disent aussi : “Si Dieu le voulait et s’ils étaient bons…ˮ » La cinquième, à cet endroit : « Ils disent aussi : “Dieu pourrait tourner leur volonté vers le bien.ˮ » Il faut ensuite passer à l’autre partie, dans laquelle il montre quelle perfection de l’âme Adam possédait pour pouvoir résister au péché ; elle commence ici : « Ainsi, l’homme était raisonnable par son âme… » Il y a trois parties. Dans la première, il montre dans quel état il a été créé selon son âme pour ce qui est de la science. Dans la deuxième, pour ce qui est de la puissance naturelle, d. 24, à cet endroit : « Il faut maintenant examiner avec soin… » Dans la troisième, dans quel état il était pour ce qui est de la grâce, d. 26, à cet endroit : « Telle est la grâce agissante et coopérante. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre quel était l’objet de la connaissance reçue par l’homme au commencement de sa création ; dans la seconde, il montre quelle connaissance il en a eu, à cet endroit : « Il est clair que l’homme a reçu la connaissance des choses. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il montre quelle connaissance il a eu des réalités créées. Deuxièmement, quelle [connaissance] il a eu de Dieu, à cet endroit : « On croit que l’homme a eu aussi la connaissance du Créateur. » Troisièmement, quelle [connaissance] il a eu de lui-même : « Ensuite, il semble que le même homme ait reçu la connaissance de lui-même. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité ; deuxièmement, il soulève un doute et le résout, à cet endroit : « Mais si on se demande si l’homme a eu la science de ce qui devait lui arriver…, on peut répondre que ce qu’il devait faire lui a été signifié, plutôt que l’avenir ne lui a été révélé. » Il y a ici deux questions : la première, sur la permission divine par rapport au péché du premier homme ; la deuxième, sur la connaissance du premier homme en son premier état. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1. Dieu pouvait-il faire en sorte qu’une créature ne puisse pas pécher en raison de la condition de sa nature ? 2. Dieu devait-il permettre que l’homme soit tenté et pèche ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum alicui naturae creatae conferri potuerit ut peccare non posset ex conditione naturae

Article 1 – Dieu pouvait-il faire en sorte qu’une créature ne puisse pas pécher, compte tenu de la condition de sa nature ?

[5433] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod alicui naturae creatae conferri potuit ut ex conditione suae naturae peccare non posset. Primo per hoc quod Augustinus dicit in littera, scilicet quod illa natura quae peccare non potest, est de sanctis Angelis; haec autem quae peccare potest, est de hominibus. Nec potest dici, quod hoc angelicae naturae per gratiam conveniat, quia in hoc ab homine non differrent, cui etiam per gratiam hoc convenit. Ergo videtur quod per conditionem naturae suae Angeli habeant quod peccare non possunt.

1. Il semble que [Dieu] pouvait-il faire en sorte qu’une créature ne puisse pas pécher, compte tenu de la condition de sa nature. D’abord, par ce qu’Augustin dit dans le texte, que la nature qui ne peut pas pécher fait partie des saints anges, et celle qui peut pécher fait partie des hommes. Et on ne peut dire que cela convient à la nature angélique en raison de la grâce, car, sur ce point, ils ne diffèrent pas de l’homme, à qui cela convient aussi en raison de la grâce. Il semble donc qu’en raison de la condition de leur nature, les anges possèdent le pouvoir de ne pas pécher.

[5434] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, natura spiritualis est nobilior quam natura corporalis. Sed aliqua natura corporalis est in qua nullo modo peccatum vel error accidere potest, etiam secundum naturae suae conditionem, scilicet caelestis. Ergo multo fortius est aliqua spiritualis in qua nullo modo peccatum accidere posset secundum naturae suae conditionem.

2. La nature spirituelle est plus noble que la nature corporelle. Or, il existe une nature corporelle où le péché ou l’erreur ne peut d’aucune manière survenir, même selon la condition de sa nature : [la nature] céleste. À bien plus forte raison, existe-t-il donc une [nature] spirituelle où le péché ne pourrait d’aucune manière survenir selon la condition de sa nature.

[5435] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, ut Damascenus dicit, ex hoc quod creatura est ex nihilo, duplex varietas sequitur ipsam in diversis; una secundum esse, sicut in his quae corrumpuntur: alia secundum electionem, sicut in his quae peccant. Sed alicui rei secundum naturae suae conditionem confertur ut sit invariabilis quantum ad esse, sicut substantiis spiritualibus et corporibus caelestibus. Ergo alicui naturae conferri potest quod secundum naturalem conditionem sit invariabilis quantum ad electionem.

3. [Jean] Damascène dit que, du fait que les créatures viennent du néant, une double variation découle en elles : l’une, selon l’être, comme c’est le cas de ce qui se corrompt ; l’autre, selon le choix (electionem), comme chez ceux qui pèchent. Or, il est donné à une chose d’être invariable en son être selon la condition de sa nature, comme c’est le cas pour les substances spirituelles et les corps célestes. Il peut donc être donné à une nature d’être invariable selon sa condition naturelle pour ce qui est du choix (electionem).

[5436] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, constat quod voluntas divina hoc naturaliter habet quod peccare non potest. Cum ergo ipse sit summe bonus et summe potens, videtur quod alicui creaturae contulerit vel conferre potuerit suam similitudinem, ut per naturam suam non possit peccare.

4. Il est certain que la volonté divine ne peut pas pécher naturellement. Puisque Dieu est bon et puissant au plus haut point, il semble donc qu’il ait donné ou pouvait donner sa ressemblance à une créature, de sorte qu’elle ne puisse pécher selon sa nature.

[5437] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, constat quod alicui creaturae hoc confertur per gratiam quod peccare non possit. Sed potuit Deus facere ut ille habitus gratiae qui confirmationem in bono creat, alicui naturae pars essentialis esset, vel etiam aliquid illo habitu perfectius. Ergo videtur quod si esset talis natura, secundum naturale sibi principium haberet confirmationem in bono. Ergo videtur quod alicui creaturae conferri potuit ut peccare non posset.

5. Il est certain que la grâce donne à une créature de ne pas pouvoir pécher. Or, Dieu pouvait faire en sorte que cet habitus de la grâce ou même quelque chose de plus parfait que cet habitus, qui crée la confirmation dans le bien, soit une partie essentielle d’une nature. Il semble donc que s’il existait une telle nature, elle serait confirmée dans le bien, selon un principe qui lui serait naturel. Il semble donc que [Dieu] pouvait donner à une créature de ne pas pouvoir pécher.

[5438] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, perfectio universi in hoc consistit quod omnes bonitates creaturarum communicabiles in genere communicatae sunt. Sed hoc quod est peccare non posse ex natura propria, nulli naturae communicatum est, quia nec homini nec Angelo, quod utriusque peccatum probat. Ergo videtur quod hoc creaturae communicabile non fuit.

Cependant, [1] la perfection de l’univers consiste en ce que toutes les bontés des créatures qui pouvaient être communes par leur genre ont été communiquées. Or, le pouvoir de ne pas pécher selon sa propre nature n’a été communiqué à aucune nature, ni à l’homme ni à l’ange, ce que démontre le péché des deux. Il semble donc que cela ne pouvait être communiqué à une créature.

[5439] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, confirmatio in bono videtur consequi ex perfecta adhaesione finis. Sed finis ille ad quem rectitudo voluntatis ordinatur et potestatem et intellectum et desiderium cujuslibet creaturae excedit. Ergo videtur impossibile quod aliqua creatura sit quae naturaliter habeat quod peccare non possit.

[2] La confirmation dans le bien semble découler de la parfaite adhésion au bien. Or, cette fin à laquelle la droiture de la volonté est ordonnée dépasse la puissance, l’intelligence et le désir de toute créature. Il semble donc impossible qu’il existe une créature qui possède naturellemenet le pouvoir de ne pas pécher.

[5440] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod nulli creaturae communicatum est nec communicabile fuit quod peccare non posset per conditionem naturae suae. Cujus ratio est, quia cum omne creatum dependeat sicut a causa sui esse a Deo, oportet quod si sibi relinquatur deficiat; quamdiu autem causae influentiam recipit, conservetur. Sed applicatio causati ad causam suam potest esse dupliciter: vel ita quod sit in potestate causati a causa sua recedere quantum ad aliquid vel non recedere, vel ita quod non sit in potestate ejus: et primum pertinet ad liberum arbitrium; quia hoc est essentiale libero arbitrio ut possit facere vel non facere. Si autem causae suae non inhaeret, oportet quod deficiat; unde dicit Augustinus, 8 super Gen.: homo Deo sibi praesente illuminatur, absente autem continuo tenebrabitur; et ideo impossibile fuit ut servata libertate arbitrii alicui creaturae conferretur ut secundum conditionem suae naturae peccare non posset: est enim quasi quaedam contradictionis implicatio: quia si est liberum arbitrium, oportet quod causae suae possit inhaerere vel non inhaerere; et si non potest peccare, non potest causae suae non inhaerere, et sic sequitur contradictio. Sed naturae divinae, quae ex se rectitudinem habet, convenit per conditionem naturae suae ut deficere non possit, sicut nec ab esse, ita nec a rectitudine bonitatis; et quibuscumque hoc confertur ut per gratiam confirmentur in bono, habent per donum gratiae, per quod filii Dei efficiuntur, et quodammodo divinae naturae consortes.

Réponse. Il n’a été partagé ni ne pouvait être partagé avec aucune créature de ne pas pouvoir pécher selon la condition de sa nature. La raison en est que, toute créature dépendant de Dieu comme de la cause de son être, il est nécessaire qu’elle défaille, si elle est laissée à elle-même, et qu’elle soit conservée, aussi longtemps qu’elle reçoit l’action de sa cause. Or, l’attachement de ce qui est causé à sa cause peut se réaliser de deux manières : soit il est au pouvoir de ce qui est causé de s’éloigner ou non de sa cause sous un aspect, soit cela n’est pas en son pouvoir. La première manière relève du libre arbitre, car il est essentiel au libre arbitre de pouvoir faire ou ne pas faire. Mais s’il ne s’attache pas à sa cause, il est nécessaire qu’il défaille. C’est pourquoi Augustin dit, dans son Commentaire littéral de la Genèse, VIII : « L’homme est éclairé lorsque Dieu lui est présent, mais, s’il est absent, [l’homme] est aussitôt enténébré. » Il était donc impossible que, en préservant la liberté de l’arbitre, soit donné à une créature de ne pas pouvoir pécher, selon la condition de sa nature. En effet, il y a là pour ainsi dire une contradiction, car s’il y a libre arbitre, il faut qu’il puisse s’attacher ou non à sa cause ; et s’il ne peut pécher, il ne peut pas ne pas s’attacher à sa cause. On se trouve ainsi devant une contradiction. Mais il convient selon la condition de sa nature à la nature divine, qui possède par elle-même la droiture, de ne pas pouvoir manquer à la droiture du bien, comme elle ne peut pas [manquer] d’être. Et tous ceux à qui il est donné par grâce d’être confirmés dans le bien le tiennent d’un don de la grâce, par lequel ils deviennent fils de Dieu et participent d’une certaine manière à la nature divine.

[5441] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus non intendit dicere quod Angeli hoc habeant ut peccare non possint per conditionem naturae suae, sed per donum gratiae. In hoc tamen ab hominibus secernuntur quod gratuitam confirmationem quasi a principio creationis acceperunt, quae hominibus per longum tempus datur.

1. Augustin ne veut pas dire que les anges ont le pouvoir de ne pas pécher selon la condition de leur nature, mais par un don de la grâce. Ils se distinguent cependant des hommes par le fait qu’ils ont reçu une confirmation gratuite pour ainsi dire au début de la création, alors qu’elle est donnée aux hommes sur une longue période.

[5442] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod natura spiritualis etiam in esse invariabilis est sicut natura corporalis; sed habet electionem, ut possit secundum hoc in ea esse peccatum: unde quantum ad potentiam electionis non stat comparatio inter corporalem et spiritualem creaturam.

2. La nature spirituelle est invariable dans son être, comme la nature corporelle ; mais elle a le choix, de sorte que le péché peut exister en elle sous cet aspect. Pour ce qui est du pouvoir de choisir, une comparaison entre la créature corporelle et la créature spirituelle ne vaut donc pas.

[5443] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod quaelibet res habet principia determinata ad suum esse, et proprietates naturales; quae principia non sunt de illis quae suae potestati subjacent; et ideo aliqua creatura in illis invarietatem habet. Sed electio est eorum quae sunt in potestate ejus; unde quia in his creatura rationalis aliquo modo sibi relinquitur, ut dicitur Eccli. 15, 14, reliquit eum in manu consilii sui, ideo deficere potest.

3. Chaque chose possède des principes déterminés en rapport avec son être et des propriétés naturelles ; ces principes ne font partie des choses qui sont soumises à son pouvoir. C’est pourquoi une créature est invariable quant à eux. Mais le choix fait partie des choses qui sont en son pouvoir ; aussi la créature raisonnable est-elle d’une certaine manière laissée à elle-même pour ces choses, comme il est dit en Si 15, 14 : Il l’a laissé aux mains de son conseil. C’est pourquoi elle peut défaillir.

[5444] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod non est ex imperfectione potentiae divinae ut creaturae conferre non possit quantum ad hoc suam similitudinem, sed ex imperfectione creaturae; partim ex hoc quod recipere non potest, et partim ex hoc quod est quaedam impossibilitas in implicatione contradictoriorum, ut dictum est.

4. Ce n’est pas en raison de l’imperfection de la puissance divine que celle-ci ne peut donner à la créature de lui ressembler sur ce point, mais en raison de l’imperfection de la créature : en partie parce qu’elle ne peut recevoir ; en partie, parce qu’il existe une impossibilité en raison de choses contradictoires, comme on l’a dit.

[5445] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod quandocumque alicui naturae convenit aliquod accidens ex influentia superioris tantum, non potest natura inferior illud accidens per se habere, nisi efficiatur naturae superioris; sicut si aer illuminatur in actu per ignem, non potest esse quod sit de natura sua lucidus in actu, nisi fiat ignis. Dico ergo, quod cum confirmatio in bono insit creaturae rationali solum per gratiam, quae est quoddam spirituale lumen, et similitudo increati luminis; non potest esse quod aliqua creatura ex natura sua confirmationem habeat, vel gratiam, nisi efficeretur divinae naturae, quod est omnino impossibile.

5. Chaque fois qu’un accident convient à une nature en raison seulement de l’action d’une [nature] supérieure, la nature inférieure ne peut posséder cet accident que si elle est transformée en la nature supérieure. Par exemple, si l’air est illuminé en acte par le feu, il ne se peut pas qu’il soit brillant en acte par sa nature, à moins de devenir feu. Je dis donc que, puisque la confirmation dans le bien n’est présente dans la créature raisonnable que par la grâce, qui est une certaine lumière spirituelle et une ressemblance de la lumière incréée, il ne se peut pas qu’une créature possède la confirmation ou la grâce par sa nature, à moins d’être transformée en la nature divine, ce qui est tout à fait impossible.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum Deus debuerit permittere hominem tentari, vel peccare

Article 2 – Dieu devait-il permettre que l’homme soit tenté ou pèche ?

[5447] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non debuit permittere hominem peccare, vel tentari. Sapientis enim artificis est facere unumquodque, quantumcumque potest, fini competentius. Homo autem ad beatitudinem sicut ad finem factus est. Cum ergo competentior beatitudini fieret sine peccato, videtur quod non debuit permittere eum in peccatum cadere.

1. Il semble que Dieu ne devait pas permettre que l’homme pèche ou soit tenté. En effet, c’est le propre d’un artisan sage de faire en sorte que tout convienne à la fin, autant qu’il est possible. Or, l’homme a été créé pour la béatitude comme pour sa fin. Puisqu’il deviendrait plus apte à la béatitude sans le péché, il semble donc que [Dieu] ne devait pas permettre qu’il tombe dans le péché.

[5448] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, quibus datur idem finis, debet dari eadem facultas perveniendi ad finem illum. Sed homo et Angeli propter unum finem creati sunt, scilicet propter beatitudinem participandam, ut in 1 distinct. dictum est. Cum ergo naturam Angeli fecerit Deus quae peccare non posset, ut in littera dicitur, videtur quod naturam hominis talem facere debuit.

2. Ceux à qui une même fin est donnée doivent recevoir la même capacité de parvenir à cette fin. Or, l’homme et les anges ont été créés pour une seule fin : participer à la béatitude, comme on l’a dit à la d. 1. Puisque Dieu a créé la nature de l’ange telle qu’elle ne pourrait pas pécher, comme il estd dit dans le texte, il semble donc qu’il devait faire de même pour la nature de l’homme.

[5449] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, ad providentiam sapientis pertinet ut impedimenta removeat sui operis. Cum ergo per tentationem Daemonis homo a sua rectitudine impeditus fuerit, et providentia divina sit omnium creaturarum, et praecipue rationalium; videtur quod hominem tentari permittere non debuit.

3. Il revient à la prévoyance du sage d’enlever les empêchements à son œuvre. Puisque l’homme a été empêché de rester dans la droiture par la tentation du Démon, et que la providence divine s’adresse à toutes les créatures, surtout aux créatures raisonnables, il semble donc que [Dieu] ne devait pas permettre que l’homme soit tenté.

[5450] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, quanto aliquid efficitur compendiosius, tanto certius et melius est; unde et omnium linearum inter duo puncta recta brevissima est. Sed compendiosior fuit via perveniendi in beatitudinem, quod homo non peccaret, quam quod homo post peccatum de peccato erutus in beatitudinem transferretur. Ergo videtur quod Deus non debuit permittere hominem peccare.

4. Plus une chose est réalisée succinctement, plus sûre et meilleure elle devient. Ainsi, la droite est la ligne la plus courte de toutes les lignes entre deux points. Or, le chemin pour parvenir à la béatitude aurait été plus court si l’homme n’avait pas péché, plutôt que, après le péché, l’homme soit arraché au péché pour être emporté dans la béatitude. Il semble donc que Dieu ne devait pas permettre que l’homme pèche.

[5451] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, minus malum pro majori malo permittendum est. Sed minus malum est diminutio alicujus laudis quam ipsum peccatum, quia minori bono opponitur. Ergo videtur quod non fuerit ratio sufficiens permissionis divinae quae in littera assignatur, scilicet quod gloriosius est non consentire quam tentari non posse.

5. Un moindre mal doit être permis en vue d’un plus grand bien. Or, la diminution de la louange de quelqu’un est un moindre mal que le péché, car elle s’oppose à un moindre bien. Il semble donc que la raison qui est donnée dans le texte n’ait pas été une raison suffisante de la permission divine, à savoir qu’il est plus glorieux de ne pas consentir que de ne pas pouvoir être tenté.

[5452] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra id ex quo apparet Deus laudabilis, non debet penitus impediri. Sed in peccatis etiam apparet laudabilis Deus, cum per misericordiam parcit, et per justitiam punit. Ergo videtur quod non debuit omnino peccatum impedire.

Cependant, [1] ce pour quoi Dieu apparaît louable ne doit aucunement empêché. Or, Dieu apparaît louable, même pour les péchés, puisqu’il épargne par sa miséricorde et punit par sa justice. Il semble donc qu’il ne devait pas du tout empêcher le péché.

[5453] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, omne bonum potentius est in sua bonitate, quam malum in sua malitia. Ergo non est conveniens ut aliquod malum taliter impediatur quod per hoc aliquod bonum tollatur. Sed si Deus non permitteret hominem peccare, tolleretur libertas arbitrii, quae coactionem non patitur. Ergo convenienter permissus est homo peccare.

[2] Tout bien est plus puissant par sa bonté que le mal par sa malice. Il n’est donc pas approprié qu’un mal soit empêché de telle sorte que, par cela, un bien soit enlevé. Or, si Dieu n’avait pas permis que l’homme pèche, la liberté de l’arbitre serait enlevée, qui ne souffre pas de coercition. C’est donc de manière appropriée qu’il a été permis à l’homme de pécher.

[5454] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod ad providentiam divinam pertinet, ut unumquodque in sua natura relinquatur; quia, ut Dionysius dicit, providentia non est corruptiva naturae, sed salvativa. Cujus ratio est, quia bonum universi excedit bonum particulare cujusque naturae creatae, sicut etiam bonum gentis excedit bonum hominis, ut in 1 Ethic. dicitur. Si autem aliqua natura a suo gradu translata in altiorem per providentiam mutetur, quamvis aliquod bonum illi naturae excresceret, tamen bonitati universi aliquid detraheretur, dum non omnes gradus bonitatis impleti essent, illo gradu ex quo natura illa translata erat, vacuo remanente. Dico ergo, quod si peccatum omnino impediretur, per hoc multi gradus bonitatis tollerentur: tolleretur enim natura illa quae potest peccare et non peccare; quae quidem bona est; tolleretur etiam hoc quod est de peccato posse resurgere, et multa hujusmodi, quibus ablatis, bonitati universi multum detraheretur; et ideo ad providentiam divinam pertinet et hominem tentari permittere, et peccare si vellet.

Réponse. Il relève de la providence divine que chaque chose soit laissée dans sa nature, car, ainsi que le dit Denys, la providence ne corrompt pas la nature, mais la sauve. La raison en est que le bien de l’univers dépasse le bien particulier de n’importe quelle nature créée, de même que « le bien d’une nation dépasse le bien d’un homme », comme il est dit dans Éthique, I. Or, si une nature, en étant portée au-delà de son degré, était changée en une [nature] plus élevée par la providence, bien qu’un bien soit ajouté à cette [nature], quelque chose serait cependant enlevé à la bonté de l’univers, alors que tous les degrés de bonté ne seraient pas comblés, puisque le degré d’où cette nature serait partie demeurerait vide. Je dis donc que, si le péché était totalement empêché, plusieurs degrés de bonté seraient par là enlevés. En effet, serait enlevée cette nature qui peut pécher et ne pas pécher, qui est bonne ; serait aussi enlevé le fait qu’on puisse se relever du péché, et plusieurs choses de ce genre qui, en étant enlevées, s’écarteraient beaucoup de la bonté de l’univers. C’est pourquoi il relève de la providence divine de permettre que l’homme soit tenté et pèche, s’il le veut.

[5455] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod sapiens artifex non tantum considerat quid competat parti aedificii secundum se acceptae, sed etiam secundum proportionem ad totum aedificium: et ideo sicut unam partem alia meliorem facit, ita etiam Deus unumquodque facit in illa proportione ad finem, secundum quod competit naturae suae in ordine ad totum universum.

1. L’artisan sage ne considère pas seulement ce qui convient à une partie d’un édifice considérée en elle-même, mais aussi selon sa proportion par rapport au tout. De même, donc qu’il réalise une partie meilleure qu’une autre, de même aussi Dieu réalise-t-il toute chose selon cette proportion par rapport à la fin, selon ce qui convient à sa nature dans son rapport à l’univers tout entier.

[5456] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod nec etiam Angeli de natura sua habent quod peccare non possint, quod aliquorum peccatum monstravit; sed per gratiam confirmationis, quam statim post principium suae conditionis acceperunt, confirmati sunt ut peccare non possint; ita etiam homo, cum ad terminum viae recto tramite pervenerit, eamdem confirmationem consequitur. Sed quod Angelo brevior assignata est via quam homini, diversitas naturarum facit, ut supra dictum est. Nec est necesse ut omnibus ordinatis in unum finem assignentur eadem perducentia in finem, et eodem modo; sed unicuique secundum suam conditionem.

2. Les anges non plus ne tiennent pas de leur nature le pouvoir ne pas pécher ‑ ce qu’a montré le péché de certains ‑, mais ils ont été confirmés pour ne pas pouvoir pécher par la grâce de confirmation, qu’ils ont reçue aussitôt après le début de leur création. De même aussi l’homme, lorsqu’il est parvenu au terme de sa vie en suivant le droit chemin, obtient-il la même confirmation. Qu’un chemin plus court ait été assigné à l’ange qu’à l’homme, c’est là la conséquence de la diversité de leurs natures, comme on l’a dit plus haut. Et il n’est pas nécessaire que les mêmes choses qui mènent à la fin soient assignées, et de la même manière, à tous ceux qui sont ordonnés à la fin, mais à chacun selon sa condition.

[5457] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod sapientis est removere hoc modo impedimentum quod natura non tollatur: quod non fieret, si hominem vel Angelum in peccatum cadere non permitteret, quamdiu est in statu viae.

3. Il relève du sage d’écarter de cette manière un empêchement qui n’est pas enlevé par la nature, ce qui ne serait pas le cas s’il n’était pas permis à l’homme ou à l’ange de ne pas tomber dans le péché aussi longtemps qu’ils sont en état de cheminement.

[5458] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod non semper via brevior eligenda est, nisi quando per eam omnia quae ad rem pertinent, convenienter salvantur; et hoc non fieret, si hominem in peccatum non permitteret cadere.

4. Il ne faut pas toujours choisir le chemin le plus court, sauf lorsque, par lui, tout ce qui concerne une chose est convenablement préservé. Ce ne serait pas le cas si [Dieu] ne permettait pas que l’homme tombe dans le péché.

[5459] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod non tantum per prohibitionem peccati violentam tolleretur laus, sed etiam naturalis ordo rerum; quod nullo modo providentia divina pateretur.

5. Non seulement la louange serait-elle enlevée par une interdiction violente du péché, mais aussi l’ordre naturel des choses, ce que ne souffrirait aucunement la providence divine.

QUAESTIO 2

Question 2 – [La connaissance de l’homme en son premier état]

 

 

PROOEMIUM

Prologue

 

 

[5460] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 pr.Deinde quaeritur de cognitione quam homo in primo statu habuit; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum Deum per essentiam viderit, 2 utrum rerum omnium scientiam habuerit, 3 Utrum potuerit falli.

On s’interroge ensuite sur la connaissance que l’homme possédait en son premier état. À ce propos, trois questions sont posées : 1. Voyait-il Dieu par son essence ? 2. Possédait-il la connaissance de toutes choses ? 3. Pouvait-il être induit en errreur ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum Adam viderit Deum per essentiam

Article 1 – Adam voyait-il Dieu par son essence ?

[5462] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod Adam Deum per essentiam videbat. Visio enim immediata Dei dicitur visio per essentiam. Sed Adam in primo statu videbat Deum sine medio, ut in principio 4 libri, Magister dicit. Ergo videtur quod videbat Deum per essentiam.

1. Il semble qu’Adam voyait Dieu par son essence. En effet, la vision imédiate de Dieu est appelée vision par son essence. Or, Adam, en son premier état, voyait Dieu sans intermédiaire, comme le Maître le dit au début du livre IV. Il semble donc qu’il voyait Dieu par son essence.

[5463] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 2Praeterea Augustinus dicit, quod inter mentem nostram et Deum nihil est medium secundum naturam mentis. Sed omne medium cognoscendi, est medium inter cognoscentem et cognitum. Ergo videtur quod cum in primo statu homo esset in integritate naturae suae, Deum immediate et per essentiam viderit.

2. Augustin dit qu’entre notre esprit et Dieu, il n’existe aucun intermédiaire selon la nature de l’esprit. Or, tout moyen de connaître est un intermédiaire entre celui qui connaît et ce qui est connu. Il semble donc que, lorsque l’homme était dans l’intégrité de sa nature en son premier état, il ait vu Dieu de manière immédiate et par son essence.

[5464] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 3Praeterea, ut apostolus, 1 Corinth. 13, 12, dicit, videmus nunc per speculum in aenigmate, tunc autem facie ad faciem. Sed Adam in primo statu non videbat in aenigmate, quia nulla obscuritas in eo erat. Ergo videtur quod tunc videbat facie ad faciem.

3. Comme le dit l’Apôtre, 1 Co 13, 12, nous voyons maintenant en énigme dans un miroir, mais alors, ce sera face à face. Or, Adam, en son premier état, ne voyait pas en énigme, car il n’existait en lui aucune obscurité. Il semble donc qu’il voyait alors face à face.

[5465] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 4Praeterea, quicumque non habet illud quod desiderat, affligitur. Sed in primo statu non erat aliqua afflictio, quia poena non potuit culpam praecedere. Cum ergo naturaliter visionem divinae essentiae homo desideraret, videtur quod Deum per essentiam videbat.

4. Quiconque n’a pas ce qu’il désire est affligé. Or, dans le premier état, il n’existait aucune affliction, car la peine n’a pas pu précéder la faute. Puisque l’homme désirait naturellement la vision de l’essence divine, il semble donc qu’il voyait Dieu par essence.

[5466] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 5Praeterea, illud quod est naturaliter ordinatum ad aliquid, non caret eo, nisi per aliquid impediatur, sicut lapis quod sit deorsum. Sed intellectus hominis naturaliter ordinatus erat ad videndum Deum per essentiam. Cum ergo non esset ibi aliquod impedimentum, quia nec culpa, nec poena, videtur quod Deum per essentiam videbat.

5. Ce qui est naturellement ordonné à une chose n’en est pas dépourvu, à moins que quelque chose l’en empêche, comme pour la pierre le fait d’être en bas. Or, l’intellect de l’homme était naturellement ordonné à voir Dieu par son essence. Puisqu’il n’y avait là aucun empêchement, parce qu’il n’y avait pas non plus de faute ni de peine, il semble donc qu’il voyait Dieu par son essence.

[5467] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 1 s. c. 1Sed contra est quod dicitur Joan. 1, 18: Deum nemo vidit unquam: et sicut dicit quaedam Glossa Isa. 6, idest, nullus homo in statu viae existens. Sed Adam erat viator, quia peccare poterat. Ergo videtur quod Deum per essentiam non videbat.

Cependant, [1] il est dit en sens contraire, en Jn 1, 18 : Dieu, personne ne le voit, et comme le dit la Glose sur Is 6 : « C’est-à-dire aucun homme qui se trouve dans l’état de cheminement. » Or, Adam était un voyageur, car il pouvait pécher. Il semble donc qu’il ne voyait pas Dieu par son essence.

[5468] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 1 s. c. 2Praeterea, ut dicit Augustinus, visio deitatis per essentiam, est tota merces. Sed constat quod homo in statu innocentiae mercedem beatitudinis non habebat. Ergo et Deum per essentiam non vidit.

[2] Comme le dit Augustin, la vision de la divinité par son essence est la récompense tout entière. Or, il est certain que l’homme, dans l’état d’innocence, ne possédait pas la récompense de la béatitude. Il ne voyait donc pas non plus Dieu par son essence.

[5469] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod, sicut in littera dicitur, modus quo Adam Deum cognovit, medius fuit inter cognitionem viae qua nunc Deum videmus, et cognitionem patriae qua sancti eum in gloria videbunt. Unde ad hujusmodi evidentiam videndum est quot modis Deus possit videri. Sciendum autem quod tripliciter videri potest. Uno modo per suam essentiam; alio modo per effectum aliquem ejus effluentem in intellectum videntis; tertio modo per effectum aliquem extra intellectum videntis, in quo divina similitudo resultat. Hujus autem exemplum in visione corporali inspici potest. Lux enim non videtur ab oculo per aliquam similitudinem sui in ipso relictam, sed per suam essentiam oculum informans; et huic comparatur primus modus divinae visionis, qui est per essentiam; et hic quidem modus ex conditione naturae suae, nulli naturae debetur, nisi divinae, in qua est idem sciens et scitum. Lapis autem videtur ab oculo corporali per similitudinem suam in ipso oculo relictam; et huic comparatur secundus modus, qui est per effectum relictum in intellectu videntis; et hic quidem modus videndi convenit Angelo secundum conditionem naturae suae; quia, ut in Lib. de causis dicitur, omnis intelligentia scit quod est supra se, per illud quod est causa ei; unde cognoscens ipsum lumen naturae suae, quod est similitudo luminis increati, Deum videt. Vultus autem hominis relucens in speculo videtur ab oculo non quidem per similitudinem ejus immediate in oculo relictam, sed per similitudinem relucentem in speculo, ex quo resultat in pupilla; et huic comparatur illa visio qua Deus videtur per effectum extra intellectum videntis; sive per effectum naturalem, sicut per cognitionem creaturarum naturali cognitione philosophi in Deum devenerunt; sive per effectum spiritualem, sicut est in visione fidei illius qui adhaeret his quae aliis revelata sunt per influentiam spiritualis luminis; et ideo dicimur nunc in speculo videre, secundum apostolum. Modus autem iste competit homini secundum conditionem naturae suae; quia intellectus noster nec seipsum intelligere potest, nisi per species rerum quas apud se habet; quia per objecta venit in cognitionem actuum, et per actus in cognitionem potentiarum. Ad primum ergo modum visionis, qui soli Deo ex conditione naturae debetur, elevatur Angelus et homo per gloriam; unde illa est visio beatorum; quam homo in primo statu non habuit. Ad secundum vero modum, qui est naturalis ipsi Angelo, et supra naturam hominis, elevatur homo per gratiam, etiam post statum culpae; sicut etiam in viris contemplativis patet, qui revelationes divinas merentur; et multo amplius fuit in primo statu per gratiam originalis justitiae. Tertius autem modus est communiter viatorum, etiam post statum culpae. Unde patet quod modus quo Adam in primo statu Deum videbat, medius est inter utrumque. Quidam vero aliter dicentes, errant, ponentes, Deum nunquam per essentiam nec in patria nec in via videri: quod haereticum est, et Scripturae contrarium, ut patet 1 Corinth. 13, et 1 Joan. 3. Quidam vero e contrario dicunt, Deum per essentiam in omni statu videri; et his etiam auctoritates sanctorum repugnant; quia Dionysius dicit, quod si aliquis videns Deum scivit quid vidit, non ipsum vidit, sed aliquid eorum quae sunt ejus; et Gregorius dicit, quod quantumcumque homo in statu viae profecerit, ad statum tamen illum contemplationis quo Deus per essentiam videtur, non pertingit.

Réponse. Comme le dit le texte, la manière dont Adam a connu Dieu était intermédiaire entre la connaissance sur le chemin (cognitionem viae), par laquelle nous voyons Dieu maintenant, et la connaissance de la patrie, par laquelle les saints le verront dans la gloire. Pour montrer cela, il faut donc voir de combien de manières Dieu peut être vu. Or, il faut savoir qu’il peut être vu de trois manières. D’une manière, par son essence ; d’une autre manière, par un effet venu de lui passant dans l’intellect de celui qui voit ; d’une troisième manière, par un effet extérieur à l’intellect de celui qui voit, dans lequel est renvoyée une ressemblance de Dieu. Un exemple de cela peut être observé dans la vision corporelle. En effet, la lumière n’est pas vue par l’œil par une ressemblance d’elle-même laissée en lui, mais par son essence qui donne forme à l’œil. À cela se compare la première manière de voir Dieu, qui [consiste à le voir] par son essence, et cette manière n’appartient à aucune autre nature qu’à la [nature] divine, dans laquelle celui qui connaît est le même que celui qui est connu. Mais la pierre est vue de l’œil corporel par sa ressemblance laissée dans l’œil lui-même. À cela se compare la deuxième manière [de connaître Dieu] : par un effet laissé dans l’intellect de celui qui voit, et cette manière de voir convient à l’ange selon la condition de sa nature, car, ainsi que le dit le Livre sur les causes, « toute intelligence connaît ce qui lui est supérieur par ce qui en est la cause ». Ainsi, connaissant la lumière même de sa propre nature, qui est une ressemblance de la lumière incréée, [l’ange] voit Dieu. Mais le visage de l’homme apparaissant dans un miroir est vu par l’œil, non par sa ressemblance laissée dans l’œil de manière immédiate, mais par une ressemblance reflétée dans le miroir, à partir duquel il est renvoyé dans la pupille. À cela se compare la vision par laquelle Dieu est vu par un effet extérieur à l’intellect de celui qui voit : soit par un effet naturel – ainsi, par la connaissance des créatures, des philosophes sont parvenus à Dieu par la connaissance naturelle ; soit par un effet spirituel ‑ comme c’est le cas pour la vision de la foi de celui qui, sous l’influence de la lumière spirituelle, adhère à ce qui a été révélé à d’autres. C’est la raison pour laquelle on dit, selon l’Apôtre, que nous voyons maintenant dans un miroir. Or, ceette manière convient à l’homme selon la condition de sa nature, car notre intellect ne peut non plus s’intelliger lui-même que par les espèces des choses qu’il a en lui, car on parvient à la connaissance des actes par les objets, et à la connaissance des des puissances par les actes. Au premier mode de vision, qui ne revient qu’à Dieu seul selon la condition de sa nature, l’ange et l’homme sont donc élevés par la gloire ; c’est là la vision des bienheureux, que l’homme ne possédait pas en son premier état. Au deuxième mode, qui est naturel à l’ange et dépasse la nature de l’homme, l’homme est élevé par la grâce, même après l’état de la faute, comme cela est manifeste chez les contemplatifs, qui méritent des révélations divines ; et c’était bien davantage le cas dans le premier état en raison de la grâce de la justice originelle. Mais le troisième mode est, d’une manière générale, celui de ceux qui sont en chemin, même après l’état de la faute. Il ressort donc clairement que le mode selon lequel Adam voyait Dieu dans son premier état est intermédiaire entre les deux. Mais certains, qui disent autre chose, se trompent en affirmant que Dieu n’est jamais vu par son essence, ni dans la patrie, ni sur en chemin, ce qui est hérétique et contraire à l’Écriture, comme cela ressort clairement de 1 Co 13 et de 1 Jn 3. Certains disent au contraire que Dieu est vu par son essence dans tous les états. Les autorités des saints leur sont aussi opposées, car Denys dit que « si quelqu’un, en voyant Dieu, savait ce qu’il voyait, il ne l’a pas vu, mais une chose qui lui appartient ». Et Grégoire dit que « quel que soit le progrès qu’un homme fasse dans l’état du cheminement, il n’atteint pas cet état de contemplation par lequel Dieu est vu par son essence ».

[5470] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod Adam in primo statu dicitur Deum sine medio vidisse, non quia ipsum per essentiam videret, sed quia non per medium argumentationis ex creaturis sensibilibus procedens, in cognitionem ejus deveniebat, sed mediante effectu spirituali in intellectum ejus resultante, sicut et Angeli in primo statu videbant. Ideo dicitur, quod post peccatum necessaria fuerunt sacramentalia signa, ut ex sensibilibus homini spiritualia panderentur.

1. On dit qu’Adam, en son premier état, a vu Dieu sans intermédiaire, non pas parce qu’il le voyait par son essence, mais parce qu’il ne parvenait pas à sa connaissance au moyen d’une argumentation tirée des créatures sensibles, mais au moyen d’un effet spirituel réflété dans son intellect, comme les anges aussi [le] voyaient en leur premier état. C’est pourquoi on dit qu’après le péché, des signes sacramentels ont été nécessaires pour que les réalités spirituelles soient manifestées à l’homme à partir de réalités sensibles.

[5471] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod cum dicitur, nihil esse medium inter Deum et mentem nostram, intelligendum est non secundum naturae dignitatem, quia natura mentis angelicae supra naturam mentis humanae est, ut Dionysius expresse dicit 4 cap. Caelest. Hier., et Gregorius in Hom. de centum ovibus et Augustinus super Joan., nec etiam per modum informantis privatur medio, quia caritas creata est medium conjungens mentes Deo; sed intelligitur quod ipse immediate eam beatificat et justificat, sicut et creat.

2. Lorsqu’on dit qu’il n’y a pas d’intermédiaire entre Dieu et notre esprit, il faut l’entendre non pas de la dignité de la nature, car la nature de l’esprit angélique est supérieure à la nature de l’esprit humain, comme le disent expressément Denys, La hiérarchie céleste, IV, Grégoire, dans son homélie sur les cent brebis, et Augustin, dans son commentaire de l’évangile selon Jean ; elle n’est pas non plus privée d’intermédiaire à la manière de ce qui donne forme, car la charité créée est un intermédiaire qui unit les esprits à Dieu. Mais on entend que [Dieu] lui-même rend bienheureux et justifie de manière immédiate, comme il crée.

[5472] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod aenigma importat obscuritatem quamdam cognitionis, eo quod aenigma est, secundum donatum, quaestio verborum obscuritate involuta. Obscuritas autem triplex potest accidere alicui intellectui. Prima ex hoc quod ex nihilo est, quia in hoc deficit a claritate intellectus increati; et secundum hoc omnis intellectus creatus aenigmaticus est. Secunda ex hoc quod intellectus intelligit inquirendo, et per continuum et tempus; et talis obscuritas accidit intellectui humano in comparatione ad intellectum angelicum qui deiformis est; intellectus vero humanus est ratiocinativus, et acceptivus cognitionis a sensibilibus secundum conditionem suae naturae; et secundum utrumque modum etiam in primo statu homo in aenigmate vidisset. Tertia vero obscuritas intellectum consequitur humanum ex peccato, consecuta ex corruptione carnis aggravantis animam, Sap. 9, et sic in aenigmate nunc homo videt, tunc autem non vidisset.

3. L’énigme comporte une certaine obscurité de la connaissance, du fait que l’énigme est, selon Donat, « une question enveloppée dans l’obscurité des paroles ». Or, l’obscurité peut affecter un intellect de trois manières. La première vient de ce qu’il vient de rien, car l’éclat de l’intellect incréé lui fait défaut ; tout intellect créé est ainsi énigmatique. La deuxième vient de que l’intellect intellige en cherchant, de manière continue et dans le temps ; une telle obscurité affecte l’intellect humain par rapport à l’intellect angélique qui est déiforme, alors que l’intellect humain raisonne et reçoit sa connaissance des choses sensibles, selon la condition de sa nature. De ces deux manières, l’homme aurait vu en énigme même en son premier état. Mais la troisième obscurité affecte l’intellect humain en raison du péché et elle découle de la corruption de la chair qui alourdit l’âme, Sg 9 ; c’est ainsi que l’homme voit maintenant en énigme, mais, alors, il n’aurait pas vu [enigme].

[5473] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod non facit afflictionem vel poenam carentia cujusque desiderati, sed ejus tantum quod debet haberi, et est tempus habendi; et ideo Adam in primo statu etsi Deum non videret, quod summe desiderabat, non tamen inde affligebatur, quia nondum erat tempus ad illud perveniendi; alias sequeretur quod omne quod intendit venire ad aliquem finem, quem nondum consequitur, poenam haberet.

4. Ce n’est pas la carence de tout ce qui est désiré qui entraîne affliction ou peine, mais seulement de ce qui doit être possédé et qu’il est temps d’avoir. C’est pourquoi, en son premier état, Adam, même s’il ne voyait pas Dieu, ce qu’il désirait au plus haut point, non seulement n’en était pas affligé, car ce n’était pas encore le temps de parvenir à cela. Autrement, il en découlerait que tout ce qui cherche à atteindre une fin, qu’il ne possède pas encore, éprouverait une peine.

[5474] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod aliquem actum potest aliquid impedire dupliciter. Uno modo per modum contrarium, sicut calor violentus impedit aquam ne infrigidetur; et per hunc modum culpa et poena impediunt visionem Dei; et tale impedimentum homo in primo statu non habebat. Alio modo per modum simplicis negationis, sicut rusticus impeditur ab actu geometricandi ex hoc quod habitum geometriae non habet; et ita etiam Adam ab actu visionis Dei impediebatur, quia nondum intellectus erat ad hunc actum per habitum gloriae sublevatus.

5. Une chose peut empêcher un acte de deux manières. Tout d’abord, à la manière d’un contraire ; ainsi, une chaleur intense empêche que l’eau ne refroidissse. De cette manière, la faute et la peine empêchent la vision de Dieu, et l’homme n’avait pas un tel empêchement en son premier état. D’une autre manière, comme par une simple négation, comme un illettré est empêché de poser un acte de géométrie parce qu’il ne possède pas l’habitus de la géométrie. Adam était ainsi empêché de l’acte de la vision de Dieu, car son intellect n’avait pas encore été élevé à cet acte par l’habitus de la gloire.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum Adam habuit perfectam cognitionem rerum a creatione sua

Article 2 – Adam a-t-il eu une connaissance parfaite des choses dès sa création ?

[5476] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Adam non habuit a creatione rerum perfectam cognitionem. Quia, secundum Anselmum, qualis fuit Adam in primo statu, tales etiam filios generasset. Sed supra habitum est, quod pueri non fuissent nati perfecti in scientia secundum unam opinionem, cui Magister magis assentire visus est dist. 20. Ergo nec Adam in scientia perfectus fuisset.

1. Il semble qu’Adam n’a pas eu une connaissance parfaite des choses dès sa création, car, selon Anselme, « Adam était tel en son premier état que les fils qu’il aurait engendrés ». Or, on a vu plus haut que les enfants ne seraient pas nés avec une science parfaite, selon une opinion à laquelle le Maître semblait davantage se rallier, d. 20. Adam n’aurait donc pas possédé une science parfaite.

[5477] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 2 arg. 2Praeterea, Augustinus dicit, quod Adam ideo positus est ad operandum in Paradiso ut naturas rerum experiretur. Sed experimentum est principium cognitionis accipiendae a sensibilibus, et per inventionem. Ergo videtur quod non statim in principio perfectam rerum cognitionem habuisset.

2. Augustin dit qu’Adam a été placé dans le Paradis pour faire l’expérience des natures des choses. Or, l’expérience est un principe de la connaissance reçue des choses sensibles, de même que l’invention. Il semble donc qu’il n’aurait pas eu une connaissance parfaite des choses dès le début.

[5478] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 2 arg. 3Praeterea, secundum philosophum in 3 de anima, intellectus nihil est in actu eorum quae sunt, antequam intelligat. Sed non potest intelligere sine phantasmate, ut ibidem dicitur, sicut nec visus videre sine colore. Cum igitur nihil sit eorum quae sunt, nisi secundum quod perficitur actu habens speciem alicujus rei in natura existentis, videtur quod cognitionem a sensibilibus accepisset mediante sensu et imaginatione; et sic non statim fuisset perfectus in scientia.

3. Selon le Philosophe, Sur l’âme, III, l’intellect n’est rien de ce qui existe avant d’intelliger. Or, il ne peut intelliger sans fantasme, comme on le dit au même endroit, pas davantage que la vue ne peut voir sans couleur. Puisque rien n’existe de ce qui existe que selon que cela est perfectionné en acte et possède l’espèce d’une chose qui existe dans sa nature, il semble donc qu’[Adam] aurait reçu la connaissance à partir des choses sensibles par l’intermédiaire du sens et de l’imagination. Et ainsi, il n’aurait pas possédé dès le départ une science parfaite.

[5479] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 2 arg. 4Praeterea, secundum philosophum, et sicut etiam Magister supra dixit, 1 distinctione, anima infusa est corpori, ut in ipso perficiatur scientia et virtutibus; et ad hoc sunt dati sensus et membra. Sed hoc frustra esset, si per operationem sensus, intellectus perfectionem non acquireret. Cum igitur nihil sit frustra in naturae operibus, et praecipue in compositione humani corporis, videtur quod homo a sensibilibus cognitionem rerum accepisset, sicut et nunc, et non statim perfectam scientiam habuisset.

4. Selon le Philosophe et aussi selon ce que le Maître a dit plus haut, d. 1, l’âme a été infusée dans le corps afin qu’elle soit en lui perfectionnée par la science et les vertus ; c’est à cette fin que des sens et des membres lui ont été donnés. Or, cela serait inutile, si l’intellect n’acquérait pas sa perfection par l’opération du sens. Puisqu’il n’y a rien d’inutile dans les œuvres de la création, et surtout dans la composition du corps humain, il semble donc que l’homme aurait reçu la connaissance des choses à partir des choses sensibles, comme maintenant, et qu’il n’aurait pas possédé dès le départ une science parfaite.

[5480] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 2 arg. 5Praeterea, ille qui est in scientia perfectus, non est necesse ut alio illuminante perficiatur. Sed Adam in primo statu etiam per Angelos fuisset illuminatus: alias periisset naturalis ordo creaturarum, secundum quem natura angelica inter divinam et humanam ponitur, ab una accipiens et in aliam refundens, ut in 4 cap. Cael. Hier. dicitur. Ergo non fuisset in scientia perfectus.

5. Celui qui possède une science parfaite n’a pas besoin d’être éclairé par un autre pour être perfectionné. Or, en son premier état, Adam aurait été aussi éclairé par les anges, autrement, l’ordre naturel des créatures aurait été détruit, selon lequel « la nature angélique est placée entre la nature divine et la nature humaine, recevant de l’une et reversant dans une autre », comme il est dit dans La hiérarchie céleste, IV. [Adam] n’aurait donc pas possédé une science parfaite.

[5481] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 2 s. c. 1Sed contra, nomina imponuntur rebus ex proprietatibus earum sumpta; quia unaquaeque res nominatur ab eo quod in ipsa est nobilius. Sed Adam animalibus nomina imposuit, ut Gen. 2 dicitur. Ergo in principio suae creationis animalium naturas cognovit, et per consequens aliarum rerum.

Cependant, [1] les noms sont donnés aux choses selon des propriétés tirées d’elles, car chaque chose est nommée à partir de ce qui est plus noble en elle. Or, Adam a donné des noms aux animaux, comme il est dit dans Gn 2. Il a donc connu les natures des animaux au commencement de sa création et, par conséquent, celle des autres choses.

[5482] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 2 s. c. 2Praeterea, quanto aliquid est nobilius, tanto minus decet esse defectum in eo. Sed in corpore Adae nulla fuit imperfectio in statu innocentiae. Ergo multo minus fuit imperfectio in intellectu ejus.

[2] Plus une chose est noble, moins il est approprié qu’il y ait en elle une carence. Or, dans le corps d’Adam, il n’existait aucune imperfection dans l’état d’innocence. Encore moins existait-il donc une imperfection dans son intellect.

[5483] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod illam scientiam necesse est homini in primo statu attribuere sine qua imperfectus fuisset, et nihil amplius. Tunc autem alicujus scientia imperfecta dicitur, quando non novit aliquid eorum quae ad ipsum pertinent; et ideo nulla notitia eorum quae ad hominem pertinebant, in primo statu homini defuisset. Pertinebat autem ad ipsum dispositio sui ipsius in actibus propriis; et ideo dicitur cognitionem perfectam habuisse eorum quae ab ipso agenda vel vitanda erant. Similiter etiam ad ipsum pertinebant aliae creaturae, inquantum propter ipsum factae erant, ut vel ab ipsis emolumentum acciperet, vel eis praeesset, et eas gubernaret; et ideo tantum de unaquaque re cognoscebat, quantum ad usum hominis pertinebat. Nec oportet plus cognitionis sibi adscribere in primo statu. Hanc autem cognitionem aliter Adam habuit, et aliter ad eam ejus posteri pervenissent: quia natura a perfectis exordium sumit, ut Boetius dicit, et Dei perfecta sunt opera, ut Deut. 32, 4, dicitur. Ideo Adam, tamquam principium totius humani generis, omnem perfectionem quae naturae humanae competit, in suo primordio accepit, sicut secundum corpus, ita et secundum animam, ut esset potens ad propagandum alios corporaliter, et instruendum intellectum. Filii autem ejus, quia cum originali justitia nascebantur, quae sine prudentia esse non potest, sicut nec aliqua virtus, ut in 6 Ethic. philosophus dicit; ideo oportuit quod statim nati habitum habuissent cognitionis illius, per quam cognoscere possent quid agere et quid vitare deberent; quamvis forte usus rationis impediretur secundum unam opinionem, propter organorum indispositionem. Sed habitus cognitionis aliarum rerum non est necesse quod in sua nativitate habuissent, sed per inventionem et doctrinam, ut tantum simul cum perfectione corporis et perfectio cognitionis compleretur; unde philosophus in 6 Ethic. dicit, quod prudentia et habitus ad cognitionem rerum a nobis agendarum pertinentes, sunt nobis magis naturales quam scientia aliarum rerum. Quidam vero dicunt, quod etiam habitus cognitionis omnium rerum mox nati accepissent; sed hoc non videtur necessarium neque quantum ad integritatem naturae, neque quantum ad originalem justitiam.

Réponse. Il faut attribuer à l’homme en son premier état la science sans laquelle il aurait été imparfait, et rien de plus. Or, on dit que la science de quelqu’un est imparfaite lorsqu’il ne connaît pas quelque chose qui le concerne. Ainsi, aucune connaissance de ce qui se rapportait à l’homme n’aurait fait défaut à l’homme en son premier état. Or, la disposition de lui-même par ses actes propres le concernait. Aussi dit-on qu’il a eu une connaissance parfaite ce qui devait être fait ou évité par lui. De même, les autres créatures se rapportaient à lui pour autant qu’elles avaient été créées pour lui, pour en tirer profit ou pour être à leur tête et les gouverner. Il connaissait donc de chaque chose autant que cela se rapportait à l’usage de l’homme. Et il n’est pas nécessaire de lui attribuer davantage de connaissance en son premier état. Mais Adam possédait cette connaissance autrement que de la manière dont ses descendants y parviendraient, car « la nature tire son origine de ce qui est parfait », comme le dit Boèce, et les œuvres de Dieu sont parfaites, comme on le dit en Dt 32, 4. Aussi Adam, en tant que principe de tout le genre humain, a-t-il reçu dès le commencement toute la perfection qui revient à la nature humaine, en son corps et aussi en son âme, afin qu’il soit capable d’en engendrer d’autres corporellement et d’instruire leur intellect. Mais ses fils, parce qu’ils naissaient avec la justice originelle, qui ne peut exister sans la prudence, pas davantage qu’une autre vertu, comme le dit le Philosophe, Éthique, VI, devaient, aussitôt nés, posséder l’habitus de la science par laquelle ils pourraient connaître ce qu’ils devaient faire et ce qu’ils devaient éviter ; bien que, selon une opinion, l’usage de la raison serait peut-être empêché par l’indisposition des organes. Mais il n’est pas nécessaire qu’ils aient eu dès leur naissance l’habitus de la connaissance des autres choses, mais [qu’ils l’acquièrent] par l’invention et l’enseignement, de sorte que la perfection de la connaissance soit atteinte avec la perfection du corps. C’est pourquoi le Philosophe dit, Éthique, VI, que « la prudence et les habitus qui se rapportent à la connaissance des choses que nous devons faire nous sont plus naturels que la science des autres choses ». Mais certains disent qu’ils auraient aussi reçu dès leur naissance l’habitus de la connaissance de toutes les choses. Mais cela ne semble pas nécessaire, ni pour l’intégrité de la nature, ni pour la justice originelle.

[5484] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod, ut supra dictum est, non oportuit ut filii Adae sibi similarentur nisi in his quae ad speciem humanam pertinebant vel ex conditione naturae, vel ex Dei beneficio. Hoc autem quod Adam in primordio suae conditionis habitum omnium rerum accepit, non conveniebat sibi inquantum homo, sed inquantum homo humani generis principium; unde non oportet quod aliis convenisset.

1. Comme on l’a dit plus haut, il n’était nécessaire que les fils d’Adam se ressemblent que pour ce qui concernait l’espèce humaine, soit par la condition de leur nature, soit par un bienfait de Dieu. Or, qu’Adam, au début de sa création, ait reçu l’habitus de toutes les choses, cela ne lui convenait pas en tant qu’homme, mais en tant que principe du genre humain. Il n’est donc pas nécessaire que cela ait convenu aux autres.

[5485] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod aliquis experitur aliquid dupliciter. Vel ut ex sensibilibus, quorum experientia habitum cognitionis acquirit; sicut in nobis fit, qui ex multis experimentis unum universale colligimus, quod est principium artis vel scientiae; et sic Adam experimento non indigebat. Alio modo ut illud quod quis per habitum cognitionis tenet, etiam in rebus videat; hoc enim scienti delectabile est; et sic Adam experimenta de naturis sumpsisset.

2. Quelqu’un fait l’expérience de quelque chose de deux manières. Soit à partir des choses sensibles, dont il acquiert par l’expérience l’habitus de les connaître, comme cela se produit en nous, qui, à partir de plusieurs expériences, recueillons une seule chose universelle, qui est un principe d’art et de science. Adam n’avait pas bsoin d’une telle expérience. Soit que quelqu’un revoie dans les choses ce qu’il détient par l’habitus de la connaissance : en effet, cela est délectable pour celui qui connaît. Adam aurait ainsi tiré des expériences à partir des natures.

[5486] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod intellectus noster, ut supra dictum est, indiget phantasmate, quod est objectum ejus, in duobus; scilicet in accipiendo scientiam secundum motum qui est a rebus ad animam, et in circumponendo illud quod apud se tenet, phantasmatibus, sicut quibusdam exemplis, secundum motum qui est ab anima ad res. Dico ergo, quod intellectus Adae in primo statu non indigebat phantasmate quantum ad primum modum, sed quantum ad secundum, nec oportebat quod illud phantasma esset a sensu acceptum; alias non potuisset intelligere nisi rem quam prius vidisset. Contingit autem per operationem interiorum virtutum formari in imagine aliquod phantasma quod nunquam per sensum est acceptum.

3. Comme on l’a dit plus haut, notre intellect a besoin d’un fantasme, qui est son objet, pour deux choses : pour recevoir la science par un mouvement qui va des choses vers l’âme ; et pour entourer de fantasmes comme d’exemples ce qu’il détient par devers lui par un mouvement qui va de l’âme aux choses. Je dis donc que l’intellect d’Adam n’avait pas besoin de fantasme pour ce qui est de la première manière, mais pour ce qui est de la seconde, et il n’était pas nécessaire que ce fantasme soit reçu du sens, autrement il n’aurait pu intelliger qu’une chose qu’il aurait vue antérieurement. Mais il arrive qu’un fantasme qui n’a jamais été reçu par le sens prenne la forme d’une image par l’opération des puissances intérieures.

[5487] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod non propter hoc operationes sensuum in Adam frustra fuissent, si per eas cognitionem rerum ad se pertinentium non accepisset; quia per operationem sensus expertus fuisset exterius quod intellectus interius tenebat per habitum cognitionis innatae. Et praeterea hoc sibi supra conditionem naturae suae collatum fuerat ut scientiam non a sensibilibus acciperet; et ideo oportebat ut ea quae ad naturae perfectionem secundum sui conditionem conveniunt, ei non subtraherentur; sicut homini resurgenti membra apta ad comestionem non subtrahuntur, quamvis cibis ulterius non utatur.

4. Les opérations des sens chez Adam n’auraient pas été inutiles pour cette raison, s’il n’avait pas reçu par elles la connaissance des choses qui le concernaient, car, par l’opération du sens, il aurait fait de l’extérieur l’expérience de ce que l’intellect détenait de l’intérieur par l’habitus de la connaissance innée. De plus, le fait de ne pas recevoir la science à partir des choses sensibles lui avait été conféré par un ajout à la condition de sa nature. Il était donc nécessaire que ce qui convient à la perfection de la nature selon sa condition ne lui soit pas enlevé, comme les membres capables de manger ne sont pas enlevés à celui qui ressuscite, bien qu’il ne fasse plus usage de nourriture.

[5488] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod Adam non hoc modo fuit in scientia perfectus quod omnia sciret; et ideo in his quae nesciebat, per Angelos illuminatus fuisset, sicut et inferiores Angeli a superioribus purgantur a nescientia, ut, in 6 Cael. Hier., Dionysius dicit.

5. Adam n’a pas possédé une science parfaite par laquelle il connaîtrait tout. Il aurait donc été éclairé par les anges pour ce qu’il ne savait pas, comme les anges inférieurs sont purifiés de l’ignorance par les anges supérieurs, ainsi que Denys le dit dans La hiérarchie céleste, VI.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum homo in primo statu decipi potuerit

Article 3 – Dans son premier état, l’homme pouvait-il être induit en erreur?

[5490] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod homo in primo statu decipi potuerit. Quia, sicut apostolus dicit, 1 Tim. 4, mulier seducta est. Adam vero quamvis non fuerit seductus in hoc in quo mulier, tamen in aliquo seductus est, ut veniale crederet quod mortiferum erat, ut in praecedenti dist. dictum est. Ergo in statu innocentiae decipi potuit.

1. Il semble qu’en son premier état, l’homme ne pouvait être induit en erreur, car, ainsi que le dit l’Apôtre, 1 Tm 4, c’est la femme qui a été séduite. Or, Adam, bien qu’il n’ait pas été séduit là où la femme l’a été, a cependant été séduit par le fait de croire que ce qui était mortel était véniel, comme on l’a dit dans la distinction précédente. Dans l’état d’innocence, l’homme ne pouvait donc être induit en erreur.

[5491] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 3 arg. 2Praeterea, Magister, supra, dist. 21, dixit, quod mulier ideo serpentem non horruit, quia quem a Deo creatum scivit, ab eo etiam loquendi usum accepisse credidit. Hoc autem falsum erat, quia loqui non est nisi intelligentis proprie. Videtur igitur quod decipi potuerit.

2. Plus haut, d. 21, le Maître a dit que la femme n’a pas eu peur du serpent parce qu’elle croyait que ce qu’elle savait avoir été créé par Dieu avait aussi reçu de lui l’usage de la parole. Or, cela était faux, parce que la parole n’appartient au sens propre qu’à ce qui est intelligent. Il semble donc qu’elle pouvait être induite en erreur.

[5492] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 3 arg. 3Praeterea, constat quod Adam in primo statu secreta cordis alterius hominis scire non potuisset, cum nec Angeli hoc sciant, sed solus Deus. Potuit autem contingere ut aliquis diceret se illud cogitare quod non cogitabat, nec Adam eum mentiri credidisset, cum hoc certitudinaliter non cognovisset. Ergo videtur quod deceptus fuisset.

3. Il est certain qu’Adam, en son premier état, ne pouvait pas connaître les secrets du cœur d’un autre homme, puisque même les anges ne connaissent pas cela, mais Dieu seul. Or, il pouvait arriver que quelqu’un dise qu’il pensait ce qu’il ne pensait pas, et Adam n’aurait pas cru qu’il mentait, puisqu’il ne connaissait pas cela avec certitude. Il semble donc qu’il aurait été induit en erreur.

[5493] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 3 arg. 4Praeterea, sensus quandoque nuntiant aliquid aliter quam sit, sicut quod a remotiori videtur, minus videtur. Sed de sensibilibus cognitionem per sensus habuisset. Ergo videtur quod ibi quodammodo decipi potuerit, cum decipi nihil aliud sit quam falsum verum aestimare.

 

4. Lorsque le sens annonce une chose autrement qu’elle n’est, comme ce qui est vu de plus loin, on voit moins. Or, [Adam] aurait eu la connaissance à partir des choses sensibles par les sens. Il semble donc qu’il pouvait, d’une certaine manière, être ainsi induit en erreur, puisque être induit en erreur n’est rien d’autre que d’estimer vrai ce qui est faux.

[5494] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 3 s. c. 1Sed contra, Augustinus dicit, quod falsa pro veris approbare, non est natura hominis instituti, sed poena damnati. Cum igitur homo in primo statu omni poena caruisset, videtur quod decipi non potuerit.

Cependant, [1] Augustin dit qu’approuver comme fausses des choses vraies ne correspond pas à l’établissement de la nature de l’homme, mais est une peine pour celui qui a été condamné. Puisque toute peine aurait fait défaut à l’homme en son premier état, il semble donc qu’il ne pouvait pas être induit en erreur.

[5495] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 3 s. c. 2Praeterea, deceptio sine ignorantia non est. Ignorantia autem, ut Hugo de sancto Victore dicit, est et culpa et poena. Hoc autem in primo statu esse non potuit. Ergo nec aliqua deceptio.

[2] Être trompé ne va pas sans ignorance. Or, l’ignorance, comme le dit Hugues de Saint-Victor, est à la fois une faute et une peine. Or, dans le premier état, cela ne pouvait exister. Donc, non plus, le fait d’être induit en erreur.

[5496] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, perfectio totius hominis pendebat ex superiori parte mentis, qua homo Deo per rectitudinem justitiae inhaerebat: et ideo illa permanente Deo conjuncta, sicut nec defectus in corpore aliquis, ut passio et mors, ita nec deceptio in anima esse potuit; unde, sicut supra dictum est, Adam quodammodo potuit mori, scilicet si prius peccaret; erat tamen quodammodo immortalis, quia in actum potentia moriendi non exisset, nisi prius peccasset: ita etiam homo in statu innocentiae consideratus poterat quidem decipi si prius peccasset, non tamen ante peccatum.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, la perfection de l’homme tout entier dépendait de la partie supérieure de son esprit, par laquelle l’homme était rattaché à Dieu par la droiture de la justice. C’est pourquoi, aussi longtemps qu’elle demeurait unie à Dieu, il ne pouvait y avoir ni carence dans le corps, comme la souffrance et la mort, ni tromperie dans l’âme. Aussi, comme on l’a dit plus haut, Adam pouvait-il d’une certaine manière mourir, s’il avait d’abord péché ; mais il était d’une certaine manière immortel, parce que la puissance de mourir ne serait pas passée à l’acte, à moins qu’il n’ait d’abord péché. L’homme ainsi considéré dans l’état d’innocence pouvait cependant être induit en erreur s’il avait d’abord péché, mais non avant le péché.

[5497] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod, sicut supra dictum est, elatio quaedam mentem mulieris invasit post verba serpentis, per quam verum credidit quod serpens suadebat; et ideo seductio illa secuta est elationem, quae fuit peccatum primum; et similiter est de viro, ut dictum est.

1. Comme on l’a dit plus haut, un certain orgueil a envahi l’esprit de la femme après les paroles du serpent, par lequel elle a cru vrai ce que le serpent suggérait, ce qui fut le premier péché ; de même en est-il pour l’homme, comme on l’a dit.

[5498] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod mulier credidit serpentem usum loquendi divinitus accepisse, non quidem per conditionem naturae, sed per ministerium spiritualis creaturae; nec contulit utrum hoc fieret virtute boni vel mali Angeli, aut utrum fieret Deo permittente, vel Deo jubente.

2. La femme a cru que le serpent avait reçu de Dieu la capacité de parleer, non pas par la condition de sa nature, mais par l’intervention d’une créature spirituelle ; et elle ne s’est pas demandé si cela se réalisait par la puissance d’un ange bon ou mauvais, ou si cela s’accomplissait avec la permission de Dieu ou selon un ordre de Dieu.

[5499] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod sicut divina providentia corpus hominis servasset illaesum ab omnibus exterioribus laesuris, ita etiam servasset intellectum hominis indeceptum in omnibus quae suam cognitionem impediebant, ut statim intelligeret, si quis falsum pro vero sibi diceret.

3. De même que la providence divine préservait intact de toutes blessures extérieures le corps de l’homme, de même aurait-elle empêché que l’intellect de l’homme soit induit en erreur pour tout ce qui empêchait sa connaissance, de sorte qu’il aurait aussitôt saisi que quelqu’un lui disait une fausseté à la place de la vérité.

[5500] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod quamvis a sensibus fuisset ei aliquid alio modo repraesentatum quam rei naturam haberet, non tamen in eo fuisset illa deceptio, nec quantum ad sensum, qui hoc modo recipiebat secundum proportionem suam ad sensibile, nec quantum ad intellectum, cujus judicio subjacebat illa discretio, quae inter sensum et rem erat, ut scilicet sciret quare aliter res videretur quam esset.

4. Bien qu’une chose lui aurait été représentée par les sens autrement que selon la nature de la chose, il n’y aurait cependant pas eu en cela une telle tromperie, ni pour ce qui était du sens, qui recevait cela selon qu’il était proportionné à l’objet sensible, ni pour ce qui était de l’intellect, au jugement duquel était soumise la distinction entre le sens et la chose, à savoir qu’il saurait pourquoi la chose était vue différemment qu’elle n’était.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 23

EXPOSITIO TEXTUS

[5501] Super Sent., lib. 2 d. 23 q. 2 a. 3 expos.Sed non esset laudabile homini, si ideo bene vivere posset quia nemo male vivere suaderet. Videtur hoc esse falsum: quia tunc, si nec Angelus nec homo peccasset, actus hominis laudabilis non fuisset, cum tunc nullus esset ad malum persuasor. Et dicendum, quod hoc non est intelligendum ita quod laus humani actus dependeat a suasione mali, sed a potentia resistendi suadenti; quae potentia manifestari potuit, si tentatus fuisset et vicisset. Unde signanter dicit: si ideo bene vivere posset, quia nemo male vivere suaderet; ut quasi causa bene vivendi ostendatur hoc quod nullus ad malum persuadet. Et est gloriosius non consentire quam tentari non posse. Videtur hoc esse falsum: quia cum Deus et Angelus tentari non possint, aliquid esset in homine gloriosius quam in Deo. Et dicendum, quod hoc intelligendum est supposita conditione humanae naturae, per quam potest homo peccare et non peccare. Vel exponatur ut primum.Hanc autem scientiam homo peccando non perdidit. Videtur falsum; quia nunc non habemus cognitionem omnium rerum, sicut Adam habuit. Et dicendum, quod etiam ista scientia aliquo modo per peccatum diminuta est, sed non adeo quod per hoc homo a via salutis impediatur; et ideo in salutari doctrina de hujusmodi instruendus non erat. Sed non habuit praescientiam eorum quae futura erant. Videtur falsum; quia cum nos quorumdam futurorum praescientiam habeamus, cognitio ejus fuisset imperfectior quam nostra. Sed dicendum, quod nos non cognoscimus futura nisi prout quodammodo sunt praesentia in suis causis, quae sunt determinatae ad tales effectus, vel de necessitate, vel in majori parte; et sic etiam Adam in primo statu futurorum cognitionem habuit multo plenius quam nos; non tamen eorum quae causas determinatas non habent, sicut ea quae ex libero arbitrio dependent, ut casus suus.

 

 

 

DISTINCTIO 24

Distinction 24 – [La puissance naturelle de l’homme en son premier état]

 

 

QUAESTIO 1

Question 1 – [Le libre arbitre est-il une puissance ou un habitus ?]

 

 

PROOEMIUM

Prologue

[5502] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 pr.Postquam determinavit de scientia quam homo in primo statu habuit, hic incipit determinare de potentia naturali, per quam peccatum vitare poterat; et dividitur in duas partes: in prima parte ostendit quod homo habuit naturalem potentiam, per quam poterat peccatum vitare; in secunda ostendit quae fuerit illa potentia, ibi: hic considerandum est quod fuerit illud adjutorium homini datum in creatione quo poterat manere si vellet. Circa quod movet duas dubitationes; prima ibi: sed quomodo rectam et bonam voluntatem habuit homo, si per eam nec mereri vitam valuit, nec in ea stare voluit? Secunda ibi: ad hoc autem quod dicimus (...) solet opponi sic. Hic considerandum est quod fuerit illud adjutorium homini datum. Hic ostendit quae fuerit illa potentia naturalis, et dicit quod liberum arbitrium; et dividitur in partes duas: in prima ostendit quid sit liberum arbitrium; in secunda ostendit quasdam liberi arbitrii conditiones, 25 dist., ibi: jam ad propositum redeamus. Prima dividitur in duas: in prima determinat quid est liberum arbitrium; in secunda notificat quasdam vires animae, ut ostendat in quibus liberum arbitrium contineatur, ibi: est enim sensualitas quaedam vis animae inferior, ex qua est motus qui intenditur in corporis sensus atque appetitus rerum ad corpus pertinentium. Circa primum duo facit: primo ostendit quod illa potentia qua peccato resistere potuit, est liberum arbitrium; secundo definit ipsum, ibi: liberum vero arbitrium est facultas rationis et voluntatis, qua bonum eligitur gratia assistente, vel malum eadem desistente. Est enim sensualitas et cetera. Hic notificat quasdam potentias animae. Et circa hoc duo facit: primo notificat eas; secundo ostendit qualiter in eis potest esse peccatum, ibi: illud quoque praetermittendum non est et cetera. Et prima pars cum praecedentibus est praesentis lectionis; circa quam duo quaeruntur. Primo de libero arbitrio. Secundo de virtutibus libero arbitrio annexis. Circa primum quatuor quaeruntur: 1 utrum liberum arbitrium sit potentia vel habitus; 2 si est potentia, utrum sit una; 3 si est una, utrum sit distincta a ratione et voluntate; 4 utrum homo in primo statu per liberum arbitrium peccato resistere potuit.

Après avoir déterminé de la science de l’homme en son premier état, [le Maître] commence ici à déterminer de sa puissance naturelle, par laquelle il pouvait éviter le péché. Il y a deux parties : dans la première, il montre que l’homme avait une puissance naturelle, par laquelle il pouvait éviter le péché ; dans la seconde, il montre quelle était cette puissance, à cet endroit : « Ici, il faut considérer quelle a été cette aide donnée à l’homme lors de la création, par laquelle il pouvait demeurer [en son premier état] s’il le voulait. » À ce sujet, il soulève deux doutes. Le premier, à cet endroit : « Mais comment l’homme possédait-il une volonté droite et bonne, s’il ne pouvait mériter la vie par elle et s’il n’a pas voulu demeurer [en son premier état] ? » Le second, à cet endroit : « Mais à ce que nous disons…, on a coutume de faire l’objection suivante…. » « Ici, il faut considérer quelle a été cette aide donnée à l’homme… » Ici, il montre quelle était cette puissance naturelle, et il dit que c’était le libre arbitre. Il y a deux parties : dans la première, il montre ce qu’est le libre arbitre ; dans la seconde, il montre quelles sont les conditions du libre arbitre, d. 25, à cet endroit : « Mais revenons à notre propos. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il détermine de ce qu’est le libre arbitre ; dans la seconde, il fait connaître certaines puissances de l’âme, afin de montrer dans lesquelles le libre arbitre est contenu, à cet endroit : « En effet, la sensualité est une puissance inférieure de l’âme, dont provient le mouvement qui est dirigé vers les sens du corps et les désirs de ce qui se rapporte au corps. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que cette puissance, par laquelle [l’homme] pouvait résister au péché, est le libre arbitre ; deuxièmement, il définit celui-ci, à cet endroit : « Mais le libre arbitre est une faculté de la raison et de la volonté, par laquelle le bien est choisi avec l’assistance de la grâce, ou le mal, si celle-ci s’éloigne. » « En effet, la sensualité, etc. » Ici, il fait connaître certaines puissances de l’âme. À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il les fait connaître ; deuxièmement, il montre comment le péché peut exister en elles, à cet endroit : « Ce qu’il ne faut pas passer sous silence… » La première partie, avec ce qui la précède, est l’objet de la présente leçon. À son sujet, deux questions sont posées : premièrement, à propos du libre arbitre ; deuxièmement, à propos des vertus associées au libre arbitre. À propos du premier point, quatre questions sont posées : 1. Le libre arbitre est une puissance ou un habitus ? 2. S’il est une puissance, celle-ci est-elle unique ? 3. Si elle est unique, est-elle distincte de la raison et de la volonté ? 4. En son premier état, l’homme pouvait-il résister par le libre arbitre ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum liberum arbitrium sit habitus

Article 1 – Le libre arbitre est-il une puissance ?

[5504] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod liberum arbitrium sit habitus. Primo per hoc quod dicit Bernardus, quod liberum arbitrium est habitus animi liber sui; et ita videtur esse habitus et non potentia.

1. Il semble que le libre arbitre soit un habitus. Premièrement, selon ce que dit Bernard, que « le libre arbitre est un habitus de l’âme libre d’elle-même ». Il semble ainsi qu’il soit un habitus, et non une puissance.

[5505] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, potentia non efficitur facilis ad actum nisi ex habitu. Sed liberum arbitrium dicitur in littera esse facultas voluntatis et rationis. Cum igitur facultas habilitatem quamdam nominet, videtur quod liberum arbitrium sit habitus.

2. Une puissance n’est préparée à agir facilement que par un habitus. Or, on dit dans le texte que le libre arbitre est une faculté de la volonté et de la raison. Puisqu’une faculté désigne une certaine aptitude, il semble donc que le libre arbitre soit un habitus.

[5506] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, sicut infra dicitur, philosophi definiunt liberum arbitrium liberum de voluntate judicium. Judicium autem non nominat potentiam, sed magis habitum. Ergo videtur quod non sit potentia.

3. Comme on le dit plus loin, les philosophes définissent le libre arbitre comme un jugement libre sur ce qui est voulu. Or, le jugement ne désigne pas une puissance, mais plutôt un habitus. Il semble donc que [le libre arbitre] ne soit pas une puissance.

[5507] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, Augustinus dicit, quod homo male utens libero arbitrio et se perdidit et ipsum. Sed per peccatum nulla potentia naturalis tollitur. Ergo liberum arbitrium non est potentia, sed habitus.

4. Augustin dit que « l’homme, en faisant un mauvais usage de son libre arbitre, s’est perdu et l’a perdu ». Or, par le péché, aucune puissance naturelle n’est enlevée. Le libre arbitre n’est donc pas une puissance, mais un habitus.

[5508] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, nulla potentia recipit magis et minus. Sed liberum arbitrium intenditur et remittitur; unde et supra, distinct. 7, dictum est, quod boni Angeli liberum arbitrium habent tam post confirmationem quam ante. Ergo liberum arbitrium non est potentia, sed habitus.

5. Aucune puissance ne reçoit plus ou moins. Or, le libre arbitre se concentre et se relâche ; aussi a-t-on dit plus haut, d. 7, que les anges bons possèdent le libre arbitre aussi bien après qu’avant leur confirmation. Le libre arbitre n’est donc pas une puissance, mais un habitus.

[5509] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, omnis potentia determinatur per habitum ad aliquid unum vel simpliciter, sicut per habitum scientiae ad unum, vel ad minus ut magis inhaereat, sicut opinio. Sed per liberum arbitrium homo aequaliter se habet ad utrumlibet. Ergo liberum arbitrium non est habitus.

Cependant, [1] toute puissance est déterminée par un habitus à une seule chose, soit simplement, comme c’est le cas de l’habitus de science pour une seule chose, soit au moins afin qu’elle y adhère davantage, comme c’est le cas de l’opinion. Or, par le libre arbitre, l’homme fait également face aux deux choses. Le libre arbitre n’est donc pas un habitus.

[5510] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, habitus non potest esse subjectum alterius habitus. Sed liberum arbitrium est subjectum gratiae quae ad ipsum comparatur sicut sessor ad equum, sicut Augustinus dicit. Ergo liberum arbitrium non est habitus.

[2] Un habitus ne peut pas être le sujet d’un autre habitus. Or, le libre arbitre est le sujet de la grâce, qui se compare à lui comme le cavalier au cheval, ainsi que le dit Augustin. Le libre arbitre n’est donc pas un habitus.

[5511] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod circa hoc quidam dicunt, liberum arbitrium secundum quod in usum loquentium venit, nomen habitus esse, quamvis eodem nomine et potentia et actus significetur, sicut patet in nomine intellectus quod et potentiam et habitum et actum significare potest. Hunc autem habitum quem nomen liberi arbitrii designat, non dicunt esse aliquam qualitatem potentiae supervenientem, sed ipsam habilitatem potentiae ad actum, vel facilitatem quam habet una potentia ex adjutorio alterius: propter quod secundum eos facultas voluntatis et rationis dicitur. Sed haec opinio non recte utitur nomine habitus, quia habitus secundum proprietatem sui nominis significat qualitatem quamdam quae est principium actus, informantem et perficientem potentiam; unde oportet, si proprie accipiatur, quod sit superveniens potentiae, sicut perfectio perfectibili. Praeterea, si consideretur ratio et voluntas, non potest esse nisi tripliciter: aut quod utrumque secundum se consideretur; et sic constat quod utrumque est potentia, et ita quodcumque eorum ponatur, liberum arbitrium erit potentia: vel quod consideretur unum in respectu alterius; et nec sic potest dici quod unum sit habitus alterius, quia potentia non est habitus potentiae, vel relatio unius ad alterum, nec hoc nomen habitus habere potest. Unde non videtur rationabiliter dictum, quod liberum arbitrium sit habitus. Et ideo quidam dicunt, quod liberum arbitrium nominat potentiam non absolutam, sed habitualem, idest prout est per habitum quemdam perfecta, non quidem acquisitum vel infusum, sed naturalem, per quem habitum facilis est in suum actum, intantum ut dominium sui actus habere dicatur. Istud etiam non videtur conveniens: quia quod voluntas habeat dominium sui actus, ex ipsa natura potentiae habet prout est imperans, et a nullo imperata; unde hanc facilitatem ex se habet, et non ex aliquo alio habitu. Et praeterea unusquisque habitus se habet ad actum ut quo non simpliciter efficitur actus, sed bene efficitur. Liberum autem arbitrium ad electionis actum se habet ut quo talis actus efficitur quandoque bene, quandoque quidem male et indifferenter; unde non videtur habitum aliquem designare, si habitus proprie accipiatur; sed illam potentiam cujus proprie actus est eligere; quia liberum arbitrium est quo eligitur bonum vel malum, ut Augustinus dicit.

Réponse. À ce sujet, certains disent que le libre arbitre, comme on en parle couramment, est le nom d’un habitus, bien que la puissance et l’habitus soient désignés par le même nom, comme cela ressort pour le mot « intellect », qui peut signifier une puissance, un habitus et un acte. Or, ils ne disent pas que l’habitus, que le nom de libre arbitre désigne, est une qualité qui s’ajoute à la puissance, mais l’aptitude même de la puissance à l’acte, ou une facilité qu’une puissance possède grâce à l’aide d’une autre : c’est la raison pour laquelle, selon eux, on parle de faculté pour la volonté et de la raison. Mais cette opinion n’emploie pas correctement le mot « habitus », car l’habitus, au sens propre du terme, signifie une qualité qui est principe d’un acte, qui donne forme à la puissance et la perfectionne. Si on l’entend au sens propre, il faut donc qu’il soit quelque chose qui s’ajoute à la puissance, comme une perfection à ce qui est perfectible. De plus, si on considère la raison et la volonté, il ne peut y avoir que trois choses : soit les deux sont considérées en elles-mêmes, et ainsi il est certain que les deux sont des puissances, et quelle que soit celle qu’on mette de l’avant, le libre arbitre sera une puissance ; soit l’une est considérée en rapport avec l’autre, et ainsi on ne peut pas dire que l’une soit un habitus de l’autre, car une puissance n’est pas l’habitus d’une puissance ; soit [on considère] la relation de l’une avec l’autre, et elle ne peut pas non plus porter le nom d’habitus. Il ne semble donc pas qu’il soit raisonnable de dire que le libre arbitre désigne une puissance, non pas absolue, mais habituelle, c’est-à-dire en tant qu’elle est perfectionnée par un habitus, non pas acquis ou infus, mais naturel, habitus qui rend son acte facile, au point où on dit qu’elle a la maîtrise de son acte. Cela aussi ne semble pas approprié, car le fait pour la volonté d’avoir la maîtrise de son acte vient de la nature même de la puissance en tant qu’elle commande et qu’elle n’est commandée par rien d’autre ; elle possède donc par elle-même cette capacité, et non par un autre habitus. De plus, le rapport entre tout habitus et l’acte est tel que l’acte n’est pas simplement accompli, mais bien accompli. Or, le rapport entre le libre arbitre et l’acte du choix est tel qu’un tel acte est parfois bien accompli, mais parfois mal, et aussi de manière indifférente. Il ne semble donc pas désigner un habitus, si on entend « habitus » au sens propre, mais la puissance dont l’acte propre est de choisir, car « le libre arbitre est ce par quoi on choisit le bien ou le mal », comme le dit Augustin.

[5512] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod Bernardus large utitur nomine habitus pro habitudine quadam: ex hoc enim liberum arbitrium in homine dicitur, quod hoc modo se habet ejus animus ut sui actus liberam potestatem habeat.

1. Bernard emploie le mot « habitus » pour une habitude. En effet, on parle de libre arbitre chez l’homme pour désigner le fait que son esprit possède un libre pouvoir sur son acte.

[5513] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod facultas secundum communem usum loquendi significat potestatem qua aliquid habetur ad nutum, unde et possessiones facultates dicuntur, quia in dominio sunt possidentis; et ideo liberum arbitrium facultas dicitur non quasi habitus quidam, sed quia actum suum in libera potestate habet; unde et liberum nominatur.

2. Selon la manière habituelle de parler, une capacité (facultas) signifie une puissance par laquelle on obtient quelque chose à volonté ; ainsi les biens possédés sont-ils appelés des capacités (facultates) parce que celui qui les posséde en est maître. C’est pourquoi le libre arbitre est appelé une capacité, non pas comme un habitus, mais parce que son acte est en son libre pouvoir. C’est pourquoi on dit qu’il est libre.

[5514] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod judicium proprie loquendo non nominat potentiam, nec habitum, sed actum. Non autem invenitur unus habitus per quem omne judicium elicitur, cum secundum diversos habitus in diversis judicium procedat; nisi forte dicamus habitum illum primorum principiorum quorum cognitio naturaliter est insita nobis secundum quod in omnibus judiciis dirigimur; quem nullus liberum arbitrium diceret: quia non est proprium et proximum directivum in electionis actum. Potest autem ad unam potentiam reduci omne judicium electionis; et ideo congruentius hoc nomine actus datur intelligi potentia quam habitus.

3. À proprement parler, le jugement ne désigne pas une puissance ni un habitus, mais un acte. Or, on ne trouve pas un seul habitus par lequel tout jugement est émis, puisque le jugement provient de divers habitus en diverses [situations]. À moins qu’on ne parle de l’habitus des premiers principes, dont la connaissance est naturellement innée en nous et par quoi nous sommes dirigés dans tous les jugements. Personne ne l’appellerait libre arbitre, car ce n’est pas lui qui dirige de manière propre et rapprochée dans l’acte du choix. Mais tout jugement du choix peut être ramené à une seule puissance. Il est ainsi plus approprié d’indiquer sous ce nom une puissance plutôt qu’un habitus.

[5515] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod homo dicitur liberum arbitrium amisisse, non quidem essentialiter, sed quia quamdam libertatem amisit quae quidem est a peccato et a miseria, ut infra dicitur.

4. On dit que l’homme a perdu le libre arbitre, non pas de manière essentielle, mais parce qu’il a perdu une certaine liberté par rapport au péché et à la misère, comme on le dira plus loin.

[5516] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod omnis potentia in suo actu vigoratur aut debilitatur per habitum supervenientem, vel impedimentum adveniens; unde liberum arbitrium non dicitur liberum quia ipsa potentia in se intendatur et remittatur, sed quia vel impeditur per corruptionem peccati, vel expeditur per habitum gratiae et gloriae.

5. Toute puissance est renforcée ou affaiblie dans son acte par un habitus ajouté ou par un empêchement qui survient. On ne parle donc pas de libre arbitre parce que la puissance elle-même est concentrée ou relâchée, mais parce qu’elle est soit empêchée par la corruption du péché, soit délivrée par l’habitus de la grâce et de la gloire.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum liberum arbitrium dicat plures potentias vel unam

Article 2 – Le libre arbitre désigne-t-il plusieurs puissances ou une seule ?

[5518] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod liberum arbitrium non nominet unam potentiam, sed plures. Augustinus enim dicit: cum de libero arbitrio loquimur, non de quadam parte animae dicimus, sed de tota anima. Totalitas autem animae in pluralitate potentiarum consistit. Ergo liberum arbitrium plures potentias colligit.

1. Il semble que le libre arbitre ne désigne pas une seule puissance, mais plusieurs. En effet, Augustin dit : « Lorsque nous parlons du libre arbitre, nous ne parlons pas d’une partie de l’âme, mais de l’âme tout entière. » Or, la totalité de l’âme comprend plusieurs puissances. Le libre arbitre regroupe donc plusieurs puissances.

[5519] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, ratio et voluntas sunt diversae potentiae. Sed liberum arbitrium est facultas voluntatis et rationis, ut in littera dicitur. Ergo in se plures potentias colligit.

2. La raison et la volonté sont des puissances différentes. Or, le libre arbitre est une propriété de la volonté et de la raison, comme le dit le texte. Il regroupe donc en lui-même plusieurs puissances.

[5520] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, potentiae distinguuntur per actus ut in 2 de anima philosophus dicit. Sed liberum arbitrium se extendit ad actus plurium potentiarum; quia, sicut Damascenus dicit, liberum arbitrium inquirit, disponit, et sic de aliis. Ergo videtur quod plures potentias colligat.

3. Les puissances se différencient par leurs actes, comme le dit le Philosophe, Sur l’âme, II. Or, le libre arbitre s’étend aux actes de plusieurs puissances, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène, le libre arbitre recherche, dispose, et ainsi de suite. Il semble donc qu’il regroupe plusieurs puissances.

[5521] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, electio nihil aliud est quam duobus propositis alterum alteri praeoptare. Sed hoc cuilibet potentiae competit, cum quaelibet potentia conveniens appetat, et nocivum refutet. Ergo cujuslibet potentiae est eligere. Sed eligere assignatur proprie actus liberi arbitrii in littera. Ergo videtur quod liberum arbitrium non sit determinata potentia.

4. L’action de choisir n’est rien d’autre que donner préférence à l’une de deux propositions. Or, cela convient à toutes les puissances, puisque toute puissance désire ce qui lui convient et repousse ce qui lui est nuisible. Il appartient donc à toute puissance de choisir. Or, dans le texte, choisir est donné comme l’acte propre du libre arbitre. Il semble donc que le libre arbitre ne soit pas une puissance déterminée.

[5522] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, virtus et vitium non nisi in libero arbitrio esse potest. Invenitur autem in omnibus virtutibus animae, quod in concupiscibili est temperantia, et in irascibili est fortitudo, et vitia opposita. Ergo videtur quod liberum arbitrium determinatam potentiam non nominet, sed plures.

5. La vertu et le vice ne peuvent se trouver que dans le libre arbitre. Or, parmi toutes les vertus de l’âme, on relève que la tempérance se trouve dans le concupiscible et la force dans l’irascible, ainsi que les vices opposés. Il semble donc que le libre arbitre ne désigne pas une puissance déterminée, mais plusieurs.

[5523] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, actus determinatus est determinatae potentiae. Sed eligere est quidam determinatus actus, qui libero arbitrio assignatur. Ergo liberum arbitrium est determinata potentia.

 

Cependant, [1] un acte déterminé relève d’une puissance déterminée. Or, choisir est un acte déterminé, qui est rattaché au libre arbitre. Le libre arbitre est donc une puissance déterminée.

[5524] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, nihil quod est unum simpliciter in natura, constat ex pluribus, nisi illa vel alterum eorum a sui natura transmutetur. Si ergo liberum arbitrium ex pluribus potentiis conficiatur, vel non erit aliquid unum, vel hoc erit unum cum corruptione quarumdam potentiarum animae: quorum utrumque est inconveniens. Ergo liberum arbitrium non colligit diversas potentias.

[2] Rien qui est par nature simplement un n’est fait de plusieurs choses, à moins que ces choses ou l’une d’elles ne changent de nature. Si donc le libre arbitre est constituée de plusieurs puissances, soit il ne sera pas un, soit il sera un suite à la corruption de certaines puissances de l’âme, deux hypothèses qui sont inappropriées. Le libre arbitre ne regroupe donc pas diverses puissances.

[5525] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod quidam posuerunt liberum arbitrium non esse determinatam potentiam, sed colligere omnes vires rationalis animae, sicut totum universale suas partes. Hoc autem non videtur conveniens, tum quia oporteret quod multiplicatis potentiis liberum arbitrium multiplicaretur secundum esse (multi enim homines sunt multa animalia, et non unum) tum quia oporteret quod ratio liberi arbitrii in singulis potentiis salvaretur; quod non potest esse, quia actus qui libero arbitrio assignatur, non est cujuslibet potentiae sed alicujus determinatae. Et ideo alii dicunt, quod liberum arbitrium colligit plures potentias, sicut totum integrale partes suas. Nec hoc iterum conveniens videtur: quia potentiae non possunt esse partes integrales alicujus unius si accipiatur unum simpliciter; nisi forte dicatur unum quod est aggregatione vel ordine unum. Liberum autem arbitrium non debet sic esse unum, sed simpliciter, cum sibi unus actus attribuatur. Quidam autem dicunt, quod liberum arbitrium colligit plures potentias, scilicet voluntatem et rationem, sicut habitus utriusque, propter quod facultas voluntatis et rationis dicitur. Sed etiam hoc improprie dicitur: quia si nomen habitus proprie sumatur, non potest esse immediate unus habitus duarum potentiarum, quia unus habitus ad unum actum ordinatur, qui est unius potentiae. Et ideo aliter est dicendum, quod aliquid dicitur colligere plura dupliciter: uno modo essentialiter, sicut totum colligit partes suas; alio modo virtualiter, sicut quando virtus plurium rerum in uno participatur. Secundum hoc ergo dico, quod liberum arbitrium non colligit plures potentias essentialiter, sed virtualiter, quasi una potentia determinata. Sic enim est in potentiis animae, quod cum omnes ab essentia animae oriantur, quasi proprietates ab essentialibus rei, est tamen quidam ordo hujusmodi originis, ut scilicet origo unius potentiae originem alterius praesupponat, qua mediante quodammodo ab essentia animae procedat: quod ex actibus considerari potest. Actus enim unius potentiae necessario actum alterius praesupponit: sicut actus appetitivae actum apprehensivae: et inde est quod sicut virtus essentiae animae in potentia relinquitur, ita etiam virtus unius potentiae praecedentis relinquitur in subsequenti; et inde est quod aliqua potentia virtutes plurium potentiarum in se colligit, et sic est in libero arbitrio, quod ex actu ejus patet. Eligere enim, quod actus ejus ponitur, importat discretionem et desiderium; unde eligere est alterum alteri praeoptare. Haec autem duo sine virtute voluntatis et rationis perfici non possunt. Unde patet quod liberum arbitrium virtutem voluntatis et rationis colligit, propter quod facultas utriusque dicitur.

Réponse. Certains ont affirmé que le libre arbitre n’est pas une puissance déterminée, mais qu’il regoupe toutes les puissances de l’âme raisonnable, comme un tout universel ses parties. Mais cela ne semble pas approprié, tant parce qu’il faudrait qu’avec la multiplication des puissances, le libre arbitre soit multiplié dans son être (en effet, plusieurs hommes sont plusieurs animaux, et non pas un seul), que parce qu’il faudrait que la raison de libre arbitre soit sauvegardée dans chacune des puissances, ce qui ne peut pas être le cas, car l’acte qui est assigné au libre arbitre n’est pas celui de n’importe quelle puissance, mais celui d’une [puissance] déterminée. C’est pourquoi d’autres disent que le libre arbitre regroupe plusieurs puissances, comme un tout intégral ses parties. Mais cela non plus ne semble pas approprié, car des puissances ne peuvent être les parties intégrales d’une seule chose, si l’on entend un de manière simple, à moins peut-être de parler d’un pour ce qui est un par aggrégation ou selon un ordre. Or, le libre arbitre ne doit pas être un de cette manière, mais simplement, puisqu’un seul acte lui est attribué. Mais certains disent que le libre arbitre regroupe plusieurs puissances : la volonté et la raison, en tant qu’habitus des deux, raison pour laquelle il est appelé une faculté de la volonté et de la raison. Mais cela aussi est formulé de manière impropre, car, si le nom d’habitus est pris au sens propre, il ne peut exister un seul habitus pour deux puissances, puisqu’un seul habitus est ordonné à un seul acte, qui relève d’une seule puissance. Il faut donc dire autre chose. On dit d’une chose qu’elle regroupe plusieurs choses de deux manières : d’une manière, essentiellement, comme un tout regroupe ses parties ; d’une autre manière, virtuellement, comme lorsqu’une seule chose participe à la puissance de plusieurs choses. De cette manière, je dis donc que le libre arbitre ne regroupe pas plusieurs puissances de manière essentielle, mais de manière virtuelle, comme une seule puissance déterminée. Il se fait ainsi que, dans les puissances de l’âme, alors que plusieurs proviennent de l’essence de l’âme, comme des propriétés [proviennent] des éléments essentiels d’une chose, que l’origine d’une puissance présuppose l’origine d’une autre [puissance], par l’intermédiaire de laquelle elle procède d’une certaine manière de l’âme, ce qu’on peut saisir à partir des actes. En effet, l’acte d’une puissance présuppose nécessairement l’acte d’une autre [puissance] : ainsi, l’acte de la [puissance] appétitive [présuppose] l’acte de la [puissance] intellective. De là vient que, de même que la force (virtus) de l’essence de l’âme demeure dans une puissance, de même, la force (virtus) de la puissance qui précède demeure dans la suivante ; et de là vient qu’une puissance regroupe en elle-même les forces (virtutes) de plusieurs puissances. Il en est ainsi du libre arbitre, ce qui ressort clairement de son acte. En effet, choisir, qu’on dit être son acte, comporte un jugement et un désir ; choisir consiste donc à donner préférence à une chose plutôt qu’à une autre. Or, ces deux choses ne peuvent être accomplies sans la puissance de la volonté et de la raison. Il ressort donc clairement que le libre arbitre regroupe la force de la volonté et de la raison, ce pour quoi on dit qu’il est une faculté des deux.

[5526] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod contingit aliquam potentiam esse determinatam in se, quae tamen universale imperium super omnes actus habet, sicut patet in voluntate; unde liberum arbitrium propter hoc dicitur non pars animae, sed tota anima, non quia non sit determinata potentia, sed quia non se extendit per imperium ad determinatos actus, sed ad omnes actus hominis qui libero arbitrio subjacent.

1. Il arrive qu’une puissance, déterminée en elle-même possède un commandement universel sur tous les actes, comme cela ressort pour la volonté. Pour cette raison, on dit que le libre arbitre n’est pas une partie de l’âme, mais l’âme tout entière, non pas parce qu’il n’est pas une puissance déterminée, mais parce que, en vertu de son commandement, il ne s’étend pas à des actes déterminés, mais à tous les actes de l’homme qui sont soumis au libre arbitre.

[5527] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod liberum arbitrium dicitur facultas voluntatis et rationis non quia utramque essentialiter comprehendat, sed virtualiter, ut dictum est.

2. Le libre arbitre est appelé une propriété de la volonté et de la raison, non pas parce qu’il comprend les deux de manière essentielle, mais de manière virtuelle, comme on l’a dit.

[5528] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod actus aliquis attribuitur alicui potentiae dupliciter. Vel quia elicit ipsum sicut proprium, sicut visus videre et intellectus intelligere, et sic libero arbitrio assignatur actus ille qui est eligere. Alio modo quia imperat ipsum; et hoc modo actus omnium virium obedientium rationi possunt voluntati attribui quae est motor omnium virium: et ita etiam actus diversarum virium libero arbitrio attribuuntur.

3. Un acte est attribué à une puissance de deux manières. Soit parce qu’elle le produit comme son acte propre, comme le fait de voir pour la vue et d’intelliger pour l’intellect ; ainsi attribue-t-on au libre arbitre l’acte qui consiste à choisir. Soit qu’elle le commande ; de cette manière, les actes de toutes les puissances qui obéissent à la raison peuvent être attribués à la volonté, qui est le moteur de toutes les puissances. C’est ainsi que les actes de différentes puissances sont attribués au libre arbitre.

[5529] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod eligere non pertinet ad omnes vires, sed ad aliquam determinate, quamvis unaquaeque vis in suum conveniens tendat et contrarium refugiat: hoc enim non fit ipsa vi eligente, sed vel propter ordinem naturalem potentiae ad objectum (sicut lapis naturaliter descendit et non per electionem), vel per electionem liberi arbitrii: quia, sicut dicit Augustinus, intelligentia non solum sibi intelligit, sed toti animae, et similiter voluntas non soli sibi vult; et sic de aliis.

4. Choisir ne relève pas de toutes les puissances, mais d’une [puissance] de manière déterminée, bien que toutes les puissances tendent vers ce qui leur convient et fuient ce qui leur est contraire. En effet, cela ne se produit pas par une puissance qui choisit, mais soit par l’ordre naturel d’une puissance à son objet (comme la pierre descend naturellement, et non par choix), soit par un choix du libre arbitre, car, ainsi que le dit Augustin, « l’intelligence n’intellige pas seulement pour elle-même, mais pour l’âme tout entière » ; de même, la volonté ne veut pas seulement pour elle-même. Et ainsi de suite pour les autres.

[5530] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod virtus et vitium dicuntur esse in aliquo dupliciter. Vel sicut in causa; et hoc modo sunt in libero arbitrio et voluntate vel quantum ad habitus, sicut in acquisitis habitibus, vel saltem quantum ad actus, quantum ad infusos. Alio modo ut in subjecto: et hoc modo contingit in diversis potentiis animae virtutes et vitia esse, ut supra dictum est.

5. On dit que la vertu et le vice sont présents chez quelqu’un de deux façons. Soit comme dans leur cause : de cette façon, ils sont présents dans le libre arbitre et dans la volonté, ou bien quant à l’habitus, comme pour les habitus acquis, ou bien quant à l’acte, pour les habitus infus. Soit comme dans leur sujet : de cette façon, les vertus et les vices peuvent être présents dans différentes puissances de l’âme, comme on l’a dit plus haut.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum liberum arbitrium sit potentia distincta a voluntate et ratione

 

Article 3 – Le libre arbitre est-il une puissance distincte de la volonté et de la raison ?

[5532] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod liberum arbitrium sit potentia distincta a voluntate et ratione. Actus enim cujuslibet potentiae denominatur ab ipsa potentia, sicut velle a voluntate, et intelligere ab intellectu. Sed eligere neque a voluntate neque a ratione denominatur. Ergo cum sit actus liberi arbitrii, videtur quod liberum arbitrium sit potentia ab utraque discreta.

1. Il semble que le libre arbitre soit une puissance distincte de la volonté et de la raison. En effet, l’acte de n’importe quelle puissance est nommé d’après la puissance elle-même, comme vouloir d’après la volonté et intelliger d’après l’intellect. Or, choisir n’est nommé ni d’après la volonté, ni d’après la raison. Puisque c’est un acte du libre arbitre, il semble donc que le libre arbitre soit une puissance distincte des deux.

[5533] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, liberum arbitrium importat judicium et libertatem. Sed utrumque istorum simul nec voluntati convenit, cujus non est judicare, nec rationi, quae violentia argumenti cogitur. Ergo liberum arbitrium est potentia ab utraque discreta.

2. Le libre arbitre comporte jugement et liberté. Or, ces deux choses ne conviennent pas en même temps à la volonté, à qui il n’appartient pas de juger, ni à la raison, qui est forcée par la violence d’un argument. Le libre arbitre est donc une puissance distincte des deux.

[5534] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, ut philosophus dicit in 3 Ethic., voluntas est finis; electio autem non est finis, sed eorum quae sunt ad finem. Ergo cum eligere sit liberi arbitrii, liberum arbitrium erit alia potentia a voluntate.

3. Comme le Philosophe le dit dans Éthique, III, la volonté porte sur la fin. Or, le choix ne porte pas sur la fin, mais sur ce qui se rapporte à la fin. Puisque choisir relève du libre arbitre, le libre abitre sera donc une autre puissance que la volonté.

[5535] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, ut philosophus dicit, in operativis finis se habet per modum principii in speculativis. Sed non ad eamdem virtutem pertinent principia et conclusiones in speculativis: quia intellectus principiorum est, et scientia conclusionum. Ergo nec in operativis ad eamdem virtutem pertinet finis et id quod est ad finem; et ita voluntas, cujus objectum est finis, et liberum arbitrium quod est electivum ejus quod est ad finem, non sunt una potentia.

4. Comme le dit le Philosoophe, en matière d’actions, la fin joue le rôle du principe en matière spéculative. Or, en matière spéculative, les principes et les conclusions ne relèvent pas de la même vertu, car l’intelligence porte sur les principes et la science, sur les conclusions. En matière d’actions non plus, la fin et ce qui se rapporte à la fin ne relèvent donc pas de la même vertu. Ainsi, la volonté, dont l’objet est la fin, et le libre arbitre, qui choisit ce qui se rapporte à la fin, ne sont donc pas une seule puissance.

[5536] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, potentia quae habet judicium de actibus aliarum, est discreta ab eis, sicut sensus communis a sensibus particularibus. Sed liberum arbitrium habet judicium de actibus omnium potentiarum, quod etiam ipsum nomen sonat, a judicando impositum, et etiam super actum ipsius voluntatis, cum philosophi liberum arbitrium definiant esse liberum de voluntate judicium. Ergo videtur quod liberum arbitrium sit potentia discreta a voluntate, et ab aliis viribus.

5. La puissance à qui il revient de juger des actes des autres [puissances] est distincte d’elles, comme le sens commun l’est des sens particuliers. Or, il revient au libre arbitre de juger des actes de toutes les puissances, ce que signifie son nom même, qui vient de juger, et aussi de l’acte de la volonté elle-même, puisque les philosophes définissent le libre arbitre comme un jugement libre portant sur la volonté. Il semble donc que le libre arbitre soit une puissance distincte de la volonté et des autres puissances.

[5537] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra, per virtutes affectivas et apprehensivas sufficienter dividuntur vires intellectivae partis. Sed voluntas et ratio comprehendunt sufficienter apprehensionem intellectivam, et affectionem. Ergo liberum arbitrium non est aliud ab utroque.

Cependant, [1] les puissances de la partie intellective sont suffisamment divisées en puissances affectives et puissances cognitives. Or, la volonté et la raison incluent suffisamment la connaissance intellectuelle et l’affectivité. Le libre arbitre n’est donc pas différent des deux.

[5538] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, Commentator dicit super 11 Metaph., quod substantiae separatae dividuntur in voluntatem et intellectum solummodo. Constat autem quod in substantiis separatis est liberum arbitrium, sicut in Deo et in Angelis. Ergo liberum arbitrium non est potentia separata a voluntate et ratione vel intellectu.

[2] Le Commentateur dit, à propos de Métaphysique, XI, que les substances séparées comportent seulement une division entre volonté et intellect. Or, il est certain que le libre arbitre existe chez les substances séparées, comme en Dieu et dans les anges. Le libre arbitre n’est donc pas une puissance séparée de la volonté et de la raison ou de l’intellect.

[5539] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod quidam dicunt liberum arbitrium esse potentiam distinctam a voluntate et ratione. Ad hoc autem ponendum diversi diversis viis moventur. Quidam enim ponunt liberum arbitrium esse unam potentiam habentem judicium super actus omnium potentiarum: propter quod liberum arbitrium nominatur, quod judicium importat. Sed hoc non videtur: quia judicare de actibus omnium potentiarum non potest convenire alicui potentiae quae sit aliud quam voluntas vel ratio; praecipue cum Anselmus dicat, quod voluntas est motor omnium virium: oportet enim ut ea quae est liberrima, super alias dominium et imperium habeat. Alii vero alia via ad hoc moventur magis idonea, scilicet ex diversitate actuum. Vident enim eligere, quod est actus liberi arbitrii, esse aliud quam velle simpliciter, et aliud quam ratiocinari; et ideo inducunt hunc actum in quamdam potentiam a voluntate et ratione distinctam, quam liberum arbitrium nominant, quod ponunt quodammodo medium inter voluntatem et rationem, et quodammodo posterius utraque: secundum enim ordinem naturae et dignitatis oportet quod utramque sequatur, scilicet voluntatem et rationem, cum liberum arbitrium sit ab essentia animae procedens, praesupposita ratione et voluntate; quod etiam ipse actus ostendit, quia eligere non est nisi prius apprehenso fine per rationem, et desiderato per voluntatem. Deficit etiam a dignitate voluntatis, cujus objectum est principale bonum, scilicet finis; liberi autem arbitrii objectum est secundarium bonum, quod est eligibile ad finem; sed quantum ad participationem proprietatis utriusque, naturam medii habet, ut ex ratione habeat judicium, et ex voluntate desiderium, secundum quod virtutes praecedentium potentiarum in sequentibus relinquuntur, ut dictum est. Sed istud videtur extraneum, etsi probabiliter dicatur: quia philosophi qui potentias animae subtiliter scrutati sunt, nullam potentiam in intellectiva parte praeter voluntatem et rationem, sive intellectum posuerunt: et ideo non videtur quod liberum arbitrium sit alia potentia a voluntate et ratione; quod etiam ex suo actu patet. Dicit enim philosophus, quod electio vel est intellectus appetitivus, vel appetitus intellectivus: et hoc magis videntur sua verba sonare, quod electio sit actus appetitus voluntatis, secundum tamen quod manet in ea virtus rationis et intellectus: quod sic patet. Quandocumque enim est aliquis actus alicujus potentiae secundum quod manet in ea virtus alterius, semper ille actus illi potentiae attribuitur qua mediante producitur. Verbi gratia, intellectus principiorum est; ratio autem proprie, ut Isaac dicit, est faciens currere causam in causatum; unde proprie actus rationis est deducere principium in conclusionem. Hoc ergo quod est conclusiones elicere, est actus rationis, secundum quod manet in ea virtus intellectus; unde magis proprie attribuitur rationi quam intellectui. Ita etiam electionem praecedit consilium, ut in 3 Ethic. dicitur, sicut disputatio conclusionem; est enim electio praeconsiliati appetitus: et ita eligere erit principaliter actus voluntatis, non tamen absolute, sed secundum quod manet in ea virtus intellectus, vel rationis consiliantis; unde sic consideratam voluntatem nominat liberum arbitrium, et non absolute.

Réponse. Certains disent que le libre arbitre est une puissance distincte de la volonté et de la raison. Pour affirmer cela, divers [auteurs] empruntent diverses voies. En effet, certains affirment que le libre arbitre est une puissance qui possède le jugement sur les actes de toutes les puissances ; c’est parce qu’il comporte un jugement qu’il est appelé libre arbitre. Mais ce ne semble pas être le cas, car juger des actes de toutes les puissances ne peut convenir à une puissance qui soit autre chose que la volonté ou la raison, surtout qu’Anselme dit que « la volonté est le moteur de toutes les puissances ». En effet, il faut que celle qui est la plus libre possède la maîtrise et le commandement sur les autres. Mais d’autres empruntent une autre voie plus appropriée : celle qui part de la diversité des actes. En effet, ils voient que choisir, qui est l’acte du libre arbitre, est autre chose que le simple vouloir et autre chose que raisonner. Ils en concluent donc que cet acte [se trouve] dans une puissance distincte de la volonté et de la raison, qu’ils appellent libre arbitre et situent en quelque sorte entre la volonté et la raison, et, d’une certaine manière, subséquente aux deux. En effet, selon un ordre de nature et de dignité, il faut qu’il suive les deux, la volonté et la raison, puisque le libre arbitre procède de l’essence de l’âme, en présupposant la raison et la volonté. D’ailleurs l’acte lui-même le montre, car choisir ne porte que sur la fin qui est d’abord appréhendée par la raison et désirée par la volonté. Il est aussi inférieur à la dignité de la volonté, dont l’objet est le bien principal, c’est-à-dire la fin ; or, l’objet du libre arbitre est un bien secondaire, qui est éligible en vue de la fin. Mais, pour ce qui est la participation à ce qui est propre aux deux, [le libre arbitre] a la nature d’un milieu, de sorte qu’il possède la jugement à partir de la raison et le désir à partir de la volonté, selon que la force des puissances précédentes persistent dans celles qui suivent, ainsi qu’on l’a dit. Mais cela semble étranger au sujet, même si cela est dit de manière probable, car les philosophes qui ont finement scruté les puissances de l’âme n’ont situé aucune puissance dans la partie intellective, sauf la volonté et la raison ou l’intellect. C’est pourquoi il ne semble pas que le libre arbitre soit une autre puissance que la volonté et la raison, ce qui ressort aussi clairement de son acte. En effet, le Philosophe dit que le choix est le fait soit de l’intellect appétitif, soit de l’appétit intellectif, et ses paroles semblent être davantage en harmonie avec le fait que le choix est un acte de l’appétit de la volonté, mais que demeure cependant en lui la force de la raison et de l’intellect. Cela apparaît de la manière suivante. Chaque fois qu’il y a un acte d’une puissance, alors que demeure en elle la force d’une autre, cet acte est toujours attribué à la puissance par l’intermédiaire de laquelle il est produit. Par exemple, l’intelligence porte sur les principes, mais la raison au sens propre, comme le dit Isaac, « fait courir de cause en cause » ; l’acte de la raison consiste donc à déduire une conclusion à partir d’un principe. Le fait de faire apparaître des conclusions est donc un acte de la raison, selon que demeure en elle la force de l’intellect ; aussi est-il attribué en propre plutôt à la raison qu’à l’intelligence. De même aussi, le conseil précède-t-il le choix, comme on le dit dans Éthique, III, comme la dispute la conclusion. En effet, le choix est le désir de ce qui a d’abord été délibéré. Ainsi, choisir sera principalement un acte de la volonté, non pas cependant de manière absolue, mais selon que demeure en elle la force de l’intelligence ou de la raison qui délibère. Le libre arbitre désigne donc la volonté ainsi considérée, mais non pas [considérée] de manière absolue.

[5540] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod actus qui est absolute actus potentiae, denominatur ab ipsa potentia: actus vero qui est unius secundum ordinem ad aliam, non denominatur ab aliqua earum; sicut scire neque a ratione neque ab intellectu nominatur; ita etiam eligere neque a voluntate neque a ratione.

1. L’acte qui est l’acte d’une puissance de manière absolue est nommé d’après la puissance même ; mais l’acte qui est celui d’une [puissance] selon son ordre à une autre n’est pas nommé par l’une d’elle. Ainsi, savoir n’est nommé ni d’après la raison, ni d’après l’intelligence. De la même manière aussi, choisir [n’est-il nommé] ni d’après la volonté, ni d’après la raison.

[5541] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod quamvis judicium non pertineat ad voluntatem absolute, judicium tamen electionis, quae tenet locum conclusionis, ad voluntatem pertinet, secundum quod in ea virtus rationis manet.

2. Bien que le jugement de relève pas de la volonté de manière absolue, le jugement sur le choix, qui joue le rôle de conclusion, relève de la volonté, selon que la force de la raison demeure en elle.

[5542] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod unaquaeque potentia definitur ex eo quod est per se objectum ejus, et formaliter. Cum autem objectum voluntatis sit bonum, propter hoc a fine principaliter describitur, quia habet per se rationem boni. Id autem quod est ad finem, non est bonum inquantum hujusmodi absolute, sed ex ordine ad finem; sed tamen secundum hoc quod participat rationem boni, est objectum voluntatis, secundum scilicet quod in voluntate est vis rationis ordinantis.

3. Chaque puissance est définie à partir de ce qui est son objet par soi et de manière formelle. Puisque l’objet de la volonté est le bien, elle est donc pour cette raison principalement décrite à partir de la fin, car celle-ci a par elle-même raison de bien. Mais ce qui se rapporte à la fin n’est pas bien en tant que tel de manière absolue, mais par rapport à la fin ; cependant, dans la mesure où il participe à la raison de bien, il est l’objet de la volonté, selon qu’existe dans la volonté la force de la raison qui ordonne.

[5543] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod quamvis principia et conclusiones pertineant ad diversos habitus animae, non tamen pertinent ad diversas potentias. Vel melius dicendum, quod si etiam ratio et intellectus diversae potentiae ponantur, non tamen propter hoc sequitur quod voluntas et liberum arbitrium sint diversae potentiae: nihil enim dividitur essentialiter per id quod est accidentale sibi, sed per id quod est essentiale. Conferre autem et ordinare virtuti apprehensivae per se convenit, appetitivae autem non nisi per accidens, secundum quod est in ea vis apprehensivae: et ideo virtus apprehensiva convenienter dividitur in virtutem quae absolute accipit verum, sicut est intellectus, et quae est cum collatione, sicut est ratio; sed appetitiva non debet dividi in eam quae accipit bonum absolute, et in eam quae accipit bonum in ordine ad aliud, quia ille ordo non est a voluntate, sed a ratione; unde voluntas est magis ordinati vel collati, quam conferens seu ordinans.

4. Bien que les principes et les conclusions relèvent de divers habitus de l’âme, ils ne relèvent cependant pas de diverses puissances. Pour mieux dire, si on affirme que la raison et l’intellect sont des puissances différentes, il ne découle pas de cela que la volonté et le libre arbitre soient des puissances différentes. En effet, rien ne se distingue essentiellement par quelque chose qui lui est accidentel, mais par ce qui lui est essentiel. Or, rapprocher et ordonner convient par soi à la puissance cognitive, mais par accident seulement à la [puissance] appétitive, selon qu’existe en elle la force de [la puissance] cognitive. C’est pourquoi la puissance cognitive se divise de manière appropriée en puissance qui saisit le vrai de manière absolue, comme c’est le cas de l’intelligence, et [en puissance] qui comporte un rapprochement, comme c’est le cas de la raison ; mais [la puissance] appétitive ne doit pas être divisée en celle qui saisit le bien de manière absolue et celle qui saisit le bien par rapport à autre chose, car cet ordre n’est pas le fait de la volonté, mais de la raison. Aussi la volonté porte-t-elle plutôt sur ce qui est ordonné ou rapproché, que sur ce qui rapproche ou ordonne.

[5544] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod non oportet quod judicium actus cujuslibet potentiae pertineat ad aliam potentiam, quia sic abiretur in infinitum; sed est devenire ad summas potentias, quae super suos actus reflectuntur, sicut est voluntas et ratio; et ideo non oportet quod sit alia potentia judicans de actu voluntatis et rationis. Judicium autem liberi arbitrii intelligitur judicium electionis; unde quod dicitur liberum de voluntate judicium, ly de non denotat causam materialem, quasi voluntas sit id de quo est judicium, sed originem libertatis; quia quod electio sit libera, hoc est ex natura voluntatis.

5. Il n’est pas nécessaire que le jugement sur l’acte de n’importe quelle puissance relève d’une autre puissance, car on remonterait ainsi à l’infini ; mais il faut remonter jusqu’aux puissances les plus élevées, qui réfléchissent sur leurs propres actes, comme c’est le cas de la volonté et de la raison. Il n’est donc pas nécessaire qu’il existe une autre puissance qui juge de l’acte de la volonté et de la raison. Or, le jugement du libre arbitre s’entend du jugement du choix ; aussi lorsqu’on parle de « libre » pour le jugement qui vient de la volonté, « de » ne désigne pas la cause matérielle, comme si la volonté était ce qui sur quoi porte le jugement, mais l’origine de la liberté, car le fait que l’élection soit libre vient de la nature de la volonté.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum Adam potuerit vitare peccatum per liberum arbitrium in primo statu

Article 4 – En son premier état, Adam pouvait-il éviter le péché par son libre arbitre ?

[5546] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Adam in primo statu per liberum arbitrium non poterat peccatum vitare. Quia, sicut dicit Augustinus in Lib. de vera innocentia, natura humana etsi in illa integritate in qua condita est, permaneret, nullo tamen modo seipsam sine creatore adjuvante servaret. Sed sua conservatio erat ut sine peccato maneret. Ergo videtur quod per liberum arbitrium peccatum vitare non poterat.

1. Il semble qu’Adam, en son premier état, ne pouvait pas éviter le péché par son libre arbitre, car, comme le dit Augusstin, dans le livre Sur la véritable innocence, « même si la nature humaine avait conservé l’intégrité dans laquelle elle a été créée, elle ne l’aurait cependant aucunement conservée sans l’aide du Créateur ». Or, sa conservation consistait en ce qu’elle reste sans péché. Il semble donc qu’elle ne pouvait pas éviter le péché par son libre arbitre.

[5547] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 2Praeterea, liberum arbitrium, ut in littera dicitur, est quo malum eligitur gratia desistente. Sed Adam in primo statu gratiam non habuit; alias proficere potuisset ad meritum vitae. Ergo videtur quod oportebat illum malum eligere.

2. Comme le dit le texte, « le libre arbitre est ce par quoi le mal est choisi, lorsque disparaît la grâce ». Or, en son premier état, Adam n’avait pas la grâce, autrement il aurait pu progresser vers le mérite de la vie. Il semble donc qu’il lui fallait choisir le mal.

[5548] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 3Praeterea, vincenti debetur corona. Sed resistere tentationi, est tentationem vincere. Si ergo per liberum arbitrium potuisset tentationi resistere, videtur quod per liberum arbitrium coronam mereri potuisset; quod falsum est, et in littera negatur.

3. La couronne est due au vainqueur. Or, résister à la tentation, c’est vaincre la tentation. S’il avait pu résister à la tentation par son libre arbitre, il semble donc qu’il aurait pu mériter la couronne par son libre arbitre, ce qui est faux et est nié dans le texte.

[5549] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 4Praeterea, vitare peccatum est quoddam laudabile. Sed opus laudabile proficit ad meritum vitae, quia opus laudabile est actus virtutis. Si ergo peccatum vitare potuit per se, etiam potuit ad meritum vitae proficere; quod in littera negatur.

4. Éviter le péché est quelque chose de louable. Or, une action louable profite au mérite de la vie, car l’action louable est un acte vertueux. S’il pouvait éviter le péché par lui-même, il pouvait donc aussi progresser vers le mérite de la vie, ce qui est nié dans le texte.

[5550] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 4 s. c. 1Sed contra, nulli imputandum est, si facit illud quod vitare non potest. Sed homini imputatum est ad poenam, quod peccato non restitit. Ergo peccatum vitare potuit.

Cependant, [1] il ne faut imputer à personne de faire ce qu’il ne peut éviter. Or, l’homme s’est vu imputer à titre de peine de ne pas avoir résisté au péché. Il pouvait donc éviter le péché.

[5551] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 4 s. c. 2Praeterea, in rebus naturalibus simul datur rei generatae forma specifica, et virtus sese conservandi in esse specifico. Sed opera Dei sunt perfectiora quam opera naturae. Cum ergo homini rectitudinem voluntatis dederit, videtur quod dedit ei potentiam conservandi se in illa rectitudine. Sed hoc non potuit nisi peccatum vitando. Ergo videtur quod per liberum arbitrium peccatum vitare potuit.

[2] Dans les réalités naturelles, la forme spécifique d’une chose est donnée en même temps que la capacité de se maintenir dans son être spécifique. Or, les œuvres de Dieu sont plus parfaites que les œuvres de la nature. Puisque [Dieu] a donné à l’homme la droiture de la volonté, il semble donc qu’il lui ait donné la puissance de se maintenir dans cette droiture. Or, [l’homme] ne pouvait faire cela sans éviter le péché. Il semble donc qu’il pouvait éviter le péché par le libre arbitre.

[5552] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod hoc quod aliquis non possit vitare peccatum, potest intelligi dupliciter. Uno modo ita quod ad peccatum per violentiam impellatur: et hoc omnino libertati arbitrii repugnat, quae coactionem non patitur. Alio modo quia liberum arbitrium ad malum inclinatur vel per habitum aliquem, vel per passionem, cui liberum arbitrium succumbit. Neutro autem modo potest dici de primo homine, quod peccato resistere non posset; quia et verum liberum arbitrium habebat, et integrum; unde nec passiones inerant quae ad malum impellerent, nec habitus perversus naturam corrumpens; quae omnia ex peccato consecuta sunt; et ideo non solum habuit quod peccato resistere posset, sed quod etiam illud facile potuerit; quod etiam peccatum ejus aggravavit, ut supra dictum est.

Réponse. Le fait pour quelqu’un de ne pas pouvoir éviter le péché peut s’entendre de deux manières. D’une manière, de telle sorte qu’il soit poussé au péché par la violence. Cela s’oppose tout à fait au libre arbitre, qui ne souffre pas de coercition. D’une autre manière, parce que le libre arbitre est enclin au mal soit par un habitus, soit par une passion, auxquels le libre arbitre succombe. Or, on ne peut affirmer d’aucune des deux manières du premier homme qu’il n’aurait pas pu résister au péché, car il possédait un libre arbitre véritable et intact ; aussi n’y avait-il pas de passions qui le pousseraient au mal, ni d’habitus déréglé qui corrompait la nature, qui découlent tous du péché. Aussi n’était-il pas seulement en état de pouvoir résister au péché, mais il le pouvait facilement, ce qui a aggravé son péché, comme on l’a dit plus haut.

[5553] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod Deus operatur in voluntate et natura, sicut prima causa in causis secundis: et ideo sine ipso adjuvante nec lapis in esse conservaretur, nec deorsum tenderet; similiter etiam nec humana natura sine eo vel consistere potest, vel rectum motum voluntatis habere. Non tamen propter hoc sequitur quod aliquo dono naturalibus superaddito, quod scilicet in sui conditione acceperit, indigeret, ut peccatum vitaret.

1. Dieu agit à l’intérieur de la volonté et de la nature, comme la cause première [agit] à l’intérieur des causes secondes. Aussi, sans son aide, ni la pierre ne serait-elle maintenue dans l’être, ni ne tendrait-elle vers le bas. De même aussi, la nature humaine ne peut-elle subsister sans lui, ni avoir un mouvement de la volonté qui soit droit. Il ne découle cependant pas de cela que, pour éviter le péché, il avait besoin de l’ajout d’un don à ses éléments essentiels, [don] qu’il aurait reçu lors de sa création.

[5554] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod hic est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod homo in gratia creatus est; et isti dicunt, quod est duplex profectus: unus ad meritum, et hunc habere poterat per id quod jam acceperat; et alius ad confirmationem beatitudinis, et hunc per id quod tunc acceperat, habere non poterat. Sed supposito etiam, secundum aliam opinionem, quod gratiam gratum facientem non habuerit, adhuc non sequitur quod non potuerit peccatum vitare: cum enim dicitur, quod liberum arbitrium eligit malum gratia desistente, non intelligitur obligatio liberi arbitrii sine gratia considerati ad malum; sed ostenditur quod liberum arbitrium per se sine gratia potest in malum, non autem sine gratia potest in bonum meritorium.

2. Ici, il y a une double opinion. En effet, certains disent que l’homme a été créé dans la grâce. Ceux-ci disent qu’il existe un double progrès : l’un vers le mérite, et il pouvait avoir celui-ci en vertu de ce qu’il avait déjà reçu ; l’autre, en vue de la confirmation de la béatitude, et il ne pouvait avoir celui-ci par ce qu’il avait déjà reçu. Mais, à supposer que, selon une autre opinion, il n’avait pas la grâce sanctifiante, il n’en découle pas non plus qu’il ne pouvait pas éviter le péché. En effet, lorsqu’on dit que le libre arbitre choisit le mal lorsque la grâce fait défaut, on n’entend pas que ce libre arbitre soit obligé au mal sans la grâce, mais on montre que le libre arbitre sans la grâce peut de lui-même [choisir] le mal, mais qu’il ne peut accomplir un bien méritoire sans la grâce.

[5555] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod non cuilibet victoriae debetur corona vitae aeternae, sed ei quae est gratia gratum faciente informata; frequenter enim etiam peccatores alicui tentationi resistunt, per quod tamen vitam aeternam non merentur.

3. La couronne de la vie éternelle n’est pas due à n’importe quelle victoire, mais à celle qui a la forme de la grâce sanctifiante. En effet, les pécheurs résistent fréquemment à une tentation, mais ils ne méritent cependant pas la vie éternelle à cause de cela.

[5556] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 1 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod non omnis actus laudabilis est virtute informatus: quia et actus qui sunt ad virtutem, vel sicut causantes acquisitam, vel sicut disponentes ad infusam, sunt laudabiles: nec etiam actus quacumque virtute informatus, est meritorius, sed ille tantum quem informat virtus gratiae gratum facienti, et caritati coniunctae.

4. Tout acte louable n’a pas la forme de la vertu, car les actes qui sont accomplis en vue de la vertu causant une vertu acquise ou disposant à une [vertu] infuse sont louables. L’acte qui a la forme de n’importe quelle vertu n’est pas non plus méritoire, mais seulement celui auquel la puissance de la grâce sanctifiante donne sa forme et qui est associé à la charité chez celui qui l’accomplit.

 

 

QUAESTIO 2

Question 2 – [Les puissances associées au libre arbitre]

 

 

PROOEMIUM

Prologue

[5557] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 pr.Deinde quaeritur de virtutibus libero arbitrio annexis; et quaeruntur quatuor: 1 de sensualitate, quid sit; 2 de superiori et inferiori parte rationis; 3 de synderesi; 4 de conscientia.

On s’interroge ensuite sur les puissances associées au libre arbitre. Quatre questions sont posées : 1. Qu’est-ce que la sensualité ? 2. À propos de la partie supérieure et de la partie inférieure de la raison. 3. À propos de la syndérèse. 4. À propos de la conscience.

 

 

ARTICULUS 1 Utrum notificatio sensualitatis posita in littera sit conveniens

Article 1 – Le signalement de la sensualité donné dans le texte est-il approprié ?

[5559] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter notificetur in littera sensualitas. Differt enim sensualitas a ratione, ut in littera dicitur. Sed inferior portio rationis est quaedam vis ex qua procedit appetitus rerum ad corpus pertinentium: quia temporalibus administrandis intendit, ut in littera dicitur. Ergo inconvenienter per haec sensualitas describitur.

1. Il semble que la sensualité soit signalée de manière inappropriée dans le texte. En effet, la sensualité diffère de la raison, comme le dit le texte. Or, la partie inférieure de la raison est une puissance dont procède le désir des choses qui se rapportent au corps, car elle s’occupe d’administrer les réalités temporelles, comme le dit le texte. La sensualité est donc décrite de manière inappropriée.

[5560] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 2Praeterea, ut in littera dicitur, quidquid commune cum bestiis habemus, hoc ad sensualitatem pertinet. Sed vires sensitivae apprehensivae nobis pecoribusque communes sunt. Ergo ad sensualitatem pertinent. Sed ex apprehensivis non procedit appetitus et motus. Ergo inconvenienter per haec sensualitas describitur.

2. De plus, comme le dit le texte, tout ce que nous avons en commun avec les bêtes, se rapporte à la sensualité. Or, nous avons en commun avec les animaux les puissances cognitives sensibles. Elles se rapportent donc à la sensualité. Or, le désir et le mouvement ne procèdent pas des [puissances] cognitives. La sensualité est donc ainsi décrite de manière inappropriée.

[5561] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 3Praeterea, secundum philosophum in 2 Elenc., eadem est ratio rei et unius rei. Sed sensualitas non est una vis animae: quia si colligit apprehensivas et appetitivas, constat quod plures sunt: similiter etiam si colligit appetitivas tantum, quia appetitus sensibilis, qui nobis et pecoribus communis est, in duo dividitur, scilicet in desiderium et in animum, ut in 3 de anima dicitur, sive irascibilem et concupiscibilem, quod idem est. Ergo videtur quod inconvenienter dicat sensualitatem esse vim animae quamdam.

3. Selon le Philosophe, Elench., II, la raison de la chose et d’une seule chose est la même. Or, la sensualité n’est pas une seule puissance de l’âme, car, si elle regroupe les [puissances] cognitives et appétitives, il est sûr qu’elles sont plusieurs ; de même, si elle ne regroupe que les [puissances] appétitives, car l’appétit sensible, qui est commun à nous et aux animaux, se divise en deux : le désir et la colère, comme il est dit dans Sur l’âme, III, ou l’irascible et le concupiscible, ce qui est la même chose. Il semble donc que [le Maître] dise de manière inappropriée que la sensualité est une puissance de l’âme.

[5562] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 4Praeterea, unius virtutis est unus actus. Sed ipsi sensualitati duos actus attribuit, idest appetitum et motum. Ergo inconvenienter eam describit sicut unam quamdam vim.

4. Il n’y a qu’un seul acte pour une seule puissance. Or, [le Maître] attribue deux actes à la sensualité : l’appétit et le mouvement. Il la décrit donc de manière inappropriée comme une seule puissance.

[5563] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 5Praeterea, si sensualitas est una vis, non potest esse nisi quod sit appetitus sensibilis. Sed appetitus non est ex appetitu. Ergo videtur quod inconvenienter dicat sensualitatem esse ex qua est appetitus rerum ad corpus pertinentium.

5. Si la sensualité est une seule puissance, ce ne peut être que parce qu’elle est l’appétit sensible. Or, l’appétit ne vient pas de l’appétit. Il semble donc que [le Maître] dise de manière inappropriée que la sensualité est ce dont provient le désir des choses qui se rapportent au corps.

[5564] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod differt sensualitas et sensibilitas; sensibilitas enim omnes vires sensitivae partis comprehendit, tam apprehensivas de foris, quam apprehensivas de intus, quam etiam appetitivas; sensualitas autem magis proprie illam tantum partem nominat per quam movetur animal in aliquod appetendum vel fugiendum. Sicut autem est in intelligibilibus, quod illud quod est apprehensum, non movet voluntatem nisi apprehendatur sub ratione boni vel mali, propter quod intellectus speculativus nihil dicit de imitando, vel fugiendo, ut in 3 de anima dicitur; ita etiam est in parte sensitiva, quod apprehensio sensibilis non causat motum aliquem, nisi apprehendatur sub ratione convenientis vel inconvenientis: et ideo dicitur in 2 de anima, quod ad ea quae sunt in imaginatione hoc modo nos habemus ac si essemus considerantes aliqua terribilia in picturis, quae passionem non excitarent vel timoris vel alicujus hujusmodi. Vis autem apprehendens hujusmodi rationes convenientis et non convenientis, videtur virtus aestimativa, per quam agnus fugit lupum et sequitur matrem; quae hoc modo se habet ad appetitum partis sensibilis, sicut se habet intellectus practicus ad appetitum voluntatis; unde, proprie loquendo, sensualitas incipit ex confinio aestimativae et appetitivae consequentis, ut hoc modo se habeat sensualitas ad partem sensitivam, sicut se habet voluntas et liberum arbitrium ad partem intellectivam. Hoc autem conveniens quod sensualitatem movet, aut ratio suae convenientiae, aut est apprehensa a sensu, sicut sunt delectabilia secundum singulos sensus, quae animalia persequuntur: aut est non apprehensa a sensu; sicut inimicitiam lupi neque videndo neque audiendo ovis percipit, sed aestimando tantum: et ideo motus sensualitatis in duo tendit: in ea scilicet quae secundum exteriores sensus delectabilia sunt; et hoc est quod dicitur, quod ex sensualitate est motus qui intenditur in corporis sensus: aut ad ea quae nociva vel convenientia corpori secundum solam aestimationem cognoscuntur; et sic ex sensualitate dicitur esse appetitus rerum ad corpus pertinentium.

Réponse. La sensualité diffère de la sensibilité. En effet, la sensibilité comprend toutes les puissances de la partie sensible, aussi bien les [puissances] cognitives pour l’extérieur, que les [puissances] cognitives pour l’intérieur, et que les [puissances] appétitives. Mais la sensualité désigne plutôt, au sens propre, une partie par laquelle l’animal est mû à désirer ou à fuir quelque chose. Or, de même que, pour ce qui est intelligible, ce qui est saisi ne meut la volonté que si cela est saisi selon la raison de bien ou de mal, raison pour laquelle l’intellect spéculatif ne dit rien de l’imitation ou de la fuite, comme on le dit dans Sur l’âme, III, de même en est-il pour la partie sensible : la connaissance de ce qui sensible ne cause un mouvement que si on le connaît sous la raison de convenable ou de non convenable. C’est pourquoi on dit, Sur l’âme, II, que nous possédons ce qui se trouve dans l’imagination comme si nous considérions des choses terribles en images, qui ne susciteraient pas la passion de la crainte et de quelque chose de ce genre. Mais la puissance qui saisit les raisons de ce qui convient et de ce qui ne convient pas semble être la puissance estimative, par laquelle l’agneau fuit le loup et suit sa même ; elle se situe par rapport à l’appétit de la partie sensible comme l’intellect pratique se situe par rapport à l’appétit de la volonté. Aussi, à proprement parler, la sensualité commence-t-elle aux confins de la [partie] estimative et de la [partie] appétitive qui en découle, de sorte que la sensualité entretient le même rapport avec la partie sensible, que la volonté et le libre arbitre avec la partie intellective. Ce qui, convenant à la sensualité, la meut ou est la raison de ce qui lui convient est soit appréhendé par le sens, comme c’est le cas de ce qui est délectable pour chaque sens, et que les animaux recherchent ; soit n’est pas appréhendé par le sens, comme la brebis perçoit l’inimitié du loup sans le voir ni l’entendre, mais seulement par son estimative. Aussi le mouvement de la sensualité tend-il vers deux choses : vers ce qui est délectable selon les sens extérieurs – on dit ainsi que, venant de la sensualité, un mouvement tend vers les sens extérieurs ; ou vers les choses nuisibles ou convenant au corps, qui ne sont connues que par la seule estimative – on dit ainsi que le désir des choses qui se rapportent au corps vient de la sensualité.

[5565] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod ex ratione inferiori est etiam motus et appetitus eorum quae ad corpus pertinent; non tamen sicut ex proximo principio, sed sicut ex remoto, inquantum vires sensibiles per imperium movet, quae sunt aliqualiter obedientes rationi, ut in 1 Ethic. dicitur. Vel dicendum, quod ratio hujusmodi motum causat, non concernendo intentiones particulares et materiae concretas, sicut sensualitas; sed magis universales, et a materiae appendiciis separatas.

1. Il existe aussi un mouvement et un désir de ce qui se rapporte au corps, qui viennent de la raison inférieure, non comme de leur principe prochain, mais comme de leur principe éloigné, pour autant qu’elle meut les puissances sensibles par un commandement ; ils obéissent dans une certaine mesure à la raison, comme on le dit dans Éthique, I. Ou bien il faut dire que la raison cause un mouvement de ce genre, non pas en réunissant des intentions particulières et concrètes de la matière, comme la sensualité, mais plutôt des ìntentions universelles et séparées de ce qui se rattache à la matière.

[5566] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod ad sensualitatem aliquid pertinet dupliciter: vel sicut existens de essentia ejus; et sic videtur tantum appetitivam partem continere: vel sicut praeambulum ad ipsum, sicut et ratio ad liberum arbitrium pertinet, ut dictum est: et hoc modo etiam vires apprehensivae sensitivae pertinent ad sensualitatem, licet secundum quemdam ordinem: quia aestimativa proprie se habet ad eam sicut ratio practica ad liberum arbitrium, quae etiam est movens; imaginatio autem simplex et vires praecedentes se habent magis remote, sicut ratio speculativa ad voluntatem.

1. Une chose appartient à la sensualité de deux manières : en tant qu’elle fait partie de son essence – elle semble ainsi ne comporter que la partie appétitive ; ou en tant que son préambule, comme la raison fait partie du libre arbitre, ainsi qu’on l’a dit. De cette façon, les puissances cognitives font partie de la sensualité, bien que selon un certain ordre, car l’estimative est en rapport avec elle au sens propre, comme la raison pratique avec le libre arbitre, qui y joue un rôle de moteur ; mais la simple imagination et les puissances qui la précèdent ont avec elle des rapports plus éloignés, comme la raison spéculative avec la volonté.

[5567] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod sensualitas non nominat simpliciter unam potentiam, sed unam secundum genus, scilicet appetitivam sensitivam, quae in irascibilem et concupiscibilem dividitur. Sed tamen sciendum, quod ratione differunt sensualitas, et irascibilis et concupiscibilis. Cum enim, ut Dionysius dicit, natura inferior sui supremo, attingat infimum superioris naturae, natura sensitiva in aliquo sui quodammodo rationi conjungitur; unde et quaedam pars sensitiva, scilicet cognitiva, alio nomine ratio dicitur, propter confinium ejus ad rationem. Sic ergo dico, quod irascibilis et concupiscibilis nominant appetitum sensitivum, secundum quod completus est, et per diversa distinctus, et versus rationem tendens; unde et in homine irascibilis et concupiscibilis rationi obtemperant. Sensualitas autem nominat sensitivum appetitum, secundum quod est incompletus et indeterminatus, et magis depressus; et ideo dicitur, quod in ea non potest esse virtus, et quod est perpetuae corruptionis; et ex ipsa sua indeterminatione quamdam unitatem habet, ut quaedam vis dicatur.

3. La sensualité ne désigne pas simplement une seule puissance, mais une seule par le genre, la [partie] appétitive sensible, qui se divise en irascible et en concupiscible. Il faut cependant savoir que la sensualité, l’irascible et le concupiscible diffèrent selon la raison. En effet, comme le dit Denys, pour que la nature inférieure à ce qui lui est supérieur atteigne ce qu’il y a de plus petit dans la nature supérieure, la nature sensible est d’unue certaine manière unie par quelque chose d’elle-même à la raison. Aussi une certaine partie sensible, la cognitive, est-elle désignée d’un autre nom, la raison, parce qu’elle confine à la raison. Je dis donc que l’irascible et le concupiscible désignent l’appétit sensible, selon qu’il est complet et distinct de diverses manières, et est tourné vers la raison ; c’est ainsi que, chez l’homme, l’irascible et le concupiscible obéissent à la raison. Mais la sensualité désigne l’appétit sensible selon qu’il est incomplet et indéterminé, et plutôt abaissé ; c’est pourquoi on dit qu’il ne peut y avoir de vertu en elle, qu’elle est perpétuellement corrompue et qu’elle possède une certaine unité par son indétermination même, de sorte qu’elle est appelée une puissance.

[5568] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod si per motum intelligatur motus progressivus exterior, non inconvenienter motus et appetitus sensualitati attribuuntur, etiamsi sit una potentia, quia sunt actus non aeque primi, sed ordinem ad invicem habentes: appetitus enim interior motum exteriorem causat et sic unus mediante altero a sensualitate procedit. Si autem per motum intelligatur motus interior appetitus, tunc distinguuntur isti duo actus secundum diversa objecta, quae tamen potentiam non diversificant secundum genus: et hoc quonam modo sit, prius dictum est.

4. Si on entend par mouvement un mouvement extérieur qui avance, le mouvement et l’appétit ne sont pas attribués à la sensualité de manière inappropriée, même si elle est une seule puissance, car ses actes ne sont pas premiers, mais possèdent un ordre les uns par rapport aux autres. En effet, l’appétit intérieur cause un mouvement extérieur, et ainsi un acte procède d’un autre à partir de la sensualité. Mais si on entend par mouvement un mouvement intérieur de l’appétit, alors ces deux actes se distinguent selon leurs divers objets, qui ne sont cependant pas différents par le genre. Comme cela se produit, on l’a dit plus haut.

[5569] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod appetitus est nomen potentiae et nomen actus: unde non est inconveniens quod ex appetitu potentiae procedat appetitus actus.

5. L’appétit est le nom de la puissance et de l’acte. Il n’est donc pas inapproprié qu’un acte de l’appétit procède de l’appétit de la puissance.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum ratio superior et inferior sit una potentia

Article 2 – La raison supérieure et la raison inférieure sont-elles une seule puissance ?

[5571] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ratio superior et inferior non sit una potentia, sed diversae. In partibus enim animae non accipitur superius et inferius animae secundum situm sed secundum dignitatem. Sed inter partes animae intellectivae est invenire unam partem alia digniorem: quia intellectus agens est nobilior possibili ut in 3 de anima dicitur, quae diversae potentiae sunt, ut supra dictum est. Ergo videtur quod id quod est superius in ratione et id quod est inferius sint diversae potentiae.

1. Il semble que la raison supérieure et [la raison] inférieure ne soient pas une seule puissance, mais des [puissances] différentes. En effet, dans les parties de l’âme, on ne conçoit pas ce qui est supérieur et ce qui est inférieur dans l’âme selon le site, mais selon la dignité. Or, parmi les parties de l’âme intellective, on trouve une partie qui est plus digne qu’une autre, car, ainsi qu’il est dit dans Sur l’âme, III, l’intellect agent est plus noble que [l’intellect] possible, qui sont des puissances diverses de l’âme, comme on l’a dit plus haut. Il semble donc que ce qui est supérieur et ce qui est inférieur dans la raison soient des puissances différentes.

[5572] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 2Praeterea, aeternum et necessarium idem esse videtur, ut contingens et temporale. Sed philosophus dicit, quod scientificum animae circa necessaria est, ratiocinativum autem circa contingentia operata a nobis. Ergo videtur quod scientificum sit illud idem quod ratio superior, quae aeterna conspicit; et ratiocinativum idem quod ratio inferior, quae temporalibus inhaeret, ut in littera dicitur. Sed ratiocinativum et scientificum, ut ibidem dicitur, sunt diversae potentiae. Ergo videtur quod etiam ratio superior et inferior.

2. L’éternel et le nécessaire semblent être la même chose, comme le contingent et le temporel. Or, le Philosophe dit que ce qui relève de la science dans l’âme porte sur les réalités nécessaires, et ce qui relève du raisonnement porte sur des réalités contingentes accomplies par nous. Il semble donc que ce qui relève de la science soit la même chose que la raison supérieure, qui regarde les réalités éternelles, et que ce qui relève du raisonnement soit la même chose que la raison inférieure, qui « s’attache aux réalités temporelles », comme le dit le texte. Or, ce qui relève de la science et ce qui relève du raisonnement, comme on le dit au même endroit, sont des puissances différentes. Il semble donc que la raison supérieure et la [raison] inférieure [soient aussi différentes].

[5573] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 3Praeterea, in superiori parte animae est imago deitatis, ut in 1 libro dictum est. Sed superior pars animae est superior pars rationis. Ergo in superiori ratione est imago. Sed imago colligit tres potentias, memoriam intelligentiam et voluntatem. Ergo ratio superior et inferior non dicunt unam quamdam potentiam, sed plures.

3. Dans la partie supérieure de l’âme, se trouve l’image de la divinité, comme on l’a dit dans le livre I. Or, la partie supérieure de l’âme est la partie supérieure de la raison. L’image se trouve donc dans la raison supérieure. Or, l’image regroupe trois puissances : la mémoire, l’intelligence et la volonté. La raison supérieure et la [raison] inférieure ne désignent donc pas une seule puissance, mais plusieurs.

[5574] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 4Praeterea, regulans et regulatum et imperans et imperatum non possunt esse idem, sicut nec agens et patiens. Sed ratio superior se habet ad inferiorem sicut regulans ad regulatum. Ergo non possunt esse una potentia.

4. Ce qui impose la règle et ce qui est soumis à la règle, de même que ce qui commande et ce qui reçoit le commandement, ne peuvent pas être la même chose, pas davantage que ce qui agit et ce qui est soumis [à l’action]. Or, le rapport entre la raison supérieure et la [raison] inférieure est celui qui existe entre ce qui impose la règle et ce qui est soumis à la règle. Elles ne peuvent donc pas être une seule puissance.

[5575] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 5Praeterea, potentiae distinguuntur per actus. Sed officium actum nominat, ut Tullius dicit. Ergo videtur, cum ratio superior et inferior per diversa officia geminentur, quod sint diversae potentiae.

5. Les puissances se distinguent par leurs actes. Or, « la fonction désigne l’acte », comme le dit Tullius [Cicéron]. Puisque la raison supérieure et la [raison] inférieure sont jumelées dans des fonctions différentes, il semble donc qu’elles soient des puissances difféentes.

[5576] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 2 s. c. 1Sed contra, diversitas potentiarum constituit diversitatem rei. Sed in littera dicitur, quod cum de superiori et inferiori ratione loquimur, de una quadam re dicimus. Ergo videtur quod non sint diversae potentiae.

Cependant, [1] la diversité de puissances constitue la diversité d’une chose. Or, le texte dit que, lorsque nous parlons de raison supérieure et de [raison] inférieure, nous parlons d’une seule chose. Il semble donc qu’elles ne soient pas des puissances différentes.

[5577] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 2 s. c. 2Praeterea, potentia per diversos habitus non diversificatur. Sed ratio superior dicitur, prout dono sapientiae perficitur: inferior, prout dono scientiae, ut in littera dicitur. Ergo videtur quod superior et inferior ratio non sint diversae potentiae.

[2] Une puissance ne se diversifie pas par des des habitus différents. Or, on parle de raison supérieure pour autant qu’elle est perfectionnée par le don de sagesse, et de [raison] inférieure, pour autant qu’elle l’est par le don de science. Il semble donc que la raison supérieure et la [raison] inférieure ne soient pas des puissances différentes.

[5578] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod ratio hic accipitur quae hoc modo se habet ad voluntatem et liberum arbitrium, sicut se habet apprehensio sensitiva ad sensualitatem: sicut enim dictum est, nullus appetitus movetur in suum objectum nisi fiat apprehensio alicujus sub ratione boni vel mali, convenientis vel nocivi. Hanc autem rationem convenientis et boni aliter homo percipit, aliter brutum: brutum enim non conferendo, sed quodam naturali instinctu sibi conveniens vel nocivum, cognoscit; homo autem per investigationem quamdam et collationem hujusmodi rationes considerat; et ideo vis illa per quam in hujusmodi rationum cognitionem venit consequenter ratio dicitur, quae investigativa est, et deductiva unius in alterum. Quia vero tota ratio potentiarum ex objectis sumitur, quorum speciebus informantur, inde est quod oportet in ratione quemdam gradum constituere secundum ordinem eorum quibus intendit. In rebus autem quas ratio considerat, talis invenitur distinctio et ordo, ut quaedam aeterna et necessaria, a temporalibus discreta, eis proponantur; unde et ratio ex hoc quemdam gradum consequitur quod his vel aliis intendit. Sed quia ita est in ordine rerum quod superius est directivum inferioris et causa, inde est quod per aeterna in his quae temporalia sunt diriguntur, sicut id quod uno modo se habet, est mensura ejus quod multiforme est, ut ex 10 Metaphys. accipitur. Et secundum hoc patet quod ratio aeternis dupliciter inhaerere potest: vel considerando ipsa in se, vel considerando ipsa secundum quod sunt regula temporalium per nos disponendorum et agendorum: et prima consideratio non exit limites speculativae rationis; secunda autem ad genus practicae rationis pertinet. Unde patet quod ratio superior partim est speculativa et partim practica, et ideo in littera dicitur, quod supernis conspiciendis, inquantum est speculativa, et inquantum est practica, supernis consulendis intendit. Unde ex hoc patet quod ratio superior, prout contra inferiorem dividitur, non distat ab ea sicut speculativum et practicum, quasi ad diversa objecta respiciant, de quibus fiat ratiocinatio; sed magis distinguuntur secundum media, unde ratiocinatio sumitur; ratio enim inferior consiliatur ad electionem tendens ex rationibus rerum temporalium, ut quod aliquid est superfluum vel diminutum, utile vel honestum, et sic de aliis conditionibus quas moralis philosophus pertractat; superior vero consilium sumit ex rationibus aeternis et divinis, ut quia est contra praeceptum Dei, vel ejus offensionem parit, vel aliquid hujusmodi. Diversitas autem mediorum, ex quibus ad idem genus conclusionis proceditur, non potest facere diversam potentiam, sed quandoque diversum habitum; et ideo ratio superior et inferior non distinguuntur sicut diversae potentiae, sed magis secundum habitum, vel quem jam actu habet, vel ad quem naturaliter ordinatur: ratio enim superior perficitur sapientia, sed inferior scientia.

Réponse. On entend ici la raison dans son rapport à la volonté et le libre arbitre, comme la connaissance sensible [dans son rapport] à la sensualité. En effet, comme on l’a dit, aucun appétit n’est mû vers son objet à moins que ne se produise une saisie de quelque chose sous la raison de bien ou de mal, de convenable ou de nuisible. Mais l’homme perçoit cette raison de convenable et de bon autrement que l’animal sans raison. En effet, l’animal sans raison ne connaît pas ce qui lui convient et ce qui lui est nuisible en délibérant, mais par un instinct naturel ; mais l’homme l’examine par une recherche et une délibération de ces raisons. C’est pourquoi la puissance par laquelle il parvient à la connaissance de ces raisons est en conséquence appelée la raison, qui recherche et déduit une chose d’une autre. Mais parce que la raison des puissances se prend de leurs objets, dont ils reçoivent la forme, il importe donc d’instaurer un degré dans la raison, selon l’ordre de ce sur quoi elle se penche. Or, parmi les choses que considère la raison, existent une distinction et un ordre selon lesquels certaines réalités éternelles et nécessaires, distinctes des réalités temporelles, lui sont proposées ; aussi la raison reçoit-elle un degré du fait qu’elle porte sur ces choses ou sur d’autres. Mais parce que l’ordre des choses est tel que ce qui est supérieur dirige ce qui est inférieur et en est la cause, de là vient que ce qui est temporel est dirigé par ce qui est éternel, comme ce qui existe d’une seule manière est la mesure de ce qui existe de manière multiforme, comme on le comprend à partir de Métaphysique, X. Il ressort ainsi clairement que la raison peut s’attacher aux réalités éternelles de deux manières : en les considérant en elles-mêmes, ou en les considérant selon qu’elles sont la règle des réalités temporelles qui doivent être aménagées et accomplies par nous. La première considération ne sort pas des limites de la raison spéculative ; mais la seconde relève du genre de la raison pratique. Il est donc clair que la raison supérieure est en partie spéculative et en partie pratique ; c’est pourquoi il est dit dans le texte qu’elle « examine les réalités d’en haut en tant qu’elle est spéculative et, en tant qu’elle est pratique, elle s’applique à consulter les réalités d’en haut ». Il ressort donc de cela que la raison supérieure, pour autant qu’elle est distincte de la [raison] inférieure, ne s’en distingue pas comme ce qui est spéculatif et ce qui est pratique, comme si elle considérait des objets différents sur lesquels s’exerce le raisonnement, mais elles se distinguent plutôt par les moyens dont est tiré le raisonnement. En effet, la raison inférieure délibère en vue d’un choix à partir des raisons des réalités temporelles, comme le fait que quelque chose est superflu ou réduit, utile ou honnête, et ainsi de suite pour les autres conditions dont traite le philosophe moraliste ; mais la [raison] supérieure prend conseil à partir des raisons éternelles et divines, comme le fait qu’une chose est opposée à un commandement de Dieu ou engendre une offense contre lui, ou quelque chose de ce genre. Or, la diversité des moyens, à partir desquels on passe au même genre de conclusion, ne peut pas donner une puissance différente, mais parfois un habitus différent. C’est pourquoi la raison supérieure et la [raison] inférieure ne se distinguent pas comme des puissances différentes, mais plutôt selon un habitus, qu’il soit déjà possédé en acte ou qu’elles y soient naturellement ordonnées. En effet, la sagesse perfectionne la raison supérieure, mais la science, la [raison] inférieure.

[5579] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod ratio superior et inferior non differunt sicut agens et possibile, quod sic patet. Quia ut in littera dicitur, ratio superior et inferior habent actus respectu diversorum. Agens autem et possibile semper concurrunt ad idem objectum vel medium: quia impossibile est nos in intellectivam operationem progredi sine operatione possibilis et agentis: oportet enim ut species phantasmatum, quae sunt objecta intellectus nostri, efficiantur in actu intelligibiles, quod ad agentem pertinet; et intellectui conjungantur in eo receptae, quod pertinet ad possibilem. Unde ex diversitate possibilis et agentis non sequitur diversitas superioris et inferioris rationis; sed ex diversitate medii vel objecti.

1. La raison supérieure et la [raison] inférieure ne diffèrent pas comme [l’intellect] agent et [l’intellect] possible. Cela ressort ainsi. Comme le dit le texte, la raison supérieure et la [raison] inférieure ont un acte qui portent sur des réalités différentes. Mais [l’intellect] agent et [l’intellect] possible portent toujours sur le même objet ou moyen, car il est impossible d’aller de l’avant sans l’opération de [l’intellect] agent et de [l’intellect] possible. En effet, il est nécessaire que les espèces des fantasmes, qui sont les objets de notre intelligence, soient rendues intelligibles en acte, ce qui relève de [l’intellect] agent ; et elles soient unies à l’intellect qui les reçoit, ce qui relève de [l’intellect] possible. Ainsi, la diversité entre la raison supérieure et la [raison] inférieure ne vient pas de la diversité entre [l’intellect] possible et [l’intellect] agent.

[5580] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod scientificum et ratiocinativum non omnino distinguuntur sicut ratio superior et inferior: quia scientificum nullo modo ad praxim pertinet, sicut pertinet ratio superior, ut dictum est, inquantum scilicet aeterna consulit, et praeter hoc scientificum ad quaedam se extendit quorum non est ratio superior, prout hic accipitur, scilicet ad res creatas necessarias: quia philosophus scientificum animae non tantum sapientia quae divinorum est proprie, sed scientia et intellectu, quae creatorum sunt, in 6 Ethic. perfici docet. Cognitio autem rerum temporalium sive quantum ad ea quae ad nos agenda pertinent sive quantum ad ea quae in his necessariis demonstrationibus considerantur, ad rationem inferiorem pertinet, quae scientia perficitur, quam Augustinus extendit tam ad speculativam quam ad practicam considerationem rerum temporalium; unde distinctio superioris et inferioris rationis non est idem cum distinctione scientifici et ratiocinativi, quamvis scientificum secundum aliquid sui, cum ratione superiori conveniat, et ratio inferior cum ratiocinativo.

2. Ce qui est objet de science et ce qui est objet de raisonnement ne se distinguent pas du tout comme la raison supérieure et la [raison] inférieure, car ce qui est objet de science n’a aucun rapport avec le comportement, comme cela relève de la raison supérieure, ainsi qu’on l’a dit plus haut, pour autant qu’elle prend conseil des réalités éternelles ; de plus, ce qui est objet de science s’étend à des choses qui ne relèvent pas de la raison supérieure, comme on l’entend ici : les réalités créées nécessaires, car le Philosophe enseigne, Éthique, VI, que l’âme n’est pas perfectionnée seulement par la sagesse, qui porte à proprement parler sur les réalités divines, mais aussi par la science et l’intelligence, qui portent sur les créatures. Or, la connaissance des réalités temporelles, qu’il s’agisse de ce qui concerne ce que nous devons faire ou de ce qui y est considéré selon des démonstrations nécessaires, relève de la raison inférieure, qui est perfectionnée par la science, [raison inférieure] qu’Augustin étend aussi bien à la considération spéculative qu’à la [considération] pratique portant sur les réalités temporelles. La distinction entre la raison supérieure et la [raison] inférieure ne coïncide donc pas avec la distinction entre ce qui est objet de science et ce qui est objet de raisonnement, bien que ce qui est objet de science ait sous un certain aspect quelque chose en commun avec la raison supérieure, et la raison inférieure, avec ce qui est objet de raisonnement.

[5581] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod ratio superior non est omnino idem cum illa parte mentis in qua consistit imago, sed includit eam et excedit; quod sic patet. Imago enim potissime distinguitur secundum hoc quod mens tendit in objectum quod Deus est, ut in 1 libro dictum est; unde potentiae imaginis prout ad imaginem pertinent respiciunt aeterna solummodo ut objectum, ratio autem superior considerat ea dupliciter, scilicet ut objectum, inquantum conspicit ea, et ut medium inquantum ipsa consulit: nihilominus tamen etsi imago plures potentias essentialiter colligat, non oportet quod ratio superior in pluribus potentiis consistat: quia imago comprehendit et cognitivam et affectivam, sed ratio comprehendit imaginem secundum cognitivam tantum et excedit, ut dictum est: et ideo ratio superior et mens in qua est imago se habent ut excedentia et excessa; superior enim ratio est speculativa et practica, sed mens secundum quod in ea est imago tantum, ad speculativam pertinet, quia objectum imaginis non est aliquid operabile a nobis: et sic ratio superior excedit mentem, et exceditur a mente, inquantum mens comprehendit affectionem et cognitionem; cum ratio cognitionem tantum importet.

3. La raison supérieure n’est pas du tout la même chose que la partie de l’esprit dans laquelle réside l’image [de Dieu], mais elle l’inclut et la dépasse. Cela ressort ainsi. L’image se distingue surtout selon que l’esprit tend vers un objet qui est Dieu, comme on l’a dit dans le livre I. Aussi les puissances de l’image, en tant qu’elles ont un rapport avec l’image, concernent-elles seulement les réalités éternelles comme leur objet ; mais la raison supérieure les considère de deux manières : comme objet, en tant qu’elle les regarde, et comme moyen, en tant qu’elle prend conseil d’elles. Néanmoins, même si l’image regroupe par essence plusieurs puissances, il n’est pas nécessaire que la raison supérieure consiste en plusieurs puissances, car l’image comprend à la fois la [puissance] cognitive et la [puissance] affective, mais la raison comprend et déborde seulement l’image selon la [puissance] cognitive, ainsi qu’on l’a dit. Ainsi, la raison supérieure et l’esprit, où se trouve l’image, ont-ils le même rapport que ce qui déborde et ce qui est débord : en effet, la raison supérieure est spéculative et pratique, mais l’esprit, selon que l’image s’y trouve seulement, n’a un rapport qu’avec la [puissance] spéculative, car l’objet de l’image n’est pas quelque chose qui puisse être accompli par nous. La raison supérieure déborde ainsi l’esprit, et elle est débordée par l’esprit, pour autant que l’esprit comprend l’affectivité et la connaissance, alors que la raison ne comporte que la connaissance.

[5582] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod diversitas regulantis et regulati non demonstrat diversam potentiam, sed diversum habitum: unus enim habitus est regulativus alterius, sicut patet in scientiis speculativis quod omnes scientias sapientia, scilicet metaphysica, dirigit. Ita etiam ratio superior inferiorem dirigere dicitur.

4. La différence entre celui qui impose une règle et celui qui y est soumis ne montre pas des puissances différentes, mais des habitus différents. En effet, un habitus impose sa règle à l’aure, comme il ressort dans les sciences spéculatives que la sagesse, c’est-à-dire la métaphysique, dirige toutes les sciences. On dit ainsi de la même manière que la raison supérieure dirige la [raison] inférieure.

[5583] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod non quaelibet diversitas actus ostendit diversitatem potentiae; sed quandoque etiam ostendit tantum diversitatem habitus, sicut geometrizare, et syllogizare; quandoque autem neutrum. Ista autem sic patent: quia enim substantia uniuscujusque potentiae est, secundum quod est nata operari circa proprium objectum, ut de sensu dicit philosophus in 2 de anima, ideo actiones quae differunt secundum diversa objecta, ostendunt diversitatem potentiarum: ut tamen accipiatur differentia objectorum secundum id quod ad propriam rationem objecti pertinet: homo enim et lapis differunt genere, sed conveniunt secundum quod sunt objectum visus in colore: et ideo visio hominis et lapidis pertinent ad unam potentiam; sed sentire sonum et colores pertinent ad diversas potentias: quia sonus et color, secundum proprias rationes, quibus ad invicem distinguuntur, sunt propria objecta sensus. Quandoque autem diversitas actuum causatur ex diversitate medii, vel principii, ex quo pervenitur ad idem genus objecti: et talis diversitas actuum ostendit diversitatem habituum: diversae enim scientiae ex diversis principiis procedunt, etiam si easdem conditiones demonstrent; sicut astrologus et naturalis diversis mediis rotunditatem terrae ostendit, ut dicitur in 2 Phys. Similiter etiam virtutes morales distinguuntur ex diversis finibus, qui sunt in operativis sicut principia in speculativis. Quandoque vero diversitas actuum causatur ex eo quod est accidens actionis; vel ex parte agentis, secundum quod est potentius vel infirmius in agendo, sicut hebetudo vel subtilitas ingenii, quae differunt secundum velocitatem et tarditatem addiscendi; vel ex parte medii, ut credere et opinari, quae differunt secundum efficaciam et debilitatem medii; vel ex parte objecti, sicut videre hominem et lapidem; accidit enim colorato esse hominem aut lapidem: et talis diversitas actionum neque potentiam diversam neque diversum habitum requirit: quia illud quod est per accidens, non causat differentiam in specie. Officia autem rationis superioris et inferioris non differunt penes diversam rationem objecti, cum utrumque operabilia consideret, sed penes diversam rationem medii: quia ratio inferior procedit ex rationibus temporalibus; sed ratio superior ex rationibus aeternis; et ita etiam haec diversa officia non oportet quod diversas potentias demonstrent, sed diversos habitus, ut dictum est.

 

5. Ce n’est pas n’importe quelle différence entre les actes qui montre la différence entre les puissances, mais parfois elle montre seulement une différence entre des habitus, comme le fait de faire de la géométrie et de faire des syllogismes, et parfois elle n’en montre aucune. On peut le montrer ainsi. En effet, parce que la substantce de toute puissance consiste en ce qu’elle est destinée à agir sur son objet propre, comme le Philosopphe le dit dans Sur l’âme, II, les actions qui diffèrent par leurs divers objets montrent la diversité des puissances, de sorte que la différence entre les objets soit comprise selon ce qui se rapporte à leur raison propre d’objets. En effet, l’homme et la pierre diffèrent par leur genre, mais ils ont en commun d’être des objets de la vision selon la couleur. Aussi la vision de l’homme et de la pierre se rapporte-t-elle à une seule puissance. Mais sentir le son et les couleurs relèvent de puissances différentes, car le son et la couleur, selon les raisons propres par lesquelles ils se distinguent, sont les objets propres du sens. Or, parfois, la diversité des actes est causée par la diversité du moyen ou du principe par lequel on parvient au même genre d’objet, et une telle diversité d’actes montre la diversité des habitus. En effet, diverses sciences procèdenet de principes différents, même si elles démontrent les mêmes conditions ; ainsi, l’astrologue et le philosophe de la nature montrent-ils par des moyens différents la rondeur de la terre, comme on le dit en Physique, II. De même, aussi les vertus morales se distinguent-elles par leurs fins différentes, qui sont, pour ce qui doit être accompli, comme les principes en matière spéculative. Mais, parfois, la diversité des actes est causée par le fait qu’elle est un accident de l’action, soit du point de vue de l’agent, selon qu’il est plus puissant ou plus faible pour agir, comme l’engourdissement ou la finesse d’esprit, qui diffèrent par la rapidité et la lenteur pour apprendre ; soit du point de vue du moyen, comme croire et opiner, qui diffèrent par l’efficacité et la faiblesse du moyen ; soit du point de vue de l’objet, comme voir un homme et une pierre : en effet, il arrive que ce qui est coloré soit un homme ou une pierre. Une telle diversité des actions ne requiert ni puissances différentes, ni habitus différents, car ce qui existe par accident ne cause pas de différence de l’espèce. Or, les fonctions de la raison supérieure et de la [raison] inférieure ne diffèrent pas selon une raison différente de l’objet, puisque les deux considèrent ce qui peut être accompli, mais selon une raison différente du moyen, car la raison inférieure procède à partir de raisons temporelles. Et ainsi, il n’est même pas nécessaire que ces fonctions différentes montrent des puissances diverses, mais des habitus différents, comme on l’a dit.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum synderesis sit habitus, vel potentia

Article 3 –La syndérèse est-elle un habitus ou une puissance ?

[5585] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod synderesis sit potentia, et non habitus. Ea enim quae veniunt in eamdem divisionem, videntur esse unius rationis. Sed synderesis dividitur contra alias animae potentias, scilicet contra rationalem, et concupiscibilem et irascibilem, ut patet ex Glossa Hieronymi Ezech. 1. Ergo videtur quod sit potentia.

1. Il semble que la syndérèse soit une puissance, et non un habitus. En effet, ce qui fait partie de la même division semble posséder une seule raison. Or, la syndérèse se distingue des autres puissances de l’âme : la [puissance] raisonnable, la [puissance] concupiscible et la [puissance] irascible, comme cela ressort de la glose de Jérome sur Ez 1. Il semble donc qu’elle soit une puissance.

[5586] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 3 arg. 2Praeterea, Hieronymus dicit Malach. 2, super illud: custodite spiritum vestrum etc.: spiritus dicitur, non pars animalis, quae non percipit ea quae sunt Dei, sed rationalis. Hanc autem vocat synderesim. Sed rationalis pars potentiam nominat. Ergo videtur quod sit potentia.

2. Jérôme dit, en commentant Ml 2 : Gardez votre esprit, etc. : « On appelle esprit, non pas la partie animale, qui ne perçoit pas ce qui concerne Dieu, mais la [partie] raisonnable. » Or, il appelle celle-ci la syndérèse. Or, la partie raisonnable désigne une puissance. Il semble donc que [la syndérèse] soit une puissance.

[5587] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 3 arg. 3Praeterea, habitus non inscribitur nisi potentiae. Sed Augustinus dicit, quod universalia juris praecepta scripta sunt in naturali judicatorio, quod est synderesis. Ergo cum universalium juris praeceptorum sit aliquis habitus, videtur quod synderesis, cui inscribuntur, sit potentia quaedam.

3. Un habitus n’est assigné qu’à une puissance. Or, Augustin dit que « les commandements universels du droit sont écrits dans la puissance naturelle de juger », qui est la syndérèse. Puisqu’un habitus porte sur les commandements universels du droit, il semble donc que la syndérèse, à laquelle ils sont assignés, soit une puissance.

[5588] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 3 arg. 4Praeterea, ex identitate actuum colligitur identitas potentiarum. Sed, ut ex inducta auctoritate patet, ad synderesim pertinet judicium. Cum ergo liberum arbitrium a judicando nominetur, videtur quod synderesis sit idem quod liberum arbitrium. Sed liberum arbitrium est potentia. Ergo et synderesis.

4. On conclut à l’identité des puissances à partir de l’identité des actes. Or, ainsi que l’autorité invoquée le fait ressortir, le jugement relève de la syndérèse. Puisque le libre arbitre tient son nom du jugement, il semble donc que la syndérèse soit la même chose que le libre arbitre. Or, le libre arbitre est une puissance. Donc aussi, la syndérèse.

[5589] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 3 arg. 5Praeterea, habitus amittitur per oblivionem, vel alio modo. Sed synderesis semper manet, quae etiam post mortem peccato remurmurat, cujus murmur vermis dicitur. Ergo synderesis nominat potentiam, et non habitum.

5. L’habitus se perd par l’oubli ou d’une autre manière. Or, la syndérèse demeure toujours, elle qui, même après la mort, reproche le péché, dont le reproche est appelé un ver. La syndérèse désigne donc une puissance, et non un habitus.

[5590] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 3 s. c. 1Sed contra, potentia rationalis se habet ad opposita. Sed synderesis se habet determinate ad unum, quia nunquam errat. Ergo videtur quod non sit potentia, sed habitus.

Cependant, [1] la puissance raisonnable porte sur des choses opposées. Or, la syndérèse ne porte que sur une chose, car elle n’erre jamais. Il semble donc qu’elle ne soit pas une puissance, mais un habitus.

[5591] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 3 s. c. 2Praeterea, opposita in idem genus reducuntur. Sed synderesi opponitur fomes: sicut enim fomes semper ad malum instigat, ita et synderesis semper in bonum tendit. Cum igitur fomes sit habitus quidam, ut in littera dicitur, videtur etiam quod synderesis habitum nominet.

[2] Les contraires se ramènent au même genre. Or, le désir désordonné (fomes) s’oppose à la syndérèse : en effet, de même que le désir désordonné incite toujours au mal, de même aussi la syndérèse tend toujours au bien. Puisque le désir désordonné est un habitus, comme le dit le texte, il semble donc que la syndérèse aussi désigne un habitus.

[5592] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod sicut est de motu rerum naturalium, quod omnis motus ab immobili movente procedit, ut dicit Augustinus 8 super Genes. et philosophus probat in 7 Phys., et 8, et omne dissimiliter se habens ab uno eodemque modo se habente; ita etiam oportet quod sit in processu rationis; cum enim ratio varietatem quamdam habeat, et quodammodo mobilis sit, secundum quod principia in conclusiones deducit, et in conferendo frequenter decipiatur; oportet quod omnis ratio ab aliqua cognitione procedat, quae uniformitatem et quietem quamdam habeat; quod non fit per discursum investigationis, sed subito intellectui offertur: sicut enim ratio in speculativis deducitur ab aliquibus principiis per se notis, quorum habitus intellectus dicitur; ita etiam oportet quod ratio practica ab aliquibus principiis per se notis deducatur, ut quod est malum non esse faciendum, praeceptis Dei obediendum fore, et sic de aliis: et horum quidem habitus est synderesis. Unde dico, quod synderesis a ratione practica distinguitur non quidem per substantiam potentiae, sed per habitum, qui est quodammodo innatus menti nostrae ex ipso lumine intellectus agentis, sicut et habitus principiorum speculativorum, ut, omne totum est majus sua parte, et hujusmodi; licet ad determinationem cognitionis eorum sensu et memoria indigeamus, ut in 2 Post. dicitur. Et ideo statim cognitis terminis, cognoscuntur, ut in 1 Poster. dicitur. Et ideo dico, quod synderesis vel habitum tantum nominat, vel potentiam saltem subjectam habitui sic nobis innato.

Réponse. De même qu’en ce qui concerne le mouvement des choses naturelles, tout mouvement vient d’un moteur immobile, comme le dit Augustin dans son Commentaire littéral de la Genèse, VIII, et comme le démontre le Philosophe, dans Physique, VII et VIII, et que tout ce qui comporte quelque chose de dissemblable vient de ce qui existe d’une seule et même manière, de même aussi est-il nécessaire qu’il en soit ainsi pour le mouvement de la raison. En effet, puisque la raison possède un certain changement et est en quelque sorte mobile, selon qu’elle tire des conclusions à partir des principes et se trompe souvent en délibérant, il est nécessaire que tout raisonnement vienne d’une connaissance qui possède une certaine uniformité et un certain repos, ce qui ne se réalise pas par la démarche de la recherche, mais est proposé subitement à l’intelligence. En effet, de même qu’en matière spéculative le raisonnement se déduit de principes connus par eux-mêmes, dont l’habitus s’appelle l’intelligence, de même aussi est-il nécessaire que la raison pratique soit conduite à partir de principes connus par eux-mêmes, comme le fait qu’il ne faut pas faire le mal, qu’il faut obéir aux commandements de Dieu, et ainsi de suite. L’habitus de ces [principes] est la syndérèse. Je dis donc que la syndérèse se distingue de la raison pratique, non pas par la substance de la puissance, mais par un habitus, qui est en quelque sorte inné à notre esprit en vertu de la lumière même de l’intellect agent, comme l’habitus des principes spéculatifs, tel que le tout est plus grand que sa partie, et ainsi de suite, bien que, pour en déterminer la connaissance, nous ayons besoin du sens et de la mémoire, comme il est dit dans les Postérieurs analytiques, II. C’est pourquoi, aussitôt connus les termes, ils sont connus, comme on le dit dans les Postérieurs analytiques, I. C’est pourquoi je dis que la syndérèse désigne soit l’habitus seul, soit la puissance, mais soumise à l’habitus ainsi inné en nous.

[5593] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod synderesis dividitur contra alias potentias, non quasi diversa per substantiam potentiae sed per habitum quemdam; sicut si intellectus principiorum contra speculativam rationem divideretur.

1. La syndérèse se distingue des autres puissances, non pas comme si elle était différente par la substance de la puissance, mais par un certain habitus, comme si l’intelligence des principes était distinguée de la raison spéculative.

[5594] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod rationalis pars non simpliciter vocatur synderesis, sed secundum quod talem habitum concernit.

2. La partie raisonnable n’est pas appelée simplement syndérèse, mais selon qu’elle est unie à un tel habitus.

[5595] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod universalia juris non inscribuntur synderesi, quasi habitus potentiae, sed magis quasi collecta in habitu inscribuntur ipsi habitui; sicut principia geometricalia geometriae inscribuntur.

3. Les [principes] universels du droit ne sont pas assignés à la syndérèse, comme un habitus de la puissance, mais plutôt comme ce qui est recueilli par un habitus est assigné à l’habitus ; ainsi, les principes géométriques sont-ils assignés à la géométrie.

[5596] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod judicium non eodem modo libero arbitrio et synderesi convenit: quia ad synderesim pertinet universale judicium, secundum universalia juris principia: semper enim de conclusionibus per principia judicatur; unde et scientia resolutiva judicandi ars dicitur: sed ad liberum arbitrium pertinet judicium particulare de hoc operabili, quod est judicium electionis. Unde synderesis non est idem quod liberum arbitrium.

4. Le jugement ne convient pas au libre arbitre et à la syndérèse de la même manière, car le jugement universel relève de la syndérèse, selon les principes universels du droit. En effet, on juge toujours des conclusions par les principes. Aussi la science qui ramène [aux principes] est-elle appelée l’art de juger. Mais le jugement particulier sur telle action à poser relève du libre arbitre, qui est le jugement du choix. La syndérèse n’est donc pas la même chose que le libre arbitre.

[5597] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod habitus naturalis nunquam amittitur, sicut patet de habitu principiorum speculativorum, quem semper homo retinet; et simile est etiam de synderesi.

5. Un habitus naturel ne se perd jamais, comme cela ressort clairement pour l’habitus des principes spéculatifs, que l’homme retient toujours. Et il en est de même pour la syndérèse.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum conscientia sit actus

Article 4 – La conscience est-elle un acte ?

[5599] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod conscientia non sit actus. Origenes enim dicit, quod conscientia est spiritus corrector et paedagogus animae, sibi sociatus, quo separatur a malis et adhaeret bonis. Sed spiritus vel nominat potentiam, vel etiam ipsam essentiam animae. Ergo videtur quod conscientia non sit actus.

1. Il semble que la conscience ne soit pas un acte. En effet, Origène dit que « la conscience est un esprit qui corrige et un pédagogue de l’âme qui lui est associé, par lequel il s’éloigne du mal et adhère au bien ». Or, l’esprit désigne soit une puissance, soit même l’essence même de l’âme. Il semble donc que la conscience ne soit pas un acte.

[5600] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 arg. 2Praeterea, conscientia, secundum quod a quibusdam describitur, est dictamen rationis, quo judicat, et ligat ad faciendum et non faciendum. Sed judicium de hoc faciendo vel non faciendo, ut dictum est, pertinet ad liberum arbitrium. Ergo conscientia est liberum arbitrium. Sed liberum arbitrium non est actus. Ergo nec conscientia.

2. La conscience, telle qu’elle est décrite par certains, est un précepte de la raison, par lequel elle juge et oblige à faire et ne pas faire. Or, le jugement de faire ou ne pas faire, comme on l’a dit, relève du libre arbitre. La conscience est donc le libre arbitre. Or, le libre arbitre n’est pas un acte. Donc, la conscience non plus.

[5601] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 arg. 3Praeterea, in Glossa Ezech. 1, dicit Hieronymus postquam de synderesi locutus est: hanc autem conscientiam interdum praecipitari videmus. Ergo videtur quod conscientia sit idem quod synderesis. Sed synderesis non nominat actum, sed potentiam vel habitum. Ergo videtur quod etiam conscientia.

3. Dans une glose sur Ex 1, Jérôme dit, après avoir parlé de la syndérèse : « Nous voyons parfois que cette conscience est entraînée. » Il semble donc que la conscience soit la même chose que la syndérèse. Or, la syndérèse ne désigne pas un acte, mais une puissance ou un habitus. Il semble donc que ce soit aussi le cas de la conscience.

[5602] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 arg. 4Praeterea, conscientia est scientia quaedam. Sed scientia nominat habitum. Ergo et conscientia.

4. La conscience est une certaine science. Or, la science désigne un habitus. Donc, la conscience aussi.

[5603] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 arg. 5Praeterea, Damascenus dicit, quod conscientia est lex intellectus nostri. Sed lex intellectus est ipsa lex naturalis, quae est habitus principiorum juris. Ergo videtur quod conscientia sit habitus, et non actus.

5. [Jean] Damascène dit que « la conscience est la loi de notre intelligence ». Or, la loi de l’intelligence est la loi naturelle, qui est l’habitus des principes du droit. Il semble donc que la conscience soit un habitus, et non un acte.

[5604] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 arg. 6Praeterea, omnis actus vel generat habitum, vel saltem ex aliquo habitu est productus. Si igitur conscientia est actus quidam, oportet quod multiplicatis actibus generetur habitus, qui conscientia dicatur; vel quod saltem tales actus ex habitu aliquo procedant, quod in idem redit.

6. Tout acte engendre un habitus ou, tout au moins, est produit par un habitus. Si donc la conscience est un acte, il faut que la multiplication des actes engendre un habitus, qu’on appellera la conscience, ou qu’à tout le moins, de tels actes procèdent d’un habitus, ce qui revient au même.

[5605] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 s. c. 1Sed contra, conscientia peccatum aggravare dicitur. Sed aggravatio peccati esse non potest nisi per hoc quod contradicitur actuali rationis considerationi. Ergo videtur quod conscientia actualem rationis considerationem nominet.

Cependant, [1] on dit que la conscience aggrave le péché. Or, l’aggravation du péché ne peut exister que parce qu’elle s’oppose à la considération actuelle de la raison. Il semble donc que la conscience désigne la considération actuelle de la raison.

[5606] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 s. c. 2Praeterea, ut dictum est, conscientia a quibusdam dictamen rationis dicitur. Sed dictamen actum quemdam nominat, secundum quod ratio aliquid faciendum dijudicat. Ergo videtur quod conscientia actum nominet.

[2] Comme on l’a dit, la conscience est appelée par certains un précepte de la raison. Or, le précepte désigne un certain acte, selon que la raison juge que telle chose doit être faite. Il semble donc que la conscience désigne un acte.

[5607] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod conscientia multis modis accipitur. Quandoque enim dicitur conscientia ipsa res conscita; et sic sumitur 1 Tim. 1, 5: caritas procedit de conscientia bona. Glossa:idest spes; quia ex meritis quae conscientia tenet, motus spei insurgit. Quandoque vero dicitur habitus, quo quis disponitur ad consciendum; et secundum hoc ipsa lex naturalis et habitus rationis consuevit dici conscientia. Quidam etiam dicunt, quod conscientia quandoque potentiam nominat; sed hoc nimis extraneum est, et improprie dictum: quod patet, si diligenter omnes potentiae animae inspiciantur. Nullo autem horum modorum conscientia sumitur, secundum quod in usum loquentium venit, prout dicitur ligare vel aggravare peccatum: nullus enim ligatur ad aliquid faciendum nisi per hoc quod considerat hoc esse agendum; unde quamdam actualem considerationem rationis, per conscientiam, communiter loquentes intelligere videntur: sed quae sit illa actualis rationis consideratio, videndum est. Sciendum est igitur, quod, sicut in 6 Ethic. philosophus dicit, ratio in eligendis et fugiendis, quibusdam syllogismis utitur. In syllogismo autem est triplex consideratio, secundum tres propositiones, ex quarum duabus tertia concluditur. Ita etiam contingit in proposito, dum ratio in operandis ex universalibus principiis circa particularia judicium assumit. Et quia universalia principia juris ad synderesim pertinent, rationes autem magis appropriatae ad opus, pertinent ad habitus, quibus ratio superior et inferior distinguuntur; synderesis in hoc syllogismo quasi majorem ministrat, cujus consideratio est actus synderesis; sed minorem ministrat ratio superior vel inferior, et ejus consideratio est ipsius actus; sed consideratio conclusionis elicitae, est consideratio conscientiae. Verbi gratia, synderesis hanc proponit: omne malum est vitandum: ratio superior hanc assumit: adulterium est malum, quia lege Dei prohibitum: sive ratio inferior assumeret illam, quia ei est malum, quia injustum, sive inhonestum: conclusio autem, quae est, adulterium hoc esse vitandum, ad conscientiam pertinet, et indifferenter, sive sit de praesenti vel de praeterito vel futuro: quia conscientia et factis remurmurat, et faciendis contradicit: et inde dicitur conscientia, quasi cum alio scientia, quia scientia universalis ad actum particularem applicatur: vel etiam quia per eam aliquis sibi conscius est eorum quae fecit, vel facere intendit: et propter hoc etiam dicitur sententia, vel dictamen rationis: et propter hoc etiam contingit conscientiam errare, non propter synderesis errorem, sed propter errorem rationis; sicut patet in haeretico, cui dictat conscientia quod prius permittat se comburi quam juret: quia ratio superior perversa est in hoc quod credit, juramentum simpliciter esse prohibitum. Et secundum hunc modum patet, qualiter differant synderesis, lex naturalis, et conscientia: quia lex naturalis nominat ipsa universalia principia juris, synderesis vero nominat habitum eorum, seu potentiam cum habitu; conscientia vero nominat applicationem quamdam legis naturalis ad aliquid faciendum per modum conclusionis cujusdam.

Réponse. La conscience s’entend de plusieurs manières. En effet, on appelle parfois « conscience » la chose même qui est clairement connu (conscita) ; c’est ainsi qu’elle est entendue en 1 Tm 1, 5 : La charité procède d’une conscience bonne. Glose : « C’est-à-dire de l’espérance, car le mouvement de l’espérance s’élève à partir des mérites que possède la conscience. » Mais, parfois, on dit qu’elle est un habitus par lequel quelqu’un est disposé à connaître clairement ; de ce point de vue, on a coutume d’appeler « conscience » la loi naturelle elle-même et l’habitus de la raison. Certains disent aussi que la conscience désigne parfois une puissance ; mais cela est trop éloigné et employé improprement, ce qui ressort d’un examen attentif de toutes les puissances de l’âme. Mais la conscience n’est entendue d’aucune de ces manières selon la manière usuelle de parler, alors qu’on dit qu’elle oblige ou aggrave le péché. En effet, personne n’est obligé à faire quelque chose que parce qu’il considère que cela doit être fait ; aussi ceux qui parlent d’une manière générale semblent-ils entendre par « conscience » une certaine considération actuelle de la raison ; mais il faut voir ce qu’est cette considération actuelle de la raison. Il faut donc savoir que, comme le dit le Philosoophe dans Éthique, VI, la raison utilise certains syllogismes pour les choses à choisir ou à fuir. Or, dans un syllogisme, il y a une triple considération selon les trois propositions, dont la troisième conclut à partir des deux [autres]. Il en va de même lorsque la raison, pour les choses à faire, pose un jugement sur des choses particulières à partir de principes universels. Et parce que les principes universels du droit relèvent de la syndérèse, mais que les raisons les plus appropriées pour l’action relèvent d’un habitus, par quoi la raison supérieure et la [raison] inférieure se distinguent, la syndérèse fournit pour ainsi dire dans ce syllogisme la majeure, dont la considération est un acte de la syndérèse ; mais la raison supérieure et la [raison] inférieure fournissent la mineure, et sa considération est leur acte même ; mais la considération de la conclusion qui en est tirée est la considération de la conscience. Par exemple, la syndérèse propose ceci : « tout mal doit être évité » ; la raison supérieure ajoute ceci : « l’adultère est un mal », parce qu’il est défendu par la loi de Dieu, ou bien la raison inférieure ajouterait cette [proposition] : c’est un mal pour lui, car cela est injuste ou malhonnête. Mais la conclusion, qui est : « cet adultère doit donc être évité », relève de la conscience, et indifféremment, qu’il s’agisse du présent, du passé ou du futur, car la conscience reproche des actes posés et s’oppose à des actes à poser. De là vient le mot « conscience », comme si on disait : une connaissance accompagnée de quelque chose d’autre, car la science universelle est appliquée à un acte particulier ; ou encore, parce que, par elle, quelqu’un est conscient pour lui-même de ce qu’il a fait ou entend faire. C’est aussi pour cette raison qu’elle est appelée un jugement ou un précepte de la raison. C’est encore pour cette raison qu’il arrive à la conscience d’errer, non pas à cause d’une erreur de la syndérèse, mais à cause d’une erreur de la raison. Cela ressort clairement chez l’hérétique, à qui sa conscience impose de permettre qu’il soit brûlé plutôt que de jurer, car la raison supérieure est pervertie en croyant que le serment est tout simplemenet défendu. De cette manière, il ressort comment diffèrent la syndérèse, la loi naturelle et la conscience, car la loi naturelle désigne les principes universels du droit eux-mêmes, la syndérèse désigne l’habitus qui porte sur eux ou la puissance avec l’habitus, mais la conscience désigne une certaine application de la loi naturelle, par mode de conclusion, en vue d’accomplir quelque chose

[5608] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod spiritus quandoque sumitur pro spirituali quadam operatione, et pro spirituali dono; et hoc modo sumitur hic spiritus, et non pro natura animae.

1. L’esprit est parfois entendu d’une opération spirituelle et d’un don spirituel ; c’est de cette manière qu’on entend ici esprit, et non pour la nature de l’âme.

[5609] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod judicium ad liberum arbitrium pertinet, ad conscientiam, et synderesim; sed diversimode; quia ad liberum arbitrium pertinet judicium quasi participative, quia per se voluntatis non est judicare; unde ipsum judicium electionis liberi arbitrii est: sed judicium per se vel est in universali, et sic pertinet ad synderesim; vel est in particulari, tamen infra limites cognitionis persistens, et pertinet ad conscientiam; unde tam conscientia quam electio, conclusio quaedam est particularis vel agendi vel fugiendi; sed conscientia conclusio cognitiva tantum, electio conclusio affectiva: quia tales sunt conclusiones in operativis, ut in 6 Ethic. dicitur.

2. Le jugement relève du libre arbitre, de la conscience et de la syndérèse, mais de manières différentes. Le jugement relève du libre arbitre pour ainsi dire par participation, car, de soi, il ne relève pas de la volonté de juger. Aussi le jugement du choix lui-même relève-t-il du libre arbitre, mais, de soi, le jugement est porté ou bien de manière universelle, et ainsi il relève de la syndérèse, ou bien il est porté de manière particulière, mais en demeurant à l’intérieur des limites de la connaissance, et il relève de la conscience. De là vient que la conscience comme le choix est une conclusion particulière sur ce qui doit être accompli ou fui ; mais la conscience est une conclusion cognitive seulement, alors que le choix une conclusion affective, car telles sont les conclusions en matière de comportement, comme on le dit dans Éthique, VI.

[5610] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod tota virtus conclusionis ex primis principiis trahitur; et inde est quod conscientia et synderesis frequenter pro eodem accipiuntur, et judicium utrique attribuitur, et praecipue judicium universale, quod per delectationem peccati non corrumpitur, sed magis judicium in particularibus: et ideo non dixit synderesim praecipitari, sed conscientiam.

3. Toute la force d’une conclusion est tirée des premiers principes. De là vient que la conscience et la syndérèse sont souvent prises pour la même chose, et que le jugement est attribué aux deux, surtout le jugement universel, qui n’est pas corrompu par la délectation du péché, mais plutôt le jugement sur des choses particulières. C’est pourquoi on ne dit pas que la syndérèse est entraînée, mais la conscience.

[5611] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod conscientia et actum et habitum nominare potest: est enim scire in habitu et scire in actu; unde et conscientia diversimode accipi potest, ut dictum est.

4. La conscience peut désigner l’acte et l’habitus. En effet, on peut connaître par habitus et connaître en acte. Aussi la conscience peut-elle s’entendre de diverses manières, comme on l’a dit.

[5612] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod conscientia, secundum quod accipitur pro habitu, potest dici lex naturalis, quia ex habitu illo praecipue actus conscientiae elicitur.

5. La conscience, si on l’entend comme un habitus, peut être appelée la loi naturelle, car l’acte de la conscience est principalement tiré de cet habitus.

[5613] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 ad 6Ad sextum dicendum, quod habitus ille ex quo nascitur actus conscientiae, non est habitus separatus ab habitu rationis et synderesi: quia non alius habitus est principiorum et conclusionum quae eliciuntur ab eis, et praecipue earum quae sunt circa singularia, quorum non est habitus scientiae, nisi secundum quod continentur in principiis universalibus.

6. L’habitus dont provient l’acte de la conscience n’est pas un habitus séparé de l’habitus de la raison et de la syndérèse, car il n’existe pas un habitus des principes et [un habitus] des conclusions qui sont tirées d’eux, surtout de celles qui portent sur des choses singulières, pour lesquelles il n’y a d’habitus de science que pour celles qui sont contenues dans les principes universels.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 24, Question 2

[5614] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 2 a. 4 expos.Sed non perficere bonum. Intelligendum est de bono meritorio. Quia nihil in eo erat quod ad malum impelleret. Videtur haec causa esse insufficiens: quia in Christo etiam nihil fuit ad malum impellens, et tamen resistendo malo meruit. Et dicendum, secundum quosdam, quod hoc intelligitur non de quolibet merito, sed de merito satisfactionis, ad quam poena requiritur. Sed hoc non videtur esse ad propositum, quia Adam merito satisfactionis non indigebat: et ideo aliter potest dici, quod ratio meriti ex duobus potest sumi; vel ex habitu informante; et sic omnis actus, vel facilis vel difficilis, gratia informatus meritorius est: vel ex conditione actus, praecipue in quo est difficultas; et hanc rationem merendi in resistendo peccato non habuit.

 

mmm

 

QUAESTIO 3

Question 3 – [Le péché dans les puissances de l’âme]

PROOEMIUM

Prologue

[5615] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 pr. Illud quoque praetermittendum non est, quod talis nunc in unoquoque homine est ordo tentationis et progressio, qualis tunc in primis praecessit parentibus. Ostensa diversitate quadam partium animae, hic ostendit quomodo contingat in eis peccatum esse; et dividitur in partes tres: in prima ostendit qualiter in unaquaque parte animae possit esse peccatum mortale et veniale; in secunda assignat hujusmodi digressionis, quam fecit, causam, ibi: haec de partibus animae inseruimus, ut ipsius animae natura plenius cognosceretur; in tertia removet quamdam dubitationem quae posset accidere, distinguendo sensualitatis nomen, ibi: non est autem silentio praetereundum, quod saepe in Scriptura nomine sensualitatis (...) etiam inferior portio rationis (...) intelligitur. Prima in duas: in prima adaptat per quamdam similitudinem processum peccati in viribus animae peccato priorum parentum, quantum ad virum et mulierem et serpentem; in secunda ostendit, qualiter in singulis contingat esse peccatum, ibi: nunc superest ostendere, quomodo per haec tria in nobis consummetur peccatum. Et circa hoc tria facit: primo ostendit, qualiter contingat in partibus animae peccatum mortale vel veniale esse; secundo summatim colligit ea quae dixerat, ibi: itaque ut breviter summam perstringam et cetera. Tertio inducit auctoritates ad confirmandum, ibi: haec autem Augustinus in Lib. 12 de Trinitate tradit ita. Hic quaeruntur sex: 1 quis motus sit sensualitatis, et rationis inferioris et superioris; 2 utrum motus sensualitatis possit esse peccatum; 3 utrum in ratione possit esse peccatum; 4 utrum delectatio rationis inferioris aliquo modo possit esse peccatum mortale, si diu permaneat; 5 utrum in ratione superiori possit esse peccatum veniale; 6 utrum veniale per multiplicationem vel alio modo possit esse mortale.

« Il ne faut pas non plus omettre que l’ordre de la tentation et sa progression en chaque homme est le même que celui qui a précédé chez les premiers parents. » Après avoir montré une certaine diversité dans les parties de l’âme, [le Maître] montre ici comment le péché survient chez elles. Il y a trois parties. Dans la première, il montre comment il peut y avoir péché mortel et péché véniel en chaque partie de l’âme ; dans la deuxième, il donne la cause de la digression qu’il a faite, à cet endroit : « Nous avons inséré cela à propos des parties de l’âme afin que soit mieux connue la nature de l’âme elle-même » ; dans la troisième, il écarte un doute qui pourrait survenir, en faisant une distinction à propos du mot « sensualité », à cet endroit : « Il ne faut pas non plus passer sous silence que souvent dans l’Écriture, on entend aussi par le mot “ sensualité ˮ la partie inférieure de la raison. » La première partie se divise en deux : dans la première partie, il rapproche du péché des parents, par une comparaison, le déroulement du péché dans les puissances de l’âme, pour l’homme, la femme et le serpent ; dans la seconde, il montre comment survient le péché en chacune, à cet endroit : « Il reste maintenant à montrer comment le péché est consommé en nous par ces trois choses. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il montre comment il arrive que le péché mortel ou véniel existe dans les parties de l’âme. Deuxièmement, il résume sommairement ce qu’il avait dit, à cet endroit : « Ainsi, pour résumer brièvement… » Troisièmement, il invoque des autorités pour le confirmer, à cet endroit : « Augustin enseigne cela dans Sur la Trinité, XII. » Ici, six questions sont posées : 1. Quel est le mouvement de la sensualité, de la raison inférieure et de la raison supérieure ? 2. Un mouvement de la sensualité peut-il être péché ? 3. Peut-il y avoir un péché dans la raison ? 4. La délectation de la raison inférieure peut-elle être de quelque manière péché, si elle dure longtemps ? 5. Peut-il y avoir un péché véniel dans la raison supérieure ? 6. Le [péché] véniel peut-il être mortel par sa multiplication ou d’une autre manière ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum motus sensualitatis, et rationis superioris et inferioris convenienter et sufficienter assignetur in littera

Article 1 – Le mouvement de la sensualité, de la raison supérieure et de la [raison] inférieure est-il suffisamment assigné dans le texte ?

[5617] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod insufficienter et inconvenienter distinguantur in littera motus sensualitatis, et inferioris et superioris rationis. Omnis enim virtus naturaliter in suum objectum movetur. Sed virtus generativa et nutritiva est quaedam naturalis virtus. Ergo habet aliquem motum naturalem in actum generationis et comestionis: et ita praeter motum sensualitatis et rationis, oportet ponere motum naturalem.

1. Il semble que, dans le texte, les mouvements de la sensualité, de la raison supérieure et la [raison] inférieure soient insuffisamment et incorrectement distingués. En effet, toute puissance est naturellement mue vers son objet. Or, la puissance génératrice et nutritive sont des puissances naturelles. Elle possède donc un mouvement naturel de génération et d’alimentation. Ainsi, en plus du mouvement de la sensualité et de la raison, il faut placer le mouvement naturel.

[5618] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 arg. 2Praeterea, motus specificatur per terminum, et actus per objectum. Sed aliquis actus peccati est actus generativae, et objectum alicujus actus peccati est objectum generativae et nutritivae. Ergo motus in istud objectum ad generativam pertinet, et non ad sensualitatem et rationem: et ita insufficienter motus animae dividuntur.

2. Le mouvement est spécifié par son terme et l’acte par son objet. Or, un acte de la [puissance] génératrice est un acte de péché, et l’objet d’un péché est l’objet des [puissances] génératrice et nutritive. Le mouvement vers cet objet relève donc de la [puissance] génératrice, et non de la sensualité et de la raison. Et ainsi, les mouvements de l’âme sont-ils insuffisamment distingués.

[5619] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 arg. 3Praeterea, diversarum potentiarum diversa sunt delectabilia, sicut et diversae operationes: delectatio enim operationem sequitur, ut in 10 Ethic. dicitur. Sed sensualitas et inferior ratio sunt diversae potentiae. Ergo delectationem non habent circa idem: et ita inconvenienter ratio inferior ponitur circa idem delectari in quo delectatur sensualitas.

3. Des plaisirs différents relèvent de puissances différentes, ainsi que des opérations différentes : en effet, le plaisisr découle de l’opération, comme il est dit dans Éthique, X. Or, la sensualité et la raison inférieure sont des puissances différentes. Leurs plaisisrs ne portent donc pas sur la même chose, et ainsi c’est de manière inappropriée qu’on affirme de la raison inférieure qu’elle se délecte du même objet dont se délecte la sensualité.

[5620] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 arg. 4Praeterea, sicut supra dictum est, ratio superior et inferior non differunt per essentiam potentiae; sed in respectu ejusdem objecti per diversa media negotiari habent. Si ergo rationi inferiori attribuitur delectatio circa sensibilia ex hoc quod de sensibilibus negotiari habet per rationes civiles et a rebus creatis sumptas, videtur quod etiam superiori rationi possit aliqua delectatio circa sensibilia adscribi, ex hoc quod de eis per rationes divinas negotiatur, secundum quod intendit aeternis consulendis, ut dictum est.

4. Comme on l’a dit plus haut, la raison supérieure et la [raison] inférieure ne diffèrent pas selon l’essence de la puissance, mais elles doivent faire affaire avec le même objet par des moyens différents. Si donc on attribue à la raison inférieure le plaisir portant sur les choses sensibles, du fait qu’il doit faire affaire avec les réalités sensibles selon des raisons politiques et tirées des choses créées, il semble qu’on puisse aussi attribuer à la raison supérieure un plaisir portant sur les réalités sensibles, du fait qu’elle fait affaire avec elles selon des raisons divines, dans la mesure où elle entend consulter les [réalités] éternelles, ainsi qu’on l’a dit.

[5621] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 arg. 5Praeterea, consensus pertinet ad eum cujus est judicium. Sed ejusdem est judicare et regulare. Cum igitur ratio superior sit regula rationis inferioris, videtur quod consensus in delectationem ad rationem inferiorem non pertineat, sed ad superiorem.

5. Le consentement relève de celui à qui revient le jugement. Or, il relève du même de juger et d’imposer une règle. Puisque la raison supérieure est la règle de la raison inférieure, il semble donc que le consentement au plaisir ne relève pas de la raison inférieure, mais de la [raison] supérieure.

[5622] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 arg. 6Praeterea, ejusdem potentiae non sunt diversi actus. Sed ratio inferior est una potentia. Ergo videtur quod inconvenienter assignentur sibi duo motus, scilicet delectari, et consentire in delectationem.

6. Divers actes ne relèvent pas de la même puissance. Or, la raison inférieure est une seule puissance. Il semble donc qu’on lui assigne de manière inappropriée deux mouvements : prendre plaisir et consentir à la délectation.

[5623] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 s. c. 1Sed contra est quod in littera determinatur.

Cependant, il y a ce qui est déterminé dans le texte.

[5624] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod motus, ut dicit philosophus, est via in ens; unde in partibus animae motus proprie dicitur inclinatio ad aliquid; et ideo quibus viribus inclinatio non convenit, eis proprie motus non attribuitur. Inclinatio autem est in appetitu, qui movet in aliquid agendum: et ideo actus appetitivarum virtutum, motus vocantur; non autem proprie actus apprehensivarum. Est autem in nobis triplex appetitus, scilicet naturalis, sensitivus, et rationalis. Naturalis quidem appetitus, puta cibi, est quem non imaginatio gignit, sed ipsa qualitatum naturalium dispositio, quibus naturales vires suas actiones exercent. Hic autem motus in nullo rationi subjacet nec obedit; unde nec in eo peccatum esse potest: et ideo hic praetermittitur. Appetitus autem sensitivus est qui ex praecedenti imaginatione vel sensu consequitur; et hic vocatur motus sensualitatis. Appetitus autem rationalis est qui consequitur apprehensionem rationis; et hic dicitur motus rationis, qui est actus voluntatis. Sed rationis apprehensio dupliciter esse potest. Una simplex et absoluta, quando scilicet statim sine discussione apprehensum dijudicat; et talem apprehensionem sequitur voluntas quae dicitur non deliberata. Alia est inquisitiva, quando scilicet ratiocinando, bonum vel malum, conveniens vel nocivum investigat; et talem apprehensionem sequitur voluntas deliberata. Ratio ergo inferior, quae terrenis disponendis intendit, utroque modo motum voluntatis circa terrena elicere potest: vel quando subito apprehendit hoc esse conveniens vel nocivum corpori; et tunc sequitur motus rationis inferioris, qui dicitur delectatio; quia tunc accipit illud quod corpori delectabile est ut faciendum: vel quando inquirendo deliberat; et tunc non potest sequi appetitus ante deliberationem finitam, et tunc consentire dicitur in delectationem. Ratio autem superior, quia per se rebus terrenis non intendit, sed solum secundum quod regulatur rationibus aeternis, non sequitur ipsam aliquis motus nisi deliberatus respectu horum terrenorum: et ideo respectu eorum non attribuitur sibi delectatio, sed solum ultimus consensus, qui est consensus in executione operis.

Réponse. Comme le dit le Philosophe, le mouvement est le chemin vers l’être. Aussi, dans les parties de l’âme, parle-t-on de manière propre de mouvement pour l’inclination à quelque chose. C’est pourquoi on n’attribue pas au sens propre le mouvement aux puissances auxquelles une inclination ne convient pas. Or, l’inclination se trouve dans l’appétit, qui meut à accomplir quelque chose. C’est la raison pour laquelle les actes des puissances appétitives sont appelées des mouvements, mais non pas au sens propre les actes des [puissances] cognitives. Or, il existe en nous trois appétits : l’[appétit] naturel, l’[appétit] sensible et l’[appétit] raisonnable. Le plaisir naturel, par, exemple, celui de nourriture, est celui que n’engendre pas l’imagination, mais la disposition même des qualités naturelles, par lesquelles les puissances naturelles exercent leurs actions. Or, ce mouvement n’est d’aucune manière soumis ni n’obéit à la raison ; aussi ne peut-il y avoir de péché en lui. C’est pourquoi on l’omet ici. Mais l’appétit sensible est celui qui découle de l’imagination ou du sens qui précèdent : celui-ci est appelé un mouvement de la sensualité. Mais l’appétit raisonnable est celui qui découle de la connaissance de la raison : celui-ci s’appelle un mouvement de la raison, qui est un acte de la volonté. Or, la connaissance par la raison peut être double. L’une est simple et absolue, lorsqu’elle juge aussitôt et sans discussion de ce qu’elle a saisi : la volonté dite non délibérée suit une telle connaissance. L’autre comporte recherche, lorsque, en raisonnant, elle cherche le bien ou le mal, ce qui est approprié ou ce qui est nuisible. La volonté délibérée suit une telle connaissance. La raison inférieure, qui se penche sur la disposition des réalités terrestres, peut tirer des deux façons un mouvement de la volonté concernant les choses terrestres : soit elle saisit aussitôt que telle chose convient au corps ou lui est nuisible, et alors suit un mouvement de la raison inférieure, appelé plaisir, car elle comprend alors que ce qui est délectable pour le corps doit être fait ; soit elle délibère en cherchant, et alors un mouvement de l’appétit ne peut suivre avant la fin de la délibération, et on dit alors qu’elle consent au plaisir. Mais [pour] la raison supérieure, parce qu’elle ne s’occupe pas des réalités terrestres en elles-mêmes, mais seulement selon que s’impose à elle la règle de raisons éternelles, ne la suit qu’un mouvement délibéré par rapport à ces réalités terrestres. C’est pourquoi la délectation par rapport à elles ne lui est pas attribuée, mais seulement le dernier consentement, qui est le consentement à l’accomplissement de l’acte.

[5625] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod, sicut dictum est, motus naturalis ideo praetermittitur, quia in ipso peccatum esse non potest.

1. Comme on l’a dit, le mouvement naturel est omis parce qu’il ne peut y avoir de péché en lui.

[5626] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum est, quod cum vires superiores aliquo modo ordinent inferiores circa actum generativae et nutritivae, contingit esse actus etiam aliarum potentiarum, vel sensus vel rationis. Verbi gratia, maturatio seminis, et organizatio prolis, et hujusmodi, absolute ad generationem pertinent; et quia generativa nullo modo rationi obedit, ideo in his actibus nullo modo contingit esse peccatum. Sed appetitus delectationis, et delectatio ipsa quae in coitu accidit, et alia hujusmodi, quae ad virtutem sensitivam et motivam pertinent, possunt ordinari a ratione vel vitari; unde in his peccatum est, quae nec ad potentiam generativam vel nutritivam pertinent.

2. Parce que les puissances supérieures ordonnent de quelque manière les [puissances] inférieures à propos de l’acte de la [puissance] génératrive et de la [puissance] nutritive, il arrive qu’il y ait aussi un acte des autres puissances, soit du sens, soit de la raison. Par exemple, la maturation de la semence et l’organisation du fœtus, et les choses de ce genre, relèvent de manière absolue de la génération. Et parce que la [puissance] génératrice n’obéit d’aucune manière à la raison, c’est la raison pour laquelle il ne se produit pas de péché dans ces actes. Mais l’appétit du plaisir et le plaisisr lui-même qui survient dans la relation sexuelle, et les autres choses de ce genre, qui relèvent de la puissance sensible et de la [puissance] motrice, peuvent être ordonnés ou évités par la raison. C’est pourquoi il y a péché dans ces choses, qui n’ont de rapport ni avec la puissance génératrice ni avec la [puissance] nutritive.

[5627] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod sicut contingit idem esse apprehensum per sensum et rationem; ita etiam contingit idem esse desideratum per utrumque: et ideo quamvis non sit eadem operatio utriusque, tamen potest esse circa idem, et per consequens etiam delectatio quae operationem consequitur; unde non est inconveniens, si circa idem sensus et ratio delectatur, non tamen eodem modo; sed sensus delectatur in eo sub ratione delectabilis in sensu, ratio vero inferior secundum quod accipitur in ratione boni vel convenientis ad regimen corporis.

 

3. De même qu’il arrive que la même chose soit saisie par le sens et par la raison, de même aussi arrive-t-il que la même chose soit désirée par les deux. Bien que ce ne soit pas la même opération pour les deux, elles peuvent cependant porter sur la même chose et, par conséquent, aussi le plaisir qui découle de l’opération. Il n’est donc pas inapproprié que le sens et la raison prennent plaisir à la même chose, bien que ce ne soit pas de la même manière ; mais le sens y prend plaisir sous l’aspect de ce qui est délectable dans le sens, et la raison inférieure selon que cela est saisi sous l’aspect de bien ou de convenable pour la conduite du corps.

[5628] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod, sicut dictum est, ratio superior non habet motum circa res temporales, nisi deducendo ad eas per modum consilii rationes aeternas: et ideo non se habet nisi ut deliberans de eis: et ideo sibi delectatio in his rebus non attribuitur, quae nominat quamdam complacentiam non deliberatam, sed tantum consensus, qui deliberationem consequitur.

4. Comme on l’a dit, la raison supérieure n’a pas de mouvement concernant les réalités temporelles, si ce n’est en y reliant les raisons éternelles par mode de conseil. C’est pourquoi elle ne fait que délibérer d’elles. C’est pourquoi le plaisir de ces choses, qui désigne une certaine complaisance non délibérée, ne lui est pas attribué, mais seulement le consentement, qui découle de la délibération.

[5629] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod ratio superior regulat inferiorem, et ratio inferior sensualitatem, et etiam seipsam aliquo modo dirigere potest. Quandocumque autem sunt plura principia ordinata, semper ordinatio in ultimum attribuitur primo et summo; sicut patet in artibus subalternatis: quia civilis considerat ultimum finem humanae vitae; militaris autem victoriam, quae est citra hunc finem, et sic de aliis: et secundum hoc dico, quod rationi superiori reservatur judicium respectu ultimi, quod est executio operis; et ideo attribuitur sibi consensus in opus: rationi vero inferiori attribuitur judicium respectu aliquorum ad opus ordinatorum; et ideo attribuitur sibi consensus in delectationem. Non tamen est dubium quin etiam superior judicare possit de hoc de quo judicat inferior; unde et consensus in delectationem, superioris esse potest, si fiat inquisitio per rationes aeternas.

5. La raison supérieure impose sa règle à la raison inférieure, et la raison inférieure à la sensualité, et même celle-ci peut-elle se diriger de quelque manière. Chaque fois que plusieurs principes sont ordonnés, la mise en ordre est ultimement attribuée au premier et au plus grand, comme cela ressort dans les arts subalternés, car le politique considère la fin ultime de la vie humaine, le militaire la victoire, qui est en-deça de cette fin, et ainsi de suite pour les autres. Je dis ainsi que le jugement sur ce qui est ultime, qui est l’accomplissement d’un acte, est réservé à la raison supérieure. Aussi lui attribue-t-on le consentement à l’acte. Mais on attribue à la raison inférieure le jugement sur certaines choses qui sont ordonnées à cet acte ; c’est pourquoi le consentement au plaisir lui est attribué. Cependant, il n’y a pas de doute que même la [raison] supérieure puisse juger de ce dont juge la [raison] inférieure, de sorte que le consentement à la délectation peut relever de la [raison] supérieure, si la recherche s’effectue selon des raisons éternelles.

[5630] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 1 ad 6Ad sextum dicendum, quod delectatio et consensus in delectationem non sunt diversi actus secundum genus, qui diversitatem potentiae exigant; sed differunt per deliberatum et non deliberatum, ut dictum est; unde non est inconveniens, utrumque rationi inferiori attribui.

6. La délectation et le consentement à la délectation ne sont pas des actes différents par leur genre, qui exigeraient une différence entre les puissances, mais ils diffèrent par le fait d’être délibéré et de n’être pas délibéré, ainsi qu’on l’a dit. Il n’est donc pas inapproprié que les deux soient attribués à la raison inférieure.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum in sensualitate sit peccatum

Article 2 – Le péché existe-t-il dans la sensualité ?

[5632] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in sensualitate non possit esse peccatum. Sensualitas enim nobis pecoribusque communis est, ut supra dictum est. Sed in pecoribus non est peccatum, ut de peccato agimus. Ergo nec nobis secundum sensualitatem peccatum convenit.

1. Il semble qu’il ne puisse y avoir de péché dans la sensualité. En effet, nous partageons la sensualité avec les animaux sans raison, comme on l’a dit plus haut. Or, il n’y a pas de péché chez les animaux sans raison, tel que nous traitons du péché. Le péché selon la sensualité ne nous convient donc pas.

[5633] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 arg. 2Praeterea, omne peccatum in voluntate est, secundum Augustinum. Sed sensualitas a voluntate seclusa est, cum voluntas sit in ratione, secundum philosophum. Ergo in sensualitate non est peccatum.

2. Tout péché se trouve dans la volonté, selon Augustin. Or, la sensualité est distincte de la volonté, puisque la volonté se trouve dans la raison, selon le Philosophe. Il n’y a donc pas de péché dans la sensualité.

[5634] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 arg. 3Praeterea, virtus et vitium cum sint contraria, sunt in eodem. Sed sensualitas, cum sit perpetuae corruptionis, secundum statum praesentis vitae, subjectum virtutis esse non potest. Ergo nec in ea peccatum esse poterit.

3. Puisque la vertu et le vice sont contraires, ils existent dans un même [sujet]. Or, la sensualité, puisqu’elle est toujours corrompue dans l’état de la vie présente, ne peut être le sujet de la vertu. Il ne peut donc pas non plus y avoir en elle de péché.

[5635] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 arg. 4Praeterea, nulli imputatur aliquid ad culpam quod in ejus potestate non est. Sed motus sensualitatis non est in potestate nostra, cum deliberationem rationis praecedat. Ergo non potest esse peccatum.

4. On n’impute comme faute à quelqu’un rien qui ne soit en son pouvoir. Or, le mouvement de la sensualité n’est pas en notre pouvoir, puisqu’il précède la délibération de la raison. Il ne peut donc être un péché.

[5636] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 arg. 5Praeterea, actus proprius et naturalis alicujus non potest esse peccatum. Sed moveri in delectabilia secundum carnem, est actus proprius et naturalis sensualitatis, cum sit motus potentiae in proprium objectum. Ergo in hoc non potest esse peccatum.

5. L’acte propre et naturel d’une chose ne peut être péché. Or, être mû vers des choses délectables selon la chair est l’acte propre et naturel de la sensualité, puisque c’et le mouvement d’une puissance vers son objet propre. Il ne peut donc y avoir en cela de péché.

[5637] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 arg. 6Praeterea, peccatum post mortem etiam in anima manet. Sed sensualitas non manet: quia solus intellectus separatur, ut philosophus dicit in 2 de anima, et 12 Metaphysic. Ergo in sensualitate non est peccatum.

6. Le péché demeure dans l’âme même après la mort. Or, la sensualité ne demeure pas, car seul l’intellect est séparé, comme le dit le Philosophe, Sur l’âme, II et Métaphysique, XII. Il n’y a donc pas de péché dans la sensualité.

[5638] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 s. c. 1Sed contra, Augustinus dicit, quod nonnullum vitium est cum caro adversus spiritum concupiscit. Sed hoc non contingit nisi secundum inordinatos motus sensualitatis. Ergo in ea est vitium et peccatum.

Cependant, [1] Augustin dit qu’il y a vice lorsque la chair désire à l’encontre de l’esprit. Or, cela ne se produit que par les mouvements désordonnés de la sensualité. Il y a donc vice et péché en elle.

[5639] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 s. c. 2Hoc etiam expresse habetur per hoc quod in littera dicitur, quod si in motu sensuali tantum peccati illecebra teneatur, veniale ac levissimum peccatum est. Ergo videtur quod saltem veniale peccatum in sensualitate esse possit.

[2] Il est aussi dit expressément dans le texte que « si l’on retient dans une certaine mesure l’attrait du péché dans le mouvement sensuel », c’est un péché véniel et très léger. Il semble donc qu’il puisse y avoir au moins péché véniel dans la sensualité.

[5640] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod omnes primi motus qui sensualitati adscribuntur, ut verba Augustini asserunt, peccatum sunt; sed motus praecedentes, quos supra naturales diximus, qui imaginationem non sequuntur, sed solum naturalium qualitatum actionem, ratione peccati carent, secundum quod potest verificari quorumdam dictum, qui dicunt, quod motus primo primi non sunt peccatum, sed motus secundo primi sunt peccatum; ut per primo primos motus naturales, et per secundo primos motus sensualitatis intelligamus, in qua peccatum est, etiam sicut in subjecto: quod sic patet. Peccatum enim, ut pertinet ad praesentem considerationem, non est aliud quam inordinatus actus ad genus moris pertinens. Nullus autem motus ponitur in genere moris nisi habita comparatione ad voluntatem, quae principium est moralium, ut ex 6 Metaph. patet: et ideo ibi incipit genus moris ubi primo dominium voluntatis invenitur. Habet autem voluntas in quibusdam dominium completum, in quibusdam vero incompletum. Completum dominium habet in illis actibus qui ex imperio voluntatis procedunt; et hi sunt actus deliberationem sequentes, qui rationi adscribuntur. Sed incompletum dominium habet in illis actibus qui non per imperium rationis procedunt, sed tamen voluntas eos impedire poterat, ut sic quodammodo voluntati subjaceant, quantum ad hoc quod est impediri, vel non impediri: et ideo inordinatio quae in his actibus contingit, rationem peccati causat, tamen incompleti: et ideo in his actibus peccatum levissimum et veniale est, non autem mortale, quod est perfectum peccatum. Deformitas autem cujuslibet actus illi potentiae attribuitur ut subjecto quae actus principium est: et ideo cum sensualitas sit principium horum actuum, convenienter in ea peccatum esse dicitur ut in subjecto.

Réponse. Tous les premiers mouvements qui sont attribués à la sensualité, comme le disent les paroles d’Augustin, sont un péché ; mais les mouvements qui [les] précèdent, que nous avons appelés plus haut naturels, qui ne suivent pas l’imagination, mais seulement l’action des qualités naturelles, sont dépourvus de la raison de péché, comme on peut le vérifier par ce que disent certains, que « les mouvements antérieurs aux premiers [mouvements] ne sont pas un péché, mais les mouvements qui suivent les premiers [mouvements] sont un péché » ‑ on entend par mouvement antérieurs aux premiers les mouvements naturels et, par mouvements qui suivent les premiers, les mouvements de la sensualité, dans la laquelle le péché existe comme dans un sujet. Cela ressort de la manière suivante. En effet, le péché, tel qu’il relève de la considération présente, n’est rien d’autre qu’un acte désordonné se rapportant au genre du comportement (genus moris). Or, aucun mouvement n’est mis dans le genre du comportement que par comparaison avec la volonté, qui est le principe des réalités morales, comme cela ressort de Métaphysique, VI. Aussi le genre du comportement commence-t-il là on l’on trouve en premier lieu le pouvoir de la volonté. Or, la volonté possède en certaines choses un pouvoir complet, mais en d’autres, un [pouvoir] incomplet. Elle possède un pouvoir complet sur les actes qui procèdent du commandement de la volonté : tels sont les actes qui suivent la délibération, qui sont attribués à la raison. Mais elle possède un pouvoir incomplet sur les actes qui ne procèdent pas d’un commandement de la raison, mais que la volonté pouvait cependant empêcher, de sorte que, d’une certaine manière, ils sont soumis à la volonté pour ce qui est de les empêcher ou de ne pas les empêcher. C’est pourquoi le désordre qui survient dans ces actes cause la raison de péché, incomplet cependant. Aussi y a-t-il un péché très léger et véniel dans ces actes, mais non pas mortel, lequel est un péché complet. Or, la difformité de n’importe quel acte est attribuée comme à son sujet à la puissance qui est le principe de cet acte. Puisque la sensualité est le principe de ces actes, c’est donc de manière appropriée qu’on dit du péché qu’il existe en elle comme dans son sujet.

[5641] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sensualitas nobis pecoribusque communis sit, tamen aliquid convenit sensualitati in nobis quod non convenit sibi in brutis, scilicet esse aliqualiter subjectam rationi, ratione cujus in sensualitate humana potest esse peccatum, non autem in sensualitate brutali.

1. Bien que la sensualité soit commune à nous et aux animaux sans raison, il existe cependant en nous pour la sensualité quelque chose qui ne lui convient pas chez les animaux sans raison : le fait d’être, d’une certaine manière, soumise à la raison, raison pour laquelle il peut exister un péché dans la sensualité humaine, mais non dans la sensualité des animaux sans raison.

[5642] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod omne peccatum est in voluntate, non sicut in subjecto, sed sicut in causa. Sed voluntatem esse causam alicujus peccati contingit dupliciter: vel per se, ut quando actus peccati ex imperio voluntatis procedit; vel quasi per accidens, quando non impedit quod impedire potest: sicut dicitur aliquis facere id quod non impedit, cum impedire possit: et hoc modo est causa primorum motuum.

2. Tout péché réside dans la volonté, non pas comme dans son sujet, mais comme dans sa cause. Or, que la volonté soit la cause d’un péché, cela arrive de deux manières : soit par elle-même, comme lorsque le péché procède du commandement de la volonté ; soit pour ainsi dire par accident, lorsqu’elle n’empêche pas ce qu’elle pourrait empêcher. Ainsi dit-on que quelqu’un fait ce qu’il n’empêche pas, alors qu’il peut l’empêcher. C’est de cette manière qu’elle est cause des premiers mouvements.

[5643] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod electio est principale in virtute, ut philosophus dicit; unde oportet omnem actum virtutis ex electione procedere: propter quod etiam virtutis habitus electivus dicitur in 2 Ethic., et ideo virtus non potest esse nisi in illis actibus qui ex imperio voluntatis procedunt, quamvis etiam sint sensitivarum partium: propter quod in irascibili et concupiscibili ponimus esse virtutem: et similiter etiam est de eo quod perfectam rationem peccati habet, quod per se virtuti opponitur: et ideo actus irascibilis et concupiscibilis potest esse actus virtutis, vel peccati mortalis: sed sensualitas, ut supra dictum est, nominat partem sensitivam secundum quod magis ad carnem depressa est, prout non sequitur in operando imperium voluntatis, sed movetur proprio motu; et ideo in ea non potest esse actus virtutis vel peccati mortalis, sed quiddam incompletum in genere moris, quod est peccatum veniale.

3. Le choix est ce qui est principal dans la vertu, comme le dit le Philosophe. Aussi faut-il que tout acte de vertu procède du choix ; c’est aussi pour cette raison que l’habitus de la vertu est appelé électif, Éthique, II, et que la vertu ne peut exister que dans les actes qui procèdent du commandement de la volonté, bien qu’ils relèvent aussi des parties sensibles. C’est la raison pour laquelle nous plaçons la vertu dans l’irascible et dans le concupiscible. De même aussi, est-ce ce qui s’oppose à la vertu, qui possède la raison parfaite de péché. Aussi l’acte de l’irascible et du concupiscible peut-il être un acte de vertu ou de péché mortel. Mais la sensualité, comme on l’a dit plus haut, désigne la partie sensible selon qu’elle est plutôt enfoncée dans la chair, dans la mesure où elle ne suit pas le commandement de la volonté pour ce qui doit être fait, mais est mue par son mouvement propre. C’est pourquoi il ne peut pas y avoir en elle d’acte de vertu ou de péché mortel, mais quelque chose d’incomplet dans le genre du comportement, qui est le péché véniel.

[5644] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod motus isti quodam modo sunt in potestate nostra, et alio modo non sunt. Si enim quilibet eorum singillatim consideretur, sic in potestate nostra sunt: quia quemlibet eorum praeveniendo impedire possumus. Si autem omnes simul considerentur, sic in potestate nostra non sunt: quia dum uni obviare nitimur, ex alia parte potest motus illicitus surrepere: non enim potest esse simul intentio renitentis voluntatis contra diversa in actu.

4. Ces mouvements sont, d’une certaine manière, en notre pouvoir et ne le sont pas d’une autre manière. En effet, si on considère chacun séparément, ils sont ainsi en notre pouvoir, car nous pouvons empêcher n’importe quel d’entre eux en les prévenant. Mais si on les considère tous en même temps, ils ne sont pas ainsi en notre pouvoir, car, alors que nous nous efforçons de résister à l’un, un mouvement défendu peut surgir d’ailleurs. En effet, il ne peut y avoir en même temps d’intention de la volonté de résister à diverses choses en acte.

[5645] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod aliquis actus potest esse proprius sensualitatis simpliciter, qui non est proprius sensualitatis secundum quod humana est: quoniam sensualitatis humanae est ut ejus motus non sit contra rectitudinem rationis; unde sequitur quod aliquis actus in brutis est laudabilis, qui in homine est vituperabilis.

5. Un acte peut être simplement propre à la sensualité, sans être propre à la sensualité selon qu’elle est humaine, car il relève de la sensualité humaine que son mouvement n’aille pas à l’encontre de la droiture de la raison. Il en découle donc qu’un acte est louable chez les animaux sans raison, qui est répréhensible chez l’homme.

[5646] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 2 ad 6Ad sextum dicendum, quod quamvis potentiae sensitivae, secundum quorumdam opinionem, per suam essentiam non maneant post mortem, manent tamen in sua radice, scilicet in essentia animae, a qua potentiae fluunt: et sic manet peccatum sensualitatis in anima, secundum quod peccatum unius potentiae in totum redundat.

6. Bien que, selon l’opinion de certains, les puissances sensibles ne demeurent pas selon leur essence après la mort, elles demeurent cependant dans leur racine, à savoir, dans l’essence de l’âme, dont découlent les puissances. Et ainsi, le péché de sensualité demeure-t-il dans l’âme, selon que le péché d’une puissance rejaillit sur le tout.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum in ratione possit esse peccatum

Article 3 – Peut-il y avoir péché dans la raison ?

[5648] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in ratione non possit esse peccatum. Ratio enim potentiam cognitivam nominat. Sed peccatum ad affectum pertinet. Ergo in ratione peccatum non est.

1. Il semble qu’il ne puisse y avoir de péché dans la raison. En effet, la raison désigne une puissance cognitive. Or, le péché relève de l’affectivité. Il n’y a donc pas de péché dans la raison.

[5649] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 3 arg. 2Praeterea, in 3 de anima dicit philosophus, quod intellectus semper est rectus. Sed ubi est rectitudo perpetua, ibi non potest esse peccati curvitas. Ergo in ratione, quae ad intellectum pertinet, peccatum esse non potest.

2. Dans Sur l’âme, III, le Philosophe dit que l’intellect est toujours droit. Or, là où il y a une rectitude perpétuelle, la courbe du péché ne peut exister. Le péché ne peut donc exister dans la raison, qui relève de l’intellect.

[5650] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 3 arg. 3Praeterea, Dionysius dicit, peccatum esse contra rationem. Si ergo in ratione esset peccatum, in ratione aliquid contrarium rationi existeret, quod est impossibile. Ergo et primum, scilicet in ratione peccatum esse.

3. Denys dit que le péché est contraire à la raison. Si donc le péché existait dans la raison, quelque chose de contraire à la raison existerait dans la raison, ce qui est impossible. Il faut donc retenir la première position, à savoir qu’il n’y a pas de péché dans la raison.

[5651] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 3 arg. 4Praeterea, superior ratio habet hunc actum ut contemplandis aeternis inhaereat, sicut supra dictum est. Sed ex hoc quod aliquis aeternis inhaeret, non peccat. Ergo in ratione, ad minus superiori, non potest esse peccatum.

4. La raison supérieure possède l’acte de contempler les réalités éternelles, comme on l’a dit plus haut. Or, en s’attachant aux réalités éternelles, on ne pèche pas. Tout au moins dans la raison supérieure, ne peut-il donc y avoir de péché.

[5652] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 3 arg. 5Praeterea, in partibus animae invenitur aliqua perpetuae corruptionis, scilicet sensualitas: invenitur etiam aliqua in qua potest esse et peccati curvitas et virtutis rectitudo. Ergo ad perfectionem potentiarum animae oportet esse aliquam quae sit perpetuae rectitudinis. Sed hoc nulli congruentius adscribitur quam superiori rationi. Ergo in ea non potest esse peccatum.

5. Dans les parties de l’âme, on trouve quelque chose qui est toujours corrompu, la sensualité ; on trouve aussi des choses où il ne peut exister ni courbe du péché ni droiture de la vertu. Il est donc nécessaire à la perfection des puissances de l’âme qu’il y en ait une qui possède toujours la droiture. Or, cela ne peut être assigné de manière plus appropriée qu’à la raison supérieure. Le péché ne peut donc exister en elle.

[5653] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 3 s. c. 1Sed contra, eligere ad rationem pertinet. Sed contingit esse electionem rectam et non rectam. Ergo videtur quod in ratione possit esse peccatum.

Cependant, [1] choisir relève de la raison, Or, il arrive qu’il y ait un choix correct et incorrect. Il semble donc que le péché puisse exister dans la raison.

[5654] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 3 s. c. 2Praeterea, sicut se habet ratio speculativa ad scibilia, ita se habet ratio practica ad operabilia. Sed in scibilibus contingit esse peccatum in ratione speculativa ex eo quod quis non recte ratiocinatur. Ergo videtur quod etiam in operabilibus contingat esse in ratione peccatum, ex eo quod non recte eligitur.

[2] Le rapport entre la raison spéculative et ce qui peut être connu est le même que celui entre la raison pratique et ce qui peut être accompli. Or, pour ce qui peut être connu, il arrive qu’un péché existe dans la raison spéculative, du fait que quelqu’un ne raisonne pas correctement. Il semble donc que pour ce qui peut être accompli aussi, il puisse exister un péché dans la raison parce qu’on ne fait pas un choix correct.

[5655] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod rationis peccatum potest dici dupliciter. Uno modo ex eo quod est ipsius rationis secundum se: et sic dicimus esse in ratione peccatum, quando judicando errat, sive sit in speculativis, sive in operativis; et hoc est peccatum in cognitione, ex eo quod male syllogizatur. Alio modo dicitur esse peccatum in ratione ex parte voluntatis, quae per judicium rationis regulatur, ut tunc in ratione peccatum esse dicatur, quando sequitur perversa electio. Sciendum est igitur, quod quidam philosophi posuerunt quod secundo modo non contingit esse in ratione peccatum nisi etiam primo modo ratio erret; dicentes, omne peccatum ignorantiam esse, et scientem peccare non posse: quorum primus fuit Socrates, ut in 7 Ethic. dicitur, hac ratione inductus, quod non videtur conveniens ut nobilissimum, quod est scientia, ab ignobilibus passionibus vincatur; unde si scientia esset in nobis, passiones viles non sequerentur: quod quia ad sensum falsum apparet, ideo philosophus in eodem libro ostendit quomodo contingat scientem peccare, distinguens scientiam in universali et particulari; et similiter scientiam in habitu et actu; et in habitu dupliciter: quia habitus aliquando ligatus est, ne in actionem exeat, ut in ebriis patet; quandoque autem non est ligatus. Dicit ergo quod contingit peccantem esse scientem in universali et in actu, in particulari autem non contingit esse scientem in actu, sed in habitu tantum ligato passione vel irae vel concupiscentiae, ne ratio in rectam electionem prorumpat, sed motum passionis sequatur: et si etiam ore quis passioni subditus ea quae secundum rectam rationem sunt proferat in particulari, non tamen mente id tenet, sicut ebrius sapientum verba potest ore proferre quae intellectu non capit; et ideo cum ratio in operandis quodammodo syllogizet, invenitur judicium rationis in majori propositione quae universalis est: in minori autem propositione, quae particularis est, admiscetur passio, quae circa particulare viget; unde sequitur corruptio rationis in conclusione electionis. Verbi gratia, si dicatur: nulla fornicatio est committenda, in hoc judicium rationis perfectum est. Item proponatur alia: omnis fornicatio est delectabilis. Sub quibus duabus assumatur una particularis, haec scilicet: accedere ad hanc mulierem est fornicatio. Si ratio sit fortis ut nec etiam in particulari passione vincatur, inducet conclusionem negativam eligens fornicationem non committere. Si autem passione vincatur, eliciet conclusionem affirmativam, eligens in fornicatione delectari; et sic sumitur hic esse peccatum in ratione; quando scilicet post rationis deliberationem, eo quod ratio in particulari corrumpitur per passionem, sequitur prava electio. Et si quidem deliberatio fiat per rationes divinas, dicetur esse peccatum in superiori ratione, ut si procedat ex hoc quod omne prohibitum lege Dei est vitandum. Si vero per rationes creatas, dicitur esse peccatum in inferiori ratione; ut si procedat ex hoc quod omne id quod transcendit medium virtutis, est vitandum, vel aliquid hujusmodi.

Réponse. On peut parler de péché de la raison de deux manières. D’une manière, du fait qu’il relève de la raison en elle-même ; nous disons ainsi qu’il existe un péché dans la raison lorsqu’elle erre en jugeant, soit en matière spéculative, soit en matière d’actions à poser. C’est là un péché de la connaissance, dû au fait qu’on fait de mauvais syllogismes. D’une autre manière, on dit qu’il y a péché dans la raison du point de vue de la volonté, dont la règle vient de la raison ; on dit donc qu’il existe un péché dans la raison lorsqu’en découle un choix déréglé. Il faut donc savoir que certains philosophes ont affirmé qu’il ne se produit pas de péché dans la raison de la seconde manière, à moins que la raison n’erre de la première manière : ils disent que tout péché est ignorance, et que celui qui a la science ne peut pécher. Le premier d’entre eux était Socrate, comme on le dit dans Éthique, VII, entraîné par le raisonnement selon lequel il ne semble pas approprié que ce qui est le plus noble, la science, soit vaincu par de basses passions. Si donc nous avions la science, les passions viles n’en découleraient pas. Parce qu’il tombe sous le sens que cela est faux, le Philosophe montre dans le même livre comment il se fait que celui qui a la science pèche, en faisant une distinction entre la science de l’universel et [la science] du particulier, et aussi entre la science en habitus et [la science] en acte, car l’habitus est parfois lié et ne peut passer à l’acte, comme cela ressort chez ceux qui sont ivres ; mais, parfois, il n’est pas lié. Il dit donc qu’il arrive que celui qui pèche possède la science de l’universel en acte, mais que, pour le particulier, il n’arrive pas qu’il possède la science en acte, mais par un habitus tellement lié par la passion de la colère ou de la concupiscence, que la raison ne s’élance pas vers un choix correct, mais suit le mouvement de la passion. Et même si celui qui est soumis à la passion exprime pour le particulier ce qui est conforme à la droite raison, il ne le respecte cependant pas dans son esprit, comme l’homme ivre, qui peut proférer les paroles des sages qu’il ne saisit pas par son intelligence. Aussi, lorsque la raison fait en quelque sorte un syllogisme sur ce qui doit être accompli, on trouve un jugement de la raison dans la majeure, qui est universelle ; mais, dans la mineure, qui porte sur le particulier, s’immisce la passion, qui est pleine de vigueur pour le particulier. Il en découle donc une corruption de la raison dans la conclusion du choix. Par exemple, si on dit : « Aucune fornication ne doit être commise », le jugement de la raison sur ce point est parfait. De même, une autre [proposition] : « Toute fornication est délectable ». Sous ces deux [propositions], qu’on en mette une qui est particulière, par exemple : « S’approcher de tette femme est une fornication. » Si la raison est assez forte pour ne pas être non plus vaincue pour le particulier, elle tirera une conclusion négative en choisissant de ne pas commettre la fornication. Mais si elle est vaincue par la passion, elle tirera une conclusion affirmative en choisissant de se délecter dans la fornication. C’est ainsi qu’on entend qu’il existe un péché dans la raison lorsque, après la délibération de la raison, suit un mauvais choix, du fait que la raison est corrompue par la passion pour le particulier. Et si la délibération se fait selon des raisons divines, on dira qu’il existe un péché dans la raison, supérieure, comme lorsqu’elle prend son point de départ dans le fait que tout ce qui est défendu par la loi de Dieu doit être évité. Mais si [elle prend son point de départ] dans des raisons créées, on dit qu’il y a péché dans la raison inférieure, comme lorsqu’elle prend comme point de départ que tout ce qui dépasse le milieu de la vertu doit être évité, ou quelque chose de ce genre.

[5656] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod ratio quamvis sit cognitiva potentia, tamen est directiva voluntatis; unde non potest esse peccatum in voluntate nisi sit aliquo modo in ratione, praecipue cum voluntas non sit nisi boni, vel apparentis boni; unde malam voluntatem aliquo modo praecedit falsa aestimatio: sed peccatum contingit esse in ratione dupliciter, ut dictum est.

1. Bien que la raison soit une puissance cognitive, elle dirige cependant la volonté ; aussi ne peut-il y avoir de péché dans la volonté, s’il n’existe de quelque manière dans la raison, surtout que la volonté ne porte que sur le bien ou sur un bien apparent. Aussi une fausse estimation précède-t-elle, d’une certaine manière, la volonté mauvaise. Mais le péché peut se trouver dans la raison de deux manières, comme on l’a dit.

[5657] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod intellectus non est idem quod ratio. Ratio enim importat quemdam discursum unius in aliud; intellectus autem importat subitam apprehensionem alicujus rei; et ideo intellectus proprie est principiorum, quae statim cognitioni se offerunt, ex quibus ratio conclusiones elicit, quae per inquisitionem innotescunt; unde sicut in speculativis in intellectu principiorum non potest esse error, sed in deductione conclusionum ex principiis, ita etiam in operativis intellectus semper est rectus, sed ratio recta et non recta.

2. L’intelligence n’est pas la même chose que la raison. En effet, la raison comporte un passage d’une chose à une autre, mais l’intelligence comporte la saisie immédiate d’une chose. C’est pourquoi, à propremenet parler, l’intelligence porte sur les principes, qui se présentent immédiatement à la connaissance, et dont la raison tire des conclusions, qui deviennent connues par une recherche. De même, donc, qu’en matière spéculative, il ne peut y avoir d’erreur pour l’intelligence des principes, mais pour la déduction de conclusions à partir des principes, de même aussi, en matière d’action, l’intelligence est-elle toujours droite, mais la raison [peut être] droite ou non.

[5658] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod corrupta ratio non est ratio, sicut falsus syllogismus proprie non est syllogismus; et ideo regula humanorum actuum non est ratio quaelibet, sed ratio recta: et ideo philosophus dicit quod homo virtuosus est mensura aliorum. Unde ex hoc non sequitur quod in ratione non sit peccatum, sed quod non sit in ratione recta.

3. La raison corrompue n’est pas la raison, comme un faux syllogisme n’est pas un syllogisme au sens propre. C’est pourquoi la règle des actes humains n’est pas n’importe quelle raison, mais la raison droite. Aussi le Philosophe dit-il que « l’homme vertueux est la mesure des autres ». Il ne découle donc pas de cela qu’il n’y a pas de péché dans la raison, mais qu’il n’y en a pas dans la raison droite.

[5659] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod, sicut supra dictum est, ratio superior non tantum inhaeret aeternis conspiciendis per contemplationem, sed etiam consulendis ad directionem operis. Contingit autem quod deductio rationis quae est ex rationibus aeternis, corrumpatur per passionem, sicut etiam illa quae est ex civilibus rationibus. Unde in utraque peccatum esse potest.

4. Comme on l’a dit plus haut, la raison supérieure ne s’attache pas seulement à regarder les réalités éternelles par la contemplation, mais aussi à les consulter pour la direction de l’action. Or, il arrive qu’une déduction de la raison à partir des raisons éternelles soit corrompue par la passion, comme aussi celle qui déduit à partir de raisons politiques. Il peut donc y avoir péché dans les deux.

[5660] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod in anima est aliquid quod est perpetuae rectitudinis, scilicet synderesis: quae quidem non est ratio superior, sed se habet ad rationem superiorem sicut intellectus principiorum ad ratiocinationem de conclusionibus.

5. Il y a dans l’âme quelque chose qui est toujours droit, la syndérèse : elle n’est pas la raison supérieure, mais elle a avec la raison supérieure le même rapport que l’intelligence des principes avec le raisonnement à propos des conclusions.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum in delectatione rationis inferioris possit esse peccatum mortale

Article 4 – Peut-il exister un péché mortel dans la délectation de la raison inférieure ?

[5662] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur, quod in delectatione inferioris rationis non sit peccatum mortale. Non enim est peccare mortaliter nisi ejus cujus est advertere rationem divini praecepti, cum peccatum mortale determinetur ex eo quod est contra legem divinam. Sed advertere praeceptum divinum, non est inferioris rationis sed superioris, quae aeternas rationes consulit. Ergo peccatum mortale non potest esse in ratione inferiori sed tantum in superiori.

1. Il semble que, dans la délectation de la raison inférieure, il n’existe pas de péché mortel. En effet, seul celui qui connaît la raison d’un commandement divin peut pécher mortellement, puisque le péché mortel est déterminé par ce qui est contraire à la loi divine. Or, connaître un commandement de Dieu n’est pas le fait de la raison inférieure, mais de la [raison] supérieure, qui consulte les raisons éternelles. Le péché mortel ne peut donc exister dans la raison inférieure, mais seulement dans la [raison] supérieure.

[5663] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 4 arg. 2Praeterea, ut communiter dicitur, nulla circumstantia peccatum aggravat in infinitum: quia quantitas quae ex accidente relinquitur non potest esse major quam essentialis quantitas peccati. Sed delectatio rationis inferioris si non diu teneatur, est peccatum veniale, ut in littera dicitur. Ergo etiam per hoc quod diu tenetur non efficitur mortale peccatum.

 

2. Comme on le dit communément, aucune circonstance n’aggrave un péché à l’infini, car la quantité qui est laissée par un accident ne peut être plus grande que la quantité essentielle d’un péché. Or, la délectation de la raison inférieure, si elle n’est pas gardée longtemps, est un péché véniel, comme le dit le texte. Donc, même si elle est gardée longtemps, elle ne devient pas un péché mortel.

[5664] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 4 arg. 3Si dicatur, quod non dicitur diuturna vel morosa a mora temporis, sed ex consensu adveniente. Contra. Consensus in veniale non est nisi venialis. Sed delectatio per se sumpta est veniale, ut dictum est. Ergo consensus in eam non erit mortalis.

3. Si on dit que [la délectation] n’est pas appelée durable ou morose en raison de la durée dans le temps, mais du consentement qui survient, on opposera que le consentement à un péché véniel n’est que véniel. Or, la délectation, prise en elle-même, est un péché véniel, comme on l’a dit. Le fait d’y consentir ne sera donc pas mortel.

[5665] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 4 arg. 4Praeterea, non est mortale quod non est prohibitum lege divina. Sed consentire in hujusmodi delectationes, dummodo in opus non consentiatur, non est prohibitum lege divina. Ergo non est peccatum mortale.

4. N’est pas un péché mortel ce qui n’est pas interdit par la loi divine. Or, consentir à ces délectations, pourvu qu’on ne consente pas à l’acte, n’est pas interdit par la loi divine. Ce n’est donc pas un péché mortel.

[5666] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 4 arg. 5Praeterea, majus est peccatum homicidii quam fornicationis. Sed si aliquis cogitet de occisionibus multorum et in cogitatione delectetur, et in delectationem consentiat, non videtur peccare mortaliter. Ergo videtur quod nec etiam si consentiat in delectationem carnis, dummodo in actum non consentiat.

5. Le péché d’homicide est plus grand que celui de la fornication. Or, si quelqu’un pense en tuer plusieurs, se délecte en y pensant et consent à la délectation, il ne semble pas pécher mortellement. Il semble donc que ce ne soit pas non plus le cas s’il consent à la délectation de la chair, pourvu qu’il ne consente pas à l’acte.

[5667] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 4 s. c. 1Sed contra est quod in littera dicitur in pluribus locis.

Cependant, [1] le contraire est dit dans le texte en plusieurs endroits.

[5668] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 4 s. c. 2Praeterea, sicut vir poterat peccare mortaliter, ita et mulier in conjugio primorum parentum. Sed inferior ratio mulieris figuram exprimit. Ergo in ea mortale peccatum esse potest. Sed non secundum subitam delectationem. Ergo secundum delectationem morosam.

[2] De même que l’homme pouvait pécher mortellement, de même aussi la femme dans le mariage des premiers parents. Or, la raison inférieure est la figure de la femme ; il peut donc y avoir péché en elle. Or, ce n’est pas en raison d’une délectation subite. C’est donc en raison d’une délectation morose.

[5669] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, delectatio rationis inferioris nihil aliud est quam complacentia voluntatis in eo quod apprehenditur conveniens per inferiorem rationem. Haec autem delectatio, ut in littera dicitur, si statim ut mentem attigerit, auctoritate viri expellatur, veniale peccatum est: hoc enim contingit quando talis complacentia sequitur subitam rationis apprehensionem. Si vero diu teneatur, peccatum mortale est. Haec autem diuturnitas non est ex quantitate temporis judicanda, sed magis ex deliberatione rationis. Si enim post deliberationem rationis inferioris adhuc delectatio illa placeat, morosa delectatio dicetur, et tunc erit in delectationem consensus, et tunc mortale peccatum est, ut Magister dicit, et verba Augustini sonare videntur, quamvis quidam in hoc Magistro contradicant, auctoritates Augustini exponentes. Sed opinio Magistri valde probabilior est et securior, quod sic patet. Quaedam enim operationes sunt quae ex suo genere peccata mortalia sunt, ut fornicatio, furtum, et hujusmodi: quod autem aliquod horum peccatorum mortale non sit, non potest esse nisi per accidens, inquantum scilicet ejus subjectum peccati mortalis capax non est, ut quando est in sensualitate tantum. Philosophus autem vult, quod idem judicium est de operatione et delectatione. Unde si operatio est per se bona, et delectatio est per se bona, et e contrario. Quod ergo delectatio consequens per operationem quae est per se peccatum mortale, non sit mortalis, hoc non est nisi per accidens, scilicet ex defectu subjecti; unde quandocumque mala delectatio vel operatio reducitur ad hoc in quo potest esse perfecta ratio peccati vel virtutis, de necessitate incipit esse peccatum mortale. Perfecta autem ratio virtutis vel peccati mortalis non potest esse sine electione rationis consiliantis et deliberantis; et ideo quidquid fornicationis ante hoc invenitur per accidens, peccatum mortale non est; ubi autem ad hoc pervenitur, statim peccatum mortale esse incipit: unde etiamsi usus exteriorum membrorum et delectatio eorum esset, sine voluntate tali, peccatum non esset, sicut beata Lucia dixit: si invitam me violari feceris, castitas mihi duplicabitur ad coronam. Sed consensus adveniens actui exteriori facit peccatum mortale. Similiter appetitus sensualitatis, et delectatio consequens appetitum ante consensum rationis deliberatae, peccatum mortale non est: sed post consensum rationis deliberantis peccatum mortale incurritur.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, la délectation de la raison inférieure n’est rien d’autre que la complaisance de la volonté dans ce qui est saisi comme convenable par la raison inférieure. Or, cette délectation, comme on le dit dans le texte, si elle est repoussée dès qu’elle atteint l’esprit, est un péché véniel seulement. En effet, elle survient lorsqu’une telle complaisance suit une saisie subite de la raison. Toutefois, si elle est gardée longtemps, elle est un péché mortel, mais cette longue durée ne doit pas être jugée selon la quanité du temps, mais plutôt selon la délibération de la raison. En effet, si cette délectation plaît encore après la délibération de la raison inférieure, elle s’appellera délectation morose ; il y aura ainsi consentement à la délectation, et ce sera alors un péché mortel, comme le dit le Maître et comme comme cela semble être en harmonie avec les paroles d’Augustin, bien que certains contredisent le Maître sur ce point en expliquant les autorités d’Augustin. Mais l’opinion du Maître est très probable et plus sûre, ce qui ressort de la manière suivante. En effet, il y a certaines opérations qui sont par leur genre des péchés mortels, comme la fornication et les choses de ce genre. Qu’une de ces choses ne soit pas un péché mortel ne peut arriver que par accident, dans la mesure où son sujet n’est pas capable de péché mortel, comme lorsqu’elle existe dans la sensualité seulement. Or, le Philosophe veut que le même jugement soit porté sur l’opération et sur la délectation. Si l’opération est bonne par soi, la délectation est donc bonne par soi, et le contraire aussi. Que la délectation qui est suivie par l’opération qui est par soi péché mortel ne soit pas mortelle, ce n’est donc le cas que par accident, en raison d’une carence du sujet. Aussi, chaque fois qu’une délectation ou une opération mauvaise se ramène à ce en quoi peut exister la raison parfaite de péché ou de vertu, elle commence nécessairement à être un péché mortel. Or, la raison parfaite de vertu ou de péché mortel ne peut exister sans le choix de la raison qui conseille et délibère. C’est pourquoi tout ce qui existe de fornication par accident avant cela n’est pas péché mortel ; mais là où on l’atteint, commence aussitôt le péché mortel. Aussi, même s’il y avait usage des membres extérieurs et délectation en eux, sans une telle volonté, ce ne serait pas un péché, comme le disait la bienheureuse Lucie : « Si tu me fais violer malgré moi, je serai doublement couronnée pour ma chasteté. » Mais le consentement qui survient à l’acte extérieur cause un péché mortel. De même, l’appétit de la sensualité et la délectation qui découle de l’appétit avant le consentement de la raison délibérée ne sont-ils pas un péché mortel ; mais, après le consentement de la raison délibérée, un péché mortel est encouru.

[5670] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod sicut ratio inferior regit vires sensibiles, ita ratio superior regit inferiorem; unde sicut in viribus sensibilibus est virtus et vitium ex hoc quod participant regimen rationis, ita etiam in inferiori ratione potest esse peccatum mortale ex hoc quod regitur a ratione superiori, cujus est advertere divina praecepta.

1. De même que la raison inférieure régit les puissances sensibles, de même la raison supérieure régit-elle la [raison] inférieure. De même donc que la vertu et le vice existent dans les puissances sensibles du fait qu’elles participent au gouvernement par la raison, de même donc le péché mortel peut-il exister dans la raison inférieure du fait qu’elle est régie par la raison supérieure, à qui il revient d’être attentive aux commandements de Dieu.

[5671] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod sicut dictum est, non dicitur diuturna delectatio propter moram temporis, sed ex consensu rationis deliberatae.

2. Comme on l’a dit, on ne parle pas de délectation morose en raison de la durée, mais en raison du consentement de la raison délibérée.

[5672] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod consensus in veniale quod est veniale ex genere, ut verbum otiosum, non est mortalis, sed consensus in illud veniale, quod est veniale per accidens bene potest esse mortalis: quia per talem consensum removetur illud accidens quod rationem peccati mortalis auferebat, scilicet delectationem rationis non attingere.

3. Le consentement au péché véniel, qui est véniel par son genre, par exemple, une parole oiseuse, n’est pas mortel, mais le consentement au péché véniel, qui est véniel par accident, peut fort bien devenir mortel, car, par un tel consentement, est enlevé l’accident qui écartait la raison de péché mortel : le fait de ne pas parvenir à la délectation de la raison.

[5673] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod etiam interior delectatio divino praecepto prohibetur, ut per hoc quod dicitur: non concupisces rem proximi tui. Si tamen nullum tale praeceptum esset, adhuc ratio non sequitur: quia ex hoc ipso quod aliqua operatio prohibetur, designatur esse per se mala in quocumque sit tam ipsa quam delectatio ejus, nisi per accidens prohibeatur.

4. Même la délectation intérieure est défendue par un commandement de Dieu, lorsqu’il est dit : Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain. Toutefois, si un tel commandement n’existait pas, le raisonnement ne tient pas davantage, car du fait même qu’une opération est défendue, il est indiqué qu’elle est mauvaise par soi partout où elle existe, elle-même ainsi que sa délectation, à moins qu’elle ne soit défendue par accident.

[5674] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod secundum diversitatem operationum est diversitas delectationum; unde alterius naturae est delectatio quae sequitur operationem appetitivae virtutis et delectatio quae sequitur operationem cogitativae. Sicut enim cogitatio de homicidio vel luxuria, sine appetitu aliquo, non reducitur, nisi inordinata sit, ad genus luxuriae vel homicidii, sed ad aliud genus quod est curiositas vel vanitas; ita etiam delectatio consequens talem cogitationem non pertinet ad genus homicidii vel fornicationis; unde consensus in talem delectationem non est peccatum mortale, sed veniale: quia enim vanitas cogitationis non est mortalis ex genere, etiam delectatio consequens appetitum homicidii vel fornicationis, reducitur ad idem peccati genus sicut et appetitus ipse. Unde sicut in fornicatione si aliquis consentiat in delectationem quae appetitum concupiscibilis respectu fornicationis sequitur, erit peccatum mortale; ita etiam, et multo amplius, si consentiat in delectationem quae appetitum irascibilis respectu homicidii sequitur, erit peccatum mortale.

5. La diversité des délectations correspond à la diversité des opérations. Aussi la délectation qui suit l’opération de la puissance appétitive et la délectation qui suit l’opération de la [puissance] cogitative sont-elles d’une autre nature. En effet, de même que la pensée de l’homicide ou de la luxure, sans l’appétit, ne se ramène pas au genre de la luxure ou de l’homicide, à moins d’être désordonnée, mais à un autre genre, qui est la curiosité ou la vanité, de même aussi la délectation qui découle d’une telle pensée ne relève-t-elle pas du genre de l’homicide ou de la fornication. Aussi le consentement à une telle délectation n’est-il pas un péché mortel, mais véniel. En effet, parce que le caractère vain d’une pensée n’est pas mortel par son genre, la délectation qui découle de l’appétit d’homicide ou de fornication se ramène au même genre de péché que l’appétit lui-même. De même que, pour la fornication, ce sera un péché mortel si quelqu’un consent à la délectation qui suit l’appétit du concupiscible par rapport à la fornication, de même aussi et à bien plus forte raison, sera-ce un péché mortel, s’il consent à la délectation qui suit l’appétit irascible par rapport à l’homicide.

 

 

ARTICULUS Utrum in ratione superiori possit esse peccatum veniale

Article 5 – Le péché véniel peut-il exister dans la raison supérieure ?

[5676] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur, quod in superiori parte rationis non possit esse peccatum veniale. Peccatum enim superioris rationis non est nisi per hoc quod deflectitur a rationibus aeternis. Sed ab eis deflecti non contingit nisi per peccatum mortale. Ergo in ratione superiori non erit peccatum nisi mortale.

1. Il semble qu’il ne puisse pas exister de péché véniel dans la partie supérieure de la raison. En effet, le péché de la partie supérieure n’existe que du fait qu’elle se détourne des raisons éternelles. Or, elle ne peut en être détournée que par le péché mortel. Il n’existera donc que le péché mortel dans la raison supérieure.

[5677] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 5 arg. 2Praeterea, contemptus peccatum mortale facit. Sed non potest esse quod aliquis post deliberationem in actum peccati consentiat sine contemptu. Ergo cum superior ratio sine deliberatione non peccet, videtur quod in ipsa nunquam sit nisi mortale peccatum.

2. Le mépris engendre le péché mortel. Or, il ne peut se faire sans mépris, que quelqu’un, après avoir délibéré, consente à l’acte du péché. Puisque la raison supérieure ne pèche pas sans délibération, il semble donc que n’existe jamais en elle que le péché mortel.

[5678] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 5 arg. 3Praeterea, consensus in actum peccati mortalis, semper est mortale peccatum. Sed motus superioris partis rationis dicitur esse consensus in actum. Ergo ad minus in genere mortalis peccati superior ratio nunquam venialiter peccat.

3. Le consentement à l’acte du péché mortel est toujours un péché mortel. Or, on appelle consentement à l’acte le mouvement de la partie supérieure de la raison. À tout le moins pour le genre du péché mortel, la raison supérieure ne pèche donc jamais véniellement.

[5679] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 5 arg. 4Praeterea, in partibus animae invenitur aliquid in quo non potest esse nisi veniale peccatum, scilicet sensualitas: invenitur etiam aliquid in quo potest esse et veniale et mortale, scilicet inferior ratio. Ergo ad completionem partium animae oportet esse aliud in quo non possit esse nisi peccatum mortale. Hoc autem non est synderesis: quia in ipsa non est peccatum. Ergo relinquitur quod ipsa sit superior ratio.

4. Dans les parties de l’âme, on trouve quelque chose où seul peut exister le péché véniel : la sensualité ; on trouve aussi quelque chose où peuvent se trouver le [péché] véniel et le [péché] mortel : la raison inférieure. Pour compléter les puissances de l’âme, il faut donc qu’existe quelque chose d’autre où ne peut exister que le péché mortel. Or, cela n’est pas la syndérèse, car il n’y a pas de péché en elle. Il reste donc que ce soit la raison supérieure elle-même.

[5680] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 5 arg. 5Praeterea, peccatum veniale ex corruptione carnis oritur, quia, sicut supra probatum est, Adam in primo statu venialiter peccare non poterat. Sed superior ratio est in summo remotionis a carne. Ergo in ipsa peccatum veniale esse non potest.

5. Le péché véniel vient de la corruption de la chair, car, ainsi qu’on l’a démontré plus haut, Adam ne pouvait pécher véniellement en son premier état. Or, la raison supérieure est au plus haut point éloignée de la chair. Il ne peut donc exister en elle de péché véniel.

[5681] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 5 s. c. 1Sed contra, consensus in actum venialis peccati non est gravior quam ipse actus. Sed quidam actus sunt venialia peccata, ut loqui otiosa, et hujusmodi. Ergo consensus in hujusmodi est etiam veniale. Sed consensus in actum pertinet ad superiorem rationem. Ergo in ipsa potest esse peccatum veniale.

Cependant, [1] le consentement à l’acte du péché véniel n’est pas plus grave que l’acte lui-même. Or, certains actes sont des péchés véniels, comme parler de manière oiseuse, et ceux de ce genre. Le consentement aux actes de ce genre est donc aussi véniel. Or, le consentement à l’acte ne relève pas de la raison supérieure. Il ne peut donc exister en elle de péché véniel.

[5682] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 5 s. c. 2Praeterea, sicut aliorum peccatorum contingit esse aliquos motus subitaneos ex surreptione, ita etiam et infidelitatis. Sed non est dicendum, tales motus esse peccata mortalia. Cum ergo non sint motus nisi superioris partis rationis, cujus est divina conspicere, videtur quod in ipsa veniale peccatum esse possit.

[2] De même que, pour les autres péchés, il peut exister des mouvements subits provenant de la surprise, de même aussi est-ce le cas pour l’infidélité. Or, il ne faut pas dire que de tels mouvements sont des péchés mortels. Puisqu’ils ne sont des mouvements de la seule raison supérieure, à qui il revient de regarder les réalités divines, il semble donc qu’il ne puisse y avoir de péché véniel en elle.

[5683] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod aliquem motum esse veniale peccatum, contingit ex duobus: aut ex ipso genere actus, quod veniale est, sicut verba otiosa; aut ex parte ejus cujus est motus, inquantum videlicet motus ille electionem praecedit, in qua principalitas virtutis et vitii consistit. Sciendum est igitur, quod unaquaeque potentia quam aliquo modo possibile est elevari ad illud quod est supra se, potest habere aliquem subitum motum in id quod sibi secundum se convenit, et alium motum habere potest in id quod sibi convenit ratione ejus quod est elevata in aliquid superius; sicut in appetitu sensibili patet: nam ipse subitum motum habet in id quod est conveniens secundum sensum; inquantum autem est regulatus ratione, et perfectus habitu virtutis, habet motum post deliberationem in id quod est secundum rationem conveniens. Sicut autem appetitus sensibilis elevatur per regimen rationis in id quod est supra se; ita etiam ratio superior elevatur per lumen fidei in id quod est supra naturalem suam cognitionem: et ideo subitus motus apprehensionis superioris rationis est secundum naturalem suam cognitionem: qui si in aliquo fidei obviet, erit motus infidelitatis ex surreptione; et ita propter defectum deliberationis erit veniale peccatum. Secundum hoc ergo distinguendum est: quia aut motus superioris rationis est in id quod est veniale ex genere, et sic etiam motus ejus venialis erit: aut est in id quod est mortale ex genere: et hoc contingit dupliciter: quia vel illud est proprium objectum ejus; et sic habet circa illud duos motus: unum subitum, qui praecedit deliberationem; et hoc erit veniale peccatum; alium deliberatum, et hoc erit mortale, ut in motibus infidelitatis patet: aut est objectum inferioris potentiae, sicut sensualitatis, ut patet in delectabilibus secundum carnem; et sic superior ratio non habet motum in illud, nisi consultationis, quasi ministrans medium, quo de illa re syllogizari potest; et ita circa illud non habet motum nisi deliberatum: et ideo in talibus motus superioris rationis semper est mortale peccatum; aliis autem duobus modis in ea contingit veniale peccatum esse.

Réponse. Deux facteurs contribuent à ce qu’un mouvement soit un péché véniel : le genre de l’acte, qui est véniel, telles les paroles oiseuses ; ou ce dont provient le mouvement, dans la mesure où ce mouvement précède le choix, en quoi consiste le principe de la vertu et du vice. Il faut donc savoir que chaque puissance qui peut de quelque manière être élevée à ce qui lui est supérieur peut avoir un mouvement subit vers ce qui lui convient par elle-même ; et elle peut avoir un autre mouvement vers ce qui lui convient en raison de ce à quoi elle a été élevée vers quelque chose de supérieur. Cela ressort pour l’appétit sensible, car il possède un mouvement subit vers ce qui lui convient selon le sens ; mais en tant qu’il est soumis à la règle de la raison et est perfectionné par l’habitus de la vertu, il possède, à la suite de la délibération, un mouvement vers ce qui lui convient selon la raison. Or, de même que l’appétit sensible est élevé par la conduite de la raison vers ce qui lui est supérieur, de même aussi la raison supérieure est-elle élevée par la lumière de la foi vers ce qui est au-dessus de sa connaissance naturelle. Aussi un mouvement subit de la raison est-il conforme à sa connaissance naturelle ; s’il s’oppose de quelque manière à la foi, ce sera un mouvement d’infidélité dû à la surprise ; et ainsi, en raison d’un manque de délibération, ce sera un péché véniel. En conséquence, il faut donc faire une distinction. Soit le mouvement de la raison supérieure porte sur quelque chose qui est véniel par son genre, et ainsi son mouvement sera véniel. Soit il porte sur ce qui est mortel par son genre, et cela se produit de deux manières : ou bien c’est là son objet propre, et ainsi elle a deux mouvements par rapport à cela, l’un subit, qui précède la délibération, et cela sera un péché véniel, et un autre délibéré, qui sera mortel, comme cela ressort pour les mouvements d’infidélité ; ou bien c’est l’objet d’une puissance inférieure, telle la sensualité, comme cela ressort pour ce qui est délectable selon la chair. Ainsi la raison supérieure n’a sur cela qu’un mouvement de consultation, fournissant pour ainsi dire le moyen terme, à partir de quoi elle peut faire un syllogisme. C’est pourquoi elle n’a là-dessus qu’un mouvement délibéré. Aussi, dans ces cas, le mouvement de la raison supérieure est-il toujours un péché mortel, mais, dans les autres cas, un péché véniel peut être commis.

[5684] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod peccatum superioris rationis est per hoc quod deflectitur aliquo modo a rationibus aeternis; sed hoc contingit dupliciter; vel simpliciter, sicut in mortali peccato, per quod deflectitur quis a lege Dei actu et habitu, non tantum faciens praeter eam, sed contra eam; vel secundum quid, sicut in veniali peccato, quo quis relinquit legem Dei actu sed non habitu, non contra eam, sed praeter eam faciens.

1. Le péché de la raison supérieure vient de ce qu’elle dévie d’une certaine manière des raisons éternelles. Or, cela se produit de deux manières : soit simplement, comme dans le péché mortel, par lequel on dévie de la loi de Dieu par l’acte et par l’habitus, non seulement en n’en tenant pas compte, mais en agissant à son encontre ; soit de manière relative, comme dans le péché véniel, par lequel quelqu’un abandonne la loi de Dieu par l’acte et par l’habitus, non pas en allant contre elle, mais malgré elle.

[5685] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 5 ad 2Ad secundum dicendum, quod deliberatus consensus in veniale non semper procedit ex tali contemptu, ut mortale peccatum faciat. Quando enim hoc modo in veniale consentitur ut si esset contra legem Dei, nullo modo fieret; manet intra limites venialis peccati, etiamsi advertatur esse veniale peccatum. Si autem hoc modo in ipsum consentiatur ut etiam si prohibitum esset praecepto, nihilominus fieret; talis consensus in veniale, ex genere etiam mortalis esset.

2. Le consentement délibéré au péché véniel ne vient pas toujours d’un tel mépris, pour se transformer en péché mortel. En effet, lorsqu’on consent à un péché véniel comme s’il était contraire à la loi de Dieu, on ne le commettrait pas : cela demeure à l’intérieur des limites du péché véniel, même si l’on est averti qu’il s’agit d’un péché véniel. Mais si l’on y consent de telle manière que, même s’il était défendu par un commandement, on le commettrait quand même, un tel consentement au péché véniel serait aussi un péché mortel par son genre.

[5686] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 5 ad 3Ad tertium dicendum, quod in illud mortale quod pertinet ad objectum inferioris potentiae, non habet superior ratio alium motum nisi consensum deliberatum, eo quod ad ipsam non pertinet secundum se considerare convenientia corpori, sed solum consiliari de his: et ideo in talibus non peccat nisi mortaliter. Secus autem est in illis mortalibus quae circa proprium objectum committuntur, ut supra dictum est.

3. Par rapport au péché mortel qui relève de l’objet d’une puissance inférieure, la raison supérieure n’a pas d’autre mouvement que le consentement délibéré, du fait qu’il ne relève pas d’elle de considérer ce qui convient au corps, mais seulement de conseiller là-dessus ; aussi ne pèche-t-elle pas en cette matière. Mais il en va autrement des péchés mortels qui sont commis à propos de son objet propre, comme on l’a dit plus haut.

[5687] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod hoc quod sensualitas non peccat nisi venialiter, est ex imperfectione ejus; sed peccatum veniale non tantum causatur ex imperfectione agentis, sed etiam ex ipso genere actus; et ideo non oportet, quantumcumque potentia sit perfecta, quod motus ejus non possit esse venialis: sequeretur autem, si tantum ex imperfectione agentis veniale causaretur: sic enim per oppositum imperfecto perfectissimum responderet.

4. Le fait que la sensualité ne pèche que véniellement vient de son imperfection ; toutefois mais le péché véniel ne vient pas seulement de l’imperfection de l’agent, mais aussi du genre même de l’acte. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire, aussi parfaite que soit la puissance, que son mouvement ne puisse être véniel. Autrement, si le péché véniel n’était causé que par l’imperfection de l’agent, il en découlerait que ce qui est très parfait correspondrait par opposition à ce qui est imparfait.

[5688] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod veniale peccatum non est ex corruptione carnis sicut ex causa proxima, sed sicut ex causa prima: quia per hoc quod caro corrupta traducitur, omnes animae potentiae quodammodo corrumpuntur, et ita corruptio redundat in ipsam rationem superiorem, quamvis a carne sit remotissima.

5. Le péché véniel ne vient pas de la chair corrompue comme de sa cause rapprochée, mais comme de sa cause première, car, du fait qu’une chair corrompue est transmise, toutes les puissances de l’âme sont en quelque sorte corrompues, et ainsi la corruption rejaillit sur la raison supérieure elle-même, bien qu’elle soit très éloignée de la chair.

 

 

ARTICULUS 6 Utrum peccatum veniale possit fieri mortale

Article 6 – Une péché véniel peut-il devenir mortel ?

[5690] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 arg. 1Ad sextum sic proceditur. Videtur quod veniale possit fieri mortale. Ita enim dicit Augustinus super 1 Can. Joan., de venialibus loquens: ista levia noli negligere. Si contemnis quando ponderas, expavesce quando numeras; levia multa facient unum grande: multae guttae implent fluvium, multa grana faciunt massam. Sed grande non dicitur nisi peccatum mortale. Ergo ex multis venialibus fit unum mortale.

1. Il sembler qu’un péché véniel puisse devenir mortel. En effet, en parlant des péchés véniels, Augustin dit, dans son Commentaire sur la première épître de Jean : « Ne néglige pas ces péchés véniels. Si tu les méprises lorsque tu les évalues, prends garde lorsque tu les compteras ! Un grand nombre de péchés véniels en feront un énorme : les nombreuses gouttes remplissent un fleuve, les nombreux grains font un tas. » Or, on ne parle d’un [péché] énorme que pour le péché mortel. De nombreux péchés véniels deviennent donc un péché mortel.

[5691] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 arg. 2Item, Augustinus in Lib. de decem chordis: nolite contemnere venialia, quia minima sunt; sed timete, quia plura sunt: plerumque enim bestiae minutae multae necant. Si projiciatur quisque in locum pulicibus plenum, numquid non moritur ibi? Et minutissima sunt grana arenae; sed si arena amplius in navim mittatur, mergit illam, ut pereat. Quam minutae sunt guttae pluviae; nonne pluviae implent flumina, et domos dejiciunt? Timenda est ergo ruina multitudinis, etsi non magnitudinis.

2. Dans le Livre sur les dix cordes. Augustin dit : « Ne méprise pas les péchés véniels, sous prétexte qu’ils sont très petits ; mais crains qu’ils ne deviennent nombreux : en effet, ce sont de nombreux tout petits animaux qui tuent. Si quelqu’un est projeté dans un endroit rempli de puces, n’y meurt-il pas ? Et les grains de sable sont tout petits ; mais si une trop grande quantité de sable est mise dans un navire, elle le submerge et il périt. Aussi petites que soient les gouttes de pluie, ne rempliront-elles pas les fleuves et n’emporteront-elles pas les maisons ? » Il faut donc craindre le grand nombre, sinon la grandeur.

[5692] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 arg. 3Praeterea, omne finitum omni finito proportionabile est. Sed complacentia qua aliquis in peccato mortali ad bonum commutabile convertitur, finita est. Ergo proportionalis est complacentiae qua aliquis in peccato veniali convertitur ad commutabile bonum. Ergo multiplicatum veniale, unum mortale facit.

3. Tout ce qui est fini peut être mis en proportion avec tout ce qui est infini. Or, la complaisance par laquelle quelqu’un se convertit à un bien changeant par un péché mortel est finie. Elle est donc proportionnelle à la complaissance par laquelle quelqu’un se convertit à un bien changeant par un péché véniel. Le péché véniel multiplié constitue donc un péché mortel.

[5693] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 arg. 4Praeterea, delectatio ante deliberationem rationis est veniale peccatum. Sed post consensum deliberatum efficitur mortalis. Ergo veniale peccatum potest fieri mortale.

4. La délectation antérieure à la délibération est un péché véniel. Or, après le consentement délibéré, elle devient mortelle. Le péché véniel peut donc devenir mortel.

[5694] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 arg. 5Praeterea, ut in 5 Physic. dicitur, motus est unus, qui est continuus. Sed contingit aliquem motum inordinatum continuum, in prima parte sui non in contemptum Dei fieri, et sic est venialis; et postmodum in contemptum Dei, et sic erit mortalis. Ergo illud quod prius fuit veniale, potest fieri mortale.

5. Comme il est dit en Physique, V, le mouvement qui est continu est unique. Or, il arrive qu’un mouvement désordonné continu ne soit pas accompli par mépris de Dieu en sa première partie, et soit donc véniel; et, par la suite, [il est accompli] par mépris de Dieu, et ainsi il devient mortel. Donc, ce qui était d’abord véniel peut devenir mortel.

[5695] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 arg. 6Praeterea, dispositio fit habitus, ut in praedicamentis philosophus dicit. Sed veniale est dispositio ad mortale. Ergo veniale potest fieri mortale.

6. La disposition devient un habitus, comme le Philosophe le dit dans les Prédicaments. Or, le péché véniel est une disposition au péché mortel. Le péché véniel peut donc devenir mortel.

[5696] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 arg. 7Praeterea, eadem est distantia mortalis ad veniale, et venialis ad mortale. Sed mortale per confessionem fit veniale, ut Ambrosius dicit. Ergo et veniale potest fieri aliquo modo mortale.

7. La distance entre le péché mortel et le péché véniel est la même qu’entre le péché véniel et le péché mortel. Or, « le péché mortel devient véniel par la confession », comme le dit Ambroise. Le péché véniel peut donc d’une certaine manière devenir mortel.

[5697] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 arg. 8Ad hoc etiam est quod in littera dicitur, quod quaedam non damnant nisi saepius fiant, vel facienda decernantur, ut de otioso verbo, et hujusmodi. Sed damnatio non est nisi per peccatum mortale. Ergo si verbum otiosum saepius iteretur, erit peccatum mortale.

8. Ce qui est dit dans le texte va aussi dans ce sens : certaines choses ne conduisent à la damnation que si on les fait ou se propose de les faire souvent, telle la parole oiseuse et les choses de ce genre. Or, la damnation ne résulte que du péché mortel. Si une parole oiseuse est souvent répétée, elle sera donc un péché mortel.

[5698] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 s. c. 1Sed contra, eorum quae in infinitum distant, unum non potest in aliud transmutari. Sed mortale et veniale in infinitum distant; quod eorum poena ostendit, quia veniali debetur poena temporalis, et mortali aeterna. Ergo veniale non potest fieri mortale.

Cependant, [1] une chose infiniment distante d’une autre ne peut être changée en elle. Or, le péché mortel et le péché véniel sont infiniment distants, ce que montre leur peine, car une peine temporelle est due pour le péché véniel, et une [peine] éternelle pour le péché mortel. Le péché véniel ne peut donc devenir mortel.

[5699] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 s. c. 2Praeterea, iteratio actus non diversificat speciem. Sed veniale et mortale diversa genera peccatorum sunt. Ergo per hoc quod veniale multiplicatur, non fiet mortale.

[2] La répétition d’un acte n’en change pas l’espèce. Or, le péché véniel et le péché mortel sont des genres de péchés différents. Par le fait que le péché véniel est multiplié, il ne deviendra donc pas mortel.

[5700] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 co.Respondeo dicendum, quod cum quaeritur, an veniale possit fieri mortale, tripliciter potest intelligi. Aut ita quod unus et idem numero actus quandoque sit veniale, et postmodum fiat mortale; et hoc esse non potest, quia unus actus non est nisi semel: ex quo enim semel transit, iterum resumi non potest idem numero; et ideo si semel fuit veniale, nunquam erit mortale. Vel ita quod aliquis actus qui ex genere suo venialis est, aliquo modo mortalis fiat; et hoc possibile est, si tantum placeat, ut finis in eo constituatur: cum enim impossibile sit esse duos fines ultimos, quandocumque ponitur aliquod bonum commutabile finis ultimus vitae, oportet quod Deus non pro fine habeatur; et cum finis semper maxime sit dilectus, oportet quod illud in quo finis constituitur, supra Deum diligatur; quod constat peccatum mortale esse. Hujusmodi autem complacentiae expressissimum signum est, quando aliquis alicui rei etiam non prohibitae tantum adhaeret ut consentiat, si etiam esset prohibita, illam se non relicturum; ut praecipue patet in quibusdam ebriosis, qui totam vitam suam in vino posuerunt, et histrionibus, qui verba otiosa sectantur. Alio modo potest intelligi ut multa venialia pertingant ad quantitatem peccati mortalis; et hoc quidem per se loquendo est impossibile: quia reatus et macula mortalis peccati in infinitum distat ab ea quae est venialis, cum peccatum mortale privet infinitum bonum, quod est bonum increatum; per veniale autem peccatum tollatur aliquod causatum, ut fervor caritatis. Distantia autem privationum mensuratur ex his quae privantur. Uni etiam eorum debetur poena aeterna, et alteri temporalis. Sed per accidens possibile est: cum enim veniale sit dispositio ad mortale, ex hoc quod aliquis frequenter venialiter peccat, fit in eo etiam pronitas ad peccandum mortaliter: quanto enim magis consuescit in aliquo opere, tanto magis sibi placet illud: quia signum habitus est delectatio operis, ut in 2 Ethic. dicitur. Hoc tamen non de necessitate contingit: quantumcumque enim excrescat pronitas ad peccandum per iterationem venialium, semper tamen manet libertas in voluntate, ne in peccatum mortale delabatur.

Réponse. Lorsqu’on se demande si un péché véniel peut devenir mortel, on peut entendre trois choses. Soit qu’un acte, unique et numériquement identique, est d’abord véniel, puis devient ensuite mortel. Cela ne peut pas arriver, car un seul acte n’existe qu’une seule fois. En effet, du fait qu’il passe une seule fois, il ne peut être repris numériquement identique. Si donc il a été une fois véniel, il ne sera jamais mortel. Soit qu’un acte qui, par son genre, est véniel, devient de quelque manière mortelle. Cela est possible, s’il plaît tellement qu’on en fasse la fin. En effet, puisqu’il est impossible qu’il y ait deux fins ultimes, chaque fois qu’un bien changeant est mis comme fin ultime de la vie, il est nécessaire que Dieu ne soit pas considéré comme la fin ; et puisque la fin est toujours aimée davantage, il est nécessaire que ce en quoi est mise la fin soit aimé plus que Dieu, ce qui est certainement un péché mortel. Or, le signe le plus explicite d’une telle complaisance est qu’on s’attache tellement à une chose non défendue que, même si elle était défendue, on ne l’abandonnerait pas, comme cela ressort surtout chez des hommes ivres, qui ont mis toute leur vie dans le vin, et chez les comédiens, qui s’attachent à des paroles oiseuses. Soit on peut l’entendre du fait qu’un grand nombre de péchés véniels atteignent la quantité d’un péché mortel ; à parler par soi, cela est impossible, car la culpabilité et la souillure du péché mortel sont infiniment distantes de celles qui sont vénielles, puisque le péché mortel prive d’un bien infini, qui est le bien incréée, mais que, par le péché véniel, quelque chose de causé est enlevé, comme la ferveur de la charité. Or, la distance des privations se mesure par ce dont on est privé. De plus, à l’un est due une peine éternelle, et, à l’autre, une peine temporelle. Mais, cela est possible par accident. En effet, comme le péché véniel est une disposition au péché mortel, du fait que quelqu’un pèche souvent de manière vénielle, se produit en lui une inclination à pécher mortellement. Ainsi, à mesure qu’il s’habitue davantage à une action, plus elle lui plaît, car le signe d’un habitus est le plaisir de l’action, comme on le dit dans Éthique, II. Cependant, cela ne se produit pas nécessairement, car quelle que soit la croissance de l’inclination au péché par la répétition des [péchés] véniels, demeure toujours dans la volonté la liberté de ne pas tomber dans le péché mortel.

[5701] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 ad 1Et sic patet responsio ad duas primas auctoritates. Non enim intelligitur quod multa venialia faciant unum mortale per se, sed per accidens, ut dictum est.

1-2. Ainsi ressort la réponse aux deux premières autorités. En effet, on n’entend pas que plusieurs péchés véniels constituent par eux-mêmes un seul péché mortel, mais par accident, comme on l’a dit.

[5702] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 ad 3Ad tertium dicendum, quod non oportet omnium finitorum accipere proportionem aliquam; sicut lineae et numeri nulla est proportio; quia, ut in 5 Euclidis dicitur, proportio est certitudo mensurationis duarum quantitatum ejusdem generis; et ita quamvis complacentia mortalis sit finita, non tamen oportet ut sit proportionata complacentiae venialis, quia est alterius rationis; alia enim ratione placet finis, et alia quae sunt ad finem; semper enim plus placet finis; unde quantumcumque multiplicetur complacentia venialis, non adaequabit complacentiam mortalis. Vel dicendum, quod complacentia mortalis peccati potest considerari dupliciter. Vel ex parte ejus cui placet; et sic finita est; quia ex potentia finita non potest procedere actus infinitus. Vel ex parte ejus quod placet, et sic infinita est: quia placet ut finis, qui desideratur ut infinitum bonum, quia propter finem ultimum omnia desiderantur.

3. Il n’est pas nécessaire d’établir une proportion pour tout ce qui est fini : ainsi, il n’y a pas de proportion entre une ligne et un nombre, car, ainsi qu’on le dit dans Euclide, V, « la proportion est une mesure certaine entre deux quantités du même genre ». Bien que la complaisance du [péché] mortel soit finie, il n’est cependant pas nécessaire qu’elle soit proportionnée à la complaisance du [péché] véniel, car elle est d’une autre nature. En effet, la fin plaît pour une autre raison que ce qui est ordonné à la fin, car la fin plaît toujours davantage. Aussi, quelle que soit l’accroissement de la complaisance du [péché] véniel, elle n’égalera pas la complaisance du [péché] mortel. Ou bien il faut dire que la complaisance du [péché] mortel peut être considérée de deux manières : soit du point de vue de celui à qui elle plaît, et ainsi elle est finie, car un acte infini ne peut pas provenir d’une puissance finie ; soit du point de vue de ce qui plaît, et ainsi elle est infinie, car elle plaît en tant que fin désirée comme un bien infini, car tout est désiré en vue de la fin ultime.

[5703] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 ad 4Ad quartum dicendum, quod motus delectationis qui est in sensualitate, nullo modo fit mortalis; sed consensus rationis adveniens, qui est aliud, cum diversarum potentiarum non sit unus actus numero; unde non sequitur quod actus qui prius fuit venialis, postea fit mortalis.

4. Le mouvement de délectation qui se trouve dans la sensualité ne devient aucunement mortel, mais le consentement de la raison qui survient, qui est autre chose, puisqu’un seul acte numériquement [considéré] ne peut appartenir à des puissances différentes. Il n’en découle donc pas qu’un acte, qui était auparavant véniel, devienne par la suite mortel.

[5704] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 ad 5Ad quintum dicendum, quod ille actus continuus quamvis sit unus secundum esse naturae consideratus, tamen non est unus consideratus in esse morali, immo pro duobus actibus computatur.

5. Cet acte continu, bien qu’il soit unique s’il est considéré selon son être de nature, n’est cependant pas unique s’il est considéré selon son être moral ; bien plus, il sera compté comme deux actes.

[5705] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 ad 6Ad sextum dicendum, quod dispositio proprie dicitur illud quod se habet ut incompletum in motu ad perfectum, quod est terminus motus; sicut qui addiscit, habet dispositionem scientiae, qua perficitur in termino motus disciplinae. Contingit autem terminum motus esse duplicem; quia vel ejusdem generis, vel alterius. Verbi gratia, alterationis terminus est qualitas sicut ejusdem generis; sed forma substantialis sicut alterius generis. Si ergo dispositio comparatur ad id quod est terminus motus ejusdem generis, sic constat quod dispositio potest fieri illud ad quod disponit, sicut calor imperfectus fit calor perfectus; si autem accipiatur terminus motus alterius generis, hoc nunquam contingit; sicut calor imperfectus quantumcumque excrescat, nunquam fit forma substantialis ignis. Dico ergo, quod veniale non est dispositio ad mortale sicut ad terminum ejusdem generis, sed alterius; et ideo veniale nunquam fit mortale.

6. On appelle disposition ce qui se présente comme incomplet dans un mouvement vers ce qui est parfait, qui est le terme du mouvement. Ainsi, celui qui apprend a une disposition pour la science, par laquelle il est perfectionné au terme du mouvement de l’enseignement. Or, il arrive que le terme d’un mouvement soit double : ou bien du même genre, ou bien d’un autre [genre]. Par exemple, le terme de l’altération est une qualité du même genre ; mais la forme substantielle [est un terme] d’un autre genre. Si donc on compare la disposition à ce qui est le terme d’un mouvement du même genre, il est certain que la disposition peut devenir ce à quoi elle dispose ; ainsi, une chaleur imparfaite devient une chaleur parfaite. Mais si on entend un terme d’un autre genre, cela n’arrive jamais ; ainsi, une chaleur imparfaite, autant qu’elle augmente, ne devient jamais la forme substantielle du feu. Je dis donc que le [péché] véniel n’est pas une disposition au [péché] mortel comme terme d’un même genre, mais [comme terme] d’un autre genre. Aussi le [péché] véniel ne devient-il jamais mortel.

[5706] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 ad 7Ad septimum dicendum, quod est aequivocatio in veniali; cum enim dicitur, quod culpa mortalis per confessionem fit venialis, non intelligitur de veniali ex genere, secundum quod hic de veniali loquimur, sed intelligitur de veniali ex eventu; quod quidem dicitur veniale per quamdam similitudinem ad veniale, quia scilicet manet reatus ad poenam temporalem pro culpa mortali, quam confessio delevit; non ita quod culpa in culpam mutetur.

7. Il existe une équivoque à propos du péché véniel. En effet, lorsqu’on dit qu’une faute mortelle devient vénielle par la confession, on ne l’entend pas de [la faute] vénielle par son genre, comme nous parlons ici de [péché] véniel ; mais on l’entend d’un [péché] véniel en raison d’une circonstance : il est appelé véniel en raison d’une ressemblance avec le [péché] véniel, car la dette demeure comme peine temporelle pour une faute mortelle que la confession a détruite, mais non pas de telle sorte qu’une faute soit changée en une autre faute.

[5707] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 ad 8Ad octavum dicendum, quod hoc quod dicit Magister, intelligendum est non per se, sed per occasionem, inquantum scilicet venialia frequenter occasionaliter in mortale inducunt, inquantum faciunt pronitatem ad illud.

8. Ce que dit le Maître doit s’entendre non pas par soi, mais selon de manière occasionnelle, pour autant que les [péchés] véniels mènent souvent de manière occasionnelle au [péché] mortel, dans la mesure où ils créent une inclination à celui-ci.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 24, Question 3

[5708] Super Sent., lib. 2 d. 24 q. 3 a. 6 expos.Et ideo de talibus cogitationibus venia petenda est. Videtur hoc esse contra illud quod prius determinatum est. Quia percussio pectoris, et pater noster, valent ad dimissionem peccati venialis, et est satisfactio propria venialium. Ergo videtur quod morosa delectatio, de qua hic loquitur, sit veniale peccatum. Et dicendum, quod quamvis hujusmodi sit sufficiens satisfactio pro veniali peccato, et non pro mortali, tamen etiam ad dimissionem peccati mortalis valent; unde etiam pro mortalibus pater noster dicere debemus, et pectus tundere. Non enim ratio nostra deduci ad consensum peccati potest, nisi cum delectatio mota fuerit. Videtur hoc esse falsum; quia quaedam peccata spiritualia sunt, in quibus non est aliqua carnis delectatio. Sed dicendum, quod hoc intelligitur in genere peccatorum carnalium, quorum appetitus ad sensualitatem pertinet. Non est autem silentio praetereundum, quod saepe in Scriptura nomine sensualitatis (...) etiam inferior portio rationis (...) intelligitur. Hic per Scripturas, non canonem Bibliae, sed dicta sanctorum significat. Ratio autem dicti est propter convenientiam sensualitatis et inferioris rationis; quia utraque attendit ea quae ad corpus pertinent, licet ratio inferior sub rationibus universalibus, et sensualitas sub rationibus particularibus et materiae concretis.

 

 

 

mmmmm

 

DISTINCTIO 25

Distinction 25 – [Les conditions du libre arbitre]

 

 

QUAESTIO 1

Question 1 – [Chez qui trouve-t-on le libre arbitre]

PROOEMIUM

Prologue

Postquam determinavit de libero arbitrio, ostendendo quid sit, et consequenter de aliis potentiis animae, ut ostenderet in quibus liberum arbitrium poneretur; hic determinat quasdam liberi arbitrii conditiones; et dividitur in partes duas: in prima ostendit, quorum sit liberum arbitrium ut objectorum; in secunda, quorum sit ut subjectorum, ibi: et quidem secundum praedictam assignationem in his tantum videtur esse liberum arbitrium qui voluntatem mutare et in contraria possunt deflectere. Circa primum duo facit: primo ostendit quod liberum arbitrium se habet ad utrumque oppositorum; secundo, quod est tantum futurorum contingentium, ibi: hoc autem sciendum est. Et quidem secundum praedictam assignationem dividitur haec pars in duas: in prima ostendit, quorum sit liberum arbitrium quia Dei, Angelorum et hominum; in secunda, quomodo in hominibus diversimode invenitur secundum diversos status, ibi: ex praedictis perspicuum fit quod major fuit libertas arbitrii prima quam secunda. Circa primum duo facit: primo inducit objectionem, quod liberum arbitrium non sit in Deo, nec in beatis; secundo determinat veritatem, ibi:sed quod Deus liberum arbitrium habeat, Augustinus docet. Et circa hoc duo facit: primo determinat quantum pertinet ad Deum; secundo quantum pertinet ad Angelos, ibi: Angeli vero, et sancti (...) libero arbitrio non carent. Circa primum duo facit: primo ostendit quod liberum arbitrium est in Deo; secundo quod non eodem modo est in Deo sicut in aliis, ibi: sed aliter accipitur liberum arbitrium in creatore quam in creaturis. Ex praedictis perspicuum fit quod major fuit libertas arbitrii prima quam secunda. Haec pars dividitur in duas: in prima ostendit quomodo secundum diversos status liberum arbitrium accrescit vel minuitur in omnibus: et quia hoc ratione diversarum libertatum contingit, ideo in secunda parte distinguit libertatem arbitrii, ibi: est namque libertas arbitrii triplex. Circa primum tria facit: primo ostendit ex praedictis quod libertas arbitrii quandoque major, quandoque minor invenitur; secundo distinguit status hominis, secundum quos libertas variatur, ibi: et possunt notari in homine quatuor status liberi arbitrii; tertio inducit quoddam corollarium ex dictis, ibi: unde manifestum est quod praeter alias poenalitates pro peccato illo incurrit homo poenam in corruptione et depressione liberi arbitrii. Est namque libertas triplex; dividitur haec pars in duas: in prima ostendit multiplicem arbitrii libertatem; in secunda ostendit quae sit causa uniuscujusque, ibi: libertas autem a peccato et miseria per gratiam est. Prima dividitur in duas: in prima ponit libertatis distinctionem; in secunda inducit quamdam conclusionem ex praedictis, ibi: ex praedictis jam apparet in quo per peccatum sit imminutum vel corruptum liberum arbitrium. Circa primum tria facit: primo distinguit triplicem libertatem, et prosequitur de primo membro, quod est libertas a coactione; secundo prosequitur de secundo membro, quod est libertas a peccato, ibi: est et alia libertas a peccato; tertio prosequitur de tertio membro, quod est libertas a miseria, ibi: est iterum libertas a miseria. Circa secundum tria facit: primo ostendit quae sit libertas a peccato; secundo quorum sit, ibi: istam libertatem quae est a peccato, illi soli nunc habent quos filius per gratiam liberat et reparat; tertio movet quamdam dubitationem, ibi: hic quaeri potest, utrum haec libertas qua quis liber est ad malum, sit libertas arbitrii. Et circa hoc duo facit: primo movet dubitationem, et ponit opiniones ad utramque partem; secundo determinat secundum suam opinionem, ibi: verum nobis magis placet ut ipsa libertas arbitrii sit et illa qua quis liber est ad malum, et illa qua quis liber est ad bonum faciendum. Item circa hoc duo facit: primo movet quaestionem de libertate ad malum; secundo de libertate ad bonum, ibi: similiter etiam quaeri solet, utrum illa libertas vera quae est ad justitiam faciendam, sit ipsa libertas arbitrii. Hic quaeruntur quinque: 1 in quibus inveniatur liberum arbitrium; 2 utrum liberum arbitrium semper sit liberum a coactione, ita quod cogi non possit; 3 utrum ad omnia opera humana liberum arbitrium se extendat; 4 utrum liberum arbitrium augeatur, vel minuatur; 5 de definitione libertatis quae in littera tangitur.

Après avoir déterminé du libre arbitre en montrant ce qu’il est et, par la suite, des autres puissances de l’âme, afin de montrer dans lesquelles on placerait le libre arbitre, [le Maître] détermine ici de certaines conditions du libre arbitre. Il y a deux parties : dans la première, il montre quels sont les objets du libre arbitre ; dans la seconde, dans quels sujets elle se trouve, à cet endroit : « Ainsi donc, selon ce qu’on a affirmé, il semble que le libre arbitre n’existe que chez ceux qui peuvent changer leur volonté et la détourner vers des choses contraires. » À propos du premier point, [le Maître] fait deux choses : premièrement, il montre que le libre arbitre porte sur les deux choses contraires ; deuxièmement, qu’il porte seulement sur des futurs contingents, à cet endroit : « Mais il faut savoir… » Ainsi, selon ce qu’on a déjà dit, cette partie se divise en deux : dans la première, il montre à qui appartient le libre arbitre, car il appartient à Dieu, aux anges et aux hommes ; dans la seconde, [il montre] comment, chez les hommes, on le trouve sous diverses formes selon divers états, à cet endroit : « D’après ce qui a été dit, il devient clair que la première liberté de l’arbitre était plus grande que la seconde. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente l’objection que le libre arbitre n’existe pas chez Dieu ni chez les bienheureux ; deuxièmement, il détermine de la vérité, à cet endroit : « Mais Augustin enseigne que Dieu possède le libre arbitre. » Sur ce point, [le Maître] fait deux choses : premièrement, il détermine comment [le libre arbitre] concerne Dieu ; deuxièmement, comment il concerne les anges, à cet endroit : « Mais les anges et les saints… ne sont pas dépourvus de libre arbitre. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que le libre arbitre existe en Dieu ; deuxièmement, qu’il n’existe pas en Dieu de la même manière que chez les autres, à cet endroit : « Mais on entend différemment le libre arbitre chez le Créateur et chez les créatures. » « D’après ce qui a été dit, il devient clair que la première liberté de l’arbitre était plus grande que la seconde. » Cette partie se divise en deux : dans la première, il montre comment le libre arbitre augmente selon les divers états ou diminue chez tous ; et parce que cela se produit selon la nature des différentes libertés, dans la seconde partie, il fait une distinction à propos de la liberté de l’arbitre, à cet endroit : « Car il existe une triple liberté de l’arbitre. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il montre, à partir de ce qui a été dit, qu’on trouve une liberté de l’arbitre parfois plus grande et parfois moins grande ; deuxièmement, il distingue divers états de l’homme selon lesquels la liberté varie, à cet endroit : « Et on peut relever chez l’homme quatre états du libre arbitre » ; troisièmement, il tire un corollaire de ce qui a été dit, à cet endroit : « Il est ainsi clair qu’en plus des autres peines pour ce péché, l’homme encourt la peine de la corruption et de l’abaissement du libre arbitre. » « Car il existe une triple liberté. » Cette partie se divise en deux : dans la première, il montre qu’il existe une multiple liberté ; dans la seconde, il montre quelle est la cause de chacune, à cet endroit : « Mais la liberté par rapport au péché et à la misère vient de la grâce. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il présente la diversité de la liberté ; dans la seconde, il tire une conclusion de ce qui a été dit : « Il ressort ainsi de ce qui a été dit en quoi le libre arbitre a été diminué ou corrompu par la péché. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il distingue une triple liberté, et il conclut à partir du premier membre qu’il y a une liberté par rapport à la coercition ; deuxièmement, il conclut à partir du second membre qu’il existe une liberté par rapport au péché, à cet endroit : « Il existe aussi une autre liberté par rapport au péché » ; il conclut, à partir du troisième membre, qu’il existe une liberté par rapport à la misère, à cet endroit : « Il existe de plus une liberté par rapport à la misère. » À propos du deuxième membre, il fait trois choses : premièrement, il montre ce qu’est la liberté par rapport au péché ; deuxièmement, chez qui elle existe, à cet endroit : « Seuls ceux que le Fils libère et restaure maintenant par la grâce possèdent cette liberté » ; troisièmement, il soulève un doute, à cet endroit : « Ici, on peut se demander si cette liberté par laquelle quelqu’un est libre par rapport au mal est la liberté de l’arbitre. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il soulève un doute et présente les opinions pour les deux parties ; deuxièmement, il détermine selon son opinion, à cet endroit : « À la vérité, il nous plaît davantage que cette liberté de l’arbitre soit celle par laquelle quelqu’un est libre par rapport au mal et celle par laquelle quelqu’un est libre de faire le bien. » De même, à ce propos, il fait deux choses : premièrement, il soulève la question de la liberté par rapport au mal ; deuxièmement, de la liberté par rapport au bien, à cet endroit : « De même, on a coutume de se demander si cette liberté véritable de faire la justice est la liberté même de l’arbitre. » Ici, cinq questions sont posées : 1. Chez qui trouve-t-on le libre arbitre ? 2. Le libre arbitre est-il toujours libre de coercition, de sorte qu’il ne puisse être contraint ? 3. Le libre arbitre s’étend-il à toutes les actions humaines ? 4. Le libre arbitre est-il augmenté ou diminué ? 5. À propos de la définition de la liberté qui est abordée dans le texte.

 

 

ARTICULUS 1 Utrum in Deo sit liberum arbitrium

Article 1 – Le libre arbitre existe-t-il en Dieu ?

[5711] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod liberum arbitrium non sit in Deo. Quia, ut in Lib. de Somn. et Vigil., dicit philosophus, cujus est potentia, ejus est actus, et e contrario. Sed actus liberi arbitrii, qui est eligere, Deo non convenit, cum electio sequatur consilium, ut in 3 Ethic. dicitur. Consilium autem inquisitio quaedam est cum quodam rationis discursu, quod Deo non competit. Ergo videtur quod in Deo non sit liberum arbitrium.

1. Il semble que le libre arbitre n’existe pas en Dieu, car, ainsi que le dit le Philosophe dans le libre Sur le sommeil et l’état de veille, l’acte appartient à celui qui possède la puissance, et inversement. Or, l’acte du libre arbitre, qui consiste à choisir, ne convient pas à Dieu, puisque le choix suit la délibération, comme il est dit en Éthique, III. Or, la délibération est une recherche accompagnée d’une démarche de la raison, ce qui ne convient pas à Dieu. Il semble donc qu’il n’y ait pas de libre arbitre en Dieu.

[5712] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, in his quae secundum naturam sunt determinata ad unam partem, non est liberum arbitrium. Non enim dicimus, quod lapis libero arbitrio deorsum tendat. Sed Deus ex naturae suae conditione semper determinate bonum vult. Ergo videtur quod libero arbitrio careat.

2. Pour ce qui est déterminé à une seule chose par nature, il n’existe pas de libre arbitre. En effet, nous ne disons pas que la pierre tend vers le bas par le libre arbitre. Or, selon la condition de sa nature, Dieu veut toujours le bien de manière déterminée. Il semble donc qu’il soit dépourvu de libre arbitre.

[5713] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, videtur quod nec in aliquibus creaturis sit. Ad libertatem enim liberi arbitrii pertinet ut aliquis sit dominus sui actus. Sed cujuscumque agentis actus ab aliquo priore agente causatur, ipse agens non est dominus sui actus. Cum igitur cujuslibet creaturae actus in causam priorem reducatur, quae est ipse Deus, qui omnia opera nostra in nobis operatur, ut Isa. 26 dicitur, videtur quod liberum arbitrium in creatura nulla inveniatur.

3. Il semble que [le libre arbitre] n’existe pas non plus chez certaines créatures. En effet, il relève de la liberté du libre arbitre que quelqu’un soit maître de son acte. Or, tout agent dont l’acte est causé par un agent antérieur n’est pas maître de son acte. Puisque l’acte de toute créature se ramène à une cause antérieure, qui est Dieu lui-même, qui produit en nous toutes nos actions, comme il est dit en Is 26, il semble donc que le libre arbitre ne se trouve en aucune créature.

[5714] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, videtur quod saltem in beatis non sit. Quia electio est eorum quae sunt ad finem. Sed veniente fine cessant ea quae sunt ad finem. Cum ergo beati fini ultimo conjuncti sint, videtur quod ad eos non pertinet electio, et per consequens nec liberum arbitrium.

4. Il semble que [le libre arbitre] n’existe pas, du moins chez les bienheureux, car le choix porte sur ce qui se rapporte à la fin. Or, une fois la fin venue, ce qui se rapporte à la fin cesse. Puisque les bienheureux ont été unis à la fin ultime, il semble donc que le choix ne leur convienne pas et, par conséquent, ni le libre arbitre.

[5715] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 5Item videtur quod nec in viatoribus sit. Quia electio eorum quae sunt ad finem, ex ratione finis trahitur. Sed sicut in 3 Ethic. philosophus dicit, qualis unusquisque est, talis etiam finis videtur ei: qualitas autem alicujus est determinata ex natura. Ergo videtur quod electio eorum quae sunt ad finem, determinetur alicui ex natura sua. Ergo videtur quod liberum arbitrium non habeant homines ad eligendum ea quae ad ipsos pertinent.

5. Il semble qu’il n’existe pas non plus chez ceux qui sont en cheminement (viatoribus), car le choix de ce qui se rapporte à la fin est tiré de la nature de la fin. Or, comme le dit le le Philosophe dans Éthique, III, tel est chacun, telle aussi la fin lui apparaît, et la qualité de quelque chose est déterminée par sa nature. Il semble donc que le choix de ce qui se rapporte à la fin soit déterminé pour une chose par sa nature. Il semble donc que les hommes n’aient pas le choix de ce qui les concerne.

[5716] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 6Contra, videtur quod etiam in brutis sit. In quibuscumque enim est voluntarium, in illis liberum arbitrium est. Sed ut in 3 Ethic. philosophus dicit, voluntario et pueri et alia animalia communicant. Ergo videtur quod alia animalia liberum arbitrium habeant.

Cependant, [1] il semble que [le libre arbitre] existe aussi chez les animaux sans raison. En effet, chez tous ceux en qui existe le volontaire, existe le libre arbitre. Or, comme le dit le Philosophe dans Éthique, III, les enfants et les autres animaux ont en commun le volontaire. Il semble donc que les autres animaux aient le libre arbitre.

[5717] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 7Praeterea liberum arbitrium consistit in electione convenientium, et refutatione nocivorum. Sed alia animalia fugiunt nocivum, et prosequuntur conveniens. Ergo videtur quod liberum arbitrium habeant, praecipue cum sponte illud faciant.

[2] Le libre arbre consiste dans le choix de ce qui convient et dans le rejet de ce qui est nuisible. Or, les autres animaux fuient ce qui est nuisible et recherchent ce qui leur convient. Il semble donc qu’ils aient le libre arbitre, surtout lorsqu’ils accomplissent cela spontanément.

[5718] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod nihil agit nisi secundum quod est in actu; et inde est quod oportet omne agens esse determinatum ad alteram partem: quod enim ad utrumlibet est aequaliter se habens, est quodammodo potentia respectu utriusque: et inde est, quod, ut dicit Commentator in 2 Phys. ab eo quod est ad utrumlibet, nihil sequitur, nisi determinetur. Determinatio autem agentis ad aliquam actionem, oportet quod sit ab aliqua cognitione praestituente finem illi actioni. Sed cognitio determinans actionem et praestituens finem, in quibusdam quidem conjuncta est, sicut homo finem suae actionis sibi praestituit; in quibusdam vero separata est, sicut in his quae agunt per naturam: rerum enim naturalium actiones non sunt frustra, ut in 2 Physic. probatur, sed ad certos fines ordinatae ab intellectu naturam instituente, ut sic totum opus naturae sit quodammodo opus intelligentiae, ut philosophus dicit. Sic ergo patet quod haec est differentia in agentibus quia quaedam determinant sibi finem et actum in finem illum, quaedam vero non: nec aliquod agens finem sibi praestituere potest nisi rationem finis cognoscat et ordinem ejus quod est ad finem ipsum, quod solum in habentibus intellectum est: et inde est quod judicium de actione propria est solum in habentibus intellectum, quasi in potestate eorum constitutum sit eligere hanc actionem vel illam; unde et dominium sui actus habere dicuntur: et propter hoc in solis intellectum habentibus liberum arbitrium invenitur, non autem in illis quorum actiones non determinantur ab ipsis agentibus, sed a quibusdam aliis causis prioribus.

Réponse. Rien n’agit que selon qu’il est en acte. De là vient qu’il est nécessaire pour tout agent d’être déterminé à l’une des deux parties [des contraires] : en effet, ce qui se rapporte également à deux choses est en quelque sorte en puissance aux deux. De là vient, comme le dit le Commentateur à propos de Physique, II, que rien ne découle de ce qui se rapporte à deux choses que s’il y a détermination. Or, la détermination de l’agent à une action vient d’une connaissance qui établit la fin de cette action. Or, la connaissance qui détermine l’action et établit la fin est jointe chez certains : ainsi, l’homme établit pour lui-même la fin de son action ; mais, chez certains, elle est séparée, comme c’est le cas de ce qui agit par nature : en effet, les actions des réalités naturelles ne sont pas sans motif, comme on le prouve en Physique, II, mais elles sont ordonnées à des fins déterminées par l’intelligence qui établit la nature, de sorte que l’action de la nature toute entière est, d’une certaine manière, l’œuvre d’une intelligence, comme le dit le Philosophe. Ainsi, il ressort donc que la différence entre les agents consiste en ce que certains déterminent pour eux-mêmes la fin et l’acte en vue de cette fin, mais que certains ne le font pas, et qu’un agent ne peut se donner une fin à moins de connaître la nature de la fin et de l’ordre de ce qui existe en vue de la fin elle-même, ce qui n’existe que chez ceux qui ont l’intelligence. De là vient que le jugement sur leur propre action n’existe que chez ceux qui ont l’intelligence, en tant qu’ils ont le pouvoir de choisir telle ou telle action. Aussi dit-on qu’ils ont la maîtrise de leur acte. Pour cette raison, on ne trouve le libre arbitre que chez ce qui possède l’intelligence, mais non chez ce dont les actions ne sont pas déterminées par les agents eux-mêmes, mais par d’autres causes antérieures.

[5719] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod ea quae dicuntur de Deo et creaturis, ut in 1 libro dictum est, semper eminentius in ipso inveniuntur, et ideo electio salvatur in Deo hoc modo quod abjiciatur id quod imperfectionis est retento eo quod ad perfectionem pertinet: quod enim post inquisitionem consilii electio fiat, hoc imperfectionis est et accidit libero arbitrio prout est in natura ignorante; unde secundum hoc in Deo non salvatur; sed quantum ad hoc quod determinatio sui actus non est sibi ab alio sed a seipso; unde ipse verissime sui operis dominus est, et propter hoc etiam in littera dicitur quod liberum arbitrium aliter in Deo quam in aliis invenitur.

1. Ce qui est dit de Dieu et des créatures, comme on l’a dit dans le libre I, se trouve toujours en lui de manière plus eminente ; ainsi, le choix est sauvegardé en Dieu de telle manière qu’est rejeté ce qui relève de l’imperfection, tout en retenant ce qui relève de la perfection. En effet, le fait qu’un choix soit fait après une recherche du conseil relève d’une imperfection et advient au libre arbitre en tant qu’il existe dans une nature ignorante. Aussi n’est-elle pas maintenue en Dieu sous cet aspect, mais sous l’aspect où la détermination de son acte ne vient pas d’un autre mais de lui-même. Il est donc lui-même maître de son action au sens le plus vrai et, pour cette raison aussi, on dit dans le texte que le libre arbitre se trouve de manière différente en Dieu que chez les autres.

[5720] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod ad rationem liberi arbitrii non pertinet ut indeterminate se habeat ad bonum vel ad malum: quia liberum arbitrium per se in bonum ordinatum est, cum bonum sit objectum voluntatis, nec in malum tendit nisi propter aliquem defectum, quia apprehenditur ut bonum; cum non sit voluntas aut electio nisi boni, aut apparentis boni: et ideo ubi perfectissimum est liberum arbitrium, ibi in malum tendere non potest, quia imperfectum esse non potest. Sed hoc ad libertatem arbitrii pertinet ut actionem aliquam facere vel non facere possit, et hoc Deo convenit; bona enim quae facit potest non facere; nec tamen malum facere potest.

2. Il n’appartient pas à la nature du libre arbitre d’être indéterminé vis-à-vis du bien ou du mal, car, de soi, le libre arbitre est ordonné au bien, puisque le bien est l’objet de la volonté ; il ne tend au mal qu’en raison d’une carence, du fait que celui-ci est perçu comme un bien, puisqu’il n’y a de choix que de ce qui est bon ou de ce qui a l’apparence de la bonté. C’est pourquoi là où le libre arbitre est le plus parfait, là ne peut-il tendre vers le mal, car il ne peut pas être imparfait. Mais il relève de la liberté de l’arbitre de pouvoir accomplir ou non une action, et cela convient à Dieu. En effet, il peut ne pas faire les biens qu’il réalise ; cependant, il ne peut faire le mal.

[5721] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod Deus operatur in omnibus, ita tamen quod in unoquoque secundum ejus conditionem; unde in rebus naturalibus operatur sicut ministrans virtutem agendi, et sicut determinans naturam ad talem actionem: in libero autem arbitrio hoc modo agit ut virtutem agendi sibi ministret, et ipso operante liberum arbitrium agat; sed tamen determinatio actionis et finis in potestate liberi arbitrii constituitur; unde remanet sibi dominium sui actus, licet non ita sicut primo agenti.

3. Dieu agit en toutes choses, toutefois en chaque chose selon sa condition. Ainsi, pour les choses naturelles, il agit en fournissant la puissance d’agir et en déterminant la nature à telle action. Mais, dans le libre arbitre, il agit de telle manière qu’il lui donne la puissance d’agir et qu’il réalise le libre arbitre lorsque celui-ci agit. Cependant, la détermination de l’action et de la fin est au pouvoir du libre arbitre. Aussi garde-t-il la maîtrise de son acte, bien que ce ne soit pas de la même manière que chez le premier agent.

[5722] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod illud quod est ad finem, est duplex: quoddam enim est distans a fine, et quoddam est conjunctum fini, ut patet in generatione naturali. Imperfectus enim calor qui est dispositio ad formam ignis, dum est in alteratione praecedente non conjungitur ipsi fini; sed caliditas ultima quae est in termino alterationis, conjungitur formae substantiali nec excluditur per eam. Ita dico, quod quaedam ordinata sunt ad finem ultimum beatitudinis, quae ipsi fini conjunguntur, ut videre, amare, et hujusmodi; et respectu horum erit sempiterna et libera electio; non autem imperfectorum quae a fine distant, ut fides, spes et hujusmodi.

4. Ce qui est ordonné à la fin est double : en effet, une chose est éloignée de la fin, et une autre est unie à la fin, comme cela ressort dans la génération naturelle. Ainsi, la chaleur imparfaite, qui est une disposition à la forme du feu, alors qu’elle se trouve dans l’altération qui précède, n’est pas unie à la fin elle-même ; mais la chaleur ultime, qui se trouve dans le terme de l’altération, est unie à la forme substantielle et n’est pas écartée par elle. Je dis ainsi que certaines choses sont ordonnées à la fin ultime de la béatitude en étant unies à la fin elle-même, comme voir, aimer et les choses de ce genre. Par rapport à ces choses, existera un choix éternel et libre, mais non par rapport aux réalités imparfaites qui sont éloignées de la fin, comme la foi, l’espérance et les choses de ce genre.

[5723] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod qualitas alicujus est duplex: quaedam ex habitu, et quaedam ex naturali complexione; et secundum illam quae est ex habitu, videtur alicui finis talis qualis est ipse; verbi gratia, ei qui habet habitum luxuriae, videtur optimum delectabile venereum, quod est secundum similitudinem sui habitus. In his ergo qualitas, puta hoc quod est habere virtuosum habitum vel vitiosum, est in potestate nostra, et consequenter ejus fieri. Sed licet naturalis complexio non sit in potestate nostra, tamen adhuc fieri ejus est in potestate nostra, ex quo talis complexio, vel ejus qualitas, est solum dispositio finis; sed ejus quod est tales esse vel non tales, est in potestate nostra: quia vel opera causant habitum, sicut in acquisitis, vel saltem sunt dispositiones ad habitum, sicut in infusis. Qualitas autem quae est ex naturali complexione, non est ad hoc quod faciat finem videri hujusmodi, sed est sicut dispositio ad illud: sicut patet in illis qui ex naturali complexione ad luxuriam proni sunt, quod non omnes delectabile venereum prosequuntur, licet eos ad hoc quodammodo naturalis complexio inclinet.

5. La qualité d’une chose est double : l’une vient d’un habitus, et l’autre de sa complexion naturelle. Par celle qui vient d’un habitus, la fin apparaît à quelqu’un telle qu’elle est. Par exemple, à celui qui a l’habitus de la luxure, ce qui est sexuellement désirable, et qui ressemble à son habitus, apparaît le meilleur. En ces matières, la qualité, par exemple, le fait de posséder un habitus vertueux ou vicieux, est en notre pouvoir et, par conséquent, sa mise en œuvre. Mais, bien que la complexión naturelle ne soit pas en notre pouvoir, sa mise en œuvre est cependant en notre pouvoir. Pour cette raison, une telle complexion ou sa qualité est seulement une disposition à la fin, mais le fait qu’elles soient telles ou non telles est en notre pouvoir, car les actions causent l’habitus, comme dans le cas des [habitus] acquis, ou, tout au moins, elles sont des dispositions à un habitus, comme dans le cas des [habitus] infus. Mais la qualité qui vient d’une complexion naturelle n’est pas destinée à faire voir la fin de celle-ci, mais elle est comme une disposition à cela, comme il ressort, chez ceux qui sont enclins à la luxure en raison de leur complexion naturelle, que tous ne recherchent pas un objet de plaisisr sexuel, bien que leur complexion naturelle les y incline d’une certaine manière.

[5724] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 ad 6Ad sextum dicendum, quod philosophus accipit voluntarium large, non secundum quod dicitur a voluntate, sed secundum quod dividitur contra violentum; unde cum violentum sit cujus principium est extra, voluntarium erit cujus principium est intra; et inde est quod animalia quae moventur ex seipsis, motus voluntarios habere dicuntur, nec tamen electionem habent aut voluntatem, sicut philosophus ibidem ostendit; unde nec liberum arbitrium.

6. Le Philosophe entend « volontaire » au sens large, non pas que cela vienne de la volonté, mais selon que cela s’oppose à ce qui est violent. Puisque ce qui est violent est ce dont le príncipe vient de l’extérieur, le volontaire sera donc ce dont le principe vient de l’intérieur. De là vient qu’on dit des animaux qui se meuvent par eux-mêmes qu’ils ont des mouvements volontaires ; ils ne possèdent cependant pas le choix ou la volonté, comme le montre le Philosophe au même endroit. Ils ne possèdent donc pas le libre arbitre.

[5725] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 ad 7Ad septimum dicendum, quod animalia non apprehendunt rationem convenientis per collationem, sed per quemdam naturalem instinctum; et ideo animalia habent aestimationem sed non cognitionem; sicut etiam habent memoriam, sed non reminiscentiam, quamvis omnia haec partis sensitivae sint: et ideo ex determinatione naturae actus suos exercent, non autem ex propria determinatione agentis; unde omnia ejusdem speciei similes operationes faciunt, sicut omnis aranea similem facit telam, quod non esset si ex seipsis quasi per artem operantes sua opera disponerent: et propter hoc in eis non est liberum arbitrium.

7. Les animaux ne saisissent pas la raison de ce qui convient par une comparaison, mais par un instinct naturel. Aussi les animaux ont-ils l’estimative, mais non la connaissance, de même qu’ils ont la mémoire, mais non la réminiscence, bien que tout cela relève de la partie sensible. Ils accomplissent donc leurs actes selon la détermination de la nature, mais non par une détermination propre de l’agent. Tous ceux qui appartiennent à la même espèce accomplissent donc des actions semblables : ainsi, toutes les araignées réalisent une toile semblable, ce qui ne serait pas le cas si elles réalisaient par elles-mêmess leurs œuvres en agissant selon l’art. Pour cette raison, il n’y a pas chez eux de libre arbitre.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum liberum arbitrium possit cogi

Article 2 – Le libre arbitre peut-il être contraint ?

[5727] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod liberum arbitrium cogi possit. Quod enim immutatur ab aliquo agente, cogitur ab illo. Sed ut dicit Glossa ad Rom., Deus potest immutare voluntatem hominum in quodcumque voluerit. Ergo videtur quod voluntas a Deo cogi possit, et ita liberum arbitrium.

1. Il semble que le libre arbitre puisse être contraint. En effet, ce qui est changé par un agent est contraint par celui-ci. Or, comme le dit la glose sur Rm 1, « Dieu peut changer la volonté des hommes pour tout ce qu’il veut ». Il semble donc que la volonté puisse être contrainte par Dieu, et donc le libre arbitre.

[5728] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, omne agens quod non potest aliter operari quam ab altero sibi determinatur, cogitur ab illo. Sed liberum arbitrium non potest aliter operari quam Deus praescivit vel praedestinavit. Ergo videtur quod liberum arbitrium a Deo cogatur.

2. Tout agent qui ne faire autrement que ce qui a été déterminé par un autre est contraint par celui-ci. Or, le libre arbitre ne peut faire autrement que ce que Dieu a connu à l’avance ou a prédestiné. Il semble donc que le libre arbitre soit forcé par Dieu.

[5729] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, virtus superior potest cogere inferiorem. Sed in ordine universi quaedam virtutes sunt superiores quam liberum arbitrium. Ergo ipsum cogere possunt.

3. Une puissance supérieure peut contraindre une [puissance] inférieure. Or, dans l’ordre de l’univers, certaines puissances sont supérieures au libre arbitre. Elles peuvent donc le contraindre.

[5730] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, intellectus est altior potentia quam voluntas. Sed intellectus cogitur in demonstrationibus, ut ex 5 Metaph. apparet. Ergo videtur quod etiam voluntas et liberum arbitrium cogi possint.

4. L’intelligence est une puissance plus élevée que la volonté. Or, l’intelligence est contrainte par les démonstrations, comme cela ressort de Métaphysique, V. Il semble donc que même la volonté et le libre arbitre puissent être contraints.

[5731] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, motus inferiores regulantur secundum motus superiores: quia omne quod non uniformiter se habet, regulatur per aliquid uniformiter se habens. Sed motus liberi arbitrii maxime difformiter se habent. Ergo videtur quod indigeant regulari per actiones uniformiter se habentes. Hujusmodi autem in natura non sunt nisi motus caeli. Ergo per motus siderum regulantur opera liberi arbitrii, et per eorum potentiam cogi possunt: quod patet ex hoc quod astrologi per cursum siderum aliqua de operationibus libero arbitrio subjectis praenuntiant.

5. Les mouvements supérieurs imposent leur règle aux mouvements inférieurs, car tout ce qui ne se comporte pas de manière uniforme est soumis à une règle qui est uniforme. Or, les mouvements du libre arbitre sont au plus haut point variables. Il semble donc qu’ils aient besoin d’être réglés par des actions qui sont uniformes. Or, dans la nature, seuls les mouvements du ciel sont de cette sorte. Les actions du libre arbitre sont donc réglées par les mouvements des astres et peuvent être contraintes par leur puissance, ce qui ressort du fait que les astrologues, à partir du cours des astres, annoncent à l’avance certaines choses au sujet d’opérations soumises au libre arbitre.

[5732] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 6Praeterea, omne quod vincitur ab aliquo cogitur ab illo. Sed incontinentes, qui ducuntur passionibus, vincuntur, ut ex 7 Ethicor. patet. Ergo videtur quod liberum arbitrium cogi possit.

6. Tout ce qui est vaincu par un autre est contraint par lui. Or, les incontinents, qui sont menés par leurs passions, sont vaincus, comme cela ressort d’Éthique, VII. Il semble donc que le libre arbitre puisse être contraint.

[5733] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 7Praeterea, difficilius est aliquem privare omnino suo actu quam suum actum immutare. Sed usus liberi arbitrii potest per violentiam impediri, ut in phreneticis patet. Ergo etiam videtur, quod per violentiam cogi possit ad aliquid agendum.

7. Il est plus difficile de priver entièrement quelqu’un de son acte que de changer son acte. Or, l’usage du libre arbitre peut être empêché par la violence, comme cela ressort chez les fous furieux. Il semble donc aussi qu’il puisse être contraint par la violence à accomplir quelque chose.

[5734] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, ut dicit Augustinus contra Tullium, quod est necessarium non est voluntarium. Sed liberum arbitrium in ratione sua voluntarium habet, cum sit facultas rationis et voluntatis. Ergo videtur quod non possit per necessitatem cogi.

Cependant, [1] comme le dit Augustin à l’opposé de Tullius [Cicéron], « ce qui est nécessaire n’est pas volontaire ». Or, la notion de libre arbitre comporte le volontaire, puisqu’il est une propriété de la raison et de la volonté. Il semble donc qu’il ne puisse être contraint par la nécessité.

[5735] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, quidquid cogitur, non habet dominium sui actus. Sed ex hoc liberum arbitrium in nobis dicitur, quod domini sumus nostrorum actuum. Ergo videtur quod hoc sit contra rationem liberi arbitrii quod cogatur.

[2] Tout ce qui est contraint ne possède pas la maîtrise de son acte. Or, on dit que le libre arbitre existe en nous parce que nous sommes maîtres de nos actes. Il semble donc qu’être contraint aille contre la notion de libre arbitre.

[5736] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod est duplex coactio; quaedam sufficiens, quae compulsio vocatur; quaedam vero insufficiens, quae vocatur impulsio. Sciendum est igitur quod in partibus animae quaedam sunt quae compelli possunt: sed dupliciter. Quaedam enim compelluntur ex subjecto, sicut illae vires quae sunt organis affixae: cum enim sine organis operationes habere non possint, compulsis organis, ipsae virtutes prohibentur vel compelluntur, earum actibus violenter extortis. Quaedam vero sunt quae quidem subjecto non compelluntur, quia organis affixae non sunt, compelluntur tamen objecto, sicut intellectus; ipse enim non est actus alicujus partis corporis, ut philosophus dicit in 3 de anima, et tamen demonstrationis vi cogitur. Voluntas autem neque subjecto cogi potest, cum non sit organo affixa, neque objecto: quantumcumque enim aliquid ostendatur esse bonum, in potestate ejus remanet eligere illud vel non eligere. Cujus ratio est quia objectum intellectus est verum, objectum autem voluntatis est bonum. Invenitur autem aliquod verum in quo nulla falsitatis apparentia admisceri potest, ut patet in dignitatibus; unde intellectus non potest subterfugere quin illis assentiat. Similiter etiam invenitur aliquod falsum quod nullam veri apparentiam habet, ut patet in oppositis dignitatum; unde illi nullatenus intellectus assentire potest. Similiter etiam si proponatur voluntati aliquod bonum quod completam boni rationem habeat, ut ultimus finis, propter quem omnia appetuntur; non potest voluntas hoc non velle; unde nullus non potest non velle esse felix, aut velle esse miser. In his autem quae ad finem ultimum ordinantur, nihil invenitur adeo malum quin aliquod bonum admixtum habeat, nec aliquod adeo bonum quod in omnibus sufficiat: unde quantumcumque ostendatur bonum vel malum, semper potest adhaerere, et fugere in contrarium, ratione alterius quod in ipso est, ex quo accipitur, si malum est simpliciter, ut apparens bonum; et si bonum est simpliciter, ut apparens malum: et inde est quod in omnibus quae sub electione cadunt, voluntas libera manet, in hoc solo determinationem habens quod felicitatem naturaliter appetit, et non determinate in hoc vel illo. Quamvis autem cogi non possit, nihilominus tamen potest inclinari ad agendum aliquid per aliquas dispositiones et habitus ex quibus pronior efficitur ad eligendum alteram partem.

Réponse. Il existe une double coercition : l’une qui est suffisante, qui est appelée contrainte ; mais une autre qui est insuffisante, qui est appelée impulsion. Il faut donc savoir que, parmi les parties de l’âme, il y en a qui peuvent être contraintes, mais de deux façons. En effet, certaines sont contraintes en raison de leur sujet, comme les puissances qui sont liées à des organes. En effet, puisqu’il ne peut y avoir d’opération sans les organes, lorsque les organes sont contraints, les puissances elles-mêmes sont empêchées ou contraintes, alors que leurs actes sont arrachés par la violence. Mais il y en a qui ne sont pas contraintes en raison de leur sujet, car elles ne sont pas liées à des organes, mais elles sont cependant contraintes par leur objet, comme l’intellect. En effet, celui-ci n’est pas l’acte d’une partie du corps, comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, III ; il est cependant contraint par la force d’une démonstration. Toutefois, la volonté ne peut être forcée ni en raison de son sujet, puisqu’elle n’est pas liée à un organe, ni en raison de son objet. En effet, autant montre-t-on que quelquechose est bon, il reste en son pouvoir de le choisir ou de ne pas le choisir. La raison en est que l’objet de l’intellect est le vrai, mais l’objet de la volonté est le bien. Or, il existe une vérité à laquelle aucune apparence de fausseté ne peut être mêlée, comme cela ressort pour les principes premiers (dignitatibus) ; l’intellect ne peut donc s’empêcher de leur donner son assentiment. De même aussi, existe-t-il une fausseté qui ne possède aucune apparence de vérité, comme cela ressort pour ce qui est contraire aux principes premiers ; l’intellect ne peut donc aucunement leur donner son assentiment. De même encore, si un bien, qui comporte la raison complète de bien, est proposé à la raison, telle la fin ultime en vue de laquelle tout est désiré, la volonté ne peut pas ne pas vouloir cela. Aussi personne ne peut-il ne pas vouloir être heureux ou vouloir être malheureux. Mais, dans ce qui est ordonné à la fin ultime, on ne trouve rien qui soit à ce point mal, que n’y soit mêlé un certain bien, ni rien qui soit à ce point bon qu’il soit en tout suffisant. Ainsi, quel que soit le bien ou le mal qui est montré, [la volonté] peut toujours y adhérer et fuir vers le contraire en raison de quelque chose d’autre qui s’y trouve, en raison de quoi, s’il s’agit tout simplement d’un mal, est perçu ce qui apparaît comme bien, et s’il s’agit tout simplement d’un bien, [est perçu] ce qui apparaît comme mal. De là vient que, pour tout ce qui relève du choix, la volonté demeure libre, en n’étant déterminée que pour le seul désir naturel de la béatitude, sans être déterminée à telle ou telle chose. Bien qu’elle ne puisse être forcée, elle peut cependant être encline à faire quelque chose par des dispositions ou des habitus qui la rendent plus encline à choisir l’une des deux parties.

[5737] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod Deus operatur in voluntate et in libero arbitrio secundum ejus exigentiam; unde etiam si voluntatem hominis in aliud mutet, nihilominus tamen hoc sua omnipotentia facit ut illud in quod mutatur, voluntarie velit: et ita coactionis ratio tollitur: alias esset contradictionis implicatio, si diceretur nolle illud in quod mutatur, et cogi ad illud: quia necessitas coactionis voluntati contraria est, ut in 5 Metaph. philosophus dicit.

1. Dieu agit à l’intérieur de la volonté et du libre arbitre selon ce qu’ils exigent. Même s’il change la volonté de l’homme pour quelque chose d’autre, il fait donc cependant en sorte, par sa toute-puissance, qu’elle veuille volontairement ce pour quoi elle est changée. C’est ainsi que le caractère de coercition est écarté, autrement on supposerait une contradiction si on disait que [la volonté] ne veut pas ce pour quoi elle est changée et qu’elle y est forcée, car la nécessité par coercition est contraire à la volonté, comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, V.

[5738] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod divina praescientia necessitatem libero arbitrio non imponit; quamvis hoc quod praescitum est impossibile sit non evenire; et hoc quomodo esse possit, in 1 libro ostensum est.

2. La prescience divine n’impose pas de nécessité au libre arbitre, bien qu’il soit impossible que ce qui est connu d’avance n’arrive pas. Comment il peut en être ainsi, on l’a montré dans le livre I.

[5739] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod ad actum liberi arbitrii, nulla virtus est eo superior nisi Deus, quamvis forte aliqua alia virtus creata simpliciter potentior sit; unde nulla virtus creata liberum arbitrium cogere nec immutare potest. Deus autem potest quidem immutare sed non cogere, eo modo quo dicitur, non posse facere ut duo contradictoria sint simul.

3. Seul Dieu est supérieur à l’acte du libre arbitre, bien qu’une certaine puissance créée soit tout simplement plus puissante. Aucune puissance créée ne peut donc contraindre ni changer le libre arbitre. Mais Dieu peut le changer, mais non le forcer, comme on a dit qu’il ne peut faire que deux choses contradictoires existent en même temps.

[5740] Ad quartum dicendum, quod quamvis intellectus sit superior virtus quam voluntas ratione ordinis, quia prior est et a voluntate praesupponitur; tamen voluntas etiam quodammodo superior est, secundum quod imperium habet super omnes animae vires, propter hoc quod ejus objectum est finis; unde convenientissime in ipsa summum libertatis invenitur; liber enim dicitur qui causa sui est, ut in 1 Metaph. dicitur.

4. Bien que l’intelligence soit une puissance supérieure à la volonté selon l’ordre – en effet, elle est antérieure à la volonté et lui est présupposée ‑, cependant, la volonté est supérieure d’une certaine manière, selon qu’elle commande à toutes les puissances de l’âme, en raison de quoi son objet est la fin. Aussi la liberté se trouve-t-elle en elle au plus haut point de manière appropriée. En effet, on dit qu’est libre celui qui est cause de lui-même, comme le dit Métaphysique, I.

[5741] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod motus caelestis se habet ad liberum arbitrium sicut inclinans ad aliquid agendum, inquantum ex impressione corporis caelestis relinquitur aliqua dispositio in corpore, secundum quam anima efficitur prona ad hanc actionem vel illam; sicut ex naturali complexione, quidam sunt magis proni ad unum vitium quam alii: et hoc modo possunt astrologi praenuntiare aliquid ex his quae ex libero arbitrio dependent, conjecturaliter, et non per certitudinem scientiae, quia virtutem coactivam sufficienter super libero arbitrio non habent corpora caelestia. Unde etiam Ptolomaeus dicit, quod homo sapiens dominatur astris, quia per sapientiam suam potest vitare ea ad quae astra disponunt. Avicenna tamen videtur velle, ut supra dictum est, quod motus voluntatis reducantur sicut in regulans in animas corporum caelestium: quia ponit quod animae inferiores sunt ex animabus superioribus; unde non est mirum si impressionem habet anima superior in animam inferiorem. Sed secundum fidem Catholicam hoc stare non potest, quae ponit animas immediate a Deo creari; unde ipse solus in voluntate operari potest, et in ipsam imprimere; et ideo diversitates humanae voluntatis in uniformitatem voluntatis divinae reducuntur, sicut in primam regulam.

5. Le rapport du mouvement céleste avec le libre arbitre est celui d’une inclination à faire quelque chose, dans la mesure où, après l’impulsion d’un corps céleste, demeure dans le corps une disposition par laquelle l’âme devient plus encline à telle ou telle action, de la même manière que, par leur complexion naturelle, certains sont plus enclins que d’autres à un vice. C’est de cette manière que les astrologues peuvent annoncer à l’avance par conjecture, et non selon la certitude de la science, une chose qui dépend du libre arbitre, car les corps célestes n’ont pas une puissance coercitive suffisante sur le libre arbitre. Aussi, même Ptolémée dit que le sage l’emporte sur les astres, car, par sa sagesse, il peut éviter ce à quoi disposent les astres. Cependant, Avicenne semble être d’avis, comme on l’a dit plus haut, que les mouvements de la volonté se ramènent comme à leur règle aux âmes des corps célestes, car il affirme que les âmes inférieures viennent des âmes supérieures ; il n’est donc pas étonnant qu’une âme supérieure exerce une impulsion sur une âme inférieure. Mais cela ne peut être soutenu selon la foi catholique, qui affirme que les âmes sont créées par Dieu de manière immédiate. Seul Dieu peut donc agir à l’intérieur de la volonté et exercer sur elle une impulsion. C’est pourquoi la diversité de la volonté humaine se ramène à l’uniformité de la volonté divine comme à sa règle première.

[5742] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 ad 6Ad sextum dicendum, quod incontinens dicitur vinci a passionibus non quasi cogentibus, sed vehementer inclinantibus ad aliquid agendum.

6. On dit que l’incontinent est vaincu par les passions, non pas comme si elles le forçaient, mais en l’inclinant fortement à accomplir quelque chose.

[5743] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 2 ad 7Ad septimum dicendum, quod usus liberi arbitrii non impeditur per se, sed per accidens, inquantum scilicet ad usum liberi arbitrii requiritur usus rationis, et ad usum rationis requiritur usus imaginativae virtutis, qui per laesionem organi impeditur.

7. L’usage du libre arbitre n’est pas empêché par soi, mais par accident, dans la mesure où l’usage de la raison est nécessaire à l’usage du libre arbitre, et qu’à l’usage de la raison, est nécessaire l’usage de la puissance imaginative, qui est empêché par la blessure d’un organe.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum liberum arbitrium se extendat ad omnia opera humana

Article 3 – Le libre arbitre porte-t-il sur tous les actes humains ? 

[5745] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod liberum arbitrium non se extendat ad omnia opera humana. Liberum enim arbitrium cogi non potest, ut dictum est. Sed quaedam opera humana cogi possunt: impeditur enim homo a motu per violentiam. Ergo non omnia opera humana sunt liberi arbitrii.

1. Il semble que le libre arbitre ne porte pas sur tous les actes humains. En effet, le libre arbitre ne peut être contraint, comme on l’a dit. Or, certains actes humains peuvent être contraints :en effet, l’homme est empêché de se mouvoir par la violence. Tous les actes humains ne relèvent donc pas du libre arbitre.

[5746] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, in 1 Ethic. dicitur, quod quaedam opera humana sunt fines. Electio autem non est finis, ut in 3 Ethic. dicitur. Cum igitur eligere sit actus liberi arbitrii, videtur quod liberum arbitrium non sit omnium humanorum actuum.

2. Dans Éthique, I, on dit que certains actes humains sont des fins. Or, le choix ne porte pas sur la fin, comme on le dit dans Éthique, III. Puisque choisir est l’acte du libre arbitre, il semble donc que le libre arbitre ne porte pas sur tous les actes humains.

[5747] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, omnes actus liberi arbitrii sunt in potestate nostra. Sed quidam actus sunt in nobis, non in potestate nostra existentes, sicut actus generativae, nutritivae et augmentativae. Ergo non omnes actus nostri sunt liberi arbitrii.

3. Tous les actes du libre arbitre sont en notre pouvoir. Or, il existe en nous certains qui ne sont pas en notre pouvoir, tels les actes [des puissances] génératrice, nutritive et de croissance. Tous nos actes ne relevent donc pas du libre arbitre.

[5748] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, potentia determinata, est ad determinatos actus. Si igitur liberum arbitrium esset, omnium humanorum actuum non esset determinata sed universalis potentia, quod supra falsum esse dictum est.

4. Une puissance déterminée porte sur des actes déterminés. Si donc le libre arbitre existait, la capacité de tous les actes humains ne serait pas déterminée mais universelle, ce qu’on a démontré plus haut être faux.

[5749] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, illud quod est praeter voluntatem est etiam praeter liberum arbitrium, cum liberum arbitrium sit facultas voluntatis et rationis, ut supra dictum est. Sed, ut Dionysius dicit, malum est praeter voluntatem. Ergo liberum arbitrium hominum ad mala opera non se extendit.

5. Ce qui échappe à la volonté échappe aussi au libre arbitre, puisque le libre arbitre est une faculté de la volonté et de la raison, comme on l’a dit plus haut. Or, comme le dit Denys, « le mal échappe à la volonté ». Le libre arbitre ne porte donc pas sur les actions mauvaises.

[5750] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra est quod Damascenus dicit in 2 Lib. quod homo libero arbitrio inquirit, eligit, impetum facit ad opus, et sic de aliis. Ergo videtur quod ad ipsum pertineant omnes actus humani.

Cependant, [1] [Jean] Damascène dit, dans le livre II, que « l’homme recherche, choisit et s’élance vers l’action par son libre arbitre », et ainsi de suite. Il semble donc que tous les actes humains relèvent de lui.

[5751] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, ut supra dictum est, liberum arbitrium est voluntas. Sed omnes actus humani sunt voluntarii. Ergo sunt etiam liberi arbitrii.

[2] Comme on l’a dit plus haut, le libre arbitre est la volonté. Or, tous les actes humains sont volontaires. Ils relèvent donc aussi du libre arbitre.

[5752] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod actus alicujus potentiae vel habitus potest esse dupliciter: vel quia elicit ipsum, vel quia imperat eum. Ille autem actus proprie a potentia elici dicitur qui immediate ab ipsa potentia procedit, sicut ab intellectu intelligere: et hoc modo non omnes actus humani sunt liberi arbitrii; sed proprius actus ejus est eligere, ut supra dictum est. Sed per imperium voluntatis et liberi arbitrii moventur etiam aliae potentiae in suos actus; unde virtus appetitiva dicitur movens, quia imperat motum; et virtus motiva affixa musculis et nervis, quia exequitur: et per modum istum omnes actus humani sunt liberi arbitrii, quia ab ipso imperati, sed non eliciti.

Réponse. Un acte peut relever d’une puissance ou d’un habitus de deux manières : soit qu’ils le suscitent, soit qu’ils le commandent. Or, on dit qu’un acte est à proprement parler suscité par une puissance lorsqu’il procède de cette puissance de manière immédiate, comme intelliger [procède] de l’intelligence. Tous les actes humains ne relèvent pas ainsi du libre arbitre ; l’acte propre de celui-ci est cependant de choisir, comme on l’a dit plus haut. Mais d’autres puissances sont mues à leurs actes par le commandement de la volonté et du libre arbitre. Aussi la puissance appétitive est-elle appelée motrice, parce qu’elle commande le mouvement, et la puissance liée aux muscles et aux nerfs [est-elle appelée] mobile, parce qu’elle exécute. De cette manière, tous les actes humains relèvent du libre arbitre, parce qu’ils sont commandés, mais non pas suscités par lui.

[5753] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod liberum arbitrium non potest cogi in suo actu proprio, qui est eligere; sed tamen potest cogi in aliquibus actibus imperatis ab ipso propter coactionem virtutum exequentium.

1. Le libre arbitre ne peut être forcé pour son acte propre, qui est de choisir ; il peut cependant être forcé pour certains actes commandés par lui en raison de la coercition exercée sur les puissances qui exécutent.

[5754] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod illud quod est finis respectu quorumdam, potest esse etiam ordinatum ad ulteriorem finem, nisi sit ultimus finis. Nulla autem operatio humana est finis ultimus nisi per accidens, inquantum scilicet fini ultimo conjungit: et ideo omnium operationum humanarum potest esse electio, non quidem inquantum sunt finis, sed inquantum sunt ad finem: quamvis enim vincere sit finis militaris potentiae, ordinatur tamen ad ulteriorem finem; unde sub electione cadere potest.

2. Ce qui est une fin pour certaines choses peut être aussi ordonné à une fin ultérieure, à moins qu’il ne s’agisse de la fin ultime. Or, aucune opération humaine n’est la fin ultime, sauf par accident, dans la mesure où elle unit à la fin ultime. C’est pourquoi le choix peut porter sur toutes les opérations humaines, non pas en tant qu’elles sont la fin, mais en tant qu’elles se rapportent à la fin. En effet, bien que vaincre soit la fin de la puissance militaire, cela est cependant ordonné à une fin ultérieure. Cela peut donc être l’objet d’un choix.

[5755] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod homo ex hoc dicitur homo quod rationem habet; unde illi tantum actus dicuntur actus humani qui sunt virium rationalium vel per essentiam, vel per participationem, sicut actus concupiscibilis et irascibilis. Virtutes autem nutritivae partis nullo modo rationem participant, ut in 1 Ethic. dicitur; unde earum actus operationes humanae non dicuntur.

3. On dit que l’homme est homme du fait qu’il possède la raison. Aussi appelle-t-on humains les actes qui relèvent des puissances raisonnables, soit par essence, soit par participation, comme les actes du concupiscible et de l’irascible. Or, les puissances de la partie nutritive ne participent aucunement à la raison, comme on le dit dans Éthique, I. Aussi leurs actes ne sont-ils pas appelés des opérations humaines.

[5756] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod ratio illa sequeretur, si omnia opera humana essent liberi arbitrii quasi elicita ab ipso; quod non est verum, ut dictum est; unde non sequitur quod sit universalis potentia.

4. Ce raisonnement serait concluant si tous les actes humains relevaient du libre arbitre en tant qu’ils sont suscités par lui, ce qui n’est pas vrai, comme on l’a dit. Aussi ne peut-on conclure qu’elle est une puissance universelle.

[5757] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod malum in eo quod malum est, praeter voluntatem est; sed operatio humana, inquantum apparet bona, sub voluntate cadere potest; et ita potest esse ejus electio et libero arbitrio subjacere.

5. Le mal en tant que mal échappe à la volonté ; mais une opération humaine, pour autant qu’elle semble bonne, peut être objet de la volonté. Ainsi son existence peut-elle être l’objet d’un choix et soumise au libre arbitre.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum libertas arbitrii augeatur vel minuatur

Article 4 – La liberté de l’arbitre est-elle augmentée ou diminuée ? 

[5759] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod libertas arbitrii non augeatur neque minuatur. Illud enim quod pertinet ad rationem potentiae, non variatur per actus vel habitus; cum priora a posterioribus non varientur, sed eis subjaceant. Sed libertas pertinet ad rationem potentiae, quae liberum arbitrium dicitur. Ergo non potest per actus vel habitus virtutis aut vitii augeri et minui.

1. Il semble que la liberté de l’arbitre ne soit pas pas augmentée ni diminuée. En effet, ce qui relève de la nature d’une puissance ne varie pas selon les actes ou les habitus, puisque ce qui est propre ne varie pas selon ce qui est postérieur, mais lui est soumis. Or, la liberté relève de la nature de la puissance qui est appelée le libre arbitre. Elle ne peut donc pas être augmentée ou diminuée par les actes ou les habitus de vertu ou de vice.

[5760] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 2Praeterea, illud quod sequitur naturam aliquam, aequaliter invenitur in omnibus habentibus naturam illam. Sed liberum arbitrium consequitur naturam intellectivam, ut dictum est. Ergo in eis non augetur nec minuitur.

2. Ce qui découle d’une nature se trouve également chez tous ceux qui possèdent cette nature. Or, le libre arbitre découle de la nature intellectuelle, comme on l’a dit. Il n’est donc pas augmenté ni diminué chez eux.

[5761] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 3Praeterea, liberum arbitrium dicitur ex eo quod cogi non potest. Sed negationes non recipiunt magis et minus in diversis, nec in eodem secundum diversos status. Ergo et cetera.

3. On parle d’arbitre libre du fait qu’il ne peut être forcé. Or, les négations ne reçoivent ni plus ni moins en des choses diverses, et elles ne trouvent pas en une même chose selon divers états. Donc, etc.

[5762] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 4Praeterea, illud quod est fortius, non vincitur nec in servitutem deducitur ab eo quod est debilius. Sed liberum arbitrium est fortius quam sint passiones peccati, quia eis resistere potest, et sibi subjugare. Ergo videtur quod non minuatur liberum arbitrium per servitutem peccati.

4. Ce qui est plus fort n’est ni vaincu ni réduit à l’esclavage par ce qui est plus faible. Or, le libre arbitre est plus fort que ne le sont les passions du péché, car il peut leur résister et s’y soumettre. Il semble donc que le libre arbitre n’est pas diminué par l’esclavage du péché.

[5763] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 5Praeterea, in illud quod quilibet per se potest, unus non est altero liberior. Sed in malum quilibet per se potest, et in gratia et sine gratia. Ergo videtur quod liberum arbitrium alicujus non sit liberius ad malum quam alterius; et ita videtur quod liberum arbitrium non augeatur vel minuatur.

5. Pour ce que chacun peut faire par lui-même, l’un n’est pas plus libre que l’autre. Or, chacun est capable du mal par lui-même, tant avec la grâce que sans la grâce. Il semble donc que le libre arbitre de l’un ne soit pas plus libre pour le mal que celui d’un autre. Il semble donc que le libre arbitre ne soit ni augmenté ni diminué.

[5764] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 4 s. c. 1Sed contra est quod dicitur ad Roman. 7, 19: non quod volo bonum, hoc ago. Hoc autem in persona hominis damnati dicitur, ut una Glossa exponit. Cum ergo in statu innocentiae nihil ad bonum impediret, videtur quod liberum arbitrium augeatur et minuatur.

Cependant, [1] il est dit en Rm 7, 19 : Je ne fais pas le bien que je veux. Or, cela est dit au nom de l’homme condamné, comme l’explique une glose. Puisque rien n’empêcherait de faire le bien dans l’état d’innocence, il semble donc que le libre soit augmenté et diminué.

[5765] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 4 s. c. 2Praeterea, non redimitur nisi quod in servitute fuit. Sed per sanguinem Christi de peccato redempti sumus, ut 1 Petri, 1, dicitur. Ergo per peccatum in servitutem trahimur, et ita libertas minuitur.

[2] N’est racheté que ce qui était en l’esclavage. Or, par le sang du Christ, nous avons été rachetés du péché, comme le dit 1 P 1. Nous sommes donc entraînés vers l’esclavage par le péché, et ainsi la liberté est diminuée.

[5766] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod liberum arbitrium dicitur ex eo quod cogi non potest. Coactio autem, ut prius dictum est, est duplex: una compellens, et alia inducens vel impellens. Hoc autem est naturale et essentiale libero arbitrio ut sufficienter non cogatur coactione compellente, et hoc sequitur ipsum in quolibet statu; unde non augetur talis libertas nec diminuitur per se, sed per accidens tantum. Omnis enim proprietas quae consequitur naturam aliquam, quanto natura illa nobilius invenitur in aliquo, tanto etiam proprietas illa perfectius participatur ab eo, secundum quem modum homo dicitur minus intelligens quam Angelus; et ita etiam libertas a necessaria coactione nobilius invenitur in Deo quam in Angelo, et in uno Angelo quam in alio, et in Angelo quam in homine. Libertas autem illa quae est ab impellentibus et disponentibus in unam partem, augetur et minuitur, et acquiritur et amittitur, secundum quod illa disponentia augentur et minuuntur, et acquiruntur vel amittuntur; unde libertas talis per se etiam augetur et minuitur in homine secundum diversos status.

Réponse. On parle de libre arbitre du fait que celui-ci ne peut être forcé. Or, la coercition est double, comme on l’a dit auparavant : l’une qui contraint, et une autre qui entraîne ou incite. Or, il est naturel et essentiel au libre arbitre qu’il ne soit pas suffisamment forcé par [la coercition] qui contraint, et cela le suit dans n’importe quel état ; aussi une telle liberté n’est-elle ni augmentée ni diminuée par elle-même, mais seulement par accident. En effet, pour toute propriété qui découle d’une nature, plus cette nature s’avère noble chez quelqu’un, plus il participe à cette propriété. De cette manière, on dit de l’homme qu’il est moins intelligent que l’ange, et on trouve aussi qu’une liberté, soustraite à une coercition nécessaire est quelque chose de plus noble chez Dieu que chez l’ange, chez un ange que chez un autre, et chez l’ange que chez l’homme. Mais la liberté par rapport à ce qui incite ou dispose dans un sens est augmentée et diminuée, et elle est acquise et perdue selon que ce qui dispose est augmenté ou diminué, est acquis ou perdu. Aussi une telle liberté est-elle aussi augmentée et diminuée par elle-même chez l’homme selon ses divers états.

[5767] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod libertas a necessitate est quae consequitur naturam potentiae; et ideo per actus et habitus non variatur: sed libertas a disponentibus, sequitur habitum et actum; et ideo secundum diversitatem actuum et habituum variatur.

1. La liberté par rapport à la nécessité est celle qui découle de la nature d’une puisssance ; c’est pourquoi elle ne varie pas selon les actes et les habitus. Mais la liberté par rapport à ce qui dispose découle de l’habitus et de l’acte ; aussi varie-t-elle selon la diversité des actes et des habitus.

[5768] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod in quibus invenitur natura una aequaliter, invenitur etiam aequaliter illud quod consequitur naturam illam. Sed natura intellectiva non invenitur aequaliter in Deo, Angelo et homine. Unde nec etiam libertas a coactione aequaliter in omnibus est.

2. Chez ceux où se trouve une seule nature de manière égale, on trouve aussi également ce qui découle de cette nature. Or, la nature intellectuelle ne se trouve pas de manière égale chez Dieu, l’ange et l’homme. La liberté par rapport à la coercition n’existe donc pas également chez tous.

[5769] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod quamvis negatio per se non recipiat magis ac minus, tamen per accidens intenditur et remittitur, scilicet per intensionem et remissionem suae causae; sicut dicuntur majores tenebrae, quanto est majus obstaculum lucis; unde etiam secundum quod causa libertatis, quae est natura intellectiva, invenitur nobilior et minus nobilis, secundum hoc etiam ipsa libertas intenditur quodammodo et remittitur.

3. Bien que la négation ne reçoive pas de soi du plus et du moins, elle est cependant plus intense et moins intense par accident, à savoir, selon l’intensité et le relâchement de sa cause. Ainsi, on parle de ténèbres plus grandes dans la mesure où l’obstacle à la lumière est plus grand. De même, selon que la cause de la liberté, qui est la nature intellectuelle, est plus noble et moins noble, de même aussi cette liberté s’intensifie-t-elle ou de relàche-t-elle d’une certaine façon.

[5770] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod liberum arbitrium nunquam ita vincitur aut servituti subjicitur passionibus peccati, ut ad peccandum compellatur, quia jam sibi in peccatum non imputaretur; sed dicitur esse subjectum peccato, inquantum ex peccato inclinatur ad peccandum sicut a disponente, non sicut a compellente.

4. Le libre arbitre n’est jamais à ce point vaincu ou soumis à l’esclavage des passions du péché qu’il soit contraint de pécher, car on ne lui imputerait pas alors de péché ; mais on dit qu’il est soumis au péché pour autant qu’il est enclin à pécher comme par quelque chose qui y dispose, et non qui y contraint.

[5771] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod quamvis quilibet per se possit in malum, non tamen potest quilibet eodem modo malum facere sicut ille qui habet habitum malitiae: unicuique enim habenti habitum est delectabilis operatio quae est secundum habitum illum: et ideo illi qui habent habitus corruptos, opera abominabilia delectabiliter et sine abominatione exercent: et ideo libere illud facere dicuntur, inquantum per habitum corruptum reprimitur contradictio rationis, ratione obtenebrata: quod non potest esse in illis qui talibus habitibus carent: et ideo dicit philosophus in 5 Ethic., quod justus non potest statim facere opera injustitiae, sicut injustus facit.

5. Bien que tous soient en eux-mêmes capables de mal, tous ne peuvent pas faire le mal de la même manière que celui qui possède l’habitus de la malice. En effet, pour tous ceux qui possèdent l’habitus de la malice, l’opération qui est conforme à cet habitus est délectable. Aussi ceux qui possèdent des habitus corrompus accomplissent-ils des actions abominables avec plaisir et sans horreur. C’est pourquoi on dit qu’ils font cela librement, dans la mesure où l’opposition de la raison est refoulée par un habitus corrompu par une raison enténébrée, ce qui ne peut se produire chez ceux à qui de tels habitus font défaut. Aussi le Philosophe dit-il, Éthique, V, que « le juste ne peut subitement accomplir des actes d’injustice comme l’injuste les accomplit ».

 

 

ARTICULUS 5 Utrum liberum arbitrium distinguatur tripliciter

Article 5 – Existe-t-il une triple distinction dans le libre arbitre ? 

[5773] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter distinguatur liberum arbitrium tripliciter. Secundum enim diversos status libertas arbitrii variatur. Status autem hominis quatuor in littera assignantur. Ergo et quatuor libertates arbitrii distingui debent.

1. Il semble que, dans le libre arbitre, on fasse de manière inappropriée une triple distinction. En effet, la liberté de l’arbitre varie selon les divers états. Or, quatre états de l’homme sont indiqués dans le texte. On doit donc distinguer quatre libertés de l’arbitre.

[5774] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 arg. 2Praeterea, plus differt peccatum a justitia quam peccatum a miseria; cum prima se habeant ut opposita, secunda ut causa et effectus. Si ergo assignatur alia libertas a peccato et a miseria, multo fortius debet distingui etiam alia libertas a peccato et a justitia.

2. Le péché diffère davantage de la justice que le péché [ne diffère] de la misère, puisque les premiers se comportent comme des contraires, et les seconds comme une cause et un effet. Si donc on assigne une autre liberté par rapport au péché et à la misère, à bien plus forte raison doit-on aussi distinguer une autre liberté par rapport au péché et à la justice.

[5775] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 arg. 3Praeterea, Anselmus dicit, quod posse peccare neque est libertas neque pars libertatis. Sed libertas a justitia est secundum hoc quod est posse peccare. Ergo videtur quod inconvenienter libertatem talem assignet.

3. Anselme dit que « pouvoir pécher n’est ni la liberté ni une partie de la liberté ». Or, la liberté par rapport à la justice consiste à pouvoir pécher. Il semble donc qu’on attribue de manière inappropriée une telle liberté.

[5776] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 arg. 4Praeterea, sicut differt peccatum et justitia, sic differt gloria et miseria. Si ergo contra libertatem a peccato ponit libertatem a justitia, videtur quod etiam contra libertatem a miseria deberet ponere libertatem a gloria.

4. La différence entre le péché et la justice est la même qu’entre la gloire et la misère. Si donc on oppose la liberté par rapport au péché à la liberté par rapport à la justice, il semble qu’on doive aussi opposer la liberté par rapport à la misère à la liberté par rapport à la gloire.

[5777] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 arg. 5Praeterea, necessitas, quaedam miseria est. Sed pars non debet dividi contra totum. Ergo inconvenienter libertatem a necessitate dividit contra libertatem a miseria.

5. La nécessité est une certaine misère. Or, une partie ne doit pas être opposée au tout. C’est donc de manière inappropriée qu’on oppose la liberté par rapport à la nécessité à la liberté par rapport à la misère.

[5778] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 arg. 6Praeterea, Bernardus, distinguit triplicem libertatem, scilicet libertatem arbitrii, libertatem consilii, et complaciti. Cum igitur horum Magister mentionem non faciat, videtur insufficiens in libertatis distinctione.

6. Bernard distingue une triple liberté : la liberté de l’arbitre, la liberté du conseil et la celle de ce qui plaît. Puisque le Maître n’en fait pas mention, il semble donc que la distinction qu’il fait à l’intérieur de la liberté soit insuffisante.

[5779] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod libertas in sui ratione negationem coactionis includit. Omnis autem privatio distinguitur secundum ea quae privantur; unde secundum ea quae cogere possunt vel impedire, oportet libertatis distinctionem sumi. Ut autem prius dictum est, duplex est coactio: quaedam perfecta, quae quidem simpliciter coactio dici potest; et quaedam est imperfecta, quae potius impulsio quam coactio dicitur. Si ergo consideretur libertas secundum quod removetur perfecta coactio, sic erit libertas a coactione et necessitate; quae quidem per se et semper liberum arbitrium sequitur; unde in littera dicitur, quod in omnibus invenitur, sine qua peccatum imputari non posset. Si autem dicatur libertas per remotionem impellentis seu impedientis, hoc est dupliciter: quia hoc quod impellit liberum arbitrium aut impedit, vel facit hoc per se, sicut habitus et dispositiones, quae fiunt in ipsa anima, et sic est libertas a peccato: vel per accidens, sicut impotentiae vel poenalitates, quae sunt ex parte corporis, usum liberi arbitrii impedientes; et sic est libertas a miseria.

Réponse. La liberté inclut dans sa définition la négation de la coercition. Or, toute distinction de la privation se fait d’après ce dont on est privé ; aussi la distinction à l’intérieur de la liberté doit-elle être faite par rapport à ce qui peut contraindre ou empêcher. Or, comme on l’a dit antérieurement, il existe une double coercition : l’une complète, qu’on peut appeler simplement coercition ; et une autre incomplète, qu’on appelle plutôt impulsion que coercition. Si donc on parle de liberté selon que la coercition complète est écartée, il y aura alors liberté par rapport à la coercition et à la nécessité ; elle découle par soi et toujours du libre arbitre. Aussi est-il dit dans le texte qu’elle se trouve chez tous, et sans elle, on ne pourrait imputer de péché. Mais si on parle de liberté par rapport à l’enlèvement de ce qui incite ou empêche, cela se produit de deux manières, car ce qui incite le libre arbitre ou l’empêche le fait par soi, comme les habitus et les dispositions qui apparaissent dans l’âme elle-même : on a ainsi la liberté par rapport au péché ; ou par accident, comme les incapacités ou les peines, qui viennent du corps et empêchent l’usage du libre arbitre : on a ainsi la liberté par rapport à la misère.

[5780] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod libertates non distinguuntur secundum diversos status hominis, cum una libertas in diversis statibus participetur. Libertas enim a necessitate omnibus statibus communis est. Libertas autem a peccato est tribus statibus communis, scilicet primo statui innocentiae, et tertio qui est post reparationem gratiae, et quarto qui est in gloria; tamen secundum magis et minus, sicut in littera designatur. Libertas autem a miseria duobus statibus communis est, scilicet statui innocentiae, et statui gloriae.

1. Les libertés ne se distinguent pas selon les divers états de l’homme, puisqu’il y a participation à une seule liberté dans les divers états. En effet, la liberté par rapport à la nécessité est commune à tous les états. Mais la liberté par rapport au péché est commune à trois états, avec du plus et du moins, comme on l’indique dans le texte : au premier état d’innocence, au troisième qui existe après la réparation de la grâce, et au quatrième qui existe dans la gloire. Mais la liberté par rapport à la misère est commune à deux états : à l’état d’innocence et à l’état de la gloire.

[5781] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 ad 2Ad secundum dicendum, quod liberum arbitrium quamvis possit in bonum et in malum, tamen per se in bonum ordinatum est: et ideo illud quod impedit ipsum a bono, simpliciter impeditivum ipsius est, et corruptivum; et propter hoc libertas ab eo quod impedit a bono, simpliciter libertas dicitur, quae est libertas a peccato; quod autem impedit illud a malo, quod corruptio ejus est, non est impeditivum ejus nisi secundum quid; sicut etiam cum corrumpitur ignorantia in homine, dicitur corruptio secundum quid. Hoc autem quod a peccato impedit, est justitiae rectitudo in ratione existens: et inde est quod libertas a justitia non est libertas simpliciter, sed secundum quid: et ideo inter principales partes libertatis assignari non debet; sed tamen reducitur ad illam libertatem quae est a peccato, propter similitudinem in modo; sicut enim peccatum per se impedit a bono per modum habitus vel dispositionis; ita etiam justitia impedit a malo.

2. Bien qu’il soit capable de bien et de mal, le libre arbitre est cependant ordonné par lui-même au bien ; c’est pourquoi ce qui est un empêchement au bien est tout simplement pour lui un empêchement et une corruption. Pour cette raison, la liberté qui est un empêchement au bien est-elle appelée tout simplement liberté, qui est liberté par rapport au péché. Mais, du fait qu’elle est un empêchement au mal, ce qui en est la corruption, elle n’est un empêchement que sous un aspect. Ainsi, lorsque l’ignorance est corrompue chez l’homme, on parle de corruption sous un aspect. Or, ce qui est un empêchement au péché, c’est la rectitude de la justice qui se trouve dans la raison. De là vient que la liberté par rapport à la justice n’est pas simplement la liberté, mais [la liberté] sous un aspect. Aussi ne doit-elle pas être mise parmi les parties principales de la liberté, mais elle se ramène à la liberté par rapport au péché en raison d’une similitude dans le mode. En effet, de même que le péché est par lui-même un empêchement au bien par mode d’habitus ou de disposition, de même la justice est-elle aussi un empêchement par rapport au mal.

[5782] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 ad 3Ad tertium dicendum, quod non est libertas simpliciter, ut dictum est, libertas a justitia, sed secundum quid; et propter hoc etiam non computatur inter partes principales, sed quasi per consequens reducitur ad alteram libertatum, ut dictum est.

3. La liberté par rapport à la justice n’est pas simplement la liberté, mais [la liberté] sous un aspect. Pour cette raison, ne la compte-t-on pas non plus parmi les parties principales, mais elle s’y ramène comme par mode de conséquence à une autre liberté, comme on l’a dit.

[5783] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod de ratione beatitudinis vel gloriae est ut aliquis omnia habeat quae vult, et nihil mali velit, ut dicit Augustinus; et ideo gloria in nullo impedit usum liberi arbitrii; et propter hoc non assignatur aliqua libertas a gloria: nulla enim voluntas miseriam quaerit et gloriam fugit, cum omnes naturaliter beati esse velint.

4. Comme le dit Augustin, « le fait que quelqu’un possède tout ce qu’il veut et ne veuille aucun mal fait partie de la notion de la béatitude ou de la gloire ». Aussi la gloire n’empêche-t-elle aucunement l’usage du libre arbitre : pour cette raison, on n’attribue aucune liberté à la gloire. En effet, aucune volonté ne recherche la misère et ne fuit la gloire, puisque tous veulent naturellement être heureux.

[5784] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod coactionem illam quae per libertatem necessitatis excluditur miseria non includit, eo quod nunquam ad tantam miseriam devenitur ut liberum arbitrium cogi possit: et ideo non est inconveniens, si libertas a necessitate contra libertatem a miseria distinguatur.

5. La misère n’inclut pas la coercition qui est exclue de la liberté par rapport à la nécessité, du fait qu’on ne parvient jamais à une misère telle que le libre arbitre puisse être forcé. Aussi n’est-il pas inapproprié de distinguer la liberté par rapport à la nécessité de la liberté par rapport à la misère.

[5785] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 ad 6Ad sextum dicendum, quod Magister, ut ex dictis patet, distinguit liberum arbitrium secundum ea a quibus est libertas; et haec est per se divisio ejus, ut dictum est. Bernardus autem distinguit libertatem secundum terminum ad quem; et hoc est illud quod sub electione cadit. Cum igitur nihil cadat sub electione nisi secundum quod habet aliquam rationem boni, secundum diversos gradus bonitatis in humanis actibus diversas libertates distinguit. Est enim aliquid in humanis actibus quod est licitum, quia nulla lege prohibetur: et respectu hujusmodi dicit libertatem arbitrii, quia in judicio nostro consistit, utrum hoc sequamur vel non. Ulterius est aliquid quod non tantum est licitum, sed etiam utile est; quia omnia licent, sed non omnia expediunt, ut apostolus ait: et secundum hoc assignat libertatem consilii, quia consilium est de meliori bono, quod est expediens ad salutem. Est etiam aliquid quod delectat, et respectu hujusmodi assignat libertatem complaciti; unde dicit, quod libertas arbitrii discernere habet quid liceat, libertas autem consilii probare quid expediat, libertas autem complaciti experiri quid libeat.

6. Comme cela ressort de ce qui a été dit, le Maître distingue le libre arbitre selon ce qui est l’objet de la liberté, et cela en est la division par soi, comme on l’a dit. Mais Bernard distingue la liberté selon ce qu’elle vise : c’est cela qui relève du choix. Puisque rien n’est objet de choix que s’il y a quelque raison de bien, il fait donc une distinction entre les diverses libertés selon les divers degrés de bien dans les actes humains. En effet, il y a dans les actes humains quelque chose qui est permis parce que cela n’est interdit par aucune loi : par rapport à cela, il parle de liberté de l’arbitre, car il relève de notre jugement que nous le poursuivions ou non. En plus, il existe quelque chose qui n’est pas seulement permis, mais aussi utile, car tout est permis, mais tout ne convient pas, comme le dit l’Apôtre. Sous cet aspect, il attribue la liberté au conseil, car le conseil porte sur un bien meilleur, ce qui convient au salut. Il existe aussi quelque chose qui délecte. Sous cet aspect, il parle de liberté par rapport à ce qui plaît. Aussi dit-il que « la liberté de l’arbitre doit discerner ce qui est permis, mais que la liberté du conseil doit juger de ce qui convient, et la liberté par rapport à ce qui plaît, éprouver ce qui plaît ».

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 25

[5786] Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 5 expos.Quod philosophi definientes dixerunt liberum de voluntate judicium. Sciendum, quod illa non est vera definitio, sed quaedam notificatio; unde large definitionem sumit. Differt autem a praedicta superius assignata; quia illa data est secundum hoc ad quod est liberum arbitrium, quia scilicet in bonum et malum; haec autem datur secundum libertatis causam. Inde cum dicitur:liberum de voluntate judicium; haec praepositio de libertatis causam notat: quia voluntas, ut prius dictum est, totius libertatis finis est. Et quidem secundum praedictam assignationem in his tantum videtur esse liberum arbitrium qui voluntatem mutare et in contraria possunt deflectere; non secundum illam philosophorum, quam ponunt secundum suam expositionem, quam addit dicens, quod liberum est ad utrumlibet; sed secundum illam quam supra ex verbis Augustini accipit. Non potest non peccare: ante reparationem etiam mortaliter, post reparationem vero saltem venialiter. Intelligendum est quantum ad praesens pertinet quia de hoc infra quaeretur non peccare, idest non in peccato esse, sicut etiam videre dupliciter sumitur, pro habere visum, et pro uti visu. Corrupta est ergo libertas arbitrii per peccatum, et ex parte perdita. Corruptam dicit propter libertatem a necessitate, quae naturalis est, sicut etiam alia bona naturalia per peccatum corrumpuntur, licet semper maneant; perditam vero ostendit propter libertatem a peccato, quae quidem ex toto, adveniente peccato, tollitur, sicut et alia innocentiae et gratiae bona.Hic quaeri potest, utrum haec libertas qua quis liber est ad malum, sit libertas arbitrii. Sciendum est, quod si libertas dicat facultatem ipsius potentiae, sic eadem est libertas arbitrii et a peccato et a justitia; quae quidem per illa, sicut per quosdam habitus, disponitur. Si autem dicat facultatem habitus, tunc alia libertas est a peccato et a justitia, et utraque superadditur libertati arbitrii, sicut habitus potentiae. Unde secundum aliquid utraque opinio verum dicit. Liberius est ad malum, quod per se potest, quam ad bonum, quod, nisi gratia liberetur et adjuvetur, non potest. Videtur hoc esse falsum: quia, ut dictum est, ad malum non est libertas, nisi secundum quid; et quod est simpliciter, est magis eo quod est secundum quid. Et dicendum, quod haec comparatio non attenditur secundum proprietatem libertatis; quia libertas ad bonum magis est libertas quam libertas ad malum: sed attenditur secundum sufficientiam liberi arbitrii, quod quidem per se in quodlibet malum potest, non autem in quodlibet bonum.

 

 

 

DISTINCTIO 26

Distinction 26 – [La grâce met-elle quelque chose de créé dans l’âme ?]

PROOEMIUM

Prologue

[5787] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 pr.Ostenso quam scientiam et quam potentiam homo in primo statu habuit, hic ostendit quam gratiam accepit; et dividitur in partes duas: in prima determinat de gratia in se; in secunda determinat de ea in comparatione ad statum primi hominis, 29 dist.: post haec considerandum est, utrum homo ante peccatum eguerit gratia operante et cooperante. Prima dividitur in duas: in prima determinat de gratia secundum veritatem; in secunda removet quosdam errores circa gratiam, 28 dist.: id vero inconcusse et incunctanter teneamus. Prima dividitur in duas: in prima determinat gratiae potestatem, distinguens eam per comparationem ad liberum arbitrium; in secunda inquirit genus gratiae; et quomodo gratia mereri dicatur, dist. 27, ibi: si vero quaeritur, quomodo ipsa gratia praeveniens mereatur augeri (...) ut hoc aperte insinuari valeat, praemittendum est, tria esse genera bonorum. Prima dividitur in duas: in prima dividit gratiam in operantem et cooperantem; quae quidem divisio sumitur secundum effectum quem gratia in libero arbitrio habet; secundo inquirit de partibus divisionis, utrum dividant gratiam per essentiam, vel secundum rationem tantum, ibi: hic considerandum est. Prima in duas: in prima ponit gratiae distinctionem; in secunda removet quasdam dubitationes, ibi: non est tamen ignorandum quod alibi Augustinus significare videtur. Prima in duas: in prima distinguit gratiam in operantem et cooperantem; in secunda ostendit ordinem gratiae ad bonam voluntatem, ibi: itaque bona voluntas comitatur gratiam, non gratia voluntatem. Circa primum duo facit: primo dividit gratiam in operantem et cooperantem; secundo exponit divisionis membra, ibi: operans enim gratia est quae praevenit voluntatem bonam. Itaque bona voluntas comitatur gratiam, non gratia voluntatem. Hic ostendit ordinem gratiae ad bonam voluntatem; et circa hoc duo facit: primo ostendit quod quaedam gratia, quae operans vel praeveniens dicitur, bonam voluntatem praecedit; secundo quod quaedam gratia, quae subsequens vel cooperans dicitur, a bona voluntate praevenitur, ibi: ipsa eadem tamen voluntas quaedam gratiae dona praevenit. Circa primum duo facit: primo ostendit quod gratia bonam voluntatem praecedit; secundo ostendit quae sit ipsa gratia, ibi: et si diligenter intendas, nihilominus tibi monstratur quae sit ipsa gratia voluntatem praeveniens. Non est tamen ignorandum quod alibi Augustinus significare videtur. Hic solvit quae praedictis contradicere videntur, et dividitur in duas partes; secundum quod duas auctoritates inducit, quae videntur praedictis adversari; secunda incipit ibi: ceterum quaestionem hanc magis acuunt et urgent verba Augustini; et utraque dividitur in objectionem et responsionem. Hic quaeruntur sex: 1 utrum gratia ponat quid creatum in anima; 2 si ponit, utrum ut substantia, vel accidens; 3 si est accidens, in quo sit sicut in subjecto, utrum in essentia animae, vel in potentia; 4 utrum gratia sit virtus; 5 de divisione gratiae in operantem et cooperantem, vel praevenientem et subsequentem; 6 utrum gratia dividatur per essentiam in diversis virtutibus et donis, et hujusmodi.

Après avoir montré quelle science et quelle puissance l’homme possédait en son premier état, ici [le Maître] montre quelle grâce il a reçue. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de la grâce en elle-même ; dans la seconde, il en détermine par rapport à l’état du premier homme, d. 29 : « Après cela, il faut examiner si l’homme avant le péché avait besoin de la grâce opérante et coopérante. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il détermine de la grâce selon ce qui est vrai ; dans la seconde, il écarte certaines erreurs à propos de la grâce, d. 28 : « Tenons donc fermement et sans hésitation… » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il détermine du pouvoir de la grâce par comparaison avec le libre arbitre ; dans la seconde, il s’enquiert du genre de la grâce et de la manière dont on dit que la grâce est méritée, d. 27, à cet endroit : « Mais si on demande comment se mérite l’augmentation de la grâce prévenante…, afin de le montrer clairement, il faut d’abord dire qu’il existe trois genres de biens. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, [le Maître] divise la grâce en opérante et coopérante ; cette division se prend de l’effet qu’a la grâce sur le libre arbitre. Deuxièmement, il s’interroge sur les parties de la division : divisent-elles la grâce selon son essence ou selon la raison seulement, à cet endroit : « Ici, il faut considérer… » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il présente la distinction de la grâce ; dans la seconde, il écarte certains doutes, à cet endroit : « Il ne faut cependant pas ignorer ce qu’Augustin semble vouloir dire ailleurs… » La première [partie se divise] en deux : dans la première, il fait une distinction entre la grâce opérance et la grâce coopérante ; dans la seconde, il montre comment la grâce est ordonnée à la volonté bonne, à cet endroit : « Aussi la volonté bonne est-elle liée à la grâce, mais non la grâce à la volonté. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il divise la grâce en opérante et coopérante ; deuxièmement, il explique les membres de la division, à cet endroit : « La grâce opérante est celle qui survient avant la volonté bonne. » « Aussi la volonté bonne est-elle liée à la grâce, mais non la grâce à la volonté. » Il montre ici l’ordre de la grâce à la volonté bonne. À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’une grâce, appelée opérante ou prévenante, précède la volonté bonne ; deuxièmement, qu’une grâce, appelée subséquente ou coopérante, est précédée par la volonté bonne, à cet endroit : « Cependant, la volonté même intervient avant certains dons de la grâce. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que la grâce précède la volonté bonne ; deuxièmement, il montre ce qu’est la grâce elle-même, à cet endroit : « Et si tu examines attentivement, il t’est néanmoins montré ce qu’est la grâce qui survient avant la volonté. » « Il ne faut cependant pas ignorer ce qu’Augustin semble vouloir dire ailleurs… » Il résout ici ce qui semble contredire ce qui a été dit auparavant, et il y a deux parties, selon qu’il invoque deux autorités qui semblent s’opposer à ce qui a été dit plus haut ; la seconde [partie] commence à cet endroit : « De plus, les paroles d’Augustin semblent rendre cette question plus aiguë et plus pressante. » Les deux [parties] se divisent en objection et en réponse. Ici, six questions sont posées : 1. La grâce met-elle quelque chose de créé dans l’âme ? 2. Si elle le dépose, est-ce comme substance ou comme accident ? 3. Si c’est coomme accident, en quoi se trouve la grâce comme dans son sujet : dans l’essence de l’âme ou dans une puissance ? 4. La grâce est-elle une vertu ? 5. À propos de la division de la grâce en opérante et coopérante, ou en prévenante et subséquente. 6. La grâce est-elle répartie par son essence entre les divers dons et vertus, et entre les choses de ce genre ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum gratia sit aliquid creatum in anima

Article 1 – La grâce met-elle quelque chose de créé dans l’âme ? 

[5789] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod gratia nihil creatum in anima ponat. Gratia enim acceptationem quamdam ponit in eo qui habere gratiam dicitur, ut scilicet sit acceptus ei cujus gratiam habet. Sed ex hoc quod aliquis dicitur acceptus alicui nihil ponitur in acceptato, sed in acceptante. Ergo ex hoc quod homo gratiam Dei habere dicitur, nihil in eo ponitur.

1. Il semble que la grâce ne dépose rien de créé dans l’âme. En effet, la grâce suppose une certaine acceptation chez celui dont on dit qu’il a la grâce, car il est agréable à celui dont il a la grâce. Or, du fait qu’on dit de quelqu’un qu’il est agréable à un autre, rien n’est mis en celui qui est agréable, mais plutôt en celui qui agrée. Du fait de dire que l’homme a la grâce de Dieu, rien n’est donc mis en lui.

[5790] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, ut dicitur Sap. 11, Deus diligit omnia quae sunt. Sed gratia non aliud quam acceptionem dilectionis significat. Si ergo in homine aliquid ponitur supra sua naturalia per hoc quod gratiam habere dicitur, videtur quod in omnibus creaturis aliquid supra naturalia ponendum sit per hoc quod a Deo diligi dicuntur.

2. Comme le dit Sg 11, Dieu aime tout ce qui existe. Or, la grâce ne signifie rien d’autre que l’accueil de l’amour. Si donc quelque chose est mis dans l’homme en plus de ses propriétés naturelles lorsqu’on dit qu’il a la grâce, du fait qu’on dit qu’elles sont aimées par Dieu, il semble donc qu’il faille mettre dans toutes les créatures quelque chose de plus que leurs propriétés naturelles.

[5791] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, quanto natura perfectior est, tanto expeditius suum finem consequi potest. Sed natura humana inter alias creaturas, ad minus inferiores, perfectior est. Si igitur aliae creaturae sola Dei providentia sine aliquo superaddito suis naturalibus finem proprium consequi possunt, videtur quod multo fortius haec rationalis creatura consequi possit. Ergo nullo superaddito naturalibus indiget, quod gratia dici possit.

3. Plus une nature est parfaite, plus rapidement elle peut atteindre sa fin. Or, la nature humaine est plus parfaite que les autres créatures, du moins, les inférieures. Si donc les autres créatures peuvent atteindre leur fin propre par la seule providence de Dieu, sans ajout à leurs propriétés naturelles, il semble qu’à bien plus forte raison cette créature raisonnable le puisse. Elle n’a donc besoin d’aucun ajout à ses propriétés naturelles, qui pourrait s’appeler la grâce.

[5792] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, ejus est recreare, cujus est creare. Sed ipse Deus solus sine medio animam creavit. Ergo ejus solius est recreare. Si igitur gratia recreare dicitur, videtur quod gratia nihil creatum dicat.

4. Il revient à celui qui crée de recréer. Or, Dieu seul a créé l’âme sans intermédiaire. À lui seul revient-il donc de recréer. Si donc on dit que la grâce recrée, il semble que la grâce ne désigne rien de créé.

[5793] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, sicut anima est vita corporis, ita Deus est vita animae. Sed anima vivificat corpus nullo medio. Ergo et Deus vivificat animam immediate. Non ergo gratia aliquid creatum in anima est, cum per gratiam animae vivere dicantur. Ad hoc etiam possunt induci quaedam rationes quae supra positae sunt in 1 Lib., 17 dist. de caritate; unde hic dimittantur.

5. De même que l’âme est la vie du corps, de même Dieu est-il la vie de l’âme. Or, l’âme vivifie le corps sans intermédiaire. Dieu aussi vivifie donc l’âme de manière immédiate. La grâce n’est donc rien de créé dans l’âme, puisqu’on dit des âmes qu’elles sont vivifiées par la grâce. On peut aussi invoquer certains arguments qui ont été présentés dans le livre I, d. 17, à propos de la charité. Ils sont donc laissés de côté ici.

[5794] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, Isidorus dicit, quod gratia est divinae misericordiae donum, per quod bonae voluntatis fit exitus. Sed dona quae a Deo percipimus, quid creatum in anima ponunt. Ergo videtur quod gratia sit quid creatum in anima.

Cependant, [1] Isidore dit que « la grâce est un don de la miséricorde divine, par lequel la volonté bonne trouve une issue ». Or, les dons que nous recevons de Dieu mettent quelque chose de créé dans l’âme. Il semble donc que la grâce soit quelque chose de créé dans l’âme.

[5795] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, nullus dicitur esse gratus alicui, si ille in diligendo non errat, nisi per hoc quod aliquid boni in ipso est. Sed Deus in diligendo non errat. Ergo per hoc quod aliquis gratiam Dei habere dicitur, aliquid in ipso prae aliis significatur.

[2] Personne n’est dit agréable à un autre, si celui-ci ne se trompe pas en aimant, à moins qu’il n’y ait en lui quelque chose de bon. Or, Dieu ne se trompe pas en aimant. En disant de quelqu’un qu’il a la grâce de Dieu, on signifie donc quelque chose de plus en lui.

[5796] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod nomen gratiae quamdam liberalitatem importat; unde ex hoc quod gratis datur, gratia dicitur. Liberalis autem donationis principium est amor: et inde est quod nomen gratiae dupliciter sumitur. Uno modo pro ipsa acceptione amoris, secundum quod aliquis gratiam alterius habere dicitur qui eum diligit. Alio modo pro ipso dono quod liberaliter datur ex amore; unde gratia dicitur donum quod gratis datur. Utrolibet autem modo gratia sumatur, oportet quod aliquid creatum in anima significetur. Si enim pro ipsa divina dilectione gratia accipiatur, patet quod aliquem effectum ejus in anima ponit. Sicut enim scientia Dei a nostra differt in hoc quia nostra scientia causatur a rebus, sua autem est causa rerum, ita etiam noster amor ex bonitate dilecti causatur, quae ad amorem sui trahit; amor autem divinus bonitatem rebus profundit; unde Dionysius dicit, quod divinus amor non permisit eum sine germine esse; unde per hoc quod Deus dicitur aliquem diligere, significatur effectus divinae dilectionis in dilecto esse. Similiter etiam si accipiatur gratia donum gratis datum, oportet quod aliquid creatum intelligatur. Est enim quoddam donum gratis datum quod quidem increatum est, scilicet spiritus sanctus. Sed quod hoc donum nunc habeatur cum prius non haberetur, hoc non ex sui mutatione contingit, sed ex mutatione ejus cui datur. Unde oportet quod ex hoc ipso quod spiritus sanctus alicui datur, aliquid ipsi creaturae accrescat quod prius non habebat, secundum cujus adeptionem spiritum sanctum habere dicitur. Unde gratia qualitercumque significetur, ostendit aliquid creatum in anima esse, quod gratis datur; quamvis etiam nomine gratiae aliquid increatum significari possit; ut vel ipsa divina acceptatio vel etiam datum increatum quod est spiritus sanctus potest dici gratia.

Réponse. Le mot « grâce » comporte une certaine libéralité ; on l’appelle donc « grâce » du fait qu’elle est donnée gratuitement. Or, le principe d’un don généreux est l’amour ; de là vient que le mot « grâce » s’entend de deux manières. Premièrement, au sens même d’amour : on dit ainsi que quelqu’un est en grâce de la part de celui qui l’aime. D’une autre manière, pour le don qui est généreusement donné par amour : on appelle ainsi grâce le don qui est gratuitement donné. Qu’on entende « grâce » des deux manières, il est nécessaire que quelque chose de créé à l’intérieur de l’âme soit signifié. En effet, si on entend « grâce » de l’amour de Dieu, il ressort clairement qu’il met un de ses effets dans l’âme. En effet, de même que la connaissance de Dieu diffère de la nôtre en ce que notre connaissance est causée par les choses, alors que la sienne est la cause des choses, de même aussi notre amour est-il causé par la bonté de ce qui est aimé, qui attire à l’aimer, alors que l’amour de Dieu répand sa bonté dans les choses. Aussi Denys dit-il que « l’amour de Dieu n’a pas permis que [l’amour de Dieu] soit sans résultat ». Ainsi, lorsqu’on dit de Dieu qu’il aime quelqu’un, on signifie un effet de l’amour de Dieu en celui qui est aimé. De même aussi, si on entend « grâce » d’un don gratuitement donné, il faut comprendre quelque chose de créé. En effet, il existe un don gratuit qui est incréé, l’Esprit saint. Mais que ce don soit possédé, alors qu’il ne l’était pas auparavant, cela ne vient pas d’un changement de sa part, mais d’un changement de celui à qui il est donné. Il est donc nécessaire que du fait que l’Esprit saint est donné à quelqu’un, quelque chose soit ajouté à la créature elle-même, qu’elle ne possédait pas auparavant, par la possession de quoi on dit qu’elle a l’Esprit saint. De quelque manière qu’on parle de la grâce, on met donc en évidence quelque chose de créé dans l’âme, qui est donné gratuitement, bien que, par le mot « grâce », puisse être aussi signifié quelque chose d’incréé, de sorte qu’on puisse dire de la grâce qu’elle est le fait même de plaire à Dieu ou encore le don incréé qu’est l’Esprit saint.

[5797] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum quod quando aliquis acceptus homini dicitur, aliquid in homine significatur unde acceptatur; sed tamen hoc non est causatum semper ab acceptatione, immo est acceptationis causa. Sed cum aliquis Deo gratus vel acceptus dicitur, significatur aliquid in ipso quod ex Dei acceptatione causatur.

1. Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il plaît à un homme, on signifie quelque chose dans l’homme par quoi il plaît. Cependant, cela n’est pas toujours causé par la complaisance, bien plus, cela est la cause de la complaisance. Mais lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il plaît à Dieu ou qu’il lui est agréable, on signifie quelque chose en lui qui est causé par la complaisance de Dieu.

[5798] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod cum dilectio Dei bonitatem creaturae causet, secundum diversos gradus bonitatis in creaturis, diversimode Deus aliqua diligere dicitur, nulla diversitate in ipso intellecta; unde et diligere omnes creaturas dicitur, secundum quod bonum naturae omnibus tradit: sed illa est simpliciter et perfecta dilectio, quasi amicitiae similis, qua non tantum diligit creaturam sicut artifex opus, sed etiam quadam amicabili societate, sicut amicus amicum, inquantum trahit eos in societatem suae fruitionis, ut in hoc eorum sit gloria et beatitudo quo Deus beatus est: et haec est dilectio qua sanctos diligit, quae antonomastice dilectio dicitur; et ideo etiam effectus hujusmodi electionis antonomastice gratia vocatur: quamvis et omnes naturales bonitates gratiae dici possunt, quia gratis a Deo dantur.

2. Puisque l’amour de Dieu cause la bonté de la créature, on dit que Dieu aime diversement des choses selon les divers degrés de bonté chez les créatures, sans qu’on n’entende aucune diversité en lui-même. Ainsi dit-on qu’il aime toutes les créatures pour autant qu’il communique à toutes le bien de leur nature. Mais l’amour en un sens simple et parfait, semblable à l’amitié, est celui par lequel il aime une créature, non seulement comme l’artisan aime son œuvre, mais aussi comme un ami [aime] son ami, selon une union amicale, pour autant qu’il les attire à participer à sa béatitude, de sorte que leur gloire et leur béatitude se trouvent en cela même qui rend Dieu bienheureux. Tel est l’amour par lequel il aime les saints, qui est appelé amour par antonomase. C’est pourquoi l’effet même de cette élection [dilectionis ?] est appelé « grâce » par antonomase, bien que toutes les bontés naturelles puissent être appelées « grâces », puisqu’elles sont données gratuitement par Dieu.

[5799] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod si finis hominis non esset altior fine ad quem perveniunt ceterae creaturae, sequeretur quod homo imperfectior aliis esset, si finem suum per naturam suam consequi non posset, quod cetera possunt. Sed quia finis ad quem homo pertingit, excellentior est omni fine quem creaturae aliae consequuntur, et omnem facultatem naturae excedit, hoc ipso quod homo talem finem consequi potest, licet non per se, sed aliquibus auxiliis divinitus collatis, invenitur ceteris dignior, sicut ille qui perfectam sanitatem consequitur multis exercitiis, melioris naturae est quam ille qui non nisi modicam sanitatem pauco exercitio consequitur, ut in 2 caeli et mundi dicitur.

3. Si la fin de l’homme n’était pas plus élevée que la fin à laquelle parviennent les autres créatures, il s’ensuivrait que l’homme serait plus imparfait que les autres, s’il ne pouvait obtenir sa fin par sa nature, ce que peuvent les autres. Mais parce que la fin atteinte par l’homme est plus élevée que toute fin atteinte par les autres créatures et qu’elle dépasse la capacité de la nature, du fait même que l’homme puisse atteindre une telle fin, bien que ce ne soit pas par lui-même, mais par des aides accordées par Dieu, il se trouve plus digne que les autres, comme celui qui obtient une santé parfaite par de nombreux exercices a une nature meilleure que celui qui n’obtient qu’un petite santé par peu d’exercice, ainsi qu’on le dit dans Sur le ciel et le monde, II.

[5800] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod creare et recreare effective Dei est: unde sicut creando, formam substantialem rei confert per quam in esse naturali subsistit; ita etiam recreando, formam gratiae confert, per quam in esse gratiae permanet: non enim potest intelligi quod aliquis sit agens nisi aliquid in effectu suo faciat, vel formam aliquam inducat, vel substantialem, vel accidentalem; unde gratia dicitur recreare formaliter; sed Deus effective.

4. Créer et recréer relèvent de Dieu de manière efficiente. De même qu’en créant, il donne à une chose sa forme substantielle, par laquelle elle subsiste dans son être naturel, de même aussi, en recréant, donne-t-il la forme de la grâce, par laquelle elle demeure dans l’être de la grâce. En effet, on ne peut comprendre que quelqu’un soit agent que s’il réalise effectivement quelque chose, en amenant une forme, substantielle ou accidentelle. Aussi dit-on de la grâce qu’elle recrée de manière formelle, mais Dieu de manière efficiente.

[5801] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod anima quodammodo similiter se habet ad corpus ut Deus ad animam, et quodammodo dissimiliter. In hoc enim similitudo tenet quod utrumque rationem causae efficientis habet, sed in hoc differt quod anima est etiam causa formalis corporis; unde immediate corpus vivificat; cum inter materiam et formam non sit aliquid medium, ut in 8 Metaph. philosophus dicit. Deus autem non est forma animae, nisi exemplaris; unde oportet quod mediante aliqua forma, in esse gratuito eam vivificet.

5. Le rapport de l’âme au corps ressemble d’une certaine manière à celui de Dieu à l’âme, et lui est d’une certaine manière dissemblable. En effet, la ressemblance tient au fait que les deux ont raison de cause efficiente, mais la dissemblance, au fait que l’âme est aussi cause formelle du corps. Aussi le corps donne-t-il la vie de manière immédiate, puisqu’il n’y a pas d’intermédiaire entre la matière et la forme, comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, VIII. Mais Dieu n’est pas la forme de l’âme, si ce n’est exemplaire. Aussi est-il nécessaire qu’il lui donne vie dans son être gratuit par l’intermédiaire d’une forme.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum gratia sit accidens

Article 2 – La grâce est-elle un accident ? 

[5803] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod gratia non sit accidens. Accidens enim non transit de subjecto in subjectum, cum individuationem a subjecto habeat. Sed gratia de subjecto in subjectum transit, ut dicitur Num. 11, 17: tollam de spiritu tuo et dabo senioribus; et iterum 4 Reg. 11, 15: spiritus Eliae requievit super Eliseum. Ergo videtur quod gratia non sit accidens.

1. Il semble que la grâce ne soit pas un accident. En effet, un accident ne passe pas de sujet en sujet, puisqu’il tire son individuation d’un sujet. Or, la grâce passe de sujet en sujet, ainsi que le dit Nb 11, 17 : Je prendrai de ton esprit et le donnerai aux anciens ; et aussi 2 R 11, 15 : L’esprit d’Élie reposa sur Élisée. Il semble donc que la grâce ne soit pas un accident.

[5804] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, omne accidens habet aliquod subjectum cujus per se accidens est, cum omne quod est per accidens, ad per se reducatur. Sed gratiae non est assignare aliquod subjectum per se, cum omne accidens per se ex principiis subjecti causetur, gratiae vero nihil causatum sit causa nisi solus Deus. Ergo videtur quod gratia non sit accidens.

2. Tout accident a un sujet dont il est un accident par soi, puisque tout ce qui existe par accident se ramène à ce qui existe par soi. Or, on ne peut assigner de sujet par soi à la grâce, puisque tout accident par soi est causé par les principes du sujet, mais que rien de la grâce n’a été causé par une cause autre que Dieu seul. Il semble donc que la grâce ne soit pas un accident.

[5805] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, nullum accidens est dignius suo subjecto. Sed gratia dignior est quam ipsa anima, quia per ipsam gratiam summo bono conjungitur. Ergo videtur quod gratia non sit accidens.

3. Aucun accident n’est plus digne que son sujet. Or, la grâce est plus digne que l’âme elle-même, car celle-ci est unie au bien suprême par la grâce même. Il semble donc que la grâce ne soit pas un accident.

[5806] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, nullum accidens agit in subiectum in quo est, etiamsi in aliud exterius agat. Sed gratia agit in ipsam animam gratificando eam et movendo in opus. Ergo et cetera.

4. Aucun accident n’agit sur le sujet dans lequel il existe, même s’il agit sur quelque chose d’autre qui est extérieur. Or, la grâce agit sur l’âme même en la rendant plus agréable [à Dieu] et en la mouvant à l’action. Donc, etc.

[5807] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, omne accidens quod amitti potest, etiam corrumpi potest. Sed gratia amittitur, non tamen corrumpitur, cum sit expressior similitudo Dei quam etiam naturalis similitudo animae, ratione cujus anima incorruptibilis dicitur. Ergo videtur quod gratia non sit accidens.

5. Tout accident qui peut être perdu peut aussi être corrompu. Or, la grâce est perdue ; elle n’est cependant pas corrompue, puisqu’elle est une ressemblance plus expresse avec Dieu que même la ressemblance naturelle de l’âme, raison pour laquelle on dit que l’âme est incorruptible. Il semble donc que la grâce ne soit pas un accident.

[5808] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, super illud Psal. 103: ut exhilaret faciem in oleo, dicit Glossa: gratia est nitor animae, concilians sanctum amorem. Sed nitor accidens nominat. Ergo videtur quod gratia sit accidens.

Cependant, [1] à propos de Ps 103 : Afin de réjouir ton visage par l’huile, la Glose dit : « La grâce est la beauté de l’âme, qui procure un amour saint. » Or, la beauté désigne un accident. Il semble donc que la grâce soit un accident.

[5809] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, omne quod intenditur et remittitur est accidens: quia substantia non recipit magis et minus, ut in praedicamentis dicitur. Sed gratia est hujusmodi, ut in littera patet: quia meretur augeri ut aucta mereatur et perfici. Ergo est accidens.

[2] Tout ce qui prend de l’intensité et se relâche est un accident, car la substance ne reçoit pas de plus et de moins, comme on le dit dans les Prédicaments. Or, la grâce est de cette sorte, comme cela ressort du texte, car elle mérite d’être augmentée, afin que, augmentée, elle mérite d’être parfaite. Elle est donc un accident.

[5810] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod ex quo gratia creatum quid ponitur, necesse est ipsam in genere accidentium poni. Cujus ratio est, quia omne illud quod advenit alicui post esse completum, accidentaliter se habet ad ipsum; unde cum gratia post esse animae sibi adveniat, non est aliquid de essentia ejus; unde oportet quod accidentaliter ad ipsam se habeat. Sed tamen aliquid accidentaliter ad aliud se habet quod tamen in se substantia est, sicut indumentum ad corpus: sicut etiam e contrario aliquid substantialiter ad alterum se habet, quod tamen in se accidens est, sicut color ad albedinem; et sic non potest de gratia accidere: cum enim ponatur gratia esse conjungens animam fini ultimo, hoc non potest intelligi nisi vel per modum formae vel per modum efficientis. Si per modum efficientis, sic oporteret aliquam substantiam creatam esse mediam inter animam et Deum, quae eam Deo conjungeret; et sic anima non immediate a Deo gratificaretur et glorificaretur, quod est alienum a fide: oportet enim quod sicut anima immediate a Deo creatur effective, ita etiam immediate ab ipso recreetur. Si autem intelligatur formaliter, tunc oportet quod gratia sit forma animae; et cum adveniat post esse completum, de necessitate erit accidens: non enim invenitur aliqua forma in genere substantiae quae alteri accidentaliter adveniat.

Réponse. Du fait que la grâce est quelque chose de créé, il est nécessaire qu’elle tombe dans le genre des accidents. La raison en est que tout ce qui survient à quelque chose, une fois que son être est complet, est un accident pour cette chose. Puisque la grâce survient à l’âme après son être, elle n’est donc pas quelque chose de son essence. Il est donc nécessaire qu’elle ait avec elle un rapport accidentel. Cependant, une chose a avec une autre un rapport accidentel, tout en étant en soi une substance, comme le vêtement par rapport au corps ; en sens contraire, une chose a avec une autre un rapport de substance, tout en étant en soi un accident, comme la couleur par rapport à la blancheur. Il ne peut pas en être ainsi pour la grâce. En effet, puisqu’on affirme que la grâce unit l’âme à la fin ultime, cela ne peut être que par mode de forme ou par mode de cause efficiente. Si c’était par mode de cause efficiente, il faudrait ainsi qu’une substance créée soit intermédiaire entre l’âme et Dieu pour l’unir à Dieu. L’âme ne recevrait pas ainsi de Dieu de manière immédiate la grâce et la gloire, ce qui est contraire à la foi. En effet, il est nécessaire que, de même que l’âme est créée par Dieu comme cause efficiente de manière immédiate, de même aussi doit-elle être recréée par lui de manière immédiate. Mais si on l’entend de manière formelle, il faut alors que la grâce soit forme de l’âme. Et comme elle survient après son être achevé, elle sera nécessairement un accident. En effet, on ne trouve pas de forme du genre de la substance, qui survienne à une autre chose de manière accidentelle.

[5811] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod gratia eadem numero non transit de subjecto in subjectum: sed talis modus loquendi intelligitur in Scripturis propter similitudinem gratiae ad similes actus in specie.

1. La grâce numériquement identique ne passe pas de sujet en sujet, mais une telle manière de parler s’entend, dans l’Écriture, de la ressemblance de la grâce avec des actes semblables par leur espèce.

[5812] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod quaedam accidentia sunt per se, quae semper actu consequuntur suum subjectum; quaedam autem non semper in actu, semper autem in habilitate. Unde cum illud quod per se inest, semper insit, subjectum aliquando dicitur esse per se subjectum respectu ipsius accidentis, sicut ignis est per se subjectum caloris; et tale accidens ex principiis subjecti causatur, non solum quantum ad habilitatem, sed etiam quantum ad essentiam accidentis: aliquando respectu habilitatis tantum, sicut aer qui non semper illuminatur in actu, semper tamen illuminabilis est; et haec illuminabilitas ex principiis subjecti causatur, quamvis lumen ab extrinseco sit. Similiter dico, quod lumen gratiae ab extrinseco est; sed receptibilitas gratiae semper subjectum consequitur, et ex principiis subjecti causatur, sicut etiam patet in hoc quod est disciplinae perceptibile.

2. Certains accidents existent par soi, qui découlent toujours en acte de leur sujet ; mais certains [n’en découlent] pas toujours en acte, mais ils [y existent] toujours en puissance. Puisque ce qui existe par soi dans quelque chose y existe toujours, on dit parfois que le sujet est un sujet par soi par rapport à l’accident même, comme le feu est par soi sujet de la chaleur. Un tel accident est causé par les principes du sujet, non seulement en puissance, mais aussi selon l’essence de l’accident ; mais il est parfois causé selon la puissance seulement, comme l’air qui n’est pas toujours illuminé en acte, mais peut toujours être illuminé. Et cette capacité d’être illuminé est causée par les principes du sujet, bien que la lumière vienne de l’extérieur. Je dis de même que la lumière de la grâce vient de l’extérieur ; mais la capacité de recevoir la grâce découle toujours du sujet et est causée par les principes du sujet, comme cela ressort de ce qui peut être perçu par l’enseignement.

[5813] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod simpliciter in esse suo consideratum subjectum, accidente nobilius est; sed quo ad quid, nihil prohibet accidens subjecto melius esse quantum ad esse accidentale: semper enim illud quod se habet per modum actus, nobilius est eo quod se habet per modum potentiae, inquantum hujusmodi. Sicut autem forma substantialis est actus materiae in esse substantiali, ita accidens est actus subjecti in esse accidentali; unde secundum hoc albedo est nobilior corpore, et gratia anima.

3. Considéré simplement dans son être, le sujet est plus noble que l’accident ; mais par rapport à quelque chose, rien n’empêche que l’accident soit meilleur que le sujet pour ce qui est de son être accidentel. En effet, ce qui a le caractère d’acte est toujours plus noble que ce qui a le caractère de puissance en tant que telle. Or, de même que la forme substantielle est acte d’une matière pour l’être substantiel, de même l’accident est acte du sujet pour l’être accidentel. Sous cet aspect, la blancheur est donc plus noble que le corps, et la grâce [est plus noble] que l’âme.

[5814] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod agere aliquid dicitur dupliciter: scilicet formaliter, sicut albedo facit album parietem, et hoc modo accidens in subjectum agere potest; et sic gratia in animam agit, mundificando ipsam et gratificando: alio modo effective, sicut pictor parietem album facit; et hoc modo nec gratia nec aliquod accidens in subjectum suum agit.

4. On parle d’accomplir quelque chose de deux manières. À la manière d’une forme, comme la blancheur rend un mur blanc, et, de cette manière, un accident peut agir sur un sujet ; la grâce agit ainsi sur l’âme, en la purifiant et en la rendant agréable [à Dieu]. d’une autre manière, comme une cause efficiente, comme le peintre rend un mur blanc ; de cette manière, ni la grâce ni un autre accident n’agissent sur un sujet.

[5815] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod imago Dei et similitudo dicitur de anima et de gratia; sed diversimode: quia anima dicitur imago secundum hoc quod Deum imitatur; sed gratia dicitur imago, sicut illud quo anima Deum imitatur; sicut corpus figuratum alio modo dicitur imago quam figura ipsa: unde cum non eodem modo anima et gratia dicantur imago, non sequitur, si anima est incorruptibilis, quod gratia non corrumpatur; immo cum corrumpitur, simul etiam in nihilum redit.

5. On parle d’image de Dieu et de ressemblance avec lui pour l’âme et pour la grâce, mais de manière différente, car on dit de l’âme qu’elle est image du fait qu’elle imite Dieu ; mais on dit que la grâce est image comme ce par quoi l’âme imite Dieu. Ainsi, on parle différemment d’image pour le corps qui a une figure et pour la figure elle-même. Comme l’âme et la grâce ne sont pas appelées images de la même manière, il n’en découle donc pas, si l’âme est incorruptible, que la grâce ne soit pas corrompue ; bien plutôt, lorsqu’elle est corrompue, elle retourne du même coup au néant.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum gratia sit in potentia, vel anima, sicut in subjecto

Article 3 – La grâce réside-t-elle dans une puissance ou dans l’âme comme dans son sujet ?

[5817] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod gratia sit in potentia animae sicut in subjecto. Illud enim quod naturalibus superadditur, inter naturalem causam et effectum medium non cadit. Sed gratia naturalibus superadditur. Cum igitur potentia sit effectus naturalis ipsius essentiae, videtur quod gratia non cadat medium inter essentiam et potentiam; et ita non sit in essentia sicut in subjecto, sed magis in potentia.

1. Il semble que la grâce réside dans une puissance de l’âme comme dans son sujet. En effet, ce qui est ajouté aux propriétés naturelles n’occupe pas une position intermédiaire entre une cause naturelle et son effet. Or, la grâce est ajoutée aux propriétés naturelles. Puisqu’une puissance est l’effet naturel de l’essence elle-même, il semble donc que la grâce n’ait pas une position intermédiaire entre l’essence et la puissance, et qu’ainsi, elle ne réside pas dans l’essence comme dans son sujet, mais plutôt dans une puissance.

[5818] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, illud quod est immediatum principium actus, est potentia: quia sicut potentia ab essentia, ita operatio a potentia procedit. Sed gratia immediate ordinat ad actum: quod ex definitione ejus patet: dicitur enim gratia gratuitum Dei donum quod bonum facit habentem, et opus ejus bonum reddit. Ergo videtur quod gratia sit in potentia sicut in subjecto.

2. Ce qui est principe immédiat d’un acte, c’est la puissance, car, de même que la puissance est issue de l’essence, de même l’opération est issue de la puissance. Or, la grâce ordonne à l’acte de manière immédiate, ce qui ressort clairement de sa défiinition. En effet, on dit de la grâce qu’elle est un don gratuit de Dieu qui rend bon celui qui la possède et rend son acte bon. Il semble donc que la grâce réside dans une puissance comme dans son sujet.

[5819] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, Augustinus dicit in littera, quod gratia praeparat voluntatem: non autem nisi sicut accidens praeparat subjectum. Alibi etiam dicit, quod gratia se habet ad liberum arbitrium sicut sessor ad equum. Cum igitur voluntas sive liberum arbitrium sit potentia, videtur quod gratia sit in potentia sicut in subjecto.

3. Dans le texte, Augustin dit que la grâce prépare la volonté. Or, elle ne prépare le sujet que comme un accident. Il dit aussi ailleurs que le rapport de la grâce et du libre arbitre est semblable à celui qui existe entre le cavalier et le cheval. Puisque la volonté ou le libre arbitre est une puissance, il semble donc que la grâce réside dans une puissance comme dans son sujet.

[5820] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, gratia opponitur culpae. Sed omne vitium, ad minus actuale, est in aliqua potentia sicut in subjecto. Cum igitur opposita sint circa idem, videtur quod gratia etiam sit in potentia animae sicut in subjecto.

4. La grâce s’oppose à la faute. Or, tout vice, au moins en acte, réside dans une puissance comme dans son sujet. Puisque les contraires existent dans le même sujet, il semble donc que la grâce réside aussi dans une puissance de l’âme comme dans son sujet.

[5821] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, habitus infusi et acquisiti non differunt nisi secundum principium efficiens: constat enim quod ad eosdem actus in specie ordinantur. Sed habitus acquisiti sunt per prius in potentia quam in essentia: non enim sunt in essentia nisi mediante potentia. Ergo et habitus infusi: non igitur gratia est in essentia animae sicut in subjecto, sed magis in potentia.

5. Les habitus infus et acquis ne diffèrent que par leur principe efficient. En effet, il est clair qu’ils sont ordonnés aux mêmes actes selon l’espèce. Or, les habitus acquis existent plutôt dans une puissance que dans l’essence : en effet, ils n’existent dans l’essence que par l’intermédiaire d’une puissance. Il en est donc de même pour les habitus infus. La grâce ne réside donc pas dans l’essence de l’âme comme dans son sujet, mais plutôt dans une puissance.

[5822] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra, gratia dicitur esse vita animae. Sed vivere viventibus est esse, ut in 2 de anima philosophus dicit; esse autem essentiam respicit. Ergo et gratia per prius essentiam quam potentiam respicit.

Cependant, [1] on dit que la grâce est la vie de l’âme. Or, pour les vivants, vivre, c’est être, comme le dit le Philosophe, Sur l’âme, II. Or, l’être concerne l’essence. La grâce concerne donc d’abord l’essence plutôt qu’une puissance.

[5823] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, nullum accidens extenditur in agendo ultra actionem sui subjecti, cum agens non proprie dicatur accidens, sed subjectum accidentis. Sed gratia non determinatur ad aliquem actum, cum omnis actus humanus meritorius esse possit, nec hoc possit esse nisi a gratia, quae merita bona in nobis causat, ut in littera dicitur. Cum igitur omnis potentia se habeat ad determinatos actus, videtur quod gratia non sit in potentia animae sicut in subjecto.

[2] Aucun accident ne dépasse l’action de son sujet en agissant, puisqu’on ne dit pas d’un agent qu’il est un accident, mais le sujet d’un accident. Or, la grâce n’est pas déterminée à un acte, puisque tout acte humain peut être méritoire et que cela ne peut exister que par la grâce, qui cause en nous les mérites bons, comme le dit le texte. Puisque toute puissance porte sur des actes déterminés, il semble donc que la grâce ne réside pas dans une puissance de l’âme comme dans son sujet.

[5824] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod ab omnibus communiter dicitur, quod gratia respicit essentiam animae, virtus autem potentiam; sed qualiter hoc intelligendum sit, a diversis diversimode traditur. Quidam enim hoc accipere volunt secundum appropriationem quamdam, et non proprie dictum. Cum enim virtus dicatur id quod operationis principium est, operatio autem potentiam sequatur, convenienter virtus ad potentiam refertur. Gratiae autem effectus est ut Deo acceptum faciat; hoc autem per prius respicit ipsam animam quam operationem ejus; unde Genes. 4 dicitur, quod respexit Deus ad Abel et ad munera ejus, quasi per prius acceptans offerentem quam ea quae offerebantur. Quidam vero hoc accipiunt proprie dictum, dicentes, quod proprium et primum subjectum gratiae est essentia animae, virtutis autem potentia: et hoc rationabilius est, et dictis Dionysii consonat. Cum enim nullius operatio supra facultatem naturae operantis extendatur, oportet quod si operatio alicujus supra id quod naturaliter potest, extenditur, etiam natura quodammodo supra seipsam elevetur. Cum igitur actus meritorii facultatem humanae naturae excedant, non possunt isti actus ab homine procedere, quia in eos solis naturalibus homo non potest, nisi quodammodo natura humana etiam altius esset sublimata. Et ideo dicit Dionysius, quia sicut in rebus naturalibus est quod illud quod non habet speciem per generationem adeptam, non potest habere operationes speciei debitas; ita ille qui non est adeptus divinum esse per spiritualem regenerationem, non potest participare divinas operationes. Oportet ergo quod primum donum, quod gratis homini infunditur, hunc habeat effectum ut ipsam essentiam animae in quoddam divinum esse elevet, ut idonea sit ad divinas operationes; et ideo, quia unumquodque simpliciter dicitur quod per prius dicitur, sicut substantia ens; ideo tale donum quod essentiam animae nobilitat, principaliter gratia vocatur; tum etiam quia non determinatur per aliquem specialem actum, unde speciale nomen sortiatur: et ideo proprie et per se gratia respicit essentiam animae sicut subjectum.

Réponse. Tous sont d’accord pour dire que la grâce concerne l’essence de l’âme, mais la vertu, une puissance ; mais comment il faut entendre cela, cela est enseigné de diverses manières par les différents [auteurs]. En effet, certains veulent l’entendre par appropriation seulement, et non au sens propre, car, la vertu étant appelée un principe d’opération et l’opération découlant de la puissance, la vertu est correctement mise en rapport avec la puissance. Or, l’effet de la grâce est de rendre agréable à Dieu. Mais cela concerne d’abord l’âme elle-même, plutôt que son opération. Aussi est-il dit en Gn 4 que Dieu regarda Abel et ses offrandes, comme s’il agréait d’abord celui qui offrait, avant ce qui était offert. Mais certains estiment que cela est dit au sens propre : ils disent que le sujet propre et premier de la grâce est l’essence de l’âme, mais que celui de la vertu est une puissance. Et cela est plus raisonnable et conforme aux affirmations de Denys. En effet, puisque l’opération de personne ne dépasse la capacité de la nature qui agit, il faut, si une opération dépasse ce dont celle-ci est capable naturellement, que la nature soit aussi, d’une certaine manière, élevée au-dessus d’elle-même. Puisque les actes méritoires dépassent la capacité de la nature humaine, ces actes ne peuvent donc être issus de l’homme, car l’homme n’a pas pouvoir sur eux par ses seules propriétés naturelles, à moins que la nature humaine n’ait été en quelque manière élevée. C’est pourquoi Denys dit que, de même que, pour les réalités naturelles, ce qui ne possède pas l’espèce reçue de la génération ne peut posséder les opérations qui reviennent à l’espèce, de même celui qui n’a pas reçu un d’être divin (divinum esse) par la régénération spirituelle ne peut participer aux opérations divines. Il faut donc que le premier don qui est gratuitement versé dans l’homme ait comme effet d’élever l’essence même de l’âme à un certain être divin (divinum esse), de sorte qu’elle soit apte à des opérations divines. C’est pourquoi tout est simplement désigné par ce qui [en] est dit en premier lieu, comme le fait que la substance est un être, c’est donc le don qui ennoblit l’essence de l’âme qu’on appelle principalement grâce. C’est aussi qu’elle n’est pas déterminée par un acte particulier dont elle tirerait un nom particulier. C’est pourquoi la grâce concerne, au sens propre et par soi, l’essence de l’âme comme sujet.

[5825] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod quamvis gratia sit in essentia animae sicut in subjecto, non tamen sequitur quod intercidat media inter potentiam et essentiam, nisi esset ejusdem ordinis; scilicet ut sicut gratia esset ab essentia, ita potentia a gratia; per quem modum potentia cadit media inter essentiam et operationem. Sed hoc non est ita: quia potentia non est per gratiam, sed per naturam; unde objectio non procedit.

1. Bien que la grâce se trouve dans l’essence de l’âme comme dans son sujet, il n’en découle cependant pas qu’elle soit intermédiaire entre la puissance et l’essence, à moins qu’elle ne soit du même ordre : ainsi, de même que la grâce viendrait de l’essence, de même la puissance [viendrait] de la grâce, la puissance étant ainsi intermédiaire entre l’essence et l’opération. Mais il n’en est pas ainsi, car la puissance n’existe pas par la grâce, mais par la nature. Aussi l’objection ne tient-elle pas.

[5826] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod sicut potentia non habet quod sit principium talis operationis, nisi secundum quod manat a principiis talis essentiae; ita etiam perfectio potentiae habet quod informet actum ex virtute gratiae perficientis ipsam essentiam: et ideo gratia non tantum dicitur gratificans essentiam animae, sed etiam opus gratum reddens, non quidem sicut proximum informans, sed sicut primum, quod naturam in altius esse elevat.

2. De même qu’une puissance ne peut être le principe d’une telle opération que si celle-ci émane des principes de cette essence, de même aussi la perfection de la puissance peut-elle donner forme à l’acte qui vient de la puissance de la grâce qui perfectionne l’essence elle-même. C’est pourquoi on dit que la grâce non seulement rend agréable [à Dieu] l’essence de l’âme, mais qu’elle rend aussi l’action agréable, non pas en lui donnant forme de manière prochaine, mais comme le premier [principe] qui élève la nature à un être supérieur.

[5827] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod inter potentias animae, voluntas, vel liberum arbitrium maxime communis est, eo quod ejus imperio actus aliarum potentiarum subjaceant, ut dictum est: et quia gratia non respicit aliquem determinatum actum, cum sit in essentia, quae ad nullam operationem determinatur; ideo gratia immediatius voluntatem, vel liberum arbitrium, respicit, cum omnes actus gratia informati quodammodo sint voluntatis et liberi arbitrii. Non tamen sequitur quod sit in voluntate vel libero arbitrio sicut in subjecto; sed ex gratia voluntas et liberum arbitrium habet ut actum meritorium educere possit.

3. Parmi les puissances de l’âme, la volonté ou le libre arbitre sont les plus communs, du fait que les actes des autres puissances sont soumis à leur commandement, ainsi qu’on l’a dit, et parce que la grâce ne concerne pas seulement un acte déterminé, puisqu’elle réside dans l’essence [de l’âme], qui n’est déterminée à aucune opération. C’est pourquoi la grâce concerne plus immédiatement la volonté ou le libre arbitre, puisque tous les actes qui reçoivent forme de la grâce relèvent d’une certaine manière de la volonté ou du libre arbitre. Il n’en découle cependant pas que [la grâce] se trouve dans la volonté ou dans le libre arbitre comme dans son sujet, mais que la volonté et le libre arbitre tiennent de la grâce de pouvoir produire un acte méritoire.

[5828] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod culpa actualis non est per infusionem vel immissionem, sed per aliquem determinatum actum nobis advenit: et quia omnis operatio respicit determinatam potentiam, quae est ejus principium, inde est quod culpa per prius est in potentia quam in essentia animae. Gratia autem non acquiritur per actus nostros, sed a superiori infunditur; unde illud quod superius animae est, scilicet essentiam, quae est origo omnium potentiarum, per prius respicit.

4. La faute actuelle ne vient pas d’une infusion ou d’un envoi, mais elle nous vient d’un acte déterminé. Et parce que toute opération concerne une puissance déterminée, qui est son principe, de là vient que la faute se trouve plutôt dans la puissance que dans l’essence de l’âme. Or, la grâce n’est pas acquise par nos actes, mais elle est infusée par quelqu’un de supérieur. Aussi concerne-t-elle d’abord ce qui est supérieur dans l’âme, son essence, qui est l’origine de toutes les puissances.

[5829] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 3 ad 5Et per hoc etiam patet responsio ad quintum: quia habitus acquisiti per actus nostros aggenerantur, et ita ad potentiam immediate pertinent; unde magis proportionantur virtuti quam gratiae. Similiter et culpa immediatius virtuti quam gratiae opponitur, secundum quod in actu consistit.

5. La réponse au cinquième argument est ainsi claire, car les habitus acquis par nos actes sont engendrés, et ainsi relèvent d’une puissance de manière immédiate ; aussi sont-ils plutôt proportionnés à la puissance qu’à la grâce. De même, la faute s’oppose-t-elle de manière plus immédiate à la vertu qu’à la grâce, puisqu’elle consiste dans un acte.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum gratia sit virtus

Article 4 – La grâce est-elle une vertu ?

[5831] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod gratia sit virtus. Cum enim sit in genere accidentis, ad nullum genus reduci potest nisi ad qualitatem; nec inter qualitatis species, nisi ad primam, ut deducendo in singulis patet. Erit igitur gratia vel scientia vel virtus. Non enim inter habitus vel dispositiones corporales computatur. Sed constat quod non est scientia. Ergo de necessitate est virtus.

1. Il semble que la grâce soit une vertu. En effet, puisqu’elle se situe dans le genre de l’accident, elle ne peut se ramener à aucun genre sinon à la qualité, et parmi les espèces de qualité, à la première, comme cela ressort par déduction dans chaque cas. La grâce sera donc soit une science, soit une vertu. En effet, elle ne fait pas partie des habitus ou des dispositions corporels. Or, c’est un fait reconnu qu’elle n’est pas une science. Elle est donc nécessairement une vertu.

[5832] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 2Praeterea, philosophus, dicit, quod virtus nihil aliud est quam dispositio perfecti ad optimum. Sed praecipue id gratiae competit, quae animam quam perficit, ad optimum disponit, scilicet ad ultimum finem. Ergo ipsa est virtus.

2. Le Philosophe dit que la vertu n’est rien d’autre qu’une « disposition de ce qui est parfait à ce qui est le meilleur ». Or, cela convient principalement à la grâce, qui dispose l’âme à ce qu’il y a de meilleur, la fin ultime. Elle est donc une vertu.

[5833] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 3Praeterea, in 10 Ethic., philosophus dicit, quod hoc est virtus uniuscujusque quod bonum facit habentem, et opus ejus bonum reddit. Sed gratia bonam facit animam et opus ejus, cum utrumque gratificet; nec aliquid Deo possit reddi acceptum, nisi per hoc quod bonum sit. Ergo videtur quod gratia sit virtus.

3. En Éthique, X, le Philosophe dit que « la vertu de toute chose est ce qui la rend bonne et rend bonne son action ». Or, la grâce rend bonnes l’àme et son action, puisqu’elle rend les deux agréables [à Dieu], et que quelque chose ne peut être rendu agréable à Dieu que parce que cela est bon. Il semble donc que la grâce soit une vertu.

[5834] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 4Praeterea, in littera dicitur ab Augustino, quod gratia praeveniens est fides per dilectionem operans. Sed fides est virtus. Ergo et gratia.

4. Dans le texte, Augustin dit que « la grâce prévenante est la foi qui agit par amour ». Or, la foi est une vertu. Donc, la grâce aussi.

[5835] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 5Praeterea, caritas dicitur esse forma omnium virtutum et mater. Cum igitur informatio virtutum sit per gratiam, per quam opera meritoria redduntur, videtur quod gratia sit idem quod caritas. Sed caritas est virtus. Ergo et gratia.

5. On dit que la charité est la forme et la mère de toutes les vertus. Puisque la forme des vertus vient de la grâce, par laquelle les actes sont rendus méritoires, il semble donc que la grâce soit la même chose que la charité. Or, la charité est une vertu. Donc, la grâce aussi.

[5836] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 4 s. c. 1Sed contra, omnis virtus est sicut in subjecto in aliqua determinata potentia. Gratia autem non potentiam sed essentiam animae respicit. Ergo videtur quod gratia non sit virtus.

Cependant, [1] toute vertu se trouve dans une puissance déterminée comme dans son sujet. Or, la grâce concerne non pas une puissance, mais l’essence de l’âme. Il semble donc que la grâce ne soit pas une vertu.

[5837] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 4 s. c. 2Praeterea, illud in quo conveniunt diversa in specie, et illud in quo eadem distinguuntur, non possunt esse idem per essentiam. Sed omnes virtutes conveniunt in hoc quod est opera meritoria reddere; distinguuntur autem in hoc quod determinatos actus educunt. Ergo illud quod est principium merendi, est aliud per essentiam ab eo quod est principium distinctionis actuum. Sed principium merendi est gratia, ut in littera dicitur; principium autem distinctionis in actu, est determinata species virtutis; quia qualis est virtus, tales habitus reddit. Ergo gratia et virtus per essentiam differunt.

[2] Ce par quoi des choses différentes ont une espèce commune et ce par quoi elles se distinguent ne peuvent être une même chose par essence. Or, toutes les vertus ont en commun de rendre les actes méritoires ; mais elles se distinguent par le fait qu’elles produisent des actes déterminés. Le principe du mérite est donc autre par essence que ce qui est le principe de la distinction des actes. Or, le principe du mérite est la grâce, comme on le dit dans le texte ; mais le principe de la distinction dans l’acte est l’espèce déterminée de la vertu, car telle est la vertu, tels elle rend les habitus. La grâce et la vertu sont donc différentes par essence.

[5838] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt diversae opiniones. Quidam enim dicunt, quod gratia et virtus sunt omnino idem per essentiam secundum rem, sed differunt tantum ratione: quia gratia dicitur secundum quod Deo hominem acceptum reddit, virtus autem dicitur secundum quod est principium recti operis. Sed hoc non videtur conveniens: quia si virtus ab eodem haberet quod esset virtus, et quod gratum Deo redderet, oporteret quod omnis virtus hoc faceret; et cum quaedam virtutes per actus acquirantur, sequeretur secundum haeresim Pelagii, quod ex libero arbitrio homo gratus Deo efficeretur. Si autem ab alio habet quod sit virtus et quod gratum Deo reddat, oportet quod gratia et virtus non sint omnino idem secundum rem: diversis enim effectibus qui divisim inveniuntur, diversa principia respondent. Et ideo alii dicunt, quod virtus et gratia realiter differunt, non ita quod sint diversa per essentiam, sed quod ex gratia et virtute efficitur unum sicut ex forma et eo cujus est forma: dicunt enim, quod hoc modo se habet gratia ad virtutem sicut lumen manifestans colorem ad colorem ipsum; unde sicut lumen efficitur quodammodo unum cum colore existens cum eo in eodem subjecto; ita etiam dicunt, quod gratia unitur virtuti in eodem subjecto, ut informans ipsam. Ponunt enim quod, proprie loquendo, subjectum gratiae est potentia. Sed istud etiam non videtur conveniens. Quia cum dicitur, quod ex lumine et colore efficitur unum, aut accipitur lumen quod est de compositione coloris, cum hypostasis coloris sit lux; et sic rediretur in primam opinionem, scilicet quod gratia et virtus essent idem secundum rem: non enim lumen quod est de compositione coloris, re differt a colore. Aut accipitur lumen quod est in aere circumstante: et hoc constat quod in alio subjecto est a colore, et per essentiam ab eo differt. Similiter etiam si accipiatur lumen prout participatur in superficie corporis terminati in qua est color, de necessitate per essentiam a colore differt: quod patet ex hoc quod adveniente et recedente lumine, nihilominus color idem manet; quod non esset nisi per essentiam differret a colore. Similiter etiam oportet quod vel virtutes efficiantur Deo gratae per aliquod a Deo influxum; et sic oportet id per essentiam differre a virtute, cum etiam quaedam virtutes infusae, ut fides et spes, recedente gratia remaneant informes; vel oportet quod virtutes Deo sint gratae sine hoc quod aliquid addatur a Deo infusum: et sic vel gratia nihil creatum in anima ponet, vel nihil aliud realiter a virtute distinctum. Et ideo alii dicunt, quod gratia essentialiter a virtute differt. Oportet enim perfectiones perfectibilibus proportionatas esse; unde sicut ab essentia animae fluunt potentiae ab ipsa essentialiter differentes, sicut accidens a subjecto, et tamen omnes uniuntur in essentia animae ut in radice; ita etiam a gratia est perfectio essentiae, ut dictum est, et ab ea fluunt virtutes quae sunt perfectiones potentiarum, ab ipsa gratia essentialiter differentes, in gratia tamen conjunctae sicut in sua origine, per modum quo diversi radii ab eodem corpore lucente procedunt. Et hoc secundum praedicta convenientius videtur.

Réponse. À ce sujet, il y a plusieurs opinions. En effet, certains disent que la grâce et la vertu sont en réalité tout à fait la même chose par essence, mais qu’elles diffèrent seulement par la raison, car on parle de grâce selon qu’elle rend l’homme agréable à Dieu, mais on parle de vertu selon qu’elle est le principe de l’acte droit. Mais cela ne paraît pas approprié, car si la vertu tenait de la même chose qu’elle soit vertu et qu’elle rende agréable à Dieu, il faudrait que toute vertu fasse cela, et comme certaines vertus sont acquises par des actes, il en découlerait, selon l’hérésie de Pélage, que l’homme serait rendu agréable à Dieu par son libre arbitre. Mais si elle tient d’une autre chose d’être vertu et et de rendre agréable à Dieu, il est nécessaire que la grâce et la vertu ne soient pas en réalité tout à fait la même chose. En effet, à des effets qui existent séparément correspondent des principes différents. C’est pourquoi d’autres disent que la vertu et la grâce diffèrent réellement, non pas tant parce qu’elles sont différentes par essence, mais parce que, de la grâce et de la vertu, provient une seule chose, comme c’est le cas pour la forme et pour ce dont celle-ci est la forme. En effet, ils disent que le rapport entre la grâce et la vertu est semblable à celui de la lumière qui manifeste la couleur et de la couleur elle-même. Ainsi, de même que la lumière devient d’une certaine manière une seule chose avec la couleur qui se trouve avec elle dans le même sujet, de même, disent-ils, la grâce est-elle unie à la vertu dans le même sujet, comme ce qui lui donne forme. En effet, ils affirment qu’à proprement parler, le sujet de la grâce est une puissance. Mais cela non plus ne semble pas approprié, car lorsqu’on dit qu’une seule chose est produite de la lumière et de la couleur, soit on entend la lumière qui vient de la composition de la couleur, puisque l’hypostase de la couleur est la lumière. On reviendrait ainsi à la première opinion voulant que la grâce et la vertu soient en réalité une même chose : en effet, la lumière qui vient de la composition de la couleur ne diffère pas de la couleur. Soit on entend la lumière qui existe dans l’air environnant, et c’est un fait reconnu qu’elle se trouve dans un autre sujet que la couleur et qu’elle en diffère par essence. De même encore, si on entend la lumière qui est participée par la surface du corps limité dans lequel se trouve la lumière, elle diffère nécessairement de manière essentielle de la couleur, ce qui ressort du fait que, si la lumière arrive et se retire, la couleur demeure néanmoins la même, ce qui ne serait pas le cas si elle ne différait pas de la couleur de manière essentielle. De même, il faut que les vertus soient rendues agréables à Dieu par quelque chose qui vient de Dieu. Il est ainsi nécessaire que cela diffère par essence de la vertu, puisque certaines vertus infuses, comme la foi et l’espérance, demeurent à l’état informe, alors que la grâce s’est retirée. Ou bien il faut que les vertus soient agréables à Dieu sans que rien d’infus ne soit ajouté par Dieu. Ainsi, soit la grâce ne met rien de créé dans l’âme, soit elle [elle ne met] rien de réellement distinct de la vertu. C’est pourquoi d’autres disent que la grâce diffère par essence de la vertu. En effet, il est nécessaire que les perfections soient proportionnées à ce qui est perfectible. De même que des puissances essentiellement différentes d’elle découlent de l’essence de l’âme, alors qu’elles sont cependant toutes unies dans l’essence de l’âme comme dans leur racine, de même aussi la perfection de l’essence [de l’âme] vient-elle de la grâce, comme on l’a dit, et les vertus, qui sont des perfections des puissances, découlent-elles d’elle, essentiellement différentes de la grâce elle-même, et cependant unies dans la grâce comme dans leur origine, à la manière dont divers rayons sortent du même corps lumineux. Et cela semble plus approprié à ce qui a été dit plus haut.

[5839] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod gratia ad genus qualitatis reducitur, et ad primam speciem qualitatis; nec proprie tamen naturam habitus habet, cum non immediate ad actum ordinet; sed est velut habitudo quaedam, sicut sanitas se habet ad corpus. Et ideo dicit Chrysostomus, quod gratia est sanitas mentis; unde non computatur nec inter scientias, nec inter virtutes, nec inter alias qualitates quas philosophi numeraverunt; quorum non fuit tractare nisi habitus naturales et acquisitos.

1. La grâce se ramène au genre de la qualité et à la première espèce de qualité. Au sens propre, elle n’a cependant pas la nature d’un habitus, puisqu’elle n’ordonne pas à l’acte de manière immédiate ; mais elle est un habitus comme la santé l’est par rapport au corps. C’est pourquoi [Jean] Chrysostome dit que « la grâce est la santé de l’esprit ». Aussi n’est-elle comptée ni parmi les sciences, ni parmi les vertus, ni parmi les autres qualités que les philosophes énumèrent, à qui il ne revenait de traiter que des habitus naturels et acquis.

[5840] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod virtus dicitur dispositio perfecti ad optimum, inquantum elicit operationem, per quam res suum finem consequitur; unde per hunc modum gratia non est dispositio perfecti ad optimum, cum non primo operationem respiciat sicut effectum proximum, sed potius esse quoddam divinum quod animae confert.

2. On dit que la vertu est une disposition de ce qui est parfait à ce qui est le meilleur, pour autant qu’elle est la source de l’opération par laquelle une chose obtient sa fin. Aussi la grâce n’est-elle pas ainsi une disposition de ce qui est parfait à ce qui est le meilleur, puisqu’elle ne concerne pas en premier lieu l’opération comme effet premier, mais plutôt un certain être divin (esse quoddam divinum) qu’elle confère à l’âme.

[5841] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod bonitas quam virtus habenti confert, est bonitas perfectionis in comparatione ad opus; sed gratia confert animae perfectionem in quodam divino esse, et non solum respectu operis, secundum quod quodammodo gratiam habentes deiformes constituuntur, propter quod, sicut filii, Deo grati dicuntur.

3. La bonté que la vertu confère à celui qui la possède est la bonté de la perfection par rapport à l’action ; mais la grâce confère à l’âme une perfection dans l’ordre de l’être divin (in quodam esse divino), et non seulement par rapport à l’action, selon que, d’une certaine manière, ceux qui possèdent la grâce sont rendus déiformes (deiformes), raison pour laquelle on dit qu’ils sont agréables à Dieu comme des fils.

[5842] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod gratia praeveniens dicitur fides, non quod per essentiam gratia a fide non differat, sed quia in justificatione quam gratia causat, primus motus fidei invenitur; et ideo cum habitudines et habitus per effectus nobis innotescant, illud in quo primo gratia manifestatur, est fides; et propter hoc fidem gratiam praevenientem dicit.

4. La grâce prévenante est appelée foi, non pas parce que la grâce ne diffère pas de la foi par essence, mais parce que, dans la justification que cause la grâce, le premier mouvement est celui de la foi. Ainsi, puisque les habitudes et les habitus nous sont connus par leurs effets, ce par quoi la grâce se manifeste en premier est la foi. Pour cette raison, on dit que la grâce prévenante est la foi.

[5843] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod caritas alio modo dicitur forma virtutum quam gratia. Caritas enim est forma virtutum ex parte actus, inquantum scilicet omnes actus virtutum in suum finem convocat, eo quod ejus objectum est finis ultimus. Sic enim est in omnibus potentiis et actibus ordinatis, quod illa quae altiorem finem respicit, largitur formam arti quae sub ipsa est, cujus actus in suum finem ordinatur: sicut patet quia gubernator ostendit factori navis, qualis debeat esse forma temonis. Unde caritas informat alias virtutes, sicut virtus virtutem: sed gratia informat per modum originis, quia scilicet ex ipsa gratia quodammodo formaliter oriuntur habitus virtutum, per diversas potentias diffusi. Illud autem quod ab alio oritur, formam et speciem ab eo trahit, et in suo vigore consistit, quamdiu origini continuatur: et ideo non oportet quod gratia sit idem quod caritas, quamvis caritas nunquam possit esse sine gratia.

5. La charité est dite forme des vertus d’une autre manière que la grâce. En effet, la charité est la forme des vertus du point de vue de l’acte, dans la mesure où elle appelle tous les actes des vertus à sa fin, car son objet est la fin ultime. En effet, dans toutes les puissances et tous les actes ordonnés, ce qui concerne une fin plus élevée donne sa forme à l’art qui lui est soumis, dont l’acte est ordonné à la fin de celle-ci. Ainsi, le timonier montre au constructeur du navire quelle doit être la forme du timon. La charité donne donc forme aux autres vertus comme une vertu la donne à une vertu. Mais la grâce donne forme par mode d’origine, car les habitus des vertus répandus dans les diverses puissances naissent en quelque sorte de la grâce elle-même comme d’une forme. Or, ce qui naît de quelque chose d’autre en tire forme et espèce et en garde la force aussi longtemps que cela est relié à son origine. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la grâce soit la même chose que la charité, bien que la charité ne puisse jamais exister sans la grâce.

 

 

ARTICULUS 5 Utrum gratia dividatur convenienter in gratiam operantem et cooperantem

Article 5 – La grâce est-elle divisée de manière appropriée entre grâce opérante et [grâce] coopérante ?

[5845] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter gratia per operantem et cooperantem dividatur. Quia, ut dictum est, gratia non per se respicit opus. Sed unumquodque dividendum est secundum hoc quod sibi per se convenit, ut in 7 Metaph. dicitur. Ergo videtur, cum operans et cooperans respectu operis dicantur, quod inconvenienter gratia per haec duo distinguatur.

1. Il semble que la grâce soit divisée de manière inappropriée entre [grâce] opérante et [grâce] coopérante, car, ainsi qu’on l’a dit, la grâce ne concerne pas de soi l’action. Or, tout doit être divisé selon ce qui lui convient par soi, comme il est dit dans Métaphysique, VII. Il semble donc que, comme l’on parle de [grâce] opérante et coopérante par rapport à l’action, la grâce soit distinguée de manière inappropriée selon ces deux choses.

[5846] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 2Praeterea, si gratia est operans, oportet quod aliquid in anima operetur. Aut ergo seipsam, aut aliquid aliud. Sed seipsam non facit, cum nihil sui ipsius causa sit, nec est signare aliquid aliud quod in anima operetur. Ergo videtur quod inconvenienter aliqua gratia operans dicatur.

2. Si la grâce est opérante, il est nécessaire que quelque chose soit produit dans l’âme : elle-même ou quelque chose d’autre. Or, elle ne se produit pas elle-même, puisque rien n’est cause de soi-même, et on ne peut indiquer quelque chose d’autre qui soit produit dans l’âme. Il semble donc qu’une certaine grâce soit appelée opérante de manière inappropriée.

[5847] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 3Praeterea, nullum opus est tantum gratiae quod etiam liberi arbitrii non sit. Si ergo gratia cooperans dicitur per hoc quod simul cum libero arbitrio operatur, videtur quod gratia quaelibet cooperans dici debeat.

3. Aucune action n’est le fait de la seule grâce sans être aussi le fait du libre arbitre. Si donc la grâce est appelée coopérante du fait qu’elle agit avec le libre arbitre, il semble donc que n’importe quelle grâce doive être appelée coopérante.

[5848] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 4Praeterea, illud quod cooperatur alicui non se habet sicut principale in operatione. Sed in omni operatione in qua liberum arbitrium et gratia conveniunt, gratia principale obtinet. Ergo inconvenienter gratia cooperans nominatur.

4. Ce qui coopère avec quelque chose n’est pas ce qu’il y a de principal dans l’opération. Or, en toute opération dans laquelle le libre arbitre et la grâce se rencontrent, la grâce est ce qu’il y a de principal. La grâce est donc appelée coopérante de manière inappropriée.

[5849] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 5Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de natura et gratia, quod gratia praevenit ut pie vivamus et subsequitur ut semper cum illo vivamus; et nunc praevenit ut vocemur, et tunc subsequetur ut glorificemur: et illa gratia praeveniens statum praesentis vitae respicit, et gratia subsequens, statum gloriae. Cum igitur operans et cooperans ad praesentem vitam pertineant, videtur quod gratia operans et cooperans non sint idem quod praeveniens et subsequens, ut Magister innuit.

5. Dans le livre Sur la nature et la grâce, Augustin dit que « la grâce prend les devants afin que nous vivions bien et suit pour que nous vivions toujours ainsi : elle prend maintenant les devants pour que nous soyons appelés et suivra alors pour que nous soyons glorifiés ; cette grâce prévenante concerne l’état de la vie présente, et la grâce subséquente, l’état de la gloire ». Puisque [la grâce] prévenante et [la grâce] coopérante concernent la vie présente, il semble donc que la grâce opérante et la grâce coopérante ne soient pas la même chose que [la grâce] prévenante et subséquente, comme le suggère le Maître.

[5850] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod gratia habet in nobis diversos effectus ordinatos. Primum enim quod facit est hoc quod dat esse quoddam divinum. Secundus autem effectus est opus meritorium quod sine gratia esse non potest. Tertius effectus est praemium meriti, scilicet ipsa vita beata, ad quam per gratiam pervenitur. In actibus etiam est quidam ordo: quia primum est opus interius voluntatis, secundum est opus exterius quo voluntas completur: et secundum hoc quandoque Augustinus diversimode videtur accipere gratiam praevenientem et subsequentem: quia considerato ordine meriti ad praemium quod sequitur, nominat gratiam praevenientem, quae principium est merendi; gratiam vero subsequentem, ipsum habitum gloriae, qui in nobis beatam vitam efficit: ut patet in auctoritate inducta. Secundum vero ordinem actus interioris ad exteriorem, ponit gratiam praevenientem, quae causat motum bonae voluntatis, gratiam vero subsequentem quae opus exterius complet; unde dicit, quod praevenit voluntatem ut velit bonum; subsequitur ut compleat, sive perficiat; et sic in littera quasi per totum videtur accipere praevenientem et subsequentem. Secundum vero ordinem esse quod dat ad actum qui est operatio, sic ponit gratiam praevenientem quae animae quoddam esse salubre confert, et gratiam subsequentem quae opus meritorium causat; unde dicit, quod praevenit ut sanemur, et subsequitur ut sanati negotiemur. Sed distinctio gratiae operantis et cooperantis proprie accipitur tantum prout pertinet ad statum vitae praesentis: unde dupliciter distingui potest. Uno modo ut per gratiam operantem significetur ipsa gratia, prout esse divinum in anima operatur, secundum quod gratum facit habentem; et per gratiam cooperantem significetur ipsa gratia secundum quod opus meritorium causat, prout opus hominis gratum reddit. Alio modo secundum quod gratia operans dicitur, prout causat voluntatis actum; et cooperans secundum quod causat exteriorem actum in quo voluntas completur, per perseverantiam in illo. Et utroque modo cooperans et operans dicitur idem quod praeveniens et subsequens.

Réponse. La grâce a en nous divers effets ordonnés. En effet, la première chose qu’elle fait est de donner un certain être divin (esse quoddam divinum). Le deuxième effet est l’action méritoire, qui ne peut exister sans la grâce. Le troisième effet est la récompense du mérite, la vie bienheureuse elle-même, à laquelle nous parvenons par la grâce. Il existe aussi un ordre entre les actes, car le premier est un acte intérieur de la volonté, le deuxième est un acte extérieur par lequel la volonté est accomplie. En tenant compte de cela, Augustin semble parfois entendre différemment la grâce prévenante et la grâce subséquente, car, en considérant l’ordre entre le mérite et la récompense qui suit, il parle de la grâce prévenante, qui est le principe du mérite ; mais [il appelle] grâce subséquente l’habitus même de la gloire, qui réalise en nous la vie éternelle, comme cela ressort de l’autorité invoquée. Mais, selon l’ordre entre l’acte intérieur et l’acte extérieur, il parle de la grâce prévenante, qui cause le mouvement de bonne volonté, mais de grâce subséquente, pour celle qui accomplit l’action extérieure. Aussi dit-il qu’« elle précède la volonté pour qu’elle veuille le bien, et elle la suit pour qu’elle l’achève » ou l’accomplisse. Ainsi, dans le texte, il semble entendre prévenante et subséquente comme un tout. Mais pour l’ordre entre l’être qu’elle donne et l’acte, qui est l’opération, il parle de la grâce prévenante, qui donne un être salutaire à l’âme, et de la grâce subséquente, qui cause l’action méritoire. Aussi dit-il qu’« elle précède afin que nous soyons guéris, et qu’elle suit pour que nous agissions une fois guéris ». Mais la distinction entre la grâce opérante et la grâce coopérante ne s’entend au sens propre que pour ce qui concerne l’état de la vie présente. Aussi peut-on faire une double distinction. Premièrement, afin de signifier par la grâce opérante la grâce elle-même, en tant qu’elle réalise un être divin (esse divinum) dans l’âme, par lequel elle rend agréable [à Dieu] celui qui le possède ; et de signifier par grâce coopérante la grâce elle-même en tant qu’elle cause l’action méritoire, pour autant que l’action de l’homme le rend agréable. Deuxièmement, selon que la grâce est appelée opérante en tant qu’elle cause l’acte de la volonté, et coopérante, selon qu’elle cause l’acte extérieur dans lequel s’achève la volonté en y persévérant. Des deux manières, « coopérante » et « opérante » veulent dire la même chose que « prévenante » et « subséquente ».

[5851] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod quamvis non immediate gratia ad opus referatur, tamen est per se causa operis meritorii, licet mediante virtute; et ideo non est inconveniens si per operantem et cooperantem distinguatur.

1. Bien que la grâce ne se rapporte pas à l’action de manière immédiate, elle est cependant par elle-même cause de l’acte méritoire, bien que par l’intermédiaire de la vertu. Il n’est donc pas inapproprié de faire une distinction entre [grâce] opérante et [grâce] coopérante.

[5852] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 5 ad 2Ad secundum dicendum, quod gratia operans secundum unam acceptionem dicitur operari in anima, non effective, sed formaliter, secundum quod quaelibet forma facit esse aliquod in subjecto, sicut albedo facit esse album; unde per hunc modum gratia dicitur operans, quia formaliter hominem Deo gratum facit. Secundum vero aliam acceptionem dicitur operans effective, secundum quod habitus effective causat opus; ita enim gratia motum meritorium voluntatis operatur eliciendo ipsum, licet mediante virtute, propter quod operans dicitur.

2. Dans un sens, on dit que la grâce opérante agit dans l’âme, non pas à la manière d’une [cause] efficiente, mais à la manière d’une forme, pour autant que toute forme fait exister quelque chose dans un sujet, comme la blancheur fait exister le blanc. De cette manière, on dit que la grâce est opérante, car elle rend l’homme agréable à Dieu à la manière d’une forme. Mais, dans un autre sens, elle est appelée opérante à la manière d’une [cause] efficiente, pour autant que l’habitus cause effectivement l’action. En effet, de cette manière, la grâce réalise le mouvement méritoire de la volonté en le suscitant, quoique par l’intermédiaire de la vertu, raison pour laquelle elle est appelée opérante.

[5853] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 5 ad 3Ad tertium dicendum, quod si accipiatur gratia operans secundum primam acceptionem, tunc planum est quod effectus quos operatur formaliter, ipsa sola operatur: sicut enim sola albedo formaliter facit album parietem, ita sola gratia formaliter gratum facit. Sed secundum aliam acceptionem verum est quod ipse motus voluntatis non est a gratia sine libero arbitrio; et tamen quia se habet gratia ut principale, quia inclinat in talem actum per modum cujusdam naturae, ideo ipsa sola tamen actum dicitur operari, non quod sine libero arbitrio operetur, sed quia est principalior causa, sicut gravitas dicitur operari motum deorsum.

3. Si on entend grâce opérante dans le premier sens, il est alors clair qu’elle seule produit les effets qu’elle produit de manière formelle. En effet, de même que seule la blancheur rend un mur blanc, de même seule la grâce rend agréable [à Dieu] de manière formelle. Mais, dans l’autre sens, il est vrai que le mouvement même de la volonté ne vient pas de la grâce sans le libre arbitre. Toutefois, puisque la grâce est ce qu’il y a de principal, du fait qu’elle incline à un tel acte à la manière d’une nature, on dit donc qu’elle seule produit cet acte, non pas qu’elle le produise sans le libre arbitre, mais parce qu’elle est la cause principale, comme on dit que la gravité produit le mouvement vers le bas.

[5854] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod si dicatur gratia cooperans secundum quod causat quemcumque motum vel extrinsecum vel intrinsecum; sic dicitur cooperans non quia non sit principalis causa in agendo, sed quia liberum arbitrium ministrat substantiam actus, et a gratia est forma per quam meritorius est; unde illud quod gratia ministrat, est sicut ultimum complementum: et propter hoc dicitur cooperans, quasi complens illud quod per liberum arbitrium ut praejacens exhibetur. Si autem accipiatur cooperans prout respicit actum exteriorem tantum, sic dicitur cooperans non propter principalitatem liberi arbitrii ad gratiam, sed propter principalitatem actus ad actum: actus enim interiores in moralibus potiores sunt exterioribus, ut philosophus dicit; unde convenienter gratia secundum quod causat principalem actum, dicitur operans; et secundum quod causat secundarium, dicitur cooperans.

4. Si elle est appelée grâce coopérante selon qu’elle cause n’importe quel mouvement, extérieur ou intérieur, elle est alors appelée coopérante, non pas parce qu’elle n’est pas la cause principale de l’action, mais parce que le libre arbitre fournit la substance de l’acte, et que la forme, par laquelle il est méritoire, vient de la grâce. Ce qu’apporte la grâce est donc comme un complément ultime. Pour cette raison, elle est appelée coopérante, comme si elle complétait ce qui montré comme sous-jacent par le libre arbitre. Mais si on entend coopérante par rapport à l’acte extérieur seulement, elle est ainsi appelée coopérante, non pas parce que le libre arbitre joue un rôle principal en regard de la grâce, mais en raison du rôle principal d’un acte par rapport à autre acte. En effet, en matière morale, les actes intérieurs sont plus importants que les actes extérieurs, comme le dit le Philosophe. Aussi, selon qu’elle cause l’acte principal, la grâce est-elle appelée opérante, et, selon qu’elle cause [l’acte] secondaire, est-elle appelée coopérante.

[5855] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod quamvis quantum ad illum modum acceptionis gratiae praevenientis et subsequentis operans et cooperans praevenienti et subsequenti non respondeat; tamen secundum alias acceptiones penitus idem sunt: et hoc modo Magister in littera sumit.

5. Bien que, selon cette manière d’entendre la grâce prévenante et la grâce subséquente, opérante et coopérante ne correspondent pas à prévenante et subséquente, selon les autres interprétations, elles sont au fond la même chose. C’est en ce sens que le Maître les entend dans le texte.

 

 

ARTICULUS 6 Utrum gratia sit multiplex in anima

Article 6 – La grâce est-elle multiple dans l’âme ?

[5857] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 arg. 1Ad sextum sic proceditur. Videtur quod gratia in anima multiplicetur. Divisiones enim gratiarum sunt, ut 1 Corinth. 12 dicitur. Sed divisio est causa numeri et multitudinis; unde secundum Isidorum numerus dicitur quasi nutus memoris, idest divisionis. Ergo videtur quod in una anima inveniantur multae gratiae.

1. Il semble que la grâce soit multipliée dans l’âme. En effet, il existe des divisions entre les grâces, comme il est dit en 1 Co 12. Or, la division est cause du nombre et de la multitude ; ainsi, selon Isidore, le nombre est appelé un signe pour la mémoire, à savoir, d’une division. Il semble donc qu’il existe plusieurs grâces dans une seule âme.

[5858] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 arg. 2Praeterea, non potest idem esse prius et posterius, praecedens et subsequens. Ergo cum in uno homine inveniatur gratia praeveniens et subsequens, videtur quod oporteat plures gratias in uno et eodem homine esse.

2. La même chose ne peut être antérieure et postérieure, précédente et subséquente. Puisque, dans un seul homme, on trouve la grâce prévenante et subséquente, il semble donc qu’il doive y avoir plusieurs grâces dans un seul et même homme.

[5859] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 arg. 3Praeterea, omnis forma multiplicatur secundum differentiam eorum quae informat, cum diversorum diversae sint formae. Sed gratia est forma virtutum. Ergo videtur quod cum virtutes sint diversae, oporteat gratias esse multiplicatas.

 

3. Toute forme se multiplie selon la différence de ce à quoi elle donne forme, puisqu’il existe des formes différentes pour des êtres différents. Or, la grâce est forme des vertus. Puisque les vertus sont différentes, il semble donc nécessaire que les grâces soient multipliées.

[5860] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 arg. 4Praeterea, ea quae differunt secundum genus, non reducuntur in idem principium. Sed virtutes a donis etiam secundum genus differunt, similiter a gratiis sacramentalibus. Ergo videtur quod a diversis gratiis oriuntur.

4. Ce qui différent par le genre ne se ramène pas à un même principe. Or, les vertus diffèrent des dons eux-mêmes, de même que des grâces sacramentelles, par le genre,. Il semble donc qu’ils naissent de grâces différentes.

[5861] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 arg. 5Praeterea, gratia datur in diversis sacramentis; et una habita, non habetur alia. Quaecumque autem hoc modo se habent quod unum est sine altero, oportet esse numerata et distincta. Ergo videtur quod gratia non manet tantum una sed per essentiam multiplicatur.

5. La grâce est donnée dans divers sacrements, et si on a l’une, on n’a pas l’autre. Or, tout ce qui est fait qu’une chose existe sans une autre doit être dénombré et distinct. Il semble donc que la grâce ne demeure pas unique, mais qu’elle se multiplie en son essence.

[5862] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 s. c. 1Sed contra, perfectio proportionatur perfectibili. Sed gratia perficit immediate essentiam animae, ut dictum est. Cum igitur essentia animae sit una multiplicata in potentiis, videtur quod etiam gratia sit una multiplicata in virtutibus.

Cependant, [1] une perfection est proportionnée à ce qui est perfectible. Or, la grâce perfectionne de manière immédiate l’essence de l’âme, comme on l’a dit. Puisque l’essence de l’âme est une chose unique multipliée dans ses puissances, il semble que la grâce aussi soit unique, mais multipliée dans les vertus.

[5863] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 s. c. 2Praeterea, illud quod convenit diversis secundum eamdem rationem, oportet quod ab uno principio procedat. Sed eadem ratio merendi est in omnibus actibus meritoriis: cum igitur gratia sit principium merendi, videtur quod gratia sit una tantum, non multiplicata.

[2] Ce qui convient à diverses choses selon la même raison doit procéder d’un seul principe. Or, une même raison de mériter existe dans tous les actes méritoires. Puisque la grâce est le principe du mérite, il semble donc que la grâce soit unique seulement, et non multipliée.

[5864] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 co.Respondeo dicendum, quod secundum illos qui dicunt, quod gratia et virtus realiter non differunt, sed solum ratione, necesse est ponere quod gratia multiplicetur per essentiam secundum numerum virtutum: quamvis enim possint dicere, quod multiplicatio non contingit in virtutibus secundum quod habent rationem virtutum; nihilominus tamen oportet dicere quod sint plures gratiae per esse diversae. Sed secundum opinionem quae ponit gratiam a virtute differentem, est multiplex modus dicendi. Quidam enim, qui ponunt gratiam non esse sicut in subjecto in essentia animae, necesse habent ponere quod sint plures gratiae secundum numerum virtutum distinctae: non enim potest esse ut idem accidens numero in diversis substantiis sit. Si autem gratia ex eo quod est forma virtutum, ponitur in eodem subjecto in quo est virtus, necesse est quod sit in qualibet potentia in qua est virtus, vel per prius vel per posterius, secundum quod quaedam virtutes per prius a gratia informantur quam aliae: non enim potest dici, quod sit idem lumen numero quod colores diversorum corporum informat, nisi secundum quod accipitur in uno subjecto continuo, quod est aer: si enim consideretur ut receptum in superficiebus diversorum corporum, oportet de necessitate quod secundum numerum multiplicetur, cum accidens multiplicetur multiplicato subjecto. Quidam vero dicunt, quod gratia est sicut in subjecto in essentia animae in qua omnes potentiae sicut in centro colliguntur; unde sicut lineae et radii in centro uniuntur, et secundum quod magis a centro elongantur, plus ab invicem dividuntur; ita etiam gratia secundum quod in essentia animae consistit, est una; multiplicatur autem secundum quod in diversas potentias diffunditur, in quibus rationem virtutis accipit. Sed ista opinio videtur supponere quod gratia et virtus non differant secundum speciem vel rationem, sed solum secundum diversitatem subjecti. Si enim alterius rationis est virtus a gratia, tunc ex multiplicatione virtutum in potentiis non sequeretur multiplicatio gratiae: quia diffusiones gratiae in potentiis nomen et rationem gratiae amitterent: sicut si lumen a centro diffundatur per diversos radios, quamdiu manet in ratione luminis, dicitur lumen multiplicari et dividi; sed si secundum diversas lineas diffusionis luminis, lineae rationes diversorum colorum acciperent, tunc diceretur quod lumen esset tantum unum, scilicet quod est in centro, et quod colores in diversis lineis causati essent multi: nisi forte dicant, quod diffusio gratiae in potentias est praeter essentiam virtutum, sicut diffusio lucis super colores, qui efficiuntur per eam visibiles actu, secundum quorumdam opinionem, est praeter essentiam coloris, ut dictum est; ut sicut lux super colores diffusa praebet coloribus quod sint visibiles actu, ita diffusiones gratiae quasi quidam radii ejus praebeant virtutibus efficaciam merendi: sic enim radius gratiae receptus in potentia retineret rationem lucis, et differret a gratia quae est in essentia animae, sicut lumen a luce; et ita gratia prout esset in essentia animae esset una, sed gratiae diffusae in potentias essent multae. Sed hoc non potest stare: quia ad actum meritorium non requiruntur nisi duo: unum est ut agens actum dignus vita aeterna habeatur; et ad hoc sufficit gratia quae est in essentia animae animam gratificans; aliud est ut actus ipse sit in debitum finem relatus, et debitis circumstantiis vestitus; et ad hoc sufficit virtus; unde ad eliciendum actum meritorium non requiritur aliquid praeter gratiam quae est in essentia, et virtutem quae est in potentia animae, quasi aliqua diffusio gratiae ab essentia animae perveniat in potentiam praeter virtutem. Et ideo alii melius dicunt, quod scilicet gratia est una tantum non multiplicata: virtutes autem sunt multae; quae quidem virtutes in aliud genus cadunt, quamvis a gratia procedant; sicut etiam potentiae animae ab una essentia procedunt, nec tamen est eadem ratio potentiae et essentiae; et ideo potentiae multiplicantur, sed essentia manet tantum una: quae omnes conveniunt in hoc quod convenit eis secundum quod sunt in tali essentia: distinguuntur autem secundum diversas rationes potentiarum; ita etiam et virtutes conveniunt in ratione merendi quae convenit eis secundum hoc quod a gratia oriuntur; differunt autem secundum proprias rationes, inquantum virtutes sunt.

Réponse. Selon ceux qui disent que la grâce et la vertu ne diffèrent pas réellement, mais seulement par la raison, il est nécessaire d’affirmer que la grâce est multipliée par essence selon le nombre des vertus. En effet, bien qu’ils puissent dire que la multiplication ne se produit pas pour les vertus selon qu’elles ont raison de vertus, il faut quand même dire qu’il y a plusieurs grâces différentes par leur être. Mais, selon l’opinion qui affirme que la grâce diffère de la vertu, il y a plusieurs manières de parler. En effet, certains, qui affirment que la grâce ne réside pas dans l’essence de l’âme comme dans son sujet, doivent nécessairement affirmer qu’il existe plusieurs grâces différentes selon le nombre des vertus, car il ne peut pas arriver qu’un accident unique en nombre existe dans des substances différentes. Mais si la grâce, du fait qu’elle est la forme des vertus, est située dans le même sujet que la vertu, il est nécessaire qu’elle se trouve dans la puissance où se trouve la vertu, avant ou après, selon que certaines vertus reçoivent leur forme de la grâce avant d’autres – en effet, on ne peut pas dire que la même lumière donne forme aux couleurs de différents corps, à moins qu’elle ne soit reçue dans un seul sujet continu, qui est l’air, car si on considère qu’elle est reçue par les surfaces des différents corps, il faut nécessairement qu’elle soit multipliée en nombre, puisque l’accident est multiplié lorsque le sujet est multiplié. Mais certains disent que la grâce a comme sujet l’essence de l’âme, dans laquelle toutes les puissances de l’âme sont regroupées comme dans un centre. Aussi, de même que les lignes et les rayons sont unis dans le centre et qu’ils se divisent davantage à mesure qu’ils s’éloignent du centre, de même aussi la grâce, selon qu’elle réside dans l’essence de l’âme, est-elle unique, mais elle est multipliée selon qu’elle se répand dans les différentes puissances, où elle reçoit la raison de vertu. Mais cette opinion semble supposer que la grâce et la vertu ne diffèrent pas selon l’espèce ou la raison, mais seulement selon la diversité de leur sujet. En effet, si la vertu et la grâce ont une nature différente, une multiplication de la grâce ne découlerait pas de la multiplication des vertus, car les diffusions de la grâce dans les puissances perdraient le nom et la raison de grâce, comme on disait que la lumière, qui est diffusée par les divers rayons à partir du centre, aussi longtemps qu’elle conserve la raison de lumière, est multipliée et divisée ; mais si, selon les diverses lignes de diffusion de la lumière, les lignes recevaient les raisons des diverses couleurs, on dirait alors qu’il n’y a qu’une seule lumière, à savoir, celle qui se trouve dans le centre, et que les couleurs produites dans les diverses lignes seraient multiples, à moins de dire que la diffusion de la grâce dans les puissances se réalise hors de l’essence des vertus, comme la diffusion de la couleur sur les couleurs, qui sont rendues visibles en acte par elle, se réalise, selon l’opinion de certains, hors de l’essence de la couleur, ainsi qu’on l’a dit. Ainsi, comme la lumière diffusée sur les couleurs fait que les couleurs sont visibles en acte, de même les diffusions de la grâce, un peu comme ses rayons, confèrent aux vertus la capacité de mériter. En effet, le rayon de la grâce reçu dans la puissance garderait la raison de lumière et différerait de la grâce qui se trouve dans l’essence de l’âme, comme la lumière [diffère] de son reflet. Ainsi, la grâce, pour autant qu’elle se trouve dans l’essence de l’âme, serait unique, mais les grâces diffusées dans les puissances seraient multiples. Mais cela ne peut pas être soutenu, car deux choses seulement sont nécessaires pour un acte méritoire : l’une est que celui qui pose l’acte soit considéré digne de la vie éternelle, et la grâce qui se trouve dans l’essence de l’âme et qui rend l’âme agréable [à Dieu] suffit pour cela ; l’autre est que l’acte lui-même soit mis en rapport avec à la fin appropriée et revêtu des circonstances appropriées. Pour produire un acte méritoire, rien d’autre n’est donc requis que la grâce, qui se trouve dans l’essence [de l’âme], et la vertu, qui se trouve dans une puissance de l’âme, comme si une certaine diffusion de la grâce parvenait à la puissance à partir de l’essence de l’âme sans la vertu. C’est pourquoi d’autres s’expriment plus correctement en disant que la grâce est unique seulement et qu’elle n’est pas multipliée, mais que les vertus sont multiples : celles-ci tombent dans un autre genre, bien qu’elles procèdent de la grâce, mais la raison de puissance et celle d’essence ne sont pas les mêmes. Ainsi, les puissances sont multipliées, mais l’essence demeure unique seulement : toutes ont en commun de se retrouver dans cette essence ; cependant, elles se distinguent selon les diverses raisons des puissances. De même aussi, les vertus ont en commun la raison de mériter, qui leur convient selon qu’elles proviennent de la grâce ; mais elles diffèrent selon leurs propres raisons, en tant qu’elles sont des vertus.

[5865] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod apostolus large accipit gratiam pro quolibet dono quod nobis gratis a Deo confertur: et haec quidem dona, plura et divisa sunt. Sed nos hic loquimur de gratia prout est primum donum, gratam faciens animam.

1. L’Apôtre entend « grâce » au sens large pour tout don qui nous vient gratuitement par Dieu : ces dons sont effectivement plusieurs et sont différents. Mais nous parlons ici de la grâce en tant qu’elle est le premier don qui rend l’âme agréable [à Dieu].

[5866] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 ad 2Ad secundum dicendum, quod quocumque modo distinguatur, maxime quantum ad duas distinctiones, operans et cooperans, praeveniens et subsequens, non differunt essentia, sed ratione tantum: una enim forma est quae dat esse, et quae est principium operis: unus etiam habitus est qui elicit actum extrinsecum et intrinsecum; unde eadem gratia est operans et cooperans. Nec dicitur praeveniens et subsequens propter ordinem gratiae ad gratiam, sed propter ordinem effectus ad effectum.

2. De quelque manière qu’on fasse une distinction, surtout selon les deux distinctions opérante-coopérante et prévenante-subséquente, elles ne diffèrent pas par essence, mais selon la raison seulement. En effet, unique est la forme qui donne l’être et qui est principe d’action ; unique aussi est l’habitus qui produit l’acte extérieur et l’acte intérieur. Grâce opérante et grâce coopérante sont donc une même grâce. Et on ne l’appelle pas prévenante et subséquente en raison de l’ordre entre une grâce et une autre grâce, mais en raison de l’ordre entre un effet et un autre effet.

[5867] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 ad 3Ad tertium dicendum, quod ratio illa procedit de forma quae est intrinseca rei et quasi constitutiva ejus; sic autem gratia non dicitur esse forma virtutum, sed quasi principium a quo virtutes formaliter oriuntur.

3. Cet argument vient de la forme qui est intrinsèque à une chose et qui, pour ainsi dire, la constitue. On ne dit pas que la grâce est ainsi forme des vertus, mais en tant qu’elle est un principe dont naissent les vertus à la manière d’une forme.

[5868] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 ad 4Ad quartum dicendum, quod diversitas virtutum et donorum accipitur tantum secundum diversitatem actuum. Conveniunt autem actus in ratione merendi; unde oportet quod primum principium a quo rationem merendi habent sit unum; et quod diversitas eorum in genere et in specie, sit ex diversitate actuum et objectorum.

4. La diversité des vertus et des dons est saisie seulement à partir de la diversité des actes. Or, les actes ont en commun la raison de mériter. Aussi est-il nécessaire que le principe premier dont ils tiennent leur raison de mériter soit unique, et que leur diversité selon le genre et l’espèce vienne de la diversité de leurs actes et de leurs objets.

[5869] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 ad 5Ad quintum dicendum, quod gratia in diversis sacramentis datur ad diversos effectus, secundum quod plures infirmitates ex peccato consequuntur, contra quas praecipue gratiae sacramentales ordinantur: et ideo sicut differt virtus a virtute per hoc quod ordinatur ad diversum actum, ita etiam differt una gratia sacramentalis ab alia per hoc quod ad diversos effectus ordinatur; unde sicut ex multiplicatione virtutum non sequitur multiplicatio gratiae, ita etiam ex multiplicatione sacramentorum non sequitur multiplicatio illius gratiae de qua nunc loquimur: quia illae etiam perfectiones quae in diversis sacramentis conferuntur, quaedam emanationes sunt illius gratiae de qua nunc loquimur, sicut et virtutes. Sed quia non habent propria nomina, ideo communiter nomine gratiae nuncupantur.

5. La grâce est donnée dans divers sacrements en vue d’effets différents, selon que plusieurs faiblesses sont encourues par le péché et que les grâces sacramentelles sont ordonnées à s’y opposer. C’est pourquoi, de même qu’une vertu diffère d’une autre vertu par le fait qu’elle est ordonnée à un acte différent, de même aussi une grâce sacramentelle diffère-t-elle d’une autre par le fait qu’elle est ordonnée à des effets différents. De même donc qu’une multiplication de la grâce ne découle pas de la multiplication des vertus, de même aussi une multiplication de la grâce dont nous parlons ne découle-t-elle pas de la multiplication des sacrements, car les perfections qui sont conférées par les divers sacrements sont des émanations de la grâce dont nous parlons, comme les vertus. Mais parce qu’elles n’ont pas de noms propres, elles portent d’une manière générale le nom de grâce.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 26

[5870] Super Sent., lib. 2 d. 26 q. 1 a. 6 expos.Haec est gratia operans et cooperans; de qua scilicet supra mentionem fecit cum dixit: ipsa gratia praevenit ut pie vivamus, et subsequitur ut semper cum illo vivamus. Voluntas est animi motus cogente nullo ad aliquid non admittendum vel adipiscendum. Sciendum quod hic non definit voluntatem quae est potentia, sed voluntatem quae est actus: hoc enim commune est fere in omnibus potentiis animae, ut eodem nomine potentia et actus nominetur: et sic fere per totum hic voluntas accipitur. Sed ipsa meretur augeri, ut aucta mereatur et perfici. De augmento gratiae eodem modo potest disputari sicut de augmento caritatis, de quo supra dictum est, 1 Lib., dist. 17. Cetera potest homo nolens; credere autem non nisi volens. Intelligendum est de actibus exterioribus, non autem de interioribus: quia diligere nullus potest nisi volens. Sequitur tardus aut nullus affectus. Iste affectus est per modum operationis praecedentis habitum virtutis: quia ex sola deliberatione rationis procedit: sed affectus perfectus qui delectationem habet est in operatione quae sequitur habitum: quia signum oportet habitus accipere fientem in opere delectationem, ut philosophus dicit.

 

 

 

DISTINCTIO 27

Distinction 27 – [La grâce et la vertu sont-elles des actes ou des qualités de l’esprit ?]

PROOEMIUM

Prologue

[5871] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 pr.Postquam distinxit gratiam in operantem et cooperantem, hic quaerit ad quod genus reducatur, utrum scilicet sit actus vel qualitas mentis; ponens eamdem quaestionem de gratia et virtute: vel quia eadem ratio est de utroque, vel forte quia hujusmodi opinionis fuit quod gratia a virtute non differt. Dividitur autem in partes duas: in prima movet dubitationem; in secunda determinat eam, ibi: hic videndum est quid sit virtus. Ubi etiam secundum quosdam, 27 distinctio incipit. Circa primum duo facit: primo movet quaestionis dubitationem, ibi: ut autem hoc aperte insinuari valeat, praemittendum est, tria esse genera bonorum. Ubi quamdam contrarietatem ex dictis Augustini colligit. Primo enim ponit verba ejus in quibus dicitur, opus virtutis esse bonum usum liberi arbitrii; secundo ibi: quaeritur autem in quibus bonis contineatur liberum arbitrium, ponuntur quaedam verba ejusdem, in quibus dicit, bonum usum liberi arbitrii esse virtutem; quae duo adversantur: quia opus virtutis non est virtus: unde si usus liberi arbitrii est virtus, non est opus virtutis. Hic videndum est, quid sit virtus. Hic determinat dubitationem: et primo determinat secundum unam opinionem, quod virtus, sive gratia, non sit actus; secundo determinat secundum aliorum opinionem, quod virtus sit actus, ibi: alii vero dicunt virtutes esse bonos usus naturalium potentiarum. Prima pars dividitur in duas: in prima ostendit quod virtus seu gratia, non est actus: quo supposito, ostendit secundo, quomodo per gratiam quis mereri dicitur; quod dubium ex praedicta determinatione relinquitur, cum omne meritum in actu consistat, ibi: cum vero ex gratia dicuntur esse bona merita, et incipere; aut intelligitur gratia gratis dans, idest Deus, vel potius gratis data. Circa primum intendit talem rationem. Virtutis causa Deus in nobis est, et non nos. Sed cujuslibet actus nostri causa nos sumus. Ergo nullus actus est virtus. Si ergo gratia est virtus, vel aliquid simile virtuti, gratia non est actus. Circa hoc aliter hoc modo procedit. Primo probat hanc, quod virtutem solus Deus in nobis operetur. Secundo assumit hanc, quod actus quilibet in nobis causatur ex libero arbitrio, ibi: si igitur gratia quae sanat et liberat voluntatem hominis, virtus est (...) consequitur ut virtus non ex libero sit arbitrio. Tertio concludit propositum, ibi: propterea quidam non inerudite tradunt, virtutem esse bonam mentis qualitatem, sive formam, quae animam informat. Primum ostendit tripliciter: primo de virtute in communi per ejus definitionem; secundo de virtute justitiae per auctoritatem Augustini, ibi: sicut de virtute justitiae Augustinus docet; tertio de virtute fidei, quam etiam gratiam nominari dicit, ibi: nam de gratia fidei Ephesiis scribens apostolus, similiter fidem non ex homine, sed ex Deo tantum esse asserit. Cum ergo ex gratia dicuntur esse bona merita, et incipere; aut intelligitur gratia gratis dans, idest Deus, vel potius gratia gratis data. Ostenso quod gratia non sit actus, hic ostendit quomodo per eam quis mereri dicitur; et dividitur in partes duas: in prima ostendit propositum; in secunda ex dictis colligit dubitationis solutionem, ibi: ex praemissis jam innotescere nobis aliquatenus potest, qualiter gratia praeveniens meretur augeri. Circa primum tria facit: primo ostendit quod principaliter causa meriti est gratia; secundo ostendit, quomodo per eam quis mereri dicitur, inquantum videlicet per ejus actum quis meretur, ibi: cum ergo dicitur fides mereri justificationem et vitam aeternam, ex ea ratione dictum accipitur, quia per actum fidei meretur illa; tertio concludit propositum, ibi: ex muneribus itaque virtutum boni sumus. Alii vero dicunt : virtutes esse bonos usus naturalium potentiarum. Hic determinat quaestionem secundum aliam opinionem in contrariam partem; et circa hoc tria facit: primo ponit eorum opinionem; secundo ponit probationes ipsorum, ibi: quod autem virtutes sint motus mentis, testimoniis sanctorum astruunt; tertio ponit responsiones ad illas probationes secundum primam opinionem, ibi: quibus aliis respondentes, praemissa verba Augustini ita intelligenda fore inquiunt. Hic quaeruntur sex: 1 in quo genere sit virtus, utrum scilicet in genere actus, vel habitus; 2 de definitione virtutis quam Augustinus in littera ponit; 3 utrum contingat secundum actum virtutis et gratiae ex condigno vitam aeternam mereri; 4 utrum possit aliquis sibi mereri gratiam; 5 utrum possit aliquis sibi mereri gratiae augmentum; 6 utrum unus possit alii primam gratiam mereri.

Après avoir distingué la grâce en opérante et coopérante, [le Maître] s’interroge ici sur le genre auquel elle se ramène : à uun acte ou à une qualité de l’esprit ? Il pose la même question à propos de la grâce et de la vertu, soit parce que le raisonnement est le même pour les deux, soit peut-être parce qu’il était d’avis que la grâce ne diffère pas de la vertu. Il y a deux parties : dans la première, il soulève un doute ; dans la seconde, il en détermine, à cet endroit : « Ici, il faut voir ce qu’est la vertu. » Là commence aussi la d. 27, selon certains. À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il soulève un doute sur la question, à cet endroit : « Afin de pouvoir suggérer cela ouvertement, il faut d’abord dire qu’il existe trois genres de biens. » Sur ce point, il recueille une contradiction tirée des paroles d’Augustin. En effet, il présente ses paroles, où il est dit que « l’acte de vertu est le bon usage du libre arbitre » ; deuxièmement, à cet endroit : « On se demande en quels biens consiste le libre arbitre », sont présentées des paroles du même [Augustin], où il dit que « la vertu est le bon usage du libre arbitre ». Les deux s’opposent, car l’acte de vertu n’est pas la vertu. Si la vertu est l’usage du libre arbitre, on n’a donc pas besoin de la vertu. « Ici, il faut voir ce qu’est la vertu. » Il détermine ici du doute. Premièrement, il en détermine, selon l’opinion que la vertu ou la grâce n’est pas un acte ; deuxièmement, il en détermine selon l’opinion des autres voulant que la vertu est un acte, à cet endroit : « Mais d’autres disent que les vertus sont les bons usages des puissances naturelles. » La première partie se divise en deux. Dans la première, il montre que la vertu ou la grâce n’est pas un acte ; cela posé, il montre, en second lieu, comment on dit que quelqu’un mérite par la grâce, ce qui reste douteux d’après la détermination précédente, puisque tout mérite consiste [selon elle] dans un acte, à cet endroit : « Mais lorsqu’on dit que les mérites bons viennent ou tirent leur origine de la grâce, on entend par grâce celui qui donne gratuitement, à savoir Dieu, ou plutôt [la grâce] gratuitement donnée. » À propos du premier point, il propose cet argument : Dieu est la cause de la vertu en nous ; or, nous sommes nous-mêmes la cause de notre acte ; si donc la grâce est la vertu ou quelque chose de semblable à la vertu, la grâce n’est pas un acte. À ce propos, il argumente d’une autre manière. Premièrement, il démontre que Dieu seul réalise en nous la vertu. Deuxièmement, il accepte que tous nos actes sont causés en nous par le libre arbitre, à cet endroit : « Si donc la grâce qui guérit et libère la volonté de l’homme est la vertu…, il en découle que la vertu ne vient pas du libre arbitre. » Troisièmement, il conclut, à cet endroit : « Pour cette raison, certains enseignent non sans compétence que la vertu est une bonne qualité de l’esprit, ou une forme qui façonne l’âme. » Il montre le premier point de trois façons. Premièrement, à propos de la vertu en général, par sa définition. Deuxièmement, à propos de la vertu de justice, par une autorité d’Augustin, à cet endroit : « Comme l’enseigne Augustin de la vertu de justice… » Troisièmement, à propos de la vertu de foi, qu’il dit être aussi appelée grâce, à cet endroit : « Car l’Apôtre, en écrivant aux Épéhésiens à propos de la grâce de la foi, affirme que la foi ne vient pas de l’homme, mais de Dieu seulement. Lorsqu’on dit que les mérites bons viennent de la grâce et en tirent leur origine, soit la grâce est entendue de celui qui donne gratuitement, c’est-à-dire Dieu, ou plutôt de la grâce gratuitement donnée. » Après avoir montré que la grâce n’est pas un acte, il montre ici comment on dit de quelqu’un qu’il mérite par elle. Il y a deux parties : dans la première, il montre ce qui est en cause ; dans la deuxième, il tire la solution du doute de ce qui a été dit, à cet endroit : « À partir de ce qui a été dit, on peut voir, dans une certaine mesure, comment la grâce prévenante mérite d’être augmentée. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre que la grâce est la cause principale du mérite. Deuxièmement, il montre comment on dit que, par elle, quelqu’un mérite, dans la mesure où quelqu’un mérite par l’acte de celle-ci, à cet endroit : « Lorsqu’on dit que la foi mérite la justification et la vie éternelle, on l’entend au sens où, par l’acte de la foi, ces réalités sont méritées. » Mais d’autres disent : « Les vertus sont de bons usages des puissances naturelles. » Il détermine ici de la question selon l’opinion contraire. À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il présente leur opinion ; deuxièmement, il présente leurs preuves, à cet endroit : « Que les vertus soient des mouvements de l’esprit, ils le fondent sur des témoignages ses saints » ; troisièmement, il présente les réponses à ces preuves selon la première opinion, à cet endroit : « En répondant aux autres, ils disent que les paroles d’Augustin doivent être comprises ainsi. » Ici, six questions sont posées : 1. Dans quel genre se situe la vertu : dans le genre de l’acte ou de l’habitus ? 2. À propos de la définition de la vertu qu’Augusstin propose dans le texte. 3. Arrive-t-il que, par un acte de la vertu et de la grâce, la vie éternelle soit méritée en justice ? 4. Peut-on mériter la grâce pour soi-même ? 5. Peut-on mériter pour soi-même l’accroissement de la grâce ? 6. Peut-on mériter la première grâce pour un autre ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum virtus sit habitus

Article 1 – La vertu est-elle un habitus ?

[5873] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod virtus non sit habitus. Ultimum enim rei non ponitur in alio genere quam res ipsa. Sed, ut in 1 caeli et Mund. philosophus dicit, virtus est ultimum in re de potentia. Ergo non est in genere habitus, sed in genere potentiae.

1. Il semble que la vertu ne soit pas un habitus. En effet, le point ultime d’une chose n’est pas placé dans un autre genre que la chose elle-même. Or, comme le dit le Philosophe dans Sur le ciel et le monde, I, la vertu est « le point ultime d’une chose faisant paretie de sa puissance ». Elle ne fait donc pas partie du genre de l’habitus, mais du genre de la puissance.

[5874] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, potentiae naturales non sunt magis perfectae quam potentiae rationales. Sed potentiae naturales possunt in suos actus sine habitibus mediis, ut patet in duro et molli. Ergo multo fortius hoc possunt rationales potentiae; ergo virtus vel est potentia, vel est actus.

2. Les puissances naturelles ne sont pas plus parfaites que les puissances raisonnables. Or, les puissances naturelles peuvent exercer leurs actes sans habitus intermédiaires, comme cela est clair pour ce qui est dur et ce qui est mou. Donc, à bien plus forte raison, les puissances raisonnables le peuvent-elles. La vertu est donc soit puissance, soit acte.

[5875] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 3Si dicatur, quod in potentiis rationalibus requiruntur habitus, ut potentiae determinentur ad unum; contra. Potentia determinata ad unum, semper est in suo actu, nec in alteram partem inclinari potest. Sed potentia rationalis perfecta per virtutem moralem, non est semper in suo actu, cum non contingat semper agere, secundum philosophum in 1 de somno et Vigil.; et quamvis etiam esset in aliquo actu, posset nihilominus in contrarium actum inclinari. Ergo potentia rationalis non determinatur ad unum per habitum.

3. Si on dit que des habitus sont requis pour les puissances raisonnables, afin que ces puissances soient déterminées à une seule chose, on opposera que la puissance déterminée à une seule chose pose toujours son acte et ne peut pas être inclinée vers son contraire. Or, la puissance raisonnable perfectionnée par la vertu morale ne pose pas toujours son acte, puisqu’elle ne s’exerce pas toujours, selon le Philosophe, Sur le sommeil et la veille ; et bien qu’elle pose un acte, elle pourrait être inclinée vers un acte contraire. La puissance raisonnable n’est donc pas déterminée à une seule chose par un habitus.

[5876] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, praemium respondet merito. Sed meritum est ipse actus bonus liberi arbitrii. Cum igitur virtuti et gratiae debeatur praemium, videtur quod virtus vel gratia sit actus.

4. La récompense répond au mérite. Or, le mérite est l’acte bon du libre arbitre lui-même. Puisqu’une récompense est due à la vertu et à la grâce, il semble donc que la vertu ou la grâce soit un acte.

[5877] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, medium est ejusdem generis cum extremis. Sed virtus est media inter passiones, ut in 2 Ethic. patet. Ergo videtur quod virtus non sit in genere habitus, sed in genere passionis vel actus; nam et actiones animae passiones dicuntur, ut in 6 Princip. dicitur.

5. Le milieu est du même genre que les extrêmes. Or, la vertu est un milieu entre des passions, comme cela ressort d’Éthique, II. Il semble donc que la vertu ne fasse pas partie du genre de l’habitus, mais du genre de la passion ou de l’acte, car les passions de l’âme sont aussi appelées des actions, comme on le dit dans Sur les principes.

[5878] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 1 s. c. 1In contrarium est quod philosophus in 2 Eth. dicit, quod virtus est habitus electivus in medietate consistens, et cetera.

Cependant, [1] le Philosophe dit, dans Éthique, II, que la vertu est « un habitus électif consistant dans un milieu, etc. »

[5879] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, ex virtutibus sumus boni. Sed bonitatem gratuitam non habemus ex actibus. Ergo virtus et gratia non est actus.

[2] Nous sommes bons par les vertus. Or, nous ne tenons pas de bonté gratuite par nos actes. La vertu et la grâce ne sont donc pas des actes.

[5880] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod cum effectus proportionetur suae causae, oportet actum potentiae rationalis ipsi potentiae proportionatum esse. In actu autem virtutis non solum consideratur substantia ipsius actus, sed etiam modus agendi: non enim qui caste operatur quocumque modo, castus est, sed qui faciliter et delectabiliter, ut ex 1 Eth. habetur. Delectatio autem ex convenientia causatur, sicut et in sensibilibus patet quod conjunctio convenientis cum convenienti facit delectationem. Oportet ergo quod actus virtutis procedat a potentia adaptata et assimilata ad hunc actum. Hoc autem potentia rationalis non habet ex seipsa, cum sit ad utrumlibet. Oportet ergo aliquid potentiae superaddi, ut perfectionem ejus, per quod talem actum educat, undecumque causetur: et hoc dicimus esse habitum virtutis; et ideo dicit philosophus in 2 Ethic., quod signum generati habitus oportet accipere fientem in opere delectationem. Hinc etiam est quod potentia perfecta per habitum virtutis tendit in actum consimilem per modum cujusdam naturae: propter quod dicit Tullius quod virtus est habitus, modo naturae, rationis consentaneus: sicut enim gravitas deorsum tendit, ita castitas casta operatur. Hinc etiam est quod in natura completa, cujus potentia ad malum flecti non potest, non requiritur habitus quo mediante agat, quia ipsa potentia ex seipsa proportionata est ad actum perfectum, ut in Deo patet. Et sic patet quod prima opinio veritatem continet; secunda vero et a dictis sanctorum discordat, et philosophiae non convenit, sed ex quibusdam auctoritatibus prave intellectis ortum habuit.

Réponse. Puisque les effets sont proportionnés à leurs causes, il est nécessaire que l’acte d’une puissance raisonnable soit proportionné à la puissance. Or, dans l’acte vertueux, on ne considère pas seulement la substance de l’acte lui-même, mais aussi la manière d’agir. En effet, n’est pas chaste celui qui agit chastement de n’importe quelle manière, mais qui [le fait] facilement et avec plaisir, comme on le dit dans Éthique, I. Or, le plaisir provient d’une convenance, comme il clair pour les choses sensibles que l’union de ce qui convient à ce qui convient produit le plaisir. Il est donc nécessaire que l’acte de vertu procède d’une puissance adaptée et assimilée à cet acte. Or, la puissance raisonnable ne possède pas cela par elle-même, puisqu’elle porte sur les deux parties [d’une alternative]. Il est donc nécessaire que quelque chose soit ajouté à la puissance pour la perfectionner pour qu’elle produise un tel acte, quelle qu’en soit la cause. C’est ce que nous appelons l’habitus de la vertu. C’est pourquoi le Philosophe dit, Éthique, II, qu’on perçoit le signe d’un habitus engendré par le plaisir de celui qui accomplit l’acte. De là vient aussi que la puissance perfectionnée par l’habitus de la vertu tend à un acte qui lui ressemble à la manière d’une nature. C’est pourquoi Tullius [Cicéron] dit que « la vertu est un habitus qui se conforme à la raison à la manière d’une nature ». En effet, de même que la gravité tend vers le bas, la chasteté accomplit-elle ce qui est chaste. De là vient aussi que, dans une nature complète, dont la puissance ne peut pas être infléchie vers le mal, un habitus n’est pas requis comme intermédiaire de son action, car la puissance elle-même a été par elle-même proportionnée à un acte parfait, comme cela ressort chez Dieu. Il est ainsi clair que la première opinion contient la vérité, mais que la seconde est en désaccord avec les paroles des saints et n’est pas d’accord avec la philosophie, mais tire son origine de certaines autorités mal comprises.

[5881] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod ultimum quod est aliquid rei, non reducitur in aliud genus, sed est in eodem genere, vel per se, sicut ultima pars lineae, vel per reductionem, sicut punctus ad lineam: sic autem virtus non est ultimum potentiae; sed dicitur ultimum ejus per respectum ad actum: quia altissimum in quod potentia elevari potest, est actus quem virtus elicit.

1. Le point ultime qui fait partie d’une chose ne se ramène pas à un autre genre, mais se situe par lui-même dans le même genre, comme la partie ultime de la ligne, ou par réduction, comme le point par rapport à la ligne. Mais la vertu n’est pas ainsi le point ultime d’une puissance ; on dit plutôt qu’elle en est le point ultime par rapport à l’acte, car le point ultime auquel une puissance peut s’élever est l’acte que la vertu suscite.

[5882] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod potentiae naturales sunt determinatae ad suos actus ex seipsis, unde non indigent habitu determinante, sicut potentiae rationales, quae ad utrumlibet sunt.

2. Les puissances naturelles sont déterminées à leurs actes par elles-mêmes ; elles n’ont donc pas besoin d’un habitus qui les détermine, comme les puissances raisonnables qui portent sur les deux parties [d’une alternative].

[5883] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod quidam dicunt, quod virtutes habent quosdam actus qui continui sunt, nec in eis est interpolatio, quamvis a nobis non sentiatur; non enim virtutes posse otiosas esse aestimant. Sed actus est duplex: scilicet primus, ut esse est actus formae; et talis actus virtutis continuus est; manente enim castitate continue manet esse castum; et actus secundus, qui est operatio; et hunc non contingit continuum esse; hic enim actus non tantum est virtutis, sed potentiae quam perficit; sicut nulla forma quae non est per se subsistens, habet operationem praeter communicationem subjecti, nec contingit actum aliquem esse vel operationem ex libero arbitrio, et praecipue cum electione, sine qua virtutis actus esse non potest, quin a nobis percipiatur. Et ideo aliter dicendum est, quod natura potentiae per habitum non tollitur, potentiae autem rationalis natura est ut cogi ad unum non possit; unde etiamsi virtute perficiatur, in ipsa erit agere vel non agere, vel hoc aut contrarium agere; et non oportet quod continue sequatur inclinationem virtutis; habet enim actus virtutis aliquid a potentia, ut scilicet ex necessitate non sit, et aliquid ab habitu, ut scilicet faciliter fiat.

3. Certains disent que les vertus possèdent des actes qui sont continus et qu’on ne peut rien y changer, bien qu’on ne l’éprouve pas. En effet, ils estiment que les vertus ne peuvent pas être inutiles. Mais il existe un double acte. Le premier, comme l’acte d’être, est l’acte de la forme. Un tel acte de la vertu est continu : en effet, aussi longtemps que demeure la chasteté, l’acte d’être chaste demeure de manière continue. [Il existe aussi] un acte second, qui est l’opération ; et il arrive que celui-ci ne soit pas continu. En effet, cet acte n’est pas seulement celui de la vertu, mais aussi de la puissance qu’il perfectionne. Ainsi, aucune forme qui ne subsiste pas par elle-même ne possède une opération différente de la communication du sujet ; il n’arrive pas non plus qu’existe un acte ou une opération provenant du libre arbitre, associé au choix sans lequel il ne peut y avoir d’acte de vertu, sans qu’il ne soit perçu par nous. Il faut donc dire autre chose. La nature d’une puissance n’est pas enlevée par un habitus. Or, la nature de la puissance raisonnable consiste à ce qu’elle ne puisse être forcée à une seule chose. Même si elle est perfectionnée par la vertu, il lui reviendra donc d’agir ou de ne pas agir, ou de faire cela ou son contraire. Et il n’est pas nécessaire qu’elle suive de manière continue l’inclination de la vertu : en effet, l’acte vertueux possède quelque chose de la puissance, à savoir qu’il ne soit pas accomopli de manière nécessaire, et quelque chose de l’habitus, à savoir qu’il soit accompli facilement.

[5884] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod alio modo respondet praemium gratiae et merito: gratiae enim respondet et virtuti sicut ei unde in actu est efficacia merendi; unde secundum quod ex majori gratia procedit actus virtutis, efficacior est in merendo: ipsi autem actui, qui meritum dicitur, respondet sicut ei quo per se meretur; quia, ut in 1 Ethic. dicitur, quemadmodum in Olympiadibus non optimi et fortissimi coronantur, sed agonizantes; horum autem quidam, scilicet qui vincunt; ita et eorum qui in vita bonorum et optimorum operantes, illustres fiunt; quod etiam sententiae apostoli congruit, 2 Timoth - 2, 5: non coronabitur nisi qui legitime certaverit.

4. La récompense répond d’une manière différente à la grâce et au mérite. En effet, elle répond à la grâce et à la vertu comme à ce dont l’acte tire son efficacité pour mériter ; selon que l’acte de vertu procède d’une plus grande grâce, il est donc plus efficace pour mériter. Mais [la récompense] répond à l’acte lui-même, qu’on appelle mérite, comme ce par quoi on mérite, car, ainsi que le dit Éthique, I, « dans les Jeux olympiques, ce ne sont pas les meilleurs et les plus forts qui sont couronnés, mais ceux qui combattent et, parmi eux, ceux qui l’emportent. De même, dans la vie, s’illustrent ceux qui accomplissent ce qui est bien et ce qui est le plus parfait ». Cette position est aussi conforme à celle de l’Apôtre, 2 Tm2, 5 : Ne sera couronné que celui qui aura combatttu selon les règles.

[5885] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod medium dicitur de virtute dupliciter: scilicet essentialiter, et effective. Essentialiter quidem non est medium inter duas passiones, sed inter duos habitus vitiosos, quibus aliqualiter ad passiones nos habemus. Nec hoc est essentiale virtuti, cum aliqua virtus inveniatur quae hoc modo non est medium, scilicet justitia, ut ex 5 Ethic., patet. Justitiae enim quasi aequalitati et medio opponitur abundantia ejus qui plus habet quam justum sit, qui ex hoc ipso injustus est, vitium injustitiae habens; et etiam defectus illius qui defraudatus est, qui defectus vitium in eo non est; et ita justitia non est medium inter duo vitia. Effective vero dicitur medium inter passiones, quia in passionibus medium invenit; unde non oportet quod sit in genere passionis.

5. On parle de milieu de la vertu de deux manières : essentiellement et comme effet. Essentiellement, elle n’est pas un milieu entre deux passions, mais entre deux habitus vicieux, selon lesquels nous nous comportons d’une certaine manière vis-à-vis des passions. Et cela n’est pas non plus nécessaire à la vertu, puisqu’il existe une vertu qui n’occupe pas le milieu de cette manière, la justice, comme cela ressort d’Éthique, V. En effet, à l’égalité et au milieu de la justice s’opposent l’abondance de celui qui possède plus qu’il n’est juste, qui est ainsi injuste, puisqu’il a le vice de l’injustice, et aussi la carence de celui qui a été privé, laquelle n’est pas un vice chez lui. Ainsi, la justice n’est pas le milieu entre deux vices. Mais on dit que [la vertu] est un milieu entre deux vices de manière efficiente parce qu’elle trouve un milieu entre des passions ; aussi n’est-il pas nécessaire qu’elle fasse partie du genre de la passion.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum definitio virtutis posita ab Augustino sit conveniens

Article 2 – La définition de la vertu donnée par Augustin est-elle appropriée ?

[5887] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Augustinus inconvenienter virtutem definiat. Sicut enim in 2 Top. dicitur, nullum genus denominative praedicatur de sua specie. Sed bonitas est genus virtutis; est enim virtus, ut philosophus in 1 Ethic. dicit, qua quis bonus est, et quae opus bonum reddit. Ergo inconvenienter dicitur virtus bona qualitas.

1. Il semble qu’Augustin définisse la vertu de manière inappropriée. En effet, comme il est dit dans Topiques, II, « aucun genre n’est prédiqué à titre de nom de son espèce ». Or, la bonté est le genre de la vertu : en effet, comme le dit le Philosophe, Éthique, I, « la vertu est par quoi on est bon et qui rend l’action bonne ». C’est donc de manière inappropriée qu’on dit de la vertu qu’elle est une qualité.

[5888] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, illud quod transcendit genus, non debet poni ut differentia generis. Sed bonum transcendit genus qualitatis, cum sit convertibile cum ente. Ergo inconvenienter ponitur ut differentia qualitatis, cum dicitur bona qualitas mentis.

2. Ce qui dépasse le genre ne doit pas être mis comme différence du genre. Or, ce qui est bon dépasse le genre de la qualité, puisque cela est convertible avec le l’être. C’est donc de manière inappropriée que cela est mis comme différence d’une qualité, lorsqu’on appelle [la vertu] une qualité bonne de l’esprit.

[5889] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, subjectum quod ponitur in definitione alicujus accidentis, debet esse convertibile cum illo. Sed mens non hoc modo se habet ad virtutem; non enim omnis virtus est in mente sicut in subjecto; sed quaedam in concupiscibili, quaedam in irascibili, et sic de aliis. Ergo inconvenienter ponitur mens ut subjectum commune virtutis in ejus definitione.

3. Le sujet qui est placé dans la définition d’un accident doit être convertible avec lui. Or, l’esprit n’entretient pas ce rapport avec la vertu : en effet, toute vertu ne se trouve pas dans l’esprit comme dans son sujet, mais certaines se trouvent dans le concupiscible, certaines dans l’irascible, et ainsi de suite pour d’autres. L’esprit est donc donné de manière inappropriée comme le sujet commun de la vertu dans sa définition.

[5890] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, illud quod est alicujus speciei proprium, non debet poni in definitione generis. Sed rectitudinem appropriat sibi justitia; unde Anselmus dicit, quod justitia est rectitudo voluntatis propter se servata. Ergo inconvenienter in definitione virtutis communis ponitur: qua recte vivitur.

4. Ce qui est le propre d’une espèce ne doit pas être mis dans la définition du genre. Or, la justice s’approprie la droiture ; aussi Anselme dit-il que « la justice est la rectitude de la volonté gardée pour elle-même ». C’est donc de manière inappropriée qu’on met dans la définition de la vertu commune : « par laquelle on vit correctement. »

[5891] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, quicumque superbit de aliqua re male utitur ea. Sed multi de virtutibus superbiunt; quia, ut Augustinus in regula dicit, superbia etiam bonis operibus insidiatur, ut pereant. Ergo falsum est quod dicitur: qua nullus male utitur.

5. Quiconque s’enorgueillit d’une chose en fait un mauvais usage. Or, beaucoup s’enorgueillissent de leurs vertus, car, ainsi que le dit Augustin dans la Règle, « l’orgueil tend un piège même aux bonnes actions pour les faire périr ». Ce qui est dit est donc faux : « dont personne ne fait un mauvais usage ».

[5892] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 6Praeterea, quicumque recte vivit, non male utitur. Cum ergo dixerit virtutem esse qua recte vivitur, superflue addidit: qua nullus male utitur.

6. Quiconque vit correctement n’utilise pas mal [la vertu]. Lorsqu’on dit que la vertu est « ce par quoi on vit correctement », c’est donc de manière superflue qu’on ajoute : « dont personne ne fait un mauvais usage ».

[5893] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 7Praeterea, Augustinus dicit: qui creavit te sine te, non justificabit te sine te. Sed justificatio non est nisi per virtutem. Ergo falsum est quod sequitur: quam Deus in nobis sine nobis operatur.

7. De plus, Augustin dit : « Celui qui t’a créé sans toi ne te justifiera pas sans toi. » Or, la justification ne se réalise que par la vertu. Ce qui suit est donc faux : « que Dieu réalise en nous sans nous ».

[5894] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 8Praeterea, cuicumque convenit definitio, convenit et definitum. Sed gratia non est virtus, ut supra dictum est; et tamen hujusmodi definitio convenit sibi. Ergo haec non est definitio virtutis.

8. Tout ce à quoi convient une définition convient aussi ce qui est défini. Or, la grâce n’est pas une vertu, comme on l’a dit plus haut. Cependant, une définition de ce genre lui convient. Ce n’est donc pas la définition de la vertu.

[5895] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 9Praeterea, unius rei unica debet esse definitio, sicut et unum esse. Si ergo quaedam aliae definitiones de virtute assignentur, si illae convenientes sunt, videtur quod ista sit incompetens.

9. Il ne doit y avoir qu’une seule définition pour une seule chose, comme il n’y a qu’un seul être. Si donc d’autres définitions de la vertu sont invoquées et que celles-ci sont appropriées, il semble que celle qui est donnée ici ne convienne pas.

[5896] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod Augustinus hic non intendit definire quamlibet virtutem, sed virtutem infusam; et hanc completissime definit, ponendo formalia ipsius, scilicet genus, et differentiam, cum dicit, bona qualitas; et subjectum, quod est materia in qua, cum dicit, mentis; et actum, qui est etiam finis virtutis, cum dicit: qua recte vivitur, et qua nullus male utitur; et causam efficientem, cum dicit: quam Deus in nobis sine nobis operatur.

Réponse. Augustin n’entend pas définir ici n’importe quelle vertu, mais la vertu infuse, et il définit celle-ci de manière très complète en donnant les éléments formels de celle-ci, à savoir, le genre et la différence, lorsqu’il dit : « une bonne qualité »; le sujet, qui est la matière où [elle se trouve], lorsqu’il dit : « …l’esprit » ; l’acte, qui est aussi la fin de la vertu, lorsqu’il dit : « …par laquelle on vit correctement et dont personne ne fait un mauvais usage » ; et la cause efficiente, lorsqu’il dit : « …que Dieu réalise en nous sans nous ».

[5897] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod aliter est in nominibus illis quae exprimunt formas generales, et quae exprimunt formas speciales. Forma enim specialis quae informat subjectum aliquod, non informatur alia forma ejusdem rationis; sicut color non informatur colore, sed forte luce; unde non potest dici color coloratus, sed forte clarus; et similiter nec albedo colorata. Contingit autem quod illud quod est perfectio unius secundum unam rationem, sit perfectum ab alio secundum rationem aliam; sicut lux perficit colorem, et color perficit superficiem, et superficies corpus, cujus terminus est; et ideo perfectio potest dici perfecta; et similiter in omnibus aliis quae exprimunt perfectionem in communi, sicut est hoc nomen bonum; et inde est quod virtus quae dicitur bonitas animae secundum quod perficit eam, potest dici bona secundum quod est perfecta quodam alio, ut ordine ad finem, et regula rationis, a quibus formam habet, et speciem trahit.

1. Il est va autrement pour les noms qui expriment des formes génériques et [pour ceux] qui expriment des formes spécifiques. En effet, la forme spécifique, qui donne sa forme à un sujet, ne reçoit pas de forme de même nature. Ainsi, la couleur ne reçoit pas la forme de la couleur, mais plutôt celle de la lumière ; aussi ne peut-on dire que la couleur est colorée, mais plutôt brillante. De même, la blancheur n’est pas non plus colorée. Mais il arrive que ce qui est la perfection de quelque chose sous un aspect soit perfectionné par quelque chose d’autre sous un autre aspect. Ainsi, la lumière perfectionne la couleur et la couleur perfectionne la surface, et la surface, le corps, dont elle est la limite. Ainsi peut-on dire qu’une perfection est perfectionnée. Il en va de même pour toutes les autres choses qui expriment une perfection d’une manière générale, comme le mot « bien ». De là vient que la vertu, dont on dit qu’elle est une bonté de l’âme selon qu’elle la perfectionne, peut être dite bonne selon qu’elle est perfectionnée par quelque chose d’autre, comme l’ordre à la fin et la règle de la raison, dont elle tient sa forme et tire son espèce.

[5898] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod quamvis bonum convertatur cum ente, tamen quodam speciali modo invenitur in rebus animatis et habentibus electionem, ut in 5 Metaphys. dicitur. Cujus ratio est, quia bonum dicitur ex ratione finis; et ideo quamvis inveniatur in omnibus in quibus est finis, tamen specialius invenitur in illis quae finem sibi praestituunt, et intentionem finis cognoscunt; et inde est quod habitus electivi ex fine speciem sortiuntur; et propter hoc horum habituum bonum et malum sunt differentiae constitutivae, non quidem prout communiter sumuntur, sed per modum jam dictum.

2. Quoique le bien soit convertible avec l’être, il se trouve cependant d’une manière spéciale dans les réalités animées et qui possèdent le choix, ainsi qu’on le dit dans Métaphysique, V. La raison en est qu’on parle de bien par rapport à la fin. C’est pourquoi, bien qu’il se trouve partout où il y a une fin, [le bien] se trouve cependant de manière spéciale dans tout ce qui se donne une fin et connaît l’intention de la fin. De là vient que les habitus électifs tirent leur espèce de la fin. Pour cette raison, le bien et le mal sont les différences constitutives de ces habitus, non pas selon qu’on les entend d’une manière générale, mais de la manière qu’on a déjà dite.

[5899] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod in definitione accidentis non debet poni nisi subjectum ejus. Quamvis autem contingat virtutem in aliqua potentia ut in subjecto esse quae essentialiter mens non est, non tamen habet quod sit subjectum virtutis, nisi inquantum aliquid mentis et rationis participat; unde philosophus in 1 Ethic. dicit, quod rationale est subjectum virtutis, vel rationale essentialiter, vel rationale per participationem.

3. Dans la définition d’un accident, on ne doit mettre que son sujet. Bien qu’il arrive qu’une vertu se trouve comme dans son sujet dans une puissance qui n’est pas par essence l’esprit, [cette puissance] ne fait en sorte d’être le sujet de la vertu que si elle participe à quelque chose de l’esprit et de la raison. Aussi le Philosophe dit-il, Éthique, I, que « ce qui est raisonnable est le sujet de la vertu, soit ce qui est raisonnale par essence, soit ce qui est raisonnable par participation ».

[5900] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod Anselmus videtur definire justitiam, non quae est specialis virtus, sed justitiam generalem, quae a philosopho legalis dicitur, et est idem subjecto cum virtute, differens ratione tantum, ut ex 5 Ethic. patet. Si tamen pro justitia speciali sumatur, sciendum est, quod rectitudo potest accipi dupliciter: vel secundum commensurationem rei ad rem; et sic rectitudinem vindicat sibi justitia, quae aequalitatem in datis et acceptis constituit, ut in 5 Ethic. dicitur, aut secundum commensurationem actus ad finem, et ad judicium rationis; et sic rectitudo cuilibet virtuti convenit, et ita sumitur hic.

4. Anselme semble définir la justice, non comme une vertu spéciale, mais comme une vertu générale, qui est appelée [justice] légale par le Philosophe, et qui a le même sujet que la vertu, n’en différant que par la raison seulement, comme cela ressort d’Éthique, V. Cependant, si on l’entend de la justice spéciale, il faut savoir que la rectitude peut s’entendre de deux manières : soit selon l’adéquation entre une chose et une autre, et ainsi la justice revendique pour elle-même la rectitude, qui constitue l’égalité dans les choses données et reçues, comme on le dit dans Éthique, V ; soit selon l’adéquation d’un acte à la fin et au jugement de la raison, et ainsi la rectitude convient à n’importe quelle vertu. C’est ainsi qu’elle est entendue ici.

[5901] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod uti aliquo dicitur dupliciter: vel sicut forma, quae est principium usus: et hoc modo virtute nullus male utitur, quia ex hoc ipso quod est usus a virtute procedens, malus esse non potest: vel sicut objecto; et hoc modo virtutibus male uti contingit, sicut patet de illis qui de eis superbiunt.

5. Faire usage de quelque chose se dit de deux manières. Soit comme d’une forme, qui est le principe de l’usage, et, de cette manière, personne ne peut faire un mauvais usage de la vertu, car par le fait même que l’usage vient de la vertu, il ne peut être mauvais. Soit comme d’un objet, et, de cette manière, il arrive qu’on fasse mauvais usage des vertus, comme cela ressort chez ceux qui s’en enorgueillissent.

[5902] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 ad 6Ad sextum dicendum, quod recte vivere contingit duobus, scilicet virtute, et libero arbitrio; sed libero arbitrio contingit male uti: et ideo ad differentiam ejus additur, qua nemo male utitur; quamvis enim qui recte vivit, non male utatur, tamen quomodocumque recte vivere tale est ut eo nullus male utatur.

6. Vivre correctement vient de deux choses : de la vertu et du libre arbitre. Or, il arrive qu’on fasse un mauvais usage du libre arbitre. C’est pourquoi on ajoute à sa différence : « …dont personne ne fait un mauvais usage ». En effet, bien que celui qui vit correctement n’en fasse pas un mauvais usage, cependant, quelle que soit la manière de vivre correctement, elle est telle que personne n’en fait un mauvais usage.

[5903] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 ad 7Ad septimum dicendum, quod Deus non justificat nos sine nobis consentientibus: quia non cogit ad virtutem, ut Damascenus dicit. Justificat tamen nos sine nobis virtutem causantibus.

7. Dieu ne nous justifie pas sans notre consentement, car « il ne force pas à la vertu », comme le dit [Jean] Damascène. Il nous justifie cependant sans que ne nous causions la vertu.

[5904] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 ad 8Ad octavum dicendum, quod si stricte accipiatur haec definitio, gratiae non convenit: quia per hoc quod dicitur: qua recte vivitur, ostenditur virtus esse principium rectae operationis; non enim sumitur hic recte vivere, secundum quod est esse viventis, sed secundum quod est operatio rei vivae. Gratia autem non est principium recti operis, nisi mediante virtute; et ideo non est illud quo immediate recte vivitur.

8. Si l’on entend cette définition au sens strict, elle ne convient pas à la grâce, car, lorsqu’on dit : « …par laquelle on vit correctement », on montre que la vertu est le principe de l’opération droite. En effet, on n’entend pas ici « vivre correctement » de l’être du vivant, mais de l’opération de la réalité vivante. Mais la grâce n’est principe d’une action droite que par la médiation de la vertu. C’est pourquoi elle n’est pas de manière immédiate ce par quoi on vit correctement.

[5905] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 2 ad 9Ad nonum dicendum, quod si accipiatur definitio rei quae complectitur totum esse rei, secundum quod ex omnibus causis constituitur, quae est perfecta definitio, tunc unius rei non potest esse nisi una definitio. Dicta autem definitio virtutis complectitur omnes causas ejus, ut dictum est; inveniuntur autem et aliae quae aliquas harum exprimunt, sicut illa philosophi: habitus electivus in medietate consistens etc. quae exprimit formalia virtutis, et actum ejus; et illa quae est in 7 Phys.: dispositio perfecti ad optimum, exprimit ordinem ad finem: et diversae descriptiones, diversas conditiones virtutis exprimunt; et sic non est inconveniens, si de virtute plures definitiones dantur.

9. Si on entend par définition d’une chose ce qui comprend tout l’être d’une chose, selon qu’elle est constituée de toutes ses causes, ce qui est sa définition parfaite, il ne peut alors y avoir qu’une seule définition d’une chose. Or, ladite définition de la vertu comprend toutes ses causes, ainsi qu’on l’a dit. On en trouve d’autres qui expriment certaines d’entre elles, comme celle du Philosophe : « Un habitus électif se situant au milieu, etc. » : elle exprime les éléments formels de la vertu et son acte ; et celle qui se trouve dans Physique, VII : « Une disposition de ce qui est parfait à ce qui est le meilleur », qui exprime l’ordre à la fin ; et diverses descriptions expriment différentes conditions de la vertu. Ainsi, il n’est pas inapproprié que plusieurs définitions soient données de la vertu.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum aliquis possit mereri ex condigno vitam aeternam per actus virtutis

Article 3 – Quelqu’un peut-il mériter en justice la vie éternelle par des actes vertueux ?

[5907] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod aliquis non possit ex condigno vitam aeternam mereri per actus virtutis. Primo per id quod habetur ad Rom. 8, 18: non sunt condignae passiones hujus temporis ad futuram gloriam quae revelabitur in nobis. Sed per passiones quas sancti sustinent maxime merentur. Ergo videtur quod nullus ex condigno vitam aeternam mereatur.

1. Il semble que quelqu’un ne puisse mériter en justice la vie éternelle par des actes vertueux. Premièrement, selon ce qu’on trouve en Rm 8, 18 : Les souffrances de ce temps ne sont pas comparables [condignae] à la gloire à venir, qui sera révélée en nous. Or, les saints méritent surtout par les souffrances qu’ils endurent. Il semble donc que personne ne puissance mériter la vie éternelle en justice.

[5908] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, condignum importat aequalitatem dignitatis. Sed impossibile est quod actus humanus aequetur in dignitate praemio vitae aeternae, quod est ipse Deus. Ergo videtur quod nullus ex condigno vitam aeternam mereri possit.

2. Ce qui est juste [condignum] comporte une égalité de dignité. Or, il est impossible qu’un acte humain soit égal en dignité à la récompense de la vie éternelle, qui est Dieu lui-même. Il semble donc que personne ne puisse mériter la vie éternelle en justice.

[5909] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, ille qui reddit quod debet, non meretur ulterius praemium. Sed homo bene operans reddit quod debet, ut dicitur Luc. 17, 10: cum feceritis omnia quae praecepta sunt vobis, dicite: servi inutiles sumus; quod debuimus facere, fecimus. Ergo videtur quod nullus ex condigno, recte vivendo, vitam aeternam mereatur.

3. Celui qui rend ce qu’il doit ne mérite pas d’autre récompense. Or, en agissant bien, l’homme rend ce qu’il doit, comme il est dit en Lc 17, 10 : Lorsque vous aurez accompli tout ce qui vous a été ordonné, dites : « Nous sommes des serviteurs inutiles ; ce que nous devions faire, nous l’avons fait ! » Il semble donc que personne, en vivant correctement, ne mérite la vie éternelle en justice.

[5910] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, a quocumque quis meretur, ille debitor sibi efficitur; quia praemium merito debetur. Sed Deus non potest effici debitor. Ergo apud ipsum nihil ex condigno mereri possumus.

4. Quel que soit celui dont quelqu’un mérite, celui-ci devient redevable envers lui, car une récompense est due au mérite. Or, Dieu ne peut devenir redevable. Nous ne pouvons donc rien mériter de lui en justice.

[5911] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, nullus meretur praemium apud eum qui ejus opere nec juvatur, nec juvari potest. Sed Deus nostris bonis operibus non juvatur, quia bonorum nostrorum non eget, ut in Psal. 15 dicitur. Ergo videtur quod apud ipsum mereri non possumus.

5. Personne ne mérite une récompense de celui qu’il n’aide pas par son action, ni ne peut en être aidé. Or, Dieu n’est pas aidé par nos actions bonnes, car il n’a pas besoin de nos biens, comme il est dit dans Ps 15. Il semble donc que nous ne puissions mériter de sa part.

[5912] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra, nihil ex justo judicio redditur, nisi quod quis meretur. Sed vita aeterna corona justitiae dicitur, quia pro ea redditur ex justo judicio, sicut depositum redditur; 2 Timoth. 4, 8: in reliquo reposita est mihi corona justitiae, quam reddet mihi dominus in illa die justus judex. Ergo aliquis coronam justitiae meretur.

Cependant, [1] rien n’est rendu par un jugement juste que ce que l’on mérite. Or, la vie éternelle est appelée une couronne de justice, car elle est rendue par un juste jugement, comme un dépôt est rendu, 2 Tm 4, 8 : Au reste, une juste couronne m’a été donnée en retour, que le Seigneur, en juge juste, me rendra ce jour-là. On peut donc mériter une couronne de justice.

[5913] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, sicut se habet culpa ad poenam, ita et opus virtutis ad gloriam. Sed culpa ex condigno poenam aeternam meretur. Ergo et actus virtutis ex condigno vitam aeternam meretur.

[2] Le rapport entre la faute et la peine est le même qu’entre l’action vertueuse et la gloire. Or, la faute mérite en justice une peine éternelle. L’action vertueuse aussi mérite donc en justice la vie éternelle.

[5914] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt duae opiniones. Quidam enim dicunt, quod aliquis vitam aeternam non potest mereri ex condigno, sed ex congruo. Alii vero dicunt, quod etiam ex condigno potest quis vitam aeternam mereri per actus virtutum. Dicitur autem aliquis mereri ex condigno, quando invenitur aequalitas inter praemium et meritum, secundum rectam aestimationem; ex congruo autem tantum, quando talis aequalitas non invenitur, sed solum secundum liberalitatem dantis munus tribuitur quod dantem decet. Videntur autem utrique quantum ad aliquid verum dicere. Est enim duplex aequalitas, scilicet aequalitas quantitatis, et aequalitas proportionis. Secundum quantitatis aequalitatem ex actibus virtutum vitam aeternam ex condigno non meremur: non enim tantum bonum est in quantitate actus virtutis, quantum praemium gloriae, quod est finis ejus. Secundum autem aequalitatem proportionis ex condigno meremur vitam aeternam. Attenditur enim aequalitas proportionis, quando aequaliter se habet hoc ad illud, sicut aliud ad alterum. Non autem majus est Deo vitam aeternam tribuere, quam nobis actum virtutis exhibere; sed sicut hoc congruit huic, ita illud illi: et ideo quaedam proportionis aequalitas invenitur inter Deum praemiantem et hominem merentem; dum tamen praemium referatur ad idem genus in quo est meritum: ut si praemium est quod omnem facultatem humanae naturae excedit, sicut vita aeterna, meritum etiam sit per talem actum in quo refulgeat bonum illius habitus qui divinitus infunditur, Deo nos consignans. Illi tamen qui dicunt nos ex condigno vitam aeternam posse mereri, verius dicere videntur. Cum enim sit duplex species justitiae, ut in 5 Ethic. philosophus dicit, scilicet justitia distributiva, et commutativa, quae est in contractibus, ut in emptione, et venditione, justitia commutativa respicit aequalitatem arithmeticam, quae tendit in aequalitatem quantitatis: justitia vero distributiva aequalitatem respicit geometricam, quae est aequalitas proportionis. In redditione autem praemii ad merita magis servatur forma distributionis, cum ipse unicuique secundum opera sua reddat, quam commutationis, cum Deus a nobis nihil accipiat; quamvis a sanctis quandoque inveniatur metaphorice dictum, quod bonis operibus regnum caelorum emitur, inquantum Deus accipit opera nostra, ut acceptans ea: et ideo verius dicitur quod ex condigno meremur quam quod non ex condigno.

Réponse. À ce sujet, il y a deux opinions. En effet, certains disent qu’on ne peut mériter la vie éternelle en justice (ex condigno), mais selon une convenance (ex congruo). Mais d’autres disent que l’on peut mériter aussi en justice (ex condigno) la vie éternelle par des actions vertueuses. Or, on dit que l’on mérite en justice lorsqu’on trouve une égalité entre la récompense et le mérite, selon une estimation correcte ; mais, selon une convenance seulement, lorqu’on ne trouve pas une telle égalité, mais qu’une récompense est accordée seulement en vertu de la libéralité qui convient à celui qui donne. Or, les deux [positions] semblent affirmer quelque chose de vrai sous un aspect. En effet, il existe une double égalité : l’égalité de quantité et l’égalité de proportion. Selon l’égalité de quantité, nous ne méritons pas en justice la vie éternelle par des actes vertueux. En effet, il n’y a pas autant de bien dans la quantité d’un acte vertueux que dans la récompense de la gloire, qui est sa fin. Mais, selon une égalité de proportion, nous méritons en justice la vie éternelle. En effet, on relève une égalité de proportion lorsqu’une chose a avec une autre chose le même rapport qu’une autre chose avec une autre chose. Or, il n’est pas plus grand pour Dieu d’accorder la vie éternelle que pour nous d’accomplir un acte vertueux, mais, de même que cela convient à cela, de même l’autre chose [convient-elle] à telle autre chose. On trouve ainsi une certaine égalité de proportion entre Dieu qui récompense et l’homme qui mérite, à condition cependant que la récompense se rapporte au même genre que le mérite – par exemple, si la récompense dépasse toute capacité de la nature humaine, comme la vie éternelle, le mérite devra aussi être obtenu par un acte dans lequel resplendira le bien de l’habitus qui est infusé par Dieu, qui nous marque pour Dieu. Cependant, ceux qui disent que nous pouvons mériter la vie éternelle en justice semblent tenir un langage plus vrai. En effet, puisqu’il existe une double espèce de justice, comme le dit le Philosophe, Éthique, V : la justice distributive et la justice commutative, qui existe dans les contrats, comme dans l’achat et la vente, la justice commutative concerne l’égalité mathématique, qui tend à l’égalité de la quantité. Mais la justice distributive concerne l’égalité géométrique, qui est une égalité de proportion. Or, lorsqu’une récompense est rendue pour des mérites, on respecte plutôt une forme de distribution, alors que [Dieu] rend à chacun selon ses œuvres, qu’une sorte de contrat, puisqu’il ne reçoit rien de nous. Cependant, des saints disent parfois, en parlant métaphoriquement, que le ciel est acheté par les bonnes actions, dans la mesure où Dieu accueille nos œuvres en les acceptant. C’est pourquoi il est plus vrai de dire que nous méritons en justice que nous [ne méritons] pas en justice.

[5915] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod apostolus per dictum suum intendit excludere aequalitatem quantitatis; quia non est tanta acerbitas praesentium passionum quam gaudium futurae gloriae.

1. Par sa parole, l’Apôtre entend exclure une égalité selon la quantité, car la dureté des souffrances présentes n’est pas aussi grande que la joie de la gloire à venir.

[5916] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod non requiritur ad condignitatem distributivae justitiae aequalitas quantitatum, sed proportionis tantum, ut dictum est.

2. Une égalité de quantité n’est pas nécessaire pour le caractère comparable de la justice distributive, mais [une égalité] de proportion seulement, ainsi qu’on l’a dit.

[5917] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod etiam reddendo quod debet, meretur aliquis: in hoc enim aliquis apud Deum meretur in quo etiam vitae laudabilis apud homines constituitur. Actus autem justitiae est laudabilis, sicut et aliarum virtutum; unde etiam actus justitiae meritorius est quamvis quidam hoc quondam negaverunt et tamen actus justitiae in redditione debiti, etiam quod homini debetur, consistit; quamvis enim illud quod reddit, quod debitum est alteri, suum non sit; nihilominus tamen modus operationis in quo fundatur, et jus merendi, et laus, ipsius reddentis est, qui voluntarie et propter bonum justitiae reddit.

3. Même en rendant ce qu’on doit, on mérite. En effet, on mérite auprès de Dieu par ce qui rend aussi sa vie louable auprès des hommes. Or, un acte de justice est louable, comme l’est aussi celui des autres vertus. Un acte de justice aussi est donc méritoire, bien que certains l’aient autrefois nié ; pourtant, l’acte de justice consiste à rendre ce qui est dû, même ce qui est dû à un homme. Bien que ce qui est rendu et qui est dû à un autre ne nous appartienne pas, la manière d’agir sur laquelle se fondent le droit du mérite et la louange relève de celui qui rend, et qui rend volontairement et en raison du bien de la justice.

[5918] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod Deus non efficitur debitor nobis, nisi forte ex promisso, quia ipse bona operantibus praemium repromisit: et ideo non est inconveniens, si ab ipso quis mereri possit, ex quo aliquo modo debitor est. Vel dicendum, quod in justitia commutativa ille apud quem quis meretur, efficitur debitor ei qui meretur, ut patet in illis qui operationes suas locant in servitium aliorum; sed in justitia distributiva non requiritur ratio debiti ex parte ejus qui distribuit: potest enim ex liberalitate aliqua distribuere, in quorum tamen distributione justitia exigitur, secundum quod diversis, prout eorum gradus exigit, proportionabiliter tribuit.

4. Dieu ne devient notre débiteur qu’en vertu d’une promesse, car il a lui-même promis de récompenser ceux qui agissent bien. Il n’est donc pas inapproprié que quelqu’un puisse mériter de lui, raison pour laquelle il est débiteur d’une certaine manière. Ou bien il faut dire que, dans la justice commutative, celui dont quelqu’un mérite devient débiteur de celui qui mérite, comme cela apparaît chez ceux qui mettent leurs opérations au service des autres ; mais, dans la justice distributive, la raison de dette n’est pas nécessaire de la part de celui qui distribue. En effet, il peut distribuer certaines choses par libéralité. Cependant, dans la distribution de ces choses, la justice est exigée, du fait qu’il attribue proportionnellement à chacun selon que l’exige son degré.

[5919] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod illud tenet in justitia commutativa, sed in distributiva non est necessarium.

5. Cela vaut pour la justice commutative, mais n’est pas nécessaire pour la justice distributive.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum aliquis possit mereri gratiam

Article 4 – Peut-on mériter la grâce ?

[5921] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod aliquis gratiam mereri possit. Justificatio enim non fit nisi per gratiam. Sed in littera dicitur, quod fides meretur justificationem. Ergo per actum fidei aliquis gratiam meretur.

1. Il semble qu’on puisse mériter la grâce. En effet, la justification ne se réalise que par la grâce. Or, il est dit dans le texte que la foi mérite la justification. On mérite donc la grâce par un acte de foi.

[5922] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 2Praeterea, aliquis bene utendo re temporali quam ab aliquo domino accepit, meretur rem prius acceptam, ut equum, aut aliquid hujusmodi. Sed usus gratiae non est minoris efficaciae in merendo quam usus rei temporalis. Ergo aliquis bene utens gratia quam accepit, ipsam meretur.

2. En faisant bon usage d’une chose temporelle reçue de son maître, quelqu’un mérite la chose d’abord reçue, tel un cheval, ou quelque chose de ce genre. Or, l’usage de la grâce n’est pas moins efficace pour mériter que l’usage d’une chose temporelle. En faisant bon usage de la grâce reçue, on la mérite donc.

[5923] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 3Praeterea, oratio qua quis orat pro se et de his quae expediunt ad salutem, meretur exaudiri a Deo, ut Augustinus dicit. Sed si aliquis in gratia existens oret ut si contingat eum a gratia decidere gratia sibi reddatur, pro se petit maxime expediens ad salutem. Ergo meretur gratiam recuperare.

3. La prière que quelqu’un fait pour lui-même et qui porte sur ce qui est utile au salut mérite d’être entendue par Dieu, comme le dit Augustin. Or, si quelqu’un qui est en grâce, demande que, s’il lui arrive de perdre la grâce, la grâce lui soit rendue, il demande pour lui-même quelque chose qui est au plus haut point utile au salut. Il mérite donc de retrouver la grâce.

[5924] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 4Praeterea, si Deus dat alicui gratiam, aut dat digno, aut indigno. Si dat indigno, insipiens et injustus est, quod impossibile est. Ergo dat digno. Sed nullus est dignus habere aliquid, nisi qui hoc meruit. Ergo quicumque accipit gratiam prius meruit eam.

4. Si Dieu donne à quelqu’un la grâce, soit il [la] donne à celui qui en est digne, soit à celui qui en est indigne. S’il la donne à celui qui en est indigne, il manque de sagesse et il est injuste, ce qui est impossible. Il la donne donc à celui qui en est digne. Or, personne n’est digne de recevoir quelque chose que s’il l’a mérité. Quiconque reçoit la grâce l’a donc d’abord méritée.

[5925] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 5Praeterea, non est minor ordo justitiae apud Deum in distributione gratiae quam in distributione bonorum naturalium. Sed Plato dicit, quod formae non dantur a datore, nisi secundum merita naturae. Ergo nec gratia infunditur nisi secundum merita recipientium.

5. L’ordre de la justice en Dieu pour ce qui est de la distribution de la grâce n’est pas inférieur à [l’ordre de la justice] pour la distribution des biens naturels. Or, Platon dit que les formes ne sont données par celui qui les donne que selon les mérites naturels. La grâce non plus n’est donc infusée que selon les mérites de ceux qui la reçoivent.

[5926] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 4 s. c. 1Sed contra, illud quod meritis redditur, non gratis datur. Sed quod gratis non datur non est gratia. Ergo gratia meritis non redditur.

Cependant, [1] ce qui est rendu pour des mérites n’est pas donné gratuitement. Or, ce qui n’est pas donné gratuitement n’est pas la grâce. La grâce n’est donc pas rendue pour des mérites.

[5927] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 4 s. c. 2Praeterea, illud quod est principium omnis meriti, non cadit sub merito. Sed gratia est hujusmodi. Ergo et cetera.

[2] Ce qui est le principe de tout mérite n’est pas soumis au mérite. Or, la grâce est de cette sorte. Donc, etc.

[5928] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod in omni qui meretur, exigitur ut actus ejus sit aliquo modo proportionatus ad id quod meretur: nullus enim meretur nisi id quod secundum suam conditionem potest eum contingere; sicut servus non meretur a domino ut in hereditatem filiorum admittatur, sed ut mercedem suam recipiat. Gratia vero omnino conditionem humanae naturae excedit: quod patet ex ejus effectu, quia ducit in finem quem nulla creata natura per se attingere potest, propter quod dicitur 1 Cor. 2, 9: quod oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit quae praeparavit Deus iis qui diligunt illum. Unde donum gratiae nullo modo sub merito cadere potest ejus qui in puris naturalibus est, et multo minus ejus qui in peccato deprimitur. Sed tamen opera bona ante donum gratiae facta, praemio suo sibi proportionato non carent: causant enim quamdam habilitatem ad gratiam, et secum etiam quamdam honestatem et jucunditatem et pulchritudinem habent, in quibus praecipue eorum praemium consistit; et aliqua etiam per accidens causant, ut bonorum temporalium affluentiam, aut aliquid hujusmodi: quia frequenter, ut Gregorius dicit, Deus in hoc mundo remunerat eum qui praemium futurae gloriae non meretur, ut sic nullum bonum irremuneratum inveniatur.

Réponse. Pour tous ceux qui méritent, il est requis que leur acte soit d’une certaine manière proportionné à ce qui est mérité. En effet, personne ne mérite que ce qui peut lui arriver selon sa condition ; ainsi, le serviteur ne mérite pas de son maître d’être admis à l’héritage des fils, mais de recevoir sa récompense. Or, la grâce dépasse complètement la condition de la nature humaine, ce qui ressort dans son effet, car elle mène à une fin qu’aucune nature créée ne peut atteindre par elle-même. C’est la raison pour laquelle il est dit en 1 Co 2, 9 : Ce que l’œil n’a pas vu ni l’oreille entendu, ce qui n’est pas monté dans le cœur de l’homme, et que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Le don de la grâce ne peut donc d’aucune manière être soumis au mérite de celui qui se trouve dans sa pure condition naturelle, et encore moins de celui qui est abaissé par le péché. Cependant, les bonnes actions qui ont été accomplies avant le don de la grâce ne sont pas privées d’une récompense qui leur est proportionnée. En effet, elles causent une certaine aptitude à la grâce et comportent par elles-mêmes une noblesse, une joie et une beauté dans lesquelles leur récompense consiste principalement ; certaines causent aussi par accident une abondance de biens temporels ou quelque chose de ce genre, car « souvent, comme le dit Grégoire, Dieu récompense en ce monde celui qui ne mérite pas la récompense de la gloire à venir, de sorte que personne ne se trouve ainsi privé de récompense.

[5929] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod pro tanto fides dicitur mereri justificationem, quia in justificatione primo apparet motus fidei: oportet enim accedentem ad Deum credere quia est; Hebr. 11, 6. Non autem ita quod justificatio sub merito cadat.

1. On dit que la foi mérite la justification pour autant que, dans la justification, un mouvement de foi apparaît en premier : il faut en effet que celui qui s’approche de Dieu croie qu’il existe, He 11, 6. Mais [on ne dit pas pas] que la justification est ainsi soumise au mérite.

[5930] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod in justitia commutativa contingit quandoque quod praemium, vel id quod est loco praemii, praecedat meritum, ut patet in emptione et venditione: qui enim rem emptam prius accipit quam pretium solvat, quodammodo praemium ante meritum accipit; quod etiam magis patet in eo qui prius accipit praemium laboris sui quam laborem impendat in obsequium alicujus. In justitia autem distributiva hoc non potest accidere, eo quod ibi praemium redditur secundum gradum et dignitatem personae; et ideo secundum illud quod praecedit meritum, oportet quod praemium attendatur, ex quo quidam constituitur in tali dignitate. Unde cum gratia per modum justitiae distributivae diversis hominibus a Deo detur, non potest esse quod aliquis ex sequentibus actibus mereatur gratiam prius acceptam.

2. Dans la justice commutative, il arrive parfois que la récompense ou ce qui tient lieu de récompense précède le mérite, comme cela ressort dans l’achat et la vente. En effet, celui qui reçoit une chose achetée avant d’en avoir acquitté le prix reçoit d’une certaine manière la récompense avant le mérite. Et cela ressort encore davantage chez celui qui reçoit le salaire de son travail avant d’avoir accompli le travail au service de quelqu’un. Mais, pour la justice distributive, cela ne peut pas arriver, du fait que la récompense y est donnée selon le degré et la dignité de la personne. Il faut donc envisager la récompense selon ce qui précède le mérite, par quoi quelqu’un est établi dans une telle dignité. Puisque la grâce est donnée par Dieu aux différents hommes par mode de justice distributive, il ne peut donc arriver que quelqu’un mérite par des actes subséquents la grâce reçue.

[5931] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod qui sic orat, non meretur sibi gratiam restitui post amissionem: quia per sequens peccatum oratio praecedens mortificatur, sicut et alia bona merita; nec oratio efficax est ad petendum, quia non instanter orat, sed orationem peccando interrumpit.

3. Celui qui prie de cette manière ne mérite pas que la grâce lui soit rendue après avoir été perdue, car la prière qui précède est rendue morte par un péché subséquent, ainsi que les autres mérites bons ; et la prière n’est pas non plus efficace comme demande, car il ne prie pas avec insistance, puisqu’il interrompt sa prière pour pécher.

[5932] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod indignum potest sumi dupliciter. Vel negative tantum; et sic Deus dat gratiam indignis, quia his qui non sunt sufficienter ad hoc digni, sed tamen habent aliquam dispositionem ad recipiendum, ex quo dicuntur quodammodo ex congruo gratiam mereri; nec ex hoc sequitur quod sit injustus, sed liberalis. Vel sumitur contrarie, ut dicantur indigni qui habent voluntatem resistentem gratiae; et talibus gratiam non infundit, quia ad virtutem non cogit, ut Damascenus dicit.

4. « Indigne » peut s’entendre de deux manières. Négativement seulement, et ainsi Dieu donne sa grâce à des indignes, car [il la donne] à ceux qui n’en sont pas suffisamment dignes, tout en ayant une certaine disposition à la recevoir. On dit ainsi qu’ils méritent la grâce par convenance (ex congruo). Et il n’en découle pas que [Dieu] soit injuste, mais qu’l est libéral. Ou bien on l’entend en sens contraire, de sorte que sont appelés indignes ceux qui possèdent une volonté qui résiste à la grâce. [Dieu] n’infuse pas la grâce chez ceux-là, car « il ne force pas à la vertu », comme le dit [Jean] Damascène.

[5933] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod potentia materiae est proportionata ad receptionem formae; ideo dispositiones ipsius et habilitates convenienter possunt merita nominari. Sed gratia excedit omnem proportionem naturae; unde actus naturales non possunt merita respectu gratiae dici, sed dispositiones remotae tantum.

5. La puissance de la matière est proportionnée à la réception de la forme ; aussi les dispositions et les aptitudes de celui-là peuvent-elles être appelées des mérites. Mais la grâce dépasse toute proportion de la nature ; aussi les actes naturels ne peuvent-ils être appelés des mérites eu égard à la grâce, mais seulement des dispositions éloignées.

 

 

ARTICULUS 5 Utrum aliquis possit mereri augmentum gratiae

Article 5 – Peut-on mériter une augmentation de la grâce ?

[5935] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur quod aliquis non possit gratiae augmentum mereri. Efficacia enim merendi attenditur secundum quantitatem radicis. Sed si aliquis per actum minoris gratiae majorem gratiam meretur, efficacia merendi excederet radicem gratiae. Ergo non contingit augmentum gratiae mereri.

1. Il semble que l’on ne puisse pas mériter l’augmentation de la grâce. En effet, l’efficacité du mérite se prend de la quantité de sa racine. Or, si quelqu’un mérite une grâce plus grande par l’acte d’une grâce moins grande, l’efficacité du mérite dépassera la racine de la grâce. Il ne se peut donc pas qu’une augmentation de la grâce soit méritée.

[5936] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 5 arg. 2Praeterea, quilibet actus meritorius meretur hoc quod sub merito cadit. Si ergo contingit augmentum gratiae mereri, sequitur quod quolibet actu meritorio gratia augmentabitur; quod falsum est.

2. Tout acte méritoire mérite ce qui est objet de mérite. Si donc une augmentation de la grâce peut être méritée, il en découle que la grâce sera augmentée par tout acte méritoire, ce qui est faux.

[5937] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 5 arg. 3Praeterea, ex eisdem principiis ex quibus aliquid innascitur, et augmentatur. Cum igitur principium gratiae sub merito non cadat, videtur quod nec augmentum ejus.

3. Une chose est augmentée par les mêmes principes dont elle est issue. Puisque le commencement de la grâce n’est pas objet de mérite, il semble donc que son augmentation ne le soit pas non plus.

[5938] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 5 arg. 4Praeterea, nullus meretur illud quod est in ejus potestate. Sed in potestate habentis gratiam est ut non tantum in eo quod est persistat, sed ut in melius proficiat. Ergo ipsum profectum gratiae non contingit mereri.

4. Personne ne mérite ce qui est en son pouvoir. Or, il est au pouvoir de celui qui possède la grâce, non seulement de persister dans ce qu’il est, mais de progresser vers mieux. Il ne se peut donc pas qu’on mérite un progrès de la grâce.

[5939] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 5 arg. 5Praeterea, actus remuneratus non expectat ulterius praemium. Sed si contingeret augmentum gratiae mereri, gratia augmentata actus ille remuneratus foret. Ergo ei ulterius praemium non deberetur, quod est inconveniens.

5. L’acte rémunéré n’attend pas en plus une récompense. S’il se faisait que l’augmentation de la grâce fût méritée, la grâce augmentée serait un tel acte rémunéré. Il ne lui serait donc pas dû une récompense supplémentaire, ce qui est inapproprié.

[5940] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 5 s. c. 1Sed contra est, quod Augustinus dicit, quod gratia meretur augeri ut aucta mereatur et perfici; et ita augmentum gratiae sub merito cadit.

Cependant, [1] Augustin dit que « la grâce mérite d’être augmentée afin que, augmentée, elle mérite d’être rendue parfaite ». Ainsi, l’augmentation de la grâce est-elle soumise au mérite.

[5941] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 5 s. c. 2Praeterea, magis est gratiam perfici quam gratiam augeri. Sed gloria cadit sub merito, quae nihil aliud est quam perfecta gratia. Ergo et augmentum gratiae sub merito cadit.

[2] L’augmentation de la grâce est quelque chose de plus grand que le perfectionnement de la grâce. Or, la gloire est objet de mérite, et elle n’est rien d’autre qu’une grâce parfaite. L’augmentation de la grâce est donc objet de mérite.

[5942] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod sicut culpae redditur duplex poena: una quae comitatur ipsam culpam, ut conscientiae remorsus, et hujusmodi, secundum quod Augustinus dicit in Lib. 1 Confess., quod inordinatus animus sibi ipsi est poena; alia quae infligitur exterius a judice Deo vel homine: ita etiam duplex est praemium respondens merito: unum quod comitatur ipsum actum meritorium, ut ipsa delectatio boni operis, et similia; aliud quod pro bono opere redditur a Deo vel homine, ut vita aeterna et quidquid hoc modo redditur. Ad hoc autem duplex praemium diversimode actus meritorius ordinatur: quia ad primum praemium est proportionatus secundum formam suam: verbi gratia, ex hoc ipso quod est actus ab habitu perfecto procedens, delectabilis est; unde in principium actus reducitur sicut in causam: sed ad praemium quod exterius redditur, ordinatur secundum proportionem dignitatis tantum; ut qui tantum meruit, tantum remuneretur in quocumque bono, et qui tantum peccavit tantum puniatur. Secundum hoc ergo dico quod per actum meritorium contingit mereri augmentum gratiae sicut praemium concomitans naturam actus meritorii, cum naturale sit ut omnis actus possit in acquisitionem vel augmentum similis habitus vel effective vel dispositive.

Réponse. De même qu’une double peine est rendue pour la faute – l’une, qui accompagne la faute, comme le remords de la conscience et les choses de ce genre, selon ce que dit Augustin, dans les Confessions, I, qu’« un esprit désordonné est une peine pour lui-même » ; l’autre, qui est infligée de l’extérieur par Dieu ou par l’homme ‑, de même une double récompense répond au mérite ‑ l’une qui accompagne l’acte méritoire lui-même, comme la délectation de l’acte bon et les choses semblables ; l’autre, qui est rendue par Dieu ou par l’homme, telle la vie éternelle et tout ce qui est rendu de cette manière. Or, l’acte méritoire est ordonné à cette double récompense de manière différente, car il est proportionné à la première récompense selon sa forme : par exemple, par le fait même qu’il est un acte procédant d’un habitus parfait, il est délectable. L’acte est ainsi ramené à son principe comme à sa cause. Mais, à la récompense qui est rendue de l’extérieur, il est ordonné selon une proportion de dignité seulement. Ainsi, celui qui a mérité tant ne recevra-t-il que tant en récompense, et celui qui a péché en telle quantité sera-t-il puni en telle quantité. Ainsi donc, je dis que, par un acte méritoire, l’augmentation de la grâce peut être méritée comme une récompense concomitante à la nature de l’acte méritoire, puisqu’il est naturel que tout acte rende possible l’acquisition ou l’augmentation d’un habitus similaire, en la réalisant ou en y disposant.

qui[5943] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod quamvis praemium quod quis meretur, sit majus quam gratia qua meretur, non tamen sequitur quod sit major efficacia merendi in actu quam exigat gratia informans actum. Constat enim quod per actum meritorium caritate informatum meretur quis caritatem perfectam, qualis est caritas patriae, quae longe major est caritate viae eliciente actum meritorium. Cum enim dicitur, quod efficacia merendi in actu meritorio respondet quantitati gratiae, non intelligitur commensuratio quantitatis praemii ad principium merendi secundum aequalitatem, sed proportionalitas quaedam actus meritorii ad principium merendi: quia quanto caritas et gratia major est, tanto contingit per actum meritorium majus praemium mereri.

1. Bien que la récompense que quelqu’un mérite soit plus grande que la grâce par laquelle il mérite, il n’en découle cependant pas qu’il y ait dans l’acte une plus grande efficacité pour mériter que ne l’exige la grâce qui donne sa forme à l’acte. En effet, il est clair que, par un acte méritoire formé par la charité, on mérite une charité parfaite, comme l’est la charité de la patrie, qui est beaucoup plus grande que la charité qui produit l’acte méritoire. Ainsi, lorsqu’on dit que l’efficacité du mérite d’un acte méritoire correspond à la quantité de la grâce, on n’entend pas une une stricte égalité entre la quantité de la récompense et le principe du mérite, mais une certaine proportionnalité entre l’acte méritoire et le principe du mérite, car plus la charité et la grâce sont grandes, plus grande est la récompense méritée par un acte méritoire.

[5944] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 5 ad 2Ad secundum dicendum, quod quando actus meritorius se habet ad praemium solum in ratione meriti, tunc verum est quod sicut quis per unum actum ejusdem rationis meretur praemium, ita et per alium. Secus autem est quando actus meritorius se habet ad praemium non solum ut meritum, sed quodammodo ut causa; et sic se habet actus meritorius ad augmentum gratiae; unde non oportet quod quilibet actus meritorius augmentum gratiae mereatur: quia non in quolibet actu meritorio invenitur illa conditio per quam ex actu consequitur augmentum habitus; sed solum in illo actu quo quis utitur accepta gratia secundum proportiones suarum virium, ut in nullo gratiae Dei desit per negligentiam, ut in 1 Lib., dist. 17, dictum est.

2. Lorsque l’acte méritoire est mis en rapport avec la récompense selon la seule raison du mérite, il est alors vrai que, de même que l’on mérite la récompense par un acte du même ordre, de même [le fait-on] par un autre. Mais il en va autrement lorsque l’acte méritoire est mis en rapport avec la récompense, non seulement selon le mérite, mais, d’une certaine manière, en tant que cause : l’acte méritoire est ainsi en rapport avec l’augmentation de la grâce. Il n’est donc pas nécessaire que tout acte méritoire mérite une augmentation de la grâce, car on ne trouve pas en tout acte méritoire la condition selon laquelle une augmentation de l’habitus découle d’un acte, mais seulement dans l’acte par lequel quelqu’un fait usage de la grâce reçue selon les proportions de ses forces, de sorte que rien ne manque à la grâce de Dieu chez personne par négligence, comme on l’a dit dans le livre I, d. 17.

[5945] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 5 ad 3Ad tertium dicendum, quod tam augmentum gratiae quam etiam ipsius infusio est a Deo: sed tamen aliter se habent actus nostri ad infusionem gratiae et augmentum ipsius: quia ante infusionem gratiae homo nondum est particeps divini esse; unde actus sui sunt omnino improportionati ad merendum aliquod divinum, quod facultatem naturae excedat: sed per gratiam infusam constituitur in esse divino; unde jam actus sui proportionati efficiuntur ad promerendum augmentum vel perfectionem gratiae.

3. Aussi bien l’augmentation de la grâce que son infusion viennent de Dieu. Cependant, nos actes ont un rapport différent avec l’infusion de la grâce et son augmentation, car, avant l’infusion de la grâce, l’homme ne participe pas encore à l’être de Dieu (particeps divini esse). Aussi se actes sont-il tout à fait disproportionnés pour mériter quelque chose de divin, qui dépasse la capacité de la nature. Mais, par la grâce infuse, il est établi dans l’être de Dieu (in esse divino). Ses actes deviennent donc proportionnés pour mériter une augmentation ou la perfection de la grâce.

[5946] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod homo habens gratiam non dicitur posse proficere in melius, quasi ipse gratiam sibi augmentet, cum augmentum gratiae a Deo sit; sed quia homo potest per gratiam acceptam augmentum gratiae mereri, disponendo se, ut majoris gratiae capacior fiat.

4. On ne dit pas que l’homme qui possède la grâce progresse vers le mieux, comme s’il augmentait lui-même la grâce en lui-même, puisque l’augmentation de la grâce vient de Dieu, mais parce que l’homme peut, par la grâce reçue, mériter une augmentation de la grâce en s’y disposant, afin de devenir capable d’une grâce plus grande.

[5947] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod praemium concomitans actum non excludit ulterius praemium quod per actum redditur; sicut per hoc quod aliquis delectationem ex actu virtutis sentit, non amittit vitae aeternae praemium, cum non sit eadem ratio praemii utrobique. Ita etiam per hoc quod actum meritorium sequitur augmentum gratiae, non impeditur remuneratio quae consistit in adeptione gloriae.

5. La récompense concomitante à l’acte n’exclut pas une récompense subséquente qui est rendue par l’acte. Ainsi, par le fait que quelqu’un ressent une délectation par un acte vertueux, il ne perd pas la récompense de la vie éternelle, puisque la raison de la récompense n’est pas la même dans les deux cas. De même, par le fait qu’un acte méritoire découle de l’augmentation de la grâce, la rémunération qui consiste dans l’obtention de la gloire n’est pas empêchée.

 

 

ARTICULUS 6 Utrum aliquis possit mereri alteri primam gratiam

Article 6 – Peut-on mériter la première grâce pour un autre ?

[5949] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 arg. 1Ad sextum sic proceditur. Videtur quod unus non possit alteri primam gratiam promereri. Accidens enim non extendit se ultra suum subjectum. Sed gratia, quae principium merendi est, accidens est. Ergo efficacia merendi in alium non transit, ut scilicet unus alteri gratiam mereri possit.

1. Il semble qu’on ne puisse mériter la première grâce pour un autre. En effet, un accident ne s’étend pas au-delà de son sujet. Or, la grâce, qui est le principe du mérite, est un accident. L’efficacité pour mériter ne passe donc pas dans un autre, de sorte que quelqu’un puisse mériter la grâce pour un autre.

[5950] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 arg. 2Praeterea, Christi meritum fuit perfectissimum. Si ergo per alicujus meritum alicui gratia acquiratur, multo fortius hoc per meritum Christi continget. Cum ergo meritum Christi sit sufficientissimum, videtur quod quibus per meritum Christi gratia non acquiritur, nullius meritis gratia acquiratur, praecipue quia pro omnibus passus est, qui vult omnes homines salvos fieri.

2. Le mérite du Christ était le plus parfait. Si donc la grâce est acquise pour quelqu’un par le mérite de quelqu’un, à bien plus forte raison cela se produira par le mérite du Christ. Puisque le mérite du Christ est tout à fait suffisant, il semble donc que, pour ceux à qui la grâce n’est pas acquise par le mérite du Christ, la grâce n’est acquise par les mérites de personne, surtout qu’il a souffert pour tous, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés.

[5951] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 arg. 3Praeterea, inter alios actus maxime oratio meritoria videtur. Sed una conditio orationis quam Augustinus ponit, est ut homo pro seipso oret. Ergo videtur quod nullum meritum valeat nisi ei qui meretur.

3. Parmi tous les autres actes, la prière surtout semble méritoire. Or, une condition qu’Augustin pose pour la prière est que l’on prie pour soi-même. Il semble donc qu’aucun mérite n’ait de valeur que pour celui qui mérite.

[5952] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 arg. 4Praeterea, actus hominis magis prodest operanti quam aliis. Sed homo sibi ipsi primam gratiam mereri non potest. Ergo multo minus aliis.

4. L’acte de quelqu’un sert plutôt à celui qui agit qu’à d’autres. Or, on ne peut pas mériter la première grâce pour soi-même. Donc, encore bien moins pour les autres.

[5953] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 arg. 5Praeterea, illud quo posito vel remoto, nihilominus aliquid accideret, non est causa ejus. Sed si iste paratus est ad gratiam, consequetur eam; et si non est paratus, non habebit, sive alius mereatur, sive non. Ergo videtur quod bonus actus unius non sit causa meritoria gratiae alterius.

5. Si une chose se produit, qu’on mette ou qu’on enlève quelque chose, cela n’est pas sa cause. Or, si quelqu’un est prêt à la grâce, il l’obtiendra ; et s’il n’est pas prêt, il ne l’aura pas, qu’un autre mérite ou non. Il semble donc que l’acte bon de l’un ne soit pas la cause méritoire de la grâce d’un autre.

[5954] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 s. c. 1Sed contra est illud quod Augustinus dicit in 1 Lib. de praedestinatione sanctorum, quod unus alii primam gratiam meretur.

Cependant, [1] Augustin dit en sens contraire, dans le livre Sur la prédestination, I, à propos de la prédestination des saints, que l’un mérite la première grâce pour un autre.

[5955] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 s. c. 2Praeterea, Jac. ult. 16, dicit: orate pro invicem, ut salvemini. Sed salus non est sine gratia. Cum igitur oratio Ecclesiae causa esse non possit, videtur quod unus gratiam alteri mereri possit.

[2] En Jc 5, 16, Jacques dit : Priez les uns pour les autres afin d’être sauvés. Or, le salut ne se réalise pas sans la grâce. Puisque la prière de l’Église ne peut pas être cause, il semble que quelqu’un ne puisse pas mériter pour un autre.

[5956] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 co.Respondeo dicendum, quod insufficientia causae ex duobus contingere potest: vel ex imperfectione causae, ut quando ignis est parvus qui calefacere non potest; aut ex impedimento quod accidit circa effectum, ut si ligna aqua humectantur; et ita cum meritum quodammodo sit causa praemii, dupliciter contingit ut actus meritorius non sufficiat ad praemii consecutionem: vel ex imperfectione actus, vel ex impedimento ejus qui praemium consequi debet. Sed imperfectio actus potest esse duplex: aut ita quod actus sit extra genus talis perfectionis quae meritum causat, sicut sunt actus gratiam praecedentes; et hoc modo dicitur quod actibus talibus non meretur quis gratiam sibi ex condigno, sed solum ex congruo: aut est in genere talis perfectionis, quae tamen propter sui parvitatem non sufficit ad merendum; et hoc modo dico quod actus habentis gratiam se habent ad acquirendam gratiam alteri: sufficit enim gratia ad hoc ut homo per eam sibi ipsi mereatur, sed quod alteri mereatur, ad hoc non sufficit, nisi sit perfectissima gratia, quae quodammodo in alios redundet: et propter hoc dicitur, quod Christus, de cujus plenitudine omnes accipimus, Joan. 1, omnibus ex condigno meruit; sed nullus alius alteri ex condigno meretur, sed solum ex congruo; ita tamen quod est hic plus de ratione meriti quam quando aliquis dicitur sibi mereri gratiam ex congruo. Quantumcumque autem gratia perfecta sit quae opus meritorium causat, potest impediri effectus meriti vel praemii, dummodo dicatur unus alteri mereri. Sed dicitur aliquis alter vel alius dupliciter: vel secundum subjectum, sicut sunt diversae personae, et hoc modo constat quod etiam meritum Christi, nedum merita aliorum, in multis effectum non consequitur, propter eorum indispositionem: aut secundum accidens et secundum rationem, sicut dicitur quod Socrates in foro est alter a seipso in domo, sicut ipse hodie est alter a seipso cras; et inde est quod quando aliquis hodie meretur vitam aeternam ut habeat eam in fine vitae suae, licet meritum sit sufficiens quantum in se est, tamen potest impediri ne effectum consequatur, per peccatum quod intervenit cras et post cras, ratione cujus dicitur praecedens meritum mortificatum esse. Sed praemium illud quod quis sibi meretur, quod est concomitans meritum, impediri non potest. Secundum hoc ergo patet ex dictis quod aliquis alteri gratiam mereri potest ex congruo et non ex condigno: nec tamen necessarium est quod ille gratiam accipiat, cum aliquis ei gratiam meretur.

Réponse. L’insuffisance de la grâce peut venir de deux choses : de l’imperfection de la cause, comme lorsque le feu est si petit qu’il ne peut réchauffer ; ou d’un empêchement qui se produit eu égard à l’effet, comme lorsque le bois est humecté d’eau. Ainsi, puisque le mérite est d’une certaine manière cause de la récompense, il peut arriver de deux manières qu’un acte méritoire ne suffise pas à l’obtention de la récompense : soit en raison de l’imperfection de l’acte, soit par un empêchement de la part de celui qui doit obtenir la récompense. Or, l’imperfection de l’acte peut être double : soit que l’acte est en dehors du genre de perfection qui cause le mérite, comme le sont les actes qui précèdent la grâce – on dit ainsi que, par de tels actes, on ne mérite pas en justice (ex condigno) la grâce pour soi-même, mais seulement par convenance (ex congruo) ; soit que [l’acte] fait partie du genre d’une telle perfection, mais qu’en raison de sa petitesse, il ne suffit pas pour mériter. Je dis ainsi que les actes de celui qui a la grâce sont en mesure d’acquérir la grâce pour un autre. En effet, la grâce suffit pour que, par elle, un homme mérite pour lui-même, mais elle ne suffit pas pour mériter pour un autre, à moins qu’il ne s’agisse d’une grâce très parfaite, qui rejaillit sur les autres d’une certaine manière. Pour cette raison, on dit que le Christ, de la plénitude de qui nous recevons tous, 1 Jn, a mérité en justice (ex condigno) pour les autres ; mais personne d’autre ne mérite en justice (ex condigno) pour un autre, mais seulement par convenance (ex congruo), de telle sorte cependant que la raison de mérite existe ici davantage que lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il mérite la grâce pour lui-même par convenance (ex congruo). Mais, quelle que soit la perfection de la grâce qui cause l’action méritoire, l’effet du mérite ou de la récompense peut être empêché, dès lors qu’on dit de quelqu’un qu’il mérite pour un autre. Or, on parle d’un autre ou d’autre de deux manières : soit selon le sujet, comme le sont deux personnes, et, de cette manière, il est clair que même le mérite du Christ, et encore moins les mérites des autres, n’obtiennent pas leur effet chez beaucoup en raison de l’absence de disposition ; soit selon un accident et selon la raison, comme lorsqu’on dit que Socrate est autre en public qu’il n’est à la maison, ou qu’il était autre hier qu’il ne sera demain, et de là vient que, lorsque quelqu’un mérite aujourd’hui la vie éternelle afin l’obtenir à la fin de sa vie, bien que le mérite soit suffisant en lui-même, il peut cependant être empêché d’obtenir son effet par le péché qui surviendra demain et après demain, raison pour laquelle on dit que le mérite précédent a été anéanti. Mais la récompense que l’on obtient pour soi-même et qui est concomitante au mérite ne peut pas êre empêchée. Sous cet aspect, il ressort clairement de ce qui a été dit que quelqu’un peut mériter la grâce pour un autre par convenance (ex congruo), et non en justice (ex condigno). Cependant, celui-ci ne reçoit pas nécessairement la grâce, lorsque quelqu’un mérite la grâce pour lui.

[5957] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur quod accidens non excedit suum subjectum, non intelligitur quod accidens non possit esse principium actionis in aliud subjectum tendentis: quia hoc etiam falsum est in omnibus actionibus naturalibus: sed quia accidens non habet esse extra proprium subjectum, nec habet virtutem agendi nisi secundum conditionem sui subjecti.

1. Lorsqu’on dit que l’accident ne dépasse pas son sujet, on n’entend pas que l’accident ne peut être principe d’une action qui tende vers un autre sujet, car cela est faux pour toutes les actions naturelles, mais que l’accident ne fait pas en sorte d’exister hors de son propre sujet et qu’il n’a de puissance d’agir que selon la condition de son sujet.

[5958] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 ad 2Ad secundum dicendum, quod meritum Christi est sicut radix omnium meritorum, a quo omnium merita efficaciam trahunt; unde est quodammodo sicut causa universalis, quam oportet ad effectus determinatos applicari per causas particulares, sicut sunt sacramenta et orationes Ecclesiae; et inde est quod non tantum Christum oramus, sed etiam sanctos ejus, quorum meritis et precibus auxilium ejus percipimus.

2. Le mérite du Christ est comme la racine de tous les mérites : de lui, les mérites de tous tirent leur efficacité. Il est donc comme une cause universelle qu’il faut appliquer à des effets particuliers par des causes particulières, comme le sont les sacrements et les prières de l’Église. De là vient que nous ne prions pas seulement le Christ, mais aussi ses saints, par les mérites et les prières de qui nous recevons son aide.

[5959] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 ad 3Ad tertium dicendum, quod Augustinus ponit conditiones orationis quam necesse est modis omnibus exaudiri; et quia oratio quae pro altero fit, potest impediri per indispositionem alterius, inde est quod orationis conditionem ponit, ut pro se quis oret. Nec tamen sequitur quod oratio unius alterum non juvet, si impedimentum non interveniat.

3. Augustin présente les conditions nécessaires à la prière pour qu’elle soit entendue de toutes les manières. Et parce que la prière qui est faite pour un autre peut être empêchée par l’absence de disposition de l’autre, de là vient qu’il présente comme condition de la prière de prier pour soi. Il n’en découle cependant pas que la prière de quelqu’un n’aide pas, si ne survient pas un empêchement.

[5960] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 ad 4Ad quartum dicendum, quod quamvis plus prosit alicui suum opus quam alienum, dummodo sit aequalitas in utroque, tamen opus alienum informatum gratia plus accedit ad meritum condigni inquantum ex radice gratiae procedit, quam opus proprium quod ex puris naturalibus causatur.

4. Bien que son action soit plus utile pour quelqu’un que celle d’un autre, pourvu qu’il y ait égalité entre les deux, l’action d’un autre formée par la grâce s’approche davantage du mérite en justice (meritum condigni), dans la mesure où elle procède de la racine de la grâce, que l’action propre qui est causée par de simples [puissances] naturelles.

[5961] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 ad 5Ad quintum dicendum, quod frequenter contingit quod per orationem sanctorum hominibus offeruntur occasiones ut se ad Deum convertant et ad gratiam recipiendam praeparent; qua praeparatione facta, et gratia eis infunditur. Quamvis autem sanctis non orantibus homines salvarentur, si se praepararent ad gratiam, non tamen sequitur quod etiam praeparatis suffragia sanctorum non conferant: quia Deus hoc modo praevidit et ordinavit ut per horum merita illi gratiam accipiant.

5. Il arrive fréquemment que, par la prière des saints, soient offertes aux hommes des occasions de se tourner vers Dieu et de se préparer à recevoir la grâce ; une fois cette préparation réalisée, la grâce est infusée en eux. Bien que, si les saints ne priaient pas, les hommes seraient sauvés s’ils se préparaient à la grâce, il n’en découle cependant pas que les suffrages des saints n’apportent rien à ceux qui sont préparés, car Dieu a ainsi prévu et ordonné que ceux-ci recevraient la grâce par les mérites de ceux-là.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 27

[5962] Super Sent., lib. 2 d. 27 q. 1 a. 6 expos.Praemittendum est tria esse genera bonorum. Sciendum est, quod ista divisio boni est secundum quantitatem ipsius non absolutam, sed in comparatione ad hominem; unde contingit quod idem secundum diversas comparationes sub diversis membris cadat: potentiae enim naturales hominis comparatae ad ipsum cujus sunt media, bonae sunt, quia sine eis non recte vivitur; contingit tamen eis recte non uti; comparatae vero ad alium cadunt sub minimis bonis, quia sine auxilio alterius hominis homo potest bene vivere. Sumitur divisio ista secundum diversos gradus in approximatione ad ultimam perfectionem hominis, quae consistit in operatione perfecta, secundum quam contingit recte vivere; ad quam homo quibusdam juvatur quasi organice et instrumentaliter, ut philosophus dicit, sicut sunt bona fortunae, quae quidem non pertinent ad necessitatem recte vivendi, cum sine eis recta vita esse possit; sed sunt sicut expedientia ad rectam vitam, ut homo facilius operetur, his quasi adminiculis sustentatus. Quaedam vero sunt quae per se conferunt ad rectam vitam, sicut ministrantia substantiam actus; et hujusmodi computantur inter media bona, sine quibus nullus recte vivit, quibus tamen aliquis potest etiam perverse vivere. Aliqua vero sunt quae conferunt ad rectam vitam, quasi dantia perfectionem ipsi actui, recte informando ipsum, sicut sunt habitus virtutum et gratiarum; et haec magna bona dicuntur, quia propinquissima sunt operationi perfectae in qua est ultima hominis perfectio.Virtutibus nemo male utitur. Verum est quasi habitu informante usum: utitur tamen eis aliquis male quasi objecto. Et bonus usus liberae voluntatis qui virtus est; idest actus virtutis, ut Magister in fine exponit. Si igitur gratia quae sanat et liberat voluntatem hominis, virtus est (...) consequitur ut virtus non sit ex libero arbitrio. Hic expresse videtur Magister hujusmodi opinionis esse quod gratia et virtus sint idem; nisi forte hoc exponeretur, quia gratia in operationem non nisi mediante virtute procedit: sed tamen supposito quod gratia non sit virtus, eadem Magistri rationis vis erit: non enim minus est manifestum de gratia quam de virtute, quod a solo Deo in nobis sit. Unde apparet vere quia caritas est spiritus sanctus. Hic loquitur Magister secundum suam opinionem quam in 1 Lib. supponit, scilicet caritatem in nobis nihil aliud quam spiritum sanctum esse. Non autem oportet hoc de caritate opinari, quia ipsa virtutes informat et sanctificat, sicut hic concludere videtur: hoc enim contingit ex hoc quod caritatis objectum est finis ultimus; unde ipsa mediante omnes virtutes ad ultimum ordinantur.

 

 

 

DISTINCTIO 28

Distinction 28 – [Les erreurs à propos de la grâce]

 

 

PROOEMIUM

Prologue

[5963] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 pr.Postquam determinavit de gratia secundum veritatem, hic excludit quosdam errores circa gratiam; et dividitur in partes duas: in prima excludit errorem Pelagii, qui gratiae derogabat; in secunda excludit errorem Joviniani et Manichaei, qui negabant liberum arbitrium, ibi: id ergo de gratia et libero arbitrio indubitanter teneamus quod Hieronymus (...) docet. Prima dividitur in duas: in prima narrat positiones Pelagii; in secunda inducit rationes ipsius, ibi: quod vero dicunt, hominem sine gratia, per liberum arbitrium omnia jussa implere, hujusmodi inductionibus muniunt. Ponuntur ergo quatuor rationes: quarum prima est, quod sine gratia potest homo perfecte legem Dei implere ex solo libero arbitrio, quamvis gratia ad hoc detur ut facilius homo impleat, ad quod etiam nos Deus juvat instruendo per suam legem; secunda positio consequens ex prima est, quod non oportebat orare neque pro fidelibus neque pro infidelibus, cum ex seipsis homines bene vel male operari habeant, et hoc ibi: destruunt et orationes quas facit Ecclesia; tertia est, quia dicunt, quod homo ex propriis actibus gratiam Dei meretur, ibi: gratiam Dei, qua liberamur ab impietate, dicentes secundum merita nostra dari; quarta est, quia hominem sine peccato originali nasci dicunt, et hoc ibi: parvulos etiam sine ullo peccati originalis vinculo asserunt nasci. Quod vero dicunt sine gratia hominem per liberum arbitrium omnia jussa implere, hujusmodi inductionibus muniunt. Hic ponitur confirmatio praedictarum rationum; et dividitur in partes sex, secundum sex auctoritates Augustini quae inducuntur, ex quibus error Pelagii confirmari videtur; secunda incipit ibi: similiter etiam innitebatur Pelagius verbis Augustini; tertia, ibi: alibi etiam Augustinus dicit; quarta, ibi: sic etiam intelligendum est quod in eodem ait; quinta, ibi: in expositione quoque quarumdam propositionum epistolae ad Romanos quaedam Augustinus inserit quae videntur huic doctrinae gratiae adversari; sexta, ibi: illud etiam diligenter est inspiciendum. Hic quinque quaeruntur: 1 utrum sine gratia homo aliquod bonum facere possit; 2 utrum sine gratia possit homo vitare peccatum; 3 utrum homo sine gratia possit mandatum legis implere; 4 utrum sine gratia, saltem gratis data, possit se homo ad gratiam praeparare; 5 utrum sine gratia possit homo scientiam veritatis habere.

Après avoir déterminé de la grâce selon la vérité, [le Maître] écarte ici certaines erreurs à propos de la grâce. Il y a deux parties : dans la première, il écarte l’erreur de Pélage, qui dérogeait à la grâce ; dans la seconde, il écarte l’erreur de Jovinien et des manichéens, qui niaient le libre arbitre, à cet endroit : « Tenons donc sans hésiter ce que Jérôme… enseigne à propos de la grâce et du libre arbitre. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il présente les positions de Pélage ; dans la seconde, il invoque ses arguments, à cet endroit : « Ils appuient par ces arguments ce qu’ils disent : que l’homme accomplit par le libre arbitre, sans la grâce, tout ce qui a été commandé. » Quatre arguments sont donc présentés. Le premier est que, sans la grâce, l’homme peut accomplir parfaitement la loi de Dieu par son seul libre arbitre, bien que la grâce soit donnée pour que l’homme [les] accomplisse plus facilement ; Dieu nous aide en cela en nous enseignant par sa loi. La deuxième position découle de la première : il n’est pas nécessaire pour les croyants ni pour les incroyants de prier, puisque les hommes peuvent agir bien ou mal par eux-mêmes, à cet endroit : « Ils détruisent aussi les prières que fait l’Église. » Leur troisième [argument] dit que l’homme mérite la grâce de Dieu par ses propres actes, à cet endroit : « Ils disent que la grâce de Dieu, par laquelle nous sommes libérés de l’impiété, est donnée selon nos mérites. » Leur quatrième argument dit que l’homme naît sans le péché mortel, à cet endroit : « Ils affirment aussi que les petits enfants naissent sans être aucunement liés par le péché originel. » « Ils appuient par ces arguments ce qu’ils disent : que l’homme accomplit par le libre arbitre, sans la grâce, tout ce qui a été commandé. » Ici est présentée la confirmation des arguments précédents, et il y a six parties, selon six autorités d’Augustin qui sont invoquées, par lesquelles l’erreur de Pélage semble confirmée. La deuxième commence à cet endroit : « De même, Pélage s’appuyait sur les paroles d’Augustin… » La troisième, à cet endroit : « Ailleurs, Augustin dit aussi… » La quatrième, à cet endroit : « Il faut aussi entendre de cette manière ce qu’il dit au même endroit… » La cinquième, à cet endroit : « Dans l’explication qu’il donne de certaines propositions de l’épître aux Romains, Augustin propose des choses qui semblent s’opposer à cet enseignement sur la grâce. » La sixième, à cet endroit : « Il faut aussi examiner cela de près… » Ici, cinq questions sont posées : 1. L’homme peut-il faire quelque bien sans la grâce ? 2. L’homme peut-il éviter le péché sans la grâce ? 3. L’homme peut-il accomplir un commandement de la loi sans la grâce ? 4. L’homme peut-il se préparer à la grâce sans la grâce, du moins sans la grâce sanctifiante (gratia gratis data) ? 5. L’homme peut-il avoir une connaissance certaine de la vérité sans la grâce ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum homo possit facere aliquod bonum sine gratia

Article 1 – L’homme peut-il faire quelque bien sans la grâce ?

[5965] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod homo sine gratia nullum bonum facere possit. Quia, sicut Joan. 15, 5, dicitur a Christo discipulis: sine me nihil potestis facere. Sed Deus non habitat in nobis nisi per gratiam. Ergo videtur quod sine gratia homo nihil boni facere possit.

1. Il semble que l’homme ne puisse accomplir aucun bien sans la grâce, car, ainsi que le dit le Christ aux apôtres, Jn 15, 5, sans moi, vous ne pouvez rien faire. Or, Dieu n’habite en nous que par la grâce. Il semble donc que l’homme ne puisse rien faire de bien sans la grâce.

[5966] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, cogitatio boni praecedit operationem ejusdem. Sed dicitur 2 Corinth. 3, 5: non sumus sufficientes aliquid cogitare a nobis quasi ex nobis. Ergo videtur quod multo minus sine gratia bonum operari possumus.

2. La pensée du bien précède l’accomplissement de celui-ci. Or, il est dit en 2 Co 3, 5 : Nous ne pouvons par nous-mêmes penser quelque chose comme venant de nous-mêmes. Il semble donc que nous puissions encore bien moins accomplir le bien sans la grâce.

[5967] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, sicut dicit Augustinus ad Bonifacium Papam, non potest homo aliquod bonum velle, nisi juvetur a Deo qui malum velle non potest. Sed adjutorium ejus qui malum velle non potest, scilicet Dei, est gratia ipsius. Ergo homo sine gratia bonum nec velle nec facere potest.

3. Comme le dit Augustin au pape Boniface, « l’homme ne peut vouloir quelque chose de bien, à moins d’être aidé par Dieu qui ne peut vouloir le mal ». Or, l’aide de celui qui ne peut vouloir le mal, à savoir, Dieu, est sa grâce. L’homme ne peut donc ni vouloir ni accomplir le bien sans la grâce.

[5968] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, non potest homo esse justus et bonus sine gratia. Sed in hoc quod aliquis bona et justa operatur, justitia et bonitas hominis attenditur. Ergo homo sine gratia non potest aliquod bonum facere.

4. L’homme ne peut être juste et bon sans la grâce. Or, on remarque la justice et la bonté d’un homme par le fait qu’il accomplit des actions bonnes et justes. L’homme ne peut donc pas accomplir quelque chose de bon sans la grâce.

[5969] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, nihil potest in effectum qui est ultra suam perfectionem. Sed boni actus excedunt bonitatem naturalium potentiarum: quia computantur inter magna bona, cum potentiae inter media bona computentur. Ergo homo per potentias naturales sine additione gratiae non potest in bonam operationem.

5. Rien n’a de pouvoir sur un effet qui dépasse sa perfection. Or, les actes bons dépassent la bonté des puissances naturelles, car ils sont comptés parmi les grands biens, alors que les puissances sont comptées parmi les biens moyens. L’homme n’a donc pas pouvoir sur une opération bonne par ses puissances naturelles sans l’ajout de la grâce.

[5970] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, nulli fit admonitio vel praeceptum de eo quod facere non potest. Sed quotidie homines admonentur ut bona faciant. Ergo bona facere est in eorum potestate, etiam sine gratia.

Cependant, [1] aucun avertisement ni commandement n’est fait à propos de ce qu’on ne peut pas accomplir. Or, les hommes sont avertis tous les jours d’accomplir le bien. Faire le bien est donc en leur pouvoir, même sans la grâce.

[5971] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, secundum Damascenum nulla res destituitur propria operatione. Sed bona operatio hominis est propria ejus, idest secundum rationem ordinatam, sicut et malum hominis est contra rationem esse, ut Dionysius dicit. Ergo homo per se sine gratia adjuncta potest in bonam operationem.

[2] Selon [Jean] Damascène, rien n’est privé de son opération propre. Or, l’opération bonne de l’homme lui est propre, à savoir qu’elle est ordonnée selon la raison, comme le mal de l’homme consiste à aller contre la raison, comme le dit Denys. L’homme peut donc accomplir une bonne opération par lui-même, sans l’ajout de la grâce.

[5972] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod cum virtus essentiam consequatur, oportet quod secundum diversitatem naturarum sit diversa facultas ad operandum: quod quidam non attendentes, pari modo operationem liberi arbitrii et rerum naturalium determinaverunt, credentes quod sicut lapis de necessitate suam operationem habet, ut eat deorsum nisi aliquid impediat, ita etiam homo necessario operationes suas exerceat secundum congruentiam alicujus naturae in ipso existentis: et quia in homine consideratur duplex natura; una scilicet intellectualis, ex qua inest homini inclinatio ad appetendum per se desiderabilia et honesta; et altera sensibilis, secundum quam pronus est ad appetendum et ad concupiscendum ea quae sunt delectabilia secundum sensum, ideo ad haec duo respicientes haeretici, contrarias haereses ex eadem radice prodeuntes confecerunt: quorum quidam, scilicet Joviniani, attendentes ad intellectualem naturam, hominem de necessitate bene operari, et nunquam posse peccare asserebant; alii vero, scilicet Manichaei, respicientes ad naturam sensibilem, quam secundum se malam esse dicebant, et a malo Deo originem habuisse, dixerunt, quod homo de necessitate peccat, nec bonum facere potest, in hoc penitus liberum arbitrium utrique destruentes: non enim esset homo liberi arbitrii, nisi ad eum determinatio sui operis pertineret, ut ex proprio judicio eligeret hoc aut illud, ut supra dictum est. Et ideo alii naturam liberi arbitrii salvare volentes, in alium errorem prolapsi sunt, scilicet Pelagiani, facultatem liberi arbitrii ampliantes; dicunt enim, quod quia liberum arbitrium de se non est determinatum ad aliquod opus, sed ex ipso pendet determinatio cujuscumque operis; ideo homo per liberum arbitrium in quodlibet bonum opus potest sine aliqua gratia superaddita, etiam in opus meritorium, non attendentes quod opus meritorium non determinet genus actus, sed efficaciam. Genera enim actuum distinguuntur secundum diversitatem objectorum: et quia liberum arbitrium ad nullum objectum determinatum est, ideo in quodlibet genus actus ex se potest, ut videlicet facere fortia, et justa, et hujusmodi. Sed actus meritorius habet efficaciam excedentem naturalem virtutem inquantum est efficax ad illud praemium consequendum quod facultatem naturae excedit; et ideo quod opus sit meritorium, non potest liberum arbitrium ex seipso, nisi sublevetur per habitum qui etiam naturae facultatem excedat, qui gratia dicitur. Et ideo secundum fidem Catholicam, in medio contrariarum haeresum incedendum est, ut scilicet dicamus hominem per liberum arbitrium et bona et mala facere posse; non tamen in actum meritorium exire sine habitu gratiae: sicut etiam non potest homo sine habitu virtutis acquisitae talem actum facere qualem facit virtuosus quo ad modum agendi, licet possit tale facere quantum ad genus operis: ut ly per se non excludat divinam causalitatem, secundum quod ipse Deus in omnibus operatur ut universalis causa boni, ut dicitur Isai. 26, 13: omnia opera nostra operatus es in nobis domine; sed excludit habitum aliquem creatum naturalibus superadditum.

Réponse. Puisque la puissance découle de l’essence, il est nécessaire que les diverses capacités d’agir dépendent de la diversité des natures. En ne prenant pas cela en compte, certains ont déterminé de la même manière de l’opération du libre arbitre et des choses naturelles, en croyant que, de même que la pierre possède nécessairement son opération d’aller vers le bas, si elle n’en est pas empêchée, de même l’homme exerce nécessairement ses opérations selon ce qui convient à une certaine nature qui existe en lui. Et parce que, dans l’homme, on observe une double nature : l’une, intellectuelle, dont provient en l’homme une inclination à désirer ce qui est par soi désirable et honnête ; et une autre, sensible, selon laquelle il est enclin à désirer et à convoiter ce qui est délectable selon le sens, considérant ces deux choses, les hérétiques ont produit des hérésies contraires issues d’une même racine. Certains, tels les joviniens, en s’arrêtant à la nature intellectuelle, affirmaient que l’homme agissait nécessairement bien et ne péchait jamais ; mais d’autres, les manichéens, en s’arrêtant à la nature sensible, dont ils disaient qu’elle était mauvaise par elle-même et qu’elle tirait son origine d’un dieu mauvais, affirmaient que l’homme pèche nécessairement et qu’il ne peut pas faire le bien. En cela, les deux détruisaient presque le libre arbitre. En effet, l’homme ne posséderait pas le libre arbitre, à moins que la détermination de son action ne lui revienne, de sorte qu’il choisisse par son propre jugement ceci ou cela, ainsi qu’on l’a dit plus haut. C’est pourquoi d’autres, les pélagiens, en voulant sauver la nature du libre arbitre, sont tombés dans l’autre erreur, en amplifiant la capacité du libre arbitre. Ils disent en effet que, parce que le libre arbitre n’est pas de lui-même déterminé à un acte, mais que la détermination de toute action dépend de lui, l’homme est capable de toute action bonne par son libre arbitre, sans ajout de la grâce, même d’un acte méritoire, en ne remarquant pas que l’acte méritoire ne détermine pas le genre de l’acte, mais son efficacité. En effet, les genres des actes se distinguent par la diversité des objets ; et parce que le libre arbitre n’est déterminé à aucun objet, il a donc pouvoir sur tous les genres d’actes : il peut ainsi accomplir des actions fortes, justes et ainsi de suite. Mais l’acte méritoire possède une efficacité qui dépasse la puissance naturelle dans la mesure où il est efficace pour obtenir une récompense qui dépasse la capacité de la nature. Le libre arbitre ne peut donc faire par lui-même qu’un acte soit méritoire, que s’il est élevé par un habitus qui dépasse aussi la capacité de la nature, [habitus] qu’on appelle grâce. Ainsi, selon la foi catholique, il faut suivre une voie intermédiaire entre des hérésies contraires, en disant que l’homme peut accomplir tant le bien que le mal par son libre arbitre, mais qu’il ne peut passer à un acte méritoire sans l’habitus de la grâce. De la même façon, l’homme ne peut, sans l’habitus de la vertu acquise, accomplir l’acte qu’accomplit celui qui est vertueux pour ce qui est de la manière d’agir, bien qu’il puisse accomplir un tel acte pour ce qui est du genre de l’acte – de sorte que « par soi » n’exclut pas la causalité divine, selon que Dieu agit en toutes choses comme la cause universelle du bien, ainsi qu’il est dit en Is 26, 13 : Tu as accompli en nous tout ce que nous avons accompli, Seigneur, mais exclut un habitus créé ajouté aux [puissances] naturelles.

[5973] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod, sicut supra dixit Magister, gratia dupliciter dicitur: uno modo donum gratuitum; alio modo ipse Deus gratis dans. Dona autem gratuita proprie dicuntur quae naturalibus superaddita sunt: sine quibus donis homo multa bona facere potest, quamvis non meritoria; nihil tamen boni potest facere sine gratia Dei, secundum quod intelligitur gratia ipse Deus gratis dans, eo quod ipse est principium omnis boni non tantum in hominibus sed etiam in aliis creaturis: et sic intelligendum est quod dicitur: sine me nihil potestis facere; et sic etiam potest intelligi quod apostolus dicit, quod non sumus sufficientes cogitare aliquid a nobis quasi ex nobis. Vel intelligendum est de cogitatione illorum quae ad fidem pertinent, quae capacitatem naturalis rationis excedunt; et ad haec homo sufficiens non est sine gratia fidei.

1. Comme l’a dit le Maître auparavant, on parle de grâce de deux manières : d’une manière, pour un don gratuit ; d’une autre manière, pour Dieu lui-même qui donne gratuitement. Or, on appelle dons gratuits ceux qui sont ajoutés aux [puissances] naturelles ; sans ces dons, l’homme peut accomplir beaucoup de bien, bien que ce ne soit pas méritoire. Il ne peut cependant accomplir aucun bien sans la grâce de Dieu, selon qu’on entend par « grâce » Dieu lui-même qui donne, du fait qu’il est principe de tout bien, non seulement pour les hommes, mais aussi pour les autres créatures. C’est ainsi qu’il faut entendre ce qui est dit : Sans moi vous ne pouvez rien faire. On peut aussi entendre de la même manière ce que l’Apôtre dit : Nous ne pouvons par nous-mêmes penser quelque chose comme venant de nous-mêmes. Ou bien il faut l’entendre de la pensée de ce qui se rapporte à la foi, qui dépasse la capacité de la raison naturelle, et l’homme n’en est pas capable sans la grâce de la foi.

[5974] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 1 ad 2Unde patet responsio ad secundum.

2. La réponse au deuxième argument ressort ainsi clairement.

[5975] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod Deus non tantum juvat nos ad bene agendum per habitum gratiae, sed etiam interius operando in ipsa voluntate, sicut in qualibet re operatur, et exterius occasiones et auxilia praebendo ad bene agendum; et sine his omnibus nullus bene facere potest: oportet enim quod sicut motus difformes regulantur a motu uniformi, ita voluntates nostrae, quae in bonum et malum flecti possunt, dirigantur ab illa voluntate quae non nisi recta esse potest. Vel dicendum, quod intelligit de bono meritorio.

3. Dieu ne nous aide pas seulement à bien agir par l’habitus de la grâce, mais aussi en agissant intérieurement dans la volonté elle-même, comme il agit en chaque chose, et en donnant à l’extérieur des occasions et des aides pour bien agir. Sans tout cela, personne ne peut bien agir. En effet, de même que les mouvements variés sont gouvernés par un mouvement uniforme, de même nos volontés, qui peuvent être infléchies vers le bien et le mal, sont-elles dirigées par la volonté qui ne peut être que droite. Ou bien il faut dire qu’il l’entend d’un bien méritoire.

[5976] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod aliquis potest dici justus dupliciter: vel justitia civili, vel justitia infusa. Justitia autem civili potest aliquis justus effici sine aliqua gratia naturalibus superaddita; non autem justitia infusa. Neutra tamen justitia consistit in hoc quod est justa operari: non enim quicumque justa operatur, justus est, sed qui haec operatur sicut justus, ut 2 Ethic. dicitur. Unde non sequitur, si etiam justitia civilis sine gratia haberi non posset, quod homo per liberum arbitrium non posset justa operari.

4. On peut dire de quelqu’un qu’il est juste de deux manières : selon la justice civile ou selon la justice infuse. Selon la justice civile, quelqu’un peut devenir juste sans grâce ajoutée à ce qui est naturel, mais non selon la justice infuse. Cependant, aucune des deux justices ne consiste dans le fait d’accomplir ce qui est juste. En effet, ce ne sont pas tous ceux qui accomplissent ce qui est juste qui sont justes, mais c’est le cas de celui qui agit comme un juste, comme on le dit dans Éthique, II. Si la justice civile ne pouvait être obtenue sans la grâce, il n’en découlerait donc pas que l’homme ne pourrait pas accomplir ce qui est juste par le libre arbitre.

[5977] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod bonum opus dicitur dupliciter. Vel opus quod est a virtute procedens, ea informatum; et hoc opus bonum naturalem perfectionem rationis excedit, sive sit virtus acquisita, sive infusa; unde talis actus non elicitur a potentia nisi sit per habitum virtutis perfecta. Est autem aliud bonum opus etiam virtutem antecedens, quod virtutem acquisitam causat, et ad infusam disponit, ut patet in eo qui justa operatur non sicut justus, quia indelectabiliter; et talis operatio naturalem perfectionem rationis non excedit, quia tota rectitudo hujus operis est secundum regulam rationis, in qua sunt principia juris, quibus opus bonum regulatur; nisi forte secundum quod quaelibet operatio excedit potentiam, sicut complementum ejus.

5. On parle d’action bonne de deux manières. Soit pour l’action qui procède de la vertu et qui en a la forme : cette action bonne dépasse la perfection naturelle de la raison, qu’il s’agisse de la vertu acquise ou de [la vertu] infuse. Un tel acte n’est donc issu d’une puissance que si elle est perfectionnée par l’habitus de la vertu. Mais il existe une autre action bonne qui précède la vertu, qui cause la vertu acquise et dispose à [la vertu] infuse, comme cela ressort chez celui qui accomplit ce qui est juste, mais non en tant que juste, car [il l’accomplit] sans plaisir. Une telle opération ne dépasse pas la perfection naturelle de la raison, car toute la rectitude de cette action vient de ce qu’elle est conforme à la règle de la raison, dans laquelle se trouvent les principes du droit, par lesquels est régie l’action bonne, à moins que ce ne soit selon que toute opération dépasse la puissance comme son complément.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum homo sine gratia possit vitare peccatum

Article 2 – L’homme peut-il éviter le péché sans la grâce ?

[5979] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod homo sine gratia non possit peccatum vitare. Primo per hoc quod supra, dist. 25, Magister dixit, quod homo ante reparationem gratiae, per liberum arbitrium non potest non peccare etiam mortaliter. Ergo sine gratia homo vitare non potest peccatum.

1. Il semble que l’homme ne puisse éviter le péché sans la grâce. Premièrement, selon que le Maître a dit plus haut, d. 25, que l’homme, avant la réparation de la grâce, ne peut pas ne pas pécher, même mortellement, par le libre arbitre. Sans la grâce, l’homme ne peut donc éviter le péché.

[5980] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, per peccatum in aliquo libertas arbitrii immutata est. Sed homo in primo statu hoc habuit quod bonum facere poterat, sed non meritorium in statu naturalium. Ergo saltem in hoc per peccatum etiam immutatum est liberum arbitrium, quod homo vitare peccatum non possit.

2. La liberté de l’arbitre a été d’une certaine manière changée par le péché. Or, l’homme en son premier état possédait le pouvoir de faire le bien, mais non [un bien] méritoire dans l’état de nature. Au moins le libre arbitre a donc été changé par le péché, au moins sous l’aspect où l’homme ne peut éviter le péché.

[5981] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, Augustinus dicit in libro de vera Relig., quod natura superba necesse habet alii invidere: eadem autem ratione qui est in uno peccato, necesse habet in aliud peccatum cadere. Sed quantum ad praesentem statum, quilibet homo vel est in peccato, vel in statu gratiae. Ergo videtur quod si non est in gratia, peccatum vitare non possit.

3. Dans le livre Sur la vraie religion, Augustin dit qu’une nature orgueilleuse doit nécessairement envier quelqu’un ; pour la même raison, celui qui se trouve dans un péché tombe nécessairement dans un autre péché. Or, pour ce qui est de l’état présent, tout homme est soit dans le péché, soit en l’état de grâce. Il semble donc que, s’il n’est pas en grâce, il peut éviter le péché.

[5982] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, habens pedem claudum, non potest ambulare nisi claudicando. Sed peccatum est sicut quaedam curvitas voluntatis. Ergo homo in statu peccati existens non potest non peccare.

4. Celui qui a un pied bot ne peut marcher qu’en boitant. Or, le péché ressemble à une déformation de la volonté. L’homme qui se trouve dans l’état de péché ne peut donc pas ne pas pécher.

[5983] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, mors ex peccato consecuta est, ut Rom. 5 dicitur. Ergo ubi est necessitas moriendi, ibi est necessitas peccandi. Sed in statu isto inest nobis necessitas moriendi. Ergo et necessitas peccandi.

5. La mort a découlé du péché, comme il est dit en Rm 5. Là où existe la nécessité de mourir, là existe donc la nécessité de pécher. Or, dans l’état présent, la nécessité de mourir est en nous. Donc aussi, la nécessité de pécher.

[5984] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 6Quicumque tentationi resistit, tentantem vincit. Sed vincenti praemium aeternum promittitur, Apocal. 2 et 3. Cum ergo ad praemium aeternum nullus sine gratia venire possit, videtur quod nec sine ea aliquis possit tentationi resistere, peccatum vitando.

6. Quiconque résiste à la tentation l’emporte sur celui qui tente. Or, une récompense éternelle est promise au vainqueur, Ap 2 et 3. Puisque personne ne peut parvenir à une récompense éternelle sans la grâce, il semble donc que l’on ne puisse sans elle résister à la tentation, en évitant ainsi le péché.

[5985] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, Gregorius dicit, quod debilis est hostis qui non potest vincere nisi volentem. Sed quod est per voluntatem, non est per necessitatem. Ergo homo non necessario a peccato superatur; sed illud vincere potest.

Cependant, [1] Grégoire dit que l’ennemi qui ne peut vaincre que celui qui le veut est faible. Or, ce qui est fait par volonté ne l’est pas par nécessité. Le péché ne l’emporte donc pas nécessairement sur l’homme, mais celui-ci peut le vaincre.

[5986] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, ubicumque est necessitas agendi, ibi est virtus activa determinata ad unum. Sed hoc est contra rationem liberi arbitrii. Ergo homo in peccato existens non habet necessitatem peccandi: sed peccatum vitare potest.

[2] Partout où existe la nécessité d’agir, là existe une puissance active déterminée à une seule chose. Or, cela va à l’encontre de la nature du libre arbitre. L’homme qui se trouve dans le péché n’a donc pas la nécessité de pécher, mais il peut éviter le péché.

[5987] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod, ut supra dictum est, quidam haeretici posuerunt in nobis naturam quamdam esse malam, quae hominem necessario ad peccandum impellit. Hic autem error, ut dictum est, omnino liberum arbitrium excludit, et naturam rationis et voluntatis; unde nec fidei nec philosophiae consonat. Alii vero naturam liberi arbitrii servare volentes, dicunt quidem, quod homo secundum naturalem suam virtutem hoc modo conditus est ut peccatum vitare possit; sed per peccatum virtus illa adeo immutata est ut homo in peccato existens vitare peccatum non possit, sed in aliud peccatum praecipitetur, nisi per gratiam liberetur. Ne autem omnino peccatum necessarium ponere videantur, dicunt, quod homo in peccato mortali existens potest quidem hoc vel illud peccatum vitare, non tamen omnia; sicut etiam de venialibus dicitur. Dicunt etiam, quod potest homo in peccato mortali existens ad tempus stare, ne in peccatum cadat, sed non diu. Ista autem positio multipliciter apparet falsa. Primo, quia cum peccatum bona naturalia non tollat, sed diminuat; illud quod ad naturam potentiae naturalis pertinet, homo per peccatum amittere non potest, etsi in illo infirmetur. Cum igitur libera electio vel fuga boni seu mali, ad naturam liberi arbitrii pertineat; non potest esse ut per peccatum subtrahatur homini facultas fugiendi peccatum; sed solum quod minuatur, ita scilicet quod illud peccatum quod homo ante vitare de facili poterat, postmodum difficulter vitet. Similiter etiam quod inducunt de peccato veniali, non est simile: quod enim non possumus omnia venialia peccata vitare, sed singula, praecipue propter primos motus dicitur, ad quos non requiritur deliberatio consensus; sed sunt quidam subiti motus; unde dum homo uni obstare nititur, ex alia parte alius motus insurgit. Sed peccatum mortale requirit consensum determinatum; unde si potest vitare hoc et illud, potest eadem ratione vitare omnia. Nec iterum potest dici, quod ad tempus vitet, et non diu: quia liberum arbitrium resistens malo, non efficitur infirmum ad malum vitandum, sed multo fortius; unde multo magis postea potest vitare peccatum quam ante. Et ideo cum aliis dicendum est, quod vitare peccatum intelligi potest dupliciter: aut peccatum jam commissum, aut peccatum committendum. Si intelligatur de peccato jam commisso, sic homo in peccato mortali existens, non potest peccatum vitare sine gratia: quia non potest se a peccato praeterito absolvere, et a reatu culpae, nisi per gratiam liberetur; et in hoc errabat Pelagius aestimans hominem propriis virtutibus sine gratia posse se a peccatis praeteritis absolvere satisfaciendo. Peccatum autem committendum potest homo vitare etiam sine gratia, quantumcumque in peccato mortali existat. Si tamen gratia intelligatur aliquis habitus infusus, et non ipsa divina voluntas, per quam omnia bona causantur, et mala repelluntur.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, certains hérétiques ont affirmé qu’existe en nous une nature mauvaise, qui pousse pousse nécessairement l’homme à pécher. Or, tel qu’on l’a dit, cette erreur exclut tout à fait le libre arbitre, ainsi que la nature de la raison et de la volonté. Aussi n’est-elle conforme ni à la foi ni à la philosophie. Mais d’autres, voulant sauvegarder la nature du libre arbitre, disent que l’homme a été créé pour qu’il puisse éviter le péché par sa puissance naturelle, mais que, par le péché, cette puissance a été changée, de sorte que l’homme qui se trouve dans le péché ne puisse éviter le péché, mais soit précipité dans un autre péché, à moins qu’il ne soit libéré par la grâce. Mais pour ne pas sembler affirmer que le péché est tout à fait nécessaire, ils disent que l’homme qui se trouve dans le péché mortel peut éviter tel ou tel péché, mais non pas tous, comme on le dit pour les péchés véniels. Ils disent aussi que l’homme peut résister pendant un certain temps pour ne pas tomber dans le péché, mais pas longtemps. Or, cette position semble fausse de plusieurs manières. Premièrement, parce que le péché n’enlève pas les biens naturels, mais les diminue ; ce qui se rapporte à la nature d’une puissance naturelle, l’homme ne peut le perdre par le péché, même s’il y est affaibli. Puisque le choix libre ou la fuite du bien ou du mal appartiennent à la nature du libre arbitre, il ne peut donc arriver que, par le péché, soit enlevée à l’homme la capacité de fuir le mal, mais seulement qu’elle soit diminuée, de telle sorte que le péché que l’homme pouvait facilement éviteer auparavant, il l’évite difficilement par après. De même, ce qu’ils affirment à propos du péché véniel n’est pas semblable : en effet, que nous ne puissions éviter tous les péchés véniels, mais [éviter] chacun, cela est affirmé principalement pour les premiers mouvements, pour lesquels la délibération du consentement n’est pas nécessaire ; mais ce sont des mouvements imprévus. Aussi, alors que l’homme s’efforce de résister à l’un, un autre mouvement surgit d’ailleurs. Or, le péché mortel exige un consentement déterminé. Si on peut éviter celui-ci et celui-là, on peut donc pour la même raison les éviter tous. On ne peut pas dire non plus qu’on [les] évite pour un temps, et non longtemps, car le libre arbitre, en résistant au mal, n’est pas affaibli pour éviter le mal, mais il devient beaucoup plus fort. Aussi peut-il par la suite éviter le péché bien davantage qu’auparavant. Il faut donc dire avec d’autres qu’éviter le péché peut s’entendre de deux manières : soit du péché déjà commis, soit du péché à commettre. Si on l’entend du péché déjà commis, l’homme se trouvant ainsi dans le péché mortel ne peut éviter le péché sans la grâce, car il ne peut s’absoudre du péché passé et de la dette de la faute, à moins d’être libéré par la grâce. C’est en cela que Pélage se trompait en estimant que l’homme pouvait s’absoudre des péchés passés sans la grâce par la satisfaction. Mais l’homme peut éviter de commettre un péché sans la grâce, quel que soit le péché mortel dans lequel il se trouve, à condition toutefois d’entendre par grâce l’habitus infus, et non la volonté divine elle-même, par laquelle tous les biens sont causés et les maux écartés.

[5988] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod sicut videre dicitur dupliciter, scilicet habere visum, et uti visu, ita et peccare; unde cum dicitur, quod homo non potest non peccare ante reparationem, intelligitur habere peccatum; sed non potest intelligi quod non possit non uti peccato.

1. De même qu’on parle de voir de deux manières : pour le fait d’avoir la vue et pour l’usage de la vue, de même en est-il de pécher. Aussi, lorsqu’on dit que l’homme ne peut pas ne pas pécher avant la réparation, on l’entend du fait qu’il ait un péché ; mais on ne peut l’entendre du fait qu’il ne puisse pas ne pas faire usage du péché.

[5989] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod libertas arbitrii immutata est per peccatum, sed non ablata. Quod autem dicitur, ut liberum arbitrium omnino non possit quod prius poterat, hoc ablationem facultatis designat, et non solum diminutionem; sed hoc ad diminutionem pertinet ut quod prius facile poterat, postmodum non sine difficultate et pugna possit, quantum ad vitationem mortalium; sed venialia omnia non potest vitare, propter rebellionem carnis ad spiritum.

2. La liberté de l’arbitre a été changée par le péché, mais non pas enlevée. Ce qu’on dit : que le libre arbitre ne peut pas du tout faire ce qu’il pouvait faire auparavant, désigne l’enlèvement de la capacité, et non seulement sa diminution. Or, il relève de la diminution [du libre arbitre] qu’il ne puisse faire par la suite sans difficulté et sans combat, afin d’éviter les [péchés] mortels], ce qu’il faisait facilement auparavant. Mais [le libre arbitre] ne peut éviter tous les [péchés] véniels en raisond de la rébellion de la chair contre l’esprit.

[5990] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod verbum Augustini non est intelligendum de necessitate absoluta, sed conditionata, quae est necessitas finis. Vir enim superbus si fini suo inhaerere vult, ut scilicet propriam excellentiam quaerat, necesse habet ut invideat excellentiae aliorum, quae propriae excellentiae derogat; sed qui semel per superbiam peccavit mortaliter, non propter hoc necesse habet ut semper in actum superbiae exeat: potest enim de uno peccato in contrarium peccatum transire, vel in bonum ex genere; et ideo non est necessarium quod invideat.

3. La parole d’Augustin ne doit pas être entendue d’une nécessité absolue, mais d’une [nécessité] conditionnée, qui est la nécessité de la fin. En effet, si l’orgueilleux veut s’attacher à sa fin : la recherche de sa propre excellence, il lui est nécessaire d’envier l’excellence des autres, qui retranche de sa propre excellence. Mais il n’est pas nécessaire que celui qui a péché une fois par orgueil passe toujours à l’acte de l’orgueil. En effet, il peut passer d’un péché à un péché contraire, ou ce qui est bien par son genre. Il n’envie donc pas nécessairement.

[5991] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod ratio illa tenet in illis quae agunt propter necessitatem naturae, in quibus de necessitate operatio sequitur secundum exigentiam perfectionis et defectum operantis: non autem tenet in voluntariis: quia homo habens virtutem potest non uti virtute, sed in contrarium usum exire: et similiter habens habitum vitiosum, potest non uti habitu illo.

4. Cet argument est valable pour ce qui agit par nécessité de nature : là, l’opération découle nécessairement de ce qu’exigent la perfection et la déficience de ce qui agit. Mais il ne vaut pas pour ce qui est volontaire, car l’homme, tout en en ayant la puissance, peut ne pas faire usage de celle-ci, mais se porter vers un usage contraire. De même, celui qui possède l’habitus d’un vice peut ne pas faire usage de cet habitus.

[5992] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod mors non respondet pro poena cuilibet peccato, sed peccato primae transgressionis, ex quo tota natura infecta est; unde sicut a necessitate moriendi homo non liberatur nisi per gratiam, ita et a necessitate subjacendi illi peccato per originem a parentibus in posteros transfuso. Non tamen oportet quod homo necessario in peccatum mortale actuale labatur.

5. La mort n’est pas une peine pour tous les péchés, mais pour le péché de la première transgression, par lequel la nature tout entière a été infectée. De même que l’homme n’est libéré de la nécessité de mourir que par la grâce, de même aussi l’est-il de la nécessité d’être soumis à ce péché qui passe des parents à leurs descendants en vertu de l’origine. Il n’est cependant pas nécessaire que l’homme tombe nécessairement dans le péché mortel actuel.

[5993] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 2 ad 6Ad sextum dicendum, quod aliud est resistere peccato, et aliud victoriam de peccato habere. Quicumque enim vitat peccatum, peccato resistit; unde hoc potest fieri etiam sine gratia: nec oportet quod tunc homo resistendo peccato, mereatur praemium aeternum. Sed ille proprie vincit peccatum qui potest pertingere ad hoc contra quod est pugna peccati. Hoc autem non potest esse nisi in eo qui opus meritorium operatur; unde talis victoria vitam aeternam meretur, et sine gratia non fit.

6. Résister au péché est une chose, et remporter la victoire sur le péché en est une autre. En effet, quiconque évite le péché résiste au péché. Aussi cela ne peut-il se faire sans la grâce, et il n’est pas nécessaire qu’en résistant ainsi au péché, l’homme mérite une récompense éternelle. Mais celui-là l’emporte au sens propre sur le péché, qui peut parvenir à ce contre quoi existe le combat contre le péché. Or, cela ne peut se faire que chez celui qui accomplit une action méritoire. Une telle victoire mérite donc la vie éternelle, et elle ne se réalise pas sans la grâce.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum homo possit implere praecepta Dei sine gratia

Article 3 – L’homme peut-il accomplir les commandements de Dieu sans la grâce ?

[5995] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod homo sine gratia Dei praecepta implere non possit. Qui enim mandata Dei servat, vitam aeternam meretur, ut dicitur Luc. 10, 28: hoc fac, et vives. Sed hoc non potest homo sine gratia. Ergo nec mandata legis implere.

1. Il semble que l’homme puisse accomplir sans la grâce les commandements de Dieu. En effet, celui qui observe les commandements de Dieu mérite la vie éternelle, comme il est dit en Lc 10, 28 : Fais cela, et tu vivras ! Or, l’homme ne peut pas faire cela sans la grâce. Il ne peut donc pas non plus accomplir les commandements de la loi.

[5996] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, caritas non potest sine gratia haberi. Sed dilectio caritatis est in praecepto, Matth. 22. Ergo praecepta non possunt sine gratia impleri.

2. On ne peut avoir la charité sans la grâce. Or, l’amour de charité fait partie du commandement, Mt 22. Les commandements ne peuvent donc être accomplis sans la grâce.

[5997] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, ut supra Augustinus probavit, virtutes in nobis solus Deus operatur. Sed actus virtutum sunt in praecepto. Ergo praecepta ex nobis ipsis implere non possumus.

3. Comme l’a montré plus haut Augustin, Dieu seul réalise en nous les vertus. Or, les actes des vertus sont l’objet du commandement. Nous ne pouvons donc pas accomplir les commandements par nous-mêmes.

[5998] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, expresse hoc videtur per illud actuum 15, 10: hoc est onus quod neque nos neque patres nostri portare potuimus. Sed onus illud sunt praecepta legis. Ergo praecepta legis homo per se implere non potest.

4. Cela semble ressortir clairement de ce passage de Ac 15, 10 : C’est une charge que ni nous-mêmes ni nos pères n’avons porté. Or, cette charge, ce sont les commandements de la loi. L’homme ne peut donc pas accomplir les commandements de la loi par lui-même.

[5999] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, nullus damnatur nisi pro peccato omissionis vel transgressionis. Sed nullus damnatur qui praecepta legis implet. Si ergo homo potest sine gratia praecepta legis implere, cum etiam possit sine gratia, ut dictum est, peccatum mortale vitare, videtur quod homo possit sine gratia damnationem penitus vitare. Sed quicumque non damnatur, est in gloria. Ergo homo sine gratia poterit ad gloriam pervenire: quod est omnino haereticum.

5. Nul n’est condamné, sinon pour un péché d’omission ou de transgression. Or, personne qui n’est condamné alors qu’il accomplit les commandements de la loi. Si donc l’homme peut sans la grâce accomplir les commandements de la loi, puisqu’il peut éviter le péché mortel sans la grâce, ainsi qu’on l’a dit, il semble que l’homme puisse éviter complètement la damnation sans la grâce. Or, tous ceux qui ne sont pas damnés sont dans la gloire. L’homme pourra donc sans la grâce parvenir à la gloire, ce qui est complètement hérétique.

[6000] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra, Hieronymus, dicit: qui Deum dicit praecipere impossibilia, anathema sit. Sed impossibile est homini illud quod implere non potest. Ergo mandata Dei homo per se implere potest.

Cependant, [1] Jérôme dit : « Celui qui dit que Dieu commande l’impossible, qu’il soit anathème ! » Or, ce qu’il ne peut accomplir est impossible à l’homme. L’homme peut donc accomplir par lui-même les commandements de Dieu.

[6001] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, Deus non est magis crudelis quam homo. Sed homini imputatur in crudelitatem, si obliget aliquem per praeceptum ad id quod implere non possit. Ergo hoc de Deo, nullo modo est aestimandum; et ita sine gratia homo per se legis praecepta implere potest.

[2] Dieu n’est pas plus cruel que l’homme. Or, le fait qu’un homme oblige quelqu’un par commandement à accomplir ce qui lui est impossible lui est imputé comme de la cruauté. Il ne faut donc d’aucune manière penser cela de Dieu, et ainsi l’homme peut accomplir par lui-même, sans la grâce, les commandements de la loi.

[6002] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod de praeceptis legis dupliciter contingit loqui: aut quantum ad id quod directe cadit in praecepto, aut quantum ad intentionem legislatoris. Directe autem cadit in praecepto actus virtutis quantum ad substantiam operis; et non quantum ad modum agendi, quem circa ipsum virtus ponit: hoc enim directe alicui praecipitur quod statim in ipso est ut faciat illud. Non autem est in homine ut faciat actum virtutis eo modo quo virtuosus facit, prius quam virtutem habeat, vel acquisitam vel infusam. Sed intentio legislatoris est, ut in 2 Ethic. dicitur, cives facere bonos, et per assuetudines operum quae praecipiuntur, inducere ad virtutem: et huic consonat verbum apostoli 1 Timoth. 1, 5: finis praecepti caritas est; ad hoc enim data sunt praecepta legis, ut homines in dilectionem Dei et proximi instituantur. Est ergo intentio legislatoris non tantum ut haec opera fiant, sed ut ex caritate fiant. Dicendum est ergo, quod praecepta legis, quantum ad id quod directe sub praecepto cadit, potest aliquis implere per liberum arbitrium sine gratia gratis data vel gratum faciente; si tamen gratia accipiatur pro aliquo habitu infuso: sed quantum ad intentionem legislatoris, sine gratia impleri non possunt: quia donum caritatis non inest nobis ex nobis, sed a Deo infusum. Sed si gratia pro divina voluntate gratis in nobis omnia bona causante, accipiatur, tunc dicendum, quod neutro modo homo sine gratia praecepta implere potest; et ideo Pelagius erravit, qui simpliciter impleri praecepta legis posse sine gratia posuit.

Réponse. Il arrive qu’on parle de deux manières des commandements de la loi : pour ce qui relève directement d’un commandement ou pour ce relève de l’intention du législateur. Or, l’acte d’une vertu relève directement d’un commandement pour ce qui est de la substance de l’acte, et non pour ce qui est de la manière d’agir dont l’entoure la vertu. En effet, est directement commandé à quelqu’un ce qu’il lui est directement possible d’accomplir. Or, il n’est pas possible à l’homme d’accomplir un acte de vertu de la manière dont l’accomplit celui qui est vertueux, avant qu’il ne possède une vertu, acquise ou infuse. Mais, comme il est dit dans Éthique, II, l’intention du législateur est de rendre les citoyens bons et, par l’habitude des actions qui sont commandées, de les inciter à la vertu. Et cela est conforme à la parole de l’Apôtre, 1 Tm 1, 5 : La fin du commandement, c’est la charité. En effet, les commandements ont été donnés pour que les hommes soient instruits de l’amour de Dieu et du prochain. L’intention du législateur n’est donc pas seulement que les actes soient accomplis, mais qu’ils soient accomplis par charité. Il faut donc dire que, pour ce qui relève directement d’un commandement, on peut accomplir les commandements de la loi par le libre arbitre sans une grâce donnée gratuitement ni la grâce qui rend agréable [à Dieu], si on entend toutefois par la grâce un habitus infus. Mais, pour ce qui est de l’intention du législateur, [les commandements] ne peuvent être accomplis sans la grâce, car le don de la charité ne nous vient pas de nous-mêmes, mais il est infusé par Dieu. Mais si on entend [par grâce] la volonté divine qui cause gratuitement en nous tout bien, il faut alors dire que l’homme ne peut d’aucune des deux manières accomplir les commandements sans la grâce. Aussi Pélage s’est-il trompé en affirmant simplement que les commandements de la loi pouvaient être accomplis sans la grâce.

[6003] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod praecepta legis non qualitercumque observata in vitam aeternam inducunt; sed solum secundum quod opera quae praecipiuntur, caritate informata sunt secundum quod cadunt sub intentione legislatoris; et hoc modo planum est quod sine gratia servari non possunt.

1. Ce n’est pas en étant observés de n’importe quelle manière que les commandements de la loi peuvent mener à la vie éternelle, mais seulement selon que les actions qui sont commandées ont reçu leur forme de la charité, ainsi qu’ils relèvent de l’intention du législateur. Et il est clair que, de cette manière, ils ne peuvent être observés sans la grâce.

[6004] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod sicut aliarum virtutum actus dupliciter considerari possunt, vel secundum quod sunt a virtute, vel secundum quod antecedunt virtutem; ita etiam est de caritate; potest enim aliquis, etiam caritatem non habens, diligere proximum et Deum, etiam super omnia, ut quidam dicunt: et hoc diligere intelligitur actus caritatis sub praecepto directe cadere, et non solum secundum quod a caritate procedit.

2. De même que les actes des autres vertus peuvent être envisagés de deux manières : selon qu’ils viennent de la charité ou selon qu’ils procèdent d’une vertu, de même en va-t-il aussi de la charité. En effet, même sans avoir la charité, quelqu’un peut aimer son prochain et Dieu, même par-dessus toutes choses, comme le disent certains. Cet amour est un acte de charité qui relève directement du commandement, et non seulement selon qu’il procède de la charité.

[6005] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod actus virtutum non sunt in praecepto, secundum quod a virtute procedunt, sed quantum ad substantiam operis, ut dictum est, secundum quod contingit aliquem facere justa, etiamsi non faciat ut justus facit.

3. Les actes des vertus ne tombent pas sous un commandement selon qu’ils procèdent d’une vertu, mais pour ce qui est de la substance de l’acte, ainsi qu’on l’a dit, car il arrive que quelqu’un accomplisse des choses justes, même s’il ne les accomplit pas comme le juste les accomplit.

[6006] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod hoc dictum est propter multitudinem praeceptorum veteris legis, praecipue quantum ad caeremonialia, quae nunquam multitudo populi observaverat, et non nisi cum magna difficultate observari poterant.

4. Cela a été dit en raison de la multitude des commandements de la loi, surtout pour ce qui est des [commandements] cérémoniels, que la multitude du peuple n’avait jamais observés et qui ne pouvaient que très difficilement être observés.

[6007] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod homo etsi nunquam transgrederetur vel omitteret, nihilominus tamen peccato originali subjectus esset, a quo non nisi per gratiam liberari potest: pro quo merito subiret damnationem, et etiam ad legitimam aetatem deveniens in hoc ipso peccaret quod se ad gratiam non praepararet; unde etiam pro tali negligentia puniretur. Si autem praepararet se faciendo quod in se est, proculdubio gratiam consequeretur per quam vitam aeternam mereri posset.

5. Même s’il n’avait jamais transgressé ou omis, l’homme aurait néanmoins été soumis au péché originel, dont il ne peut être libéré que par la grâce ; pour lui, il subirait à juste titre la damnation et, même parvenu à l’âge de raison, il pécherait du fait même qu’il ne se préparerait pas à la grâce. Il serait donc puni pour une telle négligence. Mais s’il se préparait en faisant ce qui est en son pouvoir, il obtiendrait sans aucun doute la grâce par laquelle il pourrait mériter la vie éternelle.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum homo possit se praeparare ad gratiam sine aliqua gratia

Article 4 – L’homme peut-il se préparer à la grâce sans quelque grâce ?

[6009] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod homo non possit se praeparare ad gratiam sine aliqua gratia. Primo per id quod dicitur Hierem. 10, 23: non est in homine via ejus, nec viri est ut dirigat gressus suos. Sed nullus praeparatur ad gratiam nisi gressus ejus dirigantur, et viam salutis quaerat. Ergo non est in potestate hominis ut se ad gratiam praeparet.

1. Il semble que l’homme ne puisse se préparer à la grâce sans quelque grâce. Premièrement, selon ce qui est dit dans Jr 10, 23 : Son chemin n’est pas au pouvoir de l’homme et il n’est pas donné à l’homme de diriger ses pas. Or, personne ne se prépare à la grâce sans diriger ses pas et sans chercher le chemin du salut. Il n’est donc pas au pouvoir de l’homme de se préparer à la grâce.

[6010] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 2Praeterea, illud quod est in potestate hominis, non est necessarium ut homo ab alio petat. Sed quod homo praeparetur ad gratiam, petendum est a Deo, ut patet in Psal. 85, 2: deduc me, domine, in via tua. Ergo praeparatio ad gratiam non est in potestate hominis.

2. Ce qui est au pouvoir de l’homme, il n’est pas nécessaire que l’homme le demande à un autre. Or, il faut demander à Dieu que l’homme se prépare à la grâce, comme cela ressort de Ps 85, 2 : Seigneur, conduis-moi sur ton chemin. La préparation à la grâce n’est donc pas au pouvoir de l’homme.

[6011] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 3Praeterea, illud quod visibiliter factum est in quibusdam qui gratiam consecuti sunt, probabile est etiam in aliis, saltem invisibiliter, fieri; cum eadem ratio sit de uno et de omnibus. Sed quidam, cum etiam gratiae resisterent, per speciale munus gratiae ad gratiam praeparati sunt, ut patet in conversione Pauli. Ergo etiam alii sine gratia, saltem gratis data, ad gratiam praeparari non possunt.

3. Ce qui a été réalisé de manière visible chez certains qui ont reçu la grâce, il est probable que cela se réalise aussi chez d’autres, du moins de manière invisible, puisque la même raison vaut pour un seul et pour tous. Or, certains, alors qu’ils résistaient à la grâce, ont été préparés à la grâce par un don spécial de la grâce, comme cela ressort dans la conversion de Paul. Même d’autres, sans la grâce, du moins, sans grâce gratuitement donnée, ne peuvent-ils se préparer à la grâce.

[6012] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 4Praeterea, Hebr. 11, 6: oportet accedentem ad Deum credere quia est. Sed fides non potest haberi nisi per gratiam: Dei enim donum est, ut ad Ephes. 11, 8 dicitur. Ergo cum nullus se ad gratiam praeparet nisi accedendo ad Deum, videtur quod sine munere gratiae homo se ad gratiam praeparare non possit.

4. He 11, 6 : Il est nécessaire que celui qui s’approche de Dieu croie qu’il existe. Or, la foi ne peut être obtenue que par la grâce : en effet, elle est un don de Dieu, comme il est dit en Ep 11, 8. Puisque personne ne se prépare à la grâce qu’en s’approchant de Dieu, il semble donc que, sans le don de la grâce, l’homme ne puisse se préparer à la grâce.

[6013] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 5Praeterea, Augustinus dicit, quod timor servilis inducit caritatem sicut seta linum. Sed timor servilis est donum spiritus sancti. Ergo per gratiam gratis datam homo praeparatur ad gratiam gratum facientem.

5. Augustin dit que la crainte servile entraîne la charité comme le poil [entraîne] la toile. Or, la crainte servile est un don de l’Esprit saint. L’homme est donc préparé à la grâce sanctifiante par une grâce gratuitement donnée

[6014] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 4 s. c. 1Sed contra, Zachar. 1, 3, dicitur: convertimini ad me (...) et ego convertar ad vos. Sed conversio quam nobis indicit, non videtur esse aliud quam praeparatio ad receptionem gratiae. Ergo hoc primo a nobis exigitur ut ad gratiam praeparemur, quam quod Deus ad nos gratiam infundendo convertatur.

Cependant, [1] il est dit en Za 1, 3 : Tournez-vous vers moi…, et moi, je me tournerai vers vous. Or, la conversion qu’il nous prescrit ne semble pas être autre chose que la préparation à la réception de la grâce. Il est donc exigé de nous en premier lieu, pour que nous soyons préparés à la grâce, que Dieu se tourne vers nous en nous infusant la grâce.

[6015] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 4 s. c. 2Praeterea, Anselmus dicit: quod aliquis non habeat gratiam non est ex hoc quod Deus non velit eam dare, sed quia homo non vult accipere. Ergo si homo vult accipere, Deus eam dabit. Sed illud quod in voluntate hominis constitutum est, in potestate liberi arbitrii est. Ergo in potestate liberi arbitrii est, ut homo ad gratiam se praeparet.

[2] Anselme dit : « Que quelqu’un n’ait pas la grâce ne vient pas de ce que Dieu ne veut pas la donner, mais de ce que l’homme ne veut pas la recevoir. » Donc, si l’homme veut la recevoir, Dieu la donnera. Or, ce qui a été laissé à la volonté de l’homme est au pouvoir du libre arbitre. Il est donc au pouvoir du libre arbitre que l’homme se prépare à la grâce.

[6016] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 4 co.Respondeo dicendum quod gratia dupliciter potest accipi: vel quodcumque excitativum voluntatis exhibitum homini ab ipsa divina providentia, qua omnibus rebus gratis impendit ex sua bonitate ea quae ipsis conveniunt: vel aliquod donum habituale in anima receptum, quod gratis a Deo confertur. Si ergo primo modo accipitur gratia, nulli dubium est quod homo sine gratia Dei non potest se praeparare ad habendum gratiam gratum facientem: ut enim in 8 Physic. ostenditur, mutatio voluntatis effici non potest sine aliquo movente per modum excitantis: omne enim motum necesse est ab alio moveri. Nec differt quidquid sit illud quod hujusmodi variationis occasionem praebeat, quasi voluntatem excitando; sive sit admonitio hominis, vel aegritudo corporis, vel aliquid hujusmodi: quae omnia constat divinae providentiae subjecta esse et in bonum electorum ordinata. Unde quidquid illud fuerit quod hominem excitaverit ad convertendum se, ut gratiam gratum facientem accipiat, gratia gratis data dici potest: et sic sine gratia gratis data homo se ad gratiam non praeparat, etiamsi gratia gratis data dicatur ipse actus liberi arbitrii, quem Deus in nobis facit, quo ad gratiam gratum facientem praeparamur. Si autem accipitur gratia pro aliquo munere habituali animae infuso, sic duplex est opinio. Quidam enim dicunt, quod nullus potest se ad gratiam gratum facientem praeparare, nisi per aliquod lumen menti infusum, quod est donum gratiae gratis datae. Istud autem non videtur conveniens: quia praeparatio quae est ad gratiam, non est per actus qui sint ipsi gratiae aequandi aequalitate proportionis, sicut meritum aequatur praemio; et ideo non oportet ut actus quibus homo se ad gratiam habendam praeparat sint naturam humanam excedentes: sicut enim natura humana se habet in potentia materiali ad gratiam, ita actus virtutum naturalium se habent ut dispositiones materiales ad ipsam; unde non exigitur ad hoc ut homo ad gratiam se praeparet, aliquod aliud lumen gratiae praecedens. Et praeterea secundum hoc esset abire in infinitum: quia illud etiam lumen gratiae gratis datae non datur alicui nisi qui ad illud recipiendum se praeparavit; alias omnibus daretur: quod non potest intelligi; nisi forte gratia gratis data dicatur naturale lumen rationis, quod pertinet ad bona naturalia, et non ad gratuita, nisi large accepta. Si autem praeparatione indiget talis gratia gratis data, tunc redibit quaestio de ista praeparatione, utrum in eam possit homo ex se, vel non: et sic vel abiretur in infinitum, vel erit devenire ad aliquam gratiam ad quam homo per se praeparare potest se. Sed non est ratio efficax quare hoc magis in una gratia sit quam in alia. Et ideo aliis consentiendo dicimus, quod ad gratiam gratum facientem habendam ex solo libero arbitrio se homo potest praeparare: faciendo enim quod in se est, gratiam a Deo consequitur. Hoc autem solum in nobis est quod in potestate liberi arbitrii constitutum est.

Réponse. La grâce peut être entendue de deux manières : soit n’importe quelle incitation de la volonté manifestée à l’homme par la providence divine elle-même, par laquelle [Dieu], par sa bonté, donne à toutes choses ce qui leur convient ; soit un don habituel reçu dans l’âme, qui est donné par Dieu gratuitement. Si on entend la grâce de la première manière, il n’y a aucun doute que l’homme ne peut se préparer à posséder la grâce qui rend agréable [à Dieu] sans la grâce de Dieu. En effet, comme on le montre dans Physique, VIII, le changement de la volonté ne peut être réalisé sans quelque chose qui la meut par mode d’incitation. En effet, il est nécessaire que tout ce qui est mû soit mû par autre chose. Et rien de ce qui est l’occasion de ce changement comme par mode d’incitation de la volonté ne fait non plus de différence : avertissement d’un homme, maladie corporelle ou quelque chose de ce genre ; il est certain que toutes ces choses sont soumises à la providence divine et sont ordonnées au bien des élus. Quelle que soit la chose qui ait incité un homme à se convertir afin de recevoir la grâce qui rend agréable [à Dieu], elle peut être appelée une grâce gratuitement donnée. Ainsi, l’homme ne se prépare pas à la grâce sans une grâce gratuitement donnée, même si la grâce gratuitement donnée porte le nom de l’acte même du libre arbitre, que Dieu accomplit en nous et par laquel nous sommes préparés à la grâce qui rend agréable [à Dieu]. Mais si on entend la grâce d’un don habituel infus dans l’âme, il existe à ce sujet deux opinions. En effet, certains disent que personne ne peut se préparer à la grâce que par une lumière infuse, qui est le don d’une grâce gratuitement donnée. Mais cela ne semble pas approprié, car la préparation à la grâce ne se réalise pas par des actes qui doivent être comparés à la grâce selon une égalité de proportion, comme le mérite se compare à la récompense. Aussi n’est-il pas nécessaire que les actes par lesquels l’homme se prépare à avoir la grâce dépassent la nature humaine. En effet, de même que la nature humaine se trouve comme en puissance matérielle par rapport à la grâce, de même les actes des vertus naturelles se trouvent-ils comme des dispositions matérielles par rapport à celle-ci. Aussi une autre lumière précédente de la grâce n’est-elle pas requise pour que l’homme se prépare à la grâce. De plus, on remonterait ainsi à l’infini, car cette lumière d’une grâce gratuite n’est donnée qu’à celui qui s’est préparé à la recevoir, autrement elle serait donnée à tous, ce qui ne peut se comprendre, à moins qu’on appelle grâce gratuitement donnée la lumière naturelle de la raison, qui relève des biens naturels, et non des [biens] gratuits, sauf à [l’entendre] au sens large. Or, si une telle grâce gratuitement donnée nécessite une préparation, la question sera à nouveau posée sur cette préparation : l’homme a-t-il pouvoir sur elle ou non ? Et ainsi, soit on remonterait à l’infini, soit [on remonterait] à une grâce à laquelle l’homme peut se préparer. Or, la raison ne peut [déterminer] pourquoi cela relèverait d’une grâce plutôt que d’une autre. Aussi disons-nous, d’accord avec d’autres, que l’homme peut se préparer à l’obtention de la grâce qui rend agréable [à Dieu] par son seul libre arbitre : en effet, en accomplissant ce qui est en son pouvoir, il obtient de Dieu la grâce. Or, cela seul est en notre pouvoir qui a été laissé au pouvoir du libre arbitre.

[6017] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod directio gressus spiritualis non potest esse nisi a Deo, sine cujus providentia nullum bonum contingit. Nec tamen oportet quod hoc per aliquem habitum infusum fiat, si directio gressuum ad praeparationem ad gratiam gratum facientem praecedentem referatur.

1. La direction de la démarche spirituelle ne peut venir que de Dieu, sans la providence de qui aucun bien n’arrive. Il n’est cependant pas nécessaire que cela se réalise par un habitus infus, si la direction de la marche est mise en rapport avec la préparation à la grâce sanctifiante.

[6018] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod homo non potest se ad gratiam praeparare, nec aliquod bonum facere sine Dei auxilio; et ideo rogandus est ut nos ad se convertat, et etiam alios. Nec tamen oportet quod illud auxilium semper sit per aliquem habitum infusum; sed potest esse per multa quae exterius sunt salutis occasio, et per ipsum actum interiorem quem Deus in nobis causat.

2. L’homme ne peut se préparer à la grâce, ni accomplir aucun bien sans l’aide de Dieu ; aussi faut-il lui demander qu’il nous tourne vers lui, ainsi que les autres. Il n’est cependant pas nécessaire que cette aide se réalise toujours par un habitus infus, mais elle peut se réaliser par beaucoup de choses qui sont, de l’extérieur, une occasion de salut et par l’acte intérieur lui-même par lequel Dieu agit en nous.

[6019] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod claritas illa quae circumfulsit Paulum, fuit claritas corporalis, quae fuit quaedam occasio quae ipsum induxit ut se ad gratiam habendam praepararet, dejiciendo ipsum et conterendo: et cum se ad gratiam praeparavit, gratiam consecutus est. Non tamen oportet quod antequam gratiam gratum facientem acceperit, sibi aliquod lumen gratiae gratis datae infusum fuerit; unde non dicitur, quod intus in ipso fulserit claritas sed quia eum circumfulsit, quasi exterius. Ita etiam aliis qui ad Deum convertuntur, occasiones salutis Deus praeparat.

3. Cet éclat qui a entouré Paul était un éclat corporel, qui fut une occasion qui l’incita à se préparer à avoir la grâce, en le jetant à terre et en le broyant. Et comme il s’est préparé à la grâce, il a obtenu la grâce. Il n’est cependant pas nécessaire qu’avant d’avoir reçu la grâce qui rend agréable [à Dieu], la lumière d’une grâce gratuitement donnée ait été infusée en lui. On ne dit donc pas qu’un éclat brilla en lui intérieurement, mais qu’il l’entoura comme de l’extérieur. De même aussi, Dieu prépare-t-il des occasions de salut pour les autres qui se tournent vers Dieu.

[6020] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod etiam ad fidem habendam aliquis se praeparare potest per id quod in naturali ratione est; unde dicitur, quod si aliquis in barbaris natus nationibus, quod in se est faciat, Deus sibi revelabit illud quod est necessarium ad salutem, vel inspirando, vel doctorem mittendo. Unde non oportet quod habitus fidei praecedat praeparationem ad gratiam gratum facientem; sed simul homo se praeparare potest ad fidem habendam, et ad alias virtutes et gratiam habendam.

4. Quelqu’un peut aussi se préparer à avoir la foi par ce qui est au pouvoir de la raison naturelle. Aussi dit-on que, si quelqu’un, qui est né chez les peuples barbares, accomplit ce qui est en son pouvoir, Dieu lui révélera ce qui est nécessaire au salut, soit en l’inspirant, soit en lui envoyant un maître. Aussi n’est-il pas nécessaire que l’habitus de foi précède la préparation à la grâce sanctifiante, mais l’homme peut se préparer en même temps à avoir la foi et aux autres vertus, et à avoir la grâce.

[6021] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod quamvis per timorem servilem caritas inducatur; tamen non est necessarium ut timor servilis caritatem praecedat; timor enim servilis semper cum peccato mortali habetur. Multi autem caritatem consecuti sunt qui nunquam mortaliter peccaverunt. Unde objectio nihil probat ad propositum.

5. Bien que la charité soit amenée par la crainte servile, il n’est cependant pas nécessaire que la crainte servile précède la charité. En effet, la crainte servile existe toujours avec le péché mortel. Or, beaucoup, qui n’ont jamais péché mortellement ont obtenu la charité. L’objection ne démontre donc rien sur la question en cause.

 

 

ARTICULUS 5 Utrum homo possit scire aliquid verum sine gratia

Article 5 – L’homme peut-il connaître quelque vérité sans la grâce ?

[6023] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur quod sine gratia homo nihil verum scire possit. Primo per id quod dicitur 1 Cor. 12, 3: nemo potest dicere, dominus Jesus, nisi in spiritu sancto; ubi dicit Ambrosius quod omne verum, a quocumque dicatur, a spiritu sancto est. Sed spiritus sanctus non habitat in nobis nisi per gratiam. Ergo nullum verum dici aut sciri, sine gratia potest.

1. Il semble que, sans la grâce, l’homme ne puisse rien connaître de vrai. Premièrement, en raison de ce qui est dit en 1 Co 12, 3 : Personne ne peut dire : « Jésus Seigneur ! », si ce n’est dans l’Esprit saint. Ambroise dit à ce sujet que toute vérité, quel que soit celui qui la dit, vient de l’Esprit saint. Or, l’Esprit saint n’habite en nous que par la grâce. Aucune vérité ne peut donc être dite ni connue sans la grâce.

[6024] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 2Praeterea, revelatio divina non fit nisi per infusionem alicujus luminis gratis dati. Sed Rom. 1 dicitur quod illis, scilicet philosophis, revelavit ea quae etiam naturali ratione cognoverunt. Ergo nulla cognitio veritatis potest esse sine aliquo lumine gratiae infuso.

2. La révélation divine ne se réalise que par l’infusion d’une lumière gratuite. Or, il est dit, en Rm 1, qu’elle leur – c’est-à-dire aux philosophes – a révélé ce qu’ils connaissaient par la raison naturelle. Aucune connaissance de la vérité n’est donc possible sans une lumière infuse de la grâce.

[6025] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 3Praeterea, facilior via est cognoscendi aliquid per doctrinam quam per inventionem. Sed, sicut Augustinus in Lib. de magistro dicit, nullus potest discere exterius, nisi interius Deus doceat; unde patet quod per doctrinam cognitionem veritatis homo habere non potest nisi per gratiae auxilium interius operantis. Ergo multo minus per inventionem; et ita nullo modo: quia omne quod quis novit, discens vel inveniens novit, ut philosophus dicit.

3. Le chemin vers la connaissance de quelque chose est plus facile par l’enseignement que par l’invention. Or, comme le dit Augustin dans le livre Sur le maître, « personne ne peut apprendre de l’extérieur à moins que Dieu ne l’enseigne de l’intérieur ». Il en ressort clairement que, par l’enseignement, l’homme ne peut avoir la connaissance de la vérité que par l’aide intérieure de la grâce. Donc, encore bien moins [le peut-il] par l’invention, et ainsi, d’aucune manière, car « tout ce que quelqu’un sait, il le sait en l’apprenant ou en le trouvant », comme le dit le Philosophe.

[6026] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 4Praeterea, sicut se habet lux corporalis ad visum, ita se habet lux spiritualis ad intellectum. Sed nihil potest videri corporaliter nisi per influxum lucis corporalis, et praecipue maxime lucentis, quod est sol. Ergo nihil potest intelligi nisi per influxum luminis spiritualis a Deo; et hoc est gratia: ergo nullum verum sine gratia sciri potest.

4. Le rapport entre la lumière corporelle et la vue est le même qu’entre la lumière spirituelle et l’intelligence. Or, rien ne peut être vu corporellement que par l’apport de la lumière corporelle, et surtout de celle qui est la plus brillante, le soleil. Rien ne peut donc être compris que par l’apport de la lumière spirituelle de la part de Dieu, et cela est la grâce. Rien de vrai ne peut donc être connu sans la grâce.

[6027] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 5Praeterea, quaecumque sunt in genere aliquo, reducuntur sicut in causam in unum primum, quod est maximum in genere illo. Sed primum in genere intellectivorum est ipse Deus. Ergo est maxime intelligens, et causa intelligendi omnibus intelligentibus. Sed non causat aliquid in nobis nisi aliquid influendo. Ergo non possumus aliquod verum intelligere sine infusione alicujus gratiae.

5. Tout ce qui fait partie d’un genre se ramène comme à sa cause première unique à ce qui est le plus grand dans ce genre. Or, le premier dans le genre des intelligences est Dieu lui-même. Il intellige donc au plus haut point et il est la cause de l’intellection pour tous ceux qui intelligent. Or, il ne cause rien en nous qu’en agissant de l’intérieur. Nous ne pouvons donc intelliger quelque chose de vrai sans infusion d’une grâce.

[6028] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 s. c. 1Sed contra, Damascenus dicit, quod nulla res destituitur propria operatione. Sed intelligere verum est propria operatio intellectus. Ergo sine omni gratia superaddita veri cognitionem habere potest.

Cependant, [1] [Jean] Damascène dit que « rien n’est dépourvu de sa propre opération ». Or, intelliger ce qui est vrai est l’opération propre de l’intelligence. Elle peut donc avoir connaissance de la vérité sans aucune grâce ajoutée.

[6029] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 s. c. 2Praeterea, non est impotentior intellectus in intelligendo quam sensus in sentiendo. Sed sensus sine gratia potest sentire sensibilia. Ergo et intellectus sine gratia potest intelligere intelligibilia.

[2] L’intelligence n’est pas plus impuissante à intelliger que le sens à sentir. Or, le sens peut sentir les réalités sensibles sans la grâce. L’intelligence peut donc intelliger les réalités intelligibles sans la grâce.

[6030] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod verorum quaedam sunt naturali rationi proportionata, quaedam naturalem rationem excedunt. Illa naturalem rationem excedunt quae non possunt concludi ex primis principiis per se notis. Cum enim prima principia sint sicut instrumenta intellectus agentis, ut Commentator dicit in 3 de anima, oportet ea esse proportionata virtuti ejus, sicut organa corporalia sunt proportionata virtuti motivae; unde quae ex primis principiis concludi non possunt, naturale lumen intellectus excedunt. Hujusmodi autem sunt ea quae fidei sunt, et futura contingentia, et hujusmodi: et ideo horum verorum cognitio sine lumine gratiae gratis datae haberi non potest, sicut lumen fidei, et etiam prophetiae, et aliquid hujusmodi. Si autem loquamur de illis veris quae naturali rationi proportionata sunt, sciendum est quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, ut supra dictum est, quod intellectus agens est unus omnium, intellectum agentem Deum esse dicentes: et cum intellectus agens se habeat hoc modo ad intelligibilia sicut lucidum ad visibilia, volunt quod sicut non potest videri aliquid visibile nisi per emissionem radii corporalis, ita non possit intelligi aliquid intelligibile sine nova emissione radii spiritualis, qui est gratia gratis data. Sed haec positio conveniens non est, ut supra dictum est, dist. 17, qu. 2, art. 2: non enim intellectus agens est aliqua substantia separata, vel Deus, ut quidam theologi dicunt, vel intellectiva, ut plures philosophorum, ut supra dictum est, sed naturalis virtus ipsius rationalis animae. Nec tamen oportet, hac positione supposita, ut semper nova infusio gratiae fieret in cujuslibet veri cognitione; eo quod infusio et emanatio spiritualium donorum non est successiva per modum motus; sed est fixa et permanens; unde secundum unam irradiationem spiritualem, intellectus possibilis ad omnia sibi proportionata cognoscenda perficeretur. Aliorum vero opinio est, quod intellectus agens sit quaedam potentia animae rationalis; et hanc sustinendo, non potest rationabiliter poni, quod oporteat ad cognitionem veri, talis de quo loquimur, aliquod aliud lumen superinfundi: quia ad hoc verum intelligendum sufficit recipiens speciem intelligibilem, et faciens speciem esse intelligibilem in actu: et utrumque est per virtutem naturalem ipsius animae rationalis; nisi forte dicatur, quod intellectus agens insufficiens est ad hoc; et ita natura humana aliis imperfectior esset, quae non sibi sufficeret in naturalibus operationibus. Et ideo dicendum est, quod haec vera, sine omni lumine gratiae superaddito, per lumen naturale intellectus agentis cognosci possunt.

Réponse. Certaines vérités sont proportionnées à la raison naturelle, et certaines dépassent la raison naturelle. Celles qui ne peuvent être conclues des premiers principes connus par eux-mêmes dépassent la raison naturelle. En effet, puisque « les premiers principes sont comme les instruments de l’intellect agent », comme le dit le Commentateur, Sur l’âme, III, il est nécessaire qu’ils soient proportionnés à sa puissance, comme les organes corporels sont proportionnés à la puissance motrice. Ce qui ne peut être conclu à partir des premiers principes dépasse donc la lumière naturelle de l’intellect. Or, cela relève de la foi, ainsi que les futurs contingents et les choses de ce genre. La connaissance de ces vérités peut donc être obtenue sans une grâce gratuitement donnée, comme la lumière de la foi, et aussi la prophétie et quelque chose de ce genre. Mais si nous parlons des vérités qui sont proportionnées à la raison naturelle, il faut savoir qu’il existe deux opinions sur ce sujet. En effet, certains disent, ainsi qu’on l’a dit plus haut, que l’intellect agent est unique pour tous : ils disent que l’intellect agent est Dieu. Et puisque que le rapport de l’intellect agent à ce qui est intelligible est le même que celui d’une source de lumière à ce qui est visible, ils veulent que, de même qu’un objet visible ne peut être vu que par l’émission d’un rayon corporel, de même ce qui est intelligible ne peut être intelligé que par une nouvelle émission d’un rayon spirituel, qui est la grâce gratuite. Mais cette position n’est pas appropriée, comme on l’a dit plus haut, d. 17, q. 2, a. 2. En effet, l’intellect agent n’est pas une substance séparée ou Dieu, comme le disent certains théologiens, ou une [substance] intellective, comme le disent plusieurs philosophes, ainsi qu’on l’a dit plus haut, mais une puissance naturelle de l’âme raisonnable elle-même. En supposant cettte position, il n’est pas non plus nécessaire, qu’une nouvelle infusion de la grâce soit toujours faite pour la connaissance de toute vérité, du fait que l’infusion et l’émanation des dons spirituels ne sont pas successives à la manière d’un mouvement, mais qu’elles sont fixes et permanentes. Aussi, l’intellect possible serait-il perfectionné selon une seule irradiation spirituelle pour connaître tout ce qui lui est proportionné. Mais l’opinion des autres est que l’intellect agent est une puissance de l’âme raisonnable. Si on la soutient, on ne peut raisonnablement affirmer qu’une autre lumière vérité soit infusée pour la connaissance d’une vérité comme celle dont nous parlons, car, pour intelliger cette vérité, il suffit que ce qui reçoit l’espèce intelligible rende l’espèce intelligible en acte. Et les deux choses se réalisent par la puissance naturelle de l’âme raisonnable elle-même, à moins qu’on dise que l’intellect agent est incapable de cela. Et ainsi, la nature humaine serait plus imparfaite que les autres, alors qu’elle ne serait pas capable de ses opérations naturelles. Il faut donc dire que ces vérités peuvent être connues par la lumière naturelle de l’intellect agent, sans aucun ajout de la lumière de la grâce.

[6031] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod sicut Deus operatur in natura, et continet virtutem naturalem; ita etiam operatur in intellectu, et continet virtutem intellectivam: unde sicut nullum opus naturale est nisi in Deo sicut in continente, nec ambulatio, nec aliquid hujusmodi; ita etiam nec cognitio veritatis est nisi in spiritu sancto, qui in intellectu operatur, et ipsum conservat.

1. De même que Dieu agit dans la nature et maintient la puissance naturelle, de même aussi agit-il dans l’intellect et maintient-il la puissance intellective. Puisque aucune action naturelle ne peut exister qu’en Dieu comme dans ce qui la maintient, que ce soit la marche ou quelque chose de ce genre, de même la connaissance la vérité n’existe-t-elle que dans l’Esprit saint, qui agit dans l’intellect et le conserve.

[6032] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 ad 2Ad secundum dicendum, quod sicut ibidem in Glossa exponitur, pro tanto dicitur eis Deus revelasse, quia naturalem rationem eis dedit, et creaturas condidit, in quibus majestas creatoris cognosci poterat, et non per aliquod lumen gratiae naturali lumini superadditum.

2. Comme la Glose l’explique au même endroit, on dit que Dieu leur a révélé parce qu’il leur a donné la raison naturelle et a créé les créatures par lesquelles la majesté du Créateur pouvait être connue, et non par quelque lumière de la grâce ajoutée à la lumière naturelle.

[6033] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 ad 3Ad tertium dicendum, quod sicut dicit Augustinus, 1 de doctrina Christ., ille qui docet, similis est ei qui movet digitum ad aliquid ostendendum; unde sicut homo potest exterius movere digitum ut aliquid ostendat, non autem potest conferre virtutem visivam; per quam ille qui docetur, doctrinam visibilem advertat; ita etiam potest homo exterius verba proferre, quae sunt signa veritatis, non tamen veri intelligendi virtutem praebere, quae a solo Deo est. Pro tanto ergo dicitur ipse solus Deus docere, quia vim intelligendi in nobis continet et causat; non ex hoc quod in qualibet cognitione veritatis novum lumen gratiae superinfundat. Qualiter autem diversimode Deus, Angeli et homo docere dicuntur, dictum est supra, dist. 9.

3. Comme le dit Augustin, dans Sur l’enseignement chrétien, I, « celui qui enseigne est semblable à celui qui bouge le doigt pour montrer quelque chose ». Puisque l’homme peut bouger extérieurement le doigt afin de montrer quelque chose, mais qu’il ne peut donner la puissance visuelle, par laquelle celui qui reçoit l’enseignement remarque l’enseignement visible, de même l’homme peut proférer extérieurement des paroles qui sont des signes de la vérité, mais il ne peut donner la puissance d’intelliger ce qui est vrai, laquelle vient de Dieu seul. C’est ainsi qu’on dit de Dieu seul qu’il enseigne, parce qu’il maintient et cause la capacité d’intelliger en nous, et non parce qu’il ajoute une nouvelle lumière infuse de la grâce dans chaque connaissance de la vérité. Comment on dit de Dieu, de l’ange et de l’homme qu’ils enseignent de manière différente, on l’a dit plus haut, d. 9.

[6034] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod ipsum lumen intellectus agentis est quaedam irradiatio primae lucis; secundum quod Dionysius dicit, quod omnes bonitates in creaturis participatae, sunt quidam radii divinae bonitatis; et ideo non oportet quod huic irradiationi aliud lumen superaddatur in his quae naturali rationi sunt subdita.

4. La lumière même de l’intellect agent est un certain rayonnement de la première lumière, selon ce que dit Denys, que « toutes les bontés participées dans les créatures sont des rayons de la bonté divine ». Il n’est donc pas nécessaire que soit ajoutée à ce rayonnement une autre lumière pour ce qui est soumis à la raison naturelle.

[6035] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod ipse Deus est causa cujuslibet nostrae cognitionis. Non tamen oportet quod hoc fiat per influxum alicujus gratiae, sed per influxum naturalis luminis, quod quidem lumen ab ipso est.

5. Dieu lui-même est cause de toutes nos connaissances. Cependant, il n’est pas nécessaire que cela se réalise par l’influx d’une grâce, mais par l’influx de la lumière naturelle, qui vient de lui.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 28

[6036] Super Sent., lib. 2 d. 28 q. 1 a. 5 expos.Ut sine hac credant hominem posse facere omnia Dei mandata. Intelligebant, ut simpliciter impleri possint, secundum quod sunt efficacia ad vitam aeternam promerendam. Ad hoc tamen juvante nos per suam legem atque doctrinam, ut discamus quae facere et quae sperare debeamus. Ex hoc patet quod Pelagius ponebat eorum quae in lege sunt, aut quae ad fidem pertinent, cognitionem a nobis haberi non posse per naturalem virtutem rationis; et in hoc recte sentiebat. Recte a mortalibus vivi non potest. Ut intelligatur rectitudo quae est necessaria ad opus meritorium. Nec tamen sequitur, si hoc non potest homo sine gratia, quod non possit cavere transgressionem futuram, sicut Pelagius videbatur arguere, ex uno aliud volens concludere. Id enim contra Manichaeos dixit. Videtur quod haec responsio nihil valeat: quia dictum Augustini etsi obviet positioni istorum, nihilominus potest confirmare positionem quam Pelagius astruere videbatur; et videtur quod obviet per rationem eamdem. Sed dicendum, quod non sequitur: quia opinio Manichaei erat quod voluntas erat determinata ad unum faciendum; quod si esset, ab ea ratio culpae et laudis et vituperii auferretur, sicut ab illis quae agunt per necessitatem naturae. Sed quod fides Catholica ponit, hominem non posse se a peccato liberare, quod incurrit vel per actum proprium, vel per originem vitiatam, non est ex determinatione voluntatis ad unum, sed ex ejus insufficientia ad per se acquirendum illud sine quo a peccato liberari non potest, nec divina mandata implere perfecte, scilicet gratiam. Unde non eodem modo auctoritas Augustini utrique obviat. In potestate quippe hominis est mutare in melius voluntatem. Sciendum, quod immutatio voluntatis in melius dupliciter potest intelligi. Vel secundum bonitatem civilem; et sic homo per potestatem naturalem quam a Deo accepit, potest voluntatem mutare in melius; sicut in praedicamentis dicitur, quod pravus ad meliores exercitationes deductus, et doctrinas, proficiet ut melior sit. Vel secundum bonitatem gratuitam, ut scilicet acquirat gratiam quam prius non habuit; et hoc non potest ex potestate naturali, sed ex potestate gratiae per quam meretur gratiae augmentum et consummationem.

 

 

 

DISTINCTIO 29

Distinction 29 – [La grâce dans l’état d’innocence]

 

 

PROOEMIUM

Prologue

[6037] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 pr.Postquam determinavit de gratia absolute, hic determinat de ea per comparationem ad statum primi hominis in primo statu; et dividitur in partes duas: in prima inquirit, an homo in primo statu gratiam habuerit; in secunda determinat quam poenam pro peccato incurrerit, ibi: in illius quoque peccati poenam ejectus est de Paradiso. Circa primum duo facit: primo inquirit, an homo in primo statu gratia eguerit; secundo an virtutes gratuitas habuerit, ibi: praeterea quaeri solet utrum homo ante lapsum virtutes habuerit. In illius quoque peccati poenam ejectus est de Paradiso. Hic determinat poenam quam homo incurrit pro peccato, quo gratiam et virtutem amisit; et dividitur in duo: primo determinat poenam; secundo ostendit veritatem cujusdam quaestionis ex praedictis occasionatae, ibi: potest etiam quaeri, utrum de ligno vitae ante peccatum comederit homo. Circa primum duo facit: primo ostendit quod Adam pro peccato et locum deliciarum et cibum saluberrimum amisit; secundo quomodo impeditus est ab ejus recuperatione, ibi: ne vero posset ad illud accedere, collocavit Deus ante Paradisum Cherubin. Circa primum duo facit: primo ostendit poenam ex verbis Scripturae; secundo movet quamdam dubitationem ex verbis illis; quam primo movet, ibi: his verbis insinuari videtur quod nunquam moreretur, si postea de illo ligno sumpsisset; secundo solvit, ibi: sed quia per peccatum jam mortuum corpus habebat, illa verba ex tali intellectu accipi possunt. Potest autem quaeri, utrum de ligno vitae ante peccatum comederit homo. Hic movet quamdam dubitationem ex praedictis occasionatam, scilicet an homo ante peccatum de ligno vitae comederit; et primo determinat quod sic; secundo movet iterum dubitationem contra haec ortam, et determinat eam, ibi: quare ergo perpetua soliditate, et beata immortalitate vestiti non sunt? Hic quinque quaeruntur: 1 an homo in statu innocentiae gratia indiguerit; 2 an gratiam habuit; 3 si habuit, utrum gratia humani generis, si in innocentia perstitisset, fuisset major quam sit; 4 utrum actus humani fuissent efficaciores ad merendum; 5 de poena quae in littera ponitur, hominem propter primam transgressionem consecuta.

Après avoir déterminé de la grâce de manière absolue, [le Maître] en détermine ici par rapport à l’état du premier homme en son premier état. Il y a deux parties : dans la première, il se demande si l’homme avait besoin de la grâce en son premier état ; dans la seconde, il détermine de la peine qu’il a encourue pour le péché, à cet endroit : « Comme peine pour ce péché, il fut chassé du Paradis. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il se demande si l’homme en son premier état avait besoin de la grâce ; deuxièmement, s’il avait les vertus gratuites, à cet endroit : « De plus, on a coutume de se demander si l’homme avait les vertus avant la chute. » « Comme peine pour ce péché, il fut chassé du Paradis. » Il détermine ici de la peine que l’homme a encourue pour le péché, par lequel il a perdu la grâce et la vertu. Il y a deux parties : premièrement, il détermine de la peine ; deuxièmement, il montre la vérité d’une question soulevée à partir de ce qui précède, à cet endroit : « On peut aussi se demander si l’homme a mangé de l’arbre de vie avant le péché. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’en raison du péché, Adam a perdu tant le lieu de délices que la nourriture la plus saine ; deuxièmement, comment il a été empêché de les récupéreer, à cet endroit : « Pour qu’il ne puisse pas y entrer, Dieu plaça devant le Paradis un chérubin. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre la peine à partir des paroles de l’Écriture ; deuxièmement, il soulève un doute à partir de ces paroles. D’abord, il l’écarte à cet endroit : « Par ces paroles, on semble suggérer qu’il ne serait jamais mort, s’il avait pris de cet arbre par la suite » ; deuxièmement, il le résout, à cet endroit : « Mais parce que, par le péché, il avait un corps déjà mort, ces paroles peuvent être entendues de cet intellect. » « On peut aussi se demander si l’homme a mangé de l’arbre de vie avant le péché. » Ici, [le Maître] soulève un doute occasionné par ce qui a été dit : l’homme a-t-il mangé de l’arbre de vie avant le péché ? Premièrement, il détermine qu’il en est bien ainsi ; deuxièmement, il soulève à nouveau un doute provenant de cela, à cet endroit ; « Pourquoi donc n’ont-ils pas été revêtus d’une fermeté perpétuelle et d’une immortalité bienheureuse ? » Ici, cinq questions sont posées : 1. L’homme avait-il besoin de la grâce dans l’état d’innocence ? 2. Avait-il la grâce ? 3. S’il l’avait, la grâce du genre humain, aurait-elle été plus grande qu’elle ne l’est, s’il avait persisté dans l’innocence ? 4. Les actes humains auraient-ils été plus efficaces pour mériter ? 5. À propos de la peine qui est présentée dans le texte, encourue par l’homme à cause de la première transgression.

 

 

ARTICULUS 1 Utrum natura in statu innocentiae eguerit gratia

Article 1 – La nature avait-elle besoin de la grâce dans l’état d’innocence ?

[6039] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod homo in statu innocentiae gratia non eguerit. Ad hoc enim gratia datur hominibus, ut Deo sint accepti. Sed cum humana natura integra erat, sine aliqua corruptione peccati, homo ex bonitate naturali Deo acceptus erat; omne enim bonum, et praecipue malo impermixtum, Deo acceptum est. Ergo gratia superaddita non indigebat.

1. Il semble que l’homme n’ait pas eu besoin de la grâce dans l’état d’innocence. En effet, la grâce est donnée aux hommes pour qu’ils soient agréables à Dieu. Or, puisque la nature humaine était intacte, sans corruption du péché, l’homme était agréable à Dieu par sa bonté naturelle. En effet, tout bien, surtout s’il n’est pas mêlé de mal, était agréable à Dieu. [La nature] n’avait donc pas besoin d’une grâce ajoutée.

[6040] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, gratia dividitur in operantem et cooperantem. Sed non indigebat in statu illo gratia operante, quia impius non erat; cum tamen effectus gratiae operantis sit de impio facere pium; nec iterum cooperante, quia nullam difficultatem ad bonum agendum patiebatur; gratia vero cooperans ad hoc datur ut homo bonum facile facere possit. Ergo nulla gratia indigebat.

2. La grâce se divise en opérante et coopérante. Or, dans cet état, [l’homme] n’avait pas besoin de la grâce opérante, car il n’était pas injuste, car l’effet de la grâce opérante est de rendre juste un injuste. [Il n’avait pas] non plus besoin de la grâce coopérante, car il ne souffrait d’aucune difficulté à faire le bien ; or, la grâce coopérante est donnée à l’homme pour qu’il puisse facilement faire le bien. Il n’avait donc besoin d’aucune grâce.

[6041] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, ut dicitur Deuter. 32, 4, Dei perfecta sunt opera. Non autem esset in divinis operibus perfectio, si aliquis gradus nobilitatis possibilis esset in creaturis qui institutus a Deo non esset. Ergo omnis gradus bonitatis possibilis in creaturis in rerum natura invenitur. Sed poterat Deus talem naturam condere quae per propria naturalia vitam aeternam mereretur; alias non esset omnipotens. Cum igitur nulla alia creatura hoc magis habere videatur quam homo vel Angelus, videtur quod hoc eis conveniat; et ita si natura humana pura esset, sicut in primo statu erat, homo gratia non indigeret ad vitam aeternam promerendam.

3. Comme il est dit en Dt 32, 4, les œuvres de Dieu sont parfaites. Or, la perfection n’existerait pas dans les œuvres divines, s’il existait un degré de noblesse parmi les créatures qui n’aurait pas été établi par Dieu. Tout degré de bonté possible parmi les créatures se trouve donc dans la nature des choses. Or, Dieu pouvait créer une nature telle qu’elle mériterait la vie éternelle par ses capacités naturelles, autrement, il ne serait pas tout-puissant. Puisque aucune autre créature ne semble posséder cela que l’homme ou l’ange, il semble donc que cela leur convient. Et ainsi, si la nature humaine était pure, comme elle l’était dans le premier état, l’homme n’aurait pas besoin de la grâce pour mériter la vie éternelle.

[6042] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, poena nunquam praecedit culpam, cum sit effectus ejus. Sed carentia visionis divinae est poena originalis culpae. Ergo si in natura humana non fuisset culpa, nec etiam ibi fuisset carentia divinae visionis. Sed poterat homo in statu innocentiae omni culpa carere absque gratia. Ergo et gratia non indigebat ad hoc ut ad Dei visionem perveniret.

4. La peine ne précède jamais la faute, puisqu’elle en est l’effet. Or, la carence de la vision de Dieu est la peine de la faute originelle. S’il n’y avait pas eu de faute dans la nature humaine, il n’y aurait donc pas eu non plus carence de la vision de Dieu. Or, dans l’état d’innocence, l’homme pouvait être exempt de toute faute sans la grâce. Il n’avait donc pas besoin de la grâce pour parvenir à la vision de Dieu.

[6043] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, ad hoc gratia datur homini, ut per eam Deo configuretur et assimiletur. Sed ex conditione naturae suae homo ad imaginem et similitudinem Dei factus est. Ergo si natura in eo integra maneret, alia gratia non indigeret.

5. La grâce est donnée à l’homme afin qu’il soit assimilé à Dieu et [lui] soit configuré. Or, en vertu de la création de sa nature, l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Si la nature était demeurée intacte chez lui, il n’aurait donc pas eu besoin d’une autre grâce.

[6044] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, Rom. 6, 23, dicitur: gratia autem Dei vita aeterna. Sed necesse erat homini ut ad vitam aeternam perveniret. Ergo indigebat gratia, per quam ad eam pervenitur.

Cependant, [1] il est dit en Rm 6, 23 : La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle. Or, il était nécessaire que l’homme parvienne à la vie éternelle. Il avait donc besoin de la grâce, par laquelle on y parvient.

[6045] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, peccatum naturam humanam non mutavit; sed eadem manet ante et post. Sed meritum vitae aeternae excedit virtutem naturae post peccatum. Ergo etiam excedebat vires ejus ante peccatum; ergo indigebat gratia, per quam vitam aeternam mereretur.

[2] Le péché n’a pas changé la nature humaine, mais elle demeure la même avant et après. Or, le mérite de la vie éternelle dépasse la capacité de la nature après le péché. Il dépassait donc aussi ses forces avant le péché. [L’homme] avait donc besoin de la grâce, par laquelle il mériterait la vie éternelle.

[6046] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod duplex est necessitas. Una absoluta, quae est ex prioribus causis, ut ex materiali et formali, ex quibus componuntur res; ut quod omne compositum ex contrariis necesse est corrumpi, et hujusmodi. Alia vero est conditionata ex suppositione finis; ut si serra debeat facere serrae opus, scilicet sectionem, necesse est eam dentes ferreos habere. Haec autem necessitas est duplex: quaedam scilicet sine qua non potest haberi finis intentus, sicut sine cibo non potest haberi conservatio vitae; quaedam vero sine qua non potest aliquis ad finem de facili pertingere, sicut dicitur equus necessarius homini ad peragendum iter: et nomen utilitatis commune est utrique modorum necessitatis ultimo positorum; sed nomen indigentiae magis se habet ad primum modum eorum: illo enim proprie dicimur indigere sine quo finem consequi non possumus. Secundum hoc dico, quod homo ante peccatum gratia indigebat, quia sine gratia finem vitae aeternae nullo modo consequi potuisset: ad finem enim non pervenitur nisi per opera proportionata fini: vita autem aeterna est finis omnino naturae humanae facultatem excedens; unde etiam intellectum et desiderium superat: 1 Corinth. 2: oculus non vidit, et auris non audivit, et in cor hominis non ascendit quae praeparavit Deus iis qui diligunt illum. Ideo oportet quod opera per quae ad vitam aeternam pervenitur, vires naturae humanae excedant; unde in ea homo non potest sine aliquo dono naturalibus addito: et ideo quantumcumque natura humana sit integra, nihilominus homo gratia indiget ad vitam aeternam consequendam.

Réponse. Il existe une double nécessité. L’une, absolue, qui vient des causes premières, comme les causes matérielle et formelle, dont les choses sont composées, de sorte que tout composé de contraires se corrompt nécessairement, et ainsi de suite. Une autre [nécessité] est conditionnelle en raison de la supposition d’une fin : ainsi, si une scie doit faire le travail d’une scie, couper, il est nécessaire qu’elle ait des dents en fer. Or, cette nécessité est double : l’une sans laquelle la fin visée ne peut être obtenue – ainsi, sans nourriture, il ne peut y avoir conservation de la vie ; mais l’autre, sans laquelle quelqu’un ne peut facilement atteindre la fin, comme on dit qu’un cheval est nécessaire à l’homme pour faire un voyage. Le nom commun d’utilité est donné aux deux formes de nécessité présentées en dernier lieu ; mais le nom de besoin s’applique davantage à la première des deux. En effet, nous disons que nous avons besoin de ce sans quoi nous ne pouvons obtenir la fin. Je dis donc que l’homme, avant le péché, avait besoin de la grâce, car, sans la grâce, il n’aurait d’aucune manière pu obtenir la fin de la vie éternelle. En effet, on ne parvient à la fin que par des actes proportionnés à la fin. Or, la vie éternelle est une fin qui dépasse entièrement la capacité de la nature humaine. Elle [en] dépasse donc aussi l’intelligence et le désir. 1 Co 2 : L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, et n’est pas monté dans le cœur de l’homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Il est donc nécessaire que les actes par lesquels on parvient à la vie éternelle dépassent les forces de la nature humaine. L’homme n’en est donc pas capable sans un don ajouté à ce qui est naturel. C’est pourquoi, aussi pure soit la nature humaine, l’homme a néanmoins besoin de la grâce pour obtenir la vie éternelle.

[6047] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod unumquodque bonum Deus acceptat secundum mensuram suae bonitatis; sed illud simpliciter a Deo acceptari dicitur cui ab ipso praeparatur illa gloria qua ipse gloriosus est, scilicet visio ejus per essentiam.

1. Dieu agrée chaque bien à la mesure de sa bonté. Mais on dit qu’est tout simplement agréé par Dieu ce pour quoi est préparée par lui la gloire par laquelle il est lui-même glorieux : la vision de lui par son essence.

[6048] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod homo ante peccatum etiam operante gratia egebat. Gratiae enim operanti aliquid per se convenit, et aliquid per accidens: per se enim sibi convenit ut hominem justum formaliter faciat, et Deo gratum; sed hoc accidit sibi ut justum ex injusto faciat ex parte subjecti, in quo injustitia invenitur; hoc etiam per se est sibi conveniens ut ex non justo justum faciat, vel ex non grato gratum, sicut albedinis est ex non albo facere album; sed hoc albedini accidit ut ex nigro album faciat. Similiter etiam gratiae cooperantis non est ut solam facilitatem faciat in operando hoc enim haeresis Pelagiana ponebat sed ut efficaciam et virtutem quamdam novam operibus hominum praebeat, scilicet merendi vitam aeternam.

2. Avant le péché, l’homme avait aussi besoin de la grâce opérante. En effet, quelque chose convient par soi à la grâce opérante, et quelque chose, par accident. Car il convient par soi qu’elle rende l’homme juste et agréable à Dieu de manière formelle ; mais il arrive qu’elle rende l’injuste juste du point de vue du sujet, chez lequel se trouve l’injustice. Il lui convient aussi par soi de rendre l’injuste juste ou agréable [à Dieu] celui qui ne l’était pas, comme il appartient à la blancheur de rendre blanc ce qui n’était pas blanc. Mais il arrive que la blancheur rende blanc ce qui était noir. De même, il n’appartient pas à la grâce coopérante de rendre l’action plus facile seulement ‑ c’est ce qu’affirmait l’hérésie pélagienne ‑, mais de donner une efficacité et une puissance nouvelles aux actions des hommes : celles de mériter la vie éternelle.

[6049] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod non potest esse aliqua creatura quae ex propriis naturalibus vitam aeternam promereri possit, sicut non potest esse aliqua creatura quae naturae divinae aequetur: nec hoc omnipotentiae Dei derogat. Et hoc patet ex his quae supra dicta sunt.

3. Il ne peut exister de créature qui, par ses moyens naturels, puisse mériter la vie éternelle, comme il ne peut exister de créature qui soit égale à la nature divine. Et cela ne déroge pas à la toute-puissance de Dieu. Cela ressort clairement de ce qui a été dit plus haut.

[6050] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod carentia divinae visionis potest intelligi dupliciter. Vel negative; et sic non est poena, sed defectus naturam creatam consequens; nulla enim natura creata ex se sufficiens est ad Dei visionem: et sic fuisset carentia divinae visionis in homine ante peccatum, si gratiam non habuisset. Alio modo potest sumi privative, ut intelligatur aliqua obnoxietas ad carendum Dei visione; et sic est poena peccati, et in primo statu non fuisset.

4. La carence de la vision de Dieu peut s’entendre de deux manières. Négativement : ainsi, elle n’est pas une peine, mais une carence qui découle de la nature créée. En effet, aucune nature créée ne suffit par elle-même à la vision de Dieu. Telle aurait été la carence de la vision de Dieu chez l’homme avant le péché, s’il n’avait pas eu la grâce. D’une autre manière, [la carence de la vision de Dieu] peut être prise de manière privative, de telle sorte que la carence de la vision de Dieu soit un châtiment. Telle est la peine du péché, et elle n’aurait pas existé dans le premier état.

[6051] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod similitudo Dei quae convenit homini secundum sua naturalia est alia ab illa qua homo assimilatur Deo per gratiam. Nec est inconveniens ut homo in pluribus Deo assimiletur, eo quod secundum quemlibet gradum bonitatis superadditum nova similitudo in creaturis ad Deum consurgit.

5. La ressemblance à Dieu qui convient à l’homme en raison de ses attributs naturels est différente de celle par laquelle l’homme est rendu semblable à Dieu par la grâce. Et il n’est inapproprié que l’homme soit assimilé à Dieu de plusieurs manières, du fait que n’importe quel degré de bonté ajouté fait apparaître une nouvelle ressemblance à Dieu dans les créatures.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum homo ante peccatum habuerit gratiam

Article 2 – L’homme a-t-il eu la grâce avant le péché ?

[6053] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod homo ante peccatum gratiam non habuerit. Quicumque enim habet gratiam, potest proficere ad meritum vitae, eo quod per gratiam meretur quis augmentum gratiae, et ejus consummationem. Sed, ut supra Magister dixit, 24 dist., homo in primo statu non habuit unde ad meritum vitae proficere posset. Ergo gratiam non habuit.

1. Il semble que l’homme n’ait pas eu la grâce avant le péché. En effet, quiconque a la grâce peut progresser vers le mérite de la vie, du fait que, par la grâce, il mérite l’augmentation de la grâce et son aboutissement. Or, comme l’a dit plus haut le Maître, d. 24, l’homme en son premier état ne possédait pas ce par quoi il pouvait progresser vers le mérite de la vie. Il ne possédait donc pas la grâce.

[6054] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, major est potestas gratiae quam naturae. Sed quanto peccans est majoris potestatis, tanto gravius est peccatum ejus. Si ergo homo a statu gratiae cecidisset, cum Angelus ante lapsum gratiam non habuerit, ut multi dicunt, videtur quod peccatum hominis gravius quam peccatum Daemonis fuisset, quod supra negatum est.

2. Le pouvoir de la grâce est plus grand que celui de la nature. Or, plus grand est le pouvoir du pécheur, plus grave est son péché. Si donc l’homme était tombé de l’état de grâce, puisque l’ange n’avait pas la grâce avant la chute, comme le disent plusieurs, il semble que le péché de l’homme aurait été plus grave que le péché du Démon, ce qu’on a nié plus haut.

[6055] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, gratia magis convenit cum gloria quam cum natura. Sed gratia tempore in homine gloriam praecedit. Ergo multo fortius natura gratiam; et sic in primo statu gratiam non habuit.

3. La grâce a plus en commun avec la gloire qu’avec la nature. Or, la grâce a précédé la gloire dans le temps chez l’homme. À bien plus forte raison, la nature [a-t-elle précédé] la grâce, et ainsi n’a-t-elle pas possédé la grâce en son premier état.

[6056] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, gratia, quantum in se est, hominem in Deum promovet. Cum igitur in homine ante statum peccati nihil esset trahens ipsum inferius, videtur quod si gratiam habuisset, nunquam peccavisset. Peccavit autem: igitur gratiam non habuit.

4. En elle-même, la grâce fait avancer l’homme vers Dieu. Puisque, avant le péché, il n’y avait rien qui attirait l’homme vers le bas, il semble donc que, s’il avait eu la grâce, il n’aurait jamais péché. Or, il a péché. Il ne possédait donc pas la grâce.

[6057] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, ea quae homo per primum peccatum amisit, sibi restituta non sunt, sicut impassibilitas, et hujusmodi. Si ergo gratiam in statu innocentiae habuisset, eam per peccatum amissam per poenitentiam non recuperasset. Hoc autem falsum est, quia sic totum humanum genus periret. Ergo gratiam in primo statu non habuit.

5. Ce que l’homme a perdu par le premier péché ne lui a pas été restitué, telles l’impassibilité et les choses de ce genre. Si donc il avait eu la grâce dans l’état d’innocence, une fois celle-ci perdue, il ne l’aurait pas récupérée par la pénitence. Or, cela est faux, car ainsi tout le genre humain périrait. [L’homme] ne possédait donc pas la grâce en son premier état.

‘6058] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, nullus spoliatur illis quae non habet. Sed homo per peccatum fuit vulneratus in naturalibus, et spoliatus gratuitis, ut dicitur in Glossa Luc. 10. Ergo gratiam habuit.

Cependant, [1] nul n’est dépouillé de ce qu’il ne possède pas. Or, « par le péché, l’homme n’a pas été blessé dans ses attributs naturels et a été dépouillé de ses attributs gratuits », comme le dit la Glose sur Lc 10. Il possédait donc la grâce.

[6059] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, caritas nunquam est informis. In littera autem probatur quod Adam in primo statu caritatem habuit. Ergo et gratiam, sine qua non est caritas.

[2] La charité n’existe jamais à l’état informe. Or, dans le texte, on montre qu’en son premier état, Adam possédait la charité. [Il possédait] donc aussi la grâce, sans laquelle il n’y a pas de charité.

[6060] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod circa hoc est triplex opinio. Quidam enim dicunt, quod homo in primo statu gratiam non habuit, nec virtutes gratuitas. Omnes autem auctoritates sanctorum quas Magister in littera inducit ad probandum homini virtutes infuisse, exponunt de virtutibus naturalibus, quae in ipso propter integritatem humanae naturae excellentissime erant. Sed hoc non videtur auctoritatibus convenire, in quibus ponitur quod Adam caritatem habuit, quae sine gratia non habetur; et plura alia dicuntur, quae non nisi extorte ad virtutes naturales referri possunt. Alii vero distinguunt statum innocentiae in duos status: dicunt enim, quod homo in principio creationis suae sine gratia creatus est in naturalibus tantum; postmodum vero ante peccatum gratiam consecutus est; et secundum hanc distinctionem varia dicta sanctorum et doctorum concordare nituntur. Sed istud non videtur convenire dictis sanctorum et doctorum, qui de statu innocentiae quasi de uno statu non distincto loquuntur; et ideo haec positio non magnae auctoritatis est. Ideo alii dicunt, quod homo in principio creationis suae in gratia creatus est; et haec quidem positio satis congruere videtur opinioni Augustini, qui ponit res simul tempore perfectas fuisse et creatas, in materia et in forma. Prima vero opinio magis congruere videtur opinioni aliorum sanctorum, qui dicunt per successionem temporis res creatas perfectas fuisse. Quae tamen harum opinionum verior sit, multum efficaci ratione probari non potest, sicut nec aliquid eorum quae ex voluntate Dei sola dependent. Hoc tamen probabilius est, ut cum homo creatus fuerit in naturalibus integris, quae otiosa esse non poterant, quod in primo instanti creationis ad Deum conversus, gratiam consecutus sit; et ideo hanc opinionem sustinendo dicendum est.

Réponse. À ce sujet, il y a trois opinions. En effet, certains disent que l’homme, en son premier état, ne possédait ni la grâce ni les vertus gratuites. Or, toutes les autorités des saints que le Maître invoque dans le texte pour montrer que les vertus existaient dans l’homme, ils les interprètent des vertus naturelles, qui existaient chez lui d’une manière très élevée en raison de l’intégrité de la nature humaine. Mais cela ne semble pas convenir aux autorités, qui affirment d’Adam qu’il avait la charité, qui n’est pas possédée sans la grâce. Elles disent aussi plusieurs autres choses, qui ne peuvent se rapporter aux vertus naturelles qu’en les détournant de leur sens. Mais d’autres distinguent un double état à l’intérieur de l’état d’innocence. En effet, ils disent que l’homme, au début de sa création, a été créé sans la grâce, avec ses attributs naturels seulement ; mais, par la suite, avant le péché, il a reçu la grâce. Et, par cette distinction, ils s’efforcent de mettre d’accord les paroles des saints et des docteurs. Mais cela ne semble pas convenir aux paroles des saints et des docteurs, qui parlent de l’état d’innocence comme d’un seul état sans distinction. Aussi cette position n’a-t-elle pas une grande autorité. C’est pourquoi d’autres disent que l’homme, au début de sa création, a été créé dans la grâce. Cette opinion semble bien s’accorder avec l’opinion d’Augusstin, qui affirme que les choses ont été achevées et créées en même temps, pour leur matière comme pour leur forme. Mais la première opinion semble plutôt s’accorder avec l’opinion d’autres saints, qui disent que les choses créées ont été perfectionnées selon la succession du temps. Laquelle de ces opinions est plus vraie, on ne peut le montrer par un raisonnement três efficace, comme rien de ce qui dépend de la seule volonté de Dieu. Il est cependant plus probable que, puisque l’homme a été créé avec des attributs naturels intacts, qui ne pouvaient pas être inactifs, il a obtenu la grâce au premier instant de la création en se tournant vers Dieu. Aussi faut-il répondre en soutenant cette opinion.

[6061] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum, quod sicut secundum Augustinum distinctio primorum dierum attenditur secundum ordinem naturae, et non secundum successionem temporis; ita etiam secundum ordinem naturae status in naturalibus puris ad statum ejus in gratia comparatur; et non secundum ordinem temporis: et sic intelligendum est, quod homo in statu naturalium, intellectum non habuit unde proficere posset: quia dum gratiam habet, non habet hoc ex naturalibus sed ex gratuitis. Vel dicendum, quod hoc intelligendum est, quod homo non potuit proficere per se, etiam habita gratia, ut beatitudinem consequeretur; et hoc supra Magister dixit proficere ad meritum vitae.

1. De même que, selon Augustin, la distinction entre les premiers jours doit être prise selon un ordre de nature, et non selon la succession des temps, de même aussi, selon l’ordre de nature, l’état des purs attributs naturels doit-il être comparé à l’état où il possédait la grâce, et non pas selon un ordre temporel. Ainsi doit-on entendre que l’homme, dans l’état de nature, n’a pas possédé d’intelligence qui lui aurait permis de progresser, car, puisqu’il n’a pas la grâce, il ne l’a pas en vertu de ses attributs naturels, mais en vertu de ce qui est gratuit. Ou bien il faut dire qu’on doit comprendre que l’homme ne pouvait progresser par lui-même, même en possédant la grâce, vers la possession de la béatitude. C’est ce que le Maître a appelé plus haut progresser pour mériter la vie.

[6062] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod secundum tertiam opinionem tam homines quam Angeli in gratuitis creati sunt; et ideo contra eam non est hujusmodi objectio, sed contra secundam: quam sustinentes dicimus, quod potentia naturalis hoc modo se habet ad gratiam, quod ipsa subministrat substantiam actus, et gratia praebet efficaciam merendi, informando actum: et sicut majoris perfectionis est forma actus quam ipsa substantia ejus; ita e contrario major defectus est deficere in ipsa substantia actus quam deficere in forma ipsius. Quamvis autem ponatur homo gratiam habuisse, et in hoc Angelo superiorem fuisse; tamen debilior fuit in potentia naturali; et ideo defectus potentiae naturalis magis excusat peccatum hominis quam defectus gratiae peccatum Angeli; unde simpliciter peccatum hominis minus quam peccatum Angeli invenitur.

2. Selon la troisième opinion, tant les hommes que les anges ont été créés avec ce qui était gratuit ; cette objection ne s’oppose donc pas à cette [opinion], mais à la deuxième : en la soutenant, nous disons que la puissance naturelle entretient avec la grâce un rapport selon lequel elle fournit la substance de l’acte, et la grâce fournit l’efficacité pour mériter, en donnant sa forme à l’acte. Et de même que la forme de l’acte a une plus grande perfection que sa substance, de même, en sens contraire, est-ce une plus grande carence de faire défaut dans la substance de l’acte que de faire défaut dans sa forme. Bien qu’on affirme que l’homme a possédé la grâce et qu’en cela il était supérieur à l’ange, il était cependant plus faible en sa puissance naturelle. La carence de puissance naturelle excuse donc davantage le péché de l’homme que l’absence de la grâce, le péché de l’ange. Aussi, à parleer simplement, le péché de l’homme se trouve-t-il moindre que le péché de l’ange.

[6063] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod per gratiam aliquis meretur gloriam, et ideo convenienter gratia tempore gloriam praecedit. Sed per naturam non meretur gratiam; unde nihil impedit ut simul cum natura gratia infundatur.

3. On mérite la gloire par la grâce. C’est pourquoi il est approprié que la grâce précède la gloire dans le temps. Mais on ne mérite pas la grâce par la nature ; aussi rien n’empêche-t-il que la grâce soit infusée en même temps que la nature.

[6064] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod in illis quae agunt per necessitatem naturae, oportet quod agens de necessitate agat secundum exigentiam formae quae in ipso est, ut per calidum calefaciat. Hoc autem in voluntariis non tenet: unde etiamsi homo gratiam habuerit, nihilominus potest in contrarium actum transire.

4. Dans ce qui agit par nécessité de nature, il est nécessaire que l’agent agisse nécessairement selon que l’exige la forme qui se trouve en lui ; ainsi, qu’il réchauffe par ce qui est chaud. Mais cela ne vaut pas pour ce qui est volontaire. Même si l’homme a la grâce, il peut donc néanmoins passer à un acte contraire.

[6065] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod actus personales non attingunt naturam, sed personam; et ideo Adam per poenitentiam quam de peccato egit, potuit recuperare illa bona quae sibi ad actus personales data erant, sicut gratiam et virtutes; non autem illa quae toti naturae collata erant, ut immortalitas corporis, et obedientia inferiorum virium ad rationem, et hujusmodi.

5. Les actes personnels n’atteignent pas la nature, mais la personne. C’est pourquoi Adam, par la pénitence qu’il a eue de son péché, a pu récupérer les biens qui lui avaient été donnés pour ses actes personnels, telles la grâce et les vertus ; mais non pas ceux qui avaient été donnés à la nature tout entière, comme l’immortalité du corps et l’obéissance des puissances inférieures à la raison, et les choses de ce genre.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum homo in statu primo habuisset tantum de gratia quantum habuit post peccatum

Article 3 – En son premier état, l’homme aurait-il eu autant de grâce qu’il en eut après le péché ?

[6067] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in primo statu homo non tantum de gratia habuisset quantum post peccatum. Ut enim philosophus dicit, ridiculum est temperantiam et fortitudinem in diis ponere, cum in eis passiones innatae et illatae non sint, circa quas fortitudo et temperantia medium communicant. Sed in primo statu Adam hujusmodi passionibus caruisset. Ergo et per consequens his virtutibus, quas tamen homo post peccatum habuit gratuitas. Non ergo tot gratias homo ante peccatum habuisset, sicut post habuit.

1. Il semble qu’en son premier état, l’homme n’aurait pas eu autant de grâce qu’après le péché. En effet, comme le dit le Philosophe, il est ridicule de placer la tempérance et la force chez les dieux, alors qu’il n’y a pas de passions innées et acquises chez eux, pour lesquelles la force et la tempérance confèrent un milieu. Or, en son premier état, Adam aurait été dépourvu de ces passions. Par conséquent, de ces vertus aussi, que l’homme a cependant possédées gratuitement après le péché. L’homme n’aurait donc pas eu autant de grâces avant le péché, qu’il en eut après.

[6068] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, perseverantia quaedam virtus est, quam multi post peccati statum habent. Haec autem Adae defuit, ut ejus casus ostendit. Non igitur tot virtutes habuit quot homines in peccato nati habent; et sic idem quod prius.

2. La persévérance est une vertu que beaucoup possèdent après l’état de péché. Or, celle-ci a fait défaut à Adam, comme le montre sa chute. Il n’a donc pas eu autant de vertus que les hommes nés dans le péché. La conclusion est donc la même que précédemment.

[6069] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, plus indigenti Deus plus tribuit: quia misericordia miseriam intuetur, ut dicit Bernardus. Sed homo plus indiget gratiae auxilio post peccatum quam ante, cum magis in naturalibus infirmetur. Ergo plus de gratia post peccatum homini confertur quam ante contulisset.

3. « Dieu a donné davantage à l’indigent, car la miséricorde portera attention à la misère », comme le dit Bernard. Or, l’homme a davantage besoin de l’aide de la grâce après le péché qu’avant, puisqu’il est plus faible dans ses attributs naturels. Plus de grâce est donc donnée à l’homme après le péché qu’il ne lui en avant été donné avant.

[6070] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, Deus cum sit summe bonus, ut Augustinus dicit, mala esse non permitteret, nisi esset adeo potens ut ex malis bonum eliceret. Sed non ostenderetur perfecte divina bonitas, nisi bonum quod ex malo Deus elicit, excederet illud bonum quod per malum privatur. Ergo bonum hominis, quod ex peccato ejus Deus elicit, excedit illud bonum quod ante peccatum erat, et est postmodum per peccatum privatum; et sic major est gratia post peccatum quam ante.

4. « Dieu, puisqu’il est bon au plus haut point, comme le dit Augustin, ne permettrait pas qu’existe le mal, s’il n’était pas assez puissant pour tirer le bien du mal. » Or, la bonté divine ne serait pas parfaitement manifestée, si le bien que Dieu tire du mal ne dépassait pas le bien dont [l’homme] est privé par le mal. Le bien de l’homme, que Dieu tire de son péché, dépasse donc le bien qui existait avant le péché et dont il a été privé par le péché. La grâce qui suit le péché est donc plus grande qu’avant.

[6071] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, tota plenitudo gratiae humani generis ex virtute incarnationis et passionis Christi procedit; unde dicitur Joan. 1, 16: de plenitudine ejus omnes accepimus. Sed si Adam non peccasset, Christus non fuisset incarnatus, ut quidam dicunt; vel saltem non fuisset passus, ut omnes dicunt. Ergo non tanta plenitudo gratiae fuisset in humano genere ante peccatum, sicut post.

5. Toute la plénitude de la grâce du genre humain vient de la puissance de l’incarnation et de la passion du Christ. Aussi est-il dit, Jn 1, 16 : Nous avons tous reçu de sa plénitude. Or, si Adam n’avait pas péché, le Christ ne se serait pas incarné, comme le disent certains, ou, à tout le moins, il n’aurait pas souffert, comme tous les disent. Il n’y aurait donc pas eu une aussi grande plénitude de grâce dans le genre humain avant le péché qu’après.

[6072] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra, Matth. 25, 15: dedit (...) unicuique secundum propriam virtutem; et exponitur in Glossa de collatione gratiarum. Virtus autem hominum naturalis, major erat ante peccatum quam post. Ergo et plus de gratia consecuti fuissent ante peccatum quam post.

Cependant, [1] Mt 25, 15 dit en sens contraire : Il a donné à chacun… selon sans propre vertu ; et la Glose l’explique du don de la grâce. Or, la vertu naturelle des hommes était plus grande avant le péché qu’après. Ils auraient donc reçu plus de grâce avant le péché qu’après.

[6073] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, nullus ex peccato reportat commodum. Sed si homo post peccatum majorem gratiam haberet quam ante, commodum ex malo reportaret. Ergo et cetera.

[2] Personne ne tire un bien du péché. Or, si l’homme avait eu une plus grande grâce après le péché qu’avant, il aurait tiré un bien du mal. Donc, etc.

[6074] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod donorum gratuitorum quaedam ordinantur absolute in perfectionem ejus cui conferuntur, quaedam autem ad utilitatem aliorum, ut dicitur 1 Corinth. 12, 7: unicuique datur manifestatio spiritus ad utilitatem. Utilitas autem quaedam est, ut defectibus proximorum subveniatur, sicut per operationem signorum infidelitati succurritur: quia signa data non sunt fidelibus sed infidelibus, 1 Corinth. 14: et similiter est etiam de generibus linguarum, et de aliis hujusmodi donis. Et quia hujusmodi defectus in primo statu non fuissent; ideo etiam nec talia dona homini collata forent, quae contra hos defectus ordinantur. Dona vero absolute in perfectionem recipientis ordinata sunt ea quibus homo in actibus propriis perficitur et secundum animam et secundum corpus, sicut est gratia gratum faciens, virtutes, donum scientiae et sapientiae, et hujusmodi, et impassibilitas corporis; et in his homo in primo statu, simpliciter loquendo, magis abundasset quam in secundo statu post peccatum. Sed iste excessus potest considerari dupliciter; vel intensive, vel extensive. Extensive quidem: quia plura de hujusmodi homo in primo statu quam in secundo habuisset: habuit enim impassibilitatem corporis, et perfectam obedientiam inferiorum virium ad rationem, et hujusmodi, quae in hominibus post peccatum non inveniuntur. Sed verum est quod etiam quaedam dona post peccatum sunt quae imperfectionem annexam habent, quae aut in primo statu non fuissent omnino; aut si fuissent, secundum alium modum et alios actus fuissent; ut tamen hoc intelligatur de imperfectione, non quae naturam consequitur, sed quae ex peccato consecuta est. Fides enim imperfectionem habet consequentem naturam, cujus est divina quasi in speculo intueri; et hoc etiam homini in primo statu congruisset, licet vidisset clarius divina, ut supra dictum est. Et ideo fides in primo statu fuisset etiam secundum ejusdem generis actum, quamvis perfectior quam modo sit. Continentia vero, quae importat imperfectionem in repugnantia passionum ex peccato causata, secundum quod philosophus continentiam accipit in 7 Ethic., in primo statu non fuisset; et similiter poenitentia, si specialis virtus ponatur, ad minus secundum eosdem actus quos nunc habet; et similis ratio est de aliis similibus. Si autem excessus intensive consideretur, et praecipue quantum ad dona gratum facientia, sic considerando statum ad statum, universaliter homo ante peccatum ampliori gratia praeditus fuisset quam post. Sed tantum non est inconveniens quod aliquis post statum peccati multo majorem gratiam habeat quam aliqui habuissent etiam in primo statu, eo quod gratiae non tantum dantur secundum mensuram naturalis virtutis, seu capacitatis, sed secundum conatum, quem contingit esse majorem in eo qui minoris virtutis est, sicut etiam dicitur de comparatione hominum novi et veteris testamenti.

Réponse. Parmi les dons gratuits, certains sont ordonnés de manière absolue à la perfection de celui à qui ils sont conférés, mais certains à l’utilité des autres, comme on le dit en 1 Co 12, 7 : La manifestation de l’Esprit est donnée à chacun en vue du bien commun. Or, c’est un bien que de venir au secours des besoins du prochain, comme de venir au secours de l’infidélité par l’accomplissement de signes, car les signes n’ont pas été donnés pour les croyants, mais pour les incroyants, 1 Co 14 ; et il en est de même aussi pour les diverses langues et pour les autres dons de ce genre. Et parce que, dans le premier état, ces carences n’auraient pas existé, de tels dons, qui sont ordonnés à contrer ces carences, n’auraient pas non plus été faits à l’homme. Mais ont été ordonnés de manière absolue à la perfection de celui qui les reçoit les dons par lesquels l’homme est perfectionné dans ses actes, tant dans son âme que dans son corps, comme la grâce qui rend agréable [à Dieu], les vertus, les dons de science et de sagesse et ceux de ce genre, et l’impassibilité du corps. En son premier état, à parler simplement, l’homme aurait été plus abondamment pourvu de ces dons, que dans son second état après le péché. Or, ce dépassement peut être envisagé de deux manières : intensive ou extensive. De manière extensive, parce que l’homme aurait possédé davantage de ceux-là en son premier état que dans son second. En effet, il possédait l’impassibilité du corps et la parfaite obéissance des puissances inférieures à la raison, et ainsi de suite, ce qui ne se rencontre pas chez les hommes après le péché. Mais il est vrai qu’il existe certains dons après le péché, auxquels est associée une imperfection ; ils n’auraient pas du tout existé en son premier état ou, s’ils l’avaient fait, cela aurait été sous un autre mode et selon d’autres actes, de sorte qu’on l’entende d’une imperfection qui ne découle pas de la nature, mais qui aurait découlé du péché. En effet, la foi comporte une imperfection qui découle de la nature : il relève d’elle d’observer les réalités divines comme dans un miroir. Et cela aura convenu à l’homme en son premier état, bien qu’il aurait vu les réalités divines plus clairement, ainsi qu’on l’a dit plus haut. C’est pourquoi la foi, dans le premier état, aurait possédé le même genre d’acte, bien que plus parfait, qu’il n’existe maintenant. Mais la continence, qui comporte une imperfection par la résistance des passions causée par le péché, au sens où le Philosophe entend la continence dans Éthique, VII, n’aurait pas existé dans le premier état. De même en est-il de la pénitence, si on en fait une vertu spéciale, du moins pour les mêmes actes qu’elle a maintenant. Et le même raisonnement vaut pour les autres [vertus] similaires. Mais si on envisage le dépassement de manière intensive, surtout pour ce qui est des dons qui rendent agréables [à Dieu], en envisageant ainsi un état en le comparant à l’autre, l’homme avait été pourvu d’une grâce plus grande avant le péché qu’après. Toutefois, il n’est pas inapproprié que quelqu’un ait une grâce beaucoup plus grande après l’état de péché que certains n’en ont eu dans le premier état, du fait que les grâces ne sont pas seulement données à la mesure de la vertu ou de la capacité naturelle, mais à la mesure de l’effort, qui peut être plus grand chez celui qui a une vertu moindre, comme on le dit aussi si l’on compare les hommes de la nouvelle et de l’ancienne alliance.

[6075] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Angeli quos philosophus deos vocat, sicut et Dionysius, hujusmodi virtutes cardinales non habeant secundum eosdem actus quibus in nobis sunt, habent tamen eas secundum quosdam eminentiores actus, et praecipue secundum quod constituuntur eorum actus circa finem: et hoc modo in homine etiam ante statum peccati fortitudo et temperantia esse potuisset. Tamen sciendum est, quod alia ratio est de homine ante peccatum, et de Angelo et de homine glorificato. Homo enim in primo statu quamvis hujusmodi passionibus actu non subjaceret, tamen naturam habebat quae, quantum in se est, his passionibus subjicibilis erat; et possibile erat eis subjici, si peccaret, nondum homine confirmato. Sed homo glorificatus, etsi naturam habeat cui, secundum se consideratae, natae sunt hujusmodi passiones inesse, tamen per habitum gloriae omnino aditus his passionibus tollitur. Angelus vero nec naturam nec passibilitatem respectu harum passionum habet. Unde patet quod hujusmodi virtutes, quantum ad actus qui sunt viae, nunc in nobis magis remotae sunt ab Angelis quam ab hominibus glorificatis; et ab hominibus glorificatis magis quam ab eis in primo statu existentibus.

1. Bien que les anges, appelés dieux par le Philosophe, ainsi que par Denys, ne possèdent pas ces vertus cardinales selon les mêmes actes par lesquels elles se trouvent en nous, ils les possèdent cependant selon des actes plus élevés, surtout lorsque leurs actes portent sur la fin ; de cette manière, la force et la tempérance auraient pu aussi exister chez l’homme avant l’état de péché. Il faut cependant savoir qu’il en va autrement de l’homme avant le péché, et de l’ange et de l’homme glorifié. En effet, en son premier état, bien que l’homme n’ait pas été soumis en acte aux passions de ce genre, il possédait cependant une nature qui, en elle-même, pouvait être soumise à ces passions ; et il était possible qu’elle leur soit soumise, s’il péchait, alors que l’homme n’était pas encore confirmé [dans le bien]. Mais l’homme glorifié, même s’il possède une nature à laquelle, si on la considère en elle-même, ces passions appartiennent par nature, l’accès à ces passions est cependant entièrement enlevé par l’habitus de la gloire. Mais l’ange ne possède ni une nature ni la capacité d’être soumis à ces passions. Il ressort donc clairement que les vertus de ce genre, pour ce qui est des actes qui sont ceux du cheminement (actus viae), sont maintenant en nous plus éloignées des anges que des hommes glorifiés, et des hommes glorifiés plus que de ceux qui se trouvaient dans le premier état.

[6076] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod perseverantia dupliciter dicitur. Uno enim modo est specialis virtus, cujus actus est habere propositum semper in bono permanendi; et talem virtutem Adam habuit et multi qui post corruerunt. Alio modo est quaedam circumstantia consequens virtutes alias; et sic non ponit specialem virtutem, sed continuationem quamdam virtutis usque ad mortem; et sic Adam in primo statu perseverantiam non habuit.

2. On parle de persévérance de deux manières. En premier lieu, elle est une vertu spéciale, dont l’acte consiste à avoir le propos de demeurer toujours dans le bien. Adam possédait une telle vertu, et beaucoup qui ont chuté par la suite. D’une autre manière, elle est une circonstance qui découle des autres vertus. Elle ne constitue pas ainsi une vertu spéciale, mais la poursuite de la vertu jusqu’à la mort. Adam n’a pas possédé ainsi la persévérance en son premier état.

[6077] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod plus indigenti Deus plus tribuit, dummodo sit magis ad recipiendum dispositus; alias non est verum. Tamen sciendum est, quod cum indigentia dicatur respectu finis, ut dictum est, non est dicendum, quod homo post peccatum magis eguerit gratia quam ante. Illud enim ad quod per se gratia est ordinata, scilicet gloria, supra vires hominis est, sive ante peccatum sive post peccatum. Unde quantum ad hoc non magis indiget post quam ante; sed quantum ad hoc ad quod per accidens gratia ordinatur, quod est remotio mali, magis homo post peccatum indiget, et per respectum ad gloriam attenditur mensura gratiae: quia per gratiam majorem, majorem quis gloriam meretur; non autem per respectum ad remotionem peccati vel infirmitatis: quia minima gratia sufficit ad delendum omnia peccata. Unde non majori gratia indiget homo post peccatum quam ante; sed verum est quod ad plura gratia indiget, quae tamen plura, quantalibet gratia facere potest.

3. Dieu donne plus à celui qui a plus besoin, pourvu qu’il soit mieux disposé à recevoir, autrement cela n’est pas vrai. Il faut cependant savoir que, si l’on parle de besoin par rapport à la fin, ainsi qu’on l’a dit, il ne faut pas dire que l’homme a eu davantage besoin de la grâce après le péché qu’avant. En effet, ce à quoi la grâce est ordonnée par elle-même, à savoir, la gloire, dépasse les forces de l’homme, avant le péché ou après le péché. Sous cet aspect, il n’en a donc pas davantage besoin après qu’avant. Mais, pour ce à quoi la grâce est ordonnée par accident, l’éloignement du mal, l’homme en a davantage besoin après le péché, et la mesure de la grâce est prise par rapport à la gloire, car, par une grâce plus grande, on mérite une gloire plus grande ; mais non par rapport à l’éloignement du péché ou de la faiblesse, car la moindre grâce suffit à détruire tous les péchés. Aussi l’homme n’a-t-il pas besoin d’une grâce plus grande après le péché qu’avant ; mais il est vrai qu’il a besoin de la grâce pour plus de choses que la grâce peut accomplir, quel qu’en soit le nombre.

[6078] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod Deus ex malo semper majus bonum elicit; non tamen illi de necessitate in quo malum esse permittit, sed in comparatione ad universum, cujus pulcritudo consistit ex hoc quod mala esse sinuntur. Bonum autem universi praeponderat bono particularis rei, sicut bonum gentis est divinius quam bonum hominis, ut in 1 Ethic. philosophus dicit.

4. Dieu tire toujours du mal un plus grand bien ; non pas cependant pour celui chez qui il permet qu’un plus grand mal existe, mais en regard de l’univers, dont la beauté vient de ce qu’il est permis au mal d’y exister. Or, le bien de l’univers l’emporte sur le bien d’une chose particulière, comme le bien du peuple est plus divin que le bien d’un homme, ainsi que le dit le Philosophe dans Éthique, I.

[6079] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod Christus ad hoc fuit passus ut hominis naturam repararet. Unde per passionem Christi non apparet quod majorem gratiam homo consecutus sit post peccatum quam ante fuisset sine ea, loquendo de gratia in ordine ad praemium essentiale: quia aliquod praemium accidentale homo per passionem Christi consequitur quod ante peccatum non habuisset, scilicet gaudium de victoria Christi.

5. Le Christ a souffert pour réparer la nature de l’homme. Aussi la passion du Christ ne montre-t-elle pas que l’homme a obtenu une plus grande gloire après le péché qu’avant de se trouver sans elle, si l’on parle de la grâce en regard de la récompense essentielle, car, par la passion du Christ, l’homme obtient une récompense accidentelle qu’il n’aurait pas eue avant le péché, à savoir, la joie de la victoire du Christ.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum opera hominis sint magis efficacia ad merendum gratiam post peccatum quam ante peccatum

Article 4 – Les actions de l’homme sont-elles plus efficaces pour mériter la grâce après le péché qu’avant le péché ?

[6081] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod post peccatum opera hominis fuissent magis efficacia ad merendum quam ante peccatum. In primo enim statu homo sicut nec ad malum impellens aliquid habebat, ita nec a bono retrahens. Sed Sup., 24 dist., Magister dixit, quod primus homo resistendo tentationi non meruisset; quia nihil erat quod ad malum impelleret. Ergo similiter faciendo bonum, vel nihil vel minus meruisset: quia nihil erat quod a bono impediret.

1. Il semble qu’après le péché, les actions de l’homme aient été plus effiaces pour mériter qu’avant le péché. En effet, en son premier état, l’homme, de même qu’il n’avait rien pour le pousser au mal, n’avait rien pour le retenir du bien. Or, le Maître a dit plus haut, d. 24, que le premier homme, en résistant à la tentation, n’aurait pas mérité, car il n’y avait rien qui le poussât au mal. De même, en faisant le bien, n’aurait-il rien mérité ou peu, car rien ne l’empêchait par rapport au bien.

[6082] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 2Praeterea, dicit apostolus, 2 Timoth. 2, 5: non coronabitur nisi qui legitime certaverit. Sed homo in primo statu non ita impugnabatur sicut post peccatum. Ergo nec ita coronam efficaciter merebatur.

2. L’Apôtre dit, 2 Tm 2, 5 : Ne sera couronné que celui qui aura combattu selon les règles. Or, en son premier état, l’homme ne combattait pas comme après le péché. Il ne méritait donc pas la couronne aussi efficacement.

[6083] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 3Praeterea, ut philosophus dicit in 2 Ethic., virtus est circa difficilia. Sed difficilius est homini post peccatum bonum operari quam ante. Cum ergo ex virtute procedat efficacia meriti, videtur quod ante peccatum actus hominis fuerint minus efficaces ad merendum quam post.

3. Comme le dit le Philosophe, Éthique, II, la vertu porte sur ce qui est difficile. Or, il est plus difficile pour l’homme de bien agir après le péché qu’avant. Puisque l’efficacité pour le mérite vient de la vertu, il semble donc qu’avant le péché, les actes de l’homme étaient moins efficaces pour mériter qu’après.

[6084] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 4Praeterea, homo in primo statu fuit quasi medius inter statum Angelorum et statum nostrum, ut ex his quae 23 dist. dicta sunt patet. Sed operationes Angeli non sunt ita efficaces ad merendum sicut operationes hominis; quod patet ex hoc quod inferior Angelus mereri gradum superioris non potest; sed homo potest mereri ut ascendat ad supremum ordinem Angelorum, ut ex dictis Gregorii patet, in Homil. de centum ovibus. Ergo et homo in primo statu habuit opera minus efficacia ad merendum quam post peccatum.

4. En son premier état, l’homme était comme intermédiaire entre l’état des anges et notre état, comme cela ressort de ce qui a été dit dans la d. 23. Or, les opérations des anges ne sont pas aussi efficaces pour mériter que les opérations de l’homme, ce qui ressort du fait qu’un ange inférieur ne peut mériter le degré de [l’ange] supérieur, mais que l’homme peut mériter de monter jusqu’à l’ordre le plus élevé des anges, comme cela ressort des paroles de Grégoire, dans son homélie sur les cent brebis. En son premier état, l’homme avait donc des actions moins efficaces pour mériter qu’après le péché.

[6085] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 5Praeterea, ut in 1 Lib., distinct. 2, Magister dixit, homo factus est ad reparationem ruinae angelicae. Sed de quolibet ordine Angelorum aliqui ceciderunt, ut supra, 6 distinct., dictum est. Ergo oportet quod qualitercumque vadat humana natura, sive in statu innocentiae, sive in statu peccati, ad singulos ordines Angelorum aliqui homines transferantur. Cum ergo hoc non fiat nisi ex virtute meriti, videtur quod saltem non majoris efficaciae ad merendum fuerint opera hominis in statu innocentiae, quam post peccatum.

5. Comme l’a dit le Maître, I, d. 2, l’homme a été créé pour réparer la chute de l’ange. Or, quelques-uns sont tombés en chaque ordre des anges, comme on l’a dit plus haut, d. 6. Il est donc nécessaire que, quel que soit le destin de la nature humaine, soit dans l’état d’innocence, soit dans l’état de péché, certains hommes soient amenés dans chaque ordre des anges. Puisque cela ne se réalise qu’en vertu du mérite, il semble donc qu’au moins dans l’état d’innocence, les actions de l’homme n’ont pas eu plus d’efficacité pour mériter, qu’après le péché.

[6086] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 1Sed contra, quanto aliquid est magis purum in genere aliquo, tanto magis habet virtutem illius generis, sicut ignis purus quam ignis commixtus. Sed merita nostra sunt admixta alicui demerito: quod patet ex hoc quod dicitur Isa. 64, 6: quasi pannus menstruatae omnes justitiae nostrae. Cum igitur in primo statu absque omni permixtione demeriti fuissent, videtur quod tunc fuissent efficaciora ad merendum.

Cependant, [1] plus quelque chose est pur dans un genre, plus cela possède la puissance de ce genre, comme le feu pur davantage que le feu mélangé. Or, nos mérites sont mélangés à du démérite, ce qui ressort de ce qui est dit dans Is 64, 6 : Nos bonnes actions comme le linge souillée d’une femme menstruée. Puisqu’elles existaient sans aucun mélange de démérite dans le premier état, il semble qu’elles étaient alors plus efficaces pour mériter.

[6087] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 2Praeterea, quanto voluntas promptior est ad operandum, tanto homo magis meretur; 2 Corinth. 8, 12: si voluntas prompta est, secundum id quod habet, accepta est, non secundum id quod non habet. Sed in primo statu voluntas promptior erat ad bene agendum, quia minus impediebatur. Ergo opera hominis magis erant efficacia ad merendum.

[2] Plus la volonté est empressée à agir, plus l’homme mérite. 2 Co 8, 12 : Si la volonté est empressée, elle est agréée pour ce qu’elle a, et non pour ce qu’elle n’a pas. Or, dans le premier état, la volonté était plus empressée à bien agir, car elle en était moins empêchée. Les actions de l’homme étaient donc plus efficaces pour mériter.

[6088] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod cum meritum non consistat in habitu, sed in actu, nec in actu quolibet, sed in eo qui per habitum gratiae informatur, actus autem omnis meritorius ex voluntate procedat; oportet quod meritum aliquid habeat a gratia, et aliquid a voluntate, et aliquid etiam ab objecto actus, unde species actus trahitur: et ideo ex his tribus efficacia merendi mensurari potest ex gratia, voluntate, et objecto. Quanto enim majori caritate et gratia actus informatur, tanto magis est meritorius: similiter etiam quanto magis est voluntarium, plus habet de ratione meriti et laudabilis: similiter etiam quanto magis objectum est arduum, tanto magis est actus meritorius, cum semper intelligatur comparatio de uno ceteris paribus. Quod autem aliquod arduum augmentet rationem meriti, non habet ex difficultate laboris, sed ex bonitate; quia quanto aliquid melius est, tanto supra vires hominis operantis est magis elevatum. Quia igitur homo in primo statu, ut dictum est, majorem gratiam communiter habuisset quam post peccatum, et promptior fuisset voluntas ad operandum, quae resistentiam non habebat; sequitur quod opera hominis in primo statu simpliciter magis erant efficacia ad merendum quam post, dummodo circa idem objectum operatio consideretur utrobique; quamvis majori difficultate circa illud operetur homo post peccatum quam ante. Non enim arduum opus auget rationem meriti nisi ratione bonitatis, et non ratione difficultatis, nisi per accidens, inquantum videlicet in id quod difficile est, majori attentione aliquis consurgit, et cum majori conatu voluntatis.

Réponse. Puisque le mérite ne consiste pas dans l’habitus, mais dans l’acte, et non dans n’importe quel acte, mais dans celui qui tire sa forme de l’habitus de la grâce, et puisque par ailleurs tout acte méritoire vient de la volonté, il est nécessaire que le mérite vienne en partie de la grâce, en partie de la volonté et en partie de l’objet de l’acte, dont l’acte tire son espèce. C’est pourquoi l’efficacité pour mériter peut être mesurée par la grâce, par la volonté et par l’objet. En effet, plus grandes sont la charité et la grâce qui donnent forme à l’acte, plus il est méritoire ; de même, plus il est volontaire, plus il possède la raison de mérite et plus il est louable ; de même, plus son objet est difficile, plus l’acte est méritoire, puisqu’on entend toujours la comparaison paar rapport à une seule chose, toutes choses étant égales. Que quelque chose de difficile augmente la raison de mérite ne vient pas de la difficulté de l’effort, mais de sa bonté, car, meilleur est quelque chose, plus cela est élevé au-dessus des forces de l’homme qui agit. Puisque l’homme, dans son premier état, ainsi qu’on l’a dit, aurait eu d’une manière générale une plus grande grâce qu’après le péché, et que la volonté aurait été plus empressée à agir, alors que rien ne lui résistait, il en découle que les actes de l’homme, en son premier état, étaient tout simplement plus efficaces pour mériter qu’après, pourvu qu’on considère dans les deux cas une action qui porte sur le même objet, bien que l’homme agisse avec une plus grande difficulté après le péché qu’avant. En effet, une action difficile n’augmente la raison de mérite qu’en raison de sa bonté, et non de sa difficulté, sauf par accident, dans la mesure où l’on fait preuve d’une plus grande intensité et d’un plus grand effort de volonté pour ce qui est plus difficile.

[6089] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod non consentire tentationi in primo statu, si homo in naturalibus tantum consideretur, ut Magister hic loquitur, non fuisset homini meritorium. Sed hoc contingit ex hoc quod gratiam non habebat sicut ex causa per se, et non ex hoc quod nihil ad malum impellebat nisi per accidens, inquantum videlicet ex hoc quod homo non habebat impellens ad malum, magis poterat conservari a casu in peccatum sine gratia quam post. Vel dicendum, quod non consentire tentationi, dicitur dupliciter: vel ita quod importetur negatio tantum; et ita cum non relinquatur aliquis actus, non remanebit ratio meriti: et hoc potuisset contingere in primo statu propter hoc quod homo non cogebatur tentationem exteriorem discutere, cum interiori tentatione non urgeretur; vel ita quod importet actum voluntatis tentationi repugnantem; et sic resistere peccato semper est meritorium in eo qui gratiam habet.

1. Ne pas consentir à la tentation dans le premier état, si l’on considère l’homme selon ses attributs naturels seulement, comme le Maître en parle ici, n’aurait pas été méritoire pour l’homme. Or, cela vient de ce qu’il ne possédait pas la grâce comme par une cause par soi, et non pas de ce que rien ne poussait au mal seulement par accident, pour autant que, du fait que rien ne poussait l’homme au mal, il pouvait être davantage préservé de la chute dans le péché sans la grâce, que par la suite. Ou bien il faut dire qu’on parle de consentir à la tentation de deux manières. Soit cela comporte une négation seulement, et ainsi, puisqu’il ne reste aucun acte, la raison de mérite de restera pas ; et cela aurait pu arriver dans le premier état, parce que l’homme n’était pas forcé d’écarter la tentation extérieure, alors qu’il n’était pas pressé par une tentation intérieure. Soit cela comporte un acte de la volonté qui est opposé à la tentation, et ainsi résister au péché est toujours méritoire pour celui qui a la grâce.

[6090] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod quamvis homo in primo statu non habuerit certamen interius, habuit tamen certamen exterius; unde et victoriam habere potuit, qua coronam mereretur. Nec tamen est de necessitate meriti certamen contra aliquem impugnantem, quia sic in Angelis meritum non inveniretur; sed de necessitate meriti est certamen quo quis contendit apprehendere aliquid quod supra se est, secundum quod aliquis quasi viribus suis luctatur; nec oportet ut ubi est majus certamen, ibi sit majus meritum; sed ubi est magis legitimum. Contingit autem in minori impugnatione magis legitimum certamen esse.

2. Bien que l’homme, en son premier état, n’ait pas eu de combat intérieur, il eut toutefois un combat extérieur ; aussi pouvait-il remporter la victoire par laquelle il mériterait la couronne. Cependant, le combat contre un adversaire n’est pas nécessaire au mérite, car on ne trouverait pas ainsi de mérite chez les anges ; mais est nécessaire au mérite le combat par lequel quelqu’un s’efforce de saisir quelque chose qui lui est supérieur, pour autant qu’il lutte par ses propres forces. Et il n’est pas nécessaire que là où le combat est le plus grand, là existe un plus grand mérite, mais là où [le combat] est plus conforme à la règle. Or, il arrive qu’il y ait un combat plus conforme à la règle contre un assaut plus faible.

[6091] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod aliquid potest dici difficile dupliciter: vel ex arduitate operis; et sic virtus intelligitur circa difficile esse, quod scilicet in se difficile est, et arduum: vel ex imperfectione operantis; et sic virtus circa difficile non est, sed talem difficultatem virtus tollit; quanto enim aliquis virtuosior est, tanto facilius opera virtutis exercet. Nec tamen dicendum est, quod quanto virtuosior sit, minus mereatur. Et per hunc modum est difficultas major in operibus hominis post peccatum ex imperfectione operantis.

3. On peut dire que quelque chose est difficile de deux manières : soit en raison de la difficulté de l’action, et ainsi on comprend que la vertu porte sur ce qui est difficile, qui est difficile en soi et pénible ; soit en raison de l’imperfection de celui qui agit, et ainsi la vertu ne porte pas sur ce qui est difficile, mais la vertu enlève une telle difficulté. En effet, plus quelqu’un est vertueux, plus il accomplit facilement les actes de vertu. Il ne faut cependant pas dire que plus quelqu’un est vertueux, moins il mérite. De cette manière, la difficulté dans les actions de l’homme est plus grande après le péché en raison de l’imperfection de celui qui agit.

[6092] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod hoc quod opera alicujus Angeli sint minus meritoria quam alicujus hominis, non contingit ex imperfectione Angelorum, sed ex conditione gratiae; quae quamvis in Angelis sit major secundum statum, quia propinquior fini, cum sit minor via Angelo data quam homini, ut supra dictum est; tamen gratia hominis potest esse major in virtute merendi. Angelis enim data est gratia ad determinatum gradum, secundum determinatum ordinem, promerendum; et ideo ulterius praemium per gratiam illam mereri non possunt. Homo autem cum ex conditione naturae ad nullum ordinem determinetur, sed indifferenter ad omnes se habeat, accipit gratiam etiam indifferenter ordinatam ad promerendum gradum cujuslibet ordinis secundum genus suum: et ideo non oportet quod ratione ista homo in primo statu minus mereri potuisset quam post peccatum.

4. Le fait que les actions d’un ange soient moins méritoires que celles d’un homme ne vient pas de l’imperfection des anges, mais de la condition de la grâce ; tout en étant plus grande chez les anges selon l’état, parce que plus proche de la fin, puisque la route pour l’ange est plus courte que pour l’homme, comme on l’a dit plus haut, la grâce de l’homme peut être plus grande par sa capacité de mériter. En effet, la grâce a été donnée aux anges pour mériter un degré déterminé selon un ordre déterminé ; c’est pourquoi ils ne peuvent pas mériter une plus grande récompense par cette grâce. Mais l’homme, puisqu’il n’est déterminé à aucun ordre par la condition de sa nature, mais est indifférent par rapport à tous, reçoit indifféremment une grâce ordonnée à mériter le degré de n’importe quel ordre à l’intérieur de son genre. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que, pour cette raison, l’homme en son premier état ait pu moins mériter qu’après le péché.

[6093] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod quamvis homo nunc ad eumdem terminum perveniat ad quem pervenisset ante peccatum, non oportet tamen ut aequalem efficaciam in merendo habeant actus ejus: quia quod tunc ex paucis actibus mereri potuit, nunc oportet quod ex multis actibus mereatur; ita quod per exercitium actuum in quamdam perfectionem crescat, secundum quam sibi competat meritum tanti praemii, quantum prius habuisset.

5. Bien que l’homme parvienne maintenant au même terme auquel il serait parvenu avant le péché, il n’est cependant pas nécessaire que ses actes aient une efficacité égale pour mériter, car ce qu’il pouvait alors mériter par un petit nombre d’actes, il lui faut maintenant le mériter par un grand nombre d’actes, de sorte que, par l’exercice des actes, il croisse vers une certaine perfection, par laquelle lui revienne le mérite d’une récompense aussi grande qu’il aurait eue antérieurement.

 

 

ARTICULUS 5 Utrum expulsio de Paradiso, et privatio justitiae originalis, sit conveniens poena primae transgressionis

Article 5 – L’expulsion du Paradis et la privation de la justice originelle sont-elles une peine appropriée pour la première transgression ?

[6095] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur quod poena hominis inconvenienter in littera determinetur pro peccato primae transgressionis. Illud enim quod propter hominem factum est, in aliquo homini servire debet. Sed Paradisus terrestris propter hominem factus est, sicut aliae creaturae. Cum igitur homini inde ejecto in nullo serviat, videtur quod inde expelli non debuerit.

1. Il semble que, dans le texte, la peine de l’homme pour le péché de la première transgression soit déterminée de manière inappropriée. En effet, ce qui a été créé pour l’homme doit servir à un homme. Or, le Paradis terrestre a été créé pour l’homme, comme les autres créatures. Puisqu’il ne sert à personne, alors que l’homme en a été chassé, il semble que celui-ci ne devait pas en être chassé.

[6096] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 2Praeterea, propter peccatum hominis, tota natura deteriorata est, quae propter hominem facta est, ut dicit Glossa Rom. 8. Multo ergo magis locus ille in quo peccatum commissum est, scilicet Paradisus terrestris, infici debuit. Sed homini infecto debetur locus infectus. Ergo post peccatum de Paradiso terrestri expelli non debuit.

2. À cause du péché d’un homme, la nature tout entière a été détériorée, elle qui a été créée pour l’homme, comme le dit la Glose sur Rm 8. Encore bien plus le lieu où le péché a été commis, le Paradis terrestre, devait-il donc être infecté. Or, un lieu infecté revient à l’homme infecté. Après le péché, [l’homme] ne devait donc pas être chassé du Paradis terrestre.

[6097] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 3Praeterea, ut supra Magister dixit, dist. 17, Paradisus terrestris de se locus inaccessibilis est. Ergo frustra apponuntur custodiae, ne homo ad illum accedere possit, ad quem etiam sine illis pervenire non valeret.

3. Comme l’a dit le Maître plus haut, d. 17, le Paradis terrestre est en soi un lieu inaccessible. C’est donc inutilement que des gardes y ont été placés, afin que l’homme ne puisse y accéder, alors qu’il ne pouvait y parvenir même sans eux.

[6098] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 4Praeterea, homo post peccatum statim necessitati mortis addictus fuit. Sed ex quo necessitatem moriendi habuit, non poterat non mori. Ergo frustra dominus dixit, Gen. 3, 22: videte ne forte sumat de ligno vitae, et comedat, et vivat in aeternum.

4. Aussitôt après le péché, l’homme a été condamné à la nécessité de mourir. Or, il ne pouvait pas ne pas mourir en raison de ce dont il tenait la nécessité de mourir. Le Seigneur a donc dit en vain, Gn 3, 22 : Voyez à ce qu’il ne prenne de l’arbre de vie et en mange, et vive éternellement.

[6099] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 5Praeterea, lignum vitae non habuisset majorem effectum in homine post peccatum quam ante. Sed homo ante peccatum de ligno vitae edidit, ut in littera dicitur, nec tamen in aeternum vixit. Ergo etiam licet post peccatum de eo comedisset, non in aeternum vixisset.

5. L’arbre de vie n’aurait pas eu plus d’effet sur l’homme après le péché qu’avant. Or, avant le péché, l’homme a mangé de l’arbre de vie, comme il est dit dans le texte, et il n’a cependant pas vécu éternellement. Même s’il en avait mangé après le péché, il n’aurait donc pas vécu éternellement.

[6100] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 6Si dicatur, quod lignum vitae hunc effectum non habebat, nisi frequenter sumptum; contra. Causa multiplicata, non variat effectum secundum speciem. Si ergo semel sumptum immortalitatis causa non erat, videtur quod nec etiam si frequenter sumeretur.

6. Si on dit que l’arbre de vie n’avait pas cet effet, à moins d’être pris fréquemment, on opposera qu’une cause multipliée ne change pas l’effet selon l’espèce. Si, pris une seule fois, il n’était pas cause d’immortalité, il semble que qu’il ne le serait pas, pris fréquemment.

[6101] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 s. c. 1Sed contra, id quod innocentiae debebatur, non debuit remanere, innocentia amissa. Sed locus ille et cibus innocentiae debebatur. Ergo post peccatum homo utroque privari debuit.

Cependant, [1] ce qui était dû à l’innocence ne devait pas demeurer, si l’innocence était enlevée. Or, ce lieu et cette nourriture étaient dus à l’innocence. Après le péché, l’homme devait donc être privé des deux.

[6102] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 s. c. 2Praeterea, magis erat proprius locus Angeli caelum Empyreum in quo creatus est, quam hominis Paradisus terrestris, in quo positus est homo extra ipsum creatus. Sed Angelus post peccatum de caelo Empyreo dejectus est. Ergo et homo post peccatum de Paradiso terrestri expelli debuit.

[2] Le ciel empyrée où il a été créé était davantage le lieu propre de l’ange, que ne l’était pour l’homme, créé en dehors de lui, le Paradis terrestre, où l’homme a été placé. Or, après le péché, l’ange a été chassé du ciel empyrée. Après le péché, l’homme devait donc être chassé du Paradis terrestre.

[6103] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod ad felicitatem seu ad beatitudinem aliquid pertinet quod est de substantia ejus, sicut visio Dei, gaudium, et hujusmodi; aliquid autem correspondet sibi per modum congruentiae, sicut beatitudini sanctorum respondet locus excellentissimus, qui est caelum Empyreum. Ita etiam ad statum innocentiae, in qua quodammodo homo beatus erat, ut dicit Augustinus, quaedam pertinebant quasi essentialiter, sicut immortalitas, et obedientia virium inferiorum ad rationem, et hujusmodi; sed quaedam alia pertinebant per modum cujusdam congruentiae. Immortali enim vitae et ab omni inquietudine segregatae debebatur locus temperatissimus et deliciis plenus, qualis est Paradisus terrestris. Unde sicut post peccatum dejectus est a statu illo innocentiae in quem elevatus erat supra conditionem naturae suae absolute consideratae; ita etiam et locum amisit qui illi excellentiae debebatur; et in locum ubi formatus fuerat, dejectus est.

Réponse. Ce qui fait partie de sa substance appartient à la félicité ou à la béatitude, comme la vision de Dieu, la joie et ainsi de suite ; mais quelque chose lui revient par mode de convenance, comme un lieu très éminent, le ciel empyrée, répond à la béatitude des saints. De même aussi, certaines choses, comme l’immortalité et l’obéissance des puissances inférieures à la raison, et ainsi de suite, faisaient partie pour ainsi dire essentiellement de l’état d’innocence, où l’homme était d’une certaine manière bienheureux, comme le dit Augustin. Mais d’autres choses en faisaient partie par mode d’une certaine convenance. En effet, un lieu éloigné de tout souci, très tempéré et rempli de délices, comme l’est le Paradis terrestre, revenait à la vie immortelle. De même qu’après le péché, il fut chassé de l’état d’innocence auquel il avait été élevé par-delà sa nature considérée de manière absolue, de même aussi a-t-il perdu le lieu qui revenait à cette élévation et a-t-il été rejeté dans le lieu où il avait été formé.

[6104] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod Paradisus terrestris quamvis non serviat homini quasi in usum ejus veniens, servit tamen sibi ad instructionem ejus proficiens; sicut homo ex hoc ipso quod in Scriptura cognoscit se tali loco per peccatum privatum, ad peccatum vitandum incitatur, et ad miseriam suam cognoscendam.

1. Le Paradis terrestre, bien qu’il n’ait pas servi à l’homme pour son usage, lui a cependant servi pour progresser dans la connaissance, comme l’homme, du fait même qu’il se sait par l’Écriture privé d’un tel lieu par le péché, est incité à éviter le péché et à connaître sa misère.

[6105] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 ad 2Ad secundum dicendum, quod sicut peccati infectio non venit ad creaturas alias nisi per creaturam rationalem peccantem; ita etiam illa infectio sive corruptio non in irrationalis creaturae poenam ordinatur; unde non oportet quod locus ille per peccatum inficiatur in quo homo et Angelus peccavit, scilicet Paradisus terrestris, et caelum Empyreum, sed illa loca quae peccantibus deputata sunt post peccatum.

2. Comme l’infection du péché n’atteint les autres créatures que par le péché d’une créature raisonnable, de même aussi cette infection ou corruption n’est-elle pas ordonnée à la peine de la créature non raisonnable. Aussi n’est-il pas nécessaire que soit infecté par le péché ce lieu où l’homme et l’ange ont péché : le paradis terrestre et le ciel empyrée, mais les lieux qui ont été assignés aux pécheurs après le péché.

[6106] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 ad 3Ad tertium dicendum, quod illa impedimenta ratione quorum inaccessibilis dicitur Paradisus terrestris, forte hic gladius flammeus vocantur: quia praecipue locus ille inaccessibilis videtur propter intemperatum calorem in locis intermediis; et ideo non sequitur quod hujusmodi impedimenta superflua sint.

3. Les empêchements par lesquels on dit que le Paradis terrestre est inaccessible sont peut-être appelés ici un glaive de feu, car ce lieu semble surtout inaccessible à cause d’une chaleur excessive dans les lieux intermédiaires. C’est pourquoi il n’en découle pas que ces empêchements sont superflus.

[6107] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod quamvis homo post peccatum lignum vitae sumpsisset, mortem evadere non potuisset; potuisset tamen mortem differre; ita ut vita ejus auxilio ligni vitae prolongaretur, sicut de Enoch et Elia creditur, et hoc homini non expediebat, ut tamdiu in hac misera vita permaneret. Et verba illa domini sunt magis accipienda per modum compassionis quam insultationis. Vel potest dici sicut dicit Magister in littera.

4. Bien que l’homme ait pris de l’arbre de vie après le péché, il n’aurait pas pu échapper à la mort ; il aurait cependant pu différer la mort, de sorte que sa vie aurait été prolongée à l’aide de l’arbre de vie, comme on le croit d’Énoch et d’Élie, et il ne convenait pas à l’homme de demeurer aussi longtemps dans cette vie misérable. Et ces paroles du Seigeur doivent plutôt être entendues par mode de compassion que d’outrage. Ou bien on peut dire ce que le Maître dit dans le texte.

[6108] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod etsi homo ante peccatum de ligno vitae sumpsisset, non tamen immortalitatem consecutus fuisset, quam lignum vitae conferre non potuit, nisi frequenter sumptum.

5. Même si l’homme avait pris de l’arbre de vie avant le péché, il n’aurait cependant pas obtenu l’immortalité, que l’arbre de vie ne pouvait donner que s’il était pris fréquemment.

[6109] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 ad 6Et ideo ad sextum dicendum, quod lignum vitae non erat causa per se immortalitatis, ut ex praedictis patet, sed potius erat ut dispositio quaedam. Dispositio autem non perducit ad effectum nisi multiplicata, sicut patet in qualitatibus activis et passivis, quae sunt dispositiones ad formam elementi: non enim inducitur forma elementi nisi quando perducitur materia ad intensionem qualitatum illarum.

6. L’arbre de vie n’était pas par lui-même cause d’immortalité, comme cela ressort de ce qui a été dit, mais il était plutôt une disposition. Or, la disposition ne mène à l’effet que si elle est multipliée, comme cela ressort pour les qualités actives et passives, qui sont des dispositions à la forme d’un élément. En effet, la forme d’un élément n’est amenée que lorsque la matière est amenée à l’intensité de ces qualités.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 29

[6110] Super Sent., lib. 2 d. 29 q. 1 a. 5 expos.Operatur liberando et praeparando; ut liberatio referatur ad expulsionem peccati, et praeparatio ad informationem animae. Non tamen justitiae habendae, vel retinendae; contra. Supra dictum est, quod quamvis homo non haberet unde proficere posset, habuit tamen unde posset stare. Ergo liberum arbitrium sufficiebat ad justitiam retinendam. Et dicendum, quod ab eadem causa est esse rei et conservatio ejus; unde sicut esse justitiae gratuitae non est nisi a Deo; ita etiam et conservatio ejus. Sed verum est quod homo habens gratiam non indiget alia gratia ad ejus conservationem, et propter hoc dicitur, quod homo potest per se stare. Quibus respondentes, dicimus, eum quidem non tunc habuisse has virtutes quando peccavit; sed ante, et tunc amisisse. Videtur hoc falsum: quia si quando peccavit, non habuit, non prius amisit quam peccaret, quod videtur falsum. Sed dicendum, quod ante intentionem peccati habuit virtutes: sed simul ista duo fuerunt, commissio peccati et amissio virtutis, sicut unum est instans in quo expellitur nigredo et inducitur albedo. Homo ante peccatum beatissimus auram carpebat aetheream. Non est intelligendum de patriae beatitudine, sed secundum quod beatitudo includit talem perfectionem qualis illi statui congruebat: et capiebat auram aetheream, inquantum fixus in divinorum contemplatione manebat. Atque usi fuisse concessis. Ex hoc non sufficienter probatur, quod homo in statu illo de ligno vitae comedebat. Praeceptum enim affirmativum non obligat ad semper; unde etsi praeceptum sibi fuerit quod lignis omnibus concessis uteretur, potuit tamen esum alicujus eorum differre usque ad terminum sibi a Deo praefinitum; et ideo a quibusdam non conceditur quod Magister hic determinat. Sed quid verius sit determinari non potest; cum Scriptura non determinet, nec ratione probari possit.

 

 

 

DISTINCTIO 30

Distinction 30 – [Les conséquences du péché des premiers parents]

 

 

 

Question 1 – [Les carences que nous ressentons, la nécessité de mourir et les choses de ce genre, découlent-elles du péché des premiers parents comme une peine découle d’une faute ?]

PROOEMIUM

Prologue

[6111] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 pr.Postquam determinavit lapsum humanae naturae quantum ad peccatum primorum parentum; in parte ista incipit determinare, quomodo natura humana vitiata est in posteris, et dividitur in partes duas: in prima determinat de peccato quod a primis parentibus in posteros eorum transivit per carnis originem, scilicet de peccato originali; in secunda determinat de peccato quod transivit in posteros per imitationem operis, scilicet de peccato actuali, 34 dist.: post praedicta, de peccato actuali diligenti indagine quaedam consideranda sunt. Prima dividitur in duas: in prima determinat de peccato originali, ostendendo, an sit, et quid sit; in secunda determinat quasdam conditiones ejus, 31 distinct.: nunc superest investigare, qualiter peccatum a patribus traducatur in filios. Prima dividitur in duas: in prima determinat de peccato originali secundum veritatem; in secunda excludit quasdam objectiones, quibus peccati originalis traductio impugnatur, ibi: quod ergo ait, per inobedientiam unius multi constituti sunt peccatores, eo sensu dictum esse intelligendum est, quia ex inobedientia Adae (...) processit originale peccatum. Prima dividitur in duas: in prima ostendit aliquod peccatum a primis parentibus in posteros transire; in secunda inquirit, quid sit illud, ibi: hic primo videndum est, quod fuit illud peccatum. Et dividitur in partes duas: in prima inquirit an sit peccatum actuale, vel non, quod dicit apostolus per unum hominem in mundum intravisse: ostendens quod est peccatum originale, et non actuale; in secunda iterato inquirit, quod sit illud originale peccatum, ibi: quod diligenter investigandum est quid sit. Circa primum tria facit: primo movet quaestionem; secundo excludit falsam opinionem quorumdam, hoc exponentium de peccato actuali tantum, ibi: quibusdam placuit de peccato actuali Adae illud accipere; tertio ostendit, hoc intelligi de originali peccato, ibi: et est illud peccatum originale. Quod diligenter investigandum est quid sit. Hic inquirit, quid sit peccatum originale, et dividitur in partes duas: in prima inquirit, quid sit secundum genus moris; in secunda, quid sit secundum genus naturae, ibi: nunc superest videre quid sit ipsum originale peccatum. Circa primum duo facit: primo ponit quorumdam opinionem, qui peccatum originale reatum tantum esse dicebant, et non culpam; secundo ostendit peccatum originale culpam esse, ibi: sed quod originale peccatum culpa sit, pluribus sanctorum testimoniis edocetur. Quod ergo ait, per inobedientiam unius multi constituti sunt peccatores, eo sensu dictum esse intelligendum est, quia ex inobedientia Adae processit originale peccatum. Hic excludit objectiones peccatum originale impugnantes, et dividitur in duas: in prima excludit objectiones quae impugnant directe peccatum originale; in secunda excludit objectionem quae impugnat peccatum originale quantum ad causam ejus, quae est carnis traductio, ibi: ad hoc autem quod diximus, in Adam fuisse omnes homines, quidam verborum sectatores sic objiciunt. Circa primum duo facit: primo excludit objectionem Pelagii ex auctoritate procedentem; secundo excludit objectiones duas Juliani qui ratiocinando originale peccatum impugnabat, quarum prima incipit ibi: unde Augustinus Juliano haeretico (...) respondens aperte asserit, peccatum originale ex voluntate Adae processisse. Ad hoc autem quod diximus in Adam fuisse omnes homines, quidam verborum sectatores sic objiciunt. Hic excludit objectiones eorum qui peccatum originale impugnant ex parte causae ejus, quae est carnis traductio ex uno, in quo omnes materialiter fuerunt: et circa hoc tria facit: primo movet objectionem; secundo ponit responsionem, ibi: quibus responderi potest; tertio ponit responsionis confirmationem, ibi: quod vero nihil extrinsecum in humani corporis naturam transeat, veritas in Evangelio significat. Hic est duplex quaestio. Prima de peccato originali. Secunda de traductione carnis. Circa primum quaeruntur tria: 1 an pro peccato primorum parentum, in nos isti defectus devenerunt quos sentimus, sicut necessitas moriendi, et hujusmodi, per modum quo poena consequitur culpam; 2 utrum defectus aliquis ex primis parentibus in nos devenire potuerit qui rationem culpae habeat; 3 supposito quod sic, quaeritur, quid sit originalis culpa, quae a parentibus contrahitur.

Après avoir déterminé de la chute de la nature humaine pour ce qui est du péché des premiers parents, dans cette partie, [le Maître] commence à déterminer de la manière dont la nature humaine a été viciée chez les descendants. Il y a deux parties : dans la première, il détermine du péché qui est transmis des premiers parents à leurs descendants par l’origine de la chair, à savoir le péché originel ; dans la deuxième, il détermine du péché qui est transmis à leurs descendants par imitation de l’action, à savoir, le péché actuel, d. 34 : « Après ce qui a été dit, certaines choses doivent être examinées de manière attentive à propos du péché actuel. » La première partie est divisée en deux : dans la première, il détermine du péché originel en montrant qu’il existe et ce qu’il est ; dans la deuxième, il détermine de certaines de ses conditions, d. 31 : « Il reste maintenant à examiner comment le péché a été transmis des pères aux fils. » La première se divise en deux : dans la première, il détermine du péché originel selon la vérité ; dans la deuxième, il écarte certaines objections, par lesquelles la transmission du péché originel est attaquée, à cet endroit : « Ce qu’il dit, que beaucoup ont été constitués pécheurs par la désobéissance d’un seul, doit être entendu au sens où le péché originel est venu… de la désobéissance d’Adam. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre que le péché est passé des premiers parents à leurs descendants ; dans la seconde, il se demande ce qu’est ce [péché], à cet endroit : « Il faut d’abord voir ce qu’a été ce péché. » Il y a deux parties : dans la première, il se demande si ce que dit l’Apôtre : qu’il est entré dans le monde par un seul homme, est un péché actuel ou non, et il montre que c’est un péché originel, et non actuel ; dans la deuxième, il se demande de nouveau ce qu’est ce péché originel, à cet endroit : « Il faut examiner attentivement ce qu’il est. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il écarte la fausse opinion de certains qui interprètent cela du péché actuel seulement, à cet endroit : « Certains ont voulu l’entendre du péché actuel d’Adam » ; troisièmement, il montre que cela s’entend du péché originel, à cet endroit : « Et cela est le péché originel. » « Il faut examiner attentivement ce qu’il est. » Il s’interroge ici sur ce qu’est le péché originel, et il y a deux parties : dans la première, il se demande ce qu’il est selon le genre de comportement ; dans la seconde, ce qu’il est selon le genre de sa nature, à cet endroit : « Il reste maintenant à voir ce qu’est le péché originel lui-même. » À propos du premier point, il présente l’opinion de certains, qui ont dit que le péché originel est seulement une dette, et non une faute ; deuxièmement, il montre que le péché originel est une faute, à cet endroit : « Mais que le péché originel soit une faute, cela est enseigné par de nombreux témoignages des saints.» « Ce qu’il dit : que beaucoup ont été constitués pécheurs par la désobéissance d’un seul, doit être entendu au sens où le péché originel est venu… de la désobéissance d’Adam. » Ici, il écarte les objections qui attaquent le péché originel, et il y a deux parties : dans la première, il écarte les objections qui attaquent directement le péché originel ; dans la deuxième, il écarte l’objection qui attaque le péché originel du point de vue de sa cause, qui est la transmission charnelle, à cet endroit : « Contre ce que nous avons dit : que tous les hommes se trouvaient en Adam, certains de ceux qui partagent ces discours font l’objection suivante… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il écarte l’objection de Pélage provenant d’une autorité ; deuxièmement, il écarte deux objections de Julien, qui s’attaquait au péché originel par un raisonnement, à cet endroit : « Augustin, répondant à Julien l’hérétique…, affirme explicitement que le péché originel est venu de la volonté d’Adam. » « Contre ce que nous disons : que tous les hommes se trouvaient en Adam, certains de ceux qui partagent ces discours font l’objection suivante… » Ici, il écarte les objections de ceux qui s’attaquent au péché originel du point de vue de sa cause, qui est la transmission charnelle à partir d’un seul, en qui tous se trouvaient matériellement. À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il soulève une objection ; deuxièmement, il présente la réponse, à cet endroit : « On peut leur répondre… » ; troisièmement, il présente une confirmation de la réponse, à cet endroit : « Mais que rien d’extrinsèque ne passe dans la nature du corps humain, la Vérité le signifie dans l’évangile. » Ici, il y a deux questions : la première, sur le péché originel ; la deuxième, sur la transmission charnelle. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1. Les carences que nous ressentons : la nécessité de mourir et les choses de ce genre, découlent-elles du péché des premiers parents comme une peine découle d’une faute ? 2. Une carence qui aurait raison de faute a-t-elle pu nous être transmise depuis les premiers parents ? 3. En supposant que ce soit le cas, on se demande ce qu’est la faute originelle qui est contractée à partir des premiers parents ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum defectus quos sentimus sint nobis quasi poena pro peccato primi hominis

Article 1 – Les carences que nous ressentons nous viennent-elles en tant que peine pour une faute du premier homme ?

[6113] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod defectus quos sentimus, non sint nobis quasi poena pro peccato primi hominis inflicta. Sicut enim dicit Seneca, mors est hominis natura, non poena. Inter omnes autem defectus mors major est; unde et finis terribilium a philosopho, in 3 Ethicor., dicitur. Ergo nec etiam alii defectus poenae deberent dici, qui naturam humanam consequuntur.

1. Il semble que les carences que nous ressentons ne soient pas pour nous une peine infligée pour le péché du premier homme. En effet, comme le dit Sénèque, « La mort est la nature de l’homme, et non une peine. » Or, parmi toutes les carences, la mort est la plus grande ; aussi est-elle appelée par le Philosophe, Éthique, III, « la fin des choses à craindre ». Les autres carences, qui découlent de la nature humaine, ne devraient donc pas non plus être appelées des peines.

[6114] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, quaecumque inveniuntur in aliquibus ex eisdem principiis creata, secundum rationem unam in illis inveniuntur, cum ex unitate principiorum pendeat unitas rei. Sed mors, fames, sitis et hujusmodi inveniuntur ex eisdem principiis in homine ex quibus in aliis animalibus, scilicet ex pugna contrariorum, ex quibus corpus componitur. Cum igitur in aliis animalibus non sint sub ratione poenae, nec in homine tamquam poenae erunt.

2. Tout ce qui se trouve provenir chez certains des mêmes principes se trouve chez eux selon une seule raison, puisque l’unité d’une chose dépend de l’unité des principes. Or, la mort, la faim, la soif et les choses de ce genre se trouvent chez l’homme selon les mêmes principes que chez certains autres animaux, à savoir, selon le combat de contraires, dont le corps est composé. Puisque, chez les autres animaux, elles n’existent pas selon la raison de peine, elles n’existeront donc pas non plus chez l’homme comme des peines.

[6115] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, non magis peccavit homo quam Angelus, immo minus, ut supra dictum est, 21 distinct. Sed Angelus per peccatum nihil amisit de bonis naturalibus sibi collatis, ut Dionysius dicit. Ergo nec homo. Si igitur de natura hominis esset ut corpus suum esset incorruptibile et impassibile, hoc per peccatum non amisisset. Cum igitur amiserit, videtur quod non fuerit naturae, sed gratiae. Ergo et privatio horum non sicut poena naturam consequitur, sed sicut naturalis defectus.

3. L’homme n’a pas péché davantage que l’ange, il a même moins [péché], comme on l’a dit plus haut, d. 21. Or, « par le péché, l’ange n’a rien perdu des biens naturels qui lui avaient été donnés », comme le dit Denys. Donc, l’homme non plus. Si donc il était de la nature de l’homme que son corps soit incorruptible et impassible, il n’aurait pas perdu cela par le péché. Puisqu’il l’a perdu, il semble donc que cela ne relevait pas de la nature, mais de la grâce. Il n’en encourt donc pas la privation en tant que peine, mais en tant que carence naturelle.

[6116] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, omnis virtus naturaliter tendit in suum objectum. Sed virtutis concupiscibilis objectum est delectabile secundum sensum. Ergo quod concupiscibilis moveatur in illud, hoc non est poena, sed hominis natura, et similiter de irascibili, et de aliis viribus. Sed ex hoc causatur pugna virium inferiorum ad superiores quod unaquaeque virtus in suum objectum movetur. Videtur ergo quod hujusmodi pugna sit naturalis homini, et non poena ejus, sicut dicitur.

4. Toute puissance tend naturellement vers son objet. Or, l’objet de la puissance concupiscible est ce qui est délectable selon le sens. Que le concupiscible soit mû vers cela, cela n’est donc pas une peine, mais la nature de l’homme. Il en est de même pour l’irascible et pour les autres puissances. Or, le combat des puissances inférieures contre les [puissances] supérieures est causé par le fait que chaque puissance est mue vers son objet. Il semble donc qu’un combat de ce genre est naturel pour l’homme, et non une peine pour lui, comme on le dit.

[6117] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, nulli dicitur esse poena, si non attingat ad illud quod vires naturae suae excedit; sicut quod homo non potest volare, non est sibi poena. Sed pertingere ad videndum Deum in sua essentia, omnes vires humanae naturae excedit, alias homo ex naturalibus in illud venire posset. Ergo nec carentia visionis divinae poena hominis dici debet; et ita nihil eorum quae poena esse dicuntur primi peccati, rationem poenae habere videntur.

5. On ne parle de peine pour quelqu’un que si elle atteint un point où elle dépasse les forces de sa nature ; ainsi, que l’homme ne puisse voler n’est pas une peine pour lui. Or, parvenir à voir Dieu en son essence dépasse toutes les forces de la nature humaine, autrement l’homme pourrait y parvenir naturellement. La carence de la vision de Dieu ne doit pas non plus être appelée une peine pour l’homme. Et ainsi, rien de ce qu’on appelle une peine du premier parent ne semble avoir raison de peine.

[6118] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 6Sed contra, omnis passio involuntaria, poena est. Sed mors est passio maxime involuntaria, adeo quod nec senectus voluntatem non moriendi Petro abstulerit, ut Joan. ult. in Glossa dicitur. Ergo mors et alia hujusmodi sunt poenae.

6. Toute passion involontaire est une peine. Or, la mort est la passion la plus involontaire, au point où « la vieillesse aurait enlevé à Pierre la volonté de ne pas mourir », comme le dit la Glose sur le dernier chapitre de Jean. La mort et les autres choses de ce genre sont donc des peines.

[6119] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 7Praeterea, ut philosophus dicit in 2 de anima, actus proprius fit in propria materia; unde oportet perfectionem perfectibili proportionatam esse. Sed anima rationalis, quae est perfectio corporis humani, secundum suam naturam incorruptibilis est. Ergo et corpus humanum naturaliter incorruptibile est. Si ergo corrumpitur, hoc erit per defectum naturae: et ita erit poena.

7. Comme le dit le Philosophe, Sur l’âme, II, l’acte propre est accompli sur une matière propre ; aussi faut-il qu’une perfection soit proportionnée à ce qui est perfectible. Or, l’âme raisonnable, qui est la perfection du corps humain, est incorruptible selon sa nature. Le corps humain est donc naturellement incorruptible. Donc, le corps humain aussi est naturellement incorruptible. Si donc il se corrompt, ce sera par une carence de la nature, et ainsi ce sera une peine.

[6120] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 8Praeterea, potentius non vincitur a minus potenti: quia agens est nobilius patiente; ut philosophus in 3 de anima dicit. Sed corpus humanum est nobilius aliis inanimatis corporibus. Si ergo ab eis patiatur, hoc erit per infirmitatem naturae ejus. Infirmitas autem et defectus ejus quod secundum naturam in homine est, poena est. Ergo passibilitas a talibus corporibus est in homine quasi poena.

8. Ce qui est plus puissant n’est pas vaincu par ce qui est moins puissant, car l’agent est plus noble que le patient, comme le dit le Philosophe, Sur l’âme, III. Or, le corps humain est plus noble que les corps inanimés. Si donc il subit de leur part, ce sera par une faiblesse de sa nature. Or, une faiblesse et une carence de ce qui existe naturellement dans l’homme est une peine. La passibilité qui vient de tels corps est donc comme une peine chez l’homme.

[6121] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod ea quae sunt ad finem, disponuntur secundum necessitatem finis, ut ex 2 Physic. patet. A finis autem ad quem homo ordinatus est, est ultra facultatem naturae creatae, scilicet beatitudo, quae in visione Dei consistit; soli enim Deo hoc connaturale est, ut ex dictis in 23 dist. patet. Unde oportuit naturam humanam taliter institui ut non solum haberet illud quod sibi ex principiis naturalibus debebatur, sed etiam aliquid ultra, per quod facile in finem perveniret. Et quia ultimo fini amore inhaerere non poterat, nec ad ipsum tenendum pervenire nisi per supremam partem suam, quae est mens et intellectus, seu ratio, in qua imago Dei insignita est; ideo, ut illa pars in Deum tenderet, subjectae sunt sibi vires inferiores, ut nihil in eis accidere posset quod mentem retineret et impediret ab itinere in Deum: pari ratione corpus hoc modo dispositum est ut nulla passio in eo accidere posset per quam mentis contemplatio impediretur. Et quia haec omnia ex ordine ad finem, ut dictum est, homini inerant; ideo facta deordinatione a fine per peccatum, haec omnia in natura humana esse desiere, et relictus est homo in illis tantum bonis quae eum ex naturalibus principiis consequuntur. Et hoc expresse Dionysius dicit, sic inquiens: proprium autem principium habens homo in generationibus corruptibilibus, merito ad principii consequentem ductus est finem; idest, hoc ex peccato meruit ut cum ex principiis suis, ex quibus compositus est, sibi corruptio deberetur, reduceretur per peccatum ad talem finem qui suis principiis congrueret: et hoc accipitur ex hoc quod dictum est Genes. 3, 19: terra es, et in terram ibis. Secundum hoc ergo dico, quod isti defectus possunt ad naturam humanam dupliciter comparari: vel ad eam, secundum quod in principiis naturalibus suis tantum consideratur, et sic proculdubio non sunt poenae ejus, sed naturales defectus, sicut etiam esse ex nihilo, vel indigere conservatione, est defectus quidam naturalis omnem creaturam consequens et nulli est poena: vel ad eam, prout instituta est; et sic proculdubio poena sunt sibi: quia etiam ex privatione ejus quod gratis alicui conceditur postquam concessum est, puniri dicitur aliquis.

Réponse. Ce qui est ordonné à une fin est disposé selon ce qui est nécessaire à [cette] fin, comme cela ressort de Physique, II. Or, la fin à laquelle l’homme est ordonné dépasse la capacité de la nature créée, à savoir, la béatitude, qui consiste dans la vision de Dieu. En effet, cela est connaturel à Dieu seul, comme cela ressort de ce qui a été dit, d. 23. Il était donc nécessaire que la nature humaine soit établie de telle manière qu’elle n’ait pas seulement ce qui lui était dû en vertu des principes naturels, mais aussi quelque chose en plus, par quoi il parviendrait facilement à la fin. Et parce qu’il ne pouvait s’attacher à la fin ultime par l’amour et ne pouvait parvenir à la garder que par la partie suprême chez lui, l’esprit et l’intelligence, ou la raison, dans laquelle l’image de Dieu a été imprimée, pour que cette partie tende vers Dieu, les puissances inférieures lui ont été soumises, afin que rien ne puisse se produire en elles qui retienne l’esprit et l’empêche de cheminer vers Dieu. Pour la même raison, le corps a été disposé de manière qu’aucune passion ne pourrait se produire en lui, par laquelle la contemplation de l’esprit serait empêchée. Et parce que tout cela existait chez l’homme selon l’ordre à la fin, comme on l’a dit, si un désordre par rapport à la fin se produit par le péché, tout cela cessera d’exister dans la nature humaine, et l’homme est resté seulement avec les biens qui lui viennent des principes naturels. Denys dit cela expressément, lorsqu’il dit : « L’homme possédant le principe propre des générations corruptibles a été à juste titre amené à la fin qui découle du principe. » Cela veut dire que, alors que la corruption lui était due en vertu des principes dont il était composé, il serait ramené par le péché à la fin qui conviendrait à ses principes. C’est ce qu’on comprend de Gn 3, 19 : Tu es terre, et tu retourneras à la terre. En conséquence, je dis donc que ces carences peuvent se comparer à la nature humaine de deux manières : selon qu’elle est envisagée dans ses principes naturels seulement, et ainsi elles ne sont pas des peines pour elle, mais des carences naturelles, comme exister à partir du néant ou avoir besoin d’être conservée [dans l’existence] sont des carences naturelles atteignant toute créature et ne sont une peine pour aucune ; ou selon qu’elle a été établie, et ainsi elles sont sans aucun doute des peines, car même par la privation de ce qui a été gratuitement donné à quelqu’un, après que cela lui a été donné, on dit qu’il a été puni.

[6122] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod Seneca et alii philosophi consideraverunt naturam humanam secundum ea quae ex principiis suis naturalibus ipsam consequuntur: statum enim illum primae conditionis scire non potuerunt, quem non nisi fides tenet; et ideo de morte non nisi sicut de naturali defectu locuti sunt; quamvis etiam naturalis defectus aliquo modo poena dici possit.

1. Sénèque et les autres philosophes ont considéré la nature humaine selon ce qui découle pour elle de ses principes naturels. En effet, ils ne pouvaient connaître l’état de cette première condition, que seule la foi soutient. C’est pourquoi ils n’ont parlé de la mort que comme une carence naturelle, bien que même une carence naturelle puisse être appelée, d’une certaine manière, une peine.

[6123] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod alia animalia non sunt ordinata in finem qui facultatem naturalem ipsorum excedat; et ideo in illis tantum bonis creata sunt quae eis ex principiis naturalibus debentur; unde non est similis ratio de homine, et de aliis animalibus.

2. Les autres animaux ne sont pas ordonnés à une fin qui dépasse leur capacité naturelle. C’est pourquoi ils ont été créés avec les biens qui leur sont dus en vertu de leurs principes naturels. Le même raisonnement ne vaut donc pas pour l’homme et pour les autres animaux.

[6124] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod bona naturalia debentur dupliciter. Vel prout sunt in se considerata, secundum quod naturae debentur ex propriis principiis; et sic nec homo nec Angelus per peccatum aliquid naturalium amisit; vel in aliquo diminutus est: quia Dionysius etiam integra data naturalia in Angelis peccantibus permanere dicit. Vel secundum quod ordinantur in finem ultimum; et hoc modo in utroque bona naturalia diminuta sunt quidem, non penitus amissa, inquantum uterque factus est minus habilis et magis distans a finis consecutione: et propter hoc etiam homo gratuitis spoliatus dicitur et in naturalibus vulneratus, Luc. 10 in Glossa.

3. Les biens naturels sont dus de deux manières. Soit ils sont considérés en eux-mêmes, selon qu’ils sont dus à la nature en vertu de ses propres principes, et ainsi ni l’homme ni l’ange n’ont perdu quelque chose de leurs [biens] naturels par le péché, ou n’ont été diminués en quelque chose, car Denys dit encore que les dons naturels sont demeurés chez les anges pécheurs. Soit ils sont ordonnés à la fin ultime, et ainsi les biens naturels ont été diminués chez les deux dans une certaine mesure, mais ils n’ont pas été entièrement perdus, dans la mesure où les deux sont devenus moins aptes et plus éloignés de l’obtention de la fin. Pour cette raison aussi, la Glose sur Lc 10 dit que « l’homme a été dépouillé des dons gratuits et blessé dans ses [capacités] naturelles ».

[6125] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod quandocumque multa conveniunt ad constitutionem alicujus, alicui eorum potest aliquid secundum se convenire naturaliter secundum naturam propriam, et aliquid convenit sibi secundum naturam totius; sicut patet de elementis in mixtionem corporis venientibus. Secundum hoc ergo dico, quod vis concupiscibilis naturale habet hoc ut in delectabile secundum sensum tendat; sed secundum quod est vis concupiscibilis humana, habet ulterius ut tendat in suum objectum secundum regimen rationis; et ideo quod in suum objectum tendat irrefrenate, hoc non est naturale sibi inquantum est humana, sed magis contra naturam ejus inquantum hujusmodi: et secundum hoc rationem poenae habere potest, maxime considerata natura humana, secundum quod tota est sub regimine rationis, ut in prima conditione fuit.

4. Chaque fois que plusieurs choses se retrouvent pour constituer une chose, quelque chose peut convenir naturellement à l’une d’entre elles selon sa nature propre, et quelque chose lui convient selon la nature du tout, comme cela ressort pour les éléments qui entrent dans le mélange d’un corps. Je dis donc ainsi qu’il est naturel pour la puissance concupiscible de tendre vers ce qui est délectable pour le sens. Mais, selon qu’elle est une puissance concupiscible humaine, il lui revient en plus de tendre vers son objet sous la conduite de la raison. Qu’elle tende vers son objet de manière effrénée, cela ne lui est donc pas naturel en tant qu’elle est humaine, mais plutôt contre sa nature en tant qu’elle est telle. Elle peut ainsi avoir raison de peine, surtout si l’on considère la nature humaine selon que celle-ci est tout entière sous la conduite de la raison, comme elle l’était dans la condition première.

[6126] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod quamvis natura humana per se non possit in visionem Dei pertingere, potest tamen ad eam pervenire cum adjutorio gratiae, et ex se habet habilitatem ut in illam perveniat; et similiter etiam ex his quae sibi gratis in prima conditione collata fuere, majorem habilitatem habebat; cujus habilitatis diminutio, poena est hominis, si ad institutionem ejus referatur: et sic carentia divinae visionis poena dicitur, secundum quod non nominat negationem tantum, sed etiam privationem quamdam cum quadam obnoxietate, ut supra dictum est. Et quia aliae rationes videntur concludere, quod etiam humanae naturae in suis principiis consideratae isti defectus sint poena; ideo ad eas etiam respondendum est.

5. Bien que la nature humaine ne puisse atteindre par elle-même à la vision de Dieu, elle peut cependant y parvenir avec l’aide de la grâce, et elle a par elle-même la capacité d’y parvenir ; de même, elle avait une plus grande capacité en raison de ce qui lui a été gratuitement donné dans la condition première. La diminution de cette capacité est une peine pour l’homme, si on se reporte à son établissement. Ainsi dit-on de la carence de la vision de Dieu qu’elle est une peine, non seulement parce qu’elle indique seulement une négation, mais encore une privation accompagnée d’une certaine humiliation, comme on l’a dit plus haut. Et parce que les autres arguments semblent conclure que ces carences sont aussi une peine pour la nature humaine considérée dans ses principes, il faut donc aussi répondre à ceux-ci.

[6127] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 ad 6Dicendum ergo ad sextum, quod involuntariorum illa tantum rationem poenae habent quae sunt voluntati subjicibilia; voluntas enim non tantum est possibilium, sed etiam impossibilium; et ideo si alicui sit involuntarium illud quod potestati voluntatis non subjacet, non propter hoc rationem poenae habet, sicut quod aliquis est brevis nimis in statura, vel aliquid hujusmodi: et hoc modo mors et alia hujusmodi involuntaria sunt.

6. Parmi ce qui est involontaire, n’a raison de peine que ce qui peut être soumis à la volonté. En effet, la volonté ne porte pas seulement sur ce qui est possible, mais aussi sur ce qui est impossible. Si pour quelqu’un est involontaire ce qui n’est pas soumis au pouvoir de la volonté, cela n’a pas pour autant raison de peine, comme le fait pour quelqu’un d’avoir une trop petite stature ou quelque chose de ce genre. De cette manière, la mort et les autres choses de ce genre sont involontaires.

[6128] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 ad 7Ad septimum dicendum, quod inter animam et corpus oportet esse proportionem, sicut potentiae ad actum, non autem sicut convenientium in eadem natura, seu proprietate: non enim oportet quod si anima est sine quantitate, etiam corpus sit hujusmodi: similiter non oportet quod si anima est incorruptibilis naturaliter, corpus etiam hujusmodi sit.

7. Il doit y avoir une proportion entre l’âme et le corps, comme entre la puissance et l’acte, mais non parce qu’ils se rejoignent dans la même nature ou propriété. En effet, il n’est pas nécessaire que, si l’âme n’a pas de quantité, le corps aussi n’en ait pas. De même, il n’est pas nécessaire que si l’âme est naturellement incorruptible, le corps aussi le soit.

[6129] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 1 ad 8Ad octavum dicendum, quod quamvis corpus hominis simpliciter nobilius sit corpore ignis urentis vel ferri secantis, inquantum est nobiliori forma perfectum; nihil tamen prohibet illa corpora nobiliora esse secundum quid, inquantum scilicet hoc habent in actu quod corpus humanum habet in potentia, ut caliditatem, vel aliquid hujusmodi.

8. Bien que le corps de l’homme soit tout simplement plus noble que le corps du feu qui brûle ou du fer qui coupe, dans la mesure où il est perfectionné par une forme plus noble, toutefois, rien n’empêche que ces corps soient plus nobles sous un aspect, dans la mesure où ils possèdent en acte ce que le corps humain possède en puissance, comme la chaleur ou quelque chose de ce genre.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum aliquis defectus veniens in nos per originem habeat rationem culpae

Article 2 – Une carence qui nous vient par origine a-t-elle raison de faute ?

[6131] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nullus defectus in nos per originem veniens, rationem culpae habere possit. Ex hoc enim aliquid culpabile vituperabile est, si malum sit, quod est in potestate ejus qui de hoc culpatur: non enim vituperamur nisi ex his quae in nobis sunt, ut philosophus in 3 Ethic. dicit. Sed illud quod per originem trahitur non potest esse in potestate ejus qui illud originaliter trahit. Ergo impossibile est quod aliquid per originem tractum rationem culpae habeat.

1. Il semble qu’aucune carence qui nous vient par origine ne puisse avoir raison de faute. En effet, une chose coupable est blâmable, si elle est mauvaise, parce qu’elle est au pouvoir de celui qui en est coupable. En effet, « nous ne sommes blâmés que pour ce qui dépend de nous », comme le dit le Philosophe, Éthique, III. Or, ce qui est reçu par origine ne peut pas être au pouvoir de celui qui le reçoit par mode d’origine. Il est donc impossible que ce qui est reçu par origine ait raison de faute.

[6132] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, secundum Augustinum omne peccatum est voluntarium, adeo quod si non est voluntarium, non est peccatum. Sed illud quod per originem trahitur, non potest esse voluntarium: quia actus voluntatis originem volentis non praecedit. Ergo impossibile est aliquid per originem tractum, esse peccatum vel culpam.

2. Selon Augustin, « tout péché est volontaire, de sorte que si cela n’est pas volontaire, ce n’est pas un péché ». Or, ce qui est reçu par origine ne peut être volontaire, car l’acte de volonté ne précède pas l’origine de celui qui veut. Il est donc impossible qu’une chose reçue par origine soit un péché ou une faute.

[6133] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, nullum accidens potest traduci, nisi subjectum suum traducatur. Sed subjectum culpae est anima rationalis, quae cum non sit ex traduce, ut supra probatum est, videtur quod nec aliquid per originem tractum rationem culpae habere possit.

3. Aucun accident ne peut être transmis, à moins que son sujet ne soit transmis. Or, le sujet de la faute est l’âme raisonnable. Ne provenant pas d’une transmission, comme on l’a montré plus haut, il semble donc que ce qu’une chose reçoit par origine ne puisse pas non avoir raison de faute.

[6134] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 4Si dicatur, quod traducitur peccatum per traductionem seminis; contra. Nihil dat alteri vel efficit in altero quod ipsum non habet. Sed semen non potest esse subjectum infectionis culpae. Ergo nec ex eo culpa in animam devenire potest.

4. Si on dit que le péché est transmis par la transmission de la semence, on objectera que rien de donne à un autre ou ne réalise dans un autre ce qu’il ne possède pas. Or, la semence ne peut être le sujet de l’infection de la faute. Une faute ne peut donc pas parvenir à l’âme à partir de lui.

[6135] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, nobilius non patitur a minus nobili. Sed anima est nobilior corpore. Ergo corpus non potest agere in animam, inficiendo ipsam.

5. Ce qui est plus noble n’est pas soumis à ce qui est moins noble. Or, l’âme est plus noble que le corps. Le corps ne peut donc agir sur l’âme en l’infectant.

[6136] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 6Praeterea, injustum est ut culpa patris in filium redundet, et quod filius pro patre puniatur. Sed si ex hoc quod Adam peccavit, in omnes culpa redundaret originaliter, sequeretur filium pro transgressione patris puniri. Ergo hoc divinae justitiae non competit.

6. Il est injuste que la faute du père rejaillisse sur le fils et que le fils soit puni pour le père. Or, si du fait qu’Adam a péché, la faute rejaillissait sur tous par mode d’origine, il en découlerait que le fils est puni pour la transgression de son père. Cela ne convient donc pas à la justice divine.

[6137] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, ad Ephes. 2, 3, dicit apostolus: eramus natura filii irae. Sed nullus est filius irae nisi per hoc quod culpam habet. Ergo homo ex ipsa nativitate culpam contrahit.

Cependant, [1] l’Apôtre dit, Ep 2, 3 : Nous étions par nature fils de la colère. Or, personne n’est fils de la colère que parce qu’il a une faute. L’homme contracte donc une faute du fait même de sa naissance.

[6138] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, sicut dicit Anselmus, homo si perstitisset, justitiam originalem in qua creatus est, in filios profudisset. Sed sicut se habet justus ad justos, ita et peccator ad peccatores. Ergo etiam quia peccavit, culpam suam in alios generando transfudit.

[2] Comme le dit Anselme, « si l’homme avait persévéré, il aurait répandu dans ses enfants la justice originelle dans laquelle il avait été créé ». Or, le rapport d’un juste avec les justes est le même que celui d’un pécheur avec les pécheurs. Aussi parce qu’il a péché, il a donc déversé sa faute chez d’autres en les engendrant.

[6139] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod circa hanc materiam duplex error tangitur in littera. Unus est eorum qui simpliciter peccatum originale negabant, sicut error Juliani et Pelagii: et hic error veritati fidei non consonat: quia sacramentorum necessitatem et redemptionis tollit, quae contra servitutem peccati, in qua nascimur, ordinata sunt. Alius est error eorum qui peccatum originale nomine concedentes, secundum rem negabant, dicentes, in puero nato nullam culpam esse, sed solum obligationem ad poenam; et hoc manifeste justitiae divinae repugnat, ut scilicet aliquis obligetur ad poenam qui culpam non habet, cum poena juste non nisi culpae debeatur. Et ideo his evitatis, simpliciter concedendum est, etiam culpam per originem trahi ex parentibus vitiatis in pueris natis: quod qualiter sit, investigandum est. Sciendum est igitur, quod haec tria, defectus, malum, et culpa, ex superadditione se habent. Defectus enim simplicem negationem alicujus boni importat. Sed malum nomen privationis est; unde carentia alicujus, etiam si non sit natum haberi, defectus potest dici; sed non potest dici malum, nisi sit defectus ejus boni quod natum est haberi; unde carentia vitae in lapide potest dici defectus, sed non malum: homini vero mors est et defectus et malum. Culpa autem super hoc addit rationem voluntarii: ex hoc enim aliquis culpatur quod deficit in eo quod per suam voluntatem habere potuit. Unde oportet quod secundum hoc quod aliquid rationem culpae habet, secundum hoc ratio voluntarii in ipso reperiatur. Sicut autem est quoddam bonum quod respicit naturam, et quoddam quod respicit personam; ita etiam est quaedam culpa naturae et quaedam personae. Unde ad culpam personae, requiritur voluntas personae sicut patet in culpa actuali, quae per actum personae committitur; ad culpam vero naturae non requiritur nisi voluntas in natura illa. Sic ergo dicendum est, quod defectus illius originalis justitiae quae homini in sua creatione collata est, ex voluntate hominis accidit: et sicut illud naturae donum fuit et fuisset in totam naturam propagatum, homine in justitia persistente; ita etiam et privatio illius boni in totam naturam perducitur, quasi privatio et vitium naturae; ad idem enim genus privatio et habitus referuntur; et in quolibet homine rationem culpae habet ex hoc quod per voluntatem principii naturae, idest primi hominis, inductus est talis defectus.

Réponse. À ce propos, une double erreur est abordée dans le texte. L’une est celle de ceux qui niaient simplement le péché originel, telle l’erreur de Julien et de Pélage. Cette erreur n’est pas en harmonie avec la vérité de la foi, car elle écarte la nécessité des sacrements et de la rédemption, qui ont été ordonnés pour contrer la servitude du péché dans laquelle nous naissons. L’autre erreur est celle de ceux qui, tout en concédant en paroles le péché originel, le niaient en réalité, en disant qu’il n’y avait aucune faute chez l’enfant naissant, mais seulement une obligation à la peine. Cela s’oppose manifestement à la justice divine, que celui qui n’a pas de faute soit obligé à une peine, puisqu’une peine n’est due en justice que pour une faute. Aussi, en évitant cela, il faut tout simplement concéder que même la faute est reçue par mode d’origine par les enfants qui sont nés de parents infectés. Comment cela est-il possible ? Il faut s’en enquérir. Il faut donc savoir que ces trois choses : la carence, le mal et la faute, s’additionnent les unes aux autres. En effet, la carence comporte la simple négation d’un bien. Mais le mal désigne une privation. Aussi la carence d’une chose, même si on n’était pas destiné à l’avoir, peut-elle être appelée une carence ; mais elle ne peut être appelée un mal, que si elle est la carence d’un bien qu’on était destiné à posséder. Ainsi, la carence de la vie dans une pierre peut-elle être appelée une carence, mais non pas un mal. Mais la mort est pour l’homme et une carence et un mal. Or, la faute ajoute à cela la raison de volontaire. En effet, quelqu’un est coupable du fait qu’il lui manque ce qu’il pouvait avoir par sa volonté. Aussi faut-il que, du fait que quelque chose a raison de faute, on y trouve pour autant la raison de volontaire. Or, de même qu’il existe un bien qui concerne la nature et un bien qui concerne la personne, de même aussi existe-il une faute de nature et une faute de la personne. Pour la faute de la personne, la volonté de la personne est donc requise, comme cela ressort pour la faute actuelle, qui est commise par l’acte d’une personne. Mais, pour la faute de nature, n’est requise que la volonté de cette nature. Il faut ainsi dire que la carence de la justice originelle, qui a été donnée à l’homme lors de sa création, survient par la volonté de l’homme. Et de même que ce don de nature a été et aurait été propagé dans la nature entière, si l’homme avait persisté dans la justice, de même aussi la privation de ce bien atteint-elle la nature entière, comme une privation et un vice de nature. En effet, la privation et l’habitus se rapportent au même genre. Et, en chaque homme, elle a raison de faute, du fait qu’une telle carence a été entraînée par la volonté du principe de la nature, le premier homme.

[6140] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod peccatum originale, cum non sit vitium personae ut persona est, sed quasi per accidens, inquantum persona habet talem naturam; ideo non oportet quod sit in potestate hujusmodi personae, hunc defectum habere vel non habere; sed sufficit quod sit in potestate alicujus qui est natura illa: quia ex hoc quod habens aliquam naturam peccavit, natura infecta est; et per consequens inficitur in omnibus illis qui ab illo naturam trahunt. Et ideo potest dici culpa naturae, cum aliquis in natura illa subsistens, per voluntatem defectum istum in totam naturam causaverit.

1. Puisque le péché originel n’est pas un vice de la personne en tant que personne, mais pour ainsi dire par accident, pour autant que la personne possède une telle nature, il n’est donc pas nécessaire qu’il soit au pouvoir de cette personne de posséder ou non cette carence ; mais il suffit qu’il soit au pouvoir de quelqu’un qui existe dans cette nature, car du fait que quelqu’un qui possédait cette nature a péché, la nature a été infectée et, par conséquent, elle a été infectée chez tous ceux qui tirent de lui leur nature. C’est pourquoi on peut parler de faute de nature, puisque quelqu’un qui subsistait dans cette nature a causé volontairement une telle carence dans la nature tout entière.

[6141] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 ad 2Et per hoc etiam patet responsio ad secundum.

2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire.

[6142] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod peccatum originale non traducitur per traductionem sui subjecti, quod est anima rationalis, sed per traductionem seminis: quia ex quo anima patris per peccatum infecta fuit, sequitur etiam inordinatio in corpore, subtracto illo ordine quem natura instituta prius acceperat: et ita etiam ex semine illo generatur corpus tali ordine destitutum; unde et anima quae tali corpori infunditur, deordinationem culpae contrahit ex hoc ipso quod hujusmodi corporis forma efficitur; cum oporteat perfectionem perfectibili proportionatam esse: sicut propter aliquam corruptionem seminis contingit non tantum defectus in corpore prolis ex illo semine generatae, ut lepra, podagra, vel aliqua hujusmodi infirmitas; sed etiam defectus in anima, ut patet in his qui a nativitate naturaliter sunt stolidi.

3. Le péché originel n’est pas transmis par la transmission de son sujet, qui est l’âme raisonnable, mais par la transmission de la semence, car, du fait que l’âme du père a été infectée par le péché, il en découle aussi un désordre dans le corps, en enlevant cet ordre que la nature établie antérieurement avait reçu. Et ainsi, à partir de cette semence, est engendré un corps dépourvu de cet ordre. Aussi l’âme qui est introduite dans un tel corps contracte-t-elle le désordre de la faute du fait même qu’elle devient la forme de ce corps, puisqu’il faut qu’une perfection soit proportionnée à ce qui est perfectible. Ainsi, en raison de la corruption de la semence, se produit non seulement une carence dans le corps du descendant engendré par cette semence, comme la lêpre, la goutte ou une infirmité de ce genre, mais aussi une carence dans l’âme, comme cela ressort chez ceux qui sont de naissance naturellement fous.

[6143] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod licet semen non habeat in se infectionem culpae in actu, habet tamen in virtute; sicut etiam patet quod ex semine leprosi generatur filius leprosus, quamvis in ipso semine non sit lepra in actu: est enim in semine virtus aliqua deficiens, per cujus defectum contingit defectus leprae in prole. Similiter etiam ex hoc ipso quod in semine est talis dispositio, quae privatur illa impassibilitate et ordinabilitate ad animam, quam in primo statu corpus humanum habebat, sequitur quod in prole, quae est susceptiva originalis peccati, efficiatur originale peccatum in actu.

4. Bien que la semence n’ait pas en elle-même l’infection de la faute en acte, elle l’a cependant en puissance. Il est ainsi clair que, de la semence d’un lépreux, est engendré un fils lépreux, bien que la lèpre n’existe pas en acte dans la semence elle-même. En effet, il existe dans la semence une certaine puissance déficiente, par la carence de laquelle se produit la carence de la lèpre chez l’enfant. De même aussi, du fait qu’existe dans la semence une telle disposition, qui est privée de cette impassibilité et de cette capacité d’être ordonnée à l’âme que le corps humain possédait en son premier état, il découle que, chez l’enfant, qui reçoit le péché originel, elle devient le péché originel en acte.

[6144] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod anima non inficitur per infectionem corporis, quasi corpore agente in animam; sed per quamdam collimitationem unius ad alterum: quia forma recipitur in materia secundum conditionem ipsius materiae, cum omne quod est in altero, sit in eo per modum recipientis: et ideo ex hoc ipso quod corpus illa virtute privatur qua perfecte erat subjicibile animae, sequitur etiam quod anima illa virtute careat qua perfecte corpus subditum regat: et talis defectus originalis justitiae, culpa est naturae, prout consideratur consequens ex voluntate alicujus habentis naturam, ex quo natura traducta est.

5. L’âme n’est pas infectée par l’infection du corps, comme si le corps agissait sur l’âme, mais par un certain mimétisme de l’un sur l’autre, car la forme est reçue dans la matière selon la condition de la matière elle-même, puisque tout ce qui existe dans un autre y existe à la manière de ce qui le reçoit. Du fait même que le corps est privé de cette puissance par laquelle il peut être parfaitement soumis à l’âme, il découle aussi que cette âme est dépourvue de la puissance par laquelle elle dirige un corps parfaitement soumis. Une telle carence de justice originelle est une faute de la nature, pour autant qu’elle est envisagée comme découlant de la volonté de quelqu’un qui possédait cette nature, et de qui la nature a été tirée.

[6145] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 2 ad 6Ad sextum dicendum, quod injustum esset quod filius pro peccato patris poenam sentiret, nisi etiam peccatum patris in filium transiret, ut jam filius non pro peccato patris, sed pro peccato proprio, quod originaliter trahit, puniatur.

6. Il serait injuste que le fils subisse la peine pour un péché du père si le péché du père ne passait pas dans le fils, de sorte que celui-ci soit puni, non pas pour le péché du père, mais pour son propre péché, qu’il reçoit par mode d’origine.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum originale peccatum sit concupiscentia

Article 3 – Le péché originel est-il la concupiscence ?

[6147] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod originale peccatum non sit concupiscentia, ut in littera dicitur. Nihil enim est causa sui ipsius. Sed peccatum originale est causa concupiscentiae, ut patet ex verbis apostoli Rom. 8, 8: peccatum occasione accepta per mandatum operatum est in me omnem concupiscentiam. Ergo peccatum originale non est concupiscentia.

1. Il semble que le péché originel ne soit pas la concupiscence, comme il est dit dans le texte. En effet, rien n’est cause de soi-même. Or, le péché originel est cause de la concupiscence, comme cela ressort des paroles de l’Apôtre, Rm 7, 11 : Le péché, saisissant l’occasion du précepte, a réalisé en moi toute concupiscence. Le péché originel n’est donc pas la concupiscence.

[6148] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, nihil naturalium potest dici peccatum vel malum. Sed concupiscibilis vis in homine est virtus naturalis. Ergo ipsa non potest dici peccatum originale. Sed ipsa est per quam homo habilis est ad concupiscendum. Ergo concupiscentia qua sumus habiles ad concupiscendum, non est peccatum originale, ut in littera dicitur.

2. Rien de ce qui est naturel ne peut être appelé péché ou mal. Or, la puissance concupiscible chez l’homme est une puissance naturelle. Elle ne peut donc être appelée péché originel. Or, c’est par elle que l’homme est apte à la concupiscence. La concuspiscence, par laquelle nous sommes capables de désirer, n’est donc pas le péché originel, comme le dit le texte.

[6149] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, sicut per motum concupiscibilis perturbatur judicium rationis, ita et per motum irascibilis. Sed peccatum originale consistit in deordinatione ipsius animae, secundum quod inferiora superioribus non obediunt. Ergo non solum concupiscentia, sed simili ratione iracundia peccatum dici debet originale.

3. De même que, par un mouvement du concupiscible, le jugement de la raison est troublé, de même aussi par un mouvement de l’irascible. Or, le péché originel consiste dans un certain désordre de l’âme elle-même, du fait que ce qui est inférieur n’obéit pas à ce qui est supérieur. Non seulement la concupiscence, mais, pour la même raison, la colère aussi peut donc être appelée péché originel.

[6150] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, defectus qui ex origine trahitur, rationem culpae non habet, ut dictum est, nisi secundum quod ex voluntate habentis naturam consequitur. Sed multi defectus corporales ex voluntate illa consequuntur, ut necessitas moriendi, et hujusmodi. Ergo non solum concupiscentia, sed quodlibet istorum debet dici peccatum originale.

4. La carence qui est tirée de l’origine n’a raison de faute, comme on l’a dit, que selon qu’elle découle de la volonté de celui qui possède la nature. Or, plusieurs carences corporelles découlent de cette volonté, comme la nécessité de mourir et les autres de ce genre. Non seulement la concupiscence, mais chacune de celles-ci doit donc être appelée péché originel.

[6151] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, inter alia quae homo per peccatum amisit, etiam scientia illa privatus est qua in primo statu pollebat. Sed defectus scientiae ignorantia dicitur. Ergo ignorantia originale peccatum dici debet, et non solum concupiscentia.

5. Parmi les autres choses que l’homme a perdues par le péché, il a aussi été privé de la science par laquelle il était supérieur en son premier état. Or, la carence de la science s’appelle l’ignorance. L’ignorance peut donc être appelée péché originel, et non seulement la concupiscence.

[6152] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra est quod dicitur in Glossa Rom. 6: non regnet peccatum in vestro mortali corpore, idest fomes peccati. Fomes autem peccati concupiscentia est. Ergo peccatum videtur ipsa concupiscentia esse.

Cependant, [1] il est dit en sens contraire dans la Glose sur Rm 6 : Le péché ne régnera pas dans votre corps mortel, c’est-à-dire l’aiguillon du péché. Or, le désir du péché est la concupiscence. Le péché semble donc être la concupiscence elle-même.

[6153] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, sicut se habet concupiscentia actualis ad actuale peccatum, ita se habet concupiscentia originalis ad originale peccatum. Sed concupiscentia actualis est ipsum actuale peccatum. Ergo et concupiscentia quae per originem trahitur, est originale peccatum.

[2] Le rapport de la concupiscence actuelle au péché actuel est le même que celui de la concupiscence originelle au péché originel. Or, la concupiscence actuelle est le péché actuel lui-même. La concupiscence qui est reçue par mode d’origine est donc le péché originel.

[6154] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod in quolibet peccato est invenire aliquid quasi formale, et aliquid quasi materiale. Si enim consideremus peccatum actuale, ipsa substantia actus deordinati materialiter in peccato se habet: sed deordinatio a fine, formale in peccato est, quia ex hoc rationem mali praecipue habet; unde dicitur, quod conversio ad bonum commutabile, est ibi sicut materiale, et aversio a bono incommutabili, est sicut formale: et hoc contingit ex hoc quod etiam in actu perfectio virtutis ex ordine ad finem est forma actus. Sicut autem peccatum actuale consistit in deordinatione actus, ita etiam peccatum originale consistit in deordinatione naturae. Unde oportet quod ipsae vires deordinatae, vel deordinatio virium, sint sicut materiale in peccato originali; et ipsa deordinatio a fine sit ibi sicut formale. Illa autem pars quae per se nata est conjungi fini, est ipsa voluntas, quae habet ordinem finis omnibus aliis partibus imponere; et ideo destitutio ipsius voluntatis ab illa rectitudine ad finem quam habuit in institutione naturae, in peccato originali formale est: et hoc est privatio originalis justitiae. Vires autem appetitus sensibilis sunt natae recipere ordinem ad finem ab ipsa voluntate, secundum quod sibi subjectae sunt; et ideo subtractio illius vinculi quo quodammodo sub potestate voluntatis rectae detinebantur, materiale in peccato est. Ex hac autem subtractione sequitur quod unaquaeque vis in suum objectum inordinate tendat, concupiscendo illud; et ideo concupiscentia qua habiles sumus ad male concupiscendum, peccatum originale dicitur, quasi materiale in peccato originali existens. Est enim considerare materiale et formale in actibus moralibus sicut in rebus artificialibus, in quibus materia de toto praedicatur; ut possit dici, cultellus est ferrum: et similiter de peccato praedicari potest illud quod est materiale in ipso; et per hunc modum peccatum originale concupiscentia dicitur.

Réponse. En tout péché, on trouve quelque chose de formel et quelque chose de matériel. En effet, si nous considérons le péché actuel, la substance même de l’acte désordonné joue le rôle de matière dans le péché ; mais le désordre par rapport à la fin joue le rôle de forme dans le péché, car il tire principalement de cela la raison de mal. Aussi dit-on que la conversion à un bien changeant y joue le rôle de matière, et le fait de se détourner du bien immuable, le rôle de forme. Cela vient du fait que, dans l’acte aussi, la perfection de la vertu en vertu de l’ordre à la fin est la forme de l’acte. Or, de même que le péché actuel consiste dans le désordre de l’acte, de même aussi le péché originel consiste-t-il dans un désordre de la nature. Il faut donc que les puissances désordonnées elles-mêmes ou le désordre des puissances jouent le rôle de matière dans le péché originel, et que le désordre par rapport à la fin y joue le rôle de forme. Or, la partie qui est destinée à être unie à la fin est la volonté elle-même, qui doit imposer l’ordre par rapport à la fin à toutes les autres parties. C’est pourquoi la suppression de la droiture de la volonté elle-même par rapport à la fin, qu’elle avait lors de la création de la nature, joue le rôle de forme dans le péché originel : c’est là la privation de la justice originelle. Mais les puissances de l’appétit sensible sont destinées à recevoir de la volonté l’ordre par rapport à la volonté, selon qu’elles lui sont soumises. Aussi le fait de retirer le lien par lequel elles étaient gardées sous le pouvoir de la volonté droite joue-t-il le rôle de matière dans le péché. Or, de cet enlèvement découle que chaque puissance tend vers son objet de manière désordonnée en le désirant par concupiscence. C’est pourquoi la concupiscence par laquelle nous sommes en mesure de mal désirer est appelée péché originel, du fait qu’elle joue le rôle de matière dans le péché originel. En effet, on considère ce qui est matériel et ce qui est formel dans les actes moraux comme dans les actes de l’art, dans lesquels la matière est prédiquée du tout, de sorte qu’on puisse dire que le couteau est fer. De même peut-on prédiquer du péché ce qui joue le rôle de matière en lui. C’est ainsi que le péché originel porte le nom de concupiscence.

[6155] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod concupiscentia dicitur dupliciter; scilicet ipse actus concupiscendi et ipsa habilitas ad concupiscendum, et actus ex habilitate causatus; unde non est inconveniens, si peccatum originale, quod concupiscentiam actualem causat, habitualis concupiscentia esse dicatur.

1. On parle de concupiscence de deux manières : pour l’acte même de désirer de manière désordonnée, et pour la capacité de désirer ainsi, l’acte étant causé par la capacité. Il n’est donc pas inapproprié que le péché originel, qui cause la concupiscence actuelle, soit appelé concupiscence habituelle.

[6156] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod differt dicere potentem et habilem: quod enim aliquis sit potens concupiscere, est ex potentia concupiscibili; sed quod sit habilis ad concupiscendum, est ex aliquo habitu, vel ex eo quod per modum habitus se habet. Contingit enim ut etiam privatio aliqua habilitatem quamdam relinquat, in quantum privatur aliquid quod impedimentum praestare posset: et ita dicitur concupiscentia habitualis esse peccatum originale, non quidem vis concupiscibilis, neque iterum aliquis habitus qui aliquid positive dicat; sed ipsa habilitas quae relinquitur in inferioribus viribus ad inordinate concupiscendum, ex hoc quod ab appetitu subtrahitur retinaculum rationis, quo detinebatur ne effrenate posset in sua objecta tendere.

2. Il y a une différence entre celui qui a la puissance et celui qui a la capacité. En effet, que quelqu’un ait la puissance de désirer de manière désordonnée vient de la puissance concupiscible ; mais qu’il soit capable de désirer ainsi vient d’un habitus ou de ce qui existe sous forme d’habitus. En effet, il arrive qu’une privation laisse une certaine capacité, dans la mesure où il y a privation de quelque chose qui pourrait présenteer un obstacle. C’est ainsi qu’on appelle la concupiscence habituelle péché originel, mais non la puissance concupiscible, ni non plus l’habitus, qui exprime quelque chose de positif ; mais la capacité même de désirer de manière désordonnée qui est laissée dans les puissances inférieures, du fait que la bride de la raison est enlevée, par laquelle elles étaient empêchées de tendre de manière effrénée vers leurs objets.

[6157] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod concupiscentia non dicitur esse materiale in peccato, secundum quod denominatur a vi concupiscibili, quae contra irascibilem dividitur; sed secundum quod sumitur ab appetitu sensualitatis, qui in utramque vim dividitur, scilicet irascibilem et concupiscibilem.

3. On ne dit pas que la concupiscence joue le rôle de matière dans le péché du fait qu’elle tire son nom de la puissance concupiscible, qui s’oppose à [la puissance] irascible, mais du fait qu’elle vient du désir de la sensualité, qui se divise en deux puissances, l’irascible et le concupiscible.

[6158] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod ut in 2 Physic. dicitur, peccatum contingit in his quae ad finem ordinata sunt, secundum quod a suo fine deficiunt; et ideo in partibus animae in illis praecipue est peccatum hominis secundum quas homo ordinatur in finem: et quia appetitus est tendens in finem, ideo in appetitu praecipue peccatum consistit. Ad finem autem hominis ordinatur appetitus rationis, qui est voluntas, immediate; appetitus autem sensibiles mediate, inquantum scilicet ordinem finis ex voluntate rationis recipiunt, propter quod dicuntur aliqualiter rationi obaudibiles, ut philosophus dicit in fine 1 Ethic.; et ideo defectus ordinis in appetitu voluntatis est formale et completivum originalis peccati, quod est privatio rectitudinis voluntatis, quae inerat secundum originalem justitiam; defectus autem ordinis in appetitu inferiori, est materialiter in peccato se habens; et hoc est concupiscentia, ut dictum est: et ideo nullus alius defectus naturae ex parte rationis nec ex parte sensibilis partis originale peccatum dicitur, nisi concupiscentia sicut materiale, et privatio originalis justitiae sicut formale.

4. Dans Physique, II, on dit que le péché survient dans les choses qui sont ordonnées à une fin, du fait qu’elles n’atteignent pas de leur fin. Aussi, parmi les parties de l’âme, le péché de l’homme se trouve-t-il principalement dans celles par lesquelles l’homme est ordonné à sa fin. Et parce que l’appétit est [la partie] qui tend vers la fin, le péché réside donc principalement dans l’appétit. Or, l’appétit de la raison, qui est la volonté, tend de manière immédiate à la fin de l’homme, mais les appétits sensibles, de manière médiate, pour autant qu’ils reçoivent de la volonté de la raison l’ordre à la fin. Pour cette raison, on dit qu’elles obéissent à la raison dans une certaine mesure, comme le Philosophe le dit dans Éthique, I. Aussi une carence d’ordre dans l’appétit de la volonté joue-t-elle le rôle de forme et d’achèvement pour le péché originel, qui est la privation de la droiture de la volonté, qui était présente en vertu de la justice originelle ; mais la carence d’ordre dans l’appétit inférieur joue le rôle de matière dans le péché. Telle est la concupiscence, ainsi qu’on l’a dit. Ainsi, aucune autre carence de la nature du point de vue de la raison ou du point de vue de la partie sensible n’est-elle appelée péché originel, sauf la concupiscence en tant que matière, et la privation de la justice originelle en tant que forme.

[6159] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 1 a. 3 ad 5Ex quo patet responsio ad quintum: quia ignorantia non per se respicit voluntatem; unde etiam defectus ille sicut et alii retinent rationem poenae sed non culpae: et si inveniatur ignorantiam originale peccatum dici, intelligendum est de ignorantia privante illam scientiam quae includitur in originali justitia: nullus enim est justus vel temperatus, qui non sit prudens, ut in 6 Eth. dicitur: et ad hoc attendens Socrates dixit, omnem virtutem esse scientiam, et omne vitium esse ignorantiam, ut ibidem narratur.

5. La réponse au cinquième argument ressort ainsi clairement, car l’ignorance ne concerne pas de soi la volonté. Aussi cette carence, comme les autres, garde-t-elle la raison de peine, et non de faute. Et s’il arrive qu’on dise de l’ignorance qu’elle est le péché originel, il faut l’entendre de l’ignorance qui prive de la science qui fait partie de la justice originelle. En effet, « personne n’est juste ou tempérant sans être prudent », comme il est dit dans Éthique, VI. C’est en tenant compte de cela que Socrate a dit que « toute vertu est science et tout vice est ignorance », comme on le raconte à cet endroit.

 

 

QUAESTIO 2

Question 2 – [L’aliment est-il véritablement converti en la nature humaine ?]

PROOEMIUM

Prologue

[6160] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 pr.Deinde quaeritur de traductione carnis a parentibus, per quam originale peccatum trahitur; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum alimentum in veritatem humanae naturae convertatur. 2 utrum ex alimento semen decidatur.

On s’interroge ensuite sur la transmission de la chair par les parents, par laquelle le péché originel est transmis. À ce propos, deux questions sont posées : 1. L’aliment est-il changé en véritable nature humaine ? 2. La semence est-elle tirée de l’aliment ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum alimentum transeat in veritatem humanae naturae

Article 1 – L’aliment est-il changé en véritable nature humaine ?

[6162] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod alimentum in veritatem humanae naturae non transeat. Quidquid enim sumptum emittitur, ad veritatem humanae naturae non pertinet, quae semper eadem manet. Sed omne quod per os sumitur, in ventrem vadit, et in secessum emittitur, ut dicitur Matth. 15. Ergo nutrimentum quod per os sumitur, in veritatem humanae naturae non transit.

1. Il semble que l’aliment n’est pas changé en véritable nature humaine. En effet, tout ce qui est rejeté après avoir été pris n’appartient pas véritablement à la nature humaine, qui demeure toujours la même. Or, tout ce qui est pris par la bouche passe par le ventre et est rejeté dans les lieux d’aisance, comme il est dit en Mt 15. L’aliment qui est pris par la bouche ne se transforme donc pas en vraie nature humaine.

[6163] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 arg. 2Praeterea, veritas uniuscujusque rei est in eo quod secundum speciem est. Illud autem quod per modum nutrimenti advenit, per modum materiae se habet, ut in 2 de Gener. dicitur. Sed caro secundum materiam non fit caro secundum speciem, ut ex 50 de Gener. patet. Ergo nutrimentum in veritatem humanae naturae non transit.

2. La vérité d’une chose tient à ce qui concerne son espèce. Or, ce qui se présente sous forme d’aliment se présente sous forme de matière, comme il est dit dans Sur la génération, II. Or, la chair selon la matière ne devient pas chair selon l’espèce, comme cela ressort clairement de Sur la génération, L. L’aliment n’est donc pas changé en vraie nature humaine.

[6164] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 arg. 3Praeterea, illud ad veritatem humanae naturae pertinet in quo calor conveniens radicatur. Sed tale humidum, ut medici dicunt, consumptum non restauratur, ut patet in his qui tertia specie hecticae laborant, quae incurabilis est ex eo quod tale humidum non restauratur. Cum igitur omne illud in quod alimentum convertitur, post consumptionem restaurari possit, videtur quod nutrimentum in id quod proprie ad veritatem humanae naturae pertinet, non mutetur.

3. Concerne véritablement la nature humaine ce en quoi la chaleur appropriée s’enracine. Or, comme le disent les médecins, l’humide qui est consommé n’est pas rétabli, comme cela ressort chez ceux qui souffrent de la troisième espèce de fièvre étique, qui est incurable du fait que l’humide n’est pas rétabli. Puisque tout ce en quoi la nourriture est convertie peut être rétabli après la consommation, il semble que la nourriture ne soit pas changée en ce qui se rapporte à la véritable nature humaine.

[6165] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 arg. 4Praeterea, omne id in quod cibus convertitur, etiam per calorem continuo agentem dissolvitur, ut fluens et refluens idem judicetur. Sed non potest esse quod totum quod est in corpore, sit fluens et refluens, ut probabitur. Ergo oportet aliquid in corpore esse manens, in quod alimentum non convertatur. Hoc autem praecipue ad veritatem humanae naturae pertinet. Ergo alimentum in id quod per se est de veritate humanae naturae, non mutatur. Probatio mediae. Si non esset aliquid permanens fixum in corpore humano, tunc contingeret quod quaelibet pars ejus posset evanescere, aliquo alio in ejus locum substituto; et per eamdem rationem sic contingeret in toto sicut in qualibet ejus parte. Contingeret ergo quod de illa materia quae primo fuit in corpore alicujus hominis, nihil in fine remaneret. Sed varietas individui est ex varietate materiae. Ergo non esset unus numero homo in fine vitae et in principio; quod est absurdum.

4. Tout ce en quoi la nourriture est converti est aussi dissous par une chaleur agissant de manière continue, de sorte que ce qui coule dans un sens et dans l’autre est estimé la même chose. Or, il ne se peut pas que tout ce qui se trouve dans le corps coule dans un sens et dans l’autre, comme on le démontrera. Il est donc nécessaire que demeure dans le corps quelque chose en quoi l’aliment n’est pas changé. Or, cela concerne principalement la véritable nature humaine. L’aliment n’est donc pas changé en la véritable nature humaine. Démonstration de la mineure. S’il n’y avait pas quelque chose de permanent et de stable dans le corps humain, il pourrait alors arriver que toutes ses parties puissent disparaître et que quelque chose d’autre le remplacerait ; pour la même raison, il se produirait dans le tout la même chose qu’en chacune de ses parties. Il arriverait donc que rien ne demeurerait de la matière qui existait en premier lieu dans le corps d’un homme. Or, la diversité de l’individu vient de la diversité de la matière. Il n’y aurait donc pas numériquement un seul homme à la fin et au début de sa vie, ce qui est absurde.

[6166] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 arg. 5Praeterea, nulla virtus naturalis debilitatur multiplicata materia sibi convenienti: sed solum per admixtionem alicujus extranei. Sed virtus conversiva in homine debilitatur in fine vitae, alias homo in infinitum posset augeri et vivere. Ergo hoc contingit per admixtionem extranei. Sed nihil admiscetur ad materiam illam in qua virtus conversiva prius fundabatur nisi quod est ex alimento generatum. Ergo hoc quod est ex nutrimento generatum est extraneum ei in quo veritas naturae fundatur, et sic idem quod prius.

5. Aucune puissance naturelle n’est affaiblie par la multiplication de la matière qui lui convient, mais seulement par le mélange de quelque chose d’étranger. Or, la puissance de conversion chez l’homme est affaiblie à la fin de sa vie, autrement l’homme pourrait croître et vivre à l’infini. Cela se produit donc par le mélange de quelque chose d’étranger. Or, rien n’est mélangé avec la matière sur laquelle était fondée la puissance de conversion, sinon ce qui est engendré à partir de l’aliment. Ce qui est engendré à partir de l’aliment est donc étranger à ce sur quoi se fonde véritablement la nature, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

[6167] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 arg. 6Praeterea, natura facit unumquodque faciliori modo quo fieri potest. Deus autem multo ordinatius quam natura operatur. Cum igitur facilior modus augmentandi aliquid sit per multiplicationem materiae quam per conversionem alterius in id quod augetur, videtur quod iste modus divinae providentiae competat, ut scilicet corpus humanum augeatur nullo exteriori in illud transeunte, sed sola ejus materia multiplicata; et sic idem quod prius.

6. La nature réalise toutes choses aussi facilement qu’elles peuvent l’être. Or, Dieu agit de manière beaucoup plus ordonnée que la nature. Puisque la manière d’augmenter quelque chose par multiplication est plus facile que par conversion d’autre chose en ce qui est augmenté, il semble donc que cette manière convienne à la providence divine, de sorte que le corps humain n’est augmenté par rien d’extérieur qui se transformerait en lui, mais par la seule multiplication de sa matière. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[6168] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 arg. 7Praeterea, ea quae sunt unius speciei, per eamdem rationem suum complementum consequuntur. Sed quidam parvuli defuncti in resurrectione perducentur in completam quantitatem, non per multiplicationem nutrimenti sed per multiplicationem materiae. Ergo etiam hoc modo alii homines in quantitatem completam perducentur; et sic idem quod prius.

7. Les choses qui font partie d’une même espèce obtiennent leur achèvement par la même raison. Or, certains enfants morts parviendront à la résurrection avec leur quantité complète, non par la multiplication de nourriture, mais par la multiplication de la matière. Les autres hommes aussi parviendront donc de cette manière à leur quantité complète, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

[6169] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 s. c. 1Sed contra est, quia, secundum philosophum 50 de Generat., nihil nutrit carnem nisi quod est potentia caro. Sed omne quod est in potentia ad aliquid, mutatur in id per actionem ejus quod est in actu. Ergo nutrimentum in illam carnem quae ad veritatem naturae pertinet transmutatur.

Cependant, [1] le Philosophe dit, Sur la génération, L, que rien ne nourrit la chair que ce qui est chair en puissance. Or, tout ce qui est en puissance à quelque chose est changé en cela par l’action de ce qui est en acte. La nourriture est donc changée en la chair qui se rapporte à la véritable nature.

[6170] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 s. c. 2Praeterea, nutrimentum in principio est dissimile, sed in fine est simile: cum nihil nisi suo simili nutriatur et foveatur. Sed illa sunt similia quae eamdem formam communicant. Cum igitur veritas naturae a forma sit, videtur quod illud quod nutrit, in fine ad veritatem naturae ipsius nutriti perducatur.

[2] La nourriture est, au départ, dissemblable, mais, à la fin, semblable, puisque rien n’est nourri ni réchauffé que par son semblable. Or, sont semblables les choses qui partagent la même forme. Puisque la vérité de la nature vient de la forme, il semble donc que ce qui nourrit est amené, à la fin, à la véritable nature de ce qui est nourri.

[6171] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt multae opiniones. Quidam posuerunt, ut in littera Magister sentire videtur, quod illud quod ex parentibus decisum est, est illud solum in quo veritas hominis nati consistit. Hoc autem in majorem quantitatem excrescit omnino salvatum; ita quod nihil sibi additur, ut majorem quantitatem recipiat; sed tota quantitas hominis completi per multiplicationem illius materiae efficitur: et hoc tantum esse dicunt quod in resurrectione resurget; reliquum autem quasi superfluum deponetur. Ponunt etiam, alimenti sumptionem necessariam esse, non quidem ad augmentum ut nutritiva augmentativae deserviat, neque iterum ad restaurationem deperditi, sed solum in fomentum caloris naturalis, sicut quando liquefit aurum, admiscetur sibi plumbum, ne aurum consumatur, sed solum plumbum. Haec autem positio irrationalis videtur ex duobus; scilicet ex parte ejus quod augetur, et ex parte alimenti quod advenit. Non enim potest fieri augmentum, nisi secundum hoc, quod materia quae primo est terminata sub parvis dimensionibus, postmodum ad majores dimensiones perducitur. Hoc autem non potest fieri nisi dupliciter: vel ita quod de materia sit tantum sub magnis dimensionibus quantum sub parvis; et talis mutatio de parvo in magnum necessario fit per rarefactionem: densum enim et rarum in hoc differunt quod in raro est parum de materia sub magnis dimensionibus, et in denso multum sub parvis, ut ex 4 Physic. patet. Vel ita quod plus de materia sit sub magnis quam sub parvis. Hoc autem non potest contingere, nisi vel quia est materia de novo creata, vel per hoc quod illud quod erat materia alterius corporis, efficitur materia hujus, in hoc illo corpore transmutato. Unde etiam Augustinus super Genes. ad litteram Lib. 10 dicit, quod nihil est absurdius quam putare ullum esse corpus quod, manente naturae suae quantitate undique crescat, nisi rarescat, cum nullum fiat augmentum corporis nisi per additionem vel rarefactionem. Augmentum autem corporis humani constat quod per rarefactionem non fit: nec iterum per additionem materiae de novo creatae, quia materiam omnium simul creavit Deus, ut sancti dicunt. Restat ergo ut fiat augmentum humani corporis per hoc quod additur materia quae suberat formae alterius corporis, illo corpore in corpus humanum secundum veritatem converso: et hoc est nutrimentum. Nec potest exponi dictum Augustini, ut quidam dicunt, quod Augustinus loquatur secundum communem modum quo res crescunt: quia secundum hoc probatio sua contra Tertullianum nihil valeret, qui ponebat animam crescere, sed nullo modo diminui. Magis autem communis est modus augmenti quo corpus humanum crescit, quam quo anima cresceret: simul enim, etiam secundum Tertullianum, crescente corpore crescit anima. Nec iterum potest dici, sicut dicunt, quod facienda est vis in hoc quod dicit: manente sua quantitate; ut sit sensus: corpus manens in sua quantitate, ita quod quantitas ejus non sit augmentata neque per additionem neque per multiplicationem, non crescit nisi per rarefactionem. Cum igitur augmentum proprie sit quantitatis, non potest intelligi quod corpus crescat, et maneat ejus quantitas secundum eamdem dimensionem; sed oportet intelligi quod dicit, manente quantitate naturae suae, ut nulla quantitas adjiciatur, vel quae ejusdem naturae sit, sicut aurum adjungitur auro, vel quae eamdem naturam in ipsa conjunctione accipiat, sicut cibus advenit carni. Unde per hoc quod dicitur: manente naturae suae quantitate, non removetur nisi additio similis in natura. Si enim intenderet removere multiplicationem, tunc probatio sua nihil valeret: quia multo probabilius posset dici, si anima esset corpus, quod per multiplicationem quam ponunt, cresceret, quam dicatur de corpore hominis: quia spiritualior est. Ex parte autem ejus quod additur, apparet etiam falsitas: quia si sumptio alimenti non esset per se intenta a natura, sed per accidens tantum, ut scilicet alicui nocivo occurreret, scilicet calori naturali digerenti, et si transmutatio cibi non esset per se necessaria ad corpus humanum; tunc calor convertens esset superfluus: et sic in operibus naturae a Deo institutae multa superflua invenirentur. Sustinentes tamen hanc positionem tres modos adinveniunt in ejus assertionem, quorum quemlibet facile est confutare. Quidam namque dicunt, quod haec talis multiplicatio fit miraculose operatione divina, sicut etiam panes evangelici multiplicati sunt, Joan. 6. Sed istud expressam continet falsitatem, dum opus naturae in miraculum convertitur. Et praeterea etiam in illorum panum multiplicatione non est remotum, immo forte est necessarium, factam fuisse additionem materiae per conversionem aliorum corporum in panes virtute divina. Istam autem conversionem cibi in carnem veram, natura facere potest, quae transmutat id quod est in potentia in id quod est in actu; quamvis, successive compleat quod Deus subito facit. Quod autem naturae possibile est, operationi naturae a Deo committitur, qui unicuique dat perfectionem secundum quod capax est; unde non oportet ad miraculum confugere. Alii dicunt, quod cum in corpore humano sit multum de quinta essentia, multiplicatio corporis humani est, secundum quod multiplicatur quinta essentia; unde sicut lux solis multiplicatur in seipsa diffusa per aerem; ita etiam corpus humanum sine additione alicujus extrinseci. Sed haec adinventio continet duas falsitates. Prima est, quia corpus quintae essentiae non venit in compositionem humani corporis nisi secundum virtutem tantum: cum neque sit commiscibile, neque divisibile, neque extra locum proprium possit esse. Secunda est, quia diffusio lucis non est per multiplicationem alicujus materiae, cum lumen non sit corpus; sed est multiplicatio formalis tantum; sicut est etiam in qualibet alteratione et generatione, quod agens multiplicat formam suam in materia. Alii vero alium modum adinveniunt: dicunt enim quod materia prima, quantum in se est, caret omni quantitate et forma; ergo aequaliter se habet ad recipiendum omnes quantitates, sicut ad recipiendum omnes formas. Unde quantumcumque parum sit de materia prima in quovis parvo corpore, potest recipere quantamlibet quantitatem; adeo quod ex grano milii totus mundus fieri potest. Nec mirum, cum ex materia punctali totus mundus sit factus; cum enim materia quantitate careat, indivisibilis est, et ad modum puncti se habens. Iste autem modus multipliciter deficit. Primo, quia imaginatur indivisibilitatem materiae ad modum puncti, ut sic ex materia mundus sit factus per quamdam quasi extensionem, sicut si res parva in magnam extendatur. Hoc autem non est verum. Materia enim dicitur indivisibilis per negationem totius generis quantitatis. Punctus autem est indivisibilis sicut quantitatis principium, situm determinatum habens. Unde ex materia res quanta efficitur, non per extensionem (loquendo de materia prima) cum extensio non sit nisi ejus quod alicujus quantitatis erat, sed per quantitatis susceptionem. Secundo, etsi prima materia, prout in se consideratur, nullam quantitatem habeat, non tamen sequitur quod sit in potentia respectu cujuslibet quantitatis imaginabilis. Cum enim quantitates determinatae et omnia alia accidentia secundum exigentiam formae materiam recipiant, eo quod subjecta materia cum forma est causa eorum quae insunt, ut in 1 Physic. dicitur, oportet quod materia prima ad nullam quantitatem sit in potentia, nisi quae competat formae naturali, quae in materia esse potest. Materia vero prima non est in potentia ad alias formas nisi ad illas quae sunt in rerum natura, vel per principia naturalia educi possunt. Si enim esset aliqua potentia passiva in materia cui non responderet aliqua potentia activa in rerum natura, illa potentia passiva esset superflua, ut Commentator dicit: et ideo materia prima non est receptibilis majoris quantitatis quam quantitatis mundi: propter quod in 3 Phys. dicitur, quod non est possibile magnitudinem augeri in infinitum, loquendo naturaliter. Tertio, quia si materia eadem quae primo sub parvis dimensionibus erat, sub majoribus dimensionibus fiat, non potest hoc accidere nisi per rarefactionem, ut dictum est: et iste modus non competit in augmentatione corporis humani, ut per se patet. Quarto, quia quando loquimur de materia existente in hac re, jam dimittimus considerationem materiae absolute: non enim potest accipi illud materiae quod est in hac re, nisi secundum quod est divisum ab illa parte materiae quae est in re alia. Divisio autem non accidit materiae, nisi secundum quod consideratur sub dimensionibus saltem interminatis: quia remota quantitate, ut in 1 Physicor. dicitur, substantia erit indivisibile. Unde consideratio materiae hujus rei est consideratio non materiae absolute, sed materiae sub dimensione existentis. Unde non oportet ut quod convenit materiae in quantum est absoluta et prima, conveniat materiae existenti in hac re, prout accipitur ut in hac re existens: quia ex hoc ipso receditur a consideratione materiae primae. Unde materia quae est in hac re existens, non est in potentia ad totam quantitatem mundi, sed usque ad determinatum quid, quantum per rarefactionem potest consequi; et hoc non excedit raritatem ignis; quia nulla raritas potest esse major, ut Commentator in 4 Physic. dicit. Et sic patet quod haec positio tam in se falsitatem continet quam etiam in modis adinventis ad ejus expositionem. Et ideo aliorum positio est, concedentium quidem cum primis quod aliquid est in humano corpore, et similiter in aliis corporibus quae nutriuntur, quod quidem semper manet fixum toto tempore vitae, secundum determinatam partem materiae (in quo principaliter veritatem humanae naturae consistere dicunt): aliquid autem est aliud quod superfluit et refluit; id est advenit et consumitur: hoc autem est quod ex cibo generatum est. Differunt tamen a primis in hoc quod dicunt, sumptionem alimenti non solum in fomentum caloris naturalis necessariam esse, sed etiam in augmentum quantitatis: non enim posset illud quod primo a generantibus decisum est (quod quidem permanens esse dicunt) in tantam quantitatem extendi, quanta est quantitas humani corporis, nisi adderetur aliqua materia quae simul cum materia praeexistente quantitatem totam reciperet sine aliqua rarefactione. Et hoc quidem quod est permanens, dicitur diffundi per totum, et similiter illud quod est adveniens et recedens ad modum qui contingit in mixtione vini et aquae; vinum enim non excrescit in majorem quantitatem nisi per additionem aquae, quae quidem in vinum convertitur; ita tamen quod virtus vini semper in illa parte materiae manet magis quae prius sub forma vini erat. Et secundum hoc ponunt isti, quod illud quod est ex alimento generatum, non est omnino alienum a veritate humanae naturae, sicut primi dicebant; sed est secundario ad ipsam pertinens, secundum quod est necessarium ad debitae quantitatis complementum; unde non totum hoc in resurrectione deponitur quod ex alimento conversum est, sed reservabitur tantum quantum expedit ad perfectionem quantitatis. Et hujusmodi positionis primus auctor invenitur Alexander Commentator, ut Averroes in libro de Gener. dicit. Sed istud non videtur veritatem habere; cum enim de natura caloris sit ut humorem consumat (caloris dico ignei), oportet quod calor ignis, qui est instrumentum animae vegetabilis, ut in 2 de Anim. dicitur, indifferenter quantum in se est omne humidum consumat; unde non potest efficax ratio inveniri quare aliquod humidum signatum permaneat in tota vita. Et praeterea secundum hoc sumptio alimenti non esset primo et per se necessaria ad restaurationem deperditi, sed solum ad augmentum. Constat tamen quod opus augmenti praesupponit opus nutrimenti, et illud tantum nutritur in quo deperditio facta est ejus quod per nutrimentum restauratur; unde si non esset consumptio nisi ejus quod propter augmentum principaliter assumitur, nutrimentum non esset nisi per augmentum. Et praeterea concedi potest quod illud quod in carnem convertitur per virtutem formativam in principio generationis, ad majorem perfectionem speciei perducitur quam illud quod postmodum per actum nutritivae convertitur; cum semper inveniatur generatio alicujus quod per se generatur, esse perfectior quam illa qua aliquid accipit speciem alicujus per immixtionem ad illud: quia quod immiscetur, aliquo modo alterat naturam ejus cui admiscetur, ut patet in vino quod in vite generatur et quod ex admixtione aquae ad vinum accrescit. Et sic etiam videmus quod ex humido nutrimentali adveniente immutatur corpus nutritum ut assequatur in aliquo conditiones ciborum ex quibus nutritur. Oportet tamen ad hoc quod fiat nutritio vel augmentum, quod hoc carnis quod ex cibis generatum est, cum carne praeexistente misceatur. Quandocumque autem fit mixtio aliquorum differentium vel secundum contrariam qualitatem vel secundum puritatem et impuritatem ejusdem, mixtione completa non retinet unumquodque qualitatem propriam: alias admixtio esset ex rebus salvatis, et esset compositio tantum: sed oportet ut totum simul unam formam accipiat, quae est medium, ut patet in mixtione vini et aquae: quia post mixtionem non remanet ibi aliqua pars signata habens completam virtutem vini et aliquid habens eam debiliter; sed totum est habens eam mediocriter; unde nec est possibile ut completo actu nutritivae et augmentativae remaneat aliquid signatum, complete participans naturam speciei, et aliquid incomplete; sed totum uniformiter. Assumunt etiam in assertionem suae opinionis distinctionem philosophi de carne secundum speciem et secundum materiam, et medicorum de humido nutrimentali et radicali. Sed quod neutra earum pro eis faciat, in responsione ad argumenta patebit. Tertia positio est quam ponit Averroes in 1 de Generat., dicens, quod nihil materiae potest accipi in corpore signatum, quod sit fixum et permanens; sed totum quidquid est in corpore, potest dupliciter considerari: vel ex parte materiae, et sic non est permanens; vel ex parte formae et speciei, et sic est permanens. Comparat enim Aristoteles in 1 de Generat., transmutationem cibi in carnem adustioni lignorum. Videmus enim quod si ignis accendatur, et continue ligna addantur, secundum quod alia consumuntur, forma ignis semper manebit in lignis; sed tamen materia quaelibet consumitur, alia materia sibi succedente, in qua species ignis salvabitur: et secundum hoc, etiam illud quod pertinet ad speciem et formam carnis semper manebit; quamvis illud quod recipit hanc formam, continue consumatur et restauretur. Haec autem positio differt a duabus primis in hoc quod non ponit aliquid materiae posse signari quod semper maneat; sed quaelibet pars signata, ex hoc quod est materia in ipsa, habet quod fluat et refluat; ita tamen quod illud quod est formae, semper maneat. Primae vero opiniones ponebant aliquid materiae signatum semper esse permanens, in quo primo et principaliter veritas humana consistebat. Et etiam in hoc differt, quia prima opinio ponebat alimentum nullo modo in veritatem naturae converti; secunda autem ponebat converti quidem in id quod est secundo de veritate humanae naturae, sed non primo; haec autem tertia ponit converti in illud quod simpliciter et primo est de veritate humanae naturae; quamvis enim illud quod primo in carnem conversum est, perfectius sit speciem carnis assecutum quam illud quod ex cibis aggeneratur; tamen adveniente cibo, in fine digestionis fit admixtio, ut totum uniformiter veritatem speciei suscipiat sine aliqua distinctione; et secundum hoc etiam patet quod oportet in resurrectione tantum de eo quod ex alimento aggeneratum est, resurgere, quantum pertinet ad complementum debitae quantitatis. Et huic positioni inter omnes magis consentio sine praejudicio aliarum.

Réponse. À ce sujet, il existe plusieurs opinions. Certains ont affirmé, comme semble le penser le Maître dans le texte, que ce qui a été séparé des parents est cela seulement en quoi consiste l’homme véritable qui est né. Or, cela acquiert une plus grande quantité en étant préservé, de telle sorte que rien n’y est ajouté en recevant une plus grande quantité. Mais la quantité tout entière de l’homme complet se réalisé par la multiplication de cette matière. Et ils disent que cela seulement ressuscitera lors de la résurrection, mais que le reste sera mis de côté comme étant superflu. Ils affirment aussi que la prise de nourriture est nécessaire, non pas pour la croissance, de sorte que la [puissance] nutritive soit au service de la [puissance] d’accroissement, ni pour la restauration de ce qui a été perdu, mais seulement pour entretenir la chaleur naturelle, comme lorsque l’or se liquéfie, on lui ajoute du plomb pour que l’or ne soit pas consommé, mais seulement le plomb. Mais cette position semble déraisonnable sur deux points : du point de vue de ce qui est accru et du point de vue de la nourriture qui survient. En effet, un accroissement ne peut se produire que si la matière, d’abord limitée à de petites dimensions, est par la suite amenée à de plus grandes dimensions. Or, cela ne peut se faire que de deux manières. Soit que la matière existe est de grandeur égale sous de grandes dimensions et sous de petites : un tel changement de ce qui est petit à ce qui est grand se réalise nécessairement par la raréfaction. En effet, ce qui est dense et ce qui est rare diffèrent en cela que, dans ce qui est rare, il y a peu de matière sous de grandes dimensions, et, dans ce qui est dense, beaucoup [de matière] sous de petites [dimensions], comme cela ressort de Physique, IV. Soit qu’une plus grande quantité de matière existe sous de grandes et sous de petites [dimensions]. Or, cela ne peut se produire que parce que de la matière est de nouveau créée, ou que ce qui est la matière d’un autre corps devient la matière de celui-ci, en étant changée en ce corps. Aussi Augustin dit-il, dans le Commentaire littéral de la Genèse, X, que « rien n’est plus absurde que de penser qu’un corps existe, alors que, en conservant la quantité de sa nature, il augmente de toutes parts, à moins qu’il ne se raréfie », puisque aucun accroissement se se fait dans un corps que par addition ou par raréfaction. Or, c’est un fait que l’accroissement du corps humain ne se réalise pas par raréfaction, ni par ajout de matière créée dde nouveau, car Dieu a créé en même temps la matière de toutes choses, comme le disent les saints. Il reste donc que l’accroissement du corps humain se réalise par ajout de la matière qui se trouvait sous la forme d’un autre corps, ce corps étant véritablement converti en corps humain. Telle est la nourriture. On ne peut pas non plus interpréter la parole d’Augustin, comme certains le disent, dans le sens où Augustin parle de la manière commune selon laquelle les choses augmentent, car ainsi sa démonstration contre Tertullien, qui affirmait que l’âme croissait, mais ne diminuait d’aucune manière, n’aurait aucune valeur. Or, le mode d’accroissement du corps humain est plus commun que celui de l’accroissement de l’âme : en effet, même selon Tertullien, l’âme croît lorsque le corps croît. On ne peut dire non plus, comme ils le disent, qu’il faut insister sur ce qu’il dit : « … en conservant sa quantité », de sorte que le sens soit : le corps conservant sa quantité, de sorte que sa quantité n’est augmentée ni par addition ni par multiplication, et qu’elle ne s’accroît que par raréfaction. Puisque l’accroissement appartient en propre à la quantité, on ne peut comprendre que le corps croisse et que sa quantité garde la même dimension, mais il faut comprendre ce qu’il dit : « … en conservant la quantité de sa nature », dans le sens où aucune quantité n’est ajoutée, qu’elle soit de même nature, comme de l’or est ajouté à l’or, ou qu’elle prenne la même nature du fait de l’union, comme cela se produit pour la nourriture dans la chair. Aussi, en disant : « … en conservant la quantité de sa nature », on n’écarte qu’un ajout de nature semblable. En effet, s’il entendait écarter la multiplication, sa démonstration n’aurait alors aucune valeur, car on pourrait dire de manière beaucoup plus probable que, si l’âme était le corps, elle croîtrait par la multiplication qu’ils affirment, plutôt que de le dire du corps de l’homme, car elle est plus spirituelle. Du point de vue de ce qui est ajouté, une fausseté apparaît aussi, car, si la prise de nourriture n’était pas visée en soi par la nature, mais par accident seulement, de sorte qu’elle rencontrerait quelque chose de nuisible : la chaleur naturelle qui digère, et si le changement de la nourriture n’était pas nécessaire au corps humain, la chaleur qui [la] convertit serait superflue. Et ainsi, dans les œuvres de la nature établies par Dieu, beaucooup de choses se trouveraient superflues. Ceux qui soutiennent cette position trouvent cependant trois manières dont il est facile de réfuter chacune. Car certains disent qu’une telle multiplication se réalise miraculeusement par une opération divine, comme les pains de l’évangile ont été multipliés, Jn 6. Mais cela comporte une fausseté manifeste, qu’une œuvre de la nature soit convertie en miracle. De plus, même dans la multiplication de ces pains, il n’est pas écarté, bien plus, il est nécessaire qu’une addition de matière ait été réalisée par la conversion d’autres corps en pains par la puissance divine. Or, la nature, qui change ce qui est en puissance en ce qui est en acte, peut réaliser cette conversion de nourriture en véritable chair, bien qu’elle accomplisse d’une manière successive ce que Dieu réalise d’un seul coup. Or, ce qui est possible pour la nature est confié par Dieu à l’opération de la nature, lui qui donne à chaque chose la perfection dont elle est capable ; aussi n’est-il pas nécessaire de chercher refuge dans le miracle. D’autres disent que, puisqu’il y a une grande partie de quinte essence dans le corps humain, la multiplication du corps humain se réalise par la multitplication de la quinte essence. Ainsi, de même que la lumière du soleil se multiplie par elle-même en étant diffusée dans l’air, de même le corps [le fait-il] sans ajout de quelque chose d’extrinsèque. Mais cette invention contient deux faussetés. La première est que le corps de la quinte essence n’entre dans la composition du corps humain que par sa puissance seulement, puisqu’il ne peut être ni mélangé, ni divisé, ni ne peut exister en dehors de son lieu propre. La seconde est que la diffusion de la lumière ne se réalise pas par la multiplication d’une matière, puisque la lumière n’est pas un corps, mais elle est une multiplication formelle seulement, comme en toute altération et génération, où l’agent multiplie sa forme dans la matière. Mais d’autres trouvent une autre manière : en effet, ils disent que la matière première, pour ce qui est d’elle-même, est dépourvue de toute quantité et de toute forme ; elle est donc disposée à recevoir toutes les quantités, comme à recevoir toutes les formes. Aussi peu qu’il y ait de matière première en n’importe quel petit corps, elle peut donc recevoir n’importe quelle quantité, au point où le monde entier peut être fait à partir d’un grain de mil. Et cela n’est pas étonnant, puisque le monde entier est fait à partir d’une matière en forme de point. En effet, puisque la matière est dépourvue de quantité, elle est indivisible et se présente comme un point. Mais ce mode comporte plusieurs carences. Premièrement, parce qu’on imagine l’indivisibilité de la matière sous forme de point, de sorte que le monde a été fait comme par extension, comme si une chose petite prenait de l’extension pour devenir grande. Mais cela n’est pas vrai. En effet, on dit que la matière est indivisible par négation de tout genre de quantité. Mais le point est indivisible comme principe de la quantité, ayant un site déterminé. Aussi une chose reçoit-elle une quantité à partir de la matière, et non par extension (si l’on parle de la matière première), puisque l’extension n’est le fait que de ce qui possédait une certaine quantité, mais en recevant une quantité. Deuxièmement, même si la matière première, considérée en elle-même, ne possède aucune quantité, il n’en découle cependant pas qu’elle soit en puissance par rapport à n’importe quelle quantité imaginable. En effet, puisque les quantités déterminées et tous les autres accidents reçoivent une matière selon que l’exige la forme, du fait que la matière sous-jacente à la forme est la cause de ce qui s’y trouve, ainsi qu’il est dit dans Physique, I, il est nécessaire que la matière première ne soit en puissance à aucune quantité, sauf à celle qui convient à la forme naturelle, qui peut exister dans la matière. Mais la matière première n’est pas en puissance à d’autres formes que celles qui font partie de la nature des choses ou qui peuvent en être tirées par les principes naturels. En effet, s’il existait dans la matière une puissance passive à laquelle ne correspondrait pas une puissance active dans la nature des choses, cette puissance passive serait superflue, comme le dit le Commentateur. C’est pourquoi la matière première n’est pas susceptible de recevoir une quantité plus grande que la quantité du monde. C’est la raison pour laquelle on dit, Physique, III, qu’il n’est pas possible que la grandeur soit accrue à l’infini, à parler selon la nature. Troisièmement, si la matière acquiert des dimensions plus grandes que celle qui existait sous de petites dimensions, cela ne peut se produire que par raréfaction, comme on l’a dit. Ce mode ne convient pas à l’accroissement du corps humain, comme cela ressort de soi. Quatrièmement, parce que lorsque nous parlons de la matière qui existe dans telle chose, nous écartons déjà la considération de la matière de manière absolue. En effet, on ne peut saisir ce qui est matière dans cette chose que selon que cela est séparé de la part de la matière qui existe dans une autre chose. Or, la division ne se produit dans la matière que selon qu’elle est envisagée sous des dimensions à tout le moins non limitées, car, si on enlève la quantité, comme on le dit dans Physique, I, la substance sera indivisible. Aussi la considération de la matière de telle chose est-elle la considération, non pas de la matière de manière absolue, mais de la matière existant sous une dimension. Il n’est donc pas nécessaire que ce qui convient à la matière, en tant qu’elle est absolue et première, convienne à la matière qui existe dans telle chose, en tant qu’elle est saisie comme existant dans cette chose, car on s’éloigne par là même de la considération de la matière première. Aussi la matière qui existe dans telle chose n’est-elle pas en puissance à toute la quantité du monde, mais jusqu’à un certain point, qu’elle peut obtenir par raréfaction. Et cela ne dépasse pas la raréfaction du feu, car aucune raréfaction ne peut être plus grande, comme le dit le Commentateur à propos de Physique, IV. Il ressort ainsi clairement que cette position contient en elle-même autant de fausseté que les manières trouvées pour l’interpréter. C’est pourquoi il y a la position des autres, qui concèdent avec les premiers qu’il y a quelque chose dans le corps, comme dans les autres corps qui se nourrissent, qui demeure toujours fixe pendant toute la durée de la vie, selon une partie déterminée de la matière (ce en quoi ils disent que consiste la vérité de la nature humaine) ; mais il y a quelque chose d’autre qui est superflu et déborde, c’est-à-dire qui survient et est consommé : c’est ce qui est engendré à partir de la nourriture. Ils se distinguent cependant des premiers en ce qu’ils disent que la prise de nourriture est nécessaire non seulement pour alimenter la chaleur naturelle, mais aussi pour accroître la quantité. En effet, ce qui a été d’abord séparé de ceux qui engendrent (ce qu’ils affirment être permanent) ne pourrait être étendu en la quantité qui est celle du corps humain, à moins que n’y soit ajoutée une matière qui recevrait, en même temps que la matière préexistante, la quantité tout entière, sans raréfaction. On dit de ce qui est appelé permanent qu’il se répand dans le tout, de même que ce qui survient et se retire, à la manière de ce qui survient dans le mélange du vin et de l’eau. En effet, le vin n’est accru en plus grande quantité que par ajout de l’eau, qui est convertie en vin, de telle sorte, cependant, que la puissance du vin demeure toujours davantage dans cette partie du vin qui existait antérieurement sous la forme du vin. Et ainsi, ils affirment que ce qui engendré à partir de la nourriture n’est pas du tout étranger à la vérité de la nature humaine, comme le disaient les premiers, mais lui appartient de manière secondaire, selon que cela est nécessaire au complément de la quantité qui est due. Ce qui a été converti à partir de la nourriture n’est donc pas totalement laissé de côté lors de la résurrection, mais sera retenu pour autant que cela convient à la perfection de la quantité. Alexandre, le Commentateur, se trouve être le premier auteur de cette position, comme le dit Averroès dans le livre Sur la génération. Mais cela ne semble pas être vrai. En effet, puisqu’il est de la nature de la chaleur de consumer l’humidité (je parle de la chaleur du feu), il est nécessaire que la chaleur du feu, qui est l’instrument de l’âme végétative, comme on le dit dans Sur l’âme, II, consume par elle-même indifféremment tout ce qui est humide. On ne peut donc pas trouver de raison efficace pour laquelle quelque chose qui est désigné comme humide demeure pendant toute la vie. De plus, d’après cela, la prise de nourriture ne serait pas en premier lieu et par soi nécessaire pour restaurer ce qui a été perdu, mais seulement pour la croissance. Mais il est clair que l’action de croître présuppose l’action de se nourrir, et qu’on ne nourrit que ce en quoi s’est produite une perte qui est restaurée par la nourriture. S’il n’y avait de consommation que de ce qui est principalement pris en vue de la croissance, la nourriture ne servirait que pour la croissance. De plus, on peut concéder que ce qui est converti en chair par la puissance formatrice au départ de la génération est amené à une plus grande perfection de l’espèce, que ce qui, par la suite, est converti par l’acte de la [puissance] nutritive, puisqu’on trouve toujours que la génération de ce qui est engendré par soi est plus parfaite que celle par laquelle quelque chose reçoit l’espèce de quelque chose en y étant mélangé, car ce qui est mélangé altère de quelque manière la nature de ce à quoi cela est mélangé, comme cela ressort pour le vin qui est engendré par la vigne et qui augmente par le mélange d’eau avec le vin. Et ainsi, nous voyons qu’à partir d’une nourriture humide, le corps qui est nourri est changé pour recevoir de quelque manière les conditions des aliments dont il est nourri. Il est cependant nécessaire, pour que se réalisent la nutrition ou la croissance, que ce qui engendré dans la chair à partir des aliments soit mêlé à la chair préexistante. Or, chaque fois qu’est réalisé le mélange de choses différentes par une qualité contraire ou par leur pureté et leur impureté, chaque chose ne garde pas sa qualité propre, une fois réalisé le mélange, autrement il y aurait mélange de choses préservées et il s’agirait seulement d’une composition ; mais il faut que le tout reçoive d’un coup une seule forme, qui est quelque chose d’intermédiaire, comme cela ressort dans le mélange de vin et d’eau, car, après le mélange, il n’y reste pas une partie déterminée possédant la puissance complète du vin et quelque chose la possédant faiblement, mais le tout la possède de manière intermédiaire. Aussi n’est-il pas possible qu’une fois achevé l’acte de la [puissance] nutritive et de la [puissance] de croissance, il demeure quelque chose de déterminé qui participe complètement à la nature de l’espèce et quelque chose [qui y participe] incomplètement, mais le tout [y participe] uniformément. Ils reprennent aussi dans l’affirmation de leur opinion la distinction du Philosophe, à propos de la chair selon l’espèce et selon la matière, et celle des médecins, à propos de l’humide de la nourriture et de [l’humide] radical. Mais qu’aucune des deux ne soit en leur faveur ressortira clairement dans la réponse aux arguments. La troisième position est celle que présente Averroès dans Sur la génération, I : il dit qu’aucune matière déterminée, qui serait fixe et permanente, ne peut être reçue dans un corps, mais que tout ce qui existe dans un corps peut être envisagé de deux manières : soit du point de vue de la matière, et ainsi cela n’est pas permanent ; soit du point de vue de la forme et de l’espèce, et ainsi cela est permanent. En effet, dans Sur la génération, I, Aristote compare le changement de la nourriture en chair à la combustion du bois. Nous voyons ainsi que, si le feu est allumé et que du bois est continuellement ajouté, comme sont brûlées les autres choses, la forme du feu demeurera toujours dans le bois ; cependant, toute la matière sera consumée, une autre matière lui succédant, dans laquelle l’espèce du feu sera préservée. Ainsi, même ce qui concerne l’espèce et la forme de la chair demeurera toujours, bien que ce qui reçoit cette forme soit continuellement consumé et restauré. Mais cette position diffère des deux premières en ce qu’elle n’affirme pas que quelque chose de la matière puisse être désigné comme demeurant toujours ; mais toute partie désignée, du fait qu’l existe en elle de la matière, s’écoule et disparaît, de telle sorte cependant que ce qui appartient à la forme demeure toujours. Mais les premières opinions affirmaient que quelque chose de déterminé demeurait toujours, en quoi consistait premièrement et principalement la vérité humaine. Même sur ce point, il y a une différence, car la première opinion affirmait que la nourriture n’était aucunement convertie en la vérité de la nature, mais la deuxième affirmait qu’elle était convertie en ce qui appartient secondairement à la vérité de la nature humaine, mais non en ce qui [lui appartient] en premier. Cependant, la troisième [opinion] affirme [que la nourriture est convertie] en ce qui appartient simplement et en premier lieu à la vérité de la nature humaine. En effet, bien que ce qui a été en premier converti en chair ait reçu plus parfaitement l’espèce de la chair que ce qui est engendré à partir des aliments et que, à la fin de la digestion, se réalise un mélange, de sorte qu’elle reçoive uniformément la vérité de l’espèce sans distinction, il ressort clairement de cela que, lors de la résurrection, ne ressuscite, de ce qui a été engendré à partir de la nourriture, que ce qui se rapporte nécessairement à la totalité de la quantité due. Et, parmi toutes les positions, je suis d’accord avec celle-ci, sans préjudice pour les autres.

[6172] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod ex illa auctoritate non potest haberi quod de eo quod per os assumitur, nihil remaneat quod in veritatem carnis transeat: quia haec dictio omnis non designat totum integrale, sed totum in quantitate; unde non oportet quod totum per secessum emittatur, sed quod de quolibet aliquid secedat: et hoc est necessarium, quia oportet puri ab impuro separationem fieri: nullus autem cibus assumitur in quo non oporteat aliquid impuritatis esse ex hoc quod in principio est dissimilis; unde si ad similitudinem reduci debeat, oportet quod tollantur illae partes secundum quas dissimilitudo erat. Verbi gratia, si in cibo dominentur partes terrestres magis quam in eo quod nutritur, oportet id quod terrestre est removeri, et quod subtilius est assumi: et similiter etiam quaecumque partes magis dominentur.

1. On ne peut dire, à partir de cette autorité, que, de ce qui est pris par la bouche, rien ne demeure, qui passe véritablement dans la chair, car ce mot « tout » ne désigne pas un tout intégral, mais un tout selon la quantité. Aussi n’est-il pas nécessaire que le tout soit rejeté par mode de séparation, mais que quelque chose soit séparé de chacun. Et cela est nécessaire, car il faut que se réalise une séparation du pur et de l’impur. Or, aucune nourriture n’est prise dans laquelle quelque chose d’impur ne se trouve, du fait qu’elle est au départ dissemblable. Si elle doit être ramenée à une similitude, les parties selon lesquelles existait la dissimilitude doivent donc être enlevées. Par exemple, si l’emportent davantage dans la nourriture les parties terrestres que dans ce qui est nourri, il est nécessaire que ce qui est terrestre soit enlevé et que ce qui est plus subtil soit pris. Et ainsi de suite, pour chaque partie qui l’emporte.

[6173] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod secundum tertiam opinionem non est diversa caro secundum materiam distincta, quae dicitur caro secundum materiam, et caro secundum speciem; sed eadem secundum numerum caro dicitur secundum speciem, inquantum participat formam et proprietates consequentes speciem; sed secundum materiam dicitur, inquantum ex materia consistit. Et quod hic sit intellectus Aristotelis, patet ex verbis Commentatoris exponentis hoc modo et iterum ex verbis philosophi in littera positis: dicit enim, quod hoc modo est distinguere quod est secundum speciem et secundum materiam in carne et osse, sicut et in unoquoque alio quod habet formam in materia. Constat autem quod talis distinctio non potest fieri in lapide et aqua, ut dicatur pars secundum speciem quae ex primis generantibus tracta est, et pars secundum materiam quae ex nutrimento advenit. Et ita patet quod nec in carne et osse hoc intelligendum est, sed modo praedicto; unde objectio procedit ex malo intellectu verborum philosophi.

2. Selon la troisième opinion, la chair ne se différencie en se distinguant de la matière, qu’on appelle chair selon la matière, et chair selon l’espèce ; mais on dit que la chair est la même numériquement parlant selon l’espèce, pour autant qu’elle participe à la forme et aux propriétés qui découlent de l’espèce. Mais on dit qu’elle l’est selon la matière dans la mesure où elle consiste en matière. Que ce soit la façon d’interpréter Aristote, cela ressort des paroles du Commentateur, qui l’explique de cette manière, et, en plus, des paroles du Philosophe présentées dans le texte. En effet, il dit qu’il faut distinguer ce qui est selon l’espèce et ce qui est selon la matière dans la chair et dans les os, comme on le fait pour tout ce qui possède une forme dans la matière. Or, il est clair qu’une telle distinction ne peut être faite pour la pierre et pour l’eau, de sorte qu’on dirait qu’une partie selon l’espèce a été tirée des premiers parents, et qu’une partie selon la matière vient de la nourriture. Il ressort ainsi qu’il ne faut entendre cela ni de la chair ni des os, mais de la manière dite plus haut. L’objection vient donc d’une mauvaise compréhension des paroles du Philosophe.

[6174] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod, secundum medicos, humidum quod ex primis generantibus trahitur, non oportet ut dicatur radicale, quia semper remanet distinctum secundum materiam et proprietatem ab humido ex alimento aggenerato; sed quia calor naturalis in illo humido prius extitit, et illud quod permiscetur, non participat speciem nisi ex virtute illius humidi cui permiscetur; unde est quasi radix totius illius quod postmodum ex alimento convertitur: non autem ita quod utrumque humidum post finem digestionis ultimae distinctum remaneat; sed totum permixtum accipit unam proprietatem; et utraque materia, scilicet quae prius suberat primo humido, et secundo advenienti, aequaliter se habet ad hoc quod transeat, et ad hoc quod virtutem speciei participet. Nec dicitur consumi humidum radicale propter discessum talis materiae, sed propter hoc quod non permanet proprietas quam totum mixtum habebat ex virtute primi humidi; tunc enim non potest fieri restauratio, quia virtus speciei non manet; sicut etiam si tota manus amputetur, non restauratur per nutrimentum, quia non manet virtus speciei determinata huic organo: et propter hanc etiam causam dicuntur quaedam membra ex humido radicali composita, non quod nihil nutrimenti in substantiam illorum membrorum transeat, cum quodlibet membrum corporis proportionabiliter augeatur; sed quia in illis membris principaliter virtus speciei consistit, quae est ex humido radicali; nec potest aliqua abscissio ab eis fieri quin auferatur virtus speciei quantum ad aliquam partem determinatam: et propter hoc etiam talia membra decisa non sanantur.

3. Selon les médecins, l’humide qui est tiré des premiers parents ne doit pas être appelé radical, car il demeure toujours distinct, selon la matière et la propriété, de l’humide engendré par les aliments. Mais parce que la chaleur était d’abord présente dans cet humide, ce qui est mélangé ne participe à l’espèce que par la puissance de cet humide auquel elle est mêlée. Elle est donc en quelque sorte la racine de tout ce qui est converti à partir de l’aliment, non pas que les deux humides demeurent distincts après la fin de la digestion, mais que le tout mélangé reçoit une seule propriété, et que les deux matières, celle qui était soumise au premier humide et au second par la suite, aient un rapport égal à ce qui passe et à ce qui participe à la puissance de l’espèce. Et on ne dit pas que l’humide radical a été consumé par la division d’une telle matière, mais parce que ne demeure pas la propriété que le tout mélangé possédait en vertu du premier humide. En effet, une restauration ne peut alors être réalisée, car la puissance de l’espèce ne demeure pas. Ainsi, si toute la main est amputée, elle n’est pas restaurée par la nourriture, car la puissance de l’espèce déterminée pour cet organe ne demeure pas. Pour cette raison aussi, on dit que certains membres sont composés d’humide radical, non pas parce que rien de la nourriture ne passe dans la substance de ces membres, puisque chaque membre du corps est augmenté proportionnellement, mais aprce que la puissance de l’espèce, qui vient de l’humide originel, se trouve principalement dans ces membres. Et elle ne peut en être séparée sans que ne soit enlevée pour une part déterminée la puissance de l’espèce. Pour cette raison, ces membres coupés ne guérissent pas.

[6175] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod cum illud quod advenit ex alimento aggeneratum, sit permixtum ei quod prius erat, et similiter unum effectum ex ambobus sit, semper fit deperditio in utroque proportionaliter; unde oportet quod et de utroque remaneat proportionaliter; et ideo nunquam contingit quod totum illud quod prius erat, abscedat, ita quod nihil prioris materiae remaneat; sed semper manet aliquid; et illud quod advenit, est unum cum eo quod praeerat, effectum; et ideo est materia una et individuum unum per totam vitam; sicut patet etiam in igne qui nutritur lignis; semper enim manet unus numero ignis, quamvis aliquibus lignis appositis alia consumantur: quia illud quod advenit, semper efficitur unum cum eo quod praeerat; et magis esset simile, si fieret commixtio secundum totum, sicut est in nutrimento. Secus autem esset, si ex materia adveniente generaretur ignis vel caro seorsum: tunc enim propter omnimodam diversitatem materiae esset etiam diversitas secundum numerum.

4. Puisque ce qui est engendré avec la nourriture est mélangé à ce qui existait auparavant et, des deux choses, n’en fait qu’une seule, une perte survient toujours dans les deux de manière proportionnelle. Aussi faut-il qu’il reste quelque chose des deux de manière proportionnelle. C’est pourquoi il n’arrive jamais que tout ce qui existait auparavant disparaisse, de telle sorte que rien de la matière antérieure ne demeure. Mais il demeure toujours quelque chose, et ce qui survient devient une seule chose avec ce qui existait auparavant. Aussi la matière est-elle unique et l’individu unique durant toute la vie, comme cela ressort aussi dans le feu qui est alimenté par le bois. En effet, un feu unique en nombre demeure toujours, bien que d’autres choses soient consumées lorsqu’on ajoute du bois, car ce qui survient devient toujours un avec ce qui existait auparavant, et deviendrait toujours plus semblable, si se réalisait un mélange total, comme c’est le cas pour la nourriture. Mais il en serait autrement si le feu ou la chair étaient engendrées séparément à partir de la matière qui survient. En effet, il y aurait alors une diversité en nombre en raison d’une diversité totale de matière.

[6176] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod illud quod ex nutrimento aggeneratur, non ita perfecte consequitur naturam speciei sicut illud quod primo per virtutem formativam in carnem vel os conversum est; tum quia prima generatio erat carnis secundum se, secunda autem est carnis in alio quasi per commixtionem: tum etiam quia quanto virtus animae magis diffunditur et spargitur, debilior redditur; ut patet in corde, quod quanto majus est, tanto minus calidum est; unde animalia habentia magnum cor sunt timida naturaliter, ut philosophus in Lib. 13 de animalibus dicit; et ideo aliquo modo est extraneum, et propter hoc, permixtum ei quod prius erat, est causa debilitatis virtutis; sicut aqua admixta vino, ut ponit exemplum philosophus in 1 de Generat.; et ideo ad ultimum oportet quod sequatur diminutio et corruptio.

5. Ce qui engendré avec la nourriture ne reçoit pas la nature de l’espèce aussi parfaitement que ce qui a été converti originellement en chair ou en os par la puissance formatrice, tant parce que la première génération affectait la chair en elle-même, mais la seconde [affectait] la chair dans un autre comme par un mélange, que parce que plus la puissance de l’âme est répandue et dispersée, plus elle devient faible, comme cela ressort pour le cœur : plus il est gros, moins il est chaud. Aussi, les animaux qui ont un gros cœur sont-ils naturellement craintifs, comme le dit le Philosophe dans Sur les animaux, XIII. C’est pourquoi ce qui est en quelque sorte étranger et ainsi mélangé avec ce qui existait auparavant est cause de l’affaiblissement de la puissance, comme l’eau mélangé au vin, comme le Philosophe en donne un exemple dans Sur la génération, I. Aussi, à la fin, est-il nécessaire qu’en découlent une diminution et une corruption.

[6177] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 ad 6Ad sextum dicendum, quod modus ille, scilicet per multiplicationem materiae, non est possibilis, ad minus naturae; quae quoniam non secundum se totam agit, sed secundum formam tantum, ideo multiplicat tantum formam, et non materiam: et propter hoc, ut opus naturae servaretur, oportuit modum illum in augmento esse qui virtuti naturae competat.

6. Ce mode, par la multiplication de la matière, n’est pas possible, du moins, pour la nature. Parce qu’elle n’agit pas en sa totalité, mais selon la forme seulement, elle multiplie donc la forme seulement, et non la matière. Pour cette raison, afin que l’œuvre de la nature soit préservée, il fallait que ce mode augmente d’une manière qui convienne à la nature.

[6178] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 1 ad 7Ad septimum dicendum, quod omnia quae sunt ejusdem speciei, operatione naturali uno modo suam perfectionem consequuntur. Si tamen unus naturaliter id consequatur, et alius per miraculum, non erit idem modus: sicut in caeco nato qui per miraculum illuminatur, qui alio modo habet visum ab eo qui videns nascitur. Ita etiam illi qui pueri moriuntur, per miraculum ad debitam quantitatem pervenient. Nec tamen oportet quod illud miraculum fiat per multiplicationem materiae, sed per additionem exterioris materiae. Qui autem usque ad perfectam aetatem vivunt, naturali operatione ad perfectam quantitatem perveniunt. Unde non oportet quod sit utrobique idem modus; et si esset idem, non sequeretur quod hoc esset per multiplicationem materiae.

7. Tout ce qui fait partie de la même espèce reçoit sa perfection d’une seule manière par une opération naturelle. Cependant, si l’un [la] reçoit naturellement et un autre par miracle, le mode ne sera pas le même ; ainsi en est-il chez l’aveugle-né qui reçoit la vue par un miracle, et qui a la vue d’une autre manière que celui qui est né avec la vue. De la même manière aussi, les enfants qui meurent recevront la quantité due par miracle. Toutefois, il n’est pas nécessaire que ce miracle se réalise par une multiplication de la matière, mais par l’ajout de matière extérieure. Mais ceux qui vivent jusqu’à l’âge adulte parviennent à la quantité parfaite par ajout. Il n’est donc pas nécessaire que ce soit le même mode dans les deux cas, et si c’était le même, il n’en découlerait pas que ce serait par multiplication de la matière.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum semen decidatur ex eo quod generatur ex alimento

Article 2 – La semence est-elle séparée du fait qu’elle est engendrée à partir de la nourriture ?

[6180] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod semen non sit ex eo decisum quod ex alimento aggeneratum est. Augustinus enim dicit, quod secundum corpulentam substantiam omnes fuimus in Adam, et etiam secundum seminalem rationem, praeter Christum, qui in eo tantum secundum corpulentam substantiam fuit. Sed corpulenta substantia nostra non venit a parentibus nisi mediante semine. Ergo oportet quod semen quod ex primo parente traducitur, non sit ex eo decisum quod ex alimento conversum est, sed ex eo quod ipse a suo parente acceperat; ut sic corpulenta substantia nostri corporis a primo parente decisa inveniatur.

1. Il semble que la semence ne soit pas séparée du fait qu’elle a été engendrée à partir de la nourriture. En effet, Augustin dit que nous étions tous en Adam selon la substance du corps, et même selon une raison séminale, sauf le Christ, qui était en lui selon la substance corporelle seulement. Or, notre substance corporelle ne vient de nos parents que par l’intermédiaire de la semence. Il faut donc que la semence, transmise à partir du premier parent, ne soit pas séparée de lui du fait qu’elle a été convertie à partir de la nourriture, mais du fait qu’il l’avait lui-même reçue de son parent, de sorte que la substance corporelle de notre corps se trouve être séparée du premier parent.

[6181] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 arg. 2Praeterea, secundum Damascenum, generatio est opus naturae, ex substantia generantis producens id quod generatur. Sed illud quod est superfluum alimenti, non est de substantia generantis. Ergo si ex hoc tantum generatio fieret in hominibus, non esset vera generatio.

2. Selon [Jean] Damascène, « la génération est une action naturelle, qui produit ce qui est engendré à partir de la substance de celui qui engendre ». Or, ce qui est superflu dans la nourriture ne fait pas partie de la substance de celui qui engendre. Si la génération ne se réalisait chez les hommes que de cette manière, ce ne serait donc pas une véritable génération.

[6182] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 arg. 3Praeterea, ex subtractione alicujus superflui non sequitur alicujus debilitatio, sed magis alleviatio. Ex seminis autem emissione debilitatur generans. Ergo semen non est ex superfluo alimenti, sed ex ipso humido radicali decisum.

3. Par la soustraction de quelque chose de superflu, quelqu’un n’est pas affaibli, mais plutôt allégé. Or, par l’émission de la semence, celui qui engendre est affaibli. La semence ne vient donc pas d’un superflu de la nourriture, mais elle est séparée de l’humide radical.

[6183] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 arg. 4Praeterea, filius pro tanto assimilatur patri magis quam alii homini, quia generatur ex semine quod ab eo traducitur. Sed natus quandoque non solum patri, sed etiam avo assimilatur, vel proavo, etiam usque ad multas generationes, ut philosophus in 15 de animalibus dicit. Ergo oportet quod semen exeat non solum a patre, sed etiam ab avo et proavo. Sed humidum nutrimentale nunquam fuit nisi in patre. Ergo non est ex humido semen decisum, sed magis ex illo radicali quod pater ab avo traxit, et avus a proavo.

4. Le fils est assimilé à son père plutôt qu’à un autre homme parce qu’il est engendré à partir de la semence qui est tirée de lui. Or, parfois, l’enfant ressemble non seulement à son père, mais aussi à son grand-père ou à son arrière-grand-père, et jusque sur plusieurs générations, comme le dit le Philosophe dans Sur les animaux, XV. Il est donc nécessaire que la semence provienne non seulement du père, mais aussi du grand-père et de l’arrière-grand-père. Or, l’lumide de la nourriture ne se trouvait que chez le père. La semence n’a donc pas été séparée à partir de l’humide, mais plutòt à partir de [l’humide] radical que le père a tiré du grand-père, et le grand-père, de l’arrière-grand-père.

[6184] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 arg. 5Praeterea, id quod est de substantia alicujus, magis est proximum sibi quam hoc quod est ab ejus substantia alienum. Sed id quod est ex alimento conversum, non fuit radicaliter de substantia ipsius generantis, fuit autem de substantia radicali alicujus animalis, cujus carnes comestae sunt, ut bovis et porci. Ergo major erit cognatio et similitudo ad bovem et porcum, quam ad patrem suum. Hoc autem est inconveniens. Ergo semen non est ex humido nutrimentali decisum.

5. Ce qui fait partie de la substance de quelqu’un en est plus rapproché que ce qui est étranger à sa substance. Or, ce qui est converti à partir de la nourriture ne faisait pas radicalement partie de la substance de celui qui engendre, mais cela faisait partie de la substance radicale d’un animal, dont la chair a été mangée, telle celle du bœuf et du porc. La parenté et la ressemblance avec le bœuf et le porc seront donc plus grandes que celles avec son père. Or, cela est inapproprié. La semence n’est donc pas séparée à partir de l’humide de la nourriture.

[6185] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 arg. 6Praeterea, sit ita quod aliquis tantum ex carnibus humanis vescatur; et ut quaestio sit gravior, ponatur etiam quod ex ipsis embryis etiam generet aliquem, qui etiam simili modo nutriatur. Inde sic arguo. Humidum radicale cujuscumque hominis est illud quod ex parentibus traxit. Si ergo semen ex quo conceptus est iste natus, ex humido nutrimentali sit, humidum radicale ejus oportet quod sit de substantia aliorum quorum carnes comestae sunt. Si ergo, secundum Augustinum, resurget caro comesta ab aliquo, in eo in quo primo fuit, tunc totum humidum radicale resurget in illis quorum carnes a patre ejus comestae sunt: et similiter humidum nutrimentale, quorum carnes ipse comedit. Ergo nihil istius resurgeret; et sic non omnium esset resurrectio, quod est contra fidem nostram. Ergo impossibile est quod semen ex humido nutrimentali sit decisum; et ita non videtur esse superfluum alimenti.

6. Supposons que quelqu’un ne se nourrisse que de chair humaine et, pour alourdir la question, qu’il engendre aussi quelqu’un, qui se nourrisse aussi de la même manière, à partir des embryons eux-mêmes. J’en tire l’argument suivant. L’humide radical de chaque homme est ce qu’il reçoit de ses parents. Si donc la semence, à partir de laquelle celui qui est ainsi né, vient de l’humide de la nourriture, son humide radical doit faire partie de la substance des autres dont la chair a été mangée. Si donc, selon Augustin, la chair mangée par quelqu’un ressuscitera chez celui où elle existait en premier, l’humide radical tout entier ressuscitera chez celui dont la chair a été mangée par son père, et, de la même manière, l’humide de la nourriture dont il a mangé la chair. Donc, rien de celui-ci ne ressusciterait. Tous ne ressusciteront donc pas, ce qui est contraire à notre foi. Il est donc impossible que la semence soit séparée à partir de l’humide de la nourriture. Elle ne semble donc pas être un superflu de la nourriture.

[6186] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 s. c. 1Sed contrarium hujus ostendit philosophus in 15 de animalibus, duabus rationibus, et tribus signis. Prima ratio est per divisionem sic. Quidquid est in corpore animalis, vel est naturaliter, vel occasionaliter sive per accidens in eo. Sed semen non est occasionaliter, sicut sunt putredines et sanies vulnerum: quia illud quod est per accidens, non consequitur totam speciem, sicut semen in omnibus invenitur. Ergo est ibi naturaliter. Sed omne quod est naturaliter in corpore, vel est pars, sicut caro et nervus; vel est superfluum, sicut lac et urina, et hujusmodi. Sed semen non est pars, cum non sit nec pars organica, quia semen est simile in toto et in parte, quod partibus organicis non convenit: nec iterum est de partibus consimilibus, cum in constitutionem membri non veniat, sicut partes consimiles in constitutionem membrorum organicorum. Restat ergo quod sit superfluum alimenti. Secunda ratio est, quia si semen non est superfluum, oportet quod sit dissolutum a membris. Omne autem resolutum vel decisum ex animali, corrumpitur, et amittit naturam suam. Ergo semen amitteret naturam membrorum, ex quibus decideretur, et virtutem; et ita virtute seminis non posset generari aliquid simile illis membris: quia oportet quod forma generati sit in generante, ad minus virtualiter. Item ponit tria signa ad hoc ibidem: quorum unum est quod nullum dissolutum a corpore, habet locum determinatum in corpore, sed vagatur per corpus. Semen autem habet determinatum locum in corpore, sicut aliae superfluitates, scilicet vias seminales, et quasi in eadem parte corporis in qua sunt loca aliarum superfluitatum. Ergo semen est superfluum, et non decisum de substantia membrorum. Secundum signum est, quia natura alleviatur per emissionem superflui, nunquam autem per dissolutionem ejus qui est de substantia membri. Sed quandoque alleviatur natura per emissionem seminis. Ergo semen non est quid dissolutum a membris, sed superfluum. Tertium signum est, quod ubi invenitur minus de superfluo alimenti, ibi invenitur minus de semine: et propter hanc causam in pueris non est semen, quia superfluum nutrimenti in augmentum convertitur; propter hanc etiam causam etiam pingues homines sunt pauci seminis et paucae generationis, quia superfluum alimenti convertitur in pinguedinem: propter hoc etiam animalia majoris quantitatis habent minus de semine secundum proportionem corporis sui, et sunt paucae generationis, quia indigent multo nutrimento; et ideo parum potest in eis esse superfluum, ut patet in elephante. Si autem esset semen dissolutum, deberet esse e contrario; quia ex majori corpore potest fieri major dissolutio. Ergo semen non est quid dissolutum, sed superfluum alimenti.

Cependant, [1] dans Sur les animaux, XV, le Philosophe montre le contraire par deux raisonnements et trois signes. Le premier argument se fonde sur la division. Tout ce qui se trouve dans le corps d’un animal s’y trouve soit naturellement, soit occasionnellement ou par accident. Or, la semence ne s’y trouve pas occasionnellement, comme la putréfaction et le pus des blessures, car ce qui existe par accident ne découle pas de l’espèce tout entière, comme la semence se trouve chez tous. Elle s’y trouve donc naturellement. Or, tout ce qui se trouve naturellement dans le corps en est soit une partie, comme la chair et les nerfs, soit un superflu, comme le lait et l’urine et les choses de ce genre. Or, la semence n’est pas une partie, car elle n’est ni une partie organique, puisque la semence est semblable au tout et à la partie, ce qui ne convient pas aux parties organiques ; elle n’est pas non plus comptée parmi les parties tout à fait semblables, puisqu’elle n’entre pas dans la constitution d’un membre, comme les parties semblables [entrent] dans la constitution des membres organiques. Il reste donc qu’elle soit un superflu de la nourriture. Le deuxième argument est que, si la semence n’est pas un superflu, il faut qu’elle soit séparée des membres. Or, tout ce qui est séparé ou divisé d’un animal se corrompt et perd sa nature. La semence perdrait donc la nature et la puissance des membres dont elle est séparée. Et ainsi, quelque chose de semblable à ces membres ne pourrait être engendré par la puissance de la semence, car il est nécessaire que la forme de celui qui est engendré se trouve dans celui qui engendre, du moins, en puissance. De même, au même endroit, [le Philosophe] présente à ce sujet trois signes. L’un est que rien qui est séparé du corps n’a de lieu déterminé dans le corps, mais cela va ça et là dans le corps. Or, la semence a un lieu déterminé dans le corps, comme les autres choses superflues, à savoir, les voies séminales, et presque dans la même partie du corps où se trouve le lieu des autres choses superflues. La semence est donc quelque chose de superflu, et non de séparé à partir de la substance des membres. Le deuxième signe est que la nature est allégée par l’émission du superflu, mais jamais par la dissolution de ce qui fait partie de la substance d’un membre. Or, la nature est parfois allégée par l’émission de la semence. La semence n’est donc pas quelque chose qui se dissout à partir des membres, mais quelque chose de superflu. Le troisième signe est que, là où se trouve moins de superflu de la nourriture, se trouve moins de semence. Pour cette raison, il n’y a pas de semence chez les enfants, car le superflu de nourriture est converti en vue de la croissance. Pour cette raison aussi, même les hommes gras ont peu de semence et engendrent peu, car le superflu de la nourriture est converti en graisse. Pour cette raison encore, les animaux plus grands ont moins de semence et engendrent moins en proportion de leur corps, car ils ont besoin de beaucoup de nourriture. Il ne peut donc y avoir chez eux que peu de superflu, comme cela ressort clairement chez l’éléphant. Or, si la semence était dissoute, ce devrait être le contraire, car, à partir d’un corps plus grand, une dissolution plus grande peut se réaliser. La semence n’est donc pas quelque chose de dissous, mais un superflu de la nourriture.

[6187] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt tres opiniones. Una opinio est, quod semen est quaedam pars decisa ab eo quod est de substantia membri, ita quod tota substantia seminis est ex humido radicali, ex quo primo et principaliter substantiam membrorum componi dicunt, quod ex substantia generantis tractum est: et quia supra substantiam seminis nihil in generato additur quod sit ad veritatem naturae ipsius pertinens, ideo secundum eos tantum id quod est de veritate naturae in filio, fuit in patre de veritate naturae ejus existens; et sic ascendendo, sequitur, quod quidquid est de veritate naturae in hominibus omnibus, totum fuerit actualiter in Adam. Haec autem positio a quibusdam philosophis antiquitus posita est, et etiam a quibusdam theologis, ut de Magistro in littera patet; alia tamen et alia ratione ad hoc inclinati. Quidam enim antiquorum philosophorum, sicut praecipue Anaxagoras, ponebant generationem alicujus non fieri nisi per congregationem similium partium, quae prius inerant in eo ex quo fit generatio; ita quod nihil in naturam carnis transiret quod prius caro non fuerit; unde oportebat ad hoc quod generaretur caro et os in nato, quod aliquid ex patris carne et ossibus resolveretur; et sic de aliis partibus, et membris. Quidam etiam qui totam virtutem agendi materiae attribuere, quam solam naturam rerum esse dicebant, ut in 2 Physic. patet, non poterant invenire causam assimilationis filii ad patrem in singulis membris, nisi per hoc quod materialiter aliquid de singulis membris resolveretur, ex quibus corpus pueri constituitur. Sed harum rationum radices a philosophis sequentibus sufficienter improbatae sunt, scilicet quod non solum ex extractione et congregatione sit generatio, sed etiam per hoc quod materia transmutatur de forma in formam; ut sic quod prius naturam carnis non habebat, postmodum caro fiat. Similiter etiam virtus activa non est ex parte materiae, sed magis ex parte formalis principii. Unde causa assimilationis filii ad patrem non est convenientia in materia, ut oporteat membrum fieri de materia quae ex membris patris resolvitur; cum etiam sit similitudo filii ad patrem in illis ex quibus nullo modo semen deciditur, sicut in unguibus et capillis; sed causa similitudinis est virtus formativa, quae in semine relinquitur ex operatione virtutis formalis ipsius patris agentis in semen. Magister vero, et alii theologi hoc ponentes, ad hanc positionem inducuntur propter traductionem originalis peccati, quasi in similem errorem cum prioribus declinantes, ut non possit esse traductio originalis peccati in filios a parentibus, nisi secundum hoc quod materia ipsius corporis filiorum fuit in ipsis parentibus primis, quando peccaverunt; ut sic assimilatio in corruptione peccati sit secundum convenientiam in materia, et non secundum rationem virtutis activae: cujus contrarium expresse Augustinus asserit, dicens, quod non propter hoc in nobis originale peccatum est, quia ex Adam secundum corpulentam substantiam propagati sumus, quia sic etiam in Christo originale peccatum fuisset; sed quia secundum seminalem rationem concupiscentialiter ex eis descendimus. Unde patet quod rationes quibus haec opinio asseritur, falsum fundamentum habent. Ipsa etiam positio in se falsa est. Quod enim illa substantia humani corporis quae in primis parentibus fuit, in tot diffunderetur, hoc non potest esse nisi tribus modis: vel per multiplicationem materiae, ut quidam dicunt, vel per divisionem, quia continuum in infinitum divisibile est, sicut alii ponunt, vel etiam per mixtionem, secundum alios, sicut augmentatur vinum per admixtionem aquae. Sed multiplicatio materiae, ita quod nulla superadditio fiat, sicut ipsi volunt, non potest esse nisi per modum rarefactionis, ut in praecedenti articulo probatum est; unde sequeretur quod filius rarius corpus haberet quam pater, et quod tandem generatio naturaliter finiretur; quia non potest esse rarefactio in infinitum, nisi metaphorice loquendo, ut in 4 Phys. Commentator dicit. Idem etiam sequeretur, si per divisionem illa materia quae in corpore Adae fuit, in tot distributa esset. Corpus enim naturale non est divisibile in infinitum, sed solum corpus mathematicum, ut ex 3 Physic. ex verbis Commentatoris et philosophi habetur. Unde oporteret quod necessario deficeret generatio. Et dicitur corpus mathematicum, corpus consideratum secundum dimensiones quantitativas tantum, et hoc est corpus in genere quantitatis: hoc enim in infinitum dividi potest, quia in ratione quantitatis continuae non est aliquid quod divisioni repugnet. Corpus autem naturale dicitur quod consideratur secundum aliquam determinatam speciem et virtutem: et hoc non potest dividi in infinitum, quia quaelibet species determinatam quantitatem requirit et in plus et in minus: sicut enim dicitur in 2 de anima, omnium natura constantium positus est terminus et ratio magnitudinis et augmenti: et ideo est invenire minimam aquam et minimam carnem, ut dicitur in 1 Phys., quae si dividatur, non erit ulterius aqua et caro. Constat autem quod corpus humanum naturale corpus est; unde in infinita dividi non potest, ut in infinitum generatio duret. Praeterea, dato quod corpus naturale dividatur in infinitum, sicut mathematicum, hoc non posset esse secundum eamdem quantitatem, sed secundum eamdem proportionem. Si enim a quocumque corpore finito removeretur quantumcumque parva pars, illa aliquoties sumpta, mensurat totum, et etiam excedit; unde oportet semper tali parte sumpta per divisionem, totum corpus tandem consumi. Si autem accipiatur aliquid a magnitudine semper servata eadem proportione (verbi gratia ut primo a tota magnitudine abscindatur tertia pars, et deinde a residuo tertia pars non totius magnitudinis, sed illius residui, et sic deinceps) nunquam cessabit divisio in infinitum. Sed tunc oportet quod illud quod accipitur in secunda decisione, sit secundum quantitatem minus eo quod auferebatur in prima. Primum enim subtractum erat tertia pars totius; secundum autem tertia pars partis, et sic deinceps. Unde si hoc modo fiat decisio humidi radicalis, ex quo semen secundum eos deciditur, oportet quod in semine ex quo generatur filius, sit minus de humido radicali, quod erat de veritate naturae, quam in semine ex quo generabatur pater; et ita semen filii non poterit producere generatum in tanta quantitate, sicut potuit semen patris; quia omnis virtus naturalis dividitur ad divisionem subjecti, ut in minori magnitudine sit minor virtus: et ita sequeretur quod filius semper esset minoris quantitatis quam pater; unde homines jam pervenissent ad minimam quantitatem, etiamsi primi homines fuissent gigantes: sequeretur etiam quod filii semper debiliores parentibus essent; quia quanto aliquid minus habet de eo quod ad veritatem naturae suae pertinet, debilius est. Similiter etiam non est possibile quod per mixtionem talem talis augmentatio fiat humanae naturae: quia quando aliquid parvum alicui maximo admiscetur, non facit mixtionem, ut in 1 de Gener., dicitur; sed solvitur species parvi quod magno additur, sicut si gutta vini mille amphoris aquae addatur. Unde jam in nobis nihil de veritate humanae naturae mansisset, sed totum evanuisset quod de veritate humanae naturae erat, per maximam extranei admixtionem. Alia opinio est, quae semen non tantum ex humido radicali esse asserit quod ex parentibus decisum est, sed ex hoc simul cum humido nutrimentali, quod fuit superfluum alimenti in patre; et hoc totum erit humidum radicale in filio et ad veritatem naturae humanae in ipso pertinens primo modo; et sic aliquid de eo quod in nobis est de veritate humanae naturae, fuit etiam de veritate naturae ex patre patris, et sic usque ad Adam, per quem modum omnes nos in Adam secundum corpulentam materiam fuisse asserunt. Sed quamvis haec opinio evadat quaedam inconvenientium quae ad primam consequuntur non tamen omnia evadere potest. Primo quia rationes et signa philosophi inducta evidenter ostendunt quod semen nullo modo est aliquid ex membris resolutum; unde eisdem rationibus improbatur opinio ponens totum semen esse quid resolutum, vel partem ejus. Secundo, quia per modum istum, ut ipsi ponunt esset augmentatio veritatis humanae naturae per admixtionem; et sic sequerentur inconvenientia quae ad duos modos supra positos sequuntur: esset enim tunc minus de veritate humanae naturae in filio quam in patre: quod patet, si alicui vino admisceatur aqua et admisceatur iterum parti divisae ab illo vino commixto iterum aqua, ut perveniat ad eamdem quantitatem, et sic deinceps; constat enim quod semper minus de vino remanebit in secundo quam in primo, et sic tandem vinum annullaretur. Unde patet quod etiam sequeretur ad hanc positionem, quod generatio naturaliter deficeret, et quod in nobis jam quasi veritas naturae humanae et infectio peccati evanuisset. Tertia opinio est philosophi quod semen sit tantum de superfluo alimenti: vult enim quod semen non est aliquid resolutum a toto, sed illud quod est habens naturam ut sit conveniens toti: quod sic potest contingere. Cum enim omne agens assimilet sibi patiens quantum potest, oportet quod cibus per virtutem animae agentem in ipsum assimiletur in naturam corporis, quod ab anima est perfectum: et quanto amplius digeritur, tanto magis erit virtutem animae participans. Quando igitur venit ad ultimam digestionem, antequam sit in membra conversum, quasi perfectam similitudinem totius consecutum est virtute, etsi non actu; et ideo in eo est virtus per quam potest formari totum corpus. Quando ergo nutritiva pars ex alimento hoc modo assimilato assumpserit in nutrimentum membrorum, illud quo ad nutrimentum indigetur, vel ad augmentum; residuum, quod dicitur ultimae digestionis superfluum, administrat nutritiva virtuti generativae, et hoc est substantia seminis; ut sic semen et sit superfluum, inquantum residuum est ab opere nutritivae, et sit tamen necessarium inquantum indiget eo virtus generativa; unde dicit philosophus in 15 de animalibus, quod semen est superfluum quo indigetur. Ita hoc semen per virtutem generativam ministratum et praeparatum habet naturam ut ex eo generetur totum cum admixtione ejus quod ex matre ministratur, quidquid sit illud. Et huic opinioni consentio, quae rationabilior ceteris videtur.

Réponse. À ce sujet, il y a trois opinions. Une opinion est que la semence est une partie séparée de ce qui fait partie de la substance d’un membre, de telle sorte que toute la substance de la semence vient de l’humide radical, tiré de la substance de celui qui engendre, dont ils disent qu’est composée en premier et principalement la substance des membres. Et parce que, dans celui qui est engendré, rien de ce qui se rapporte à la vérité de la nature n’est ajouté à la substance de la semence, ils disent donc que ce qui fait partie de la vérité de la nature chez le fils faisait partie de la vérité de la nature chez le père. En remontant ainsi, il en découle que tout ce qui fait partie de la vérité de la nature chez tous les hommes se trouvait en acte chez Adam. Or, cette position a été autrefois tenue par certains philosophes, et même par certains théologiens, comme cela ressort de ce que dit le Maître dans le texte. Ils y étaient toutefois enclins pour une raison différente. En effet, certains parmi les anciens philosophes, principalement Anaxagore, affirmaient que la génération de quelque chose ne se réalisait que par l’assemblage de parties semblables à celles qui se trouvaient antérieurement chez celui à partir de qui se réalisait la génération, de telle sorte que rien de ce qui n’aurait pas été chair antérieurement ne se transformerait en nature de la chair. Aussi était-il nécessaire, pour que soient engendrés la chair et les os dans l’enfant, que quelque chose se dissolve de la chair et des os du père. Et ainsi de suite pour les autres parties et les autres membres. Certains encore, qui attribuaient toute la puissance d’agir à la matière, dont ils disaient qu’elle était seule la nature des choses, comme cela ressort de Physique, II, ne pouvaient trouver la cause de la ressemblance du fils au père dans chacun des membres, sinon par le fait que quelque chose de chacun des membres dont était constitué le corps de l’enfant se dissout matériellement. Mais les fondements de ces arguments ont été suffisamment rejetés par les philosophes qui ont suivi, à savoir que, non seulement la génération ne se réalise pas seulement par extraction et assemblage, mais aussi par le fait que la matière passe d’une forme à une autre, de sorte que ce qui n’avait pas auparavant la nature de la chair devienne chair par la suite. De même, la puissance active ne vient pas de la matière, mais plutôt du principe formel. Aussi la cause de la ressemblance du fils au père n’est-elle pas la matière commune, de sorte qu’il serait nécessaire qu’un membre soit fait de la matière qui est séparée des membres du père, puisqu’il y a aussi ressemblance du fils au père pour ce dont la semence n’est aucunement séparée, comme pour les ongles et les cheveux. Mais la cause de la ressemblance est la puissance formatrice qui demeure dans la semence à partir de l’action de la puissance de la forme du père qui agit sur la semence. Mais le Maître et d’autres théologiens, en affirmant cela, sont conduits à cette position en raison de la transmission du péché originel, en glissant vers la même erreur que ceux qui précédaient, selon laquelle il ne peut exister de transmission du péché originel chez les enfants à partir des parents, que si la matière du corps des enfants existait chez les premiers parents eux-mêmes, lorsqu’ils ont péché, de sorte que la ressemblance pour la corruption du péché se réalise par la possession d’une matière commune, et non selon la raison de la puissance active. Augustin affirme expressément le contraire : le péché originel n’existe pas en nous parce que nous descendons de la substance corporelle d’Adam, car alors le péché originel aurait aussi existé chez le Christ, mais parce que nous descendons [des premiers parents] par la concupiscence selon une raison séminale. Il ressort donc clairement que les arguments en vertu desquels cette opinion est formulée se fondent sur une fausseté. Cette même position est fausse aussi en elle-même. En effet, que cette substance du corps humain qui existait chez les premiers parents se soit répandue chez un si grand nombre, cela ne peut être que de trois manières : par multiplication de la matière, comme le disent certains ; par division [de la matière], car ce qui est continu est divisible à l’infini, comme certains l’affirment ; ou par mélange, selon d’autres, comme le vin est augmenté par le mélange d’eau. Or, la multiplication de la matière, sans que lui soit faite aucune addition, comme ils l’entendent, ne peut se réaliser que par mode de raréfaction, comme cela a été démontré dans l’article précédent. Il en découlerait donc que le fils aurait un corps plus rare que le père, et qu’à un certain moment, la génération se terminerait naturellement, car il ne peut y avoir de raréfaction à l’infini, sauf en parlant métaphoriquement, comme le dit le Commentateur dans Physique, IV. La conséquence serait la même si la matière qui existait dans le corps d’Adam avait été répartie entre un si grand nombre par division. En effet, un corps naturel n’est pas divisible à l’infini, mais seulement un corps mathématique, comme on le comprend des paroles du Commentateur et du Philosophe, Physique, III. Il faudrait donc que la génération fasse nécessairement défaut. Et on appelle « corps mathématique » un corps considéré seulement selon ses dimensions quantitatives : c’est là le corps qui fait partie du genre de la quantité. En effet, celui-ci peut être divisé à l’infini, car, dans la raison de quantité, il n’existe rien qui s’oppose à la division. Mais on appelle « corps naturel » celui qui est considéré selon une espèce et une puissance déterminées : celui-ci ne peut être divisé à l’infini, car toute espèce exige une quantité déterminée en plus et en moins. En effet, comme il est dit dans Sur l’âme, II, une limite et une raison de grandeur et de croissance ont été fixées pour tout ce qui existe naturellement. On peut donc trouver un minimum d’eau et un minimum de chair ; comme il est dit en Physique, I, si on les divise, ce ne sera plus de l’eau et de la chair. Or, il est clair que le corps humain est un corps naturel. Il ne peut donc être divisé à l’infini, de sorte que la génération dure à l’infini. De plus, en supposant que le corps naturel se divise à l’infini, comme le [corps] mathématique, cela ne pourrait être selon la même quantité, mais selon la même proportion. En effet, si on enlevait une partie d’un corps fini, aussi petite soit-elle, celle-ci, prise un certain nombre de fois, serait égale au tout, et même le dépasserait ; il faut donc toujours qu’en prenant cette partie par division, le corps tout entier soit finalement consumé. Mais si on prend quelque chose d’une grandeur toujours préservée selon la même proportion (par exemple, en retirant le tiers de toute la grandeur une première fois, et ensuite le tiers de ce qui n’est pas toute la grandeur, mais de ce qui reste, et ainsi de suite), jamais ne cessera la division à l’infini. Mais il faut alors que ce qui est pris dans la deuxième division se fasse selon la quantité diminuée par ce qui était enlevé dans la première. En effet, ce qui a été enlevé en premier lieu était le tiers du tout ; mais [ce qui a été enlevé] en deuxième lieu, est le tiers d’une partie, et ainsi de suite. Si donc est faite une division de l’humide radical, à partir duquel la semence est, selon eux, séparée, il est nécessaire que, dans la semence dont le fils est engendré, il y ait moins d’humide radical, qui faisait partie de la vérité de la nature, que dans la semence dont est engendré le père. Et ainsi, la semence du fils ne pourra produire un engendré de la même quantité que le pouvait la semence du père, car toute puissance naturelle est divisée selon la division du sujet, de sorte qu’il y a une puissance moins grande dans une grandeur moins grande. Il en découlerait ainsi que le fils aurait toujours une quantité moindre que le père. Les hommes seraient donc déjà parvenus à la plus petite quantité, même si les premiers hommes avaient été des géants. Il en découlerait aussi que les fils seraient toujours plus faibles que les parents, car, moins quelque chose possède de ce qui se rapporte à la vérité de sa nature, plus cela est faible. De même aussi, il n’est pas possible que, par un tel mélange, une telle augmentation de la nature humaine se réalise, car, lorsque quelque chose de petit est mélangé à quelque chose de très grand, cela ne réalise pas un mélange, comme on le dit dans Sur la génération, I, mais l’espèce du petit qui est ajouté au grand disparaît, comme lorsque qu’une goutte de vin est ajoutée à mille amphores d’eau. Il ne nous resterait donc rien de la vérité de la nature humaine, mais tout ce qui faisait partie de la vérité de la nature humaine aurait disparu par un très grand mélange de quelque chose d’étranger. L’autre opinion est celle qui affirme que la semence ne vient pas seulement de l’humide radical, qui a été séparé des parents, mais aussi, avec cela, de l’humide de la nourriture ; la totalité de cela sera l’humide radical chez le fils, qui se rapporte de la première manière à la vérité de la nature humaine. Et ainsi, quelque chose de ce qui fait partie de la vérité de la nature humaine faisait aussi partie de la vérité de la nature venant du père du père, et ainsi de suite jusqu’à Adam. Ils affirment ainsi que nous étions tous de cette manière en Adam selon la matière corporelle. Mais bien que cette opinion échappe à certains des inconvénients qui découlent de la première, elle ne peut cependant échapper à tous. Premièrement, parce que les raisons et les signes invoqués par le Philosophe montrent à l’évidence que la semence n’est en aucune manière quelque chose qui est séparé des membres. L’opinion qui affirme que toute la semence et une partie d’elle est quelque chose de séparé est donc réfutée par les mêmes arguments. Deuxièmement, parce que, de la manière dont ils parlent, il se produirait une augmentation de la vérité de la nature humaine par un mélange, et ainsi en découleraient les inconvénients qui découlent des deux modes présentés plus haut. En effet, il y aurait alors moins de vérité de la nature humaine chez le fils que chez le père, ce qui ressort clairement si de l’eau est mêlée au vin, et si de l’eau est à nouveau mêlée à la partie divisée de ce vin, afin d’atteindre la même quantité, et ainsi de suite. En effet, il est clair qu’il restera toujours moins de vin dans le second que dans le premier, et ainsi le vin serait finalement annulé. La troisième opinion est celle du Philosophe, que la semence vienne seulement d’un superflu de la nourriture. En effet, il veut que la semence ne soit pas quelque chose de séparé du tout, mais ce qui a une nature commune avec le tout, ce qui peut se produire ainsi. En effet, puisque tout agent assimile à lui-même le patient autant qu’il le peut, il faut que la nourriture soit assimilée, par la puissance agissante de l’âme, à la nature du corps perfectionné par l’âme. Lorsqu’elle est parvenue à la digestion ultime, avant d’être convertie dans les membres, elle a donc reçu une ressemblance parfaite au tout en puissance, sinon en acte. C’est pourquoi existe là une puissance par laquelle le corps entier peut être formé. Lorsque la partie nutritive a reçu de la nourriture ainsi assimilée en vue de l’alimentation des membres ce qui est nécessaire à l’alimentation ou à la croissance, la [partie] nutritive fournit à la puissance génératrice le résidu, qu’on appelle le superflu de la digestion ultime : c’est là la substance de la semence. Ainsi, la semence est-elle un superflu, dans la mesure où le résidu provient de l’action de la [partie] nutritive ; toutefois, elle est quelque chose de nécessaiare, dans la mesure où la puissance génératrice en a besoin. C’est pourquoi le Philosophe dit, Sur les animaux, XV, que la semence est un superflu qui est nécessaire. Cette semence, fournie et préparée par la puissance génératrice, a donc une nature telle qu’à partir d’elle, le tout est engendré, avec un mélange de ce qui est fourni par la mère, quoi que cela soit. Et je suis d’accord avec cette opinion, qui paraît plus raisonnable que les autres.

[6188] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod hunc esse in Adam secundum corpulentam substantiam, potest intelligi dupliciter. Aut ita quod corpus istius fuerit in Adam, sicut quaedam corpulenta substantia; et hoc modo est impossibile, nec sic Augustinus intelligit: aut ita quod corpulenta substantia hujus fuerit in Adam aliquo modo; et hoc verum est, quia materia propria ex qua corpus humanum formatum est, fuit in Adam virtute sicut in principio effectivo originaliter. Unde secundum hoc patet qualiter differat esse in Adam secundum corpulentam substantiam tantum et secundum rationem seminalem. Ad hoc enim quod corpus humanum constituatur, oportet duo advenire; scilicet materiam ex qua formatur corpus, quae dicitur corpulenta substantia, et virtus formans, quae dicitur ratio seminalis; et utraque originata est ab Adam; et ideo illi qui ex coitu viri et mulieris generantur, dicuntur fuisse in Adam originaliter secundum seminalem rationem, et secundum corpulentam substantiam. Christus autem cujus corpus virtus spiritus sancti formavit de materia virginis administrata, dicitur in Adam fuisse secundum corpulentam substantiam tantum.

1. Être en Adam selon la substance corporelle peut s’entendre de deux manières. Soit que le corps de cet individu existait en Adam comme une substance corporelle ; de cette manière, cela est impossible, et Augustin ne l’a pas non plus compris ainsi. Soit que sa substance corporelle existait en Adam d’une certaine manière ; et cela est vrai, car la matière propre dont le corps humain a été formé existait en Adam en puissance, comme en son principe originel de réalisation. Exister en Adam selon la substance corporelle seulement et selon une raison séminale ressortent ainsi clairement. En efffet, pour que le corps humain soit constitué, deux choses doivent être présentes : la matière dont le corps est formé, qu’on appelle substance corporelle, et la puissance formatrice, qu’on appelle raison séminale. Les deux choses ont tiré d’Adam leur origine. C’est pourquoi on dit de ceux qui sont engendrés par l’union de l’homme et de la femme qu’ils existaient en Adam originellement selon une raison séminale et selon la substance corporelle. Mais on dit que le Christ, dont l’Esprit saint a formé le corps à partir d’une matière fournie par la Vierge, existait en Adam selon la subsstance corporelle seulement.

[6189] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod si dictum Damasceni intelligatur universaliter de omni generatione, non oportet quod generatum sit de substantia generantis materialiter, sed formaliter tantum, non quidem secundum unam formam in numero, sed secundum unam formam in specie. Si autem intelligatur specialiter de generatione viventium, sic generatum est ex substantia generantis, quia ex alicujus decisione, quod fuit conveniens in substantiam generantis transire: sanguis enim aliquo modo dicitur esse de substantia generantis, et multo amplius semen, quod est ad ulteriorem digestionem perductum.

2. Si on entend la parole de [Jean] Damascène de manière universelle pour toute génération, il n’est pas nécessaire que ce qui est engendré vienne de la substance de ce qui engendre de manière matérielle, mais de manière formelle seulement, non pas selon une seule forme en nombre, mais selon une seule forme selon l’espèce. Mais si on l’entend d’une manière spéciale de la génération des vivants, ce qui est engendré fait ainsi partie de la substance de ce qui engendre, car cela provient du retranchement de quelque chose qui passe de manière appropriée par la substance de ce qui engendre. En effet, on dit du sang qu’il fait partie d’une certaine manière de la substance de ce engendre, et encore bien davantage, de la semence, qui est amenée à une digestion plus poussée.

[6190] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod si per coitum emitteretur solum illud seminis quod residuum est ab opere nutritivae et augmentativae, nunquam sequeretur debilitatio; sed ex immoderato coitu aliquando emittitur etiam id quod necessarium erat ad membrorum nutrimentum; adeo quod propter immoderantiam coitus, ut in 15 de animalibus dicitur, loco seminis aliquis sanguinem emittit; ideo oportet quod debilitas naturae sequatur. Nec mirum, cum etiam ex superflua egestione, vel urina, debilitetur corpus sicut ex moderata alleviatur.

3. Si, par l’union sexuelle, était émise seulement la semence qui est un résidu de la [puissance] nutritive et de la [puissance] qui assure la croissance, jamais il n’en découlerait un affaiblissement. Mais, à la suite d’une union sexuelle immodérée, est parfois émis aussi ce qui était nécessaire à l’alimentation des membres, au point où, en raison du caractère immodéré du rapport sexuel, comme il est dit dans Sur les animaux, XV, quelqu’un émet du sang à la place de la semence. Il faut donc qu’en découle une faiblesse de la nature. Et il n’est pas étonnant que, suite à un rejet superflu ou à l’urine, le corps soit affaibli, comme il est allégé par [un rejet] modéré.

[6191] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod assimilatio non est propter convenientiam in materia; sed propter motum virtutis activae, quo movet in suam similitudinem: et quia aliquando corrumpitur motus patris in semine, nascitur filius similis avo et proavo, cujus motus manet, ut 18 de animalibus philosophus ostendit; et non propter hoc quod materia corporis nati ex avo et proavo traducatur.

4. L’assimilation ne se réalise pas en raison d’une matière commune, mais en raison du mouvement de la puissance active, par laquelle elle meut vers sa ressemblance. Et parce que, parfois, le mouvement du père est corrompu dans la semence, le fils naît semblable à son grand-père et à son arrière-grand-père, dont le mouvement demeure, comme le Philosophe le montre dans Sur les animaux, XVIII, et non parce que la matière du corps né du grand-père et de l’arrière-grand-père a été transmise.

[6192] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 ad 5Et per hoc patet responsio ad quintum, quod similiter procedebat ex hoc quod cognationis causa esset magis ex parte materiae quam ex virtute activa; cujus contrarium philosophus ostendit in 5 Metaphys. dicens: magis homo est de genere patris sui quam matris, cum a patre formam recipiat et a matre materiam.

5. La réponse au cinquième argument ressort ainsi clairement : il s’appuyait sur le fait que la cause de la parenté venait davantage de la matière que de la puissance active. Le Philosophe montre le contraire dans Métaphysique, V, lorsqu’il dit : « L’homme tient davantage du genre de son père que de celui de sa mère, puisqu’il reçoit sa forme de son père, et sa matière de sa mère. »

[6193] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 ad 6Ad sextum dicendum, quod in corpore hominis et in corpore embryonis sunt diversae humiditates magis et minus ad perfectam participationem speciei accedentes, sicut sanguis, et humiditas in quam ulterius sanguis digestus convertitur, et ulterius caro et os. Sciendum est ergo, quod unumquodque resurget in quo magis fuit perfecte participans naturam speciei: et si in utroque fuit perfecte naturam speciei participans, resurget in eo in quo primo fuit. Secundum hoc ergo dicendum est, quod quidquid fuit in illis carnibus quas pater pueri comedit quod jam ultima conversione assimilatum erat membris, resurget in eo cujus carnes comestae sunt. Sed quod fuit in illis carnibus de humiditatibus et humoribus a perfecta assimilatione distantibus, resurget in puero qui ex illo semine generatur; et in utroque illud quod deest, supplebitur ex virtute divina. Hoc tamen ad tractatum de resurrectione magis pertinet.

6. Dans le corps de l’homme et dans le corps de l’embryon, existent diverses humeurs, qui se rapprochent plus ou moins d’une participation parfaite à l’espèce, comme le sang et l’humeur en laquelle le sang digéré est ensuite converti, et par la suite, la chair et les os. Il faut donc savoir que chacune ressuscitera selon ce par quoi elle participe plus parfaitement à la nature de l’espèce. Et si les deux participent parfaitement à la nature de l’espèce, elles ressusciteront dans ce en quoi elles ont existé en premier. D’après cela, il faut donc dire que tout ce qui se trouvait dans la chair que le père de l’enfant a mangée et qui avait déjà été assimilé aux membres par une conversion ultime ressuscitera chez celui dont la chair a été mangée. Mais ce qu’il existait dans cette chair d’humidités et d’humeurs éloignées d’une parfaite assimilation, ressuscitera chez l’enfant qui est engendré à partir de cette semence ; et ce qui manque chez les deux sera comblé par la puissance divine. Toutefois, cela relève plutôt du traité sur la résurrection.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 30

[6194] Super Sent., lib. 2 d. 30 q. 2 a. 2 expos.Hoc male senserunt quidam haeretici. Pelagius ad hoc inducebatur propter hoc quod potestatem liberi arbitrii ampliabat nimis, ut nullum peccatum esse in homine posset, nisi ex ejus libero arbitrio proveniret; et quod nulla gratia indigebat homo ad hoc ut a peccato immunis existeret. Originale peccatum dicitur fomes peccati. Hic ponuntur octo nomina originalis peccati, quorum differentia sic accipi potest. Potest enim hoc peccatum nominari vel per comparationem ad modum quo causatur in nobis, vel per comparationem ad subjectum in quo est, vel per comparationem ad peccatum actuale in quod inclinat, et quia per originem vitiatam in nos pervenit; ideo ex modo quo causatur in nobis, nominatum, dicitur originale peccatum. In peccato autem actuali duo considerantur: scilicet defectus seu deformitas peccati, et secundum hoc nominatur fomes peccati, quasi fomentum praebens ad peccandum, sicut siccitate lignorum fovetur ignis; et iterum delectatio, quae consistit in conversione ad bonum commutabile; et sic dicitur concupiscentia quantum ad deordinationem actu existentem in partibus animae, subtracto retinaculo justitiae originalis; vel in ordine ad actum concupiscentiae, ad quem peccatum originale inclinat; et sic dicitur concupiscibilitas. Subjectum autem in quo originale peccatum consistit est homo qui ex duabus naturis constat, rationali, et sensitiva. Potest ergo originale peccatum nominari vel per comparationem ad rationalem vel per comparationem ad sensitivam. Si primo modo, sic ex parte ejus quod est formale in originali peccato, scilicet debitae justitiae carentia, dicitur languor naturae; ex parte vero ejus quod est materiale, scilicet inordinatio inferiorum virium, dicitur tyrannus, inquantum per inordinationem inferiorum virium injuste, et quodammodo tyrannice, ratio in servitutem peccati trahitur. Ex parte autem sensitivae, quae est potentia organis affixa, dicitur lex carnis ex eo quod per traductionem carnis traducitur; et dicitur lex membrorum, inquantum in membris corruptis dominatur, et quodammodo secundum conditionem eorum inclinat in actum, ut scilicet in delectabile membris homo inclinetur quod est eis conveniens. In eo materialiter erant: non ita quod illud quod fuit materia corporis Adae, sit postmodum materia omnium hominum: sed quia materia omnium hominum originaliter ab Adam traducta est sicut a principio effectivo primo in humana natura: materia enim humani corporis est menstruum, vel etiam semen simul, ut quibusdam placet. Quod autem semen et menstruum causetur in nobis, hoc non est nisi per virtutem naturalem, quae in nos ex parentibus devenit; et ita tota materia corporis humani originem habet ab Adam, non quasi ab eo decisa, sed quasi a virtute quae ab ipso descendit praeparata. Quod etiam ratione ostendi potest. Ista ratio non valet, quia procedit a majori ad minus affirmando: magis enim videtur quod in resurrectione, quae tota miraculosa erit, aliquid divina virtute fiat vel per multiplicationem, vel etiam alio quocumque modo, quam in naturali augmento quod actione naturae completur. Non inficiamur tamen quin cibi et humores in carnem et sanguinem transeant. Istud videtur inconveniens, quod Magister hic ponit: quia vel caro ista ex cibis generata, distincta erat ab illa quae a parentibus descendit, et sic non tota quantitas humani corporis salvaretur in carne quae ex parentibus descendit: vel commixta illi; et sic oportebat quod ex eis unum quid generaretur quod neutrum illorum esset, sed medium inter ea: et sic totum aequaliter ad veritatem naturae pertineret, nisi forte poneretur esse mixtio secundum minima salvata, ut quidam posuerunt, quod etiam in primum modum rediret.

 

 

 

DISTINCTIO 31

Distinction 31 – [Les conditions du péché originel]

 

 

QUAESTIO 1

Question 1 – [Le péché originel est-il transmis par transmission de la chair ?]

 

 

PROOEMIUM

Prologue

[6195] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 pr.Ostenso quod peccatum originale est, et quid sit, hic prosequitur quasdam conditiones ipsius; et dividitur in partes tres: in prima determinat de peccato originali quantum ad ejus principium, ostendens quomodo traducatur; in secunda determinat de eo quantum ad ejus terminum, ostendens quomodo per Baptismum remittatur, 33 dist.: quoniam supra dictum est, originale peccatum esse vitium concupiscentiae (...) superest investigare quomodo in Baptismo dimittatur; in tertia determinat de eo quantum ad ejus numerum, inquirens, an sit unum, vel plura, dist. 33, ibi: praedictis adjiciendum videtur an peccata praecedentium patrum ad parvulus transeant. Prima dividitur in duas: in prima ostendit modum quo peccatum originale traducitur; in secunda movet contra hoc quamdam dubitationem, ibi: sed ad hoc opponitur hoc modo. Prima dividitur in duas: in prima determinat modum quo peccatum originale in nos pervenit; in secunda ex ipso modo concludit rationem nominis, ibi: jam ostensum est quid sit originale peccatum. Prima dividitur in tres: in prima movet quaestionem, utrum scilicet peccatum originale per traductionem carnis in nos deveniat; in secunda excludit sententiam illorum qui per traductionem animae peccatum originale in nos devenire dicebant, ibi: putavere quidam, secundum animam trahi peccatum originale; in tertia ostendit qualiter secundum traductionem carnis originale peccatum traducatur, ibi: est enim peccatum originale, ut supra diximus, concupiscentia, non quidem actus, sed vitium. Et dividitur in partes tres: in prima ostendit quod propter foeditatem quae est in carne, cum traductione carnis simul culpa vel poena traducitur; in secunda inquirit de illa foeditate quid sit, utrum scilicet culpa, vel poena, ibi: hic quaeri solet, utrum causa peccati originalis (...) culpa sit, vel poena, sive aliquid aliud; in tertia ostendit quomodo illi qui ab hac foeditate purgati sunt, peccatum originale transmittere possunt, ibi: ne autem miremur, et intellectu turbemur (...) diversarum similitudinum inductione id posse fieri insinuat Augustinus. Hic quaeruntur duo. Primo de traductione originalis peccati. Secundo de subjecto ejus. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum per traductionem carnis originale peccatum traducatur; 2 utrum in omnes homines necessarium sit originale peccatum transire.

Après avoir montré l’existence du péché originel et ce qu’il est, [le Maître] poursuit ici avec ses conditions. Il y a trois parties : dans la première, il détermine du péché originel pour ce qui est de son principe, en montrant comment il est transmis ; dans la deuxième, il en détermine pour ce qui est de son terme, en montrant comment il est remis par le baptême, d. 33 : « Parce qu’on a dit plus haut que le péché originel est le vice de la concupiscence…, il reste à rechercher comment il est remis dans le baptême » ; dans la troisième, il en détermine pour ce qui est son nombre, en recherchant s’il est unique ou multiple, d.33, à cet endroit : « Il semble qu’il faille se demandeer en plus de ce qui a été dit si les péchés des pères antérieurs passent chez les enfants. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre la manière dont le péché originel est transmis ; dans la seconde, il soulève une objection contre cela, à cet endroit : « Mais on s’oppose à cela de cette manière… » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine la manière dont le péché originel nous parvient ; dans la seconde, il justifie le nom à partir de la manière elle-même, à cet endroit : « On a déjà montré ce qu’est le péché originel… » La première se divise en trois. Dans la première, il soulève une question : le péché originel nous parvient-il par transmission de la chair ? Dans la deuxième, il écarte la position de ceux qui disaient que le péché originel nous parvient par la transmission de l’âme, à cet endroit : « Certains ont pensé que le péché originel est transmis par l’àme. » Dans la troisième, il montre comment le péché originel est transmis selon la transmission de la chair, à cet endroit : « En effet, comme nous l’avons dit plus haut, le péché originel est la concupiscence, non pas l’acte, mais le vice. » Et cela se divise en trois parties. Dans la première, il montre qu’en raison de la difformité qui existe dans la chair, la faute ou la peine sont transmises en même temps que la transmission de la chair. Dans la deuxième, il se demande ce qu’est cette difformité : est-ce la faute ou la peine, à cet endroit : « Ici, on a coutume de demander si la cause du péché originel… est la faute ou la peine, ou quelque chose d’autre. » Dans la troisième, il montre comment ceux qui ont été purifiés de cette difformité peuvent transmettre le péché originel, à cet endroit : « Pour que nous ne soyons pas étonnés et troublés dans notre intelligence…, Augustin suggère, en recourant à diverses ressemblances, que cela peut se produire. » Ici, deux questions sont posées : premièrement, à propos de la transmission du péché originel ; deuxièmement, à propos de son sujet. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1. Le péché originel est-il transmis par la transmission de la chair ? 2. Est-il nécessaire que le péché originel soit transmis à tous les hommes ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum originale peccatum possit transire in posteros per originem carnis

Article 1 – Le péché originel peut-il passer aux descendants par l’origine de la chair ?

[6197] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod per originem carnis peccatum originale a primo parente in posteros transire non possit. Actio enim personae non extendit se ad naturam: quia persona inferior et minus est potens quam natura in qua subsistit. Sed origo carnis debetur ipsi naturae, cum generatio sit ordinata ad conservationem speciei, et non individui. Ergo peccatum primi parentis per originem carnis in posteros transire non potuit: quia hoc esse non potuit nisi per actionem personae natura inficeretur.

1. Il semble que le péché originel ne puisse passer du premier parent aux descendants par l’origine de la chair. En effet, l’action d’une personne n’atteint pas la nature, car la personne est inférieure et moins puissante que la nature dans laquelle elle subsiste. Or, l’origine de la chair revient à la nature elle-même, puisque la génération est ordonnée à la conservation de l’espèce, et non de l’individu. Le péché du premier parent n’a donc pas pu passer aux descendants par l’origine de la chair, car cela ne pouvait se faire que si, par l’action de la personne, la nature était altérée.

[6198] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, contrariorum oportet esse idem subjectum. Sed infectio culpae perfectioni virtutis opponitur. Cum ergo semen subjectum virtutis esse non possit, nec infectioni culpae subjici poterit. Caro autem non traducitur nisi mediante semine. Ergo per modum istum mediante semine non poterit per traductionem carnis originale peccatum traduci.

2. Il faut que des contraires aient le même sujet. Or, l’infection de la faute s’oppose à la perfection de la vertu. Puisque la semence ne peut pas être le sujet de la vertu, elle ne pourra donc pas être soumise à l’infection de la faute. Or, la chair n’est transmise que par l’intermédiaire de la semence. Le péché originel ne pourra donc pas être transmis de cette manière par la transmission de la chair au moyen de la semence.

[6199] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 3Si dicatur, quod per libidinem coitus semen inficitur, et illa infectio est causa culpae originalis; contra. Libido, secundum Augustinum, dicitur improba voluntas. Sed improba voluntas peccatum est. Ergo si ratione libidinis culpa originalis causatur in nato, tunc natus traheret peccatum originale a proximo parente, et non a primis parentibus; et hoc est contra id quod infra Magister determinat.

3. Si on dit que la semence est infectée par le désir déréglé de l’union sexuelle et que cette infection est la cause de la faute originelle, on opposera que, selon Augustin, on dit que le désir déréglé est la volonté mauvaise. Or, la volonté mauvaise est un péché. Si la faute originelle est causée chez l’enfant en raison d’un désir déréglé, l’enfant tirerait alors le péché originel d’un parent rapproché, et non des premiers parents. Or, cela est contraire à ce que détermine plus loin le Maître.

[6200] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, illa infectio seminis defectus quidam est. Omnis autem defectus in nobis videtur vel culpa vel poena esse. Aut igitur est culpa, aut poena. Culpa non potest esse, quia semen subjectum culpae esse non potest: nec etiam poena, quia poena culpam praecederet, et culpa ex poena causaretur, quod est inconveniens. Ergo nullo modo potest ex infectione seminis peccatum originale in generato causari.

4. Cette affection de la semence est une carence. Or, toute carence semble être chez nous soit une faute, soit une peine. [Cette affection] est donc soit une faute, soit une peine. Elle ne peut pas être une faute, car la semence ne peut être le sujet d’une faute ; elle n’est pas non plus une peine, car la peine précéderait la faute, et la faute serait causée par la peine, ce qui est inapproprié. Le péché originel ne peut donc aucunement être causé chez celui qui est engendré par l’affection de la semence.

[6201] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, etiam post Baptismum, quamvis originalis culpa deleatur, remanet tamen concupiscentia in corpore per modum poenae. Si ergo infectio concupiscentiae in semine animam inficere posset culpa originali, etiam postquam homo a peccato originali mundatus esset, per concupiscentiam in corpore remanentem anima similiter inficeretur; et ita peccatum originale de necessitate rediret; quod est inconveniens: quia oporteret etiam de necessitate et poenam ejus redire, quae est carentia visionis divinae. Ergo non est possibile quod infectio seminis infectionem culpae in anima causet.

5. Même après le baptême, alors que la faute originelle a été détruite, demeure dans le corps la concupiscence sous forme de peine. Si donc l’affection de la concupiscence dans la semence pouvait affecter l’âme par le péché originel, même après que l’homme a été purifié du péché originel, elle serait semblablement affectée par la concupiscence qui demeure dans le corps. Et ainsi, le péché originel reviendrait nécessairement, ce qui est inapproprié, car il faudrait aussi nécessairement que sa peine revienne, laquellei est la carence de la vision de Dieu. Il n’est donc pas possible que l’affection de la semence cause l’affection de la faute dans l’âme.

[6202] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra est quod apostolus dicit ad Rom. 5, 12: per unum hominem peccatum in mundum intravit. Sed non potuit ex uno homine humanum genus infici, nisi eo modo quo totum genus humanum ex uno homine processit. Hoc autem fuit per originem carnis. Ergo hoc modo peccatum originale a primis parentibus in nos transit.

Cependant, [1] l’Apôtre dit en sens contraire en Rm 5, 12 : Le péché est entré dans le monde par un seul homme. Or, le genre humain ne pouvait être affecté à partir d’un seul homme que de la manière dont le genre humain est issu d’un seul. Or, c’était par l’origine de la chair. Le péché originel est donc passé en nous de cette manière à partir des premiers parents.

[6203] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, sicut se habet personale peccatum ad actum personae; ita se habet peccatum naturae ad actum naturae. Sed peccatum personale, idest actuale, ex actu personae causatur. Ergo et peccatum naturae, scilicet originale, ex actu naturae in nobis efficitur. Sed actus naturae est actus generationis, per quem ipsa natura speciei salvatur. Ergo per actum generationis peccatum originale in nos transit.

[2] Le rapport entre le péché personnel et l’acte de la personne est le même qu’entre le péché de nature et l’acte de la nature. Or, le péché personnel, c’est-à-dire actuel, est causé par un acte de la personne. Le péché de nature, c’est-à-dire originel, est donc causé en nous par un acte de la nature. Or, l’acte de la nature est l’acte de la génération, par lequel la nature même de l’espèce est préservée. Le péché originel est donc passé en nous par l’acte de la génération.

[6204] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod in progressu originalis talis ordo servatur quod persona naturam infecit per actum peccati; et naturae infectio in personam secundario transivit, quae a persona peccante propagatur: quod qualiter sit, videndum est. Sicut enim prius dictum est, hoc Deus humanae naturae in sui principio supra conditionem suorum principiorum contulerat, ut esset in ratione rectitudo quaedam originalis justitiae quam sine aliqua resistentia inferioribus viribus imprimere posset; et quia hoc gratis collatum fuerat, ideo juste per ingratitudinem inobedientiae subtractum est; unde factum est ut primo homine peccante, natura humana quae in ipso erat, sibi ipsi relinqueretur, ut consisteret secundum conditionem suorum principiorum; et per modum istum ex actu personae peccantis in ipsam naturam defectus transivit. Et quia natura deficiens ab eo quod gratis impensum erat non potest causare hoc quod supra naturam collatum erat, cum nihil agat ultra suam speciem; ideo sequitur quod ille qui generatur ab habente naturam hoc modo deficientem, naturam in simili defectu suscipiat: quia actus personae secundum conditionem suae naturae procedit, et ultra non se extendit. Inde est quod defectus in ipsam personam generatam redundat. Sed ratio culpae inde venit, quia illud quod collatum fuit gratis Adae, scilicet originalis justitia, non fuit sibi collatum personaliter, sed inquantum talem naturam habebat, ut omnes scilicet in quibus talis ab eo accepta natura inveniretur, tali dono potirentur; et ideo cum propagatione carnis etiam illa originalis justitia propagata fuisset. In potestate ergo naturae erat ut talis justitia semper in ea conservaretur: sed per voluntatem personae existentis in natura factum est ut hoc perderetur; et ideo hic defectus comparatus ad naturam, rationem culpae habet in omnibus in quibus invenitur communis natura accepta a persona peccante: et quia per originem carnis defectus iste naturali generatione traducitur simul cum natura; ideo etiam et culpa originalis per originem carnis traduci dicitur: et quia per voluntatem personae ratio culpae ad naturam transit, ideo dicitur persona naturam infecisse. Quia vero in personis aliis est originale peccatum a prima persona generantis, non est ratio culpae ex ipsis, cum non propria voluntate peccatum tale incurrant; sed inquantum talem naturam cum ratione culpae recipiunt. Inde est quod secundo natura personam inficere dicitur: inde etiam est quod ista infectio ex inordinata voluntate primi parentis, in ipso quidem primo parente fuit dupliciter: scilicet per modum peccati actualis, inquantum eam per propriam voluntatem contraxit; et etiam ulterius per modum peccati naturalis, inquantum natura in eo infecta est; in sequentibus autem non est nisi peccatum naturale.

Réponse. Dans le déroulement du [péché] originel, un ordre a été préservé selon lequel une personne a infecté la nature par l’acte du péché, et l’infection de la nature est en second lieu passée dans la personne issue d’une personne pécheresse. Comment cela se produit, il faut le voir. En effet, comme on l’a dit antérieurement, Dieu avait conféré à la nature humaine, en son commencement et au-delà de ses principes, qu’existe dans la raison la droiture de la justice originelle, dont il poourrait imprégner sans résistance les puissances inférieures. Et parce que cela avait été donné gratuitement, c’est donc à juste titre que cela a été retiré en raison de l’ingratitude de la désobéissance. Ainsi est-il arrivé, par le péché du premier homme, que la nature humaine qui existait en lui serait laissée à elle-même, de sorte qu’elle subsiste selon la condition de ses principes. De cette manière, une carence est passée dans la nature elle-même à partir de l’acte d’une personne qui a péché. Et parce que la nature, dépourvue de ce qui lui avait été gratuitement conféré, ne peut réaliser ce qui lui avait été conféré au-delà de la nature, puisque rien n’agit au-delà de son espèce, il en découle donc que celui qui est engendré par celui qui possède une nature ainsi déficiente reçoit une nature possédant une telle carence, car l’acte de la personne se conforme à la condition de sa nature et ne va pas au-delà d’elle. De là vient que la carence rejaillit sur la personne engendrée elle-même. Mais la raison de faute vient de ce que ce qui avant été gratuitement donné à Adam, à savoir, la justice originelle, ne lui a pas été conférée à titre personnel, mais en tant qu'il possédait une telle nature, de sorte que tous ceux chez qui on trouverait qu’une telle nature a été reçue de lui jouiraient d’un tel don. Avec la reproduction de la chair, cette justice originelle se serait donc aussi propagée. Il était donc au pouvoir de la nature qu’une telle justice soit toujours préservée en elle, mais, par la volonté d’une personne subsistant dans cette nature, il se fait que cela a été perdu. C’est pourquoi, en regard de la nature, cette carence a raison de faute chez tous ceux en qui l’on trouve une nature commune reçue de la personne qui a péché, et parce que cette carence originelle de la chair est transmise par la génération naturelle en même temps que la nature, on dit donc que la faute originelle est transmise par l’origine de la chair. Et parce que la raison de faute passe dans la nature par la volonté d’une personne, on dit donc qu’une personne a infecté la nature. Mais parce que, chez les autres personnes, le péché originel existe à partir de la première personne qui a engendré, la raison de faute ne vient pas d’eux, puisqu’ils n’encourent pas un tel péché de leur propre volonté, mais en tant qu’ils reçoivent une telle nature affectée de la raison de faute. De la vient qu’on dit de la personne qu’elle est infectée en second par la nature ; de là vient aussi que cette infection provenant de la volonté désordonnée du premier parent, existait sous une double forme : sous forme de péché actuel, en tant qu’il l’a contractée par sa propre volonté ; et, en plus, sous forme de péché naturel, en tant que la nature a été infectée en lui. Mais, chez ceux qui suivent, n’existe qu’un péché naturel.

[6205] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod quamvis natura absolute considerata immobilis sit, tamen secundum esse suum considerata, oportet quod ad variationem personae varietur per accidens: constat enim quod deficiente hoc homine, deficit humana natura quae in ipso est; et ita etiam peccatum personale Adae in naturam humanam transivit, secundum quod in ipso esse habebat; ipso enim peccante privatus est his quae sibi ratione naturae suae gratis concessa erant: et eo privato, etiam natura privata fuit ut in ipso erat, et per consequens in aliis qui ab ipso naturam accepturi erant.

1. Bien que la nature, considérée de manière absolue, soit immuable, cependant, considérée selon selon son acte d’être, elle doit changer par accident selon le changement de la personne. En effet, il est clair que, si tel homme chute, la nature humaine qui existe en lui chute. Ainsi, le péché personnel d’Adam est passé dans la nature humaine, selon qu’elle existait en lui. En effet, par son péché, il a été privé de ce qui lui avait été gratuitement accordé en raison de sa nature ; alors qu’il en était privé, sa nature a aussi été privée, telle qu’elle existait en lui et, par suite, chez les autres, qui devaient recevoir de lui leur nature.

[6206] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod semen non est actu subjectum culpae, sed virtute tantum; hoc modo enim se habet semen ad peccatum originale sicut ad naturam humanam; unde sicut in semine non est natura humana nisi in virtute; ita etiam nec originalis culpa: quia per virtutem quae est in semine, generatio ad naturam humanam terminatur infectam originali peccato.

2. La semence n’est pas le sujet de la faute en acte, mais en puissance seulement. En effet, la semence a avec le péché originel le même rapport qu’avec la nature humaine. De même que la nature humaine n’existe qu’en puissance dans la semence, de même aussi la faute originelle, car, par la puissance qui existe dans la semence, la génération a comme terme la nature humaine infectée par le péché originel.

[6207] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod libido tribus modis dicitur. Uno modo secundum quod consistit in actu voluntatis, illicite et inordinate aliquid desiderantis; et hoc modo libido est actuale peccatum. Alio modo dicitur libido quae consistit magis in delectatione sensualitatis, et praecipue in actu generativae, ubi superexcedit delectatio; et sic est quiddam ex peccato derelictum, non quia sine peccato non esset delectatio, sed quia inordinata non esset, quod nomen libidinis importat. Tertio modo potest sumi libido quasi habitualiter pro illa inordinatione virium nimia, ex qua est in nobis pronitas ad inordinate concupiscendum. A prima igitur libidine mens cujuslibet justi generantis liberatur, cum contingat actum matrimonialem sine omni culpa et mortali et veniali exerceri; unde constat quod non intelligitur illa libido transmittere originale peccatum in prolem; nec iterum illa quae est inordinata delectatio sensualitatis: etsi enim per miraculum a tali inordinatione delectationis coitus aliquorum purgaretur, nihilominus eorum nati peccatum originale contraherent. Unde patet quod libido tertio modo dicta, intelligitur esse peccati originalis causa: omne enim generans generat sibi simile in natura; unde cum haec sit conditio naturae humanae justitia originali destitutae, ut talis inordinatio virium animae in ea existat, constat quod etiam talis conditio in prole remanebit. Et si fervor coitus inveniatur dici causa originalis peccati, hoc non propter se dicitur, sed inquantum est signum ejus quod est sui causa; quia ex inordinatione virium inordinata delectatio in coitu procedit, quasi signum, et effectus causam suam indicans.

3. On parle de libido de trois manières. Premièrement, en tant qu’elle consiste en un acte de la volonté, qui désire quelque chose de manière défendue et désordonnée. La libido est ainsi un péché actuel. Deuxièmement, on parle de la libido qui consiste plutôt dans le plaisir de la sensualité, surtout dans l’acte de la [puissance] génératrice, où le plaisir surabonde. Elle est ainsi quelque chose qui a été laissé par le péché, non pas qu’il n’y aurait pas de plaisir sans le péché, mais parce qu’il ne serait pas désordonné, ce que comporte le nom de libido. Troisièmement, on peut entendre libido en un sens pour ainsi dire habituel, pour ce trop grand désordre d’où provient d’où nous vient l’inclination à désirer d’une manière désordonnée. L’esprit de tous les justes qui engendrent est libéré de la première lorsque l’acte conjugal est exercé sans aucune faute mortelle ni vénielle ; il est donc clair qu’on ne veut pas dire que cette libido transmet le péché originel à la descendance, pas davantage que celle qui est le plaisir désordonné de la sensualité : en effet, même si le rapport sexuel de certains était par miracle purifié de tout désordre dans le plaisir, leurs enfants contracteraient néanmoins le péché originel. Aussi est-il clair que la libido entendue dans le troisième sens est la cause du péché originel. En effet, tout ce qui engendre engendre un semblable par nature. Puisque la condition de la nature humaine déchue de la justice originelle est telle qu’existe en elle un désordre des puissances de l’âme, il est clair qu’une telle condition persistera dans sa descendance. Et si l’on dit que l’ardeur du rapport sexuel est cause du péché originel, on ne dit pas cela d’elle-même, mais en tant qu’elle est le signe de ce qui en est la cause, car le plaisir désordonné dans le rapport sexuel vient du désordre des puissances [de l’âme], comme un signe et un effet qui en révèlent la cause.

[6208] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod illa infectio quae est in semine, sicut non habet rationem culpae, proprie loquendo, ante infusionem animae, ita nec poenae: oportet enim esse idem subjectum culpae et poenae; et ideo sicut in rebus irrationalibus non proprie est poena, quae de se ordinem ad culpam habet, ita etiam nec in semine poena potest esse; sed est defectus quidam, inquantum similitudo naturae generantis in semine virtualiter manet, per modum etiam quo lepra in semine leprosi non est aegritudo. Si tamen poena esset, posset esse causa culpae, non inquantum hujusmodi, sed secundum quod ex culpa causatur: virtus enim causae manet in effectu; unde quia per peccatum primi hominis ista infectio consecuta est in tota natura humana, ideo ubi invenitur subjectum susceptivum culpae, habet rationem culpae in actu, sicut in puero jam nato; ubi vero hoc non invenitur, manet in tali infectione virtus culpae, ut sic causa culpae esse possit.

4. De même que l’infection qui se trouve dans la semence n’a pas à proprement parler raison de faute avant l’infusion de l’âme, de même n’a-t-elle pas [raison] de peine. En effet, le sujet de la faute et de la peine doit être le même. C’est pourquoi, de même que, chez les êtres sans raison, il n’y a pas à proprement parler de peine, laquelle a par elle-même un ordre à la faute, de même aussi ne peut-il pas y avoir de peine pour la semence, mais une certaine carence, dans la mesure où la ressemblance de la nature de celui qui engendre demeure en puissance dans la semence, à la manière dont la lèpre, dans la semence d’un lépreux, n’est pas une maladie. Toutefois, s’il y avait une peine, elle pourrait être cause d’une faute, non pas en tant que telle, mais selon qu’elle est causée par une faute. En effet, la puissance de la cause demeure dans l’effet. Parce que, par le péché du premier homme, cette infection a été encourue par la nature humaine tout entière, là où l’on trouve un sujet capable de recevoir la faute, elle a raison de faute en acte, comme chez l’enfant qui n’est pas encore né. Mais là où cela ne se trouve pas, la puissance de la faute demeure dans une telle infection, de sorte qu’elle peut être cause de la faute.

[6209] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod cum peccatum originale, per se loquendo, sit naturae vitium, non potest causari per id quod est personae per se, sed solum per id quod naturae debetur. Conservatio autem conjunctionis corporis ad animam, pertinet specialiter ad esse hujusmodi personae in natura humana subsistentis; et ideo talis conjunctio infectionem originalis peccati non facit in anima, nisi adjungatur aliquid quod per se ad naturam pertineat; et hoc est actus generationis, qui per se naturae conservandae debetur: et ideo ex concupiscentia quae remanet post Baptismum non inficitur iterato anima illius qui baptizatus est, sed per generationem in filium suum traducitur, ut in originali nascatur.

5. Puisque, à parler en soi, le péché originel, est un vice de la nature, il ne peut être causé par ce qui relève par soi de la personne, mais seulement par ce qui revient à la nature. Or, la conservation de l’union du corps à l’âme relève d’une manière particulière de l’acte d’être de la personne qui subsiste dans la nature humaine. C’est pourquoi une telle union ne cause pas l’infection du péché originel dans l’âme, à moins que n’y soit joint quelque chose qui relève de la nature par elle-même ; et cela est l’acte de la génération, qui est destiné par soi à la conservation de la nature. C’est pourquoi l’âme de celui qui a été baptisé n’est pas de nouveau infectée par la concupiscence qui demeure après le baptême, mais celle-ci est transmise par génération à son fils, de sorte que celi-ci naît avec le [péché] originel.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum sit necesse omnes homines nasci in peccato originali

Article 2 – Est-il nécesssaire que tous les hommes naissent avec le péché originel ?

[6211] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non sit necesse omnes homines in peccato originali nasci. Baptismus enim reddit regeneratis per ipsum, hoc quod per Adam perditum fuit; quia donum Christi excedit delictum Adae, ut dicitur Rom. 5. Sed si Adam non peccasset, homines in peccato originali filios non generassent. Ergo et homines baptizati in filios peccatum originale non transmittunt.

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire que tous les hommes naissent avec le péché originel. En effet, le baptême rend par lui-même, à ceux qui sont régénérés, ce qui a été perdu par Adam, car le don du Christ dépasse la faute d’Adam, comme il est dit en Rm 5. Or, si Adam n’avait pas péché, les hommes n’auraient pas engendré des fils avec le péché originel. Donc, les hommes baptisés ne transmettent pas le péché originel à leurs fils.

[6212] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, mors est poena originali peccato debita. Ergo ubi non erit mors, ibi non erit originale. Sed Hieronymus ponit quosdam in fine mundi non morituros. Ergo videtur quod illi in originali non nascantur.

2. La mort est une peine due pour le péché originel. Donc, là où il n’y aura pas de mort, il n’y aura pas de péché originel. Or, Jérôme affirme que, à la fin du monde, certains ne mourront pas. Il semble donc que ceux-là ne naissent pas avec le [péché] originel.

[6213] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, sicut Deus ex costa viri mulierem formavit, ita etiam potens est nunc ex digito hominis, vel alio membro, corpus humanum formare. Constat autem quod ille qui sic formatus esset, non descenderet ex Adam secundum rationem seminalem. Cum igitur haec fuerit causa, ut Augustinus, dicit, quare Christus originale non contraxit, quia non fuit in Adam peccante secundum seminalem rationem, videtur quod iste originale non habebit; et ita non est necessarium in omnes originale transire.

3. De même que Dieu a formé la femme à partir d’une côte de l’homme, de même peut-il encore maintenant former le corps humain à partir d’un doigt de l’homme, ou à partir d’un autre membre. Or, il est clair que celui qui aurait été ainsi formé ne descendrait pas d’Adam selon une raison séminale. Puisque, comme le dit Augustin, c’était là la cause pour laquelle le Christ n’a pas contracté le [péché] originel, parce qu’il ne se trouvait pas en Adam selon une raison séminale, il semble donc que celui-ci n’aura pas le péché originel, et ainsi il n’est pas nécessaire que le [péché] originel passe chez tous.

[6214] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, si muliere peccante, quae ante virum peccavit, vir liberi arbitrii remansisset, poterat etiam non peccare. Sed si Adam non peccasset, etiam muliere peccante, non fuissent ex eis homines in originali geniti. Ergo cum hoc fuerit possibile, non est necessarium ut peccatum parentis primae, scilicet Evae, in omnes posteros ejus transeat.

4. Si l’homme, alors que la femme avait péché avant l’homme, avait sauvegardé son libre arbitre, il aurait pu encore ne pas pécher. Or, si Adam n’avait pas péché, alors même que la femme avait péché, les hommes n’auraient pas été engendrés d’eux avec le péché originel. Puisque cela était possible, il n’est donc pas nécessaire que le péché d’un premier parent, celui d’Ève, passe à ses descendants.

[6215] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, ut Augustinus dicit in littera, concupiscentia libidinis quae est in actu coitus, originale peccatum causat. Sed qualitercumque sumatur concupiscentia, potens est Deus ab ea hominem liberare per miraculum. Ergo contingit aliquem sine peccato originali nasci.

5. Comme Augustin le dit dans le texte, la concupiscence de la libido, qui existe dans l’acte de l’union sexuelle, cause le péché originel. Or, quelle que soit la manière d’entendre la concupiscence, Dieu peut en libérer un homme par miracle. Il arrive donc que quelqu’un naisse sans le péché originel.

[6216] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra est quod apostolus Rom. 5, 12, dicit: peccatum in omnes homines transit.

Cependant, [1] l’Apôtre dit en sens contraire, Rm 5, 12 : Le péché passe dans tous les hommes.

[6217] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, ille qui non est peccato obnoxius, redemptione non indiget. Si ergo esset aliquis qui non in peccato originali nasceretur, praeter Christum, inveniretur aliquis qui redemptione facta per Christum non indigeret; et sic Christus non esset caput omnium hominum, quod non est conveniens secundum fidem. Ergo nec ponere quod aliquis sine peccato originali nasci possit.

[2] Celui qui n’est pas coupable de péché n’a pas besoin de rédemption. Si donc il y avait quelqu’un qui ne serait pas né avec le péché originel, à part le Christ, il se trouverait quelqu’un qui n’aurait pas besoin de la rédemption accomplie par le Christ, et ainsi le Christ ne serait pas la tête de tous les hommes, ce qui n’est pas conforme à la foi. Donc, [il n’est pas non plus conforme à la foi] d’affirmer que quelqu’un puisse naître sans le péché originel.

[6218] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod necessarium est omnes qui ex Adam generantur per viam coitus, peccatum originale trahere. Cujus ratio ex dictis accipi potest. Ad esse enim originalis duo concurrunt, scilicet defectus quidam, principia naturae humanae consequens; et iterum quod fuerit in potestate naturae ut isto defectu careret vel non, sine quo ratio culpae in hoc defectu non esset. Utrumque autem necessarium est inveniri in illis qui ex Adam per modum dictum generantur. Si enim defectus ille non traduceretur, non posset contingere nisi per hoc quod natura generantis perfecte reintegrata esset; non enim potest contingere ut virtute naturae deficientis aliquid in natura non deficiens generetur. Natura vero humana in statu hujus viae non reintegratur quantum ad id quod naturae est, etsi per gratiam reintegratur quantum ad hoc quod ad personam pertinet; sed in futuro perfecte reintegrabitur in beatis. Unde oportet quod secundum totum decursum hujus vitae, defectus iste ex parentibus in filios propagetur. Similiter etiam et ratio voluntarii, quae culpam causabat in natura, in omnes homines qui ab Adam naturam accipiunt, transit. Erat enim, ut supra dictum est, tali conditione sibi justitia originalis concessa, ut omnes qui ab eo naturam humanam acciperent, simul cum natura et justitiam consequerentur; unde quod illi qui ab ipso nati sunt, tali justitia careant, ex voluntate ipsius Adae consecutum est; unde ratio voluntarii in omnes qui ab eo naturam humanam accipiunt, simul cum defectu transit; et quia genitum naturam recipit a generante, et patiens ab agente; ideo omnes qui cesecundum seminalem rationem, quae est virtus activa, ab Adam descendunt, oportet quod in culpa originali nascantur.

Réponse. Tous ceux qui sont engendrés d’Adam par voie d’union sexuelle contractent nécessairement le péché originel. La raison peut en être saisie à partir de ce qui a été dit. Deux choses concourent à l’existence du [péché] originel : une carence, qui découle des principes de la nature humaine, et le fait qu’il était au pouvoir de la nature d’être ou non dépourvue de cette carence, sans laquelle la raison de faute n’existerait pas dans cette carence. Or, les deux choses se trouvent nécessairement chez ceux qui sont engendrés d’Adam de la manière qui a été dite. En effet, si cette carence n’était pas transmise, ce ne pourrait être que parce que la nature de celui qui engendre aurait été parfaitement rétablie, car il ne peut arriver que, par la puissance d’une nature qui a une carence, quelque chose qui n’a pas de carence par nature soit engendré. Or, la nature humaine n’est pas rétablie dans l’état du présent cheminement pour ce qui est de la nature, même si, par la grâce, elle est rétablie pour ce qui se rapporte à la personne ; mais elle sera rétablie à l’avenir chez les bienheureux. Il est donc nécessaire que, pendant tout le cours de cette vie, cette carence soit transmise des parents aux enfants. De même, la raison de volontaire, qui causait la faute dans la nature, est-elle transmise à tous les hommes qui reçoivent d’Adam leur nature. En effet, comme on l’a dit plus haut, la justice originelle lui avait été accordée dans une condition telle, que tous ceux qui recevraient de lui la nature humaine obtiendraient la justice en même temps que la nature. Que ceux qui sont nés de lui soient privés de cette justice, cela a découlé de la volonté d’Adam lui-même. Aussi la raison de volontaire passe-t-elle à tous ceux qui reçoivent de lui la nature humaine, en même temps que la carence ; et parce que ce qui est engendré reçoit sa nature de ce qui engendre, et le patient de l’agent, c’est pourquoi tous ceux qui descendent d’Adam selon une raison séminale, qui est une puissance active, naissent nécessairement avec la faute originelle.

[6219] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod redemptio Christi totum nobis reddit quod in Adam perdidimus; non tamen simul, sed unumquodque tempore suo: non enim per Christum in primum statum innocentiae perducimur, ut simus immortales in hac vita, sicut et Adam fuit; sed hoc per Christum in patria consequi speramus: et ideo per Baptismum et alia sacramenta quae ex passione Christi virtutem sortiuntur, expurgatur homo quantum ad id quod personae est, et etiam quantum ad naturam in his quae personae sunt comparata, ut ipse homo in actibus personalibus peccato non serviat; sed non quantum ad naturam in his quae per se naturae debentur; et ideo oportet ut per actum etiam naturae infectio originalis in prolem transeat, quamvis etiam pater sit a culpa originali immunis, secundum quod ad personam suam spectat. Sicut enim peccatum originale quilibet trahit particulari generatione sua, et non per generationem patris sui; ita etiam oportet quod et mundationem suam consequatur per specialem regenerationem suam; et non per hoc quod pater suus regeneratus est.

1. La rédemption du Christ nous a rendu tout ce que nous avions perdu en Adam ; cependant, pas d’un seul coup, mais chaque chose en son temps. En effet, nous ne sommes pas amenés par le Christ au premier état d’innocence, de sorte que nous soyons immortels en cette vie, comme l’était Adam ; mais nous espérons obtenir cela par le Christ dans la patrie. C’est pourquoi, par le baptême et par les autres sacrements, qui tirent leur puissance de la passion du Christ, l’homme est purifié dans sa personne. Il l’est aussi pour ce qui, à l’intérieur de sa nature, est lié à la personne, de sorte que l’homme lui-même ne serve pas le péché par ses actes personnels ; mais il ne l’est pas dans sa nature pour ce qui revient de soi à la nature. C’est pourquoi l’infection originelle est nécessairement transmise à la descendance par un acte de la nature, bien que le père soit exempt de la faute originelle, pour ce qui concerne sa personne. En effet, de même que tous contractent le péché originel par leur génération particulière, et non par la génération de leur père, de même aussi est-il nécessaire qu’ils obtiennent leur purification par leur régénération particulière, et non du fait que leur père a été régénéré.

[6220] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod hoc non conceditur ab omnibus, quod aliqui in fine mundi inveniantur qui non moriantur; immo Augustinus et Ambrosius contrarium dicunt, et dictum Hieronymi Magister exponit in 43 dist. 4 libri hoc modo, quod dicantur illi qui invenientur vivi, non mori, ex eo quod statim resurgent, et mors eorum brevissimo tempore erit. Si tamen detur quod non morientur, non sequitur quod sine culpa originali nascantur. Hoc enim ex speciali dispensatione Dei agetur ut hanc poenam remittat ex sua liberalitate; quia voluntas et potestas ejus non est subdita ordini culpae ad poenam, sicut nec ordini naturalis causae ad effectum: potest enim facere, et facit quandoque Deus ut ignis non comburat, ut in tribus pueris patet, Daniel. 3; unde non est inconveniens, si faciat ut nati in originali non moriantur: et praecipue cum mori in actu non sit directe poena originali respondens, sed necessitas moriendi. Illi autem homines necessitatem moriendi in natura sua habebunt; sed hac positione facta, ab hac necessitate naturae per specialem gratiam liberabuntur, sicut necesse est secundum causas inferiores ignem comburere, a qua tamen necessitate pueri in camino per gratiam liberati sunt.

2. Tous ne concèdent pas que certains se trouveront à la fin du monde sans avoir à mourir. Bien plus, Augustin et Ambroise disent le contraire, et le Maître explique ainsi la parole de Jérôme dans le livre IV, d. 43 : on dit que ceux qui se retrouveront vivants ne mourront pas parce qu’ils ressusciteront aussitôt, et que leur mort ne durera qu’un temps très court. Toutefois, si l’on admet qu’ils ne mourront pas, il n’en découle pas qu’ils naissent sans le péché originel. En effet, la remise de cette peine en vertu de sa libéralité résultera d’une disposition spéciale de Dieu, car sa volonté et sa puissance ne sont pas soumises à l’ordre qui existe entre la faute et la peine, pas davantage qu’à l’ordre qui existe entre une cause naturelle et son effet. Dieu peut ainsi faire en sorte et il fait parfois en sorte que le feu ne brûle pas, comme cela est clair pour les trois enfants, Dn 3. Il n’est donc pas inapproprié qu’il fasse en sorte que ceux qui sont nés avec le péché originel ne meurent pas, surtout que mourir en acte n’est pas directement une peine qui répond au péché originel, mais la nécessité de mourir. Or, ces hommes auront par leur nature la nécessité de mourir. Mais, une fois qu’on a affirmé cela, ils seront libérés de cette nécessité de nature par une grâce spéciale, de même qu’il est nécessaire que le feu brûle selon les causes inférieures, mais que les enfants dans la fournaise ont cependant été par grâce libérés de cette nécessité.

[6221] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod si aliquis divina virtute ex digito formaretur, originale non haberet; haberet nihilominus omnes defectus quos habent qui in originali nascuntur, tamen sine ratione culpae: quod sic patet. Poterat Deus a principio quando hominem condidit, etiam alium hominem ex limo terrae formare, quem in conditione naturae suae relinqueret, ut scilicet mortalis et passibilis esset, et pugnam concupiscentiae ad rationem sentiens; in quo nihil humanae naturae derogaretur, quia hoc ex principiis naturae consequitur. Non tamen iste defectus in eo rationem culpae et poenae habuisset; quia non per voluntatem iste defectus causatus esset. Similiter dico, quod in isto qui ex digito generatur, tales defectus essent, si principiis suae naturae relinqueretur, nisi dominus gratis hoc sibi vellet conferre quod primo homini contulit, nec isti defectus ex voluntate primi hominis procederent quia defectus non causantur ex voluntate primi parentis nisi in eis qui ab eo naturam accipiunt. Non autem aliquis accipit naturam a materia, sed ab agente; unde cum iste sit ab Adam solum materialiter, non autem sicut a principio activo ab eo descendat, constat quod naturam humanam ab eo non accipit, nec culpam originalem per eum incurrit, nec praedictos defectus: et ideo rationem culpae vel poenae non habebunt, cum non comparentur ad voluntatem sicut ad causam.

3. Si, par la puissance divine, quelqu’un était formé à partir d’un doigt, il n’aurait pas le péché originel ; il aurait néanmoins toutes les carences qu’ont ceux qui naissent avec le [péché] originel, mais sans la raison de faute. On peut le montrer ainsi. Dieu pouvait, dès le commencement, lorsqu’il a créé l’homme, former un autre homme à partir du limon de la terre, qu’il aurait laissé dans la condition de sa nature, c’est-à-dire qu’il serait mortel et susceptible de souffrance, et éprouverait le combat entre la concupiscence et la raison. Rien de cela ne dérogerait à la nature humaine, car cela découle des principes de la nature. Toutefois, cette carence n’aurait pas eu chez lui raison de faute et de peine, car cette carence n’aurait pas été causée par sa volonté. De la même façon, je dis que ces carences existeraient chez celui qui est engendré à partir d’un doigt, s’il était laissé aux principes de sa nature, à moins que le Seigneur ne veuille lui conférer gratuitement ce qu’il a conféré au premier homme. Ces carences ne viendraient pas non plus de la volonté du premier homme, car ces carences ne sont causées par la volonté du premier parent que chez ceux qui reçoivent de lui leur nature. Or, on ne reçoit pas sa nature de la matière, mais de l’agent. Puisque celui-ci ne vient d’Adam que pour sa matière et ne descend pas de lui comme d’un principe actif, il est clair qu’il ne reçoit pas de lui la nature humaine, ni n’encourt par lui la faute originelle, ni les carences évoquées. Elles n’auront donc pas raison de faute ni de peine, puisqu’elles ne se comparent pas à la volonté comme à leur cause.

[6222] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod si mulier peccasset, viro non peccante, forte illa in peccato suo mortua fuisset, et Deus viro aliam uxorem providisset. Si tamen ex ea filios genuisset, dicitur, quod illi filii passibilitatem et defectus corporales contraxissent; non autem originalem culpam, et defectus qui sunt ex parte animae. Cujus ratio in evidenti est; quia secundum philosophum in 4 de Animal., cap. 2, corpus non est nisi ex femina; anima autem est ex mari, non ita quod anima rationalis traducatur, sed quia in semine est virtus formativa, per quam in aliis animalibus inducitur anima sensibilis, in homine vero organizatur corpus, et praeparatur ad receptionem animae rationalis. Si autem e converso Adam peccasset, muliere non peccante, filii ex utroque concepti utrumque haberent, et defectus animae et corporis; quia ex defectu animae etiam defectus corporis causantur: deficiente enim priore, necesse est et posterius deficere; sed non convertitur.

4. Si la femme avait péché sans que l’homme ne pèche, peut-être serait-elle morte dans son péché, et Dieu aurait-il fourni une autre épouse à l’homme. Cependant, si elle avait engendré des enfants, on dit que ces enfants auraient contracté la passibilité et les carences corporelles, mais non la faute originelle et les carences du côté de l’âme. La raison de cela est évidente, car, selon le Philosophe, Sur les animaux, 1V, 2, le corps ne vient que de la femme, mais l’âme vient de l’homme, non pas que l’âme raisonnable soit transmise, mais parce qu’il existe une puissance formatrice dans la semence, par laquelle l’âme sensible est transmise chez les autres animaux, alors que, chez l’homme, le corps est organisé et préparé à la réception de l’âme raisonnable. Mais si, au contraire, Adam avait péché sans que la femme ne pèche, ceux qui auraient été conçus à partir des deux auraient les deux choses : les carences de l’âme et celles du corps, car les carences du corps sont aussi causées par les carences de l’âme. En effet, si ce qui précède fait défaut, il est nécessaire que ce qui suit fasse défaut, mais non le contraire.

[6223] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod hoc non posset esse ut concupiscentia habitualis, quae in deordinatione virium animae consistit, tolleretur ex toto, nisi natura penitus reintegraretur: et hoc quidem nulli dubium est quin Deus facere posset: et si hoc fieret, proculdubio geniti sine originali nascerentur.

5. Il ne pourrait arriver que la concupiscence habituelle, qui consiste dans le désordre des puissances de l’âme, soit complètement enlevée, à moins que la nature ne soit entièrement rétablie. Il n’y a pas de doute que Dieu pourrait faire cela, et s’il le faisait, il n’y a pas de doute que ceux qui seraient engendrés naîtraient sans le péché originel.

 

 

QUAESTIO 2

Question 2 – [Le sujet du péché originel]

PROOEMIUM

Prologue

[6224] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 pr.Deinde quaeritur de subjecto originalis peccati; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum originale sit in essentia animae sicut in subjecto, vel in aliqua potentia ejus; 2 utrum generativa prae aliis viribus infecta sit.

On s’interroge ensuite sur le sujet du péché originel. À ce propos, deux questions sont posées : 1. Le [péché] originel se trouve-t-il dans l’âme ou dans l’une de ses puissances comme dans son sujet ? 2. La [puissance] génératrice a-t-elle été infectée plus que les autres puissances ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum peccatum originale sit subjective in aliqua potentia

Article 1 – Le péché originel se trouve-t-il dans une puissance comme dans son sujet ?

[6226] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod originale sit in aliqua potentia sicut in subjecto. Illud enim quod est a corpore absolutum, et immateriale, non unitur corpori nisi mediante aliquo materiali. Sed anima rationalis absoluta est a materia, et immaterialis, ut in 3 de anima philosophus probat. Ergo oportet quod uniatur corpori mediantibus potentiis sensitivae et nutritivae partis, quae sunt materiales, et organis affixae. Sed peccatum originale transit in animam ex hoc quod corpori conjuncta est. Ergo per prius invenitur in potentiis sensitivae et nutritivae partis.

1. Il semble que le [péché] originel se trouve dans une puissance comme dans son sujet. En effet, ce qui est séparé du corps et est immatériel n’est uni au corps que par l’intermédiaire de quelque chose de matériel. Or, l’âme raisonnable est séparée de la matière et immatérielle, comme le Philosophe le prouve, Sur l’âme, III. Il est donc nécessaire qu’elle soit unie au corps par l’intermédiaire des puissances des parties sensible et nutritive, qui sont matérielles, et des organes qui leur sont associés. Or, le péché originel passe dans l’âme du fait qu’elle est unie au corps. Il se trouve donc d’abord dans les puissances des parties sensible et nutritive.

[6227] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 2Praeterea, originale per originem traducitur. Origo autem humanae naturae est per actum generativae potentiae. Ergo in ea primo et principaliter est originale sicut in subjecto, et non in essentia animae.

2. Le [péché] originel est transmis par mode d’origine. Or, l’origine de la nature humaine tient à l’acte de la puissance génératrice. Le péché originel se trouve donc en premier lieu et principalement en elle comme dans son sujet, et non dans l’essence de l’âme.

[6228] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 3Praeterea, concupiscentia, sive habitualiter sive actualiter sumatur, ad vires sensitivas pertinet. Sed in praecedenti distinctione Magister dixit, originale esse concupiscentiam. Ergo est in potentiis illis sicut in subjecto, et non in essentia animae.

3. Qu’elle soit considérée de manière habituelle ou actuelle, la concupiscence relève des puissances sensibles. Or, dans la distinction précédente, le Maître a dit que la concupiscence est le [péché] originel. Celui-ci se trouve donc, comme dans son sujet, dans ces puissances, et non dans l’essence de l’âme,

[6229] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 4Praeterea, sicut Augustinus dicit, omne peccatum in voluntate est. Sed originale peccatum est. Ergo in voluntate est. Voluntas autem potentia est animae. Ergo est in potentia sicut in subjecto.

4. Comme le dit Augustin, « tout péché se trouve dans la volonté ». Or, le [péché] originel est un péché. Il se trouve donc dans la volonté. Or, la volonté est une puissance de l’âme. Il se trouve donc dans une puissance comme dans son sujet.

[6230] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 5Praeterea, poena respondet culpae. Sed poena originalis, scilicet carentia divinae visionis, est in ratione. Ergo et peccatum originale. Ratio autem potentia quaedam est. Ergo originale et cetera.

5. La peine répond à la faute. Or, la peine [du péché] originel, à savoir, la privation de la vision de Dieu, se trouve dans la raison. Donc, le péché originel aussi. Or, la raison est une puissance. Donc, le [péché] originel etc.

[6231] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 1 s. c. 1Sed contra, per originale omnes potentiae animae inficiuntur. Sed potentiae non uniuntur nisi in essentia. Ergo originale per prius essentiam respicit.

Cependant, [1] toutes les puissances ont été infectées par le [péché] originel. Or, les puissances ne sont unies que dans l’essence [de l’âme]. Le [péché] originel concerne donc d’abord l’essence [de l’âme].

[6232] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 1 s. c. 2Praeterea, originale est culpa et infectio naturae. Sed ad naturam per prius comparatur essentia quam potentia; quia essentia est pars essentialis naturae. Ergo in ea originale principaliter est.

[2] Le [péché] originel est une faute et une infection de nature. Or, l’essence se compare d’abord à la nature avant la puissance, car l’essence est une partie essentielle de la nature. [Le péché originel] se trouve donc principalement en elle.

[6233] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod peccatum originale est in essentia animae sicut in subjecto: quod sic patet. Philosophus in 8 Metaphys., ostendit, quod unio formae et materiae non est per aliquod vinculum medium; immo per se unum alteri unitur: alias non esset unio essentialis, sed accidentalis. Anima autem forma corporis est; unde oportet ut ipsa anima uniatur per essentiam suam immediate corpori, ut ex ea et corpore efficiatur unum, sicut etiam ex cera et sigillo, ut in 2 de anima dicitur. Et quia originale causatur in anima ex conjunctione ejus ad tale corpus, prout forma est (sic enim ex utrisque conjunctis talis natura resultat), oportet quod in essentia animae sit primo et principaliter sicut in subjecto originale; in potentiis autem per consequens, sicut et supra de gratia dictum est.

Réponse. Le péché originel se trouve dans l’essence de l’âme comme dans son sujet. Cela ressort de la manière suivante. En Métaphysique, VIII, le Philosophe montre que l’union de la forme et de la matière ne se réalise pas par quelque lien intermédiaire, mais plutôt qu’elles sont unies l’une à l’autre par elles-mêmes ; autrement, il ne s’agirait pas d’une union essentielle, mais accidentelle. Or, l’âme est la forme du corps. Aussi est-il nécessaire que l’âme elle-même soit immédiatement unie au corps par son essence, de sorte qu’une seule chose résulte d’elle et du corps, comme aussi de la cire et du sceau, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Et parce que le [péché] originel est causé dans l’âme en raison de son union au corps, en tant qu’elle [en] est la forme (en effet, cette nature résulte ainsi des deux réalités unies), il est nécessaire que le [péché] originel se trouve en premier et principalement dans l’essence de l’âme comme dans son sujet, mais dans les puissances par mode de conséquence, comme on l’a dit plus haut de la grâce.

[6234] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod anima rationalis potest comparari ad corpus ut motor, secundum quod est principium aliquorum operum, et ut forma. Si primo modo, cum actus quarumdam potentiarum inveniantur sine instrumentis corporalibus exerceri, aliarum vero cum corporeis instrumentis; oportet illas potentias quae in sua actione organo corporali non indigent, scilicet intellectivas, mediantibus sensitivis corpus movere, sicut plane in 3 de anima ostenditur, quod ab appetitu intellectus non sequitur motus, nisi mediante appetitu sensus: et sic verum est quod anima rationalis unitur corpori mediantibus viribus sensitivae partis. Si vero consideretur inquantum est forma, sic immediate corpori unitur; quia esse quod est actus formae conjuncti, est ex anima et corpore; originale autem non transit in animam secundum quod conjungitur corpori ut motor, sed secundum quod conjungitur sibi ut forma: quia sic humanam naturam constituit.

1. L’âme raisonnable peut être comparée au corps comme un moteur, selon qu’elle est le principe de certaines actions, et comme une forme. Si [elle est comparée] de la première façon, puisque les actes de certaines puissances sont exercés sans instruments corporels, mais d’autres, par des instruments corporels, il est nécessaire que les puissances qui n’ont pas besoin d’organe corporel pour leur action, les puissances intellectuelles, meuvent le corps par l’intermédiaire des puissances sensibles, comme on montre clairement, Sur l’âme, III, qu’un mouvement ne découle de l’appétit de l’intellect que par l’intermédiaire de l’appétit du sens. Il est ainsi vrai que l’âme raisonnable est unie au corps par l’intermédiaire des puissances de la partie sensible. Mais si [l’âme raisonnable] est considérée envisagée comme forme, elle est ainsi unie au corps de manière immédiate, car l’acte d’être, qui est l’acte de la forme de ce qui est uni, vient de l’âme et du corps. Or, le [péché] originel ne passe pas dans l’âme selon qu’elle est unie au corps comme un moteur, mais selon qu’elle lui est unie comme [sa] forme, car c’est ainsi qu’elle constitue la nature humaine.

[6235] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod hoc modo per actum generativae virtutis originale traducitur, sicut et natura humana; unde sicut non oportet quod principalitas humanae naturae in potentia generativa consistat, ita nec quod ipsa sit primum subjectum originalis, sed magis essentia animae, quae naturam humanam integrat et constituit.

2. Le [péché] originel est transmis par l’acte de la puissance génératrice comme l’est la nature humaine. De même qu’il n’est pas nécessaire que ce qui est principal dans la nature humaine se trouve dans la puissance génératrice, de même aussi [ne l’est-il] pas qu’elle soit elle-même le premier sujet du [péché] originel, mais que ce soit plutôt l’essence de l’âme, qui établit et constitue la nature humaine.

[6236] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod, ut supra dictum est, concupiscentia non est totum esse culpae originalis, sed solum id quod materiale in originali est; quod vero in eo formale est, ex parte voluntatis attenditur; et ideo in viribus superioribus et inferioribus simul originale salvatur: et hoc non posset esse, nisi per hoc quod defectus et infectio primo in essentia animae invenitur, quae utrarumque potentiarum principium est, ut sic ex ea in omnes potentias corruptio originalis transeat.

3. Comme on l’a dit plus haut, la concupiscence n’est pas la totalité de l’être de la faute originelle, mais seulement ce qui est matériel dans le [péché] originel. Mais ce qui est formel en lui se prend du point de vue de la volonté. C’est pourquoi le [péché] originel se trouve en même temps dans les puissances supérieures et inférieures. Et cela n’est possible que parce que la carence et l’infection se trouvent premièrement dans l’essence de l’âme, qui est le principe des deux puissances, de sorte que la corruption du [péché] originel passe dans toutes les puissances à partir d’elle.

[6237] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod peccatum omne in voluntate est sicut in causa; non tamen semper est in ea sicut in subjecto, cum etiam concupiscibilis et irascibilis subjectum peccati esse possit; et hoc modo etiam originale in voluntate est sicut in causa, quia ex voluntate primi parentis in omnes transivit.

4. Tout péché se trouve dans la volonté comme dans sa cause ; cependant, il ne se trouve pas toujours en elle comme dans son sujet, puisque les [parties] concupiscible et irascible peuvent aussi être le sujet du péché. Le [péché] originel se trouve ainsi dans la volonté comme dans sa cause, car il est passé chez tous à partir de la volonté du premier parent.

[6238] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod per visionem Dei non solum ipsa ratio glorificatur, sed etiam totus homo; unde carentia divinae visionis non est poena tantum rationis, sed totius hominis. Neque oportet quod sicut divina visio est primo in potentia rationis, ita et originale in potentia primo existat: quia originale consequitur naturam: sed beatitudo animae in operatione quadam consistit: operatio autem potentiae debetur, sed natura essentiam respicit: et praeterea ad visionem beatam anima pervenire non potest sine lumine gratiae, cujus subjectum est essentia, ut supra, 26 dist., dictum est.

5. Par la vision de Dieu, non seulement la raison elle-même est-elle glorifiée, mais aussi l’homme tout entier. Aussi la carence de la vision de Dieu n’est-elle pas une peine pour la seule raison, mais encore pour l’homme tout entier. Il n’est pas non plus nécessaire que, puisque la vision de Dieu se trouve d’abord dans la puissance de la raison, le [péché] originel aussi se trouve d’abord dans la puissance [de la raison], car le [péché] originel découle de la nature. Or, la béatitude de l’âme consiste dans une opération, et l’opération revient à une puissance, alors que la nature concerne l’essence. De plus, l’âme ne peut parvenir à la vision bienheureuse sans la lumière de la grâce, dont le sujet est l’essence [de l’âme], comme on l’a dit dans la d. 26.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum potentia generativa sit magis infecta aliis potentiis

Article 2 – La puissance génératrice a-t-elle été infectée davantage que les autres puissances ?

[6240] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod generativa non sit prae aliis viribus infecta. Illud enim quod non est aliqualiter obediens rationi, non potest virtute perfici, vel culpa inquinari. Sed potentia generativa est hujusmodi. Ergo in ea infectio peccati esse non potest.

1. Il semble que la [puissance] génératrice n’ait pas été plus infectée que les autres pouissances. En effet, ce qui n’obéit pas à la raison de quelque manière ne peut être perfectionné par la vertu ou souillé par la faute. Or, la puissance génératrice est de ce genre. L’infection du péché ne peut donc exister en elle.

[6241] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 2Praeterea, potentiae infectae non contingit esse actum sine peccato. Sed actum generativae virtutis sine peccato esse contingit, ut patet in actu matrimoniali. Ergo generativa infectione peccati infecta non est.

2. Il ne se peut pas que l’acte d’une puissance infectée soit sans péché. Or, il arrive que l’acte de la puissance génératrice soit sans péché, comme cela ressort dans l’acte conjugal. La [puissance] génératrice n’a donc pas été infectée par l’infection du péché.

[6242] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 3Praeterea, infectio originalis peccati est per fomitem. Fomes autem est in sensualitate. Ergo et infectio in ea principaliter est, et non in generativa.

3. L’infection du péché originel se manifeste par la fomentation. Or, le désir désordonné se trouve dans la sensualité. L’infection se trouve donc aussi principalement en elle, et non dans la [puissance] génératrice.

[6243] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 4Praeterea, infectio peccati est in eo quod est subjectum peccati. Sed subjectum originalis est essentia animae, et non potentia, ut dictum est. Ergo in ea est infectio, et non in generativa.

4. L’infection du péché se trouve dans ce qui est le sujet du péché. Or, le sujet du [péché] originel est l’essence de l’âme, et non une puissance, comme on l’a dit. L’infection se trouve donc en elle, et non dans la [puissance] génératrice.

[6244] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 5Praeterea, nutritiva, augmentativa et generativa ad eamdem partem animae pertinent, idest vegetabilem. Sed nutritiva non ponitur infecta originali peccato; nec iterum in augmentativa aliquod peccatum ponitur. Ergo nec generativa debet dici prae aliis viribus specialiter infecta.

5. Les [puissances] de nutrition, de croissance et de génération relèvent de la même partie de l’âme : la [partie] végétative. Or, on n’affirme pas que la puissance de nutrition est infectée par le péché originel ; on n’affirme pas non plus qu’un péché se trouve dans la puissance de croissance. On ne doit donc pas non plus dire que la puissance de génération a été infectée plus que les autres.

[6245] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 s. c. 1Sed contra, infectio originalis consistit in resistentia carnis ad animam. Haec autem resistentia praecipue in actu generativae sentitur. Ergo ipsa maxime infecta est.

Cependant, [1] l’infection du péché originel consiste dans la résistance de la chair à l’âme. Or, cette résistance est principalement ressentie dans l’acte de la puissance génératrice. Elle surtout est donc infectée.

[6246] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 s. c. 2Praeterea, illud quod est causa alicujus, maxime participat illud. Sed generativa est causa infectionis originalis, quia per actum ejus traducitur. Ergo ipsa maxime infecta est.

[2] Ce qui est cause de quelque chose y participe le plus. Or, la puissance génératrice est la cause de l’infection du péché originelle, car celle-ci est transmise par l’acte de celle-là. Elle surtout a donc été infectée.

[6247] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod infectio originalis peccati tribus attribuitur: quia inter partes animae, attribuitur generativae; et inter sensus, tactui; et inter vires appetitivas attribuitur concupiscibili. Cujus est ratio, quia originale peccatum est naturae, ut dictum est; unde infectio ejus ad illas potentias principaliter pertinet quae aliquem ordinem habent ad actum quo natura traducitur. Actus autem ille duo habet, scilicet substantiam actus, et delectationem. Delectatio autem ad sensum tactus pertinet. Substantia vero actus virtuti generativae attribuitur sicut exequenti, sed virtuti concupiscibili sicut imperanti, quia ejus est tendere in id quod est conveniens et delectabile secundum sensum: et ideo diversis rationibus his tribus viribus talis infectio praecipue ascribitur.

Réponse. L’infection du péché originel est attribuée à trois choses : parmi les parties de l’âme, elle est attribuée à la puissance génératrice ; parmi les sens, au toucher ; et, parmi les puissances appétitives, elle est attribuée au concupiscible. La raison en est que le péché originel est [un péché] de nature, comme on l’a dit. Son infection relève donc principalement des puissances qui ont un rapport avec l’acte par lequel la nature est transmise. Or, cet acte comporte deux choses : la substance de l’acte et un plaisir. Or, le plaisir concerne le sens du toucher. Par ailleurs, la substance de l’acte est attribuée à la puissance génératrice en tant qu’elle exécute, mais à la puissance concupiscible en tant qu’elle ordonne, car il relève d’elle de tendre vers ce qui convient et est délectable selon le sens. C’est pourquoi une telle infection est attribuée pour des raisons différentes à ces trois puissances.

[6248] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod peccatum actuale, quod consistit in actu ejus qui peccat, et voluntate, non potest esse in illa parte quae rationi non obedit; nihil tamen prohibet quin in illa parte quae principium naturalis operationis est, infectio naturae salvetur. Sciendum tamen est, quod etiam actuale peccatum in generativa esse dicitur, non quidem sicut in subjecto, sed materialiter, inquantum scilicet concupiscibilis actum generativae imperat.

1. Le péché actuel, qui réside dans un acte et dans la volonté de celui qui pèche, ne peut se trouver dans une partie de l’âme qui n’obéit pas à la raison. Cependant, rien n’empêche que l’infection de la nature continue d’exister dans la partie qui est le principe d’une opération naturelle. Il faut toutefois savoir qu’on dit du péché actuel qu’il se trouve dans la puissance génératrice, non pas comme dans son sujet, mais de manière matérielle, à savoir, dans la mesure où la puissance concupiscible ordonne l’acte de la puissance génératrice.

[6249] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod infectio generativae est infectio naturae; unde non oportet quod ex ea relinquatur infectio peccati per actum ejus in persona generante, sed solum in persona generata.

2. L’infection de la puissance génératrice est une infection de nature. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’à partir d’elle, soit laissée l’infection du péché par son acte chez la personne qui engendre, mais seulement chez la personne engendrée.

[6250] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod in sensualitate etiam est infectio, inquantum ordinat et disponit actus generativae; sed in generativa est immediate, secundum quod ipsa est immediatum principium traductionis naturae. Sed verum est quod infectio fomitis in sensualitate principalius ostenditur, secundum quod infectio naturae redundat in infectionem personae per actuales concupiscentias.

3. Une infection se trouve aussi dans la sensualité pour autant qu’elle commande et ordonne les actes de la puissance génératrice ; mais elle se trouve de manière immédiate dans la puissance génératrice en tant qu’elle est le principe immédiat de la transmission de la nature. Mais il est vrai que l’infection de la fomentation se manifeste principalement dans la sensualité, pour autant que l’infection de nature rejaillit sur l’infection de la personne par des concupiscences actuelles.

[6251] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod infectio est in essentia animae sicut in primo subjecto, sed in generativa sicut in cujus actu praecipue manifestatur; essentia enim non est principium actus nisi mediante aliqua potentia; unde sic ex infectione actus non dicitur essentia esse infecta, sicut hic de infectione loquimur.

4. L’infection se trouve dans l’essence de l’âme comme dans son premier sujet, mais dans la puissance génératrice comme dans l’acte où elle se manifeste principalement. En effet, l’essence n’est principe d’un acte que par l’intermédiaire d’une puissance ; aussi ne dit-on pas que l’essence a été infectée par l’infection d’un acte, au sens où nous parlons ici d’infection.

[6252] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod generativae ascribitur et originalis et actualis peccati infectio. Originalis quidem, inquantum est principium actus naturalis, quo natura traducitur; sed actualis, secundum quod habet aliquos actus exteriores ad generationem ordinatos, qui ad virtutem motivam sensitivam pertinent; et quia nutritiva similiter quosdam tales actus habet, ut apponere cibum ori, masticare, et delectationem sentire, et hujusmodi; ideo sibi etiam actualis infectio attribuitur quasi materialiter, non autem originalis, quia ipsa non est principium illius actus quo natura traducitur, nisi remote, inquantum generativae deservit. Augmentativae vero nulla infectio attribuitur: quia nec ad actum naturalis propagationis ordinatur, nec iterum habet actus exteriores qui per motum sensitivae partis expleantur.

5. L’infection du péché originel et celle du péché actuel sont attribuées à la puissance génératrice : celle du péché originel, pour autant qu’elle est le principe d’un acte naturel, par lequel la nature est transmise ; mais celle du [péché] actuel, pour autant qu’elle comporte certains actes extérieurs ordonnés à la génération, lesquels relèvent de la puissance motrice sensible. Et parce que la puissance nutritive a aussi des actes similaires, comme porter la nourriture à sa bouche, mastiquer et éprouver un plaisir, et ainsi de suite, une infection lui est aussi attribuée pour ainsi dire matériellement, mais non celle du péché originel, car elle n’est pas le principe de l’acte par lequel la nature est transmise, si ce n’est de manière éloignée, pour autant qu’il est au service de la puissance génératrice. Mais aucune infection n’est attribuée à la puissance de croissance, car elle n’est pas ordonnée à l’acte de la propagation naturelle ; elle ne possède pas non plus d’actes extérieurs qui sont accomplis par un mouvement de la partite sensible.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 31

[6253] Super Sent., lib. 2 d. 31 q. 2 a. 2 expos.Ad quod dici potest, quod multiplex defectus carnis, et praecipue pollutio quaedam quam ex fervore coitus parentum et concupiscentia libidinosa contrahit caro dum concipitur, causa est originalis peccati. Sciendum, quod Magister hoc solvit negando utramque partem, scilicet quod illa infectio non est culpa nec poena, sed defectus quidam: et dicitur de fervore coitus parentum causari, non sicut ex per se causa, sed sicut ex signo causae. Quae foeditas major esse videtur in carne concupiscentialiter traducta, quam in ea unde traducitur. Videtur hoc esse falsum: quia sic originale magis abundaret in filio quam in patre. Sed dicendum, quod hoc intelligitur quantum ad istum actum tantum, qui quidem propter concupiscentiam in generante non est nisi infectio poenalis, sed in genito est infectio culpae: non autem major quam fuerit in patre, secundum quod ex alio genitus fuit. In iniquitatibus conceptus sum. Hoc non referendum est ad iniquitatem concipientis (qui sine omni peccato actuali concipere potest), sed ad iniquitatem originalem concepti: quae utrum sit una vel plures, et quare pluraliter dicatur, infra dicetur, 33 distinct.

 

 

 

DISTINCTIO 32

Distinction 32 – [La remise du péché originel par le baptême]

 

 

QUAESTIO 1

Question 1 – [La faute originelle est-elle remise par le baptême ?]

[6254] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 pr.Postquam ostendit qualiter originale peccatum trahatur a parentibus, hic ostendit qualiter per Baptismum dimittatur; et dividitur in partes duas: in prima ostendit, secundum quid originale in Baptismo tollatur et secundum quid maneat; in secunda inquirit, quae sit causa illius concupiscentiae quae per Baptismum non tollitur, sed post Baptismum manet, ibi: praeterea solet quaeri, utrum concupiscentia quae per Baptismum remanet (...) ex Deo auctore sit, vel ex alio. Prima dividitur in duas: in prima ostendit quomodo per Baptismum originale remittatur quantum ad animam; in secunda inquirit, utrum etiam purgetur homo a foeditate carnis, ibi: solet quaeri, utrum ipsa caro in Baptismo ab illa foeditate purgetur quam in conceptione ex concupiscentia libidinosa contraxit. Prima dividitur in tres: in prima movet dubitationem; in secunda ponit solutionem, ostendens quod duobus modis originale dicitur, ibi: sed licet remaneat concupiscentia post Baptismum, non tamen dominatur et regnat sicut ante; in tertia modos magis explicat et auctoritatibus confirmat, ibi: duplici ergo ratione peccatum originale dicitur dimitti in Baptismo. Et primo ostendit quod originale peccatum per Baptismum solvi dicitur, inquantum reatus ejus tollitur; secundo quod solvi dicitur, inquantum concupiscentia ipsa mitigatur, ibi: deinde idem ipse ostendit, eo modo etiam dimitti in Baptismo quia Baptismi gratia concupiscentia ipsa mitigatur. Praeterea solet quaeri, utrum concupiscentia quae post Baptismum remanet (...) ex Deo auctore sit, vel ex alio. Hic inquirit, utrum concupiscentiae remanentis post Baptismum Deus sit causa, et concupiscentia illa simul cum reatu et infectione maculae trahatur; ideo circa hoc tria facit: primo inquirit, utrum illius concupiscentiae Deus sit auctor; secundo inquirit, utrum divinae justitiae hoc conveniens sit, ut pro peccato parentis, natus reatum poenae incurrat, ibi: solet etiam quaeri, qua justitia teneatur illo peccato anima innocens a Deo creata; tertio inquirit, quomodo divinam sapientiam deceat ut ejus opus, scilicet anima, statim in sua creatione inficiatur, ibi: si vero quaeritur et cetera. Circa secundum duo facit: primo determinat principalem quaestionem: et quia reatus sequitur voluntarium in peccato, sine quo nullus ad poenam obligatur, ideo secundo ostendit quomodo originale peccatum necessarium et voluntarium dici possit, ibi: illud etiam non immerito quaeri potest. Circa tertium tria facit: primo ostendit quomodo divinam sapientiam deceat hoc quod anima statim macula originali inficitur ex corporis sui conjunctione; secundo inquirit, utrum anima aliquando in sui puritate permaneat, qualem Deus creavit, an statim in primordio suae creationis maculetur, ibi: hoc a quibusdam quaeri solet; tertio inquirit, supposito quod non, utrum una anima alteri ex ipsa sui creatione in bonitate naturali praeferatur, ibi: illud ergo non incongrue quaeri solet. Hic est duplex quaestio. Primo, quomodo per Baptismum originale divinitus tollatur. Secundo, de causa ejus, utrum etiam similiter divinitus hoc sit quod homo originale incurrat. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum culpa originalis per Baptismum solvatur; 2 utrum poena originalem culpam consequens post Baptismum remaneat; 3 utrum originalis concupiscentia in quibusdam major, et in quibusdam minor inveniatur.

Après avoir montré comment le péché originel est reçu des parents, [le Maître] montre ici comment il est remis par le baptême. Il y a deux parties. Dans la première, il montre en quoi le [péché] originel est enlevé dans le baptême et en quoi il demeure ; dans la seconde, il s’enquiert de la cause de la concupiscence, qui n’est pas enlevée par le baptême, mais demeure après le baptême, à cet endroit : « De plus, on a coutume de se demander si la concupiscence qui demeure après le baptême… vient de Dieu comme auteur ou d’uun autre. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il montre comment le péché originel est remis par le baptême pour ce qui est de l’âme ; dans la seconde, il se demande si l’homme est aussi purifié de la souillure de la chair, à cet endroit : « On a coutume de se demander si, par le baptême, la chair elle-même est purifiée de la souillure qu’elle a contractée lors de la conception en raison d’une concupiscence libidineuse. » La première [partie] se divise en trois : dans la première, il soulève un doute ; dans la deuxième, il propose une solution, en montrant qu’on parle de [péché] originel de deux manières, à cet endroit : « Mais bien que la concupiscence demeure après le baptême, elle ne domine cependant pas, ni ne règne comme auparavant » ; dans la troisième, il explique davantage les modes et il confirme par des autorités, à cet endroit : « On dit donc, pour deux raisons, que le péché originel est remis par le baptême. » Premièrement, il montre qu’on dit du péché originel qu’il est remis par le baptême pour autant que la faute est enlevée ; deuxièmement, on dit qu’il est remis pour autant que la concupiscence elle-même est atténuée, à cet endroit : « Ensuite, le même montre lui-même que [le péché originel] est aussi remis par le baptême parce que la grâce du baptême atténue la concupiscence. » « De plus, on a coutume de se demander si la concupiscence qui demeure après le baptême… a Dieu comme auteur ou un autre. » Ici, il recherche si Dieu est la cause de la concupiscence qui demeure après le baptême, et si cette concupiscence est reçue en même temps que la faute et que l’infection de la souillure. C’est pourquoi il demande trois choses à ce sujet. Premièrement, Dieu est-il l’auteur de cette concupiscence ? En deuxième lieu, il demande s’il convient à la justice divine qu’un enfant encoure la dette de la peine à cause du péché d’un parent, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander en vertu de quelle justice une âme innocente créée par Dieu est tenue d’encourir ce péché. ». Troisièmement, il cherche comment il sied à la sagesse divine que son œuvre, l’âme, soit infectée dès sa création, à cet endroit : « Mais si on se demande, etc. » À propos du deuxième point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la question principale ; et parce que la dette découle de ce qui est volontaire dans le péché, sans quoi personne n’est obligé à une peine, il montre, en deuxième lieu, comment le péché originel peut être dit nécessaire et volontaire, à cet endroit : « On peut aussi s’interroger à juste titre… » À propos du troisième point, il fait trois choses : premièrement, il montre comment il convient à la sagesse divine que l’âme soit infectée par la souillure originelle aussitôt après son union à son corps ; deuxièmement, il se demande si l’âme demeure à un certain moment dans sa pureté, telle que Dieu l’a créée, ou si elle est souillée dès le début de sa création, à cet endroit : « Certains ont coutume de se demander… » ; troisièmement, il demande si, en supposant que non, une âme est préférée à une autre par sa création, même pour la bonté naturelle, à cet endroit : « Il n’est donc pas saugrenu qu’on ait coutume de se demander… » Ici, il y a une double question. Premièrement, comment le péché originel est-il enlevé par Dieu par le baptême ? Deuxièmement, à propos de sa cause, est-ce par [la volonté] divine que l’homme l’encourt ? À propos du premier point, trois questions sont posées : 1. La faute originelle est-elle remise par le baptême ? 2. La peine qui découle de la faute originelle demeure-t-elle après le baptême ? 3. La concupiscence du [péché] originel est-elle plus grande chez certains et moins grande chez d’autres ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum peccatum originale tollatur per Baptismum

Article 1 – Le péché originel est-il remis par le baptême ?

[6256] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod per Baptismum originalis culpa non tollatur. Privatio enim non tollitur, nisi habitus oppositus restituatur. Sed originalis justitia, cujus privatio est originale peccatum, per Baptismum non restituitur, cum non remaneat debitus ordo inferiorum virium ad rationem. Ergo nec originale peccatum per Baptismum tollitur.

1. Il semble que la faute originelle ne soit pas enlevée par le baptême. En effet, une privation n’est enlevée que si l’habitus opposé est restitué. Or, la justice originelle, dont la privation est le péché originel, n’est pas restituée par le baptême, puisque l’ordre nécessaire entre les puissances inférieures et la raison ne demeure pas. Le péché originel n’est donc pas enlevé par le baptême.

[6257] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, in Baptismo est duplex res: una quae est res et signum, scilicet character; et alia quae est res tantum, scilicet gratia. Si ergo Baptismus peccatum originale delet, aut hoc erit virtute characteris quem imprimit, aut virtute gratiae quam confert. Si virtute characteris, cum igitur characterem consequantur etiam ficte accedentes, sequeretur quod eis etiam originalis culpa dimitteretur; et sic aliquis in mortali existens peccato, a culpa aliqua purgaretur: quod est inconveniens. Si autem virtute gratiae, gratia autem post Baptismum frequenter per peccatum mortale amittitur; ergo oporteret quod originale per quodlibet sequens mortale rediret. Sed peccatum originale non nisi per Baptismum potest purgari. Ergo oporteret quod quandocumque aliquis de peccato mortali poenitentiam agit, simul etiam contra peccatum originale baptizaretur.

2. Le baptême comporte une double réalité : l’une qui est une réalité et un signe, le caractère ; l’autre qui est une réalité seulement, la grâce. Si donc le baptême détruit le péché originel, ou bien cela sera en vertu du caractère qu’il imprime, ou bien cela sera en vertu de la grâce qu’il confère. Si c’est en vertu du caractère, puisque même ceux qui s’en approchent par fiction reçoivent le caractère, il en découlerait que la faute originelle leur serait aussi remise, et ainsi quelqu’un qui se trouverait dans le péché mortel serait purifié d’une faute, ce qui est inapproprié. Mais si c’est en vertu de la grâce, la grâce après le baptême est souvent perdue par le péché mortel : il faudrait donc que le péché originel revienne à la suite de n’importe quel péché mortel subséquent. Or, le péché originel ne peut être purifié que par le baptême. Il faudrait donc que, chaque fois que quelqu’un se repent d’un péché mortel, il soit en même temps baptisé contre le péché originel.

[6258] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, sicut se habet actus in peccato actuali ut materialiter deformitati substans; ita etiam concupiscentia in originali, ut supra dictum est. Sed non potest esse quod deformitas peccati tollatur manente actu peccati: quia tales actus sunt qui bene fieri non possunt. Ergo et manente tali concupiscentia, non potest originalis culpa deleri.

3. De même que l’acte du péché actuel joue le rôle de matière sous-jacente à une difformité, de même aussi la concupiscence dans le péché originel, comme on l’a dit plus haut. Or, il ne peut se faire que la difformité du péché soit enlevée, alors que demeure l’acte du péché, car de tels actes ne peuvent être bien accomplis. Aussi longtemps que demeure une telle concupiscence, la faute originelle ne peut donc être détruite.

[6259] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 4Si dicatur, quod non manet intensa, sed diminuitur; contra. Magis et minus non diversificant speciem. Sed poena et culpa nominant diversas species mali. Ergo non potest esse ut intensa concupiscentia sit culpa, et remissa sit tantum poena.

4. Si on dit que [la concupiscence] ne garde pas son intensité, mais qu’elle est atténuée, on opposera à cela que le plus et le moins ne diversifient pas l’espèce. Or, la peine et la faute désignent diverses espèces de mal. Il ne peut donc se faire qu’une concupiscence intense soit une faute, et qu’une concupiscence tempérée soit seulement une peine.

[6260] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 5Si dicatur, quod non solvitur nisi quantum ad reatum; contra. Reatus consequitur deformitatem culpae: quia ad hoc poena infligitur, ut culpae deformitas ordinetur per poenam, quae in se deordinata est. Si ergo originale peccatum quantum ad deformitatem maculae non tollitur, videtur quod nec etiam quantum ad reatum solvi possit.

5. Si on dit que [le péché originel] n’est remis que pour ce qui est de la dette, on opposera que la dette découle de la difformité de la faute, car une peine est infligée pour que la difformité de la faute soit ordonnée par la peine, qui, en elle-même, est désordonnée. Si donc le péché originel n’est pas enlevé pour ce qui de la difformité de la souillure, il semble qu’il ne puisse pas non plus être remis pour ce qui est de la dette.

[6261] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 6Praeterea, quales sunt habitus, tales actus reddunt, ut in 2 Eth. dicitur. Sed concupiscere, quod procedit ex concupiscentia inordinata, est peccatum post Baptismum sicut et ante. Ergo et ipsa concupiscentia per Baptismum rationem culpae non amittit.

6. Tels sont les habitus, tels sont les actes, comme on le dit dans Éthique, II. Or, un désir qui provient d’une concupiscence désordonnée, est un péché après le baptême comme avant. Par le baptême, la concupiscence elle-même n’écarte donc pas la raison de la faute.

[6262] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, Rom. 6, 7: qui mortuus est peccato, justificatus est a delicto. Sed baptizatus per Baptismum commoritur et consepelitur Christo, ut ibidem apostolus dicit. Ergo oportet quod per Baptismum omne peccatum praeteritae vitae deleatur, nisi effectus Baptismi ex parte baptizati impediatur.

Cependant, [1] Rm 6, 7 dit : Celui qui est mort au péché a été justifié de la faute. Or, le baptisé meurt et est enseveli avec le Christ par le baptême, comme le dit l’Apôtre au même endroit. Il est donc nécessaire que, par le baptême, tout péché de la vie passée soit détruit, à moins que l’effet du baptême ne soit empêché de la part du baptisé.

[6263] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, non potest aliquis esse simul filius gratiae et filius irae. Sed per originale peccatum nascimur filii irae, ut Ephes. 2, 3: eramus natura filii irae; per Baptismum autem regeneramur in filios gratiae. Ergo non potest esse quod post Baptismum originalis culpa remaneat.

[2] Quelqu’un ne peut être en même temps fils de la grâce et fils de la colère. Or, par le péché originel, nous naissons fils de la colère, comme le dit Ep 2, 3 : Nous étions par nature fils de la colère ; mais, par le baptême, nous sommes régénérés pour devenir des fils de la grâce. Il ne peut donc se faire que, après le baptême, la faute originelle demeure.

[6264] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod de remissione culpae originalis oportet nos loqui proportionaliter ad remissionem culpae actualis. Ex actu enim peccati duplex effectus in peccante relinquitur, scilicet privatio gratiae ex ratione aversionis a fine, et dispositio quaedam ad similem actum, quam actus peccati inducit ex ratione conversionis; et ex hoc ipso quod gratia privatus est propria voluntate, reatum poenae incurrit; unde, gratia sibi restituta, simul et macula illa tollitur, quae in defectu gratiae consistebat, et obligatio ad poenam, quae reatus dicitur; dispositio vero ex actu peccati inducta non ex toto statim tollitur, sed minuitur, inquantum gratia inclinat ad contrarium illius dispositionis; sed postmodum per consuetudinem bonorum operum etiam illa dispositio tollitur, et in contrarium mutatur. Similiter etiam ex actu naturae, qui est carnis propagatio, relinquitur quaedam dispositio inclinans ad malum in ipsa natura generati, quae concupiscentia vel fomes dicitur; et ex hoc ipso quod illa naturae corruptio in se virtutem peccati, ex quo causata est, continens, personam attingit, ipsam indignam Dei gratia efficit; unde relinquitur macula et defectus gratiae in anima; et per hoc etiam ad reatum poenae obligatur, ut scilicet praemio illo careat quod gratiae debebatur. Per Baptismum autem gratia confertur: cujus virtute illa infectio ab homine tollitur quae ex natura in personam devolvebatur; et secundum hoc anima purgatur a macula culpae, et per consequens solvitur reatus poenae. Illa autem dispositio ad malum quae fomes et concupiscentia dicitur, non ex toto tollitur; quia illa dispositio sequitur conditionem naturae; Baptismus autem non purgat naturam, nisi quantum pertinet ad infectionem personae; et ideo illa dispositio ex toto non tollitur usque ad statum beatitudinis, quo natura perfecte curabitur; sed tamen dispositio illa per Baptismum minuitur, inquantum gratia quam quis in Baptismo consequitur, in contrarium inclinat ei ad quod fomes disponebat; et ita virtus fomitis in nobis minuitur per auxilium gratiae.

Réponse. Il faut que nous parlions de la rémission de la faute originelle par proportionnalité avec la rémission de la faute actuelle. En effet, par l’acte du péché, un double effet est laissé dans le pécheur, à savoir, la privation de la grâce en raison du détournement (aversio) de la fin, et une certaine disposition à un acte semblable, que l’acte du péché entraîne en raison de la conversion (conversio), et, du fait même qu’on est privé de la grâce par sa propre volonté, on encourt la dette d’une peine. Lorsque la grâce nous est restituée ; la souillure est donc enlevée (elle consistait dans la carence de la grâce), en même temps que l’obligation à la peine, qu’on appelle dette (reatus). Toutefois la disposition amenée par l’acte n’est pas entièrement enlevée d’un seul coup, mais elle est diminuée, dans la mesure où la grâce incline dans un sens contraire à cette disposition. Mais, par la suite, par l’habitude des actes bons, cette disposition est enlevée et est changée en sens contraire. De même, par l’acte de la nature qu’est la propagation de la chair, est laissée une certaine disposition inclinant au mal dans la nature de celui qui est engendré, qu’on appelle concupiscence ou désir désordonné. Et, du fait même que cette corruption de la nature, contenant en elle-même la puissance du péché par lequel elle a été causée, atteint la personne, elle la rend indigne de la grâce de Dieu. La souillure et la carence de la grâce demeurent donc dans l’âme, et, pour cette raison, elle est obligée à la dette de la peine, à savoir, d’être privée de la récompense qui était due à la grâce. Or, par le baptême, la grâce est donnée, par la puissance de laquelle est enlevée cette infection, qui passait de la nature à la personne. Ainsi, l’âme est purifiée de la souillure de la faute et, par conséquent, la dette de la peine est acquittée. Mais cette disposition au mal, qu’on appelle désir désordonné (fomes) et concupiscence, n’est pas totalement enlevée, car cette disposition découle de la condition de la nature. Or, le baptême ne purifie la nature que dans la mesure où il concerne l’infection de la personne. C’est pourquoi cette disposition n’est pas enlevée entièrement jusqu’à l’état de la béatitude, par lequel la nature sera parfaitement guérie ; cependant, cette disposition est diminuée par le baptême pour autant que la grâce reçue par quelqu’un dans le baptême incline dans un sens contraire à celui auquel le disposait la convoitise. Ainsi, la puissance de la convoitise est-elle diminuée en nous par l’aide de la grâce.

[6265] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod in originali justitia erat aliquid quasi formale, scilicet ipsa rectitudo voluntatis, et secundum hoc sibi opponitur culpae deformitas. Erat in ea etiam aliquid quasi materiale, scilicet ordo rectitudinis impressus in inferioribus viribus; et quantum ad hoc opponitur sibi concupiscentia et fomes. Quamvis ergo non restituatur originalis justitia quantum ad id quod materiale in ipsa erat, restituitur tamen quantum ad rectitudinem voluntatis, ex cujus privatione ratio culpae inerat: et propter hoc id quod culpae est, tollitur per Baptismum; sed aliud poenale remanet.

1. Dans la justice originelle, il y a avait quelque chose de formel, à savoir, la droiture même de la volonté ; de ce point de vue, la difformité de la faute s’y oppose. Il y avait aussi en elle quelque chose de pour ainsi dire matériel : l’ordre de la droiture dont les puissances inférieures étaient empreintes ; de ce point de vue, s’opposent [à la justice originelle] la concupiscence et le désir désordonné. Bien que la justice originelle ne soit pas restituée pour ce qui était matériel en elle, elle est cependant restituée pour ce qui est de la droiture de la volonté, par la privation de laquelle la raison de faute se trouvait en elle. Pour cette raison, ce qui relève de la faute est enlevé par le baptême, mais quelque chose d’autre, qui a le caractère de peine, demeure.

[6266] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod Baptismus virtute gratiae quam confert, ex qua rectitudo voluntatis causatur, originalem culpam delet; non tamen sequitur quod, subtracta gratia, originalis culpa redeat. Cum enim omnium peccatorum mortalium genera hoc commune habeant quod gratiam tollunt; non tamen omnium est una macula, sed diversae, secundum quod defectus gratiae ad diversas causas refertur; unde defectus gratiae ex actu luxuriae proveniens, est macula illius peccati, et sic de aliis. Unde non redit macula peccati alicujus, quantumcumque gratia subtrahatur, nisi per reiterationem causae. Causa autem per quam macula originalis relinquebatur in anima, erat ipsa propagatio humanae naturae quam impossibile est reiterari circa eumdem hominem; et ideo macula originalis redire non potest. Sed defectus ille gratiae qui per peccatum mortale incidit, erit macula vel luxuriae, vel homicidii, et sic de aliis.

2. Le baptême détruit la faute originelle par la puissance de la grâce qu’il confère, par laquelle la droiture de la volonté est causée ; cependant, il n’en découle pas que, la grâce étant enlevée, la faute originelle revienne. En effet, parce que les genres de tous les péchés mortels ont en commun d’enlever la grâce, il n’y pas une seule souillure pour tous, mais différentes [souillures], selon que la carence de la grâce se rapporte à diverses causes. Ainsi, la carence de la grâce qui provient d’un acte de luxure est la souillure de ce péché, et ainsi pour les autres. Quelle que soit la manière dont la grâce est enlevée, la souillure d’un péché ne revient donc pas, sinon par une répétition de la cause. Or, la cause par laquelle la souillure originelle était laissée dans l’âme était la propagation même de la nature humaine, qu’il est impossible de répéter chez un même homme ; c’est pourquoi la souillure originelle ne peut revenir. Mais cette carence de la grâce qui survient en raison du péché mortel sera la souillure de la luxure, de l’homicide, et ainsi de suite.

[6267] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod non eodem modo se habet concupiscentia et, fomes ad originalem maculam, sicut actus peccati ad maculam actualem; concupiscentia enim etsi quodammodo ad maculam originalem materialiter se habeat, non tamen est causa ejus secundum quod in eodem subjecto inveniuntur; sed actus peccati causat actualem maculam: et ideo non potest contingere ut actus maneat, et macula vel reatus transeat; sicut in originali, manente concupiscentia, transit reatus et macula.

3. Le rapport de la concupiscence et du désir désordonné avec la souillure originelle n’est pas le même que celui des actes de péché avec la souillure actuelle. En effet, la concupiscence, même si elle joue le rôle de matière par rapport à la souillure originelle, n’en est cependant pas la cause selon qu’elles se trouvent dans un même sujet ; mais l’acte du péché cause une souillure actuelle. C’est pourquoi il ne peut arriver que l’acte demeure et que la faute ou la dette demeurent, comme dans la faute originelle, alors que, la concupiscence demeurant, la dette et la souillure passent.

[6268] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod intensio et remissio nunquam speciei diversitatem causant, sed quandoque ex speciei diversitate consequuntur: quando enim intensio et remissio super unam naturam fundantur, quae decrescit et proficit, tunc nec diversitatem speciei causant, nec ab ea causantur; ut patet quando eadem albedo intenditur et remittitur: quandoque vero super diversas naturas intensio et remissio fundatur; et tunc intensio et remissio, ex diversitate speciei proveniunt; sicut dicitur Angelus homine intelligentior, et sicut dicitur color illustratus visibilior quam sine lumine, quia lumen est illud per quod efficitur visibile in actu. Ita etiam intensio et remissio fomitis super diversam naturam fundatur: dicitur enim intensus, secundum quod ad suum formale conjungitur, quod est defectus justitiae; et remissus, secundum quod a tali defectu separatur.

4. L’intensité et le relâchement ne causent jamais une diversité d’espèce, mais ils découlent parfois de la diversité d’espèce. En effet, lorsque l’intensité et le relâchement reposent sur une seule nature qui diminue et augmente, ils causent alors une diversité d’espèce, et ils ne sont pas causés par elle, comme cela ressort clairement lorsque la même blancheur est intensifiée et diminuée. Mais lorsque l’intensité et le relâchement se fondent sur des natures différentes, alors l’intensité et le relâchement proviennent de la diversité d’espèce. Ainsi, on dit que l’ange est plus intelligent que l’homme, et l’on dit qu’une couleur illuminée est plus visible que s’il n’y a pas de lumière, car la lumière est ce par quoi elle est rendue visible en acte. De la même manière aussi, l’intensité et le relâchement du désir désordonné reposent sur une même nature. En effet, on dit qu’elle est intense selon qu’elle est unie à ce qui est formel en elle, la carence de justice ; et on dit qu’elle est relâchée selon qu’elle est séparée d’une telle carence.

[6269] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod sicut transit reatus, ita etiam macula transit; unde hoc concedendum est quod objectio concludit.

5. De même que passe la dette, de même aussi passe la souillure. Il faut donc concéder la conclusion de l’objection.

[6270] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 1 ad 6Ad sextum dicendum, quod etiam in peccatis actualibus contingit dispositionem peccati remanere gratia adveniente: et tunc si ex dispositione illa aliquis actus sequatur, peccati rationem habebit; quamvis dispositio illa quae actum causat culpa non esset: ita etiam quamvis concupiscere, quod est actus fomitis, post Baptismum sit culpa, non tamen oportet quod fomes post Baptismum sub ratione culpae remaneat: nec oportet esse similitudinem inter actum et habitum, sicut culpae ad culpam; sed ex parte conversionis, ut actus ad illud objectum terminetur ad quod habitus inclinabat.

6. Même dans les péchés actuels, il arrive que la disposition au péché demeure, lorsque survient la grâce ; et alors, si un acte découle de cette disposition, il aura raison de péché, bien que cette disposition qui cause l’acte ne soit pas une faute. De même, bien que désirer avec concupiscence, qui est l’acte du désir désordonné, soit une faute après le baptême, il n’est cependant pas nécessaire que le désir désordonné, après le baptême, garde la raison de faute ; il n’est pas non plus nécessaire qu’il y ait ressemblance entre l’acte et l’habitus, comme entre deux fautes, mais du point de vue de la conversion, de sorte que l’acte ait comme terme l’objet auquel l’habitus inclinait.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum poena peccati originalis debeat manere post Baptismum

Article 2 – La peine du péché originel doit-elle demeurer après le baptême ?

[6272] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod poena originalis peccati post Baptismum remanere non debeat. Injustum enim est ut sine culpa aliquis puniatur. Sed per Baptismum originalis culpa tollitur, ut dictum est. Ergo injustum esset quod poena remaneret.

1. Il semble que la peine originelle ne doive pas demeurer après le baptême. En effet, il est injuste que quelqu’un soit puni sans une faute. Or, la faute originelle est enlevée par le baptême, comme on l’a dit. Il est donc injuste que la peine demeure.

[6273] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, justitia gratuita potentior est quam originalis. Sed originali justitia manente in anima, nihil poenale in ea erat, nec rebellio carnis ad spiritum, nec etiam corruptio vel passibilitas. Cum ergo per Baptismum gratuita justitia conferatur, videtur quod poena remanere non debeat post Baptismum.

2. La justice gratuite est plus puissante que la [justice] originelle. Or, alors que la justice originelle demeurait dans l’âme, rien qui eût le caractère de peine ne s’y trouvait, ni rébellion de la chair contre l’esprit, ni même corruption ou susceptibilité de souffrir. Puisque la justice gratuite est conférée par le baptême, il semble donc que la peine ne doive pas demeurer après le baptême.

[6274] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, generatio spiritualis potentior est quam carnalis: quia non sicut delictum, ita et donum; immo multo amplius, ut Rom. 5 dicitur. Sed generatio carnalis inducit corruptionem culpae et poenae. Ergo generatio spiritualis, quae est per Baptismum, utrumque tollere debet.

3. La génération spirituelle est plus puissante que la [génération] charnelle, car il n’en va pas du don comme de la faute ; bien davantage, il est bien plus grand, comme il est dit en Rm 5. Or, la génération charnelle entraîne la corruption de la faute et de la peine. La génération spirituelle, qui se réalise par le baptême, doit donc enlever les deux.

[6275] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 4Si dicatur, quod non est ex defectu Baptismi quod poena non tollatur; sed quia est utile et expediens, et promovens in salutem; contra. Unumquodque judicandum est secundum id quod per se sibi convenit, magis quam secundum id quod per accidens habetur. Sed fomes per se ad malum inclinat; non autem nisi per accidens in bonum promovet, inquantum aliquis resistendo coronatur, vel secundum quod aliquis humilior redditur. Ergo magis esset expediens homini fomitem non habere quam quod ipsum habeat.

4. Si on dit que ce n’est pas en raison d’une carence du baptême que la peine n’est pas enlevée, mais parce que cela est utile, approprié et conduit au salut, on dira en sens contraire que tout doit être jugé selon ce qui lui convient, plutôt que selon ce qui lui est accidentel. Or, le désir désordonné incline de soi au mal ; mais elle ne conduit au bien que par accident, dans la mesure où quelqu’un est couronné pour avoir résisté ou est rendu plus humble. Il serait donc plus approprié pour l’homme de ne pas avoir de désir désordonné que d’en avoir.

[6276] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, gratia quae in Baptismo confertur, fomitem diminuit. Sed augmentata causa, crescit effectus. Ergo si major gratia infundatur, fomes plus minorabitur. Ergo tantum poterit gratia augmentari quod fomes ex toto tollatur.

5. La grâce qui est conférée dans le baptême diminue le désir désordonné. Or, si une cause est accrue, l’effet s’accroît. Si une plus grande grâce est versée, le désir désordonné sera donc davantage diminué. La grâce pourra donc être d’autant augmentée si le désir désordonné est entièrement enlevé.

[6277] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, Galat. 5, 17: caro concupiscit adversus spiritum, spiritus autem adversus carnem; et tamen illis loquitur qui per Baptismum renati erant. Ergo per Baptismum talis rebellio non tollitur. Hoc etiam habetur per illud Rom. 7, 17: non ego operor illud, sed quod habitat in me peccatum, idest fomes peccati, ut Glossa dicit.

Cependant, [1] Ga 5, 17dit : La chair convoite contre l’esprit, et l’esprit contre la chair ; cependant, il parle à ceux qui sont nés de nouveau par le baptême. Une telle rébellion n’est donc pas enlevée par le baptême. On aboutit à la même conclusion à partir de Rm 7, 17 : Ce n’est pas moi qui agis, mais le péché qui est en moi, c’est-à-dire le désir désordonné du péché, comme le dit la Glose.

[6278] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, ex concupiscentia parentis procedit originale in prolem, ut supra dictum est. Si ergo baptizatus concupiscentiam fomitis non haberet post Baptismum, nullus in peccato originali filium generaret: et hoc supra improbatum est a Magistro. Ergo Baptismus concupiscentiam non tollit ex toto.

[2] Le [péché] originel provient chez l’enfant de la concupiscence du parent, comme on l’a dit plus haut. Si donc le baptisé n’avait pas, après le baptême, la concupiscence du désir désordonné, il n’engendrerait aucun enfant avec le péché originel. Or, cela a été repoussé plus haut par le Maître. Le baptême n’enlève donc pas la concupiscence en totalité.

[6279] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod peccatum originale est primo et per se infectio naturae, et per consequens inficit personam, secundum quod dispositio naturae in personam redundat; et secundum hoc duplex poena originali debetur. Una inquantum personam inficit, scilicet carentia divinae visionis: visio enim divina actum quemdam designat; actus autem omnis personae est, quia actus individuorum sunt, ut philosophus dicit; unde et carentia visionis ad personam referenda est, cum opposita sint circa idem. Alia poena debetur sibi inquantum naturam inficit, sicut necessitas moriendi, passibilitas, rebellio carnis ad spiritum, et hujusmodi: quae omnia ex principiis naturae causantur, et speciem totam consequuntur, nisi miraculose aliter contingat. Dicendum est ergo, quod Baptismus infectionem originalis mundat, secundum quod infectio naturae in personam redundat: et ideo per Baptismum illa poena tollitur quae personae debetur, scilicet carentia divinae visionis: non autem Baptismus removet infectionem naturae, secundum quod ad naturam per se refertur; sed hoc erit in patria, quando nostra natura perfectae libertati restituetur; et ideo oportet quod remaneat illa poena post Baptismum quae culpae originali debetur secundum quod naturam inficit; et hujusmodi est fomes, necessitas moriendi, et hujusmodi.

Réponse. Le péché originel est d’abord et en lui-même une infection de nature et, par conséquent, il infecte la personne selon que la disposition de la nature rejaillit sur la personne. Une double peine est ainsi due pour le [péché] originel. L’une en tant qu’il infecte la personne, à savoir, la carence de la vision de Dieu. En effet, la vision de Dieu désigne un acte ; or, tout acte est le fait de la personne, car les actes sont le fait des individus, comme le dit le Philosophe. La carence de la vision doit donc être mise en rapport avec la personne, puisque les contraires portent sur une même chose. L’autre peine lui due en tant qu’il infecte la nature, telles la nécessité de mourir, la susceptibilité de souffrir, la rébellion de la chair contre l’esprit, et ainsi de suite. Toutes ces choses sont causées par les principes de la nature et découlent de l’espèce tout entière, à moins qu’il n’en soit autrement par miracle. Il faut donc dire que le baptême purifie de l’infection du [péché] originel selon que l’infection de la nature rejaillit sur la personne. C’est pourquoi la peine qui est due à la personne est remise par le baptême, à savoir, la carence de la vision de Dieu ; mais le baptême n’enlève pas l’infection de nature, selon qu’elle se rapporte par elle-même à la nature, mais cela se produira dans la patrie, alors que notre nature serait rendue à une parfaite liberté. Il est donc nécessaire que demeure après le baptême la peine qui est due pour la faute originelle selon qu’il infecte la nature : telles sont le désir désordonné, la nécessité de mourir, et ainsi de suite.

[6280] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod secundum hoc quod culpa deletur, etiam poena sibi respondens tollitur, ut ex dictis patet, et ideo nihil injustum consequitur.

1. Comme cela ressort de ce qui a été dit, dans la mesure où la faute est enlevée, est aussi enlevée la peine qui lui correspond. C’est pourquoi aucune injustice n’est encourue.

[6281] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod in omni effectu quod per se justitiae est, potentior est gratuita justitia quam originalis; sed excludere hujusmodi poenalitates, non est effectus justitiae, inquantum justitia est; sed fuit effectus originalis justitiae ratione cujusdam accidentis sibi annexi, inquantum scilicet fuit continuata et non intercisa in natura humana: decuit enim ut sicut anima sine interruptione in Deum dirigebatur per justitiam, ita etiam corpus animae sine interruptione totaliter obediret; et ideo non oportet quod ille effectus gratuitae justitiae conveniat, cum facta fuerit interruptio rectitudinis humanae naturae ad Deum.

2. En tout effet qui relève par soi de la justice, la justice gratuite est plus puissante que la [justice] originelle ; mais exclure les peines de ce genre n’est pas un effet de la justice en tant qu’elle est justice, mais un effet de la justice originelle en raison d’un accident qui lui était associé, à savoir qu’elle était prolongée, et non supprimée dans la nature humaine. En effet, il convenait que, de même que l’âme était dirigée sans interruption vers Dieu par la justice, de même aussi le corps obéirait totalement à l’âme sans interruption. Aussi n’est-il pas nécessaire que cet effet convienne à la justice gratuite, puisqu’il y a eu interruption de la droiture de la nature humaine envers Dieu.

[6282] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod generatio spiritualis efficacior est in eo ad quod ordinatur, quam generatio corporalis. Generatio autem corporalis terminatur per se ad naturam, quia forma est terminus generationis; sed generatio spiritualis terminatur ad perfectionem personae, quae est per gratiam; et ideo plus mundat generatio spiritualis personam, quam generatio corporalis inficere possit. Generatio enim corporalis non potest inficere personam nisi infectione originalis; sed generatio spiritualis purgat personam a culpa originali et actuali. Sed hujusmodi defectus poenales principia naturae consequuntur, ut dictum est; unde se habet magis generatio corporalis ad eos inducendum, quam generatio spiritualis ad eos curandum.

3. La génération spirituelle est plus efficace pour ce à quoi elle est ordonnée, que la génération corporelle. Mais la génération corporelle a par soi comme terme la nature, car la forme est le terme de la génération ; mais la génération spirituelle a comme terme la perfection de la personne, qui se réalise par la grâce. La génération spirituelle purifie donc la personne davantage que la génération corporelle ne peut l’infecter. En effet, la génération corporelle ne peut infecter la personne que par l’infection de la [faute] originelle ; mais la génération spirituelle purifie la personne de la faute originelle et actuelle. Or, les carences des peines de ce genre découlent des principes de la nature, comme on l’a dit. Aussi la génération corporelle contribue-t-elle davantage à les entraîner, que la génération spirituelle à les guérir.

[6283] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod simpliciter loquendo melius esset homini fomite carere quam ipsum habere: constat enim quod ex abundantia gratiae fit in aliquibus quod a fomite liberantur. Sed quo ad aliquid, et quantum ad aliquem statum hominis, expedit fomitem habere, ne in superbiam elatus cadat: et hoc etiam objectio concludebat.

4. À parler simplement, il serait meilleur pour l’homme d’être dépourvu de désir désordonné que d’en avoir. En effet, il est clair que certains sont libérés du désir désordonné par l’abondance de la grâce. Mais, sous un certain aspect, il convient qu’il y ait désir désordonné, de sorte qu’on ne tombe pas en étant emporté par l’orgueil. C’est aussi ce que concluait l’objection.

[6284] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod quantumcumque de gratia baptismali in Baptismo infundatur, nunquam tamen potest hoc efficere ut ex toto tollat fomitem; quia gratia illa non est ordinata nisi ad curandum infectionem personae ex infectione naturae procedentem. Posset tamen Deus alterius generis gratiam infundere, per quam totum tolleretur; ut sic simul et personae et naturae infectio, gratiae cederet.

5. Aussi grande que soit la grâce baptismale du baptême répandue par le baptême, jamais elle ne peut faire que le désisr désordonné soit entièrement enlevé, car cette grâce n’est ordonnée qu’à guérir l’infection de la personne qui provient de l’infection de la nature. Dieu pourrait cependant répandre un autre genre de grâce par laquelle il serait enlevé, de sorte que l’infection de la personne et celle de la nature céderaient la place à la grâce.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum fomes inveniatur major in uno quam in altero

Article 3 – Le désir désordonné désordonné (fomes) est-elle plus grand chez l’un que chez l’autre ?

[6286] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod désordonnée et concupiscentia in quibusdam plus et in quibusdam minus inveniatur. Multiplicata enim causa, multiplicatur effectus. Sed ex foeditate coitus infectio fomitis causatur. Cum ergo quanto magis homo a primo generante distat, tanto plures tales actus inficientes inveniantur, videtur quod semper in prole inveniatur major infectio fomitis quam in parente.

1. Il semble que le désir désordonné et la concupiscence existent davantage chez certains et moins chez d’autres. En effet, lorsque la cause est multipliée, l’effet est multiplié. Or, l’infection du désir désordonné est causée par la souillure de l’union sexuelle. Puisque plus l’homme est éloigné du premier parent, plus on trouve de tels actes causant l’infection, il semble donc qu’on trouve toujours dans la descendance une plus grande infection du désir désordonné que chez le parent.

[6287] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, fomes nihil aliud dicit quam pronitatem quamdam ad inordinate concupiscendum. Sed ex naturali complexione unus alio pronior nascitur ad luxuriam vel ad iram, vel ad quodlibet aliud genus peccati. Ergo unus nascitur cum majori infectione fomitis quam alius.

2. Le désir désordonné n’est rien d’autre qu’une certaine inclination à convoiter de manière désordonnée. Or, en raison de sa complexion naturelle, l’un naît plus enclin qu’un autre à la luxure, à la colère ou à n’importe quel autre genre de péché. L’un naît donc avec une plus grande infection du désir désordonné qu’un autre.

[6288] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, ex consuetudine actuum et dissuetudine relinquitur in agente per voluntatem major facilitas vel difficultas ad aliquid agendum. Sed contingit aliquos concupiscentiae operibus operam dantes esse, alios autem ab eis retrahi honestis exercitiis occupatos. Ergo in quibusdam invenitur fomes intensior quam in aliis.

3. En raison de l’accoutumance ou de la désaccoutumance des actes, sont laissées chez celui qui agit par volonté une plus grande facilité ou une plus grande difficulté à faire quelque chose. Or, il arrive que certains portent attention aux actes de la concupiscence, alors que d’autres sont occupés à s’en éloigner par des exercices vertueux. On trouve donc chez certains un désir désordonné plus intense que chez d’autres.

[6289] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, sicut corruptio fomitis ex peccato primi parentis procedit, ita etiam et aliae poenalitates, ut passibilitas, et mortalitas, et hujusmodi. Sed aliae poenalitates semper in homine crescunt, quanto humana natura a primo parente longius recedit per successionem generationis: quia communiter dicitur, quod homines sunt nunc brevioris vitae et minoris virtutis quam antiquitus. Ergo et simili ratione corruptio fomitis magis in filiis quam in parentibus invenitur.

4. De même que la corruption du désir désordonné vient du péché du premier parent, de même aussi les autres peines, comme la susceptibilité de souffrir, la mortalité et ainsi de suite. Or, les autres peines augmentant toujours chez l’homme, à mesure que la nature humaine s’éloigne davantage du premier parent par la succession des générations, car on dit communément que les hommes ont maintenant une vie plus brêve et moins de puissance qu’autrefois. Pour la même raison, la corruption du désir désordonné se trouve-t-elle donc davantage chez les enfants que chez les parents.

[6290] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, constat quod aliae poenalitates intenduntur et remittuntur secundum diversas complexiones corporis: ex quo causatur quod quidam sint aliis passibiliores, et brevioris vitae. Si ergo per eamdem causam invenitur in nobis fomes per quam et aliae passibilitates, videtur quod secundum diversas complexiones hominum intendatur et remittatur.

5. Il est vrai que les autres peines s’intensifient et se relâchent selon les diverses complexions du corps : de là vient que certains sont plus susceptibles de souffrir et ont une vie plus brève que d’autres. Si donc se trouve en nous le désir désordonné par la même cause que les autres [sources] de peine, il semble qu’il s’intensifie et se relâche selon les diverses complexions des hommes.

[6291] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra, consequens naturam aequaliter invenitur in omnibus habentibus naturam. Sed fomes consequitur humanam naturam sicut corruptio ejus, sicut dictum est. Ergo cum omnes homines aequaliter humanam naturam participent, videtur quod etiam aequaliter corruptionem fomitis incurrant.

Cependant, [1] ce qui découle de la nature se trouve également chez tous ceux qui ont la nature. Or, le désir désordonné découle de la nature humaine, comme sa corruption, ainsi qu’on l’a dit. Puisque tous les hommes participent également à la nature humaine, il semble donc qu’ils encourent également la corruption du désir désordonné.

[6292] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, aequalitas poenae debet respondere aequalitati culpae. Cum ergo non sit major culpa originalis in uno quam in alio (quia una poena omnibus pro illa culpa debetur, scilicet carentia visionis divinae), videtur quod etiam infectio originalis non sit in uno magis quam in alio.

[2] L’égalité de la peine doit correspondre à l’égalité de la faute. Puisque la faute originelle n’est pas plus grande chez l’un que chez l’autre (car une seule faute est due par tous pour cette faute : la carence de la vision de Dieu), il semble donc aussi que l’infection [du péché] originel n’existe pas chez l’un davantage que chez l’autre.

[6293] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod cum corruptio fomitis sit per se infectio humanae naturae, oportet idem esse judicium de intensione ejus, et de intensione humanae naturae. Natura autem ipsa potest considerari dupliciter: vel quantum ad rationem speciei; et sic aequaliter in omnibus invenitur; vel inquantum redundat perfectio naturae in perfectionem individui per modum quo ex principiis speciei sequuntur operationes individuorum; et secundum hoc unus homo alio est potentior in explendis operationibus speciem concernentibus: unus enim alio promptior est ad intelligendum vel ad ratiocinandum, et sic de aliis. Similiter est etiam de corruptione fomitis: quia si consideretur secundum quod per se naturam respicit, sic proculdubio aequaliter in omnibus invenitur; et haec est absoluta consideratio ejus. Quod enim subtrahatur rectitudo illa quae omnes vires animae in unum continebat, hoc omnibus aequaliter convenit: quia privatio, quantum in se est, non suscipit magis et minus. Sed si consideretur secundum hoc quod infectio originalis redundat in infectionem personae, inquantum potentiae sua rectitudine carentes in turpes operationes inclinant; sic in uno est major corruptio fomitis quam in alio, scilicet inquantum vel per naturalem complexionem, vel per consuetudinem, concupiscibilis vel irascibilis in uno est efficacior et ferventior ad suum actum quam in alio: et per hunc etiam modum fomes dicitur post Baptismum diminui, inquantum gratia retardat impetum concupiscibilis et irascibilis, in contrarios actus inclinans.

Réponse. Puisque la corruption du désir désordonné est par elle-même une infection de la nature humaine, il est nécessaire que le jugement sur son intensité soit le même que sur l’intensité de la nature humaine. Or, la nature elle-même peut être considérée de deux manières : soit quant à la raison de l’espèce, et ainsi elle se trouve également chez tous ; soit pour autant que la perfection de la nature rejaillit sur la perfection de l’individu par la façon dont les opérations des individus découlent des principes de l’espèce, et ainsi un homme est plus puissant qu’un autre pour l’accomplissement des opérations concernant l’espèce. En effet, l’un est mieux disposé qu’un autre pour intelliger ou pour raisonner, et ainsi de suite. Il en est aussi de même pour la corruption du désir désordonné, car si elle est considéré selon qu’elle concerne par elle-même la nature, sans aucune doute elle se trouve également chez tous : telle est la manière absolue de la considérer. En effet, que soit enlevée la droiture qui contenait toutes les puissances de l’âme en une seule chose, cela convient à tous, car la privation en elle-même, ne reçoit pas de plus et de moins. Mais si elle est considérée selon que l’infection originelle rejaillit sur l’infection de la personne, pour autant que les puissances dépourvues de leur rectitude inclinent à des opérations mauvaises, alors une plus grande corruption du désir désordonné existe chez l’un que chez l’autre, dans la mesure où, par leur complexion naturelle ou par l’habitude, le concupiscible ou l’irascible est plus efficace et plus ardent à son acte chez l’un que chez l’autre. De cette manière aussi, on dit que le désir désordonné est diminué après le baptême, dans la mesure où la grâce retient l’élan du concupiscible et de l’irascible, qui incline aux actes contraires.

[6294] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod causa inducens originale peccatum, non est actualis delectatio quae est in coitu, sed concupiscentia habitualis, quae est in generante: illa autem non potest majorem concupiscentiam inducere in prole quam sit in parente; quia generans generat sibi simile; et ideo non sequitur quod post multas generationes aliquis magis sit infectus originali peccato, sed eodem modo; sicut et omnes proprietates naturam consequentes, eodem modo in tota natura inveniuntur.

1. La cause qui entraîne le péché originel n’est pas la délectation actuelle de la relation sexuelle, mais la concupiscence habituelle, qui se trouve chez celui qui engendre. Mais celle-ci ne peut entraîner chez l’enfant une concupiscence plus grande que celle qui existe chez le parent, car celui qui engendre engendre quelque chose de semblable. C’est pourquoi il n’en découle pas qu’après plusieurs générations, l’on soit davantage infecté par le péché originel, mais de la même manière, comme toutes les propriétés qui découlent de la nature se trouvent de la même manière dans la nature entière.

[6295] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod diversitas complexionis est ex diversa dispositione materiae, quae principium individuationis est; quae quanto magis est disposita, tanto perfectius naturam speciei consequitur, secundum quod est principium personalium operationum: et per hunc etiam modum potest esse fomes in quibusdam intensior in comparatione ad operationes quae individuo debentur; non autem absolute prout naturam respicit.

2. La diversité de complexion vient d’une disposition diverse de la matière, qui est le principe d’individuation : mieux elle est disposée, plus parfaitement elle reçoit la nature de l’espèce, où se situe le principe des opérations personnelles. De cette manière aussi, le désir désordonné peut-il être plus intense chez certains en regard des opérations qui relèvent de l’individu, mais non selon qu’il concerne la nature de manière absolue.

[6296] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 3 ad 3Et per hoc patet solutio ad tertium: quia etiam illa facilitas quae ex consuetudine relinquitur, est secundum hoc quod potentiae inclinantur ad actus individui.

3. La solution du troisième argument ressort ainsi clairement, car cette facilité qui est laissée par l’habitude est ce par quoi les puissances sont inclinées aux actes de l’individu.

[6297] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod aliae passibilitates non sunt modo magis in homine quam antiquitus fuerint tempore diluvii; unde etiam David de hominibus sui temporis loquitur: dies annorum nostrorum in ipsis septuaginta anni. Sed verum est quod ante diluvium homines diutius vivebant, virtute divina hoc faciente ad generis humani multiplicationem.

4. Les autres possibilités de souffrir ne sont pas plus grandes maintenant chez l’homme qu’elles ne l’étaient autrefois au temps du déluge. Aussi David parle-t-il ainsi des hommes de son temps : Les jours de nos années étaient chez eux soixante-dix années. Mais il est vrai qu’avant le déluge, les hommes vivaient plus longtemps par l’intervention de la puissance divine qui intervenait ainsi en faveur de la multiplication du genre humain.

[6298] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod aliae passibilitates, ut mortalitas, et hujusmodi, non intenduntur et remittuntur ex diversitate complexionis, secundum quod naturam respiciunt (unde mortale, prout est differentia naturam speciei constituens, non recipit magis et minus), sed solum secundum quod ad consistentiam et operationes individui comparantur.

5. Les autres possibilités de souffrir, comme la mortalité et celles de ce genre, ne s’intensifient pas et ne se relâchent pas en raison de la diversité de complexion, selon selon qu’elles concernent la nature (aussi le fait d’être mortel, pour autant que cela est une différence constituant la nature de l’espèce, ne reçoit-il pas de plus et de moins), mais seulement selon qu’elles se comparent à la constitution et aux opérations de l’individu.

 

 

QUAESTIO 2

Question 2 – [La cause de l’infection originelle]

PROOEMIUM

Prologue

[6299] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 pr.Deinde quaeritur de causa originalis infectionis; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum a Deo sit; 2 utrum divinam sapientiam deceat quod hoc modo permittit animam maculari; 3 utrum animae ex sua creatione sint inaequales, ut Magister in littera dicit.

On s’interroge ensuite sur la cause de l’infection originelle. À ce sujet, trois questions sont posées : 1. Vient-elle de Dieu ? 2. Convenait-il à la sagesse divine que l’âme soit ainsi souillée ? 3. Les âmes sont-elles inégales dès leur création, comme le dit le Maître dans le texte ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum infectio peccati originalis sit a Deo

Article 1 – L’infection originelle vient-elle de Dieu ?

[6301] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod infectio originalis a Deo sit. Anima enim dum creatur, infunditur, ut Augustinus dicit. Sed anima in infusione maculatur. Ergo et in creatione; et sic a Deo maculam habet.

1. Il semble que l’infection originelle vienne de Dieu. En effet, l’âme est injectée dès qu’elle est créée, comme le dit Augustin. Or, l’âme est souillée lors de l’injection. Donc aussi, lors de sa création, et ainsi tient-elle de Dieu sa souillure.

[6302] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 1 arg. 2Praeterea, Magister supra dixit, quod si Angelus in primordio suae creationis malus fuisset, sequeretur Deum mali esse auctorem. Sed anima in principio suae creationis maculata est. Ergo sequitur quod illius maculae Deus sit causa.

2. Le Maître a dit plus haut que si l’ange, au début de sa création, avait été mauvais, il en découlerait que Dieu est l’auteur du mal. Or, l’âme a été souillée dès le début de sa création. Il en découle donc que Dieu est la cause de cette souillure.

[6303] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 1 arg. 3Praeterea, ut Augustinus dicit, omnis poena a Deo est. Sed haec infectio, praecipue secundum quod post Baptismum remanet, poena quaedam est. Ergo a Deo est.

3. Comme le dit Augustin, toute peine vient de Dieu. Or, cette infection est une peine, surtout qu’elle demeure après le baptême. Elle vient donc de Dieu.

[6304] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 1 arg. 4Praeterea, quidquid consequitur principia naturae, procedit ab auctore naturae. Sed hujusmodi deordinatio ex principiis naturae consequitur, ut supra dictum est, inquantum quaelibet vis naturaliter in suum objectum tendit. Ergo a Deo, qui est auctor naturae, procedit.

4. Tout ce qui découle des principes de la nature vient de l’auteur de la nature. Or, un désordre de ce genre vient des principes de la nature, comme on l’a dit plus haut, dans la mesure où toute puissance tend naturellement vers son objet. [Un tel désordre] vient donc de Dieu, qui est l’auteur de la nature.

[6305] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 1 arg. 5Praeterea, nihil est ordinatum ad bonum quod a Deo non sit. Sed fomes est promovens ad bonum, maxime secundum quod post Baptismum remanet. Ergo a Deo est.

5. Rien n’est ordonné au bien, qui ne vienne de Dieu. Or, le désir désordonné meut au bien, surtout selon qu’il demeure après le baptême. Il vient donc de Dieu.

[6306] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 1 s. c. 1Sed contra, Damascenus dicit, quod Christus assumpsit quod in natura nostra plantavit. Sed corruptionem fomitis non assumpsit. Ergo fomes in natura nostra ab ipso non est.

Cependant, [1] [Jean] Damascène dit que le Christ a assumé ce qu’il implanté dans notre nature. Or, il n’a pas assumé la corruption du désir désordonné. Le désir désordonné à l’intérieur de notre nature ne vient donc pas de lui.

[6307] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 1 s. c. 2Praeterea, Augustinus dicit, quod illud quo homo fit deterior, non potest esse a Deo. Sed per infectionem fomitis tota humana natura deteriorata est. Ergo talis infectio a Deo non est.

[2] Augustin dit que ce par quoi l’homme est rendu pire ne peut venir de Dieu. Or, par l’infection du désir désordonné la nature humaine tout entière a été détériorée. Une telle infection ne vient donc pas de Dieu.

[6308] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod in infectione originalis peccati est considerare rationem culpae et poenae. Culpae siquidem rationem habet, inquantum ex voluntate inordinata primi parentis talis defectus consecutus est; unde sicut actuale peccatum ipsius Adae, per quod voluntas ejus deordinata est, non habet Deum auctorem; ita etiam nec ab ipso est totus defectus consequens, secundum quod rationem culpae habet. Si autem consideretur secundum quod defecit ab aliqua perfectione, sic poena est; et hujusmodi poenae quidem Deus causa est. Sed sciendum est, quod non eodem modo est causa omnis poenae. Quaedam enim poena est per inflictionem alicujus contrarii affligentis vel corrumpentis; et talis quidem poena est a Deo agente, a quo omnis actio, secundum quod ordinata est, et passio per consequens, principium sumit. Omnis autem poena, cum justa sit, ordinata est. Quaedam vero poena est quae simpliciter in ablatione vel defectu consistit, sicut est subtractio gratiae, et aliquid hujusmodi; et hae quidem poenae a Deo sunt, non quidem sicut ab agente aliquid, sed potius sicut a non influente talem perfectionem; quia in ipso est influere et non influere; et utriusque sua voluntas causa est. Si ergo consideretur fomes secundum quod est poena, non dicit aliquam poenam inflictam (quia supernaturalia principia non supponunt aliquid positive in homine) sed pertinet ad illud genus poenarum quod in solo defectu consistit; ex hoc enim concupiscentia vel fomes inordinate inclinat, quia subtractum est vinculum originalis justitiae, inferiores vires in obedientia rationis continens; et secundum hoc dicitur hujusmodi poenae Deus causa esse, inquantum illam originalem justitiam non confert homini nato quam primo homini creato contulerat.

Réponse. Dans l’infection du péché originel, il faut considérer l’aspect de la faute et celui de la peine. Il a raison de faute pour autant qu’une telle carence découle de la volonté désordonnée du premier parent. De même que le péché actuel d’Adam lui-même, par lequel sa volonté a été désordonnée, n’a pas Dieu comme auteur, de même en est-il pour toute carence qui en découle, dans la mesure où elle a raison de faute. Mais si [l’infection du péché originel] est considérée selon qu’une perfection lui fait défaut, elle est alors une peine, et Dieu est la cause d’une peine de ce genre. Toutefois, il faut savoir qu’Il n’est pas cause de toute peine de la même manière. En effet, une peine vient de l’infliction d’un contraire qui afflige ou corrompt : une telle peine vient de Dieu comme agent, de qui toute action, en tant qu’elle est ordonnée, et la passion qui en découle tirent leur principe. Or, toute peine, lorsqu’elle est juste, est ordonnée. Mais une certaine peine consiste simplement dans une perte ou une carence, comme la soustration de la grâce et quelque chose du genre : ces peines viennent de Dieu, non pas en tant qu’Il fait quelque chose, mais plutôt parce qu’Il n’injecte pas une telle perfection, car il lui appartient d’injecter ou non, et sa volonté est cause des deux. Si donc on considère le désir désordonné selon qu’il est une peine, il n’indique pas une peine infligée (car les principes surnaturels ne supposent pas quelque chose de manière positive chez l’homme), mais il concerne ce genre de peine qui consiste seulement dans une carence. En effet, de là vient que la concupiscence ou le désir désordonné inclinent de manière désordonnée, car ce qui a été soustrait est le lien de la justice originelle, qui retient les puissances inférieures dans l’obéissance à la raison. On dit ainsi que Dieu est cause d’une peine de ce genre dans la mesure où il ne confère pas cette justice originelle à l’homme qui naît, alors qu’il l’avait donnée au premier homme.

[6309] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod creatio et infusio, licet simul sint, respectu animae tamen differunt; quia creatio dicitur secundum respectum ad principium a quo est anima tantum; infusio vero dicitur secundum respectum ad duo, scilicet ad principium a quo procedit, et ad materiam quam perficit. Cum ergo dicitur, anima creatione maculatur, ablativus iste potest denotare habitudinem alicujus causae; et sic falsa est: quia creatio animae non est causa quod maculetur; nihil enim ex creatione anima habet quod a Deo non sit: vel potest denotare concomitantiam; et sic vera est; quia dum creatur, maculatur: ex quo tamen non sequitur quod Deus maculae auctor sit. Cum vero dicitur, anima infusione maculatur, si ablativus concomitantiam designat absolute, vera est; si autem denotet habitudinem causae, duplex est: quia vel intelligitur infusio esse causa maculae ex parte principii a quo, et sic falsa est; vel ex parte termini ad quem, et sic vera est.

1. La création et l’infusion, bien qu’elles soient simultanées, diffèrent cependant par rapport à l’âme, car on parle de création par rapport au principe dont l’âme provient seulement, mais d’infusion pour les deux : le principe dont elle provient et la matière qu’elle perfectionne. Lorsqu’on dit que l’âme est souillée lors de sa création, cet ablatif peut signifier un rapport à une cause, et ainsi cela est faux, car la création de l’âme n’est pas la cause par laquelle elle est souillée. En effet, par sa création, l’âme n’a rien qui ne vienne de Dieu. Ou bien, [cet ablatif] peut dénoter la concomitance, et ainsi cela est vrai, car, elle est souillée au moment où elle est créée. Il ne découle cependant pas de cela que Dieu soit l’auteur de la souillure. Mais lorsqu’on dit que l’âme est souillée dès son infusion, si l’ablatif désigne la concomitance de manière absolue, cela est vrai ; mais s’il dénote un rapport de cause, il y a là deux choses : soit on entend que l’infusion est la cause de la souillure du point de vue de son principe a quo, et ainsi cela est faux ; soit du point de vue du terme ad quem, et ainsi cela est vrai.

[6310] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod non est simile de anima et de Angelo: Angelus enim creatus est non ut forma alterius corporis; unde non poterat ex parte materiae defectus incidere; sed oportebat quod si in principio creationis, peccati maculam habuisset, hoc ex parte creantis esset: anima vero creatur ut actus cujusdam corporis, ex cujus conjunctione potest aliquam maculam contrahere: nec sequitur quod maculae illius Deus principium sit.

2. Il n’en va de même pour l’âme et pour l’ange. En effet, l’ange a été créé, non pas comme forme d’un autre corps : une carence ne pouvait donc pas survenir du point de vue de la matière, mais il fallait que, s’il avait eu la souillure du péché au commencement de la création, cela vienne du Créateur. Mais l’âme est créée comme acte d’un corps : en vertu de son union avec lui, elle peut contracter une souillure. Et il n’en découle pas que le principe de cette souillure soit Dieu.

[6311] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 1 ad 3Ad tertium patet responsio per ea quae dicta sunt.

3. La réponse au troisième argument ressort clairement de ce qui a été dit.

[6312] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod quamvis ferri in delectabile carnis sit de natura ipsius concupiscibilis absolute consideratae, non tamen est de natura ejus secundum quod est humana, idest per rationis judicium nata ordinari, et praecipue secundum hoc quod in natura humana potuit esse talis perfectio in ratione qua concupiscibilem penitus ordinaret: et ideo quando praeter ordinem rationis in suum objectum fertur, ex defectu quodam contingit: et causa istius defectus, inquantum culpae rationem habet, ex Deo non est, ut dictum est.

4. Bien qu’être porté vers ce qui est délectable pour la chair soit de la nature du concupiscible lui-même considéré de manière absolue, ce n’est cependant pas de sa nature selon qu’il est humain, à savoir, destiné à être ordonné par le jugement de la raison, surtout que, dans la nature humaine, il peut se trouver dans la raison une perfection par laquelle elle peut ordonner entièrement le concupiscible. C’est pourquoi, lorsqu’il est porté vers son objet en dehors de l’ordre de la raison, cela vient d’une certaine carence, et la cause de cette carence, pour autant qu’elle a raison de faute, ne vient pas de Dieu, comme on l’a dit.

[6313] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod fomes per se in malum inclinat; sed quod in bonum promoveat, hoc est per accidens; unde non sequitur quod quolibet modo consideratus ex Deo sit: quia ex quolibet malo aliqua bona per accidens proveniunt.

5. Le désir désordonné incline par lui-même vers le mal ; mais qu’il aille dans le sens du bien, cela est accidentel. Aussi n’en découle-t-il pas qu’il vient de Dieu, quel que soit la manière de l’envisager, car des biens peuvent venir par accident de n’importe quel mal.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum conveniat sapientiae divinae infundere animam corpori, a quo contrahat maculam

Article 2 – Convient-il à la sagesse divine d’infuser l’âme dans un corps dont elle contracte la souillure ?

[6315] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod divinam sapientiam non deceat quod anima corpori infundatur, ex quo maculam contrahit. Nullus enim sapiens ponit thesaurum suum in loco in quo inquinatur. Sed anima pretiosissimus thesaurus Dei est, ut est imagine Dei insignita. Ergo non decet divinam sapientiam ut tali corpori infundatur ex quo maculam contrahat.

1. Il semble qu’il ne convienne pas à la sagesse divine que l’âme soit infusée dans un corps dont elle contracte la souillure. En effet, aucun sage ne place son trésor dans un lieu où il est corrompu. Or, l’âme, marquée à l’image de Dieu, est le plus précieux trésor de Dieu. Il ne convient donc pas à la sagesse divine que [l’âme] soit infusée dans un corps dont elle contracte la souillure.

[6316] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 2 arg. 2Praeterea, si Deus aliquem in Inferno poneret sine propria culpa, non esset decens justitiae ejus et sapientiae. Sed ex hoc quod anima ex infusione maculatur, reatum infernalis poenae incurrit. Ergo non decet Deum ut tali corpori eam infundat.

2. Si Dieu plaçait en enfer quelqu’un qui n’aurait pas de faute propre, cela ne conviendrait pas à sa justice et à sa sagesse. Or, du fait que l’âme est souillée par son infusion, elle encourt la dette de la peine de l’enfer. Il ne convient donc pas que Dieu l’infuse dans un tel corps.

[6317] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 2 arg. 3Praeterea, infectio spiritualis est pejor quam corporalis. Sed consulitur infectis lepra corporali ut a coitu abstineant, ne filios infectos generent. Ergo multo fortius et Deus instituere debuit ut homines a carnali opere cessarent, ex quo per coitum genitos maculam originalis culpae contrahere necesse est.

3. L’infection spirituelle est pire que l’infection corporelle. Or, il est conseillé à ceux qui sont infectés par la lèpre corporelle de s’abstenir de rapport sexuel, pour qu’ils n’engendrent pas d’enfants infectés. À bien plus forte raison, Dieu pouvait-il donc établir que les hommes cessent l’acte charnel, par lequel les enfants engendrés par rapport sexuel contractent nécessairement la souillure de la faute originelle.

[6318] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 2 arg. 4Praeterea, nullus artifex sapiens facit tale opus ex quo sua intentio perfici non potest. Sed finis propter quem Deus fecit hominem, est ut ejus beatitudine perfruatur. Cum ergo per hoc quod anima tali corpori infunditur, reatum incurrat ut visione careat Dei, videtur quod hoc sapientiam Dei non deceat.

4. Aucun artisan sage ne produit une œuvre par laquelle son intention ne peut être réalisée. Or, la fin pour laquelle Dieu a créé l’homme est qu’il jouisse de sa béatitude. Puisque, du fait que l’âme est infusée dans un tel corps, elle encourt la dette d’être privée de la vision de Dieu, il semble donc que cela ne convienne pas à la sagesse de Dieu.

[6319] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 2 arg. 5Praeterea, ut Fulgentius dicit, Deus illius rei non est ultor cujus non est auctor. Ergo eadem ratione illius rei non est auctor ex qua de necessitate consequitur hoc cujus est ultor. Sed ex unione animae ad tale corpus, de necessitate sequitur infectio originalis culpae, cujus Deus est ultor. Ergo tali corpori animam unire Deum non decet.

5. Comme le dit Fulgence, « Dieu ne condamnne pas ce dont il n’est pas l’auteur ». Pour la même raison, il n’est donc pas l’auteur de ce qui entraîne nécessairement ce qu’il condamne. Or, de l’union de l’âme au corps, découle nécessairement l’infection de la faute originelle, dont Dieu est le vengeur. Il ne convient donc pas que Dieu unisse l’âme à un tel corps.

[6320] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 2 s. c. 1Sed contra, non est decens ut Deus opera sua mutet. Sed Deus sic instituit ut homines per sexuum commixtionem generarentur, et quod corpori per coitum seminato anima infundatur. Ergo non decuit ut Deus hoc mutaret.

Cependant, [1] il ne convient pas que Dieu change ses œuvres. Or, Dieu a fait en sorte que les hommes soient engendrés par l’union des sexes, et que l’âme soit infusée dans un corps engendré par l’union sexuelle. Il ne convenait donc pas que Dieu change cela.

[6321] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 2 s. c. 2Praeterea, non est sapientis inducere majorem defectum, ut minor defectus vitetur. Sed major defectus esset si humanum genus non multiplicaretur, per cujus multiplicationem electorum numerus impletur, quam quod puer in culpa originali nascatur. Ergo non decet Deum ut multiplicationem naturalem humani generis cessare faciat ad originalis peccati infectionem vitandam.

[2] Il ne revient pas au sage d’amener une carence plus grande afin d’en éviter une moindre. Or, ce serait une plus grande carence que le genre humain ne se multiplie pas, par la multiplication duquel le nombre des élus est atteint, plutôt que l’enfant naisse avec la faute originelle. Il ne convient donc pas à Dieu de faire cesser la multiplication naturelle du genre humain afin d’éviter l’infection du péché originel.

[6322] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod sicut bonum gentis divinius est quam bonum unius hominis, ut in 1 Ethic. dicitur; ita etiam bonum universi praepollet bono particularis rei et specialis naturae; unde etiam defectus in universum redundans deterior est. Si autem humani generis naturalis multiplicatio tolleretur, in defectum totius universi redundaret: quia vel subtraheretur natura aliqua de universo quae ad perfectionem universi confert; vel etiam alicui parti universi sua naturalis perfectio tolleretur, secundum quod unumquodque natum est sibi simile generare; et utrumque in defectum universitatis redundaret; et ideo non debuit intermitti humanae generationis processus naturalis ut infectio originalis vitaretur. Et praeterea iste est ordo naturalis in rebus, ut posteriori remoto id quod prius est remaneat, nec ad ejus remotionem tollatur, sicut quando removes vitium, remanet esse, ut in libro de causis dicitur. Bonitas autem naturalis praeexistit omni superadditae bonitati, et acquisitae et gratis collatae; unde subtracta illa bonitate quam Deus humanae naturae gratis contulerat, scilicet originalis justitia, non congruit ordini quem divina sapientia rebus instituit, ut aliquid eorum quae ad naturalem bonitatem pertinent immutetur; et praecipue cum remaneat in natura facultas ad recuperandum illud quod deperditum est, vel aliquid eo excellentius.

Réponse. De même que « le bien d’une nation est plus divin que le bien d’un seul homme », comme le dit Éthique, I, de même aussi le bien de l’univers l’emporte-t-il sur le bien d’une chose particulière et d’une nature spécifique ; de là vient qu’une carence qui rejaillit sur l’univers est pire. Or, si la multiplicaton du genre humain était écartée, cela rejaillirait en carence de l’univers tout entier, car soit serait écartée de l’univers une nature qui contribue à la perfection de l’univers, soit sa perfection naturelle serait enlevée à une partie de l’univers, par laquelle chacun est destiné à engendrer un semblable. Et les deux choses rejailliraient en carence de l’univers. C’est la raison pour laquelle il ne fallait pas interrompre le processus de la génération humaine afin que soit évitée l’infection originelle. De plus, cet ordre naturel des choses veut que, si on enlève ce qui est postérieur, ce qui est antérieur demeure et n’est pas enlevé pour être écarté ; aiinsi demeure l’être, si on enlève le vice, comme zle dit le livre Sur les causes. Or, la bonté naturelle préexiste à toute bonté surajoutée, tant acquise que gratuitement conférée. Si on enlève la bonté que Dieu avait conférée gratuitement à la nature humaine, à savoir, la justice originelle, il ne convient donc pas à l’ordre que la sagesse divine a imposé aux choses, que quelque chose de ce qui relève de la bonté naturelle soit changé, surtout lorsque demeure dans la nature la capacité de récupérer ce qui a été perdu ou quelque chose de plus élevé.

[6323] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod sicut non esset sapiens qui thesaurum in loco mundo conservabilem, in immundo reponeret; ita esset valde insipiens qui thesaurum non aliter conservabilem, non etiam in immundo loco collocaret; et praecipue si emundandi thesaurum possibilitas remaneret. Dico etiam, quod anima habet talem naturam ut tali corpori uniatur; unde si tali corpori non uniretur, oporteret quod vel omnino anima non crearetur, vel quod alterius naturae esset; et si alterius naturae esset, haec natura non esset. Unde constat quod hanc naturam conservari impossibile est nisi per hunc modum.

1. De même que ne serait pas sage celui qui qui déposerait dans un endroit malpropre un trésor qui doit être conservé dans un endroit propre, de même serait très insensé celui qui ne placerait pas, même dans un endroit un malpropre, un trésor qui ne peut être conservé autrement, surtout s’il restait une possibilité de purifier le trésor. Je dis aussi que l’âme est par nature unie à un tel corps. Si donc elle n’était pas unie à tel corps, il faudrait soit que l’âme ne soit pas du tout créée, soit qu’elle ait une autre nature, et si elle avait une autre nature, elle n’aurait pas cette nature-là. Il est donc clair qu’il est impossible que cette nature soit conservée, si ce n’est de cette manière.

[6324] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod poena Inferni est duplex. Quaedam est quae pro peccato actuali debetur; et ista est corruptio alicujus boni quod etiam ex naturalibus principiis naturam humanam consequitur; unde injustum esset ut aliquis talem poenam subiret nisi per hoc quod propria culpa illam meruisset. Quaedam vero poena est originali debita, quae nihil subtrahit eorum quae naturae ex principiis suis debentur, sed aliquid humanam facultatem excedens tollit, ad quod tamen ordinata erat per aliquid naturae gratis collatum; unde nulla injuria isti homini fit, si non sibi datur quod suae naturae non debetur secundum quod eam accepit.

2. La peine de l’enfer est double. L’une est due au péché actuel : elle consiste dans la corruption d’un bien qui découle aussi de la nature humaine à partir de principes naturels. Il serait donc injuste que quelqu’un subisse une telle peine, à moins de l’avoir méritée par sa propre faute. Mais il existe une peine qui est due au [péché] originel, qui n’enlève rien de ce qui est dû à la nature à partir de ses principes, mais enlève quelque chose qui dépasse la capacité humaine, à quoi elle avait cependant été ordonnée par quelque chose de gratuitement conféré à la nature. Aucune injustice n’est donc faite à cet homme, si ne lui est pas donné ce qui n’est pas dû à sa nature, telle qu’il l’a reçue.

[6325] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod lepra est corruptio illius boni quod principia naturae consequitur, et sanari non potest; sed originalis infectio est corruptio illius boni quod principia naturae non sequitur et curabilis est; et ideo non est similis ratio de utroque.

3. La lèpre est la corruption d’un bien qui découle des principes de la nature et elle ne peut être guérie. Mais l’infection originelle est la corruption d’un bien qui ne découle pas des principes de la nature et peut être guéri. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même pour les deux cas.

[6326] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod ad hoc Deus creaturam facit ut unaquaeque de sua bonitate participet quantum possibile est; meliusque est ut secundum aliquem modum participet quam nullo modo. Dico ergo, quod quamvis illi qui in peccato originali nascuntur, sint obnoxii ut priventur illa participatione divinae bonitatis quae beatos efficit in patria: tamen participant, et facultatem participandi habent secundum modum qui possibilis naturae est secundum suorum principiorum conditionem. Unde patet quod non penitus deficit opus Dei a fine in quem ordinatum est, et praecipue cum veniendi in ulteriorem participationem facultas non tollatur.

4. Dieu fait une créature pour que chacune participe à sa bonté autant qu’il est possible, et il est mieux qu’elle y participe dans une certaine mesure que pas du tout. Je dis donc que, bien que ceux qui naissent avec le péché originel soient exposés à être privés de cette participation à la bonté divine qui rend bienheureux dans la patrie, ils y participent cependant et ils ont la capacité d’y participer, dans la mesure qui est possible à la nature selon la condition de ses principes. Il est donc clair que l’œuvre de Dieu ne manque pas la fin à laquelle elle a été ordonnée, surtout que la capacité de parvenir à une participation ultérieure n’est pas enlevée.

[6327] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod originali culpae debetur poena secundum hoc quod culpa est, et hoc non habet ex unione animae ad corpus, sed ex voluntate primi parentis, quod culpa sit; unde quamvis Deus animam corpori uniat, non sequitur quod sit causa illius cujus ultor est.

5. Une peine est due à la faute originelle en tant qu’elle est une faute, et elle ne tient pas de l’union de l’âme au corps d’être une faute, mais de la volonté du premier parent. Bien que Dieu unisse l’âme au corps, il n’en découle donc pas qu’il soit cause de ce dont il est le vengeur.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum animae sint aequales in sua creatione

Article 3 – Les âmes sont-elles égales lors de leur création ?

[6329] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod animae ex sui creatione sint aequales. Differentia enim formalis diversificat speciem. Sed anima est forma corporis. Cum omnes ergo homines unius sint speciei, videtur quod ex parte animae nulla sit differentia in hominibus.

1. Il semble que les âmes soient égales par leur création. En effet, la différence de forme diversifie l’espèce. Or, l’âme est la forme du corps. Puisque tous les hommes appartiennent à une seule espèce, il semble donc qu’il n’y ait aucune différence entre les hommes du point de vue de l’âme.

[6330] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 arg. 2Praeterea, Gregorius dicit, quod omnes homines sunt natura pares. Sed dignitas rei praecipue attenditur secundum formam suam. Si ergo unus homo habet animam ex creatione anima alterius nobiliorem, unus homo etiam secundum naturam alii praeponeretur, quod est contra auctoritatem inductam.

2. Grégoire dit que tous les hommes sont égaux par nature. Or, la dignité d’une chose se prend principalement de sa forme. Si donc un homme a, par création, une âme plus noble qu’un autre, un homme serait donc placé au-dessus d’un autre selon la nature, ce qui est contraire à l’autorité invoquée.

[6331] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 arg. 3Praeterea, ut in 2 de Generat. dicitur, idem semper est natum facere idem; unde oportet quod ab agente uniformi sit effectus uniformis. Sed anima immediate a Deo creatur. Cum ergo in Deo nulla sit diversitas, videtur quod animae inaequales ex creatione non sint.

3. Comme on le dit dans Sur la génération, II, une même chose est destinée à faire une même chose ; aussi faut-il qu’un effet uniforme provienne d’un agent uniforme. Or, l’âme est créée immédiatement par Dieu. Puisqu’il n’y a aucune diversité en Dieu, il semble donc que les âmes ne soient pas inégales par création.

[6332] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 arg. 4Si dicatur, quod quamvis non habeant diversitatem ab agente, habent tamen ex materia; contra. Formae quae secundum diversitatem materiae diversificantur, de potentia materiae educuntur, ut in formis corporalibus patet. Sed anima rationalis non educitur de potentia materiae: quia ut in 16 de animalibus dicitur, intellectus est ab extrinseco. Ergo nec etiam ex diversitate materiae inaequalitas in animabus esse potest.

4. Si on dit que, bien qu’elles n’aient pas de diversité en raison de l’agent, elles en ont cependant une en raison de leur matière, on dira en sens contraire que les formes qui se diversifient par la diversité de la matière sont tirées de la puissance de la matière, comme cela ressort pour les formes corporelles. Or, l’âme raisonnable n’est pas tirée de la puissance de la matière, car, ainsi qu’on le dit dans Sur les animaux, XVI, l’intellect vient du dehors. Il ne peut pas non plus exister de diversité entre les âmes en raison de la diversité de la matière.

[6333] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 arg. 5Praeterea, in 3 Metaph. philosophus dicit, quod in individuis unius speciei non est praedicatio secundum prius et posterius. Sed in diversis speciebus contingit esse hujusmodi praedicationem, ut scilicet genus de eis secundum prius et posterius praedicetur. Tunc autem praecipue videtur quod species per prius generis praedicationem recipiat, quando nobilior forma vel differentia naturam generis participat. Ergo in individuis hoc non contingit ut unus homo nobiliorem formam quam alius possideat. Ergo videtur quod nec unus homo animam ex creatione nobiliorem habeat quam alius.

5. Dans Métaphysique, III, le Philosophe dit que, pour les individus d’une seule espèce, on ne prédique pas selon l’avant et l’après. Or, pour des espèces différentes, il arrive qu’il y ait une telle prédication, à savoir que le genre est prédiqué d’elles selon l’avant et l’après. Il semble alors que l’espèce reçoive une prédication du genre selon l’avant, lorsqu’une forme ou une différence plus noble participe à la nature du genre. Il n’arrive donc pas que, pour les individus, un homme possède une forme plus noble qu’un autre. Il semble donc qu’un homme n’ait pas par création une âme plus noble qu’un autre.

[6334] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 arg. 6Sed contra, in 1 de anima Commentator dicit, quod diversitas materiae ex diversitate formae procedit. Sed videmus in hominibus ex parte corporis magnam diversitatem, secundum quam unus alio ad bonum et malum promptior est, ut patet in diversis hominum complexionibus. Ergo oportet quod eorum animae ex sua creatione diversitatem habeant.

6. Dans Sur l’âme, III, le Commentateur dit que la diversité de la matière provient de la diversité de la forme. Or, nous voyons chez les hommes une grande diversité du point de vue du corps, selon que l’un est davantage enclin qu’un autre au bien et au mal, comme cela ressort dans les différentes complexions des hommes. Il est donc nécessaire que leurs âmes soient différentes par création.

[6335] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 arg. 7Praeterea, videmus ad sensum, quosdam homines esse melioris intellectus quam alios. Sed bonitas intellectus non potest causari ex parte corporis: quia intellectus a corpore absolutus est, ut in 3 de anima probatur. Ergo oportet quod hoc contingat ex diversitate quam animae a sua creatione habent.

7. Il tombe sous le sens que certains hommes ont un meilleur intellect que d’autres. Or, la bonté de l’intellect ne peut être causée du point de vue du corps, car l’intellect est séparé du corps, comme le démontre Sur l’âme, III. Il faut donc que cela se produise par la diversité que les âmes tiennent de leur création.

[6336] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod de anima et Angelo est duplex opinio. Quidam enim dicunt animam et Angelum ex materia et forma compositum, vel ex aliquibus duobus, quae sunt partes essentiae ejus: et secundum hoc potest forte aliquis modus inveniri quo assignetur differentia animarum et Angelorum, ut sint plures in specie una etiam ex seipsis; quia unitas speciei erit ex principio formali in ipsis, diversitas autem individuorum est ex diversitate materialis principii, et ex hac etiam posset in eis gradus quidam nobilitatis attendi: et hoc videntur verba Magistri sonare, qui dicit, eo modo in animabus esse differentiam quo etiam in Angelis est. Sed quia supra dictum est, secundum aliam opinionem, quia anima et Angelus naturae simplices sunt, et non est in eis compositio, nisi ex esse et quod est; ideo oportet quod quaecumque differentia in eis est ex seipsis, sit differentia formalis, et speciei diversitatem inducens: et propter hoc etiam tactum est, quod in Angelis tot sunt species quot individua; et ideo non est possibile ut diversitas animarum ponatur ad modum illum quo distinguuntur gradus in natura angelica, cum omnes animae rationales unius speciei sint, differunt autem numero solo. Omnis autem talis diversitas ex materia causatur; et ideo cum anima non habeat materiam partem sui, oportet quod diversitas et distinctio gradus in animabus causetur ex diversitate corporis; ut quanto corpus melius complexionatum fuerit, nobiliorem animam sortiatur: cum omne quod in aliquo recipitur, per modum recipientis sit receptum: et hoc quidem duplici signo patet. Primo ex his quae diversi generis sunt: quia unumquodque invenitur tanto nobilius genus animae participare, quanto corpus ejus ad nobilius genus complexionis pertingit, ut in hominibus, brutis, et plantis. Unde etiam in his quae sunt unius generis, ex hoc contingit diversitas animarum, quod est in corporibus diversitas: et hoc etiam patet ex signo boni intellectus, quod philosophus in 2 de anima dat intelligere, dicens, eos qui sunt boni tactus et molles carne, aptos mente esse. Bonitas autem tactus ex aequalitate complexionis contingit: quia oportet ut instrumentum tactus inter contraria tangibilia sit medium; et quanto magis pervenit ad medium, tanto melior erit tactus. Unde patet quod ex diversitate corporis animarum diversitas resultat.

Réponse. À propos de l’âme et de l’ange, il y a deux opinions. En effet, certains disent que l’âme et l’ange disent que l’âme et l’ange sont composés de matière et de forme ou de deux choses, qui sont les parties de leur essence. Ainsi, on peut peut-être trouver une manière d’assigner une différence entre les âmes et les anges, de sorte qu’ils soient plusieurs à l’intérieur d’une seule espèce, même en raison d’eux-mêmes, car l’unité d’espèce vient du principe formel chez eux, mais la diversité des individus [vient] de la diversité du principe matériel. On pourrait aussi relever certains degrés de noblesse chez eux. C’est ce que semblent signifier les paroles du Maître, qui dit qu’une différence existe chez les âmes en vertu de ce qui différencie aussi les anges. Mais parce qu’on a dit plus haut, selon une autre opinion, que l’âme et l’ange sont des natures simples et qu’il n’existe pas chez eux de composition, si ce n’est d’acte d’être et de sujet, il faut donc que toute différence qui vient d’eux-mêmes chez eux soit une différence formelle et qui entraîne une diversité d’espèce. Pour cette raison aussi, on a abordé le fait que, chez les anges, il existe autant d’espèces que d’individus. C’est pourquoi il n’est pas possible d’affirmer une diversité des âmes de la manière dont des degrés sont distingués dans la nature angélique, puisque toutes les âmes raisonnables appartiennent à une seule espèce, mais diffèrent en nombre seulement. Or, toute diversité de ce genre est causée par la matière. C’est pourquoi, l’âme n’ayant pas de matière comme partie d’elle-même, il faut que la diversité et la distinction de degré pour les âmes soit causée par la diversité du corps, de sorte que, meilleure est la complexion du corps, plus noble est l’âme reçue en partage, puisque tout ce qui est reçu par quelque chose est reçu à la manière de ce qui reçoit. Et cela ressort par deux signes. Premièrement, par ce qui appartient à des genres différents, car on trouve que tout participe à un genre d’âme d’autant plus noble que son corps atteint un genre de complexion plus noble, comme chez les hommes, les animaux sans raison et les plantes. Aussi, même chez ce qui appartient à un seul genre, la diversité des âmes vient du fait qu’il existe une diversité entre les corps. Et cela ressort aussi par le signe du bien de l’intellect, dont le Philosophe dit qu’il consiste à intelliger, Sur l’âme, II, affirmant que « ceux qui ont un bon sens du toucher et une chair délicate sont aussi doués pour l’esprit ». Or, la bonté du toucher vient de l’égalité de la complexion, car il faut que l’instrument du toucher soit intermédiaire entre des réalités tangibles contraires ; et plus il atteint le milieu, meilleur sera le toucher. Il ressort donc que la diversité des âmes résulte de la diversité du corps.

[6337] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod diversitas formalis est duplex. Quaedam quae est formae per se, secundum id quod ad rationem formae pertinet: et talis diversitas formae, diversitatem speciei inducit. Est autem quaedam diversitas formae non per se, sed per accidens, ex diversitate materiae resultans, secundum quod in materia melius disposita dignius forma participatur; et talis diversitas speciem non diversificat: et haec est diversitas animarum.

1. La diversité formelle est double. L’une est celle de la forme en elle-même, selon ce qui relève de la raison de la forme : une telle diversité de forme entraîne la diversité de l’espèce. Mais il existe une diversité de forme qui ne vient pas d’elle-même, mais par accident, et qui résulte de la diversité de la matière, selon qu’une forme est mieux participée dans une matière mieux disposée. Une telle diversité ne diversifie pas l’espèce. Telle est la diversité des âmes.

[6338] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod Gregorius loquitur de paritate et imparitate quae attenditur secundum dominium et subjectionem; quia unus homo ex natura sua non habet quod dominetur alii. Unde patet quod non est ad propositum.

2. Grégoire parle de l’égalité et l’inégalité considérées selon le pouvoir et la soumission, car un homme ne tient pas de sa nature d’être soumis à un autre. Il ressort donc que [l’argument] porte à faux.

[6339] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod quamvis Deus sit agens in quo nulla est diversitas, tamen quia per voluntatem agit, potest multiformes effectus producere pro libito suae voluntatis. Sed hoc esse non potest quod aliqua in specie convenientia, in forma habeant diversitatem: quia haec contradictionem implicant; et ideo oportet quod diversitas quae est in animabus ejusdem speciei, in diversitatem materiae reducatur.

3. Bien que Dieu soit un agent chez qui n’existe aucune diversité, parce qu’il agit par volonté, il peut cependant produire des effets multiformes selon que le veut sa volonté. Mais il ne peut arriver que des choses qui ont en commun l’espèce aient une diversité de forme, car cela comporte une contradiction. C’est pourquoi il faut que la diversité qui existe entre les âmes d’une même espèce se ramène à la diversité de la matière.

[6340] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod quamvis anima rationalis non educatur de potentia materiae, tamen creatur in materia, ut actus ipsius; et ideo oportet quod in ea per modum materiae recipiatur.

4. Bien que l’âme raisonnable ne soit pas tirée de la puissance de la matière, elle est cependant créée dans une matière comme acte de celle-ci. Aussi faut-il qu’elle soit reçue en elle à la manière de la matière.

[6341] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, sicut ad primum.

5. La réponse à cet argument est la même que pour le premier argument.

[6342] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 ad 6Ad sextum dicendum, quod diversitas materiae potest accipi dupliciter. Vel diversitas partium speciei, idest partium specie differentium, sive formaliter, ut manus, pes, et hujusmodi; et talis diversitas causatur ex parte formae: quia ex hoc quod forma est talis, oportet quod corpus sit sibi sic dispositum. Est autem quaedam diversitas materialis tantum, quae ad speciem non pertinet, sed ad individuum tantum; et ista redundat ex materia in formam, et non e converso.

6. La diversité de la matière peut être entendue de deux manières. Soit de la diversité des parties de l’espèce, à savoir, des parties différentes par l’espèce, de manière formelle, comme la main, le pied et les choses de ce genre : une telle diversité est causée par la forme, car du fait que la forme est telle, il est nécessaire que le corps soit disposé pour elle de telle manière. Mais il existe une diversité seulement matérielle, qui n’a pas de rapport avec l’espèce, mais avec l’individu seulement : celle-ci rejaillit de la matière sur la forme, et non l’inverse.

[6343] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 ad 7Ad septimum dicendum, quod quamvis intellectus sit absolutus a corpore quantum ad propriam operationem, quae corporali organo non expletur: tamen conjunctionem habet ad corpus dupliciter: scilicet ex parte essentiae animae, quae forma corporis est, et ex parte inferiorum potentiarum, ex quibus intellectus recipit; et per istum modum diversitas corporis in diversitatem intellectus redundat.

7. Bien que l’intellect soit détaché du corps pour son opération propre, qui n’est pas accomplie par un organe corporel, il est cependant uni au corps de deux manières : du point de vue de l’essence de l’âme, qui est la forme du corps, et du point de vue des puissances inférieures, dont l’intellect reçoit. La diversité du corps rejaillit ainsi sur la diversité de l’intellect.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 32

[6344] Super Sent., lib. 2 d. 32 q. 2 a. 3 expos.Ut post dominari non valeat. Videtur ex hoc quod aliquis eundo post concupiscentias, dominium originalis peccati revocet; et ita ex actuali peccato culpa originalis redit. Sed dicendum, quod per peccatum actuale dupliciter dominium concupiscentiae revocatur: tum quia gratia tollitur, quae impetum concupiscentiae mitigabat; tum quia per peccatum actuale pronitas in peccatum augetur. Neutro autem modo originale redit, ut ex praedictis patet: quia etsi gratia subtrahitur, non tamen per actum originis; unde non originalis macula, sed actualis consequitur. Similiter etiam nec ex hoc quod pronitas per consuetudinem augetur: quia hoc non pertingit ad id quod naturae est, quam per se originale respicit; sed personam consequitur ex actibus personalibus relicta. Praetereat reatu, et maneat actu. Actus non sumitur hic pro operatione: quia sic originale peccatum in actu non consistit; sed per modum quo actus contra potentiam dividitur, ut id quod jam praesens est, actu esse dicatur; sicut caecitas in actu esse dicitur, quando aliquis actu caecus est. Quibusdam videtur quod sicut anima a reatu purificatur, ita et caro ab illa pollutione purgatur. Utraque opinio vera est secundum aliquid intellecta: quia si accipitur pollutio carnis quantum ad hoc quod personam respicit, sic in Baptismo mundatur ut jam per illam pollutionem anima illius hominis infici non possit; inquantum vero respicit naturam, sic non purgatur, quia infectio illa in prolem ex actu naturae propagatur. Non tamen, ut ajunt, fit praejudicium veritati. Verum est, si intelligatur de veritate fidei, quia contrarium fidei non est: tamen est contra veritatem quam ratio adinvenire potest, et experientia docet. Quia cum infunditur corpori, condelectatur carni. Hoc non potest esse: quia illa delectatio aut diceret operationem aliquam; et sic esset peccatum actuale, ut Magister dicit: aut diceret naturalem inclinationem, qua anima corpori conjungitur, et in hoc non potest esse peccatum: quia quod naturale est malum esse non potest.

 

 

 

DISTINCTIO 33

Distinction 33 – [La transmission du péché depuis les premiers parents]

 

 

QUAESTIO 1

Question 1 – [Les péchés des parents rapprochés passent-ils aux enfants pour ce qui est de l’infection de la souillure originelle ?]

PROOEMIUM

Prologue

[6345] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 pr.Postquam determinavit de peccato originali quantum ad principium et quantum ad terminum, ostendens quomodo a parentibus contrahatur, et quomodo per Baptismum dimittatur; hic determinat de eo quantum ad numerum, inquirens, utrum originale sit unum, vel multa; et dividitur in duas. In prima inquirit, si peccatum originale sit unum, quasi ex uno peccato causatum et inductum; an multa, quasi ex peccatis omnium praecedentium parentum relictum: et ostendit quod ex peccato primi parentis inducitur tantum. In secunda inquirit, si ex peccato proximorum parentum aliqua poena in filios redundet, ibi: et licet peccatis parentum, nisi Adae, parvuli non obligentur, non est tamen diffitendum peccata parentum in filios redundare. Prima dividitur in duas: in prima ostendit quod ex solo peccato primi parentis tota posteritas originali inficitur; in secunda inquirit de illo peccato primo, cujusmodi fuerit, ibi: hic quaeri solet, utrum peccatum Adae transgressionis, ex quo processit originale (...) gravius fuerit ceteris peccatis. Prima dividitur in tres: in prima movet quaestionem; in secunda inducit probationem ad partem falsam, ad ostendendum peccata praecedentium parentum in parvulos transire, ibi: de hoc Augustinus in Enchiridio ambigue disserit; in tertia inducit ad partem veram, ibi: deinde de parentum praecedentium peccatis, utrum parvulis imputentur, magis opinando quam asserendo disceptat. Quod autem peccatum originale ex pluribus peccatis causetur, et non ex uno tantum primi parentis, tripliciter in secunda parte ostendit. Primo ex auctoritate Exodi 20, 5: ego sum Deus visitans iniquitates patrum usque in tertiam et quartam generationem. Secundo ex hoc quod in Scriptura originale pluraliter significatur, ibi: et quod non illud solum primi hominis delictum parvulos teneat, sed etiam alia, illi quibus ita videtur, ex eo confirmant quod etiam parvuli (...) dicuntur baptizari in remissionem peccatorum. Tertio ex multiplicitate peccati ipsius Adae, ibi: quod vero in actuali Adae peccato plura notari valeant peccata, Augustinus in Enchiridio insinuat. Deinde de parentum praecedentium peccatis, utrum parvulis imputentur, magis opinando quam asserendo disceptat. Hic inducit ea quae sunt ad contrariam partem; et primo ostendit quod etiam ea quae praedicta sunt ab Augustino, per modum dubitationis tradita sunt; secundo ostendit quod etiam ejus sententiae contradiceret, si ita poneretur, ibi: alioquin sibi contradiceret; ubi etiam solvit ea quae pro parte alia inducuntur, ibi: quod si est, non ergo peccatis patrum praecedentium obligantur, nisi Adae. Hic quaeri solet, utrum peccatum Adae (...) gravius fuerit ceteris peccatis. Hic inquirit, quale fuerit illud Adae peccatum, quod totam humanam naturam infecit; et dividitur in partes duas: in prima inquirit de gravitate ejus, utrum scilicet ceteris peccatis gravius fuerit; in secunda inquirit de remissione ipsius, utrum scilicet primis parentibus remissum sit, ibi: si vero quaeritur, an illud peccatum fuerit dimissum primis parentibus; dicimus eos per poenitentiam veniam consecutos. Circa primum tria facit: primo movet quaestionem; secundo inducit quamdam opinionem, et probationem ejus, ibi: quibusdam ita esse videtur; tertio inducit solutionem illius probationis, ibi: ad quod dici potest. Et licet peccatis parentum, nisi Adae, parvuli non obligentur, non est tamen diffitendum peccata parentum in filios redundare. Ostenso quod peccata proximorum parentum in filios non redundant quantum ad infectionem originalis maculae, hic inquirit utrum in eos redundent aliquo modo quantum ad aliquam poenam; et dividitur in partes duas: in prima movet dubitationem; in secunda determinat eam, ibi: sed ut ait Hieronymus (...) attendamus finem illius auctoritatis. Et dividitur in duas: quia primo determinat eam, exponendo auctoritates ad litteram; in secunda exponendo eas mystice, ibi: quod etiam mystice intelligendum esse ostendit. Circa primum duo facit: primo ponit auctoritates, et expositionem per quam ad concordiam reducuntur; secundo excludit quamdam objectionem, ibi: verumtamen si de imitatoribus illud accipitur, quare tertiam et quartam generationem tantum commemoravit. Quod etiam mystice intelligendum esse ostendit. Hic determinat dubitationem secundum mysticam positionem; et primo ponit expositionem; secundo inducit probationem ejus quod supposuerat, ibi: ad probandum vero, ut ait Hieronymus, quod primus pulsus cogitationis non puniatur aeternaliter a Deo, illud de Genesi afferendum est. Hic est duplex quaestio. Prima de unitate originalis peccati. Secunda de poena ejusdem. Circa primum quaeruntur tria: 1 si peccata proximorum parentum in filios transeant quantum ad infectionem maculae originalis; 2 dato quod non, si eos ad aliquam poenam obligatur; 3 si originale peccatum est unum, vel multa.

Après avoir déterminé du péché originel pour ce qui est de son principe et de son terme, en montrant comment il est contracté des parents et comment il est enlevé par le baptême, [le Maître] détermine ici de son nombre, en demandant s’il est unique ou multiple. Il y a deux parties. Dans la première, il demande si le péché originel est unique, ayant été causé et entraîné par un péché unique, ou multiple, ayant été laissé par les péchés de tous les parents précédents ; et il montre qu’il a été entraîné seulement par le péché du premier parent. Dans la seconde, il demande si une peine rejaillit sur les enfants en raison du péché de leurs proches parents, à cet endroit : « Et bien que les petits enfants ne soient pas liés par les péchés de leurs parents, sauf par celui d’Adam, il ne faut cependant pas nier que les péchés des parents rejaillissent sur les enfants. » La première partie est divisée en deux : dans la première, il montre que toute la postérité est infectée par un seul péché du premier parent ; dans la seconde, il s’interroge sur le mode de ce premier péché, à cet endroit : « Ici, on a coutume de se demander si le péché de transgression d’Adam, dont vient le péché originel…, était plus grave que les autres péchés. » La première partie se divise en trois. Dans la première, il soulève une question. Dans la deuxième, il fait appel à une preuve en faveur de la position fausse, pour montrer que les péchés des parents qui ont précédé passent chez les enfants, à cet endroit : « Dans l’Enchiridion, Augustin parle de cela d’une manière ambiguë. » Dans la troisième, il évoque la partie vraie, à cet endroit : « Ensuite, [Augustin] se prononce plutôt par mode d’opinion que par mode d’affirmation sur la question de savoir si les péchés des parents qui ont précédé sont imputés aux petits enfants. » Mais que le péché originel soit causé par plusieurs péchés du premier parent, et non seulement par un seul, il le montre de trois manières dans la seconde partie. Premièrement, par l’autorité d’Ex 20, 5 : Je suis Dieu, qui punis les fautes des pères jusqu’à la troisième et à la quatrième génération. Deuxièmement, par le fait que, dans l’Écriture, le [péché] originel est signifié au pluriel, à cet endroit : « Que non seulement la faute du premier parent habite les petits enfants, mais aussi les autres, ceux qui partagent cette opinion la confirment par le fait qu’on dit même des petits enfants… qu’ils sont baptisés pour la rémission des péchés. » Troisièmement, par le caractère multiple du péché d’Adam lui-même, à cet endroit : « Mais qu’on puisse relever dans le péché actuel d’Adam plusieurs péchés, Augustin le suggère dans l’Enchiridion. » « Ensuite, [Augustin] se prononce plutôt par mode d’opinion que par mode d’affirmation sur la question de savoir si les péchés des parents qui ont précédé sont imputés aux petits enfants. » Ici, il invoque ce qui est favorable à l’opinion contraire. Premièrement, il montre que même ce qui a été dit auparavant par Augustin a été enseigné à la manière d’un doute. Deuxièmement, il montre qu’il contredirait sa position, s’il affirmait cela, à cet endroit : « Autrement, il se contredirait… » Il résout aussi là ce qui est invoqué en faveur de l’autre partie, à cet endroit : « S’il en est ainsi, ils ne sont donc pas liés par les péchés des pères précédents, sauf par celui d’Adam. » « Ici, on a coutume de se demander si le péché d’Adam… était plus grave que les autres péchés. » Il demande ici quel a été ce péché d’Adam, qui a infecté la nature humaine tout entière. Dans la première partie, il s’interroge sur sa gravité : était-il plus grave que les autres péchés ? Dans la seconde partie, il s’interroge sur sa rémission : a-t-il été remis aux premiers parents ?, à cet endroit : « Mais si on se demande si ce péché à été remis aux premiers parents, nous disons qu’ils ont obtenu le pardon par la pénitence. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il soulève une question. Deuxièmement, il présente une opinion et sa démonstration, à cet endroit : « Il semble à certains qu’il en soit ainsi. » Troisièmement, il présente la solution de cette démonstration, à cet endroit : « À cela, on peut dire… » « Et bien que les petits enfants ne soient pas liés par les péchés de leurs parents, sauf par celui d’Adam, il ne faut cependant pas nier que les péchés des parents rejaillissent sur les enfants. » Après avoir montré que les péchés des proches parents ne rejaillissent pas sur les enfants pour ce qui est de l’infection de la souillure originelle, il se demande ici s’ils rejaillissent sur eux d’une certaine façon pour ce qui est d’une peine. Il y a deux parties : dans la première, il soulève un doute ; dans la seconde, il en détermine, à cet endroit : « Mais, comme le dit Jérôme…, regardons attentivement la fin de cette autorité. » Et cela se divise en deux : en premier lieu, il en détermine, en interprétant littéralement les autorités ; dans la seconde partie, en les interprétant mystiquement, à cet endroit : « Et il montre que cela doit aussi s’entendre mystiquement. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente les autorités et une interprétation selon laquelle elles s’harmonisent ; deuxièmement, il écarte une objection, à cet endroit : « Pourtant, si on entend cela des imitateurs, pourquoi a-t-il rappelé seulement la troisième et la quatrième génération ? » « Et il montre que cela doit aussi s’entendre mystiquement. » Il détermine ici du doute selon une interprétation mystique : premièrement, il présente l’interprétation ; deuxièmement, il invoque la preuve de ce qu’il avait indiqué plus haut, à cet endroit : « Comme le dit Jérôme, pour démontrer que la première impulsion de la pensée n’est pas punie éternellement par Dieu, il faut invoquer ce passage de la Genèse. » Ici, il y a une double question : la première, sur l’unité du péché originel ; la seconde, sur sa peine. À propos du premiet point, trois questions sont posées : 1. Les péchés des parents rapprochés passent-ils aux enfants pour ce qui est de l’infection de la souillure originelle ? 2. À supposer que non, sont-ils tenus à une peine ? 3. Le péché originel est-il un ou multiple ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum aliquis contrahat maculam ex parentibus proximis

Article 1 – Contracte-t-on la souillure des parents rapprochés ?

[6347] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod ex proximis parentibus aliquis contrahat maculam originaliter. In successiva enim generatione hominum quanto accipitur generans proximius, tanto efficacius similitudinem suam in genito inducit; unde filii magis assimilantur patribus quam avis et proavis, et sic deinceps. Sed traductio originalis est secundum assimilationem generantis ad genitum: quia in originali natus etiam in originali generat. Ergo magis contrahit natus originale per peccatum proximi parentis quam per peccatum Adae.

1. Il semble que l’on contracte originellement la souillure de ses parents rapprochés. En effet, dans la génération successive des hommes, si l’on considère le géniteur plus rapproché, celui-ci donne plus efficacement sa ressemblance à celui qui est engendré ; ainsi, les enfants ressemblent davantage à leur père qu’à leurs grands-pères et à leurs arrière-grands-pères, et ainsi de suite. Or, la transmission originelle se réalise par la ressemblance entre celui qui engendre et celui qui est engendré, car celui qui naît avec le [péché] originel engendre aussi avec le [péché] originel. Celui qui naît contracte donc davantage le [péché] originel par le péché du proche parent que par le péché d’Adam.

[6348] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, ex libidine coitus, ut supra dixit Augustinus, relinquitur originale in prole. Sed libido illa est proximi parentis, qualitercumque sumatur. Ergo ex peccatis proximorum parentum proles originaliter inficitur.

2. Comme l’a dit plus haut Augustin, le [péché] originel est laissé chez le descendant en raison du désir désordonné dans le rapport sexuel. Or, ce désir désordonné est celui du parent rapproché, quelle que soit la manière de l’envisager. L’enfant est donc originellement infecté par les péchés des parents rapprochés.

[6349] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, omnium convenientium in specie est eadem relatio ad naturam speciei. Sed omnes homines in specie conveniunt. Si ergo Adam per actum proprium naturam humanam corrumpere potuit, videtur quod etiam alii per actualia peccata humanam naturam in seipsis corrumpant. Sed filius accipit naturam humanam a patre. Ergo oportet quod ex peccato actuali proximi parentis sequatur infectio originalis culpae in prole.

3. Tous ceux qui participent à une espèce ont la même relation avec la nature de cette espèce. Or, tous les hommes participent à une seule espèce. Si donc Adam a pu corrompre la nature humaine par un acte propre, il semble donc que les autres aussi corrompent en eux-mêmes la nature humaine par leurs péchés actuels. Or, le fils reçoit la nature humaine de son père. Il est donc nécessaire que l’infection de la faute originelle découle du péché actuel du proche parent.

[6350] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 4Si dicatur, quod hoc non potest esse, quia ex quo natura humana corrupta est per primum peccatum, ulterius per sequentia non corrumpitur, contra. Primum peccatum non ex toto naturam humanam corrupit. Sed quod non ex toto corruptum est, adhuc corruptibile remanet, et magis quam primo fuit. Ergo humanam naturam possibile est etiam per sequentia peccata corrumpi; et praecipue cum alia sint aeque gravia, vel graviora quam primum fuit.

4. Si l’on dit que cela est impossible parce que, du fait que la nature humaine a été corrompue par une premier péché, elle n’est pas corrompue par les suivants, on dira en sens contraire que le premier péché n’a pas corrompu totalement la nature humaine. Or, ce qui n’a pas été totalement corrompu demeure encore corruptible, et encore davantage qu’il ne l’était en premier. Il est donc possible que la nature humaine soit corrompue aussi par les péchés suivants, surtout lorsque les autres ont une égale gravité ou sont plus graves que ne l’était le premier.

[6351] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 5Si dicatur, quod ideo per actum Adae natura corrumpi potuit, quia ipse principium naturae suae fuit, quod aliis non convenit; contra. Ponatur quod aliquem alium hominem Deus ex limo terrae formaret: constat quod istius Adam principium non esset. Sed illud quod est naturae principium, habet habitudinem principii ad omnia participantia naturam illam. Ergo videtur quod Adae non per se conveniat quod sit principium humanae naturae, sed per accidens tantum. Illud autem quod est per accidens, non causat variam habitudinem individui ad naturam speciei, inquantum species est. Ergo ex hoc non sequitur quod Adam potuerit inficere naturam humanam, cum et alii possent.

5. Si on dit que, effectivement, la nature peut être corrompue par l’acte d’Adam, parce qu’il était le principe de sa nature, ce qui ne convient pas aux autres, on dira en sens contraire qu’à supposer que Dieu aurait formé un autre homme à partir du limon de la terre, il est certain qu’Adam n’en serait pas le principe. Or, ce qui est le principe de la nature a un rapport de principe avec tout ce qui participe à cette nature. Il semble donc qu’il ne convienne pas de soi à Adam d’être le principe de la nature humaine, mais par accident seulement. Or, ce qui existe par accident ne cause pas un rapport différent de l’individu à la nature, en tant que celle-ci est l’espèce. Il n’en découle donc pas qu’Adam pouvait infecter la nature humaine, alors que les autres le pourraient.

[6352] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, Roman. 5, 12: per unum hominem peccatum in hunc mundum intravit; et loquitur de peccato originali, ut supra dixit Augustinus. Ergo tantum ex primo parente traducitur peccatum originale, et non ex peccatis proximorum parentum.

Cependant, [1] on lit en Rm 5, 12 : Le péché est entré dans ce monde par un seul homme ; et on parle du péché originel, comme l’a dit plus haut Augustin. Donc, le péché originel est transmis seulement par le premier parent, et non par les péchés des parents rapprochés.

[6353] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, originale ex actu originis causatur. Sed actus originis est uniformis et unus in tota natura humana. Ergo oportet quod infectio quae ex eo consequitur, non in diversa principia, sed in unum tantum reducatur.

[2] Ce qui est originel est causé par un acte d’origine. Or, l’acte d’origine est uniforme et unique pour la nature humaine tout entière. Il est donc nécessaire que l’infection qui en découle ne soit pas ramenée à divers principes, mais uniquement à un seul.

[6354] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, nullus defectus traducitur de necessitate ex parente in prolem, maxime qui ex parte animae se teneat, nisi qui naturam speciei respicit. Defectum autem ad naturam pertinentem solum primum peccatum induxit: ipsum enim discontinuavit adhaesionem hominis ad Deum. Ex hoc autem quod continue homo Dei adhaerebat, haec virtus illi indita erat ut sub obedientia rationis continue subderentur inferiores vires, et sub obedientia animae corpus, propter hoc scilicet quod ratio suo superiori continue subdita fuerat. Intercisa autem prima obedientia per hoc quod ratio primi hominis a Deo aversa est per peccatum, consecuta est disturbatio ordinis in inferioribus viribus ad rationem, et corporis ad animam. Sequentia autem peccata non sunt causa hujus intercisionis, scilicet rationis humanae ad Deum: quia sive alii homines peccarent, sive non, semper hoc remanebat in natura humana quod aliquando ratio hominis a Deo aversa fuerat. Sed ex aliis peccatis relinquuntur defectus et corruptiones personam respicientes, inquantum qui peccat, efficitur pronior ad peccandum: et ideo peccata actualia proximorum parentum nullo modo in filios transeunt.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, aucune carence n’est transmise nécessairement depuis le parent à l’enfant, surtout celle qui relève de l’âme, sinon celle qui concerne la nature de l’espèce. Or, seul le premier péché à entraîné une carence qui concerne la nature : en effet, c’est lui qui a interrompu l’adhésion de l’homme à Dieu. Or, par le fait que l’homme adhérait à Dieu, lui avait été donnée la puissance par laquelle les puissances inférieures seraient continuellement soumises en obéissant à la raison, et le corps en obéissant à l’âme, parce que la raison aurait été continuellement soumise à ce qui lui est supérieur. Or, une fois interrompue la première obéissance du fait que la raison du premier homme s’est détournée de Dieu par le péché, en est découlée la destruction de l’ordre des puissances inférieures par rapport la raison, et du corps par rapport à l’âme. Or, les péchés suivants ne sont pas la cause d’une telle interruption, celle [de l’ordre] de la raison pas rapport à Dieu. En effet, soit que les autres hommes auraient péché, soit qu’ils ne l’auraient pas fait, il restait toujours dans la nature humaine que la raison de l’homme s’était à un certain moment détournée de Dieu. Mais des carences et des corruptions concernant la personne sont laissées par les autres péchés, dans la mesure où celui qui pèche devient plus enclin à pécher. Ainsi, les péchés actuels des parents rapprochés ne passent aucunement chez les enfants.

[6355] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod assimilatio generantis ad genitum, per se loquendo, est in natura speciei; quia generans univocum generat sibi simile in specie. Contingit autem quandoque quod etiam in accidentibus individui sit assimilatio filii ad patrem; sed hoc non est nisi in accidentibus corporalibus, ut quod podagricus generet podagricum; non autem in accidentibus animae: non enim musicus generat musicum, sed rationalis rationalem. Peccata autem proximorum parentum nihil in naturam corruptionis inducunt, inquantum natura est: quia natura jam corrupta est, secundum quod corrumpi potuit, per peccatum primi hominis: et ideo natura cum illa corruptione pervenit ad proximos parentes, et cum illa corruptione naturam traduxit: et ideo dicitur, quod omnis homo generat inquantum est Adam: et ita patet quod ex solo peccato primi parentis originale contrahitur.

1. À parler par soi, la ressemblance entre celui qui engendre et celui qui est engendré existe dans la nature de l’espèce, car le géniteur univoque engendre quelque chose qui lui est semblable selon l’espèce. Mais il arrive parfois qu’il existe aussi une ressemblance entre le fils et le père ; mais cela n’existe que pour les accidents corporels, comme lorsqu’un boiteux engendre un boiteux, mais non pour les accidents de l’âme : en effet, un musicien n’engendre pas un musicien, mais un être raisonnable, un être raisonnable. Mais les péchés des parents rapprochés n’entraînent aucune corruption pour ce qui est de la nature, car la nature a déjà été corrompue, autant qu’elle pouvait être corrompue, par le péché du premier homme. Aussi la nature est-elle parvenue aux parents rapprochés avec cette corruption, et a-t-elle transmis la nature avec cette corruption. C’est pourquoi on dit que tout homme engendre en tant qu’il est Adam. Il ressort ainsi que le péché originel est contracté du premier parent seulement.

[6356] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod libido proximi parentis, per quam peccatum originale in prolem inducitur, quocumque modo sumatur, non habet virtutem inficiendi prolem macula culpae, nisi secundum quod consecutum est ex voluntate inordinata primi parentis: et ideo tota causa infectionis in peccatum primi parentis retorquetur.

2. Le désir désordonné du parent rapproché, par lequel le péché originel est entraîné, quelle que soit la manière de l’entendre, n’a le pouvoir d’affecter sa descendance de la souillure de la faute que selon qu’il découlait de la volonté désordonnée du premier parent. C’est pourquoi la cause entière de l’infection revient au péché du premier parent.

[6357] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod in Adam fuit natura integra dotata munere, quod Deus humanae naturae gratis contulerat; unde per peccatum ipsius potuit natura corrumpi in ipso, et per consequens in omnibus qui naturam humanam ab eo acciperent: quia genitum accipit naturam a generante qualem generans habet. In aliis autem hominibus invenitur natura jam corrupta; unde illius corruptionis ulterius istud peccatum causa esse non potest; sicut quod semel mortuum est, iterum non occiditur. In quocumque autem homine fuisset inventa humana natura integra, per peccatum ipsius poterat corrumpi in eo, et in his qui ab eo descenderent. Unde patet quod servatur eadem relatio omnium hominum ad naturam communem.

3. En Adam, existait une nature intacte pourvue d’un don que Dieu avait donné gratuitement à la nature humaine ; c’est pourquoi, par son péché, la nature pouvait être corrompue chez lui et, par conséquent, chez tous ceux qui recevraient de lui la nature humaine, car celui qui est engendré reçoit du géniteur la nature que le géniteur possède. Mais, chez les autres hommes, on trouve une nature déjà corrompue. Aussi ce péché ne peut-il être cause d’une corruption plus grande, comme celui qui est une fois mort ne peut être tué de nouveau. Mais, chez tout homme où se serait trouvée une nature humaine intacte, elle aurait pu être corrompue par son péché chez lui et chez ceux qui descendraient de lui. Il ressort ainsi clairement qu’est préservée la même relation de tous les hommes à une nature commune.

[6358] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod per peccatum personae non corrumpitur in natura illud quod ex principiis naturae relinquitur, nisi forte quantum ad personam illam pertinet; sed corrumpitur solum quantum ad id bonitatis quod naturae superadditum fuit. Hoc autem totum per primum peccatum subtractum est. Unde illud naturae quod integrum remanet, per alia peccata corruptibile non fuit, nisi quantum ad personam peccantis, prout in eo relinquitur minor habilitas ad consequendum gratiam; et talis corruptio ab uno in alterum non transfunditur.

4. Par le péché d’une personne n’est pas corrompu dans la nature ce qui est laissé des principes de la nature, si ce n’est pour ce qui concerne cette personne ; mais elle n’est corrompue que pour ce qui a été ajouté de bonté à la nature. Or, tout cela a été enlevé par le premier péché. Aussi ce qu’il reste d’intact de la nature ne pouvait-il être corrompu par d’autres péchés que pour ce qui est de la personne de celui qui pèche, pour autant qu’il reste en lui une moindre aptitude à obtenir la grâce. Et une telle corruption ne passe pas de l’un à l’autre.

[6359] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod principium alicujus naturae potest accipi dupliciter. Vel secundum quod natura consideratur absolute secundum rationem speciei; et hoc modo Adam non fuit principium naturae humanae nisi per accidens, nec sic etiam totam naturam humanam infecit; quia si aliquis de limo terrae iterum formaretur, originalem maculam non haberet. Aut prout habet esse natura communis in individuis; et hoc modo quodlibet generans est quodammodo naturae principium in genito; et secundum hunc modum ille homo ex quo omnes homines geniti sunt, naturae humanae principium dicitur esse.

5. Le principe d’une nature peut s’entendre de deux manières. Soit selon que la nature est envisagée de manière absolue selon la raison de l’espèce : de cette manière, Adam n’a été le principe de la nature humaine que par accident, et il n’a pas ainsi infecté la nature humaine tout entière, car s’il était de nouveau formé du limon de la terre, il n’aurait pas la souillure originelle. Soit en tant que la nature commune possède l’être chez des individus : de cette manière, tous ceux qui engendrent sont d’une certaine manière principe de la nature chez celui qui est engendré. On dit ainsi que cet homme, à partir duquel tous les hommes ont été engendrés, est principe de la nature humaine.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum culpa proximorum parentum redundet in filios quantum ad poenam

Article 2 – La faute des parents rapprochés rejaillit-elle sur les enfants pour ce qui est de la peine ?

[6361] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod culpa proximorum parentum in filios redundet quantum ad poenam. Primo per id quod dicitur Exod. 20, 5: ego sum Deus Zelotes, visitans iniquitates patrum in filios; et loquitur ibi de visitatione correctionis, quae per poenam fit. Ergo pro peccatis parentum filii puniuntur.

1. Il semble que la faute des proches parents rejaillisse sur les enfants pour ce qui est de la peine. Premièrement, par le fait qu’il est dit dans Ex 20, 5 : Moi, je suis un Dieu jaloux, qui visite les fautes des pères sur les enfants ; et il parle là de la visite de correction, qui se réalise par la peine. Les enfants sont donc punis pour les péchés de leurs parents.

[6362] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 2 arg. 2Si dicatur, quod intelligitur tantum de imitantibus peccata patrum, ut in littera dicitur; contra, ipsa imitatio qua quis peccatorem imitatur, peccatum quoddam est; nec est peccatum imitati, sed imitantis. Si ergo pro hoc puniantur filii quod peccata patrum imitantur, non peccata patrum in eis visitat Deus, ut Scriptura dicit, sed peccata propria.

2. Si on dit que cela s’entend seulement de ceux qui imitent les péchés de leurs pères, comme le dit le texte, on dira en sens contraire que l’imitation même, par laquelle quelqu’un imite un pécheur, est un péché ; et le péché n’existe pas chez celui qui est imité, mais chez celui qui imite. Si donc les enfants sont punis parce qu’ils imitent les péchés de leurs pères, Dieu ne visite pas en eux les péchés des pères, comme le dit l’Écriture, mais leurs propres péchés.

[6363] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, non magis peccat qui imitatur patrem in aliquo genere peccati, quam ipse pater peccaverit in eodem peccato; immo forte minus, secundum quod habet majus inclinans ad peccandum, scilicet exemplum patris. Sed qui plus non peccat, plus non debet puniri. Si ergo pater pro illo peccato temporaliter punitus non fuit, injustum est ut pro ejus imitatione filius puniatur. Si ergo punitur, videtur quod pro utroque peccato filius puniatur, scilicet proprio, et patris.

3. Celui qui imite son père dans un genre de péché ne peche pas davantage que le père lui-même n’a péché pour le même péché, bien plutôt, [il pèche] moins, dans la mesure où quelque chose de plus fort l’incline à pécher : l’exemple de son père. Or, celui qui ne pèche pas davantage ne doit pas être davantage puni. Si donc le père n’a pas été puni temporellement pour ce péché, il est injuste que le fils soit puni pour l’avoir imité. Si donc il est puni, il semble que le fils soit puni pour les deux péchés : le sien propre et celui de son père.

[6364] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, justitia humana exemplata est a divina. Sed secundum humanam justitiam filii pro peccato parentum exheredantur. Ergo et secundum divinam justitiam filii pro peccatis patrum puniuntur.

4. La justice humaine est à l’image de la justice divine. Or, selon la justice humaine, les enfants sont déshérités pour le péché de leurs parents. Selon la justice divine, les enfants sont donc punis pour les péchés de leurs pères.

[6365] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, magis est conjunctus filius patri quam populus regi. Sed pro peccato regis populus punitur, ut legitur 2 regum, ult., quando David populum numeravit. Ergo multo fortius pro peccato parentum filii puniuntur.

5. Le fils est plus uni à son père que le peuple au roi. Or, le peuple est puni pour le péché du roi, comme on le lit en 1 R, lorsque David fit le recensement du peuple. À bien plus forte raison, les fils sont-ils donc punis pour le péché de leurs parents.

[6366] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra Ezech. 18, 19: filius non portabit iniquitatem patris. Portaret autem, si pro ejus peccato poenam subiret. Ergo filii pro peccatis parentum non puniuntur.

Cependant, [1] on lit en Ez 18, 19 : Le fils ne portera pas la faute du père. Or, il la porterait s’il subissait une peine pour le péché de celui-ci. Les enfants ne sont donc pas punis pour les péchés de leurs parents.

[6367] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, poena respondet culpae. Sed culpa patris actualis non transfunditur in filium. Ergo injustum est quod pro culpa patris filius puniatur.

[2] De plus, la peine correspond à la faute. Or, la faute actuelle du père ne passe pas au fils. Il est donc injuste que le fils soit puni pour la faute de son père.

[6368] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod filius potest dupliciter considerari: vel inquantum est persona quaedam; vel prout est quaedam res parentis: quia ad felicitatem civilem inter alia bona fortunae quae conferunt organice ad illam, etiam proles conferre dicitur a philosopho. Est autem filius res quaedam parentis quantum ad corpus quod a patre habet, et quantum ad res mundi, de quibus filius patrem juvare tenetur. Sed quantum ad animam, quae immediate a Deo creatur, non est res parentis, sed ipsius Dei: et hoc significatur Ezech. 18, 4: sicut anima patris mea est, ita et anima filii. Sciendum est ergo, quod peccatum consequitur duplex poena. Una per se, quae ad animam pertinet, et in praesenti, ut amissio gratiae et turbatio conscientiae et hujusmodi, et in futuro, ut poena Inferni; et hujusmodi poena nunquam filius pro peccato patris punitur, quia ista poena non attingit ipsum secundum quod est res patris. Alia poena consequitur peccatum quasi per accidens, sicut infirmitates corporales, et aliae poenae temporales; unde nec etiam semper peccantibus tales poenae infliguntur, sed secundum moderationem providentiae divinae cuncta gubernantis: et tali poena quandoque punitur filius pro peccato patris, nisi fiat impedimentum ex parte filii, ut contrarius peccato patris existat per bonam vitam: haec enim poena contingit ipsum secundum quod est res patris; sicut etiam pro peccato hominis quandoque occiduntur animalia, et effodiuntur domus, in quibus nulla est culpa.

Réponse. Le fils peut être considéré de deux manières : soit comme une personne, soit comme la chose de son père, car le Philosophe dit que les descendants contribuent à la félicité civile, parmi les autres biens de la fortune qui y contribuent comme des instruments. Or, le fils est la chose de son père pour ce qui est du corps qu’il tient de son père et pour ce qui concerne les réalités du monde, pour lesquelles le fils est obligé d’aider son père. Mais, pour ce qui est de son âme, qui est créée par Dieu de manière immédiate, il n’est pas la chose de son père, mais de Dieu lui-même. C’est ce qui est signifié en Ez 18, 4 : De même que l’âme du père m’appartient, de même aussi l’âme du fils. Il faut donc savoir que le péché encourt une double peine. L’une par lui-même, qui concerne l’âme et le présent, comme la perte de la grâce, le trouble de la conscience et ainsi de suite, ainsi que le futur, comme la peine de l’enfer. Le fils n’est jamais puni par une peine de cette sorte pour le péché de son père, car cette peine ne l’atteint pas selon qu’il est la chose de son père. L’autre peine découle du péché comme par accident, comme les infirmités corporelles et les autres peines temporelles. Aussi de telles peines ne sont-elles pas toujours infligées aux pécheurs, mais selon le gouvernement de la providence divine qui gouverne tout. Et parfois, le fils est puni pour le péché de son père, à moins que le fils ne tente de l’empêcher, en s’opposant au péché de son père par sa vie bonne. En effet, cette peine l’atteint selon qu’il est la chose du père, comme sont parfois aussi tués ses animaux pour le péché d’un homme, et saccagées ses demeures, chez lesquels il n’y a cependant aucune faute.

[6369] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas ista intelligitur de poena temporali, et in illis qui imitando peccatum parentum, non praestant impedimentum vindictae.

1. Cette autorité s’entend de la peine temporelle, et pour ceux qui, en imitant le péché de leurs parents, ne présentent pas d’empêchement à la vengeance.

[6370] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod imitatio non ponitur causa prima, pro quo poena temporalis infligatur; sed quasi causa media per quam influentia causae primae ad effectum conjungitur; virtus enim peccati parentis non pervenit in istum, si peccato repugnet. Sed per imitationem quodammodo continuatur; unde ex hoc non tollitur quin pro peccato patris aliquo modo puniatur.

2. L’imitation n’est pas donnée comme la cause première pour laquelle une peine temporelle est infligée, mais comme une cause intermédiaire, par laquelle l’influence de la cause première est unie à l’effet. En effet, la puissance du péché du parent ne l’atteint pas, s’il s’oppose au péché. Mais elle devient en quelque sorte continuée par l’imitation. Cela n’empêche donc pas qu’il soit puni d’une certaine manière pour le péché du père.

[6371] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod in filio imitante peccatum patris est duplex ratio quare temporaliter puniatur: tum quia ipsemet peccat imitando patrem; tum quia res patris est, et decet ut pro peccato patris puniatur, inquantum est res ejus. In patre autem erat una ratio tantum; et ideo magis punitur filius quam pater; et praecipue quia contingit ut filii qui peccata patrum imitantur, liberius peccent, quasi in his nutriti, et in plura peccata se praecipitant cum minori conscientiae remorsu propter consuetudinem et auctoritatem majorum suorum.

3. Chez le fils qui imite le péché de son père, il existe une double raison pour laquelle il est puni temporellement : parce que lui-même pèche en imitant son père, et parce qu’il est la chose du père, et qu’il convient qu’il soit puni pour le péché de son père, pour autant qu’il est sa chose. Mais, chez le père, il n’existait qu’une seule raison. Aussi le fils est-il davantage puni que le père, surtout parce qu’il arrive que les enfants qui imitent les péchés de leurs pères pêchent plus facilement, comme s’ils y étaient élevés, et ils se précipitent dans un plus grand nombre de péchés avec un moindre remords de conscience en raison de l’habitude et de l’autorité de leurs ancêtres.

[6372] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod justitia humana non punit filium pro peccato patris in eo etiam quod ex patre jam accepit; sed in eo quod ex patre accepturus esset vel quantum ad corpus, vel etiam quantum ad possessiones: non enim quia pater peccat, filius jam natus truncatur, neque filius mancipatus exheredatur: sed per accidens poena patris redundat in filium, quando patri aufertur id quod in filium ex patre transire debebat, ut hereditas, vel etiam membrum, quia ex truncatis truncatus nascitur.

4. La justice humaine ne punit pas le fils pour le péché du père en raison de ce qu’il a déjà reçu de son père, mais en raison de ce qu’il doit recevoir de son père, soit quant à son corps, soit quant à ses biens. En effet, parce que le père pèche, le fils déjà né n’est pas amputé, et le fils déjà pourvu n’est pas déshérité. Mais la peine du père rejaillit par accident sur le fils, lorsqu’est enlevé au père ce qui devait passer du père au fils, tel son héritage et même un membre, car un amputé naît d’amputés.

[6373] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod populus est res regis, et punitur populus, ut in poena ejus rex puniatur: et hoc praecipue contingit, ut Gregorius dicit, quando peccata populi merentur ut super eos rex peccator constituatur, vel in peccatum labi permittatur, ut Job 34, 30: qui regnare facit hypocritam propter peccata populi. Et sic patet quod populus etiam pro peccato proprio punitur.

5. Le peuple est la chose du roi, et le peuple est puni afin que, par sa peine, le roi soit puni. Et, comme le dit Grégoire, cela arrive surtout lorsque les péchés du peuple méritent qu’un pécheur soit établi sur eux ou qu’il lui est permis de tomber dans le péché, comme le dit Jb 34, 30 : Lui qui fait régner un hypocrite en raison des péchés du peuple. Il ressort ainsi que le le peuple est aussi puni pour son propre péché.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum peccatum originale sit unum tantum

Article 3 – Le péché originel est-il unique ?

[6375] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod peccatum originale non sit unum tantum. Quod enim pluraliter significatur, unum esse non potest. Sed sancti de originali loquentes, pluraliter ipsum significant, ut Rabanus, qui dicit, quod homini in peccatum redeunti, non solum peccata quae post Baptismum egit, imputabuntur ad poenam, sed originalia quae in Baptismo ei dimissa sunt, ut 4 Lib. sententiarum, 22 dist., dicitur. Ergo originale peccatum non est unum tantum.

1. Il semble que le péché originel ne soit pas unique. En effet, ce qui est mis au pluriel ne peut pas être unique. Or, en parlant du [péché] originel, les saints utilisent le pluriel, comme Raban, qui dit qu’à l’homme qui revient au péché, ne seront pas imputés seulement les péchés qu’il a faits après le baptême, mais les [péchés] originels qui lui ont été remis par le baptême, comme on le dit dans Sentences, livre IV, d. 22. Le péché originel n’est donc pas un péché unique.

[6376] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, impossibile est quod unus habitus inclinet ad omnes actus peccati, praecipue cum quidam eorum ad invicem contrarientur. Sed secundum Anselmum, originale est pronitas ad omne malum. Ergo impossibile est quod sit unum tantum.

2. Il est impossible qu’un habitus unique incline à tous les actes de péché, surtout lors que certains d’entre eux sont contraires les uns aux autres. Or, selon Anselme, le [péché] originel est une inclination à tout mal. Il est donc impossible qu’il soit seulement unique.

[6377] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, uni culpae debetur una poena. Sed peccato originali multiplex poena debetur, ut carentia visionis divinae, necessitas moriendi, et hujusmodi. Ergo non est tantum una culpa.

3. Une peine unique est due pour une unique faute. Or, une peine multiple est due pour le péché originel, comme la carence de la vision de Dieu, la nécessité de mourir et ainsi de suite. Il n’est donc pas une faute unique.

[6378] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, impossibile est idem accidens in anima et corpore esse sicut in subjecto. Sed foeditas originalis ex carne resultat in animam; et tamen postquam animam infecerit, in carne esse non desinit. Ergo non est una tantum infectio, sed plures.

4. Il est impossible qu’un même accident existe dans l’âme et dans le corps comme dans son sujet. Or, la laideur du [péché] originel n’atteint l’âme qu’à partir de la chair ; cependant, après que l’âme a été infectée, il ne cesse pas d’exister dans la chair. Il n’y a donc pas une seule infection, mais plusieurs.

[6379] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, diversarum potentiarum diversae sunt privationes et habitus. Sed per originale omnes potentiae animae sunt corruptae. Ergo originale impossibile est unum esse.

5. Des privations et des habitus différents sont le fait de puissances différentes. Or, par le [péché] originel, toutes les puissances de l’âme sont corrompues. Il est donc impossible que le [péché] originel soit unique.

[6380] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra, Rom. 5 in Glossa: unus homo unum peccatum misit in mundum, et loquitur de originali. Ergo originale est unum.

Cependant, [1] on lit dans la Glose sur Rm 5 : « Un seul homme a envoyé dans le monde un seul péché. » Le [péché] originel est donc unique.

[6381] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, subjectum originalis est essentia animae, ut supra dictum est. Sed essentia animae est tantum una. Ergo originale est tantum unum.

[2] Le sujet du [péché] originel est l’essence de l’âme, comme on l’a dit plus haut. Or, il n’y a qu’une seule essence de l’âme. Il n’y a donc qu’un seul [péché] originel.

[6382] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod in aliquo habente plures partes potest esse corruptio in partibus duplex: vel ex eo quod solvitur illa aequalitas ex qua omnium partium bona habitudo erat; vel ex eo quod solvitur aliquid eorum quod determinatam partem servabat, ut patet in corpore. Contingit enim debilitatem fieri in partibus corporis ex eo quod solvitur aequalitas complexionis ex qua erat vigor in omnibus partibus corporis, sicut in febre accidit: et ideo una febris est qua partes omnes corporis debilitantur, et non singulae in singulis partibus. Contingit etiam partes corporis debilitari per hoc quod defectus est alicujus in quo virtus membri consistebat: et tunc oportet quod diversis partibus diversae corruptiones respondeant, sicut quod oculus est lippus, et pes est claudus, et sic de aliis. Similiter contingit esse corruptionem in partibus animae dupliciter. Aut ex eo quod uniuscujusque partis animae fit corruptio quantum ad id quod proprium est sibi, sicut est in peccato actuali, quia per proprium actum potentiae inducitur prava dispositio et habitus in ipsa: et secundum hoc oportet ut plurium potentiarum sint plures corruptiones: non enim eodem habitu peccati corrumpuntur concupiscibilis et irascibilis, et sic de aliis: sed sicut diversis habitibus virtutum perficiuntur, ita etiam diversis habitibus vitiorum corrumpuntur. Aut ex eo quod tollitur illud quod omnes partes animae in recto ordine conservabat: et talis corruptio est per originale peccatum, quod est privatio originalis justitiae; et ideo peccatum originale, quo omnes partes animae corrumpuntur, est unum tantum in homine uno; in pluribus autem numero differunt.

Réponse. Dans ce qui possède plusieurs parties, il peut exister une double corruption des parties : soit l’égalité par laquelle existait un bon rapport entre les parties est rompue ; soit quelque chose de ce qui servait une partie déterminée disparaît, comme cela ressort clairement dans le corps. En effet, il arrive qu’une faiblesse se produise dans les parties du corps du fait qu’est rompue l’égalité de sa complexion, d’où provenait la vigueur de toutes les parties du corps, comme cela se produit pour la fièvre ; c’est ainsi qu’existe une seule fièvre par laquelle toutes les parties du corps sont affaiblies, et pas une en chacune des parties. Il arrive aussi que les parties du corps soient affaiblies du fait qu’il y a carence de quelque chose en quoi consistait la vigueur d’un membre. Il faut alors que des corruptions différentes correspondent à des parties différentes : ainsi l’œil est chassieux, le pied est boiteux, et ainsi de suite. De même, il arrive qu’existe une corruption dans les parties de l’âme de deux manières. Soit une corruption de toutes les parties de l’âme apparaît en ce qui lui est propre, comme c’est le cas pour le péché actuel, car l’acte propre de la puissance fait apparaître une mauvaise disposition et un habitus mauvais en elle ; il faut ainsi que des corruptions multiples se produisent en plusieurs puissances. En effet, le concupiscible et l’irascible ne sont pas corrompus par le même habitus de péché, et ainsi de suite pour les autres [puissances], mais, de même qu’ils sont perfectionnés par les différents habitus des vertus, de même sont-ils corrompus par les différents habitus des vices. Soit [une corruption provient] du fait qu’est enlevé ce qui conservait toutes les parties de l’âme dans un ordre correct : c’est une telle corruption qui vient du péché originel, qui est la privation de la justice originelle. C’est pourquoi le péché originel, par lequel toutes les parties de l’âme sont corrompues, est unique chez un seul homme, mais il diffère en nombre chez plusieurs.

[6383] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod peccatum originale quodammodo est actualium peccatorum principium, inquantum fomes ad actualia peccata inclinat. Omnis autem effectus secundum virtutem est in sua causa. Peccatum ergo originale per essentiam est unum, sed virtute multiplex; et ideo pluraliter significari potest: vel propter multos defectus coincidentes.

1. Le péché originel est d’une certaine manière le principe des péchés actuels, dans la mesure où le désir désordonné incline aux péchés actuels. Or, tout effet existe en puissance dans sa cause. Le péché originel est donc unique par son essence, mais multiple par sa puissance. C’est pourquoi on peut en parler au pluriel, ou encore en raison des multiples carences qui viennent avec lui.

[6384] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod sicut movens est duplex, unum per se, et aliud per accidens, quod est removens prohibens; ita etiam inclinans ad peccatum invenitur in anima duplex: unum per se, scilicet habitus et dispositio ex peccato relicta, quia secundum similitudinem dispositionis est actus ad quem dispositio inclinat: aliud per accidens, quasi removens prohibens: et sic peccatum originale ad omnia actualia inclinat, inquantum removet originalem justitiam, per quam vires a lapsu in peccatum continebantur. Et ideo non oportet quod secundum diversitatem peccatorum actualium diversificetur originale; contingit enim quod idem removens prohibens est causa per accidens contrariorum motuum: sicut patet in corruptione corporum mixtorum, quia abeunte virtute quae miscibilia in unum continebat, quodlibet elementorum in suum locum tendit.

2. De même que ce qui meut est double : l’un en soi et l’autre par accident ‑ qui enlève un empêchement ‑, de même ce qui incline au péché dans l’âme est double : l’un par soi ‑ l’habitus et la disposition laissés par le péché, car l’acte auquel incline une disposition est à la ressemblance de la disposition ; l’autre par accident, qui enlève un empêchement. Et ainsi le péché originel incline-t-il à tous les [péchés] actuels, dans la mesure où il enlève la justice originelle, par laquelle les puissances étaient retenues de tomber dans le péché. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que le [péché] originel se diversifie selon la diversité des péchés actuels. En effet, il arrive que la même chose qui enlève ce qui empêche soit la cause par accident de mouvements contraires, comme cela ressort dans la corruption de corps mixtes, car, en raison du retrait de la puissance par laquelle ce qui est susceptible d’être mélangé était retenu en un seul [lieu], chacun des éléments tend vers son lieu.

[6385] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod poena quae per se originali culpae respondet, est carentia visionis divinae; aliae autem poenae consequuntur ipsam quasi per accidens: quia ex quo subtracta est originalis justitia, qua corpus animae subjacebat, oportet quod vita hominis permaneat secundum exigentiam corporis: unde sequitur necessitas moriendi, quia corpus ex contrariis compositum est: et similiter est de aliis.

3. La peine qui correspond par soi à la faute originelle est la carence de la vision de Dieu ; mais les autres peines en découlent comme par accident, car, du fait que la justice originelle a été enlevée, par laquelle le corps était soumis à l’âme, il faut que la vie de l’homme reste soumise au corps. De là vient la nécessité de mourir, car le corps est composé de contraires. De même en va-t-il pour les autres [peines].

[6386] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod subjectum originalis culpae non est caro, sed anima. Oportet enim quod in eodem subjecto sint privatio et habitus; unde sicut illa originalis justitia quae in anima erat, continebat corpus a morte virtute animae justitiam habentis; ita etiam ex privatione quae est in anima, resultat defectus omnis qui est in corpore; nec defectus iste erat in carne ante infusionem animae in actu, sed virtute tantum, ut supra dictum est.

4. Le sujet de la faute originelle n’est pas la chair, mais l’âme. En effet, il faut que la privation et l’habitus se trouvent dans le même sujet. De même que la justice originelle qui se trouvait dans l’âme empêchait le corps de mourir par la puissance de l’âme qui possédait la justice, de même aussi résultent de la privation qui existe dans l’âme toutes les carences qui existent dans le corps. Et ces carences n’existaient pas dans la chair avant l’infusion de l’âme en acte, mais en puissance seulement, comme on l’a dit plus haut.

[6387] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum patet responsio per id quod supra dictum est.

5. La réponse au cinquième argument ressort clairement de ce qui a été dit plus haut.

 

 

QUAESTIO 2

Question 2 – [Une peine sensible est-elle due après la mort chez ceux qui meurent avec le péché originel seulement ?]

PROOEMIUM

Prologue

[6388] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 pr.Deinde quaeritur de poena originalis peccati; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum peccato originali post mortem debeatur poena sensibilis in illis qui in originali tantum peccato decedunt; 2 utrum aliquem interiorem dolorem sentiant in anima spiritualem qui pro peccato originali tantum puniuntur.

On s’interroge ensuite sur la peine du péché originel. À ce sujet, deux questions sont posées : 1. Une peine sensible est-elle due après la mort à ceux qui meurent avec le péché originel seulement ? 2. Ceux qui sont punis seulement pour le péché originel seulement éprouvent-ils une douleur spirituelle intérieure dans leur âme ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum poena sensibilis debeatur peccato originali secundum se

Article 1 – Une peine sensible est-elle due pour le péché originel en lui-même ?

[6390] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod peccato originali secundum se debeatur poena sensibilis. Dicit enim Augustinus de fide ad Petrum: firmissime tene, et nullatenus dubites parvulos qui sine sacramento Baptismatis de hoc saeculo transierunt, aeterno supplicio puniendos. Sed supplicium poenam sensibilem nominat. Ergo parvuli qui pro solo originali punientur, sensibilem poenam sustinebunt.

1. Il semble qu’une peine sensible soit due pour le péché originel en lui-même. En effet, Augustin dit, dans Sur la foi à Pierre : « Crois très fermement et ne doute aucunement que les tout-petits, qui ont quitté le siècle sans le baptême, seront punis d’un supplice éternel. » Or, « supplice » désigne une peine sensible. Les tout-petits, qui seront punis pour le seul péché originel, subiront donc une peine sensible.

[6391] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 1 arg. 2Praeterea, majori culpae debetur major poena. Sed originale est majus peccatum quam veniale, quia plus habet de aversione, eo quod gratiam subtrahit: veniale autem gratiam secum compatitur: et iterum aeterna poena punitur originale; sed veniale temporali. Cum ergo veniali peccato debeatur poena sensibilis, multo amplius originali.

2. Une peine plus grande est due pour une faute plus grande. Or, le [péché] originel est plus grand que le [péché] véniel, car il comporte une plus grande aversion (aversio), du fait qu’il enlève la grâce, alors que le [péché] véniel tolère la grâce en même temps que lui. Le [péché] originel est aussi puni d’une peine éternelle, mais le [péché] véniel, d’une peine temporelle. Puisqu’une peine sensible est due pour le [péché] véniel, encore bien davantage [l’est-elle] pour le [péché] originel.

[6392] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 1 arg. 3Praeterea, gravius puniuntur peccata post hanc vitam quam in vita ista, ubi est misericordiae locus. Sed in hac vita respondet originali poena sensibilis: pueri enim qui solum originalem habent multas poenas sensibiles sustinent, nec injuste. Ergo et post hanc vitam poena sensibilis debetur.

3. Les péchés sont plus gravement punis après la vie présente qu’au cours de cette vie, qui laisse place à la miséricorde. Or, pendant cette vie, une peine sensible correspond au [péché] originel. En effet, les enfants, qui n’ont que le [péché] originel, subissent plusieurs peines sensibles, et non pas injustement. Après cette vie aussi, une peine sensible est donc due.

[6393] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 1 arg. 4Praeterea, sicut in peccato actuali est aversio et conversio, ita in peccato originali aliquid aversioni respondet, scilicet privatio originalis justitiae, et aliquid conversioni, scilicet concupiscentia. Sed peccato actuali ratione conversionis debetur poena sensibilis. Ergo et originali ratione concupiscentiae.

4. De même que, dans le [péché] actuel, il y aversion (aversio) et conversion (conversio), de même, dans le [péché] originel, quelque chose correspond à l’aversion : la privation de la justice originelle, et quelque chose à la conversion : la concupiscence. Or, une peine sensible est due pour le péché actuel en raison de la conversion. Donc, aussi, pour le [péché] originel en raison de la concupiscence.

[6394] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 1 arg. 5Praeterea, corpora puerorum post resurrectionem aut erunt passibilia, aut impassibilia. Si impassibilia (et nullum corpus humanum potest esse impassibile, nisi vel per dotem impassibilitatis, sicut est in beatis, vel ratione originalis justitiae, sicut in statu innocentiae), ergo corpora puerorum vel habebunt dotem impassibilitatis, et sic gloriosa erunt, et non erit differentia inter pueros baptizatos et non baptizatos, quod est haereticum; vel originalem justitiam habebunt, et sic originali peccato carebunt; nec pro peccato originali punientur, quod est similiter haereticum. Si autem sint passibilia (omne autem passibile de necessitate patitur, activo praesente); ergo praesentibus corporibus sensibilibus activis sensibilem poenam patientur.

5. Les corps des enfants, après la résurrection, seront soit susceptibles de souffrance, soit non susceptibles de souffrance. S’ils sont impassibles (et aucun corps humain ne peut être soustrait à la souffrance que par la dot de l’impassibilité, comme chez les bienheureux, ou en raison de la justice originelle, comme dans l’état d’innocence), les corps des enfants auront ou bien la dot de l’impassibilité, et ainsi ils seront glorieux, et il n’y aura pas de différence entre les enfants baptisés et les [enfants] non baptisés, ce qui est hérétique ; ou bien ils auront la justice originelle, et ainsi ils n’auront pas le péché originel et ne seront pas punis pour le péché originel, ce qui est également hérétique. Mais s’ils sont susceptibles de souffrir (mais tout ce qui est susceptible de souffrir souffre nécessairement en présence d’un agent), ils subiront une peine sensible en présence d’agents sensibles.

[6395] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 1 s. c. 1Sed contra, Augustinus dicit poenam parvulorum, qui originali tantum tenentur, omnium esse mitissimam. Sed hoc non esset, si sensibili poena torquerentur: quia poena ignis Inferni est gravissima. Ergo poenam sensibilem non sustinebunt.

Cependant, [1] Augustin dit que la peine des enfants, qui ne sont soumis qu’au seul [péché] originel, est la plus douce de toutes. Or, cela ne serait pas le cas, s’ils étaient tourmentés par une peine sensible, car la peine du feu de l’enfer est la plus lourde. Ils ne subiront donc pas de peine sensible.

[6396] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 1 s. c. 2Praeterea, acerbitas poenae sensibilis delectationi culpae respondet. Apocal. 18, 7: quantum glorificavit se et in deliciis fuit, tantum date illi tormentum et luctum. Sed in peccato originali non est aliqua delectatio sicut nec operatio: delectatio enim operationem consequitur, ut ex 10 Ethic. patet. Ergo peccato originali non debetur poena sensibilis.

[2] La dureté de la peine sensible correspond au plaisir de la faute. Ap 18, 7 : Autant il a connu la gloire et le plaisir, donnez-lui tourments et détresse ! Or, dans le péché originel, il n’y a pas de plaisir, comme il n’y a pas d’opération – en effet, le plaisir découle de l’opération, comme cela ressort d’Éthique, X. Une peine sensible n’est donc pas due pour le péché originel.

[6397] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod poena debet esse proportionata culpae, ut dicitur Isai. 27, 8: in mensura contra mensuram, cum abjecta fuerit, judicabis eam. Defectus autem qui per originem traducitur, rationem culpae habens, non est per subtractionem vel corruptionem alicujus boni quod naturam humanam consequitur ex principiis suis; sed per subtractionem vel corruptionem alicujus quod naturae superadditum erat: nec ista culpa ad hunc hominem pertinet, nisi secundum quod talem naturam habet, quae hoc bono quod in eo natum erat esse et possibile conservari, destituta est; et ideo nulla alia poena sibi debetur nisi privatio illius finis ad quem donum subtractum ordinabat; ad quod per se natura humana attingere non potest. Hoc autem est divina visio; et ideo carentia hujus visionis est propria et sola poena originalis peccati post mortem: si enim alia poena sensibilis pro peccato originali post mortem infligeretur, puniretur iste non secundum hoc quod culpam habuit: quia poena sensibilis pertinet ad id quod personae proprium est: quia per passionem hujus particularis, talis poena est. Unde sicut culpa non fuit per operationem ejus, ita nec poena per passionem ipsius esse debet; sed solum per defectum illius ad quod natura de se insufficiens erat. In aliis autem perfectionibus et bonitatibus quae naturam humanam consequuntur ex suis principiis, nullum detrimentum sustinebunt pro peccato originali damnati.

Réponse. La peine doit être proportionnée à la faute, comme le dit Is 27, 8 : Mesure pour mesure, tu la jugeras, lorsqu’elle aura été rejetée. Or, la carence qui est transmise par le péché originel et qui a raison de faute ne vient pas de l’enlèvement ou de la corruption d’un bien qu’obtient la nature humaine en raison de ses principes, mais de l’enlèvement ou de la corruption de quelque chose qui est ajouté à la nature. Cette faute n’est pas non plus le fait de tel homme, si ce n’est parce qu’il possède une nature qui a perdu ce bien, qu’elle était destinée à posséder et qu’il [lui] était possible de conserver. C’est pourquoi aucune autre peine ne lui est due que la privation de la fin à laquelle le don perdu ordonnait, et à quoi la nature humaine ne pouvait parvenir par elle-même. Or, c’est là la vision de Dieu. Aussi la carence de cette vision est-elle la seule peine propre du péché originel après la mort. En effet, si une autre peine sensible était infligée pour le péché originel après la mort, cet [homme] ne serait pas puni pour la faute qu’il avait – car la peine sensible concerne ce qui est propre à une personne, puisqu’une telle peine existe en raison de ce que subit tel [homme] particulier. De même que la faute ne découlait pas de son opération, de même la peine ne doit-elle donc pas venir de ce qu’il subit lui-même, mais seulement par la carence de ce pour quoi la nature ne suffisait pas. Pour les autres perfections et biens qui découlent de la nature humaine en raison des principes de celle-ci, ceux qui sont condamnés pour le péché originel ne subiront donc pas de tort.

[6398] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod supplicium non nominat in auctoritate illa poenam sensibilem, sed solum poenam damni, quae est carentia divinae visionis; sicut etiam nomine ignis frequenter in Scriptura quaelibet poena figurari consuevit.

1. Dans cette autorité, « supplice » ne désigne pas une peine sensible, mais la seule peine du dam, qui est la carence de la vision de Dieu ; c’est aussi par le mot « feu » que toute peine a fréquemment coutume d’être représentée dans l’Écriture.

[6399] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod inter omnia peccata minimum est originale, eo quod minimum habet de voluntario: non enim est voluntarium voluntate istius personae, sed voluntate principii naturae tantum. Peccatum autem actuale, etiam veniale, est voluntarium voluntate ejus in quo est; et ideo minor poena debetur originali quam veniali. Nec obstat quod originale non compatitur secum gratiam: privatio enim gratiae non habet rationem culpae, sed poenae, nisi inquantum ex voluntate est. Unde ubi minus est de voluntario, minus est de culpa. Similiter etiam non obstat quod peccato actuali veniali temporalis poena debetur: quia hoc est per accidens, inquantum decedens in veniali tantum gratiam habet, virtute cujus poena purgata est. Si autem veniale peccatum sine gratia in aliquo esset, perpetuam poenam haberet.

2. Parmi tous les péchés, le moindre est le [péché] originel, du fait qu’il comporte le moins de volontaire. En effet, il n’est pas volontaire par la volonté de telle personne, mais par la volonté du principe de la nature seulement. Mais le péché actuel, même véniel, est volontaire par la volonté de celui chez qui il existe. Aussi une peine moins grande est-elle due au [péché] originel qu’au [péché] véniel. Et à cela ne s’oppose pas que le [péché] originel ne supporte pas la présence de la grâce : en effet, la privation de la grâce n’a raison de faute, mais de peine, à moins qu’elle ne vienne de la volonté. Là où il y a moins de volontaire, là donc existe une faute moindre. De même, ne s’oppose pas à cela qu’une peine temporelle est due pour le péché actuel véniel, car cela est accidentel, dans la mesure où celui qui meurt avec le [péché] véniel seulement a la grâce, en vertu de laquelle sa peine a été purifiée. Mais si un péché véniel existait chez quelqu’un sans la grâce, il aurait une peine éternelle.

[6400] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod non est eadem ratio de poena sensibili ante mortem et post mortem: quia ante mortem poena sensibilis consequitur virtutem naturae agentis, sive sit poena sensibilis interior, ut febris, vel aliquid hujusmodi; sive etiam sensibilis poena exterior, ut ustio, sive aliquid hujusmodi: sed post mortem nihil aget virtute naturae, sed secundum justitiae divinae ordinem tantum, sive in animam separatam, in quam constat quod ignis naturaliter agere non potest, sive etiam in corpus post resurrectionem: quia tunc omnis actio naturalis cessabit, cessante motu primi mobilis, qui est causa omnis motus et alterationis corporalis.

3. Il n’en va pas de même de la peine sensible avant la mort et après la mort, car, avant la mort, la peine sensible découle de la puissance de la nature de l’agent, qu’il s’agisse d’une peine sensible intérieure, comme la fièvre ou quelque chose de ce genre, ou que la [peine] sensible soit une peine extérieure, comme une brûlure ou quelque chose de ce genre. Toutefois, après la mort, rien n’agira par la puissance de la nature, mais selon l’ordre de la justice divine seulement, que ce soit pour l’âme séparée, à l’intérieur de laquelle il est évident que le feu ne peut agir naturellement, ou que ce soit pour le corps après la résurrection, car alors toute action naturelle cessera, alors que cessera le mouvement du premier mobile, qui est la cause de tout mouvement et de toute altération corporelle.

[6401] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod dolor sensibilis respondet delectationi sensibili, quae est in conversione actualis peccati. Concupiscentia autem habitualis, quae est in originali peccato, delectationem non habet; ideo dolor sensibilis non respondet sibi pro poena.

4. La douleur sensible répond au plaisir sensible qui existe dans la conversion du péché actuel. Mais la concupiscence habituelle, qui existe dans le péché originel, ne comporte pas de plaisir. C’est pourquoi la douleur sensible ne lui correspond pas comme peine.

[6402] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod corpora puerorum non erunt impassibilia ex defectu potentiae ad patiendum in ipsis, sed ex defectu exterius agentis in ipsa: quia post resurrectionem nullum corpus erit agens in alterum, praecipue ad corruptionem inducendam per actionem naturae; sed erit actio tantum ad puniendum ex ordine divinae justitiae; unde illa corpora poenam non patientur quibus poena sensibilis ex divina justitia non debetur. Corpora autem sanctorum erunt impassibilia, quia deficiet in eis potentia ad patiendum; et ideo impassibilitas erit in eis dos, non autem in pueris.

5. Les corps des enfants ne sont pas impassibles par manque de la capacité de souffrir chez eux, mais par l’absence de quelque chose qui agit sur eux de l’extérieur, car, après la résurrection, aucun corps n’agira sur un autre, surtout pour entraîner une corruption par l’action de la nature, mais il n’y aura action que pour punir selon l’ordre de la justice divine. Aussi ces corps, auxquels une peine sensible n’est pas due selon la justice divine, ne subiront-ils pas de peine. Mais les corps des saints seront impassibles, car la capacité de souffrir leur fera défaut. C’est pourquoi l’impassibilité sera chez eux une dot, mais non chez les enfants.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum pueri non baptizati sentiant in anima afflictionem spiritualem

Article 2 – Les enfants non baptisés éprouvent-ils une affliction spirituelle dans leur âme ?

[6404] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod pueri non baptizati afflictionem spiritualem in anima sentiant. Quia, sicut dicit Chrysostomus, in damnatis gravior erit poena quod Dei visione carebunt, quam quod igne Inferni cremabuntur. Sed pueri visione divina carebunt. Ergo afflictionem spiritualem ex hoc sentient.

1. Il semble que les enfants non baptisés éprouvent une affliction spirituelle dans leur âme, car, ainsi que le dit [Jean] Chrysostome, « la peine de la carence de la vision de Dieu sera plus lourde pour les damnés que le fait pour eux de brûler dans le feu de l’enfer ». Or, les enfants seront privés de la vision de Dieu. Ils en éprouveront donc une affliction spirituelle.

[6405] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 arg. 2Praeterea, carere illo quod quis vult habere, sine afflictione esse non potest. Sed pueri vellent visionem divinam habere: alias voluntas eorum actualiter perversa esset. Ergo cum ea careant, videtur quod ex hoc afflictionem sentiant.

2. Que quelqu’un soit privé de ce qu’il veut avoir, cela ne peut être sans affliction. Or, les enfants voudraient avoir la vision de Dieu, autrement leur volonté serait pervertie en acte. Puisque [la vision de Dieu] leur fait défaut, il semble donc qu’ils en éprouvent une affliction.

[6406] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 arg. 3Si dicatur, quod non affliguntur, quia sciunt se non culpa propria ea esse privatos, contra. Immunitas a culpa dolorem poenae non minuit, sed auget; non enim si aliquis non propria culpa exheredatur vel mutilatur, propter hoc minus dolet. Ergo etiam quamvis pueri non propria culpa tanto bono priventur, ex hoc eorum dolor non tollitur.

3. Si l’on dit qu’ils n’en sont pas affligés parce qu’ils savent qu’ils n’en ont pas été privés en raison de leur faute propre, on dira en sens contraire que le fait d’être exempt de faute ne diminue pas la douleur de la peine, mais l’augmente. En effet, ce n’est pas parce que quelqu’un n’est pas déshérité ou mutilé pour sa propre faute, qu’il en éprouve moins de douleur. Même si les enfants ne sont pas privés d’un si grand bien par leur propre faute, leur douleur n’est donc pas pour autant enlevée.

[6407] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 arg. 4Praeterea, sicut pueri baptizati se habent ad meritum Christi, ita non baptizati ad meritum Adae. Sed pueri baptizati ex merito Christi consequuntur praemium vitae aeternae. Ergo et non baptizati dolorem sustinent ex hoc quod per demeritum Adae aeterna vita privantur.

4. Le rapport entre les enfants baptisés et le mérite du Christ est le même qu’entre celui des enfants non baptisés et le mérite d’Adam. Or, les enfants baptisés obtiennent la récompense de la vie éternelle en vertu du mérite du Christ. Les [enfants] non baptisés subissent donc une douleur du fait qu’ils sont privés de la vie éternelle par le démérite d’Adam.

[6408] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 arg. 5Praeterea, absentari a re amata non potest esse sine dolore. Sed pueri naturalem cognitionem de Deo habebunt, et eadem ratione naturaliter eum diligent. Ergo cum ab eo sint in perpetuum separati. Videtur quod hoc sine dolore pati non possint.

5. Le fait d’être séparé d’une chose aimée ne peut exister sans douleur. Or, les enfants auront une connaissance de Dieu et, pour la même raison, ils l’aimeront naturellement. Puisqu’ils sont éternellement séparés de lui, il semble qu’ils ne puissent subir cela sans douleur.

[6409] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 s. c. 1Sed contra, si pueri non baptizati post mortem dolorem interiorem habeant, aut dolebunt de culpa, aut de poena. Si de culpa, cum a culpa illa ulterius emundari non possint, dolor ille erit in desperationem inducens. Sed talis dolor in damnatis est vermis conscientiae. Ergo pueri vermem conscientiae habebunt, et sic non esset eorum poena mitissima, ut in littera dicitur. Si autem de poena dolerent, ergo cum poena eorum juste a Deo sit, voluntas eorum divinae justitiae obviaret; et sic actualiter deformis esset, quod non conceditur. Ergo nullum dolorem interiorem sentient.

Cependant, [1] si les enfants non baptisés éprouvent une douleur intérieure après leur mort, ils souffriront soit d’une faute, soit d’une peine. Si c’est d’une faute, puisqu’ils ne peuvent plus être purifiés de cette faute, cette douleur conduira au désespoir. Or, une telle douleur chez les damnés est le ver de la conscience. Les enfants auront donc le ver de la conscience, et ainsi leur peine ne sera pas la plus douce, comme le dit le texte. Mais s’ils souffrent d’une peine, puisque leur peine vient de Dieu avec justice, leur volonté s’opposera à la justice divine, et ainsi elle serait défigurée en acte, ce qui n’est pas concédé. Ils n’éprouveront donc aucune douleur intérieure.

[6410] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 s. c. 2Praeterea, ratio recta non patitur ut aliquis perturbetur de eo quod in ipso non fuit ut vitaretur: propter quod Seneca probat, quod perturbatio in sapientem non cadit. Sed in pueris est ratio recta nullo actuali peccato obliquata. Ergo non turbabuntur de hoc quod talem poenam sustinent, quam vitare nullo modo potuerunt.

[2] La raison droite ne supporte pas que quelqu’un soit troublé par ce qu’il ne pouvait pas éviter ; pour cette raison, Sénèque montre que le trouble ne survient pas chez le sage. Or, chez les enfants, il n’existe aucun péché qui fait dévier la raison droite. Ils ne seront donc pas troublés par le fait qu’ils supportent une telle peine, qu’ils n’ont pu éviter d’aucune manière.

[6411] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod circa hoc est triplex opinio. Quidam enim dicunt, quod pueri nullum dolorem sustinebunt, quia in eis adeo ratio obtenebrata erit ut non cognoscant se amisisse quod amiserunt: quod probabile non videtur, ut anima ab onere corporis absoluta ea non cognoscat quae saltem ratione investigari possint, et etiam multo plura. Et ideo alii dicunt, quod in eis est perfecta cognitio eorum quae naturali cognitioni subjacent, et cognoscunt Deum, et se ejus visione privatos esse, et ex hoc aliquem dolorem sentient; tamen mitigabitur eorum dolor, inquantum non propria voluntate culpam incurrerunt pro qua damnati sunt. Hoc etiam probabile non videtur: quia talis dolor parvus esse non potest de tanti boni amissione, et praecipue sine spe recuperationis; unde poena eorum non esset mitissima. Praeterea omnino eadem ratione qua dolore sensibili et exterius affligente non punientur, etiam dolorem interiorem non sentient: quia dolor poenae delectationi culpae non respondet; unde delectatione remota a culpa originali, omnis dolor ab ejus poena excluditur. Et ideo alii dicunt, quod cognitionem perfectam habebunt eorum quae naturali cognitioni subjacent, et vita aeterna se privatos esse cognoscent, et causam quare ab ea exclusi sunt; nec tamen ex hoc aliquo modo affligentur: quod qualiter esse possit videndum est. Sciendum ergo, quod ex hoc quod caret aliquis eo quod suam proportionem excedit, non affligitur, si sit rectae rationis; sed tantum ex hoc quod caret eo ad quod aliquo modo proportionatus fuit: sicut nullus sapiens homo affligitur de hoc quod non potest volare sicut avis vel quia non est rex vel imperator, cum sibi non sit debitum: affligeretur autem, si privaretur eo ad quod habendum aliquo modo aptitudinem habuit. Dico ergo, quod omnis homo usum liberi arbitrii habens proportionatus est ad vitam aeternam consequendam, quia potest se ad gratiam praeparare, per quam vitam aeternam merebitur; et ideo si ab hoc deficiant, maximus erit dolor eis, quia amittunt illud quod suum esse possibile fuit. Pueri autem nunquam fuerunt proportionati ad hoc quod vitam aeternam haberent; quia nec eis debebatur ex principiis naturae, cum omnem facultatem naturae excedat, nec actus proprios habere potuerunt quibus tantum bonum consequerentur; et ideo nihil omnino dolebunt de carentia visionis divinae; immo magis gaudebunt de hoc quod participabunt multum de divina bonitate, et perfectionibus naturalibus. Nec potest dici, quod fuerunt proportionati ad vitam aeternam consequendam, quamvis non per actionem suam, tamen per actionem aliorum circa eos: quia potuerunt ab aliis baptizari, sicut et multi pueri ejusdem conditionis baptizati, vitam aeternam consecuti sunt: hoc enim est superexcedentis gratiae ut aliquis sine actu proprio praemietur; unde defectus talis gratiae non magis tristitiam causat in pueris decedentibus non baptizatis quam in sapientibus hoc quod eis multae gratiae non fiunt quae aliis similibus factae sunt.

Réponse. Sur ce point, il y a trois opinions. En effet, certains disent que les enfants ne supporteront aucune douleur, car la raison sera à ce point enténébrée chez eux qu’ils ne sauront pas qu’ils ont perdu ce qu’ils ont perdu. Cela ne semble pas probable que l’âme, libérée du poids du corps, ne connaisse pas ce qui peut être à tout le moins recherché par la raison, et même beaucoup plus. C’est pourquoi d’autres disent que, chez eux, existe une connaissance parfaite de ce qui tombe sous la connaissance naturelle, et ils connaissent Dieu et le fait qu’ils ont été privés de le voir ; à cause de cela, ils éprouveront une certaine douleur. Toutefois, leur douleur sera mitigée, dans la mesure où ils n’ont pas encouru par leur propre volonté la faute pour laquelle ils ont été damnés. Cela aussi ne semble pas probable, car une telle douleur pour la perte d’un si grand bien ne peut pas être petite, surtout sans espérance de recouvrement. Leur peine ne serait donc pas la plus légère. De plus, pour la même raison qu’ils ne seront pas punis par une douleur sensible venue de l’extérieur, ils n’éprouveront pas de douleur intérieure, car la douleur de la peine ne répond pas au plaisir de la faute. Si le plaisir est enlevé de la faute originelle, toute douleur est donc écartée de sa peine. C’est pourquoi d’autres disent qu’ils auront une connaissance parfaite de ce qui relève de leur connaissance naturelle et qu’ils sauront qu’ils ont été privés de la vie éternelle, ainsi que la cause pour laquelle ils en ont été écartés ; cependant, ils n’en seront pas affligés. Il faut voir comment cela est possible. Il faut donc savoir que, du fait que manque à quelqu’un ce qui dépasse sa proportion, il n’est pas affligé, s’il a une raison droite, mais seulement du fait que lui fait défaut ce à quoi il était proportionné d’une certaine manière. Ainsi, aucun homme sage ne s’afflige de ne pas pouvoir voler comme un oiseau ou de ne pas être roi ou empereur, puisque cela ne lui est pas dû ; mais il serait affligé s’il était privé de ce qu’il avait la capacité de posséder. Je dis donc que tout homme possédant l’usage du libre arbitre est proportionné à l’obtention de la vie éternelle, car il peut se préparer à la grâce, par laquelle il méritera la vie éternelle. C’est pourquoi, si celle-ci leur fait défaut, ils en auront la plus grande douleur, car ils perdent ce qui leur était possible. Or, les enfants n’ont jamais été proportionnés à avoir la vie éternelle, car elle ne leur était pas due en vertu des principes de la nature, puisqu’elle dépasse toute capacité de la nature, et ils n’ont pas non plus pu avoir les actes propres par lesquelles ils obtiendraient un si grand bien. C’est pourquoi ils n’éprouveront aucune douleur pour la carence de la vision de Dieu, bien plus, ils se réjouiront de ce qu’ils participeront beaucoup à la bonté divine et aux perfections naturelles. Et on ne peut pas dire qu’ils aient été proportionnés à posséder la vie éternelle, sinon par leur propre action, du moins par l’action que d’autres ont exercée sur eux, puisqu’ils ont pu être baptisés par d’autres, comme beaucoup d’enfants baptisés de la même condition ont obtenu la vie éternelle. En effet, c’est le fait d’une grâce surabondante que quelqu’un soit récompensé sans son propre acte. Aussi, la carence d’une telle grâce ne cause-t-elle pas plus de tristesse chez les enfants qui décèdent sans être baptisés, que, chez les sages, le fait de ne pas recevoir de multiples grâces qui ont été accordées à d’autres qui leur ressemblent.

[6412] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod in damnatis pro culpa actuali, qui usum liberi arbitrii habuerunt, fuit aptitudo ad vitam aeternam consequendam, non autem in pueris, ut dictum est; et ideo non est similis ratio de utrisque.

1. Chez ceux qui sont damnés pour une faute actuelle, qui ont eu l’usage du libre arbitre, existait la capacité d’obtenir la vie éternelle, mais non chez les enfants, comme on l’a dit. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même pour les deux.

[6413] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod quamvis voluntas sit possibilium et impossibilium, ut in 3 Ethic. dicitur; tamen voluntas ordinata et completa, non est nisi eorum ad quae quis aliquo modo ordinatus est: et si in hac voluntate deficiant homines dolent; non autem si deficiant ab illa voluntate quae impossibilium est, quae potius velleitas quam voluntas debet dici: non enim aliquis illud vult simpliciter; sed vellet, si possibile foret.

2. Bien que la volonté porte sur ce qui est possible et ce qui est impossible, comme on le dit dans Éthique, III, cependant, la volonté ordonnée et achevée ne porte que sur ce à quoi quelqu’un est ordonné d’une certaine manière, et si des hommes manquent à cette volonté, ils en sont affligés, mais non s’ils manquent à la volonté qui porte sur ce qui est impossible, qu’on doit appeler velleité plutôt que volonté. En effet, quelqu’un ne veut pas cela tout simplement, mais il le voudrait, si cela était possible.

[6414] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod ad habendum proprium patrimonium vel membra corporis sui quilibet est ordinatus; et ideo non est mirum, si dolet aliquis de earum amissione, sive pro culpa sua sive pro aliena eis privetur. Unde patet quod ratio non procedit ex simili.

3. Chacun est ordonné à posséder son propre patrimoine ou les membres de son corps. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que quelqu’un s’afflige de leur perte, qu’il en soit privé par sa propre faute ou par celle d’un autre. Il est donc clair que le raisonnement n’a pas le même point de départ.

[6415] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod donum Christi excedit peccatum Adae, ut ad Rom. 5 dicitur; unde non oportet quod pueri non baptizati tantum habeant de malo quantum baptizati habent de bono.

4. Le don du Christ dépasse le péché d’Adam, comme il est dit en Rm 5. Aussi n’est-il pas nécessaire que les enfants non baptisés aient autant de mal que les baptisés ont de bien.

[6416] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod quamvis pueri non baptizati sint separati a Deo quantum ad illam conjunctionem quae est per gloriam, non tamen ab eo penitus sunt separati, immo sibi conjunguntur per participationem naturalium bonorum; et ita etiam de ipso gaudere poterunt naturali cognitione et dilectione.

5. Bien que les enfants non baptisés soient séparés de Dieu pour ce qui est de l’union qui se réalise par la gloire, ils n’en sont cependant pas entièrement séparés ; bien plus, ils sont unis à lui par la participation à des biens naturels. Et ainsi, ils pourront se réjouir de lui par une connaissance et un amour naturels.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 33

[6417] Super Sent., lib. 2 d. 33 q. 2 a. 2 expos.Quod vero in actuali peccato Adae plura notari valeant peccata, Augustinus in Enchiridio insinuat. Sciendum est, quod in aliquo peccato possunt notari deformitates plurium peccatorum dupliciter. Aut proprie, et sic in peccato Adae apparet deformitas superbiae, gulae, et inobedientiae, et hujusmodi: aut quasi metaphorice, et sic in eo ostenditur deformitas homicidii, quia seipsum spiritualiter occidit, et fornicationis, quia spiritualiter fornicatus est, a Deo recedens; et tamen est unum solum peccatum, has deformitates ex diversis circumstantiis habens, speciem peccati ex ultimo fine retinens; et ideo etiam non oportet quod peccatum originale ex eo causatum sit multa. Non est putandum gravius fuisse peccato in spiritum sanctum. Contra. Homo primus habuit minus impellens ad peccatum quam sequentes. Quanto autem aliquis minori tentatione cadit, gravius peccat. Ergo primus homo gravius peccavit ceteris sequentibus. Praeterea, magis malum est quod magis nocet. Illud autem peccatum plus ceteris nocuit. Ergo pejus fuit. Et dicendum, quod contingit aliquod peccatum esse simpliciter levius altero, quod quantum ad aliquam circumstantiam gravius est, ut supra dictum est, dist. 22, cum de peccato Adae ageretur; eo quod peccatum simpliciter gravius esse dicitur quod ex specie sua gravitatem majorem habet vel ex pluribus circumstantiis magis aggravatur, vel ex una circumstantia magis actum deformante; unde multa alia peccata simpliciter graviora sunt primo peccato Adae, tum quia ex majori contemptu, tum quia ex sua specie majorem turpitudinem habent; sed quo ad hanc circumstantiam, quod sola exteriori tentatione pulsatus cecidit, gravius est illis peccatis, ad quae etiam interior tentatio impellit. Unde patet responsio ad primum. Ad secundum dicendum, quod hoc est per accidens, quod tale nocumentum naturae humanae intulit, quia scilicet fuit primum peccatum quod naturam humanam vitiavit, et ordinem animae ad Deum interrupit in illo ex quo omnes homines per coitum generati, naturam humanam traxerunt. Quodcumque autem aliud peccatum fuisset hoc modo primum, etiam similem effectum habuisset, sive fuisset peccatum operis, sive voluntatis; quamvis quidam aliter dicant, dicentes, si Adam alio modo peccasset, non incurrisse eum necessitatem moriendi: quia haec poena illi tantum culpae videtur ordinata esse a Deo, cum dicit, Gen. 2, 17: quacumque die comederis ex eo, morte morieris. Sed in hoc ostenditur, etiam si alia peccata commisisset, quod similem poenam sustinuisset, quasi a minori. Gravius est enim praeceptum praeterire naturalis legis, quo prohibetur illud quod in se est malum, quam praeterire praeceptum disciplinae, quo prohibetur quod non est malum, nisi quia prohibitum. Si vero quaeritur, an illud peccatum primis parentibus fuerit dimissum; dicimus eos per poenitentiam veniam consecutos. Videtur quod primi parentes pro peccato non satisfecerint: quia cum bonum sit potentius quam malum, ut probat Dionysius, si peccato proprio totum genus humanum primi parentes interfecerunt, multo fortius satisfactione propria maculam quam induxerant, abstersissent, si satisfecissent. Sed dicendum est, quod primum peccatum interrumpere potuit rectum ordinem humanae rationis in Deum, ratione cujus inducta est necessitas ut interrumperetur ordo corporis ad animam per mortem, et sic vitium personae in naturam potuit redundare: sed ejus poenitentia non potuit facere ut ordo ille non fuisset interruptus: quia quod factum est pro infecto haberi non potest. Unde non potuit restituere quod peccatum abstulerat quantum ad naturam, sed solum quantum ad personam, quae a reatu actuali purgatur per poenitentiam: non enim potest natura in statum altiorem revocari nisi per id quod naturam totam excedit; et ideo oportuit ad curationem naturae ut esset Deus et homo qui naturam perfecte curaret. Sed hoc ad tertium librum magis pertinet. Si homo in ea juste vixerit, non continuo meretur eam mortem non perpeti. Hoc ideo contingit, quia quamvis per justitiam hominis purgetur infectio originalis culpae, secundum hoc quod ex natura in personam redundat, non tamen purgatur quantum ad ipsam naturam absolute; et ideo poenae quae ipsi naturae debentur, non remittuntur, quamdiu in tali natura infectio maneat; etiamsi centies moreretur homo, et in pristinum statum resurgeret: semper enim manente infectione naturae, manet obligatio ad poenam.

 

 

 

DISTINCTIO 34

Distinction 34 – [La transmission du péché actuel des parents à leurs descendants par imitation]

 

 

QUAESTIO 1

Question 1 – [Le mal existe-t-il ?]

PROOEMIUM

Prologue

[6418] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 pr.Postquam determinavit de peccato originali, quod a primis parentibus in posteros transit per carnis originem; hic incipit determinare de actuali, quod a parentibus in posteros transit per imitationem operis; et dividitur in partes duas: in prima determinat de peccato actuali quantum ad rationem mali; in secunda determinat de eo ex parte actus, in quo deformitas fundatur, per quam malum dicitur esse actuale peccatum, dist. 35, ibi: post hoc videndum est quid sit peccatum. Prima dividitur in duas: in prima determinat de malo, veritatem ostendens; in secunda excludit quamdam objectionem, ibi: ad hoc autem quod dictum est, malum esse quod bonum est, quidam sic opponunt. Circa primum tria facit: primo dicit de quo intendit; secundo prosequitur suum propositum, ibi: causa et origo primi peccati res bona extitit; tertio epilogat quae dicta sunt, ibi: ex his aperitur quod primo et secundo supra investigando diximus. Prima dividitur in duas: in prima inquirit causam mali; in secunda subjectum ejus, ibi: ostensa origine mali, superest videre in qua re sit malum. Circa primum duo facit: primo ostendit primam causam propriam mali culpae, quae extra genus mali est; secundo ostendit causam proximam, quae est quasi univoca in eodem genere, ibi: mala autem voluntas illa Angeli et hominis causa est etiam malorum subsequentium. Ostensa origine mali, superest videre in qua re sit malum. Hic inquirit subjectum mali: et primo ostendit quod subjectum mali est bonum; secundo ex hoc inducit quamdam conclusionem, ibi: ex quo colligitur nihil aliud significari cum dicitur homo malus, nisi bonum malum; tertio ostendit, in hoc regulam artis dialecticae fallere, ibi: ideoque in his contrariis quae bona et mala vocantur, illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria. Hic quinque quaeruntur: 1 an malum sit; 2 quid est malum; 3 si bonum est causa mali; 4 si malum est in bono sicut in subjecto; 5 si per malum totum bonum corrumpitur.

Après avoir déterminé du péché originel, qui est passé des parents à leurs descendants par l’origine de la chair, [le Maître] commence ici à détermine du [péché] actuel, qui est passé des parents à leurs descendants par l’imitation de leur action. Il y a deux parties : dans la première, il détermine du péché actuel pour ce qui est de la raison de mal ; dans la seconde, il en détermine du point de vue de l’acte où se trouve la difformité pour laquelle on dit que le péché actuel est un mal, d. 35, à cet endroit : « Après cela, il faut voir ce qu’est le péché. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il détermine du mal, en montrant la vérité ; dans la seconde, il écarte une objection, à cet endroit : « À ce qui a été dit qu’est mal ce qui est un bien, certains opposent l’objection suivante… » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il dit ce qu’est son intention. Deuxièmement, il poursuit son propos, à cet endroit : « La cause et l’origine du premier péché étaient une chose bonne. » Troisièmement, il conclut ce qu’il a dit, à cet endroit : « Par cela, est manifesté ce que nous avons exprimé plus haut, en premier et en deuxième lieu, sous forme de recherche. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il s’enquiert de la cause du mal ; dans la seconde, de son sujet, à cet endroit : « Après avoir montré l’origine du mal, il reste à voir où se trouve le mal. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre la cause première propre du mal de faute, qui est en dehors du genre du mal ; deuxièmement, il montre la cause prochaine, qui est pour ainsi dire univoque dans le même genre, à cet endroit : « Cette volonté mauvaise de l’ange et de l’homme est aussi la cause des maux subséquents. » « Après avoir montré l’origine du mal, il reste à voir où se trouve le mal. » Ici, [le Maître] s’interroge sur le sujet du mal. Premièrement, il montre que le sujet du mal est un bien. Deuxièmement, il tire de cela une conclusion, à cet endroit : « On conclut de cela qu’on ne veut rien dire d’autre lorsqu’on dit qu’un homme mauvais n’est qu’un bien mauvais. » Troisièmement, il montre que, sur ce point, la règle de l’art dialectique induit en erreur, à cet endroit : « C’est pourquoi, dans le cas des contraires qui sont appelés des biens et des maux, la règle des dialecticiens, selon laquelle deux contraires ne peuvent être d’aucune manière présents dans une même chose, induit en erreur. » Ici, cinq questions sont posées : 1. Le mal existe-t-il ? 2. Qu’est-ce que le mal ? 3. Le bien est-il la cause du mal ? 4. Le mal se trouve-t-il dans le bien comme dans son sujet ? 5. Le bien tout entier est-il corrompu par le mal ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum malum sit

Article 1 – Le mal existe-t-il ?

[6420] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod malum non sit. Omne enim quod est, vel est existens, vel est in existentibus: quia vel est substantia, vel est accidens. Sed malum neque est existens, neque in existentibus, ut probat Dionysius. Ergo malum non est.

1. Il semble que le mal n’existe pas. En effet, tout ce qui est se trouve dans une chose qui existe ou dans des choses qui existent, car cela est soit une subsstance, soit un accident. Or, le mal n’est pas une chose qui existe et il ne se trouve pas non plus dans les choses qui existent, comme le montre Denys. Le mal n’existe donc pas.

[6421] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, omne quod esse dicitur, vel est ens rationis, vel est ens naturae. Omne autem quod est ens rationis, vel est existens, vel non existens. Ergo quod non est existens neque non existens, nullo modo potest dici esse. Sed malum distat ab existente, et adhuc plus distat a non existente, ut Dionysius dicit. Ergo nullo modo potest dici malum esse.

2. Tout ce dont on dit qu’il est est soit un être de raison, soit un être de la nature. Or, tout ce qui est est un être de raison est soit quelque chose qui existe, soit quelque chose qui n’existe pas. Donc, on ne peut dire qu’existe ce qui existe ni ce qui n’existe. Or, le mal est éloigné de ce qui existe, et encore davantage de ce qui n’existe pas, comme le dit Denys. On ne peut donc dire d’aucune manière que le mal existe.

[6422] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, Deus praehabet in se omnem affirmationem et negationem, ut dicit Dionysius: oportet enim omnium positiones in eo ponere, et adhuc omnium negationes in eo negare. Sed malum nullo modo praeexistit in Deo. Ergo malum neque est affirmatio, neque negatio. Sed inter affirmationem et negationem nihil est medium, ut in 4 Metaphys. probatur. Ergo malum nullo modo est.

3. Préexistent en Dieu toute affirmation et toute négation, comme le dit Denys. En effet, il faut placer en lui les affirmations de toutes choses, et aussi nier les négations de toutes choses. Or, le mal ne préexiste d’aucune manière en Dieu. Le mal n’est donc ni une affirmation, ni une négation. Or, il n’y a pas de milieu entre l’affirmation et la négation, comme on le montre dans Métaphysique, IV. Le mal n’existe donc d’aucune manière.

[6423] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, quaecumque positio seipsam destruit, impossibile est eam poni; sicut qui negat veritatem, ponit veritatem esse, ut dicit Augustinus, et Anselmus; et qui negant demonstrationem, ponunt demonstrationem esse, ut in 4 Metaphysic. dicitur. Sed malum destruit seipsum, ut in 4 Ethic. dicitur. Ergo malum non est.

4. Il est impossible d’affirmer toute affirmation qui se détruit elle-même ; ainsi, « celui qui nie la vérité affirme que la vérité existe », comme le disent Augustin et Anselme, et ceux qui nient une démonstration affirment que la démonstration existe, comme on le dit dans Métaphysique, IV. Le mal n’existe donc pas.

[6424] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, unusquisque artifex providus a suo opere propellit malum quantum potest. Sed divina providentia omnia reguntur, ut in 1 libro habitum est. Ergo cum Deus sit omnipotens, ab universo malum omnino expellit. Ergo malum non est.

5. Tout artisan prévoyant écarte le mal de son œuvre autant qu’il le peut. Or, tout est régi par la providence divine, comme on l’a vu dans le livre I. Puisque Dieu est tout-puissant, il écarte donc totalement de l’univers le mal. Le mal n’existe donc pas.

[6425] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, sicut appetitus non est nisi boni, ita fuga non est nisi mali. Sed multa sunt quae secundum rectam rationem fugiuntur. Ergo malum est.

Cependant, [1] comme l’appétit ne peut porter que sur un bien, la fuite ne peut porter que sur le mal. Or, il existe beaucoup de choses qui sont fuies conformément à la raison droite. Le mal existe donc.

[6426] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, nihil discrete prohibetur neque punitur juste, nisi malum. Sed constat prohibitiones discretas multas esse, et punitiones justas. Ergo constat malum esse.

[2] Rien n’est interdit avec discernement et puni avec justice que ce qui est mal. Or, il est clair qu’il existe beaucoup d’interdictions faites avec discernement et de punitions justes. Il est donc clair que le mal existe.

[6427] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod philosophus ostendit quod ens multipliciter dicitur. Uno enim modo dicitur ens quod per decem genera dividitur: et sic ens significat aliquid in natura existens; sive sit substantia, ut homo; sive accidens, ut color. Alio modo dicitur ens, quod significat veritatem propositionis; prout dicitur, quod affirmatio est vera, quando significat esse de eo quod est; et negatio, quando significat non esse de eo quod non est; et hoc ens compositionem significat, quam intellectus componens et dividens adinvenit. Quaecumque ergo dicuntur entia quantum ad primum modum, sunt entia quantum ad secundum modum: quia omne quod habet naturale esse in rebus, potest significari per propositionem affirmativam esse; ut cum dicitur: color est, vel homo est. Non autem omnia quae sunt entia quantum ad secundum modum, sunt entia quantum ad primum: quia de privatione, ut de caecitate, formatur una affirmativa propositio, cum dicitur, caecitas est; nec tamen caecitas aliquid est in rerum natura; sed est magis alicujus entis remotio: et ideo etiam privationes et negationes dicuntur esse entia quantum ad secundum modum, sed non quantum ad primum. Ens autem secundum utrumque istorum modorum diversimode praedicatur: quia secundum primum modum acceptum, est praedicatum substantiale, et pertinet ad quaestionem quid est: sed quantum ad secundum modum, est praedicatum accidentale, ut Commentator ibidem dicit, et pertinet ad quaestionem an est. Sic ergo accipiendo ens secundo modo dictum, prout quaestio quaerebat, simpliciter dicimus mala esse in universo. Hoc enim et experientia docet, et ratio ostendit: quia, ut Dionysius probat, malum nihil aliud est nisi bonum imperfectum. Si autem nullum bonum esset in aliquo diminutum, omnia bona aequalia essent, et sic pulchritudo universi deperiret, quae ex gradibus bonitatis colligitur; periret etiam ordo essentialis causarum in partibus universi, secundum quod nobiliora in minus nobilia influunt. In idem etiam rediret inconveniens, si poneretur quod nulla res perfectione sibi debita carere posset: quia tunc esset aequalis stabilitas bonitatis in omnibus entibus, nec essent omnes gradus bonitatis impleti, si non essent quaedam bona quae suis perfectionibus privari non possent, et quaedam suis perfectionibus privabilia propter distantiam a summo bono.

Réponse. Le Philosophe montre qu’on parle de ce qui existe de plusieurs manières. En effet, on parle de ce qui existe d’une première façon pour ce qui se divise en dix genres. Ainsi, ce qui existe signifie quelque chose qui existe dans la nature, qu’il s’agisse d’une substance, comme l’homme, ou qu’il s’agisse d’un accident, comme la couleur. On parle de ce qui existe d’une autre manière : il signifie la vérité d’une proposition. On parle ainsi d’une affirmation, lorsqu’elle signifie qu’existe ce sur quoi elle porte, et d’une négation, lorsqu’elle signifie que ce dont elle parle n’existe pas. Cet être signifie la composition que l’intellect trouve en composant et en divisant. Toutes les choses qui sont appelées des êtres du premier mode sont donc des êtres du second mode, car on peut signifier par une proposition affirmative qu’existe out ce qui possède l’être naturel dans les choses, comme lorsqu’on dit qu’une couleur est ou qu’un homme est. Mais toutes les choses qui sont des êtres du second mode ne sont pas des êtres du premier mode, car on peut former une proposition affirmative à propos d’une privation, comme pour la cécité, lorsqu’on dit que la cécité est ; toutefois, la cécité n’est pas quelque chose dans la nature des choses, mais elle est plutôt l’enlèvement d’un être. Aussi dit-on, même des privations et des négations, qu’elles sont des êtres selon le second mode, mais non selon le premier. Or, l’être de ces deux modes est prédiqué diversement, car, entendu selon le premier mode, c’est un prédicat substantiel et il se rapporte à la question : qu’est-ce que cela est ? Mais, selon le second mode, c’est un prédicat accidentel, comme le dit le Commentateur au même endroit, et il se rapporte à la question : est-ce que cela est ? En entendant ainsi l’être selon le second mode, comme la question le demandait, nous disons simplement qu’il existe des maux dans l’univers. En effet, l’expérience l’enseigne et la raison le montre, car, ainsi que le prouve Denys, « le mal n’est rien d’autre qu’un bien imparfait ». Or, si aucun bien n’était diminué de quelque manière, tous les biens seraient égaux, et ainsi disparaîtrait la beauté de l’univers, qui vient des degrés de bonté. Disparaîtrait aussi l’ordre essentiel des causes entre les parties de l’univers, selon que les réalités plus nobles agissent sur les moins nobles. On reviendrait aussi au même inconvénient, si on affirmait qu’aucune chose ne peut manquer de la perfection qui lui est due, car existerait alors une égale stabilité de bonté chez tous les êtres, et tous les degrés de bonté ne seraient pas comblés, si n’existaient pas certains biens qui ne pourraient être privés de leurs perfections, et certains qui seraient susceptibles d’être privés de leurs perfections en raison de leur distance par rapport au bien suprême.

[6428] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod Dionysius accipit existens secundum primam acceptionem entis; et per hunc modum, malum non est existens, neque in existentibus: quia neque ipsum est natura quaedam in universo, neque est aliquid in existente, sicut pars perfectionis ejus. Sic enim procedunt suae probationes, quibus sigillatim ostendit in nullis existentibus malum esse; non autem removetur quin malum sit in existentibus sicut privationes in subjecto, ut caecitas in oculo.

1. Denys entend ce qui existe selon le premier sens de ce qui existe ; de cette manière, le mal n’est pas un être et ne se trouve pas dans ce qui existe, car il n’est pas une nature à l’intérieur de l’univers, car il n’est pas une nature à l’intérieur de l’univers, ni quelque chose qui se trouve dans ce qui existe, comme une partie de sa perfection. En effet, c’est ainsi que se déroulent ses démonstrations, par lesquelles il montre en détail que le mal ne ne trouve dans aucune des choses qui existent. Mais cela n’empêche pas que le mal se trouve dans ce qui existe, comme les privations dans un sujet et la cécité dans l’œil.

[6429] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod Dionysius accipit non existens illud quod nullo modo est; et ab hoc quidem magis distat malum quam etiam ab existente: quia in existente malum est tamquam in subjecto, quamvis ipsum malum in se non sit existens; sed a non existente magis absistit, quia simpliciter non existens non potest privationis subjectum esse; nec etiam ipsa privatio est absolute non existens, sed est non existens in hoc, quia privatio est negatio in subjecto, ut in 4 Metaphys. dicitur: caecitas enim nihil aliud est quam negatio visionis in eo quod natum est videre.

2. Denys considère comme non existant ce qui n’existe d’aucune manière. Le mal s’éloigne ainsi davantage de ce qui existe, car le mal se trouve dans ce qui existe comme dans un sujet, bien que le mal ne soit pas en lui-même quelque chose qui existe. Mais il s’éloigne davantage de ce qui n’existe pas, parce que ce qui n’existe tout simplement pas ne peut être sujet de privation, et que la privation elle-même n’est pas quelque chose qui existe de manière absolue, mais elle est quelque chose qui n’existe pas dans telle chose, car la privation est une négation dans un sujet, comme on le dit en Métaphysique, IV. En effet, la cécité n’est rien d’autre que la négation de la vision chez ce qui est naturellement destiné à voir.

[6430] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod quamvis negationes omnium creatorum in Deo verissime sint propter ejus excessum, tamen nulla privatio in eo est: quia nihil est natum habere quod non habeat. Malum autem dicitur esse secundo modo dicendi ens, sicut negatio, non quidem absoluta, sed quae est privatio: aliter omnia mala essent, quia nihil est a quo aliquid negari non possit.

3. Bien que les négations de toutes les réalités créées en Dieu soient tout à fait vraies parce qu’Il les dépasse, il n’existe cependant en lui aucune privation, car il n’est destiné à posséder rien qu’il ne possède pas. Mais on dit que le mal existe selon la seconde manière de parler de ce qui existe, telle la négation, non toutefois une [négation] absolue, mais celle qui est une privation ; autrement, tout serait mal, puisqu’il n’existe rien dont on ne puisse nier quelque chose.

[6431] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod philosophus non dicit simpliciter quod malum seipsum destruat; sed quod malum, si integrum et perfectum sit, se ipsum destruit: quia non potest esse malum integrum, nisi corrumpatur omne bonum: quo corrupto corrumpitur illud ens quod mali subjectum esse potest. Subjecto autem corrupto, etiam privatio quae in subjecto erat, esse desinit. Unde ex hoc efficaciter concluditur, quod summum malum esse non possit, non autem absolute quod non sit malum.

4. Le Philosophe ne dit pas simplement que le mal se détruit lui-même, mais que le mal, s’il est complet et parfait, se détruit, car il ne peut exister un mal complet, à moins que ne soit corrompu le bien tout entier ; si celui-ci est corrompu, l’être qui peut être le sujet du mal est corrompu. Or, une fois le sujet corrompu, la privation qui existait dans le sujet cesse aussi d’exister. On conclut ainsi effectivement que le mal suprême ne peut exister, mais non pas de manière absolue que le mal n’existe pas.

[6432] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod providus artifex non expellit ab opere suo malum, nisi salvata conditione sui operis. Cum autem quaedam sint res a Deo creatae de quarum conditione est ut defectum malitiae incurrere possint, vel in alia inducere; si simpliciter malum ab eis prohiberetur, destrueretur operis ejus conditio: et ideo decet ut mala facere permittat, quorum tamen actor non est. De hoc autem in 1 libro dictum est.

5. L’artison prévoyant ne chasse un mal de son œuvre, que si la condition de son œuvre est sauvegardée. Puisqu’il existe certaines choses créées par Dieu, dont la condition est telle qu’elles peuvent encourir une carence de malice ou la provoquer chez d’autres, si le mal était tout simplement empêché chez elles, la condition de l’œuvre [de Dieu] serait détruite. C’est pourquoi il convient qu’Il leur permette de mal agir, ce dont il n’est toutefois pas l’auteur. Mais on a parlé de cela dans le livre I.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum malum sit quoddam ens positivum

Article 2 – Le mal est-il quelque chose qui existe de manière positive ?

[6434] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod malum sit ens, sicut natura quaedam, primo modo accipiendi ens, ut ea quae positive aliquid praedicant. Omne enim genus est natura quaedam: quoniam non entis non sunt neque species neque differentiae, ut philosophus dicit, cum tamen omne genus in species per differentias dividatur. Sed bonum et malum sunt genera aliorum, ut in praedicamentis dicitur. Ergo malum est aliquid positive praedicans.

1. Il semble que le mal soit quelque chose qui existe, comme une nature, en entendant l’être dans le premier sens, comme ce qu’on prédique de manière positive. En effet, tout genre est une certaine nature, car il n’existe ni espèces ni différences de ce qui n’existe pas, comme le dit le Philosophe, alors que tout genre est divisé en espèces par les différences. Or, le bien et le mal sont des genres de choses différentes, comme on le dit dans les Prédicaments. Le mal est donc quelque chose qui est prédiqué de manière positive.

[6435] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, omne contrarium est natura quaedam; quia contraria in eodem genere sunt, et nihil est in genere ut species, nisi sit natura quaedam. Sed bonum et malum sunt contraria, ut in littera dicitur. Ergo malum est natura quaedam.

2. Tout contraire est une nature, car les contraires font partie du même genre, et rien qu’une certaine nature ne fait partie d’un genre en tant qu’espèce. Or, le bien et le mal sont des contraires, comme le dit le texte. Le mal est donc une nature.

[6436] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, omnis differentia quae constituit speciem, est aliquid positive praedicans. Sed bonum et malum sunt differentiae in prima specie qualitatis constituentes diversas species habitus. Ergo malum aliquid positive praedicat.

3. Toute différence qui constitue une espèce est quelque chose qui est prédiqué de manière positive. Or, le bien et le mal sont des différences de la première espèce de qualité, constituant des espèces différentes d’habitus. Le mal prédique donc quelque chose de manière positive.

[6437] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, nihil pugnat aut corrumpit nisi agendo. Nihil autem agit nisi habeat naturam aliquam. Cum ergo malum corrumpat bonum, et pugnet contra illud, videtur quod malum sit naturam quamdam habens.

4. Rien ne s’oppose ni ne corrompt qu’en agissant. Or, rien n’agit à moins d’avoir une nature. Puisque le mal corrompt le bien et s’oppose à lui, il semble donc que le mal soit quelque chose qui possède une nature.

[6438] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, omne quod corrumpit, generat aliquid: quia corruptio unius est generatio alterius, ut in 1 de Gener., dicitur. Sed mali est corrumpere, ut Dionysius dicit. Ergo ejus est etiam generare. Sed nihil generat nisi habens naturam aliquam, quam generato tradat. Ergo malum est naturam aliquam habens.

5. Tout ce qui corrompt engendre quelque chose, car la corruption d’une chose est la génération d’une autre, comme on le dit dans Sur la génération, I. Or, corrompre fait partie du mal, comme le dit Denys. Il lui revient donc aussi d’engendrer. Or, rien n’engendre que ce qui possède une nature, qu’il transmet à ce qui est engendré. Le mal est donc quelque chose qui possède une nature.

[6439] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, omne quod est a primo bono, bonum est, cum ex hoc omnia bona sint quod ab eo sunt, ut in Lib. de hebdomadibus Boetius dicit. Sed omnis natura a Deo est, qui est summum bonum. Ergo malum non est natura aliqua vel ens aliquod positive dictum.

Cependant, [1] tout ce qui vient du premier bien est bon, puisque tout est bien de ce qui vient de lui, comme le dit Boèce dans le livre Sur les semaines. Or, toute nature vient de Dieu, qui est le bien suprême. Le mal n’est donc pas une nature ou un être entendu au sens positif.

[6440] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, nihil appetit suum contrarium. Sed omnis natura appetit bonum, quia unumquodque appetit sui ipsius perfectionem. Ergo cum malo sit bonum oppositum, malum non erit ens naturam aliquam habens.

[2] Rien ne désire son contraire. Or, toute nature désire le bien, car tout désire la perfection de soi. Puisque le bien est opposé au mal, le mal ne sera donc pas un être possédant une nature.

[6441] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod Avicenna in sua metaphysica ponit perutilem divisionem quamdam mali, quae ex verbis ejus colligi potest: dicit enim, quod malum dicitur aliquid dupliciter: vel per se, vel per accidens. Per se malum dicitur ipsa privatio perfectionis, qua aliquid malum est; quod etiam a quibusdam malum abstracte sumptum dicitur. Hoc autem est duplex: quia illa privatio vel est privatio perfectionis quae est necessaria inesse primo rei; et ista privatio in omnibus est malum, ut privatio pedis, et manus, et hujusmodi; vel est privatio alicujus perfectionis secundae, sicut privatio geometriae, et hujusmodi; et talis privatio non semper cuilibet est malum, sed ei tantum qui ad eam habendam operam dedit, vel eam habere debet. Malum autem per accidens est duplex: vel id quod est subjectum talis privationis, vel id quod talem privationem in altero causat: et utrumque istorum est malum concretive sumptum. Illud autem quod est subjectum privationis, potest accipi quadrupliciter: quia vel est actio, vel habitus, vel passio, vel substantia. Actio quidem, si privationem debiti finis et debitae circumstantiae habeat, rationem mali culpae habebit: et quia ex similibus actibus similes habitus generantur, inde contingit quod habitus ipsi qui ex talibus actionibus relinquuntur, mali sunt, sicut habitus vitiorum. Passio autem privationem habet, per quam aliquid in patiente corrumpitur; et talis passio malum poenae dicitur, vel defectus naturae, in illis in quibus non potest esse culpa nec etiam poena; et quia nullum accidens potest esse subjectum alicujus quod privative vel positive dicatur, nisi gratia substantiae, quae ei subjicitur; ideo oportet quod ulterius intelligatur subjectum hujus privationis quae per se malum est, substantia esse, secundum quod dicitur homo malus, et anima mala. Si autem dicatur malum per accidens, quia causat talem privationem, hoc potest esse dupliciter: quia causa privationis debitae perfectionis vel est ex parte materiae, quae est indisposita ad perfecte recipiendam virtutem agentis, sicut est defectus in monstris, et in aliis quae ex defectu materiae contingunt: aut est ex parte agentis; et hoc contingit dupliciter: quia vel agens est conjunctum agenti, in contrarium perfectionis debitae, sicut ignis adurens et gladius secans; et ex hoc sequitur malum, quod dicitur poena sensus in sentientibus, in quibus culpa et poena esse possunt, quia tale agens quod privat perfectionem debitam, eo quod conjunctum est, sentitur: aut est agens non conjunctum, impediens influentiam causae perficientis, sicut dicuntur nubes malae, inquantum impediunt lumen solis, ne ad nos perveniat: et quia talis causa non sentitur ex ipsa perfectionis subtractione (cum non tollat perfectionem agendo in id quod privatur, sed magis impediendo agentem, ex hoc quod perfectionem subtrahit, cum remota sit), sed forte sentitur alio modo per accidens, sicut quia nubes videntur; ideo malum quod ex hoc sequitur, non dicitur poena sensus, sed poena damni, in illis tamen quae poenae susceptiva sunt. In malis ergo hoc modo dictis est talis ordo, quod id quod est per se malum, primo dicitur, et omnia alia per relationem ad id: et secundum gradum tenet malum per accidens, quod est subjectum mali quod dicitur malum ex hoc quod privationem quae per se malum est, in se habet: et in tertio gradu est id quod dicitur malum per accidens sicut causa inducens malum: hoc enim non habet in se de necessitate privationem; sed facit aliquid esse privationem habens. Unde primum dicitur absolute malum, et secundum in ordine ad primum, et tertium in ordine ad secundum. Dicendum ergo, quod malum nominat non ens. Unde illud quod per se malum est, non ponit aliquid; sed dicitur esse ut privatio. Malum vero quod est subjectum privationis, est aliquid positive, sed non ex eo quod malum est; sicut oculus est aliquid, sed non ex eo quod caecus est; quia caecitas non est in eo nisi ut negatio visionis. Quod autem dicitur malum ut causa mali, in se quidem consideratum est aliquid; sed in ordine ad effectum, ratione cujus malum dicitur, etiam privative dicitur. Dicitur enim malum ex hoc quod privationem inducit; et sic etiam ratio non entis in ipsum redundat causaliter, sicut et ratio mali.

Réponse. Dans sa Métaphysique, Avicenne présente une division très utile du mal, qu’on peut tirer de ses paroles. En effet, il dit qu’on parle de mal de deux manières : par soi ou par accident. On parle de mal par soi pour la privation d’une perfection, en raison de laquelle quelque chose est mal – certains disent aussi qu’il s’agit du mal entendu de manière abstraite. Or, cela existe de deux manières. Ou bien cette privation est la privation d’une perfection qui fait nécessairement partie de ce qui existe en premier dans une chose, et cette privation est chez tous un mal, comme la privation d’un pied et d’une main, et de choses de ce genre. Ou bien il s’agit de la privation d’une perfection seconde, comme la privation de la géométrie et de choses de ce genre, et une telle privation n’est pas toujours un mal pour tous, mais pour celui-là seulement qui s’est appliqué à l’avoir ou doit l’avoir. Mais le mal par accident est double : ce qui est le sujet d’une telle privation ou ce qui cause une telle privation chez quelqu’un. Et ces deux choses sont des maux entendus au sens concret. Or, ce qui est sujet d’une privation peut s’entendre de quatre façons : pour une action, pour un habitus, pour une passion ou pour une substance. Pour une action : si elle comporte la privation de la fin due et des circonstances appropriées, elle aura raison de faute, et parce que des habitus similaires sont engendrés par des actes similaires, il arrive ainsi que les habitus laissés par de tels actes soient mauvais, comme les habitus des vices. Mais la passion comporte une privation, par laquelle quelque chose est corrompu chez ce qui subit ; une telle passion s’appelle un mal de peine ou une carence de la nature, là où il ne peut exister de faute ni de peine. Et parce qu’aucun accident ne peut être le sujet de quelque chose qui est dit de manière privative ou positive qu’en raison de la substance qui en est le sujet, il faut donc que ce qu’on entend comme sujet de cette privation, qui est un mal par soi, soit une substance : on parle ainsi d’un homme mauvais et d’une âme mauvaise. Mais si on parle de mal par accident, parce qu’il cause une telle privation, cela peut se produire de deux manières, car la cause de la privation d’une perfection due vient soit de la matière, qui n’est pas disposée à recevoir parfaitement la puissance de l’agent, comme une carence chez les monstres et dans les autres choses qui se produisent en raison d’une carence de la matière ; soit de l’agent, et cela se produit de deux manières : soit l’agent est uni à un agent qui agit en sens contraire d’une perfection due, comme le feu qui brûle et le glaive qui coupe – de là découle le mal qu’on appelle peine du sens chez les réalités qui sentent, chez lesquelles une faute et une peine peuvent exister, car cet agent qui prive d’une perfection due, du fait qu’il est uni, est senti ; soit l’agent qui empêche l’action de la cause qui perfectionne n’est pas uni, comme on parle de nuages mauvais, dans la mesure où ils empêchent que la lumière du soleil ne nous parvienne – et parce qu’une telle cause n’est pas ressentie par la soustraction même de la perfection (puisqu’elle n’enlève pas la perfection en agissant sur ce qui est privé, mais plutôt en empêchant l’agent, du fait qu’elle enlève la perfection en étant éloignée), mais est peut-être ressentie d’une autre manière par accident, comme lorsque les nuages sont vus ‑, le mal qui en découle n’est donc pas appelé peine du sens, mais peine du dam, chez ceux qui peuvent toutefois recevoir cette peine. Parmi les maux ainsi entendus, il existe donc un ordre tel que ce qui est mal par soi est d’abord appelé mal, ainsi que tous les autres maux par rapport à cela. Le mal par accident occupe le deuxième degré : il est le sujet du mal qui est appelé mal du fait qu’il comporte une privation qui est un mal par soi. Au troisième degré se trouve ce qui est appelé mal par accident, comme la cause qui entraîne un mal. En effet, cela ne comporte pas de soi et nécessairement une privation, mais fait en sorte que quelque chose possède une privation. Le premier [degré] est donc appelé mal de manière absolue, le deuxième en rapport avec le premier, et le troisième en rapport avec le deuxième. Il faut donc dire que le mal désigne quelque chose qui n’existe pas. Ce qui est mal par soi n’affirme donc pas quelque chose, mais on dit de lui qu’il est un mal en tant que privation. Mais le mal qui est sujet de la privation est quelque chose de manière positive, non pas du fait qu’il est un mal : ainsi l’œil est quelque chose, mais non du fait qu’il est aveugle, car la cécité n’existe en lui que comme la négation de la vision. Mais ce qu’on appelle mal en tant que cause d’un mal est considéré en soi comme quelque chose ; mais, par rapport à l’effet en raison duquel on dit que cela est mauvais, cela est aussi appelé mal de manière privative. En effet, on l’appelle mal parce qu’il entraîne une privation, et ainsi la raison de non-être rejaillit sur lui de manière causale, comme aussi la raison de mal.

[6442] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod genus dupliciter potest accipi. Uno modo proprie, prout praedicatur de pluribus in eo quod quid est; et sic neque bonum neque malum sunt genera; quia sunt de transcendentibus, quia bonum et ens convertuntur. Alio modo communiter, ut genus dicatur omne id quod sua communitate multa ambit et continet; et sic bonum et malum dicuntur genera omnium contrariorum: quia, ut in 1 Physic. dicitur, omnia contraria hoc modo se habent quod alterum est nobilius, et alterum vilius; ita quod vilius privationem in se includit, sicut nigrum in respectu ad album, et frigidum in respectu ad calidum: propter quod in 1 de Generat. dicitur, quod frigus est privatio caloris; et per hunc modum semper alterum contrarium pertinet ad bonum, et reliquum ad malum; unde etiam Pythagoras ponebat duos ordines rerum: unum boni, sub quo colligebat omnia perfecta, ut dextrum, triangulum, aequilaterum, et similia; et alterum mali, sub quo ponebat omnia quae imperfectionem implicant, ut sinistrum, feminam, et hujusmodi.

1. On peut entendre le genre de deux façons. D’une façon, selon qu’il est prédiqué de plusieurs choses du fait qu’il est quelque chose ; ainsi, ni le bien ni le mal ne sont des genres, car ils font partie des transcendentaux, puisque le bien et l’être sont convertibles. D’une autre façon, de manière générale : on parle ainsi de genre pour tout ce qui embrasse et contient plusieurs choses par son caractère commun ; ainsi, le bien et le mal sont appelés des genres pour tous les contraires, car, ainsi qu’on le dit dans Physique, I, « les rapports entre les contraires sont tels que l’un est plus noble et l’autre plus vil », de telle sorte que le plus vil inclue en lui-même la privation, comme le noir par rapport au blanc, et le froid par rapport au chaud. C’est la raison pour laquelle on dit, dans Sur la génération, I, que le froid est la privation de la chaleur. De cette manière, l’un des contraires se rapporte toujours au bien et l’autre au mal. C’est pourquoi Pythagore lui-même affirmait deux ordres de choses : l’un, celui du bien, sous lequel il regroupait tout ce qui est parfait, comme le [triangle] droit, l’équilatéral, et les choses semblables ; l’autre, celui du mal, sous lequel il plaçait tout ce qui comportait une imperfection, comme la gauche, [le sexe] féminin, et ainsi de suite.

[6443] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod si consideretur malum per se, sive in abstracto, sic malum opponitur bono ut privatio; si autem consideretur malum per accidens, sicut est in actione vel in habitu, sic opponitur bono ut contrarium, ut prodigalitas liberalitati, et timiditas fortitudini.

2. Si on considère le mal en soi ou dans l’abstrait, le mal s’oppose ainsi au bien comme une privation ; mais si on considère le mal par accident, comme c’est le cas pour l’action ou l’habitus, il s’oppose ainsi au bien comme son contraire, ainsi la prodigalité par rapport à la libéralité, et la timidité par rapport à la force.

[6444] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod malum per se vel abstracte sumptum, non est differentia specifica; sed malum per accidens vel concrete acceptum: omnia enim moralia ex fine speciem consequuntur. Ex ordine autem ad finem debitum specificatur bona actio et bonus habitus, ratione cujus bonum differentia specifica ponitur habitus et actionis moralis; mala vero actio specificatur ex ordine ad finem indebitum, cui admiscetur privatio finis debiti, ex quo ratio mali incidit. Unde patet quod non sola privatio specificat malum habitum et actionem; sed positio ordinis ad finem quemdam cum privatione debiti finis; et sic patet quod malum, secundum quod differentia, non est malum per se, sed per accidens vel concretive sumptum.

3. Le mal en soi ou envisagé abstraitement n’est pas une différence spécifique, mais le mal par accident ou envisagé concrètement : en effet, toutes les réalités morales tirent leur espèce de la fin. Or, l’action bonne et l’habitus bon tirent leur espèce d’une fin bonne ; pour cette raison, le bien est affirmé comme la différence spécifique d’un habitus et d’une action morale. Mais l’action mauvaise tire son espèce d’une fin indue, à laquelle est mêlée une privation de la fin due ; c’est pourquoi la raison de mal l’affecte. Il est donc clair que ce n’est pas la seule privation qui donne son espèce à l’action et à l’habitus mauvais, mais l’affirmation de l’ordre à une certaine fin, accompagnée de la privation de la fin due. Il ressort ainsi clairement que le mal, comme différence, n’est pas le mal en soi, mais [le mal] par accident ou entendu concrètement.

[6445] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod malum potest intelligi corrumpere dupliciter; vel formaliter, vel effective: sicut enim formaliter albedo facit album, ita etiam formaliter privatio privat, et corruptio corrumpit. Malum vero per se sumptum, est ipsa privatio vel corruptio; unde non sequitur quod sit ens positive dictum, quia non privat et corrumpit agendo. Si autem sumatur effective, sic non potest intelligi de malo per se vel abstracte sumpto, quia privatio nihil efficit; sed oportet ut sumatur de malo per accidens, quod est subjectum et causa mali: et hoc quidem efficit aliquid, non quidem inquantum privatum est, sed inquantum est quoddam ens quod agere potest; et ideo dicit Dionysius, quod malum nihil agit nisi virtute boni, et ipsum bonum non posset impugnare, nisi ex boni virtute: nihil enim prohibet unum bonum alterius contrarium esse, ut calor frigoris.

4. On peut comprendre que le mal corrompt de deux manières : de manière formelle ou de manière efficiente ; ainsi, de même que la blancheur rend blanc de manière formelle, la privation prive de manière formelle, et la corruption corrompt. Mais le mal pris en soi est la privation ou la corruption elle-même. Il n’en découle donc pas qu’il soit quelque chose qui existe de manière positive, car il ne prive pas et ne corrompt pas en agissant. Mais si on l’entend de manière efficiente, on ne peut ainsi l’entendre du mal par soi ou pris de manière abstraite, car la privation ne fait rien, mais il faut qu’on l’entende du mal par accident, qui est le sujet et la cause du mal. Et cela réalise quelque chose, non pas en tant qu’il y a privation, mais en tant qu’il est un être qui peut agir. C’est pourquoi Denys dit que le mal ne fait rien que par la puissance du bien, et qu’il ne pourrait combattre le bien qu’en vertu du bien. En effet, rien n’empêche un certain bien d’être le contraire d’un autre, comme la chaleur [l’est] pour le froid.

[6446] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod corruptio et generatio, quamvis semper conjungantur, non tamen sunt idem per se, sed per accidens; quod patet ex earum terminis, ex quibus motus et mutationes specificantur: terminus enim generationis est forma, quia est mutatio ad esse; terminus vero corruptionis est privatio, quia est mutatio ad non esse. Forma autem unius et privatio alterius, ut forma ignis et privatio aeris, sunt quidem idem subjecto, sed differunt ratione: et ideo etiam illud quod corrumpit et generat, non ex eodem habet quod generat et corrumpit; sed ex eo quod formam suam inducit, generat, et sic inquantum ens, generat; ex eo autem quod forma sua necessario conjungitur privationi alterius formae, corrumpit. Unde patet quod in eo quod privationem habet, vel non ens est, aliquid corrumpit: et propter hoc Dionysius dicit, quod boni est per se loquendo generare et salvare, et mali est corrumpere; unde non sequitur quod malum in eo quod malum est, aliquid sit.

5. La corruption et la génération, bien qu’elles soient toujours unies, ne sont cependant pas la même chose par soi, mais par accident. Cela ressort clairement de leurs termes, dont les mouvements et les changements tirent leur espèce. En effet, le terme de la génération est la forme, car elle est un changement en vue de l’acte d’être ; mais le terme de la corruption est une privation, car elle est un changement en vue du non-être. Or, la forme de l’un et la privation de l’autre, comme la forme du feu et la privation d’air, sont une même chose par leur sujet, mais elles diffèrent selon la raison. C’est pourquoi même ce qui corrompt et engendre ne tire pas de la même chose d’engendrer et de corrompre, mais, du fait qu’il amène sa forme, il engendre, et ainsi il engendre en tant qu’il est quelque chose qui existe. Mais, du fait que sa forme est nécesssairement unie à la privation d’une autre forme, il corrompt. Il ressort donc clairement que, du fait qu’il a une privation ou est quelque chose qui n’existe pas, il corrompt quelque chose. C’est pourquoi Denys dit qu’il revient à proprement parler au bien d’engendrer et de sauver, et au mal, de corrompre. Il n’en découle donc pas que le mal en tant que mal soit quelque chose.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum bonum sit causa mali

Article 3 – Le bien est-il la cause du mal ?

[6448] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod mali causa bonum esse non possit. Boni enim, ut dicit Dionysius, est salvare et producere. Sed malum est corruptio quaedam. Ergo mali causa bonum non est.

1. Il semble que le bien ne puisse être la cause du mal. En effet, comme le dit Denys, « il revient au bien de sauver et de faire progresser ». Or, le mal est une corruption. Le bien n’est donc pas la cause du mal.

[6449] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, unum oppositorum non est causa alterius, nisi per accidens, sicut frigidum quodammodo calefacit, ut in 8 Phys. dicitur. Sed malum non tantum habet causam per accidens, sed per se: quia quod est per accidens, est ut in paucioribus; malum autem videtur esse ut in pluribus. Ergo oportet quod prima causa mali sit malum.

2. Un des contraires n’est pas la cause de l’autre, si ce n’est par accident, comme le froid réchauffe d’une certaine manière, comme on le dit dans Physique, VIII. Or, le mal n’a pas une cause par accident seulement, mais par soi, car ce qui existe par accident existe dans un petit nombre de cas, alors que le mal semble exister chez la plupart. Il est donc nécessaire que la cause première du mal soit le mal.

[6450] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, omnis effectus causae secundae reducitur in causam primam. Sed omne bonum est effectus causae primae. Si ergo aliquod malum ab aliquo bono causatur, tunc causa prima, quae Deus est, mali causa erit; et sic aliquo modo malus esset Deus, quod est absurdum.

3. Tout effet d’une cause seconde se ramène à la cause première. Or, tout bien est l’effet de la cause première. Si donc un mal est causé par un bien, alors la cause première, qui est Dieu, sera la cause du mal, et ainsi Dieu serait mauvais d’une certaine manière, ce qui est absurde.

[6451] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, oportet ut effectus sequatur conditionem suae causae. Sed omne malum defectivum est. Ergo oportet quod in causa ejus aliquo modo defectus sit. Aut ergo est in ea defectus in actu, aut in potentia. Si defectus in actu (omne autem quod deficit in actu, malum est): ergo causa mali non erit bonum, sed malum: nec hoc erit primum malum, cujus causam quaesivimus. Si autem defectus est in causa in potentia tantum (id autem quod est in potentia tantum, non sufficit ut educat aliquid in actu: quia in 2 Phys. dicitur: aedificatio in actu est causa aedificati in potentia): ergo ex tali causa malum actu oriri non poterit.

4. Il est nécessaire que l’effet suive la condition de sa cause. Or, tout mal est déficient. Il est donc nécessaire qu’une carence existe d’une certaine manière dans sa cause. Donc, soit existe en elle une carence en acte, soit [une carence] en puissance. S’il s’agit d’une carence en acte (car tout ce qui ce qui est déficient en acte est mauvais), la cause du mal ne sera donc pas un bien, mais un mal, et cela ne sera pas non plus le premier mal, dont nous avons cherché la cause. Mais s’il s’agit d’une carence en puissance seulement (ce qui existe en puissance seulement ne suffit pas à amener quelque chose en acte, car on dit dans Physique, II : « La construction en acte est la cause de ce qui est édifié en puissance »), le mal en acte ne pourra donc pas sortir d’une telle cause.

[6452] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, Dionysius dicit, quod malum non habet causam. Sed quod a bono causatur, habet causam. Ergo malum non est ex bono.

5. Denys dit que « le mal n’a pas de cause ». Or, ce qui est causé par le bien a une cause. Le mal ne vient donc pas du bien.

[6453] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra, quicumque facit aliquid ad quod alterum de necessitate consequitur, etiam illius causa est. Sed res bona est causa alicujus boni, ad quod malum consequitur, ex eo quod ex illius adventu alterum bonum privatur; sicut patet in igne adurente, qui formam suam inducens, formam rei adustae tollit; et tamen utraque forma bonum quoddam est. Ergo bonum est causa mali.

Cependant, [1] quiconque fait quelque chose dont découle nécessairement une autre chose en est aussi la cause. Or, une chose bonne est la cause d’un bien, dont résulte un mal du fait que, par l’arrivée de celui-ci, un autre bien est privé, comme cela ressort pour le feu qui brûle, qui, en amenant sa forme, enlève la forme de la chose brûlée, alors que les deux formes sont un bien. Le bien est donc la cause du mal.

[6454] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, omne quod est per accidens, reducitur ad per se. Sed malum non causat nisi per accidens, quia non agit nisi virtute boni, ut Dionysius dicit. Ergo oportet ut causalitas mali in bonum reducatur sicut in primam causam.

[2] Tout ce qui existe par accident se ramène à ce qui existe par soi. Or, le mal ne cause que par accident, car « il n’agit qu’en vertu d’un bien », comme le dit Denys. Il est donc nécessaire que la causalité du mal se ramène au bien comme à sa cause première.

[6455] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod nihil agit nisi secundum quod est in actu; nihil autem est in actu nisi secundum quod formam vel perfectionem aliquam habet; unde oportet quod omne quod agit, agat inquantum perfectum est, et ita inquantum est bonum; cum omne perfectum, inquantum hujusmodi, bonum sit. Intentio autem cujuslibet agentis est similitudinem suam in altero efficere; et ideo id quod est per se intentum ab agente, est quod aliquod bonum efficiatur; unde bonum per se causam habet; sed defectus incidit praeter intentionem agentis. Hoc autem contingit tripliciter. Aut ex parte ejus quod intentum est ab agente, quod cum non compatiatur secum quamdam aliam perfectionem, excludit eam, ut patet in generatione naturali. Ignis enim intendit formam suam in materiam inducere; sed quia forma ignis non compatitur formam aeris, inde sequitur praeter intentionem agentis privatio formae aeris. Aut ex parte materiae recipientis actionem, quae indisposita est ad consequendam perfectionem quam agens intendit inducere, ut patet in naturalibus in partubus monstruosis, et in artificialibus in ligno nodoso, quod non dirigitur ad actionem artificis; unde remanet artificiatum aliquem defectum habens. Aut ex parte instrumenti, ut patet in claudicatione, quia a virtute gressiva sequitur gressus distortus propter curvitatem cruris. Malum autem culpae ex duobus horum modorum contingere potest; scilicet vel ex parte ejus quod intentum est, vel ex parte instrumenti. Ex defectu enim materiae, culpae malum non accidit: quia operationes morales non sunt factiones, ut per eas aliquid in materia constituatur, ut in 6 Ethic. dicitur, sed sunt actiones in ipsis agentibus permanentes, et eos perficientes aut corrumpentes: in omnibus enim peccatis quae per deliberationem rationis procedunt, malum incidit ex parte ejus quod intentum est: sicut enim in naturalibus non possunt esse duae formae substantiales ultimae actu perficientes eamdem partem materiae, ita non possunt esse duo ultimi fines voluntatis; unde sicut agens naturale ex hoc quod inducit unam formam, causat defectum alterius formae; ita etiam voluntas ex hoc quod alicui tamquam ultimo fini inhaeret, quod debitus sibi finis non est, avertitur a fine ultimo sibi debito, in quo completur ratio mali culpae, praeter intentionem voluntatis. Peccata vero quae praeter deliberationem rationis procedunt, ut primi motus, incidunt ex defectu instrumenti, idest inferiorum virium, quae sunt sicut instrumenta voluntatis, aut rationis; sicut patet in primis motibus. Sic ergo patet quod eo modo quo malum causam habere potest, bonum efficiens causa mali est, scilicet per accidens; non autem id quod est perfectum et summum bonum: quod patet per similitudinem in agentibus naturalibus, in quibus invenitur aliquod agens universale, et aliquod agens particulare. Agens particulare, quod habet actionem determinatam ad unam formam, sicut est causa formae illius, ita est causa privationis formae alterius, ut patet in igne vel aqua: sol autem cum sit causa agens universaliter ad omnem formam inferiorem corporalem, non est causa privationis formae, nisi per suam elongationem, ut dicitur in 2 Gener. Similiter etiam illud quod est bonum particulare, causando aliquod bonum determinatum, excludit bonum alterum, quod non se cum illo compatitur; bonum autem completum, quod universaliter omnis boni causa est, non est causa defectus alicujus boni, neque etiam per suam absentiam: quia ipsum, quantum in se est, semper praesens est, vicissitudinem non patiens absentiae et praesentiae.

Réponse. Rien n’agit que si cela existe en acte. Or, rien n’existe en acte que du fait que cela possède une forme ou une perfection. Il est donc nécessaire que tout ce qui agit agisse en tant que cela est parfait, et ainsi en tant que cela est bon, puisque tout ce qui est parfait est bon en tant que tel. Or, l’intention de tout agent est de réaliser sa ressemblance dans un autre. C’est pourquoi ce qui est visé par soi par un agent est qu’un certain bien soit réalisé. Le bien a donc une cause par soi, mais sa carence échappe à l’intention de l’agent. Or, cela arrive de trois manières. Soit du côté de ce qui est visé par l’agent : puisqu’il ne supporte pas une autre perfection avec lui, il l’écarte, comme cela ressort clairement dans la génération naturelle. En effet, le feu cherche à introduire sa forme dans la matière ; mais parce que la forme du feu ne supporte pas la forme de l’air, il en découle une privation de la forme de l’air hors de l’intention de l’agent. Soit du côté de la matière de ce qui reçoit l’action, qui n’est pas disposée à recevoir la forme que l’agent a l’intention d’y amener, comme cela ressort dans les réalités naturelles pour les enfantements monstrueux, et, dans les réalités artificielles, pour le bois noueux, qui ne se redresse pas par l’action de l’artisan. L’œuvre d’art continue donc d’avoir une carence. Soit du côté de l’instrument, comme cela ressort dans la claudication, car, de la puissance de marcher, découle une démarche déformée en raison de la courbure d’un os. Or, le mal de faute peut se produire selon deux de ces manières : soit du côté de ce qui est visé, soit du côté de l’instrument. En effet, le mal de faute n’arrive pas par carence de la matière, car les opérations morales ne sont pas des œuvres qui se réalisent dans une matière, comme on le dit dans Éthique, mais elles sont des actions qui demeurent à l’intérieur des agents eux-mêmes, et qui les perfectionnent ou les corrompent. En effet, dans tous les péchés qui se réalisent par une délibération de la raison, le mal vient de ce qui est objet d’intention. En effet, de même que, dans les réalités naturelles, il ne peut exister deux formes substantielles ultimes perfectionnant en acte la même partie de la matière, de même ne peut-il exister deux fins ultimes de la volonté. De même qu’un agent naturel cause la carence d’une autre forme en amenant une forme, de même aussi la volonté, du fait qu’elle adhère à quelque chose comme à sa fin ultime, qui n’est pas la fin qui lui est due, se détourne de la fin ultime qui lui est due, par quoi se réalise la raison de mal de faute hors l’intention de la volonté. Mais les péchés qui se réalisent hors la délibération de la raison, comme les premiers mouvements, surviennent en raison d’une carence de l’instrument, à savoir, des puissances inférieures, qui sont pour ainsi dire des instruments de la volonté ou de la raison, comme cela ressort dans les premiers mouvements. Il ressort donc clairement qu’un bien est cause efficiente du mal selon que le mal peut avoir une cause, mais non pas le bien parfait et suprême. Cela ressort par comparaison avec les agents naturels, chez qui on trouve un agent universel et un agent particulier. De même que l’agent naturel qui possède une action déterminée à une seule forme est cause de cette forme, de même est-il cause de la privation d’une autre forme, comme c’est le cas pour le feu et l’eau. Mais le soleil, puisqu’il est la cause qui agit de manière universelle sur toute forme corporelle inférieure, n’est pas la cause de la privation d’une forme, si ce n’est par sa durée, comme il est dit dans Sur la génération, II. De même aussi, ce qui est un bien particulier, en causant un bien déterminé, exclut un autre bien, qui n’est pas compatible avec lui ; mais le bien parfait, qui est la cause universelle de tout bien, n’est la cause de la carence d’aucun bien, pas même par son absence, car, pour ce qui est de lui-même, il est toujours présent et ne souffre pas les aléas de l’absence et de la présence.

[6456] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod boni effectus per se est salvare et producere; sed etiam corruptio vel privatio potest esse per accidens effectus boni, ut dictum est.

1. Par soi, l’effet du bien est de sauvegarder et de faire progresser ; mais la corruption ou la privation peuvent aussi être par accident l’effet du bien, comme on l’a dit.

[6457] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod bonum in toto universo contingit ut in pluribus, malum autem ut in paucioribus: plures enim sunt partes universi in quibus malum naturae accidere non potest, scilicet superiora corpora, quam illae in quibus malum naturae accidit, scilicet inferiora corpora, in quibus etiam malum naturae, ut in paucioribus est; quia causae naturales non deficiunt a suis ordinatis effectibus nisi in minori parte. Similiter etiam est in voluntariis, si accipiatur completa causa, quae est voluntas per habitum perfecta; quia haec ab actu virtutis ut in minori parte deficit. Voluntas autem nondum per habitum perfecta, est incompleta causa, quia se ad utrumlibet habet: et sicut mala pluribus modis contingunt quam bona, ita in pluribus flectitur in mala quam in perfecte bona. In nullo enim voluntas hoc modo deficit ut saltem in aliqua bona non convertatur: quia malum, si perfectum sit, seipsum destruit, ut in 4 Ethicor. dicitur.

2. Dans l’univers tout entier, le bien arrive dans la plupart des cas, mais le mal, dans un petit nombre de cas. En effet, les parties de l’univers chez lesquelles le mal de nature ne peut survenir, à savoir, les corps supérieurs, sont plus nombreuses que celles chez lesquelles le mal de nature survient, à savoir, les corps inférieurs, chez qui aussi le mal de nature existe dans un petit nombre de cas, car les causes naturelles ne dérogent aux effets auxquels elles sont ordonnées que pour une moindre part. De même en est-il aussi pour les réalités volontaires, si l’on prend la cause parfaite, qui est la volonté perfectionnée par un habitus, car celle-ci s’écarte pour une moindre part de l’acte vertueux. Mais la volonté qui n’est pas encore perfectionnée par l’habitus est une cause incomplète, car elle elle peut aller dans les deux sens ; comme les maux surviennent selon un plus grand nombre de modes que les biens, elle est infléchie plus souvent vers les maux que vers les biens parfaits. En effet, la volonté ne manque pas de se tourner de cette manière au moins vers certains biens, car le mal, s’il est complet, se détruit lui-même, comme on le dit dans Éthique, IV.

[6458] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod causa secunda habet per se effectum, secundum quod est sub causa prima; et ideo talis effectus qui per se est ejus, in causam primam reducitur; sed si sit aliquis defectus ejus per accidens, inquantum exit ab ordine causae primae, non oportet quod effectus ille in causam primam reducatur; sicut patet in crure claudicante: quidquid enim de ratione gressus est in claudicatione, totum efficitur mediante crure a virtute gressiva; sed crus, inquantum est improportionatum virtuti gressivae, inducit deformitatem quae est in claudicatione; unde non oportet quod talis deformitas sit effectus virtutis gressivae. Ita etiam bona particularia non sunt causae per accidens aliquorum defectuum nisi secundum quod deficiunt a perfectione summi boni; unde non oportet quod defectus illi qui consequuntur, in summum bonum sicut in causam reducantur.

3. Une cause seconde possède de soi un effet, selon qu’elle est soumise à la cause première. C’est pourquoi l’effet qui est le sien se ramène à la cause première. Mais s’il existe chez elle une carence par accident, dans la mesure où elle s’écarte de la cause première, il n’est pas nécessaire que cet effet se ramène à la cause première, comme cela ressort pour l’os qui boite. En effet, tout ce qui relève de la raison de la démarche dans la claudication est entièrement accompli par la puissance de marcher par l’intermédiaire de l’os ; mais l’os, dans la mesure où il n’est pas proportionné à la puissance de marcher, entraîne une difformité, qui consiste dans la claudication. Il n’est donc pas nécessaire que cette difformité soit l’effet de la puissance de marcher. De même aussi, les biens particuliers ne sont causes par accident de certaines carences que selon qu’ils s’écartent de la perfection du bien suprème. Aussi n’est-il pas nécessaire que les carences qui en découlent se ramènent au bien suprême comme à leur cause.

[6459] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod in voluntate creata invenitur duplex defectus. Unus qui est potentialis causa mali, scilicet esse ex nihilo: ex hoc enim quod ex nihilo est, potest deficere peccando, secundum vertibilitatem electionis. Non tamen iste defectus est actualis causa mali: quia sequeretur quod voluntas semper deficeret, sicut crus claudum semper claudicat. Alius autem est defectus actualis, secundum quod actu deficit: et quidquid procedit ab ipsa, prout sub isto defectu stat, totum est malum. Illius autem defectus qui est in actu voluntatis, non oportet quod sit causa aliquis alius defectus in voluntate praeexistens actu, quia sic in infinitum iretur; sed ipsamet voluntas secundum se considerata illius defectus causa est. Ille enim defectus in voluntate est, secundum quod voluntas ad aliquid aliquo indebito modo convertitur. Ejus autem quod est converti ad bonum creatum indebito modo, voluntas dominium habet, quia ad utrumlibet libera est; non enim est simile de voluntate et agente naturali: agens enim naturale est determinatum ad unum ex sua natura; unde non potest esse causa actionis inordinatae, nisi per hoc quod aliquis defectus in ipso agente est; voluntas autem non est determinata ad unum, sed seipsam determinat secundum quod huic vel illi adhaeret; et in tali adhaesione primum malum voluntatis consistit; unde primi mali culpae, quod est in actu voluntatis, res bona, scilicet voluntas, causa est, sed per accidens, ut dictum est; secundi autem mali, quod est in actu exteriori, ipsa voluntas jam mala per interiorem actum causa est.

4. Dans la volonté créée, on trouve une double carence. L’une, qui est une cause potentielle du mal : le fait d’exister à partir de rien. En effet, du fait qu’elle existe à partir de rien, elle peut manquer en péchant par le caractère changeant du choix. Cependant, cette carence n’est pas la cause actuelle du mal, car il en découlerait que la volonté serait toujours déficiente, comme l’os défectueux boite toujours. Mais il existe une autre carence actuelle : le fait qu’elle déroge en acte. Tout ce qui vient d’elle, en tant qu’elle est soumise à cette carence, est entièrement mauvais. Or, en raison de cette carence qui existe dans l’acte de la volonté, il n’est pas nécessaire que préexiste en acte comme cause dans la volonté une autre carence, mais la volonté elle-même, considérée en elle-même, est la cause de cette carence. En effet, cette carence se trouve dans la volonté, pour autant que la volonté se tourne vers quelque chose d’une manière indue. Or, la volonté a le pouvoir de se tourner vers un bien créé d’une manière indue parce qu’elle est libre par rapport aux deux choses. En effet, il n’en va pas de même de la volonté et d’un agent naturel. L’agent naturel est déterminé à une seule chose par sa nature même ; aussi ne peut-il pas être la cause d’une action désordonnée, sauf s’il y a une carence dans l’agent lui-même. Mais la volonté n’est pas déterminée à une seule chose, mais elle se détermine elle-même en adhérant à telle ou telle chose, et le mal premier de la volonté consiste dans une telle adhésion. Aussi une chose bonne, la volonté, est-elle la cause du mal premier de la faute, qui se trouve dans l’acte de la volonté, mais par accident, comme on l’a dit ; mais la volonté, déjà rendue mauvaise par un acte intérieur, est la cause du second mal, qui se trouve dans un acte extérieur.

[6460] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod malum non habet causam per se, sed per accidens, ut dictum est; et hoc Dionysius intendit: et sic per accidens bonum mali causa esse potest.

5. Le mal n’a pas de cause par soi, mais par accident, comme on l’a dit, et c’est ce que Denys veut dire. Et ainsi, le bien peut-il être par accident cause du mal.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum malum sit subjective in bono

Article 4 – Le mal a-t-il le bien comme sujet ?

[6462] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod malum non sit in bono sicut in subjecto. Sicut enim dicit Dionysius, malum neque est existens, neque in existente. Sed propriissime dicitur esse in altero quod est in eo sicut in subjecto. Ergo existens non est subjectum mali. Sed omne bonum est existens. Ergo malum non est in bono sicut in subjecto.

1. Il semble que le mal ne se trouve pas dans le bien comme dans son sujet. En effet, comme le dit Denys, de même que le mal n’est pas un être, il ne se trouve pas dans quelque chose qui existe. Or, on dit au sens le plus propre que ce qui existe en quelque chose comme dans un sujet existe dans un autre. Ce qui existe n’est donc pas le sujet du mal. Or, tout bien est quelque chose qui existe. Le mal n’existe donc pas dans le bien comme dans son sujet.

[6463] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 2Praeterea, malum se habet ad bonum sicut non ens ad ens. Sed ens non est subjectum non entis; quia simul esse non possunt. Ergo nec bonum est subjectum mali.

2. Le rapport entre le mal et le bien est le même qu’entre ce qui est et ce qui n’est pas. Or, ce qui est n’est pas le sujet de ce qui n’est pas, car ils ne peuvent exister en même temps. Le bien n’est donc pas non plus le sujet du mal.

[6464] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 3Praeterea, nullum contrarium est subjectum sui contrarii. Sed bonum et malum sunt contraria. Ergo bonum non est subjectum mali. Prima patet ex hoc quod 1 Phys. dicitur, quod subjectum neutrum contrariorum est.

3. Aucun contraire n’est le sujet de son contraire. Or, le bien et le mal sont des contraires. Le bien n’est donc pas le sujet du mal. La majeure ressort clairement de ce qui est dit en Physique, I, qu’aucun des contraires n’est un sujet.

[6465] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 4Si dicatur, quod regula ista fallit in his contrariis quae sunt bonum et malum, ut in littera dicitur; contra. In posteriori semper prius includitur. Sed prima oppositio est affirmationis et negationis. Ergo affirmatio et negatio includitur in omnibus contrariis. Sed affirmatio et negatio non possunt esse simul vera. Ergo nec aliqua contraria. Subjectum autem simul est cum eo cujus est subjectum. Ergo bonum mali subjectum esse non potest.

4. Si on dit que cette règle ne s’applique pas aux contraires que sont le bien et le mal, comme le dit le texte, on dira en sens contraire que ce qui vient avant est toujours inclus dans ce qui vient après. Or, la première opposition est celle de l’affirmation et de la négation. L’affirmation et la négation font donc partie de tous les contraires. Or, l’affirmation et la négation ne peuvent être vraies en même temps. Donc, des contraires non plus. Or, un sujet existe en même temps que ce dont il est sujet. Le bien ne peut donc être le sujet du mal.

[6466] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 5Praeterea, illud quod est per se subjectum alicujus, est etiam per se causa ejus: quia, sicut dicit Avicenna, subjectum est in se completum praebens alteri occasionem essendi. Sed malum non causatur per se ex principiis boni. Ergo bonum non est universaliter et per se subjectum mali.

5. Ce qui est par soi sujet de quelque chose en est aussi la cause par soi, car, comme le dit Avicenne, le sujet est en soi quelque chose d’achevé qui fournit à une autre chose l’occasion d’exister. Or, le mal n’est pas causé par soi par les principes du bien. Le bien n’est donc pas universellement et par soi le sujet du mal.

[6467] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 4 s. c. 1Sed contra, omne quod est subjectum, est ens. Sed omne ens, inquantum hujusmodi, bonum est: quia ens et bonum convertuntur. Ergo oportet quod subjectum mali sit bonum.

Cependant, [1] tout ce qui est sujet est quelque chose qui existe. Or, tout ce qui existe est bon en tant que tel, car l’être et le bien sont convertibles. Il est donc nécessaire que le sujet du mal soit le bien.

[6468] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 4 s. c. 2Praeterea, philosophus dicit in 9 metaphysicorum, quod non est praeter res malum. Esset autem praeter res, si in rebus non esset. Ergo malum est in rebus sicut in subjecto. Sed omnis res, inquantum hujusmodi, bona est: quia per se malum nulla res est, sed privatio, ut dictum est. Ergo bonum est subjectum mali.

[2] Dans Métaphysique, IX, le Philosophe dit que le mal n’existe pas en dehors des choses. Or, il existerait en dehors des choses, s’il n’existait pas dans les choses. Le mal existe donc dans les choses comme dans un sujet. Or, toute chose qui existe est bonne en tant que telle, car ce qui est mal par soi n’est aucune réalité existante, mais une privation, comme on l’a dit. Le bien est donc le sujet du mal.

[6469] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod per se malum, ut dictum est ex dictis Avicennae, est privatio; privatio autem, ut in 4 Metaph. dicitur, est negatio in substantia, idest in substantia habet subjectum; negatio autem quae subjectum non determinat, privatio dici non potest, sed simplex negatio; unde oportet quod malum aliquod ens subjectum habeat. Omne autem ens, inquantum hujusmodi, bonum est. Unde oportet quod subjectum mali sit bonum. Sed sciendum, quod non omne bonum, subjectum mali esse potest: est enim quoddam bonum cui nihil bonitatis deest, quia perfectum est, nec deesse potest, quia omnes bonitates in eo unum sunt, ut una ab altera separari non possit, quia simplex est; et in tali bono malum nec esse nec cogitari potest; et hoc est summum bonum, quod Deus est. Est autem quoddam bonum, quod quamvis non omnem bonitatem perfecte colligat, sed in aliquo a summo bono deficiat, tamen non potest sibi deesse aliqua bonitatum quae debita est sibi; ut patet in Angelis et in corporibus caelestibus, quae bonitatem naturalem nullo modo amittere possunt: et tale etiam bonum subjectum mali esse non potest: non enim omnis carentia bonitatis malum est, sed illius tantum quam nata est res habere, et debita est ei: carere enim visu non est malum in lapide, sed in oculo: hoc enim est commune privationi omni quod aptitudinem ad actum in subjecto requirat. Est autem quoddam bonum quod nec omnem perfectionem consequitur, et propter distantiam a summo bono, illa etiam quae debita est sibi, carere potest, et quam natum est habere; et tale bonum est subjectum mali, quidquid sit illud. Unde Dionysius dicit, quod bonum particulare est subjectum mali. Hoc autem bonum quid sit quod malo subjicitur, considerandum est ex perfectione quae per malum privatur, eo quod privatio et habitus sunt circa idem. Est autem quaedam perfectio, scilicet secunda, cujus subjectum est ens actu completum in esse primo; et hoc idem ens illi malo subjicitur, per quod ista perfectio privatur; sicut anima culpae, per quam gratia tollitur. Est autem quaedam perfectio prima ut forma substantialis, subjectum cujus est in potentia tantum, scilicet materia prima quae sicut est ens incompletum et in potentia, sic ipsa etiam subjicitur privationi substantialis formae, ut dicit philosophus, quod materia non est malum per se, sed per accidens, scilicet ratione privationis cui subjicitur.

Réponse. Comme on l’a dit, à des paroles d’Avicenne, le mal est par soi une privation. Or, comme on le dit dans Métaphysique, IV, la privation est une négation dans une substance, c’est-à-dire qu’elle a son sujet dans une substance. Or, une négation qui ne détermine pas un sujet ne peut pas être appelée une privation, mais une simple négation. Aussi faut-il que le mal ait un être comme sujet. Or, tout être, en tant que tel, est bon. Il est donc nécessaire que le sujet d’un mal soit un bien. Mais il faut savoir que tout bien ne peut être le sujet d’un mal. En effet, il existe un bien auquel rien ne manque de la bonté, car il est parfait, et rien ne peut lui manquer, car toutes les bontés sont une seule chose en lui, de telle sorte que l’une ne puisse être séparée d’une autre, puisqu’il est simple. Dans un tel bien, le mal ne peut exister ni être pensé. C’est là le bien suprême, qui est Dieu. Mais il existe un bien auquel, bien qu’il ne rassemble pas parfaitement toute bonté, mais s’écarte du bien suprême sous un aspect, ne peut cependant manquer l’une des bontés qui lui est due, comme c’est le cas des anges et des corps célestes, qui ne peuvent d’aucune manière perdre leur bonté naturelle. Un tel bien non plus ne peut être sujet du mal. En effet, toute carence de bonté n’est pas un mal, mais de celle seulement qui revient à une chose et lui est due. Ainsi, l’absence de vision n’est pas un mal pour la pierre, mais pour l’œil. En effet, il est commun à toute privation qu’elle exige une capacité d’agir chez le sujet. Or, il existe un bien qui ne comporte pas toute perfection et auquel, en raison de sa distance par rapport au bien suprême, peut même faire défaut celle qui lui est due et qu’il est destiné à posséder. Un tel bien est sujet du mal, quel que soit celui-ci. C’est pourquoi Denys dit qu’un bien particulier est le sujet du mal. Or, ce qu’est ce bien qui est sujet du mal, il faut le considérer à partir de la perfection dont il privé par le mal, du fait que la privation et l’habitus portent sur la même chose. Or, il existe une perfection, la [perfection] seconde, dont le sujet est un être achevé dans son être premier. C’est ce même être qui est sujet du mal par lequel il est privé de cette perfection, comme l’âme pour la faute, par laquelle la grâce est enlevée. Mais il existe une perfection première, telle la forme substantielle, dont le sujet existe en puissance seulement : la matière première qui, étant un être inachevé et en puissance, est aussi le sujet de la privation de la forme substantielle. Le Philosophe dit ainsi que la matière n’est pas un mal par soi, mais par accident, c’est-à-dire en raison de la privation dont elle est le sujet.

[6470] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod Dionysius intelligit esse in existente, sicut aliqua pars perfectionem existentis constituens: et hoc modo in nullo existente malum est; sed sicut privatio in subjecto.

1. Denys entend l’être chez ce qui existe comme une partie constituant la perfection de ce qui existe. Le mal n’existe ainsi dans aucun être, mais comme une privation dans un sujet.

[6471] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod malum non se habet ad bonum sicut non ens absolute sumptum ad ens: non ens enim absolute sumptum est negatio pura quae sibi subjectum non determinat; malum autem est non ens quoddam, quod est privatio: et ideo oportet quod habeat determinatum subjectum, quod non potest esse nisi ens bonum.

2. Le rapport entre le mal et le bien n’est pas le même qu’entre le non-être compris de manière absolue et l’être. En effet, le non-être entendu de manière absolue est une négation pure qui ne détermine pas son sujet. Mais le mal est un certain non-être, qui est une privation. C’est pourquoi il faut qu’il ait un sujet déterminé, qui ne peut être qu’un être bon.

[6472] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod non quodlibet malum contrariatur cuilibet bono directe, sicut nec cuilibet virtuti quodlibet vitium; sed illi tantum bono cujus perfectio per malum privatur. Malum autem non est sicut in subjecto in illo bono quod per malum tollitur, sicut vita naturalis hominis non tollitur per malum culpae; unde malum culpae non opponitur huic bono quod est vivum vita naturali: et ideo non est inconveniens, si hoc malum in hoc bono sit sicut in subjecto.

3. N’importe quel mal n’est pas le contraire de n’importe quel bien, de même que n’importe quelle vertu [ne l’est pas] pour n’importe quel vice, mais de ce bien seulement dont la perfection est objet de privation par le mal. Or, le mal ne se trouve pas comme dans son sujet dans le bien qui est enlevé par le mal, comme la vie naturelle de l’homme n’est pas enlevée par le mal de faute. Le mal de faute ne s’oppose donc pas au bien qui consiste à être vivant d’une vie naturelle. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié que tel mal se trouve dans tel bien comme dans son sujet.

[6473] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod oppositio mali ad bonum potest considerari dupliciter. Vel secundum determinatam rationem hujus boni et illius mali; et sic non fallit in istis oppositis, bonum et malum, dialecticorum regula, quae perhibet, contraria simul esse non posse: quia, ut dictum est, sic accipiendo oppositionem boni et mali, malum non opponitur illi bono in quo est sicut in subjecto. Potest etiam considerari oppositio mali ad bonum secundum communem rationem utriusque: et sic malum simpliciter opponitur bono simpliciter, sicut huic bono hoc malum; et per hunc modum fallit dialecticorum regula in istis contrariis, quia malum est in bono: et ratio quare fallit, est ista, quia bonum non imponitur ab aliqua determinata perfectione, sed a perfectione in communi; unde quidquid perfectionis res habeat, communem rationem boni consequitur; similiter etiam quacumque perfectione privatur, communem rationem mali incurrit. Contingit autem ut aliquid habeat primam perfectionem, et privetur secunda; et ita simul habebit rationem boni et mali, sed secundum diversa: et ex hoc non sequitur quod contradictoria sint simul vera.

4. L’opposition du mal au bien peut être envisagée de deux manières. Soit selon la raison déterminée de tel bien et de tel mal ; et ainsi, la règle des dialecticiens voulant que les contraires ne puissent exister en même temps ne trompe pas pour ces contraires, le bien et le mal, car, ainsi qu’on l’a dit, en considérant ainsi l’opposition du bien et du mal, le mal n’est pas opposé au bien dans lequel il se trouve comme dans son sujet. On peut aussi envisager l’opposition du mal au bien selon la raison commune des deux ; et ainsi, ce qui est tout simplement mal s’oppose à ce qui est tout simplement bien, comme tel mal à tel bien. De cette manière, la règle des dialecticiens induit en erreur pour ces contraires, car le mal existe dans le bien. La raison pour laquelle elle induit en erreur est la suivante : le bien n’est pas attribué selon une perfection déterminée, mais selon la perfection au sens général. Aussi tout ce qu’une chose possède de perfection a-t-il raison commune de bien ; de même, quelle que soit la perfection dont elle est privée, elle encourt la raison commune de mal. Or, il arrive que quelque chose possède la perfection première et soit privé de la [perfection] seconde. Elle possédera en même temps la raison de bien et celle de mal, mais selon des aspects différents. Il ne découle pas de cela que des choses contradictoires sont vraies en même temps.

[6474] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod malum non habet subjectum sicut per se accidens, sed sicut privatio perfectionis; et ideo non oportet quod per se ex principiis sui subjecti causetur, sed sufficit quod tantum in subjecto aptitudinem et debitum requirat.

5. Le mal n’a pas de sujet comme un accident par soi, mais comme la privation d’une perfection. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il soit de soi causé par les principes de son sujet, mais il suffit qu’existent dans le sujet capacité et exigence.

 

 

ARTICULUS 5 Utrum malum possit corrumpere totum bonum

Article 5 – Le mal peut-il corrompre le bien tout entier ?

[6476] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur quod malum bonum totum corrumpere possit. Quia, ut in 1 Phys. dicitur, omne finitum consumitur ablato quodam. Sed bonum creatum, quod solum subjectum mali esse potest, finitum est. Ergo per multiplicationem mali potest ex toto consumi.

1. Il semble que le mal puisse corrompre le bien tout entier, car, ainsi que le dit Physique, I, tout ce qui est fini disparaît si on en enlève quelque chose. Or, le bien créé, qui seul peut être le sujet du mal, est fini. Par la multiplication du mal, il peut donc disparaître complètement.

[6477] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 2Si dicatur, quod quamvis sit finitum in actu, est tamen infinitum in virtute et potentia; contra. Quantitas virtutis vel potentiae mensuratur ex objecto: objectum autem potest habere infinitatem vel secundum rationem quantitatis continuae, vel secundum rationem quantitatis discretae. Sed neutro modo per peccatum diminuitur potentia vel virtus boni naturalis; quia sicut ante peccatum erat anima capax infiniti boni, quod Deus est, ita etiam et post; similiter etiam sicut ante peccatum poterat in infinitos actus, ita etiam post; nec alicujus actus potentia ab ea aufertur, ad minus remota. Ergo diminutio boni per malum non attenditur secundum quantitatem virtutis: ergo nec infinitas virtutis consumptionem boni vel mali excludere potest.

2. Bien qu’il soit fini en acte, il est cependant infini par sa vigueur et sa puissance. En sens inverse, la quantité de la vigueur ou de la puissance est mesurée à partir de l’objet,mais un objet peut posséder l’infinité soit en raison d’une quantité continue, soit en raison d’une quantité discrète. Or, la puissance ou la vigueur d’un bien naturel ne peuvent être diminuées par le péché d’aucune des deux manières, car, de même que l’âme était capable, avant le péché, du bien infini qu’est Dieu, de même aussi [l’est-elle] après ; de même aussi qu’elle était capable d’actes infinis avant le péché, de même [l’est-elle] après, et la puissance de poser un acte ne lui est pas enlevée, du moins, [la puissance] éloignée. La diminution du bien par le mal ne se prend donc pas selon la quantité de la puissance. L’infinité de la puissance ne peut donc pas exclure la disparition du bien ou du mal.

[6478] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 3Si dicatur, quod diminutio boni per malum, non est semper secundum eamdem quantitatem, sed secundum eamdem proportionem sicut in diminutione continui; et ideo semper in infinitum diminuitur, nec ex toto aufertur; contra. Quandocumque est diminutio secundum eamdem proportionem, semper illud quod secundo aufertur, est minus eo quod primo auferebatur: quia si primo ablatum fuit tertium totius, secundo ablatum erit tertium residui, et sic deinceps. Sed secundum malum non tollit minus de bono quam primum malum auferebat; quia potest esse malum tam magnum; nec bonum est fortius ad resistendum, sed debilius. Ergo non est diminutio boni per malum semper secundum eamdem proportionem.

3. Si l’on dit que la diminution du bien par le mal ne se réalise pas toujours selon la même quantité, mais selon la même proportion, comme pour la diminution du continu, et donc qu’il est diminué à l’infini et n’est pas enlevé en totalité, on dira en sens contraire que chaque fois qu’il y a diminution selon une même proportion, ce qui est enlevé en second est toujours moindre que ce qui était enlevé en premier, car, si le tiers du tout avait été d’abord enlevé, le tiers du reste aura été enlevé en deuxième lieu, et ainsi de suite. Or, le second mal n’enlève pas moins de bien que le premier mal n’en enlevait, car il peut être un mal aussi grand, et la résistance du bien n’est pas plus grande, mais plus faible. La diminution du bien par le mal ne se réalise donc pas toujours selon une même proportion.

[6479] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 4Praeterea, ex hoc malum dicitur quod bonum corrumpit. Ergo quamdiu malum durat, continue corrumpit. Sed quod continue corrumpit, tandem ad non esse perducit; quia sicut nullius rei generatio est infinita, ita nec corruptio, cum tempus corruptionis cujuslibet rei tempori generationis ejus aequale sit, ut in 2 de Gener. dicitur. Ergo necessarium est quod bonum ex toto per malum tollatur.

4. On parle de mal du fait qu’il corrompt le bien. Aussi longtemps que dure le mal, il corrompt donc de manière continue. Or, ce qui corrompt de manière continue parfois ne conduit pas à l’être, car de même que la génération d’aucune chose n’est infinie, de même non plus la corruption, puisque le temps de la corruption de n’importe quelle chose est égal au temps de sa génération, comme il est dit dans Sur la génération, II. Il est donc nécessaire que le bien soit entièrement enlevé par le mal.

[6480] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 5Praeterea, si malum diminuit bonum, aut illud bonum quod est ei subjectum, aut illud bonum quod est ei oppositum. Sed non illud quod est sibi subjectum, cum nullum accidens suum subjectum diminuat. Ergo intelligitur diminuere illud bonum quod sibi opponitur. Ergo cum illud bonum ex toto privet, quia opposita non possunt esse simul; videtur quod bonum quod per malum diminuitur, ex toto tollatur.

5. Si le mal diminue le bien, il s’agit soit du bien qui en est le sujet, soit du bien qui lui est opposé. Or, il ne s’agit pas de celui qui en est le sujet, puisque aucun accident ne diminue son sujet. On comprend donc qu’il diminue le bien qui lui est opposé. Puisqu’il prive entièrement de ce bien ‑ car les contraires ne peuvent exister en même temps ‑, il semble donc que le bien qui est diminué par le mal est entièrement enlevé.

[6481] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 s. c. 1Sed contra, inter alia mala pejus est malum culpae. Sed malum culpae non ex toto tollit bonum: dicit enim Dionysius, quod bona naturalia in Angelis peccantibus integra permanserunt, cum tamen peccatum eorum sit gravissimum. Ergo malum non ex toto tollit bonum.

Cependant, [1] parmi les autres maux, le pire est le mal de faute. Or, le mal de faute n’enlève pas le bien entièrement. En effet, Denys dit que les biens naturels chez les anges pécheurs sont intégralement demeurés, alors que leur péché est cependant très grave. Le mal n’enlève donc pas entièrement le bien.

[6482] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 s. c. 2Praeterea, philosophus dicit, quod malum, si sit integrum, seipsum destrueret. Sed malum quod ex toto tollit bonum, erit integrum malum. Ergo etiam seipsum destrueret. Sed quidquid seipsum destruit, impossibile est esse. Ergo impossibile est esse aliquod malum quod ex toto corrumpat bonum.

[2] Le Philosophe dit que le mal, s’il était total, se détruirait. Or, le mal qui enlève entièrement le bien sera un mal total. Il se détruirait donc aussi lui-même. Or, il est impossible qu’existe tout ce qui se détruit. Il est donc impossible qu’existe un mal qui corrompe entièrement le bien.

[6483] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod, sicut ex dictis patet, malum per se acceptum privatio quaedam est. Ad rationem autem cujuslibet privationis tria requiruntur; scilicet habitus oppositus, et subjectum tam habitus quam privationis, et habilitas in subjecto ad receptionem habitus; et ideo triplex bonum potest considerari; scilicet bonum quod est perfectio opposita ipsi malo, et subjectum illius perfectionis et privationis oppositae, et etiam ipsa habilitas ad perfectionem illam; quae cum sit quaedam quasi inchoatio ejus, etiam bonum quoddam est: verbi gratia, malum culpae habet pro subjecto ipsam naturam animae, quae bonum quoddam est, et pro opposito ipsam gratiam; et iterum animae inest habilitas quaedam ad gratiam habendam. Sciendum est ergo, quod malum culpae bonum gratiae sibi oppositum ex toto tollit; de ipsa vero natura animae, quae est sibi subjectum, nihil aufertur; ipsam vero habilitatem diminuit; et hoc est bonum naturae quod ex culpa diminuitur. Diminutio autem hujus habilitatis non est per subtractionem alicujus partis ejus; sicuti enim qualitates et formae non augentur per additionem, ut in 1 dictum est, dist. 17, sed per intensionem; ita etiam non diminuitur per subtractionem, sed per remissionem. Remissio autem hujusmodi habilitatis, est secundum quod elongatior est ab actu, scilicet ab ipsa gratia; quanto enim potentia est magis propinqua actui, tanto completior est. Contingit autem istam habilitatem in infinitum elongatiorem ab actu fieri; ita quod semper remanebit habilitas, eo quod quilibet actus peccati facit aliquam elongationem a gratia; unde semper remanet minor et minor habilitas, et magis a gratia distans; et post primum peccatum non tollitur potentia ad secundum peccatum, immo est major pronitas; et ideo potest fieri major elongatio. Nunquam tamen habilitas ad gratiam ex toto tollitur: quia habilitas ista causatur ex principiis naturae, quae principia, ut dictum est, culpa nec tollit nec minuit; et simile esset in naturalibus, si esset aliquis calor qui in infinitum posset calefacere, et plus et plus; semper tamen remaneret materia quae ex natura sua haberet habilitatem ad frigus, et eam nullo modo amitteret; sed tamen illa habilitas semper fieret magis et magis longinqua ab actu.

Réponse. Comme cela ressort de ce qui a été dit, le mal considéré en lui-même est une privation. Or, pour la raison de n’importe quelle privation, trois choses sont requises : un habitus opposé, le sujet de cet habitus et de la privation, et la capacité du sujet à recevoir cet habitus. Un triple bien peut donc être considéré : le bien qui est une perfection opposée au mal même, le sujet de cette perfection et de la privation contraire, et la capacité même à cette perfection, qui, étant pour ainsi dire une amorce de celle-ci, est un certain bien. Par exemple, le mal de faute a comme sujet la nature même de l’âme, qui est un bien, et comme contraire la grâce elle-même ; de plus, il existe dans l’âme une certaine capacité d’avoir la grâce. Il faut donc savoir que le mal de faute enlève entièrement le bien de la grâce qui lui est contraire ; mais il n’enlève rien de la nature de l’âme qui en est le sujet ; il en diminue cependant la capacité. Il s’agit là d’un bien de nature qui est diminué par la faute. Or, la diminution de cette capacité ne se réalise pas par la soustraction d’une de ses parties. En effet, de même que les qualités et les formes n’augmentent pas par une addition, comme on l’a dit dans le livre I, d. 17, mais par l’intensité, de même aussi ne sont-elles pas diminuées par une soustraction, mais par un relâchement. Or, le relâchement d’une capacité de ce genre existe du fait qu’elle est plus éloignée de l’acte, c’est-à-dire de la grâce elle-même. En effet, plus une puissance est proche de son acte, plus elle est achevée. Or, il arrive que cette capacité soit plus éloignée de manière infinie de l’acte à poser, au point où elle en restera toujours à la capacité, du fait que tout acte de péché produit un éloignement de la grâce. Aussi reste-t-il une capacité de plus en plus petite, et de plus en plus distante de la grâce. Et après un premier péché, la puissance d’un second péché n’est pas enlevée, mais l’inclination y est plutôt plus grande. C’est ainsi qu’un éloignement plus grand peut se produire. Cependant, la capacité par rapport à la grâce n’est jamais entièrement enlevée, car cette capacité est causée par des principes de nature, principes, ainsi qu’on l’a dit, que la faute n’enlève pas ni ne diminue. Et il en serait de même pour les choses naturelles, s’il existait une chaleur qui pourrait réchauffer à l’infini, et de plus en plus. Demeurerait cependant toujours la matière qui, par sa nature même, aurait une capacité de refroidissement et ne la perdrait aucunement ; cependant, cette capacité deviendrait toujours de plus en plus éloignée de l’acte.

[6484] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod ista diminutio non fit per subtractionem, sed per elongationem ab actu, ut dictum est.

1. Cette diminution ne se fait pas par soustraction, mais par éloignement de l’acte, comme on l’a dit.

[6485] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 ad 2Ad secundum dicendum, quod nihil subtrahitur de quantitate virtutis vel potentiae, ita ut non sit post peccatum in potentia ad tantum bonum sicut ante, vel ad tot bona sicut prius; sed tamen per quodlibet peccatum elongatur potentia ab actu; et in hoc infinitatem habet, secundum quod in infinitum hoc fieri contingit, ut dictum est.

2. Rien n’est enlevé à la quantité d’une vertu ou d’une puissance, de sorte que, après le péché, elle ne soit pas en puissance à un bien aussi grand qu’avant, ou à autant de biens qu’antérieurement. Cependant, par tout péché, la puissance est éloignée de l’acte. Elle a ainsi une infinité, selon que cela se produit à l’infini, ainsi qu’on l’a dit.

[6486] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 ad 3Tertium conceditur: quia illa solutio nihil valet.

3. Le troisième argument est concédé, car cette solution n’a aucune valeur.

[6487] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod malum, idest ipsa privatio quae est in subjecto aliquo, non corrumpit aliquid effective in subjecto illo, ut fiat consumptio continua, sicut humidum per calidum consumitur; sed corrumpit formaliter loquendo; idest, est ipsa corruptio qua corruptum est; et ideo ratio non procedit.

4. Le mal, c’est-à-dire la privation qui existe dans un sujet, ne corrompt rien de manière efficiente dans ce sujet, de sorte qu’il soit consumé de manière continue, comme l’humide est consumé par le chaud ; mais il corrompt de manière formelle, c’est-à-dire que la corruption même est ce par quoi il y a corruption. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

[6488] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod illud bonum naturae quod per peccatum diminuitur, est medium inter animam, quae est subjectum culpae, et gratiam, quae est oppositum culpae, scilicet ipsa habilitas; quae quidem radicatur in anima, et perficitur per gratiam; et ideo ex parte illa qua accedit ad gratiam, opponitur culpae, ratione cujus per culpam diminuitur, ut semper elongatior a gratia fiat; sed ex parte illa qua in substantia animae radicatur non opponitur culpae, sed est subjectum ejus; et ideo semper manet in anima, quamdiu manet natura.

5. Le bien de la nature qui est diminué par le péché est intermédiaire entre l’âme, qui est le sujet de la faute, et la grâce, qui est le contraire de la faute, à savoir, la capacité elle-même, qui est enracinée dans l’âme et perfectionnée par la grâce. Ainsi, du point de vue où elle parvient à la grâce, elle est opposée à la faute, en raison de quoi elle est diminuée par la faute, de sorte qu’elle devient plus éloignée de la grâce ; mais, du point de vue où elle est enracinée dans la substance de l’âme, elle n’est pas opposée à la faute, mais en est le sujet. Elle demeure donc toujours dans l’âme, aussi longtemps que demeure la nature.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 34

[6489] Super Sent., lib. 2 d. 34 q. 1 a. 5 expos.Manifestum est ex voluntate mala, tamquam ex arbore mala, fieri omnia opera mala. Hoc dicit ad excludendum quamdam objectionem ex verbis domini exortam, Matth. 7, 18: non potest arbor bona malos fructus facere; ex quo videtur sequi quod res bona causa mali esse non possit. Sed dicendum, quod arbor est causa proxima fructus; causa vero prima in genere illo est vel sol vel terra; et causa prima est communis et bonis et malis arboribus, et bonis et malis fructibus; ideo ipsa natura voluntatis, sicut causa prima, est principium bonarum et malarum voluntatum, et bonorum et malorum exteriorum actuum, una et eadem; sed voluntas mala, quae comparatur arbori, est causa mali actus exterioris proxima, qui comparatur fructui. Ecce habes primam voluntatem boni mutabilis. Hoc non dicit, si Angelus primus et homo non peccasset, quin alii sequentes peccare potuissent; sed quia ex illis primis peccatis sequentia consecuta sunt. Ubi autem bonum non est, non potest esse corruptio. Hoc non est intelligendum de bono quod per malum privatur, quia sic ratio sua non valeret: hoc enim bonum ante adventum mali est; sed post adventum mali non remanet: sed intelligitur de bono quod est subjectum mali, quod quidem corrumpitur, inquantum debita perfectione privatur. Quod si esse desisteret, privari non posset; et ita nec corrumpi. Naturalium sunt privationes bonorum. Hoc intelligendum est de bono naturali, vel ad quod natura est ordinata, sicut gratia vel virtus; vel de ipsis habilitatibus ad haec bona. Si enim intelligeretur de bonis naturalibus quae sunt de esse naturae, vel naturam consequentes; sic falsum esset; quia talia bona post peccatum integra manent, ut Dionysius dicit. Illa dialecticorum regula deficit qua dicunt, nulli rei duo simul inesse contraria. Quomodo deficiat, et quomodo non, dictum est. Sed secundum intellectum quo proponitur ut regula, nunquam deficit; quamvis aliquo modo deficiat in bono et malo, quo non deficit in aliis contrariis quae speciales formas designant, ut dictum est. De ipsis rebus quibus homines mali sunt; idest de peccatis, quae etiam, inquantum res sunt, bonitatem quamdam habent; sed inquantum deficiunt, mala sunt.

 

 

 

DISTINCTIO 35

Distinction 35 – [La substance de l’acte de péché]

 

 

PROOEMIUM

Prologue

[6490] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 pr.Quia in peccato actuali duo considerantur, scilicet defectus, ex quo rationem mali habet, et substantia actus, secundum quam actuale peccatum dicitur; determinato de peccato actuali, secundum quod habet rationem mali, hic incipit determinare de eo quantum ad substantiam actus, in qua defectus fundatur, secundum quem malum dicitur; et dividitur in partes duas: in prima determinat de peccato quantum ad actum; in secunda de potentia, quae est ad actum peccati, 44 distinct.: post praedicta consideratione dignum occurrit, utrum peccandi potentia sit nobis a Deo. Prima dividitur in duas: in prima determinat de peccato in generali; in secunda descendit ad peccatorum differentias, 42 distinct.: cum autem voluntas mala et operatio sint peccatum, quaeritur, utrum in eodem homine et circa eamdem rem haec duo unum sint peccatum. Prima dividitur in duas: in prima determinat de actu peccati in generali. Sed quia actus peccati vel est interior voluntatis, vel est exterior operis; ideo in secunda parte descendit ad utrosque actus, 38 dist.: post praedicta, de voluntate ejusque fine disserendum est. Prima dividitur in duas: in prima prosequitur opinionem quorumdam dicentium, actus peccatorum a Deo esse; in secunda ponit opinionem contrariam, 37 dist.: sunt autem alii plurimi aliter longe de peccato et de actu sentientes. Prima dividitur in duas: in prima prosequitur opinionem eorum qui dicunt omnes actus ex Deo esse; in secunda ex incidenti, quia hoc disputatio mota exigebat, interponitur de comparatione peccati ad poenam, utrum peccatum poena esse possit, 36 distinct.: sciendum est tamen quaedam sic esse peccata ut sint etiam poena peccatorum. Prima dividitur in tres: in prima ponit definitionem peccati; in secunda inducit diversas opiniones, ex datis descriptionibus occasionatas, ibi: quocirca diversitatis hujusmodi verborum occasione de peccato plurimi diversa senserunt; in tertia prosequitur illam opinionem quod omnes actus a Deo sunt, ibi: quidam diligenter attendentes verba Augustini (...) non indocte tradunt, et cetera. Circa secundum duo facit: primo narrat diversas opiniones; secundo breviter dicit, quid de iis tenendum sit, ibi: sane dici potest. Tertia pars dividitur in partes tres: in prima ponitur opinio; in secunda ponitur opinionis confirmatio per rationes, ibi: quod autem omnis voluntas et actio bonum sit, inquantum est, ex eo probant quod ait Augustinus, etc.; in tertia ponitur responsio ad ea quae in contrarium objici possunt, ibi: quibus opponitur. Si omnia quae sunt, inquantum sunt, bona sunt (...) ergo adulterium et homicidium (...) bona sunt. Circa secundum duas rationes ponit: prima accipitur ex ratione entis; secunda ex habitudine mali ad bonum, in quo necessario ut in subjecto malum consistit, ibi: item et aliter probant omnem actum interiorem vel exteriorem, inquantum est, esse bonum. Prima ratio talis est. Omne ens, inquantum ens, bonum est et a Deo est. Sed omnis actio est ens: ergo et cetera. Primo probat majorem; secundo proponit minorem, et inducit conclusionem, ibi: ex praedictis colligitur atque infertur,et cetera. Quibus opponitur. Si omnia, et cetera. Hic excludit objectiones quae contra hanc opinionem possunt esse; et dividitur in tres, secundum tres objectiones: prima sumitur ex his actibus qui mox nominati in malum sonant, ut homicidium et cetera. Secunda ex omissionibus, quae actum habere non videntur, ibi: item aliter eis opponitur; tertia ex comparatione poenae ad culpam, ibi: etiam quaeri potest. Et dividitur in partes duas: in prima ponit objectionem, et solvit eam, ostendens quod aliter est corruptio boni culpa quam poena; in secunda movet quasdam quaestiones ex solutione occasionata, ibi: sed cum nihil sit, inquantum peccatum est, quomodo potest bonum corrumpere vel adimere? Et circa hoc duo facit: primo inquirit, quomodo culpa possit esse corruptio active; secundo quomodo poena sit corruptio passive, ibi: quaeri autem solet utrum et poena sit privatio, vel corruptio boni. Circa primum tria facit: primo ostendit bonum, per quod malum culpae active corruptio dicitur; secundo ostendit cujus boni sit corruptio, ibi: peccatum vero, idest culpa, proprie animae corruptio est; tertio exponit quoddam quod dixerat, scilicet qualiter aliquis a Deo elongetur, ibi: ab eo se elongant per peccatum. Hic quaeruntur quinque: 1 de divisione mali in culpam et poenam; 2 de definitione culpae; 3 si omnis culpa in actu consistit; 4 si in actu interiori tantum, vel in exteriori; 5 si culpa est corruptio potentiarum animae.

Parce que, dans le péché actuel, deux choses sont considérées : la carence, par laquelle il a raison de mal, et la substance de l’acte, selon laquelle on parle de péché actuel, après avoir déterminé du péché actuel selon qu’il a raison de mal, [le Maître] commence ici à en déterminer pour ce qui est de la substance de l’acte, en laquelle est fondée la carence selon laquelle on parle de mal. Il y a deux parties : dans la première, il détermine du péché quant à l’acte ; dans la seconde, quant à la puissance qui se rapporte à l’acte du péché, d. 44 : « Après la considération précédente, il paraît justifié de demander si la puissance du péché existe en nous par [l’action de] Dieu. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine du péché en général ; dans la seconde, il en vient aux différences entre les péchés, d. 42 : « Puisque la volonté et l’opération mauvaises sont péché, on se demande si ces deux choses sont un seul péché chez le même homme et à propos de la même chose. » La première [partie] se divise en deux : dans la première [partie], il détermine de l’acte du péché en général. Mais parce que l’acte du péché est soit intérieur à la volonté, soit extérieur par une action, il en vient donc, dans la seconde partie, aux deux actes, d. 38 : « Après ce qui a été dit, il faut traiter de la volonté et de sa fin. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il traite de l’opinion de certains qui disent que les actes des péchés viennent de Dieu ; dans la seconde, il présente l’opinion contraire, d. 37 : « Mais le plus grand nombre a une opinion très différente à propos du péché et de son acte. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il traite de l’opinion de ceux qui disent que tous les actes viennent de Dieu ; dans la seconde, par mode d’incidente, parce que l’exigeait la dispute soulevée, il introduit une comparaison entre le péché et la peine, en se demandant si le péché peut être une peine, d. 36 : « Il faut cependant savoir que certains péchés sont tels qu’ils sont aussi une peine pour des péchés. » La première [partie] se divise en trois. Dans la première, il présente une définition du péché. Dans la deuxième, il invoque diverses opinions occasionnées par les descriptions présentées, à cet endroit : « À ce propos, concernant la diversité des paroles de ce genre, le plus grand nombre a eu une opinion différente à propos du péché. » Dans la troisième, il traite de l’opinion selon laquelle tous les actes viennent de Dieu, à cet endroit : « Certains, en examinant attentivement les paroles d’Augustin…, enseignent non sans une réelle science, etc. » À propos du second point, il fait deux choses : premièrement, il rapporte diverses opinions ; deuxièmement, il dit brièvement ce qu’il faut en retenir, à cet endroit : « On peut assurément dire… » La troisième partie se divise en trois parties. Dans la première, une opinion est présentée. Dans la deuxième, la confirmation de l’opinion par des arguments est présentée, à cet endroit : « Que tout volonté et toute action soient un bien dans la mesure où elles sont, ils le démontrent à partir de ce que dit Augustin, etc. » Dans la troisième, la réponse à ce qui peut être objecté en sens contraire est présentée, à cet endroit : « En sens contraire, si tout ce qui existe est bon du fait que cela existe…, l’adultère et l’homicide sont donc des biens. » À propos du deuxième point, il présente des arguments : le premier vient de la raison de ce qui existe ; le second, du rapport entre le mal et le bien, dans lequel réside nécessairement le mal comme dans son sujet, à cet endroit : « Ils démontrent aussi autrement que tout acte intérieur ou extérieur est bon en tant qu’il est. » Le premier argument est le suivant. Tout ce qui est, en tant qu’il est, est bon et vient de Dieu. Or, toute action est un être. Donc, etc. Il prouve d’abord la majeure ; en second lieu, il présente la mineure et amène la conclusion, à cet endroit : « De ce qui a été dit, on montre et on infère, etc. » « S’oppose à eux : si tout, etc. » Il écarte ici les objections qui peuvent exister contre cette opinion. Il y a trois parties, selon les trois objections. La première vient des actes qui, dès qu’on les désigne, indiquent un mal, comme l’homicide, etc. La deuxième, des omissions, qui ne semblent pas comporter d’acte, à cet endroit : « De même, une autre objection contre eux… » La troisième, de la comparaison entre la peine et la faute, à cet endroit : « De même, on peut se demander… » Elle se divise en deux parties : dans la première, il présente l’objection et la résout, en montrant que la faute corrompt le bien d’une autre manière que la peine ; dans la seconde, il soulève certaines questions à partir de la solution proposée, à cet endroit : « Mais comme rien n’existe en tant que péché, comment peut-il corrompre ou enlever le bien ? » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il se demande comment la faute peut corrompre de manière active ; deuxièmement, comment la peine corrompt de manière passive, à cet endroit : « Mais on a coutume de se demander si la peine aussi est une privation ou une corruption du mal. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre le bien par lequel on dit que le mal de faute est une corruption de manière active. Deuxièmement, il montre de quel bien il est une corruption, à cet endroit : « Mais le péché, c’est-à-dire la faute, est à proprement parler une corruption de l’âme. » Troisièmement, il explique une chose qu’il avait dite, à savoir comment quelqu’un s’éloigne de Dieu, à cet endroit : « Ils s’éloignent de lui par le péché. » Cinq questions sont posées ici : 1. À propos de la division du mal en [mal de] faute et [mal de] peine ; 2. À propos de la définition de la faute ; 3. Toute faute consiste-t-elle en un acte ? 4. [Consiste-t-elle] dans un acte intérieur seulement ou dans un acte extérieur ? 5. La faute est-elle une corruption des puissances de l’âme ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum malum dividatur sufficienter per malum culpae et poenae

Article 1 – Le mal est-il divisé de manière suffisante en mal de faute et mal de peine ?

[6492] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod non sufficienter malum per culpam et poenam dividatur. Malum enim nihil aliud est quam defectus boni. Sed omne quod invenitur alio minus bonum, non est sine defectu alicujus boni. Ergo omne quod est minus bonum, est etiam malum. Sed omnia creata sunt minus bona. Cum ergo multae creaturae sint in quibus non est poena neque culpa, videtur quod malum non sufficienter per poenam et culpam dividatur.

1. Il semble que la mal ne soit pas suffisamment divisé en [mal de] faute et [mal de] peine. En effet, le mal n’est rien d’autre qu’une carence de bien. Or, tout ce qui se trouve être un bien moindre qu’un autre n’existe pas sans carence d’un certain bien. Tout ce qui est un moindre bien est donc aussi un mal. Or, toutes les réalités créées sont des biens moindres. Puisqu’il existe beaucoup de créatures chez lesquelles il n’y a pas de peine ni de faute, il semble donc que le mal ne soit pas suffisamment divisé en [mal de] peine et [mal de] faute.

[6493] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, in illis quae non habent dominium sui actus, malum culpae esse non potest. In quibus autem culpa non est, nec poena est, quia poena culpae debetur. Cum ergo multa sint quae voluntatem non habent, et ita nec dominium sui actus, in quibus tamen est aliquod malum, ut in rebus insensibilibus patet; videtur quod malum non sufficienter per poenam et culpam dividatur.

2. Chez ce qui n’a pas la maîtrise de son acte, le mal de faute ne peut exister. Or, chez ce qui ne peut exister le [mal de] faute, le [mal de] peine non plus ne peut exister, car la peine est due pour la faute. Puisqu’il y a beaucoup de choses qui n’ont pas la volonté, et ainsi n’ont pas la maîtrise de leur acte, chez lesquelles cependant existe un certain mal, comme cela ressort pour les choses insensibles, il semble donc que le mal ne soit pas suffisamment divisé en peine et en faute.

[6494] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, Augustinus dicit, quod malum ideo dicitur quia nocet. Sed omne quod nocet, poena est. Ergo omne malum aliqua poena est. Ergo non convenienter aliquod malum contra poenam dividitur.

3. Augustin dit qu’on appelle mal ce qui est nuisible. Or, tout ce qui est nuisible est une peine. Tout mal est donc une peine. Un certain mal ne se divise pas de la peine de manière appropriée.

[6495] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 4Si dicatur, quod poena nocet passive, sed culpa nocet active, contra. Passio est effectus illatioque actionis. Si ergo poena est nocumentum passivum, et culpa nocumentum activum, omnis poena erit illatio quaedam culpae; et ita omnis qui poenam infert, culpam perpetrabit: quod haereticum est, quia sic ordo justitiae deperiret.

4. Si on dit que la peine nuit de manière passive, mais la faute de manière active, on dira en sens contraire que la passion est l’effet et le résultat de l’action. Si donc la peine est une nuisance passive et la faute une nuisance active, toute peine consistera dans le fait de commettre une faute, et ainsi tous ceux qui infligent une peine commettront une faute, ce qui est hérétique, car ainsi l’ordre de la justice disparaîtrait.

[6496] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, aliqua poena est quae tantum in negatione consistit; ut carentia visionis divinae. Sed passio non est tantum negatio, immo est aliquod ens positive dictum, cum sit unum de decem generibus. Ergo non omnis poena est nocumentum passive dictum.

5. Il existe une peine qui consiste dans la négation seulement, comme la carence de la vision de Dieu. Or, la passion n’est pas seulement une négation ; elle est bien plutôt quelque chose qui existe de manière positive, puisqu’elle est l’un des dix genres. Toute peine n’est donc pas une nuisance entendue de manière négative.

[6497] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 6Praeterea, quaedam culpae sunt in quibus nullus actus consistit, ut patet praecipue in culpa originali. Sed nihil nocet active nisi per actionem aliquam. Ergo non omnis culpa est nocumentum activum.

6. Il existe des fautes où il n’y a aucun acte, comme cela ressort principalement pour la faute originelle. Or, rien ne nuit de manière active qu’une certaine action. Toute faute n’est donc pas une nuisance active.

[6498] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra est quod Augustinus dicit: omne malum nostrum est vel quod agimus, vel quod patimur. Sed malum quod agimus culpa est, malum quod patimur, poena est. Ergo malum per culpam et poenam dividitur.

Cependant, [1] Augustin dit : « Tout notre mal consiste soit dans ce que nous agissons, soit dans ce que nous subissons. » Or, le mal que noous faisons est une faute, et le mal que nous subissons est une peine. Le mal se divise donc en [mal de] faute et en [mal de] peine.

[6499] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, malum per se loquendo privatio quaedam est alicujus boni; bonum autem in perfectione et actu consistit; unde oportet secundum distinctionem perfectionum, distinctionem malorum esse. Est autem duplex actus vel perfectio; scilicet actus primus, et secundus. Actus primus est ipsa prima forma; actus secundus est operatio; et ideo ex privatione utriusque perfectionis diversae mali differentiae consurgunt. Si enim privetur aliqua forma vel perfectio alicujus rei naturalis, dicetur esse malum naturae si autem privetur perfectio operationis, dicetur esse peccatum: quia ut 2 Physic. dicitur, peccatum est in his quae nata sunt finem consequi, cum non consequuntur. Quaelibet autem res per suam operationem finem suum nata est consequi; unde oportet quod peccatum in operatione consistat, secundum quod non est directa ut finis exigit; secundum quod grammaticus non recte scribit, nec parat recte medicus potionem. Sed, ut in 5 Metaph. dicitur, bonum et malum quodam speciali modo est in his quae per electionem agunt, quae rationem finis cognoscunt, et finem sibi determinare possunt; et ideo peccatum in talibus quamdam specialem mali rationem accipit, ut scilicet peccatum in eis etiam culpa dicatur; unde peccatum in pluribus quam culpa est: quia ut ex 2 Physic. habetur, peccatum est et in his quae secundum naturam sunt, et in his quae sunt secundum artem; sed culpa non potest esse nisi in his quae per voluntatem sunt: nihil enim culpae rationem obtinet nisi quod vituperabile est; neque vituperium alicui debetur propter inordinatum actum, nisi ille actus suo dominio subjaceat. Habere autem dominium super suos actus, ut scilicet possit facere et non facere, voluntatis proprium est. Unde culpa super peccatum addit ut sit voluntatis actus. Similiter etiam malum naturae in electionem habentibus specialem quamdam rationem mali accipit, scilicet rationem poenae, inquantum voluntas defectui dissentit; unde omnis poena malum naturae est: dicitur enim poena malum, ut Augustinus dicit: quia naturae bonae nocet, inquantum subtrahit sibi id per quod natura perficitur, vel in suo esse naturali, ut caecitas, vel in naturae superadditis, ut subtractio gratiae, vel hujusmodi. Quidam tamen dicunt, quod etiam in brutis defectus rationis rationem poenae sortitur; sed melius videtur ut poena non sit, nisi ubi culpa esse potest. Et ita patet quod malum rationalis creaturae sufficienter et convenienter per poenam et culpam dividitur.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, à parler en soi, le mal est la privation d’un bien. Or, le bien consiste dans la perfection et dans l’acte. La distinction entre les maux doit donc être faite selon la distinction entre les perfections. Or, il existe un double acte ou perfection : l’acte premier et l’acte second. L’acte premier est la première forme elle-même ; l’acte second est l’opération. C’est pourquoi différents genres de mal sont issus de la privation des deux perfections. En effet, si une chose naturelle est privée de sa forme ou perfection, on parlera d’un mal de nature, mais si elle l’est de la perfection de son opération, on parlera de péché, car, en Physique, II, il est dit que « le péché se trouve dans les choses qui sont destinées à atteindre leur fin, alors qu’elles ne l’atteignent pas ». Or, toute chose est destinée à atteindre sa fin par son opération. Il faut donc que le péché consiste dans une opération, pour autant que celle-ci n’est pas orientée selon que l’exige la fin. Ainsi, un grammairien n’écrit pas bien et un médecin ne prépare pas correctement une potion. Mais, comme il est dit en Métaphysique, V, « le bien et le mal existe d’une manière particulière chez les êtres qui agissent par choix, qui connaissent la raison de la fin et qui peuvent se déterminer une fin ». Aussi le péché reçoit-il chez eux une raison spéciale de mal, à savoir que, chez eux, le péché est aussi appelé une faute. Le péché existe donc chez un plus grand nombre que la faute, car, ainsi qu’on le lit en Physique, II, « le péché se trouve aussi dans ce qui est conforme à la nature et dans ce qui est conforme à l’art, mais la faute ne peut se trouver que chez ce qui existe par la volonté ». En effet, rien n’a raison de faute que ce qui est blâmable, et un blâme n’est dû à quiconque pour un acte désordonné, que si cet acte est soumis à sa maîtrise. Or, avoir la maîtrise de ses actes, c’est-à-dire pouvoir les accomplir et ne pas les accomplir, est propre à la volonté. Aussi la faute ajoute-t-elle au péché le fait d’être un acte de la volonté. De même aussi, le mal de nature, chez les êtres qui ont le choix, reçoit-il une raison spéciale de mal, à savoir, la raison de peine, dans la mesure où la volonté s’oppose à la carence. Aussi toute peine est-elle un mal de nature. En effet, comme le dit Augustin, la peine est appelée un mal parce qu’elle nuit à une nature bonne, pour autant qu’elle lui enlève ce par quoi la nature est perfectionnée, soit dans son être naturel, comme la cécité, soit dans ce qui est ajouté à la nature, comme la soustraction de la grâce ou les choses de ce genre. Cependant, certains disent que chez les animaux sans raison, on attribue aussi la raison de peine à la carence de la raison, mais il semble mieux qu’il n’y ait pas de peine, là où il ne peut exister de faute. Il ressort ainsi clairement que le mal de la créature raisonnable se divise suffisamment et de manière appropriée en [mal de] peine et [mal de] faute.

[6500] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod nomen defectus potest sumi vel negative, vel privative. Si sumatur negative, sic non omne quod habet defectum alicujus boni, continuo malum est: quia malum privatio est; unde non est nisi defectus ejus quod quis natus est et debet habere. Si autem privative, sic patet quod non omne quod caret aliquo bono defectum habet: non enim est defectus in lapide quod non videt. Unde patet quod ratio procedit ex aequivocatione hujus nominis defectus.

1. Le mot « carence » peut être entendu de manière négative ou de manière privative. S’il est pris dans un sens négatif, tout ce qui ce à quoi manque un bien est immédiatement un mal, car le mal est une privation ; aussi n’existe-t-il de carence que pour ce que quelqu’un est destiné à posséder et doit avoir. Mais si on le prend dans un sens privatif, il ressort clairement que tout ce à quoi manque un bien a une carence. En effet, il n’existe pas de carence dans la pierre qui ne voit pas. Il ressort donc que l’argument vient d’une équivoque sur le mot « carence ».

[6501] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod culpa et poena non sunt differentiae mali absolute sumpti, sed mali secundum quod est in habentibus electionem, ut dictum est.

2. La faute et la peine ne sont pas des différences du mal considéré de manière absolue, mais du mal tel qu’il existe chez ceux qui peuvent choisir, comme on l’a dit.

[6502] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod nocere dicitur dupliciter; scilicet effective, et formaliter. Formaliter autem nocere dicitur ipsum nocumentum, sive ipsa ademptio boni vel privatio, sicut albedo facit album: et sic omne quod nocet, poena est in his quae nata sunt poenam subire. Si autem sumatur effective, sic dicitur nocere id quod causat privationem alicujus perfectionis in re; et hoc modo culpa nocet, quia per actum deordinatum aufertur aliqua perfectio, scilicet gratia; et tamen ipsa privatio gratiae poena est; et hoc est quod Magister dicit, quod culpa est corruptio boni active: quia scilicet malum culpae consistit in defectu actus, secundum quod deficit a debito fine et debitis circumstantiis: et iste actus deficiens agit vel efficit in anima privationem gratiae; et ipsa privatio gratiae passive accepta, poena est.

3. « Nuire » s’entend de deux manières : de manière efficiente et de manière formelle. Nuire de manière formelle désigne la nuisance elle-même, ou la perte ou sa privation, comme la blancheur rend blanc. Ainsi, tout ce qui nuit est une peine pour les choses qui ne sont pas destinées à subir une peine. Mais si on l’entend de manière efficiente, « nuire » désigne alors ce qui cause la privation d’une perfection dans une chose. De cette manière, la faute nuit, car une perfection est enlevée par un acte désordonné, la grâce. Toutefois, la privation même de la grâce est une peine. C’est ce que le Maître dit : la faute est la corruption du bien de manière active, parce que le mal de faute consiste dans la carence d’un acte, en tant qu’il s’écarte de la fin et des circonstances appropriées. Cet acte défectueux réalise ou accomplit dans l’âme la privation de la grâce, et la privation même de la grâce, entendue en un sens passif, est une peine.

[6503] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod omnis poena quaedam corruptio est ab aliquo agente inducta: et quamvis culpa sit quid activum corruptionis, non tamen omne activum corruptionis culpa est; et ideo non oportet quod omnis qui poenam infert culpam incurrat.

4. Toute peine est une corruption amenée par un agent, et bien que la faute soit un agent de corruption, tout agent de corruption n’est cependant pas une faute. Il n’est donc pas nécessaire que tous ceux qui causent une peine encourent une faute.

[6504] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod passio potest sumi dupliciter; vel quantum ad naturam rei prout logicus et naturalis passionem considerat; et hoc modo non oportet omnem poenam passionem esse; sed quamdam poenam, scilicet poenam sensus: vel quantum ad modum significandi, pro ut grammaticus considerat; et sic illud passive dicitur quod a verbo passivo derivatur; unde privatio qua aliquis privatur aliquo dicitur privatio passiva; et privatio qua aliquis privat, dicitur privatio activa; et hoc modo sumendo passionem, omnis poena est corruptio vel privatio passiva.

5. On peut entendre « passion » de deux manières : soit pour la nature d’une chose, comme le logicien et le [philosophe] de la nature envisagent la passio et, de cette manière, il n’est pas nécessaire que toute peine soit une passion ; soit pour une peine, à savoir, la peine du sens ; soit pour la manière de signifier, comme le grammairien l’envisage, et ainsi on parle de passion pour ce qui dérive d’un verbe passif. C’est ainsi que la privation par laquelle quelqu’un est privé de quelque chose est appelée une privation passive, et la privation par laquelle quelqu’un prive est appelée une privation active. En entendant « passion » de cette manière, toute peine est une corruption ou une privation passive.

[6505] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 1 ad 6Ad sextum dicendum, quod non dicitur culpa corruptio activa quia in actu consistat, sed magis quia corruptionem agit; et ideo objectio non procedit; contingit enim per id quod non est actus effici vel induci privationem passive dictam. Utrum tamen in omni culpa operatio requiratur, postea dicetur.

6. On ne dit pas que la faute est une corruption active parce qu’elle consiste dans un acte, mais plutôt parce qu’elle cause une corruption. C’est pourquoi l’objection n’est pas concluante. Il arrive en effet que, par ce qui n’est pas un acte, soit amenée ou provoquée une passion entendue de manière passive. Une opération est-elle nécessaire en toute faute ? On le dira plus loin.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum definitiones peccati hic positae, sint convenientes

Article 2 – Les définitions du péché proposées ici sont-elles adéquates?

[6507] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod peccatum inconvenienter in proposito definiatur. Illud enim quod definitur, oportet aliquid esse: quia quaestio an est praecedit quaestionem quid est; et iterum omne quod definitur, essentiam habet, cum definitio essentiam rei significet. Sed secundum Augustinum, peccatum nihil est, et nihil fiunt homines cum peccant. Ergo definiri non potest.

1. Il semble que le péché soit défini de manière adéquate par ce qui est dit plus haut. En effet, ce qui est défini doit être quelque chose, car la question : cela existe-t-il ? précède la question : qu’est-ce que cela est ? De plus, ce qui est défini possède une essence, puisque la définition signifie l’essence d’une chose. Or, selon Augustin, le péché n’est rien et les hommes ne deviennent rien lorsqu’ils pèchent. Il ne peut donc être défini.

[6508] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, definitio debet converti cum definito. Sed definitiones hic datae de peccato, non conveniunt omni peccato, ut in littera dicitur. Ergo inconvenienter assignatae sunt.

2. La définition doit être convertible avec ce qui est défini. Or, les définitions du péché données ici ne conviennent pas à tout péché, comme on le dit dans le texte. Elles sont donc données de manière inadéquate.

[6509] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, in definitione superioris non debet poni inferius. Sed concupitum vel dictum vel factum est inferius quam peccatum: quia omne factum contra legem Dei est peccatum, sed non convertitur. Ergo inconvenienter assignatur descriptio ex posterioribus secundum naturam.

3. Ce qui est inférieur ne doit pas être mis dans la définition de ce qui est supérieur. Or, un « désir », une « parole » ou une « action » sont inférieurs au péché, car tout acte contraire à la loi de Dieu est un péché, mais non l’inverse. La description à partir de ce qui vient suit par nature est donc donnée de manière inadéquate.

[6510] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, speciali virtuti speciale peccatum opponitur. Sed justitia est quaedam virtus specialis. Ergo peccatum non debet definiri universaliter sumptum per oppositionem ad justitiam.

4. Un péché est contraire à une vertu particulière. Or, la justice est une vertu particulière. Le péché ne doit donc pas être défini de manière universelle par opposition à la justice.

[6511] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, obedientia est quaedam specialis virtus. Sed obedientiae opponitur inobedientia. Ergo et inobedientia erit speciale peccatum. Cum ergo species in definitione generis poni non debeat, videtur quod inconvenienter peccatum universaliter sumptum, per inobedientiam definiatur.

5. L’obéissance est une vertu particulière. Or, la désobéissance s’oppose à l’obéissance. La désobéissance sera donc aussi un péché particulier. Puisque l’espèce ne doit pas être mise dans la définition du genre, il semble donc que le péché, entendu de manière universelle, soit défini par la désobéissance.

[6512] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 2 co.Respondeo, quod, sicut dictum est, peccatum dicit malum quod in operatione consistit; unde ad rationem peccati duo concurrunt, scilicet actus, et ipse defectus, ex quo ratio mali incidit. Defectus autem ille qui causat rationem mali in peccato, ut dictum est, est defectus rectitudinis in actu, per quam dirigebatur in finem. Finis autem rationalis naturae ultimus quem praecipue theologus considerat, est ipsa beatitudo aeterna, ad quem finem lex divina nos dirigit sicut instruens, et justitia sicut in illum inclinans; et ideo peccatum tripliciter hic describitur. In prima enim descriptione tangitur substantia actus in ordine ad instrumenta quibus actus exercentur, cum dicitur: dictum, vel factum, vel concupitum, et tangitur privatio illius dirigentis quod instruendo dirigit, scilicet legis, cum dicitur, quod fit contra domini legem. In secunda autem descriptione tangitur substantia actus ex parte objecti, in hoc quod dicitur: voluntas retinendi, vel consequendi, et privatio illius dirigentis quod in finem inclinat per modum habitus, in hoc quod dicit: quod justitia vetat. In tertia autem descriptione tangitur illud quod est formale in peccato, ex quo rationem mali habet, scilicet privatio dirigentis in finem, in hoc quod dicitur, praevaricatio legis divinae, et deordinatio ab ipso fine, in hoc quod dicitur, caelestium inobedientia praeceptorum.

Réponse. Comme on l’a dit, le péché désigne un mal qui consiste dans une opération. Deux choses entrent donc dans la raison de péché : l’acte et la carence dont provient la raison de mal. Or, cette carence qui cause la raison de mal dans le péché, comme on l’a dit, est la carence de droiture dans l’acte, par laquelle il était dirigé vers la fin. Or, la fin ultime de la nature raisonnable, que considère principalement le théologien, est la béatitude éternelle elle-même, fin vers laquelle la loi divine nous dirige en nous en instruisant, et la la justice, en y inclinant. Aussi le péché est-il décrit ici de trois manières. Dans la première [description], est abordée la substance de l’acte en rapport avec les instruments par lesquels les actes sont exercés, lorsqu’il est dit : « …une parole, un acte ou un désir » ; est aussi abordée la privation de ce qui dirige en instruisant : la loi, lorsqu’il est dit que cela est fait « à l’encontre de la loi du Seigneur ». Mais, dans la deuxième [description], est abordée la substance de l’acte du point de vue de l’objet, lorsqu’il est dit : « …la volonté de retenir ou d’obtenir », et la privation de ce qui dirige vers la fin en y inclinant par mode d’habitus, lorsqu’on dit ; « …qu’interdit la justice ». Dans la troisième [description], est abordé ce qui est formel dans le péché, d’où il tire sa raison de mal : la privation de ce qui dirige vers la fin, lorsqu’on dit : « …une prévarication contre la loi divine », et un désordre par rapport à la fin, lorsqu’on dit : « …une désobéissance aux commandements célestes ».

[6513] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod secundum quod aliqua habent esse, possunt definiri, ut in 7 Metaph. dicitur; unde quia ens per prius de substantia dicitur, quae perfecte rationem entis habet, ideo nil perfecte definitur nisi substantia: accidentia autem, sicut incomplete rationem entis participant, ita et definitionem absolutam non habent: quia in definitionibus eorum ponitur aliquid quod est extra genus eorum, scilicet subjectum ipsorum. Similiter etiam cum ens quodammodo dicatur de privationibus et negationibus, ut in 4 Metaph. dicitur, earum etiam potest esse aliquis modus definitionis incompletissimus, qui est quasi exponens nominis significationem, non essentiam indicans, quam nullam habet: non autem ita quod peccatum omnino sit privatio et negatio; sed quantum ad id solum ex quo formaliter rationem mali habet: et ideo ex parte illa definitur per privationem, ut patet ex omnibus descriptionibus in littera positis.

1. Certaines choses peuvent être définies selon qu’elles possèdent l’être, comme on le dit dans Métaphysique, VII. Parce qu’on dit d’abord d’une substance qu’elle est, elle qui possède parfaitement la raison d’être, rien n’est donc parfaitement défini que la substance ; mais les accidents, de même qu’ils participent de manière incomplète à la raison d’être, de même ne possèdent-ils pas de définition absolue, car, dans leurs définitions, on met quelque chose qui est extérieur à leur genre : leur sujet. De même, puisque qu’on parle aussi d’être pour les privations et les négations, comme il est dit dans Métaphysique, IV, il peut exister pour elles une manière très incomplète de les définir, qui explique pour ainsi dire la signification du mot sans en indiquer l’essence, qu’elle ne possède d’aucune façon ; non pas cependant que le péché soit entièrement une privation et une négation, mais quant à ce qui lui donne formellement la raison de mal. Sous cet aspect, il se définit donc par une privation, comme cela ressort de toutes les descriptions présentées dans le texte.

[6514] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod peccatum non dicitur univoce de omnibus generibus peccatorum, sed per prius de peccato actuali mortali, a quo peccatum veniale deficit ex hoc quod non omnino a fine deordinat. Sed aliquo modo a fine retardat, ordine ad finem salvato; unde deficit ex parte illa ex qua peccatum formaliter rationem mali habet. Originale autem deficit ab eo ex parte ipsius substantiae actus: actuale enim mortale est voluntarium voluntate propria illius in quo est; sed originale est voluntarium voluntate alterius; unde deficit ex parte illa ex qua peccatum habet rationem culpae. Et ideo non oportet quod definitio peccati in genere conveniat nisi illi peccato in quo perfecte ratio generis invenitur. Potest autem et definitio peccati in genere eis secundum quid convenire, sicut et ratio generis in eis per posterius invenitur.

2. On ne parle pas de péché de manière univoque pour tous les genres de péchés, mais d’abord pour le péché actuel mortel, dont le péché véniel s’écarte du fait qu’il ne s’éloigne pas entièrement de la fin, mais retarde dans [l’atteinte de] la fin, tout en sauvegardant l’ordre à la fin. Aussi s’en écarte-t-il sous l’aspect par lequel le péché possède formellement la raison de mal. Mais le péché originel s’en écarte du point de vue de la substance même de l’acte. En effet, le [péché] actuel mortel est volontaire par la volonté propre de celui chez qui il se trouve ; mais le [péché] originel est volontaire par la volonté d’un autre. Aussi s’en écarte-t-il selon que le péché a raison de faute. Il n’est donc pas nécessaire que la définition du péché soit adéquate selon le genre, sauf pour le péché où se trouve parfaitement la raison du genre. Mais la définition du péché peut leur convenir sous un aspect, de même que la raison du genre s’y trouve de manière secondaire.

[6515] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod sicut aliquando utimur non veris differentiis loco verarum, propter earum occultationem, ut in 1 Post. dicitur; ita etiam loco veri generis potest poni aliquid per quod genus magis innotescat: et sic Augustinus intendens magis plane quam artificialiter loqui, genus peccati, quod est operatio, per istam circumlocutionem dictum vel factum vel concupitumsignificavit.

3. De même que nous utilisons parfois des différences qui ne sont pas les vraies à la place des vraies, en raison de l’obscurité de celles-ci, comme il est dit dans Postérieurs analytiques, I, de même aussi, à la place du genre véritable, peut-on mettre quelque chose par quoi le genre est davantage connu. Ainsi, Augustin, en voulant parler plus clairement que selon l’art, a-t-il donné à entendre le genre du péché, qui est une opération, par cette circonlocution : « …une parole, un acte ou un désir… ».

[6516] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod justitia non sumitur hic prout est specialis virtus, sed pro justitia generali, quae est idem subjecto quod omnis virtus, ut in 4 Ethicor. philosophus dicit, differens a virtute solum ratione: quia virtus dicitur secundum quod ad actum dirigit; justitia vero secundum quod rectitudini legis concordat, et secundum quod in bonum commune cedit.

4. La justice n’est pas entendue ici comme une vertu particulière, mais comme la justice générale, qui, par son sujet, est la même chose que toute vertu, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IV, et ne diffère de la vertu que par la raison seulement. En effet, on oarle de « vertu » selon qu’elle dirige l’acte, mais de « justice », selon qu’elle est conforme à la droiture de la loi et selon qu’elle aboutit au bien commun.

[6517] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod obedientia etiam quandoque sumitur ut specialis virtus, quando scilicet specialis ratio ad faciendum aliquid est auctoritas praecipientis; et huic opponitur inobedientia quae est speciale peccatum, quando scilicet aliquis praetermittit hoc quod est praeceptum, specialiter in contemptum praecipientis. Aliquando autem obedientia sumitur quasi omnem virtutem consequens: actus enim omnis virtutis in praecepto legis est; unde quicumque aliquem actum virtutis facit, obedit: et obedientiae opponitur inobedientia quae omne peccatum mortale consequitur; et hoc modo inobedientia hic in definitione peccati ponitur.

5. On entend aussi parfois l’obéissance comme une vertu particulière, lorsque la raison particulière de faire quelque chose est l’autorité de celui qui commande. À celle-ci, s’oppose la désobéissance, qui est un péché particulier, lorsque quelqu’un omet ce qui est commandé, surtout en méprisant celui qui commande. Mais on entend parfois l’obéissance comme ce qui découle de toute vertu : en effet, tout acte de vertu est contenu dans un commandement de la loi. Quiconque pose un acte de vertu obéit donc, et s’oppose à l’obéissance la désobéissance qui découle de tout péché mortel. C’est de cette manière que la désobéissance est mise ici dans la définition du péché.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum in omni peccato sit aliquis actus

Article 3 – Tous les péchés comportent-ils un acte ?

[6519] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod omne peccatum in actu consistat, etiam peccatum omissionis. Peccatum enim est dictum vel factum vel concupitum contra legem Dei, ut dictum est. Sed in hoc quod dicitur: dictum vel factum vel concupitum, tangitur aliquis actus. Ergo etiam peccatum omissionis in aliquo actu consistit.

1. Il semble que tout péché consiste dans un acte, même le péché d’omission. « En effet, le péché est une parole, un acte ou un désir contraire à la loi de Dieu », comme on l’a dit. Or, en disant : « … une parole, un acte ou un désir », on désigne un acte. Même le péché d’omission consiste donc dans un acte.

[6520] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, omne peccatum vel est originale vel actuale. Sed omissio non est originale peccatum: quia originale aequaliter in omnes transit qui per concupiscentiam generantur, non autem in omnibus est peccatum omissionis. Ergo oportet quod sit actuale. Sed actuale ab actu dicitur. Ergo omissionis peccatum aliquem actum significat.

2. Tout péché est soit originel, soit actuel. Or, le péché originel n’est pas une omission, car le [péché] originel passe également chez tous ceux qui sont engendrés par un désir désordonné (per concupiscentiam), mais le péché d’omission n’existe pas chez tous. Il faut donc qu’il soit un [péché] actuel. Or, on parle de [péché] actuel pour un acte. Le péché d’omission signifie donc un acte.

[6521] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, quicumque se habet similiter nunc et prius, non magis nunc quam prius peccat. Sed aliquis qui nihil agit, similiter se habet nunc et prius. Si ergo aliquando talis peccat continue, dum actum illum non agit videtur peccare. Hoc autem inconveniens est, quia sic peccatum omissionis quodlibet gravissimum esset. Ergo peccatum omissionis non est, si aliquis omnino nihil agat; sed oportet quod sit in eo aliquis actus.

3. Quiconque se comporte de la même manière maintenant et antérieurement ne pèche pas davantage maintenant qu’antérieurement. Or, celui qui ne fait rien se comporte de la même manière maintenant qu’antérieurement. Si donc celui-là pèche de manière continue, il semble pécher alors qu’il ne pose pas cet acte. Or, cela est inadéquat, car ainsi n’importe quel péché d’omission serait le plus grave. Il n’y a donc pas de péché d’omission si quelqu’un ne fait rien du tout, mais il est nécessaire qu’existte chez lui un acte.

[6522] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, demeritum opponitur merito. Sed meritum non potest esse nisi per actum. Cum ergo opposita ad idem genus reducantur, videtur quod omne peccatum et demeritum in actu aliquo consistat.

4. Le démérite s’oppose au mérite. Or, le mérite ne peut exister que par un acte. Puisque les contraires se ramènent à un même genre, il semble donc que tout péché et tout démérite consistent dans un acte.

[6523] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, Augustinus dicit, quod omne peccatum est voluntarium. Si ergo omissio est peccatum, videtur quod saltem actum voluntatis in ea esse oporteat.

5. Augustin dit que tout péché est volontaire. Si donc l’omission est un péché, il semble qu’il soit nécessaire qu’existe en elle au moins un acte de la volonté.

[6524] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 6Praeterea, sicut supra dictum est, malum esse non posset, nisi esset bonum, in quo malum consisteret. Sed ubi nullus est actus, non invenitur aliquod bonum, in quo deformitas peccati fundetur. Ergo videtur quod non possit esse aliquod peccatum in quo non sit aliquis actus.

6. Comme on l’a dit plus haut, le mal ne pourrait pas exister, s’il n’existait pas de bien dans lequel résiderait le mal. Or, là où il n’y a aucun acte, on ne trouve aucun bien qui puisse servir de fondement à la difformité du péché. Il semble donc qu’il ne puisse y avoir de péché où il n’y a pas d’acte.

[6525] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra, Ambrosius dicit in littera: peccatum est praevaricatio legis divinae, et caelestium inobedientia praeceptorum.

Cependant, [1] Ambroise dit dans le texte : « Le péché est une prévarication contre la loi de Dieu et une désobéissance aux commandements célestes. »

[6526] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, praeceptorum quaedam sunt affirmativa, quaedam negativa. Cum ergo aliquis nihil agendo inobediens divinis praeceptis affirmativis existat, videtur quod peccatum omissionis possit esse ubi non est aliquis actus.

[2] Certains commandements sont affirmatifs, d’autres, négatifs. Puisqu’en ne faisant rien, on se trouve désobéir aux commandements affirmatifs de Dieu, il semble donc que le péché d’omission puisse exister là où il n’y a pas d’acte.

[6527] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 s. c. 3Praeterea, nihil juste punitur nisi peccatum. Sed ei qui non facit quod praeceptum est sibi, etiamsi nullum actum faciat, juste poena infligitur. Ergo etsi nullum actum agat aliquis, nihilominus omittendo peccat.

[3] Rien n’est justement puni que le péché. Or, une peine est infligée à celui qui n’accomplit pas ce qui lui est commandé, même s’il ne pose aucun acte. Même si quelqu’un ne pose aucun acte, néanmoins il pèche donc en omettant.

[6528] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod omne peccatum oportet aliquo modo in actu consistere, non tamen eodem modo. Peccatum enim originale sicut rationem culpae habet ex hoc quod voluntarium est, non quidem voluntate propria, sed voluntate alterius; ita etiam rationem peccati habet ex hoc quod per actum alterius inductum est. Sed peccata actualia etiam in actu proprio illius in quo sunt consistunt; et hoc quidem planum est in his qui per commissionem peccant. Utrum autem in peccato omissionis sit aliquis actus a potentia elicitus, super hoc duplex opinio est. Quidam enim dicunt quod in peccato omissionis semper oportet aliquem actum esse, per quem aliquis retardatur ab expletione mandati vel praecepti, sive interiorem voluntatis, ut cum aliquis vult praecepto non obedire; sive exteriorem, ut cum aliquis facit aliquem actum per quem ab expletione praecepti impeditur; et ponitur exemplum de illo qui nimis vigilat, et non potest surgere hora debita. Sed ista opinio non videtur necessitatem habere: cum enim voluntas libera sit, nec ad aliquid faciendum vel non faciendum determinetur; potest hoc modo praetermittere aliquid quod ejus contrarium non velit, nec de ejus contrario cogitet, nec etiam de aliquo alio quod sit per se impedimentum ejus quod facere tenetur; etsi enim aliquid velit quod, quantum est in se, non est impedimentum expletionis praecepti, sicut oppositum, constat quod ex hoc quod vult illud, non peccat; quia illud potest esse secundum se licitum; sed peccat in eo quod praetermittit id quod facere debet. Ergo constat quod ille actus vel exterior vel interior per accidens ad peccatum omissionis pertinet; et ita in eo deformitas omissionis non fundatur: nec iterum in actu contrario praecepti: quia positum est quod talis actus non sit, cum voluntas possit in neutrum oppositorum ferri, sicut etiam Deus nec vult mala fieri, nec vult mala non fieri. Nec alicui dubium est quod aliquo sic se habente per omissionem peccat, quia juste punitur ex hoc quod praeceptum non implet; unde patet quod peccatum omissionis in sola negatione actus debiti consistit. Et haec est alia opinio. Sed quia opposita in idem genus reducuntur, ideo omissio actus peccati rationem consequitur ex eo quod voluntaria est; sicut et actus voluntarius rationem peccati et culpae habet; et huic etiam consonant verba philosophi in 3 Ethic., ubi ostendit negligentiam sciendi vel faciendi aliquid, juste a legibus puniri, ex hoc quod sicut in potestate hominis est facere aliquid, ita et non facere; unde sicut pro eo quod indebite facit, juste punitur, ita pro eo quod indebite dimittit.

Réponse. Il est nécessaire que tout péché consiste d’une certaine façon dans un acte, mais non de la même façon. En effet, le péché originel, de même qu’il a raison de péché du fait qu’il est volontaire, non pas par la volonté propre, mais par la volonté d’un autre, de même aussi a-t-il raison de péché du fait qu’il est encouru par l’acte d’un autre. Mais les péchés actuels consistent dans un acte propre de celui chez qui ils existent, comme cela est clair chez ceux qui pèchent en commettant. Existe-t-il un acte posé par une puissance dans le péché d’omission ? Il existe à ce sujet deux opinions. En effet, certains disent que, dans le péché d’omission, il faut qu’il y ait toujours un acte, par lequel quelqu’un est retardé dans l’accomplissement d’un commandement ou d’un précepte, soit [un acte] intérieur de la volonté, comme lorsque quelqu’un veut ne pas obéir à un commandement, soit [un acte] extérieur, comme lorsque quelqu’un pose un acte par lequel il est empêché d’accomplir un commandement ; on donne l’exemple de celui qui veille trop et ne peut pas se lever à l’heure prévue. Mais cette opinion ne semble pas être nécessaire. En effet, puisque la volonté est libre et n’est pas déterminée à faire ou à ne pas faire quelque chose, elle peut ainsi omettre quelque chose sans pour autant vouloir omettre le contraire, sans penser à son contraire, ni à rien d’autre qui soit un empêchement à ce qu’elle est tenue de faire. En effet, même si elle veut quelque chose qui, de soi, n’empêche pas d’accomplir un commandement en lui étant contraire, il est clair que, du fait qu’elle veut cela, elle ne pêche pas, car cela peut être de soi permis, mais elle pèche du fait qu’elle omet ce qu’elle doit faire. Il est donc clair que cet acte, intérieur ou extérieur, relève par accident d’un péché d’omission, et ainsi la difformité de l’omission n’est pas fondée sur lui, pas davantage que sur l’acte contraire à un commandement, car on a affirmé qu’un tel acte n’existe pas, puisque la volonté ne peut se porter sur aucun des deux contraires, comme Dieu lui-même ne veut pas que le mal se produise, il ne veut pas non plus que le mal ne se produise pas. Il n’y a pas non plus de doute pour personne que celui qui se trouve dans cette situation pèche par omission, car il est justement puni pour ne pas avoir accompli un commandement. Il ressort donc de cela que le péché d’omission consiste dans la seule négation d’un acte obligatoire. Et telle est l’autre position. Mais parce que les contraires se ramènent à un même genre, l’omission reçoit donc la raison de péché du fait qu’elle est volontaire, comme l’acte volontaire a raison de péché et de faute. Les paroles du Philosophe, Éthique, III, sont aussi en accord avec cela : il montre que la négligence de savoir ou de faire quelque chose est justement punie par les lois, du fait que, l’homme ayant le pouvoir de faire quelque chose, il a aussi le pouvoir de ne pas le faire. De même qu’il est justement puni pour ce qu’il fait sans que cela soit dû, de même l’est-il donc pour ce qu’il omet sans que cela soit dû.

[6529] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod, sicut dictum est, opposita reducuntur in idem genus in quo vel utrumque est per se, ut patet in contrariis et relativis; vel unum est per se, et alterum per reductionem, ut patet in privatione et habitu, et affirmatione et negatione; unde habitum est in 28 distinct. 1 libri ab Augustino, quod in eodem genere est genitus et non genitus; et ideo in dicto excluditur etiam omissio dicti, et in facto omissio facit, et sic de aliis. Non enim hoc habet dictum inquantum est affirmative dictum, ut sit peccatum; sed inquantum est in voluntatis potestate, a rectitudine finis exiens. In hoc autem convenit cum dicto affirmativo etiam non dicere, quod similiter est in potestate voluntatis, et a recto ordine exiens finis.

1. Comme on l’a dit, les contraires se ramènent au même genre dans lequel les deux existent par soi, comme cela ressort clairement pour les contraires et les relatifs, ou l’un existe par soi et l’autre en s’y ramenant (per reductionem), comme cela ressort clairement pour la privation et l’habitus, et pour l’affirmation et la négation. Aussi a-t-on vu, dans le livre I, d. 28, que, selon Augustin, celui qui est engendré et celui qui n’est pas engendré appartiennent au même genre. C’est pourquoi l’omission de ce qui est dit est exclue dans ce qui est dit, et l’omission le fait dans ce qui est fait, et ainsi de suite pour les autres choses. En effet, ce qui est dit n’est pas un péché du fait que cela est dit de manière affirmative, mais du fait que cela est au pouvoir de la volonté et s’écarte de la droiture de la fin. Mais ne pas dire a en commun avec ce qui est dit de manière affirmative d’être semblablement au pouvoir de la volonté et de s’écarter de l’ordre à la fin.

[6530] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod peccatum omissionis non est peccatum originale, sed actuale; nec dicitur actuale quasi in aliquo actu existat, sed quia ad genus actus reducitur cujus negatio est; sicut Augustinus ingenitum in genere relationis ponit, ut habitum est in 1 libro, dist. 28; et iterum sicut actus est in potestate voluntatis, ita et negatio ejus.

2. Le péché d’omission n’est pas un péché originel, mais un [péché] actuel ; et il n’est pas appelé actuel comme s’il existait dans un quelconque acte, mais parce qu’il se ramène au genre de l’acte dont il est une négation, comme Augustin, dans le livre I, d. 28, situe ce qui est inengendré dans le genre de la relation, comme on l’a vu dans le livre I, d. 28. Et aussi, comme l’acte est au pouvoir de la volonté, de même en est-il de sa négation.

[6531] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod omissio non est peccatum nisi secundum quod praecepto affirmativo opponitur. Praeceptum autem affirmativum obligat semper, sed non ad semper, sed ad aliquod tempus determinatum; et ideo in illo tempore tantum ad quod praeceptum affirmativum obligat aliquis reus omissionis tenetur.

3. L’omission n’est un péché que dans la mesure où elle s’oppose à un commandement affirmatif. Or, le commandement affirmatif oblige en tout temps, mais non pas toujours, mais pour un temps déterminé. Aussi quelqu’un est-il considéré comme coupable d’omission seulement pour le temps pendant lequel le commandement oblige.

[6532] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod malum pluribus modis contingere potest quam bonum, ut patet per Dionysium ex 4 cap. de Divin. Nomin., et philosophum in 2 Ethic.: non enim bonum consistit, nisi omnia quae ad perfectionem rei exiguntur, conveniant; quodcumque autem eorum subtrahatur, ratio mali incidit; et ideo meritum, quod est quasi quoddam iter in finem beatitudinis, esse non potest, nisi sit operatio, et operationis rectitudo; sed sive desit rectitudo in ipsa operatione, sive desit ipsa operatio, erit demeritum, quod est recessus a fine: quod etiam patet in corporalibus: quia locum corporalem nihil acquirit nisi per motum ordinatum in locum illum: potest autem locum illum amittere quod est extra proprium locum, dupliciter: sive non moveatur, sed quiescat; sive moveatur motu indebito.

4. Le mal peut arriver d’un plus grand nombre de manières que le bien, comme cela ressort de Denys, Les noms divins, IV, et du Philosophe, Éthique, II. En effet, le bien n’est réalisé que lorsque tout ce qui est exigé pour la perfection d’une chose s’y trouve. Mais, que soit enlevé n’importe quel de ces éléments, survient la raison de mal. C’est pourquoi le mérite, qui est comme un chemin vers la fin de la béatitude, ne peut exister que s’il y a une opération et la droiture de l’opération. Mais que fasse défaut la droiture dans l’opération elle-même, ou que fasse défaut l’opération même, il y aura démérite, qui est un éloignement par rapport à la fin.. Cela ressort aussi clairement dans les réalités corporelles, car rien n’atteint un lieu corporel que par un mouvement ordonné à ce lieu. Mais ce qui est hors de ce lieu peut s’écarter de ce lieu de deux manières : soit cela n’est pas mû, mais est au repos ; soit elle est mû selon un mouvement indû.

[6533] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod omissio est voluntaria non quasi actu voluntatis in ipsam transeunte; sed quia in voluntatis potestate est actum non facere, sicut et facere: et ideo sicut actus dicitur voluntarius, quia est in potestate voluntatis, ita et omissio actus.

5. L’omission est volontaire, non pas par un acte de la volonté qui passe par elle elle, mais parce qu’il est au pouvoir de la volonté de ne pas accomplir l’acte, comme de l’accomplir. De même qu’on parle d’acte volontaire parce qu’il est au pouvoir de la volonté, de même donc [parle-t-on] d’omission de l’acte.

[6534] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 3 ad 6Ad sextum dicendum, quod oportet quod malum semper in bono subsistat; non tamen oportet quod illud bonum in quo malum subsistit, sit actus: et ideo dico, quod malum omissionis non fundatur in aliquo actu, sed in potentia, quae actum producere potest.

6. Il est nécessaire que le mal se trouve toujours dans le bien. Cependant, il n’est pas nécessaire que le bien dans lequel se trouve dit le mal soit un acte. C’est pourquoi je dis que le mal par omission ne s’appuie pas sur un acte, mais sur une puissance, qui peut produire un acte.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum in actu exteriori sit peccatum

Article 4 – Le péché consiste-t-il dans un acte extérieur ?

[6536] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod peccatum non consistat in actu exteriori. Quia, ut in Lib. de Somn. et Vigil. dicitur, cujus est potentia, ejus est actus; et eadem ratione cujus est habitus, ejus est actus. Sed habitus virtutis vel vitii non est in corpore, sed in anima. Ergo nec actus peccati erit actus corporis, sed animae.

1. Il semble que le péché ne consiste pas dans un acte extérieur, car, ainsi qu’il est dans le livre Sur le sommeil et la veille, l’acte appartient à ce à quoi appartient la puissance ; et, pour la même raison, l’acte appartient à ce à quoi appartient l’habitus. Or, l’habitus de la vertu ou du vice ne se trouve pas dans le corps, mais dans l’âme. L’acte de péché ne se trouvera donc pas non plus dans le corps, mais dans l’âme.

[6537] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 2Praeterea, ei qui vitare peccatum non potest, peccatum non est imputandum. Sed sicut gladius non potest vitare quin occidat, motus ab homine; ita etiam manus vel aliquod membrum non potest vitare quin actum exequatur quem voluntas imperat. Ergo peccatum in actu exteriori membrorum non consistit.

2. On ne doit pas imputer de péché à celui qui ne peut éviter le péché. Or, de même que le glaive ne peut s’empêcher de tuer lorsqu’il est mû par l’homme, de même aussi la main ou un membre ne peut éviter d’exécuter un acte que le volonté commande. Le péché ne consiste donc pas dans un acte extérieur des membres.

[6538] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 3Praeterea, actus voluntatis medius est inter actum intellectus, scilicet cogitationem, et actum exteriorum membrorum; et magis unitur voluntas intellectui quam etiam ipsis membris. Sed cogitatio pure speculativa de aliquo, quantumcumque malo, non est peccatum. Ergo multo minus in exteriori actu peccatum erit.

3. L’acte de la volonté est intermédiaire entre l’acte de l’intellect, à savoir, la pensée, et l’acte extérieur des membres ; et la volonté est plus unie à l’intellect qu’aux membres eux-mêmes. Or, la pensée purement spéculative à propos de quelque chose, aussi mauvais cela soit-il, n’est pas un péché. Encore bien moins le péché consistera-t-il dans un acte extérieur.

[6539] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 4Praeterea, illud quo posito vel remoto, nihilominus est peccatum, non videtur in se deformitatem peccati continere. Sed sive sit actus exterior, sive non, dummodo adsit voluntas completa aliquod malum perpetrandi, peccatum perficitur, et imputatur ad mortem. Ergo actus exterior deformitatem non continet.

4. Ce qui, existant ou n’existant pas, est néanmoins péché ne semble pas contenir en soi la difformité du péché. Or, qu’il s’agisse d’un acte extérieur ou non, pourvu que soit présente une volonté complète d’accomplir un mal, le péché est accompli et est imputé en vue de la mort. L’acte extérieur ne contient donc pas de difformité.

[6540] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 5Praeterea, illud quod est tantum ad manifestationem bonitatis vel malitiae, non videtur per se actus malitiae vel virtutis esse. Sed ut in 10 Ethic. philosophus innuere videtur, exteriores actus sunt tantum ad manifestationem virtutis, et eadem ratione sunt ad manifestationem vitii. Ergo in actibus exterioribus non consistit peccatum.

5. Ce qui n’existe que pour la manifestation de la bonté ou de la malice ne semble pas être par soi un acte de malice ou de veertu. Or, comme semble le suggérer le Philosophe en Éthique, X, les actes extérieurs n’existent qu’en vue de la manifestation de la vertu et, pour la même raison, en vue de la manifestation du vice. Le péché ne consiste donc pas dans les actes extérieurs.

[6541] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 4 s. c. 1Sed contra, servire peccato est peccare. Sed membra exteriora peccato servire dicuntur: ad Rom. 6, 19: sicut exhibuistis membra vestra servire immunditiae et iniquitati ad iniquitatem; ita nunc exhibete membra vestra servire justitiae in sanctificationem. Ergo in actu exteriori membrorum peccatum consistit.

Cependant, [1] servir au péché, c’est pécher. Or, on dit que les membres extérieurs servent au péché. Rm 6, 19 : Comme vous avez montré que vos membres servaient à l’impureté et au mal en vue du mal, de même montrez maintenant que vos membres servent à la justice en vue de la sanctification. Le péché consiste donc dans l’acte extérieur des membres.

[6542] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 4 s. c. 2Praeterea, nihil prohibetur lege divina nisi peccatum. Sed lex divina non tantum prohibet actus interiores, sed etiam exteriores; adeo ut de his etiam diversa praecepta dentur, ut patet Exod. 20, 14 et 17: non moechaberis, et non concupisces uxorem etc. ergo non solum in actu interiori sed etiam exteriori peccatum consistit.

[2] Rien n’est interdit par la loi divine que ce qui est péché. Or, la loi divine n’interdit pas seulement des actes intérieurs, mais aussi des [actes] extérieurs, au point où divers commandements portent sur eux, comme cela ressort clairement dans Ex 20, 14 et 17 : Tu ne commettras pas l’adultère et ne désireras pas l’épouse, etc. Le péché ne consiste donc pas seulement dans un acte intérieur, mais aussi dans un acte extérieur.

[6543] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod in omnibus agentibus ordinatis hoc commune est quod id quod est motum ab alio, sicut instrumentum a proprio agente, in actu suo consequitur conditionem primi agentis quantum potest. Cum ergo in omnibus actibus hominis principalitatem obtineat voluntas, eo quod ipsa tamquam liberrima omnes potentias in actus suos inclinet, oportet quod in actibus humanis conditio voluntatis salvetur, in his videlicet qui ad imperium voluntatis fiunt: et inde est quod cum voluntatis sit proprium ut dominium sui actus habeat, hoc etiam in ceteris quae a voluntate sunt mota, invenitur, secundum quod ejus conditionem consequi possunt: potest enim intellectus considerare et non considerare, prout a voluntate est motus; et similiter est de concupiscibili; et hoc usque ad actus exteriores motivae virtutis extenditur, ut possit homo ambulare vel non ambulare, loqui vel non loqui, et sic deinceps. Sed quia in hoc consistit ratio meriti et demeriti, laudis et vituperii, quod id bonum vel malum quod agitur, in potestate agentis est; inde est quod actus voluntatis primo rationem peccati et culpae habet, et consequenter alii actus a voluntate imperati: et hoc modo etiam in actibus exterioribus deformitas culpae consistit. Sed quia actus semper attribuitur primo agenti potius quam instrumento, sicut secare artifici potius quam serrae; ideo quidam considerantes, quod actus a voluntate imperati non habent rationem culpae nisi a voluntate, dixerunt, peccatum tantum in actu voluntatis interiori esse: alii vero considerantes tam illud in quo primo est ratio culpae, quam illud in quo secundo est, dixerunt, tam actus interiores quam exteriores peccata esse: et utrique considerabant peccatum non solum quantum ad illud quod est formale in ipso, unde rationem mali habet, scilicet aversionem, sed etiam quantum ad conversionem, quae est materiale in peccato. Sed quidam considerantes solum illud quod formale est in peccato, scilicet defectum, unde rationem mali habet, dixerunt, neque actus interiores neque exteriores peccata esse. Inter quas verior est opinio quae dicit, quod in utroque sit peccatum: quia plenam considerationem peccati habuit ista opinio, considerans peccatum quantum ad id quod est formale in eo, et quantum ad id quod est materiale; non solum quod primo deformitatem peccati continet, sed etiam quod secundo.

Réponse. Chez tous les agents ordonnés, il y a ceci de commun que ce qui est mû par un autre, comme l’instrument par un agent propre, reçoit la condition du premier agent, autant qu’il le peut. Puisque, dans tous les actes de l’homme, la volonté a qualité de principe du fait que, la plus libre, elle incline toutes les puissances à leurs actes, il est donc nécessaire que, pour les actes humains, la condition de la volonté soit sauvegardée dans tout ce qui est accompli par le commandement de la volonté. De là vient que, puisqu’il est propre à la volonté d’avoir la maîtrise de son acte, on trouve aussi cela dans les autres choses qui sont mues par la volonté, dans la mesure où elles peuvent en recevoir la condition. En effet, l’intellect peut considérer et ne pas considérer, dans la mesure où il est mû par la volonté. De même en est-il du concupiscible, et cela atteint jusqu’aux actes extérieurs de la puissance motrice, que l’homme puisse marcher et ne pas marcher, parler ou ne pas parler, et ainsi de suite. Or, parce que la raison de mérite et de démérite, de louange et de blâme, consiste en ce que le bien ou le mal qui est accompli est au pouvoir de l’agent, de là vient que l’acte de la volonté possède en premier la raison de péché et de faute, et, par voie de conséquence, les autres actes commandés par la volonté. Et, de cette façon aussi, la difformité de la faute consiste-t-elle dans des actes extérieurs. Mais parce qu’un acte est toujours attribué au premier agent plutôt qu’à l’instrument, comme scier [est attribué] à l’artisan plutôt qu’à la scie, considérant que les actes commandés par la volonté n’ont de raison de péché que par la volonté, certains ont dit que le péché existe seulement dans l’acte intérieur de la volonté. Mais, considérant aussi bien ce en quoi se trouve en premier la raison de faute, que ce en quoi elle se trouve de manière secondaire, certains [ont dit] que les actes intérieurs comme les actes extérieurs sont des péchés. Et les deux considéraient le péché, non seulement selon ce qui est formel en lui et dont il tire la raison de mal, c’est-à-dire l’aversion (aversio), mais aussi selon la conversion (conversio), qui a raison de matière dans le péché. Mais, considérant seulement ce qui a raison de forme dans le péché, à savoir, la carence, dont il reçoit la raison de mal, certains ont dit que ni les actes intérieurs ni les actes extérieurs ne sont des péchés. Parmi ces [opinions], la plus vraie est l’opinion qui dit que le péché existe dans les deux, car cette opinion considérait pleinement le péché, en prenant en compte ce qui a raison de forme et ce qui a raison de matière dans le péché, non seulement ce qui comporte en premier la difformité du péché, mais aussi ce qui [la comporte] en second.

[6544] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod ex habitu virtutis et vitii informatur substantia actus; unde oportet habitum virtutis et vitii esse in ratione, ex qua ratio culpae et meriti procedit: et non in corpore, quod substantiam actus exequendo ministrat. Vel dicendum, quod actus exterior non immediate procedit ab habitu, sed mediante actu interiori: et ideo sequitur quod in actu exteriori non sit primo ratio peccati, sed non sequitur quod nullo modo.

1. La substance d’un acte reçoit la forme de l’habitus de vertu et de vice. Aussi est-il nécessaire que l’habitus de vertu et de vice se trouve dans la raison, dont vient la raison de faute et de mérite, et non dans le corps, qui fournit la substance d’un acte en l’exécutant. Ou bien il faut dire que l’acte extérieur ne vient pas immédiatement de l’habitus, mais par l’intermédiaire d’un acte intérieur. Aussi en découle-t-il que la raison de péché ne se trouve pas d’abord dans l’acte extérieur, mais il n’en découle pas qu’il ne s’y trouve d’aucune manière.

[6545] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod percutere non est actus manus, sed est actus hominis per manum: actus enim individuorum sunt: et ideo culpa manui non imputatur, sed homini, propter actum quem per manum exercuit, qui ab eo vitari potuit.

2. Frapper n’est pas l’acte de la main, mais l’acte de l’homme par l’intermédiaire de la main : en effet, les actes sont le fait des individus. C’est pourquoi la faute n’est pas imputée à la main, mais à l’homme, en raison de l’acte qu’il a accompli par la main, qui pouvait être évité par lui.

[6546] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod virtus prioris est in posteriori, sed non convertitur. Cognitio autem speculativa praecedit actum voluntatis, qui est de actu exteriori; sed actus exterior sequitur actum interiorem voluntatis: et ideo ratio culpae, quae primo in actu voluntatis est, transit ex voluntate in actum exteriorem, qui sequitur, non autem in actum cognitionis, qui praecedit.

3. La puissance de ce qui vient en premier se trouve dans ce qui vient par la suite, mais l’inverse n’est pas vrai. Or, la connaissance spéculative précède l’acte de la volonté, qui porte sur l’acte extérieur ; mais l’acte extérieur suit l’acte intérieur de la volonté. La raison de faute, qui consiste en premier dans l’acte de la volonté, passe donc de la volonté à l’acte extérieur, qui suit, mais non dans l’acte de connaissance, qui précède.

[6547] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod primum non dependet ex posteriori, sed a primo causatur posterius: et quia actus voluntatis primo rationem culpae habet, ideo etiam exteriori actu cessante, ratio culpae in actu voluntatis manet. Non autem sequitur ex hoc quod rationem culpae non possit in exteriorem actum producere.

4. Ce qui est premier ne dépend pas du suivant, mais le suivant est causé par ce qui est premier. Et parce que l’acte de la volonté a en premier raison de faute, même si l’acte l’extérieur cesse, la raison de faute demeure dans l’acte de la volonté. Mais il ne découle pas de cela qu’il ne puisse amener la raison de faute dans l’acte extérieur.

[6548] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod per actus exteriores manifestantur interiores, sicut causae per effectus; unde sicut effectus participant similitudinem suarum causarum quantum possunt; ita etiam actus exteriores rationem culpae consequuntur, quae primo in actibus interioribus invenitur.

5. Les actes intérieurs sont manifestés par les actes extérieurs, comme les causes par les effets. De même que les effets participent à la ressemblance de leurs causes autant qu’ils le peuvent, de même aussi les actes extérieurs reçoivent-ils la raison de faute, qui se trouve en premier dans les actes intérieurs.

 

 

ARTICULUS 5 Utrum potentiae animae aliqualiter corrumpantur per peccatum

Article 5 – Les puissances de l’âme sont-elles en quelque sorte corrompues par le péché ?

[6550] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur quod per peccatum nulla corruptio in potentiis animae fiat. Primo per illud quod dicit Dionysius, quod data naturalia in Angelis peccantibus integra manent. Sed quod corrumpitur, non est integrum. Cum ergo peccatum hominis non sit majus peccato Angeli, videtur quod etiam in nobis nulla corruptio potentiarum naturalium per peccatum fiat.

1. Il semble que, par le péché, aucune corruption ne se soit produite dans les puissances de l’âme. Premièrement, selon ce que dit Denys, que les dons naturels demeurent intégralement chez les anges pécheurs. Or, ce qui est corrompu ne demeure pas intégralement. Puisque le péché de l’homme n’est pas plus grand que celui de l’ange, il semble donc qu’en nous aussi, aucune corruption des puissances naturelles ne soit produite par le péché.

[6551] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 2Praeterea, illud quod corrumpitur, non manet idem specie. Sed homo post peccatum est idem specie qui et ante peccatum fuit. Ergo per peccatum in nullo corrumpitur.

2. Ce qui est corrompu ne demeure pas identique selon l’espèce. Or, l’homme, après le péché, est identique selon l’espèce à ce qu’il était avant le péché. Il n’est donc en rien corrompu par le péché.

[6552] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 3Praeterea, nihil corrumpitur nisi per suum contrarium. Sed, ut in 1 Physic. dicitur, subjectum neutri oppositorum contrarium est. Cum ergo potentia animae sit subjectum culpae et virtutis, videtur quod per culpam non corrumpatur.

3. Rien n’est corrompu que par son contraire. Or, comme il est dit dans Physique, I, le sujet d’aucun des contraires n’est un contraire. Puisque la puissance de l’âme est le sujet de la faute et de la vertu, il semble donc qu’elle ne soit pas corrompue par la faute.

[6553] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 4Praeterea, nihil agit ad sui corruptionem. Sed causa peccati est ipsa anima per potentiam naturalem. Ergo peccatum non corrumpit potentiam naturalem animae.

4. Rien n’agit en vue de sa corruption. Or, la cause du péché est l’âme elle-même par l’intermédiaire d’une puissance naturelle. Le péché ne corrompt donc pas la puissance naturelle de l’âme.

[6554] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 5Praeterea, nulla potentia corrumpitur per hoc quod in actum reducitur. Sed potentia naturalis peccando reducitur in aliquem actum in quem erat in potentia. Ergo per peccatum non corrumpitur, sed perficitur.

5. Aucune puissance n’est corrompue par le fait d’être amenée à l’acte. Or, en péchant, la puissance naturelle est amenée à un certain acte, auquel elle était en puissance. Elle n’est donc pas corrompue, mais perfectionnée.

[6555] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 6Praeterea, si per peccatum anima corrumpitur, aut ergo quantum ad esse primum, aut quantum ad esse secundum. Non quantum ad esse primum, quia sic statim homo peccando esse desineret. Si quantum ad esse secundum, hoc totum tollitur per primum peccatum, quod gratiam subtrahit: ergo sequens peccatum nihil in anima corrumpit; et sic non erit commune omni peccato corrumpere naturales potentias animae.

6. Si l’âme est corrompue par le péché, c’est ou bien en vue de l’être premier, ou bien en vue de l’être second. Ce n’est pas en vue de l’être premier, car ainsi l’homme cesserait d’exister dès qu’il pèche. Si c’est en vue de l’être second, celui-ci est entièrement enlevé par le premier péché, qui enlève la grâce. Le péché suivant ne corrompt donc rien dans l’âme. Et ainsi, il ne sera pas commun à tous les péchés de corrompre les puissances naturelles de l’âme.

[6556] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 s. c. 1Sed contra, nihil efficitur aliud nisi per hoc quod corruptum est. Sed in 9 Ethic. dicit philosophus, quod homo per actum vitii efficitur non solum alter, sed alius. Ergo peccatum naturam animae corrumpit.

Cependant, [1] rien ne devient différent qu’en étant corrompu. Or, dans Éthique, IX, le Philosophe dit que l’homme, par un acte vicieux, ne devient pas seulement autre, mais différent. Le péché corrompt donc la nature de l’âme.

[6557] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 s. c. 2Praeterea, perfectioni opponitur corruptio. Sed philosophus dicit, quod homo acquirens virtutem non dicitur alterari, sed perfici. Ergo cum peccatum virtuti opponatur, videtur quod homo peccando non alteretur, sed magis corrumpatur.

[2] La corruption s’oppose à la perfection. Or, le Philosophe dit qu’on ne dit pas que l’homme est altéré par l’acquisition de la vertu, mais perfectionné. Puisque le péché s’oppose à la vertu, il semble donc que l’homme ne soit pas altéré en péchant, mais qu’il soit plutôt corrompu.

[6558] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod quando aliquid est in potentia ad diversa, hoc contingit dupliciter. Uno modo sic quod utrumque eorum ad quod est in potentia, aequaliter sit debitum ei et perfectivum naturae ipsius; sicut patet in corpore caelesti, in quo renovantur diversi situs, quorum unus non est sibi magis debitus quam alius; et ideo quando acquirit aliquem situm de illis pluribus, non simpliciter dicitur perfici, nec quando amittit, corrumpi: quia amittendo unum, acquirit alium aequivalentem: et ideo in tali amissione non est malum: quia supra orbem lunae malum consistens in defectu naturali, esse non potest: et quasi simile est in corpore, quod est potentia album et nigrum; et ideo in acquisitione et amissione talium, proprie est transmutatio, non autem simpliciter perfectio vel corruptio. Alio modo sic quod alterum eorum simpliciter est debitum ei quod est in potentia ad utrumque, et alterum est indebitum ei: et tunc acquisitio illius quod est debitum sibi dicitur perfectio ejus, et amissio dicitur corruptio. Verbi gratia, potentia animae est in potentia ad habitum virtutis et vitii: sed habitus virtutis est debitus sibi, quia per eum ordinatur in finem proprium; habitus autem vitiosus est indebitus sibi, quia per eum discedit a rectitudine finis proprii; et ideo quando aliquis acquirit virtutem, non dicitur simpliciter esse alteratus, sed magis perfectus, ut in 7 Physic. dicitur; et e contra quando habitus vitii in eo acquiritur, dicitur corrumpi, quasi mutatus ab eo quod est sibi conveniens secundum naturam, in id quod est sibi non conveniens, ut quodammodo in aliam naturam transeat: quia in conditionem et proprietatem alterius naturae mutatur; sicut qui iracundus efficitur, transit in proprietatem canis; et ideo Boetius dicit, quod homines dum peccant, naturam hominis quodammodo amittunt, et sic quaedam bruta animalia fiunt. Homo enim, est illud quod est, per rationem; ultima vero perfectio in brutis est secundum partem sensibilem; unde quando homo ab eo quod est conveniens secundum rationem, transit in id quod parti sensitivae convenit, mutatur a conditione humana in conditionem brutalem; et per hunc modum peccatum vel culpa, quod in actu consistit, dicitur corrumpere animam vel potentias, secundum scilicet quod pervertit eam ab ordine rationis per quem in debitum finem dirigebatur.

Réponse. Lorsqu’une chose est en puissance à diverses choses, cela se produit de deux manières. D’une manière, les deux choses auxquelles cela est en puissance lui reviennent également et perfectionnent [également] sa nature, comme cela ressort dans le corps céleste, chez lequel divers sites se répètent, dont l’un lui revient davantage qu’un autre. Aussi, lorsqu’il atteint un site parmi nombre d’entre eux, on ne dit pas simplement qu’il est perfectionné, comme on ne dit pas qu’il est corrompu lorsqu’il le quitte, car en en quittant un, il en acquiert un autre équivalent. C’est pourquoi il n’y a pas de mal en raison de cette perte, car, au-delà du monde lunaire, le mal consistant dans une carence naturelle ne peut exister. Et c’est presque la même chose dans un corps qui est blanc et noir en puissance. Aussi, par l’acquisition et la perte de telles choses, se réalise à proprement parler un changement, mais non pas simplement une perfection ou une corruption. D’une autre manière, l’une des deux choses revient simplement à ce qui est en puissance aux deux, et l’autre ne lui revient pas [simplement]. Alors, l’acquisition de ce qui lui revient est appelée sa perfection, et sa perte est appelée une corruption. Par exemple, la puissance de l’âme est en puissance à l’habitus de la vertu et du vice. Or, l’habitus de la vertu lui revient, car elle est ordonnée par lui à sa fin propre ; mais l’habitus du vice ne lui revient pas, parce que, par lui, elle s’éloigne de la droiture par rapport à sa fin propre. Aussi, lorsque quelqu’un acquiert une vertu, on ne dit pas simplement qu’il a été changé, mais plutôt qu’il a été perfectionné, comme on le dit dans Physique, VII ; en sens contraire, lorsque l’habitus du vice est acquis par lui, on dit qu’il est corrompu, comme s’il était changé, de ce qui lui convient selon sa nature, à ce qui ne lui convient pas, de sorte qu’il passe d’une certaine manière à une autre nature, car il est changé en ce qui est propre à une autre nature. Ainsi, celui qui devient coléreux passe à ce qui est propre au chien. C’est pourquoi Boèce dit que les hommes, lorsqu’ils pèchent, perdent d’une certaine manière la nature de l’homme et deviennent ainsi des animaux sans raison. En effet, l’homme est ce qu’il est par la raison ; mais la perfection ultime des animaux sans raison vient de la partie sensible. Aussi, lorsque l’homme passe, de ce qui lui convient selon la raison, à ce qui convient à la partie sensible, sa condition humaine est changée en la condition d’animal sans raison. De cette manière, on dit que le péché ou la faute, qui consiste dans un acte, corrompt l’âme ou ses puissances, pour autant qu’il la détourne de l’ordre de la raison par lequel elle était orientée vers la fin qui lui est due.

[6559] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod perfectiones naturales possunt considerari dupliciter: vel quantum ad esse primum, et sic per peccatum non corrumpuntur: manet enim et intellectus et voluntas et omnia hujusmodi: vel quantum ad ordinem quo in finem ordinantur; et sic per peccatum corrumpuntur, ut dictum est.

1. Les perfections naturelles peuvent être envisagées de deux manières : soit pour leur être premier, et ainsi elles ne sont pas corrompues par le péché, car l’intellect, la volonté et toutes les autres choses de ce genre demeurent ; soit pour l’ordre par lequel elles sont ordonnées à la fin, et ainsi elles sont corrompues par le péché, comme on l’a dit.

[6560] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 ad 2Ad secundum dicendum, quod sicut est duplex perfectio, scilicet prima et secunda; ita etiam est duplex corruptio. Una per quam tollitur perfectio prima, per quam res esse primum habebat: et talis corruptio speciei mutationem facit; sed sic culpa naturam hominis non corrumpit. Alia corruptio est per quam tollitur perfectio secunda, per quam res in esse secundo completo perficitur: et hoc speciem non variat, sed tantum speciei complementum tollit; et hoc modo culpa naturam humanam corrumpit.

2. De même qu’il existe une double perfection, la première et la seconde, de même aussi existe-t-il une double corruption. L’une par laquelle est enlevée la perfection première, par laquelle une chose avait son être premier ; une telle corruption réalise un changement d’espèce, mais la faute ne corrompt pas de cette manière la nature de l’homme. L’autre corruption est celle par laquelle est enlevée la perfection seconde, par laquelle une chose est perfectionnée en vue de son être parfait ; cela ne change pas l’espèce, mais enlève seulement l’achèvement de l’espèce. De cette manière, la faute corrompt la nature humaine.

[6561] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 ad 3Ad tertium dicendum, quod subjectum ad contraria dupliciter potest se habere, ut dictum est, in corp. art., vel ita quod utrumque aequaliter sit debitum sibi; et tunc non magis per unum quam per alterum corrumpitur: vel ita quod unum sit debitum sibi, et alterum indebitum; et tunc per unum simpliciter perficitur, et per alterum simpliciter corrumpitur. Quamvis enim alterum contrariorum, per quod corrumpitur, non sit sibi contrarium quantum ad esse primum, quia utrique contrariorum subjicitur; tamen sibi est contrarium quantum ad esse secundum, in quod subjecti natura ordinatur.

3. Un sujet entretient un double rapport avec les contraires, comme on l’a dit dans le corps de l’article : soit que les deux lui reviennent également, et alors il n’est corrompu ni par l’un ni par l’autre ; soit un lui revient et l’autre ne lui revient pas, et alors il est simplement perfectionné par l’un et est simplement corrompu par l’autre. En effet, bien que l’un des contraires, par lequel il est corrompu, ne lui soit pas contraire pour ce qui est de son être premier, puisqu’il est soumis aux deux contraires, il lui est cependant contraire pour ce qui est de son être second, auquel la nature du sujet est ordonnée.

[6562] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod nihil agit ad suam corruptionem intendens illam; sed non est inconveniens ut per actionem alicujus sequatur corruptio ejus praeter intentionem agentis: et sic per accidens aliquid suae corruptionis causa est, sicut patet in infirmo, qui comedit nociva, ex quibus mortem incurrit; intendit enim delectationem in cibo; sed praeter delectationem sequitur mors: et similiter est in eo qui peccat; intendit enim delectari in opere peccati; sed corruptio animae praeter intentionem ejus sequitur.

4. Rien n’agit intentionnellement en vue de sa corruption ; mais il n’est pas inapproprié que, de l’action de quelque chose, découle sa corruption, en dehors de l’intention de l’agent. Et ainsi, par accident, quelque chose est cause de sa corruption, comme cela ressort chez le malade, qui mange des choses nuisibles par lesquelles il encourt la mort. En effet, il cherche un plaisir dans la nourriture, mais la mort suit par-delà du plaisir. De même en est-il chez celui qui pèche : en effet, il cherche un plaisir dans l’action du péché ; mais la corruption de l’âme en découle par-delà son intention.

[6563] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod potentia non corrumpitur si reducatur in actum illum ad quem est de se ordinata, et qui est debitus sibi: sed talis actus non est peccatum; et ideo ratio non procedit.

5. La puissance n’est pas corrompue si elle est amenée à l’acte auquel elle est ordonnée par elle-même et qui lui revient. Or, le péché n’est pas un tel acte. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

[6564] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 ad 6Ad sextum dicendum, quod peccatum corrumpit animam non quantum ad esse primum, sed quantum ad esse secundum. Sed esse secundum potest dupliciter considerari: vel secundum quod est in actu; et sic tollitur per peccatum primum et non per secundum; sed hoc est per accidens, quia secundum peccatum non invenit ipsum: vel secundum quod est in habilitate; et sic, ut ex prius dictis patet, per quodlibet peccatum diminuitur, et tamen nunquam totaliter tollitur.

6. Le péché corrompt l’âme non pas dans son être premier, mais dans son être second. Or, l’être second peut être envisagé de deux manières : selon qu’il est en acte, et ainsi [l’être] premier est enlevé par le premier péché mais non par le second, mais cela est accidentel, car le second péché ne trouve pas celui-ci ; selon qu’il est en puissance, et ainsi, comme cela ressort de ce qui a déjà été dit, il est diminué par n’importe quel péché, mais il n’est cependant jamais entièrement enlevé.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 35

[6565] Super Sent., lib. 2 d. 35 q. 1 a. 5 expos.Voluntas retinendi vel consequendi quod justitia vetat. Videtur hoc non esse in quolibet peccato commune. Aliquod enim peccatum est quod est ad corrumpendum, et non ad aliquid acquirendum, ut patet in homicidio et invidia, et hujusmodi. Sed dicendum, quod intentio sive voluntatis sive naturae nunquam per se terminatur ad non esse, vel ad corruptionem, sed semper ad aliquod bonum ipsi intendenti; quamvis praeter intentionem sequatur malum vel corruptio, sine qua bonum intentum esse non potest; ut patet in igne, qui intendit formam suam in materiam inducere, ad quam sequitur corruptio aeris; similiter etiam voluntas intendit aliquod bonum ipsi volenti, quod sine corruptione alterius non est, sicut vult quietem suam quam suspicatur esse non posse sine morte adversarii, vel aliquid hujusmodi. Voluntas enim, ut superius dictum est, motus animi est. Hic sumitur voluntas pro actu voluntatis, et non pro potentia ipsa. Non enim consisteret peccatum praevaricationis si interdictio non fuisset. Verum est vel legis scriptae, vel naturaliter inditae. Non consistente autem peccato, non solum malitia, sed etiam virtus fortasse non esset. Videtur esse falsum: quia virtus a malitia non dependet, sicut nec bonum a malo. Sed dicendum, quod in sacra Scriptura aliquid dicitur fieri et esse, quando innotescit; et similiter per oppositum, non esse, quando ignotum est: et quia virtus non manifestatur nisi per malitiam oppositam, ideo dicit quod si non esset peccatum, non esset virtus; et ideo subjungit: subsistere vel eminere non posset. Sciendum etiam, quod hic: quid est peccatum nisi praevaricatio legis divinae, et caelestium inobedientia praeceptorum? Debet poni illa notula quae in superiori distinctione in aliquibus libris posita est, quae sic incipit: Joannes ait: qui facit peccatum, iniquitatem facit. Quocirca diversitatis hujusmodi verborum occasione, de peccato plurimi diversa senserunt. Ex prima enim definitione occasionata est opinio quae dicit, tam in actu interiori quam exteriori peccatum consistere; ex secunda vero ejusdem occasionatur alia opinio quae dicit, peccatum esse tantum in actu voluntatis; ex tertia vero Ambrosii occasionatur alia opinio quae dicit, solum in privatione peccatum consistere et non in actu. Quidam autem diligenter verba Augustini attendentes (...) non indocte tradunt, voluntatem malam, et actus malos, inquantum sunt (...) bona esse. Haec opinio in hoc differt ab illa quam prius posuit, quia haec loquitur de malo cujus ratio tantum in privatione consistit: alia vero quam supra posuit, loquebatur de peccato, quod complectitur simul privationem et actum. Item probans nihil casu fieri in mundo, ait in eodem et cetera. Videtur hoc esse falsum: quia omne quod fit ut in minori parte, fit casu. Si igitur nihil fiat casu, nihil erit proveniens ut in minori parte. Sed si nihil sit hujusmodi, omnia ex necessitate contingunt: quia ea quae sunt frequenter, non deficiunt a necessariis nisi secundum quod possunt in minori parte deficere, ut in 7 Metaph. habetur. Sed dicendum, quod effectus proveniens ut in minori parte, potest considerari dupliciter: vel in ordine ad causam proximam, praeter cujus intentionem accidit: et sic casuale vel fortuitum est; vel in ordine ad causam primam, cujus praesentiam nihil praeterfugit; et ita casu non fit. Ad quod dicunt, his atque hujusmodi dictionibus (...) vere aliqua poni. Ista solutio procedit secundum illam opinionem quae ponit in peccato omissionis actum esse; sed secundum aliam opinionem solvetur ista objectio, quia privationi qua malum omissionis dicitur malum, substat res bona, scilicet potentia in actum non exiens. Potest etiam quaeri ab eisdem, cum peccatum sit, ut supra dictum est, privatio vel corruptio boni, et omnis actus malus sit peccatum, utrum sit privatio vel corruptio boni inquantum peccatum est, vel non. Haec objectio sic procedit. In peccato duo sunt, scilicet actus substantia, et malitia. Quod ergo peccatum dicitur corruptio boni, aut habet hoc inquantum est malum, vel inquantum est actus, ex quo bonitatem habet. Si primo modo; cum omnis corruptio boni poena sit, peccatum in eo quod peccatum vel malum, erit poena, et a Deo; quod est inconveniens. Si autem ex parte actus habeat quod sit corruptio boni; cum actus omnis, inquantum est actus, sit bonum, tunc, inquantum est bonum, habebit quod corrumpat bonum; quod videtur inconveniens. Ergo oportet ut illud quod est in peccato, praeter deformitatem et corruptionem, unde ratio mali causatur, non sit res bona. Sed solvitur per aequivocationem corruptionis, ut in littera patet.

 

 

 

DISTINCTIO 36

Distinction 36 – [Un péché peut-il être la cause d’un autre péché ?]

PROOEMIUM

Prologue

[6566] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 pr.Pertractata illa opinione quae ponit actus peccatorum, inquantum sunt actus, bonos esse, et a Deo, occasione ultimae objectionis contra hanc opinionem inductae, quae sumebatur ex differentia culpae et poenae, hic inquirit, utrum possit esse idem culpa et poena: et dividitur in partes tres: in prima determinat quaestionem; in secunda removet quamdam dubitationem incidentem ex his quae in determinatione quaestionis dicta sunt, ibi: illud autem diligenter est annotandum; in tertia ponit dictorum replicationem, ibi: satis diligenter eorum posuimus sententias qui dicunt omnes actus naturas bonas esse. Prima dividitur in duas: in prima ostendit quaedam peccata etiam poenas peccatorum esse; in secunda inquirit, quomodo hoc possit esse, ibi: et ideo merito quaeritur, utrum inquantum peccatum est, sit poena peccati. Et dividitur haec pars in partes duas: in prima parte ostendit modum quo peccata dicuntur esse poenae, non per se sed ratione annexi; in secunda ostendit quod etiam ipsa peccata poenae esse possunt, ibi: in nullo tamen praejudicium fieri veritati putatur. Prima in tres dividitur: in prima ponit modum quo omne peccatum poena potest dici ratione effectus, scilicet inquantum corruptionis naturae causa est, quae poena quaedam est; in secunda ostendit modum quo quaedam peccata, etsi non omnia, poenae peccatorum dici possunt ratione causae, quae est subtractio gratiae, ibi: et licet ex hoc sensu omne peccatum mortale possit dici poena, non tamen omne potest dici poena peccati; in tertia excludit quamdam objectionem, ibi: sed cum ait crimina criminibus vindicari, videtur insinuare ea ipsa quae peccata sunt, essentialiter esse poenas peccati. In nullo tamen praejudicium fieri veritati putatur. Hic ostendit ipsamet peccata poenas peccatorum esse: et circa hoc tria facit: primo proponit quod intendit; secundo probat universaliter in omni genere peccatorum, ibi: quod autem quaedam peccata poenae sint (...) evidenter tradit Augustinus; tertio probat specialiter in quibusdam generibus peccatorum, in quibus magis manifestum est, ibi: praeterea nullatenus ambigendum est quaedam peccata absque ullo scrupulo poenas esse. Illud diligenter annotandum. Hic removet quamdam dubitationem ex dictis Augustini supra inductis exortam: et circa hoc duo facit: primo ostendit contrarietatem inter dicta Augustini et Hieronymi; secundo ponit solutionem, ibi: ad quod dici potest, quod Augustinus secundum statum hujus miseriae (...) illud tradidit. Hic quinque quaeruntur: 1 utrum unum peccatum possit esse causa alterius peccati; 2 si passio possit dici peccatum; 3 si peccatum potest esse poena peccati; 4 si omnis poena pro aliqua culpa in homine sit; 5 de distinctione bonorum quae in fine distinctionis innuitur.

Après avoir traité de l’opinion qui affirme que les actes des péchés, en tant qu’ils sont des actes, sont bons et viennent de Dieu, à l’occasion de la dernière objection invoquée contre cette opinion, tirée de la différence entre la faute et la peine, [le Maître] se demande si la faute et la peine peuvent être la même chose. Il y a trois parties. Dans la première, il détermine de la question. Dans la deuxième, il écarte un doute provenant de ce qui a été dit dans la détermination, à cet endroit : « Il faut cependant remarquer avec soin… » Dans la troisième, il présente une répétition de ce qui a été dit, à cet endroit : « Nous avons présenté avec suffisamment de soin les positions qui disent que toutes les natures créées sont bonnes. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il montre que certains péchés sont aussi des peines de péchés ; dans la seconde, il se demande comment cela est possible, à cet endroit : « C’est donc à juste titre qu’on se demande si un péché en tant que tel est la peine d’un péché. » Cette partie se divise en deux parties : dans la première partie, il montre la façon dont on dit que des péchés sont des peines, non pas par soi, mais en raison de quelque chose qui y est associé ; dans la seconde, il montre que les péchés eux-mêmes peuvent être des peines, à cet endroit : « On ne pense aucunement porter préjudice à la vérité… » La première se divise en trois. Dans la première, il présente la manière dont tout péché peut être appelé une peine en raison de son effet, à savoir, pour autant qu’il est cause d’une corruption de la nature, qui est une certaine peine. Dans la seconde, il montre la manière dont certains péchés, mais non pas tous, peuvent être appelés des peines pour des péchés en raison de leur cause : l’enlèvement de la grâce, à cet endroit : « Et bien que, en ce sens, tout péché mortel puisse être appelé une peine, tous ne peuvent cependant être appelés une peine pour un péché. » Dans la troisième, il écarte une objection, à cet endroit : « Lorsqu’il dit que les crimes sont vengés par des crimes, il semble suggérer que cela même qui est péché soit essentiellement une peine pour le péché. » « On ne pense aucunement porter préjudice à la vérité… » Il montre ici que les péchés eux-mêmes sont des péchés pour des péchés. À ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il met de l’avant ce qu’il a en vue. Deuxièmement, il [le] prouve de manière universelle pour tout genre de péchés, à cet endroit : « Mais que certains péchés soient des peines…, Augustin l’enseigne de manière manifeste. » Troisièmement, il [le] montre de manière particulière pour certains genres de péchés, où cela est plus manifeste, à cet endroit : « De lui, il ne faut pas hésiter à dire sans scrupule que certains péchés sont des peines. » « Il faut cependant remarquer avec soin… » Il écarte ici un doute issu des paroles d’Augustin invoquées plus haut. À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre l’opposition entre les paroles d’Augustin et celles de Jérôme ; deuxièmement, il présente la solution, à cet endroit : « À ce sujet, on peut dire qu’Augustin a enseigné cela… pour ce qui concerne l’état de cette misère.» Cinq questions sont posées ici : 1. Un péché peut-il être la cause d’un autre péché ? 2. Une passion peut-elle être appelée un péché ? 3. Un péché peut-il être une peine pour un péché ? 4. Toute peine existe-t-elle chez un homme en raison d’une faute ? 5. À propos de la distinction entre les biens qui est suggérée à la fin de la distinction.

 

 

ARTICULUS 1 Utrum peccatum unum possit esse causa alterius peccati

Article 1 – Un péché peut-il être la cause d’un autre péché ?

[6568] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod peccatum non possit esse causa peccati. Quod enim nihil est, non videtur habere rationem causae. Sed peccatum nihil est, et nihil fiunt homines cum peccant, ut supra in praecedenti dist. ex verbis Augustini habitum est. Ergo peccatum non potest esse causa peccati.

1. Il semble qu’un péché ne puisse être la cause d’un péché. En effet, ce qui n’est rien ne semble pas avoir raison de cause. Or, le péché n’est rien et les hommes ne font rien lorsqu’ils pèchent, comme l’a vu à la distinction précédente d’après les paroles d’Augustin. Le péché ne peut donc être cause de péché.

[6569] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, causa est ad quam de necessitate sequitur aliud. Sed quod est necessarium, non est voluntarium, ut Augustinus dicit: et quod non est voluntarium, non est peccatum. Ergo illud quod sequitur ad alterum sicut ad causam, non est peccatum, et ita peccatum causa peccati esse non potest.

2. Une cause est ce dont découle nécessairement autre chose. Or, ce qui existe nécessairement n’est pas volontaire, comme le dit Augustin, et ce qui n’est pas volontaire n’est pas un péché. Ce qui découle d’une autre chose comme de sa cause n’est donc pas un péché, et ainsi le péché ne peut pas être cause de péché.

[6570] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, unum contrariorum non est causa alterius. Sed peccatum unum contrariatur alteri, sicut avaritia prodigalitati. Ergo peccatum non potest esse causa peccati, ad minus cujuslibet.

3. Un des contraires ne peut pas être la cause de l’autre. Or, un péché est le contraire d’un autre, comme l’avarice l’est pour la prodigalité. Le péché ne peut donc pas être cause de péché, du moins, de tout péché.

[6571] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, peccatum non potest esse causa peccati, nisi secundum quod ex peccato praecedenti aliquis inclinatur ad sequens. Sed non fit hoc, nisi secundum quod ex peccato praecedenti relinquitur dispositio vel habitus. Cum ergo dispositio et habitus non inclinent nisi ad actus similes in specie illis actibus ex quibus generantur, videtur quod nullum peccatum possit esse causa peccati, nisi forte illius quod est sibi simile in specie.

4. Le péché ne peut être cause de péché que dans la mesure où, par un péché précédent, on est incliné au suivant. Or, cela n’arrive que parce qu’une disposition ou un habitus est laissé par le péché précédent. Puisque la disposition et l’habitus n’inclinent qu’à des actes semblables par l’espèce aux actes par lesquels ils sont engendrés, il semble donc qu’aucun péché ne puisse être cause de péché, si ce n’est peut-être de celui qui lui est semblable par l’espèce.

[6572] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, philosophus in 5 Phys. probat quod motus non potest esse ad motum, quia sic in infinitum abiretur. Ergo et eadem ratione si peccati causa esset peccatum, in infinitum iretur: quod est impossibile.

5. Dans Physique, V, le Philosophe dit que ce qui est mû ne peut mouvoir car on irait ainsi à l’infini. Pour la même raison, si un péché était la cause d’un péché, on irait à l’infini, ce qui est impossible.

[6573] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, Rom. 1, 26, dicitur: propterea tradidit illos Deus in passiones ignominiae, scilicet propter superbiam. Sed superbia peccatum est, et similiter ignominiosa passio de qua loquitur. Ergo peccatum est causa peccati.

Cependant, [1] il est dit en Rm 1, 26 : Pour cette raison, Dieu les a livrés à leurs passions honteuses, à savoir, en raison de l’orgueil. Or, l’orgueil est un péché et, de la même manière, la passion honteuse dont il parle. Un péché est donc la cause d’un péché.

[6574] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, comparatio matris ad filiam, est comparatio causae ad causatum. Sed unum peccatum dicitur esse filia alterius, ut Gregorius dicit. Ergo unum peccatum est causa alterius.

[2] La comparaison entre une mère et une fille est une comparaison entre la cause et ce qui est causé. Or, un péché est appelé la fille d’un autre, comme le dit Grégoire. Un péché est donc la cause d’un autre.

[6575] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod unum peccatum potest esse causa alterius peccati secundum triplex genus causae: scilicet secundum modum causae efficientis, finalis et materialis. Per modum causae efficientis dupliciter: vel per se, vel per accidens. Per accidens quidem ex parte aversionis, unde habet rationem mali: malum enim non habet causam nisi per accidens; et dico per accidens, sicut removens prohibens dicitur movens per accidens. Prohibens autem peccatum est ipsa gratia, quae conservat animam in sua rectitudine; gratiam autem peccatum tollit; unde per accidens est causa peccatorum quae accidunt subtracta gratia: et per hunc modum quodlibet peccatum mortale causa cujuslibet esse potest. Potest etiam hic modus causandi reduci aliquo modo ad genus causae formalis: sicut enim gratia est principium formale actus gratia informati; ita et privatio gratiae, ex qua peccatum procedit, est quasi forma ejus cujus causa esse potest. Sed per se causa quasi efficiens unum peccatum alterius est ex parte conversionis, inquantum ex actu peccati relinquitur quaedam dispositio vel habitus in anima, inclinans iterum ad peccatum; sed hoc modo peccatum non est causa cujuslibet peccati, sed tantum ejus quod est simile in specie, sicut luxuria luxuriae, et sic deinceps. Per modum autem causae finalis unum peccatum est causa alterius, inquantum unum peccatum advocat aliud in suum finem: sicut quando aliquis occidit hominem, ut vindictam ex eo sumat, hic ad finem irae, qui est vindicta, advocatur homicidium: et hoc modo quodlibet peccatum potest ex alio causari, quia etiam potest aliquis actum prodigalitatis exercere ad tempus, ut avaritiae finem consequatur; sed tamen ut in pluribus per hunc modum quaedam magis sunt nata ex quibusdam generari, sicut homicidium ex ira, et mendacium ex avaritia; unde dicuntur hujusmodi peccata quae ex aliis saepius solent hoc modo provenire, eorum filiae esse. Per modum vero causae materialis unum peccatum est causa alterius, quando unum peccatum ministrat materiam alteri; et sic gula est causa luxuriae; quia venter mero aestuans, facile in luxuriam spumat, ut dicit Hieronymus: sicut etiam avaritia est causa dissensionis, inquantum multiplicat temporalia, quae litis materia sunt.

Réponse. Un péché peut être la cause d’un autre péché selon trois genres de causes : par mode de cause efficiente, de [cause] finale et de [cause] matérielle. Par mode de cause efficiente, de deux manières : par soi ou par accident. Par accident, du point de vue du détournement (aversionis), dont il tire sa raison de mal. En effet, le mal n’a de cause que par accident, et je dis par accident, en tant que, enlevant ce qui l’empêche, on dit qu’il meut par accident. Or, ce qui empêche le péché, c’est la grâce, qui maintient l’âme dans sa droiture. Or, ce qui enlève le péché est la grâce elle-même, qui maintient l’âme dans sa droiture. Mais le péché enlève la grâce. Aussi est-il par accident cause des péchés qui surviennent, une fois la grâce enlevée. De cette manière, tout péché mortel peut être cause de n’importe quel [péché]. Cette manière de causer peut aussi se ramener, d’une certaine façon, au genre de la cause formelle. En effet, la grâce est le principe formel de l’acte auquel la grâce donne sa forme ; aussi la privation de la grâce, dont vient le péché, est-elle comme la forme de ce dont elle peut être la cause. Mais un péché est la cause pour ainsi dire efficiente d’un autre du point de vue de la conversion (conversionis) dans la mesure où, en raison de l’acte de péché, est laissée dans l’âme une certaine disposition ou habitus, qui l’incline de nouveau au péché. Or, le péché n’est pas ainsi la cause de tout péché, mais seulement de celui qui lui ressemble par l’espèce, comme la luxure pour la luxure, et ainsi de suite. Un péché est aussi cause d’un autre par mode de cause de finale pour autant qu’un péché en oriente un autre vers sa fin : ainsi, lorsque quelqu’un tue un homme afin d’en tirer vengeance, il oriente un homicide vers la fin de la colère, qui est la vengeance. De cette manière, tout péché peut être causé par un autre, car quelqu’un peut aussi poser à un certain moment un acte de prodigalité, afin de poursuivre la fin de l’avarice ; cependant, dans la plupart des cas, certains [péchés] sont aptes par nature à être engendrés par d’autres, comme l’homicide par la colère, et le mensonge par l’avarice. Aussi les péchés de ce genre, qui ont ainsi coutume de provenir le plus souvent d’autres, sont-ils appelés leurs filles. Un péché est cependant cause d’un autre par mode de cause matérielle lorsqu’un péché fournit à l’autre sa matière ; ainsi, la gourmandise est cause de la luxure, car « un ventre brûlant d’ivresse écume facilement de luxure », comme le dit Jérôme ; et encore, l’avarice est cause de dissension, dans la mesure où elle multiple les biens temporels, qui sont matière à conflit.

[6576] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod peccatum ex parte aversionis nihil est; et ideo ex hac parte non potest esse causa alicujus, nisi per accidens, ut dictum est; sed ex parte conversionis aliquid est, et sic potest esse causa alterius peccati secundum triplex genus causae, ut dictum est.

1. Du point de vue du détournement (aversio), le péché n’est rien. C’est pourquoi, de ce point de vue, il ne peut être cause de quelque chose que par accident, comme on l’a dit. Mais, du point de vue de la conversion (conversio), il est quelque chose, et ainsi il peut être cause d’un autre péché selon un triple genre de cause, comme on l’a dit.

[6577] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod ex causa sequitur effectus secundum conditionem causae et effectus: quia in quibusdam necessario, et in quibusdam non, sed ut in pluribus, sicut est in rebus naturalibus, quia causa naturalis impediri potest. Similiter etiam in moralibus multo minus oportet quod ex causa de necessitate effectus sequatur: quia in his nihil est causa completa, nisi adjuncto voluntatis actu, et subtracto omni impedimento: et quod dicitur, quod ad causam de necessitate sequitur effectus, intelligitur de causa completa non impedita.

2. De la cause découle l’effet selon la condition de la cause et de l’effet. Ainsi, pour certaines choses, [il le fait] de manière nécessaire, et non pour d’autres choses, mais dans la plupart des cas. Ainsi en est-il pour les choses naturelles, car une cause naturelle peut être empêchée. De même aussi, pour les réalités morales, il est beaucoup moins nécessaire que l’effet découle de la cause d’une manière nécessaire, car, pour celles-ci, rien n’est une cause complète que si un acte de volonté y est uni et si tout empêchement est écarté. Lorsqu’on dit que l’effet suit nécessairement la cause, on l’entend d’une cause complète non empêchée.

[6578] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod unum contrariorum non est causa alterius per se, sed per accidens esse nihil prohibet; sicut frigidum calefacit, ut in 8 Phys. dicitur.

3. L’un des contraires n’est pas cause de l’autre par soi, mais rien n’empêche qu’il le soit par accident, comme ce qui est froid réchauffe, ainsi qu’ on le dit dans Physique, VIII.

[6579] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod illo modo quem objectio tangit, peccatum non est causa peccati, nisi similis in specie; sed sunt et alii modi quibus unum peccatum est causa alterius: et ideo ex insufficienti procedit.

4. Selon le mode abordé par l’objection, un péché n’est cause d’un péché que si celui-ci est semblable par l’espèce. Mais il existe d’autres modes selon lesquels un péché est cause d’un autre. On raisonne donc à partir de quelque chose d’insuffisant.

[6580] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod si peccato per se inesset quod haberet pro causa aliud peccatum, in infinitum iretur: quia sic oporteret quod omni peccato conveniret; sed hoc peccato accidit ut ex alio peccato causetur; et ideo non oportet in infinitum abire; sicut etiam motui accidit ut unus motus sit causa alterius; est tamen ponere primum motum qui non est causatus ab alio motu.

5. Si un péché avait par soi comme cause un autre péché, on remonterait à l’infini, car il faudrait que cela soit commun à tout péché. Or, il arrive que tel péché soit causé par un autre péché. Aussi n’est-il pas nécessaire de remonter à l’infini. Ainsi, il arrive pour le mouvement que l’un soit cause d’un autre. Il faut cependant affirmer un premier mouvement qui n’est pas causé par un autre mouvement.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum passio possit esse peccatum

Article 2 – Une passion peut-elle être un péché ?

[6582] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod passio possit esse peccatum. Motus enim sensualitatis passio quaedam est. Sed motus sensualitatis inordinatus peccatum est, ut supra dictum est. Ergo passio potest esse peccatum.

1. Il semble qu’une passion puisse être un péché. En effet, un mouvement de sensualité est une passion. Or, un mouvement désordonné de sensualité est un péché, comme on l’a dit plus haut. Une passion peut donc être un péché.

[6583] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, ira passio quaedam est. Sed ira est unum de septem capitalibus peccatis, et potest esse mortale peccatum; et similiter invidia. Ergo passio potest esse peccatum.

2. La colère est une passion. Or, la colère est un des sept péchés capitaux, et elle peut être un péché mortel ; de même en est-il de l’envie. Une passion peut donc être un péché.

[6584] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, omne quod contrariatur et pugnat contra rationem, est peccatum: quia, ut dicit Augustinus, nonnullum peccatum est, cum caro concupiscit adversus spiritum. Sed passiones ad rationem pugnant, ut dicit Dionysius. Ergo passiones sunt peccata.

3. Tout ce qui s’oppose à la raison et la combat est un péché, car, ainsi que le dit Augustin, « c’est un péché, lorsque la chair désire à l’encontre de l’esprit ». Or, les passions combattent la raison, comme le dit Denys. Les passions sont donc des péchés.

[6585] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, propter quod unumquodque tale, et illud magis, ut dicit philosophus. Sed propter superabundantiam passionum quae ad medium non reducuntur, a medio virtutis aliquis recedit, et peccatum incurrit. Ergo passiones peccatum sunt.

4. « Ce qu’une chose est, une autre chose peut l’être davantage », comme le dit le Philosophe. Or, en raison de la surabondance des passions qui ne sont pas ramenées au milieu, on s’éloigne du milieu de la vertu et encourt le péché. Les passions sont donc des péchés.

[6586] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, meritum et demeritum, cum sint opposita, in idem genus reducuntur. Sed passionibus contingit mereri, sicut patet in martyribus. Ergo et passionibus contingit demereri; et ita passiones peccatum esse possunt.

5. Puisqu’ils sont opposés, le mérite et le démérite se ramènent au même genre. Or, il arrive qu’on mérite par des passions, comme cela ressort clairement pour les martyrs. Il arrive donc qu’on démérite par des passions, et ainsi les passions peuvent être des péchés.

[6587] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, non contingit esse peccatum nisi illud cujus principium est in nobis. Sed passionum principium non est in nobis. Ergo passiones non sunt peccata.

Cependant, [1] un péché ne survient que pour ce dont le principe est à l’intérieur de nous. Or, le principe des passions n’est pas à l’intérieur de nous. Les passions ne sont donc pas des péchés.

[6588] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, secundum peccata aliquis vituperatur. Sed secundum passiones neque laudamur neque vituperamur, ut in 2 Ethic. dicitur: non enim vituperatur qui simpliciter irascitur, sed qui aliter quam debet. Ergo passio non potest esse peccatum.

[2] On est blâmé pour ses péchés. Or, nous ne sommes pas louangés ni blâmés pour des passions, comme il est dit dans Éthique, II. En effet, on ne blâme pas celui qui se met simplement en colère, mais celui qui le fait autrement qu’il ne le doit. Une passion peut donc être un péché.

[6589] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod cum homo non inquinetur per peccatum, nisi per illud quod ab homine est, ut Matth. 15, 18, dicitur: quae procedunt de homine, haec sunt quae coinquinant hominem non potest esse quod passio, inquantum passio, peccatum sit; quia passio non est a patiente inquantum hujusmodi, sed in patiente ab alio inducitur. Sed tantum per accidens contingit passionem esse peccatum, secundum quod operatio voluntatis, per quam principium nostrorum actuum sumus, aliquo modo ad passionem se habet. Sed ad diversas passiones diversimode se habet. Sunt enim quaedam passiones quae sunt passiones tantum, sicut praecipue patet in passionibus corporalibus, quae ab exteriori infliguntur, ut sectio, et adustio; vel ab aliquo etiam principio interius agente, etiam naturali, ut febris, vel aliquid hujusmodi; et ad has passiones se habet voluntas sicut causans eas, sicut est in passionibus sponte assumptis, vel sustinens eas libenter propter aliquem finem; et sic contingit in his passionibus meritum, si sint decentes; et demeritum, si sint indecentes. Quaedam autem passiones sunt quae non sunt purae passiones, sed sunt simul et passiones et operationes quaedam, sicut patet in passionibus quae dicuntur operationes animae: sentire enim, ut vult philosophus in 2 de anima, pati quoddam est; sed hoc verum est, inquantum sentire perficitur per hoc quod visus a sensibili movetur, recipiendo speciem ejus qua informatur, et operationem propriam exercet; et ita est in omnibus potentiis passivis, quales sunt omnes potentiae sensitivae partis, et etiam intellectivae, praeter intellectum agentem, et praeter virtutes motivas organis affixas; unde et intelligere quoddam pati est, et velle, et appetere; propter quod ira, et hujusmodi, passiones animae dicuntur, quamvis in his magis vel minus proprie nomen passionis sumatur, secundum quod plus et minus acceditur ad transmutationem corporalem; quae quidem consequens est in ira et invidia, et hujusmodi; vel etiam secundum materiales qualitates, ut calidum et frigidum, et hujusmodi. In sensu autem est secundum species in organo materiali spiritualiter et non materialiter receptas; sed in intellectu secundum receptionem pure spiritualem; et ideo illae passiones quae plus de ratione passionis habent, minus sunt in potestate nostra; et propter hoc specialius passiones dicuntur. In omnibus tamen his non est peccatum, nisi secundum quod voluntas aliquo modo circa eas se habet imperando, inquantum sunt operationes quaedam; vel etiam acceptando, secundum quod sunt passiones.

Réponse. Puisque l’homme n’est souillé par le péché que par ce qui vient de l’homme, comme il est dit en Mt 15, 18 : Ce qui vient de l’homme, voilà ce qui souille l’homme, il ne se peut pas qu’une passion, en tant que passion, soit un péché, car la passion ne vient pas de celui qui la subit en tant que tel, mais elle est provoquée par autre chose chez celui qui la subit. Or, il arrive seulement par accident qu’une passion soit un péché, selon que l’opération de la volonté, par laquelle nous sommes le principe de nos actes, a un certain rapport avec la passion. Mais son rapport avec les diverses passions est différent. En effet, il y a des passions qui ne sont que des passions, comme cela est surtout apparent pour les passions corporelles, qui sont infligées de l’extérieur, telles une coupure et une brûlure ; ou encore par un principe, même naturel, qui agit de l’intérieur, comme la fièvre ou quelque chose de ce genre. Or, le rapport de la volonté avec ces passions est celui d’une cause, comme c’est le cas pour les passions librement acceptées ou supportées en vue d’une fin. Et ainsi, le mérite peut exister pour ces passions, si elles sont convenables, et le démérite, si elles ne sont pas convenables. Or, il existe certaines passions qui ne sont pas de pures passions, mais qui sont en même temps des passions et des opérations, comme cela ressort pour les passions qui sont des opérations de l’âme. En effet, comme l’entend le Philosophe dans Sur l’âme, II, sentir est une façon de subir, mais cela est vrai dans la mesure où l’acte de sentir se réalise par le fait que la vue est mue par le sensible, en en recevant l’espèce par laquelle elle prend forme et exerce son opération propre. Et il en est ainsi pour toutes les puissances passives que sont toutes les puissances de la partie sensible, et aussi pour les [puissances] intellectuelles, à l’exception de l’intellect agent et des puissances motrices liées à des organes. Aussi intelliger est-il une certaine manière de subir, de même que vouloir et désirer. Pour cette raison, la colère et les choses de ce genre sont-elles appelées des passions de l’âme, bien que le mot passion soit employé au sens plus ou moins propre, selon qu’elles provoquent plus ou moins un changement corporel, qui en découle dans le cas de la colère, l’envie et des choses de ce genre, il suit ; ou encore selon des qualités matérielles, comme le chaud et le froid et les choses de ce genre. Or, dans le sens, [le changement matériel] existe selon que les espèces sont reçues dans l’organe matériel de manière spirituelle, et non matérielle. Dans l’intellect, [elles sont reçues] de manière purement spirituelle. Aussi les passions qui ont le plus raison de passions sont-elles moins en notre pouvoir : pour cette raison, elles sont appelées passions d’une manière plus particulière. Cependant, il n’existe de péché en toutes celles-ci que selon que la volonté a un rapport avec elles, pour les commander, dans la mesure où elles sont des opérations, ou encore pour les accepter, selon qu’elles sont des passions.

[6590] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod motus sensualitatis non est peccatum, nisi secundum quod in potestate voluntatis est, ut supra dictum est, et non inquantum est passio quaedam.

1. Le mouvement de sensualité n’est un péché que dans la mesure où il relève du pouvoir de la volonté, comme on l’a dit plus haut, et non en tant qu’il est une passion.

[6591] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod nomen irae, secundum propriam impositionem, passionem quamdam significat; sed postea transumptum est ad significandum vitium quoddam; cum enim virtutes quaedam, quamvis sint medietates, magis opponantur quibusdam extremis quam aliis (sicut mansuetudo magis opponitur irae quam defectui ejus), contingit quod vitia opposita talibus virtutibus nominantur nomine passionum ad quas refrenandum praecipue virtutes ordinantur; et hoc modo ira secundum quod vitium nominat, non est nomen passionis, sed actus, vel habitus.

2. Le mot « colère », selon son sens premier, signifie une passion ; mais, par la suite, il a été transposé pour signifier un vice. En effet, puisque certaines vertus, tout en étant des milieux, s’opposent plutôt à des choses extrêmes qu’à d’autres (comme la douceur s’oppose davantage à la colère qu’à son absence), il arrive que les vices opposés à ces vertus portent le nom des passions que les vertus sont principalement destinées à réfréner. De cette manière, la colère, selon qu’elle désigne un vice, n’est pas le nom d’une passion, mais un acte ou un habitus.

[6592] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod passio non pugnat contra rationem quasi per se oppositum virtuti, qua ratio perficitur; sed quia per se opponitur medio, quod virtus et ratio in passionibus statuit; sicut etiam nigredo pallori et rubedini opponitur.

3. La passion ne combat pas la raison comme si elle était opposée par soi à la vertu par laquelle la raison est perfectionnée, mais parce qu’elle s’oppose par soi au milieu que la vertu et la raison ont déterminé pour les passions, comme le fait d’être noir s’oppose à la pâleur et à la rougeur.

[6593] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod propter abundantiam passionum dicitur vitium esse, sicut propter causam materialem; sed per se vitium est in actu aliquo deformi circa passiones illas; et ideo non oportet quod passiones secundum se vitia sint.

4. En raison de l’abondance des passions, on dit qu’il y a vice, en raison d’une cause matérielle ; mais, par soi, le vice se trouve dans un acte difforme portant sur ces passions. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que, par elles-mêmes, les passions soient des vices.

[6594] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod passionibus sancti non meruerunt, nisi secundum quod eas voluntarie sustinuerunt, et propter Deum; et ita etiam possunt esse demeritoriae, inquantum voluntas alio modo ad eas se habet.

5. Les saints n’ont mérité par leurs passions que dans la mesure où ils les ont supportées volontairement et pour Dieu. De même peuvent-elles être sources de démérite, dans la mesure où leur rapport à la volonté est différent.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum peccatum unum possit esse poena alterius peccati

Article 3 – Un péché peut-il être la peine d’un autre péché ?

[6596] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod peccatum non possit esse poena peccati. Omnis enim poena ordinata est, et a Deo est. Sed nulla culpa ordinem habet, nec a Deo est. Ergo culpa poena esse non potest.

1. Il semble qu’un péché ne puisse être la peine d’un péché. En effet, toute peine est ordonnée par Dieu et vient de lui. Or, aucune faute ne possède d’ordre et ne vient de Dieu. Une faute ne peut donc être une peine.

[6597] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, causa et effectus non incidunt in idem. Sed culpa est causa poenae. Ergo non potest esse idem culpa et poena.

2. La cause et l’effet ne portent pas sur la même chose. Or, la faute est la cause de la peine. La faute et la peine ne peuvent donc pas être la même chose.

[6598] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, poena ordinatur contra culpam, ut medicina ejus; poenae enim medicinae quaedam sunt, ut in 2 Ethic. dicitur. Sed peccatum peccato medicina non est, quia praecedens peccatum per sequens non curatur, sed magis sequens peccatum in peccatum inclinat. Ergo peccatum non potest esse poena peccati.

3. La peine est ordonnée contre la faute, comme son remède. En effet, « les peines sont des remèdes », comme il est dit dans Éthique, II. Or, le péché n’est pas un remède pour le péché, car un péché précédent n’est pas guéri par un péché subséquent, mais le péché subséquent incline davantage vers le péché. Le péché ne peut donc être une peine du péché.

[6599] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, si peccatum punitur peccato, aut convenit omni peccato, aut quibusdam peccatis tantum. Si convenit omni peccato, ergo erit abire in infinitum in peccatis, ita quod post quodlibet erit aliud peccatum. Si autem non sit commune in omnibus peccatis; sed ultimum peccatorum non punitur peccato, sed tantum poena aeterna: cum primum peccatum puniatur peccato, et poena aeterna, ultimum peccatum minus punietur quam primum, quod duobus poenis punitur. Contingit autem quod ultimum peccatum est gravius quam primum. Ergo gravius peccatum minus punitur; quod videtur injustum.

4. Si le péché est puni par le péché, soit cela convient à tout péché, soit à certains seulement. Si cela convient à tout péché, on remontera donc à l’infini pour les péchés, de telle sorte qu’après chacun, il y aura un autre péché. Toutefois, si cela n’est pas commun à tous les péchés, mais que le dernier des péchés n’est pas puni par un péché, mais seulement par une peine éternelle, puisque le premier péché est puni par un péché et par une peine éternelle, le dernier péché sera moins puni que le premier, qui est puni par deux peines. Or, il arrive que le dernier péché soit plus grave que le premier. Un péché plus grave est donc moins puni, ce qui paraît injuste.

[6600] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, nullus punitur in eo quod libenter facit. Sed quicumque peccat, peccatum voluntarie et libenter facit. Ergo nullus punitur in hoc quod peccat; et ita peccatum non est poena peccati.

5. Personne n’est puni par ce qu’il fait volontiers. Or, quiconque pèche commet un péché volontairement et librement. Personne n’est donc puni parce qu’il pèche, et ainsi un péché n’est pas la peine d’un péché.

[6601] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra, Augustinus in Lib. 1 Confess. dicit: jussisti domine, et sic est, ut ipse sibi poena sit omnis inordinatus animus. Sed inordinatus animus est malum. Ergo est poena.

Cependant, [1] Augustin dit dans Les confessions, I : « Seigneur, tu as ordonné, et il en est ainsi, qu’un esprit complètement désordonné soit pour lui une peine. » Or, un esprit désordonné est un mal. Il est donc une peine.

[6602] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, quod aliquis privetur maximo bono, non potest esse sine poena. Sed peccatum est aversio ab incommutabili bono. Ergo peccatum est poena.

[2] Que quelqu’un soit privé du plus grand bien, ce ne peut être sans peine. Or, le péché est un détournement du bien immuable. Le péché est donc une peine.

[6603] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 3Ad hoc etiam sunt multae auctoritates in littera inductae.

[3] Plusieurs autorités invoquées dans le texte vont aussi dans ce sens.

[6604] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod contingit idem esse culpam et poenam, non tamen secundum eamdem rationem; quia omnis poena, inquantum poena est, voluntati contraria invenitur; omnis autem culpa voluntarii rationem habet. Contingit autem quod illud quod est culpa, dicatur poena tripliciter. Uno modo ratione effectus, quia scilicet naturam corrumpit, et gratiam subtrahit, quae poenae quaedam sunt; sed hoc contingit dupliciter. Uno enim modo culpa causat poenam ex parte aversionis, inquantum scilicet per culpam quis privatur gratia, et Deum amittit, et naturae bonum in eo corrumpitur. Alio modo ex parte conversionis; et hoc dupliciter. Uno modo secundum quod quaedam peccata passionem quamdam annexam habent, ut ira, et invidia, et aliquid hujusmodi; quia ex inordinato vindictae desiderio corpus imaginationi obediens, et affectui, quadam passione concitatur, quae ira dicitur materialiter loquendo, et hoc affectionem habet. Alio modo ex eo quod actus peccati sine labore non exercetur: propter quod Sap. 5, 7, dicitur: ambulavimus vias difficiles. Alio modo peccatum poena dicitur, inquantum effectus cujusdam poenae est: ex hoc enim quod aliquis mortaliter peccat, ut dictum est, gratia privatur: et quia per gratiam continebatur ne in peccatum rueret, fit ei ipsa subtractio gratiae quaedam causa sequentis peccati, in quod cadit, auxilio gratiae destitutus: et simili modo dici potest de omni alio auxilio quod Deus hominibus impendit, ne in peccatum cadant, sicut sunt impedimenta peccandi exteriora, sicut dicitur Oseae 2, 6: sepiam viam tuam spinis: et haec quidem auxilia, quae sunt impedimenta peccandi, quandoque subtrahuntur merito praecedentis peccati, ut sic homo in peccatum liberius ruat. Tertio modo potest dici id quod est culpa, esse poena, non ratione alicujus praecedentis vel sequentis, sed ratione ipsius actus deformis: nulli enim dubium est quin ex conjunctione inconvenientium quaedam poena sit homini, ut patet etiam in exterioribus quod si quis maximae auctoritatis indecenti habitu indueretur, hoc sibi poena esset: unde nec sine poena potest esse quod actio deformis et rectitudine rationis privata, in ipsa natura rationali inveniatur: et ideo talem actionem facere poenale quoddam est. Sed tamen non ab eodem habet quod sit poena et culpa: inquantum enim a voluntate progreditur, culpae rationem habet; sed inquantum praeter intentionem voluntatis ipsam animam deturpat, sicut res indecens sibi, poenae rationem accipit: hic tamen modus ad primum reduci potest, ipsa enim deturpatio est quidam peccati effectus.

Réponse. Il arrive que la faute et la peine soient la même chose, mais non selon la même raison, car toute peine, en tant que peine, est contraire à la volonté, mais toute faute comporte le caractère de volontaire. Or, il arrive que ce qui est une faute soit appelé une faute de trois manières. Premièrement, en raison de son effet, car cela corrompt la nature et enlève la grâce, choses qui sont des peines, mais cela se produit de deux manières. En effet, dans un premier cas, la faute cause la peine du point de vue du détournement (aversio), pour autant que quelqu’un est privé de la grâce par la faute et perd Dieu, et que le bien de la nature est corrompu. D’une autre manière, du point de vue de la conversion (conversio), et cela, de deux manières : premièrement, selon que certains péchés comportent une passion qui leur est associée, comme la colère, l’envie et quelque chose de ce genre, car, par un désir désordonné de vengeance, le corps, obéissant à la passion et à l’affectivité, est excité par une passion, appelée colère, du point de vue de la matière, et celui-ci en est changé ; deuxièmement, du fait que l’acte de péché n’est pas accompli sans un effort. C’est ainsi que Sg 5, 7 dit : Nous avons emprunté des sentiers difficiles. En second lieu, le péché est appelé une peine dans la mesure où il est l’effet d’une peine. En effet, du fait que quelqu’un pèche mortellement, ainsi qu’on l’a dit, il est privé de la grâce ; et parce qu’il était retenu par la grâce de se précipiter dans le péché, la soustraction même de la grâce devient la cause d’un péché subséquent, dans lequel il tombe en étant dépourvu de l’aide de la grâce. On peut parler de la même manière de toute autre aide que Dieu accorde aux hommes pour qu’ils ne tombent pas dans le péché, comme le sont les empêchements extérieurs de pécher. Ainsi, il est dit dans Os 2, 6 : J’entourerai ta route d’épines. Parfois, ces aides, que sont les empêchements de pécher, sont retirées en raison d’un péché précédent, afin que l’homme ne [add. non] se précipite pas plus aisément dans le péché. En troisième lieu, on peut dire que ce qui est une faute est une peine, non pas en raison d’un [péché] précédent ou subséquent, mais en raison de l’acte déformé lui-même. En effet, il n’y a pas de doute que l’union de choses qui ne vont pas ensemble est une peine pour l’homme, comme il ressort aussi clairement, dans les choses extérieures, que si quelqu’un qui a la plus grande autorité portait un vêtement inconvenant, ce serait une peine pour lui. Aussi cela ne peut-il être sans peine qu’une action déformée et privée de la rectitude de la raison se trouve chez la nature raisonnable elle-même. C’est pourquoi accomplir une telle action est quelque chose qui tient de la peine. Cependant, elle ne tient pas de la même chose d’être une peine et une faute. En effet, dans la mesure où elle est issue de la volonté, elle a raison de faute ; mais, dans la mesure où elle défigure l’âme elle-même en dehors de l’intention de la volonté, comme une chose qui ne lui convient pas, elle a raison de peine. Ce mode peut cependant se ramener au premier : en effet, la défiguration elle-même est un effet du péché.

[6605] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod omnis poena a Deo est, sed non eodem modo. Est enim quaedam poena a Deo sicut ab agente, sicut sunt poenae sensus, quae per quamdam actionem causantur: oportet enim omnis actionis reductionem in primum agens fieri sicut in causam. Quaedam vero poenae sunt a Deo non sicut ab agente, sed potius sicut a non agente, ut subtractio gratiae: ex eo enim quod Deus gratiam non influit, causatur in Oristo gratiae privatio. Utroque autem modo invenitur poena annexa culpae: quia illa poena quae efficitur per peccatum ex parte suae conversionis, est poena sensibiliter hominem affligens, ut irae perturbatio, et labor inordinatus in peccato; et hoc quidem a Deo est, et juste ordinatur, ut qui delectationem contra Dei ordinationem appetit, praeter suam intentionem afflictionem incurrat in hoc etiam ubi propriae libidini obsequitur. Illius autem poenae quae est subtractio gratiae, quae est effectus unius peccati et causa alterius, est causa Deus, sicut non agendo, et similiter aliarum poenarum similium: et hoc constat juste ordinatum esse, ut qui contraria gratiae appetit, gratiam amittat; et Dei auxilium, qui contra Deum agit: et per hunc etiam modum est causa poenae illius quae est ipse actus deformis peccati: non quia ipsum causet, sed quia ipsum permittit, eum non impediendo: et hoc etiam similem justitiae ordinem cum praedictis habet; hujusmodi autem ordinis causa Deus est. Ex quo patet quod id quod culpa et poena dicitur, secundum quod ad peccantem refertur, ut ab eo voluntarie exiens, in quo ratio culpae consistit, inordinationem habet; sed secundum quod habet rationem poenae, ut a Deo, ordinatum est debito ordine justitiae.

1. Toute peine vient de Dieu, mais non de la même manière. En effet, une certaine peine vient de Dieu comme agent, comme sont les peines du sens, qui sont causées par une action. En effet, il est nécessaire que toute action se ramène au premier agent comme à sa cause. Or, certaines peines viennent de Dieu, non pas comme d’un agent, mais plutôt comme d’un non-agent, telle la soustraction de la grâce. En effet, parce que Dieu ne donne pas la grâce, une privation de la grâce est causée dans tel homme. Or, une peine se trouve associée à une faute des deux manières, car la peine qui est causée par le péché du point de vue de sa conversion est une peine qui afflige l’homme de manière sensible, tel le trouble de la colère et un effort désordonné dans le péché. Et cela vient de Dieu et est ordonné justement afin que celui qui désire un plaisir contrairement à une disposition de Dieu encourre une affliction hors de son intention par là même où il cède à son propre désir désordonné. Mais Dieu est cause de la peine de la soustraction de la grâce, qui est l’effet d’un péché et la cause d’un autre, en n’agissant pas ; il en est de même pour les autres peines semblables. Il est certain que cela a été justement ordonné, afin que celui qui désire ce qui est contraire à la grâce perde la grâce, et celui qui agit à l’encontre de Dieu, l’aide de Dieu. De cette manière aussi, il (Dieu) est la cause de la peine qu’est l’acte déformé du péché, non pas parce qu’il le cause, mais parce qu’il le permet en ne l’empêchant pas. Et cela comporte aussi un ordre de la justice semblable aux précédents. Or, la cause de cet ordre est Dieu. Il ressort de cela que ce qu’on appelle faute et peine, selon qu’on le réfère au pécheur en tant que cela provient de lui volontairement, comporte un désordre, en quoi consiste la raison de faute ; mais, selon que cela a raison de peine, [cela vient] de Dieu en tant que cela a été ordonné à l’ordre qui convient à la justice.

[6606] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod causa et effectus respectu ejusdem non incidunt in idem, secundum eumdem modum causae (quia secundum diversa genera causarum etiam hoc non est inconveniens ut idem sit ejusdem causa et causatum, sicut finis est causa efficientis, et efficiens est causa finis); sed respectu diversorum non est inconveniens ut etiam secundum idem genus causae aliquid sit causa unius, et causatum ab altero: et ita etiam nihil prohibet aliquid quod est culpa, esse poenam alterius peccati.

2. La cause et l’effet par rapport à une même chose ne portent pas sur la même chose, selon le même mode de cause (car, selon divers genres de causes, il n’est pas inapproprié qu’une même chose soit cause d’une chose et causée par elle, comme la fin est cause de ce qui réalise, et ce qui réalise est cause de la fin). Mais, par rapport à des choses différentes, il n’est pas inapproprié que, même selon un genre de cause identique, quelque chose soit cause d’une chose et causé par autre chose. Ainsi, rien n’empêche que ce qui est une faute soit la peine d’un autre péché.

[6607] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod poena ordinatur ut medicina ad culpam, sed non semper ut medicina illius qui peccavit (quod enim latro suspendatur, non est ad correctionem ejus; similiter quod homo in Inferno damnetur), sed quandoque ordinatur ad culpam ut medicina alterius; sicut fur suspenditur in bonum totius communitatis ne passim furta committantur; et aliquis in Inferno damnatur ad decorem universi, ne aliquid inordinatum remaneat, si culpa per poenam non ordinetur.

3. La peine est ordonnée comme un remède de la faute, mais pas toujours comme un remède pour celui qui a péché : en effet, qu’un voleur soit pendu, ce n’est pas pour sa correction ; de même, que l’homme soit damné en enfer, mais cela est parfois ordonné à la faute comme remède pour un autre, comme le voleur est pendu pour le bien de toute la communauté afin que des vols ne soient pas indistinctement commis ; et quelqu’un est damné à l’enfer pour la beauté de l’univers, afin qu’il ne reste rien de désordonné du fait qu’une faute n’est pas punie par une peine.

[6608] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod hoc est per accidens quod ultimum peccatum per aliud peccatum non punitur, quia scilicet vel vita peccantis finitur, vel etiam animus ejus per poenitentiam in melius immutatur; sicut etiam et primum peccatum tollit gratiam quam secundum non tollit, quia eam non invenit, sed tolleret si inveniret; et similiter est in proposito.

4. C’est par accident que le dernier péché n’est pas puni par un autre péché, ou encore que l’âme de celui-ci n’est pas punie par un autre péché, ou encore que son âme est changée pour le mieux par la pénitence ; de même encore, le premier péché n’enlève-t-il pas la grâce que le deuxième enlève parce qu’il ne la trouve pas, mais il l’enlèverait s’il la trouvait. De même en est-il pour ce qui est en cause.

[6609] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod in actu peccati est aliquid quod peccator vult, ut delectationem; aliquid vero est quod non vult, immo praeter intentionem ejus accidit, ut corruptio naturae consequens, vel etiam ipsa indecentia actionis; et ideo in hoc quod libenter fecit, punitur, dum ex hoc quod libenter facit, aliquid accidit praeter intentionem ejus, quod voluntati ejus adversatur.

5. Dans l’acte du péché, il y a quelque chose que le pécheur veut, comme le plaisir, mais quelque chose qu’il ne veut pas, qui se produit plutôt en dehors de son intention, comme la corruption subséquente de la nature ou encore l’inconvenance de l’action. C’est pourquoi il est puni pour ce qu’il a fait volontairement, alors que, du fait de ce qu’il a volontairement accompli, quelque chose survient hors de son intention et qui s’oppose à sa volonté.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum omnis poena infligatur pro peccato

Article 4 – Toute peine est-elle infligée pour un péché ?

[6611] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non omnis poena infligatur pro peccato. Quia, ut Augustinus super Cant. Deuter. dicit, quinque modis flagella contingunt: vel ut justis merita per patientiam augeantur, ut Job; vel ad custodiam virtutum, ne superbia tentet, ut Paulo; vel ad corrigendum peccata, ut Mariae lepra; vel ad initium poenae, ut Herodi, quatenus hic videatur quid in Inferno sequatur; vel ad gloriam Dei manifestandam, ut de caeco nato. Sed tres istorum modorum non ostendunt poenam pro peccato aliquo inflictam. Ergo non omnis poena pro peccato infligitur.

1. Il semble que toute peine ne soit pas infligée pour un péché, car, ainsi que le dit Augustin à propos du Cantique du Deutéronome, les punitions surviennent de cinq manières : pour que les mérites des justes soient augmentés par la patience, comme pour Job ; pour protéger la vertu de la tentation de l’orgueil, comme pour Paul ; pour corriger les péchés, comme la lèpre de Marie ; comme un début de peine, comme c’est le cas d’Hérode, dans la mesure où est montré à celui-ci ce qui suit en enfer ; pour manifester la gloire de Dieu, comme c’est le cas de l’aveugle-né. Or, trois de ces modes ne montrent pas qu’une peine est infligée pour un péché. Toute peine n’est donc pas infligée pour un péché.

[6612] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 2Praeterea, de Christo dicitur 1 Petr. 2, 22: qui peccatum non fecit: et tamen multas poenas sustinuit. Ergo non omnis poena pro culpa infligitur.

2. Il est dit à propos du Christ, 1 P 2, 22 : Lui qui n’a pas commis de péché, et cependant il a subi beaucoup de peines. Toute peine n’est donc pas infligée pour une faute.

[6613] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 3Praeterea, dicitur quod omne peccatum est poena secundum primum modum nec tamen omne peccatum est poena peccati, ut ibidem dicitur. Ergo non omnis poena est poena peccati.

3. On dit que tout péché est une peine selon le premier mode, mais tout péché n’est cependant pas une peine pour un péché, comme on le dit au même endroit. Toute peine n’est donc pas la peine d’un péché.

[6614] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 4Praeterea, culpa virtuti opponitur; et sicut virtuti debetur praemium, ita et culpae poena. Sed virtus non habet praemium in his temporalibus bonis, sed in aeternis. Ergo nec culpa per amissionem temporalium bonorum punitur a Deo. Cum ergo sint quaedam poenae in amissione horum bonorum, videtur quod quaedam poenae non sint pro culpis inflictae.

4. La faute s’oppose à la vertu, et de même qu’une récompense est due à la vertu, de même aussi une peine pour une faute. Or, la vertu n’a pas sa récompense par les biens temporels présents, mais [par des biens] éternels. La faute non plus n’est donc pas punie par Dieu par l’enlèvement de biens temporels. Puisqu’il existe certaines peines consistant dans l’enlèvement de ces biens, il semble donc que certaines peines ne soient pas infligées pour des fautes.

[6615] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 5Praeterea, frequenter via impiorum prosperatur, ut Hierem. 12 dicitur, et Job 21, et e contrario justi in afflictione sunt. Hoc autem non esset, si poena culpae tantum redderetur. Ergo non omnis poena culpae alicui redditur.

4. La voie des injustes prospère fréquemment, comme le disent Jr 12 et Jb 21 ; en sens contraire, des justes sont dans l’affliction. Or, cela ne serait pas le cas si une peine n’était rendue que pour une faute. Toute peine n’est donc pas rendue pour une faute.

[6616] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 4 s. c. 1Sed contra est quod Gregorius in oratione dicit: nulla nocebit adversitas, si nulla dominetur iniquitas. Sed omnis poena nocumentum quoddam est. Ergo poena esse non potest nisi ubi dominetur iniquitas.

Cependant, [1] Grégoire dit dans un discours : « Aucune adversité ne nuira si aucune injustice ne l’emporte. » Or, toute peine est une certaine nuisance. Il ne peut donc y avoir de peine que là où l’injustice l’emporte.

[6617] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 4 s. c. 2Praeterea, Hieronymus dicit: quidquid patimur peccata nostra meruerunt. Sed omnis poena passiva, est corruptio boni, ut supra dictum est. Ergo omnis poena pro merito peccati redditur.

[2] Jérôme dit : « Tout ce que nous endurons, nos péchés l’ont mérité. » Or, toute peine passive est une corruption d’un bien, comme on l’a dit plus haut. Toute peine est donc rendue en fonction de ce que mérite un péché.

[6618] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod nullus punitur nisi in eo quod aliquo privatur quod sibi bonum est. Sciendum est autem, quod aliquid est bonum homini dupliciter: vel secundum naturam propriam, inquantum scilicet homo est; vel secundum naturam communem, inquantum est animal vel vivum, vel aliquid hujusmodi. Et quia homo est id quod est inquantum rationalis et intellectum habens; ideo bona ei, inquantum homo est, principalia sunt ea quae sunt secundum rationem bona, ut virtutes, in quibus natura intellectiva perficitur, et ex privatione horum bonorum nullus poenam habet, nisi propria culpa. Sunt autem secundario modo bona rationis, quae ad opus virtutis organice et instrumentaliter deserviunt, ut sanitas corporis et res exteriores. Hujusmodi autem non sunt simpliciter bona rationis, sed secundum aliquam mensuram, prout scilicet ad opus virtutis adjuvant; unde philosophus dicit in 10 Ethic., quod superabundantia divitiarum, quae ad opus virtutis impedit, bona fortuna dicenda non est, sed mala. Unde si aliquis privatur his bonis quantum ad id quod non proficit ad opus virtutis, sed magis deficit, talium bonorum privatio non est poena hominis inquantum est homo, sed quando privatur eis quibus indiget ad opus virtutis; unde dicitur Proverb. 30, 8: divitias et paupertatem ne dederis mihi. Unde nullus nisi pro culpa punitur in subtractione horum bonorum inquantum virtuti necessaria sunt; unde Psalm. 36, 25: junior fui, etenim senui, et non vidi justum derelictum, nec semen ejus quaerens panem. Si autem consideretur homo secundum naturam communem, sic omnia bona corporis, et etiam exteriora, sunt bona sibi; unde quaelibet privatio horum bonorum quaedam poena est sibi. Non autem omnis talis poena inducitur pro peccato proprio ipsius, sed tamen semper aliquod peccatum sequitur, ad minus peccatum naturae: quia nisi humana natura per peccatum originale infecta esset, nullam molestiam vel defectum homo in his pateretur.

Réponse. Personne n’est puni que par le fait qu’il est privé de quelque chose qui est un bien pour lui. Or, il faut savoir que quelque chose est bon pour l’homme de deux manières : soit selon sa nature propre, en tant qu’il est homme ; soit selon une nature commune, en tant qu’il est un animal ou un vivant, ou quelque chose de ce genre. Et parce que l’homme est ce qu’il est en tant qu’il est raisonnable et possède l’intelligence, les principaux biens pour lui, en tant qu’il est homme, sont les biens qui sont conformes à sa raison, comme les vertus, par lesquelles sa nature intellectuelle est perfectionnée, et peersonne n’encourt une peine que par la privation de ces biens. D’une manière secondaire, sont des biens de la raison les choses qui servent comme des organes et de manière instrumentale à l’action de la vertu, comme la santé du corps et les choses extérieures. Or, les biens de ce genre ne sont pas simplement des biens de la raison, mais dans une certaine mesure, en tant qu’ils aident à l’action de la vertu. Aussi le Philosophe dit-il, Éthique, X, que la surabondance de richesses, qui est un empêchement pour l’action de la vertu, ne doit pas être appelée une [bonne] fortune, mais une mauvaise. Si quelqu’un est privé de ces biens pour ce qui ne concourt pas à l’action de la vertu, mais plutôt s’en écéarte, la privation de tels biens n’est pas une peine pour l’homme en tant qu’est il est homme, mais lorsqu’il est privé de ce dont il a besoin pour l’action de la vertu. Ainsi est-il dit dans Pr 30, 8 : Tu ne me donneras ni la richesse ni la pauvreté. Aussi personne n’est-il puni pour une faute par la soustraction de ces biens, pour autant qu’ils soient nécessaires. C’est ainsi que Ps 36, 25 dit : J’ai été jeune, puis j’ai vieilli, mais je n’ai pas vu de juste abandonné, ni sa descendance chercher son pain. Mais si l’homme est envisagé selon sa nature commune, alors tous les biens du corps, même les biens extérieurs, sont des biens pour lui. Aussi toute privation de ces biens est-elle une peine pour lui. Mais toute peine de ce genre n’est pas entraînée par son propre péché ; elle suit cependant toujours un péché, du moins un péché de nature, car si la nature humaine n’avait pas été infectée par le péché originel, l’homme n’aurait subi aucun désagrément ni carence.

[6619] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod homo hic ad augmentum meriti flagellatur, non est sibi poena inquantum est homo, sed bonum ejus: tamen est poena sibi inquantum naturam animalem habet; et ideo talis poena non sequitur culpam propriam illius qui peccat, sed culpam naturae infectae, quae si facta non esset, homines sine hujusmodi molestiis ad perfectum meriti pervenirent.

1. Le fait que l’homme est ici affligé en vue de l’accroissement de son mérite n’est pas pour lui une peine en tant qu’il est homme, mais son bien ; toutefois, c’est une peine pour lui en tant qu’il possède une nature animale. C’est pourquoi une telle peine ne découle pas de la faute propre de celui qui pèche, mais de la faute de la nature infectée ; si elle n’avait pas été commise, les hommes seraient parvenus à un mérite acccompli sans ces afflictions.

[6620] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod Christus nullo modo poenam habuit aliquam quae esset poena hominis inquantum est homo: quia in bonis rationis superabundavit, nec aliquem defectum in eis passus est. Habuit tamen poenam aliquam quantum ad naturam communem; et ideo non oportuit quod esset aliqua culpa in eo, sed quod aliqua culpa praecessisset in natura humana; unde dicitur Isa. 53, 8: propter peccata populi mei percussi eum.

2. Le Christ n’a aucunement éprouvé de peine qui aurait été une peine de l’homme en tant qu’il est homme, car il possédait surabondamment les biens de la raison et il n’en a éprouvé aucune carence. Il a cependant éprouvé une peine pour ce qui est de la nature commune. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire qu’il y ait chez lui quelque faute, mais qu’une faute ait précédé dans la nature humaine. Il est ainsi dit, Is 53, 8 : À cause des péchés de mon peuple, je l’ai frappé.

[6621] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod hoc quod dicitur, quod non omne peccatum est poena peccati; intelligendum est peccati alterius. Primum enim peccatum effective et causaliter poena dici potest, inquantum corruptio naturae, quae per illud fit, quaedam poena est; non autem poena alterius praecedentis peccati, sed ipsiusmet peccati quod talem corruptionem inducit.

3. Tout péché n’est pas une peine du péché, mais on doit l’entendre du péché d’un autre. En effet, le premier péché peut être appelé une peine par mode d’efficience et de cause, pour autant que la corruption de la nature réalisée par lui est une peine, mais non une peine pour une péché précédent, car c’est celle de ce péché même qui entraîne une telle corruption.

[6622] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod sicut virtus non habet per se praemium in his temporalibus bonis, sed per accidens, secundum quod talibus indigetur ad virtutis actum; ita etiam nec culpa in his punitur quasi essentiali poena, sed quadam accidentali, secundum quod subtractio horum bonorum temporalium in detrimentum etiam spiritualium redundat, quatenus poena hic incipiat, et in futuro terminetur.

4. De même que la vertu n’est pas récompensée de soi par des biens temporels, mais par accident, selon qu’elle a besoin de tels [biens] pour l’acte de vertu, de même aussi la faute n’est-elle pas punie par eux comme par une peine essentielle, mais par une peine accidentelle, selon que le retrait de biens temporels rejaillit comme un préjudice pour les [biens] spirituels mêmes, pour autant que la peine commence ici et s’achèvera dans l’avenir.

[6623] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod hoc quod impii prosperitatem habent, frequenter in eorum malum est, ut ex dicto philosophi inducto patet; unde in hoc ipso puniuntur. Similiter etiam et quod justi in adversitatibus sunt, in eorum bonum cedit, quia per hoc ad virtutem proficiunt; unde non est eis poena, praecipue inquantum homines sunt, sed quasi pro praemio redditum.

5. Le fait que les impies connaissent la prospérité est souvent un mal pour eux, comme cela ressort de la parole du Philosophe invoquée ; ils sont ainsi punis par cela même. De même aussi, est-ce pour leur bien que les justes connaissent l’adversité, car ils progressent par cela dans la vertu. Ce n’est donc pas une peine pour eux, surtout en tant qu’ils sont des hommes, mais cela leur est rendu comme une récompense.

 

 

ARTICULUS 5 Utrum distinctio bonorum sit conveniens

Article 5 – La distinction entre les biens est-elle appropriée ?

[6625] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter ponitur distinctio bonorum, ut quaedam dicantur bona ex genere, et quaedam ex fine, et ex causa. Quod enim alicui convenit secundum genus suum, non poterit removeri ab eo per aliquam differentiam additam: quaecumque enim differentia animali addatur, semper in eo sensibile remanebit. Sed reficere esurientem et similes actus quos dicit bonos ex genere, male fieri possunt, ut si propter inanem gloriam fiant. Ergo inconvenienter boni ex genere dicuntur.

1. Il semble que la distinction entre les biens soit présentée de manière inappropriée, car certains sont appelés des biens en raison de leur genre, d’autres en raison de leur fin et de leur cause. En effet, ce qui convient à quelque chose selon son genre ne pourra pas lui être enlevé par une différence ajoutée, car, quelle que soit la différence ajoutée à l’animal, ce qui est sensible demeurera toujours en lui, Or, nourrir celui qui a faim et les actes semblables, qu’on appelle bons en raison de leur genre, peuvent être mal accomplis, comme lorsqu’ils sont accomplis par vaine gloire. C’est donc de manière inappropriée qu’ils sont appelés bons en raison de leur genre.

[6626] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 2Praeterea, sicut se habet malum ad genus mali; ita et bonum ad genus boni. Sed actus qui sunt ex genere mali, nullo modo boni esse possunt, ut occidere innocentem, vel aliquid hujusmodi. Ergo nec illi actus qui mali esse possunt, ex genere boni dicendi sunt.

2. Le rapport d’un mal au genre du mal est le même qu’entre un bien et le genre du bien. Or, les actes qui sont mauvais en raison de leur genre ne peuvent aucunement être bons, comme tuer un innocent ou quelque chose de ce genre. Les actes qui peuvent être mauvais ne doivent donc non plus être appelés bons en raison de leur genre.

[6627] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 3Praeterea, cuilibet generi respondet sua species. Si ergo est aliquis actus bonus ex genere, debet assignari aliquis actus bonus ex specie; quod cum praetermittatur, videtur distinctio insufficiens.

3. À chaque genre correspond son espèce. Si donc un acte est bon en raison de son genre, un acte doit être qualifié de bon en raison de son espèce ; lorsque cela est omis, il semble que la distinction soit insuffisante.

[6628] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 4Praeterea, bonum est ex fine, ut in 3 Metaph. philosophus dicit. Sed materia et finis non incidunt in idem, ut in 2 Physic. dicitur. Videtur ergo quod inconvenienter dicantur actus super debitam materiam cadentes, ex genere boni.

4. Le bien vient de la fin, comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, II. Il semble donc qu’on dise de manière inappropriée que les actes qui portent sur la matière qui leur revient sont bons en raison de leure genre.

[6629] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 5Praeterea, materia actus est objectum ejus. Objectum autem habet rationem finis. Ergo si dicitur actus bonus ex genere ex materia debita super quam cadit, videtur quod inconvenienter distinguitur bonum ex genere, et bonum ex fine.

5. La matière d’un acte est son objet. Or, l’objet a raison de fin. Si donc on appelle bon en raison de son genre l’acte qui porte sur la matière qui lui revient, il semble qu’on distingue de manière inapproriée ce qui est bon en raison de son genre et ce qui est bon en raison de la fin.

[6630] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 s. c. 1Sed contra, genus sumitur ex materiali principio, ut Avicenna dicit. Si ergo aliquis actus ex materia super quam cadit, bonitatem habet, convenienter ex genere bonus dicitur.

Cependant, [1] le genre vient d’un principe matériel, comme le dit Avicenne. Si donc un acte a une bonté en raison de la matière sur laquelle il porte, il est appelé bon de manière appropriée en raison de son genre.

[6631] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 s. c. 2Praeterea, quod omnibus existentibus in aliquo genere convenit, eis ex natura generis sui competit. Sed actibus cadentibus super debitam materiam secundum ordinationem sui generis, quaedam bonitas convenit. Ergo convenienter boni ex genere dici possunt.

[2] Ce qui est commun à toutes les choses qui se trouvent dans un genre leur convient selon la nature de leur genre. Or, une certaine bonté convient aux actes qui portent sur la matière qui leur revient selon leur rapport à leur genre. Ils peuvent donc être appelés bons de manière appropriée en raison de leur genre.

[6632] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod, sicut Dionysius dicit, in substantiis omnibus invenitur essentia, virtus, et operatio. Horum autem talis est ordo, quod virtus ab essentia, et operatio a virtute procedit: et quia quod a bono procedit, non potest esse nisi bonum, ideo sicut essentia et virtus bona sunt, ita et operatio, secundum quod a virtute agentis procedit. Sed quia virtus in voluntarie agentibus ad multa se habet, ideo actio ex virtute agentis determinationem non habet; sed propria determinatio actus est ex objecto: unde si objectum sit proportionatum, actus ex ipso objecto quamdam ulteriorem bonitatem recipiet. Et quia prima determinatio qua aliquid determinatur, est determinatio per formam generis; ideo hujusmodi actus ex determinatione objecti bonitatem habentes, dicuntur boni ex genere. Sed quia actum aliquem circa idem objectum contingit diversimode se habere, ideo adhuc actus ex objecto determinatus, est ulterius determinabilis per alias circumstantias: quae si convenientes fuerint, ex eis quamdam ulteriorem bonitatem recipiet, et dicetur bonus ex circumstantiis, quousque perveniatur ad perfectam bonitatem actus, quae est per informationem habitus; et tunc dicetur bonum virtutis. Sic ergo patet ratio distinctionis bonitatis actuum quae in littera ponitur, et quomodo hae bonitates ad invicem se habeant. Prima enim bonitas, quae est ex essentia actus, communis est omnibus actibus: unde ipsa substernitur omnibus aliis bonitatibus; inter quas primo supervenit sibi bonitas quae est ex debita materia; super quam iterum inducitur alia bonitas quae est ex fine, et aliis circumstantiis, et ex forma habitus: et secunda bonitate subtracta, non potest esse tertia; sed tamen posita secunda, non necessario tertia ponitur: et ideo contingit actum habere bonitatem ex materia, et tamen eum male fieri propter indebitas circumstantias.

Réponse. Comme le dit Denys, dans toutes les substances, on trouve l’essence, la puissance et l’opération. Or, il existe entre elles un ordre tel que la puissance vient de l’essence, et l’opération, de la puissance. Et parce que ce qui vient du bien ne peut être que bon, de même que l’essence et la puissance sont des biens, de même aussi l’opération, pour autant qu’elle vient de la puissance de l’agent. Mais parce que, pour les choses qui agissent volontairement, la puissance porte sur plusieurs choses, l’action n’est donc pas déterminée par la puissance de l’agent, mais la détermination propre de l’acte vient de son objet. Si donc l’objet est proportionné, en conséquence l’acte recevra de l’objet même une bonté. Et parce que la première détermination par laquelle quelque chose est déterminé est la détermination selon la forme de son genre, les actes qui tirent leur bonté de la détermination de l’objet sont appelés bons en raison de leur genre. Mais comme il arrive qu’un acte portant sur un même objet ait avec celui-ci différents rapports, l’acte déterminé par l’objet peut donc être encore déterminé par les autres circonstances : si elles étaient appropriées, il tirera encore d’elles une autre bonté, et il sera appelé bon en raison des circonstances, jusqu’à ce qu’on parvienne à une parfaite bonté de l’acte, qui se réalise par la forme que lui confère l’habitus : on parlera alors du bien de la vertu. La raison de la distinction de la bonté des actes qui est présentée dans le texte ressort ainsi clairement, de même que les rapports qu’entretiennent entre elles ces bontés En effet, la premiere bonté, qui est celle de l’essence de l’acte, est commune à tous les actes ; aussi est-elle sous-jacente à toutes les autres bontés, parmi lesquelles s’ajoute la bonté qui vient de la matière qui est due. À celle-ci s’ajoute encore une autre bonté qui vient de la fin et des autres circonstances, ainsi que de la forme de l’habitus. Si on enlève la deuxième bonté, il ne peut y en avoir de troisième ; cependant, si on suppose la deuxième, on ne suppose pas nécessairement la troisième. C’est pourquoi il arrive qu’un acte a une bonté en raison de sa matière, et qu’il est cependant mal accompli en raison de circonstances indues.

[6633] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod illa bonitas quae est ex genere, manet in actu, quantumcumque per alias circumstantias indebitas deordinetur; sicut etiam quantumcumque ab anima tollatur gratia, remanet in ea bonitas naturae: unde non dicitur actus qui est bonus ex genere, male fieri, quia privetur ab eo bonitas sui generis, sed quia privatur bonitate circumstantiarum.

1. La bonté qui vient du genre demeure dans l’acte, aussi désordonné soit-il par d’autres circonstances indues, comme demeure dans l’âme la bonté de la nature, même si la grâce est enlevée de l’âme. Aussi ne dit-on pas qu’un acte bon par son genre est mal accompli parce qu’il est privé de la bonté de son genre, mais parce qu’il est privé de la bonté des circonstances.

[6634] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 ad 2Ad secundum dicendum, quod unus defectus sufficit ad hoc quod malum aliquid esse dicatur; sed non una perfectio sufficit ad hoc quod simpliciter sit bonum: quia bonum contingit ex una et perfecta causa: sed malum ex particularibus defectibus, ut Dionysius dicit: et ideo illud quod est bonum ex genere, non est necessarium quod simpliciter sit bonum: sed potest male fieri: quod autem est malum ex genere, simpliciter est malum, nec bonum fieri potest.

2. Une seule carence suffit pour que quelque chose soit appelé mauvais, mais une seule perfection ne suffit pas pour que cela soit simplement bon, car le bien vient d’une seule et parfaite cause, mais le mal, de carences particulières, comme le dit Denys. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que ce qui est bon par son genre soit tout simplement bon, mais cela peut être mal accompli ; toutefois, ce qui est mauvais par son genre est tout simplement mauvais et ne peut devenir bon.

[6635] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 ad 3Ad tertium dicendum, quod sicut genus determinatur per speciem; ita etiam bonum in genere determinatur per bonitatem quae est ex fine et ex aliis circumstantiis: et ideo illud bonum quod est ex fine et circumstantiis, respondet bono quod est in genere, sicut species generi: unde et ejus praedicationem recipit: pascere enim esurientem propter Deum, est pascere esurientem; sed non convertitur.

3. De même que le genre est déterminé par l’espèce, de même aussi ce qui est bon par son genre est-il déterminé par la bonté qui vient de la fin et des autres circonstances. C’est pourquoi le bien qui vient de la fin et des circonstances correspond au bien qui existe par le genre, comme l’espèce au genre. Aussi en est-il prédiqué. En effet, nourrir celui qui a faim pour Dieu, c’est nourrir celui qui a faim, mais l’inverse n’est pas vrai.

[6636] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod est duplex materia: ex qua, vel in qua, et materia circa quam: et primo modo materia dicta non incidit in idem cum fine: sed secundo modo est idem cum fine: quia objectum finis actus est.

4. Il existe une double matière : celle à partir de laquelle ou en laquelle, et la matière sur laquelle. La matière désignée de la première manière ne porte pas sur la même chose que la fin ; mais celle [qui est désignée de la seconde manière] est la même chose que la fin, car l’objet est la fin de l’acte.

[6637] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod actus aliquis habet duplicem finem: scilicet proximum finem, qui est objectum ejus, et remotum, quem agens intendit: et ideo cum bonum ex fine distinguitur contra bonum ex genere, intelligitur de fine remoto, quem agens intendit.

5. Un acte possède une double fin : une fin rapprochée, qui est son objet, et une fin éloignée, dont l’agent a l’intention. Puisque le bien qui vient de la fin se distingue du bien qui vient du genre, il s’entend donc de la fin éloignée dont l’agent a l’intention.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 36

[6638] Super Sent., lib. 2 d. 36 q. 1 a. 5 expos.Istas poenas pauci vident. Rationem hujus reddit philosophus in 9 Ethic.; quia natura intellectualis, quae suis bonis per hujusmodi destituitur, occulta est; sed natura exterior magis apparet: unde magis est creditum a sensibilibus hominibus se esse hoc quod sunt propter naturam sensibilem, quam per naturam intellectualem: et hoc ideo quia quod nocet eis secundum intellectualem naturam, non reputant poenam, sed solum quae nocent secundum naturam exteriorem eis notam; quamvis e contrario sit secundum rei veritatem. Enumerat multa quae peccata sunt, et poena peccati. Intelligendum est de his quae sunt in genere culpae; alias falsum esset: quia quaedam sunt tantummodo poenae, et nullo modo culpae. Ponit Deus offendiculum, dum scilicet impedimenta peccati non subtrahit. Non tamen potest dici poena peccati, scilicet alterius: quia illa poena quae sequitur, ejusdem peccati poena est quod eam effecit. Nec tamen inquantum peccata sunt, a Deo sunt. Quia peccata sunt aliquid, inquantum a voluntate procedunt; sed poena peccata fiunt, secundum quod invenitur in eis aliquid voluntati repugnans, ut dictum est. Vel de homine secundum statum liberi arbitrii. Ista solutio non videtur conveniens: quia praecepta legis homini post peccatum data sunt, de quibus Hieronymus locutus est.

 

 

 

DISTINCTIO 37

Distinction 37 – [Les actes viennent-ils de Dieu de quelque manière ?]

 

 

QUAESTIO 1

Question 1 – [Le péché est-il une substance, une nature ou une chose ?]

PROOEMIUM

Prologue

[6639] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 pr.Postquam tractavit illam opinionem quae ponebat, actus peccatorum, inquantum sunt, bonos esse, et a Deo, in hac distinctione prosequitur aliam opinionem oppositam, quae ponit eos nullo modo a Deo esse; et dividitur in partes duas: in prima prosequitur istam opinionem quantum ad hoc in quo a praecedenti differt; in secunda determinat quoddam in quo ambae opiniones conveniunt, quod scilicet Deus, quamvis non sit auctor malorum quae sunt culpae, est tamen auctor poenarum, ibi: cum igitur omnes in hoc consentiant Catholici tractatores, scilicet quod Deus non est auctor malorum, cavendum est tamen ne malorum nomine poenas sicut peccata generaliter includas. Circa primum tria facit: primo narrat eorum opinionem; secundo ponit responsiones eorum ad rationes, quibus alia opinio innitebatur, ibi: illa quoque Augustini verba (...) de naturis sive de substantiis tantum accipienda fore tradunt; tertio ponit rationes ad impugnandum praedictam opinionem, ibi: ex quo colligitur res aliquas esse quae a Deo non sunt. Et circa hoc tria facit: primo ponit rationes contra primam opinionem; secundo ex dictis concludit quoddam quo ista opinio innititur contra objectiones quae possent fieri, ibi: ideoque cum dicitur Deus esse auctor omnium quae sunt, bonorum, isti subintelligi volunt; tertio utriusque opinionis judicium lectori relinquit, ibi: intendant diligenter his verbis praemissarum assertores sententiarum. Prima dividitur in duas, secundum duas rationes; secunda incipit ibi: in hoc autem verbo superiorum sententiae recte opponitur. Hic est triplex quaestio. Prima de existentia peccati. Secunda de causa ejus. Tertia de causa poenae. Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum peccatum sit substantia vel natura aut res quaedam; 2 utrum omne quod est, quocumque modo sit, a Deo sit.

Après avoir traité de l’opinion qui affirmait que les actes des péchés, pour autant qu’ils existent, sont bons et viennent de Dieu, [le Maître] poursuit, dans la présente distinction, [en traitant] de l’autre opinion qui affirme qu’ils ne viennent aucunement de Dieu. Il y a deux parties : dans la première, il traite de cette opinion sous l’aspect par lequel elle diffère de la précédente ; dans la seconde, il détermine de quelque chose qui est commun aux deux opinions, à savoir que Dieu, bien qu’il ne soit pas l’auteur des maux que sont les fautes, est cependant l’auteur des peines, à cet endroit : « Puisque tous les auteurs catholiques sont d’accord sur le fait que Dieu n’est pas l’auteur des maux, il faut que tu évites d’englober sous le terme de ‘maux’ des peines comme les péchés. » À propos du premier point, il rapporte en premier lieu leur opinion. Deuxièmement, il présente les réponses aux arguments sur lesquels l’autre opinion s’appuyait, à cet endroit : « Ils enseignent que ces paroles d’Augustin… ne doivent être entendues que des natures ou des substances. » Troisièmement, il présente les arguments pour combattre l’opinion présentée plus haut, à cet endroit : « On conclut de ceci qu’il existe certaines choses qui ne viennent pas de Dieu. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il présente les arguments contre la première opinion. Deuxièmement, il conclut de ce qui a été dit une chose sur laquelle cette opinion s’appuie à l’encontre des objections qui pourraient être soulevées, à cet endroit : « Lorsqu’on dit que Dieu est l’auteur de tout ce qui existe, ils veulent qu’on sous-entende des biens [qui existent]. » Troisièmement, il laisse au lecteur de juger des deux opinions, à cet endroit : « Que ceux qui soutiennent les positions présentées plus haut portent une attention diligente à ces paroles. » La première [partie] se divise en deux, selon les deux arguments ; la seconde commence en cet endroit : « Par cette parole, on s’oppose à juste titre aux positions précédentes. » Ici, une triple question se pose. La première, au sujet de l’existence du péché ; la seconde, au sujet de sa cause ; la troisième, au sujet de la cause de la peine. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1. Le péché est-il une substance, une nature ou une chose ? 2. Tout ce qui existe, quelle que soit la manière dont cela existe, vient-il de Dieu ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum peccatum sit substantia vel natura quaedam

Article 1 – Le péché est-il une substance ou une nature ?

[6641] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod peccatum non sit substantia vel natura. Nihil enim existens in altero sicut in subjecto, substantia est, ut per definitionem substantiae patet. Sed peccatum, quocumque modo sumatur, in peccante est sicut in subjecto. Ergo non est substantia vel natura.

1. Il semble que le péché ne soit pas une substance ou une nature. En effet, rien de ce qui existe dans un autre comme dans son sujet n’est une substance, comme cela ressort de la définition d’une substance. Or, le péché, quelle que soit la manière de l’entendre, se trouve dans le pécheur comme dans son sujet. Il n’est donc pas une substance ou une nature.

[6642] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, peccatum malum quoddam est. Sed Dionysius probat, quod malum non est neque in universali natura neque in particulari. Ergo peccatum non est natura quaedam.

2. Le péché est un mal. Or, Denys prouve que le mal ne se trouve ni dans une nature universelle, ni dans une nature particulière. Le péché n’est donc pas une nature.

[6643] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, quod corrumpit naturam, non videtur esse natura. Sed peccatum naturam corrumpit, ut supra habitum est. Ergo peccatum non est natura.

3. Ce qui corrompt la nature ne semble pas être une nature. Or, le péché corrompt la nature, comme on l’a vu plus haut. Le péché n’est donc pas une nature.

[6644] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, a formali principio res in speciem trahitur. Cum igitur ens dicatur esse res vel natura, secundum quod ad aliquam speciem determinatum est, ut Avicenna dicit in principio suae metaphysicae, videtur quod id quod caret principio formali, res vel natura dici non possit. Sed dicitur peccatum per privationem formae; est enim privatio modi, speciei, et ordinis, ut Augustinus dicit. Ergo peccatum res vel natura dici non potest.

4. Une chose est amenée à son espèce par son principe formel. Puisqu’un être est appelé une chose ou une nature selon qu’il a été déterminé à une espèce, comme le dit Avicenne au début de sa Métaphysique, il semble donc que ce à quoi fait défaut un principe formel ne puisse être appelé une chose ou une nature. Or, on parle de péché en raison de la privation d’une forme : il est en effet une privation de proportion, d’espèce et d’ordre, comme le dit Augustin. Le péché ne peut donc pas être appelé une chose ou une nature.

[6645] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, omnis res vel natura ordinem aliquem habet in universo. Sed ex hoc aliquid dicitur peccatum quia inordinatum est. Ergo peccatum non est res vel natura.

5. Toute chose ou nature a un certain ordre à l’intérieur de l’univers. Or, on parle de péché pour quelque chose de désordonné. Le péché n’est donc pas une chose ou une nature.

[6646] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, quidquid est in aliquo decem praedicamentorum, est res vel natura. Sed peccata in aliquo genere collocantur: quia habitus peccatorum in genere qualitatis sunt, et actus peccatorum in genere actionis. Ergo peccata res vel naturae quaedam sunt.

Cependant, [1] tout ce qui existe dans un des dix prédicaments est une chose ou une nature. Or, les péchés sont placés dans un genre, car les habitus des péchés se trouvent dans le genre de la qualité, et les actes des péchés, dans le genre de l’action. Les péchés sont donc des choses ou des natures.

[6647] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, contraria in idem genus reducuntur. Sed peccatum virtuti contrariatur. Cum igitur virtus sit in genere rei et naturae, videtur quod peccatum res quaedam vel natura sit.

[2] Les contraires se ramènent au même genre. Or, le péché est le contraire de la vertu. Puisque la vertu est dans le genre d’une chose et d’une nature, il semble donc que le péché soit une chose ou une nature.

[6648] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod substantia dupliciter dicitur, ut ex 5 Metaph. patet. Uno enim modo dicitur substantia, secundum quod significat rationem primi praedicamenti: et hoc est vel forma, vel materia, vel compositum, quod per se in genere est. Alio modo dicitur substantia illud quod significat quid in omnibus rebus, sicut dicimus, quod definitio significat rei substantiam: et hoc modo quidquid positive dicitur, in quocumque genere sit, substantia est vel substantiam habet; sic enim substantia pro essentia sumitur. Primo ergo modo accipiendo substantiam, nullo modo dubium est peccata substantias non esse: quia nec etiam virtutes substantiae hoc modo sunt, cum in genere substantiae non sint neque sicut principia neque sicut principiata. Sed secundo modo accipiendo substantiam, potest esse dubium, utrum peccatum substantia sit; eo quod in actu peccati duo est considerare: scilicet ipsum actum, qui essentia quaedam est in eo quod actus est, et sic proculdubio substantia est: vel etiam ipsam privationem ordinis per quam malus est: et quia privationes essentiam non habent, ideo ex parte ista peccatum substantia non est: et quia peccatum dicitur peccatum, secundum quod privatum est debito ordine; ideo peccatum absolute loquendo dicitur substantia non esse; sed tamen inquantum actus est, substantia est. Similiter etiam nomen naturae multipliciter dicitur, ut Boetius dicit. Primo enim modo dicitur natura, secundum quod communiter ad omnia entia se habet, prout natura definitur omne id quod intellectu quoquo modo capi potest. Secundo modo prout tantum substantiis convenit: et sic natura dicitur esse quod agere vel pati potest. Tertio modo dicitur natura quod est principium motus vel quietis in eis in quibus per se est, et non secundum accidens. Quarto modo unumquodque informans specifica differentia dicitur natura. Secundo igitur et tertio modo peccata natura dici non possunt: quia in genere substantiae non sunt, ut dictum est; neque iterum principium motus sunt, sed potius motus vel actiones quaedam: et quod plus est, etiam tertio modo accipiendo naturam, nec secundum naturam dici possunt: quia peccatum in nulla re accidit, nisi secundum recessum ab eo quod naturaliter sibi inest; unde et peccatum hominis est per recessum a rectitudine rationis, quae naturaliter homini convenit. Sed primo modo et quarto quodammodo potest dici natura peccatum, et quodammodo non: quia secundum quod est actus quidam, est ens quoddam quod intellectu capi potest, et aliqua differentia ad speciem determinatur: sed inquantum rationem peccati habet ex privatione rectitudinis, neque ens est neque differentiam habet, sed per privationem debitae formae dicitur. Similiter autem et nomen rei dupliciter sumitur. Simpliciter enim dicitur res quod habet esse ratum et firmum in natura; et dicitur res hoc modo, accepto nomine rei secundum quod habet quidditatem vel essentiam quamdam; ens vero, secundum quod habet esse; ut dicit Avicenna distinguens entis et rei significationem. Sed quia res per essentiam suam cognoscibilis est, transumptum est nomen rei, ad omne id quod in cognitione vel intellectu cadere potest, secundum quod res a reor reris dicitur: et per hunc modum dicuntur res rationis quae in natura ratum esse non habent, secundum quem modum etiam negationes et privationes res dici possunt, sicut et entia rationis dicuntur, ut Commentator in 4 Metaph. dicit. Primo ergo modo sumendo nomen rei, peccatum, inquantum est actus, est res quaedam; sed inquantum peccatum est ex privatione ordinis debiti, non est res quaedam, sed privatio; privatio autem res naturae non est, sed rationis tantum. Unde secundo modo accipiendo rem quantum ad utrumque, peccatum res est, scilicet et inquantum est actus, et inquantum privationi subjicitur.

Réponse. On parle de substance de deux manières, comme cela ressort de Métaphysique, V. En effet, on parle de substance pour ce qui signifie la raison du premier prédicament : cela est soit la forme, soit la matière, soit le composé, qui se situe de soi dans le genre. D’une autre manière, on parle de substance pour ce qui signifie ce que sont toutes les choses, comme nous disons que la définition signifie la substance d’une chose ; de cette manière, tout ce qui est dit de manière positive, quel que soit le genre où cela se situe, est une substance ou possède une substance. En effet, on prend ainsi la substance pour l’essence. En prenant donc la substance de la première manière, il n’y a aucun doute que les péchés ne sont pas des substances, car même les vertus ne sont pas des substances de cette manière, puisqu’elles ne se situent pas dans le genre de la substance ni en tant que principes, ni en tant que découlant de principes. Mais, en prenant substance de la seconde manière, on peut douter que le péché soit une substance, du fait que, dans l’acte de pécher, il faut considérer deux choses : l’acte lui-même, qui est une essence du fait qu’il est acte, et ainsi il est sans aucun doute une substance ; ou la privation de l’ordre par laquelle il est mauvais. Et parce que les privations n’ont pas d’essence, de ce point de vue, le péché n’est pas une substance ; et parce que le péché est appelé pché selon qu’il est privé de l’ordre juste, à parler absolument, on dit que le péché n’est pas une substance. Cependant, en tant qu’il est un acte, il est une substance. De même encore, on parle de « nature » de plusisuers manières, comme le dit Boèce. En effet, selon une première manière, on parle de « nature » selon qu’elle se rapporte de manière générale à tous les êtres, pour autant que la nature se définit comme tout ce qui peut être saisi par l’intelligence, de quelque manière que ce soit. D’une deuxième manière, [on parle de « nature »] en tant qu’elle convient seulement aux substances ; et ainsi, on dit que la nature est un être qui peut agir ou subir. Troisièmement, on parle de « nature » pour ce qui est le principe du mouvement ou du repos là où elle existe par soi, et non pas par accident. Quatrièmement, on parle de « nature » pour tout ce qui confère une forme par une différence spécifique. Les péchés ne peuvent donc pas être appelés des « natures » selon la deuxième et la troisième manières ; ils ne peuvent pas non plus être principes de mouvement, mais sont plutôt des mouvements ou des actions ; qui plus est, même en prenant « nature » selon le troisième sens, on ne peut pas non plus dire qu’ils sont conformes à la nature, car le péché ne survient en quelque chose que selon un écart par rapport à ce qui y est présent naturellement. Ainsi, le péché de l’homme se réalise par un écart par rapport à la droiture de la raison, qui convient naturellement à l’homme. Mais on peut dire que le péché est et n’est pas, d’une certaine manière, une nature de la première et de la quatrième manière. En effet, selon qu’il est un acte, il est un être qui peut être saisi par l’intelligence et il est déterminé par rapport à une espèce par une différence ; mais, dans la mesure où la raison de péché vient de la privation de droiture, il n’est pas un être et ne possède pas de différence, mais on en parle à propos de la privation de la forme appropriée. Or, de la même manière, le nom de la chose est utilisé de deux manières. En effet, on parle simplement d’une chose pour ce qui possède décidément et fermement l’être dans une nature ; on parle de « chose » de cette manière en prenant le nom d’une chose pour ce qui possède une quiddité ou une essence; mais [on parle] d’être, selon qu’elle possède l’être, comme le dit Avicenne, en faisant une distinction entre la signification d’un être et celle d’une chose. Mais parce qu’une chose peut être connue en raison de son essence, le mot « chose » a été reporté sur tout qui peut être soumis à la connaissance ou à l’intelligence, selon que res (chose) vient de reor, reris (je juge, tu juges). On parle ainsi de réalités relevant de la raison pour ce qui n’a décidément pas d’être dans une nature : de cette manière, même les négations et les privations peuvent être appelées des choses, de même qu’elles sont appelées des êtres de raison, comme le dit le Commentateur dans Métaphysique, IV. En prenant donc de la première manière le nom de la chose, le péché, pour autant qu’il est un acte, est une chose ; mais, pour autant qu’il vient de la privation d’un ordre approprié, il n’est pas une chose, mais une privation. Or, une privation n’est pas une réalité par nature, mais selon la raison seulement. Aussi, en prenant « chose » selon les deux aspects, le péché est-il une chose en tant qu’il est un acte et en tant qu’il est soumis à une privation,.

[6649] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod illa objectio procedit de substantia secundum quod significat rem primi praedicamenti: et hoc modo sumendo substantiam, peccatum nullo modo substantia est.

1. Cette objection vient de la substance en tant qu’il signifie une chose du premier prédicament. En prenant « substance » en ce sens, le péché n’est une substance d’aucune manière.

[6650] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod esse in natura aliquid dicitur dupliciter: vel sicut pars naturae, sive aliquid aliud ad perfectionem naturae pertinens; et hoc modo malum non est in natura neque universali neque particulari. Vel potest intelligi aliquid esse in natura sicut in subjecto; et hoc modo oportet quod subjectum hujusmodi privationis, quae malum est, natura quaedam sit, ut hoc modo malum in natura esse dicatur; et ideo oportet actum illum in quo deformitas fundatur sicut in subjecto, naturam quamdam esse.

2. Exister dans une nature se dit de deux manières : soit comme une partie d’une nature, soit comme quelque chose d’autre se rapportant à la perfection de la nature. Le mal n’est pas ainsi dans une nature, ni universelle, ni particulière. Ou bien on peut entendre que quelque chose existe dans une nature comme dans son sujet : de cette manière, il est nécessaire que le sujet de cette privation qu’est le mal soit une nature, de sorte que, de cette manière, on dise que le mal existe dans une nature. C’est pourquoi il est nécessaire que l’acte qui est sous-jacent à la difformité comme à son sujet soit une nature.

[6651] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod illud quod naturam unam corrumpit, potest esse natura alterius, sicut natura ignis corrumpit naturam aquae; unde non est inconveniens ut actu quo natura hominis corrumpitur, natura alterius animalis perficiatur: aliquid enim est vituperabile in homine quod est laudabile in leone vel cane; et ideo non est inconveniens ut actus ille natura aliqua ponatur, vel etiam secundum naturam, non quidem hominis, sed alterius.

3. Ce qui corrompt une nature peut être la nature d’une autre chose, comme la nature du feu corrompt la nature de l’eau ; il n’est donc pas inapproprié que la nature d’un autre animal soit perfectionnée par un acte qui corrompt la nature de l’homme. En effet, une chose est blâmable chez l’homme, qui est louable chez le lion ou le chien. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié que cet acte soit accordé à une nature ou même soit conforme à une nature, non pas à celle de l’homme, mais celle de quelque chose d’autre.

[6652] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum ergo dicendum, quod quamvis privatione qua peccatum malum dicitur, privetur forma per quam actus in genere moris bonitatem habet, non tamen privatur forma illa per quam in genere actus remanet: et ideo secundum illam formam res dici potest, inquantum actus est res quaedam. Iterum etiam illa privatio accipitur ut forma ejus, secundum quod in considerationem rationis venit; et ideo ex parte privationis potest dici res, secundum quod res a reor reris dicitur.

4. Bien que, par la privation selon laquelle le péché est appelé un mal, il y ait privation de la forme par laquelle l’acte a une bonté dans le genre du comportement, il n’est cependant pas privé de la forme par laquelle il demeure dans le genre de l’acte. Aussi peut-il être appelé une chose selon cette forme, dans la mesure où l’acte est une chose. De plus, cette privation est prise comme sa forme, selon qu’elle relève de la considération de la raison. C’est pourquoi il peut être appelé une chose du point de vue de la privation, selon que res vient de reor, reris.

[6653] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod impossibile est aliquam rem esse quae omni ordine destituatur; unde et in ipso actu peccati, ut res quaedam est, remanet ordo aliquis et ad agentem et ad finem aliquem intentum ab agente, quod est aestimatum bonum; quamvis privetur ordo ad finem debitum: quam etiam inordinationem Deus inordinatam non relinquit, sed per poenam ordinat.

5. Il est impossible qu’il existe une chose dépourvue de tout ordre ; aussi, dans l’acte même du péché en tant qu’il est une chose, demeure-t-il un ordre par rapport à un agent et par rapport à une fin visée par l’agent, qui est un bien estimé, bien qu’il soit privé de l’ordre par rapport à une fin appropriée, désordre que Dieu même ne laisse pas exister, mais l’ordonne par la peine.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum omne ens sit a Deo

Article 2 – Tout être vient-il de Dieu ?

[6655] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non omne ens a Deo sit. Verum enim et ens convertuntur. Sed aliquem peccare est verum, quod non est a Deo. Ergo non omne quod est, a Deo est.

1. Il semble que tout être ne vienne pas de Dieu. En effet, le vrai et l’être sont convertibles. Or, il est vrai que quelqu’un pèche, ce qui ne vient pas de Dieu. Tout ce qui est ne vient donc pas de Dieu.

[6656] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, quidquid est a Deo, per verbum factum est. Sed forma hominis in idolo non est facta per verbum, ut Augustinus dicit; et tamen forma hominis in idolo ens quoddam est. Ergo non omne ens a Deo est.

2. Tout ce qui vient de Dieu a été créé par le Verbe. Or, la forme de l’homme dans une idole n’a pas été créée par le Verbe, comme le dit Augustin. Cependant, la forme de l’homme dans une idole est un être. Tout être ne vient donc pas de Dieu.

[6657] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, de quocumque vere potest dici quod est, ipsum est ens. Sed verum est dicere deformitatem peccati esse. Ergo deformitas peccati est ens. Sed deformitas peccati non est a Deo. Ergo non omne ens est a Deo.

3. Tout ce dont on peut dire que cela existe est un être. Or, il est vrai de dire que la difformité du péché existe. La difformité du péché est donc un être. Or, la difformité du péché ne vient pas de Dieu. Tout être ne vient donc pas de Dieu.

[6658] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, omne quod est a Deo, in aliquo similitudinem ejus retinet; quia, ut Dionysius dicit, causata habent causarum suarum contingentes imagines. Sed quaedam sunt quae hominem dissimilem Deo reddunt. Ergo non omne quod est a Deo est.

4. Tout ce qui vient de Dieu en garde de quelque manière la ressemblance, car, ainsi que le dit Denys, « ce qui est causé garde des images de ses causes ». Or, il existe des choses qui rendent l’homme dissemblable de Dieu. Tout ce qui existe ne vient donc pas de Dieu.

[6659] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 5. Praeterea, cujuscumque agentis operatio reducitur in aliquod aliud agens sicut in causam, illud non est agens per seipsum. Sed quaedam sunt quae per seipsa agunt, quae scilicet dominium suorum actuum habent, ut agentia a proposito. Ergo operationes eorum non reducuntur in agens aliud prius eis sicut in causam. Sed operationes illae entia quaedam sunt. Ergo non omnia entia sunt a Deo causata.

5. Pour l’opération de n’importe quel agent, qui se ramène à un autre agent comme à sa cause, cet agent n’agit pas par lui-même. Or, il existe des choses qui agissent par elles-mêmes, car elles possèdent la maîtrise de leurs actes, comme c’est le cas de ce qui agit en vue d’une fin délibérée. Les opérations de ces [agents] ne se ramènent donc pas à un autre agent antérieur à eux comme à leur cause. Or, ces opérations sont des êtres. Tous les êtres ne sont donc pas causés par Dieu.

[6660] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, Boetius dicit quod res aliae dicuntur bonae, inquantum a primo et summo bono sunt, quod Deus est. Quod ergo a Deo non est, bonum non est. Si ergo aliquod ens sit quod a Deo non est, illud omnino bonum non erit. Sed quod est omnino carens bonitate, est summum malum. Ergo erit ponere summum malum; et ita erunt duo principia prima.

Cependant, [1] Boèce dit que les autres choses sont appelées bonnes dans la mesure où elles viennent du bien premier et suprême, qui est Dieu. Ce qui ne vient pas de Dieu n’est donc pas un bien. Si donc il existe un être qui ne vient pas de Dieu, celui-là ne sera aucunement bon. Or, ce à quoi fait complètement défaut la bonté est le mal suprême. Il faudra donc affirmer un mal suprême, et ainsi il y aura deux principes premiers.

[6661] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, omne ens quod non habet causam, ipsum est primum simpliciter, et est causa tantum. Sed hoc est impossibile esse nisi unum. Ergo omne aliud ens causam habet. Sed quidquid est causatum, per operationem causae suae in esse productum est. Aut ergo illa causa est causa prima, aut causa secunda. Si est causa prima non habens aliam causam, talis causa solus Deus est: ergo hoc ens de quo loquimur, erit a Deo. Si autem est causa secunda, ergo causa prima vehementius agit in causatum ejus quam ipsamet agat in illud. Ergo omne ens a causa prima procedit, quae Deus est.

[2] Tout être qui n’a pas de cause est simplement premier et n’est que cause. Or, un tel être ne peut être qu’unique. Tout autre être a donc une cause. Or, tout ce qui est causé a été amené à l’être par l’action de sa cause. Donc, soit cette cause est la cause première, soit une cause seconde. Si elle est la cause première qui n’a pas d’autre cause, seul Dieu est une telle cause : l’être donc nous parlons viendra donc de Dieu. Mais si [cette cause] est une cause seconde, la cause première agira donc plus intensément sur ce qu’elle cause, que [la cause seconde] elle-même n’agit sur cela. Tout être vient donc de la cause première, qui est Dieu.

[6662] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod ens invenitur in pluribus secundum prius et posterius. Illud tamen verissime et primo dicitur ens cujus esse est ipsum quod est, quia esse ejus non est receptum, sed per se subsistens. In omnibus autem quae secundum prius et posterius dicuntur, primum eorum quae sunt, potest esse causa; et per se dictum, est causa ejus quod per participationem dicitur: et ideo oportet quod illud ens quod non per participationem alicujus esse quod sit aliud quam ipsum, dicitur ens (quod primum inter entia est), sit causa omnium aliorum entium. Alia autem entia dicuntur per posterius, inquantum aliquod esse participant quod non est idem quod ipsa sunt; et haec procedunt usque ad ultima entium; ita quod quamcumque rationem essendi aliquid habeat, non sit sibi nisi a Deo; sed defectus essendi sit ei a seipso.

Réponse. L’être se trouve en beaucoup de choses selon un ordre d’antériorité et de postériorité. Toutefois, on appelle être au sens le plus vrai et en tout premier lieu ce dont être est ce qu’il est, parce que son être n’est pas reçu, mais subsiste par lui-même. Mais, chez toutes les choses dont on parle selon un ordre d’antériorité et de postériorité, ce qu’elles sont en premier peut être une cause et [ce qui est] par soi est la cause de ce qui est par participation. Aussi est-il nécessaire que cet être, dont le fait d’être n’est pas autre chose que lui-même en raison d’une participation à quelque chose, et qui est le premier des êtres, soit la cause de tous les autres êtres. Mais les autres êtres sont désignés selon un ordre de postériorité, pour autant qu’ils participent à l’être, qui n’est pas la même chose que ce qu’ils sont. Ces êtres remontent jusqu’àux derniers des êtres, de telle sorte que quelle que soit la raison de l’être que quelque chose possède, elle ne lui vient que de Dieu, mais que ce qui lui manque d’être lui vient d’elle-même.

[6663] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod verum dupliciter potest considerari. Vel secundum quod fundatur in re; et hoc modo hoc quod dicitur istum peccare, non habet veritatem; immo potius per recessum a veritate peccatum incidit, si sumatur veritas quae in re est, per quam quis implet id quod a Deo ordinatum est. Vel secundum quod completur operatione animae compositionem formantis, in qua est veritas, prout significat vel intelligit rem eo modo quo est: et sic hoc quod est istum peccare, est quoddam ens rationis prout verum dicitur; et sic a Deo est: non enim nisi a Deo esse potest talis rectitudo, ut intellectus rem accipiat eo modo quo est, et eodem modo verbis eam exprimat.

1. Ce qui est vrai peut être envisagé de deux manières. Soit selon que cela s’appuie sur une réalité : de cette manière, le fait de dire qu’un tel pèche ne comporte pas de vérité, bien plus, il tombe dans le péché en s’éloignant de la vérité, si l’on entend la vérité qui se trouve dans la réalité, par laquelle quelqu’un accomplit ce qui est ordonné par Dieu. Soit selon que cela est accompli par une opération de l’âme qui forme une composition, dans laquelle se trouve la vérité, pour autant qu’elle signifie ou intellige une chose telle qu’elle est. Ainsi, le fait qu’un tel pèche est-il un être de raison, dans la mesure où cela exprime ce qui est vrai ; cela vient alors de Dieu. En effet, une telle rectitude, par laquelle l’intelligence perçoit une chose telle qu’elle est et l’exprime en paroles de la même manière, ne peut venir que de Dieu.

[6664] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod forma hominis in idolo potest dupliciter considerari: vel secundum quod est figura quaedam; et sic proculdubio a Deo est, a quo omnis forma est: vel secundum quod est ordinata ad id quod decens eam non est, vel conveniens sibi, scilicet ad hoc ut adoretur; et secundum hoc a Deo non est: quia secundum hoc nihil est, cum secundum negationem debiti usus hoc dicatur.

2. La forme de l’homme dans une idole peut être envisagée de deux manières : soit selon qu’elle est une figure, et ainsi elle vient sans aucune doute de Dieu, dont provient toute forme ; soit selon qu’elle est ordonnée à ce qui ne lui convient pas ou lui convient, c’est-à-dire à être adorée, et ainsi cela ne vient pas de Dieu, car, sous cet aspect, elle n’est rien, puisqu’on parle alors d’une négation de l’usage qui lui revient.

[6665] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod, ut supra dictum est, ens dicitur dupliciter. Uno modo quod significat essentiam rei extra animam existentis; et hoc modo non potest dici ens deformitas peccati, quae privatio quaedam est: privationes enim essentiam non habent in rerum natura. Alio modo secundum quod significat veritatem propositionis; et sic deformitas dicitur esse, non propter hoc quod in re esse habeat, sed quia intellectus componit privationem cum subjecto, sicut formam quamdam. Unde sicut ex compositione formae ad subjectum vel ad materiam, relinquitur quoddam esse substantiale vel accidentale; ita etiam intellectus compositionem privationis cum subjecto per quoddam esse significat. Sed hoc esse non est nisi esse rationis, cum in re potius sit non esse; et secundum hoc quod in ratione esse habet, constat quod a Deo est.

3. Comme on l’a dit plus haut, on parle d’être de deux manières. D’une manière, il signifie l’essence d’une chose existant en dehors de l’âme ; la difformité du péché, qui est une privation, ne peut être ainsi appelée être : en effet, les privations n’ont pas d’essence dans la nature des choses. D’une autre manière, selon qu’il signifie la vérité d’une proposition ; on parle ainsi d’être pour une difformité, non pas parce qu’elle possède en réalité l’être, mais parce que l’intelligence réalise avec le sujet une composition entre la privation, comme une forme. De même que, de la composition avec un sujet ou une matière, est laissé un être substantiel ou accidentel, de même aussi l’intelligence signifie la composition entre une privation et son sujet à la manière d’un être. Mais cet être n’est qu’un être de raison, puisqu’en réalité il est plutôt un non-être. À la manière dont il possède l’être dans la raison, il est certain qu’il vient de Dieu.

[6666] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod in creatis contingit esse similitudinem Dei secundum quamcumque perfectionem participatam; et quanto perfectio est nobilior, tanto secundum eam attenditur similitudo expressior. Contingit autem ut aliquid similitudinem Dei amittat quantum ad ulteriorem perfectionem, quod quantum ad primam perfectionem similitudinem retinet; unde in istis, secundum verba Dionysii, dicitur esse participatio divinae bonitatis secundum obscuram resonantiam; sicut patet in peccato: quia in actu peccati est aliquid similitudinem divinam retinens, puta corporalis delectatio, vel aliquid hujusmodi a summo bono exemplatum; quamvis non sit ibi similitudo summi boni quae est per gratiam; et ideo secundum hoc quod similitudinem Dei retinent, talia entia a Deo sunt; secundum vero quod a Dei similitudine recedunt, nec entia sunt, nec a Deo sunt, cum omne ens, inquantum est ens, primo enti similetur.

4. Dans les créatures, il arrive qu’il existe une ressemblance avec Dieu selon quelque perfection participée, et plus une perfection est noble, plus on observe qu’une telle ressemblance est explicite. Or, il arrive que quelque chose perde la ressemblance avec Dieu pour ce qui est une perfection ultérieure, alors qu’il garde la ressemblance pour ce qui est de la perfection première. Selon ce que dit Denys, on dit donc qu’il existe une participation à la bonté divine selon un écho obscur, comme cela ressort pour le péché, car, dans l’acte de pécher, il existe quelque chose qui conserve la ressemblance divine, par exemple, le plaisir corporel ou quelque chose de ce genre, qui se modèle sur le bien suprême, bien qu’il n’y ait pas la ressemblance avec le bien suprême qui se réalise par la grâce. C’est pourquoi sous l’aspect où ils conservent une ressemblance avec Dieu, de tels êtres viennent de Dieu ; mais, sous l’aspect où ils s’éloignent de la ressemblance avec Dieu, ils ne sont pas des êtres, puisque tout être, en tant qu’il est être, ressemblance à l’être premier.

[6667] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod operatio illius agentis qui per se agit, oportet ut in primum agens sicut in causam reducatur: quamvis enim hujusmodi entia per se agant, quia per propriam naturam et proprium judicium actus suos determinant, non tamen a se habent quod agant, sed a primo agente, quod eis et esse et posse et agere confert.

5. L’opération de l’agent qui agit par soi doit nécessairement se ramener au premier agent comme à sa cause. En effet, bien que ces êtres agissent par eux-mêmes, parce qu’ils déterminent leurs actes par leur propre nature et leur propre jugement, ils ne tiennent cependant pas d’eux-mêmes d’agir, mais du premier agent, qui leur donne l’être, la puissance et l’action.

 

 

QUAESTIO 2

Question 2 – [La cause du péché]

PROOEMIUM

Prologue

[6668] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 pr.Deinde quaeritur de causa peccati; et circa hoc duo quaeruntur: 1 utrum ipsius peccati Deus causa sit, absolute loquendo; 2 utrum sit causa actionis in qua deformitas culpae consistit, secundum quod actio est.

On s’interroge ensuite sur la cause du péché. À ce sujet, deux questions sont posées : 1. Dieu est-il cause du péché à parler absolument ? 2. Est-il la cause de l’action dans laquelle se trouve la difformité de la faute, selon qu’elle est une action ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum Deus sit simpliciter causa peccati

Article 1 – Dieu est-il simplement la cause du péché ?

[6670] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod simpliciter peccati Deus causa sit. Quia, ut in Glossa ad Rom. 9, dicitur, Deus operatur in cordibus hominum, et inclinat voluntates eorum in quodcumque voluerit, sive in bonum, sive in malum. Sed ex hoc dicitur auctor bonorum operum, quia voluntatem hominis in bonum inclinat. Ergo et eadem ratione potest dici auctor peccatorum, quae sunt mala opera.

1. Il semble que Dieu soit simplement la cause du péché, car, ainsi que le dit la Glose sur Rm 9 : « Dieu agit dans le cœur des hommes et incline leur volonté vers tout ce qu’il veut, que ce soit le bien ou le mal ». Or, il est appelé l’auteur des actions bonnes parce qu’il incline la volonté de l’homme au bien. Pour la même raison, on peut donc l’appeler l’auteur des péchés, qui sont des actions mauvaises.

[6671] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 2Praeterea, quidquid est causa causae, est causa causati. Sed peccati causa est voluntas peccantis. Cum igitur voluntatis causa sit Deus, videtur quod et peccati.

2. Tout ce qui est cause d’une cause est cause de ce qui est causé. Or, la cause du péché est la volonté de celui qui pèche. Puisque la cause de la volonté est Dieu, il semble donc qu’il soit aussi cause du péché.

[6672] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 3Praeterea, in eamdem causam reducitur salus et periculum alicujus: idem enim nauta est causa salutis et periclitationis navis, ut in 2 Phys., dicitur. Sed Deus est causa salutis humanae, quae est per bona opera. Ergo cum periclitatio animae sit per peccatum, videtur quod etiam Deus sit peccati causa.

3. Le salut et le danger pour quelqu’un se ramènent à une même cause. En effet, le même pilote est cause de salut et de perdition du navire, comme il est dans Physique, II. Or, Dieu est la cause du salut de l’homme, qui se réalise par les actions bonnes. Puisque la perdition de l’âme vient du péché, il semble donc que Dieu soit aussi la cause du péché.

[6673] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 4Praeterea, quaecumque operatio convenit rei secundum hoc quod sibi a Deo datum est, a Deo est. Sed operationes quae sunt peccata, conveniunt homini secundum inclinationem virium sensibilium, quae homini a Deo sunt datae. Ergo et peccatum hominis in Deum sicut in causam reducitur.

4. Toute opération qui convient à une chose selon qu’elle vient de Dieu vient de Dieu. Or, les opérations qui sont des péchés conviennent à l’homme selon l’inclination des puissances sensibles, qui ont été données par Dieu. Le péché de l’homme se ramène donc à Dieu comme à sa cause.

[6674] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 5Praeterea, peccatum est tenebra spiritualis. Sed tenebrarum Deus auctor est: Isa. 45, 7: formans lucem, et creans tenebras. Ergo peccati Deus causa est.

5. Le péché est une ténèbre spirituelle. Or, Dieu est l’auteur des ténèbres, Is 45, 7 : Lui qui forme la lumière et crée les ténèbres. Dieu est donc cause du péché.

[6675] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 1 s. c. 1Sed contra, Fulgentius dicit. Illius rei Deus est ultor, cujus non est auctor. Sed peccati est ultor. Ergo ejus non est auctor.

Cependant, [1] Fulgence dit : « Dieu punit pour ce dont il n’est pas l’auteur. » Or, il punit le péché. Il n’en est donc pas l’auteur.

[6676] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 1 s. c. 2Praeterea, quidquid fit Deo volente, fit Deo auctore, et e converso. Sed mala non fiunt Deo volente. Ergo nec eo auctore.

[2] Tout ce qui est accompli selon la volonté de Dieu est accompli par que Dieu qui en est l’auteur, et inversement. Or, les maux ne sont pas réalisés selon la volonté de Dieu. Ils n’ont donc pas Dieu comme auteur.

[6677] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod peccati auctor Deus nullo modo dicendus est. Qui enim agit propter finem, non deficit a fine nisi propter defectum alicujus, vel sui ipsius, vel alterius; et ille in quo invenitur defectus, erit causa obliquationis a fine, sive sit ipsum principale agens, vel materia, vel instrumentum agentis, vel quidquid aliud: et ideo illud in quo nullo modo defectus cadere potest, non potest esse causa recessus a fine in his quae ad finem ordinata sunt. Cum igitur peccatum dicatur propter inordinationem a fine ad quem natura rationalis ordinata est, non potest esse causa peccati Deus, in quo nullus defectus cadere potest; sed oportet quod peccatum causetur defectu illius agentis quod est possibile ad defectum, sicut est voluntas rationalis creaturae.

Réponse. Dieu ne doit être aucunement appelé l’auteur du péché. En effet, celui qui agit en vue d’une fin ne manque la fin qu’en raison d’une carence de lui-même ou d’un autre ; et celui en qui se trouve la carence sera la cause de ce qu’on s’écarte de la fin, que ce soit lui-même comme agent principal, la matière, ou l’instrument de l’agent ou quelque chose d’autre. C’est pourquoi ce en quoi ne peut se trouver aucune carence ne peut être la cause de l’éloignement de la fin pour ce qui a été ordonné à la fin. Puisqu’on parle du péché comme d’un désordre par rapport à la fin à laquelle la nature raisonnable a été ordonnée, Dieu ne peut pas être la cause du péché, lui en qui aucune carence ne peut se trouver ; mais il faut que le péché soit causé par la carence de l’agent chez qui il existe une possibilité de carence, comme c’est le cas de la volonté de la créature raisonnable.

[6678] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod Deus non eodem modo inclinat voluntatem in bonum et in malum. Inclinat siquidem voluntatem in bonum administrando virtutem agendi, et directe movendo ad bonum; sed ad malum dicitur inclinare, inquantum gratiam non praebet, per quam quis a malo retraheretur; et non quod directe voluntatem in malum ordinet.

1. Dieu n’incline pas la volonté au bien et au mal de la même manière. Il incline la volonté au bien en fournissant la puissance d’agir et en mouvant directement au bien ; mais on dit qu’il incline au mal pour autant qu’il ne donne pas sa grâce, par laquelle quelqu’un est retenu de pécher, et non pas en ordonnant directement la volonté au mal.

[6679] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod peccatum refertur in voluntatem sicut in causam: et quamvis voluntas sit creata a Deo inquantum est quoddam ens, non tamen quantum ad hoc quod defectus ex ipsa incidere potest: est enim possibilis ad defectum ex hoc quod ex nihilo est. Quamvis autem Deus sit causa voluntatis faciens eam ex nihilo; hoc tamen quod est ex nihilo esse, non habet ab alio, sed a se: unde secundum hoc non habet causam aliam; et ideo defectus qui sequitur ex ea secundum quod ex nihilo est, non oportet quod in ulteriorem causam reducatur.

2. Le péché se rapporte à la volonté comme à sa cause ; et bien que la volonté soit créée par Dieu en tant qu’elle est un être, elle ne l’est cependant pas sous l’aspect où une carence peut provenir d’elle : elle peut en effet défaillir du fait qu’elle vient du néant. Bien que Dieu soit la cause de la volonté en la créant à partir du néant, elle ne tient cependant pas de quelque chose d’autre de venir du néant, mais d’elle-même. Sous cet aspect, elle n’a donc pas d’autre cause. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la défaillance qui découle d’elle en tant qu’elle vient du néant se ramène à une autre cause.

[6680] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod nauta est causa periculi navis per suam absentiam; Deus autem quantum in se est, nulli absens est, sed peccator absentat se a Deo: et ideo ipse sui peccati causa est in quo periclitatur, et non Deus.

3. Le pilote est cause du danger du navire en raison de son absence. Dieu en lui-même n’est absent à aucun être, mais le pécheur s’absente de Dieu. Aussi est-il lui-même la cause de son péché dans lequel il tombe, et non Dieu.

[6681] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod concupiscibilis et irascibilis a Deo homini datae sunt, ita ut rationi subdantur. Unde si quis eis utatur secundum illum ordinem prout a Deo datae sunt, talis operationis Deus auctor erit; sed hoc peccatum esse non poterit. Si quis autem eis utatur praeter rationis ordinem, talis abusionis Deus auctor non erit, quia in hac peccatum est.

4. Le concupiscible et l’irascible ont été donnés à l’homme par Dieu pour qu’ils soient soumis à la raison. Si quelqu’un en use de manière ordonnée, selon qu’ils ont été donnés par Dieu, Dieu sera l’auteur d’une telle opération, mais cela ne pourra pas être un péché. Mais si quelqu’un en use en dehors de l’ordre de la raison, Dieu ne sera pas l’auteur de ce mauvais usage, car le péché se trouve en celui-ci.

[6682] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod peccatum dicitur spiritualis tenebra effective, quia scilicet mentem obtenebrat, eam lumine gratiae privans. Nomen autem tenebrae poenam potius designat: unde etiam tenebrae Deus auctor est, sicut et aliarum poenarum, ut infra ostendetur.

5. On appelle le péché une ténèbre spirituelle par mode d’efficience, par qu’il enténèbre l’esprit en le privant de la lumière de la grâce. Mais le mot « ténèbre » désigne plutôt une peine. Dieu est donc aussi l’auteur de la ténèbre comme il l’est des autres peines, comme on le montrera plus loin.

ARTICULUS 2 Utrum actio peccati, inquantum actio, sit a Deo

Article 2 – L’action de pécher, en tant qu’elle est action, vient-elle de Dieu ?

[6684] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod actio peccati, inquantum est actio, a Deo non sit. Omne enim quod est a Deo, bonum est, et omne bonum alicui bonum est. Quaedam autem peccata sunt quorum actus nulli boni sunt: quia et facienti nocent, et ei in quem fiunt. Ergo tales actus nullo modo a Deo sunt.

1. Il semble que l’action de pécher, en tant qu’elle est action, ne vienne pas de Dieu. En effet, tout ce qui vient de Dieu est bon, et tout bien est bon est bon pour quelqu’un. Or, il existe certains péchés dont les actes ne sont bons pour personne, car ils nuisent à celui qui les commet et à celui envers qui ils sont accomplis. De tels actes ne viennent donc pas aucunement de Dieu.

[6685] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 2Praeterea, quidquid est causa actionis in qua deformitas fundatur, secundum quam actio mala dicitur, est movens et cooperans ad malum: nihil enim operatur ad malum, nisi secundum quod talem actionem producit. Sed Deus nullo modo ad malum cooperari debet dici. Ergo illius actionis in qua malum consistit inseparabiliter, causa dicendus non est.

2. Tout ce qui est cause de l’action sur laquelle se fonde une difformité, selon laquelle on dit qu’une action est mauvaise, meut et coopère au mal. En effet, rien n’agit pour le mal que dans la mesure où il produit une telle action. Or, on ne doit pas dire que Dieu coopère de quelque façon au mal. On ne doit donc pas dire qu’il est la cause de l’action où réside le mal de manière inséparable.

[6686] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 3Praeterea, bonarum actionum Deus non est auctor nisi secundum quod Deus potentiae agendi efficaciam confert: quia determinatio operis ex libero arbitrio est, ut supra habitum est. Si igitur Deus ipsarum actionum malarum, inquantum actiones sunt a potentia egredientes, causa esset; eodem modo dicendus esset auctor malarum actionum, sicut est auctor bonarum.

3. Dieu n’est cause des actions bonnes que dans la mesure où Dieu donne la puissance d’agir, car la détermination de l’action vient du libre arbitre, comme on l’a vu plus haut. Si donc Dieu était la cause des actions mauvaises elles-mêmes, pour autant que les actions sont issues d’une puissance, il faudrait dire de la même manière qu’il est l’auteur des actions mauvaises, comme il l’est des bonnes.

[6687] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 4Praeterea, quod convenit alicui secundum genus et differentiam suam constitutivam, convenit sibi per suam essentiam: quia essentia rei his significatur. Sed quidam actus sunt qui ex genere suo mali sunt, ut supra habitum est, et quidam qui ex differentia, per quam in speciem contrahuntur. Ergo per essentiam suam mali sunt; et ita nec etiam inquantum sunt, a Deo sunt.

4. Ce qui convient à quelqu’un selon le genre et sa différence constitutive lui convient par essence, car l’essence d’une chose est signifiée par cela. Or, il existe certains actes qui sont mauvais par leur genre, comme on l’a vu plus haut, et certains qui le sont par leur différences, par laquelle ils obtiennent leur espèce. Ils sont donc mauvais par leur essence, et ainsi ils ne viennent pas de Dieu, même en tant qu’ils existent.

[6688] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 5Praeterea, rei non assignatur causa efficiens secundum quod est in intellectu, sed secundum quod est in re. Sed quidam actus sunt in quibus non potest separari illud quod est de natura actus a deformitate nisi secundum intellectum: qui bene fieri non possunt. Ergo non causantur nisi secundum quod stant sub illa deformitate. Sed ut sunt sub deformitate, non sunt a Deo. Ergo nullo modo a Deo sunt.

5. On n’assigne pas la cause efficiente d’une chose selon qu’elle existe dans l’intelligence, mais selon qu’elle existe dans la réalité. Or, il existe certains actes où l’on ne peut séparer que par l’intelligence ce qui est de la nature de l’acte de ce qui est la difformité, et qui ne peuvent devenir bons. Ils ne sont donc causés que dans la mesure où ils existent selon cette difformité. Or, en tant qu’ils existent selon cette difformité, ils ne viennent pas de Dieu. Ils ne viennent donc aucunement de Dieu.

[6689] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 2 s. c. 1Sed contra, omne bonum a Deo est. Sed quaedam peccata sunt quae habent malitiam ex aliqua circumstantia superveniente, et tamen actus sunt boni ex genere, ut dare eleemosynam propter inanem gloriam. Ergo horum, inquantum sunt actus quidam, Deus causa est.

Cependant, [1] tout bien vient de Dieu. Or, il existe certains péchés dont la malice provient d’une circonstance qui s’y ajoute, et les actes sont cependant bons selon leur genre, comme faire l’aumône par vaine gloire. Dieu en est donc la cause en tant qu’ils sont des actes.

[6690] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 2 s. c. 2Praeterea, quidquid non est causa operationis per quam aliqua substantia in esse producitur, non est causa illius substantiae. Sed per aliquam actionem peccati, substantiae quaedam in esse producuntur, sicut per adulteria et fornicationes homines generantur. Si ergo harum actionum Deus causa non est inquantum actiones sunt, tunc nec hominum qui per has actiones generantur, est causa; quod est absurdum.

[2] Tout ce qui n’est pas la cause de l’opération par laquelle une subsstance est amenée à l’existence n’est pas cause de cette substance. Or, par une certaine action de péché, certaines substances sont amenées à l’existence ; ainsi des hommes sont engendrés par des adultères et des fornications. Si donc Dieu n’est pas cause de ces actions en tant qu’elles sont des actions, il n’est donc pas non plus cause des hommes qui sont engendrés par ces actions, ce qui est absurde.

[6691] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod circa hanc quaestionem tanguntur a Magistro duae opiniones. Una quarum dicebat, omnes actus inquantum actus sunt, ex Deo esse; sed quod inquantum deformitatem habent: a Deo non sunt, sed ab homine vel Diabolo: et horum rationes supra, 31 dist., prosecutus est. Alia opinio dicebat, actus peccatorum nullo modo, nec etiam inquantum actus sunt, a Deo esse: et haec opinio tangitur in praesenti dist., quam ad praesens nulli vel pauci tenent, quia propinquissima est errori duplici. Primo, quia ex ea videtur sequi quod sint plura prima principia: hoc enim est de ratione primi principii ut agere possit sine auxilio prioris agentis et influentia ejus; unde si voluntas humana actionem aliquam posset producere cujus auctor Deus non esset, voluntas humana rationem primi principii haberet: quamvis solvere hoc nitantur, dicentes, quod voluntas etsi per se possit actionem producere sine influentia prioris agentis, non tamen habet a se esse, sed ab alio, quod etiam exigeretur ad rationem primi principii. Sed hoc videtur inconveniens, ut quod a se esse non habet, a se agere possit; cum etiam per se durare non possit quod a se non est. Omnis etiam virtus ab essentia procedit, et operatio a virtute; unde cujus essentia ab alio est, oportet quod virtus et operatio ab alio sit. Et praeterea, quamvis per hanc responsionem evitaretur quod non esset primum simpliciter, non tamen posset vitari quin esset primum agens, si ejus actio in aliquid prius agens non reduceretur sicut in causam. Secundo, quia cum actio etiam peccati sit ens quoddam, non solum secundum quod privationes et negationes entia dicuntur, sed etiam secundum quod res in genere existentes entia sunt, eo quod et ipsae actiones in genere ordinantur, sequeretur, si actiones peccati a Deo non sunt, quod aliquod ens essentiam habens a Deo non esset; et ita Deus non esset universalis causa omnium entium, quod est contra perfectionem primi entis. Primum enim in quolibet genere est causa eorum quae sunt post, ut in 2 Metaphys. dicitur. Et ideo cum prima opinione dicendum est, quod actus, inquantum actus, a Deo est, et ut sic, non habet aliquid quod deformitatem habeat: quod qualiter sit, ita considerari potest. In omnibus enim in quibus incidit defectus ex causa secunda et non ex causa prima, oportet quod quidquid est in effectu deficiente essentiae et bonitatis, totum a prima procedat. Quod autem defectus reducatur in causam secundam deficientem, patet in claudicatione, quae est a virtute gressiva, mediante tibia, per cujus scilicet tibiae curvitatem obliquitas in gressu claudicantis relinquitur; unde quidquid est ibi de gressu, totum est a virtute gressiva; sed defectus vel obliquitas gressus non est a virtute gressiva, sed a tibia tantum. Similiter etiam est ordo Dei ad voluntatem creatam sicut causae primae ad causam secundam. Ideo ex parte Dei nullus defectus incidere potest; voluntas autem creata ad defectum possibilis est; et ideo quidquid est in actu deficiente, scilicet peccato, de ratione actus et entis et boni, totum hoc a primo agente, scilicet Deo, procedit mediante voluntate; sed ipse defectus qui est in actu, hoc modo est a voluntate quod a Deo non procedit; et ideo quodcumque nomen deformitatem simul cum actu significat, sive in generali sive in speciali, non potest dici quod hoc a Deo sit simpliciter; unde non potest dici absolute quod peccatum sit a Deo, ut homicidium, aut aliquid hujusmodi, nisi cum hac additione, inquantum est actus et inquantum est ens.

Réponse. Sur cette question, deux opinions sont abordées par le Maître. L’une d’elles disait que tous les actes, en tant qu’ils sont des actes, viennent de Dieu ; mais que, dans la mesure où ils comportent une difformité, ils ne viennent pas de Dieu, mais de l’homme ou du Diable. Leurs arguments ont été exposés plus haut, d. 31. L’autre opinion disait que les actes des péchés ne viennent aucunement de Dieu, pas même en tant qu’ils sont des actes ; cette opinion est abordée dans la présente distinction, que personne ou un petit nombre soutient maintenant, car elle se rapproche le plus d’une double erreur.

 Premièrement, parce qu’il semble en découler qu’il existe plusieurs principes premiers. En effet, il est de la raison du principe premier qu’il puisse agir sans l’aide d’un agent antérieur et sans son influence. Si la volonté humaine pouvait donc produire une action dont l’auteur ne serait pas Dieu, la volonté humaine aurait raison de principe premier – bien qu’ils essaient de résoudre cela en disant que la volonté, même si elle peut produire par elle-même une action sans l’influence d’un agent antérieur, ne tient cependant pas l’être d’elle-même, mais d’un autre, ce qui serait aussi requis pour la raison de principe premier. Mais cela semble inapproprié que ce qui ne tient pas l’être de soi-même puisse agir par soi-même, puisque ce qui n’existe pas par soi-même ne peut pas durer par soi-même. De plus, toute puissance vientt de l’essence, et l’opération, de la puissance. Il est donc nécessaire que la puissance et l’opération ce dont l’essence vient d’un autre viennent d’un autre. De plus, bien que, par cette réponse, on éviterait qu’il n’y ait pas quelque chose de premier simplement, on ne pourrait cependant éviter qu’il y ait un premier agent, si son action ne se ramenait pas comme à sa cause à un premier agent.

 Deuxièmement, parce que l’action du péché étant un être, il en découlerait, non seulement pour les privations et les négations dont on dit qu’elles sont des êtres, mais pour les choses qui existent comme des êtres dans un genre, du fait que les actions mêmes sont ordonnées dans un genre, qu’un être possédant une essence ne viendrait pas de Dieu ; et ainsi, Dieu ne serait pas la cause universelle de toous les êtres, ce qui est contraire à la perfection du premier être. En effet, ce qui est premier dans n’importe quel genre est cause de ce qui vient après, comme on le dit dans Métaphysique, II. C’est pourquoi il faut dire, avec la première opinion, qu’un acte, en tant qu’il est un acte, vient de Dieu et, en tant que tel, ne possède aucune difformité. Comment cela peut être, on peut le considérer aiinsi. En effet, partout où survient une carence due à une cause seconde, et non à la cause première, il est nécessaire que tout ce qui se trouve d’essence et de bonté dans l’effet déficient vienne en totalité de la cause première. Mais que la déficience se ramène à la cause seconde déficiente, cela ressort clairement dans la claudication, qui vient de la puissance de marcher par l’intermédiaire du tibia ; la déviation dans la démarche boiteuse est provoquée par la courbure du tibia. Tout ce qui a là de démarche vient en totalité de la puissance de marcher ; mais la déficience ou la déviation de la démarche ne vient pas de la puissance de marcher, mais seulement du tibia. Le rapport entre l’ordre de Dieu et la volonté créée est de même semblable à celui de la cause première par rapport à une cause seconde. Ainsi, du côté de Dieu, aucune déficience ne peut survenir ; mais la volonté créée peut être défaillante. C’est pourquoi tout ce qui existe d’acte, d’être et de bien dans un acte déficient, le péché, vient du premier agent, Dieu, par l’intermédiaire de la voltoné ; mais la défaillance elle-même qui existe dans l’acte vient de la volonté sans venir de Dieu. Aussi on ne peut pas dire de tout mot qui signifie la difformité en même temps que l’acte, que ce soit en général ou en particulier, qu’il exprime quelque chose qui vient simplement de Dieu. On ne peut donc pas dire de manière absolue que le péché vient de Dieu, tel l’homicide ou quelque chose de ce genre, qu’en ajoutant que c’est en tant qu’acte et en tant qu’être.

[6692] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur actus peccati nulli bonus esse, hoc convenit sibi secundum quod sub deformitate consideratur; et hoc modo non reducitur in Deum sicut in causam. Nullus tamen actus est qui secundum se consideratus, secundum hoc quod bonus est, alicui etiam bonus non sit: sicut actus fornicationis, inquantum est delectabilis, est bonum concupiscibile.

1. Lorsqu’on dit que l’acte du péché n’est bon pour personne, cela lui convient selon qu’on l’envisage du point de vue de sa difformité ; de cette manière, il ne se ramène pas à Dieu comme à sa cause. Cependant, il n’existe aucun acte qui, envisagé en lui-même selon ce par quoi il est bon, ne soit bon pour quelqu’un ; ainsi, l’acte de fornication, en tant qu’il est délectable, est un bien poour le concupiscible.

[6693] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod illud dicitur ad malum cooperari quod inclinat ad actionem, secundum quod actio deformitati substat; unde mala est. Hoc autem Deo non convenit; et ideo non oportet ut ad malum cooperari dicatur, quamvis actionis illius causa sit in qua malum consistit, secundum quod influit agenti esse, posse, et agere, et quidquid perfectionis in agente est.

2. On dit que ce qui incline à l’action coopère au mal pour autant que l’action est soumise à une difformité, ce par quoi elle est mauvaise. Or, cela ne convient pas à Dieu. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire de dire qu’il coopère au mal, bien qu’il soit la cause de l’action dans laquelle réside le mal, dans la mesure où donne à l’agent être, puissance et agir, et tout ce qui ce existe de perfection dans l’agent.

[6694] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod Deus dicitur causa bonarum operationum non solum quantum ad essentiam actus, sed etiam quantum ad perfectionem secundum quam bonae dicuntur: utrumque enim agenti influit, et ut agat, et ut bene agat. Sed in malis actionibus quamvis sit causa earum quantum ad essentiam, non tamen est causa quantum ad defectum; et ideo absolute dicendus est causa bonorum operum, non autem peccatorum.

3. On dit de Dieu qu’il est cause des actions bonnes, non seulement pour ce qui est de l’essence de l’acte, mais aussi pour ce qui est de la perfection selon laquelle elles sont appelées bonnes. En effet, il accomplit les deux choses dans un agent : le fait qu’il agisse, et le fait qu’il agisse bien. Mais bien qu’il soit cause des mauvaises actions pour ce qui est de leur essence, il n’en est cependant pas cause pour ce qui est de leur carence. C’est pourquoi on dit de manière absolue qu’il est cause des actions bonnes, mais non des péchés.

[6695] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod sicut supra dictum est, 34 dist., ipsa privatio qua aliquid malum dicitur non potest esse differentia neque genus; sed unusquisque actus specificatur et in genere ponitur per aliquid positive dictum. Sed positionem utramque (per quam scilicet ponitur actus in genere vel in specie) potest consequi privatio aliqua; et ideo quidam actus dicuntur mali ex genere, vel ex eo quod in speciem trahit.

4. Comme on l’a dit plus haut à la d. 34, la privation même, par laquelle quelque chose est appelé mauvais, ne peut être ni une différence ni un genre ; mais chaque acte reçoit son espèce et est situé dans un genre selon quelque chose qui est positivement exprimé. Mais une privation peut affecter les deux choses : ce par quoi [un acte] est placé dans un genre ou ce par quoi il l’est dans une espèce. C’est pourquoi certains actes sont appelés mauvais par leur genre ou du fait de ce qui entraîne une espèce.

[6696] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 2 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod sicut actio quae peccati deformitatem habet, dicitur bona, inquantum, est actio, bonitate naturae, non propter hoc quod aliquando inveniatur separata a deformitate, sed quia bonitas illa naturae, deformitati substat; ita etiam Deus dicitur esse causa illius actionis inquantum est actio, et non inquantum est deformis; non hoc modo quod actionem faciat a deformitate separata, sed quia in actione deformitati conjuncta hoc quod est actionis, facit, et quod deformitatis, non facit: etsi enim in aliquo effectu plura inseparabiliter conjuncta sint, non oportet ut quidquid est causa ejus quantum ad unum, sit causa ejus quantum ad alterum: sicut natura est causa oculi quantum ad substantiam ejus, et non quantum ad defectum caecitatis, quae ex naturae defectu incidit.

5. De même que l’action qui est déformée par le péché est appelée bonne, pour autant qu’elle est une action, en vertu de sa bonté naturelle, non pas parce qu’elle est parfois séparée de sa difformité, mais parce que cette bonté naturelle est sous-jacente à la difformité, de même aussi dit-on de Dieu qu’il est cause de cette action en tant qu’elle est une aaction, et non en tant qu’elle est difforme, non pas parce qu’il rend une action séparée de la difformité, mais parce qu’il réalise dans l’action associée à la difformité ce qui relève de l’action, et qu’il ne réalise pas ce qui relève de la difformité. En effet, même si plusieurs choses sont inséparablement unies dans un effet, il n’est pas nécessaire que ce qui est sa cause quant à une chose soit sa cause quant à une autre ; ainsi, la nature est cause de l’œil quant à sa substance, et non quant à la carence de la cétié, qui provient d’une déficience de la nature.

 

 

QUAESTIO 3

Question 3 – [La cause de la peine]

PROOEMIUM

Prologue

[6697] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 pr.Deinde quaeritur de causa poenae; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum Deus sit causa poenae; 2 de quo per prius dicatur malum, scilicet de culpa, vel de poena.

Ensuite, on s’interroge sur la cause de la peine. À ce sujet, deux questions sont posée : 1. Dieu est-il cause de la peine ? 2. Qu’appelle-t-on d’abord mal : la faute ou la peine ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum poena sit a Deo

Article 1 – La peine vient-elle de Dieu ?

[6699] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod poena a Deo non sit. Omne enim malum contrariatur alicui bono. Sed poena est quoddam malum, cum noceat. Ergo alicui bono contrariatur. Sed quod contrariatur bono, non potest esse a summo bono: quia sic summum bonum non posset esse auctor pacis, sed pugnae et dissensionis, si ab eo contraria procederent. Ergo poena non est a Deo.

1. Il semble que la peine ne vienne pas de Dieu. En effet, tout mal est le contraire d’un bien. Or, la peine est un mal, puisqu’elle est nuisible. Elle est donc le contraire d’un bien. Or, ce qui est contraire à un bien ne peut venir du bien suprême, car le bien suprême ne pourrait pas ainsi être l’auteur de la paix, mais du conflit et de la dissension, si les contraires venaient de lui. La peine ne vient donc pas de Dieu.

[6700] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 2Praeterea, omne quod est praeter intentionem agentis, incidit ex aliquo defectu. Sed omne malum est praeter intentionem agentis, ut Dionysius dicit: quia nihil ad malum respiciens operatur. Ergo omne malum ex defectu aliquo incidit. Sed quidquid incidit ex defectu, non reducitur in Deum sicut in causam, ut supra ostensum est. Ergo non est a Deo.

2. Tout ce qui est en dehors de l’intention de l’agent vient d’une déficience. Or, tout mal est en dehors de l’intention de l’agent, comme le dit Denys, car rien n’agit en vue du mal. Tout mal vient donc d’une déficience. Or, tout ce qui provient d’une déficience ne se ramène pas à Dieu comme à sa cause, comme on l’a montré plus haut. Cela ne provient donc pas de Dieu.

[6701] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 3Praeterea, quidquid non est causa actionis, non est causa illius quod per actionem causatur, ut dictum est. Sed multae poenae sunt quae aliquibus per aliorum peccata infliguntur: multi enim afflictionibus puniuntur per eos qui injuste opprimunt. Cum igitur culpae Deus non sit causa, videtur quod nec omnis poenae.

3. Tout ce qui n’est pas cause d’une action n’est pas cause de ce qui est causé par l’action, comme on l’a dit. Or, il existe de nombreuses peines qui sont infligées à d’autres par des péchés des autres : en effet, nombreux sont ceux qui sont affligés par des peines causées par ceux qui les oppriment injustement. Puisque Dieu n’est pas cause de la faute, il semble donc qu’il ne soit pas non plus d’aucune peine.

[6702] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 4Praeterea, quidquid est a Deo, in bonum tendit. Sed quaedam poenae sunt quae ad malum inclinant, ut fomes, et hujusmodi. Ergo non omnis poena a Deo est.

4. Tout ce qui vient de Dieu tend vers le bien. Or, il existe certaines peines qui inclinent vers le mal, comme le désisr désordonné et celles de ce genre. Toute peine ne vient donc pas de Dieu.

[6703] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 5Praeterea, cujus generatio bona est, corruptio ejus mala est. Sed generatio gratiae bona est, quia a Deo est. Ergo et corruptio gratiae mala est. Sed corruptio gratiae est quaedam poena. Ergo non omnis poena est a Deo, cum Deus tantummodo bonorum sit causa.

5. Ce dont la génération est bonne est l’objet d’une corruption mauvaise. Or, la génération de la grâce est bonne, car elle vient de Dieu. La corruption de la grâce est donc mauvaise. Or, la corruption de la grâce est une peine. Toute peine ne vient donc pas de Dieu, puisque Dieu n’estd cause que de biens.

[6704] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 1 s. c. 1Sed contra, omne quod justum est, bonum est; et omne quod bonum est, a Deo est. Sed omnis poena justa est, ut Augustinus probavit in praecedenti distinctione. Ergo omnis poena a Deo est.

Cependant, [1] tout ce qui est juste est bon, et tout ce qui est bon vient de Dieu. Or, toute peine est juste, comme Augustin l’a démontré dans une distinction précédente. Toute peine vient donc de Dieu.

[6705] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 1 s. c. 2Praeterea, ad eumdem pertinet remuneratio et condemnatio, scilicet ad eum qui judicium de actibus habet bonis vel malis. Sed praemia reddere bonis operibus, Dei est. Ergo et poenas etiam infligere ipsius est. Ergo omnis poena a Deo est.

[2] La récompense et la condamnation relèvent du même, à savoir de celui qui a pouvoir de juger les actions bonnes ou mauvaises. Or, récompenser pour des actions bonnes relève de Dieu. L’infliction de peines relève donc aussi de lui. Toute peine vient donc de Dieu.

[6706] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod poena duo habet in se; scilicet rationem mali, secundum quod est alicujus boni privatio; et rationem boni, secundum quod justa est et ordinata est. Quidam igitur antiqui considerantes poenam tantum ex parte illa in qua defectus est et malum, dixerunt, poenas a Deo non esse: in quem errorem etiam Tullius incidisse videtur, ut patet in Lib. de officiis. Hujusmodi enim homines providentiam Dei negaverunt de humanis actibus; unde ordinem qui est poenae respectu culpae, non dicebant per providentiam divinam esse, sed per justitiam hominis poenam infligentis; defectum autem qui est in poena, non a Deo ordinatum esse, sed ex necessitate causarum secundarum incidere: ponebant enim Deum res in esse produxisse sicut producit agens ex necessitate naturae, ut scilicet ex uno primo, in quo nullus defectus est, unum primum procederet ab ejus perfectione distans; et secundum quod longior sit distantia ab uno primo per ordinem causae et causati, magis dicebant defectum incidere. Haec autem positio erronea est, sicut in 1 Lib., dist. 39, patuit, ubi dictum est, providentiam divinam ad omnia se extendere. Et ideo dicendum est, poenas a Deo esse, nullo autem modo culpam a Deo esse; quamvis utrumque malum dicatur. Cujus ratio est, quia unicuique rei assignatur causa agens secundum quod ab agente res illa progreditur. Culpa autem rationem mali et defectus habet, secundum quod ab agente suo progreditur, quod actionem suam in debitum finem non ordinat: et ideo culpae causa assignari non potest, nisi talis in quam defectus cadere possit. Poena autem non habet rationem mali vel defectus secundum quod ab agente procedit, quia per ordinatam actionem agentis poenae infliguntur; sed habet rationem defectus et mali in ipso recipiente actionem tantum, quod per justam actionem aliquo bono privatur: et ideo poenae Deus est auctor; diversimode vero diversarum. Quaedam enim est poena damni, ut subtractio gratiae, et hujusmodi; et harum poenarum Deus causa est, non quidem agendo aliquid, sed potius non agendo: ex eo enim quod Deus gratiam non influit, consequitur in isto gratiae privatio. Quaedam vero poena sensus est, quae per aliquam actionem infligitur; et hujus etiam agendo Deus auctor est.

Réponse. La peine comporte deux choses : la raison de mal, selon laquelle il y a privation d’un bien ; et la raison de bien, selon laquelle elle est juste et ordonnée. Certains anciens, ne considérant la peine que sous l’angle où elle est une carence et un mal, ont donc dit que les peines ne viennent pas de Dieu ; Tullius [Cicéron] semble être tombé dans cette erreur, comme cela ressort de l’ouvrage À propos des fonctions. En effet, ces gens niaient la providence de Dieu portant sur les actes humains ; aussi ne disaient-ils pas que l’ordre qui appartient à la peine en raison de la faute était divin, mais venait de la justice de l’homme qui inflige la peine – la carence qui existe dans la peine n’ayant pas été ordonnée par Dieu, mais venant de la nécessité des causes secondes. En effet, ils affirmaient que Dieu a amené les choses à l’être comme un agent réalise par nécessité de nature : d’un premier, chez qui n’existe aucune carence, viendrait un premier distant de sa perfection, et selon que la distance est plus grande du premier en raison de l’ordre entre la cause et ce qui est causé, ils disaient qu’une plus grande carence survenait. Mais cette position est fausse, comme l’a montré le livre I, d. 39, où l’on a dit que la providence divine s’étend à toutes les choses. Aussi faut-il dire que les peines viennent de Dieu, mais que la faute ne vient d’aucune manière de Dieu, bien que les deux soient appelées des maux. La raison en est qu’une cause efficiente est attribuée à chaque chose selon qu’elle est issue de cet agent. Or, la faute a raison de mal et de carence selon qu’elle est issue de son agent, qui n’ordonne pas son action à la fin appropriée. C’est pourquoi on ne peut attribuer de cause à une faute que celle chez laquelle une déficience peut se trouveer. Or, la peine n’a pas raison de mal ou de carence selon qu’elle provient de l’agent, car les peines sont infligées en raison de l’action désordonnée de l’agent, mais elle a raison de carence ou de mal seulement chez celui qui reçoit l’action, qui est privé d’un bien par une action juste. C’est pourquoi Dieu est auteur de la peine, mais de manière différente selon les différentes [peines]. En effet, il existe une peine du dam, comme la soustraction de la grâce et celles de ce genre. Dieu est cause de ces peines, non pas en réalisant quelque chose, mais plutôt en ne réalisant pas : en effet, du fait que Dieu ne donne pas la grâce, découle chez un tel une privation de la grâce. Mais il existe une peine du sens, qui esstd infligée par une action : Dieu est aussi l’auteur de celle-ci en agissant.

[6707] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod unum bonum particulare contrariatur alii bono particulari, sicut calidum frigido; et utrumque a Deo est: nec tamen sequitur quod Deus pacis auctor non sit, quia ipsa etiam contrariorum pugna ad aliquam unionem ordinatur quia scilicet ad formam mixti conveniunt, et etiam secundum quod in universo per modum cujusdam consonantiae ordinantur: ita etiam non est inconveniens, quamvis bonum naturae a Deo sit, quod etiam poena, quae sibi contrariatur, inquantum bona est, a Deo sit.

1. Un bien particulier est le contnraire d’un autre bien particulier, comme le chaud l’est du froid, et les deux viennent de Dieu. Cependant, il n’en découle pas que Dieu ne soit pas l’auteur de la paix, car le combat même des contraires est ordonné à une union, puisqu’ils se rejoignent dans la forme d’un mixte, et aussi parce que ils sont ordonnés dans l’univers à la manière d’une harmonie, De même n’est-il pas inapproprié, même si le bien de la nature vient de Dieu, que la peine elle-même qui lui est contraire vienne de Dieu pour autant qu’elle est bonne.

[6708] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod nullum malum nec aliquis defectus a Deo vel agente alio intentum est; sed omne malum et defectus incidunt ex defectu aliquo; vel ex defectu causae agentis, vel ex defectu materiae recipientis: malum enim culpae incidit ex defectu causae agentis; et ideo in causam agentem quae deficere non potest, reduci non potest; malum autem poenae incidit ex defectu materiae: quod sic patet. Ordinem justitiae justus judex in suis subditis ponere intendit. Ille ordo non potest in peccante recipi nisi secundum quod per defectum aliquem punitur: et ideo quamvis defectus ille ratione cujus poena malum dicitur, a judice intentus non sit, sed ordo justitiae; tamen justus judex poenae auctor dicitur, secundum quod poena ordinatum quid dicit: et ita poenarum Deus auctor est.

2. Aucun mal ni aucune carence n’ont été voulus par Dieu ou par un agent, mais tout mal et toute carence proviennent d’une déficience : soit d’une déficience de la cause efficiente, soit d’une déficience de la matière qui reçoit. En effet, le mal de faute vient d’une déficience de la cause efficiente : c’est pourquoi il ne peut se ramener à une cause efficiente qui ne peut défaillir ; mais le mal de peine vient d’une déficience de la matière, ce qui se démontre ainsi. Un juge juste cherche à établir l’ordre de la justice parmi ses sujets. Cet ordre ne peut être accueilli par le pécheur que par la punition d’une carence. C’est pourquoi, même si la carence en raison de laquelle la peine est appelée un mal n’est pas voulue par le juge, mais l’ordre de la justice, le juge juste est appelé l’auteur de la peine selon que la peine indique quelque chose d’ordonné. C’est ainsi que Dieu est auteur des peines.

[6709] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod quamvis actionis turpis Deus non sit causa secundum quod deformitati substat, est tamen causa ejus secundum quod actio quaedam est: et ideo etiam potest dici causa ejus quod per illam actionem effectum est.

3. Bien que Dieu ne soit pas l’auteur d’une action honteuse selon que celle-ci est soumise à une difformité, il en est cependant la cause selon qu’elle est une action. C’est pourquoi il peut être appelé la cause de ce qui est réalisé par cette action.

[6710] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod poena non inclinat ad malum culpae directe per modum habitus et dispositionis; sed indirecte, inquantum per poenam privatur aliquid quo quis a culpa retrahebatur; et hoc non est inconveniens, ut dicatur Deus subtrahere illud quo quis a culpa conservabatur immunis, scilicet gratiam.

4. La peine n’incline pas au mal de faute directement par mode d’habitus et de disposition, mais indirectement, pour autant que, par la peine, quelque chose est privé de ce par quoi il était retenu de la faute. Et cela n’est pas inapproprié de dire que Dieu enlève ce par quoi quelqu’un était gardé exempt de la faute, c’est-à-dire la grâce.

[6711] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod quamvis corruptio gratiae in se malum sit, tamen quod iste qui gratia indignus est, gratia privetur, bonum et justum est; et hoc modo a Deo est ordinante.

5. Bien que la corruption de la grâce soit en elle-même un mal, le fait que celui qui est indigne de la grâce soit privé de la grâce est bon et juste. C’est de cette manière que cela vient de Dieu qui ordonne.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum malum per prius dicatur de poena quam de culpa

Article 2 – Parle-t-on de mal pour la peine plutôt que pour la faute ?

[6713] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod malum per prius dicatur de poena quam de culpa. Bonum enim, cum sit in omnibus generibus, per prius est in substantia quam in aliis, ut ex 1 Ethic. patet. Sed malum poenae privat bonum quod est in substantia; sicut mors, quae quaedam poena est, perfectionem substantialem privat; sed malum culpae est malum in actione. Ergo per prius malum dicitur de poena quam de culpa.

1. Il semble qu’on parle de mal pour la peine plutôt que pour la faute. En effet, puisqu’il exige dans tous les genres, le bien existe d’abord dans la substance plutôt que dans les autres [genres], comme cela ressort d’Éthique, I. Or, le mal de peine prive d’un bien qui existe dans la substance, comme la mort, qui est une peine, prive d’une perfection substantielle ; mais le mal de faute est un mal de l’action. On parle donc de mal plutôt pour la peine que pour la faute.

[6714] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 2Praeterea, perfectio secunda quae est operatio, descendit a perfectione prima quae est forma. Sed supra dictum est, quod poena opponitur perfectioni primae; culpa autem perfectioni secundae, quae est operatio. Ergo malum per prius invenitur in poena quam in culpa.

2. La perfection seconde, qui est l’opération, provient de la perfection première, qui est la forme. Or, on a dit plus haut que la peine s’oppose à la perfection première, mais la faute à la perfection secoonde, qui est l’opération. Le mal se trouve donc plutôt dans la peine que dans la faute.

[6715] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 3Praeterea, sicut se habet praemium ad meritum, ita se habet poena ad culpam. Sed praemium est magis bonum et per prius quam meritum. Ergo et poena est magis malum quam culpa. Sed id quod est prius in his quae secundum prius et posterius dicuntur, etiam maxime dicitur, sicut ignis maxime calidus; unde quod primum est, est illud quod magis dicitur, ut ex 2 Metaph. patet. Ergo per prius dicitur malum de poena quam de culpa.

3. Le rapport entre la récompense et le mérite est le même qu’entre la peine et la faute. Or, la récompense est davantage et plutôt un bien que le mérite. La peine est donc davantage un mal que la faute. Or, ce qui vient d’abord parmi les choses entre lesquelles il existe un ordre est aussi appelé le plus grand, comme le feu est chaud au plus haut point. Ce qui est premier est donc ce à quoi revient en premier la désignation, comme cela ressort de Métaphysique, II. On parle donc de mal plutôt pour la peine que pour la faute.

[6716] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 4Ad idem: sicut bonum in eo quod bonum, desideratur, ita malum in eo quod malum, vitatur. Sed illud propter quod desideratur aliquid, est magis bonum. Ergo illud propter quod vitatur aliquid, est magis malum. Sed culpa vitatur propter poenam. Ergo poena est magis malum quam culpa; et sic idem quod prius.

4. Comme bien est désiré dans ce qui est bon, de même le mal est-il évité dans ce qui est mal. Or, ce pour quoi une chose est désirée est davantage bon. Ce pour quoi une chose est évitée est donc davantage mal. Or, la faute est éévitée en raison de la peine. La peine est donc davantage un mal que la faute. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[6717] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 5Praeterea, ut supra dicit Augustinus, malum dicitur aliquid quia nocet. Ergo cui verius convenit ratio nocumenti, verius convenit ratio mali. Sed verius convenit poenae quam culpae: quia verius est quod per essentiam dicitur quam quod per participationem denominatur; sicut albedo verius dicit naturam albedinis quam album. Poena autem est ipsum nocumentum; sed culpa nocens denominative dicitur. Ergo et ratio mali per prius invenitur in poena quam in culpa.

5. Comme Augustin le dit plus haut, on appelle mal ce qui est nuit. Ce à quoi convient avec plus de vérité la raison de nuisance estd ce à quoi convient avec plus de vérité la raison de mal. Or, cela convient davantage à la peine qu’à la faute, car est plus vrai ce qu’on dit d’après l’essence que ce qui est désigné par participation, comme la blancheur exprime avec plus de vérité la nature de la blancheur que ce qui est blanc. Or, la peine est par elle-même une nuisance, mais la faute est dite nuisible d’après le mot. La raison de mal se trouve donc d’abord dans la peine plutôt que dans la faute.

[6718] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 s. c. 1Sed contra, causa praecedit causatum. Sed malum culpae est causa mali poenae. Ergo prius est malum culpae quam poenae.

Cependant, [1] la cause précède ce qui est causé. Or, le mal de faute est la cause du mal de peine. Le mal de faute vient donc avant le mal de peine.

[6719] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 s. c. 2Praeterea, Dionysius dicit, quod puniri non est malum, sed fieri poena dignum. Non autem aliquis efficitur poena dignus nisi per culpam. Ergo magis proprie culpa malum dicitur quam poena.

[2] Denys dit qu’être puni n’est pas un mal, mais que le devenir est digne d’une peine. Or, on ne devient digne d’une peine que pour une faute. On dit donc davantage au sens propre que la faute est un mal, plutôt que la peine.

[6720] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod malum per prius de culpa dicitur quam de poena, et magis culpae quam poenae ratio mali convenit: cujus ratio assignatur a quibusdam ex parte boni, quod per malum privatur; dicunt enim, quod per culpam separatur aliquis a fine ultimo, quod est summum bonum, in quo primo ratio boni invenitur; unde et in malo quod ab ipso separat, primo invenitur ratio mali; in poena autem consequenter, quae bonum naturae creatae privat, quod est a summo bono deductum. Sed ista ratio videtur insufficiens: quia culpa et poena non differunt secundum illud bonum quod per utrumque privatur; quia illud idem bonum quod active culpa privat, est illud cujus passiva privatio poena quaedam est; unde et subtractio gratiae, per quam anima Deo conjungitur, et carentia visionis divinae, poenae quaedam sunt. Sed ratio assignata non tangit nisi poenas corporales; unde non est universalis; et ideo hujusmodi rationem oportet aliter invenire ex propria ratione culpae et ex propria ratione poenae. Sciendum est igitur, quod ratio boni a fine sumitur, ut ex 2 Metaph., patet; finis autem est perfectio agentis inquantum est agens, eo quod finis movet agentem ad operandum; unde finis, et etiam obliquatio a fine, per prius comparatur ad agens quam ad patiens; et ideo illud malum quod rationem mali habet, secundum quod ab operante est, propinquius se habet ad finem quam illud malum quod per actum operantis in aliquo patiente inducitur; unde prior est recessus a fine in culpa, quae rationem mali habet secundum quod ab operante exit, quam in poena, quae rationem mali habet secundum quod in patiente efficitur defectus quidam per aliquam actionem vel ejusdem vel alterius; ejusdem, ut poenae quae consequuntur statim ex actu peccati, sicut per actum culpae sequitur subtractio gratiae in peccante; et per prius est inordinatio actus (qui est a peccante, inquantum est agens, rationem mali habens) quam ipsa subtractio gratiae, quae est malum poenae; per actionem autem alterius, sicut poena quae infligitur peccatori per actum judicis.

Réponse. On aprle d’abord de mal pour la faute plutôt que pour la peine, et la raison de mal convient davantage à la faute qu’à la peine. La raison en est donnée par certains du point de vue du bien, dont on est privé par le mal. En effet, ils disent que, par la faute, on est séparé de la fin ultime, qui est le bien suprême, dans lequel on trouve en premier la raison de bien. Aussi trouve-t-on en premier dans le mal qui en sépare la raison de mal, mais par mode de conséquence dans la peine, qui prive du bien de la nature créée, qui décooule du bien suprême. Mais ce raisonnement est insuffisant, car la faute et la peine ne diffèrent pas par le bien dont les deux privent, car le même bien dont la faute prive de manière active est celui dont la peine est une privation passive. Aussi le retrait de la grâce, par laquelle l’âme est unie à Dieu, et la carence de la vision divine sont-elles des peines. Mais la raison donnée ne concerne que les peines corporelles ; elle n’est donc pas universelle. C’est pourquoi il faut en trouver la raison à partir de la raison propre de faute et de la raison propre de peine. Il faut donc savoir que la raison de bien se prend de la fin, comme cela ressort de Métaphysique, II. Or, la fin est la perfection de l’agent en tant qu’agent, du fait que la fin meut l’agent à agir ; aussi la fin, ainsi que l’écartement de la fin, se comparent plutôt à l’agent qu’au patient. C’est pourquoi le mal qui a raison de mal se rapproche-t-il davantage de la fin, selon qu’il vient de celui qui agit, que le mal inhérent au patient, qui est entraîné chez un patient par l’acte de celui qui agit. Aussi l’éloignement de la fin dans la faute est-il d’abord le fait de la faute, qui a raison de mal selon qu’elle est issue de celui qui agit, que de la peine, qui a raison de mal selon qu’est réalisée chez le patient une carence par son action ou par celle d’un autre : par son action, comme les peines qui découlent aussitôt de l’acte de péché, comme le retrait de la grâce chez le pécheur suit la faute chez le pécheur, et le désordre de l’acte (qui vient du pécheur en tant qu’il est agent, ayant la raison de mal) avant le retrait de la grâce, qui est un mal de peine ; mais par l’action d’un autre, comme la peine qui est infligée au pécheur par l’acte du juge.

[6721] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod intensio vel remissio alicujus potest esse dupliciter: vel per se, vel per accidens. Per se, quando est intensio secundum id quod ad naturam rei pertinet, per accidens autem, quando dicitur magis et minus non secundum magnitudinem quae propria est rei quae dicitur major vel minor, sed secundum magnitudinem alterius; sicut albedo dicitur major vel propter intensionem principiorum albedinis, vel propter magnitudinem superficiei. Ita etiam magnitudo potest attendi in malo vel secundum rationem propriam mali, vel secundum rationem boni quod privatur per malum; et illa est essentialior malo quae per se est, quam quae per accidens. Et secundum hoc dico, quod, per se loquendo, non dicitur prius vel posterius malum secundum quod per ipsum prius et posterius bonum privatur; sed secundum quod per prius rationem mali participat, quae est in recedendo a fine. Unde non oportet quod malum poenae, per quod bonum substantiale privatur, sit magis malum simpliciter vel per prius quam malum culpae quod est in actione.

1. L’intensité ou la faiblesse de quelque chose peut venir d’une double manière : par soi ou par accident. Par soi, lorsqu’il s’agit d’une intensité qui correspond à ce relève de la nature d’une chose ; mais par accident, lorsqu’on parle de plus et de moins, non pas selon une grandeur qui est propre à la chose qui est appelée plus grande ou moins grande, mais selon la grandeur d’une autre, comme on dit que la blancheur est plus grande soit en raison des principes de la blancheur, soit en raison de la grandeur de la surface. De même peut-on envisager la grandeur du mal soit selon la raison propre de mal, soit selon la raison du bien dont on est privé par le mal : celle-là est plus essentielle au mal par soi, que celle qui existe par accident. Je dis ainsi qu’à parler en soi, on ne parle de mal en plus ou en moins selon qu’on est plus ou moins privé d’un bien par lui, mais selon qu’il participe davantage à raison de mal, qui vient de l’éloignement de la fin. Il n’est donc pas nécessaire que la mal de peine, par lequel est privé du bien substantiel, soit davantage un mal simplement et en premier, que le mal de faute qui existe dans une action.

[6722] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod perfectio prima se habet in duplici ordine ad operationem: quia operatio terminatur ad perfectionem primam; et ideo operatio a perfectione prima elicitur: et similiter etiam est de privatione perfectionis primae. Poena autem nominat privationem perfectionis primae, secundum quod ad eam operatio terminatur; quia poena dicit effectum culpae; et ideo non oportet quod culpa per posterius malum dicatur.

2. La perfection première a un double rapport avec l’opération, car l’opération a comme terme la perfection première. C’est pourquoi l’opération est issue de la perfection première, et de même en est-il de la privation de la perfection première. Mais la peine désigne une privation de la perfection première, selon que l’opération l’a comme terme, car la peine exprime un effet de la faute. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la faute soit appelée un mal par dérivation.

[6723] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod sicut praemium est ordinativum meriti, ita et poena est ordinativa culpae; unde utrumque, scilicet praemium et poena, quamdam bonitatem habet ex hoc quod ordinatum est. Unde non oportet quod si praemium est magis bonum, poena sit magis malum; sed minus, inquantum habet aliquam perfectionem boni.

3. De même que la récompense établit un ordre par rapport au mérite, de même aussi la peine établit-elle un ordre par rapport à la faute. Les deux, la récompense et la peine, possèdent donc une certaine bonté du fait qu’elles sont ordonnées. Il n’est donc pas nécessaire que, si la récompense est davantage bien, la peine soit davantage mal, mais moins mal, dans la mesure où elle possède une certaine perfection de bien.

[6724] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod culpa est propter se vitanda, etiamsi nulla poena sequeretur; unde virtuosus plus culpam quam poenam fugit, ad quem oportet mensurare actus aliorum hominum, ut philosophus in 5 Ethic. dicit.

4. La faute doit être évitée pour elle-même, même si aucune peine n’en découlait ; aussi le vertueux, par rapport à qui il faut mesurer les actes des autres hommes, fuit-il davantage la faute que la peine, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V.

[6725] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod quidquid invenitur in causa et causato, prius est in causa quam in causato. Unde cum hoc nocumentum quod est poena, sit per culpam inductum, ratio nocuitatis prius invenitur in culpa quam in poena, quamvis poena sit ipsum nocumentum: quia hoc ipsum quod poena nocumentum est, a nocuitate culpae procedit.

5. Tout ce qui se trouve dans la cause et dans ce qui est causé se trouve d’abord dans la cause plutôt que dans ce qui est causé. Puisque la nuisance de la peine est entraînée par la faute, la raison de nuisance se trouve donc d’abord dans la faute plutôt que dans la peine, bien que la peine soit elle-même une nuisance, car le fait même que la peine soit une nuisance provient de la nuisance de la faute.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 37

[6726] Super Sent., lib. 2 d. 37 q. 3 a. 2 expos.Non quia non sit actio vel voluntas mala quae aliquid est; sed quia a vero esse separat homines. Istud inconvenienter dicitur. Constat enim quod actio, inquantum est actio, non est separata a vero esse, sed inquantum est inordinata. Unde quod peccatum dicatur nihil, non est ratione actionis, sed ratione inordinationis. Hic de substantiis atque naturis tantum accipienda fore tradunt. Ex hoc non plus habetur, nisi quod substantia et natura uno modo accepta, differunt ab actione bona et mala; et hoc verum est. Opera Diaboli, quae vitia dicuntur, actus sunt, non res. Dicuntur non esse res ex ea parte qua habent quod vitia sint, scilicet ex parte privationis. Sunt ergo aliquae res quibus homines mali sunt verum est, sed non eis homines mali sunt inquantum sunt res, sed inquantum alicui privationi subsistunt. Quid ergo mirum, si Deus dicitur non esse auctor eorum? Ista objectio nulla est: quia ejus quod nihil est, potest aliquid esse causa, non quidem directe agendo, sed removendo prohibens; sicut claudens fenestram facit tenebras (quae nihil sunt) dum removet lucem, quae tenebras prohibebat; ita etiam et privationem aliquam quae poena est, Deus efficere potest, quamvis illa privatio nihil sit, non praebendo illud quod privationem prohibeat: sicut non praebendo gratiam, causat privationem gratiae. Sed illum defectum, prout in eo ratio culpae consistit, non causare potest Deus, ut dictum est. Bonorum, illi subintelligi volunt. Ista responsio nulla est: quia non minus est verum quod omne ens est a primo ente, quam quod omne bonum est a primo bono; unde in quocumque invenitur natura entis, invenitur natura boni; et ideo oportet ens absolute a Deo esse. Iniquitas quippe ipsa non est substantia. Hic accipit Augustinus substantiam non prout significat rem primi praedicamenti, sed prout significat essentiam rei in quocumque genere existentis. Iniquitas enim ex parte defectus, unde iniquitatis rationem habet, essentia caret. Si autem acciperet substantiam secundum quod significat praedicamentum primum, aequaliter verum esset quod justitia non est substantia, sicut quod iniquitas non est substantia.

 

 

 

DISTINCTIO 38

Distinction 38 – [Les actes en particulier]

 

 

QUAESTIO 1

Question 1 – [Existe-t-il une seule fin de toutes les volontés droites ?]

PROOEMIUM

Prologue

[6727] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 pr.Postquam determinavit de actibus in quibus peccatum consistit in generali, inquirens, utrum inquantum sunt actus, sint boni, et a Deo, hic determinat de ipsis actibus in speciali: et quia peccatum consistit in actu interiori et etiam exteriori; ideo dividitur haec pars in duas: in prima determinat de actu interiori voluntatis; in secunda de actu exteriori, 40 distinct. Post haec de actibus adjiciendum videtur. Prima in duas: in prima determinat de actu voluntatis, ostendens unde in eo sit rectitudo et peccatum, quia ex fine; in secunda inquirit quomodo in voluntate possit esse vitium, 39 distinct.: hic oritur quaestio satis necessaria. Prima in duas: in prima ostendit quod rectitudo voluntatis est ex intentione finis; in secunda determinat de voluntate per comparationem ad intentionem et finem, ibi: solet quaeri quid distet inter voluntatem, et intentionem ac finem. Prima in duas: in prima ostendit quod bonarum voluntatum est unus finis, ex quo rectitudinem habent; in secunda inquirit, utrum ille unus finis sit tantum rectarum voluntatum finis, an etiam possint esse alii fines, ibi: sed quaeritur, utrum omnes bonae voluntates unum tantum habeant finem. Circa primum duo facit: primo ponit quod caritas est finis bonarum voluntatum; secundo ostendit quod cum hoc fine Deus est finis, ibi: qui vero caritatem sibi ponit finem, Deum sibi ponit finem. Sed quaeritur, utrum omnes bonae voluntates unum tantum habeant finem. Hic inquirit, utrum possint esse plures fines rectarum voluntatum; et dividitur in tres: in prima determinat veritatem; in secunda ponit objectionem in contrarium, ibi: verumtamen huic sententiae, qua dictum est, fidelium quasdam rectas voluntates diversos fines sortiri et tamen ad unum referri, videtur obviare quod alibi Augustinus admonet; in tertia determinat eam, ibi: haec autem non sibi repugnare animadvertit et cetera. Solet etiam quaeri, quid distet inter voluntatem et intentionem et finem. Hic determinat de voluntate per comparationem ad intentionem et finem. Circa hoc duo facit: primo ponit dictam comparationem; secundo inquirit etiam utrum intentio possit dici voluntas, et an intentio sit idem actus cum ea voluntate quae communiter voluntas dicitur, ibi: sed quaeritur utrum et intentio talis sit voluntas. Hic quinque quaeruntur: 1 utrum omnium rectarum voluntatum sit tantum unus finis; 2 quis sit ille; 3 quid est intentio; 4 si sit eadem voluntas quae est de fine (quae dicitur intentio) et quae de his quae sunt ad finem, quae communiter voluntas dicitur; 5 si ex fine voluntas habet bonitatem.

Après avoir déterminé des actes dans lesquels consiste le péché de manière générale, en se demandant s’ils sont bons et s’ils viennent de Dieu en tant qu’ils sont des actes, [le Maître] détermine ici des actes eux-mêmes de manière particulière. Et parce que le péché consiste dans un acte intérieur et aussi dans un acte extérieur, cette partie se divise donc en deux : dans la première, il détermine de l’acte intérieur de la volonté ; dans la seconde, [il détermine] de l’acte extérieur, d. 40 : « Après cela, il semble qu’il faille ajouter à propos des actes… ». La première [partie se divise] en deux : dans la première, il détermine de l’acte de la volonté, en montrant d’où lui vient droiture ou péché, car c’est de la fin ; dans la seconde, il se demande comment le vice peut exister dans la volonté, d. 39 : « Ici est soulevée une question assez nécessaire… » La première [partie se divise] en deux : dans la première, il montre que la droiture de la volonté vient de la fin ; dans la seconde, il détermine de la volonté en regard de l’intention et de la fin, à cet endroit : « On a coutume de se demander quel est l’écart entre la volonté et l’intention, de même que la fin. » La première [partie se divise] en deux : dans la première, il montre qu’il existe une seule fin des volontés bonnes, dont elles tiennent leur droiture ; dans la seconde, il se demande si cette fin est seulement celle des volontés droites, ou si d’autres fins peuvent aussi exister, à cet endroit : « Mais on se demande si toutes les volontés bonnes ont une seule fin. » À propos du premier point, il fait deux choses : d’abord, il affirme que la charité est la fin de volontés bonnes ; ensuite, il montre qu’avec cette fin, Dieu est la fin, à cet endroit : « Celui qui se donne la charité comme fin se donne Dieu comme fin. » « Mais on se demande si toutes les volontés bonnes ont une seule fin. » Ici, on demande si plusieurs fins des volontés bonnes peuvent exister ; cela se divise en trois. Dans la première [partie], il détermine de la vérité ; dans la deuxième, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit : « À la vérité, qu’à la position selon laquelle certaines volontés droites des croyants ont des fins différentes, et qu’elles se rapportent cependant à une seule chose, semble s’opposer l’avertissement donné ailleurs par Augustin » ; dans la troisième, il en détermine, à cet endroit : « Mais il fait remarquer que cela ne s’y oppose pas, etc. » « On a coutume de se demander quel est l’écart entre la volonté et l’intention, de même que la fin. » Il détermine ici de la volonté dans son rapport avec l’intention et la fin. À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il affirme le rapport indiqué ; deuxièmement, il se demande aussi si l’intention, qui est communément appelée volonté, est un même acte que cette volonté, à cet endroit : « Mais on se demande si l’intention aussi est cette volonté. » Ici, cinq questions sont posées : 1. Existe-t-il une seule fin de toutes les volontés droites? 2. Quelle est-elle ? 3. Qu’est-ce que l’intention ? 4. La volonté qui porte sur la fin (appelée intention) est-elle la même que celle qui porte sur ce qui se rapporte à la fin, communément appelée volonté ? 5. La volonté tient-elle sa bonté de la fin ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum sit tantum unus finis rectarum voluntatum

Article 1 – Existe-t-il une seule fin de toutes les volontés droites ?

[6729] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod rectarum voluntatum non sit tantum unus finis. Caritas enim qua Deum diligimus, Deus non est, ut in 1 libro, dist. 17, qu. 1, art. 1, ostensum est. Sed rectarum voluntatum finis est Deus, et etiam caritas, ut in littera ostenditur. Duae ergo rectae voluntates non in unum finem tendunt.

1. Il semble qu’il n’existe pas une seule de toutes les volontés droites. En effet, la charité par laquelle nous aimons Dieu n’est pas Dieu, comme on l’a montré dans le livre I, d. 17, q. 1, a. 1. Or, Dieu est la fin des volontés droites, et aussi la charité, comme le montre le texte. Les deux volontés droites ne tendent donc pas vers une seule fin.

[6730] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, ubi invenitur gradus in referendo res ad finem, ibi non est unus finis. Sed in tribus personis invenitur gradus dum consideratur relatio rerum ad finem; unde Hilarius dicit: caput omnium filius est; caput autem filii Deus est; et ad unum Deum omnia hoc gradu referuntur. Cum igitur unaquaeque trium personarum rectarum voluntatum sit finis, ut in littera dicitur, videtur quod rectae voluntates in plures fines tendant.

2. Là où existent des degrés dans le rapports de choses à leur fin, là n’existe pas une seule fin. Or, entre les trois personnes, on trouve des degrés lorsqu’on envisage le rapport des choses à la fin ; aussi Hilaire dit-il : « Le Fils est la tête de toutes choses, mais la tête du Fils est Dieu ; et toutes les choses se rapportent à un seul Dieu selon ce degré. » Puisque chacune des trois personnes est la fin des volontés droites, comme le dit le texte, il semble donc que les volontés droites tendent vers plusieurs fins.

[6731] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, sicut res naturales habent speciem a forma, ita morales habent speciem a fine; unde et secundum finem rectae vel pravae sunt, ut in littera dicitur. Sed rerum naturalium non est una forma. Ergo nec actuum moralium erit unus finis, ad quem dirigi debeant.

3. De même que les réalités naturelles tiennent leur espèce de leur forme, de même les réalités morales tirent leur espèce de la fin ; aussi sont-elles bonnes ou mauvaises selon la fin, comme le dit le texte. Or, il n’existe pas une seule forme des réalités naturelles. Il n’y aura donc pas non plus une seule forme pour les réalités morales vers lesquelles [les volontés] doivent se diriger.

[6732] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, illud est finis actionis propter quod actio fit. Sed unusquisque agens cogitat in agendo de eo propter quod agit. Cum igitur multi rectas actiones agentes actu de Deo non cogitent, videtur quod non omnium rectarum actionum finis sit Deus; et ita diversarum erunt diversi fines secundum quod agentium sunt diversae cogitationes de fine.

4. La fin de l’action et ce pour quoi l’action est accomplie. Or, chaque agent pense en agissant à ce pour quoi il agit. Puisque beaucoup, en accomplissant des actions droites, ne pensent pas à Dieu, il semble que Dieu ne soit pas la fin de toutes les actions bonnes ; et ainsi, il existera différentes fins pour les différentes [actions], selon les agents ont des pensées différentes à propros de la fin.

[6733] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, illud sine quo non fieret aliquid, est propter quod fit illud. Sed multi sunt qui opera spiritualia non facerent, nisi quaedam temporalia consequerentur. Ergo illa temporalia quae consequi quaerunt, sunt finis operum eorum et voluntatum, et tamen non dicuntur in hoc peccare: quia, ut apostolus dicit, 1 Corinth. 9, 10, debet in spe, qui arat, arare, loquens ad litteram in casu isto. Ergo praeter Deum et caritatem, rectarum voluntatum potest esse alius finis; et ita non omnes rectae voluntates in unum tendunt.

5. Ce sans quoi quelque chose ne serait pas accompli est la raison pour laquelle cela est accompli. Or, beaucoup n’accompliraient pas d’œuvres spirituelles s’ils n’obtenaient pas certaines choses temporelles. Les choses temporelles qu’ils cherchent à obtenir sont donc la fin de leurs actions et de leurs volontés, et cependant, on ne dit pas qu’ils pèchent pour autant, car, ainsi que le dit l’Apôtre, 1 Co 9, 10 : Celui qui laboure laboure dans l’espérance, et il parle de manière littérale dans ce cas. En plus de Dieu et de la charité, il peut donc exister une autre fin ; et ainsi, toutes les volontés droites ne tendent pas vers une seule chose.

[6734] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, omnis voluntas quae in diversa tendit, divisa est in plura. Sed rectum cor divisum non est, sed unitum; unde Oseae 10, 2: divisum est cor eorum: nunc interibunt. Ergo recti cordis est unus finis ultimus.

Cependant, [1] toute volonté qui tend vers des choses différentes est divisée entre plusieurs choses. Or, le cœur droit n’est pas divisé, mais uni ; aussi Os 10, 2 dit-il : Leur cœur est divisé ; maintenant, ils mourront. Il existe donc une seule fin pour le cœur droit.

[6735] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, ratio boni est a fine. Ergo ubi est summum bonum, ibi est finis ultimus. Sed summum bonum est unum tantum, ut supra, dist. 1, probatum est. Ergo rectarum voluntatum est unus finis ultimus.

[2] La raison de bien vient de la fin. Là où existe le bien suprême, là donc existe la fin ultime. Or, le bien suprême est unique, comme on l’a montré plus haut, d. 1. Il n’existe donc qu’une seule fin ultime pour les volontés droites.

[6736] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod eodem ordine res referuntur in finem quo procedunt a principio, eo quod agens unusquisque ordinat effectum suum in finem aliquem; et ideo secundum ordinem agentium est ordo finium. In progressu autem rerum a principio invenitur unum rerum principium primum, quod commune est omnium, sub quo inveniuntur alia principia propria, quae in diversis sunt diversa: ita etiam in referendo res ad finem invenitur ultimus finis omnibus communis, qui est ultimus finis; sed inveniuntur diversi fines proprii secundum diversitatem entium. Bonum enim invenitur in rebus secundum duplicem ordinem, ut in 12 Metaphys. dicitur, scilicet secundum ordinem unius rei ad rem aliam, qui ordo similis est ordini quem partes exercitus ad invicem habent: et alius est ordo rerum ad finem ultimum, qui scilicet est similis ordini exercitus ad bonum ducis: et quia res referuntur in finem ultimum communem, mediante fine proprio; ideo secundum diversitatem finis proprii efficitur diversa relatio rerum ad finem ultimum. Sic ergo dicendum est, quod sicut rerum omnium unus est finis ultimus, scilicet Deus; ita et voluntatum omnium est unus ultimus finis, scilicet Deus; nihilominus tamen sunt alii fines proximi, et, si secundum illos fines servetur debita relatio voluntatis in finem ultimum, erit recta voluntas; si autem non, erit perversa. Debita autem relatio voluntatis ad finem ultimum salvatur secundum illum finem quo voluntas nata est ultimum finem participare, in quo distinguitur a rebus aliis, quae alio modo ultimum finem participant; et hic est caritas, vel beatitudo; et ideo non solum Deus, sed etiam caritas finis est omnium rectarum voluntatum.

Réponse. Les choses se rapportent à leur fin selon le même ordre où elles viennent de leur principe, du fait que tout agent ordonne son effet à une fin. Aussi l’ordre des fins est-il conforme à l’ordre des agents. Or, dans le développement des choses à partir du principe, on trouve qu’il existe un seul principe premier des choses, qui est commun à toutes les choses, sous lequel on trouve d’autres principes propres, qui sont différents pour les différentes choses. De même, en mettant les choses en rapport avec la fin, on trouve une fin ultime commune à toutes, qui est la fin ultime ; mais on trouve diverses fins propres selon la diversité des êtres. En effet, le bien se trouve dans les choses selon un double ordre, comme on le dit dans Métaphysique, XII : selon l’ordre entre une chose et une autre, lequel ordre est semblable à celui que les parties de l’armée ont entre elles ; eet il existe un autre ordre des choses à la fin ultime, qui est semblable à l’ordre entre l’armée et le bien du chef. Parce que les choses se rapportent à une fin ultime commune, par l’intermédiaire de leur fin propre, une relation différente entre les choses et la fin ultime s’établit donc selon la diversité de leur fin propre. Il faut donc dire que, de même qu’il existe une seule fin ultime de toutes choses, Dieu, de même n’existe-t-il qu’une seule fin ultime de toutes les volontés, Dieu ; cependant, il existe d’autres fins rapprochées, et si, selon ces fins, est sauvegardé une relation appropriée entre la volonté et la fin ultime, la volonté sera droite ; mais si elle ne l’est pas, elle sera contraire à l’ordre. Or, la relation appropriée de la volonté à la fin ultime est sauvegardée selon la fin par laquelle la volonté est destinée à participer à la fin ultime, ce en quoi elle se distingue des autres choses, qui participent d’une autre manière à la fin ultime : c’est là la charité ou la béatitude. C’est pourquoi non seulement Dieu, mais aussi la charité est la fin de toutes les volontés droites.

[6737] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod caritas non est finis ultimus, cum non sit finis communis quem omnia desiderant; sed est finis proprius voluntatis per quem pertingit ad finem ultimum; et ideo non sequitur esse plures fines ultimos.

1. La charité n’est pas la fin ultime, puisqu’elle n’est pas la fin commune que toutes les choses désirent ; mais elle est la fin propre de la volonté par laquelle elle atteint la fin ultime. C’est pourquoi il n’en découle pas qu’il existe plusieurs fins ultimes.

[6738] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod pater et filius et spiritus sanctus sunt unus finis ultimus, ut in littera dicitur, eo quod unicuique eorum convenit ratio finis, secundum quod quilibet est summum bonum; et hi tres non tria sed unum summum bonum sunt. Unde hoc quod Hilarius dicit: omnia hoc gradu referuntur ad unum Deum; intelligendum est, gradum esse in reductione creaturarum ad filium, non autem inter filium et patrem, inter quos, ut Hieronymus dicit, nullus est gradus. Si tamen nomen gradus, large pro ordine accipiatur, sic inter patrem et filium est gradus, idest ordo principii ad illum qui est de principio; non autem finis, et ejus quod est ad finem.

2. Le Père, le Fils et l’Esprit saint sont une seule fin ultime, comme le dit le texte, du fait que la raison de fin.sSelon laquelle le bien suprême existe, convient à chacun d’eux, selon que chacun est le bien suprême. Eet ces trois ne sont pas trois, mais un seul bien suprême. Par ce qu’Hilaire dit : « Toutes les choses se rapportent à un seul Dieu selon ce degré », il faut donc comprendre qu’il existe un degré dans le retour des créatures au Fils, mais non entre le Fils et le Père, entre lesquels, ainsi que le dit Jérôme, il n’existe pas de degré. Cependant, si le mot « degré » est pris au sens large pour « ordre », il existe ainsi un ordre entre le Père et le Fils : l’ordre entre le principe et celui qui vient du principe ; mais non [l’ordre] entre la fin et ce qui se rapporte à la fin.

[6739] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod actus morales non specificantur a fine ultimo, sed a finibus proximis: hi autem plures diversorum sunt, sicut et fines naturales sunt plures.

3. Les actes moraux ne sont pas spécifiés par la fin ultime, mais par leurs fins rapprochées. Or, celles-ci sont nombreuses selon les différents [actes], comme les fins naturelles sont nombreuses.

[6740] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod ad hoc quod alicujus actionis finis sit Deus vel caritas, non oportet quod agendo illam actionem aliquis de Deo vel caritate cogitet: nec iterum sufficit quod aliquis in habitu tantum Deum et caritatem habeat (quia sic etiam actum venialis peccati aliquis in Deum ordinaret, quod falsum est): sed oportet quod prius fuerit cogitatio de fine, qui est caritas vel Deus, et quod ratio actiones sequentes in hunc finem ordinaverit; ita quod rectitudo illius ordinationis in actionibus sequentibus salvetur: ut patet in exemplo quod Avicenna ponit de artifice, qui, si dum opus suum exerceret, semper de regula artis cogitaret, multum in opere impediretur: sed sicut prius excogitavit per regulas artis, ita postmodum operatur; et sic in opere rectitudo artis salvatur.

4. Pour que Dieu ou la charité soit la fin d’une action, il n’est pas nécessaire qu’en accomplissant cette action, quelqu’un pense à Dieu ou à la charité ; il ne suffit pas non plus que quelqu’un ait Dieu et la charité à l’état d’habitus (car il ordonnerait ainsi l’acte du péché véniel à Dieu, ce qui est faux) ; mais il est nécessaire qu’ait existé antérieurement la pensée de la fin, qui est la charité ou Dieu, et que la raison ait ordonné les actions subséquentes à cette fin, de telle sorte que la droiture de ce rapport soit préservée dans les actions subséquentes. Cela ressort dans l’exemple de l’artisan que propose Avicenne : si, pendant qu’il exerce son art, il pensait toujours à la ràgle de l’art, il rencontrerait beaucoup d’empêchements dans son action ; mais selon qu’il a pensé antérieurement selon les règles de l’art, de même agit-il par la suite. C’est ainsi que la droiture de l’art est respectée dans l’action.

[6741] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod non oportet illud sine quo non fieret aliquid, esse hoc propter quod fit: omne enim illud quod ad actionem exigitur, est illud sine quo actio non fieret, sicut instrumenta; nec tamen propter instrumenta fit actio. Ita etiam et qui in operibus spiritualibus temporalia quaerunt, non quaerunt ea tamquam finem actionis proximum vel remotum, quia minus bonum non potest esse finis majoris, sed quaerunt ea ad sustentamentum naturae et conditionis suae, ut sic debite opera spiritualia exercere possint.

5. Il n’est pas nécessaire que ce sans quoi une chose ne serait pas faite soit ce pour quoi elle est faite. En effet, tout ce qui exigé pour une action est ce sans quoi l’action ne serait pas accomplie, comme les intruments ; cependant, l’action n’est pas accomplie pour les instruments. De même aussi ceux qui cherchent des réalités temporelles dans des œuvres spirituelles ne les recherchent pas comme une fin proche ou éloignée de l’action, car un bien moindre ne peut être la fin d’un bien plus grand, mais ils les recherchent comme un soutien à leur nature et à leur condition, de sorte qu’ils puissent ainsi accomplir les œuvres spirituelles comme il se doit.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum beatitudo vel caritas sit finis communis et unus rectarum voluntatum

Article 2 – La charité est-elle la fin commune et unique des volontés droites ?

[6743] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod finis communis rectarum voluntatum et unus, non possit esse caritas vel beatitudo. Nihil enim quod est circa finem ultimum est unus finis communis omnibus. Sed caritas est circa finem ultimum, scilicet Deum; et similiter etiam beatitudo, et bona delectatio, et hujusmodi. Ergo hujusmodi non possunt esse finis communis rectarum voluntatum.

1. Il semble que la fin commune et unique des volontés droites ne puisse être la charité ou la béatitude. En effet, rien de ce qui porte sur la fin ultime est la fin unique et commune pour tous. Or, la charité porte sur la fin ultime, Dieu ; de même aussi, la béatitude, la délectation bonne et les choses de ce genre. Les choses de ce genre ne peuvent donc pas être la fin commune des volontés droites.

[6744] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, nihil potest esse finis quod non est desideratum; nec potest aliquid desideratum esse quod occultum est. Cum igitur beatitudo occulta sit, quia Isaiae 64, 4, dicitur: oculus non vidit, Deus, absque te, quae praeparasti expectantibus te; videtur quod beatitudo non possit esse finis rectarum voluntatum.

2. Rien ne peut être une fin si cela n’est pas désiré, et quelque chose qui est caché ne peut être désiré. Puisque la béatitude est cachée – car il est dit en Is 64, 4 : Dieu, l’œil ne voit pas sans toi ce que tu as préparé poour ceux qui t’attendent ‑, il semble donc que la béatitude ne puisse être la fin des volontés droites.

[6745] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, corporale bonum non est finis spiritualis boni, cum finis semper sit melior eo quod est ad finem. Sed vita aeterna videtur quoddam corporale nominare, scilicet aeternam conjunctionem nostrae animae ad corpus. Ergo vita aeterna non est finis spiritualium operum.

3. Le bien corporel n’est pas la fin du bien spirituel, puisque la fin est toujours meilleure que ce qui se rapporte à la fin. Or, la vie éternelle semble désigner quelque chose de corporel : l’union éternelle de notre âme à notre corps. La vie éternelle n’est donc pas la fin des actions spirituelles.

[6746] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, nullus finis habetur ante id quod est ad finem, cum per ea quae sunt ad finem in finem deveniatur. Sed caritas ante actus meritorios habetur. Ergo caritas non est finis rectorum operum.

4. Aucune fin n’est possédée avant ce qui se rapporte à la fin, puisque l’on parvient à la fin par ce qui se rapporte à la fin. Or, la charité est possédée avant les actes méritoires. La charité n’est donc pas la fin des actions bonnes.

[6747] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, opus dicitur rectum, secundum quod est aliqua virtute informatum. Sed sicut actus informatur caritate, ita etiam aliis virtutibus. Ergo sicut caritas ponitur finis, ita et aliae virtutes fines dici debent.

5. Une action est appelée droite parce qu’elle a la forme d’une vertu. Or, de même qu’un acte a la forme de la charité, de même aussi [a-t-il] celui des autres vertus. De même que la charité est affirmée comme fin, de même aussi les autres vertus doivent-elles aussi être appelées des fins.

[6748] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 6Praeterea, bonum simpliciter non ordinatur ut ad finem ad id quod est bonum huic: quia quod simpliciter bonum est, melius est. Sed operatio est bonum per se, delectatio autem est huic bonum, scilicet operanti; et sic recta operatio est melior delectatione. Ergo recta operatio non ordinatur ad delectationem sicut ad finem.

6. Le bien n’est pas ordonné comme à sa fin à ce qui est bien pour un tel, car ce qui est simplement bon est meilleur. Or, l’opération est un bien en soi, mais la délectation est un bien pour un tel, à savoir pour celui qui agit ; et ainsi, l’opération droite est meilleure que la délectation. L’opération droite n’est donc pas ordonnée à la délectation comme à sa fin.

[6749] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, finem sine quo non potest esse conjunctio ad finem ultimum, oportet esse intentum sicut finem communem. Sed sine caritate et beatitudine et hujusmodi non potest esse conjunctio voluntatis hominis ad finem ultimum qui Deus est. Ergo ista omnia rationem finis communis habent.

Cependant, [1] il est nécessaire que la fin sans laquelle il ne peut exister d’union à la fin ultime soit recherché comme une fin commune. Or, sans la charité, la béatitude et les choses de ce genre, il ne peut exister d’union de la volonté de l’homme à la fin ultime qui est Dieu. Toutes ces choses ont donc raison de fin commune.

[6750] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, quamvis omnium rerum sit unus finis ultimus, sicut unum principium primum; tamen unicuique rei debetur finis proprius, sicut et principium proprium; ita ut sicut ea quae sunt unius generis, communicant in uno principio proprio illius generis, ita communicent in uno fine: qui quidem est communis omnibus quae sunt in illo genere, non tamen omnibus rebus: nec potest esse debita relatio alicujus rei ad finem ultimum, nisi mediante fine qui suo generi debetur. Finis autem proprius uniuscujusque rei, per quem in finem ultimum ordinatur, est sua propria operatio. Unde et finis rationalis naturae, per quem ordinatur in finem proprium, est perfecta operatio, quae est propria naturae illi. Sed perfectio operationis in tribus consistit; scilicet in objecto, habitu, et delectatione. Quanto enim objectum est altius, tanto operatio in illud tendens est pulchrior et perfectior: unde ex objecto operatio perfectionem habet, et ex nobilissimo objecto altissimam perfectionem. Similiter etiam operatio perfecta non est nisi ex habitu; unde quanto habitus est perfectior, et operatio perfectior erit; et operatio perfectissima ab habitu nobilissimo erit. Similiter, ut dicit philosophus in 10 Ethic., delectatio perficit operationem, sicut pulchritudo juventutem; est enim sicut quidam decor operationis ipsa delectatio; et ideo oportet, quod aliquod istorum sit finis communis rectarum voluntatum assignatarum. Ipsa autem operatio perfecta, beatitudo est; objectum autem altissimum Deus est; habitus autem perfectissimus caritas est; delectatio autem purissima est spiritualis delectatio, ut in 10 Ethic. probatur: et ideo in littera dicitur quod Deus rectarum voluntatum finis est, et caritas et bona delectatio, et beatitudo; ita tamen quod Deus ultimus finis sit, et beatitudo caritatem et delectationem complectens, sit sicut finis sub fine, conjungens ultimo fini; cum operatio in objectum tendat: nec est recta relatio voluntatis in Deum nisi mediantibus his tribus.

Réponse. Comme on l’a dit, bien qu’il n’existe qu’une seule fin ultime pour toutes les choses, comme il n’existe qu’un seul principe premier, une fin propre revient cependant à chaque chose, de même qu’un principe propre, de telle sorte que les choses qui relèvent d’un seul genre se rejoignent dans un seul principe propre de ce genre et ainsi se rejoignent dans une seule fin, qui est commune à tout ce qui appartient à ce genre, mais non pas cependant à toutes les choses. De même ne peut-il y avoir de relation appropriée d’une chose à la fin ultime, que par l’intermédiaire de la fin qui revient à son genre. Or, la fin propre de chaque chose, par laquelle elle est ordonnée à la fin ultime, est sa propre opération. Aussi la fin de la nature raisonnable, par laquelle elle est ordonnée à sa fin propre, est-il l’opération parfaite, qui est propre à cette nature. Or, la perfection de l’opération consiste en trois choses : dans l’objet, dans l’habitus et dans la délectation. En effet, plus un objet est élevé, plus l’objet qui y tend est belle et parfaite. Aussi l’opération tient-elle sa perfection de son objet et de l’objet le plus parfait sa perfection la plus élevée. De même aussi, l’opération n’est-elle pas parfaite sans un habitus. Aussi plus l’habitus est parfaite, plus l’opération sera-t-elle parfaite, et l’opération la plus parfaite viendra de l’habitus le plus noble. De même, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, X, la délectation perfectionne l’opération, comme la beauté la jeunesse. En effet, la délectation même est comme un ornement de l’opération. C’est pourquoi il est nécessaire que l’une de ces choses soit la fin commune des volontés droites en question. Or, l’opération parfaite est la béatitude, l’objet le plus élevé est Dieu, l’habitus le plus parfait est la charité, et la délectation la plus pure est la délectation spirituelle, comme cela est montré dans l’Éthique, X. C’est pourquoi il est dit dans le texte que Dieu est la fin des volontés droites, ainsi que la charité, la délectation bonne et la béatitude, de telle sorte cependant que Dieu soit la fin ultime, et la béatitude embrassant la charité et la délectation, comme une fin subordonnée à la fin, et qui unit à la fin ultime, puisque l’opération tend vers l’objet et qu’il n’existe de relation droite de la volonté en direction de Dieu que par l’intermédiaire de ces trois choses.

[6751] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod finis qui est circa finem ultimum, non est finis communis omnibus rebus; sed potest esse communis in aliquo genere; et ita est de beatitudine: non enim creaturae irrationales ad beatitudinem pervenire possunt; unde earum finis beatitudo non est; sed est finis rationalis creaturae quae ad eam pervenire potest.

1. La fin qui porte qui la fin ultime n’est pas la fin commune à toutes choses, mais elle peut être commune à l’intérieur d’un genre. Ainsi en est-il aussi de la béatitude : en effet, les créatures non raisonnables ne peuvent pas aprvenir à la béatitude. Leur fin n’est donc pas la béatitude, mais celle-ci est la fin de la créature raisonnable qui peut y parvenir.

[6752] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod quamvis beatitudo sit occulta quantum ad substantiam, tamen ratio beatitudinis nota est: omnes enim per beatitudinem intelligunt quemdam perfectissimum statum: sed in quo consistat ille status perfectus, utrum in vita, vel post vitam, vel in bonis corporalibus vel spiritualibus, et in quibus spiritualibus, occultum est.

2. Bien que la béatitude soit cachée pour ce qui est de sa substance, la raison de béatitude est cependant connue. En effet, tous entendent par béatitude un état très parfait. Mais en quoi consiste cet état : en cette vie ou après cette vie, dans les biens corporels ou dans les biens spirituels, et dans quels biens spirituels, cela est caché.

[6753] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod vita dicitur dupliciter. Uno enim modo vita idem est quod esse viventis; ut in 2 de anima dicitur, quod vivere viventibus est esse; et hoc modo vita hominis relinquitur ex conjunctione animae ad corpus, et vita aeterna ex aeterna conjunctione utriusque: et hoc modo vita aeterna non est finis rectarum voluntatum. Alio modo dicitur vita operatio rei viventis: et hoc modo vita aeterna dicitur operatio perfecta, qua homines beati in aeternum Deum videbunt, secundum quod dicitur Joan. 17, 9: haec est vita aeterna ut cognoscant te solum Deum verum, et quem misisti Jesum Christum. Et hoc modo vita aeterna est finis rectarum voluntatum, et est idem quod beatitudo.

3. On parle de vie de deux manières. D’une manière, la vie est la même chose que l’être du vivant ; ainsi, il est dit dans Sur l’âme, II, que vivre, c’est être pour les vivants. De cette manière, la vie de l’homme vient de l’union de l’âme au corps, et la vie éternelle de l’union éternelle des deux. De cette manière, la vie éternelle n’est pas la fin des volontés droites. D’une autre manière, on parle de vie pour l’opération de la réalité vivante. De cette manière, on parle de la vie éternelle pour l’opération parfaite, par laquelle les hommes bienheureux verront Dieu éternellement, selon ce qui est dit en Jn 17, 9 : La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui qui tu as envoyé, Jésus, le Christ. De cette manière, la vie éternelle est la fin des volontés bonnes et elle est la même chose que la béatitude.

[6754] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod caritas dupliciter potest considerari: vel in habitu, vel secundum quod bonum ejus resultat in actu, sicut bonitas cujuslibet habitus resultat in actu ex habitu procedente. Si ergo accipiatur primo modo caritas, sic operationes rectae, ante infusionem caritatis factae, ordinantur ad caritatem ut ad finem, inquantum disponunt animam caritatis infusae receptivam. Sed sic non intelligitur hic, sed intelligitur secundum quod bonum caritatis resultat in actu, sicut etiam philosophus dicit in 3 Ethic., quod fortis operatur propter bonum fortitudinis, inquantum opera sua ad finem fortitudinis refert, quod est fortiter operari. Similiter etiam caritatem habens refert opera sua in bonum caritatis, quod est ipsa operatio ex caritate procedens, scilicet dilectio Dei et proximi.

4. La charité peut être envisagée de deux manières : en habitus ou selon que son bien aboutit à l’acte, comme la bonté d’un habitus aboutit à un acte qui vient de cet habitus. Si donc la charité est entendue de la première manière, les opérations droites accomplies avant l’infusion de la charité sont ordonnées à la charité comme à leur fin pour autant qu’elles disposent l’âme qui peut recevoir la charité infuse. Mais ce n’est pas ainsi qu’on l’entend ici, mais on l’entend selon que le bien de la chairté aboutit à l’acte, comme le Philosophe dit aussi, Éthique, III, que le fort agit en vue du bien de la force, dans la mesure où il met ses actions en rapport avec le bien de la force, qui consiste à agir avec force. De même, celui qui a la charité met ses actions en rapport avec le bien de la charité, qui consiste dans l’action même qui procède de la charité : l’amour de Dieu et du prochain.

[6755] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod ad bonum alicujus virtutis non ordinatur nisi vel actus propriae virtutis, vel actus alterius virtutis, qui est imperatus ab illa virtute: sicut actus proprius fortitudinis ordinatur in bonum fortitudinis, vel etiam actus magnanimitatis, qui est tendere in magna facienda, et ardua, secundum quod est a fortitudine imperatus. Nulla autem virtus imperat universaliter omnibus virtutibus, nisi caritas, quae est mater omnium virtutum; et habet hoc tum ex objecto proprio, quod est summum bonum, in quod immediate fertur, tum etiam ex subjecto, scilicet ex voluntate, quae aliis viribus imperat; et ideo inter virtutes sola caritas dicitur communis finis omnium rectarum voluntatum.

5. N’est ordonné au bien d’une vertu que l’acte propre de cette vertu ou l’acte d’une autre vertu commandé par cette vertu : ainsi, l’acte propre de la force est-il ordonnée au bien de la force, ou encore l’acte de magnanimité, qui consiste à tendre vers des actions grandes et difficiles, selon qu’il est commandé par la force. Or, aucune vertu de commande universellement à toutes les vertus, que la charité, qui est la mère de toutes les vertus, et qui possède cela en vertu de son objet propre, qui est le bien suprême, auquel elle tend de manière immédiate, ou en vertu de son sujet, la volonté, qui commande aux autres puissances. C’est pourquoi, parmi les vertus, seule la charité est appelée la fin commune de toutes les volontés droites.

[6756] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 2 ad 6Ad sextum dicendum, quod operatio simpliciter est melior quam delectatio; et ideo, ut medici dicunt, natura in opere generationis delectationem posuit, ne animalia sua salute contenta, salutem speciei negligerent, quae per actum generationis fit; unde delectatio propter operationem est. Non autem delectatio quamlibet operationem sequitur, sed operationem perfectam; et ideo, sicut operationes imperfectae ordinantur ad operationem perfectam, ita etiam ordinantur ad delectationem, quae perfectam operationem exornat. Vel dicendum, quod finis potest alicui rei attribui dupliciter: vel secundum quod in se consideratur; et sic operatio non est ad delectationem, sed e converso: vel ex parte ejus quod in finem tendit; et sic operatio delectatione perficitur, et propter eam est sicut propter suam perfectionem: delectationes enim propriae, sicut in 10 Ethic. dicitur, augmentant proprias operationes: quia secundum quod operans talibus operationibus reficitur per delectationem earum, diligentius eas exercet.

6. L’opération est simplement meilleure que la délectation. C’est pourquoi les médecins disent que la nature a mis le plaisir dans l’acte de la génération afin que les animaux, non satisfaits de la conservation de leur vie, ne délaissent pas la conservation de l’espèce, qui se réalise par l’acte de la génération. La délectation existe ainsi en vue de l’opération. Mais la délectation ne découle pas de n’importe quelle opération, mais d’une opération parfaite. C’est pourquoi, de même que les opérations imparfaites sont ordonnées à une opération parfaite, de même aussi sont-elles ordonnées à la délectation, qui embellit l’opération parfaite. Ou bien il faut dire que la fin peut être attribuée à une chose de deux manières : soit selon qu’elle est envisagée en elle-même, et ainsi elle n’existe pas en vue de la délectation, mais c’est l’inverse ; soit du point de vue de ce qui tend vers la fin, et ainsi l’opération est perfectionnée par la délectation et existe pour elle comme pour sa perfection – en effet, les délectations propres, comme il est dit dans Éthique, X, augmentent les opérations propres ‑, car selon que celui qui agit est réconforté par la délectation qui vient d’elles, il les exerce avec plus de soin.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum intentio sit actus voluntatis

Article 3 – L’intention est-elle un acate de la volonté ?

[6758] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod intentio non sit aliquid voluntatis. Quia, ut in 2 Ethic. dicitur, omne quod est in anima, vel est passio, vel habitus, vel potentia. Sed intentio non nominat ipsam potentiam voluntatis, quia sic omnis actus voluntatis intentio dici deberet: similiter etiam non est habitus animae, quia habitus animae sunt virtutes vel scientiae; nec iterum est passio in voluntate existens, quia passiones sunt in sensitiva parte, et non in intellectiva, ut in 7 Physic. probatur. Ergo intentio non videtur aliquid ad voluntatem pertinens.

1. Il semble que l’intention ne soit pas quelque chose de la volonté, car, ainsi qu’il est dit dans Éthique, II, tout ce qui existe dans l’âme est soit une passion, soit un habitus, soit une puissance. Or, l’intention ne désigne pas la puissance même de la volonté, car ainsi tout acte de la volonté devrait être appelé une intention ; de même aussi n’est-elle pas un habitus de l’âme, car les habitus de l’âme sont les vertus ou les sciences ; elle n’est pas non plus une passion résidant dans la volonté, car les passions se trouvent dans la partie sensible, et non dans la partie intellectuelle, comme cela est démontré dans Physique, VII. L’intention ne semble donc pas être quelque chose qui concerne la volonté.

[6759] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, ut in 2 Physic. probatur, natura in sua operatione intendit finem. Sed agens per naturam, non agit per voluntatem: quia in eodem libro distinguitur agens a proposito contra agens a natura. Ergo intentio non pertinet ad voluntatem.

2. Comme cela est démontré dans Physique, II, par son opération, la nature a en vue une fin. Or, celui qui agit par nature n’agit pas par volonté, car, dans le même livre, on fait une distinction entre celui qui agit intentionnellement et celui qui agit par nature. L’intention ne relève donc pas de la volonté.

[6760] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, Luc. 11, 34: si oculus tuus nequam fuerit, etiam corpus tuum tenebrosum erit; Glossa: oculus, idest intentio. Sed ratio oculi non competit voluntati, sed magis rationi: similiter etiam dirigere, quod intentioni attribuitur, rationis est, et non voluntatis. Ergo intentio non pertinet ad voluntatem, sed ad rationem.

3. Il est dit en Lc 11, 34 : Si ton œil est mauvais, ton corps aussi sera dans les ténèbres. La Glose dit : « L’œil, c’est-à-dire l’intention. » Or, la raison d’œil ne convient pas à la volonté, mais plutôt à la raison ; de même, diriger, qui est attribué à l’intention, relève de la raison, et non de la volonté. L’intention ne relève donc pas de la volonté, mais de la raison.

[6761] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, voluntas est principium rerum operabilium, quae ad practicum intellectum pertinent. Sed intentio non tantum est in practicis, sed etiam in speculativis, in quibus etiam finis invenitur. Ergo intentio non pertinet ad voluntatem.

4. La volonté est le principe de ce qui peut être accompli, qui relève de l’intellect pratique. Or, l’intention n’existe pas seulement dans les réalités pratiques, mais aussi dans les réalités spéculatives, chez lesquelles on trouve aussi la fin. L’intention ne relève donc pas de la volonté.

[6762] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, potentiae non potest attribui nisi duplex actus: vel qui convenit sibi per se, vel qui convenit sibi in ordine ad aliam potentiam. Sed intentio non potest esse actus voluntatis per se consideratae, quia non denominatur a voluntate; actus autem qui est alicujus potentiae per se, denominatur ab ipsa, sicut intelligere ab intellectu: similiter etiam non est actus ejus secundum ordinem ad rationem, quia sic actus ejus est eligere, ut supra dictum est. Ergo intentio nullo modo est actus voluntatis.

5. Seul un double acte peut être attribué à une puissance : celui qui lui convient par soi, ou celui qui lui convient selon un ordre à une autre puissance. Or, l’intention ne peut pas être un acte de la volonté envisagée en soi, car elle ne tire pas son nom de la volonté. Or, un acte qui relève d’une puissance par soi tire son nom de celle-ci, comme intelliger de l’intellect. De même, elle n’est pas un de ses actes selon l’ordre à la raison, car ainsi son acte consiste à choisir, comme on l’a dit plus haut. L’intention n’est donc d’aucune manière un acte de la volonté.

[6763] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra, meritum et demeritum in sola voluntate constitutum est. Sed secundum intentionem praecipue attenditur meritum et demeritum. Ergo intentio ad voluntatem pertinet.

Cependant, [1] le mérite et le démérite relève de la seule volonté. Or, le mérite et le mérite sont envisagés surtout d’après l’intention. L’intention relève donc de la volonté.

[6764] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, ut in littera dicitur, intentio est de fine. Finis autem habet rationem boni. Cum igitur bonum ad voluntatem pertineat, quia est objectum ejus, videtur quod intentio voluntatis sit.

[2] Comme le dit le texte, l’intention porte sur la fin. Or, la fin a raison de bien. Puisque le bien se rapporte à la volonté, car il en est l’objet, il semble donc que l’intention relève de la volonté.

[6765] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod ex ipso nomine intentionis potest accipi ad quam potentiam pertineat. Intendere enim dicitur, quasi in aliud tendere. Intendere autem in aliquid, est illius potentiae ad quam pertinet prosequi et fugere aliquid. Haec autem est appetitus vel voluntas; non autem intellectus. Sed verum est quod intellectus practicus dicit aliquid de fugiendo vel prosequendo, ut in 3 de anima dicitur; unde judicium fugae et prosecutionis ad intellectum practicum pertinet; non autem ipsa prosecutio et fuga. Intellectus autem speculativus neque fugit aut prosequitur, neque etiam aliquid de fugiendo et prosequendo dicit; et ideo intentio non est actus cognoscitivae, sed appetitivae. Per hoc autem quod dicitur in aliquid tendere, importatur quaedam distantia illius in quod aliquid tendit; et ideo quando appetitus fertur immediate in aliquid, non dicitur esse intentio illius, sive hoc sit finis ultimus, sive sit aliquid ad finem ultimum: sed quando per unum quod vult, in aliud pervenire nititur, illius in quod pervenire nititur, dicitur esse intentio. Hoc autem est finis: propter quod intentio dicitur esse de fine, non secundum quod voluntas in finem absolute fertur, sed secundum quod ex eo quod est ad finem, in finem tendit. Unde intentio in ratione sua ordinem quemdam unius ad alterum importat. Ordo autem unius ad alterum, non est nisi per intellectum, cujus est ordinare. Sed in quibusdam intellectus ordinans appetitum in finem est conjunctus ipsi appetitui, sicut in habentibus intellectum, ut in homine et in Angelo; in quibusdam autem intellectus ordinans est separatus, sicut in naturalibus, quae diriguntur in finem ab intellectu naturam instituente, et finem sibi praesignante. Appetitus autem intellectui conjunctus, voluntas dicitur: sed appetitus ab intellectu separatus, est appetitus sensibilis et naturalis. Quamvis autem cujuslibet horum appetituum intentio communis sit, per prius tamen in voluntate invenitur, quae ab intellectu conjuncto in finem dirigitur; et ideo intentio primo et per se actum voluntatis nominat secundum quod in ea est vis intellectus ordinantis.

Réponse. On peut saisir de quelle puissance l’intention relàve à partir de son nom même. En effet, avoir l’intention signifie tendre vers une autre chose. Or, tendre vers quelque chose relève de la puissance à laquelle il appartient de poursuivre et de fuir quelque chose. Or, celle-ci est l’appétit ou la volonté, mais non l’intelligence. Mais il est vrai que l’intellect pratique porte en partie sur la fuite ou la poursuite, comme on le dit dans Sur l’âme, III. Le jugement sur la fuite et la poursuite relève donc de l’intellect pratique, mais non la poursuite et la fuite elles-mêmes. Mais l’intellect spéculatif ne fuit pas ou ne poursuite pas, et ne dit rien sur la fuite et la poursuite. C’est pourquoi l’intention n’est pas un acte de la [partie] cognitive, mais appétitive. Or, lorsqu’on parle de tendre vers quelque chose, on implique une certaine distance de ce vers quoi quelque chose tend. C’est pourquoi, lorsque l’appétit est immédiatement porté vers quelque chose, on ne dit pas qu’il y a intention de celle-ci, qu’il s’agisse de la fin ultime ou de quelque chose qui se rapporte à la fin ultime ; mais lorsque, par l’intermédiaire d’une chose que l’on veut on s’efforce de parvenir à une autre, on dit qu’on a l’intention de ce à quoi on s’efforce de parvenir. Or, cela est la fin. Pour cette raison, on dit que l’intention porte sur la fin, non pas selon que la volonté est portée vers la fin de manière absolue, mais selon qu’elle tend à la fin à partir de ce qui se rapporte à la fin. Aussi l’intention comporte-t-elle dans sa raison même un ordre entre une chose et une autre. Or, l’ordre entre une chose et une autre ne se réalise que par l’intelligence, à laquelle il revient d’ordonner. Mais, chez certains, l’intellect qui ordonne l’appétit à la fin est uni à l’appétit même, comme chez l’homme eet chez l’ange ; mais, chez certains, l’intellect qui ordonne est séparé, comme dans les choses naturelles, qui sont dirigées vers leur fin par l’intelligence qui établit la nature et leur assigne leur fin à l’avance. Or, l’appétit uni à l’intelligence est appelé volonté ; mais l’appétit séparé de l’intelligence est l’appétit sensible et naturel. Bien que l’intention soit commune à chacun de ces appétits, on le trouve d’abord dans la volonté, qui dirige vers la vin en étant uni à l’intelligence. C’est pourquoi l’intention désigne en premier lieu et par soi un acte de la volonté, selon qu’existe en elle la puissance de l’intelligence qui ordonne.

[6766] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod in passione intelligitur etiam operatio: quia operationes animae passiones etiam quaedam sunt, quia intelligere est quoddam pati, et sentire. Vel etiam intelligitur in habitu operatio, qui principium operationis est: vel quia operatio non significatur ut in anima existens, sed ut ab anima egrediens.

1. Par passion, on entend aussi une opération, car les opérations de l’âme sont aussi des passions, puisque intelliger et sentir consistent d’une certaine manière à subir (pati). Ou encore, on entend l’opération dans l’habitus, qui est le principe de l’opératio, ou parce que l’opération n’est pas signifiée comme existant dans l’âme, mais comme sortant de l’âme.

[6767] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod naturalia quamvis non habeant voluntatem, tamen intendunt aliquid per appetitum naturalem, secundum quod diriguntur in finem suum ab intellectu divino naturae attribuente inclinationem in finem, quae inclinatio appetitus naturalis dicitur; et ideo non est ita proprie intentio in eis sicut in agentibus a proposito.

2. Bien que les réalités naturelles n’aient pas de volonté, elles tendent néanmoins vers quelque chose par un appétit naturel, selon qu’elles sont dirigées vers leur fin par l’intelligence divine qui attribue à la nature une inclination vers une fin, appelée inclination de l’appétit naturel. C’estd pourquooi l’intention n’existe pas en elles d’une manière aussi propre que dans celles qui agissent selon un propos.

[6768] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod dirigere vel esse oculum, attribuitur intentioni, non secundum quod est actus voluntatis simpliciter, sed secundum quod vis rationis ordinantis in voluntate manet.

3. Diriger ou être l’œil est attribué à l’intention, non pas selon qu’elle est simplement un acte de la volonté, mais selon que la puissance de la raison qui ordonne demeure dans la volonté.

[6769] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod cum voluntas moveat omnes potentias in actus suos, non solum est respectu eorum quae ad practicum intellectum pertinent, sed etiam eorum quae ad speculativum: sicut enim homo vult ambulare, vel aliquid hujusmodi facere; ita etiam vult considerare, et veritatem quaestionis alicujus invenire.

4. Puisque la volonté meut toutes les puissances vers leurs actes, elle ne porte pas seulement sur ce qui relève de l’intelllect pratique, mais aussi sur ce qui relève de [l’intellect] spéculatif. En effet, de même que l’homme veut marcher ou faire quelque chose de ce genre, de même aussi veut-il considérer et trouver la vérité d’une question.

[6770] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod intentio non est actus voluntatis absolute, sed in ordine ad rationem actum voluntatis ordinantem. Sed ratio potest ordinare actum voluntatis dupliciter: vel secundum quod voluntas est de fine, et sic actus voluntatis in ordine ad rationem est intentio: vel secundum quod est de his quae sunt ad finem; et sic actus voluntatis in ordine ad rationem est electio.

5. L’intention n’est pas un acte de la volonté de manière absolue, mais selon un ordre à la raison qui ordonne l’acte de la volonté. Mais la raison peut ordonner l’acte de la volonté de deux manières : soit selon que la volonté porte sur la fin, et ainsi l’acte de la volonté selon un ordre de la raison est l’intention ; soit selon qu’elle porte sur ce qui se rapporte à la fin, et ainsi l’acte de la volonté selon l’ordre de la raison est le choix.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum voluntas uno et eodem actu velit finem et ea quae sunt ad finem

Article 4 – La volonté veut-elle dans un seul et même acte la fin et ce qui se rapporte à la fin ?

[6772] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non sit unus actus voluntatis qui est de fine et de eo quod est ad finem. Actus enim omnes distinguuntur secundum objecta, ut 2 de anima dicitur. Finis vero et quod est ad finem, sunt diversa objecta. Ergo et motus voluntatis sunt diversi qui in ea feruntur.

1. Il semble qu’il n’y ait pas un seul acte qui porte sur la fin et sur ce qui se rapporte à la fin. En effet, tous les actes se distinguent par leurs objets, comme on le dit dans Sur l’âme, II. Or, la fin et ce qui se rapporte à la fin sont des objets différents. Les moouvements de la volonté qui portent sur eux sont donc différents.

[6773] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 2Praeterea, non est idem in specie motus qui est ad ultimum terminum et qui est ad medium, ut in 10 Ethic. dicitur: sicut qui est ad nigredinem et qui est ad pallorem ab albedine. Sed illud quod est ad finem, est sicut medium per quod itur in finem quasi in ultimum terminum. Ergo non est idem motus voluntatis qui est finis, et ejus quod est ad finem.

2. Le mouvement qui porte sur le terme ultime et celui qui porte sur un moyen ne sont pas les mêmes selon l’espèce, comme on le dit dans Éthique, X : ainsi, [le mouvement] vers la noirceur et [le mouvement] vers la pâleur tirée de la blancheur. Or, ce qui se rapporte à la fin est comme un moyen par lequel on va vers la fin comme terme ultime. Le mouvement de la volonté portant sur la fin et celui portant sur ce qui se rapporte à la fin ne sont donc pas les mêmes.

[6774] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 3Praeterea, actus voluntatis sequitur actum intellectus. Sed non eadem est cogitatio de fine et de eo quod est ad finem. Ergo nec idem voluntatis motus.

3. L’acte de la volonté suit l’acte de l’intelligence. Or, la pensée portant sur la fin et celle portant sur ce qui se rapporte à la fin ne sont pas les mêmes. Le mouvement de la volonté n’est donc pas le même.

[6775] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 4Praeterea, contraria non possunt eidem simul inesse. Sed in eo qui vult dare eleemosynam propter vanam gloriam, voluntas quae est finis, est mala; et quae est ejus quod est ad finem, est bona. Ergo non est idem actus voluntatis utrobique.

4. Les contraires ne peuvent se trouver dans uune même chose. Or, chez celui qui veut faire l’aumône par vaine gloire, la volonté qui porte sur la fin est mauvaise, et celle qui porte qui se rapporte à la fin est bonne. Ce n’est donc pas le même acte de la volonté dans les deux cas.

[6776] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 4 s. c. 1Sed contra, philosophus dicit: ubi unum propter alterum, ibi unum tantum. Sed illud quod est ad finem, desideratur propter finem. Ergo unum desiderium est finis et ejus quod est ad finem.

Cependant, [1] le Philosophe dit : « Là où une chose existe en vue d’une autre, il n’existe qu’une seule chose. » Or, ce qui est rapporte à la est désiré en vue de la fin. Il y a donc un seul désir qui porte sur la fin eet sur ce qui se rapporte à la fin.

[6777] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 4 s. c. 2Praeterea, non contingit potentiam esse in duobus actibus simul. Sed simul aliquis vult finem et illud quod est ad finem. Ergo non est alius motus voluntatis qui est in utrumque.

[2] Il n’arrive pas qu’une puissance se trouve dans deux actes en même temps. Or, on veut en même temps la fin et ce qui se rapporte à la fin. Ce n’est donc pas un mouvement différent de la volonté dans les deux cas.

[6778] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod quando aliquid dicitur secundum relationem ad alterum, potest dupliciter considerari: vel secundum quod est res quaedam in se absolute; et sic non est eadem consideratio ejus et illius ad quod dicitur, sed divisim utrumque consideratur: vel secundum quod ad alterum dicitur; et hoc modo eadem est consideratio utriusque; quia qui novit unum relativorum, novit et reliquum, sicut in praedicamentis dicitur; sicut si aliquis considerat imaginem prout imago est alicujus rei, eadem consideratio erit imaginis et ejus cujus est imago. Si autem consideretur imago inquantum est res quaedam, ut figura depicta in lapide; alia consideratio erit imaginis et ejus cujus est imago. Ita etiam dico de eo quod est ad finem: quia quaedam sunt quae quaeruntur propter finem, quae nihilominus habent in se unde desiderentur: et in talia potest voluntas ferri dupliciter: vel secundum quod ea propter finem quaerit; et sic idem est actus voluntatis qui est in finem et in illud quod est ad finem: vel secundum quod ipsa sunt quaedam res per se desiderabiles; et sic est alia voluntas de utroque. Sed quaedam sunt quae non desiderantur nisi in relatione ad finem, ut sectio et ustio quae in se mala sunt: et in talibus nunquam differt motus voluntatis, secundum quod voluntas fertur in ista et in finem eorum: quia in ea voluntas non fertur, nisi prout considerantur sub relatione ad finem.

Réponse. Lorsqu’on parle d’une chose selon sa relation à une autre, elle peut être envisagée de deux manières : soit selon qu’elle est une en soi de manière absolue, et ainsi ce n’est pas une même considération qui porte sur elle et sur ce à quoi elle se rapporte, mais les deux choses sont considérées séparément ; soit selon qu’on en parle par rapport à une autre chose, et c’est la même considération pour les deux, car celui qui connaît l’un des relatifs connaît aussi l’autre, comme on le dit dans Les Prédicaments. Ainsi, lorsque quelqu’un considère une image en tant qu’elle est l’image d’une chose, ce sera la même considération qui portera sur l’image et sur ce dont elle est l’image. Mais si l’image est considérée comme une chose, en tant que figure peinte sur la pieerre, il y aura une considération différente de l’image et de ce dont elle est l’image. Je parle de même de ce qui se rapporte à la fin, car il existe certaines choses qui sont recherchées en vue de la fin, qui ont cependant en elles-mêmes une raison d’être désirées. La volonté peut porter sur de telles choses de deux manières : soit qu’elle les recherche en vue de la fin, et ainsi c’est le même acte de la volonté qui porte sur la fin et sur ce qui se rapporte à la fin ; soit qu’elles sont des choses désirables pour elles-mêmes, et ainsi [l’acte] de la volonté est différent dans les deux cas. Mais il existe certaines choses qui ne sont désirées qu’en rapport avec la fin, telles l’amputation et la cautérisation qui sont mauvaises en elles-mêmes : pour de telles choses, il n’existe jamais de différence dans le mouvement de la volonté qui porte sur ces choses et sur leur fin, car la volonté n’est portée vers elles que dans leur rapport à la fin.

[6779] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod finis et id quod est ad finem, inquantum hujusmodi consideratum, non sunt diversa objecta, sed unum objectum in quo finis sicut formale est, quasi ratio quaedam volendi; sed id quod est ad finem, est sicut materiale, sicut etiam lumen et color sunt unum objectum.

1. Considérés en tant que tels, la fin et ce qui se rapporte à la fin ne sont pas des objets différents, mais un seul objet pour lequel la fin joue le rôle de forme en étant pour ainsi dire une raison de vouloir ; mais ce qui se rapporte à la fin joue le rôle de matière, de la même manière que la lumière et la couleur sont un seul objet.

[6780] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod quando voluntas fertur in id quod est ad finem, prout est ad finem, id quod est ad finem non est terminus ejus; et ideo non oportet quod sint ibi duo motus: sicut est etiam unus motus continuus qui de extremo in extremum per media transit, nisi medio ut termino (in medio quiescendo) utatur.

2. Lorsque la volonté se porte vers ce qui se rapporte à la fin en tant que cela se rapporte à la fin, ce qui se rapporte à la in n’est pas son terme. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il y ait là deux mouvements, de même qu’il n’existe qu’un seul mouvement continu qui, d’un extrême à l’autre, passe par des intermédiaires, à moins qu’on utilise un intermédiaire comme un terme (en se reposant dans l’intermédiaire).

[6781] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod etiam cogitatio de eo quod est ad finem, prout consideratur in ordine ad finem, est eadem cum cogitatione finis; non autem cogitatio de eo quod est ad finem ut est res quaedam, et similiter nec voluntas.

3. Même la pensée de ce qui se rapporte à la fin, en tant que cela est considéré par rapport à la fin, est la pensée que la pensée de la fin ; mais ce n’est pas le cas de la pensée de ce qui se rapporte à la fin en tant que cela est une certaine chose. De même n’est-ce pas le cas de la volonté.

[6782] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod cum aliquis vult dare eleemosynam propter inanem gloriam, hic est unus actus voluntatis; et hic actus totus malus est, licet nunquam ad omne id quod in eo est malitiam habeat; unus enim particularis defectus sufficit ad hoc quod aliquid simpliciter malum dicatur. Sed verum est quod si vellet hoc quod est dare eleemosynam, ut rem quamdam non in ordine ad talem finem, actus ille voluntatis esset bonus, et esset alius actus voluntatis ab eo quo vult vanam gloriam.

4. Lorsque quelqu’un veut faire l’aumône par vaine gloire, il s’agit d’un seul acte de la volonté ; cet acte est entièrement mauvais, bien que tout ce qui se trouve en lui ne soit pas mauvais. En effet, une seule carence particulière suffit pour que quelque chose soit appelé tout simplement mauvais. Mais il est vrai que s’il voulait le fait de faire l’âumône comme une chose qui ne se rapporte pas à une telle fin, cet acte de la volonté serait bon et serait un acte de la volonté différent de celui par lequel il veut la vaine gloire.

 

 

ARTICULUS 5 Utrum voluntas judicanda sit recta ex fine

Article 5 – Faut-il juger que la volonté est droite en fonction de la fin ?

[6784] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur quod voluntas non sit judicanda recta ex fine. Contingit enim aliquod malum propter bonum velle; sicut qui vult furari, ut eleemosynas det. Sed talis voluntas mala est, et tamen finis voluntatis est bonus. Ergo ex fine non judicatur rectitudo voluntatis.

1. Il semble qu’il ne faille pas juger que la volonté est droite en fonction de la fin. En effet, il arrive qu’on veuille un mal en vue d’un bien, comme c’est le cas de celui qui veut voler pour faire l’aumône. Or, une telle volonté est mauvaise ; cependant, la fin de la volonté est bonne. On ne juge donc pas de la droiture de la volonté en fonction de la fin.

[6785] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 2Praeterea, contingit quod aliquis faciat aliquid parvum, intendens magnum facere; sicut aliquis dans obolum, si intendat habere tantam mercedem, sicut si daret centum marchas. Non autem sequitur quod tantum bonum faciat, quantum est finis quem intendit. Ergo ex fine non mensuratur rectitudo voluntatis.

2. Il arrive qu’on fasse quelque chose de petit, alors qu’on veut faire quelque chose de grand, comme lorsque quelqu’un, en donnant une obole, a l’intention de recevoir une récompense proportionnée à un don de cet marcs. Or, il n’en découle pas qu’il fait autant de bien que la fin qu’il a en vue. Il ne faut donc pas mesurer la droiture de la volonté en foncntion de la fin.

[6786] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 3Praeterea, omnia bonum appetunt, ut dicitur in 1 Ethic. Si igitur voluntas dicenda est recta ex voluntate finis, omnis voluntas erit bona.

3. Toutes choses désirent le bien, comme on le dit dans Éthique, I. Si donc ondit que la volonté est droite en fonction de la fin, toute volonté sera droite.

[6787] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 4Praeterea, ad hoc quod aliquid bonum dicatur, oportet quod omnia perficientia rem in bonitate concurrant: quia bonum est ex una et tota causa, ut Dionysius dicit. Sed bonitas actus causatur ex habitu, ex circumstantiis, et ex fine. Ergo non potest sufficienter ex fine judicari voluntatis rectitudo.

4. Pour qu’une chose soit appelée bonne, il faut que tout ce qui achève la chose concourt à sa bonté, car le bien vient d’une cause unique et entière, comme le dit Denys. Or, la bonté d’un acte est causée par un habitus, par les circonstances et par la fin. La droiture de la volonté ne peut donc est suffisamment jugée en fonction de la fin.

[6788] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 5Praeterea, ex eodem judicatur rectitudo alicujus actus ex quo mensuratur bonitas ejus. Sed bonitas actus, praecipue quae est in virtute merendi, mensuratur ex radice, quae est habitus actum eliciens. Ergo rectitudo voluntatis potius judicatur ex habitu, qui est principium actus, quam ex fine.

5. La droiture d’un acte se mesure par cela même qui mesure sa bonté. Or, la bonté d’un acte, surtout celle qui est consiste à mériter, est mesurée en fonction de sa racine, qui est l’habitus dont l’acte est issu. La droiture de la volonté se juge donc surtout en fonction de l’habitus, qui est le principe de l’acte, qu’en fonction de la sa fin.

[6789] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 s. c. 1Sed contra, omnis motus recipit speciem ex termino. Sed terminus actus voluntatis est finis. Ergo ex bonitate finis judicandus est bonus actus voluntatis.

Cependant, [1] tout mouvement reçoit son espèce de son terme. Or, le terme d’un acte de la volonté est une fin. Il faut donc juger qu’un acte de la volonté est bon en fonction de la bonté de sa fin.

[6790] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 s. c. 2Praeterea, actus recipit speciem a forma agentis; unde secundum diversas formas diversificantur actiones in specie, sicut calefacere et infrigidare. Sed forma voluntatis est finis, quod est appetibile, sicut intelligibile est forma intellectus. Ergo secundum bonitatem et malitiam finis, dicitur actus voluntatis bonus et malus.

[2] L’acte reçoit son espèce de la forme de l’agent ; aussi les actes se diversifient-ils par leur espèce selon leurs diverses formes, comme c’est le cas du réchauffement et du refroidissement. Or, la forme de la volonté est la fin, qui est ce qui est désirable, comme ce qui est intelligible est la forme de l’intelligence. On parle donc d’un acte bon et mauvais de la volonté selon la bonté et la méchanceté de la fin.

[6791] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod actus voluntatis potest ferri in finem dupliciter. Vel immediate in ipsum finem; et sic actus voluntatis manifeste bonitatem et malitiam ex fine habet; quia velle bonum finem, est bonum; et velle malum finem, est malum; bonitas enim finis non dependet ulterius ex aliquo alio, sicut bonitas ejus quod est ad finem, dependet ex fine: et talis actus proprie dicitur voluntas finis, ut velle beatitudinem. Alio modo fertur actus in finem mediante eo quod est ad finem; et hoc proprie dicitur intendere finem; et tunc distinguendum est: quia in malis absolute dicendum est, quod actus habet malitiam ex fine: quia si finis intentus est malus, voluntas mala est, quantumcumque sit bonum illud quod ad talem finem ordinatur; eo quod unus particularis defectus sufficit ad malitiam: in bonis autem distinguendum est; quia aut loquimur de fine volentis, aut de fine actus voluntatis; et dicitur finis volentis quem volens sibi praestituit: et tunc non sequitur, si finis est bonus, quod voluntas sit bona; quia potest esse id quod est volitum, malum, et unum tantum sufficit ad malitiam voluntatis, sive finis sive volitum sit malum: et quamvis uno modo sit idem actus voluntatis qui fertur in finem et in id quod est ad finem, tamen intentio nominat illum actum, secundum ordinem actus ad finem; sed voluntas nominat actum eumdem, secundum ordinem ad objectum proximum, quod in finem ordinatur: et ideo in tali casu voluntas est mala, sed intentio bona. Finis autem dicitur ad quem actus proportionatus est; et ita etiam si finis est bonus, et actus bonus; quia actus malus non est proportionatus ad finem bonum. Unde dicit philosophus in 6 Ethic., de his qui per malos actus bonos fines consequi intendunt, quod quaerunt sortiri finem inconvenienti medio; sicut enim non quaelibet materia est disposita ad quamlibet formam, nec quodlibet instrumentum ad quemlibet effectum, nec quodlibet medium ad quamlibet conclusionem; ita nec quilibet actus ad quemlibet finem.

Réponse. L’acte de la volonté peut être porté vers la fin de deux manières. Soit vers la fin de manière immédiate, et ainsi l’acte de la volonté tient manifestement de la fin sa bonté et sa méchanceté, car vouloir une fin bonne est bon, et vouloir une fin mauvaise est mauvais, car la bonté de la fin ne dépend pas en plus de quelque chose d’autre, comme la bonté de ce qui se rapporte à la fin dépend de la fin ; un tel acte s’appelle à propre parler la volonté de la fin, comme vouloir la béatitude. D’une autre manière, [la volonté] est portée vers la fin par l’intermédiaire de ce qui se rapporte à la fin. C’est ce qu’on appelle à proprement parler tendre vers la fin. Il faut alors faire une distinction, car, pour ce qui est mauvais, il faut dire de manière absolue que l’acte tient sa méchanceté de la fin, car si la fin visée est mauvaise, la volonté est mauvaise, aussi grand soit le bien qui est ordonnée à une telle fin, du fait qu’une seule carence particulière suffit pour la méchanceté. Mais, pour ce qui est bon, il faut faire une distinction, car nous parlons soit de la fin de celui qui veut, soit de la fin de l’actre de la volonté – on appelle fin de celui qui veut celle que celui qui veut s’est fixée ‑ : si la fin est bonne, il n’en découle pas alors que la volonté soit bonne, car ce qui est voulu peut être mauvais, et une seule chose suffit pour rendre la volonté mauvaise, soit que la fin, soit que ce qui est voulu est mauvais. Bien que l’acte de la volonté qui porte sur la fin et sur ce qui se rapporte à la fin soit la même chose d’une certaine manière, l’intention désigne cependant cet acte selon le rapport de l’acte à la fin ; mais la volonté désigne le même acte selon son rapport à objet rapproché, qui est ordonné à la fin. C’est pourquoi, dans un tel cas, la volonté est mauvaise, mais l’intention bonne. Or, on dit que la fin est ce à quoi l’acte a été proportionné ; et ainsi, si la fin est bonne, l’acte aussi est bon, car l’acte mauvais n’est pas proportionné à une fin bonne. De là vient que le Philosophe dise, Éthique, VI, à propos de ceux qui ont l’intention d’atteindre des fins bonnes par des actes mauvais, qu’ils cherchent à obtenir la fin par un moyen inapproprié. En effet, de même que n’importe quelle matière n’est pas disposée à n’importe quelle forme, et de même que n’importe instrument à n’importe quel effet, de même n’importe quel moyen [terme n’est pas disposé] à n’importe quelle conclusion, n’importe quel acte [n’est pas disposé] à n’importe quelle fin.

[6792] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod quando aliquis vult malum propter bonum, illud bonum non est finis actus voluntatis, secundum se considerati, sed est finis a volente inordinate praestitutus.

1. Lorsque quelqu’un veut un mal en vue d’un bien, ce bien n’est pas la fin de l’acte de la volonté, considéré en lui-même, mais il est la fin fixée de manière désordonnée par celui qui veut.

[6793] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 ad 2Et hoc etiam modo dicendum est ad secundum; quia in malis simpliciter tenet, quod quantum malum quis intendit, tantum peccat; in bonis autem non tenet si intelligatur de fine volentis, sed solum si intelligatur de fine actus.

2. Il faut répondre de la même manière au deuxième argument, car, chez les méchants, il se fait que plus grand est le mal que quelqu’un a en vue, plus grand est le péché ; mais, chez les bons, cela n’a pas d’importance qu’on l’entende de la fin de la volonté, mais seulement qu’on l’entende de la fin de l’acte.

[6794] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 ad 3Ad tertium ergo dicendum, quod quamvis omnis voluntas bonum appetat, non tamen appetit semper quod est vere sibi bonum, sed id quod est apparens bonum; et quamvis omnis homo beatitudinem appetat, non tamen quaerit eam in eo ubi est vera beatitudo, sed ubi non est; et ideo nititur ad eam pervenire non per rectam viam: et propter hoc non oportet quod omnis voluntas sit bona.

3. Bien que toute volonté désire le bien, elle ne désire cependant pas toujours ce qui est vraiment bien, mais ce qui est un bien apparent. Bien que tout homme désire la béatitude, il ne la cherche cependant pas là où est la béatitude véritable, mais là où elle n’est pas. C’estd pourquoi il s’efforce d’y parvenir par un chemin qui n’est pas droit. Pour cette raison, il n’est pas nécessaire que tout volonté soit bonne.

[6795] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod ex circumstantiis dicitur actus bonus, secundum quod circumstantiae faciunt actum proportionatum ad finem debitum; et ideo principaliter bonitas actus ex fine pendet.

4. Un acte est appelé bon en raison des circonstances selon que les circonstances rendent l’acte proportionné à la fin appropriée. C’est pourquoi la bonté de l’acte dépend principalement de la fin.

[6796] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod in habitu includitur rectitudo finis; quia ad virtutem, ut philosophus in 2 Ethic. dicit, exiguntur tria. Primo quidem si sit sciens; deinde si volens propter bonum, in quo includitur ordo ad finem; tertium, si firme et immutabiliter operatur. Et ideo si bonitas actus procedat ex habitu, non removetur quin judicetur ex fine.

5. L’habitus comporte la droiture de la fin, car, pour la vertu, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, II, trois choses sont requises. Premièrement, que l’on ait la connaissance ; ensite, que l’on veuille en vue d’un bien, ce qui comporte l’ordre par rapport à la fin ; troisièmement, que l’on agisse avec fermeté et de manière immuable. C’est si pourquoi, si la bonté de l’acte procède d’un habitus, cela n’empêche pas qu’il soit jugé en fonction de la fin.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 38

[6797] Super Sent., lib. 2 d. 38 q. 1 a. 5 expos.Item rectae sunt voluntates, et omnes sibimet religatae, si bona est illa ad quam cunctae referuntur. Hoc intelligendum est, si referantur ad rectam voluntatem, quasi ex se ordinatae ad illam; ita quod recta voluntas sit finis actus voluntatis, et non tantum agentis, ut dictum est. Non debemus ideo evangelizare, ut manducemus. Istud simpliciter verum est: quia manducare non potest esse finis evangelizandi nec proximus nec ultimus; sed est quaesitum ab evangelizante ad facultatem evangelizandi conservandam; et ideo Magister infra in solutione hoc verbum non exponit. Finis vero voluntatis est vel illud quod volumus (...) vel potius illud propter quod illud volumus. Quia omne bonum rationem finis habet; bonum autem objectum est voluntatis; ideo quodlibet volitum quod est objectum voluntatis, finis potest dici; sed magis proprie dicitur finis illud in quod ultimo voluntas tendit, quia hoc est ab ea primo volitum; et ideo in 3 Ethic. dicitur, quod voluntas est finis, electio vero eorum quae sunt ad finem. Intentio vero interdum pro voluntate, interdum pro fine voluntatis accipitur. Intentio proprie loquendo actum voluntatis significat, ut dictum est, sed finem non significat, nisi materialiter nomen sumatur, ut scilicet sumatur intentio pro re intenta, sicut et fides sumitur pro re credita. Finis vero voluntatis est delectatio bona vel mala. Delectatio dicitur bona quae consequitur operationem bonam, et mala quae consequitur malam, ut ex 10 Ethic. patet. Intentio ad illud respicit propter quod volumus. Intentio enim includit actum rationis; et ideo respicit ad id ad quod aliquid ordinatum est; sed voluntas nominat actum voluntatis absolute, cujus non est ordinare vel conferre; et ideo voluntas respicit id in quod immediate fertur. Et alia quidem videtur voluntas esse qua volo habere vitam, et alia qua pauperi subvenire volo. Quomodo sit eadem, et quomodo alia, dictum est; unde utraque opinio secundum aliquid veritatem habet.

 

 

 

DISTINCTIO 39

Distinction 39 – [La volonté, lieu du péché]

 

 

QUAESTIO 1

Question 1 – [Le dérèglement du péché peut-il exister dans la volonté ?]

PROOEMIUM

Prologue

[6798] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 pr.Ostenso quod rectitudo voluntatis et perversitas est ex fine; hic inquirit, utrum in voluntate possit esse perversitas et peccatum; et dividitur in partes duas: in prima ostendit quomodo in voluntate peccatum esse potest; et quia peccatum non est nisi secundum deviationem ab eo ad quod aliquid naturaliter ordinatur; in secunda parte inquirit, quomodo voluntas naturaliter in bonum tendat, ibi: praeterea quaeri solet, quo modo intelligendum sit quod ait Ambrosius. Prima dividitur in duas: in prima movet quaestionem; in secunda ponit responsionem, ibi: ad hoc autem facile respondent qui dicunt, omnia quae sunt, inquantum sunt, bona esse; et dividitur in duas: in prima ponit responsionem secundum primam opinionem supra memoratam, quae ponit omnia, inquantum sunt bona, esse a Deo; in secunda respondet secundum aliam opinionem, quae ponit actus peccatorum nullo modo bonos esse, nec a Deo, ibi: qui vero dicunt voluntates malas peccata esse, et nullo modo bona, brevius respondent. Circa primum facit tria: primo respondet ad quaestionem; secundo objicit contra responsionem, et solvit, ibi: ubi potest ab eis rationabiliter quaeri; tertio iterum contra objectionem solutionis, objectionem movet, et solvit, ibi: sed adhuc quaeritur, quare hujus naturalis potentiae actus peccatum sit. Hic est triplex quaestio. Prima quaestio, utrum peccatum sit in voluntate. Secunda, quomodo homo naturaliter bonum velit. Tertia de hoc quod dicit, quod superior scintilla rationis extingui non potest. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum in voluntate possit esse perversitas peccati; 2 utrum in actibus aliarum potentiarum possit esse peccatum.

Après avoir montré que la droiture de la volonté et le dérèglement de la volonté viennent de la fin, [le Maître] se demande ici s’il peut exister un dérèglement et un péché dans la volonté. Il y a deux parties : dans la première, il montre comment le péché peut se trouver dans la volonté, et parce que le péché ne peut exister que par un détournement de ce à quoi une chose est naturellement ordonnée, dans la seconde partie, il se demande comment la volonté tend naturellement vers le bien, à cet en droit : « De plus, on a coutume de se demander comment il faut entendre ce que dit Ambroise… » La première partie se divise en deux : dans la première, il soulève une question ; dans la seconde, il présente la réponse, à cet endroit : « À cela répondent facilement ceux qui disent que tout ce qui est est bon, dans la mesure où cela est bon. » Et il y a deux parties : dans la première, il présente la réponse selon la première opinion rappelée plus haut, qui affirme que toutes choses, pour autant qu’elles sont bonnes, viennent de Dieu ; dans la seconde, celle qui affirme qui les actes des péchés ne sont bons d’aucune manière et ne viennent pas de Dieu, à cet endroit : « Ceux qui disent que les volontés mauvaises sont des péchés et ne sont aucunement bonnes répondent plus brièvement… » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il répond à la question ; deuxièmement, il soulève une objection contre la réponse et la résout, à cet endroit : « Là, ils peuvent raisonneblement se demander… » ; troisièmement, il soulève à nouveau une objection contre la solution et la résout, à et endroit : « Mais on se demande encore pourquoi l’acte de cette puissance naturelle est un péché. » Il y a ici une triple question. Première question : le péché réside-t-il dans la volonté ? Deuxième question : comment l’homme veut-il naturellement le bien ? Troisième question porte sur ce qu’il dit : l’étincelle supérieure de la raison ne peut être éteinte. À propos de la première question, deux questions sont posées : 1. Le dérèglement du péché peut-il exister dans la volonté ? 2. Le péché peut-il exister dans les actes des autres puissances ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum voluntas possit perverti per peccatum

Article 1 – La volonté peut-elle être déréglée par le péché ?

[6800] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 1Circa primum sic proceditur. Videtur quod voluntas per peccatum perverti non possit. Voluntas enim ad imaginem pertinet; nec tantum secundum quod est potentia, sed etiam, ut videtur, ratione actus; quia respectu quorumdam objectorum salvatur ratio perfecta imaginis in tribus potentiis, ut in 1 Lib., 3 dist., quaest. 4, art. 2, dictum est. Potentia autem non habet comparationem ad objectum nisi mediante actu. Cum igitur imaginis bonitas per peccatum tollatur, quia in imagine pertransit homo, ut in Psal. 38, 7, dicitur, videtur quod in voluntate non possit esse peccatum.

Il semble que la volonté ne puisse être déréglée par le péché. En effet, la volonté relève de l’image [de Dieu], non seulement selon qu’elle est une puissance, mais aussi, semble-t-il, en raison de son acte, car, par rapport à certains objets, la raison parfaite d’image est préservée dans trois puissance, comme on l’a dit dans le livre I, d. 3, q. 4, a. 2. Or, la puissance ne se compare à l’objet que par l’intermédiaire de l’acte. Puisque la bonté de l’image est enlevée par le péché, car l’homme passe par l’image, comme il est dit en Ps 38, 7, il semble qu’il ne puisse y avoir de péché dans la volonté.

[6801] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, illud quod immediate recipit influentiam a primo fonte, immutabiliter tenet hoc quod influxum est in ipsum; sicut substantiae spirituales, quae immediate esse a Deo recipiunt, esse incorruptibile habent; reliqua vero propter longe distare a primo, non possunt semper in esse conservari, ut in 2 de Gener. dicitur. Sed fons bonitatis finis est, a quo ratio boni sumitur. Cum igitur voluntas immediate feratur in finem sicut in objectum, sive etiam in finem ultimum; videtur quod bonitatem inamissibilem habeat; et ita per peccatum vitiari non possit.

2. Ce qui reçoit de manière immédiate un influx de la première source conserve de manière immuable ce qui s’est épanché en lui, telles les substances spirituelles, qui reçoivent l’être immédiatement de Dieu, possèdent un être incorruptible ; mais les autres, parce qu’ils sont très éloignés du premier [être], ne peuvent être toujours être maintenus dans l’être, comme on le dit dans Sur la génération, II. Or, la source de la bonét est la fin, dont est tirée la raison de bien. Puisque la volonté est immédatement portée vers la fin comme vers son objet, ou encore vers la fin ultime, il semble donc qu’elle possède une bonté qui ne peut être enlevée. Et ainsi, elle ne peut être viciée par le péché.

[6802] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, Joan. 8, 34, dicitur: qui facit peccatum, servus est peccati. Sed servitus voluntati non competit, quae liberrima est, et libertatis fons, ut supra, dist. 24, dictum est. Ergo in ea peccatum esse non potest.

3. Il est dit en Jn 8, 34 : Celui qui commet le péché est l’esclave du péché. Or, l’état d’esclave ne convient pas à la volonté, qui est la plus libre et la source de la liberté, comme on l’a dit plus haut, d. 24. Le péché ne peut donc exister en elle.

[6803] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, defectus peccati non debet illi imputari in quo non potest esse defectus, nisi defectu prius in alio existente. Sed in voluntate non potest esse defectus, nisi prius existat defectus in ratione. Ergo peccatum non debet voluntati imputari. Probatio mediae. Voluntas non est nisi boni, vel apparentis boni. Sed voluntas non habet defectum, secundum quod in bonum verum tendit. Ergo non deficit, nisi secundum quod tendit in bonum apparens et non existens. Sed hoc fit secundum quod judicium rationis fallitur. Ergo non est defectus in voluntate, nisi prius sit in ratione.

4. La carence du péché ne doit pas être imputée à celui chez qui il ne peut exister de carence, à moins que la carence n’ait d’abord existé chez un autre. Or, il ne peut exister de carence dans la volonté, à moins que n’existe d’abord une carence dans la raison. Le péché ne doit donc pas être imputé à la volonté. Démonstration de la mineure. La volonté ne porte que sur le bien ou sur un bien apparent. Or, la volonté ne comporte pas de carence selon qu’elle tend vers le bien véritable. Elle ne comporte donc de carence que selon qu’elle tend vers un bien apparent et qui n’existe pas. Or, cela arrive du fait que le jugement de la raison se trompe. Il n’existe donc de carence dans la volonté que s’il en existe d’abord une dans la raison.

[6804] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, sicut se habet error ad cognitivam, ita se habet culpa et peccatum ad appetitivam. Sed, ut in 4 Metaph. dicitur, falsitas est propria phantasiae, quae est cognitio sensitiva. Ergo et peccatum est proprium appetitui sensitivo, et non intellectivo, quod est voluntas.

5. Le rapport entre l’erreur et la puissance cognitive est le même qu’entre la faute et le péché par rapport à la puissance appétitive. Or, ainsi qu’il est dit dans Métaphysique, IV, la fausseté se troouve dans l’imagination, qui est une connaissance sensible. Le péché aussi est donc propre à l’appétit sensible, et non à [l’appétit] intellectuel qu’est la volonté.

[6805] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, Augustinus dicit, quod voluntas est qua peccatur et recte vivitur. Sed quocumque peccatur, in eo est deformitas peccati. Ergo in voluntate peccati deformitas potest esse.

Cependant, [1] Augustin dit que c’est par la volonté qu’on pèche ou qu’on vit correctement. Or, quelle que soit la manière de pécher, y existe la déformation du péché. La déformation du péché peut donc exister dans la volonté.

[6806] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, omne quod est ex nihilo, ut Damascenus dicit, vertibile est in nihil, vel quantum ad esse, vel quantum ad electionem. Sed voluntas creata est ex nihilo. Ergo cum non sit vertibilis in nihil quantum ad esse, quia est pars imaginis, oportet quod sit vertibilis in nihil quantum ad electionem, et hoc non fit nisi per peccatum; ergo peccatum in voluntate esse potest.

[2] Tout ce qui vient du néant, comme le dit [Jean] Damascène, est susceptible d’y retourner, soit quant à son être, soit quant à son choix. Or, la volonté créée vient du néant. Puisqu’elle n’est pas susceptible de retourner au néant quant à son être, car elle est une partie de l’image [de Dieu], il faut donc qu’elle soit susceptible de retourner au néant quant à son choix, et cela ne se réalise que par le péché. Le péché peut donc exister dans la volonté.

[6807] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod nihil imputatur alicui in peccatum et culpam nisi illud cujus causa ipse est; quia non laudamur neque vituperamur nisi ex actibus nostris. Ea vero quorum causa non sumus, per actum nostrum non sunt. Unde cum voluntas dupliciter dicatur, scilicet voluntas potentiae, et voluntas actus; voluntas potentiae, cum a nobis non sit, sed a Deo, in nobis non potest esse peccatum, sed actus ejus, qui a nobis est. Sed sciendum, quod aliquis actus est ab aliquo dupliciter. Uno modo tam secundum substantiam actus quam secundum determinationem agentis ad actum; et hoc proprie in potestate agentis esse dicitur, ut est in voluntate; ipsa enim potentia voluntatis, quantum in se est, indifferens est ad plura; sed quod determinate exeat in hunc actum vel in illum, non est ab alio determinante, sed ab ipsa voluntate. Sed in naturalibus actus progreditur ab agente, sed tamen determinatio ad hunc actum non est ab agente, sed ab eo qui agenti talem naturam dedit, per quam ad hunc actum determinatum est. Et ideo propriissime actus voluntatis a voluntate esse dicitur; unde si aliquis defectus sit in actu ejus, ipsi voluntati in culpam et peccatum imputatur. Omnem autem voluntatem creatam possibilem est in suo actu deficere, quantum ex natura sua est, eo quod ex nihilo est, et in defectum pervertibilis: et ita relinquitur quod in voluntate potest esse peccatum, quantum ad actum ejus.

Réponse. Rien n’est imputé à quelqu’un comme péché et comme faute que ce dont il est la cause, car nous ne sommes loués ni blâmées que pour nos actes. Or, ce dont nous ne sommes pas la cause n’existe pas par nos actes. Puisqu’on peut parler de volonté de deux manières : la volonté comme puissance et la volonté comme acte, et puisque la volonté comme puissance ne vient pas de nous mais de Dieu, elle ne peut être un péché en nous, mais son acte qui vient de nous [peut l’être]. Or, il faut savoir qu’un acte vient de quelqu’un de deux manières. D’une manière, aussi bien selon la substance de l’acte que selon la détermination de l’agent par rapport à l’acte. Et on dit que cela est, au sens propre, au pouvoir de l’agent, pour autant que cela réside dans la volonté. En effet, en elle-même, la puissance de la volonté est indifférente par rapport à plusieurs choses ; mais qu’elle se porte vers tel ou tel acte ne vient pas de quelque chose d’autre qui le détermine, mais de la volonté elle-même. Or, dans les agents naturels, cela vient de l’agent, mais la détermination à tel acte ne vient pas de l’agent, mais de celui qui a donné telle nature à l’agent, par laquelle il est déterminé à tel acte. C’est pourquoi on dit au sens le plus propre que l’acte de la volonté vient de la volonté ; si donc il existe une carence dans son acte, elle est imputée à la volonté même comme une faute et comme un péché. Or, toute volonté créée peut faire défaut dans son acte, pour ce qui est de sa nature, du fait qu’elle vient du néant et qu’elle peut retourner au néant. Il restte donc que le péché peut exister dans la volonté pour ce qui est de son acte.

[6808] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod voluntatis actus non est pars imaginis, quae est imago similitudinis, in distinctione potentiarum considerata: quia nullius voluntatis actus semper manet, cum tamen imago semper permaneat. Sed quod imago in potentiis secundum quaedam objecta praecipue assignatur, non est ex eo quod actu in illa feratur, nisi forte sub quadam confusione, ut in 1 Lib., dist. 3, quaest. 1, dictum est, quod anima semper intelligit se, non discernendo vel cogitando aliquid de se, sed inquantum praesens est sibi; sed ex eo quod in illa objecta ferri potest. Sed verum est quod imago recreationis, quae non semper manet, potest quantum ad actus et habitus considerari.

1. L’acte de la volonté n’est pas une partie de l’image [de Dieu], qui est l’image de la ressemblance, si on l’envisage selon la distinction entre les puissances, car l’acte d’aucune volonté ne demeure toujours, alors que l’image demeure toujours. Que l’image soit attribuée aux puissances surtout selon certains objets ne vient pas du fait qu’elle soit portée vers eux par son acte, si ce n’est selon une certaine confusion, comme on a dit, dans le livre I, d. 3, q. 1, que l’âme s’intellige toujours elle-même, non pas en distinguant ou en pensant quelque chose d’elle-même, mais en tant qu’elle est présente à elle-même, du fait qu’elle peut être portée vers ces objets. Mais il est vrai que l’image de la recréation, qui ne demeure pas toujours, peut être envisagée selon l’acte et selon l’habitus.

[6809] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod influentia primi principii ad substantias, quibus immediate influit, est per operationem ipsius principii primi: et quia illa operatio defectum habere non potest, indeficienter esse ab eo recipiunt. Sed ordo voluntatis ad finem ultimum, non est per operationem finis ultimi in voluntate, sed per operationem voluntatis in finem tendentis: et quia voluntas defectibilis est, ideo ab isto ordine deficere potest per defectum suae operationis, et non per defectum finis.

2. L’action du premier principe sur les substances sur lesquelles il agit se réalise par l’opération du premier principe lui-même ; et parce que cette opération ne peut comporter de défailllance, elles reçoivent l’être de lui d’une manière indéfectible. Mais l’ordre de la volonté à la fin ultime ne vient pas de l’opération de la fin ultime dans la volonté, mais de l’opération de la volonté qui tend vers la fin. Et parce que la volonté peut défaillir, elle peut donc s’écarter de cet ordre par une défaillance de son opération, et non par une défaillance de la fin.

[6810] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod quia voluntas liberrima est, ideo hoc consequitur eam ut in servitutem cogi non possit; non tamen ab ea excluditur quin seipsam servituti subjicere possit: quod fit quando voluntas in actum peccati libere consentit.

3. Parce que la volonté est la plus libre, il en découle qu’elle ne puisse être forcée à l,esclavage ; mais il n’est pas exclu qu’elle puisse elle-même se soumettre à l’esclavage, ce qui se produit lorsque la volonté consent librement à l’acte du péché.

[6811] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod ille error qui est in ratione, secundum quod aestimat bonum quod non est bonum, est secundum ignorantiam electionis, ut in 3 Ethic. dicitur; et haec ignorantia non causat involuntarium, quia voluntas hujusmodi ignorantiae quodammodo causa est, dum passiones non cohibet, quae rationem in aestimando absorbent, quarum cohibitio in potestate voluntatis est: et ideo peccatum recte voluntati imputatur.

4. Cette erreur qui réside dans la raison, selon qu’elle juge bon ce qui n’est pas bon, est le fait de l’ignorance dans le choix, comme il est dit dans Éthique, III. Cette ignorance ne cause pas l’involontaire, car la volonté est, d’une certaine manière, cause de cette ignorance, lorsqu’elle ne retient pas les passions, qui absorbent le jugement, alors que leur retenue est au pouvoir de la volonté. Le péché est donc correctement imputé à la volonté.

[6812] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod error vel falsitas dicitur propria phantasiae, non quia in intellectu esse non possit, sed quia ex errore phantasiae et imaginationis interdum causatur: similiter etiam inordinatio appetitus sensibilis, peccati, quod est in voluntate, quodammodo causa est, non quidem cogens, sed inducens; unde philosophi partem inferiorem, in qua sunt animae passiones, partem vitiosam nominaverunt, ut dicit Augustinus in Lib. de Civ. Dei.

5. On dit que l’erreur ou la fausseté sont propres à l’imagination, non pas parce qu’elles ne peuvent exister dans l’intellect, mais parce qu’elles sont parfois causées par l’erreur de l’imagination. De même encore, le désordre de l’appétit sensible est, d’une certaine manière, la cause du péché qui réside dans la volonté, non pas en la forçant, mais en l’incitant. C’est pourquoi les philosophes ont appelé « partie vicieuse » la partie inférieure où résident les passions de l’âme, comme le dit Augustin dans le livre Sur la cité de Dieu.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum in actu intellectus et aliarum potentiarum a voluntate, possit esse peccatum

Article 2 – Le péché peut-il exister dans l’acte de l’intelligence et celui des autres puissances à partir de la volonté ?

[6814] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in actibus aliarum potentiarum possit esse peccatum, et praecipue in actu intellectus. Cogitatio enim, actus intellectus est. Sed contingit cogitando peccare. Ergo in actu intellectus peccatum contingit esse.

1. Il semble qu’il puisse y avoir péché dans les actes des autres puissances, et surtout dans l’acte de l’intelligence. En effet, la pensée est l’acte de l’intelligence. Or, il arrive qu’on pèche en pensant. Il arrive donc que le péché existe dans l’acte de l’intelligence.

[6815] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, peccatum est operatio quaedam, contraria operationi illi quae homini, secundum quod homo est, debetur: quia talis operatio est recta operatio, cui peccatum contrariatur. Sed operatio intellectus est hominis secundum quod est homo: ex hoc enim homo dicitur homo, quod est intellectum habens et rationem. Ergo in operatione intellectus contingit esse peccatum.

2. Le péché est une opération contraire à l’opération qui revient à l’homme selon qu’il est homme, car une telle opération est l’opération droite, à laquelle s’oppose le péché. Or, l’opération de l’intelligence est propre à l’homme en tant qu’il est homme : en effet, on dit que l’homme est homme du fait qu’il possède l’intelligence et la raison. Il arrive donc que le péché existe dans une opération de l’intelligence.

[6816] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, contraria nata sunt fieri circa idem. Sed peccatum virtuti opponitur. Cum ergo quaedam virtus sit in intellectu, scilicet intellectualis, ut patet ex 6 Ethic., videtur quod peccatum in intellectu esse possit.

3. Les contraires sont destinés à se produire à propos de la même chose. Or, le péché s’oppose à la vertu. Puisqu’il existe une vertu dans l’intelligence, [une vertu] intellectuelle, comme cela ressort d’Éthique, VI, il semble donc que le péché ne puisse résider dans l’intelligence.

[6817] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, infidelitas peccatum quoddam est. Sed infidelitas est in intellectu, secundum quod doctrinae fidei dissentit. Ergo in intellectu potest esse peccatum.

4. L’infidélité est un péché. Or, l’infidélité réside dans l’intelligence, pour autant qu’elle s’écarte de l’enseignement de la foi. Il peut donc exister un péché dans l’intelligence.

[6818] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, nihil prohibetur nisi peccatum. Sed quaedam scientiae sunt prohibitae, ut necromantia, et hujusmodi. Cum igitur scientia sit in intellectu, videtur quod in intellectu possit esse peccatum.

5. Rien n’est interdit que le péché. Or, certaines sciences sont interdites, comme la nécromancie et celles de ce genre. Puisque la science réside dans l’intelligence, il semble donc que le péché puisse exister dans l’intelligence.

[6819] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, illud quod excusat peccatum, non est peccatum. Sed defectus qui est in intellectu, ut ignorantia, peccatum excusat. Ergo in intellectu non contingit esse peccatum.

Cependant, [1] ce qui excuse du péché n’est pas un péché. Or, une carence qui se trouve dans l’intelligence, telle l’ignorance, excuse du péché. Il n’arrive donc pas que le péché existe dans l’intelligence.

[6820] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, illud quod non est in potestate nostra, non est peccatum. Sed intelligere quodlibet, non est in potestate nostra. Ergo si intelligendo deficimus, non peccamus.

[2] Ce qui n’est pas en notre pouvoir n’est pas péché. Or, comprendre tout n’est pas en notre pouvoir. Si donc il existe des carences de notre intelligence, nous ne péchons pas.

[6821] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod cum in peccato sit ratio mali, et praeter hoc ratio culpae; utrumque diversimode invenitur in actu intellectus et in actu voluntatis; quia in actu voluntatis est malum ex objecto, non autem in actu intellectus: velle enim mala, malum est; sed intelligere mala, non est malum: cujus ratio sumi potest ex objecto utriusque. Objectum enim voluntatis est bonum; sed objectum intellectus est verum: bonum autem et malum, ut in 6 Metaph. dicitur, sunt in rebus; sed verum et falsum sunt in anima: et ideo voluntas per actum suum tendit in objectum suum secundum quod se habet in re, et ideo ex bonitate et malitia rei volitae actus voluntatis est bonus et malus: sed intellectus per actum suum tendit in rem secundum quod est in anima; ratio autem et malorum et bonorum in anima bonum est; et ideo cognoscere malum et bonum, in se bonum est; unde Boetius dicit, quod notitia mali bono deesse non potest. Sed malum accidit in actu intellectus ex indebita proportione intellectus ad rem, ex eo scilicet quod apprehendit rem aliter esse quam sit. Intelligere enim rem falso, est malum in actu intellectus, sicut verum est bonum ejus, ut dicitur in 6 Ethic. Actus igitur intellectus sic malus non habet etiam eodem modo rationem culpae sicut actus voluntatis, qui invenitur suo modo malus: quia ratio culpae primo in actu voluntatis invenitur; in actibus autem intellectus et aliarum potentiarum non nisi secundum quod sunt imperati a voluntate. Ratio enim culpae in actu deformi est ex hoc quod procedit ab eo qui habet dominium sui actus. Hoc autem est in homine secundum illam potentiam quae ad plura se habet, nec ad aliquod eorum determinatur nisi ex seipsa; quod tantum voluntati convenit: potentiae enim organis affixae coguntur ad aliquem actum per immutationem organorum, sine quibus in actum exire non possunt; intellectus autem quamvis sit potentia non affixa organo, tamen cogitur ad aliquid ex ratione vel argumento, sive deficit ab aliquo in quod non potest ex defectu demonstrationis et intellectualis luminis; voluntas autem potest de se in quodlibet quod apprehensum fuerit, nec ab eo per aliquam rationem violenter prohiberi potest. Quia cum intellectus feratur in rem secundum quod res est in anima, prout habet rationem veri, indiget intellectus ad intelligendum rem aliquo medio lumine, vel demonstratione, per quod rem deducat in hoc quod ad intelligendum sibi sit proportionata; unde etiam per rationem potest necessario avelli, ne alicui rei consentiat: sed voluntas, ut dictum est, fertur in suum objectum, secundum quod est in re: et ideo non oportet ut aliquam operationem habeat in rem ad hoc quod fiat sibi proportionata, vel expoliando eam a materia, vel aliquid hujusmodi, sicut intellectus facit; sed directe in rem apprehensam, secundum quod est, fertur; et ideo non potest deficere quin feratur in quodcumque voluerit, neque aliquo prohibente, neque per aliquem ejus defectum.

Réponse. Puisque la raison de mal et en plus la raison de faute existent dans le péché, les deux se troouvent de manière différenete dans l’acte de l’intelligence et dans l’acte de la volonté, car, dans l’acte de la volonté, le mal vient de l’objet, mais non dans l’acte de l’intelligence. En effet, vouloir le mal est mauvais, mais intelliger le mal n’est pas un mal. La raison peut en être prise de l’objet des deux. En effet, l’objet de la volonté est le bien, mais l’objet de l’intelligence est le vrai. Or, comme on le dit dans Métaphysique, VI, le bien et le mal existent dans les choses ; mais le vrai et le faux existent dans l’âme. C’est pourquoi, par son acte, la volonté tend vers son objet selon qu’il existe en réalité, et c’est pourquoi l’acte de la volonté est bon et mauvais selon la bonté et la méchanceté de la chose voulue. Mais, par son acte, l’intellect tend vers une chose selon qu’elle existe dans l’âme. Or, la raison des choses mauvaises et bonnes dans l’âme est un bien. C’est pourquoi connaître le bien et le mal est bon en soi. Ainsi Boèce dit que la connaissance du mal ne peut faire défaut à celui qui est bon. Mais le mal survient dans l’acte de l’intelligence d’une proportion indue de l’intelligence à une chose, du fait qu’elle appréhende une chose autrement qu’elle n’existe. En effet, intelliger faussement une chose est mauvais pour l’acte de l’intelligence, comme ce qui est vrai est son bien, ainsi qu’il est dit dans Éthique, VI. L’acte de l’intelligence qui est ainsi mauvais ne possèdea pas de la même manière la raison de faute comme l’acte de la volonté, auquel il arrive d’être mauvais à sa manière, car la raison de faute se trouve en premier lieu dans l’acte de la volonté ; mais, dans les actes de l’intelligence et des autres puissances, [elle ne se trouve] que selon qu’ils sont commandés par la volonté. En effet, la raison de faute existe dans l’acte déformé du fait qu’il provient de celui qui a la maîtrise de son acte. Or, cela existe chez l’homme selon la puissance qui fait face à plusieurs choses et qui n’est déterminée à l’une d’entre elles que par elle-même, ce qui convient seulement à la volonté. En effet, les puissances associées à des organes sont forcées à une acte par la modification des organes, sans lesquels ils ne peuvent passer à l’acte ; mais, bien qu’elle soit une puissance non associée à un organe, l’intelligence est cependant forcée à quelque chose par la raison ou par un argument, ou bien elle fait défaut pour une chose sur laquelle elle n’a pas de pouvoir en raison d’une carence de la démonstration et de la lumière intellectuelle. Mais la volonté a par elle-même pouvoir sur tout ce qui a été appréhendé et elle ne peut en être empêchée de manière violente par aucun raisonnement, car, lorsque l’intelligence est portée vers une chose selon que la chose existe dans l’âme, en tant qu’elle a raison de vrai, l’intelligence a besoin pour intelliger la chose d’une lumière à titre de moyen ou d’une démonstration, par quoi elle conclut que ce qu’elle intellige lui est proportionné. Aussi peut-elle être nécessairement renversée par un raisonnement, de sorte qu’elle ne consente à quelque chose. Mais, ainsi qu’on l’a dit, la volonté est portée vers son objet selon qu’il existe en réalité ; aussi n’est-il pas nécessaire qu’elle ait une opération à l’endroit de la chose pour lui devenir proportionnée, soit en la dépouillant de sa matière, soit par quelque chose de ce genre, comme le fait l’intelligence, mais elle est directement portée vers la chose appréhendée. C’est pourquoi elle ne peut manquer d’être portée vers tout ce qu’elle veut, ni par quelque empêchement, ni par une carence de sa part.

[6822] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod peccatum in cogitationibus potest esse dupliciter: vel inquantum cogitationes sunt; et sic non est in eis nisi peccatum vanitatis, secundum quod intellectus deberet occupari utilioribus cogitationibus, et occupatur inutilibus; nec hoc in culpam imputatur, nisi secundum quod actus intellectus natus est a voluntate imperari: vel inquantum cogitationes propter delectationem rei cogitatae quaeruntur; et sic potius est peccatum in delectatione rei cogitatae secundum memoriam et speciem, quam in ipsa cogitatione. Illa autem delectatio non est in intellectu, sed in concupiscibili et irascibili, cujus est actus cogitatus; unde tale peccatum reducitur ad idem genus (ut fornicationis et homicidii) in quo est ipse actus peccati exterius perpetratus.

1. Le pensée en pensée peut existe de deux manières. Soit en tant qu’elles sont des pensées, et ainsi n’existe en elles que le péché de vanité, selon que l’intelligence doit s’occuper de pensée plus utiles, alors qu’elle s’occupe de pensée inutiles ; cela n’est non plus imputé comme une faute que parce que l’acte de l’intelligence estd destiné à être commendé par la volonté. Soit pour autant que le pensées sont recherchées en vue du plaisir de la chose pensée, et ainsi le péché existe plutôt dans le plaisir de la chose pensée en raison de son souvenir et de son espèce, que dans la pensée elle-même. Mais ce plaisir ne réside pas dans l’intelligence, mais dans le concupiscible et dans l’irascible, dont relève l’acte pensé. Aussi un tel péché se ramène-t-il au même genre (par exemple, la fornication et l’homicide) que l’acte même du péché perpétré.

[6823] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod illa perfecta operatio intellectus quae est hominis secundum quod est homo, non habet rationem meriti nisi secundum quod est a voluntate imperata; sicut cum quis in contemplatione divinorum meretur: et similiter e contrario non est culpa in actu intellectus errantis et varia cogitantis, nisi secundum quod actus ejus est a voluntate imperatus.

2. Ceette opération parfaite de l’intelligence de l’homme en tant qu’il est homme n’a raison de mérite, que dans la mesure où elle est commandée par la volonté, comme lorsque quelqu’un mérite par la contemplation des réalités divines. De même, en sens contraire, il n’y a de faute dans de l’intelligence quise trompe et qui pense à diverses choses, que dans la mesure où son acte est commandé par la volonté.

[6824] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod peccatum de quo nunc loquimur, quod rationem demeriti habet, non opponitur virtuti quolibet modo acceptae, sed virtuti secundum quod est principium actus meritorii et remunerabilis. Quamvis autem perfectio intellectus, ut scientia et sapientia, possit habere rationem virtutis ex hoc solo quod perfectio intellectus est opus ejus bonum reddens, secundum quod facit recte intelligere; non tamen habet quod actus ejus sit remunerabilis et meritorius, nisi secundum quod est imperatus a voluntate.

3. Le péché qui a raison de démérite, dont nous parlons maintenant, ne s’oppose pas à la vertu entendue en n’importe quel sens, mais à la vertu selon qu’elle est le principe d’un acte méritoire et digne de récompense. Bien qu’une perfection de l’intelligence, telles la science et la sagesse, puisse avoir raison de vertu du seul fait que la perfection de l’intelligence est une action qui la rend bonne, en tant qu’elle la fait intelliger correctement, son acte n’est cependant digne de récompense et de mérite que dans la mesure où il est commandé par la volonté.

[6825] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod infidelitas non est peccatum in intellectu existens, nisi secundum quod actus intellectus est imperatus a voluntate: sic enim et fides in eo est; quia, secundum Augustinum, credere non potest homo nisi volens. Similiter etiam nisi homo voluntarie omittat quod facere deberet, in infidelitatem non incideret: quia si quod in se est faceret, Deus revelaret sibi quod credere deberet.

4. L’infidélité n’est un péché qui réside dans l’intelligence que dans la mesure où l’intelligence est commandée par la volonté : en effet, la foi aussi existe en elle de cette manière, car, selon Augusdtin, « un homme ne peut croire que s’il le veut ». De même aussi, à moins qu’un homme n’omette volontairement ce qu’il devrait accomplir, il ne tomberait pas dans l’infidélité, car, s’il faisait ce qu’il peut, Dieu lui révélerait ce qu’il devrait croire.

[6826] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod artes illae non sunt prohibitae secundum quod tantum in cogitatione stant, sed per accidens, inquantum sunt occasio peccandi, secundum quod notitia artis disponit et inclinat ad usum artis, qui sine peccato esse non potest; et si etiam ipsa speculatio artis peccatum dicatur, hoc non erit nisi ex parte speculantis, qui aliis intendere tenetur, si tamen per hujusmodi considerationem ab illis retrahatur.

5. Ces arts ne sont pas interdits dans la mesure où ils ne résident que dans la pensée, mais par accident, pour autant qu’ils sont une occasion de péché, dans la mesure où la connaissance d’un art dispose et incline à l’usage de cet art qui ne peut exister sans péché. Et même si on dit que la connaissance spéculative de cet art est un péché, cela ne viendra que de celui qui spécule, qui est tenu de porter attention à d’autres choses, à condition cependant qu’il soit retenu par rapport à ces chose par une considération de cette sorte.

 

 

QUAESTIO 2

Question 2 – [La volonté naturelle du bien par l’homme]

PROOEMIUM

Prologue

[6827] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 pr.Deinde quaeritur, quomodo homo naturaliter bonum velit; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum homo velit bonum naturaliter; 2 utrum idem motus sit quo homo vult bonum naturaliter, et quo vult malum.

Ensuite, on se demande comment l’homme veut le bien naturellement. À ce sujet, deux questions sont posées : 1. L’homme veut-il le bien naturellement ? 2. Est-ce le même mouvement par lequel l’homme veut le bien naturellement et par lequel il veut le mal ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum homo naturaliter velit bonum

Article 1 – L’homme veut-il le bien naturellement ?

[6829] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod homo naturaliter bonum non velit. Illud enim quod naturale est, idem est apud omnes. Sed non omnes homines bonum volunt. Ergo bonum velle non est eis naturale.

1. Il semble que l’homme ne veuille pas le bien naturellement. En effet, ce qui est naturel est identique chez tous. Or, tous les hommes ne veulent pas le bien. Vouloir le bien n’est donc pas naturel.

[6830] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 2Praeterea, ad illud quod est naturale, non assuescimus, ut in 2 Ethic., dicitur. Sed homo per assuetudinem efficitur habilior ad bona volendum. Ergo bonum velle non est homini naturale.

2. Comme il est dit dans Éthique, II, nous ne nous accoutumons pas à ce qui est naturel. Or, l’homme est rendu plus apte à vouloir des biens par l’accoutumance. Vouloir le bien n’est donc pas naturel à l’homme.

[6831] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 3Praeterea, illud quod est secundum naturam semper est in suo actu; et si deficit, non deficit nisi in minori parte, propter aliquod accidentale impedimentum. Sed homo frequenter deficit a bono volendo. Ergo non est sibi naturale.

3. Ce qui est conforme à la nature se présente toujours dans son acte ; et s’il y a carence, il n’y a carence que dans une faible proportion en raison d’un empêchement accidentel. Or, l’homme fait souvent défaut de vouloir le bien. Cela ne lui est donc pas naturel.

[6832] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 4Praeterea, secundum naturalia neque meremur neque demeremur. Sed ex hoc quod aliquis bona vult, meretur. Ergo bona velle non est naturale.

4. Nous ne méritons ni me déméritons pas selon ce qui est naturel. Or, quelqu’un mérite du fait qu’il veut des biens. Vouloir des biens n’est donc pas naturel.

[6833] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 5Praeterea, illud quod est naturale, non tollitur per peccatum; quia data naturalia etiam in Daemonibus integra manent, ut Dionysius dicit. Sed per peccatum alienatur homo a voluntate bonorum. Ergo velle bonum non est naturale.

5. Ce qui est naturel n’est pas enlevé par le péché, car les dons naturels demeurent entiers, même chez les démons, comme le dit Denys. Or, par le péché, l’homme est détourné de la volonté des biens. Vouloir le bien n’est donc pas naturel.

[6834] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 1 s. c. 1Sed contra, Matth. 4, dicitur in Glossa, quod virtutes sunt homini naturales; et hoc etiam dicit philosophus in 6 Ethic. Sed secundum virtutes aliquis inclinatur ad bonum volendum. Ergo bonum velle, est homini naturale.

Cependant, [1] la Glose dit, à propos de Mt 4, que les vertus sont naturelles à l’homme ; et le Philosophe le dit aussi, Éthique, VI. Or, on est incliné à vouloir le bien par les vertus. Vouloir le bien est donc naturel à l’homme.

[6835] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 1 s. c. 2Praeterea, sicut pars intellectiva perficitur in veri cognitione, ita pars affectiva perficitur in voluntate boni. Sed cognoscere verum est naturaliter desideratum ab omnibus: quia omnes homines natura scire desiderant, ut philosophus dicit. Ergo velle bonum est homini naturale.

[2] De même que la partie intellectuelle est perfection par la connaissance du vrai, de même la partie affective est-elle perfectionnée par la volonté du bien. Or, connaître le vrai est naturellement désiré par tous, car « tous les hommes désirent naturellement connaître ». Vouloir le bien est donc naturel à l’homme.

[6836] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod illud dicitur esse naturale alicui rei quod convenit sibi secundum conditionem suae formae, per quam in tali natura constituitur, sicut ignis naturaliter tendit sursum. Forma autem per quam homo est homo, est ipsa ratio et intellectus. Unde in illud quod est conveniens sibi secundum rationem et intellectum, naturaliter tendit. Bonum autem cujuslibet virtutis est conveniens homini secundum rationem: quia talis bonitas est ex quadam commensuratione actus ad circumstantias et finem, quam ratio facit. Unde quaedam inclinationes virtutum sive aptitudines praeexistunt naturaliter in ipsa natura rationali, quae virtutes naturales dicuntur, et etiam per exercitium et deliberationem complentur, ut in 6 Ethic. dicitur: ideo homo naturaliter in bonum tendit. Sed motus naturalis a forma progreditur secundum conditionem formae. Voluntas autem talis conditionis est, et ratio, ut non sint determinata ad unum, quin in aliud flecti possint; et ideo quamvis velle bonum homini sit naturale, nihilominus tamen potest malum velle, non inquantum est malum, sed inquantum existimatur bonum.

Réponse. On dit qu’est naturel à quelque chose ce qui lui convient selon la condition de sa forme, par laquelle elle est établie dans une telle nature, comme le feu tend naturellement vers le haut. Or, la forme par laquelle l’homme est homme est la raison elle-même et l’intelligence. Aussi tend-il naturellement vers ce qui lui convient selon la raison et l’intelligence. Or, le bien de n’importe quelle vertu convient à l’homme selon sa raison, car une telle bonté vient de l’ajustement de l’acte aux circonstances et à la fin que réalise la raison. Aussi certaines inclinations ou aptitudes aux vertus préexistent-elles naturellement dans la nature raisonnable elle-même, qu’on appelle vertus naturelles, et qui sont aussi achevées par l’exercice et la délibération, comme on le dit dans Éthique, VI. C’est pourquoi l’homme tend naturellement vers le bien. Mais le mouvement naturel est issu de la forme selon la condition de la forme. Or, la condition de volonté et de la raison est telle qu’elles ne sont pas déterminées à une seule chose, sans pouvoir être infléchies vers une autre, Bien que vouloir le bien soit naturel à l’homme, il peut donc cependant vouloir le mal, non pas en tant que c’est un mal, mais en tant qu’il est estimé un bien.

[6837] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod ista naturalis inclinatio in bonum invenitur in hominibus omnibus; sed quia, ut dictum est, voluntas non est necessario determinata ad unum, non oportet quod omnes actu bonum velint.

1. Cette inclination au bien se trouve chez tous les hommes ; mais parce que, ainsi qu’on l’a dit, la volonté n’est pas nécessairement déterminée à une seule chose, il n’est pas nécessaire que tous veuillent le bien en acte.

[6838] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod inclinatio voluntatis ad bonum, quae est in natura humana, non est per assuetudinem; sed habitus quo perficitur ista habilitas, est vel per consuetudinem vel per infusionem.

2. L’inclination de la volonté au bien, qui existe dans la nature humaine, n’existe pas par accooutumance ; mais l’habitus par lequel cette aptitude est perfectionnée vient soit de l’habitude ou d’une infusion [par Dieu].

[6839] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod in illis quae sunt determinata ad unum, semper sequitur actus naturalis, nisi impediatur: et impedimentum contingit in minori parte: sed voluntas non est natura quaedam determinata ad unum, et praeterea habet impedimentum semper sibi conjunctum, scilicet carnem repugnantem; unde apostolus Rom. 7, 23: invenio aliam legem in membris meis repugnantem legi mentis meae. Et ideo homo a voluntate boni simpliciter abducitur in id quod est apparens bonum.

3. Dans ce qui est déterminé à une seulle chose, l’acte naturel suit toujours, à moins d’être empêché, et un empêchement survient dans un petit nombre de cas ; mais la volonté n’est pas une nature déterminée à une seule chose ; de plus, elle a toujours un empêchement qui lui est unie, la chair qui se rebiffe. Aussi l’Apôtre dit-il, Rm 7, 23 : Je trouve une autre loi dans mes membres qui résiste à la loi de mon esprit. C’est pourquoi l’homme est tout simplement entraîné vers ce qui est un bien apparent.

[6840] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod actus naturalis in his quae sunt determinata ad unum, non potest esse meritorius: quia tales actus voluntati non subjacent, ut patet in actibus nutritivae partis; sed actus illi qui imperio voluntatis subjacent, meritorii sunt, etiamsi homo naturaliter ipsos velit.

4. Dans ce qui est déterminé à une seule chose, l’acte naturel ne peut être méritoire, car ces actes ne sont pas soumis à la volonté, comme cela ressort clairement dans les actes de la partie nutritive ; mais les actes qui sont soumis au commandement de la volonté sont méritoires, même si l’homme les veut naturellement.

[6841] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod inclinatio illa naturalis nunquam per peccatum tollitur, quamvis habilitas, ut dictum est, semper per peccatum minuatur.

5. Cette inclination naturelle n’est jamais enlevée par le péché, bien que son aptitude soit tooujoours diminuée par le péché, comme on l’a dit.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum voluntas qua homo naturaliter vult bonum et qua vult malum, sit eadem

Article 2 – La volonté par laquelle l’homme veut naturellement le bien et par laquelle il veut le mal est-elle la même ?

[6843] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod eadem voluntas sit qua homo naturaliter vult bonum, et qua vult malum. Potentia enim rationalis se habet ad opposita. Sed voluntas quaedam est rationalis potentia. Ergo se habet ad opposita: ergo eadem est boni, et mali.

1. Il semble que la volonté par laquelle l’homme veut naturellement le bien et par laquelle il veut le mal soit la même. En effet, la puissance raisonnable porte sur des contraires. Or, une volonté est une puissance raisonnable. Elle porte donc sur des contraires. C’est donc la même [qui porte] sur le bien et sur le mal.

[6844] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 2Praeterea, eadem est voluntas ut natura considerata, et voluntas deliberata. Sed voluntate ut natura considerata homo vult naturaliter bona; voluntate autem deliberata homo vult malum. Ergo eadem voluntate homo vult naturaliter bonum et malum.

2. C’est la même volonté qui est considérée comme nature et comme volonté délibérée. Or, l’homme veut des biens par la volonté considérée comme nature, mais l’homme veut le mal par la volonté délibérée. L’homme veut donc le bien et le mal par la même volonté.

[6845] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 3Praeterea, liberum arbitrium est quo eligitur bonum et malum, ut supra dictum est, dist. 24. Sed liberum arbitrium est voluntas, ut ex prius determinatis patet. Ergo eadem voluntas est quae in bonum naturaliter tendit et quae malum vult.

3. C’est par le libre arbitre qu’on choisit le bien et le mal, comme on l’a dit plus haut, d. 24. Or, le libre arbitre est la volonté, comme cela ressort de ce qui a été déterminé auparavant. C’est donc la même volonté qui tend naturellement au bien et qui veut le mal.

[6846] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 4Praeterea, sicut se habent verum et falsum ad cognitionem, ita bonum et malum ad affectionem. Sed eadem potentia, videlicet ratio, quae est veri, est etiam falsi. Ergo eadem voluntas quae est boni naturaliter, etiam est mali.

4. Le rapport du vrai et du faux à la connaissance est le même que celui du bien et du mal à l’affectivité. Or, la même puissance, la raison, porte sur le vrai et sur le faux. C’est donc la même volonté qui porte naturellement sur le bien et aussi sur le mal.

[6847] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 5Praeterea, potentia determinata ad unum non potest esse principium actus meritorii. Sed si voluntas alia est quae fertur in bonum, et quae in malum; una earum erit determinata ad bonum et alia ad malum, vel saltem altera determinata erit. Ergo neutra earum poterit esse principium meriti vel demeriti.

5. Une puissance déterminée à une seule chose ne peut pas être le principe d’un acte méritoire. Or, si c’est une volonté différente qui est portée vers le bien et qui est portée vers le mal, l’une d’elles sera déterminéa au bien et l’autre au mal, ou tout au moins l’autre sera déterminée. Aucune d’entre elles ne pourra donc être principe de mérite ou de démérite.

[6848] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 2 s. c. 1Sed contra, idem non pugnat contra seipsum. Sed voluntas qua homo naturaliter bonum vult, impugnatur per illam qua homo malum vult. Ergo non est una voluntas utraque.

Cependant, [1] une même chose ne combat pas contre elle-même. Or, la volonté par laquelle l’homme veut naturellement le bien est combattue par celle par laquelle l’homme veut le mal. Les deux volontés ne sont donc pas une seule.

[6849] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 2 s. c. 2Praeterea, idem naturaliter non tendit in duo contraria. Sed bonum et malum sunt contraria. Ergo non est eadem voluntas quae in bonum et malum tendit.

[2] Une même chose ne tend pas vers deux choses contraires. Or, le bien et le mal sont des contraires. La volonté qui tend vers le bien et celle qui tend vers le mal ne sont donc pas les mêmes.

[6850] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod illud quo aliquis bonum et malum vult, potest tripliciter dici. Uno modo illud principium quod est inclinans ad bonum vel malum; et hoc modo non est idem quo aliquis vult bonum et malum; quia ipsa voluntas sensualitatis inclinat naturaliter in delectabile carnis, quod est sibi conveniens, et hominis est malum inquantum est homo: voluntas autem rationalis, prout est natura hominis, sive prout consequitur naturalem apprehensionem universalium principiorum juris, est quae in bonum inclinat. Secundo modo potest dici principium quo aliquis vult bonum vel malum, illud quo quis eligit bonum vel malum, sequendo hanc vel illam inclinationem; et sic est eadem voluntas. Tertio modo potest dici ipse actus voluntatis, quo voluntas vult bonum et quo vult malum in actu; et sic non est dubium alium esse actum voluntatis quo quis vult bonum, et quo vult malum.

Réponse. On peut parler de ce par quoi quelqu’un veut le bien et le mal de trois manières. Premièrement, pour le principe qui incline au bien ou au mal. De cette manière, ce par quoi quelqu’un veut le bien et le mal n’est pas la même chose, car la volonté sensible incline naturellement vers ce qui est délectable pour la chair, ce qui lui est approprié et qui est mauvais pour l’homme en tant qu’il est homme. Mais la volonté raisonnable, en tant qu’elle la nature de l’homme ou poursuit la saisie naturelle des principes universels du droit, est celle qui incline vers le bien. Deuxièmement, on peut parler de principe par lequel quelqu’un veut le bien ou le mal pour ce par quoi quelquun choisit le bien ou le mal, en suivant telle ou telle inclination, et ainsi cela est la même volonté. Troisièmement, on peut parler de l’acte même de la volonté, par lequel la volonté veut le bien et par lequel elle veut le mal en acte, et ainsi il ne fait pas de doute que l’acte de la volonté par lequel quelqu’un veut le bien et celui par lequel il veut le mal sont différents.

[6851] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod quamvis potentia rationalis sit ad opposita, non tamen ad utrumque oppositorum aequaliter ordinatur; sed ad unum naturaliter, et ad alterum, secundum quod a perfectione propriae naturae deficit; et ideo alia est voluntas quae naturaliter tendit in bonum, scilicet voluntas rationis, et alia quae naturaliter tendit in malum hominis secundum quod est homo, scilicet voluntas sensualitatis; et praecipue secundum quod est per fomitem corrupta.

1. Bien qu’une puissance raisonnable porte sur des contraires, elle n’est cependant pas également ordonnée aux deux contraires, mais elle l’est à l’un naturellement, et à l’autre selon qu’elle s’écarte de la perfection de sa propre nature. C’est pourquoi la volonté qui tend naturellement vers le bien, la volonté de la raison, et celle qui tend naturellement vers le mal de l’homme en tant qu’il est homme, la volonté sensible, surtout qu’elle est corrompue par le désir désordonné, sont différentes

[6852] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod voluntas ut deliberata, et ut natura, non differunt secundum essentiam potentiae: quia naturale et deliberatorium non sunt differentiae voluntatis secundum se, sed secundum quod sequitur judicium rationis: quia in ratione est aliquid naturaliter cognitum quasi principium indemonstrabile in operabilibus, quod se habet per modum finis, quia in operabilibus finis habet locum principii, ut in 6 Ethic. dicitur. Unde illud quod finis est hominis, est naturaliter in ratione cognitum esse bonum et appetendum, et voluntas consequens istam cognitionem dicitur voluntas ut natura. Aliquid vero est cognitum in ratione per inquisitionem ita in operativis sicut in speculativis; et utrobique, scilicet tam in speculativis quam in operativis, contingit inquirentem rationem errare; unde voluntas quae talem cognitionem rationis sequitur, deliberata dicitur, et in bonum et malum tendere potest, sed non ab eodem inclinante, ut dictum est.

2. La volonté délibérée et la volonté comme nature ne diffèrent pas selon l’essence de la puissance, car ce qui est naturel et ce qui est délibéré ne sont pas des différences de la volonté en elle-même, mais selon qu’elle suit le jugement de la raison, car il existe dans la raison quelque chose qui est connu naturellement comme un principe indémontrable pour ce qui est objet d’action, qui a le caractère de fin, car, pour ce qui est objet d’action, la fin tient lieu de principe, comme il est dit dans Éthique, VI. Aussi ce qui est la fin de l’homme est-il naturellement par la raison comme bon et désirable, et la volonté qui découle de cette connaissance est-elle appelée la volonté comme nature. Mais il existe quelque chose qui est connu dans la raison par une recherche, pour ce qui est objet d’action comme pour ce qui est objet de spéculation, et, dans les deux cas, aussi bien pour ce qui est objet de spéculation que pour ce qui est objet d’action, il arrive que celui qui cherche se trompe. Aussi la volonté qui suit une telle connaissance de la raison est-elle appelée délibérée, et elle peut tendre au bien et au mal, mais non pas par la même chose qui y incline, ainsi qu’on l’a dit.

[6853] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod liberum arbitrium nominat potentiam eligentem bonum et malum, et non illud quod ad utrumque inclinat.

3. Le libre arbitre désigne la puissance qui choisit le bien et le mal, et non pas ce qui incline aux deux.

[6854] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod quamvis eadem ratio possit esse veri et falsi, non tamen ex eodem habet quod sit utriusque: sed ex virtute primorum principiorum, quae sunt naturaliter cognita, habet ut veritatem cognoscat; ex phantasia vero habet ut falsum judicet. Similiter in electione voluntatis est rectitudo ex naturali inclinatione, cum auxilio gratiae; sed est in ea peccatum ex corruptione inferiorum virium, quae in peccatum inclinant.

4. Bien que la même raison puisse porter sur le vrai et sur le faux, elle ne tient cependant pas de la même de porter sur les deux : de la puissance des premiers principes, qui sont connus naturellement, elle tient de connaître la vérité ; mais, de l’imagination, elle tient de juger de ce qui est faux. De même, dans le choix de la volonté, il existe une droiture qui vient d’une inclination naturelle, avec l’aide de la grâce ; mais le péché existe en elle par la corruption des puissances inférieures, qui inclinent au péché.

[6855] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 2 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod voluntas est secundum hoc determinata et in unum naturaliter tendens, ita quod in alterum naturaliter non tendit; non tamen in illud in quod naturaliter tendit, de necessitate, sed voluntarie tendit; unde et potest illud non eligere. Similiter potest etiam non eligere illud peccatum in quod sensualitas corrupta inclinat: quia inclinatio naturalis, ut dictum est, est secundum exigentiam naturae inclinantis.

5. Sous cet aspect, la volonté est déterminée et tend naturellement vers une seule chose, de telle sorte qu’elle ne peut tendre naturellement vers autre chose. Cependant, elle ne tend pas nécessairement, mais volontairement vers quoi elle tend naturellement, et elle peut ne pas le choisir. De même peut-elle ne pas choisir le péché vers lequel la sensualité corrompue incline, car, ainsi qu’on l’a dit, l’inclination naturelle existe selon ce qu’exige la nature qui incline.

 

 

QUAESTIO 3

Question 3 – [L’étincelle supérieure de la raison]

PROOEMIUM

Prologue

[6856] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 pr.Deinde quaeritur de superiori scintilla rationis; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum superior scintilla rationis possit extingui; 2 supposito quod non extinguatur, utrum conscientia possit errare; 3 utrum conscientia errans liget.

On s’interroge ensuite sur l’étincelle supérieure de la raison. À ce sujet, il y a trois questions : 1. L’étincelle supérieure de la raison peut-elle être éteinte ? 2. À supposer qu’elle ne soit pas éteinte, la conscience peut-elle errer ? 3. La conscience qui erre oblige-t-elle ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum superior scintilla rationis possit extingui

Article 1 – L’étincelle supérieure de la raison peut-elle être éteinte ?

[6858] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod superior scintilla rationis possit extingui. Error enim rationis extinctio ejus dicitur, quia tenebrae comparatur. Sed hanc scintillam rationis contingit errare, ut patet in Glossa Hieronymi Ezech. 1, ubi praeter verba quae in littera inducuntur, paulo post subdit: hanc autem conscientiam saepe praecipitari videmus. Ergo superior scintilla rationis potest extingui.

1. Il semble que l’étincelle supérieure de la raison peut être éteinte. En effet, on dit que l’erreur est l’extinction de la raison, car elle est comparée aux ténèbres. Or, il arrive que cette étincelle de la raison erre, comme cela ressort de la glose de Jérôme sur Ez 1, où, en plus des mots qui sont présentés dans le texte, il ajoute peu après : « Mais nous voyons que cette conscience se précipite souvent. » L’étincelle supérieure de la raison peut donc être éteinte.

[6859] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 1 arg. 2Praeterea, superior scintilla rationis videtur esse superior rationis pars. Sed ratio superior potest peccare, etiam mortaliter, ut supra dictum est. Ergo scintilla ista potest extingui.

2. L’étincelle supérieure de la raison semble être la partie supérieure de la raison. Or, la raison supérieure peut pécher, même mortellement, comme on l’a dit plus haut. Cette étincelle peut donc être éteinte.

[6860] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 1 arg. 3Praeterea, proprietas hujusmodi scintillae est quamdiu manet, ut malo remurmuret. Sed in haereticis nihil est quod remurmuret in his peccatis quae secundum sectam suam faciunt: quia etiam in occisione justorum arbitrantur se obsequium praestare Deo, ut dicitur Joan. 16. Ergo scintilla rationis est in eis extincta.

3. Une propriété de ce genre d’étincelle est de reprocher le mal aussi longtemps qu’elle demeure. Or, chez les hérétiques, il n’y a rien qui leur reproche les péchés qu’ils commettent selon leur secte, car, même en tuant des justes, ils jugent qu’ils rendent hommage à Dieu, comme il est dit dans Jn 16. L’étincelle de la raison est donc éteinte chez eux.

[6861] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 1 arg. 4Praeterea, philosophus dicit in 7 Ethic., quod mali, scilicet qui habitum vitii jam acquisiverunt, ignorantiam finis habent. Sed non potest fieri murmur quantum ad actum, nisi secundum quod cognoscitur deviatio a fine. Ergo videtur quod in illis quorum potentiae per hujusmodi habitus corruptae sunt, hujusmodi murmur cesset; et ita scintilla rationis in eis extinguatur.

4. Dans Éthique, VII, le Philosophe dit que les méchants, c’est-à-dire ceux qui ont déjà acquis l’habitus du vice, ignorent leur fin. Or, il ne peut y avoir de reproche pour un acte que si la déviation par rapport à la fin est connue. Il semble donc que, chez ceux dont les puissances ont été corrompues par un habitus de cette sorte, un tel reproche cesse, et ainsi l’étincelle de la raison est éteinte en eux.

[6862] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 1 arg. 5Praeterea, idem est quod remurmurat malo, et quod inclinat ad bonum. Sed in damnatis non est aliquid incitans eos ad bonum. Ergo nec in eis est aliquid remurmurans malo; et ideo scintilla rationis in eis extinguitur.

5. C’est la même chose qui reproche le mal et qui incline au bien. Or, chez les damnés, il n’existe rien qui les incite au bien. Il n’existe donc pas non plus chez eux quelque chose qui reproche le mal. Ainsi, l’étincelle de la raison est éteinte chez eux.

[6863] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 1 s. c. 1Sed contra, scintilla rationis extingui non potest, lumine intellectus remanente. Sed lumen intellectus nunquam per peccatum tollitur, quia lumen illud ad imaginem pertinet, ut patet ex eo quod dicitur in Psalm. 4, 6: signatum est super nos lumen vultus tui domine; ubi Glossa exponit de consignatione imaginis. Ergo scintilla rationis per peccatum non extinguitur.

Cependant, [1] l’étincelle de la raison ne peut pas être éteinte, aussi longtemps que demeure la lumière de l’intelligence. Or, la lumière de l’intelligence n’est jamais enlevée par le péché, car cette lumière appartient à l’image [de Dieu], comme cela ressort de ce qui est dit dans Ps 4, 6 : Seigneur, la lumière de ton visage a été imprimée sur nous. En cet endroit, la Glose explique qu’il s’agit de l’impression de l’image. L’étincelle de la raison n’est donc pas éteinte par le péché.

[6864] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 1 s. c. 2Praeterea, illud quod est naturale, per peccatum non tollitur. Sed inclinatio ad bonum est homini naturalis, ut dictum est, quae est secundum rationis scintillam. Ergo scintilla rationis per peccatum non extinguitur.

[2] Ce qui est naturel n’est pas enlevé par le péché. Or, l’inclination au bien est naturelle à l’homme, comme on l’a dit, et elle existe par l’étincelle de la raison. L’étincelle de la raison n’est donc pas éteinte par le péché.

[6865] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod, secundum Dionysium, divina sapientia conjungit prima secundorum ultimis primorum, quia, ut in Lib. de causis ostenditur, in ordine creatorum oportet quod consequens praecedenti similetur, nec hoc potest esse nisi secundum quod aliquid participat de perfectione ejus; quod quidem inferiori modo est in secundo ordine creaturarum quam in primo; unde hoc quod inferior creatura de similitudine superioris participat, est supremum in inferiori et ultimum in superiori, quia est deficientius receptum quam in superiori sit. Inter creaturas autem talis est ordo ut primo sit Angelus, et secundo sit rationalis anima. Et quia rationalis anima corpori conjuncta est; ideo cognitio debita sibi secundum suum proprium ordinem, est cognitio quae a sensibilibus in intelligibilia procedit, et non pervenit in cognitionem veritatis nisi inquisitione praecedente, et ideo cognitio sua rationalis dicitur. Quia vero Angelus simpliciter incorporeus est, nec corpori unitur; cognitio naturae suae debita est ut simpliciter sine inquisitione veritatem apprehendat: propter quod intellectualis natura nominatur. Oportet ergo quod in anima rationali, quae Angelo in ordine creaturarum configuratur, sit aliqua participatio intellectualis virtutis, secundum quam aliquam veritatem sine inquisitione apprehendat, sicut apprehenduntur prima principia naturaliter cognita tam in speculativis quam etiam in operativis; unde et talis virtus intellectus vocatur, secundum quod est in speculativis, quae etiam secundum quod in operativis est, synderesis dicitur: et haec virtus scintilla convenienter dicitur, quod sicut scintilla est modicum ex igne evolans; ita haec virtus est quaedam modica participatio intellectualitatis, respectu ejus quod de intellectualitate in Angelo est: et propter hoc etiam superior pars rationis scintilla dicitur quia in natura rationali supremum est; unde et Hieronymus dicit quod per aquilam significatur quae cetera animalia in volando transcendit; ita et haec virtus transcendit rationabilem, quae per hominem significatur, et concupiscibilem quae per vitulum, et irascibilem quae per leonem. Sicut autem non contingit in speculativis intellectum errare circa cognitionem primorum principiorum, quin semper repugnet omni ei quod contra principia dicitur; ita etiam non contingit errare in practicis in principiis primis; et propter hoc dicitur, quod haec superior rationis scintilla quae synderesis est, extingui non potest, sed semper repugnat omni ei quod contra principia naturaliter sibi indita est.

Réponse. Selon Denys, la sagesse divine unit les premiers des seconds aux derniers des premiers, car, ainsi que le montre le livre Sur les causes, dans l’ordre des réalités créées, il faut que ce qui suit ressemble à ce qui précède, et cela ne peut exister que si une chose participe à la perfection [de ce qui précède) ; et cela existe d’une manière inférieure dans un ordre second des créatures que dans le premier. Aussi la participation d’une créature inférieure à la ressemblance de la [créature] supérieure est quelque chose de suprême dans la [créature] inférieure et d’ultime dans la [créature] supérieure, car elle est reçue de manière plus déficiente qu’elle n’existe dans la [créature] supérieure. Or, parmi les créatures, il existe un ordre selon lequel l’ange existe en premier, et l’âme raisonnable en second. Et parce que l’âme raisonnable a été unie à un corps, la connaissance qui lui revient selon son ordre propre est la connaissance qui va des réalités sensibles aux réalités intelligibles, et qui ne parvient à la connaissnace de la vérité que par une recherche qui précède. C’est pourquoi on dit que sa connaissance est raisonnable. Mais parce que l’ange est simplement incorporel et n’est pas uni à un corps, la connaissance qui revient à sa nature consiste en ce qu’il appréhende simplement sans recherche la vérité. Pour cette raison, sa nature est appelée intellectuelle. Il est donc nécessaire que, dans l’âme raisonnable, qui est façonnée d’après l’ange dans l’ordre des créatures, existe une participation à la puissance intellectuelle, selon laquelle elle saisit sans recherche une vérité : ainsi sont naturellement saisis les premiers principes connus tant en matière spéculative qu’en matière d’action. Aussi une telle puissance de l’intelligence est-elle appelée intellect en matière spéculative et syndérèse en matière d’action. Et une telle puissance est à juste titre appelée une étincelle, car elle ressemble à une étincelle qui s’envole du feu. Cette puissance est donc une faible participation à la condition intellectuelle en regard de ce qui existe comme condition intellectuelle chez l’ange. Pour cette raison aussi, la partie supérieure de la raison est appelée « étincelle », car elle est ce qui existe de suprême dans la nature raisonnable. Aussi Jérôme dit-il que, par l’aigle, essdt signifié ce qui dépasse les autres animaux en volant ; de même, cette puissance dépasse-t-elle la [puissance] raisonnable, qui est signifié par l’homme, la [puissance] concupiscible, qui l’est par le bœuf, et la [puissance] irascible qui l’est par le loion. Or, de même qu’il n’arrive pas que l’intellect se trompe en matière spéculative à propos des premiers principes, sans qu’elle résiste à tout ce qui est dit de contraire aux principes, de même aussi n’arrive-t-il pas qu’elle se trompe en matière pratique à propos des premiers principes. Pour cette raison, on dit que l’étincelle supérieure de la raison qu’est la synsdérèse ne peut pas être éteinte, mais elle s’oppose toujours à ce qui est contraire aux principes naturellement présents en elle.

[6866] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod sicut non contingit intellectum errare circa principia secundum se considerata, contingit tamen errare circa ea, secundum quod sunt virtute in conclusionibus, per malam ratiocinationem; ita etiam lumen synderesis in se nunquam extinguitur: sed secundum quod deliberando deducitur in conclusionem operabilis, potest esse defectus, secundum quod per impetum delectationis et passionis cujuscumque, aut etiam falsae inductionis errorum, conclusio non recte ex principiis deducitur; et ideo non dicit quod synderesis praecipitatur, sed quod conscientia praecipitatur, quae est conclusio, ut supra dictum est; et est in ea virtus synderesis, sicut virtus principiorum in conclusione.

1. De même qu’il n’arrive pas à l’intellect de se tromper à propos des principes considérés en eux-mêmes, mais qu’il lui arrive de se tromper à leur sujet par un mauvais raisonnement, selon qu’ils existent en puissance dans les conclusions, de même la lumière de la syndérèse ne s’éteint-elle jamais en elle-même, mais, selon qu’elle est amenée à une conclusion en délibérant sur une action à poser, il peut exister une carence du fait que, sous l’impulsion de n’importe quels plaisir eet passion ou d’un faux recours à des erreurs, une conclusion n’est pas correctement tirée des principes. C’est pourquoi il ne dit pas que la syndérèse se précipite, mais que la conscience se précipite, laquelle est une conclusion, comme on l’a dit plus haut. Et la puissance de la syndérèse existe en elle comme la puissance des principes [existe] dans la conclusion.

[6867] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod synderesis est aliud a superiori parte rationis, quia est supra totam rationem, ut Hieronymus dicit in Glossa inducta; unde non sequitur quod, si in ratione sit peccatum, in synderesi sit peccatum.

2. La syndérèse est différente de la partie supérieure de la raison, car elle est supérieure à la raison dans son ensemble, comme le dit Jérôme dans la glose invoquée. Aussi n’en découle-t-il pas que, si le péché réside dans la raison, il existe un péché dans la syndérèse.

[6868] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod sicut lumen intellectus naturale non sufficit in cognoscendo ea quae fidei sunt; ita etiam non sufficit in remurmurando his quae contra fidem sunt, nisi lumine fidei adjuncto; et ideo synderesis etiam in infidelibus manet integra quantum ad lumen naturale; sed quia privato lumine fidei excaecati sunt, non remurmurat eorum synderesis his quae contra fidem sunt. Vel dicendum, quod synderesis semper remurmurat malo in universali; sed quod in haeretico non remurmurat huic malo particulari, hoc contingit propter errorem rationis in applicatione universalis principii ad particulare opus, ut patebit in sequenti articulo.

3. De même que la lumière naturelle de l’intelligence ne suffit pas pour connaître ce qui relève de la foi, de même aussi ne suffit-elle pas à reprocher ce qui est contraire à la foi, à moins que la lumière de la foi n’y soit ajoutée. Aussi la syndérèse demeure-t-elle entière quant à la lumière naturelle, même chez les infidèles ; mais parce qu’ils ont été aveuglés par la privation de la lumière de la foi, leur syndérèse ne s’oppose pas à ce qui est contraire à la foi. Ou bien il faut dire que la syndérèse s’objecte toujours au mal de manière universelle, mais parce que, chez l’hérétique, elle ne s’objecte pas à ce mal particulier, cela se produit à cause de l’erreur de la raison dans l’application d’un principe universel à une action particulière, comme cela ressortira dans le prochain article.

[6869] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod ignorantia malorum qua finem ignorant, non est ignorantia opposita scientiae universali: quia si a malo quaereretur, utrum bonum esset fornicari, diceret quod non: sed habet ignorantiam finis oppositam scientiae de fine, secundum quod immiscet se ad electionem hujus particularis operis, sicut principium ad conclusionem immiscetur: et ita propter inclinationem habitus contrarii deficit malus de finis judicio. Judicat enim hoc esse tamquam per se bonum, ut cum muliere delectetur; et ideo propter inclinationem habitus et impetum passionis non percipitur mente synderesis murmur, quia anima est quasi inebriata passione. Unde etsi exterius contrarium proferat, non tamen mens sua interius ita tenet; sicut ebrii dicunt verba sapientum exterius, quae tamen interius non intelligunt: et est exemplum philosophi in 7 Ethic., in hac materia loquentis.

4. L’ignorance du mal par laquelle on ignore la fin n’est pas une ignorance contraire à une connaissance universelle, car si on demandait à un méchant s’il est bien de forniquer, il dirait que non ; mais il a une ignorance de la fin opposée à la connaissance de la fin selon qu’elle s’implique dans le choix de telle action particulière, comme un principe est impliqué dans la conclusion. Ainsi, en raison de l’inclination d’un habitus contraire, le méchant a une carence dans son jugement sur la fin. En effet, il juge que telle chose est bonne en soi, comme le fait de prendre plaisir avec une femme ; c’est pourquoi, à cause de l’inclination de l’habitus et de l’impulsion de la passion, la petite voix de la syndérèse n’est pas perçue, car l’âme est comme enivrée par la passion. En conséquence, même s’il exprime extérieurement le contraire, son esprit ne s’y attache pas intérieurement, comme les ivrognes disent extérieurement des paroles de sages, qu’ils ne comprennent cependant pas à l’intérieur. Tel est l’exemple donné par le Philosophe, Éthique, VII, lorsqu’il parle de cette question.

[6870] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod etiam in damnato manet naturalis inclinatio qua homo naturaliter vult bonum; sed haec inclinatio non dicit actum aliquem, sed solum ordinem naturae ad actum. Hic autem ordo et habilitas nunquam in actum exit, ut bonum actualiter velit, propter perpetuum impedimentum obstinationis voluntatem ligantis; sed tamen naturalis cognitio manet; et ideo semper manet murmur rationis contra voluntatem; voluntas tamen nunquam rationi obedit.

5. Même chez le damné, demeure l’inclination naturelle par laquelle l’homme veut naturellement le bien ; mais cette inclination n’exprime pas un acte, mais seulement le rapport entre la nature et l’acte. Or, ce rapport et cette aptitude ne passent jamais à l’acte, de sorte qu’il veuille le bien en acte, en raison de l’empêchement perpétuel de l’entêtement qui lie la volonté ; cependant, la connaissance naturelle demeure. C’est pourquoi demeure toujours le reproche de la raison contre la volonté ; mais la volonté n’obéit jamais à la raison.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum conscientia aliquando erret

Article 2 – La conscience se trompe-t-elle parfois ?

[6872] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod conscientia nunquam erret. Ad hoc enim quod aliquod judicium sit certum, oportet in dictis testium certam veritatem esse. Sed in divino judicio, quod certissimum est, nunquam a justitia declinans, conscientia tenet locum testis, ut patet Rom. 2, 15: testimonium reddente conscientia eorum. Ergo conscientia infallibilem veritatem habet, et ita non errat.

1. Il semble que la conscience ne se trompe jamais. En effet, pour qu’un jugement soit certain, il est nécessaire qu’une vérité soit garantie par ce que disent les témoins. Or, pour le jugement, qui est le plus certain qui ne s’écarte jamais de la justice, la conscience tient lieu de témoin, comme cela ressort de Rm 2, 15 : Leur conscience leur rend témoignage. La conscience possède donc une vérité infaillible, et ainsi elle ne se trompe pas.

[6873] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 2 arg. 2Praeterea, illud quod est naturale, est idem apud omnes et semper. Sed, secundum Basilium, conscientia est naturale judicatorium. Ergo conscientia semper manet in sua rectitudine, et ita non errat.

2. Ce qui est naturel est identique chez tous et toujours. Or, selon Basile, la conscience est un tribunal naturel. La conscience garde donc toujours sa droiture, et ainsi elle n’erre pas.

[6874] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 2 arg. 3Praeterea, illud quod est primum in aliquo ordine, oportet esse fixum et stans: omnis enim motus procedit ab immobili, ut dicit Augustinus. Sed lex est dirigens in omnibus actibus humanis. Ergo lex immobiliter rectitudinem continet. Sed conscientia est lex intellectus nostri, ut dicit Damascenus. Ergo conscientia semper recta est, et nunquam errat.

3. Ce qui est premier dans un ordre doit être fixe et immuable : en effet, tout mouvement vient de quelque chose d’immobile, comme le dit Augustin. Or, la loi dirige tous les actes humains. La loi comporte donc une droiture immuable. Or, la conscience est la loi de notre intelligence, comme le dit [Jean] Damascène. La conscience est donc toujours droite et ne se trompe jamais.

[6875] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 2 arg. 4Praeterea, conscientia scientia quaedam est. Sed scientia semper verorum est, ut patet 1 Poster. Ergo nec conscientia errare potest.

4. La conscience est une science. Or, la science porte toujoours sur ce qui est vrai, comme cela ressort des Postérieurs Analytiques, I. La conscience ne peut donc pas non plus errer.

[6876] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 2 arg. 5Praeterea, ut dicitur 7 Ethic., secundum hoc scientia in incontinente obtenebratur quod a passionibus vincitur. Sed conscientiam passiones non vincunt: quia quando secundum passiones homo operatur, conscientia remurmurat. Ergo conscientia a propria rectitudine non obliquatur, et ita non errat.

5. Comme on le dit dans Éthique, VII, chez l’incontinent, la science est vainçue parce qu’elle est obscurcie par les passions. Or, les passions ne l’emportent pas sur la conscience, car lorsque l’homme agit selon ses passions, la conscience le lui reproche. La conscience n’est donc pas détopurnée de sa propre droiture, et ainsi elle n’erre pas.

[6877] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 2 s. c. 1Sed contra, Ezech. 1, in Glossa Hieronymus dicit: conscientiam interdum praecipitari videmus. Sed praecipitium ejus est ipsius error. Ergo conscientia quandoque errat.

Cependant, [1] dans une glose sur Ex 1, Jérôme dit : « Nous voyons que la conscience se précipite parfois. » Or, son précipice est l’erreur. La conscience erre donc parfois.

[6878] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 2 s. c. 2Praeterea, ad conscientiam pertinere videtur arbitrium de rebus agendis vel non agendis. Sed in hoc arbitrio plerumque homines decipiuntur, ut patet Joan. 16, 2: venit hora ut omnis qui interficit vos, arbitretur se obsequium praestare Deo. Ergo et cetera.

[2] Il semble qu’il appartienne à la conscience d’arbitrer ce qui doit être fait et ce qui ne doit pas être fait. Or, dans cet arbitrage, les hommes sont souvent trompés, comme cela ressort de Jn 16, 2 : L’heure vient où tous ceux qui vous tuent jugeront qu’ils se soumettent à Dieu.Donc, etc.

[6879] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod sicut ex praedictis patet, prima principia, quibus ratio dirigitur in agendis, sunt per se nota; et circa ea non contingit errare, sicut nec contingit errare ipsum demonstrantem circa principia prima. Haec autem principia agendorum naturaliter cognita ad synderesim pertinent, sicut Deo esse obediendum, et similia. Sicut autem in scientiis demonstrativis ex principis communibus non deducuntur conclusiones nisi mediantibus principiis propriis et determinatis ad genus illud, virtutem primorum principiorum continentibus; ita in operabilibus, in quibus ratio deliberans syllogismo quodam utitur ad inveniendum quid bonum sit, ut patet ex 3 de anima, ex principiis communibus in conclusionem hujus operis determinati venit mediantibus quibusdam principiis propriis et determinatis. Haec autem propria principia non sunt per se nota naturaliter sicut principia communia: sed innotescunt vel per inquisitionem rationis, vel per assensum fidei. Et quia non omnium est fides, ut dicitur 2 Thessal. 3, et iterum quia ratio conferens quandoque decipitur; ideo circa ista principia contingit errare; sicut haereticus errat in hoc quod credit omne juramentum esse illicitum. Et haec principia determinata pertinent ad rationem superiorem vel inferiorem; veritas autem conclusionis dependet ex utrisque principiis: et ideo cum conscientia sit quaedam conclusio sententians quid bonum sit fieri vel dimitti, ut patet ex his quae dicta sunt supra, dist. 24, quaest. 3, art. 3, contingit in conscientia errorem esse propter hoc quod ratio decipitur in principiis appropriatis; sicut conscientia haeretici decipitur dum credit se non debere jurare etiam pro causa legitima, quando ab eo expetitur: non quia decipiatur in hoc communi principio, quod est, nullum illicitum esse faciendum; sed quia decipitur in hoc quod credit omne juramentum esse illicitum, quod quasi pro principio accipit.

Réponse. Comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut, les premiers principes, par lesquels la raison est dirigée pour l’action, sont connus par eux-mêmes, et il n’arrive pas qu’elle se trompe à leur sujet, comme il n’arrive pas que celui démontre se trompe à propos des premiers principes. Or, ces principes de l’action naturellement connus relèvent de la syndérèse, tels il faut obéir à Dieu et les choses semblables. Or, de même que, dans les sciences démonstratives, des conclusions ne sont tirées que par l’intermédiaire des principes propres et déterminés de ce genre et qui contiennent la puissance des premiers principes, de même, pour l’action, où la raison délibérante utilise un syllogisme pour trouver ce qui est bon, comme cela ressort de Sur l’âme, III, elle aboutit à une conclusion à propos de telle action déterminée, à partir des principes communs, par l’intermédiaire de principes propres et déterminés. Or, ces principes propres ne sont pas naturellement connus par eux-mêmes, comme les principes communs, mais ils sont connus par une recherche de la raison ou par l’assentiment de la foi. Et parce que la foi n’est pas donnée à tous, comme il est dit dans 2 Tm 3, et aussi parce que la raison se trompe parfois en rapprochant, il en découle qu’il lui arrive de se tromper à propos de ces principes. Ainsi, l’hérétique erre en ce qu’il croit que tout serment est défendu. Et ces principes relèvent soit de la raison supérieure, soit de la raison inférieure ; mais la vérité de la conclusion dépend des deux principes. C’est pourquoi, la conscience étant une conclusion déterminant ce qu’il est bon de faire ou d’écarter, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut, d. 24, q. 3, a. 3, il arrive qu’une erreur existe dans la conscience, par laquelle la raison est trompée à propos des principes appropriés. Ainsi, la conscience de l’hérétique se trompe lorsqu’elle croit qu’il ne doit pas faire serment, même pour une cause légitime, lorsqu’on le lui demande : non pas qu’elle se trompe à propos du principe commun, qui consiste à ne rien faire qui soit défendu, mais parce qu’elle se trompe en croyant que tout serment est défendu, ce qu’elle prend comme principe.

[6880] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod conscientia dicitur esse testis, inquantum id retinet contra quod voluntas fecit, quasi voluntatem accusans de eo quod sibi non obedivit: et in hoc non errat, quia facere contra conscientiam, peccatum est, ut infra dicetur: sed propter hoc non removetur quin errare possit in hoc quod de faciendo vel non faciendo sententiat.

1. On dit que la conscience est un témoin pour autant qu’elle s’opposer à ce que la volonté a accompli, comme si elle accusait la volonté de ne pas lui avoir obéi. En cela, elle n’erre pas, car agir contre sa conscience est un péché, comme on le dira plus loin. Mais cela n’empêche pas qu’elle puisse errer en décidant de ce qu’il fait faire ou ne pas faire.

[6881] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod conscientia dicitur naturale judicatorium non per se, sed inquantum virtus synderesis in ipsa manet; sicut virtus principiorum salvatur in conclusionibus: et ex parte illa non errat.

2. On appelle la conscience un tribunal naturel, non pas par soi, mais pour autant que la puissance de la synsdérèse demeure en elle, comme la puissance des principes est sauvegardée dans les conclusions. Soous cet aspect, elle n’erre pas.

[6882] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod conscientia non est prima lex et primum dirigens in humanis actibus, sed quasi quaedam applicatio primae legis, scilicet principiorum communium, ad actus particulares: propter quod a Damasceno lex intellectus dicitur; unde non oportet quod semper sit recta.

3. La conscience n’est pas la loi première et ce qui dirige en premier dans les actes humains, mais elle est comme une application de la loi première, à savoir, des principes communs, aux actes particuliers. Pour cette raison, l’intelligence est appelée loi par [Jean] Damascène. Il n’estd donc pas nécessaire qu’elle soit toujours droite.

[6883] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod conscientia non dicitur scientia simpliciter, sed secundum quid, scilicet secundum aestimationem illius cujus est conscientia: dicitur enim conscientia, secundum quod aliquis sibi conscius est. Quamvis autem scientia semper sit verorum, non tamen quidquid aliquis aestimat se scire, verum est: et ita non oportet quod semper sit conscientia vera.

4. La conscience n’est pas appelés simplement, mais d’une manière relative, c’est-à-dire selon le jugement de celui à qui appartient la conscience : en effet, elle est appelée conscience selon qu’on est conscient de soi. Bien que la science porte toujours sur ce qui est vrai, tout ce que quelqu’un estime connaître n’est cependant pas vrai. Et ainsi, il n’est pas nécessaire que la conscience soit toujours vraie.

[6884] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod in conclusione particularis agendi dupliciter contingit esse defectum. Uno modo ex falsitate principiorum ex quibus syllogizatur; et hoc modo in conclusione tenetur id quod veritati contrarium est: et hic est error conscientiae. Alio modo ex impetu passionum absorbentium et quasi ligantium rationis judicium in particulari, ut actu non consideret nec hoc nec ejus oppositum, sed voluntas sequatur delectabile quod sensus proponit; et hic est error electionis, et non conscientiae.

5. Dans une conclusion portant sur une action particulière, un défaut peut survenir de deux façons. Premièrement, de la fausseté des principes à partir desquels on fait un syllogisme : de cette manière, on obtient dans la conclusion ce qui est contraire à la vérité, et telle est l’erreur de la conscience. Deuxièment, de l’impulsion des passions qui absorbent et pour ainsi dire attachent le jugement de la raison sur une question particulière, de sorte qu’elle ne considère en acte ni une chose ni une autre, mais que la volonté suit ce qui est délectable selon que le sens le propose, et telle est l’erreur du choix, et non de la conscience.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum conscientia errans obliget

Article 3 – La conscience erronée oblige-t-elle ?

[6886] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod conscientia errans non obliget. Quicumque enim non facit hoc ad quod obligatur, peccat. Sed peccatum, ut supra dictum est, est dictum vel factum vel concupitum contra legem Dei. Cum igitur conscientia et ratio errans non sit secundum legem Dei, videtur quod non obliget.

1. Il semble que la conscience qui eerre n’oblige pas. En effet, quiconque ne fait pas ce qu’il est obligé pèche. Or, comme on l’a dit plus haut, le péché est une parole, une action ou un désir contraires à la loi de Dieu. Puisque la conscience et la raison qui se trompent ne sont pas conformes à la loi de Dieu, il semble qu’elle n’oblige pas.

[6887] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 arg. 2Praeterea, omne peccatum reducitur ad aliquod genus peccati: quia nihil est in genere quod non sit in specie, ut in 2 Topic. dicitur. Sed si aliquis habeat conscientiam furandi ut pascat patrem, hoc furari non reducitur ad aliquod genus peccati, ut patet in discurrendo per singula. Ergo talis non peccat: ergo talis conscientia erronea eum non obligabat.

2. Tout péché se ramène à un genre de péché, car rien n’est dans un genre qui ne soit dans une espèce, comme il est dit dans Topiques, II. Or, si quelqu’un a conscience de voler pour nourrir son père, ce vol ne se ramène pas à un genre de péché, comme cela ressort en raisonnant sur des cas particuliers. Celui-là ne pêche donc pas. Une conscience ainsi erronée ne l’obligeait donc pas.

[6888] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 arg. 3Praeterea, praeceptum inferioris non potest obligare contra praeceptum superioris, ut infra, 44 distinct., quaest. 2, art. 2 et 3, dicetur, quod praeceptum proconsulis non obligat ad faciendum aliquid contra praeceptum imperatoris. Sed Deus superior est conscientia nostra. Ergo conscientia nostra non potest nos obligare ad faciendum aliquid contra praeceptum Dei; et sic idem quod prius.

3. L’ordre d’un inférieur ne peut obliger à un ordre du supérieur en sens contraire, comme on dira plus loin, d. 44, q. 2, aa. 2-3, que l’ordre d’un proconsul n’oblige pas à faire quelque chose de contraire à l’ordre de l’empereur. Or, Dieu est supérieur à notre conscience. Notre conscience ne peut donc nous obliger à faire quelque chose à l’encontre d’un ordre de Dieu, et ainsi, on a la même conclusion que précédemment.

[6889] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 arg. 4Praeterea, Deus est potentioris et majoris auctoritatis quam conscientia nostra. Sed Deus non potest nos obligare ad peccatum faciendum suo praecepto. Ergo multo minus conscientia.

4. Dieu a une plus grande autorité que notre conscience. Or, Dieu ne peut nous obliger par son ordre à commettre un péché. Encore bien moins, donc, notre conscience.

[6890] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 arg. 5Praeterea, nullus faciens hoc ad quod obligatur, peccat: alias esset perplexus; quod est impossibile, quia sic necessario peccaret. Sed si habeat aliquis erroneam conscientiam quod debeat fornicari, et fornicetur, non excusatur a peccato: alias tyranni, qui sanctos occiderunt, non peccassent, quia arbitrabantur se obsequium Deo praestare. Ergo conscientia erronea non obligat.

5. Personne ne pèche en faisant ce à quoi il est obligé, autrement, il serait perplexe, ce qui est impossible, car il pécherait alors nécessairement. Or, si quelqu’un a la conscience de devoir forniquer et qu’il fornique, il n’est pas exempt de péché ; autrement, les tyrans qui ont tué des saints ne pécheraient pas, car ils jugeaient qu’ils devaient obéir à Dieu. La conscience erronée n’oblige donc pas.

[6891] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 arg. 6Praeterea, dictamen conscientiae non facit ut id quod est veniale, sit mortale: quia alicui dictat conscientia quod non est bonum loqui verba otiosa; nec tamen dicens, mortaliter peccat. Sed plus distat malum a bono quam veniale a mortali. Ergo conscientia errans non obligat ea quae sunt secundum se mala.

6. L’ordre de la conscience ne fait pas que ce qui est véniel soit mortel, car la conscience ordonne à quelqu’un qu’il n’est pas bon de proférer des paroles oiseuses ; cependant, en disant cela, elle ne pèche pas mortellement. Or, le mal est plus éloigné du bien que ce qui est véniel de ce qui est mortel. La conscience erronée n’oblige donc pas à ce qui s’y conforme soit mal de soi.

[6892] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 s. c. 1Sed contra, super illud Eccle. 7: scit enim tua conscientia etc. dicit Glossa: qua (scilicet conscientia) judice nocens non absolvitur. Sed praeceptum judicis obligat ad aliquid faciendum. Ergo conscientia obligat.

Cependant, [1] à propos de Si 7 : En effet, ta conscience sait etc., la Glose dit : « Par le jugement d’une telle (conscience), celui qui fait le mal n’est pas absous. » Or, l’ordre d’un juge oblige à faire quelque chose. La conscience oblige donc.

[6893] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 s. c. 2Praeterea, Rom. 14, 23, dicitur: omne quod non est ex fide, peccatum est, idest contra conscientiam; Glossa: etiamsi bonum est quod fit. Sed conscientia prohibens bonum, est errans. Ergo conscientia errans obligat.

[2] Il est dit en Rm 14, 23 : Tout ce qui ne vient pas de la foi est un péché, c’est-à-dire contraire à la conscience. Glose : « Même si ce qui est fait est bon. » Or, la conscience qui interdit le bien est erronée. La conscience erronée oblige donc.

[6894] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 s. c. 3Praeterea, iste habet conscientiam, si non fornicetur, quod peccat mortaliter. Omne autem peccatum mortale est ex contemptu Dei. Sed quicumque facit aliquid intentione contemnendi Deum, mortaliter peccat. Ergo iste mortaliter peccat; et ita conscientia errans eum obligabat.

[3] Un tel a conscience de pécher mortellement en ne péchant pas. Or, tout péché mortel vient d’un mépris de Dieu. Mais quiconque fait quelque chose avec l’intention de mépriser Dieu pèche mortellement. Celui-ci pèche donc mortellement. Et ainsi, la conscience erronée l’obligeait donc.

[6895] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt duae opiniones. Quidam enim distinguunt tria genera operum. Quaedam enim sunt opera per se bona; et conscientia quae ea facienda dictat, non est errans, sed recta; unde talis conscientia simpliciter ligat, nec unquam deponenda est. Quaedam vero sunt de se indifferentia, ut levare festucam, vel aliquid hujusmodi; et si conscientia talia opera dictat esse facienda, obligat ad faciendum, non simpliciter, sed manente tali conscientia; unde tenetur vel conscientiam deponere, quia erronea est, vel facere quod conscientia dictat: aliter enim peccat. Quaedam vero opera sunt de se mala, sicut fornicari, mentiri, et hujusmodi: et ad haec nullo modo conscientia obligare potest. Sed verum est quod si aliquis credat se non fornicando legem Dei contemnere, non propter hoc quod conscientia eum ad fornicandum ligat, peccat; sed quia in contemptum Dei, hoc quod dimittendum est, dimittit. Sed si diligenter videatur quomodo conscientia ligat, invenitur in omnibus ligare, ut alia opinio dicit. Conscientia enim quoddam dictamen rationis est. Voluntas autem non movetur in aliquid appetendum, nisi praesupposita aliqua apprehensione: objectum enim voluntatis est bonum vel malum, secundum quod est imaginatum vel intellectum. Intentionem autem boni vel mali ratio ipsa demonstrat. Unde cum actus voluntatis ex objecto specificetur, oportet quod secundum rationis judicium et conscientiae, voluntatis actus procedat: et per modum istum conscientia ligare dicitur: quia scilicet si aliquis fugiat per voluntatem quod ratio bonum dictat, est ibi fuga boni, quae fuga malum est: quia voluntas fugit illud ac si esset bonum secundum rationem, propter tristitiam aliquam secundum sensum: et similiter si ratio diceret aliquod bonum esse malum, voluntas non potest in illud tendere, quin mala sit: tendit enim in illud, ut ostensum est a ratione, et ita ut in malum simpliciter, propter apparens bonum secundum sensum: et ideo sive ratio sive conscientia recte judicet, sive non, voluntas obligatur hoc modo, quod si judicium vel dictamen rationis, quod est conscientia, non sequitur actus voluntatis, inordinatus est; et hoc est obligare, scilicet astringere voluntatem, ut non possit sine deformitatis nocumento in aliud tendere, sicut ligatus non potest ire. Sciendum tamen, quod aliter ligat conscientia errans, aliter conscientia recta. Conscientia enim recta obligat simpliciter et per se: hoc enim quod est per ipsam dictatum, est in se bonum, et ex judicio rationis bonum apparet; unde si non fiat, malum est; et si fiat, bonum est. Sed conscientia erronea non obligat nisi per accidens, et secundum quid: si enim dictet aliquid esse faciendum, illud fieri in se consideratum, non est bonum necessarium ad salutem, sed apprehenditur ut bonum: et ideo cum non liget nisi secundum quod est bonum, non obligatur voluntas per se ad hoc, sed per accidens, scilicet ratione apprehensionis, qua judicatur bonum: et ideo si fiat aliquid quod est secundum se malum, quod errans ratio judicat bonum, peccatum non evitat; si autem non fiat, peccatum incurritur: quia unus defectus bonitatis sufficit ad hoc quod aliquid dicatur malum, sive desit bonitas quae est per accidens, secundum quod res apprehenditur in ratione boni, sive bonitas quae est rei per se; sed si sit altera tantum, scilicet quae est per accidens, non propter hoc erit actus bonus. Et ista solutio accipitur ex verbis philosophi in 6 Ethic., ubi quaeritur, utrum dicatur aliquis incontinens ex hoc quod per passionem discedit a qualicumque ratione, sive recta sive non recta, vel dicatur incontinens propter hoc quod discedat a ratione recta; et solvit, quod dicitur incontinens per se et simpliciter propter hoc quod discedit a ratione recta; sed dicitur per accidens incontinens ex hoc quod discedit etiam a qualicumque ratione, sive recta sive non recta.

Réponse. À ce sujet, il existe deux opinions. En effet, certains font une distinction entre trois genres d’actions. Certains sont des actions bonnes par elles-mêmes : la conscience qui dicte de les accomplir n’est pas erronée, mais droite. Une telle conscience oblige donc simplement et elle ne doit jamais être mise de côté. Mais certaines [actions] sont de soi indifférentes, comme prendre une paille et quelque chose de ce genre. Si la conscience dicte que de telles actions doivent être faites, elle oblige à les faire, non pas simplement, mais aussi longtemps que demeure une telle conscience. Aussi est-on obligé soit de mettre de côté la conscience, car elle est erronée, soit de faire ce que la conscience dicte, car autrement on pèche. Mais certaines [actions] sont mauvaises en elles—êmes, comme forniquer, mentir et celles de ce genre. La conscience ne peut aucunement y être obligée. Mais il est vrai que, si quelqu’un croit qu’en ne forniquant pas, il méprise la loi de Dieu, il pêche, non pas parce que la conscience l’oblige à forniquer, mais parce qu’il rejette au mépris de Dieu ce qui doit être rejeté Mais si on observe attentivement comment la conscience oblige, on trouve qu’elle oblige en tout, comme le dit l’autre opinion. En effet, la conscience est un ordre de la raison. Or, la volonté n’est mue à désirer quelque chose que si cela a été préalablement appréhendé. En effet, l’objet de la volonté est le bien ou le mal, selon qu’il est imaginé ou compris. Or, la raison elle-même démontre l’intention du bien ou du mal. Puisque l’acte de la volonté est spécifié par l’objet, il est donc nécessaire que l’acte de la volonté vienne d’un jugement de la raison et de la conscience. C’est de cette manière qu’on dit de la conscience qu’elle oblige, car si quelqu’un fuit par sa volonté ce que la raison ordonne, c’est là une fuite de ce qui est bien, et une telle fuite est un mal, car la volonté le fuit comme si c’était bon selon la raison, à cause d’une tristesse selon le sens. De même, si la raison disait que ce qui est bien est mal, la volonté ne peut tendre vers cela sans être mauvaise. En effet, elle vers vers cela comme cela a été montré par la raison, et ainsi comme vers un mal tout simplement, à cause d’un bien apparent selon le sens. Que la raison juge correctement ou non, la volonté est ainsi obligée : si l’acte de la volonté ne suit pas le jugement ou l’ordre de la raison, qui est la conscience, il est désordonné. Et obliger, c’est cela, à savoir, assujeettir la volonté, de telle sorte qu’elle ne puisse tendre vers autre chose sans le préjudice d’une difformité, de la même manière que celui qui est lié ne peut marcher. Il faut cependant savoir que la conscience erronée et la conscience droite obligent d’une manière différente. En effet, la conscience droite oblige simplement et par soi, car ce qui est dicté par elle et bon en soi et apparaît bon au jugement de la raison. Si cela n’est pas accompli, cela est mal ; si cela est accompli, cela est bon. Mais la conscience erronée n’oblige que par accident et de manière relative : en effet, si elle dicte que quelque chose doit être accompli, cet acte, considéré en lui-même, n’est pas un bien nécessaire au salut, mais il est perçu comme bon. C’est pourquoi, puisqu’il n’oblige que selon qu’il est bon, la volonté n’y est pas obligée par soi, mais par accident, en raison de la perception, par laquelle il est jugé bon. Si donc est accompli quelque chose qui est de soi mal, mais que la raison égarée juge bon, on n’évite pas le péché ; mais si cela n’est pas accompli, on encourt un péché, car une seule carence de la bonté suffit pour que quelque chose soit appelé mauvais, que ce soit une bonté par accident, selon que la chose est perçue sous la raison de bien, ou que ce soit une bonté qui appartient par soi à la chose ; mais s’il s’agit seulement de l’autre, c’est-à-dire de celle qui existe par accident, l’acte ne sera pas bon à cause de cela. Cette solution est tirée des paroles du Philosophe, Éthique, VI, là où on se demande si quelqu’un est appelé incontinent du fait que, par la passion, il s’écarte de n’importe quelle façon de la raison, droite ou non droite, ou s’il est appelé incontinent parce qu’il s’écarte de la raison droite. Et il répond qu’il est appelé incontinent par soi et simplement parce qu’il s’écarte de la raison droite ; mais il est appelé par accident incontinent du fait qu’il s’écarte aussi de la raison de n’importe quelle façon, doite ou non droite.

[6896] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod quamvis illud quod ratio dictat, per se non sit secundum legem Dei, sicut nec per se bonum; tamen per accidens est secundum legem Dei, sicut et bonum, inquantum ratio apprehendit ipsum ut secundum legem Dei et bonum: et ideo sequitur quod conscientia errans per accidens obliget, et non per se.

1. Bien que ce que dicte la raison ne soit pas conforme à la loi de Dieu et ne soit pas non bon par soi, cela est cependant conforme à la loi de Dieu et bon pour autant que la raison le perçoit comme conforme à la loi de Dieu et bon. Il en découle donc que la conscience erronée oblige par accident, et non par soi.

[6897] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod conscientia errans, quae dictat aliquid esse faciendum, dictat illud esse faciendum sub aliqua ratione specialis boni, vel quia pium videtur, vel aliquid hujusmodi; unde qui contra hanc conscientiam facit, peccat; et peccatum illud opponitur virtuti sub cujus ratione ratio oppositum dictabat.

2. La conscience erroné, qui dicte que quelque chose doit être accompli, le cite sous la raison d’un bien particulier ou parce que cela semble juste, ou pour quelque raison de ce genre. Aussi celui qui agit contre cette conscience pèche-t-il. Et ce péché s’oppose à la vertu selon laquelle la raison dictait le contraire.

[6898] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod conscientia obligat non virtute propria, sed virtute praecepti divini: non enim conscientia dictat aliquid esse faciendum hac ratione, quia sibi videtur; sed hac ratione, quia a Deo praeceptum est; unde per accidens ex virtute divini praecepti obligat, inquantum dictat hoc ut praeceptum a Deo: et ideo dictamen conscientiae plus obligat quam praeceptum divinum, in cujus virtute ligat; sicut patet, si praeceptum regis non perveniret ad populum nisi mediante aliquo principe; si princeps diceret, hoc est praeceptum a rege, quamvis non esset verum; dictum suum obligaret ut praeceptum regis; ita quod contemptores mererentur poenam.

3. La conscience oblige, non pas par sa propre vertu, mais en vertu du commandement divin. En effet, la conscience ne dicte pas que quelque chose doit être accompli parce que cela [lui] plaît, mais pour la raison que cela est commandé par Dieu. Aussi oblige-t-elle par accident en vertu du commandement divin, dans la mesure où elle commande cela comme un commandement venu de Dieu. C’est pourquoi le précepte de la conscience oblige davantage que le commandement de Dieu en vertu duquel il oblige. Cela ressort lorsque le commandement du roi ne parviendrait au peuple que par l’intermédiaire d’un dirigeant : si le dirigeant disait que cela est ordonné par le roi, cela est ordonné par le roi, bien que ce soit pas vrai ; ce qu’il dit obligerait en tant que commandement du roi, de telle sorte que ceux qui le méprisent mériteraient une peine.

[6899] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod ideo Deus non potest nos obligare ab peccatum faciendum, quia non potest errare, ut judicet hoc esse faciendum quod non est faciendum; conscientia autem errare potest: et ideo non est simile.

4. Dieu ne peut nous obliger à commettre un péché parce qu’il ne peut errer, de telle sorte qu’il juge qu’une chose doit être accomplie, alors qu’elle ne doit pas l’être ; mais la conscience peut errer. Ce n’est donc pas la même chose.

[6900] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod simpliciter nullus perplexus est, absolute loquendo; sed quodam posito non est inconveniens, illo stante, aliquem perplexum fore; sicut intentione mala stante, sive fiat actus debitus, qui est in praecepto, sive non fiat, peccatum incurritur; similiter etiam stante erronea conscientia, quidquid fiat, peccatum non vitatur. Sed potest homo conscientiam erroneam, sicut et intentionem pravam, deponere; et ideo simpliciter non est perplexus.

5. À parler simplement, personne n’est perplexe au sens absolu ; mais, en supposant quelque chose, il n’est pas inapproprié qu’à cause de cela quelqu’un soit perplexe. Ainsi, en supposant une intention mauvaise, qu’un acte juste commandé soit accompli ou qu’il ne le soit pas, on encourt un péché. De même, en supposant une conscience erronée, quoi qu’on fasse, on n’évite pas le péché. Mais l’homme peut abandonner sa conscience erronée, de même que son intention mauvaise. C’est pourquoi il n’est pas tout simplement perplexe.

[6901] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 ad 6Ad sextum dicendum, quod conscientia, ut dictum est, obligat virtute praecepti divini, sub cujus ratione apprehendit illud quod ratio dictat: et ideo si illud apprehendatur ut directe cadens sub praecepto, peccat mortaliter, omittendo quod conscientia dictat, etiamsi sit veniale et indifferens. Si autem apprehendatur ut non directe cadens sub praecepto vel prohibitione, tunc non fit directe contra conscientiam, sed praeter eam; et ita non peccatur mortaliter, sed venialiter, vel etiam nullo modo; sicut quando conscientia dictat alicui, quod bonum est facere aliquod opus consilii, si non facit, non peccat: quia non apprehendit illud ut bonum debitum et necessarium ad salutem, et praecepto subjacens.

6. Comme on l’a dit, la conscience oblige en vertu du commandement de Dieu par rapport auquelle elle saisit ce que dicte la raison. C’est pourquoi, si elle saisit cela comme directement soumis au commandement, elle pêche mortellement en omettant ce que la conscience dicte, même si cela est véniel et indifférent. Mais si cela est saisi comme ne tombant pas directement sous un commandement ou une interdiction, alors cela n’est pas accompli directement à l’encontre de la conscience, mais en dehors d’elle. Et ainsi, elle ne pêche pas mortellement, mais véniellement, ou encore aucunement, comme lorsque la conscience dicte à quelqu’un qu’il est bon d’accomplir une action de délibération, si elle ne l’accomplir pas, elle pèche, car elle ne saisit pas cela comme un bien juste et nécessaire au salut, et soumis à un commandement.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 39

[6902] Super Sent., lib. 2 d. 39 q. 3 a. 3 expos.Etsi vitiis et peccatis obnubilentur et corrumpantur, bona tamen sunt. Haec obnubilatio et corruptio intellectus non intelligitur quantum ad actum proprium ipsius intellectus secundum se considerati, cum in multis peccatoribus acutissima ingenia inveniantur; sed intelligitur secundum habilitatem ad gratiam et virtutem et ad opus bonum, prout etiam dicitur, quod omnis malus ignorans est. Sunt tamen quaedam peccata quae etiam intellectus contemplationem obnubilant, inquantum per ea homo passionibus perturbatur et distrahitur, et a contemplationis actu impeditur, ut praecipue in peccatis carnalibus patet; unde etiam Commentator in 7 Phys. dicit, quod virtutes morales perficiunt ad scientias, et praecipue virtus castitatis. Brevius respondent dicentes, actum voluntatis non esse de naturalibus. Haec responsio utrique opinioni communis esse potest, praecipue quantum ad actum malum, in quem voluntas naturaliter non ordinatur.Sed voluntas haec semper caret effectu. Hoc potest intelligi de effectu ultimo voluntatis, quo scilicet in ultimum finem ordinatur, scilicet de actu meritorio; et tunc per gratiam intelligitur gratia gratum faciens, sine qua meritum esse non potest. Si autem intelligitur universaliter effectus bonae voluntatis quantum ad quodcumque bonum, sic per gratiam oportet intelligere gratuitum Dei auxilium, quo omnibus non tantum gratuita, sed etiam naturalia confert, sine quo nihil boni in nobis esse potest. Alii autem dicunt, unam esse voluntatem. Ista opinio videbatur ponere, quod quia voluntas naturaliter vult bonum, iste motus voluntatis semper maneat, et secundum additionem actus voluntatis deliberative dicitur bonus vel malus simpliciter. Sed si per motum intelligebant actum quemdam voluntatis, qui est operatio; sic falsum dicebant: quia voluntas non est determinata naturaliter ad unum, ut semper agat. Si autem per motum intelligebant inclinationem voluntatis in bonum, sic verum dicebant; quia illa inclinatio semper manet eadem, sive quis ex deliberatione bonum sive malum velit.

 

 

 

DISTINCTIO 40

Distinction 40 – [Le péché dans les actes extérieurs]

 

 

QUAESTIO 1

Question 1 – [Le bien et le mal sont-ils des différences spécifiques de l’action ?]

PROOEMIUM

Prologue

[6903] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 pr.In parte praecedenti determinavit de peccato, secundum quod in actu voluntatis consistit; in parte ista determinat de eo, secundum quod consistit in actu exteriori, et dividitur in partes duas: in prima parte ostendit, unde actus exteriores dicantur boni vel mali; in secunda movet quasdam quaestiones circa praedeterminata, 41 dist.: cumque intentio, ut supra dictum est, bonum opus faciat, et fides intentionem dirigat, non immerito quaeritur, utrum omnis intentio, omneque illorum opus malum sit qui fidem non habent. Prima dividitur in duas: in prima ostendit actus exteriores ex voluntate bonos vel malos esse; in secunda inquirit, utrum sit verum universaliter in omnibus: sed quaeritur utrum opera omnia hominis ex affectu et fine sint bona vel mala. Et dividitur in duas: in prima ad determinationem quaestionis inducit duas opiniones; in secunda inducit tertiam, quae utrique quantum ad aliquid contradicit, ibi: Augustinus evidentissime docet (...) omnes actus secundum intentionem et causam judicandos bonos vel malos praeter quosdam. Et dividitur in duas; in prima confirmat hanc tertiam opinionem per dicta Augustini; in secunda ostendit, quomodo illi qui alias opiniones sustinent, auctoritates inductas solvunt, ibi: quae tamen quidam contendunt nunquam habere bonam causam. Hic quinque quaeruntur: 1 utrum bonum et malum sint differentiae specificae actionis; 2 si bonitas et malitia exterioris actus ex voluntate dependent; 3 si actus exterior addat in bonitate et malitia supra interiorem actum voluntatis; 4 si eadem actio potest esse bona et mala; 5 si aliqua actio potest esse hoc modo indifferens ut neque sit bona neque mala.

Dans la partie précédente, [le Maître] a déterminé du péché, selon qu’il consiste dans un acte de la volonté ; dans la partie présente, il en détermine selon qu’il consiste dans un acte extérieur. Il y a deux parties : dans la première partie, il montre comment les actes extérieurs peuvent être appelés bons ou mauvais ; dans la seconde, il soulè certaines question sur ce qui a été déterminé, d. 41 : « Puisque l’intention, ainsi qu’on l’a dit, rend un acte bon et que la foi dirige l’intention, on se demande à juste titre si toute intention et tous les actes de ceux qui n’ont pas la foi sont mauvais. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il montre que les actes extérieurs sont bons ou mauvais d’après la volonté ; dans la seconde, il se demande si cela essdt universellement vrai pour tous : « Mais on se demande si toutes les actions de l’homme sont bons ou mauvais d’après la disposition affective et la fin. » Et cela se divise en deux : premièrement, pour déterminer de la question, il invoque deux opinions ; deuxièmement, il en invoque une troisième, qui contredit les deux sous un aspect, à cet endroit : « Augustin enseigne de la manière la plus claire (…) que tous les actes doivent être jugés bons ou mauvais selon l’intention et la cause, à l’exception de certains. » Il y a deux parties : dans la première, il confirme cette troisième opinion par des paroles d’Augustin ; dans la seconde, il montre comment ceux qui soutiennent ces opinions résolvent les autorités invoquées, à cet endroit : « Cependant, certains soutiennent que cela n’a jamais une cause bonne. » Ici, cinq questions sont posées : 1. Le bien et le mal sont-ils des différences spécifiques de l’action ? 2. La bonté et la méchanceté d’un acte extérieur dépendent-elles de la volonté ? 3. L’acte extérieur ajoute-t-il une bonté et une malice à l’acte intérieur de la volonté ? 4. La même action peut-elle être bonne et mauvaise ? 5. Une action peut-elle être à ce point indifférente qu’elle ne soit ni bonne ni mauvaise ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum bonum et malum sint differentiae essentiales actionis

Article 1 – Le bien et le mal sont-ils des différences spécifiques de l’action ?

[6905] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 1Circa primum sic proceditur. Videtur quod bonum et malum non sunt essentiales differentiae actionis. Nulla enim essentialis differentia convenit secundum quid alicui, sed per se. Bonum autem et malum non conveniunt actioni secundum quod actio, sed secundum objectum et finem. Ergo bonum et malum non sunt essentiales differentiae actionis.

1. Il semble que le bien et le mal ne soient pas des différences essentielles de l’action. En effet, aucune différence essentielle ne convient à quelque chose d’une manière relative, mais par soi. Or, le bien et le mal ne conviennent pas à l’action selon qu’elle une action, mais selon selon son objet et sa fin. Le bien et le mal ne sont donc pas des différences essentielles de l’action.

[6906] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, omnis differentia, ut in 4 Metaph. dicitur, entis et unius praedicationem recipit. Sed malum, cum sit privatio, est non ens. Ergo non potest esse essentialis differentia actionis.

2. Ainsi qu’il est dit dans Métaphysique, IV, à toute différence sont prédiqués quelque chose qui existe et qui est un. Or, le mal, puisqu’il est une privation, est quelque chose qui n’existe pas. Il ne peut donc pas être une différence essentielle de l’action.

[6907] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, essentialis differentia est de essentia ejus cujus est differentia constitutiva; sicut rationale de essentia hominis. Si ergo bonum et malum sunt differentiae essentiales actionis, aliqua actio erit de cujus essentia est malum. Sed nullum malum est a Deo. Ergo erit aliqua actio cujus essentia non est a Deo, quod supra improbatum est.

3. Une différence essentielle fait partie de l’essence de ce dont elle une différence constitutive, comme le fait d’être raisonnable pour l’essence de l’homme. Si donc le bien et le mal sont des différences essentielles de l’action, il y aura une action dont le mal fait partie de l’essence. Or, aucun mal ne vient de Dieu. Il y aura donc une action dont l’essence ne vient pas de Dieu, ce qui a été réfuté plus haut.

[6908] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, ea quae differunt per differentias essentiales, non conveniunt in specie. Sed in quibusdam actiones bonae et malae sunt eaedem specie; sicut concubitus matrimonialis et fornicarius: cum idem effectus in specie per utramque actionem sequatur, scilicet hominis generatio. Ergo bonum et malum non sunt differentiae essentiales actionis.

4. Les choses qui diffèrent par des différences spécifiques n’ont pas une espèce en commun. Or, pour certaines choses, les actions bonnes et mauvaises sont les mêmes selon l’espèce, comme les rapports sexuels dans le mariage et dans la fornication, puisque le même effet spécifique découle des deux actions : la génération de l’homme. Le bien et le mal ne sont donc pas des différences spécifiques de l’action.

[6909] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, sicut bonum et malum invenitur in actionibus hominis et habitibus; ita etiam invenitur in aliis rebus. Sed in aliis bonum et malum non sunt essentiales differentiae. Ergo nec in hominum actionibus.

5. De même que le bien et le mal se trouvent dans les actions et dans les habitus de l’homme, de même aussi se trouvent-ils dans les autres choses. Or, dans les autres choses, le bien et le mal ne sont pas des différences essentielles. Donc, non pas non plus dans les actions des hommes.

[6910] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, illud quod ponitur in definitione alicujus est essentiale sibi. Sed bonum ponitur in definitione virtutis ab Augustino dicente, quod virtus est bona qualitas mentis, ut supra, 27 dist. dictum est. Ergo malum et bonum sunt differentiae essentiales habituum. Sed secundum differentiam habituum est differentia actionum ex habitibus procedentium, cum similes habitus similes actus reddant, ut in 2 Ethic. dicitur. Ergo bonum et malum sunt essentiales differentiae actionum.

Cependant, [1] ce qui est mis dans la définition d’une chose lui est essentiel. Or, le bien est mis dans la définition de la vertu par Augustin, qui dit que « la vertu est une bonne qualité de l’esprit », comme on l’a dit plus haut, d. 27. Le bien et le mal sont donc des différences essentielles des habitus. Or, la différence entre des actions issues des habitus vient de la différence des habitus, puisque des habitus semblables rendent les actes semblables, comme on le dit dans Éthique, II. Le bien et le mal sont donc des différences essentielles des actions.

[6911] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, omnis differentia faciens secundum speciem differre, est differentia essentialis. Sed bonum et malum distinguunt species habitus. Ergo sunt differentiae essentiales habituum; et sic idem quod prius.

[2] Toute différences qui donne une différence selon l’espèce est une différence spécifique. Or, le bien et le mal distinguent les espèces des habitus. Ils sont donc des différences essentielles des habitus. La conclusion est donc la même que précédemment.

[6912] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod actiones differunt specie secundum diversitatem formarum, quae sunt principia actionum, quamvis etiam agentia specie non differant: sicut calefacere et infrigidare differunt specie, sicut calor et frigus. Forma autem voluntatis est finis et bonum, quod est ejus objectum et volitum; et ideo oportet quod in actibus voluntatis inveniatur differentia specifica secundum rationem finis. Et quia actus sunt in genere moris ex hoc quod sunt voluntarii; ideo in genere moris est diversitas speciei, secundum diversitatem finis. Et quia malum et bonum sumuntur secundum ordinem ad finem, ideo oportet quod sint essentiales differentiae in genere moris. Sciendum est autem, quod ad aliquod genus contingit aliqua reduci dupliciter: vel per se, ut ea quae per essentiam suam in illo genere sunt, sicut albedo et nigredo reducuntur ad genus coloris: vel per accidens ratione alicujus quod in eis est, sicut res alba et res nigra ad genus coloris. Et ideo quae per se sunt in genere simpliciter differunt specie per differentias essentiales generis: quae vero reducuntur ad genus per accidens, non differunt per differentias generis simpliciter, sed secundum quid tantum, scilicet secundum quod ad genus illud pertinent, ut patet praecipue in artificialibus: formae enim artificiales accidentales formae sunt; unde cultellus et clavis etiam differunt specie secundum quod ad genus artificiale pertinent, sed quantum ad substantiam eadem sunt specie: quia substantia utriusque est ex materia naturali, et non ex forma artificiali, ut in 2 de anima Commentator dicit. Et quia, ut dictum est, hoc modo aliquid ad genus moris pertinet quo voluntarium est; ideo ipsi actus voluntatis, qui per se et immediate ad voluntatem pertinent, per se in genere moris sunt; unde simpliciter specie dividuntur interiores actus voluntatis per bonum et malum, sicut per differentias essentiales: actus autem imperati a voluntate, eliciti per alias potentias, pertinent ad genus moris per accidens, secundum scilicet quod sunt a voluntate imperati; et ideo actus illi secundum substantiam non distinguuntur secundum speciem per bonum et malum, sed per accidens, secundum quod ad genus moris pertinent.

Réponse. Les actions diffèrent selon l’espèce selon la diersité des formes, qui sont les principes de l’action, bien que les acteurs ne soient pas différents selon l’espèce ; ainsi, réchauffer et refroidir diffèrent selon l’espèce, comme la chaleur et le froid. Or, la forme de la volonté est la fin et le bien, qui est son objet et ce qui est voulu ; c’est pourquoi il est nécessaire de trouver dans les actes de la volonté une différence spécifique sous la raison de fin. Et parce que les actes sont moraux par leur genre du fait qu’ils sont volontaires, il existe donc dans le genre moral une diversité d’espèce selon la diversité de la fin. Et parce que le mal et le bien se prennent du rapport à la fin, il est donc nécessaire qu’ils soient des différences essentielles dans le genre moral. Or, il faut savoir que certaines choses se ramènent à un genre de deux manières : par soi, de sorte que font partie de ce genre ce qui existe par son essence, comme la blancheur et le noir se ramènent au genre de la couleur ; par accident, en raison de quelque chose qui existe en elles, comme une chose blanche et une chose noire se ramènent au genre de la couleur. C’est pourquoi les choses qui dont partie d’un genre tout simplement diffèrent selon l’espèce par les différences essentielles du genre ; mais celles qui se ramènent au genre par accident ne diffèrent pas par les différences du genre tout simplement, mais d’une manière relative seulement, selon qu’elles relèvent de ce genre, comme cela ressort principalement dans réalités artificielles : en effet, les formes artificielles sont des formes accidentelles ; aussi le couteau et la clé diffèrent aussi par l’espèce selon qu’il relèvent d’un genre artificiel, mais ils sont identiques par l’espèce selon leur subsstance, car la substance des deux provient d’une matière naturelle, et non de la forme artificielle, comme le dit le Commentateur dans Sur l’âme, II. Et parce que, ainsi qu’on l’a dit, une chose se rapporte au genre moral selon qu’elle est volontaire, les actes mêmes de la volonté, qui se rapportent par soi et immédiatement à la volonté, foont de soi partie du genre moral. Aussi les actes intérieurs de la volonté se divisent-ils simplement en bien et en mal comme par des différences essentielles ; mais les actes commandés par la volonté et issus des autres puissances relèvent du genre moral par accident, du fait qu’ils sont commandés par la volonté. C’est pourquoi ces actes ne se distinguent pas spécifiquement selon leur substance en bien et en mal, mais par accident, selon qu’ils relèvent du genre moral.

[6913] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod quamvis bonum et malum non sint differentiae actionis inquantum est actio, sunt tamen differentiae ejus secundum quod est voluntaria: sicut etiam rationale et irrationale non sunt differentiae substantiae ut substantia est, sed secundum quod consideratur ut animata; et ideo nihil prohibet in aliquo genere actionum easdem actiones specie per bonum et malum differre.

1. Bien que le bien et le mal ne soient pas des différences de l’action en tant qu’elle est action, ils en sont cependant les différences selon qu’ils sont volontaires, de même que le raisonnable et le non-raisonnable ne sont pas des différences d’une substance en tant qu’elle est une substance, mais selon qu’elle est considérée comme animée. C’est pourquoi rien n’empêche que, dans un genre d’actions, les mêmes actions selon l’espèce diffèrent selon le bien et le mal.

[6914] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod sicut supra dictum est, malum prout dicit privationem tantum, non potest dici essentialis differentia; sed secundum quod fundatur in aliquo fine indebito, qui tamen finis non omnino bonitate caret; unde sic malum est contrarium bono, et non privatio.

2. Comme on l’a dit plus haut, le mal, en tant qu’il exprime seulement une privation, ne peut être appelé une différence essentielle ; mais, selon qu’il a comme fondement une fin indue, qui n’est cependant pas complèeement dépourvue de bonté, le mal est ainsi contraire au bien, et non pas une privation.

[6915] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 1 ad 3Et per hoc patet responsio ad tertium: quia malum pertinet ad essentiam actionis quantum ad hoc quod est ibi aliquid de entitate, et non ratione privationis adjunctae: quia privatio non est de essentia alicujus entis in genere collocati, cum nihil entis sit non ens.

3. La réponse au troisième argument ressort ainsi, car le mal relève de l’essence d’une action dans la mesure où existe en elle quelque chose de l’être, et non en raison de la privation qui y est associée, car la privation ne fait pas partie de l’essence d’un être situé dans un genre, puisque rien de l’être n’est du non-être.

[6916] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod concubitus est quidam actus imperatus a voluntate, mediante alia potentia; et ideo per accidens convenit sibi esse in genere moris; unde potest dupliciter considerari: vel secundum genus naturae, et sic concubitus matrimonialis et fornicarius specie non differunt; unde et effectum naturalem eumdem specie habent: vel secundum quod pertinent ad genus moris; et sic effectus specie differentes habent, ut mereri vel demereri vel aliquid hujusmodi, et sic in specie differunt.

4. Le rapport sexuel est un acte commandé par la volonté par l’intermédiaire d’une autre puissance. C’est pourquoi il lui convient par accident d’être situé dans un genre moral. Il peut ainsi être envisagé de deux manières : soit selon le genre de sa nature, et ainsi le rapport sexuel conjugal et fornicateur ne diffèrent pas par leur espèce et ils ont un même effet naturel selon l’espèce ; soit selon qu’ils relèvent du genre moral, et ainsi ils ont des effets différents selon l’espèce, tels que mériter ou démériter, ou quelque chose de ce genre ; ils diffèrent ainsi par l’espèce.

[6917] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum patet responsio per id quod dictum est, quod finis est forma voluntatis secundum quam operatio humana dicitur; et ideo bonum et malum differentiae essentiales et specificae in genere humanorum actuum sunt, sicut et aliae actiones differunt secundum diversas formas agentium; et ideo non est similis ratio de istis actionibus et de aliis: et propter hoc dicit philosophus in 5 Metaphysic., quod finis in agentibus ex proposito, est bonum et malum speciali modo.

5. La réponse ressort clairement de ce qui a été dit : la fin est la forme de la volonté selon qu’une opération est appelée humaine. C’est poourquoi le bien et le mal sont des différences essentielles et spécifiques dans le genre des actes humains, comme les autres actions diffèrent selon les différentes formes des agents. C’est pourquoi la raison de ces actions et des autres n’est pas la même. Pour cette raison, le Philosophe dit, Métaphysique, V, que la fin, pour les agents par délibération, est le bien et le mal d’une manière particulière.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum actio sit simpliciter judicanda bona vel mala ex voluntate

Article 2 – L’action doit-elle simplement être être jugée bonne ou mauvaise à partir de la volonté ?

[6919] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod simpliciter ex voluntate actio judicanda sit bona vel mala. Matth. 7, 18 dicitur: non potest arbor mala fructus bonos facere, nec arbor bona fructus malos facere. Sed voluntas bona bonae arbori comparatur, mala autem malae. Cum igitur fructus voluntatis sint exteriores actus, videtur quod ex bonitate et malitia voluntatis simpliciter exteriores actus dicendi sint boni vel mali.

1. Il semble que l’action doive être simplement jugée bonne ou mauvaise à partir de la volonté. Mt 7, 18 : Un arbre mauvais ne peut pas produire de bons fruits, ni un arbre bon produire des fruits mauvais. Or, la volonté bonne est comparée à un arbre bon, mais [la volonté] mauvaise, à [un arbre] mauvais. Puisque les fruits de la volontés sont les actes extérieurs, il semble donc qu’on doive simplement appeler les actes extérieurs bons ou mauvais à partir de la bonté et de la méchanceté de la volonté.

[6920] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, ut dictum est, actus exteriores non reducuntur ad genus moris, nisi secundum quod sunt imperati a voluntate. Sed non participant bonitatem vel malitiam moralem nisi secundum quod ad genus moris pertinent. Ergo videtur quod secundum bonitatem vel malitiam voluntatis sint dicendi boni vel mali. Quod etiam Ambrosius significare videtur dicens: affectus tuus nomen operi tuo imponit.

2. Comme on l’a dit, les actes extérieurs ne se ramènent au genre moral que dans la mesure où ils sont commandés par la volonté. Or, ils ne participent à la bonté ou à la méchanceté morale que dans la mesure où ils relèvent du genre moral. Il semble donc qu’ils doivent être appelés bons ou mauvais selon la bonté ou la méchanceté de la volonté, ce que semble aussi indiquer Ambroise lorsqu’il dit : « La disposition de ton âme donne son nom à ton acte. »

[6921] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, ut in 3 Metaph. philosophus dicit, ratio boni a fine sumitur. Sed actus voluntatis habet ordinem ad finem mediante voluntate, cujus objectum est finis. Ergo secundum bonitatem vel malitiam voluntatis, dicendus est actus exterior malus vel bonus.

3. Comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, III, la raison se prend de la fin. Or, l’acte de la volonté a un rapport à la fin par l’intermédiaire de la volonté, dont l’objet est la fin. Il faut donc appeler un acte extérieur bon ou mauvais selon la bonté ou la malice de la volonté.

[6922] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, malum non est potentius quam bonum. Sed si sit mala voluntas, necessario sequitur quod actus exterior sit malus. Ergo et si sit bona voluntas, sequitur quod actus exterior sit bonus.

4. Le mal n’est pas plus puissant que le bien. Or, si la volonté est mauvaise, il en découle nécessairement que l’acte extérieur est mauvais. Donc, si la volonté est bonne, il en découle que l’acte extérieur est bon.

[6923] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, Augustinus supra dixit quod voluntas est qua peccatur et recte vivitur. Sed voluntas, secundum quod ea peccatur, est mala, et secundum quod ea recte vivitur, est bona. Ergo peccatum, et etiam bona operatio, quae est recte vivere, judicari debent secundum bonitatem vel malitiam voluntatis.

5. Augustin a dit plus haut que la volonté est ce par quoi on pèche ou on vit correctement. Or, la volonté, selon qu’on pèche par elle, est mauvaise, et selon qu’on vit correctement par elle, est bonne. Le péché et aussi l’action bonne, qui consiste à vivre correctement, doiven donc être jugées selon la bonté ou la malice de la volonté.

[6924] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, philosophus in 2 Ethic. dicit, quod quaedam sunt quae bene fieri non possunt: quia cum sint extrema, in eis non est medium accipere. Contingit autem in talia opera ingredi propter voluntatem alicujus finis boni. Ergo non est judicandus actus exterior bonus propter voluntatis bonitatem.

Cependant, [1] dans Éthique, II, le Philosophe dit qu’il existe certaines choses qui ne pas devenir bonnes, car, puisqu’elles sont extrêmes, on ne trouve pas en elles de milieu. Or, il arrive qu’on s’engage dans de telles œuvres en raison de la volonté d’une fin bonne. On ne doit donc pas juger que l’acte extérieur est bon en raison de la bonté de la volonté.

[6925] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, supra dictum est, quod si fiat contra conscientiam errantem, quae judicat esse faciendum quod malum est, peccatur, et similiter si secundum eam fiat. Sed ille qui vult aliquid facere propter hoc quod conscientia sua sibi dictat, bonam voluntatem habere videtur. Ergo bona voluntas non sufficit ad hoc quod actus exterior bonus dicatur.

[2] On a dit plus haut que, si l’on agit à l’encontre de la conscience erronée, qui juge que ce qui est mal doit être fait, on pèche, et, de la même façon, si on agit selon elle. Or, celui qui veut faire quelque chose parce que sa conscience le lui dicte semble avoir une volonté bonne. La volonté bonne ne suffit donc pas pour qu’un acte extérieur soit appelé bon.

[6926] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod voluntas dupliciter potest considerari: vel secundum quod est intendens, prout in ultimum finem fertur; vel secundum quod est eligens, prout fertur in objectum proximum, quod in finem ultimum ordinatur. Si consideretur primo modo, sic malitia voluntatis sufficit ad hoc quod actus malus esse dicatur; quia quod malo fine agitur, malum est. Non autem bonitas voluntatis intendentis sufficit ad bonitatem actus: quia actus potest esse de se malus, qui nullo modo bene fieri potest. Si autem consideretur voluntas secundum quod est eligens, sic universaliter verum est quod a bonitate voluntatis dicitur actus bonus, et a malitia malus. Ad bonitatem enim consilii, quod electionem praecedit, ut in 5 Ethic. dicitur, tria exiguntur. Unum scilicet, quod consilians praestituat sibi debitum finem; quia si aliquis ad malum finem consequendum multas efficaces vias inveniat, non dicetur bonus consiliator. Secundo, quod ad finem bonum consequendum adinveniat bonum opus, per quod finem consequatur; unde si quis bonum finem consequi intendat per malam actionem, non est bonus consiliator: quia, ut ipse dicit, sortitur finem inconvenienti medio, eo quod illud quod ad finem ordinat, non est proportionatum fini illi; sicut si aliquis veram conclusionem per medium impertinens concluderet. Tertio requiritur ut adinveniat utrumque in tempore convenienti, ne sit praeceps in festinando, vel etiam inutilis in tardando. Sed hoc ultimum pertinet ad bonitatem consilii, secundum quod consilium in ratione inquirente et inveniente est; alia vero ex parte rei et consiliatoris. Cum igitur electio sit quasi consilii conclusio, ut in 3 Ethic. dicitur, oportet quod ad bonitatem voluntatis eligentis concurrat bonitas finis, et bonitas ejus quod ad finem ordinatur; et si hoc sit, proculdubio actus exterior bonus erit; si autem alterum desit, erit voluntas mala, et actus malus.

Réponse. La volonté peut être envisagée de deux manières : soit selon qu’elle a une intention, pour autant qu’elle est portée vers la fin ultime ; soit selon qu’elle choisit, pour autant qu’elle est portée vers un objet rapproché, qui est ordonné à la fin ultime. Si on l’envisage de la première manière, la méchanceté de la volonté suffit ainsi pour qu’un acte soit appelé mauvais, car ce qui est accompli pour une fin mauvaise est mal. Mais la bonté de la volonté qui a une intention ne suffit pas à la bonté d’un acte, car un acte peut être en soi mauvais et ne pouvoir aucunement être bien accompli. Mais si on envisage la volonté en tant qu’elle choisit, il est ainsi universellement vrai qu’un acte est appelé bon à partir de la bonté de la volonté, et mauvais à partir de la méchanceté [de la volonté. En effet, ainsi qu’on le dit dans Éthique, V, trois choses sont requises pour la bonté de la délibération. L’une est que celui qui délibère se donne la fin due, car, si quelqu’un trouve de multiples manières efficaces d’atteindre une fin mauvaise, on ne l’appelle pas un bon conseiller. Deuxièmement, que, pour poursuivre une fin bonne, il trouve une action bonne ; si quelqu’un a l’intention de pooursuivre une fin bonne par une action mauvaise, il n’est donc pas un bon conseiller, car, ainsi que lui-même le dit, il obtient la fin par un moyen inapproprié, du fait que ce qu’il ordonne à la fin n’est pas proportionné à cette fin, comme si quelqu’un aboutissait à une conclusion par un moyen inapproprié. Troisièmement, il est nécessaire qu’il trouve les deux au moment approprié, de sorte qu’il ne se précipite pas en se hâtant ou ne soit pas non plus inutile en tardant. Mais ce dernier point se rapporte à la bonté du conseil, selon que le conseil se trouve dans la raison qui recherche eet trouve ; mais l’autre vient de la chose et du conseiller. Puisque le choix est comme la conclusion de la délibération, ainsi qu’on le dit dans Éthique, III, il est donc nécessaire que concourent à la bonté de la volonté la bonté de la fin et la bonté de ce qui est ordonné à la fin ; et si tel est le cas, l’acte extérieur sera sans aucun doute bon ; mais si une des deux choses fait défaut, la volonté sera mauvaise, et l’acte mauvais.

[6927] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod arbor est ex qua immediate procedit fructus; unde arbori comparatur voluntas secundum quod eligens, quia ex electione immediate sequitur opus.

1. L’arbre est ce dont procède le fruit de manière immédiate ; aussi la volonté se compare-t-elle à un arbre en tant qu’elle choisit, car l’action découle immédiatement du choix.

[6928] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod secundum voluntatem dicitur actus exterior bonus vel malus; sed non secundum voluntatem intendentem solum, sed secundum voluntatem eligentem.

2. On dit que l’acte extérieur est bon ou mauvais selon la volonté, mais non pas seulement selon l’intention de la volonté, mais selon le choix de la volonté.

[6929] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod ad bonitatem rei non solum exigitur bonitas finis ultimi quem respicit voluntas intendens, sed etiam bonitas finis proximi, quem respicit voluntas eligens; et ideo non sequitur quod bonitas voluntatis intendentis, ad bonitatem actus sufficiat.

3. Pour la bonté d’une chose, non seulement est requise la bonté de la fin ultime, sur laquelle porte l’intention de la volonté, mais aussi la bonté de la fin rapprochée, sur laquelle porte le choix de la volonté. C’est pourquoi il n’en découle pas que la bonté de l’intention de la volonté suffit à la bonté d’un acte.

[6930] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod quia bonum perfectius et potentius est quam malum, ideo ad bonum plura exiguntur quam ad malum; quia bonum consistit ex una tota et perfecta causa; sed malum ex particularibus defectibus; ut Dionysius dicit: et ideo defectus voluntatis circa ultimum finem sufficit ad malitiam actionis; non autem bonitas finis ultimi sufficit ad bonitatem.

4. Parce que le bien est plus parfait et plus puissant que le mal, plus de choses sont requises pour le bien que pour le mal, car le bien tient d’une seule cause entière et parfaite, mais le mal, de déficiences particulières, comme le dit Denys. C’est pourquoi une carence la volonté à propos de la fin ultime suffit à la malice d’un acte, mais la bonté de la fin ultime ne suffit pas à sa bonté.

[6931] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum sicut ad secundum.

5. La réponse au cinquième argument est la même que celle donnée pour le deuxième [argument].

 

 

ARTICULUS 3 Utrum actus exterior addat aliquid bonitatis vel malitiae super bonitatem vel malitiam voluntatis

Article 3 – L’acte extérieur ajoute-t-il quelque chose à la bonté ou à la malice de la volonté ?

[6933] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod actus exterior nihil de bonitate et malitia addat supra bonitatem vel malitiam voluntatis. Primo per id quod dicitur super Matth. 11, in Glossa: quantum intendis, tantum facis. Si igitur duo sint, quorum uterque idem bonum intendat, et unus exequatur, et alius non, videtur quod nihil de bonitate per actum exteriorem addatur.

1. Il semble que l’acte extérieur n’ajoute rien de bon et de mauvais à la bonté et à la malice de la volonté. Premièrement, selon ce qui est dit dans la Glose à propos de Mt 11 : « Tu agis comme tu l’entends. » Si donc il existe deux personnes qui ont en vue le même bien, que l’un l’accomplit et l’autre ne [l’accomplit] pas, il semble que rien de bon ne soit ajouté par l’acte extérieur.

[6934] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, Bernardus dicit, quod bona voluntas sufficit ad meritum; sed bona actio requiritur ad exemplum; et consonat ei quod philosophus in 10 Ethic. dicit, quod exteriores actus sunt ad manifestationem virtutis. Sed absoluta et perfecta ratio bonitatis in actibus humanis est, secundum quod sunt meritorii. Ergo tota bonitas in actu interiori consistit; et ita per actum exteriorem nihil de bonitate vel malitia additur.

2. Bernard dit : « Une volonté bonne suffit au mérite ; mais l’action bonne est nécessairepour l’exemple. » Et ce que dit le Philosophe, Éthique, X, est en harmonie avec cela : le but des actes extérieurs est la manifestation de la vertu. Or, la raison absolue et parfaite de la bonté dans les actes humains vient de ce qu’ils sont méritoires. Toute la bonté consiste donc dans l’acte intérieur, et ainsi rien de bon ou de mal n’est ajouté par l’acte extérieur.

[6935] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, homo per bonas operationes in beatitudinem et felicitatem pervenit. Sed beatitudo et felicitas humana fortunae non subjacet, ut in 1 Ethic. probatur. Ergo nec fortuna de bonitate vel malitia operis aliquid auferre potest. Sed actus exterior virtutis moralis potest impediri per fortunam, ut in 10 Ethic. dicitur, ut patet in paupere, qui non habet unde actum liberalitatis exerceat, et in infirmo, qui actum fortitudinis exercere non potest. Ergo actus exterior nihil addit vel diminuit de bonitate actionis humanae.

3. L’homme parvient à la béatitude et à la félicité par ses actions bonnes. Or, la béatitude et la félicité humaines ne sont pas soumises à la fortune, comme le démontre Éthique, X. fortune ne peut donc rien enlever à la bonté ou à la malice d’une action. Or, l’acte extérieur d’une vertu morale peut être empêché par la fortune, comme il est dit dans Éthique, X : cela est clair chez le pauvre, qui n’a pas de quoi accomplir un acte de libéralité, et chez le malade, qui ne peut accomplir un acte de force. L’acte extérieur n’ajoute ou ne diminue donc en rien la bonté de l’action humaine.

[6936] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, quanto actio melior est, tanto majus sibi praemium debetur. Sed tota quantitas praemii mensuratur secundum quantitatem radicis, scilicet habitus actum informantis. Cum igitur habitus primo eliciat operationes intrinsecas, videtur quod in actibus interioribus tota efficacia meriti consistat; et ita per exteriores actus nihil de bonitate accrescit.

4. Meilleure est une action, plus grande est la récompense qui lui est due. Or, toute la quantité de la récompense se mesure selon la quantité de la racine, à savoir, de l’habitus qui donne forme à l’acte. Puisqu’un habitus est en premier la source des opérations intrinsèques,, il semble donc que toute l’efficacité du mérite consiste dans les actes intérieurs. Et ainsi aucune bonté ne s’ajoute par les actes extérieurs.

[6937] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, si actus exterior addit aliquid bonitatis supra bonitatem actus interioris, ergo quanto actus exterior major fuerit, tanto homo magis merebitur. Sed hoc falsum est: quod patet ex domini sententia quam de vidua mittente duo aera in gazophylacium dedit, Luc. 21. Ergo actus exterior non addit bonitatem supra actum interiorem.

5. Si l’acte extérieur ajoute une bonté à la bonté de l’acte intérieur, plus l’acte extérieur sera grand, plus l’homme méritera donc. Or, cela est faux, ce qui ressort clairement de l’affirmation du Seigneur à propos de la veuve qui meettait deux piécettes dans le Trésor, Lc 21. L’acte extérieur n’ajoute donc aucune bonté à l’acte intérieur.

[6938] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 6Sed contra, si aliquid potest fieri per unum sicut per duo, superfluum est duo ad illud inducere. Si igitur aequalis bonitas consistit in actu exteriori et interiori simul, et in actu interiori tantum, videtur quod actus exterior superflueret; et ita non oporteret nos aliquid agere, sed solum velle.

6. Si quelque chose peut être aussi bien accompli par une seule chose que par deux, il est superflu d’y appliquer deux choses. Si donc une égale bonté consiste dans l’acte extérieur et dans l’acte intérieur pris ensemble, et dans l’acte intérieur pris seul, il semble que l’acte extérieur soit superflu. Il ne serait donc pas nécessaire que nous accomplissions quelque chose, mais seulement que nous le voulions.

[6939] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 7Praeterea, duplex bonum melius est. Sed actus interior et exterior uterque bonitatem habet. Ergo uterque melior est quam alter tantum.

7. Un double bien est meilleur. Or, l’acte intérieur et l’acte extérieur ont tous deux une bonté. Les deux sont donc meilleurs qu’un seul uniquement.

[6940] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod actus exterior et actus interior voluntatis hoc modo comparantur ad invicem, quod uterque quodammodo est alteri bonitatis causa; et uterque, quantum in se est, quamdam bonitatem habet quam alteri dat. Actus enim exterior bonitatem habet ex circumstantiarum commensuratione, secundum quam proportionatus est ad finem hominis consequendum. Et quia actus exterior comparatur ad voluntatem sicut objectum, inde est quod hanc bonitatem voluntatis actus interior ab exteriori habet, non quidem ex eo secundum quod est exercitus, sed secundum quod est intentus et volitus; quia secundum quod est exercitus, sequitur actum voluntatis. Sed quaedam ratio bonitatis consistit in actu interioris voluntatis secundum se, secundum quod voluntas est domina suorum actuum, secundum quam bonitatem actus habet rationem meriti vel laudabilis: et haec bonitas ex actu interiori in exteriorem procedit. Loquendo igitur de illa bonitate quam voluntas actui exteriori praebet, actus exterior nihil bonitatis addit, dummodo voluntas aequaliter intensa sit. Hoc pro tanto dico, quia quidam actus sunt delectabiles, in quibus voluntas non potest esse ita intensa ante actum sicut est in actu, ut patet in actu fornicationis; unde non aequaliter demeretur qui vult fornicari, et qui actu fornicatur: quia voluntas non potest esse adeo perfecta ante actum sicut est in actu. Quidam vero actus sunt difficiles, in quibus voluntas remittitur in actu; et in istis voluntas potest esse magis perfecta ante actum quam in actu. Si autem loquamur de bonitate actus quam actus exterior secundum se habet, sic actus exterior complet interiorem in bonitate vel malitia, sicut terminus motus complet motum; comparatur enim, ut dictum est, ad voluntatem ut objectum. Et quia ad praemium essentiale ordinatur actus per bonitatem primam, quam habet a voluntate, prout liberaliter redditur, et ex amore; ideo actus exterior nihil adjungit ad praemium essentiale: tantum enim meretur qui habet perfectam voluntatem aliquod bonum faciendi, quantum si faceret illud; et si facit unum actum, quantum sit faceret multos, voluntate aequaliter perfecta manente. Ad praemium autem accidentale ordinatur per bonitatem quae est ipsius actus exterioris secundum se: et ideo actus exterior adjungit aliquid ad praemium accidentale: verbi gratia, martyr inquantum exterius patitur, victoriam de adversariis fidei habet; et ex hoc sibi aureola debetur. Similiter etiam aliquis ex hoc quod in actum exteriorem frequenter exit, magis habilitatur ad bonum: et ex hoc sequitur quod in caritate crescat. Similiter per actum exteriorem punitur magis quam per voluntatem tantum: et ideo actus exterior adjungitur in satisfactionem: et similiter in omnibus aliis quae consequuntur bonitatem actus, secundum quod exercitus est.

Réponse. L’acte extérieur et l’acte intérieur de la volonté se comparent l’un à l’autre de telle sorte que chacun est pour l’autre cause de bonté, et que chacun a en lui-même une certaine bonté qu’il donne à l’autre. En effet, la bonté de l’acte extérieur vient de son adaptation aux circonstances, par laquelle il est proportionné à l’atteinte de la fin de l’homme. Et parce que l’acte extérieur se compare à la volonté comme un objet, de là vient que l’acte intérieur de la volonté tient cette bonté de l’acte extérieur, non pas du fait qu’il est accompli, mais du fait qu’elle en a l’intention et qu’elle le veut, car, selon qu’il est accompli, il découle de l’acte de la volonté. Mais une certaine raison de bonté réside dans l’acte de la volonté intérieure en elle-même, selon que la volonté maîtrise ses propres actes, bonté selon laquelle l’acte est digne de mérite ou d’éloge. Cette bonté passe l’acte intérieur dans l’acte extérieur. Pour parler donc de la bonté que la volonté confère à l’acte extérieur, l’acte extérieur n’ajoute rien à la bonté, pourvu que la volonté ait une égale intensité. Je dis cela parce que certains actes son délectables : pour eux, la volonté ne peut être aussi intense avant l’acte qu’elle l’est dans l’acte, comme cela ressort dans l’acte de fornication. Aussi celui qui veut forniquer et celui qui fornique en acte ne démériteraient-ils pas également, car la volonté ne peut être aussi parfaite avant l’acte, qu’elle ne l’est dans l’acte. Mais certains actes sont difficiles : pour eux, la volonté se relâche dans l’acte. Pour eux, la volonté peut être plus parfaite avant l’acte que dans l’acte. Mais si nous parlons de la bonté de l’acte que possède l’acte extérieur en lui-même, l’acte extérieur complète ainsi l’acte la bonté ou la malice de l’acte intérieure, comme le terme d’un mouvement complète le mouvement. En effet, il se compare à la volonté comme un objet, ainsi qu’on l’a dit. Et parce que l’acte est ordonné à la récompense essentielle par sa bonté première, qu’il tient de la volonté, pour autant que [la récompense] est attribuée avec libéralité et par amour, l’acte extérieur n’ajoute donc rien à la récompense essentielle. En effet, celui-là mérite autant qui possède une volonté parfaite d’accomplir quelque chose de bien, que s’il l’accomplissait ; et s’il accomplit un seul acte, autant que s’il en accomplissait plusieurs, à supposer que la volonté reste d’une égale perfection. Mais on est ordonné à une récompense accidentelle par la bonté qui appartient à l’acte extérieur en lui-même. C’est pourquoi l’acte extérieur ajoute quelque chose à la récompense accidentelle, par exemple, le martyr, dans la mesure où il souffre extérieurement, remporte une victoire de la foi sur ses adversaires, et, à cause de cela, une auréole lui est due. De même, par le fait que quelqu’un passe souvent à un acte extérieur, il est rendu plus apte au bien, et il résulte de cela qu’il grandit en charité. De la même manière, est-on davantage puni pour un acte extérieur que pour la seule volonté : c’est pourquoi un acte extérieur s’ajoute comme satisfaction. Et de même, pour tout ce qui déoucle de la bonté d’un acte, selon qu’il est accompli.

[6941] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur, quantum intendis tantum facis, ly quantum potest esse adverbium, vel nomen. Et si sit nomen, tenet in malis, quia quantum aliquis credit vel intendit peccare, tantum peccat; in bonis autem non, quia potest aliquis tepida voluntate intendere multum Deo placere, nec tamen tantum placet. Et ratio hujus differentiae ex supradictis patet: quia plura exiguntur ad bonum quam ad malum. Si autem ly quantum sit adverbium, sic verum est et in bonis et in malis, secundum illam bonitatem et malitiam quam habet actus ex voluntate eligente. Sed per actum exteriorem aliquid adjungitur quantum ad bonitatem quae est ipsius actus exterioris secundum se.

1. Lorsqu’on dit : « Tu agis comme tu l’entends », la particule « comme » peut être considérée comme un adverbe ou comme un nom[6]. S’il la particule a valeur de nom, cela vaut pour les méchants, car quelqu’un pèche autant qu’il le croit ou en a l’intention ; mais, ce n’est pas le cas pour les bons, car quelqu’un peut avoir une volonté tiède de beaucoup plaire à Dieu, sans cependant lui plaire autant. La raison de cette différence ressort clairement de ce qui a été dit, car plus de choses sont requises pour le bien que pour le mal. Mais si la particule « comme » est un adverbe, elle est alors vraie pour les bons comme pour les méchants, selon la bonté et la méchanceté que l’acte tire de la volonté qui choisit. Mais, par l’acte extérieur, quelque chose est ajouté à bonté qui appartient à l’acte extérieur en lui-même.

[6942] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod dictum Bernardi intelligitur quando facultas operandi deest, voluntate perfecta existente; et loquitur tantum quantum ad essentiale praemium, et non quantum ad accidentale.

2. La parole de Bernard vaut lorsque la capacité d’agir fait défaut, alors qu’une volonté parfaite existe, et il parle de la récompense essentielle, et non de la [récompense] accidentelle.

[6943] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod bona fortunae, ut in 1 Ethic. dicitur, organice deserviunt felicitati; et ideo non est inconveniens, si accidentaliter ad felicitatem conferant, et eorum defectus felicitatem impediat quantum ad aliquid felicitati accidentale.

3. Comme le dit Éthique, I, les biens de la fortune sont au service de la félicité comme des instruments. Il n’est donc pas inapproprié qu’ils concourent à la félicité de manière accidentelle et que leur défaut empêche la félicité pour ce qui est accidentel à la félicité.

[6944] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod illud intelligitur de praemio essentiali, quod secundum quantitatem radicis mensuratur; cui non additur per actum exteriorem, si sit perfecta voluntas; sed additur aliquid quantum ad praemium accidentale.

4. Cela s’entend de la récompense essentielle, qui est mesurée selon la quantité de sa source ; rien ne s’y ajoute par un acte extérieur, si la volonté est parfaite ; mais quelque chose s’y ajoute pour ce qui est de la récompense accidentelle.

[6945] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod vidua illa plus aliis misisse dicitur, quia efficaciori voluntate illud dedit; unde magis merebatur apud Deum de praemio essentiali quam illi qui majora munera minori devotione dabant. Sed quantum ad praemium accidentale illi poterant plus mereri, secundum quod per majora munera plus satisfaciebant, vel etiam ministros templi plus ad orandum pro se provocabant, vel quidquid hujusmodi est quod actum exteriorem secundum se sequitur.

5. On dit que cette veuve a donné plus que les autres parce qu’elle a donné avec une volonté plus efficace ; aux yeux de Dieu, elle méritait donc davantage la récompense éternelle, que ceux qui faisaient un don plus grand avec une dévotion moindre. Mais, pour ce qui est de la récompense accidentelle, ceux-là pouvaient mériter davantage selon qu’ils satisfaisaient davantage par des dons plus grands, ou encore obtenaient des ministres du Temple qu’ils prient davantage pour eux, ou n’importe quoi de ce genre, qui découle de soi d’un acte extérieur.

[6946] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 ad 6Ad sextum dicendum, quod voluntas tendit in actum exteriorem sicut in objectum; unde si adsit facultas operandi, non posset esse voluntas perfecta, nisi operaretur; et ideo non est superfluum facere; quia sine actione nec ipsa voluntas bona esset. Praeterea actus exterior in praecepto cadit, et iterum ad praemium accidentale confert.

6. La volonté tend vers un acte extérieur comme vers un objet. Si la capacité d’agir existe, une volonté parfaite ne pourrait donc exister que si elle agissait, de sorte que poser l’acte n’est pas superflu, car la volonté elle-même ne serait pas bonne sans l’action. De plus, l’acte extérieur tombe sous un commandement et ajoute à la récompense accidentelle.

[6947] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 3 ad 7Ad septimum dicendum, quod bonitatem illam secundum quam actus exterior vitae aeternae meritorius est, totum ex voluntate gratia informata habet, secundum quod voluntarius est; et ideo non oportet quod supra bonitatem voluntatis perfectae aliquid adjungat ad meritum essentiale vitae aeternae pertinens.

7. Selon que l’acte extérieur est méritoire de la vie éternelle, dans la mesure où il est volontaire, il tient entièrement cette bonté de la volonté formée par la grâce. Il n’est donc pas nécessaire qu’il ajoute à la bonté de la volonté parfaite quelque chose se rapportant au mérite essentiel de la vie éternelle.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum eadem actio possit esse bona et mala

Article 4 – Une même action peut-elle être bonne et mauvaise ?

[6949] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod possit esse eadem actio bona et mala. Quia, ut in 3 Physic. dicitur, idem est motus qui in agente est actio et in patiente passio, secundum substantiam, ratione differens; sicut eadem est via ab Athenis ad Thebas, et de Thebis ad Athenas. Sed contingit actionem esse malam, et passionem bonam; unde dicitur: actio displicuit, scilicet Judaeorum; passio grata fuit, scilicet Christi. Ergo contingit eumdem actum esse bonum et malum.

1. Il semble qu’une même action puisse être bonne et mauvaise, car, ainsi qu’on le dit dans Physique, III, c’est un même mouvement selon la substance, mais différent selon la raison, qui est action chez l’agent et passion dans ce qui subit, comme c’est la même route qui conduit d’Athène à Thèbes, et de Thèbes à Athène. Or, il arrive qu’une action soit mauvaise, et la passion bonne ; on dit ainsi : « L’action [des Juifs] a déplu, mais la passion [du Christ] fut agréée. » Il arrive donc que le même acte soit bon et mauvais.

[6950] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 4 arg. 2Praeterea, ut in 5 Physic. dicitur quod unus motus est continuus, et eadem ratione una actio est quae est continua. Sed contingit in eadem continua actione vel motu, ut in eundo ad Ecclesiam, primo haberi bonam intentionem, postea malam, et e converso. Cum ergo ex intentione judicetur actio bona vel mala, eadem actio potest esse mala et bona.

2. Comme on le dit dans Physique, V, un seul mouvement est continu et, pour la même raison, une seule action qui est continue est la même. Or, il arrive que, dans la même action ou dans le même mouvement continus, comme le fait d’aller à l’église, on ait d’abord une intention bonne et, par la suite, mauvaise, et inversement. Puisque l’action est jugée bonne ou mauvaise selon l’intention, la même action peut donc être mauvaise et bonne.

[6951] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 4 arg. 3Praeterea, primus motus est peccatum, ut supra, dist. 24, qu. 1, art. 2, dictum est. Sed qui resistit primo motui non peccat, immo meretur. Contingit autem, quod adhuc primo motu durante, cum prius aliquis non restiterit, postmodum resistat. Ergo contingit circa eumdem motum esse bonitatem et malitiam.

3. Une premier mouvement est péché, comme on l’a dit plus haut, d. 24, q. 1, a. 2. Or, celui qui résiste à un premier mouvement ne pèche, bien plutôt, il mérite. Or, il arrive que, pendant la durée d’un premier mouvement, quelqu’un résiste, après ne pas avoir résisté. Bonté et méchanceté existent donc pour un même mouvement.

[6952] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 4 arg. 4Praeterea, sit ita quod aliquis dominus praecipiat famulo eleemosynam dare, et quod dominus bona intentione et ex caritate praecipiat, famulus autem involuntarius et coactus det: constat quod datio eleemosynae illius est domini, et servi actio. Sed dominus in illa datione meretur, famulus autem peccat. Ergo contingit in eadem actione esse meritum et peccatum.

4. À supposer qu’un maître odonne à un serviteur de faire une aumêne et que le maître ordonne avec une intention bonne et par charité, et que le serviteur donne contre sa volonté et parce qu’il est forcé, il est clair que le don de cette aumône est le fait du maître, et l’action [de faire l’aumône], une action du serviteur. Or, le maître mérite par ce don, mais le serviteur pêche. Il arrive donc que le mérite et le péché existent dans une même action.

[6953] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 4 arg. 5Praeterea, ponatur quod aliquis in peccato mortali existens aliqua suffragia faciat pro defuncto in Purgatorio existente: constat quod iste suffragia faciens sibi non meretur, cum caritatem non habeat, sed illi qui in Purgatorio existit, meretur diminutionem poenae, vel plenam absolutionem. Ergo eadem actio potest esse meritoria et non meritoria, et eadem ratione bona et mala.

5. À supposer que quelqu’un se trouvant dans le péché mortel fassee des suffrages pour un défunt qui se trouve au purgatoire, il est clair que celui qui fait les suffrages ne mérite pas pour lui-même, puisqu’il n’a pas la charité, mais qu’il mérite une diminution de peine ou une absolution plénière pour celui qui se trouve au purgatoire. La même action peut donc être méritoire et non méritoire et, pour la même raison, bonne et mauvaise.

[6954] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 4 s. c. 1Sed contra, Matth. 6, 24: nemo potest duobus dominis servire. Sed per bonam actionem Deo servitur, per malam vero Diabolo. Cum igitur una sit actio quae est unius agentis, videtur quod non possit esse una actio bona et mala.

Cependant, [1] personne ne peut servir deux maîtres, Mt 6, 24. Or, Dieu est servi par une bonne action, mais le Diable par une mauvaise. Puisque l’action qui provient d’une unique agent est unique, il semble donc qu’une seule action ne puisse être bonne et mauvaise.

[6955] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 4 s. c. 2Praeterea, contraria non possunt esse simul in eodem. Sed bonum et malum contraria sunt. Ergo non possunt esse in eadem actione.

[2] Des contraires ne peuvent exister dans une même chose. Or, le bien et le mal sont des contraires. Ils ne peuvent donc exister dans une même action.

[6956] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod cum unum et ens convertantur, secundum hoc quod res se habet ad esse, ita se habet ad unitatem. Est autem in re duplex esse considerare: scilicet esse quod est ipsius secundum se, quod est esse primum et substantiale; et esse superveniens, quod est secundum et accidentale; et ideo contingit quod aliquid secundum se consideratum, est unum, quod tamen secundum aliquid, quod est sibi accidentale, pluralitatem habet; verbi gratia, lignum continuum, cujus una pars est alba, et alia nigra, ipsum quidem in se, inquantum est lignum, est unum; sed secundum illud esse quo est coloratum, est multa et non continuum. Cum igitur actus exteriores participent bonitatem et malitiam moralem, sicut quoddam superveniens et accidentale sibi, inquantum tales actus sunt imperati a voluntate; continget aliquem actum hujusmodi esse unum, secundum se consideratum, et tamen esse multa, secundum quod ad genus moris refertur, secundum quod moraliter bonus vel malus dicitur; et ideo bonitas et malitia nunquam possunt esse in una actione secundum quod est una, sed secundum quod est multa; et sic contingit actionem illam esse unam et multa.

Réponse. Puisque l’un et l’être sont convertibles, le rapport d’une chose à l’être sera le même que son rapport à l’unité. Or, un double être peut être envisagé dans une chose : l’être qui lui appartient en soi, qui est son être premier et substantiel ; et l’être quis’ajoute, qui est secondaire et accidentel. Il arrive donc que quelque chose, envisagé en soi, soit un, qui comporte cependant une pluralité sous un aspect qui lui est accidentel. Par exemple, pièce de bois continue, dont une partie est blanche et l’autre noire, est en elle-même unique en tant que pièce de bois ; mais, selon l’être qui consiste à être colorée, elle est multiple et non continue. Puisque les actes extérieurs participent à la bonté et à la méchanceté morales comme quelque chose qui s’y ajoute et y est accidentel, dans la mesure où ces actes cont commandés par la volonté, il arrivera donc qu’un acte de ce genre sera unique, considéré en lui-même, et cependant multiple, considéré dans son rapport au genre moral [genus moris], selon lequel il est appelé moralement bon ou mauvais. C’est pourquoi la bonté et la méchanceté ne peuvent jamais exister dans un seule action en tant qu’elle est unique, mais selon qu’elle est multiple. Il arrive ainsi que cette action soit unique et multiple.

[6957] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod cum actio sit in agente, et passio in patiente, non potest esse idem numero accidens quod est actio, et quod est passio, cum unum accidens non possit esse in diversis subjectis; unde etiam Avicenna dicit, quod non est eadem numero aequalitas in duobus aequalibus, sed specie tantum. Sed quia eorum differentia non est nisi penes terminos, scilicet agens et patiens, et motus abstrahit ab utroque termino; ideo motus significatur ut sine ista differentia; et propter hoc dicitur, quod motus est unus: et propterea, ut supra habitum est, meritum non est in passione secundum quod est passio, sed in operatione patientis, qua passionem voluntarie sustinet propter Deum; quam operationem constat non esse eadem cum operatione agentis.

1. Puisque l’action se trouve dans l’agent et la passion dans le patient, il ne peut arriver qu’un même accident, identique en nombre, soit une action et une passion, puisqu’un seul accident ne peut exister dans divers sujets. Aussi Avicenne dit-il qu’une égalité identique en nombre ne peut exister dans deux choses égales, sie n’est selon l’espèce. Mais parce que leur différence n’existe que par les termes, à savoir, l’agent et le patient, et que le mouvement fait abstraction des deux termes, le mouvement est donc exprimé sans cette différence. Pour cette raison, on dit que le mouvement est unique et, à cause de cela, comme on l’a dit plus haut, le mérite ne se trouve pas dans la passion en tant que passion, mais dans l’opération de celui qui subit, par laquelle il supporte volontairement la passion pour Dieu. Il est clair que cette opération n’est pas la même que l’opération de l’agent.

[6958] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod illa actio quamvis sit una in genere naturae considerata, tamen secundum quod ad genus moris refertur, est alia et alia secundum quod diversa intentione et voluntate exercetur.

2. Cette action, bien qu’elle soit une si on considère son genre naturel, est cependant différente d’une autre selon le genre moral, pour autant qu’elle est exercée selon une intention et une volonté différentes.

[6959] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod primus motus non habet rationem culpae nisi secundum quod aliquo modo est in potestate voluntatis; unde quamdiu voluntas non repugnat, habet rationem peccati; sed quando voluntas jam repugnare incipit, tunc homo meretur: non quia ille motus primus sensualitatis sit meritorius cui resistitur, qui tamen postquam sibi resistitur rationem peccati amittit; sed in ipso actu voluntatis resistentis meritum est, qui non est idem cum primo motu sensualitatis.

3. Un mouvement premier n’a raison de faute que dans la mesure où il est d’une certaine manière au pouvoir de la volonté. Aussi longtemps que la volonté ne s’y oppose pas, il a donc raison de péché ; mais lorsque la volonté commence à s’y opposer, l’homme mérite ; non pas parce que ce premier mouvement de la sensualité auquel on résiste est méritoire, alors qu’il perd la raison de péché après qu’on y résiste, mais parce qu’il y a mérite dans l’acte même de la volonté qui résiste, qui n’est pas le même que le premier mouvement de la sensualité.

[6960] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod famulus dans eleemosynam per imperium domini, se habet sicut instrumentum illius domini; unde philosophus dicit in 8 Ethic., quod servus est sicut organum animatum. Instrumentum autem movet motum: et constat quod alia est actio moventis ipsum, et alia actio qua ipsum movet aliud: non enim secundum eumdem motum potest esse idem movens et motum. Unde alia numero est actio domini et servi; et ideo nihil prohibet unam esse bonam, et aliam malam.

4. Le serviteur qui fait l’aumône sur l’ordre du seigneur est comme un instrument de ce seigneur ; aussi le Philosophe dit-il, dans Éthique, VIII, que le serviteur est comme un instrument animé. Or, l’iinstrument meut ce qui est mû, et il est clair que l’action de celui qui se meut lui-même et celle de celui qui meut autre chose sont différenetes. En effet, ce qui meut et ce qui est mû peuvent être une même chose dans un même mouvement. L’action du maître et celle du serviteur sont donc différentes en nombre. C’est pourquoi rien n’empêche que l’une soit bonne et une autre soit mauvaise.

[6961] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod de hoc duplex est opinio. Quidam enim dicunt, quod suffragia quae facit in mortali peccato existens, si opus operantis consideretur, non sunt meritoria nec agenti nec ei pro quo fiunt. Si autem consideretur opus operatum, ut ipsum sacrificium, vel aliquid hujusmodi, sunt meritoria ei pro quo fiunt, et non operanti; et ideo non sequitur quod eadem operatio sit meritoria et non meritoria: quia operatio ipsa nullo modo meritoria est. Sed quia efficacia suffragiorum mensuratur secundum caritatem ejus pro quo fiunt, quia tantum valet unicuique quantum meruit ut sibi valerent, ut Augustinus dicit; ideo ab aliis verius dicitur, quod etiam ipsa operatio sine caritate facta valet ei pro quo fit, virtute caritatis ejus, et non operantis. Nec tamen sequitur quod illa operatio bona sit simpliciter, sed quod est bona huic pro quo fit. Simpliciter enim bonum est quod facienti bonum est, ut in 1 libro dictum est, dist. 46. Nec est inconveniens quod aliquid simpliciter malum sit, quod tamen alicui bonum est, ut ibidem dicitur.

5. À ce propos, il existe deux opinions. En effet, certains disent que les suffrages qu’accomplit celui qui se trouve dans le péché mortel ne sont méritoires ni pour celui qui les fait, ni pour celui en faveur de qui ils sont faits, si l’on considère l’action de celui qui les fait. Mais si on considère l’action posée, comme le sacrifice même ou quelque chose de ce genre, ils sont méritoires pour celui en faveur de qui ils sont accomplis, mais non pour celui qui les accomplit. C’est pourquoi on ne peueet conclure la même opération est méritoire et non méritoire, car l’opération elle-même n’est méritorie d’aucune manière. Mais, parce que l’efficacité des suffrages se mesure selon la charité de celui en faveur de qui ils sont accomplis, puisqu’ils « n’ont de valeur que pour autant qu’il a mérité qu’ils lui soient favorables », comme le dit Augustin, d’autres disent avec plus de vérité que l’opération elle-même accomplie sans charité a une valeur pour celui en faveur de qui elle est accomplie en vertu de la charité de celui-ci, et non de celui qui l’accomplit. Il n’en découle cependant pas que cette action soit tout simplement bonne, mais qu’elle est bonne pour celui en faveur de qui elle est accomplie. En effet, est simplement bon ce qui est bon pour celui qui l’accomplit, comme on l’a dit dans le premier livre, d. 46. Et il n’est pas inapproprié que quelque chose soit simplement mauvais, alors que cela est bon pour quelqu’un, comme on le dit au même endroit.

 

 

ARTICULUS 5 Utrum aliqua actio humana sit indifferens

Article 5 –Une action humaine peut-elle être indifférente ?

[6963] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur quod aliqua actio indifferens inveniatur in actibus humanis. Nihil enim potest esse medium inter bonum et malum nisi indifferens, quod neque bonum neque malum est. Sed bonum et malum, sunt contraria mediata, ut in praedicamentis dicitur. Ergo aliqua actio est indifferens.

1. Il semble qu’on trouve une action indifférente parmi les actes humains. En effet, rien ne peut être intermédiaire entre le bien et le mal, si ce n’est ce qui est indifférent, qui n’est ni bien ni mal. Or, le bien et le mal sont des contraires possédant un milieu, comme on le dit dans les Prédicaments. Il existe donc une action indifférente.

[6964] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 arg. 2Praeterea, sine caritate non potest esse aliquod meritum. Sed non est dicendum, quod qui non habet caritatem, quolibet suo actu peccet vel demereatur: quia consulitur ei ut aliquos actus ex genere bonorum faciat. Ergo videtur quod aliquis actus sit qui neque est meritorius neque demeritorius; et sic idem quod prius.

2. Il ne peut exister de mérite sans la charité. Or, on ne doit pas dire que celui qui n’a pas la charité pèche ou démérite par tous ses actes, parce qu’il lui est conseillé d’accomplir certains actes faisant partie des [actes] bons. Il semble donc qu’il existe un acte qui n’est ni méritoire ni déméritoire. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[6965] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 arg. 3Praeterea, nullus actus vel voluntas bonitatem habet, nisi referatur in finem dilectionis, ut supra dictum est. Sed contingit frequenter agere etiam quaedam quae secundum se mala non sunt, quae in finem dilectionis non referuntur. Ergo hujusmodi nec bona nec mala erunt; et ita erunt indifferentia.

3. Aucun acte ou volonté ne possède une bonté qu’en étant mis en rapport avec la fin de l’amour, comme on l’a dit dit plus haut. Or, il arrive fréquemment qu’on accomplisse certains actes qui sont mauvais en eux-mêmes, qui ne sont pas mis en rapport avec la fin de l’amour. Les actes de ce genre ne sont donc ni bons ni mauvais, et ils seront ainsi indifférents.

[6966] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 arg. 4Praeterea, accedere ad mulierem, quaedam est actio, nec de se bonitatem vel malitiam moralem dicit, cum nulla circumstantia iste actus sit vestitus, secundum quam aliquis ordo rationis in eo appareat. Ergo contingit aliquem actum indifferentem esse.

4. S’approcher d’une femme est une action ne possédant de soi ni bonté ni malice morale, puisque cet acte n’est revêtu d’aucune circonstance selon laquelle un ordre de la raison pourrait apparaître en elle. Il arrive donc qu’un acte soit indifférent.

[6967] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 arg. 5Praeterea, hujusmodi actus qui secundum suum genus indifferentes sunt, ut levare festucam, et aliquid hujusmodi, non possunt habere bonitatem et malitiam, nisi ex intentione, qua in finem referuntur. Sed contingit quod ille etiam finis in quem referuntur, indifferens est. Ergo iste actus omnino indifferens remanebit.

5. Les actes qui sont indifférents selon leur genre, comme soulever une paille et quelque chose de ce genre, ne peuvent posséder de bonté et de malice que par l’intention qui les met en rapport avec la fin. Or, il arrive que la fin avec laquelle ils sont mis en rapport soit indifférente. Cet acte demeurera donc complètement indifférent.

[6968] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 arg. 6Praeterea, opera nostra non possunt esse meritoria nisi propter Deum facta. Aut ergo ad bonitatem actus sufficit habitualis relatio in finem, aut exigitur actualis. Si sufficit habitualis, ergo si aliquis semel in anno referret omnia opera quae facturus est in illo anno, in Deum, omnia essent meritoria; et ita facillima esset via salutis: quod est contra illud Matth. 7, 14: arcta est via quae ducit ad vitam. Si autem exigitur actualis relatio operis in Deum, tunc nunquam posset esse opus bonum, nisi aliquis actu de Deo cogitaret. Si ergo nullus actus est indifferens, tunc omnis actus quem quis exercet de Deo non cogitans, erit malus, et peccatum: quod est valde durum. Ergo necesse est aliquos actus indifferentes esse.

6. Nos actes ne peuvent être méritoires que s’ils sont accomplis pour Dieu. Soit donc que le rapport habituel à la fin suffit pour la bonté d’un acte, soit [un rapport] actuel est requis. Si un rapport habituel suffit, il suffirait donc de mettre en rappoirt avec Dieu tous les actes qu’on devra accomplir au cours d’une année pour qu’ils soient méritoires. Le chemin du salut serait donc très facile, ce qui est contraire à ce qui est dit en Mt 7, 14 : Le chemin qui conduit à la vie edt étroit. Mais si un rapport actuel avec Dieu pour une action est requis, il ne pourrait alors exister aucune action bonne que si l’on pensait à Dieu de manière actuelle. Si donc aucun acte n’est indifférent, tout acte que quelqu’un accomplira sans penser à Dieu sera mauvais et un péché, ce qui est très dur. Il est donc nécessaire qu’il existe certains actes indifférents.

[6969] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 arg. 7Sed contra, 1 Corinth. 10, 31: omnia in gloriam Dei facite. Aut ergo aliquis refert opus suum in gloriam Dei, aut non. Si refert, convenit quod actus ille bonitatem ex fine sortiatur, si tamen in finem illum sit referibilis, quod convenit omni actui qui de se malus non est. Si non refert, praeterit praeceptum apostoli; et ita peccat. Ergo de necessitate omnis actus vel est meritorius vel demeritorius.

7. Cependant, 1 Co 10, 31 dit : Faites tout pour la gloire de Dieu. Soit donc quelqu’un met son action en rapport avec la gloire de Dieu, soit il ne la met pas. S’il la met en rapport, il convient que cet acte tire sa bonté de la fin, à condition cependant qu’il puisse être mis en rapport avec cette fin, ce qui convient à tout acte qui n’est pas mauvais de soi. S’il ne la met pas en rapport, il va donc à l’encontre du commandement de l’Apôtre, et ainsi il pèche. Tout acte est donc nécessairementméritoire ou déméritoire.

[6970] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 arg. 8Praeterea, plus est facere quam dicere. Sed qui sine causa loquitur otiosa verba, peccat. Matth. 12, 36: omne verbum otiosum quod locuti fuerint homines, reddent rationem de eo in die judicii. Ergo multo fortius, si aliquid faciat homo quod in debitum finem non referat, peccat. Sed si in debitum finem referat, actus bonus est. Ergo de necessitate omnis actus vel bonus vel malus est, et nullus indifferens.

8. Agir est davantage que dire. Or, celui qui dit des paroles inutiles pèche, Mt 12, 36 : Toute parole inutile que diront les hommes, ils en rendront au jour du jugement. À bien plus forte raison, donc, un homme pèche-t-il s’il fait quelque chose qu’il ne met pas en rapport avec la fin due. Mais s’il le met en rapport avec la fin due, l’acte est bon. Tout acte est donc nécessairement bon ou mauvais, et aucun n’est indifférent.

[6971] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt tres opiniones. Quidam enim dicunt, quod in dictis non potest esse aliquid indifferens, in factis autem potest. Verbum enim ordinatum est ad aliquid, quia est signum rei: factum autem, cum non sit signum, non est ordinatum ad aliquid; et ideo in verbo incidit deformitas, si otiose proferatur, non autem in facto, si sine causa legitima fiat. Sed haec ratio nulla est: quia quamvis non sit ordinatum ad aliquid sicut signum ad signatum, est tamen ordinatum ad aliquid sicut ad finem: quia omne quod a principio est, ad finem aliquem tendit: otium autem opponitur illi ordini qui est ejus quod est ad finem ipsum, et non ordini qui est signi ad signatum. Et ideo alii dicunt, quod tam in dictis quam in factis contingit aliqua esse indifferentia, quae nec bona nec mala sunt; sicut illa quae non ordinantur ad impletionem praeceptorum Dei, ut sic propter Deum fiant, nec etiam divinis contrariantur praeceptis, sive sint in dictis sive in factis; ut si aliquis alicui loquatur ex quadam civili amicitia, vel etiam aliquod opus amicabile ad ipsum exerceat. Sed haec non videtur esse instantia: quia actus virtutis politicae non est indifferens, sed de se bonus est, et si sit gratia informatus, erit meritorius. Non est autem accipere aliquid in quod ordinatur humanus actus, quod vel secundum virtutem politicam rectum non sit, vel etiam rectitudini adversum: quia non potest esse aliquis actus procedens ab aliquo deliberante sine intentione finis, ut in 2 Metaph. dicitur. Finis autem ille est bonum conveniens homini vel secundum animam vel secundum corpus, vel secundum etiam res exteriores, quae ad utrumque ordinantur; et hoc quidem bonum nisi sit contrarium illi bono quod est hominis bonum secundum rationem, rectitudinem virtutis civilis habet: quia virtus civilis dirigit in omnibus quae sunt corporis, et etiam quae propter corpus quaeruntur; unde si his aliquis mediocriter utatur, erit usus rectus; si autem secundum abundantiam vel defectum, erit usus vitiosus virtuti oppositus. Et ideo aliter secundum alios dicendum est, quod nullus actus a voluntate deliberata progrediens potest esse qui non sit bonus vel malus, non tantum secundum theologum, sed etiam secundum moralem philosophum; et ulterius non potest esse aliquis actus a deliberata voluntate procedens in habente gratiam qui non sit meritorius; sed tamen, in non habente gratiam potest esse aliquis actus deliberatus qui nec meritorius nec demeritorius est; tamen est bonus vel malus. Cujus ratio est, quia malum, inquantum malum, non opponitur bono, nisi sicut privatio habitui: sed oppositio contrarietatis est ex hoc quod illud ens supra quod fundatur talis privatio, non compatitur secum aliquod bonum quod est simpliciter bonum; sicut immoderata delectatio in cibis non compatitur secum bonum sobrietatis, quod est simpliciter bonum; et ideo illa immoderata delectatio adjungitur cum privatione boni, et sic mala dicitur. Si ergo in actionibus invenitur medium inter bonum et malum, hoc non erit nisi inquantum bonum et malum sunt contraria, vel inquantum malum est privatio boni. Non autem inquantum sunt contraria, potest in eis esse medium quod sit neque bonum neque malum. Dicuntur enim contraria, secundum quod in utroque aliquid positive consideratur; ex quo non potest sumi ratio mali; unde propter hoc quod medium distat ab extremis, inquantum aliquid positive ponit, non efficitur distans a ratione boni et mali, ut possit dici neque bonum neque malum; non enim ex eodem est in eis oppositio contrarietatis et distinctio boni et mali; sed primum est ex parte positionis in utroque; secundum autem ex parte privationis in malo, et positionis in bono. Si ergo sit medium inter bonum et malum in actionibus, hoc non erit nisi secundum quod malum bono privative opponitur. Sed in privative oppositis non invenitur medium nisi per hoc quod subjectum non est susceptivum habitus: ut lapis, quia visionis susceptivus non est, neque videns neque caecus dicitur; et per hunc modum oportet accipere medium inter bonum et malum, ut si aliquid est quod alicujus bonitatis non est susceptivum, non opposita malitia sibi erit; unde relinquitur indifferens. Hoc autem contingit dupliciter. Aut per modum abstractionis, secundum quod universale aliquid significatur ut abstractum a differentiis contrariis dividentibus ipsum; unde in sua communitate significatum, significatur ut indifferenter se habens ad utramlibet differentiarum: sicut animal neque significatur ut rationale neque ut irrationale; et tamen oportet quod omne particulare animal, rationale vel irrationale sit: et similiter est hic. Si enim significetur actus in eo quod est agere, habet quidem bonitatem naturalem inquantum est ens; sed indifferenter se habet ad bonitatem et malitiam moralem: et similiter bonum ex genere indifferenter se habet ad bonum et malum ex circumstantia et fine; quamvis non inveniatur aliquod bonum in particulari, quod non sit aliqua circumstantia vestitum et ad aliquem finem ordinatum; unde oportet quod bonitatem vel malitiam contrahat. Et secundum hanc considerationem quidam dixerunt, omnes actus indifferentes esse, in eo quod sunt actus; et quidam dixerunt, quod non omnes, sed aliqui; accipientes magis in speciali nomina actuum quae non exprimunt aliquid unde actus ad malitiam vel bonitatem determinetur, ut materiam et finem et circumstantiam, sicut comedere, coire, vel aliquid hujusmodi. Alio modo contingit hoc, secundum quod aliquod particulare signatum deficit a susceptibilitate alicujus perfectionis, sicut lapis a susceptibilitate visus: et hoc modo aliqui actus qui deficiunt a susceptibilitate bonitatis moralis, dicuntur indifferentes. Actus autem susceptibilis est bonitatis moralis, secundum quod humanus est: humanus autem est, secundum quod aliquatenus ratione deducitur: quod contingit in illis actibus tantum qui imperantur a voluntate, quae consequitur deliberationem rationis. Actus autem qui sequuntur apprehensionem subitae imaginationis, sicut confricatio barbae, et aliquid hujusmodi, dicentur hoc modo indifferentes. Nullus autem eorum qui voluntatem deliberatam sequitur, indifferens erit, sed de necessitate vel bonus vel malus bonitate vel malitia civili: sed tamen actus bonitate civili perfectus, non est susceptibilis efficaciae merendi nisi in eo qui gratiam habet; et ideo in eo qui caret gratia, indifferens est ad meritum et demeritum; sed in illo qui gratiam habet, oportet vel meritorium vel demeritorium esse: quia sicut malus erit demeritorius, sic etiam bonus erit meritorius: quia cum caritas imperet omnibus virtutibus sicut voluntas omnibus potentiis, oportet quod quidquid ordinatur in finem alicujus virtutis, ordinetur in finem caritatis: et cum omnis actus bonus ordinetur in finem alicujus virtutis, in finem caritatis ordinatus remanebit; et ita meritorius erit; et sic comedere et bibere, servato modo temperantiae, et ludere ad recreationem, servato modo eutrapeliae, quae medium tenet in ludis, ut dicitur 2 Ethic., meritorium erit in eo qui caritatem habet, qua Deum ultimum finem vitae suae constituit.

Réponse. À ce sujet, il y a trois opinions. En effet, certains disent qu’il ne peut exister quelque chose d’indifférent dans les paroles, mais que cela est possible dans les actions. En effet, une parole est ordonnée à quelque chose parce qu’elle est signe de la chose ; mais l’action, puisqu’elle n’est pas un signe, n’est pas ordonnée à quelque chose. Aussi se produit-il une difformité dans la parole, si elle est proférée inutilement, mais non dans l’action, si elle est accomplie sans une cause légitime. Mais ce raisonnement est sans valeur, car, bien que [l’action] ne soit pas ordonnée à quelque chose comme le signe à ce qui est signifié, elle est cependant ordonnée à quelque chose comme à sa fin, car tout ce qui est réalisé à partir d’un principe tend vers une fin. Mais l’inutilité s’oppose à l’ordre de ce qui existe en vue de la fin elle-même, et non à l’ordre qui est celui du signe par rapport à ce qui est signifié. C’est pourquoi d’autres disent qu’aussi bien dans les paroles que dans les actions, il arrive que certaines choses soient indifférentes, qui ne sont ni bonnes ni mauvaises, comme celles qui ne sont pas ordonnées à l’accomplissement des commandements de Dieu, que ce soit pour les paroles ou pour les actions ; ainsi, si quelqu’un parle à un autre par une certaine amitié civile, ou encore s’il accomplit une action amicale à son endroit. Mais cela ne semble pas être concluant, car un acte de vertu politique n’est pas indifférent, mais il est bon par soi et, s’il reçoit forme de la grâce, il sera méritoire. Or, on ne peut trouver quelque chose à quoi un acte humain est ordonné, qui n’est pas correct selon la vertu politique, ou encore contraire à la droiture, car il ne peut y avoir d’acte provenant de quelqu’un qui délibère sans intention d’une fin. Or, cette fin est un bien qui convient à l’homme soit selon son corps, soit selon son âme, soit selon des choses extérieures, qui sont ordonnées aux deux. Et ce bien, à moins d’être contraire au bien qui est un bien pour l’homme selon la raison, possède la droiture de la vertu civile, car la vertu civile dirige en tout ce qui relève du corps, et aussi de ce qui est recherché pour le corps. Si donc quelqu’un utilise ces choses de manière modérée, ce sera un usage droit ; mais s’il [les utilise] de manière superflue ou de manière insuffisante, ce sera un usage vicieux opposé à la vertu. Aussi faut-il dire avec d’autres qu’aucun acte provenant d’une volonté délibérée ne peut exister, qui ne soit bon ou mauvais, non seulement selon le théologien, mais aussi selon le philosophe moral. Encore davantage, il ne peut exister d’acte provenant d’une volonté délibérée chez celui qui possède la grâce, qui ne soit méritoire. Toutefois, chez celui qui n’a pas la grâce, il peut exister un acte délibéré qui n’est ni méritoire ni déméritoire ; il est cependant bon ou mauvais. La raison en est que le mal, en tant que mal, ne s’oppose au bien que comme une privation pour un habitus ; mais l’opposition par mode de contraire vient de ce que l’être qui est le fondement d’une telle privation ne supporte pas de bien qui est simplement un bien. Ainsi le plaisir désordonné de la nourriture ne supporte pas le bien de la sobriété, qui est simplement un bien ; c’est pourquoi ce plaisir désordonné est associé à une privation du bien, et on dit ainsi qu’il est mauvais. Si donc on trouve dans les actions un milieu entre le bien et le mal, cela ne viendra que de ce que le bien et le mal sont des contraires, ou de ce que le mal est la privation d’un bien. Mais, en tant qu’il s’agit de contraires, il ne peut exister en elles de milieu qui ne soit ni un bien ni un mal. En effet, on dit qu’il s’agit de contraires selon qu’on envisage quelque chose de positif dans les deux ; aussi le milieu ne s’éloigne-t-il pas de la raison de bien et de mal parce qu’il est éloigné des extrêmes, en tant qu’il affirme quelque chose de positif, de sorte qu’on puisse dire de lui qu’il n’est ni bien ni mal. En effet, l’opposition entre des contraires et la distinction entre le bien et le mal ne viennent pas de la même chose, mais la première vient de ce qui est affirmé de manière positive chez les deux, alors que la seconde vient d’une privation dans le cas du mal, et d’une affirmation dans le cas du bien. Si donc il existe un milieu entre le bien et le mal dans les actions, cela ne viendra que de cque la mal s’oppose au bien par mode de privation. Or, dans ce qui s’oppose par mode de privation, on ne trouve de milieu que du fait qu’un sujet n’est pas susceptible de recevoir un habitus : ainsi, la pierre, parce qu’elle n’est pas susceptible de recevoir la vision, ne voit pas et n’est pas aveugle. C’est de cette manière qu’il faut comprendre le milieu entre le bien et le mal, de sorte que si quelque chose existe qui n’est pas susceptible d’avoir une bonté, une malice ne lui sera pas opposée. Il reste donc qu’elle est indifférente. Or, cela se produit de deux manières. Soit par mode d’abstraction. Quelque chose d’universel est alors signifié comme abstrait des différences contraires qui le divise ; aussi ce qui signifié sous une forme commune est-il signifié comme se rapportant d’une manière indifférente aux deux différences : ainsi « animal » ni comme étant raisonnable, ni comme n’étant pas raisonnable ; cependant, il est nécessaire que tout animal particulier soit raisonnable ou non raisonnable. Il en est de même ici. En effet, si un acte est signifié comme le fait d’agir, il possède une bonté naturelle en tant qu’il est un être ; mais, il se rapporte iindifféremment à la bonté et à la malice morales. De la même manière, le bien se rapporte indifféremment par son genre au bien et au mal qui viennent de la circonstance et de la fin, bien qu’on ne trouve aucun bien en particulier, qui ne soit revêtu de quelque circonstance et ne soit ordonné à une fin. Aussi est-il nécessaire qu’il en reçoive une bonté ou une malice. Selon une telle considération, certains ont donc dit que tous les actes étaient indifférents en tant qu’ils sont des actes ; mais certains ont dit que tous ne le sont pas, mais certains [seulement], en pensant plus spécialement aux noms des actes qui n’expriment pas une chose par laquelle un acte est déterminé comme bon ou mauvais, comme la matière, la fin et la circonstances : c’est le cas de manger, d’avoir une relation sexuelle ou quelque chose de ce genre. D’une autre manière, cela se produit lorsqu’une chose désignée comme quelque chose de particulier est dépourvue d’une perfection, comme la pierre [est dépourvue] de la capacité de voir. De cette manière, certains actes auxquels manque la possibilité de la bonté morale sont appelés indifférents. Or, un acte est susceptible de bonté morale selon qu’il est humain, et il est humain selon qu’il découle de quelque manière de la raison, ce qui se produit pour les seuls actes qui sont commandés par la volonté, laquelle découle d’une délibération de la raison. Mais les actes qui découlent d’une perception résultant d’une imagination soudaine, comme le frottement de la barbe et quelque chose de ce genre, seront pour autant appelés indifférents. Or, aucun de ceux qui découle d’une volonté délibérée ne sera iindifférent, mais [il sera] nécessairement bon ou mauvais d’une bonté ou d’une malice civiles ; cependant, un acte perfectionné par la bonté civile n’est susceptible de l’efficacité du mérite que chez celui qui a la grâce. C’est, chez celui à qui la grâce fait défaut, il estd indifférent par rapport au mérite et au démérite ; mais, chez celui qui a la grâce, il est nécessaire qu’il soit méritoire ou déméritoire, car, de même que [l’acte] mauvais sera déméritoire, de même aussi [l’acte] bon sera méritoire, car, la charité commandant toutes les vertus comme la volonté [commande] toutes les puissances, il est nécessaire que tout ce qui est ordonné à la fin d’une vertu demeure ordonné à la fin de la charité. Ainsi sera-t-il méritoire. Manger et boire, en sauvegardant la mesure de la tempérance, et jouer en vue de se récréer, en sauvegardant la mesure de l’eurapélie, qui garde le milieu dans les jeux, comme on le dit dans Éthique, II, seront méritoires chez celui qui a la charité, par laquelle il fait de Dieu la fin ultime de sa vie.

[6972] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, sicut ait Commentator, in 10 Metaph., quod dicitur homo neque bonus neque malus, qui non est susceptibilis bonitatis vel malitiae civilis; sicut agrestis, qui extra civilem vitam est, et per consequens actiones ejus neque bonae neque malae sunt civiliter, inquantum non sunt ordinatae ad civile bonum. Vel melius dicendum, quod philosophus appellat malum non omnem actum inordinatum, sed solum illum qui nocivus est respectu alterius; unde dicit in 4 Ethic., quod prodigus, quia causa jactantiae sua inordinate expendit, non est malus sed vanus; et similiter de multis aliis vitiis dicit: et sic patet quod ipse strictius accipit malum quam nos dicentes omnem actum inordinatum esse malum.

1. Comme dit le Commentateur, Métaphysique, X, à savoir qu’un homme n’est appelé ni bon ni mauvais, s’il n’est pas susceptible de bonté ou de malice civiles, comme le paysan, qui se trouve en dehors de la vie civile et dont, par conséquent, les actions ne sont ni bonnes ni mauvaises au sens civil, dans la mesure où elles ne sont pas ordonnées au bien civil. Ou bien, encore mieux, il faut dire que le Philosophe appelle un mal, non pas tou acte désordonné, mais seulement celui qui est nuisible pour un autre. Aussi dit-il, Éthique, IV, que le prodigue, qui, par vanité, dépense de manière désordonnée, n’est pas mauvais mais vain. De même parle-t-il de nombreux vices. Il est ainsi clair qu’il entend lui-même le mal de manière plus rigoureuse que nous, qui disons que tout acte désordonné est mauvais.

[6973] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 ad 2Ad secundum dicendum, quod quamvis extra caritatem non sit bonum meritorium, tamen est ibi bonum aliquod vel ex circumstantia, vel ex virtute civili; unde non sequitur quod actus eorum qui caritate carent, sint demeritorii vel indifferentes.

2. Bien que, en dehors de la charité, il n’y ait pas de bien méritoire, il y existe cependant un bien soit en raison d’une circonstance, soit en raison de la vertu civile. Il n’en découle donc pas que les actes de ceux à qui la charité fait défaut sont déméritoires ou indifférents.

[6974] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 ad 3Ad tertium dicendum, quod non solum actus caritatis est meritorius, sed etiam actus aliarum virtutum, secundum quod gratia informantur, licet meritorii esse non possint nisi secundum quod reducuntur in finem caritatis. Non autem oportet quod semper actus in finem illum reducantur; sed sufficit ad efficaciam merendi quod in fines aliarum virtutum actu reducantur: qui enim intendit castitatem servare, etiamsi nihil de caritate cogitet, constat quod meretur si gratiam habet. Omnis autem actus in aliquod bonum tendens, nisi inordinate in illud tendat, habet pro fine bonum alicujus virtutis, eo quod virtutes sufficienter perficiunt circa omnia quae possunt esse bona hominis; et ita patet quod ratio non procedit.

3. Non seulement l’acte de la charité est-il méritoire, mais aussi les actes des autres vertus, selon qu’ils ont la forme de la grâce, bien qu’ils ne puissent être méritoires que s’ils sont ramenés à la fin de la charité. Mais il n’est pas nécessaire que ces actes soient toujours ramenés à cette fin : il suffit, pour l’efficacité du mérite, qu’ils soient ramenés en acte aux fins des autres vertus. En effet, celui qui a l’intention de garder la chasteté, même s’il ne pense en rien à la charité, mérite assurément, s’il possède la charité. Or, tout acte qui tend vers un bien, à moins qu’il n’y tende de manière désordonnée, a comme fin le bien d’une vertu, du fait que les vertus perfectionnent suffisamment pour tout ce qui peut être bien pour l’homme. Il est ainsi clair que l’argument [donné dans l’objection] n’est pas concluant.

[6975] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod nihil est in genere quod non sit in aliqua ejus specie, ut in 2 Topic. dicitur; et ita nunquam contingit ad mulierem accedere, quin accedatur ad talem, et tali tempore, et similiter secundum alias circumstantias; et ita quamvis sit indifferens dictus actus consideratus secundum genus; non tamen secundum quod exercetur in actu, indifferens est.

4. Il n’y a rien dans un genre, qui n’existe dans l’une de ses espèces, comme on le dit dans Topiques, II. On ne s’approche ainsi jamais de la femme sans s’approcher d’une telle, à tel moment, et ainsi de suite pour les autres circonstances. Bien que l’acte en cause soit indifférent, s’il est envisagé selon son genre, il n’est cependant pas indifférent selon qu’il est accompli en acte.

[6976] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod cum nihil appetatur nisi inquantum est bonum, impossibile est quod finis ad quem ordinatur actio ex deliberatione, sit indifferens: quia vel ratio decipitur, et judicat esse bonum sibi quod non est bonum; et hoc non est nisi quando finis est malus, discordans a rationis rectitudine, quamvis hoc quod desideratur, forte sit bonum desideranti, secundum aliquid sui, ut secundum gustum vel secundum tactum delectabile: vel est bonum simpliciter; et sic etiam actus ex fine erit bonus.

5. Puisque rien n’est désiré que pour autant que cela est bon, il est impossible que la fin à laquelle est ordonnée l’action issue d’une délibération soit indifférente, car soit la raison est induite en erreur, et elle juge bon pour elle ce qui n’est pas bon – et cela ne se produit que lorsque la fin est mauvaise et s’écarte de la droiture de la raison, bien que ce qui est désiré puisse être bon pour celui qui le désire sous un aspect de lui-même, par exemple, selon ce qui est délectable pour le goût ou le toucher ‑ ; soit cela est bon tout simplement, et ainsi l’acte bon en raison de sa fin.

[6977] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 ad 6Ad sextum dicendum, quod non sufficit omnino habitualis ordinatio actus in Deum: quia ex hoc quod est in habitu, nullus meretur, sed ex hoc quod actu operatur. Nec tamen oportet quod intentio actualis ordinans in finem ultimum sit semper conjuncta cuilibet actioni quae dirigitur in aliquem finem proximum; sed sufficit quod aliquando actualiter omnes illi fines in finem ultimum referantur; sicut fit quando aliquis cogitat se totum ad Dei dilectionem dirigere: tunc enim quidquid ad seipsum ordinat, in Deum ordinatum erit. Et si quaeratur quando oporteat actum referre in finem ultimum, hoc nihil aliud est quam quaerere quando oportet habitum caritatis exire in actum: quia quandocumque habitus caritatis in actum exit, fit ordinatio totius hominis in finem ultimum, et per consequens omnium eorum quae in ipsum ordinantur ut bona sibi.

6. L’orientation habituelle d’un acte vers Dieu ne suffit pas du tout, car personne ne mérite par ce qui existe à l’état d’habitus, mais par ce qu’il accomplit en acte. Il n’est cependant pas nécessaire qu’une intention actuelle orientant vers la fin soit toujours associée à toute action qui est orientée vers une fin prochaine, mais il suffit que tous ces actes soient parfois mis en rapport avec la fin ultime, comme cela se produit lorsque quelqu’un pense à s’orienter tout entier vers l’amour de Dieu. En effet, tout ce qu’il oriente vers lui-même sera alors orienté vers Dieu. Et si l’On se demande quand il est nécessaire de mettre un acte en rapport avec la fin ultime, cela revient a se demander quand il est nécessaire que l’habitus de la charité passe à l’acte, car, chaque fois que l’habitus de la charité passe à l’acte, une orientation de l’homme tout entier vers sa fin ultime se réalise et, par conséquent, de tout ce qui est orienté vers lui-même comme son propre bien.

[6978] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 ad 7Sed quia aliquos actus indifferentes ponimus, ideo oportet ad alia respondere. Ad septimum dicendum, quod hoc quod dicitur: omnia in gloriam Dei facite, potest intelligi dupliciter: vel affirmative, vel negative. Si negative, sic est sensus: nihil contra Deum faciatis: et hoc modo praeceptum est: et sic praeceptum hoc praeteritur vel per peccatum mortale, quod contra Deum fit; vel per peccatum veniale, quod praeter praeceptum et praeter Deum fit. Si autem intelligatur affirmative, hoc potest esse dupliciter. Aut ita quod actualis relatio in Deum sit conjuncta actioni nostrae cuilibet, non quidem in actu sed in virtute, secundum quod virtus primae ordinationis manet in omnibus actionibus sequentibus, sicut et virtus finis ultimi manet in omnibus finibus ad ipsum ordinatis; et sic adhuc praeceptum est, et contingit omissionem ejus esse venialem vel mortalem, sicut dictum est. Vel ita quod ordinatio actualis in Deum sit actu conjuncta cuilibet actioni nostrae; et sic potest intelligi dupliciter: vel distributive, vel collective. Si distributive, sic est sensus: quamcumque actionem facitis, melius est si eam actu in Deum ordinetis; et sic est consilium. Si autem sumatur collective, sic est sensus: omnia opera vestra ita faciatis quod nullum eorum sit quin actu in Deum ordinetis; et hoc nec praeceptum nec consilium est, sed finis praecepti, ad quod per impletionem praeceptorum pervenitur: sic enim sancti in patria actus suos in Deum referunt. Sciendum tamen, quod qualitercumque affirmative exponatur, non intelligitur nisi de operibus deliberatae voluntatis, quia illa tantum opera proprie nostra dici possunt, ut dictum est.

7. Parce que nous affirmons que certains actes sont indifférents, il est donc nécessaire de répondre aux autres arguments [en sens contraire]. Septimène argument, il faut répondre que lorsqu’on dit : Faites tout pour la gloire de Dieu !, on peut l’entendre de deux manières : soit de manière affirmative, soit de manière négative. Si c’est de manière négative, le sens est le suivant : ne faites rien de contraire à Dieu. Il s’agit alors d’un commandement, et ainsi ce commandement est négligé par le péché mortel, accompli à l’encontre de Dieu, ou par le péché véniel, qui est accompli indépendamment d’un commandement et indépendamment de Dieu. Mais si on l’entend de manière affirmative, cela peut être le cas de deux manières. Soit une orientation actuelle vers Dieu est associée à n’importe quelle de nos actions, non pas en acte, mais en puissance, selon que la puissance de la première opération demeure dans toutes les actions subséquentes, comme la puissance de la fin ultime demeure dans toutes les fins qui lui sont ordonnées. De cette manière, il s’agit encore d’un commandement, et il se fait que son omission est un péché véniel ou mortel, comme on l’a dit. Soit une relation actuelle vers Dieu est associée en acte à n’importe quelle de nos actions, et opeut l’entendre de deux manières, de manière distributive ou de manière collective. Si c’est de manière distributive, le sens est le suivant : quelle que soit l’action que vous accomplissez, il est mieux qu’elle soit orientée en acte vers Dieu. Il s’agit alors d’un conseil. Mais si on l’entend de manière collective, le sens est le suivant : accomplissez toutes vos actions de telle sorte que vous ne puissiez ne pas en orienter aucune en acte vers Dieu. Cela n’est ni un commandement ni un conseil, mais la fin du commandement, à laquelle on parvient par l’accomplissement des commandements. En effet, c’est ainsi que les saints dans la patrie mettent leurs actions en rapport avec Dieu. Il faut cependant savoir que, quelle que soit la manière positive dont on l’explique, cela ne s’entend que des actions de la volonté délibérée, car seules ces actions peuvent être dites nôtres au sens propre, ainsi qu’on l’a dit.

[6979] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 ad 8Ad octavum dicendum, quod verbum est immediatus effectus rationis; et ideo minus potest verbum praeter deliberationem esse quam factum: et propter hoc, verbum otiosum magis est peccatum veniale quam factum otiosum. Sciendum tamen, quod secundum Gregorium, otiosum est quod caret intentione piae voluntatis, aut ratione justae necessitatis; unde non omne verbum jocosum est otiosum, si ad recreationem referatur: quia etiam in jocis contingit esse virtutem eutrapeliam, de qua philosophus in 4 Ethic. determinat.

8. La parole est un effet immédiat de la raison. C’est pourquoi la parole peut moins échapper à la raison que l’action. Pour cette raison, la parole oiseuse est un péché véniel, plutôt que l’action oiseuse. Il faut cependant savoir que, selon Grégoire, ce à quoi fait défaut une volonté pieuse ou la raison d’une juste nécessité est oiseux. Aussi toute parole amusante n’est-elle pas oiseuse, si elle est mise en rapport avec la régénération, car, même dans les plaisanteries, on trouve la vertu d’eutrapélie, dont parle le Philosophe dans Éthique, IV.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 40

[6980] Super Sent., lib. 2 d. 40 q. 1 a. 5 expos.Affectus tuus nomen imponit operi tuo. Si universaliter intelligitur, oportet exponi de affectu eligente, et non solum intendente, ut dictum est. Ubi fides non erat, bonum opus non erat, idest meritorium. De hoc tamen in sequenti distinctione quaeretur. Qui dicunt omnes actus esse indifferentes. Illi considerabant actus secundum rationem generis tantum; quia inquantum actus est generaliter sumptus, indifferens est ad bonitatem vel malitiam moralem, quamvis habeat bonitatem naturalem. Si tamen intelligebant de actu particulariter accepto, sic simpliciter falsa erat ista opinio. Sed hoc non videntur intellexisse: quia actionem particulariter acceptam dicebant esse conjunctam cuidam fini, ex quo bonitatem vel malitiam habet, sicut furari vel aliquid hujusmodi. Aliis autem videtur quod quidam actus in se mali sunt. Isti accipiebant actus secundum quod ad aliquam speciem determinantur, non tamen secundum quod sunt individuati; et quia aliqui actus ex specie sua habent bonitatem, et aliqui malitiam, et aliqui neutrum, ut levare festucam; ideo distinguebant actus per tria genera: et quia illud quod inest alicui ex specie sua nunquam recedit ab eo, ideo dicebant, quod actus qui non sunt indifferentes, si sunt boni, quacumque intentione fiant, boni remanent, et similiter de malis; intelligentes de bonitate ex genere vel ex specie actus: non quod actus qui erat bonus ex genere vel circumstantia, si fieret mala intentione, esset bonus simpliciter; sed quia bonus remanebat ex genere. Sed Augustinus evidentissime docet (...) omnes actus secundum intentionem et causam judicandos bonos vel malos. Hic ponitur tertia opinio; et haec accipit actum bonum vel malum simpliciter. Et quia intentio mala sufficit ad hoc quod actus sit malus simpliciter, non tamen intentio bona sufficit ad hoc quod actus sit bonus simpliciter; ideo ex intentione, secundum hanc opinionem, judicantur actus mali, non autem boni; et sic patet quod quaelibet harum trium opinionum secundum aliquid vera est. Qui crucifigendo Christum, arbitrabantur se obsequium praestare Deo. Hoc intelligitur de minoribus deceptis fraude majorum qui eum ex malitia persequebantur, cognoscentes eum a Deo venisse per signa quae faciebat. Quae tamen quidam contendunt nunquam habere bonam causam. Hoc dicunt illi de prima opinione, vel etiam de secunda: et accipiunt causam et non finem ultimum, sed finem proximum, qui malus est: sunt enim malo fini conjuncta ut bene fieri non possint.

 

 

 

DISTINCTIO 41

Distinction 41 – [Le rôle de l’intention dans l’acte du péché]

 

 

QUAESTIO 1

Question 1 – [La foi dirige-t-elle l’intention ?]

PROOEMIUM

Prologue

[6981] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 pr.Ostenso quod ex finis intentione, vel voluntate, actus exterior habet malitiam et bonitatem; hic determinat quasdam quaestiones circa praedeterminata; et dividitur in partes duas: in prima inquirit de actu peccati per comparationem ad intentionem; in secunda de actu peccati inquirit per comparationem ad voluntatem, ibi: post haec investigari oportet, qualiter intelligendum sit quod ait Augustinus. Prima in duas dividitur: in prima movet quaestionem; in secunda determinat eam, ibi: quod a quibusdam non irrationabiliter astruitur. Et haec dividitur in duas, secundum duas opiniones: secunda incipit, ibi: alii vero, qui trifariam distinctionem actuum faciunt, opera cuncta quae ad naturae subsidium fiunt, semper bona esse astruunt. Circa primum tria facit: primo ponit solutionem propositae quaestionis secundum unam opinionem; secundo objicit in contrarium, ibi: his autem objicitur quod supra dixit Augustinus; tertio ponit responsionem, ibi:quibus illi respondent. Post haec investigari oportet, qualiter intelligendum sit quod ait Augustinus. Hic determinat de actu peccati in comparatione ad voluntatem; et dividitur in partes duas: in prima inquirit de peccato in genere per comparationem ad voluntatem; in secunda de illo specialiter peccato quod in interiori voluntatis actu consistit, ibi: si autem omne peccatum mortale, voluntarium est, cum voluntas mala peccatum sit mortale, constat ipsam esse voluntarium peccatum. Prima dividitur in tres, secundum quod tres auctoritates Augustinus ponit in materia ista, quae dubitationem habent; secunda, ibi: illius etiam intelligentia perquirenda est quod in Lib. de duabus animabus edidit. Tertia, ibi: in eodem quoque libro de duabus animabus aliud tradidit consideratione dignum. Hic est duplex quaestio. Prima de comparatione actus ad intentionem. Secunda de comparatione peccati ad voluntatem. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum fides intentionem dirigat; 2 utrum aliquis actus in infidelibus possit esse bonus, quorum intentio non est per fidem directa.

Après avoir montré que l’acte extérieur tient sa malice et sa bonté de l’intention de la fin ou de la volonté, [le Maître] détermine ici de certaines questions à propos de ce qui a été déterminé plus haut. Il y a deux parties : dans la première, il s’interroge sur l’acte du péché si on le compare à l’intention ; dans la seconde, il s’interroge sur l’acte du péché si on le compare à la volonté, à cet endroit : « Après cela, il faut chercher comment il faut comprendre ce que dit Augustin… » La première se divise en deux [parties] : dans la première, il soulève une objection ; dans la seconde, il en détermine, à cet endroit : « …ce qui est ajouté par certains de manière déraisonnable. » Celle-ci se divise en deux, selon deux opinions. La seconde commence à cet endroit : « Mais d’autres, qui font une triple distinction entre les actes, ajoutent que toutes les actions qui sont accomplies pour assister la nature sont toujours bonnes. » À propos du premier point, il fait trois choses. Première, il présente la solution de la question mise de l’avant selon une opinion ; deuxièmement, il fait une objection en sens contraire, à cet endroit : « À ceux-là s’objecte ce qu’Augustin a dit plus haut… » ; troisièmement, il présente la réponse, à cet endroit : « Ceux-ci répondent à ceux-là… » « Après cela, il faut chercher comment il faut comprendre ce que dit Augustin… » Il détermine ici de l’acte du péché si on le compare à la volonté. Il y a deux parties : dans la première, il s’interroge sur le péché d’une manière générale, si on le compare à la volonté ; dans la seconde, [il s’interroge] d’une manière particulière sur le péché qui consiste dans un acte intérieur de la volonté, à cet endroit : « Mais si tout péché mortel est volontaire, puisque la volonté mauvaise est un péché mortel, il est clair qu’elle est un péché volontaire. » La première [partie] se divise en trois, selon qu’Augustin invoque, en cette matière, trois autorités qui comportent un doute ; la deuxième, à cet endroit : « Il faut aussi chercher à comprendre ce qu’il a affirmé dans le livre Sur les deux âmes. » La troisième, à cet endroit : « Dans le même livre Sur les deux âmes, il enseigne quelque chose qui mérite d’être examiné. » Il y a ici deux questions : la première, sur le rapport de l’acte à l’intention ; la seconde, sur le rapport du péché à l’intention. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1. La foi dirige-t-elle l’intention ? 2. Un acte des infidèles, dont l’intetion n’est pas dirigée par la foi, peut-il être bon ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum fides habeat universaliter dirigere intentionem

Article 1 – La foi dirige-t-elle l’intention de manière universelle ?

[6983] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod fidei non sit intentionem universaliter dirigere. Diversorum enim specie, diversae sunt regulae et mensurae, ut ex 10 Metaph. patet: quia mensura est homogenea mensurato. Sed virtutes diversae sunt secundum speciem. Ergo fides non potest dirigere in operationibus omnium virtutum.

1. Il semble qu’il ne revient pas à la foi de diriger l’intention de manière universelle. En effet, les règles et les mesure de ce qui est selon l’espèce sont différentes, comme cela ressort de Métaphysique, X, car la mesure est homogène par rapport à ce qui est mesuré. Or, les vertus sont différentes selon l’espèce. La foi ne peut donc diriger les opérations de toutes les vertus.

[6984] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, cujus est ordinare, ejus est etiam dirigere: quia directio est per ordinationem in finem. Sed ordinatio est rationis. Ergo et dirigere; et ita non indigetur fide ad dirigendum.

2. Il revient de diriger à celui à qui il revient d’ordonner, car la direction se réalise par mise en ordre par rapport à la fin. Or, la mise en ordre relève de la raison. Donc aussi, diriger. La foi ne sera donc pas nécessaire pour diriger.

[6985] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, secundum Bernardum, prudentia est auriga virtutum. Sed aurigae officium est currum dirigere. Ergo videtur quod dirigere pertineat ad prudentiam, et non ad fidem.

3. Selon Bernard, la prudence conduit les vertus. Or, la fonction du conducteur est de diriger le char. Il semble donc que la direction relève de la prudence, et non dela foi.

[6986] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, opus dicitur esse rectum, secundum quod conformatur legi. Sed assentire legi pertinet ad justitiam; unde et legalis dicitur a philosopho in 5 Ethic. Ergo videtur quod lex justitiam dirigat.

4. On dit d’un acte qu’il est droit pour autant qu’il se conforme à la loi. Or, consentir à la loi relève de la jusdtice ; aussi est-elle appelée légale par le Philosophe, Éthique, V. Il semble donc que la loi dirige la jusdtice.

[6987] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, Christus non habuit fidem. Si igitur fides dirigit intentionem, Christus non habuit intentionem rectam: quod absurdum est.

5. Le Christ n’a pas eu la foi. Si donc la foi dirige l’intention, le Christ n’a pas eu une intention droite, ce qui est absurde.

[6988] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 6Praeterea, secundum Tullium, virtus est habitus quidam in modum naturae rationi consentaneus. Sed quaelibet natura per seipsam tendit in finem suum, sicut ignis per suam levitatem sursum dirigitur, et terra deorsum. Ergo quaelibet virtus dirigit suum actum in finem.

6. Selon Tullius [Cicéron], la vertu est un habitus conforme à la raison par mode de nature. Or, toute nature tend par elle-même vers sa fin, comme le feu est dirigé vers le haut par sa légèreté, et la terre vers le bas. Toute vertu dirige donc son acte vers la fin.

[6989] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, illius est dirigere cujus est ostendere quo eundum est. Sed hoc facit fides: quia fides est substantia sperandarum rerum, Heb. 11. Ergo fidei est dirigere intentionem.

Cependant, [1] il revient de diriger à celui à qui il revient de montrer où il faut aller. La foi fait cela, car la foi est la subsstance des réalités désirées, He 11. Il revient donc à la foi de diriger l’intention.

[6990] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, a primo est rectitudo in omnibus aliis. Sed fides est prima virtutum. Ergo fidei est intentionem omnium virtutum dirigere.

[2] La droiture chez tous les autres vient du premier. Or, la foi est la première des vertus. Il revient donc à la foi de diriger l’intention de toutes les vertus.

[6991] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod rectum dicitur esse cujus medium non exit ab extremis. Actus autem consideratur inter duo, quae quasi sunt ejus extrema, scilicet principium agens, et finem intentum; unde in opere vel intentione rectitudo esse dicitur, secundum quod opus ab agente egrediens non praetergreditur ordinem debiti finis; et ideo illius est dirigere cujus est in finem ordinare. Sed ordinare in finem contingit dupliciter: vel ostendendo finem, vel inclinando in finem. Ostendere autem finem, rationis est; sed inclinare in finem est voluntatis: quia amor, in quo actus voluntatis exprimitur, est quasi quoddam pondus animae, secundum Augustinum. Sed perfecte finem ostendere non competit rationi nisi secundum quod est per habitum perfecta; similiter non competit perfecte inclinare in finem voluntati, nisi secundum quod est per habitum perfecta. Finis autem humanorum actuum potest accipi dupliciter: vel finis proprius et proximus; vel communis et ultimus; et hic est duplex. Quia vel excedit facultatem naturae, sicut felicitas futura in patria; et in hunc finem ostendendo dirigit fides, et inclinando dirigit caritas (sicut aliqua forma naturalis inclinat in suum finem), quia ad hunc finem non sufficit dirigere naturalis potentia neque per se, neque perfecta per habitum naturalem vel acquisitum; et quia ad hunc finem, cum sit ultimus, sunt omnes alii fines ordinati; ideo fides et caritas dicuntur dirigere intentionem universaliter in omnibus. In finem autem communem proportionatum humanae facultati dirigit ratio, ostendendo, perfecta per habitum sapientiae acquisitae, cujus actus est felicitas contemplativa, ut in 10 Ethic. dicitur; vel perfecta per habitum prudentiae, cujus actus est felicitas civilis: inclinando autem virtus appetitiva, secundum quod est perfecta habitibus virtutum moralium.

Réponse. Appelle droit ce dont le milieu ne s’écarte pas des extrêmes. Or, un acte est envisagé entre deux choses, qui sont comme ses extrêmes: le principe agent et la fin visée. Aussi parle-t-on de droiture pour l’action ou l’intention lorsque lorsque l’action issue de l’agent ne s’écarte pas de l’ordre à la fin due. C’est pourquoi il revient de diriger à qui il revient d’ordonner vers la fin. Or, ordonner vers la fin se réalise de deux manières : soit en montrant la fin, soit en inclinant vers la fin. Montrer la fin relève de la raison, mais incliner vers la fin [relève] de la volonté, car l’amour, par lequel l’acte de la volonté s’exprime, est comme un poids de l’âme, selon Augustin. Or, montrer parfaitement la fin ne convient à la raison que lorsqu’elle est perfectionnée par un habitus ; de même, il ne convient à la volonté d’incliner parfaitement vers la fin que lorsqu’elle est perfectionnée par la volonté. Mais la fin des actes humains peut être envisagée de deux manières : soit la fin propre et prochaine ; soit [la fin] commune et ultime, et celle-ci est double. Ou bien elle dépasse la capacité de la nature, comme la félicité à venir dans la patrie : c’est la foi qui dirige en montrant cette fin, et la charité dirige en inclinant (comme une forme naturelle incline à sa fin), car la puissance naturelle pas pour diriger vers cette fin, ni par elle-même, ni lorsqu’elle est perfectionné par un habitus naturel ou acquis. Et parce que toutes les autres fins soont ordonnées à cette fin puisqu’elle est ultime, on dit que la foi et la charité dirigent l’intention de manière universelle en toutes choses. Mais, en montrant, la raison dirige vers la fin commune proportionnée à la capacité humaine, lorsqu’elle est perfectionnée par l’habitus de la sagesse acquise, dont l’acte est la félicité contemplative, comme il est dit dans Éthique, X, ou lorsqu’elle est perfectionnée par l’habitus de la prudence, dont l’acte est la félicité divile ; mais la puissance appétitive [dirige] en inclinant, lorsqu’elle est perfectionnée par les habitus des vertus morales.

[6992] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod diversorum specie non potest esse idem regulans proprium; sed potest idem esse commune; et sic fides dirigit, inquantum ordinat in finem ultimum.

1. On ne peut imposer de règle propre à ce qui diffère selon l’espèce ; mais il peut en exister une qui est commune. C’est ainsi que la foi dirige, dans la mesure où elle ordonne à la fin ultime.

[6993] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod ratio non potest sufficienter dirigere ad hoc quod humanam cognitionem naturalem excedit; in quod tamen, sicut in finem ultimum, oportet omnes actus nostros ordinari: ideo oportet quod fides dirigat.

2. La raison ne peut suffisamment diriger vers ce qui dépasse la connaissance naturelle, vers quoi il est cependant nécessaire que tous nos actes soient ordonnés comme vers leur fin ultime. Il est donc nécessaire que la foi dirige.

[6994] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod prudentia sufficienter dirigit ad finem illum qui est bonum humanum, non autem ad finem qui est bonum divinum, quale est quod in patria promittitur.

3. La prudence suffit à diriger vers la fin qui est un bien humain, mais non la fin qui est un bien divin, comme est celui qui est promis dans la patrie.

[6995] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod lex dirigit sicut ostendens qualis debeat esse actus proportionatus fini ultimo; non enim quilibet actus cuilibet fini proportionatus est, ut supra dictum est; et ideo directio fidei, quae ostendit finem, praecedit directionem legis, quae docet actum: et ita etiam praecedit directionem justitiae, quae per modum inclinationis rectitudinem actus facit, quam lex ostendit.

4. La loi dirige en montrant quel doit être l’acte proportionné à la fin ultime. En effet, ce n’est pas n’importe quel acte qui est proportionné à n’importe quelle fin, comme on l’a dit pluis haut. C’est pourquoi la direction de la foi, qui montre la fin, précède la direction de la loi, qui enseigne l’acte. De cette manière, elle précède aussi la direction de la justice, qui réalise la droiture d’un acte par mode d’inclination, que la loi montre.

[6996] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod in fide sunt duo, scilicet cognitio et aenigma, vel obscuritas, sive imperfectio. Fides autem habet dirigere non ratione obscuritatis, sed ratione cognitionis: et ideo cum Christus habuerit perfectam cognitionem, in eo fuit perfecte rectitudo intentionis.

5. Dans la foi, il y a deux choses : la connaissance et l’énigme ou l’obscurité, ou l’imperfection. Or, il revient à la foi de diriger non pas en raison de son obscurité, mais en raison de la connaissance. Parce que le Christ possédait une connaissance parfaite, c’est la raison pour laquelle existait chez lui de manière parfaite la droiture de l’intention.

[6997] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 1 ad 6Ad sextum dicendum, quod inclinatio naturalis in finem praesupponit quemdam intellectum praestituentem finem naturae, et dantem sibi inclinationem in finem ultimum; et ita etiam inclinationem moralis virtutis in finem praecedit prudentia quasi ostendens, et dirigens in finem; et sic singulae virtutes inclinando dirigunt in fines proximos, non autem in finem ultimum.

6. L’inclination naturelle vers la fin présuppose une certaine intelligence établissant la fin de la nature et lui donnant son inclination vers la fin ultime. C'es’ ainsi que la prudence précède même l’inclination de la vertu morale vers la fin, en tant qu’elle montre et dirige vers la fin. C’est ainsi aussi que toutes les vertus dirigent en inclinant vers leurs fins prochaines, mais non vers la fin ultime.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum aliquis actus hominis infidelis possit esse bonus

Article 2 – Un acte d’un infidèle peut-il être bon ?

[6999] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nullus actus infidelis hominis bonus esse possit. Quia, ut dicitur in Glossa Rom. 10, omnis vita infidelium peccatum est. Sed non potest esse simul peccatum et bonus actus. Ergo nullus actus infidelis bonus est.

1. Il semble qu’aucun acte d’un infidèle ne puisse être bon, car, ainsi que le dit la Glose sur Rm 10, « toute la vie des infidèles est un péché ». Or, un péché ne exister en même temps qu’un acte bon. Aucun acte d’un infidèle n’est donc bon.

[7000] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, omnis actus bonus est rectus. Sed omnis actus rectus procedit ab intentione recta. Cum igitur fides intentionem dirigat, videtur quod ubi non est fides, actus bonus esse non possit.

2. Tout acte bon est droit. Or, tout acte droit vient d’une intention droite. Puisque la foi dirige l’intention, il semble donc que, là où il n’y a pas de foi, un acte bon ne puisse exister.

[7001] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, omne bonum Deo placet, et est sibi acceptum. Sed vita infidelium non est Deo accepta, quia gratia carent. Ergo in eis actus bonus non est.

3. Tout bien plaît à Dieu et est agréé par lui. Or, la vie des infidèles n’est pas agréée par lui, car la grâce leur fait défaut. Il n’existe donc pas d’acte bon chez eux.

[7002] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, illud proprie dicitur malum quod caret aliqua perfectione quam natum est et debet habere. Sed omnis actus humanus natus est in ultimum finem beatitudinis referri, nisi sit per se malus, et debet in ipsum referri, ut ex dictis patet. Cum ergo actus infidelium in ultimum finem non referatur, in quem fides dirigit, ut dictum est, videtur quod omnis actus infidelium sit malus.

4. On appelle mal au sens propre ce à quoi fait défaut une perfection qui lui est destinée et qu’il doit posséder. Or, tout acte humain est destiné à être mis en rapport avec la fin ultime de la béatitude, à moins qu’il ne soit mauvais par soi, et il doit être mis en rapport avec elle, comme cela ressort de ce qui a été dit. Puisque l’acte des infidèles n’est pas mis en rapport avec la fin ultime, vers laquelle la foi dirige, ainsi qu’on l’a dit, il semble donc que tout acte des infidèles soit mauvais.

[7003] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, infidelitas fidei opponitur. Sed fideles per fidem diriguntur in finem aliquem. Ergo infideles per infidelitatem in oppositum finem diriguntur. Sed omnes actus fidelium sunt boni per hoc quod ordinati sunt in finem in quem dirigit fides. Ergo eadem ratione omnis actus infidelium est malus.

5. L’infidélité s’oppose à la foi. Or, les fidèles sont dirigés vers une fin par la foi. Les infidèles sont donc dirigés par l’iinfidélité vers une fin opposée. Or, tous les actes des infidèles sont bons du fait qu’ils sont ordonnés à la fin vers laquelle la foi dirige. Pour la même raison, tout acte des infidèles est donc mauvais.

[7004] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, non est consilium nisi de bono. Sed infidelibus consulitur ut aliqua de genere bonorum faciant. Ergo illorum actus non omnes sunt mali.

Cependant, [1] un conseil ne porte que le bien. Or, il est conseillé aux infidèles d’accomplir certaines choses qui font partie du genre des biens. Tous leurs actes ne sont donc pas mauvais.

[7005] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, nihil laudabile est vel laudatur, nisi bonum. Sed sancti, ut Hieronymus, et Augustinus, saepe laudant aliquos gentiles de aliquibus operibus. Ergo aliqua opera ipsorum fuerunt bona.

[2] Rien n’est louable ni n’est loué que le bien. Or, les saints, comme Jérôme et Augusdtin, louangent souvent des païens pour certaines de leurs actions. Certaines de leurs actions étaient donc bonnes.

[7006] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod sicut in rebus naturalibus una perfectio alteri superadditur, sic ut quaedam res habeant unam illarum, et quaedam duas, et sic deinceps; ita etiam in moralibus contingit in actu considerare aliquam perfectionem alii superadditam; ex quarum unaquaque dicitur actus bonus; et si aliqua illarum perfectionum desit, deerit bonitas quae est secundum perfectionem illam. Verbi gratia, omnis actus, inquantum est actus, habet quamdam essentialem bonitatem, secundum quod omne ens bonum est; sed in aliquibus actibus superadditur quaedam bonitas ex proportione actus ad debitum objectum, et secundum hoc dicitur actus bonus ex genere; et ulterius ex debita commensuratione circumstantiarum dicetur bonus ex circumstantia; et sic deinceps, quousque perveniatur ad ultimam bonitatem, cujus humanus actus est susceptivus, quae est ex ordine in finem ultimum per habitum gratiae et caritatis: et ideo actus illorum qui gratiam et caritatem non habent, hoc modo bonus esse non potest: et haec est bonitas secundum quam actus meritorius dicitur. Sed subtracto posteriori, nihilominus remanet prius, ut in Lib. de causis dicitur; unde quamvis ab infidelium actibus subtrahatur ista bonitas, secundum quam actus meritorius dicitur, remanet tamen bonitas alia vel virtutis politicae, vel ex circumstantia, vel ex genere: et ideo non oportet quod omnis eorum actus sit malus, sed solum quod sit deficientis bonitatis; sicut quamvis equus deficiat a rationalitate quam homo habet, non tamen ideo malus est, sed habet bonitatem deficientem a bonitate hominis.

Réponse. De même que, dans les choses naturelles, une perfection s’ajoute à une autre, de sorte qu’une chose en possède une et d’autres deux, et ainsi de suite, de même aussi, en matière morale, il arrive qu’on envisage dans un acte une perfection ajoutée à une autre, en raison desquelles un acte est appelé bon ; et si l’une de ces perfections fait défaut, la bonté qu’elle apportait fera défaut. Par exemple, tout acte, en tant qu’il est acte, possède une certaine bonté essentielle, dans la mesure où tout être est bon ; mais, dans certains actes, s’ajoute une bonté qui vient de la proportion de l’acte par rapport à l’objet dû : on dit ainsi que l’acte est bon selon son genre. Davantage, l’acte sera appelé bon en raison d’une circonstance du fait de la proportion qui lui revient selon les circonstances. Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on parvienne à la bonté ultime, que l’acte humain peut recevoir, qui vient de son ordre par rapport à la fin ultime en raison de l’habitus de la grâce et de la charité. C’est la raison pour laquelle l’acte de ceux qui ne possèdent pas la grâce et la charité ne peut être bon de cette manière : telle est la bonté selon laquelle on dit qu’un acte est méritoire. Mais si l’on enlève ce qui est dernier, ce qui est premier n’en demeure pas moins, comme on le dit dans le livre Sur les causes ; bien que la bonté selon laquelle on dit qu’un acte essdt méritoire soit enlevée aux actes des infidèles, demeure cependant une autre bonté soit en raison de la vertu politique, soit en raison d’une circonstance, soit en raison du genre. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que tous leurs actes soient mauvais, mais seulement celui auquel fait défaut la bonté ; ainsi, bien que la rationalité que possède l’homme fasse défaut au cheval, il n’est cependant pas mauvais, mais il possède une bonté à laquelle fait défaut la bonté de l’homme.

[7007] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur, omnis vita infidelium peccatum est, non est intelligendum hoc modo, quod omnis actus eorum peccatum sit, sed quia semper cum peccato vivunt: quia infidelitas est tale peccatum, quo retento, nullum aliorum dimittitur. Vel dicendum, quod intelligitur de illis actibus ad quos ex sua infidelitate impelluntur, ut est adorare idola, et abstinere a cibis prohibitis in lege, quasi non sit eis licitum vesci: et hoc videtur intendere apostolus.

1. Lorsqu’on dit que toute la vie des infidèles est péché, il ne faut pas l’entendre au sens où tous leurs actes sont péché, mais au sens où ils vivenet toujours dans le péché, car l’infidélité est un péché selon lequel, celle-ci étant retenue, aucun des autres n’est remis. Ou bien il faut dire qu’on l’entend des actes auxquels il sont poussés par leur infidélité, comme celui d’adorer des idoles et de s’abstenir de nourritures interdites par la loi, comme s’il ne leur était pas permis de se nourrir. C’est ce que semble avoir en vue l’Apôtre.

[7008] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod fides dirigit intentionem in finem ultimum; sed ratio naturalis vel prudentia potest dirigere in aliquem finem proximum: et quia ille finis proximus est ordinabilis in finem ultimum, etiamsi actu non ordinetur, ideo in infidelibus, quorum actus per vim rationis in talem finem diriguntur, possunt aliqui actus esse boni, sed deficientes a perfecta bonitate, secundum quam actus est meritorius.

2. La fin dirige l’intention vers la fin ultime ; mais la raison naturelle ou la prudence peut la diriger vers une fin rapprochée. Parce que cette fin rapprochée peut être ordonnée à la fin ultime, même si elle n’y est pas ordonnée en acte, chez les infidèles, dont les actes sont dirigés vers une telle fin par la puissance de la raison, de tels actes peuvent être bons, mais la bonté parfaite, par laquelle un acte est méritoire, leur fait défaut.

[7009] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod sicut aliquid participat bonitatem, ita etiam Deo est acceptum: et ideo actus illi enuntiantur Deo accepti simpliciter qui meritorii sunt, completam bonitatem habentes; sed tamen etiam actus alii, secundum quod sunt boni ex genere vel ex circumstantia, Deo placent, non tamen sicut remunerabiles aeterno praemio.

3. Dans la mesure où quelque chose participe à la bonté, cela est aussi agréable à Dieu. C’est pourquoi il est dit que sont simplement agréés de Dieu les actes qui sont méritoires, qui ont une bonté complète ; cependant, même les actes qui sont vons par leur genre ou en raison d’une circonstance plaisent à Dieu, bien qu’ils ne puissent être récompensés d’une récompense éternelle.

[7010] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod non obligamur ad hoc quod quilibet actus actu dirigatur in finem illum in quem non potest nisi fides dirigere: quia praecepta affirmativa non obligant ad semper, quamvis semper obligent; et ideo non oportet ut actus infidelium, qui in finem illum non est ordinatus, semper sit peccatum; sed solum pro tempore illo in quo tenetur actum suum in finem ultimum referre.

4. Nous ne sommes pas tenus à ce que tout acte soit dirigé en acte vers la fin ultime vers laquelle seule la foi peut diriger, car les commandements affirmatifs n’obligent pas dans tous les cas, bien qu’ils obligent toujours. Aussi n’est-il pas nécessaire que l’acte des infidèles, qui n’est pas ordonné à cette fin, soit toujours un péché, mais seulement au moment où il est tenu de mettre son acte en rapport avec la fin ultime.

[7011] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod infideles non semper ex infidelitatis errore finem sibi praestituunt, sed aliquando ex vero et recto judicio rationis: et ideo non oportet quod in quolibet actu peccent, sed tunc solum quando ex errore finem sibi praestituunt.

5. Les infidèles n’établissent pas toujours la fin en vertu de l’erreur de l’infidélité, mais parfois en vertu d’un jugement de la raison vrai et droit. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’ils pèchent par tous leurs actes, mais seulement lorsqu’ils se donnent une fin en vertu de leur erreur.

 

 

QUAESTIO 2

Question 2 – [Le rapport entre le péché et la volonté]

PROOEMIUM

Prologue

[7012] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 pr.Deinde quaeritur de comparatione peccati ad voluntatem; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum omne peccatum sit voluntarium; 2 utrum omne peccatum sit in voluntate.

On s’interroge ensuite sur le rapport entre le péché et la volonté. À ce propos, deux questions sont posées : 1. Tout péché est-il volontaire ? 2. Tout péché réside-t-il dans la volonté ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum peccatum sit voluntarium

Article 1 – Tout péché est-il volontaire ?

[7014] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod peccatum non sit voluntarium. Malum enim, ut Dionysius dicit, est praeter voluntatem: objectum enim voluntatis est bonum. Sed omne peccatum est malum. Ergo peccatum non est voluntarium.

1. Il semble que le péché ne soit pas volontaire. En effet, comme le dit Denys, le mal échappe à la volonté, car l’objet de la volonté est le bien. Or, tout péché est un mal. Le péché n’est donc pas volontaire.

[7015] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 arg. 2Praeterea, philosophus dicit in 3 Ethic., quod postquam aliquis est effectus malus per habitum, non est in ipso malum vel non malum esse. Cum igitur homo sit malus per peccatum; et quod non est in homine, non possit dici voluntarium; videtur quod non omne peccatum sit voluntarium.

2. Dans Éthique, III, le Philosophe dit qu’après quelqu’un est devenu méchant par habitus, le mal ou l’absence de mal ne peut se trouver en lui. Puisque c’est par le péché qu’on dit de l’homme qu’il est mauvais, eet que ce qui ne se trouve pas dans l’homme ne peut être appelé volontaire, il semble donc que tout péché ne soit pas volontaire.

[7016] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 arg. 3Praeterea, quod est ignoratum, non potest esse voluntarium: quia voluntas cognitionem praesupponit. Sed quidam per ignorantiam peccant. Ergo non omne peccatum est voluntarium.

3. Ce qui est ignoré ne peut être volontaire, car la volonté présuppose la connaissance. Or, certains pèchent par ignorance. Tout péché n’est donc pas volontaire.

[7017] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 arg. 4Praeterea, aliquid dicitur esse voluntarium propter hoc quod actus voluntatis transit in hoc quod voluntarium dicitur. Sed in peccato omissionis non est necessarium quod sit aliquis actus voluntatis, ut supra dictum est, dist. 35, qu. 1, art. 3. Ergo non omne peccatum est voluntarium.

4. On dit que quelque chose est volontaire parce que l’acte volontaire passe dans ce qu’on appelle volontaire. Or, dans le péché d’omission, il n’est pas nécessaire qu’il y ait un acte de la volonté, comme on l’a dit plus haut, d. 35, q. 1, a. 3. Tout péché n’est donc pas volontaire.

[7018] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 arg. 5Praeterea, nihil quod est contra voluntatem, est voluntarium. Sed primus motus est contra voluntatem: quod patet ex hoc quod dicitur Rom. 7, 19: quod nolo malum, hoc ago; quod de primis motibus exponitur. Igitur cum primus motus sit peccatum, videtur quod non omne peccatum sit voluntarium.

5. Rien de contraire à la volonté n’est volontaire. Or, le premier mouvement est contraire à la volonté, ce qui ressort de ce qui est dit en Rm 7, 19 : Je fais le mal que je ne veux pas, ce qu’on interprète des premiers mouvements. Puisque le premier mouvement est un péché, il semble donc que tout péché ne soit pas volontaire.

[7019] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 arg. 6Praeterea, quod est per necessitatem originis traductum, non est voluntarium. Sed aliquod peccatum est hujusmodi, scilicet originale. Ergo non omne peccatum est voluntarium.

6. Ce qui est transmis nécessairement par l’origine n’est pas volontaire. Or, il existe un péché de ce genre : le péché originel. Tout péché n’est donc pas volontaire.

[7020] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 s. c. 1Sed contra, nihil prohibetur nisi quod est in potestate ejus cui fit prohibitio. Sed peccatum omne prohibetur. Ergo omne peccatum est in potestate peccantis. Sed nihil est in potestate hominis nisi quod est voluntarium. Ergo omne peccatum est voluntarium.

Cependant, [1] rien n’est interdit que ce qui est au pouvoir de celui à qui s’adresse l’interdiction. Or, tout péché est interdit. Tout péché est donc au pouvoir de celui qui pèche. Or, rien n’est au pouvoir de l’homme que ce qui est volontaire. Tout péché est donc volontaire.

[7021] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 s. c. 2Praeterea, involuntarium, ut dicit philosophus in 3 Ethic., non meretur poenam, sed ignoscentiam. Sed omne peccatum meretur poenam. Ergo nullum peccatum est involuntarium.

[2] Comme le dit le Philosophe, Éthique, III, ce qui est involontaire ne mérite pas une peine, mais le pardon. Or, tout péché mérite une peine. Aucun péché n’est donc involontaire.

[7022] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod peccatum, secundum quod habet rationem culpae, non potest esse nisi in eo quod in potestate alicujus consistit: quia ex illo defectu qui in potestate ejus consistit, homo culpatur et vituperatur; non autem ex eo quod in potestate ejus non fuit, ut si caecus nascatur; talis enim defectus magis ad misericordiam provocat quam ad vindictam. Et quia potentia secundum quam nostrorum actuum domini sumus, est voluntas; inde est quod omne id quod in potestate nostra constitutum est voluntarium dicitur; et ideo oportet omne peccatum voluntarium esse, secundum quod peccatum et culpa idem sunt; quia si peccatum largius accipiatur, sic invenitur in omnibus quae propter finem agunt (sive agant per voluntatem, sive per necessitatem naturae), cum eorum actus a fine debito obliquatur, ut in 2 Phys. dicitur.

Réponse. Selon qu’il a raison de faute, le péché ne peut exister que pour ce qui est au pouvoir de quelqu’un, car la faute ou le blâme ne reviennent à l’homme que pour le manque qui est en son pouvoir, et non pour ce qui n’était pas en son pouvoir, comme le fait de naître aveugle : en effet, un tel manque suscite plutôt la miséricorde que la revanche. Et parce que la puissance par laquelle nous sommes maîtres de nos actes est la volonté, de là vient que tout ce qui est en notre pouvoir est appelé volontaire. Il est donc nécessaire que tout péché soit volontaire, pour autant que le péché et la faute sont la même chose, car si on entend péché en un sens plus large, on le trouve en tout ce qui agit en vue d’une fin, qu’il agisse par volonté ou par nécessité de nature, puisque ses actes s’écartent de la fin due, comme on le dit dans Physique, II.

[7023] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod malum non est volitum per se: nullus enim ad malum intendens aliquid operatur, ut Dionysius dicit: sed per accidens potest esse voluntarium, dum scilicet aliquis aestimat bonum quod malum est, vel cum appetit aliquod bonum secundum quid, cui est adjuncta ratio mali simpliciter.

1. Le mal n’est pas en soi. En effet, personne ne fait quelque chose en ayant le mal comme intention, comme le dit Denys ; mais il peut pêtre volontaire par accident, lorsque quelqu’un estime bien ce qui est mal,, ou lorsqu’il désire ce qui est bien sous un aspect, à quoi est tout simplement associée la raison de mal.

[7024] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod sicut habitus virtutis politicae non acquiritur subito, quia una dies non facit ver, ut in 1 Ethic. dicitur ita etiam nec subito habitus ille destruitur: ideo dicit philosophus, quod ex quo aliquis habitum vitiosum acquisivit, non est in potestate ejus ut statim habitum deponat; sed tamen est in ejus potestate ut statim non secundum illum habitum operetur: quia habitus voluntarii non inclinant necessario ad actus; et sic etiam per exercitium operum poterit ex toto habitus ille malus consumi: et ita constat quod peccatum illius qui vitiosum habitum habet, voluntarii rationem non perdidit.

2. De même que l’habitus de la vertu politique n’est pas acquis d’un coup, car une seule journée ne fait pas le printemps, comme on le dit dans Éthique, de même aussi cet habitus n’est-il pas détruit d’un coup. C’est pourquoi le Philosophe dit que, du fait que quelqu’un a acquis un habitus vicieux, il n’est pas en son pouvoir de se débarrasser d’un coup de cet habitus. Toutefois, il est en son pouvoir de ne pas aussitôt agir selon cet habitus, car les habitus volontaires nInclinent pas nécessairement aux actes. C’est ainsi que, par la pratique des actes, cet habitus pourra être entièrement détruit. Il est ainsi clair que le péché de celui qui possède un habitus vicieux n’a pas perdu la raison de volontaire.

[7025] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod quando per ignorantiam peccatur, illud quod est peccatum, non est omnino ignoratum, sed est ignoratum secundum quid, quia nescitur de illo actu quod malus sit: et secundum hoc quod est malum, non erat ratio volendi: et ideo talis ignorantia voluntarium non tollit. Et praeterea ipsa ignorantia quodammodo voluntaria est: quia ignorat ea quae scire tenetur et potest. Si autem scire non posset, tunc voluntarie quidem faceret actum, sed non voluntarie peccaret: et talis ignorantia invincibilis est; quam si vitare non posset, peccatum excusaret, ut jam peccatum non esset.

3. Lorsqu’on pèche par ignorance, ce qui est péché n’est pas entièrement ignoré, mais il est ignoré sous un aspect, car on ne sait pas que cet acte est mauvais, et il n’y avait pas de raison de le vouloir sous l’aspect où il était mauvais. C’est pourquoi une telle ignorance n’enlève pas le volontaire. De plus, l’ignorance elle-même est d’une certaine manière volontaire, car elle ignore ce qu’elle est obligée et peut savoir. Mais si on ne pouvait savoir, alors on accomplirait l’acte volontairement, mais on ne pécherait pas volontairement. Une telle ignorance est invincible : si on ne pouvait l’éviter, elle excuserait du péché, puisqu’il n’y aurait pas de péché.

[7026] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod secundum eos qui dicunt, quod in peccato omissionis non exigitur actus voluntatis, peccatum illud dicitur voluntarium non propter actum voluntatis in omissionem transeuntem, sed inquantum omissio in potestate omittentis est, quia potest omittere et non omittere.

4. Selon ceux qui disent que, pour le péché d’omission, un acte de volonté n’est pas requis, ce péché est appelé volontaire, non pas à cause de l’acte de la volonté qui passe dans l’omission, mais dans la mesure où l’Omission est au pouvoir de celui qui omet, car il peut omettre ou ne pas omettre.

[7027] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod inter peccata actualia minimum de ratione peccati habet primus motus, et ita etiam minimum habet de ratione voluntarii, hoc tantum scilicet quod voluntas praeveniendo eum impedire potest in particulari; quamvis non possit omnes universaliter impedire, ita quod nullus surgat: et sic aliquo modo est in potestate voluntatis. Dicitur autem esse contra voluntatem, quia in contrarium ejus est naturalis inclinatio voluntatis, de qua supra dictum est.

5. Parmi les péchés actuels, le premier mouvement comporte le moins la raison de péché ; aussi comporte-t-il le moins la raison de volontaire, à savoir ce que la volonté peut empêcher dans un cas particulier en le prévenant, bien qu’elle ne puisse les empêcher tous d’une manière universelle, de telle sorte qu’aucun n’apparaisse. D’une certaine manière, il est ainsi au pouvoir de la volonté. Mais on dit qu’il est contraire à la volonté parce que son contraire est une inclination naturelle de la volonté, dont on a parlé plus haut.

[7028] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 1 ad 6Ad sextum dicendum, quod peccatum originale, per se loquendo, est peccatum naturae, et non personae, nisi mediante natura: et ideo est voluntarium voluntate naturae, non tamen voluntate personae cujuslibet in qua invenitur, sed Adae tantum, qui naturam infecit.

6. À parler de soi, le péché originel est un péché de la nature, et non de la personne, si ce n’est par l’inteermédiaire de la nature. Aussi est-il volontaire par la volonté de nature, mais non par la volonté de chaque personne en qui il se trouve, mais d’Adam seulement, qui a infecté la nature.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum omne peccatum sit in voluntate

Article 2 – Tout péché réside-t-il dans la volonté ?

[7030] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non omne peccatum sit in voluntate. Peccatum enim et virtus sunt in eodem subjecto. Sed virtus est in ratione, ut in 1 Ethic. dicitur. Cum igitur voluntas sit alia potentia a ratione, videtur quod peccatum non sit in voluntate.

1. Il semble que tout péché réside dans la volonté. En effet, le péché et la vertu résident dans le même sujet. Or, la vertu réside dans la raison, comme on le dit dans Éthique, I. Puisque la volonté est différente de la raison, il semble donc que le péché ne réside pas dans la volonté.

[7031] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 arg. 2Praeterea, quod est susceptivum dignioris, potest esse susceptivum indignioris. Sed concupiscibilis est susceptiva virtutis, quia temperantia est in concupiscibili. Ergo et concupiscibilis non impeditur propter suam imperfectionem quin in ea peccatum esse possit.

2. Ce qui est apte au plus digne est apte au moins digne. Or, le concupiscible est apte à la vertu, car la tempérance se trouve dans le concupiscible. Le péché n’est donc pas empêché de résider dans le consupiscible en raison de imperfection de celui-ci.

[7032] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 arg. 3Praeterea, in illa potentia est peccatum in cujus actu deformitas peccati consistit. Sed haec non solum est in actu voluntatis, sed etiam in actibus aliarum potentiarum, ut supra dictum est. Ergo non in sola voluntate peccatum est.

3. Le péché se trouve dans la puissance dont l’acte est affecté par la difformité du péché. Or, celle-ci ne se trouve pas seulement dans l’acte de la volonté, mais aussi dans les actes des autres puissances, comme on l’a dit plus haut. Le péché ne se trouve donc pas seulement dans la volonté.

[7033] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 arg. 4Praeterea, objectum voluntatis est bonum simpliciter; sed objectum concupiscibilis est bonum secundum sensum. Sed magis peccatur per conversionem ad delectabilia sensus quam per conversionem ad bonum simpliciter. Ergo peccatum magis est in concupiscibili quam in voluntate.

4. L’objet de la volonté est simplement le bien, mais l’objet du concupiscible est le bien selon le sens. Or, on pèche davante en se tournant vers les plaisirs des sens qu’en se tournant simplement vers le bien. Le péché se trouve donc davantage dans le concupiscible que dans la volonté.

[7034] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 arg. 5Praeterea, Sapient. 11, 17: per quae quis peccat, per haec et torquetur. Sed homo totus punitur. Ergo non solum in voluntate peccatum ejus consistit.

5. Sg 11, 17 : On seera tourmenté par là où on a péché. Or, l’homme entier est puni. Le péché ne réside donc pas seulement dans la volonté.

[7035] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 s. c. 1Sed contra est quod in littera dicitur: nusquam nisi in voluntate peccatum est.

Cependant, [1] ce qui est dit dans le texte va en sens contraire : Le péché ne se trouve pas ailleurs que dans la volonté.

[7036] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 s. c. 2Praeterea, sicut se habet falsa opinio ad intellectum, ita prava actio ad voluntatem. Sed falsa opinio non est nisi in intellectu. Ergo peccatum non est nisi in voluntate.

[2] Le rapport entre une fausse opinion et l’intelligence est le même que celui entre une mauvaise action et la volonté. Or, la fausse opinion ne réside que dans l’intelligence. Le péché ne réside donc que dans la volonté.

[7037] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod aliquid esse in voluntate, potest intelligi dupliciter; vel ita quod sit in ea sicut in causa; et sic ex praemissa quaestione patet omne peccatum in voluntate esse, inquantum omne peccatum voluntarium est: vel ita quod sit in ea sicut in subjecto; et tunc distinguendum est: quia subjectum peccati potest accipi vel proximum, vel primum. Proximum subjectum peccati est illa potentia quae actum peccati elicit; et sic in diversis potentiis contingit esse peccatum, et non solum in voluntate. Primum autem subjectum peccati est ex quo inest homini peccati susceptibilitas: et quia homo non est susceptibilis culpae nisi secundum quod est suorum dominus actuum, et hoc sibi competit secundum quod est voluntatem habens; ideo primum subjectum peccati voluntas est.

Réponse. Que quelque chose se trouve dans la volonté, on peut l’entendre de deux manières : soit que cela s’y trouve comme dans sa cause, et ainsi, selon la question précédente, il est clair que tout péché se trouve dans la volonté pour autant que tout péché est volontaire ; soit que cela s’y trouve comme dans un sujet, et alors il faut faire une distinction, car on peut perler soit du [sujet] rapproché, soit du [sujet] premier. Le sujet rapproché du péché est la puissance dont l’acte du péché est issu ; il arrive ainsi que le péché se trouve dans diverses puissances, et pas seulement dans la volonté. Mais le sujet premier du péché est celui dont vient à l’homme la capacité de pécher. Et parce que l’homme n’est apte à péché que parce qu’il est maître de ses actes, et que celui lui convient parce qu’il possède la volonté, le sujet premier du péché est la volonté.

[7038] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod ratio accipitur ibi a philosopho pro parte intellectiva, quae voluntatem et rationem complectitur, quia cuilibet apprehensioni suus appetitus respondet: quod patet ex hoc quod rationabile per participationem vocat irascibile et concupiscibile, quae sunt potentiae appetitivae. Est autem peccatum in ratione sicut in dirigente, et in voluntate sicut in eligente: et ideo cum peccatum in electione compleatur, potius voluntas quam ratio subjectum ejus primum dici debet.

1. Le Philosophe entend en cet endroit la raison de la partie intellectuelle, qui comprend la volonté et la raison, car un appétit correspond à chaque appréhension, ce qui ressort clairement du fait que l’irascible et le concuipiscible, qui sont des puissances appétitives, sont appelés « raisonnables par participation ». Or, le péché se trouve dans la raison comme dans ce qui dirige, et dans la volonté comme ce qui choisit. C’est poourquoi on doit dire que son sujet premier est la volonté plutôt que la raison, puisque le péché s’accomplit par un choix.

[7039] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod virtus non est in concupiscibili nisi secundum quod aliqualiter participat rationem, inquantum est rationi obediens; et ideo non oportet quod sit primum subjectum peccati; sed proximum potest esse.

2. La vertu ne se trouve dans le concupiscible que dans la mesure où il participe d’une certaine manière à la raison en oébissant à la raison. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il soit le sujet premier du péché, mais il peut [en] être le sujet rapproché.

[7040] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod, sicut supra dictum est, actus aliarum potentiarum non habent rationem culpae, nisi secundum quod subjacent imperio voluntatis; unde patet quod peccati primum subjectum voluntas est.

3. Comme on l’a dit plus haut, les actes des autres puissances n’ont raison de fautes que dans la mesure où ils sont soumis au commandement de la volonté. Il est ainsi clair que le sujet premier du péché est la volonté.

[7041] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod delectabile secundum sensum, quamvis non sit objectum voluntatis inquantum hujusmodi, potest tamen esse objectum ejus inquantum apprehenditur ut bonum simpliciter; et hoc modo est peccatum circa delectabile sensus.

4. Bien qu’il ne soit pas l’objet de la volonté en tant que telle, ce qui est délectable selon le sens peut cependant en être l’objet dans la mesure où cela est appréhendé comme un bien simplement. De cette manière, le péché porte sur ce qui est délectable selon le sens.

[7042] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod etiam quamvis homo possit puniri secundum omnes partes, non tamen est susceptivus poenae (si poena proprie sumatur) nisi inquantum est voluntatem habens: quia ex hoc aliquid poenale est quod voluntati adversatur: et ideo voluntas est primum subjectum poenae, sicut et culpae.

5. Bien que l’homme puisse être puni en toutes ses parties, il n’est cependant soumis à la peine (si l’on entend « peine » au sens propre) que dans la mesure où il possède la volonté, car n’a le caractère de peine que ce qui s’oppose à la volonté. C’est pourquoi la volonté est le sujet premier de la peine, comme elle l’est de la faute.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 41

[7043] Super Sent., lib. 2 d. 41 q. 2 a. 2 expos.Si enim fides intentionem dirigit, et intentio bonum opus facit; ubi non est fides, nec intentio bona nec opus bonum esse videtur. Ista ratio soluta est in 2 art. primae quaestionis. Quod a quibusdam irrationabiliter astruitur. Si intelligatur quod quaelibet actio mala sit, et peccatum; opinio irrationabilis est. Si autem intelligatur quod quidquid agant, in peccatum semper permanent, dum sine fide sunt; opinio rationabilis est. Nihil est bonum sine summo bono. Infideles igitur sunt sine summo bono quantum ad illam societatem quae est per participationem gratiae, et ideo gratuitum bonum in eis non est. Non tamen sunt sine summo bono quantum ad hoc quod ejus bonitatem per bona naturalia participant. Falsa virtus est etiam in optimis moribus; quia scilicet non ducit ad aeternam felicitatem, ad quam virtus perfecta et vera per actus meritorios ducere potest. Sine caritate nullum mandatorum custoditur. Verum est quantum ad intentionem praecipientis, sed non quantum ad substantiam praecepti: et hoc habitum est dist. 28. Bonum enim multipliciter accipitur. Bonum, secundum philosophum, dividitur in utile, delectabile, et honestum. Ergo cum hic istae differentiae non ponantur, videtur insufficienter distinguere. Sed dicendum, quod philosophus assignat partes boni quae sunt ipsius secundum se; hic autem assignantur partes boni in ordine ad aliud. Potest autem aliquid accipi esse bonum in ordine ad tria. Primo modo ut in ordine ad finem: et sic respectu cujusque finis dicitur utile; respectu autem finis ultimi, qui est vita aeterna, dicitur bonum remunerabile, quod est bonum honestum meritorium. Secundo modo ut in ordine ad aliquod bonum simile illi quod ordinatur; vel sicut signum, et sic signum boni dicitur bonum, ut patet in sacramentis legalibus; vel sicut praetendens ejus similitudinem, et sic bonum apparens dicitur bonum: et hoc praecipue est bonum delectabile. Tertio modo in ordine ad praeceptum; et sic dicitur bonum simpliciter quod lege praecipitur; et hoc est etiam remunerabile et honestum: et secundario dicitur licitum bonum quod nullo praecepto prohibetur. Unde modi Aristotelis quodammodo includuntur in istis. Peccatum quippe illud cogitandum est quod tantummodo peccatum est. Ista solutio procedit, si accipiatur voluntarium simpliciter et perfecte, quod non in omni peccato invenitur; sed si accipiatur voluntarium quocumque modo, sic invenitur in quolibet peccato, ut ipse in processu solutionis ostendit.Quid enim, ut ait Augustinus, tam in voluntate quam ipsa voluntas? Voluntas dicitur esse in voluntate, dum actus voluntatis proximus in potestate ipsius potentiae existit: utrumque enim dicitur voluntas, scilicet potentia et actus.

 

 

 

DISTINCTIO 42

Distinction 42 – [Les parties du péché]

 

 

QUAESTIO 1

Question 1 – [La volonté est l’acte extérieur sont-ils une seule chose ?]

PROOEMIUM

Prologue

[7044] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 pr.Postquam determinavit de peccato in generali, hic determinat de peccato in comparatione ad partes ejus, et dividitur in partes duas: in prima determinat diversas peccatorum partes et modos; in secunda specialiter determinat de quodam peccato quod omnia alia transcendit, 43 dist.: est praeterea quoddam genus peccati ceteris gravius. Prima in duas: in prima inquirit ea quae possunt ad constitutionem unius peccati convenire, quasi integrantia peccatum et constituentia; in secunda prosequitur diversas peccatorum divisiones, ibi: modi autem peccatorum varias in Scriptura habent distinctiones. Prima dividitur in duas: in prima inquirit, an actio exterior et voluntas conveniant ad constitutionem unius peccati; in secunda inquirit, utrum adhuc sit aliquid aliud in peccato praeter actum interiorem et exteriorem, ibi: praeterea solet quaeri, cum ab aliquo perpetrato voluntate peccato voluntas id agendi et actio transierit (...) utrum illud peccatum, usquequo poeniteat, sit in eo. Circa primum duo facit: primo movet quaestionem; secundo determinat eam, secundum diversorum opiniones, ibi: quidam dicunt unum esse peccatum. Et haec dividitur in tres, secundum tres objectiones, quibus una opinio contra aliam invehitur: secunda incipit, ibi: sed adhuc eisdem objicitur; tertia, ibi: item adhuc quaestioni instant. Praeterea, solet quaeri, cum ab aliquo perpetrato voluntate peccato voluntas id agendi et actio transierit (...) utrum illud peccatum usquequo poeniteat, sit in eo. Hic inquirit utrum praeter actum interiorem et exteriorem, sit aliquid aliud in peccato quod remaneat, actu transeunte; et circa hoc tria facit: primo ostendit quod transeunte actu interiori et exteriori, remaneat reatus; secundo ostendit quot modis reatus dicitur, ibi: reatus in Scriptura multipliciter accipitur: tertio secundum reatus diversitatem assignat diversa genera peccatorum, ibi: duo enim sunt peccatorum genera. Hic quinque quaeruntur: 1 si voluntas et actus exterior sunt unum; 2 si transeunte actu, remanet reatus; 3 de divisione peccatorum per veniale et mortale, quae penes reatum sumitur; 4 de differentia venialis et mortalis, et praecipue quantum ad genus operis; 5 utrum peccatum mortale poenam aeternam mereatur, et in hoc a veniali differat.

Après avoir déterminé du péché en général, [le Maître] détermine ici du péché par rapport à ses parties. Il y a deux parties : dans la première, il détermine des diverses parties et des divers modes de péchés ; dans la seconde, il détermine en particulier d’un péché qui dépasse tous les autres, d. 43 : « De plus, il existe un genre de péché plus grave que les autres. » La première partie [se divise] en deux : dans la première, il recherche ce qui peut convenir à la constitution d’un péché, comme ses parties intégales et constitutives ; dans la seconde, il poursuit en donnant diverses divisions des péchés, à cet endroit : « Les modes des péchés comportent dans l’Écriture diverses distinctions. » La première partie se divise en deux : dans la première, il se demande si l’action extérieure et la volonté se retrouvent dans la constitution d’un péché ; dans la seconde, il se demande s’il y a quelque chose d’autre dans le péché à part l’acte intérieur et l’acte extérieur, à cet endroit : « De plus, on a coutume de se demander, puisque passent la volonté et l’action de faire un péché accompli volontairement…, si ce péché existe chez celui-là jusqu’à ce qu’il se repente. » À propos du premier point, il fait deux choses : Premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il en détermine selon diverses opinions, à cet endroit : « Certains disent qu’il n’existe qu’un seul péché. » Celle-ci se divise en trois, selon les trois objections par lesquelles une opinion s’en prend à une autre. La deuxième commence à cet endroit : « Mais on leur objecte encore… » La troisième, à cet endroit : « Ils insistent encore sur la question.» « De plus, on a coutume de se demander, puisque passent la volonté et l’action de faire un péché accompli volontairement…, si ce péché existe chez celui-là jusqu’à ce qu’il se repente. » [Le Maître] demande ici si, en plus de l’acte intérieur et de l’acte extérieur, il y a quelque chose d’autre qui demeure dans le péché, lorsque l’acte passe. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il montre que lorsque l’acte l’intérieur et l’acte extérieur passent, la culpabilité (reatus) demeure. Deuxièmement, il montre de quelles mamnières on parle de culpabilité, à cet endroit : « La culpabilité est entendue de plusieurs manières dans l’Écriture. » Troisièmement, il attribue à différentes culpabilités des genres différents de péchés, à cet endroit : « En effet, il y a deux genres de péchés. » Cinq questions sont ici examinées : 1. La volonté et l’acte extérieur sont-ils une seule chose ? 2. La culpabilité demeure-t-elle, alors que l’acte passe ? 3. La distinction entre péché véniel et péché mortel, qui se prend de la culpabilité. 4. La différence entre le péché véniel et le péché mortel, surtout selon le genre d’action. 5. Le péché mortel mérite-t-il une peine éternelle et diffère-t-il par cela du péché véniel ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum voluntas peccati et actus sint duo peccata

Article 1 – La volonté de pécher et l’acte sont-ils deux péchés ?

[7046] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod voluntas et actus sint duo peccata. Quia Augustinus dicit, quod ex hoc est aliquid peccatum, quia divinis legibus contrariatur. Sed duo praecepta sunt diversa, quibus prohibetur voluntas interior et actus exterior, ut patet Exod. 20: non furaberis; item: non concupisces rem proximi tui. Ergo actus exterior et interior, idest voluntas prava, sunt diversa peccata.

1. Il semble que la volonté et l’acte soient deux péchés, car Augusti dit qu’il y a péché parce qu’on s’oppose aux lois divines. Or, les deux commandements par lesquels sont intenrdit la volonté intérieur et l’acte extérieur sont différents, comme cela ressort d’Ex 20 : Tu ne voleras pas, et : Tu ne convoiteras pas ce qui appartient à ton prochain. L’acte extérieur et l’acte intérieur, c’est-à-dire la volonté mauvaise, sont donc des péchés différents.

[7047] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, non potest aliquis magis malus effici et magis peccator nisi per hoc quod peccatum peccato accumulatur. Sed magis peccat qui voluntate et actu peccat, quam qui voluntate vel actu tantum, ut patet Matth. 5: ubi gravior poena redditur opprobria dicenti, quam solum contra fratrem irato. Ergo oportet quod actus additus exterior sit aliud peccatum.

2. Quelqu’un ne peut devenir plus mauvais et davantage pécheur que par l’accumulation d’un péché sur un autre. Or, celui qui pèche par sa volonté et son acte pèche davantage que celui qui pèche par sa volonté ou par son acte, comme cela ressort de Mt 5, où une peine plus grave est assignée à celui qui insulte son frère qu’à celui qui est seulement fâché contre lui. Il faut donc que l’acte extérieur ajouté soit un autre péché.

[7048] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, diversorum habituum sunt diversi actus. Sed non est idem habitus perficiens id quod est rationale per essentiam, et rationale per participationem. Cum igitur peccatum voluntatis sit in actu ejus quod est rationale per essentiam, quia voluntas in ratione est, ut Damascenus, et philosophus dicunt; actus autem exterior in eo quod est rationale per participationem, quo mediante ab intellectu motus exterior egreditur; videtur quod non sit unum peccatum voluntatis et actus exterioris.

3. Divers actes correspondent à divers habitus. Or, ce n’est pas le même habitus qui accomplit ce qui est raisonnable par essence et ce qui est raisonnable par participation. Puisque le péché de la volonté consiste à accomplir ce qui est raisonnable par essence ‑ car la volonté se trouve dans la raison, comme le disent [Jean] Damascène et le Philosophe ‑, et l’acte extérieur dans ce qui est raisonnable par participation – par l’intermédiaire duquel le mouvement extérieur est issu de l’intelligence ‑, il semble donc que le péché de la volonté et celui de l’acte extérieur ne soient pas un seul péché.

 [7049] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, multiplicato superiori multiplicatur inferius: unus enim homo non est plura animalia. Sed actus est superior ad peccatum: quia peccatum nihil est aliud quam quidam actus inordinatus. Cum igitur actus voluntatis et actus exterior sint diversi actus, quia a diversis procedunt potentiis, videtur quod non sunt unum peccatum voluntas interior et actus exterior.

4. Si ce qui est supérieur est multiplié, ce qui est inférieur est multiplié : en effet, un seul homme n’est pas plusieurs animaux. Or, l’acte est supérieur au péché, car le péché n’est rien d’autre qu’un acte désordonné. Puisque l’acte de la volonté et l’acte extérieur sont des actes différents, car ils sont issus de puissances différentes, il semble donc que la volonté intérieure et l’acte extérieur ne soient pas un seul péché.

[7050] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, unum accidens non potest in diversis subjectis esse. Sed actus interior est sicut in subjecto in voluntate, cujus est actus; actus autem exterior in potentia movente organum. Ergo non potest esse unum peccatum, cum peccatum sit quoddam accidens.

5. Un seul accident ne peut se trouver dans des sujets différents. Or, l’acte intérieur se trouve comme dans son sujet dans la volonté, dont il est un acte ; mais l’acte extérieur se trouve dans la puissance qui meut l’organe. Il ne peut donc y avoir un seul péché, puisque le péché est un accident.

[7051] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, pluribus peccatis debentur diversae poenae. Sed non injungitur alia poena in satisfactione pro voluntate interiori et actu exteriori, sed una tantum. Est ergo unum peccatum.

Cependant, [1] des peines différentes sont dues pour plusieurs péchés. Or, une autre peine n’est pas imposée en satisfaction pour la volonté intérieure et l’acte extérieur, mais seulement une. Il s’agit donc d’un seul péché.

[7052] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, ubi unum propter alterum, ibi tantum unum, ut philosophus dicit. Sed actus exterior non est peccatum nisi propter voluntatem. Ergo voluntas et actus exterior non sunt duo peccata, sed unum.

[2] Là où une chose est en vue d’une autre, il existe une seule chose, comme le dit le Philosophe. Or, l’acte extérieur n’est un péché qu’en raison de la volonté. La volonté et l’acte extérieur ne sont donc pas deux péchés, mais un seul.

[7053] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 1 co.Dicendum, quod cum unum et ens convertantur, oportet ut secundum idem a quo res habet esse, judicium de ejus unitate et multiplicatione accipiatur, sicut patet in naturalibus, ubi res quae habet esse per formam, habet etiam unitatem per formam; unde oportet quod diversarum rerum sint diversae formae: et quamvis fortassis principium multiplicationis formae sit materiae divisio, ut in his quae numero tantum differunt, nihilominus tamen non posset esse pluralitas hominum, nisi essent plures formae humanae, et sic de aliis. Sicut autem superius ostensum est, actus non ponitur in genere moris nisi propter voluntatem, scilicet secundum quod est a voluntate elicitus vel imperatus; et ideo secundum unitatem voluntatis est sumendum judicium de unitate ejus quod in genere moris dicitur; unde contingit aliquid quod est unum in genere naturae consideratum, ut unum motum continuum, esse plures secundum quod ad genus moris retorquetur, si voluntas in actu varietur; ut quando bona intentione quis incipit, et mala terminat, ut supra ostensum est dist. 40, qu. 1, art. 4: et e contrario contingit esse actus plures, secundum quod ad genus naturae referuntur, qui tamen sunt unum secundum quod in genere moris considerantur, ut patet in eo qui furatur: quia omnes actus ejus, qui ad finem furti ordinantur, peccatum sunt, cum mala intentione fiant, qui possunt valde multi esse; et tamen omnes computantur ut unum peccatum, quia non habent rationem peccati nisi secundum quod per unam voluntatem in unum perversum finem ordinantur. Sic ergo distinguere oportet in proposito: quia cum quaeritur utrum voluntas et actus exterior sint diversa peccata, aut intelligitur de voluntate conjuncta actui exteriori, aut de voluntate praecedente. Si de conjuncta, sic oportet quod peccatum unum sit voluntas interior et actus exterior, quia voluntatis non multiplicatur actus. Si autem de voluntate separata, sic est aliud peccatum, quia actus voluntatis multiplicatur. Quando enim actum explet exteriorem, etiam actum voluntatis iterat; et ideo oportet quod sint duo peccata non propter diversitatem actus interioris et exterioris, sed propter diversitatem duorum actuum interiorum voluntatis.

Réponse. Puisque l’un et l’être sont convertibles, il est nécessaire de juger de l’untié et de la multiplication d’une chose de cela même dont la chose tire son être, comme cela ressort pour les choses naturelles, où une chose qui a son être par la forme tient aussi son unité de sa forme. Aussi faut-il qu’il existe des formes différentes pour des choses différentes. Et bien que le principe de la multiplication soit peut-être la division de la matière, comme dans les choses qui ne diffèrent que par le nombre, il ne pourrait cependant exister une pluralité d’hommes s’il n’existait pas plusieurs formes humaines, et ainsi de suite pour les autres choses. Or, comme on a montré plus haut qu’un acte n’est mis dans le genre moral que par la volonté – à savoir, selon qu’il est issu de la volonté ou ordonné par elle ‑, il faut donc juger de l’unité de ce qu’on dit appartenir au genre moral à partir de l’unité de la volonté. Aussi arrive-t-il que quelque chose qui est un si on le considère selon son genre naturel, comme un mouvement continu, est multiple si cela est ramené au genre moral, si la volonté change en acte, comme lorsque quelqu’un commence avec une bonne intention et termine par une mauvaise, comme on l’a montré plus haut, d. 40, q. 1, a. 4. En sens contraire, il arrive qu’il y ait plusieurs actes selon qu’ils sont mis en rapport avec leur genre naturel ; ils sont cependant une seule chose selon qu’ils sont envisagés à l’intérieur du genre moral, comme cela ressort chez celui qui vole, car tous ses actes qui sont ordonnés à la fin du vol sont un péché, puisqu’ils sont accomplis avec une mauvaise intention, alors qu’ils peuvent être très nombreux ; cependant, tous sont comptés comme un seul péché, car ils n’ont raison de péché que selon qu’ils sont ordonnés par une seule volonté vers une seule fin perverse. Il faut donc ainsi faire une distinction pour la question en cause, car, lorsqu’on se demande si la volonté et l’acte extérieur sont des péchés différents, on l’entend soit de la volonté unie à l’acte extérieur, soit de la volonté qui le précède. S’il s’agit de [la volonté] unie [à l’acte extérieur], il faut que la volonté intérieure et l’acte extérieure ne soient qu’un seul péché, car l’acte de la volonté n’est pas multiplié. En effet, lorsqu’est accompli un acte extérieur, l’acte de la volonté est aussi répété. C’est pourquoi il est nécessaire qu’il y ait deux péchés, non pas en raison de la diversité de l’acte intérieur et de l’acte extérieur, mais en raison de la diversité de deux actes intérieurs de la volonté.

[7054] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod in hoc praecepto: non concupisces rem proximi tui, non prohibetur illa voluntas furandi quae est conjuncta actui, sed quae est ab actu separata, quod etiam sine actu quamdam turpem jucunditatem habet; quae autem conjuncta est actui, prohibetur illo praecepto quo furtum prohibetur: nihil enim cadit sub praecepto vel prohibitione nisi secundum quod est in voluntate.

1. Par ce commandement : Tu ne convoiteras pas le bien du prochain, n’est pas interdite la volonté de voler qui est unie à l’acte, mais celle qui est séparée de l’acte, ce qui comporte un certain agrément honteux ; mais la volonté qui est unie à l’acte est interdite par le commandement qui interdit le vol. En effet, rien ne tombe sous un commandement ou une interdiction, que selon que cela se trouve dans la volonté.

[7055] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod intensio et remissio in his quae secundum magis et minus dicuntur, non est per additionem, sicut in his quae secundum quantitatem augmentantur, in quibus quantitas quantitati additur, ut major quantitas fiat: non enim calor calori additur ut magis calidum fiat, nec curvitas curvitati, ut fiat magis curvum, ut in 4 Physic. dicitur: sed causatur intensio ex hoc quod illud quod intenditur, magis perfectum invenitur, et opposito impermixtius. Unde non oportet ad hoc quod aliquid magis peccet, quod peccatum addatur (quia sic quaelibet circumstantia aggravans, peccatum esset) sed oportet ut deformitas peccati perfectior sit: et hoc contingit quando aliquis per actum exteriorem peccat; quia major est deformitas quae in actu interiori et exteriori est, quam illa quae tantum in voluntate est; nisi forte sit voluntas completa, quae pro actu reputatur.

2. L’intensité et le relâchement pour ce dont on parle en plus et en moins ne se font pas un ajout, comme pour ce qui s’accroît selon la quantité, où une quantité est ajoutée à une quantité afin que cela devienne une quantité plus grande – en effet, la chaleur ne s’ajoute pas à la chaleur afin que cela devienne plus chaud, ni une courbure à une courbure afin que cela devienne plus recourbé, comme on le dit dans Physique, IV. Mais l’intensité est causée par le fait que s’intensifie se trouve plus parfaitement et moins mélangé à son contraire. Aussi n’est-il pas nécessaire pour que quelqu’un pèche davantage qu’un péché s’ajoute – car ainsi, toute circonstance aggravante serait un péché ‑, mais il est nécessaire que la difformité du péché soit plus parfaite : cela se produit lorsque quelqu’un pêche par un acte extérieur, car la difformité qui existte dans un acte intérieur et dans un acte extérieur est plus grande que celle qui existe seulement dans la volonté, à moins qu’il ne s’agisse d’une volonté accomplie, qui est considérée comme un acte.

[7056] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod a diversis habitibus diversi actus eliciuntur; non tamen oportet quod semper illi actus diversi sint diversa peccata, vel etiam diversa merita; sed possunt esse unum, ut patet praecipue quando unum peccatum imperat actum alterius peccati, ut cum quis furatur propter gulam; est enim tunc unum peccatum diversas habens deformitates, quamvis sint ibi plures actus.

3. Des actes différents sont issus d’habitus différents. Il n’est cependant pas nécessaire que ces divers actes soient toujours des péchés différents ou encore des mérites différents ; mais ils peuvent un seul [péché ou mérite], comme cela ressort principalement lorsqu’un péché commende l’acte d’un autre péché, comme lorsque quelqu’un vole par gourmandise. En effet, il existe alors un seul péché comportant diverses difformités, bien qu’il y ait plusieurs actes.

[7057] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod actus simpliciter acceptus, non est genus peccati nisi secundum quod sub voluntate cadit; et ideo ubi non multiplicatur actus voluntatis, non multiplicatur peccatum.

4. L’acte considéré simplement n’est un genre de péché que s’il tombe sous la volonté ; c’est pourquoi là où l’acte de la volonté n’est pas multiplié, le péché n’est pas multiplié.

[7058] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod peccatum sicut in primo subjecto est in voluntate, sicut supra, dist. praec., quaest. 2, art. 2, dictum est: et ideo non est inconveniens ut et peccatum in diversis actibus consistat: quia inquantum sunt actus, habent subjecta diversa, potentias scilicet elicientes actum; inquantum vero ad genus moris pertinent, habent unum subjectum voluntatem.

5. Le péché existe dans la volonté comme dans son premier sujet, comme on l’a dit plus haut, à la distinction précédente, q. 2, a. 2 ; c’est pourquoi il n’est pas inapproprié que le péché aussi consiste dans des actes différents, car, en tant qu’ils sont des actes, ils ont des sujets différents, à savoir, les puissances dont est issu l’acte ; mais, dans la mesure où ils concernent le genre moral, ils n’ont que la volonté comme seul sujet.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum reatus peccati maneat post peccatum

Article 2 – La cullpabilité du péché demeure-t-elle après le péché ?

[7060] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod post actum peccati reatus non remaneat. Cessante enim causa, cessat effectus. Sed aliquis non est reus poenae nisi propter actum. Ergo post actum non remanet reatus.

1. Il semble que la culpabilité ne demeure pas après le péché. En effet, lorsque cesse la cause, l’effet cesse. Or, quelqu’un ne mérite une peine qu’en raison d’un acte. La culpabilité ne demeure donc pas après l’acte.

[7061] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 2Si dicatur, quod aliquis est reus poenae, non solum quia hoc facit, sed indifferenter quia hoc facit vel quia hoc fecit; contra. Manente causa, manet effectus. Sed ex quo aliquis actum peccati fecit, non potest illud non fecisse; quia ut quod praeteritum est non fuerit, etiam nec Deus facere potest, ut in 1 libro dictum est, dist. 24, quaest. 2, art. 2. Ergo nunquam aliquis a reatu culpae absolvi posset.

2. Quelqu’un mérite une peine, non seulement parce qu’il fait telle chose, mais indifféremment parce qu’il fait telle chose ou parce qu’il a fait telle chose. Si la cause demeure, l’effet demeure. Or, du fait que quelqu’un a commis un acte de péché, il ne peut pas ne pas l’avoir commus, car même Dieu ne peut faire que le passé n’ait pas existé, comme on l’a dit dans le livre I, d. 24, q. 2, a. 2. Donc, quelqu’un ne peut jamais être absous de la culpabilité d’une faute.

[7062] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 3Si dicatur, quod reatus manet post actum propter effectum quem actus in subjecto relinquit, qui removeri potest; contra. Effectus relictus ex actu, est dispositio habitus. Sed propter neutrum istorum homo reus poenae tenetur, quia homo a reatu poenae absolvitur adhuc dispositione ad peccatum per consuetudinem inducta in eo manente: et similiter quandoque dispositio et habitus tollitur; et tamen reatus remanet, ut quando aliquis per avaritiam peccans, habitum avaritiae acquirit, qui postmodum habitus corrumpitur in eodem per prodigalitatis actus, ex quibus habitus contrarius generatur, etiam sine hoc quod gratia interveniat, quae reatum solvit. Ergo non potest dici, quod propter effectum relictum ex actu, reatus post actum remaneat.

3. La culpabilité demeure après l’acte en raison de l’effet que l’acte laisse dans le sujet, lequel ne peut être enlevé. Mais, en sens contraire, l’effet laissé par l’acte est la disposition de l’habitus. Or, l’homme n’est tenu coupable d’une peine pour aucune de ces deux choses, car l’homme est absous de la culpabilité d’une peine alors que demeure encore en lui une disposition au péché en vertu de l’habitude introduite ; de même, la disposition et l’habitus sont parfois enlevés, alors que la culpabilité demeure, comme lorsque quelqu’un qui pèche par avairce acquiert l’habitus de l’avarice, et que, par la suite, l’habitus est corrompu chez la même personne par des actes de prodigalité, à partir desquels un habitus contraire est engendré, qui fait disparaître la culpabilité, même sans que la grâce intervienne. On ne peut donc pas dire qu’en raison de l’effet laissé par l’acte, la culpabilité demeure après l’acte.

[7063] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 4Si dicatur, quod non manet reatus post actum propter effectum praedictum, sed propter maculam; contra. Macula illa si non sit dispositio vel habitus, nihil aliud potest esse quam gratiae privatio. Sed privatio gratiae communis est omnibus peccatis mortalibus. Ergo ex omnibus mortalibus manet una macula, et ita unus reatus; quod falsum est.

4. La culpabilité ne demeure pas après l’acte en raison de l’effet mensionné, mais en raison de la souillure. En sens contraire, cette souillure, si elle n’est pas une disposition ou un habitus, ne peut être rien d’autre que la privation de la grâce, Or, la privation de la grâce est commune à tous les péchés mortels. Une seul souillure demeure donc en raison de tous les péchés mortels, et ainsi une seule culpabilité, ce qui est faux.

[7064] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, infusa gratia, cessat gratiae privatio. Sed adhuc tamen aliquis reatus manet, quo homo ad poenam saltem temporalem obligatur. Ergo non videtur quod per privationem gratiae reatus post actum remaneat.

5. Lorsque la grâc est infusée, la privation de la grâce cesse. Or, une certaine culpabilité demeure encore, par laquelle l’homme est obligé au moins à une peine temporelle. Il ne semble donc pas que, par la privation de la grâce, une culpabilité demeure après l’acte.

[7065] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, nullus punitur juste nisi ad poenam obligatus. Sed peccatores juste puniuntur, postquam actu non peccant. Ergo sunt obligati ad poenam: ergo est in eis reatus, qui nihil aliud est quam obligatio ad poenam.

Cependant, [1] personne n’est puni justement que celui qui est tenu à une peine. Or, les pécheurs sont punis justement après qu’ils ne pèchent pas en acte. Ils sont donc tenus à une peine. Il existe donc en eux une culpabilité, qui n’est rien d’autre que le fait d’être obligés à une peine.

[7066] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, sicut se habet actus virtutis ad praemium, ita se habet peccati actus ad poenam. Sed transeunte actu virtutis, adhuc manet meritum praemii. Ergo transeunte actu peccati, adhuc manet reatus poenae.

[2] Le rapport entre l’acte de vertu et la récompense est le même qu’entre l’acte de péché et la peine. Or, lorsque passe l’acte de vertu, le mérite de la récompense demeure encore. Donc, lorsque passe l’acte de péché, demeure encore la culpabilité de la faute.

[7067] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod reatus dicitur secundum quod aliquis est reus poenae; et ideo proprie reatus nihil est aliud quam obligatio ad poenam: et quia haec obligatio quodammodo est media inter culpam et poenam, ex eo quod propter culpam aliquis ad poenam obligatur; ideo nomen medii transumitur ad extrema, ut interdum ipsa culpa, vel etiam poena, reatus dicatur, ut in littera dicitur. Cum autem poena sit medicina quaedam, ut philosophus in 2 Ethic. dicit, et medicina non detur nisi contra defectum aliquem; oportet quod ad poenam aliquis pro aliquo defectu obligetur: non quod ille defectus semper sanetur per poenam in eo in quo est, ut patet in damnatis, et in fure qui suspenditur; sed poena recompensat defectum in statu universi, vel etiam reipublicae, propter ordinem justitiae qui in poena apparet. Non autem defectus quilibet ad poenam obligat (sunt enim defectus quidam involuntarii magis misericordiam quam iram provocantes), sed illi solum defectus qui ex actibus voluntatis relinquuntur poenam merentur in eo qui voluntarie in defectum inducitur: unde cum transeunte actu remaneat defectus, oportet quod etiam reatus remaneat post actum.

Réponse. On parle de culpabilité pour quelqu’un qui mérite une peine. Au sens propre, la culpabilité n’est donc rien d’autre que l’obligation à une peine ; et parce que cette obligation est en quelque sorte intermédiaire entre la faute et la peine, du fait que quelqu’un est obligé à une peine en raison d’une faute, le nom de ce qui est intermédiaire est parfois transféré aux extrêmes, de sorte que la faute elle-même ou même la peine est appelée culpabilité, comme il est dit dans le texte. Or, comme la peine est un remède, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, II, et comme un remède n’est donné que contre un manquement, il est nécessaire que quelqu’un soit obligé à une peine pour un manquement – non pas que ce manquement soit toujours guéri par une peine chez celui où il se trouve, comme cela ressort chez les damnés et chez le voleur qui est pendu, mais la peine compense le manquement dans l’ordre de l’univers ou encore de la communauté, en raison de l’ordre de la justice qui ressort dans la peine. Or, ce n’est pas tout manquement qui oblige à une peine (en effet, il existe certains manquements involontaires qui suscitent davantage la miséricorde que la colère), mais seulement les manquements qui restent des actes volontaires méritent une peine, du fait qu’ils entraînent volontairement un manquement. Puisque le manquement remeure une fois l’acte passé, il est donc nécessaire que la culpabilité demeure aussi après l’acte.

[7068] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod causa proxima reatus est ipse defectus per actum peccati inductus; actus vero est sicut causa remota: unde non oportet quod transeunte actu reatus transeat.

1. La cause rapprochée de la culpabilité est le manquement même entraîné par l’acte du péché ; mais l’acte en est comme la cause éloignée. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’une fois l’acte passé, la culpabilité passe.

[7069] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod non solum quia verum est dicere aliquem actum peccati quandoque egisse, ad poenam obligatur (quia sic quandocumque verum esset dicere eum hoc fecisse, esset poenae obnoxius): sed quia defectus manet in ipso adhuc propter actum quem prius fecit.

2. On est obligé à une peine non seulement parce qu’il est vrai de dire que quelqu’un, il serait coupable d’avoir commis un acte de péché à un certain moment (car ainsi chaque fois qu’il serait vrai de dire qu’il a fait telle chose), mais parce que le manquement demeure encore chez lui à cause d’un acte qu’il a posé antérieurement.

[7070] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod reatus non fundatur, per se loquendo, super dispositionem vel habitum, sed per accidens, secundum quod talis dispositio vel habitus cuidam defectui conjungitur.

3. À parler de soi, la culpabilité n’est pas fondée sur une diposition ou un habitus, mais par accident, selon qu’une telle disposition ou habitus sont unis à un manquement.

[7071] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod privatio gratiae non habet rationem maculae nisi secundum quod ex actu praecedenti inducitur: et ideo secundum diversitatem actuum sunt etiam diversae maculae: quamvis enim quolibet actu peccati mortalis quaelibet virtus privetur, non tamen eodem modo; sed actu luxuriae castitas per se privatur, et aliae virtutes ex consequenti, secundum quod sunt castitati annexae; per furtum autem actus justitiae per se, et aliarum virtutum ex consequenti; et sic de aliis: ideo non oportet quod omnium peccatorum sit una macula vel unus reatus.

4. La privation de la grâce n’a raison de souillure que dans la mesure où elle est entraînée par un acte antérieur. Aussi, selon la diversité des actes, existent-ils aussi diverses souillures. En effet, bien que toute vertu soit privée par n’importe quel acte de péché mortel, mais non de la même façon – car la chasteté est privée de soi par un acte de luxure, et les autres vertus par mode de conséquence, selon qu’elles sont connexes avec la chasteté, et l’acte de justice par un vol, et celui des autres vertus par mode de conséquence, et ainsi de suite ‑, il n’est donc pas nécessaire qu’il n’y ait qu’une seule souillure ou une seule culpabilité pour tous les péchés.

[7072] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod in peccante sunt duo defectus: unus qui est in ipso actu peccati, secundum quod aliquis limites legis divinae et rationis rectae transgreditur: alius est in ipso peccante, idest privatio virtutis ex priori defectu actus inducta. Quamvis autem cum aliquis gratiam recuperat, secundus defectus tollatur, non tamen ex toto primus sublatus est: quia oportet ut quantum voluntati suae obedivit praeter legem Dei, tantum etiam in contrarium recompenset, ut sic justitiae servetur aequalitas: et ideo post gratiam recuperatam injungitur satisfactio, et est adhuc homo reus temporalis poenae.

5. Chez le pécheur, il existe deux déficiences : l’une qui tient à l’acte même du péché, selon que quelqu’un transgresse les limites de la loi divine et de la raison droite ; l’autre existe chez le pécheur lui-même : la privation de vertu entraînée par la première déficience de l’acte. Bien que, lorsque quelqu’un retrouve la grâce, la seconde déficience soit enlevée, la première n’est cependant pas entièrement enlevée, car il est nécessaire qu’il compense en sens contraire dans la mesure où il a obéi à sa volonté au-delà de la loi de Dieu, pour que soit ainsi préservée l’égalité de la justice. C’est pourquoi, après que la grâce a été retrouvée, une satisfaction est imposée, et l’homme est encore débiteur d’une peine temporelle.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum peccatum convenienter dividatur in mortale et veniale

Article 3 – Le péché est-il convenablement divisé en mortel et véniel ?

[7074] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod peccatum inconvenienter per mortale et veniale dividatur. Ea enim quae in infinitum differunt, in uno genere non conveniunt, sicut creator et creatura, ens et non ens. Sed veniale et mortale sunt hujusmodi; cum uni debeatur poena temporalis, alteri aeterna, ut patet in littera. Ergo peccatum per haec duo dividi non debet.

1. Il semble que le péché ne soit convenablement divisé en mortel et véniel. En effet, ce qui est diffère à l’infini ne se retrouve pas dans un seul genre, comme le créateur et la créature, l’être et le non-être. Or, le [péché] mortel et le [péché] véniel sont de cette sorte, puisque qu’à l’un est due une peine temporelle, et à l’autre une peine éternelle, comme cela ressort du texte. Le péché ne peut donc pas être ainsi divisé.

[7075] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, determinatio diminuens de ratione ejus cui additur, infert oppositum ejus: bene enim sequitur: est homo mortuus: ergo non est homo. Sed veniale est determinatio diminuens de ratione peccati: ex hoc enim quod peccatum est, est dignum poena, et non venia. Ergo veniale peccatum non debet condividere peccatum contra mortale, sicut nec animal mortuum condividit animal contra animal vivum.

2. Une détermination qui enlève à la raison de à quoi elle est ajoutée entraîne son contraire. En effet, ceci est une bonne conclusion : l’homme est mort ; donc ce n’est pas un homme. Or, « véniel » est une détermination qui enlève à la raison de péché. En effet, du fait que c’est un péché, cela est digne d’une peine, et non du pardon. Le péché véniel ne doit pas être opposé au péché mortel, comme l’animal mort ne doit pas être opposé à l’animal vivant.

[7076] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, divisio omnis debet fieri per opposita. Sed veniale et mortale non sunt opposita, cum se simul compatiantur. Ergo inconvenienter peccatum per mortale et veniale dividitur.

3. Toute division se fait selon les contraires. Or, véniel et mortel ne sont pas des contraires, puisqu’ils se supportent. La division entre péché mortel et péché véniel est donc inappropriée.

[7077] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, culpa opponitur gratiae. Sed veniale non opponitur gratiae, quia stat simul cum ea. Ergo veniale non est peccatum, et sic non debet dividere genus peccati contra mortale.

4. La faute s’oppose à la grâce. Or, le [péché] véniel ne s’oppose pas à la grâce, car il existe avec elle. Le [péché] véniel n’est donc pas un péché, et ce n’est donc pas ainsi un genre du péché qui doit être opposé au [péché] mortel.

[7078] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, in omni peccato est aversio ab incommutabili bono tamquam formale. Sed veniale non habet aversionem a bono incommutabili: quia peccans venialiter non avertitur a fine ultimo, sed viae inordinate inhaeret. Ergo veniale peccatum non proprie est peccatum; et sic idem quod prius.

5. En tout péché existe un détournement du bien immuable à titre formel. Or, le [péché] véniel ne comporte pas de détournement du bien immuable, car celui qui pêche véniellement ne se détourne pas de la fin ultime, mais il adhère à ce qui est passager (viae) de manière désordonnée. Le péché véniel n’est donc pas un péché au sens propre. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[7079] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra, 1 Joan. 1, 8: si dixerimus quod peccatum non habemus, nos ipsos seducimus, et veritas in nobis non est. Constat autem quod non loquitur de mortali peccato, quia sine illo sunt sancti. Ergo oportet ponere peccatum veniale.

Cependant, [1] 1 Jn 1, 8 dit : Si n ous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous abusons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous. Or, il est certain qu’il ne parle pas du péché mortel, car, sans lui, ils sont saints. Il faut donc affirmer le péché véniel.

[7080] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, dispositio et habitus ad eamdem speciem qualitatis pertinent; unde invenitur scientia dispositio et habitus. Ergo oportet a simili quod in peccato inveniatur aliquid quod se habet per modum dispositionis, et aliquid quod habet perfectam rationem peccati. Dispositio autem ad peccatum mortale, est peccatum veniale. Ergo mortale peccatum oportet supponere veniale.

[2] La disposition et l’habitus appartiennent à la même espèce de qualité ; aussi la science est-elle une disposition et un habitus. De manière semblable, il faut donc qu’on trouve dans le péché quelque chose qui a le mode de la disposition, et quelque chose qui possède la raison parfaite de péché. Or, le péché véniel est une disposition au péché mortel. Il faut donc que le péché mortel suppose le péché véniel.

[7081] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod est duplex modus dividendi commune in ea quae sub ipso sunt, sicut est duplex communitatis modus. Est enim quaedam divisio univoci in species per differentias quibus aequaliter natura generis in speciebus participatur, sicut animal dividitur in hominem et equum, et hujusmodi; alia vero divisio est ejus quod est commune per analogiam, quod quidem secundum perfectam rationem praedicatur de uno dividentium, et de altero imperfecte et secundum quid, sicut ens dividitur in substantiam et accidens, et in ens actu et in ens potentia: et haec divisio est quasi media inter aequivocum et univocum; et talis divisio est peccati in mortale et veniale: quia ratio peccati perfecte in mortali invenitur; in veniali vero non nisi imperfecte et secundum quid; unde minimum quod potest esse de ratione peccati in aliquo actu est in veniali; sicut minimum quod potest esse de natura entis est in ente in potentia et in ente per accidens, et hoc ipsa nomina ostendunt: quia venia non debetur peccato nisi secundum quod aliquam imperfectionem peccati habet; mors autem debetur peccato inquantum peccatum est; et ideo mortale peccatum perfectum quid in genere peccati dicit, veniale autem imperfectum.

Réponse. Il existe une double manière de diviser ce qui est commun entre ce qui en fait partie, comme il existe une double manière d’être commun. En effet, il existe une division de ce qui est univoque en espèces selon les différences par lesquelles la nature du genre est également participée par les espèces, comme animal se divise en homme et en cheval, et ainsi de suite. Mais l’autre division concerne ce qui est commun par analogie, qui est prédiqué de l’un des membres selon la raison parfaite, et d’un autre, de manière imparfaite et relative, comme l’être se divise en substance et en accident, et en être en acte et en être n puissance. Cette division est pour ainsi dire intermédiare entre l’équivoque et l’univoque. Telle est la division du péché en mortel et véniel, car la raison de péché se trouve parfaitement dans le péché mortel, mais, dans le péché véniel, de manière imparfaite et relative. Aussi le moins qui puisse exister de la raison de péché dans un acte existe dans le péché véniel, comme le moins qui puisse exister de la nature de l’être existe dans l’être en puissance et dans l’être par accident. Et les noms mêmes le montrent, car le pardon n’est dû au péché que sous l’aspect où il possède une certaine imperfection du péché ; mais la mort est due au péché en tant que péché. C’est pourquoi le péché mortel indique quelque chose de parfait dans le genre du péché, mais le péché véniel, quelque chose d’imparfait.

[7082] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod mortale et veniale non conveniunt in peccato sicut in genere univoce de eis praedicato, sed sicut in eo quod eis per analogiam commune est.

1. Le péché mortel et le péché véniel n’ont pas en commun d’être des péchés comme s’ils faisaient partie d’un genre prédiqué de manière univoque, mais comme s’il s’agissait de quelque chose qu’ils ont en commun par analogie.

[7083] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod venia debetur alicui dupliciter: vel sicut ei quod indulgetur, vel sicut ei quod est indulgentiae ratio. Sicut ei quod indulgetur, non debetur alicui nisi peccato: quia nihil indulgetur, nisi quod poenam meretur. Sicut ei quod est indulgentiae ratio, nunquam venia peccato debetur, sed vel infirmitati, vel alicui quod facit imperfectionem in genere peccati. Peccatum autem veniale non dicitur veniale sicut remissionis ratio, sed sicut id quod facile remittitur propter imperfectionem peccati; unde per hoc quod dicitur veniale, non tollitur tota ratio peccati, sicut per hoc quod dicitur mortuum, tollitur tota ratio hominis. Unde non sequitur quod veniale peccatum non sit peccatum, sed est imperfectum quid in genere peccati.

2. Le pardon est dû pour quelque chose de deux manières : comme à quelque chose qui est accordé par bienveillance, ou comme à quelque chose qui est la raison de l’indulgence. Comme à quelque chose qui est accordé par bienveillance, [le pardon] n’est dû que pour le péché, car rien n’est accordé par bienveillance que ce qui mérite une peine. Comme à quelque chose qui est la raison de l’indulgence, le pardon n’est jamais dû pour un péché, mais pour une faiblesse ou pour quelque chose qui produit une imperfection dans le genre du péché. Mais on ne dit jamais que le péché véniel est la riason de la rémission, mais qu’il est quelque chose qui est facilement remis en raison de l’imperfection du péché. Lorsqu’on parle de péché véniel, on n’enlève donc pas complètement la raison de péché, comme lorsqu’on dit qu’un homme est mort, la raison d’homme est totalement enlevée. Il n’en découle donc pas que le péché véniel n’est pas un péché, mais qu’il est quelque chose d’imparfait dans le genre du péché.

[7084]

3.

[7085] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod peccatum quod completam rationem culpae habet, directe gratiae opponitur: peccatum vero veniale, quod imperfectam rationem culpae habet, non opponitur gratiae nisi indirecte, ut scilicet est dispositio quaedam ad mortale. Quae autem sic sunt opposita, non est inconveniens esse simul, sicut siccitas, quae dispositio est ad calorem, est simul cum frigore; unde non est inconveniens quod veniale sit culpa, et simul cum gratia.

4. Le péché qui possède entièrement la raison de faute s’oppose directement à la grâce ; mais le péché véniel, qui possède la raison imparfaite de faute, ne s’oppose à la grâce qu’indirectement, à savoir qu’il est une disposition au péché mortel. Or, il n’est pas approprié que des choses contraires existent en même temps, comme le fait pour la sécheresse, qui est une disposition à la chaleur, qu’elle existe en même temps que le froid. Il n’est donc pas inapproprié que le péché véniel soit une faute et existe en même temps que la grâce.

[7086] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod averti a fine incommutabili, est dupliciter: vel in habitu, vel in actu tantum. Secundum habitum avertitur qui sibi alium finem contrarium ponit, et hoc est in peccato mortali; unde qui peccat mortaliter, est sicut recedens a via. In actu vero tantum aliquis avertitur, quando aliquis actum aliquem facit quo in Deum non tendit, ex eo quod inordinate ei quod est ad finem inhaeret, non tamen ita ut illud quod est ad finem quasi finem constituat; et hoc est in peccato veniali; unde peccans venialiter similatur ei qui nimis moratur in via, et hoc non est averti nisi secundum quid: sicut etiam quod retardat motum corporis gravis, non aufert gravitatem suam et inclinationem in finem; auferret autem si contrarium sibi motum daret, ut quando ex gravi leve generatur.

5. Le détournement de la fin immuable se produit de deux manières : soit par un habitus, soit par un acte seulement. Le détournement par un habitus se donne une autre fin contraire : c’est le cas du péché mortel. Aussi celui qui pèche mortellement se compare-t-il à celui qui se détourne du chemin. Mais quelqu’un se détourne par un acte seulement lorsqu’il pose un acte par lequel il ne tend pas vers Dieu, du fait qu’il adhère de manière désordonnée à ce qui se rapporte à la fin, non pas au point cependant qu’il établisse comme fin ce qui se rapporte à la fin. Et cela se rencontre dans le péché véniel. Aussi celui qui pèche véniellement se compare-t-il qui reste trop longtemps en chemin, et cela ne consiste à se détourner que de manière relative. Ainsi ce qui retarde le mouvement d’un corps lourd ne lui enlève pas sa lourdeur et son inclination à la fin, mais il les lui enlèverait s’il lui donnait un mouvement contraire, comme lorsque quelque chose de léger est engendré par quelque chose de lourd.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum peccatum veniale distinguatur a mortali

Article 4 – Le péché véniel se distingue-t-il du péché mortel ?

[7088] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur, quod veniale peccatum a mortali non distinguatur. Quidquid enim tollit virtutem est mortale peccatum. Sed omne peccatum tollit virtutem: quia omne peccatum recessus ab aequalitate est; virtus autem aequalitas quaedam est. Ergo peccatum veniale a mortali non distinguitur.

1. Il semble que le péché véniel ne se distingue pas du péché mortel. En effet, tout ce qui enlève la vertu est un péché mortel. Or, tout péché enlève la vertu, car tout péché est un écart par rapport à l’égalité ; or, la vertu est une égalité. Le péché véniel ne se distingue donc pas du péché mortel.

[7089] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 4 arg. 2Praeterea, ea quae per se distinguuntur non transmutantur invicem. Sed veniale et mortale invicem transmutantur: quia nihil adeo est veniale quod non fiat mortale dum placet; similiter omnis culpa mortalis per confessionem fit venialis, ut Ambrosius dicit. Ergo veniale et mortale non distinguuntur nisi per accidens.

2. Les réalités distinctes par elles-mêmes ne se changent pas l’une en l’autre. Or, le péché véniel et le péché mortel se changent mutuellement l’un en l’autre, car rien n’est à ce point véniel qu’il ne devienne mortel, lorsque cela plaît ; de même, toute faute mortelle devient vénielle par la confession, comme le dit Ambroise. Le péché véniel et le péché mortel ne se distinguent donc que par accident.

[7090] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 4 arg. 3Si dicatur, quod peccatum mortale distinguitur a veniali, quia mortale est contra praeceptum, veniale praeter praeceptum; contra. In hoc differunt praecepta legis disciplinae a praeceptis legis naturalis, quod praecepta legis disciplinae prohibent ea quae non sunt mala nisi quia prohibita; praecepta vero legis naturalis prohibent ea quae sunt prohibita quia mala. Ergo in his quae lege naturali prohibentur, distinctio mali non sumitur ex prohibitione legis, sed potius ex ipsa natura actus.

3. Si on dit que le péché mortel se distingue du péché véniel parce que le péché mortel s’oppose à un commandement, et que le péché véniel néglige le commandement, on dira en sens contraire que les commandements de la loi qui sont objets d’enseignement diffèrent des commandements de la loi naturelle du fait que les commandements de la loi qui est objet d’enseignement défendent ce qui n’est mauvais que parce que cela est défendu, mais que les commandements de la loi naturelle défendent ce qui est défendu parce que cela est mal. Dans ce qui est défendu par la loi naturelle, on ne tire donc pas de l’interdiction de la loi la distinction du mal, mais plutôt de la nansture même d’un acte.

[7091] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 4 arg. 4Praeterea, praeter affirmationem nihil est nisi negatio, et praeter negationem nihil est nisi affirmatio, cum inter affirmationem et negationem nihil sit medium. Sed qui non facit quod praecepto affirmativo praecipitur, contra praeceptum committit: similiter qui facit quod praecepto negativo prohibetur, contra praeceptum facit. Ergo quicumque peccat praeter praeceptum, peccat contra praeceptum; et ita distinctio nulla est.

4. En dehors de l’affirmation n’existe que la négation, et en dehors de la négation n’existe que l’affirmation, puisqu’il n’y a pas de milieu entre l’affirmation et la négation. Or, celui qui n’accomplit pas ce qui est ordonné par un commandement affirmatif agit contre le commandement ; de même, celui qui accomplit ce qui est défendu par un commandement négatif agit contre le commandement. Quiconque néglige un commandement pèche donc contre le commandement. Il n’y a donc pas de distinction.

[7092] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 4 arg. 5Si dicatur, quod differunt mortale et veniale ex hoc quod veniale est exitus a medio virtutis, tamen prope medium, mortale autem exitus longinquus a medio, sicut dicit philosophus in 2 Ethic., quod qui parum secedit a medio, non vituperatur, contra. Quia, sicut ibidem dicitur, non est determinatum apud nos, quando multum et quando parum a medio recedatur. Si ergo non differat veniale a mortali nisi secundum parvum et magnum recessum, non posset apud nos determinari quod esset peccatum mortale et quod veniale: quod esset valde periculosum.

5. Si l’on dit que le péché mortel et le péché véniel diffèrent du fait que le pécé véniel s’écarte du milieu de la vertu, en demeurant toutefois près du milieu, mais que le péché mortel s’écarte beaucoup du milieu, comme le Philosophe dit dans Éthique, II, que celui qui s’écarte peu du milieu n’est pas blâmé, car, ainsi qu’il le dit au même endroit, ce qui s’écarte beaucoup ou peu du milieu n’est pas fixe pour nous. Si donc le péché véniel ne diffère du péché mortel que par un petit et un grand écart, on ne pourrait déterminer pour nous ce qui serait péché mortel et ce qui serait péché véniel, ce qui serait très dangereux.

[7093] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 4 s. c. 1Sed contra, diversitas poenarum respondet diversitati culpae. Sed poena temporalis differt ab aeterna. Ergo et peccatum veniale differt a mortali; cum uni debeatur poena temporalis, alteri aeterna.

Cependant, [1] la diversité des peines correspond à la diversité des fautes. Or, une peine temporelle diffère d’une peine éternelle. Le péché véniel diffère donc du péché mortel, puisqu’à l’un est due une peine temporelle, et à l’autre une peine éternelle.

[7094] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 4 s. c. 2Praeterea, in quolibet genere perfectum et imperfectum habent determinatam distinctionem. Sed veniale et mortale differunt ut perfectum et imperfectum in genere peccati, ut ex praedictis patet. Ergo oportet quod habeant determinatam distinctionem ad invicem.

[2] En chaque genre, le parfait et l’imparfait se distingue d’une manière déterminée. Or, le péché véniel et le péché mortel diffèrent comme le parfait et l’imparfait dans le genre du péché, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut. Il est donc nécessaire qu’ils se disitinguent l’un de l’autre d’une manière déterminée.

[7095] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod, ut ex dictis patet, veniale peccatum dicitur cujus reatus facile solvitur; et ideo veniale tripliciter dicitur. Uno modo dicitur veniale ex causa; quod quidem facile remissibile est, quia causa peccati quamdam rationem veniae habet, sicut ea quae per ignorantiam et infirmitatem peccantur. Secundo dicitur veniale ab eventu, quia scilicet per aliquid peccato superveniens, efficitur poena ejus cito solubilis, sicut confessio adveniens peccato mortali, facit poenam ejus proportionatam viribus poenitentis virtute clavium. Tertio dicitur veniale, quando ipse actus per se facile remissibilis est, eo quod non perfecte pertingit ad plenam rationem peccati: et istud proprie dicitur veniale de quo nunc agitur, quod a mortali distinguitur. Primo enim et secundo modo dictum veniale non distinguitur a mortali: quia mortale potest per ignorantiam fieri, et illud quod est mortale, fit veniale per confessionem. Imperfectio autem peccati potest esse dupliciter: vel ex genere actus, vel ex parte peccantis. Genus autem ipsius actus sumitur ex materia et objecto; unde sicut dicitur bonum ex genere propter debitam materiam, ita malum ex genere propter indebitam; et est veniale ex genere propter materiam in qua peccatur. In illa autem materia peccatum perfecte invenitur in qua si peccetur, virtus caritatis ad Deum et ad proximum dissolvitur, per quam vita est animae; et ideo quando aliquis peccat in his sine quibus recte servatis non remanet subjectio hominis ad Deum, et foedus humanae societatis, tunc est peccatum mortale ex genere: et talia peccata philosophus malitias appellat; unde vult quod non omnis vitiosus sit malus: sicut patet quod non potest homo debite Deo esse subjectus, si Deo non credat, si ei non obediat, et hujusmodi. Similiter etiam societas humanae vitae servari non posset, nisi unicuique servaretur quod suum est; et ideo furtum et aliae species injustitiae sunt peccata mortalia ex genere, et similiter est in omnibus aliis. Ea vero sine quibus societas humana servari potest, non faciunt peccatum esse mortale ex genere, quamvis etiam deformis actus sit: sicut superfluus ludus, et aliquid hujusmodi: et talia dicuntur venialia ex genere. Sed sicut quod est bonum ex genere, potest fieri male, et non e converso; ita quod est veniale ex genere, tali modo potest fieri quod erit mortale, ut si credatur esse mortale quod veniale est, et si tantum quis in re temporali delectatur ut finem sibi in ea constituat: quia sic non servatur debita reverentia ad Deum, qui est ultimus finis, et citra quem omnia sunt diligenda. Ex parte vero peccantis est imperfectio peccati, propter imperfectionem potentiae elicientis actum, sicut primi motus sensualitatis, qui deliberationem praecedunt, peccata venialia sunt, quamvis in materia sint mortalis peccati. Sed haec sunt venialia per accidens; et ideo adveniente consensu rationis deliberatae, efficiuntur mortalia.

Réponse. Comme cela ressort de ce qui a été dit, on appelle véniel le péché dont la dette est facilement acquittée. On parle donc de véniel de trois manières. Premièrement, on parle de véniel en raison de la cause : il est facilement rémissible parce que la cause du péché comporte une raison de pardon, comme les péchés commis par ignorance et faiblesse. Deuxièmement, on parle de véniel en raison d’un événement, lorsque, quelque chose s’ajoutant au péché, sa peine peut être aussitôt remise, comme lorsque la confession s’ajoute au péché mortel, elle rend sa peine proportionnée aux capacités du pénitent en vertu des clés. Troisièmement, on parle de véniel lorsque l’acte lui-même peut être facilement remis par lui-même, du fait qu’il n’atteint pas la pleine raison de péché. Celui-ci, donc il est maintenant question, est appelé véniel au sens propre et il se distingue du péché mortel. En effet, ce qu’on appelle véniel de la première et de la deuxième manière ne se distingue pas de ce qui est mortel, car un péché mortel peut être commis par ignorance, et ce qui est mortel devient véniel par la confession. Or, l’imperfection du péché peut exister de deux manières : soit par le genre de l’acte, soit du côté de celui qui pèche. Le genre de l’acte lui-même vient de la matière et de l’objet. De comme que ce qui est bon par son genre vient d’une matière appropriée, de même ce qui est mauvais par son genre vient-il d’une [matière] ianppropriée ; et ce qui est véniel par son genre vient de la matière par laquelle on pèche. Or, le péché se trouve parfaitement dans la matière par laquelle on pèche si, par elle, la vertu de charité envers Dieu et envers le prochain, par laquelle existe la vie de l’âme, est détruite. Lorsque quelqu’un pèche en ce qui n’étant pas correctement préservé, la soumission de l’homme à Dieu et le lien de la société humaine ne subsistent pas, on a alors un péché mortel par son genre. Ce sont de tels péchés que le Philosophe appelle des « vices » ; il veut donc que tout « vicieux » soit mauvais, comme il ressort que l’homme ne peut être correctement soumis à Dieu s’il ne croit pas en Dieu, s’il ne lui obéit pas, et ainsi de suite. De la même manière, la société humaine ne peut être préservée que si l’on rend à chacun ce qui lui appartient ; c’est pourquoi le vol et les autres espèces d’injustice sont des péchés mortels par leur genre, et il en va de même pour tous les autres. Mais ce sans quoi la société humaine peut être sauvegardée ne fait pas qu’un péché est mortel par son genre, bien que l’acte soit aussi difforme : ainsi, le jeu superflu et quelque chose de ce genre. Ces péchés sont appelés véniels par leur genre. Mais de même que ce qui est bon par son genre peut devenir mauvais, mais non le contraire, de sorte que ce qui est véniel par son genre pourra ainsi devenir mortel, comme si l’on croit que ce qui est véniel est mortel, et si l’on prend tellement plaisir à une réalité temporelle qu’on y met sa fin, car ainsi n’est pas respectée la révérence qui est due à Dieu, qui est la fin ultime et en regard de qui tout doit être aimé. Du côté de celui qui pêche, l’imperfection du péché existe en raison de l’imperfection de la puissance dont l’acte est issu, comme les premiers mouvements de sensualité, qui précèdent la délibération, sont des péchés véniels, bien qu’ils soient un péché mortel par leur matière. Mais ceux-ci sont véniels par accident. C’est pourquoi, advenant le consentement de la raison délibérée, ils deviennent mortels.

[7096] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod veniale non corrumpit virtutem quantum ad habitum (hoc enim mortalis est proprium); sed exit ab aequalitate quam ratio ponit in actu virtutis.

1. Le péché véniel ne corrompt pas la vertu pour ce qui est de l’habitus (cela est propre au péché mortel), mais il s’écarte de l’égalité que la raison établit dans l’acte vertueux.

[7097] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 4 ad 2Ad secundum patet solutio per ea quae dicta sunt: quia procedit de veniali ex eventu; et iterum quod veniale fiat mortale non est inconveniens, sicut etiam quod est bonum ex genere, potest male fieri.

2. La solution du deuxième argument ressort clairement de ce qui a été dit, car il vient d’un péché véniel en raison d’ne circonstance. De plus, qu’un péché véniel devienne mortel n’est pas inapproprié, de même que ce qui est bien en raison de son genre peut devenir mal.

[7098] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod praecepta legis intendunt hominem ordinare ad dilectionem proximi et Dei: quia finis praecepti est caritas, 1 Tim. 1; et ideo illa sola mortalia sunt ex genere de quibus dictum est: haec enim directe fiunt contra praecepta legis, non solum legis scriptae, sed etiam naturalis. Quamvis autem aliquid non sit malum, quia est prohibitum lege exteriori, tamen ideo est malum, quia prohibetur lege interiori: lex enim interior est ipsum lumen rationis, quo agenda discernimus: et quidquid in humanis actibus huic lumini est consonum, totum est rectum; quod autem contra hoc lumen est, homini est innaturale et malum; et pro tanto malum dicitur, quia prohibetur interiori lege.

3. Les commandements de la loi ont comme but d’orienter l’homme vers l’amour du prochain et de Dieu, car la fin du commandement est la charité, 1 Tm 1. C’est pourquoi on appelle mortels par leur genre seulement ceux dont on a parlé. En effet, ceux-là vont directement à l’encontre des commandements de la loi, non seulement de la loi écrite, mais aussi de [la loi] naturelle. Toutefois, bien que quelque chose ne soit pas mal parce qu’il est interdit par la loi extérieure, cela est cependant mal parce que cela est interdit par la loi intérieure. En effet, la loi intérieure est la lumière même de la raison, par laquelle nous discernons ce qui doit être fait, et tout ce qui est en harmonie avec cette lumière dans les actes humains est entièrement droit ; mais ce qui est contraire à cette lumière n’est pas naturel pour l’homme et est mal. Cela est mal dans la mesure où cela est interdit par la loi intérieure.

[7099] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod affirmatio opposita praecepto negativo est et praeter praeceptum et contra praeceptum: similiter et negatio opposita affirmativo; sed quaedam negationes et affirmationes sunt non oppositae directe ipsis praeceptis affirmativis et negativis, sed indirecte, quia disponunt ad ea quae directe opponuntur; et ideo hujusmodi sunt praeter praeceptum; haec enim etiam hoc modo non discordant a lumine rationis ut ab ultimo fine abducentia, sed ut quaedam impedimenta finis.

4. Une affirmation contraire à un commandement négatif est à la fois en dehors du commandement et contre le cmmandement. De même, une négation contraire à [commandement] négatif. Mais il existe certaines négations et affirmations qui ne sont pas directement contraires aux commandements affirmatifs et négatifs eux-mêmes, mais indirectement, car elles disposent à ce qui s’y oppose directement. C’est pourquoi celles de ce genre sont en dehors du commandement. En effet, ces choses ne sont pas en désaccord avec la lumière de la raison en écartant de la fin ultime, mais en posant certains obstacles à la fin.

[7100] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod hoc modo esse proximum medio vel remotum, ut dictum est, facit peccatum mortale et veniale, et non sicut objectio tangit: ut sit differentia secundum hoc quod est abduci a fine virtutis et non abduci, et non solum secundum intentionem et remissionem circumstantiarum, ut objectio procedit.

5. Être ainsi proche ou éloigné du milieu constitue un péché mortel et véniel ainsi qu’on l’a dit, et non comme l’objection le soutient, à savoir qu’il existe une différence entre être éloigné de la fin de la vertu et ne pas en être éloigné, et non seulement selon l’intensité et le relâchement des circonstances, comme le soutient l’objection.

ARTICULUS 5 Utrum peccatum mortale et veniale differant per poenam aeternam et temporalem

Article 5 – Le péché mortel et le péché véniel diffèrent-ils par la peine éternelle et la peine temporelle ?

[7102] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur quod peccatum mortale et veniale non differant per aeternam poenam et temporalem. Quaecumque enim finita sunt, possunt habere aliquam proportionem ad invicem. Sed conversio quae est in peccato veniali, finita est; et similiter quae est in peccato mortali. Ergo proportionabiles sunt. Sed secundum mensuram delectationis, quae ex parte conversionis se tenet, est quantitas poenae; Apoc. 18, 7: quantum glorificavit se et in deliciis fuit, tantum date illi tormentum et luctum. Ergo et poena venialis debet proportionari poenae mortali; et ita non differunt secundum aeternum et temporale.

1. Il semble que le péché mortel et véniel ne diffèrent pas par la peine éternelle et la peine temporelle. En effet, toutes les réalités finies peuvent avoir une proportion entre elles. Or, la conversion du péché véniel est finie ; de même en est-il de [la conversion] du péché mortel. Elles peuvent donc être proportionnées. Or, la quantité de la peine se prend de la mesure de l’amour, qui relève de la conversion. Ap 18, 7 : Donnez-lui autant de tourment et d’affliction qu’il s’est glorifié et a connu de plaisirs. La peine vénielle doit donc être proportionnée à la peine mortelle, et ainsi [le péché véniel et le péché mortel] ne diffèrent pas [une peine] éternelle et [une peine] temporelle.

[7103] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 arg. 2Praeterea, secundum quantitatem culpae est quantitas poenae. Sed ille qui peccat mortaliter, non peccat infinito tempore, quamvis in infinitum bonum peccet. Ergo etiam non debet puniri aeterna poena, sed damno infiniti boni ad tempus.

2. La quantité de la peine correspond à la quantité de la faute. Or, celui qui pèche mortellement ne pêche pour un temps iinfini, même s’il pèche contre le bien infini. Il ne doit donc pas être puni d’une peine éternelle, mais par la perte du bien infini pour un certain temps.

[7104] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 arg. 3Si dicatur, quod punitur aeternaliter, quia peccavit in suo aeterno; contra. Quia multi sunt qui non toto tempore vitae suae in peccati actu perdurant; sed dum peccant, cogitant se quandoque a peccati actu recessuros. Ergo talis secundum hoc in suo aeterno non peccavit; et ita non debet puniri aeterna poena.

3. Si l’on dit qu’il est puni éternellement parce qu’il a péché pour l’éternité, on objectera qu’il y en a beaucoup qui ne persistent pas dans l’acte du péché pendant toute la durée de leur vie, mais qui, lorsqu’ils pèchent, pensent qu’ils s’éloigneront de l’acte du péché à un certain moment. Celui-là n’a donc pas ainsi péché poour l’éternité, et ainsi il ne doit pas être puni d’une peine éternelle.

[7105] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 arg. 4Praeterea, nullus judex, nisi sit crudelis, infligit poenam quasi delectatus in poena, sed propter emendationem. Si igitur Deus est piissimus judex, non infligit poenam pro peccato mortali, nisi propter emendationem eorum quae punit; et ita videtur quod non in aeternum puniat.

4. Aucun juge, à moins qu’il ne soit cruel, n’inflige une peine comme s’il prenait plaisir à la peine, mais en vue de la correction. Si donc Dieu est un juge très bienveillant, il n’inflige de peine pour le péché mortel que pour la correction de ce qu’il punit. Et ainsi, il semble qu’il ne punisse pas éternellement.

[7106] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 arg. 5Sed contra, videtur quod etiam veniali debeatur poena aeterna. Quia contingit quod aliquis toto tempore vitae suae in peccato veniali perduret. Si igitur aliquis punitur aeternaliter, ut dicit Gregorius, quia in suo aeterno peccavit, videtur quod talis aeternaliter puniri debeat.

5. Cependant, il semble qu’une peine éternelle soit due même pour le péché véniel, car il arrive que quelqu’un persisste dans le péché véniel pendant toute la durée de sa vie. Si donc quelqu’un est puni éternellement, comme le dit Grégoire, parce qu’il a péché contre son éternité, il semble que celui-l`doive être puni éternellement.

[7107] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 arg. 6Praeterea, ponatur quod aliquis moriatur in peccato mortali et veniali: constat quod iste statim ut moritur, ad Infernum descendit. Cum ergo veniale non remaneat impunitum, ibi punitur non tantum pro mortali, sed etiam pro veniali. Sed poena Inferni est aeterna; quia in Inferno nulla est redemptio. Ergo peccatum veniale aeterna poena punitur.

6. À supposer que quelqu’un meure dans le péché mortel et le péché véniel, il est certain que celui-là descend en enfer dès qu’il meurt. Puisque le péché véniel ne deemeure pas impuni, il y est puni non seulement pour le péché mortel, mais aussi pour le péché véniel. Or, la peine de l’enfer est éternelle, car il n’y a pas de rédemption en enfer. Le péché véniel est donc puni d’une peine éternelle.

[7108] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 arg. 7Praeterea, sit ita quod aliquis ad perfectam aetatem veniat imbaptizatus, in qua jam peccati poena reus teneri potest, et in primo instanti illius temporis venialiter peccet, et moriatur: constat quod ille pro peccato veniali punitur. Non autem in Limbo puerorum, quia poena sensibilis, quae veniali debetur, non est ibi: nec etiam in Purgatorio, quia gratiam non habet, sine qua nulla purgatio peccati esse potest. Ergo punietur in Inferno pro veniali: et ita veniale ad mortem aeternam obligat, sicut et mortale.

7. À supposer que quelqu’un parvienne à l’âge adulte sans avoir été baptisé, pendant lequel il peut déjà être tenu coupable d’une peine pour le péché, et qu’il pèche véniellement dans le premier instant de cette période et meure, il est certain que celui-l`est puni pour un péché véniel. Or, ce n’est pas dans les limbes des enfants, car il n’y existe pas de peine sensible, qui est due pour un péché véniel ; ce n’est pas non plus dans le purgatoire, car il n’a pas la grâce, sans laquelle aucune purification du péché ne peut exister. Il sera donc puni en enfer pour un péché véniel, et ainsi le péché véniel oblige à la mort éternelle, comme le péché mortel.

[7109] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod ratio quare mortale peccatum ad aeternam poenam obligat, potest sumi ex tribus. Primo ex parte ejus in quem peccatur, qui est infinite magnus, scilicet Deus, unde et offensa illius infinita poena digna est; quia quanto est dignior in quem peccatur, tanto peccatum magis punitur. Secundo ex voluntate peccantis. Constat enim quod peccans mortaliter, finem delectationis suae in eo quo mortaliter peccat, ponit, ut etiam Deum pro illo contemnat. Constat autem quod quicumque summe diligit aliquid sicut finem suae voluntatis, ex hoc ipso vellet semper sibi adhaerere: et ideo peccans mortaliter illo actu voluntatis quo peccatum mortale eligit, eligit peccato semper adhaerere, nisi per accidens retrahatur vel timore poenae, vel aliquo hujusmodi; sed si infinite adhaerere posset, semper adhaereret: et ideo in suo aeterno peccat, et propter hoc aeterna poena est dignus. Tertio ex ipso statu peccantis mortaliter, qui per peccatum gratia privatur; unde cum sine gratia non possit fieri remissio culpae, si in peccato mortali moriatur, semper in culpa remanebit, cum ulterius non sit gratiae susceptibilis. Manente autem culpa, semper est obnoxius poenae; alias remaneret aliquid inordinatum in universo; et ideo talis in aeternum punietur. Peccatum vero veniale neque contra Deum est, neque in eo finis constituitur, neque gratia privat: et ideo non debetur sibi poena aeterna, sed tantum temporalis.

Réponse. La raison pour laquelle le péché mortel oblige à une peine éternelle vient de trois choses. Premièrement, [elle vient] du côté de celui contre qui l’on pêche, qui est infiniment grand, à savoir Dieu ; aussi l’offense qui est faite à celui-ci est-elle digne d’une peine infinie, car celui contre qui l’on pèche est digne, plus le péché est puni. Deuxièmement, [elle vient] de la volonté de celui qui pêche. En effet, il est certain que celui qui pêche mortellement place la fin de son plaisir dans ce en quoi il pêche mortellement, de sorte qu’il méprise ainsi aussi Dieu. Or, il est certain que tous ceux qui aiment quelque chose au plus haut comme la fin de leur volonté veulent par le fait même y être attachés pour toujours ; celui qui pêche mortellement, par l’acte même de sa volonté par lequel il choisit le péché mortel, choisit d’petre pour toujours attaché au péché, à moins qu’il n’en soit empêché par la crainte de la peine ou par quelque chose de ce genre. Mais s’il pouvait y être attaché pour toujours, il y serait attaché. C’est pourquoi il pêche pour son éternité et, pour cette raison, il est digne d’une peine éternelle. Troisièmement, [il vient] de l’étant même de celui qui pêche mortellement, qui est privé de la grâce par le péché. Puisque la rémission d’une faute ne peut être être accomplie sans la grâce, s’il meurt dans le péché mortel, il demeurera toujours dans sa faute, puisqu’il ne peut plus recevoir la grâce. Or, aussi lonttemps que dure la faute, il est sujet à la peine, autrement, il resterait quelque chose de désordonné dans l’univers. C’est pourquoi celui-là sera puni pour l’éternité. Mais le péché véniel n’est pas contraire à Dieu, on n’en fait pas sa fin et il ne prive pas de la grâce. Une peine éternelle ne lui est donc pas due, mais seule une peine temporelle.

[7110] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod conversio mortalis et venialis peccati non sunt proportionabiles; quia per unam adhaeretur rei temporali ut fini, per aliam ut ei quod est ad finem: et haec duo non sunt proportionabilia, quia non sunt ejusdem generis: proportio enim est commensuratio quantitatum ejusdem generis, ut dicitur in 5 Euclidis.

1. La conversion du péché mortel et celle du péché véniel ne peuvent être objet de proportion, car, par l’une, on adhère à une réalité temporelle comme à sa fin et, par l’autre, on y adhère comme à ce qui est ordonné à la fin. Et ces deux choses ne peuvenet être l’objet d’une proportion, car elles ne font pas partie du même genre. En effet, la proportion est la mesure de quantités du même genre, comme le dit le cinquième livre d’Euclide.

[7111] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 ad 2Ad secundum dicendum, quod ex hoc quod contra infinitum peccat, debetur sibi poena infinita. Non autem potest esse infinita acerbitate, quia in creatura finita non potest esse qualitas infinita; sed recompensatur per durationem infinitam, quia creatura rationalis durationis in infinitum capax est: et quia actualiter peccavit, debetur sibi non solum poena damni, sed etiam poena sensus.

2. Du fait qu’il pèche contre quelque chose d’infini, une peine infinie lui est due. Or, elle ne peut être infinie par sa dureté, car il ne peut y avoir de qualité infinie dans une créature finie ; mais elle est compensée par une durée infinie, car la créature raisonnable est capable d’une durée infinie. Et parce qu’il a péché en acte, lui est due non seulement la peine du dam, mais aussi la peine du sens.

[7112] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 ad 3Ad tertium dicendum, quod non dicitur in suo aeterno peccasse quia semper in actu peccati permanserit; sed quia in uno actu voluntatis adhaesit peccato tali modo, ut ei in aeternum adhaereret, si impune posset. Vel dicendum, quod dicitur in suo aeterno peccasse qui mortaliter peccavit, quia privavit se gratia per peccatum mortale, sine qua homo non potest a peccato liberari: et ideo impotentem se reddidit ad resurgendum; unde quantum in ipso fuit, se obligavit ut in peccato in aeternum permaneret.

3. On ne dit pas qu’il a péché pour l’éternité parce qu’il serait toujours demeuré dans l’acte du péché, mais parce que, par une seul acte de sa volonté, il s’est attaché au péché de telle sorte qu’il s’y attacherait pour l’éternité, si celui-ci resstait impuni. Ou bien il faut dire qu’on parle de pécher pour l’éternité pour celui qui a péché mortellement, car il s’est privé de la grâce par le péché mortel, sans lalquelle l’homme ne peut être libéré du péché. Il s’est donc rendu incapable de se relever. Ainsi, pour ce qui est de lui, il s’est obligé de demeurer éternellement dans le péché.

[7113] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod Deus non infligit poenam aeternam quasi in poena propter poenam delectatus, sed quia delectatur in ordine justitiae suae, cujus pulchritudo apparet in perpetua poena perpetuae culpae.

4. Dieu n’inflige pas une peine éternelle comme s’il prenait plaisir à la peine pour la peine, mais parce qu’il prend plaisir à l’ordre de sa justice, dont la beauté apparaît dans une peine perpétuelle pour une faute perpétuelle.

[7114] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod peccans venialiter non peccat in suo aeterno, quia neque adhaeret peccato veniali ut fini, quia jam esset mortale, neque etiam impotentem se reddit ad resurgendum; et ideo non debetur sibi poena aeterna, quamvis fortasse toto tempore vitae suae in veniali permaneat.

5. Celui qui pêche véniellement ne pèche pas pour l’éternité, car il ne s’attache pas au péché véniel comme à sa fin, puisque ce serait déjà la un [péché] mortel ; il ne se rend pas non plus incapable de se relever. C’est pourquoi une peine éternelle ne lui est pas due, bien qu’il demeure peut-être pour toute la durée de sa vie dans le péché véniel.

[7115] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 ad 6Ad sextum dicendum, quod ille qui decedit cum mortali et veniali simul punitur in Inferno pro veniali, et punitur in aeternum; longe tamen minus acerba poena quam illa quae est pro mortali. Hoc autem accidit veniali, inquantum mortali conjunctum est, quod gratia privat, sine qua nulla poena potest esse purgativa et expiativa.

6. Celui qui meurt avec le péché mortel et le péché véniel est puni en même temps dans l’enfer pour le péché véniel, et il est puni éternellement. Toutefois, sa peine est beaucoup moins intense que celle qui [est due] pour le péché mortel. Mais cela survient pour le péché véniel parce qu’il est joint au péché mortel, qui prive de la grâce sans laquelle aucune peine ne peut être purificatrice et expiatoire.

[7116] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 ad 7Ad septimum dicendum, quod positio illa est impossibilis: quod sic patet. Si enim aliquid est sufficiens ad excusandum peccatum majus, multo amplius sufficit ad excusandum minus. Sed imperfectio aetatis excusat peccatum mortale, ut puer nondum usum liberi arbitrii habens peccati mortalis reus non habeatur, etiam si actum faciat qui ex genere peccatum mortale sit; unde multo amplius excusat infantia ne peccatum veniale imputetur; et ideo non potest esse quod homo venialiter peccet ante illud tempus quo usum rationis habet, ut jam mortaliter peccare possit. Statim autem ut ad tempus illud pervenit, vel gratiam habet, vel in peccato mortali est: quia si facit quod in se est, Deus ei gratiam infundit; si autem non facit, peccat mortaliter: quia tunc est tempus ut de salute sua cogitet, et ei operam det; et ideo positio est impossibilis. Si tamen ponatur per impossibile, tunc talis punietur poena sensibili in Inferno, et poena illa erit aeterna. Sed hoc accidit veniali inquantum est sine gratia.

7. Cette position est impossible, ce qui ressort de la manière suivante. En effet, si quelque chose suffit à excuser un péché plus grand, cela suffit d’autant plus à en excuser un plus peetit. Mais l’imperfection de l’âge excuse le péché mortel, de sorte qu’un enfant qui n’a pas encore l’usage du libre arbitre ne sera pas tenu coupable d’un péché mortel, même s’il commet un acte qui, par son genre, est un péché mortel. Aussi l’enfance excuse-t-elle encore bien plus qu’un péché véniel lui soit imputé. C’est pourquoi il ne peut arriver qu’un homme pèche véniellement avant d’avoir le moment où il a l’usage de la raison, alors qu’il peut déjà pécher mortellement. Mais dès qu’il a atteint cet âge, soit il a la grâce, soit il est dans le péché mortel, car, s’il fait ce qui est en son pouvoir, Dieu lui infuse la grâce ; mais s’il ne le fait pas, il pèche mortellement, car c’est alors le moment où il pense à son salut et lui accorde son attention. C’est pourquoi cette position est impossible. Cependant, si elle est affirmée par impossible, alors cet homme sera puni de la peine sensible en enfer, et cette peine sera éternelle. Mais cela arrive au [péché] véniel pour autant qu’il existe sans la grâce.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 42, 1

[7117] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 1 a. 5 expos.Quidam dicunt unum esse peccatum, alii vero dicunt diversa esse peccata. Utraque opinio est vera aliquo modo intellecta: quia si accipiatur voluntas conjuncta actui, sic voluntas et actus exterior sunt unum peccatum; si autem sumatur voluntas separata ab actu, sic sunt duo peccata numero, sed unum specie. Ad quod illi etiam dicunt. Praeter istam responsionem quae hic ponitur, potest esse alia, quae in primo articulo posita est. Praeterea solet quaeri, cum ab aliquo perpetrato voluntate peccato voluntas id agendi et actio transierit (...) utrum illud peccatum, usquequo poeniteat, sit in eo. Cum in peccato non solum sit actus et reatus, sed etiam macula; videtur insufficienter procedere, cum de macula mentionem non faciat. Sed dicendum, quod macula est medium inter actum peccati et reatum, quasi effectus actus et fundamentum reatus; et ideo per extrema medium intelligitur. Nec unquam est in aliquo peccatum actu, praeter originale, quin sit etiam reatu. Ratio hujus est quia actus peccati inordinatus causat maculam et reatum. Posita autem causa non potest effectus non esse; et ideo impossibile est ut simul dum actus peccati manet, reatus transeat. Sed quomodo hoc in originali esse possit, supra dictum est. Duo enim sunt peccatorum genera. Hoc dicitur ad ostendendum quod divisio peccati in mortale et veniale, non est univoci divisio: quia sic mortale et veniale dicerentur duae species peccatorum: sed est divisio analogi: et propter hoc dicuntur mortale et veniale esse genera peccatorum, quasi non communicantia unum genus.

 

 

 

QUAESTIO 2

Question 2 – [Les distinctions entre les péchés]

PROOEMIUM

Prologue

[7118] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 pr. Modi autem peccatorum varias in Scriptura distinctiones habent. In parte praecedenti determinavit Magister quaedam quae requiruntur ad peccatum quasi partes integrantes ipsum: hic determinat diversas peccatorum divisiones; et dividitur in partes duas: in prima prosequitur divisionem peccatorum capitalium, ibi: praeterea sciendum est septem esse vitia capitalia. Prima dividitur in duas: in prima ponit quasdam distinctiones peccatorum, quae sumuntur ex parte rei; in secunda ponit quamdam quae sumitur ex parte nominis, ibi: variam quoque appellationem habet. Circa primum tria facit: primo distinguit modos peccatorum penes motiva sive radices; secundo penes actus, in quibus peccatum consistit, ibi: alii vero dicunt, peccatum fieri tribus modis; tertio penes objecta, ibi: dicitur quoque homo peccare in Deum, in se, et in proximum. Praeterea sciendum est, septem esse vitia capitalia. Hic ponit distinctionem capitalium vitiorum; et dividitur in duas: in prima enumerat capitalia vitia; in secunda reducit ea in unum principium, ibi: ex superbia tamen omnia mala oriuntur. Et circa hoc tria facit: primo ostendit superbiam esse originem capitalium vitiorum; secundo objicit in contrarium, ibi: huic autem videtur obviare quod apostolus ait; tertio solvit, ibi: sed utrumque recte dictum est. Circa primum duo facit: primo ostendit superbiam esse principium omnium peccatorum; secundo assignat superbiae species, ibi: hujus quatuor sunt species. Hic quinque quaeruntur: 1 de distinctione peccatorum quae sumitur penes radices; 2 de divisione peccatorum quae sumitur penes actum; 3 de divisione vitiorum capitalium; 4 de distinctione specierum superbiae quae in littera assignantur; 5 utrum peccatorum sic distinctorum possit esse aequalitas in gravitate culpae.

« Les manières de pécher ont diverses distdinctions dans l’Écriture. » Dans la partie précédente, le Maître a déterminé de ce qui est nécessaire au péché pour ainsi dire comme ses parties intégrantes. Ici, il détermine de diverses divisions des péchés. Cela se divise en deux parties : dans la première, il s’occupe de la division des péchés capitaux, à cet endroit : « De plus, il faut savoir qu’il y a sept vice capitaux. » La première se divise en deux [parties] : dans la première, il présente certaines distinctions entre les péchés prises du côté de la la réalité ; dans la seconde, il en présente une qui est prise du côté du nom, à cet endroit : « Il possède aussi diverses appellations. » À propos du premier point, il fait trois choses. Première, il distingue les manières de pécher selon leurs motifs ou leurs racines ; deuxièmement, selon les actes dans lesquels le péché consiste, à cet endroit : « D’autres disent que le péché est accompli de trois manières »`troisièmement, selon les objets, à cet endroit : « On dit aussi que l’homme pèche contre Dieu, contre lui-même et contre le prochain. » « De plus, il faut savoir qu’il y a sept vice capitaux. » Ici, [le Maître] présente la distinction entre les vices capitaux. Cela se divise en deux : dans la première [partie], il énumère les vices capitaux ; dans la seconde, il les ramène à un seul principe, à cet endroit : « Cependant, tous les maux proviennent de l’orgueil. » À ce sujet, il fait trois choses : premièrement, il montre que l’orgueil est l’origine des vices capitaux ; deuxièmement, il présente une objection en sens contnraire, à cet endroit : « À cela semble s’opposer ce que l’Apôtre dit… » ; troisièmement, il résout [l’objection], à cet endroit : « Mais les deux choses ont été correctement affirmées. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que l’orgueil est le principe de tous les péchés ; deuxièmement, il montre les espèces d’orgueil, à cet endroit : « Il en existe quatre espèces. » Ici, cinq questions sont posées : 1. À propos de la distinction entre les péchés, qui est prise à partir de ses racines. 2. À propos de la division entre les péchés selon l’acte. 3. À propos de la division des vices capitaux. 4. À propos de la distinction entre les espèces d’orgueil, qui est indiquée dans le texte. 5. Peut-il exister une égale gravité de faute entre les péchés ainsi distingués ?

[7119]

 

ARTICULUS 1 Utrum peccata distinguantur penes radices

Article 1 – Les péchés se distinguent-ils par leurs racines ?

[7120] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter penes radices distinguantur peccata. Radix enim est similis fundamento. Sed peccatum non habet fundamentum, ut dicitur in Glossa Matth. 7. Ergo non habet radicem; ergo penes radices non debent distingui peccata.

1. Il semble que les péchés soient distingués selon leurs racines de manière ianppropriée. En effet, la racine est semblable au fondement. Or, le péché n’a pas de confemet, comme il est dit dans la Glose à propos de Mt 7. Il n’a donc pas de racine. Les péchés ne doivent donc pas être distingués par leurs racines.

[7121] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 2Praeterea, radix arboris non est arbor. Ergo radix peccati non debet esse peccatum. Sed cupiditas male incendens, et timor male humilians, peccata quaedam sunt. Ergo inconvenienter radices peccatorum assignantur.

2. La racine d’un arbre n’est pas l’arbre. Donc, la racine du péché ne doit pas être le péché. Or, la convoitise qui attise mal et la crainte qui humilie mal sont des péchés. Les racines des péchés sont donc attribuées de manière inappropriée.

[7122] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 3Praeterea, timor ex amore nascitur. Sed illud ex quo nascitur aliquid, potest dici radix ejus. Ergo amor est radix timoris, et ita omnium quae ex timore generantur; et sic timor contra cupiditatem, quae est amor, distingui non debet tamquam radix opposita.

3. La crainte naît de l’amour. Or, ce dont naît quelque chose peut être appelé sa racine. L’amour est donc la racine de la crante, et ainsi de tout ce qui est engendré par la crainte. Ainsi, la crainte opposée à la convoitise, qui est l’amour, ne doit pas [en] être distinguée comme une racine opposée.

[7123] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 4Praeterea, quaecumque conveniunt in aliquo uno, non distinguuntur secundum illud. Sed omnia peccata in una radice conveniunt: radix enim omnium malorum est cupiditas, 1 Timoth. ult., 10. Ergo penes radicem peccata distingui non debent.

4. Tout ce qui se rejoint en une seule chose n’est pas distinct selon celle-ci. Or, tous les péchés se rejoignent dans une seule racine : En effet, la racine de tous les maux est la convoitise, 1 Tm 6, 10. Les péchés ne doivent pas être disdtingués par leur racine.

[7124] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 5Praeterea, Augustinus dicit de Civit. Dei, quod sicut amor Dei facit civitatem Dei; ita nimius amor sui facit civitatem Babylonis. Sed quidquid est de genere peccatorum ad civitatem Babylonis pertinet. Ergo omnium peccatorum radix est una, scilicet amor sui: et non est ea quae hic assignatur.

5. Dans La cité de Dieu, Augustin dit que « l’amour de Dieu établit la cité de Dieu, de même un trop grand amour de soi établit-il la cité de Babylone ». Or, tout ce qui appartient au genre des péchés relève de la cité de Babylone. La racine des péchés est donc unique : l’amour de soi, et ce n’est pas celle-là qui est donnée ici.

[7125] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 6Praeterea, 1 Joan. 2, 16 dicitur: omne quod est in mundo, concupiscentia oculorum est, concupiscentia carnis, et superbia vitae; et ex his oriuntur omnia alia mala. Ergo cum ista praetermittantur hic, non sufficienter radices peccatorum tanguntur.

6. En Jn 2, 16, il est dit : « Tout ce qui est dans le monde est la concupiscence des yeux, la concupiscence de la chair et l’orgueil de la vie », et de cela vient tout ce qui est mauvais. Puisque ces choses sont omises ici, les racines des péchés ne sont donc pas abordées de manière suffisante.

[7126] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 7Praeterea, Eccli. 10, 15: initium omnis peccati superbia. Item Ambrosius dicit, quod omne peccatum est ex contemptu: et Augustinus dicit, quod omne peccatum est ex errore. Ergo peccata non videntur distingui secundum radicem, sed convenire in radice una: et iterum videtur ex praedictis quod radices peccatorum insufficienter in littera tanguntur.

7. Si 10, 15 dit : « Le commencement de tout péché est l’orgueil. » De même, Ambroise dit que tout péché vient du mépris ; et Augustin dit que tout péché vient d’une erreur. Les péchés ne semblent donc pas se distinguer par leur racine, mais se retrouver dans une seule racine. Par ce qui précède, il semble donc à nouveau que les racines de péchés soient abordées de manière insuffisante dans le texte.

[7127] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod radix proprie in arboribus invenitur, in peccatis autem transumptive; unde oportet quod ad similitudinem radicis in arboribus inveniatur radix in peccatis. Radix autem arboris est qua arbor nutrimentum sumit, per quod convalescit, et fructificat. Ex eo autem peccatum convalescit ex quo homo ad peccatum inclinatur. Hoc autem est bonum intentum, ad quod peccans inordinate convertitur; quia finis efficienter movet; unde oportet quod ex parte conversionis radix peccati assignetur, et dicatur radix illud ex quo peccatum oritur. Potest autem actus peccati oriri ex tribus: vel ex alio actu peccati, secundum quod supra, 36 distinct., assignatum est unum peccatum esse causam alterius; vel ex habitu corrupto eliciente actum peccati; vel ex passione seu pronitate ad patiendum ex corruptione naturae consequente. Actus autem peccati non proprie nomen radicis habet, quin potius ipse ex radice est; unde origo peccati ex peccato similatur magis origini rami ex ramo. Similiter etiam habitus proprie acceptus, non potest esse a prima radice peccati: quia cum habitus peccati neque sit naturalis neque infusus, oportet quod per actum peccati sit acquisitus. Restat ergo ut radix peccati dicatur in nobis vel passio aliqua vel pronitas ad passionem, quae ex corruptione originalis peccati consequitur. Cum autem in bonis commutabilibus ad quae homo inordinate convertitur per peccatum sit quidam ordo, secundum quod unus est finis alterius; semper autem ea quae sunt ad finem, sunt plura quam ipse finis; oportet ut quanto radix peccati sumitur propinquior fini ultimo, tanto inveniantur pauciores radices. Finis autem ultimus in amore commutabilium bonorum est ipse homo, propter quem omnia alia quaerit; et ideo si radix peccati accipiatur ex parte ipsius peccantis, erit una; si autem sumatur ex parte eorum quae propter seipsum peccans quaerit, erunt plures. Similiter etiam appetitus circa bonum commutabile dupliciter se habet: vel sicut prosequens id quod aestimat sibi conveniens, vel sicut fugiens malum sive nocivum. Malum autem sicut non habet esse nisi ut privatio boni, ita etiam non fugitur nisi inquantum diligitur bonum; et ideo fuga mali reducitur ad desiderium boni, sicut in causam primam. Secundum hoc ergo sciendum, quod radices diversimode a sanctis assignantur. Quia passio, quae est radix peccati, vel est secundum inclinationem appetitus in id quod est ultimus finis bonorum commutabilium, et sic amor sui ponitur ab Augustino radix peccati: vel secundum inclinationem appetitus in ea quae propter hunc finem quaeruntur; et hoc dupliciter: vel secundum inclinationem appetitus in bonum tantum, propter quod malum fugitur; vel secundum comparationem appetitus ad utrumque. Si secundo modo, scilicet secundum inclinationem appetitus in bonum commutabile et malum oppositum, sic sunt radices peccatorum quae in littera assignantur, scilicet cupiditas male inflammans, et timor male humilians. Si autem primo modo, hoc dupliciter: vel secundum inclinationem appetitus in bonum exterius universaliter, et sic erit una radix, scilicet cupiditas: vel particulariter in diversa bona, quae sunt triplicia, et sic erunt tres radices, scilicet concupiscentia carnis circa bonum delectabile sensus, concupiscentia oculorum circa bona exteriora in usum ordinata, superbia vitae circa bona secundum opinionem, ut honor, dignitas, et hujusmodi.

Réponse. Au sens propos, on trouve la racine dans les arbres ; mais, dans les péchés, on la trouve par transposition. Aussi faut-il qu’on trouve la racine dans les péchés à la ressemblance de la racine dans les arbres. Or, la racine d’un arbre est ce dont il tire sa nourriture, par laquelle il se porte bien et porte fruit. Or, le péché se porte bien par ce à quoi l’homme est enclin au péché. Or, c’est là le bien visé, vers lequel celui qui pèche se tourne d’une manière désordonnée, car la fin meut d’une manière efficace. Il faut donc que la racine du péché soit attribuée du point de vue de la conversion, et qu’on appelle racine ce dont provient le péché. Or, l’acte du péché peut peut provenir de trois choses : d’un autre acte de péché, selon qu’on a montré plus haut, d. 36, qu’un péché est la cause d’un autre péché ; d’un habitus corrompu dont est issu l’acte du péché ; de la passion ou de l’inclination à le subir découlant de la corruption de la nature. Or, l’acte de pché ne porte pas le nom de racine au sens propre, à moins qu’il ne provienne de la racine. Aussi l’origine du péché à partir du péché ressemble-t-elle plutôt à l’origine de la branche à partir d’une branche. De même, l’habitus au sens propre ne peut-il pas provenir de la première racine du péché, car, l’habitus n’étant ni nturel ni infus, il faut qu’il soit acquis par l’acte du péché. Il reste donc d’appeler racine du péché en nous soit une passion, soit une inclination à la passion, qui découle de la corruption du péché originel. Puisqu’il existe un certain ordre dans les biens changeants vers lesquels l’homme se tourne par le péché de manière désordonnée, selon lequel l’un est la fin d’un autre ; et que ce qui se rapporte à la fin est plus nombreux que la fin elle-même ; il faut que plus la racine du péché se rapproche de la fin ultime, moins l’on trouve de racines. Or, la fin ultime dans l’amour des biens changeants est l’homme lui-même, en vue de qui il cherche toutes les autres choses. Si donc on entend la racine du péché du point de vue de celui qui pèche, elle sera unique ; mais si on l’entend du point de vue de ce que le pécheur recherche pour lui-même, il y en aura plusieurs. De même aussi, l’appétit portant sur un bien changeant comporte deux aspects : soit il recherche ce qu’il estime lui convenir, soit il fuit un mal ou ce qui lui nuit. Or, de même que le mal n’a d’être qu’en tant que privation du bien, de même aussi n’est-il fui que dans la mesure où un bien est aimé. C’est pourquoi la fuite du mal se ramène au désir du bien comme à sa cause première. Il faut ainsi savoir que les racines sont reconnues par les saints de diverses manières, car la passion, qui est la racine du péché, ou bien découle de l’inclination de l’appétit vers ce qui est la fin ultime des biens changeants, et ainsi l’amour de soi est donnée par Augustin comme la racine du péché ; ou bien découle de l’inclination de l’appétit vers ce qui est recherché en vue de cette fin. Et cela, de deux manières : soit selon l’inclination de l’appétit vers le seul bien, en raison de quoi le mal est fui ; soit selon le rapport de l’appétit aux deux choses. De la seconde manière, à savoir selon l’inclination de l’appétit vers un bien changeant et vers le mal contraire, telles sont les racines des péchés qui sont attribuées dans le texte : la convoitise qui enflamme pour le mal, et la crainte qui humilie pour le mal. Mais de la première manière, cela se présente de deux manières : soit selon l’inclination de l’appétit vers le bien extérieur de manière universelle, et ainsi il y aura une seule racine, à savoir, la convoitise ; soit de manière particulière vers vers biens, qui sont au nombre de trois : il y aura ainsi trois racines, à savoir, la concupiscence de la chair portant sur le bien plaisant à la chair ; la concupiscence des yeux portant sur les biens extérieurs destinés à petre utilisés ; l’orgueil de la vie portant sur les biens relatifs à l’opinion, tels que l’honneur, la dignité et les choses de ce genre.

[7128] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod peccatum non habet fundamentum ex parte illa qua aversio est; quia sic nihil est; sed ex parte conversionis, qua aliquid est, radicem habere potest.

1. Le péché n’a pas d’appui en tant qu’il est aversion, car ainsi il n’est rien, mais, du point de vue de la conversion, par laquelle il est quelque chose, il peut avoir une racine.

[7129] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod timor et cupiditas, secundum quod nominant actum peccati, non sunt radices, sed secundum quod nominant passionem vel pronitatem ad passionem, ut sumatur radix magis remota.

2. La crainte et la convoisite, selon qu’elles désignent l’acte d’un péché, ne sont pas des racines, mais [elles le sont] selon qu’elles désignent la passion ou l’inclination à la passion, de sorte qu’on l’entendre en un sens plus éloigné.

[7130] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 1 ad 3Ad tertium et quartum et quintum et sextum patet responsio per ea quae dicta sunt.

3.-6. La réponse à la troisième, à la quatrième, à la cinquième et à la sixième est claire d’après ce qui a été dit.

[7131] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 1 ad 7Ad septimum dicendum, quod omnia illa sumuntur ex parte aversionis: et ideo proprie loquendo non habent rationem radicis, quia nullus ad malum intendens operatur, ut Dionysius dicit: habent tamen rationem initii: propter quod dicitur, quod initium omnis peccati est superbia: quia actus deficientis, inquantum deficiens est, aliquis defectus praeexistens initium esse potest. Defectus autem iste praecedens peccatum potest esse vel in ratione dirigente, et sic dicitur omne peccatum esse ex errore, ut error sit idem quod ignorantia electionis, secundum quam omnis malus est ignorans, ut in 3 Ethic. dicitur: vel est in voluntate imperante actum, secundum quod non intente et solicite inhaeret his quae Dei sunt; et sic est contemptus et superbia, secundum quam aliquis non curat subesse praecepto, vel praecipienti: et sicut unum peccatum est secundum rem aversio et conversio, differens secundum comparationem ad diversos terminos; ita etiam superbia hoc modo accepta, secundum quod est initium, et cupiditas, secundum quod est radix, sunt idem secundum rem, et differunt ratione modo praedicto: et propter hoc dicit Augustinus, 11 super Genesim, superbiam et cupiditatem non quasi duo mala, sed unum malum esse.

7. Tout cela est pris du point de vue du détournement. À parler au sens propre, cela n’a donc pas raison de racine, car personne n’agit en vue d’un mal, comme le dit Denys. Cela a cependant raison d’amorce, raison pour laquelle on dit que le commencement de tout péché est l’orgueil, car l’acte de celui qui fait faute, en tant qu’il fait faute, peut avoir comme amorce un manque préexistant. Or, ce manque qui précède peut être un péché dans la raison qui dirige, et ainsi l’on dit que tout péché vient de l’erreur, si on entend par erreur la même chose que l’ignorance lors du choix : ainsi toute personne mauvaise est-elle ignorante, comme on le dit dans Éthique, III ; ou dans la volonté qui commande l’acte, selon qu’elle n’adhère par à ce qui appartient à Dieu avec intensité et avec un grand soin : il s’agit ainsi de mépris et d’orgueil, selon lesquels quelqu’un ne veille pas à se soumettre au commandement ou à celui qui commande. Et de même qu’un péché est en réalité un détournement et une conversion, la différence provenant de la comparaison à des termes différents, de même aussi l’orgueil, entendu de cette manière, selon qu’il est une amorce, et la convoitise, selon qu’elle est une racine, sont-ils en réalité une même chose, et ils diffèrent selon la raison de la manière qu’on a dite. C’est pour cette raison qu’Augustin dit, Comentaire sur la Genèse, XI, que l’orgueil et la convoitise ne sont pas comme deux maux, mais un seul mal.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum peccatum convenienter dividatur in peccatum cogitationis, oris, et operis

Article 2 – Le péché est-il divisé de manière appropriée en péché en pensée, en parole et en acte ?

QUAESTIUNCULA 1

Sous-question 1 – [La seconde division donnée dans le texte est-elle appropriée ?]

[7133] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod secunda divisio quae in littera assignatur, incompetens sit. Quia ejusdem generis eaedem sunt primae differentiae dividentes. Sed peccatum est unum genus, saltem analogicum. Ergo inconvenienter tot variis divisionibus distinguitur.

1. Il semble que la seconde division donnée dans le texte ne soit pas appropriée, car les premières différences qui divisent appartiennent au même genre. Or, le péché est un seul genre, du moins au sens analogique. C’est donc de manière inappropriée qu’il est divisé en autant de divisions différentes.

[7134] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2Praeterea, affectio plus habet de ratione peccati quam cogitatio, quae ad cognitionem pertinet. Sed ipse de affectione mentionem non facit. Igitur insufficienter dividit.

2. Le désir a davantage raison de péché que la pensée, qui relève de la connaissance. Or, il ne fait pas mention du désir. Il divise donc de manière insuffisante.

[7135] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3Praeterea, actus exteriores per membra exteriora exercentur. Sed lingua est unum de exterioribus membris. Ergo verbum quod per linguam profertur, non debet dividi contra peccatum operis, quod est peccatum exterioris actus.

3. Les actes extérieurs sont accomplis par les membres extérieurs. Or, la langue fait partie des membres extérieurs. La parole, qui est proférée par la langue, ne doit donc pas être opposée au péché en acte, qui est le péché par un acte extérieur.

[7136] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4Praeterea, circumstantia actus non debet dividi contra actum. Sed consuetudo est quaedam circumstantia peccati. Ergo non debet dividi peccatum consuetudinis contra peccatum operis.

4. La circonstance d’un acte ne doit pas être divisée par opposition à l’acte. Or, l’habitude est une circonstance du péché. Le péché par habitude ne doit donc pas être opposé au péché en acte.

[7137] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 5Praeterea, peccatum omissionis quaedam species peccati est, quae sub nullo istorum membrorum continetur. Ergo divisio est insufficiens.

5. Le péché d’omission est une espèce de péché, qui n’est contenu dans aucun de ces membres. Cette division est donc insuffisante.

QUAESTIUNCULA 2

Sous-question 2 – [À propos d’une autre division selon les objets]

[7138] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1Ulterius quaeritur de alia divisione quae est per objecta. Videtur enim quod sit insufficiens. Quia in illum peccans peccare dicitur quem ex suo peccato laedit. Sed Deum peccando laedere non possumus, ut dicitur Job 35, 6: si peccaveris, quid ei nocebis? Et si multiplicatae fuerint iniquitates tuae, quid facies contra illum? Ergo dicitur inconvenienter aliquis in Deum peccare.

1. On s’interroge aussi sur une autre division par les objets. En effet, il semble qu’elle soit insuffisante, car on dit que celui qui pèche pèche contre celui qu’il blesse par son péché. Or, nous ne pouvons blesser Dieu en péchant, comme il est dit en Jb 35, 6 : Si tu as péché, en quoi lui nuiras-tu ? Et si tes fautes ont été nombreuses, en quoi agiras-tu contre lui ? C’est donc de manière inappropriée qu’on dit de quelqu’un qu’il pèche contre Dieu.

[7139] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2Praeterea, illud quod est ratio diligendi, non potest odio haberi. Sed homo est ratio diligendi respectu sui ipsius: quia nihil homo diligit, nisi inquantum est bonum sibi. Ergo nullus seipsum habere odio potest. Sed in illum peccamus quem odio habemus. Ergo nullus in seipsum peccat.

2. Ce qui est raison d’aimer ne peut être haï. Or, l’homme est une raison d’être aimé pour lui-même, car l’homme n’aime rien que dans la mesure où cela est un bien pour lui. Personne ne peut donc se haïr. Or, nous péchons contre celui que nous haïssons. Personne ne pèche donc contre lui-même.

[7140] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3Praeterea, peccatum caritati opponitur. Sed in praeceptis caritatis non datur distinctum praeceptum homini de dilectione sui, sed includitur in dilectione Dei et proximi. Ergo non deberet poni unus determinatus modus peccati ex hoc quod peccatur in seipsum.

3. Le péché s’oppose à la charité. Or, parmi les commandements de la charité, il n’est pas donné à l’homme de commandement distinct de s’aimer lui-même, mais il est compris dans l’amour de Dieu et du prochain. On ne devrait donc pas affirmer une manière de pécher déterminé du fait qu’on pèche contre soi-même.

[7141] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4Praeterea, quicumque peccat in proximum peccat in seipsum et in Deum. Ergo peccatum in proximum, non debet dividi contra peccatum quod est in seipsum et in Deum.

4. Quiconque pèche contre le prochain pèche contre lui-même et contre Dieu. Le péché contre le prochain ne doit donc pas être opposé au péché contre soi-même et contre Dieu.

QUAESTIUNCULA 3

Sous-question 3 – [À propos d’une autre division prise à partir des noms]

[7142] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1Ulterius quaeritur de alia divisione, quae sumitur secundum nomina. Quia sapientis non est de nominibus curare. Sed theologus maxime sapiens est. Ergo de divisione peccatorum per nomina non se debet intromittere, sed eis uti ut plures utuntur.

1. On s’interroge encore sur une autre division prise à partir des noms, car il ne revient pas au sage de s’occuper des noms. Or, le théologien est sage au plus haut point. Il ne doit donc pas s’occuper de la division des péchés selon les noms, mais les utiliser comme la plupart les utilisent.

[7143] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2Praeterea, sicut delictum dicitur per hoc quod aliquid derelinquitur; ita peccatum dicitur per hoc quod ab aliquo aberratur, cum aversio sit formale in peccato, a quo denominatur. Ergo videtur differentia prima quam assignat, nulla esse.

2. De même qu’on parle de délit (delictum) du fait que quelque chose est abandonné (derelinquitur), de même parle-t-on de péché du fait qu’on s’écarte de quelque chose, puisque le détournement est ce qui est formel dans le péché, d’où il tire son nom. Il semble donc que la première différence qu’il indique soit nulle.

[7144] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3Praeterea, per ignorantiam non solum contingit peccare peccato omissionis, sed etiam transgressionis. Cum ergo delictum proprie sonet omissionem, quia dicitur quasi derelictum, videtur incompetens esse illa, scilicet secunda expositio, qua delictum exponitur quod per ignorantiam fit.

3. Il arrive que, par ignorance, on pèche non seulement par un péché d’omission, mais aussi de transgression. Puisque le délit (delictum) s’accorde au sens propre avec l’omission, puisqu’il est appelé pour ainsi dire un abandon (derelictum), la seconde explication, par laquelle on explique que le délit est ce qui est accompli par ignorance, semble inappropriée.

QUAESTIUNCULA 1

Réponse à la sous-question 1

[7145] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 1 co.Respondeo dicendum, quod ista divisio assignatur secundum gradus quibus fit progressus ad complementum peccati. Gradus autem isti attenduntur secundum quod unus actus alteri actui additur ad perfectionem peccati; unde oportet quod secundus gradus includat in se peccatum; et ita est quasi divisio totius potestativi. Additio autem actus ad actum potest esse multipliciter; et secundum hoc sunt diversi gradus in peccato. Unde primus gradus peccati est in primo actu peccati, super quem alia adduntur. Hic autem est actus interior, scilicet voluntatis: et hoc est primum membrum divisionis, scilicet peccatum cogitationis. Huic autem actui superadditur alius actus exprimens et designans hunc actum, scilicet actus locutionis; et ideo hoc est secundum membrum divisionis. Iterum super actum locutionis additur actus exterior, quo membra corporis moventur ad consequendum finem voluntatis; et hic erit tertius gradus, et tertium membrum, quod est peccatum operis. Quarto additur actus exterior actui exteriori et hic est ultimus gradus et quartum membrum, scilicet peccatum consuetudinis: quia cum post actum exteriorem non sit aliquis actus alterius generis, oportet quod ultimus gradus peccati sit secundum multiplicationem hujusmodi actuum.

Cette division est donnée selon les degrés par lesquels on progresse vers l’accomplissement du péché. Or, on envisage ces ddegrés selon qu’un acte s’ajoute à un autre pour l’accomplissement du péché. Aussi faut-il que le second degré comprenne en lui-même le péché. Il s’agit donc pour ainsi dire de la division d’un tout potentiel. Or, l’ajout d’un acte à un acte peut se réaliser de plusieurs manières ; il existe ainsi plusieurs degrés dans le péché. Le premier degré du péché consiste donc dans le premier acte du péché, auquel tous les autres s’ajoutent. Or, cet acte est intérieur : c’est celui de la volonté. Tel est le premier membre de la division, à savoir, le péché en pensée. À cet acte s’en ajoute un autre, qui exprime et désigne cet acte, à savoir, l’acte de la parole. Et tel est le deuxième membre de la division. À l’acte de la parole s’ajoute encore l’acte extérieur, par lequel les membres du corps sont mus en vue d’atteindre la fin de la volonté. Tels seront le troisième degré et le troisième membre : le péché par action. En quatrième lieu, s’ajoute un acte extérieur à l’acte extérieur : tels sont le quatrième degré et le quatrième membre, à savoir, le péché par habitude. En effet, puisqu’au-delà de l’acte extérieur il n’existe pas d’acte d’un autre genre, il est nécessaire que l’étape ultime du péché se réalise selon la multiplication des actes de ce genre.

[7146] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod divisio alicujus potest esse multipliciter: vel sicut generis in species, vel sicut subjecti in accidentia, vel etiam aliis modis, quos Boetius numerat. Divisio ergo generis in species vel differentias primas, non est nisi una; sed divisio subjecti in accidentia potest esse multipliciter, secundum quod uni multa accidunt. Dicendum ergo, quod divisio peccati in species suas essentiales, est per oppositum virtutis: quia oportet quod sit secundum objectum, ex quo specificatur peccatum et virtus: et talis distinctio peccatorum hic non ponitur; sed ponuntur quaedam distinctiones secundum aliqua peccati accidentia; et ideo non est inconveniens, si sunt plures.

1. La division d’une chose peut prendre plusieurs formes : celle du genre en espèces, celle du sujet en accidents, ou encore selon d’autres modes, que Boèce énumère. La division du genre en espèces ou en différences premières est donc unique. Mais la division du sujet en accidents peut se réaliser de plusieurs manières, selon que plusieurs choses surviennent à une même chose. Il faut donc dire que la division du péché en ses espèces essentielles se réalise par le contraire de la vertu, car il faut qu’elle se réalise selon l’objet, dont péché et vertu reçoivent leur espèce. Une telle distinction des péchés n’est pas présentée ici, mais sont présentées certaines distinctions selon certaines accidents du péché. Il n’est donc pas inappropiré qu’il y en ait plusieurs.

[7147] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod in peccato cogitationis intelligitur omne peccatum quod in solo interiori actu consistit; et ideo includitur etiam affectio, sine qua nullum peccatum est.

2. Par le péché en pensée, on entend tout péché qui consiste dans le seul acte intérieur. Il inclut donc aussi le désir, sans lequel il n’existe aucun péché.

[7148] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod quamvis lingua sit exterius membrum, tamen inter alia est magis propinquum interiori actui, secundum quod congruit locutioni, quia locutio est signum interioris actus; et ideo quemdam gradum habet in progressu peccati locutio, inter peccatum cogitationis et operis.

3. Bien que la langue soit un membre extérieur, elle est cependant plus rapprochée de l’acte intérieur que les autres, dans la mesure où elle est appropriée à l’expression verbale, car l’expression verbale est le signe d’un acte intérieur. Aussi, dans l’évolution du péché, représente-t-elle un degré entre le péché en pensée et le péché en action.

[7149] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod consuetudo est quaedam circumstantia aggravans peccatum ex multiplicatione ipsorum actuum; et ideo in consuetudine est ultimus progressus peccati: et ideo non ponitur consuetudo quasi condivisa contra actum simpliciter, sed condivisa contra actum non consuetum, sicut est in divisione totius potestativi.

4. L’habitude est une ciconstance aggravante du péché en raison de la multiplication des actes mêmes. C’est pourquoi le dernier degré du péché consiste dans l’habitude. Aussi l’habitude n’est-elle pas présentée comme une division tout simplement opposée à l’acte, mais comme opposée à l’acte qui n’est pas habituel, comme c’est le cas pour la division d’un tout potentiel.

[7150] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod secundum opinionem illorum qui dicunt, quod in peccato omissionis requiritur aliquis actus interior vel exterior, peccatum omissionis includitur in peccato cogitationis, locutionis, et operis; et similiter secundum alios qui dicunt, quod non requiritur ibi actus exterior: quia sic facere includit non facere; et sic de aliis, ut supra dictum est.

5. Selon l’opinion de ceux qui disent que, pour le péché d’omission, il faut un acte intérieur ou extérieur, le péché par omission est inclus dans le péché en pensée, en parole et en action. De même en est-il pour les autres qui disent qu’un acte extérieur ne lui est pas nécessaire, car ainsi l’action n’inclut pas le fait de ne pas agir. Et ainsi en est-il des autres, comme on l’a dit plus haut.

QUAESTIUNCULA 2

Réponse à la sous-question 2

[7151] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 2 co.Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum est, quod sicut omnis virtus est justitia quodammodo, ut dicit philosophus 5 Ethic., ita omne peccatum est injustitia. Injustitia autem est ex hoc quod detrahitur alicui quod sibi debetur; et ideo injustitia habet quasi duo objecta: scilicet illud quod detrahitur, et hoc est proprie materia actus, et unde peccatum specificatur: et ille cui detrahitur, sicut homo cui per injustitiam aufertur res sua; et penes hoc objectum sumitur haec peccati divisio: quia homo aliquid debet Deo, sibi, et proximo. Deo debet amorem et reverentiam, et hujusmodi; unde quando ab his deficit, dicitur peccare in Deum. Sibi debet munditiam et ordinationem sui sub regimine rationis, et hujusmodi; et quando in his deficit, dicitur in seipsum peccare. Proximo autem quae debeat planum est; et quando in his deficit, dicitur in proximum peccare: et idem est, si contraria horum faceret.

À l’autre question, il faut répondre que, de même que toute vertu est, d’une certaine manière, justice, comme le dit le Philosophe, Éthique, V, de même tout péché est injustice. Or, l’injustice vient de ce qu’on enlève à quelqu’un ce qui lui est dû. Aussi l’injustice a-t-elle comme un double objet : ce qui est enlevé, et c’est là au sens propre la matière de l’acte, dont le péché tire son espèce ; et celui à qui cela est enlevé, comme l’homme à qui ses propres biens sont enlevés par l’injustice. De cet objet vient cette division du péché, car l’homme doit quelque chose à Dieu, à lui-même et au prochain. À Dieu, il doit l’amour et la révérence, et les choses de ce genre ; aussi, lorsqu’il s’en écarte, dit-on qu’il pèche contre Dieu. À lui-même, il doit la propreté et la mise en ordre de lui-même sous la direction de la raison ; aussi, lorsqu’il manque à ces choses, dit-on qu’il pèche contre lui-même. Mais ce qu’il doit au prochain est clair; et lorsqu’il y manque, on dit qu’il pèche contre le prochain. Et c’est la même chose s’il accomplissait le contraire de ces choses.

[7152] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod non dicitur homo in Deum peccare, quia Deum in aliquo laedat; sed quia Deo subtrahit quod ei debet, et, quantum in ipso est, ejus gloriam minuit: quamvis hoc facere non possit.

1. On ne dit pas que l’homme pèche contre Dieu parce qu’il nuirait en quelque façon à Dieu, mais parce qu’il enlève à Dieu ce qu’il lui doit et que, pour autant que cela lui est possible, il diminue sa gloire, bien qu’il ne puisse le faire.

[7153] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod quilibet naturaliter seipsum amat; et ideo unusquisque amat hoc quod se esse aestimat. Quidam autem aestimant, et vere, se esse id quod secundum intellectum sunt, quia ex hoc homo est homo; et ideo appetunt sibi ea quae sunt bona secundum intellectum et rationem vel directe vel indirecte. Quidam vero aestimant se esse quod non sunt, et falso, propter naturam sensibilem, quae exterius apparet; et ideo diligunt in se naturam sensibilem, appetentes ea quae sunt secundum sensum delectabilia: et quia hujusmodi sunt mala eis et nociva secundum id quod vere sunt, ideo sibi ipsis nocent, et se odiunt actu, non affectu.

2. Toute chose s’aime elle-même ; c’est la raison pour laquelle toute chose aime ce qu’elle estime être. Or, certaines estiment à justice être ce qu’elles sont par l’intelligence, car c’est par là que l’homme est homme. C’est pourquoi elles désirent pour elles-mêmes ce qui est bon selon l’intelligence et la raison, directement ou indirectement. Mais certains esstiment être ce qu’ils ne sont pas, et faussement, à cause de la nature sensible qui se manifeste extérieurement. C’est pourquoi ils aiment en eux-mêmes la nature sensible, en désirant ce qui est agréable selon le sens. Et parce que les choses de ce genre sont mauvaises pour eux et nuisibles selon ce qu’ils sont réellement, ils se nuisent donc à eux-mêmes, et ils se haïssent en acte, et non de cœur.

[7154] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod hominem diligere se, nihil aliud est quam se Deo velle uniri, quia homo se propter Deum debet diligere: et ideo in dilectione Dei includitur dilectio sui ipsius. Non autem peccatum quod est in Deum, est ratio peccati quo homo in seipsum peccat; et ideo non est similis ratio utrobique.

3. S’aimer pour l’homme n’est rien d’autre que vouloir être uni à Dieu, car l’homme doit s’aimer pour Dieu. C’est pourquoi l’amour de soi est inclus dans l’amour de Dieu. Mais le péché qui est contre Dieu n’est pas la raison du péché par lequel l’homme pèche contre lui-même. On ne raisonne donc pas de la même façon dans les deux cas.

[7155] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod distinctio ista sumitur secundum illud in quod directe peccatur. Sed quando aliquis peccat in proximum, peccat quidem in seipsum et in Deum, sed ex consequenti: et similiter quando peccat in se, peccat in Deum, et e converso: et ideo objectio non procedit.

4. Cette distinction se prend de ce contre quoi l’on pèche directement. Or, lorsque quelqu’un pèche contre le prochain, il pèche en réalité contre lui-même et contre Dieu, mais par mode de conséquence. De même, lorsqu’il pèche contre lui-même, il pèche contre Dieu, et inversement. Aussi l’objection n’est-elle pas valable.

QUAESTIUNCULA 3

Réponse à la sous-question 3

[7156] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 3 co.Ad illud quod ulterius quaeritur, dicendum, quod ista divisio peccatorum quae est secundum nomina, attenditur penes ea ex quibus actus regulatur, scilicet praecepta legis; et hoc dupliciter; quia vel secundum distinctionem praeceptorum in se; et sic delictum respicit praecepta affirmativa, et peccatum praecepta negativa; vel secundum quod diversimode peccans a praeceptis deficit: quia vel deficit a praeceptis secundum rationem per ignorantiam, et sic est delictum; vel secundum voluntatem per contemptum, et sic est peccatum; et sic patet ratio duplicis expositionis.

À la question suivante, il faut répondre que cette division des péchés selon les noms se prend du point de vue de ce par quoi les actes soient régis, à savoir les commandements de la loi. Et cela, de deux manières : selon la distinction des commandements en eux-mêmes, et ainsi le délit concerne les commandements affirmatifs, et le péché les commandements négatifs ; selon que celui qui pèche manque aux commandements de diverses manières, car soit il y manque selon la raison par ignorance, et ainsi il y a délit ; soit selon la volonté par le mépris, et ainsi il y a péché. La raison de la double explication est ainsi claire.

[7157] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod sapiens bene curat nomina, secundum quod exprimunt proprietatem rerum, et non propter se: et quia ex diversis rationibus peccatorum essentiales eorum differentiae inveniuntur, ideo non fuit inconveniens hanc divisionem ponere.

1. Le sage s’occupe bien des noms poour autant qu’ils expriment la propriété des choses, et non en eux-mêmes ; et parce qu’on trouve les différences essentielles des péchés à partir de leurs raisons différentes, il n’était donc pas inapproprié de présenter cette division.

[7158] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod quamvis peccatum nominet aversionem, tamen proprie loquendo non nominat omissionem, sed magis actum aversioni conjunctum: differt enim omissio ab aversione: omissio enim dicitur propter defectum actus debiti; sed aversio propter recessum a fine.

2. Bien que le péché désigne le fait de se détourner, cependant, à proprement parler, il ne désigne pas une omission, mais plutôt un acte relié au fait de se détourner. En effet, l’omission diffère du fait de se détourner, car on parle d’omission en raison du manque d’un acte dû, mais du fait de se détourner en raison de l’éloignement de la fin.

[7159] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod qui ignoranter aliquid facit, involuntarius facit: et ideo magis peccat in hoc quod cognitionem eorum dimittit quae tenetur cognoscere, quam in hoc quod talia agit: et propter hoc peccatum per ignorantiam, delictum potest dici.

3. Celui qui accomplit quelque chose par ignorance l’accompit de manière involontaire. C’est pourquoi il pèche plutôt du fait qu’il écarte la connaissance de ce qu’il est tenu de connaître, que du fait qu’il accomplit cela. Pour cette raison, ce péché par ignorance peut être appelé un délit.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum divisio capitalium vitiorum sit competens

Article 3 – La division ddes vices capitaux est-elles appropriée ?

[7161] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur incompetens esse divisio vitiorum capitalium quae in littera ponitur. Quia illud ex quo oriuntur alia, et quod aliis peccatis principatur, videtur esse peccatorum caput. Sed superbia, ut dicit Gregorius, est ex qua omnia peccata oriuntur, et est quasi regina omnium peccatorum. Ergo ipsa sola debet dici vitium capitale; vel saltem ipsa, et avaritia, ex qua alia oriuntur, ut in littera dicitur.

1. La division des vices capitaux qui est présentée dans le texte semble être inappropriée, car ce dont d’autres choses proviennent et qui est le principe d’autres péchés semble être le chef (caput) de péchés. Or, l’orgueil, comme le dit Grégoire, est ce dont proviennenet tous les péchés, et elle est comme la reine de tous les péchés. Elle seul doit donc être appelée un vice capital, ou, tout au moins, elle et l’avairce, dont les autres proviennent, comme le dit le texte.

[7162] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 2Praeterea, capitale principale dicitur. Sed quod imperfectam rationem peccati habet, principale peccatum non est. Cum ergo veniale imperfectam rationem peccati habeat, videtur quod peccatum veniale non possit esse peccatum capitale. Sed multa de istis vitiis quae inter capitalia computantur, et fere omnia, quandoque sunt venialia. Ergo inconvenienter dicuntur capitalia.

2. Ce qui est capital est appelé principal. Or, ce qui possède la raison imparfaite de péché n’est pas un péché principal. Puisque le [péché] véniel a la raison imparfaite de péché, il semble donc que le péché véniel ne puisse être un péché capital. Or, plusieurs des vices qui sont comptés parmi les vices capitaux sont parfois véniels. C’est donc de manière inappropriée qu’ils sont appelés capitaux.

[7163] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 3Praeterea, capiti respondet membrum. Sed vitia quae ex istis vitiis hic numeratis oriuntur, dicuntur a Gregorio filiae, et non membra. Ergo ista vitia non debent dici capita, sed matres.

3. À la tête répondent les membres. Or, les vices qui proviennent des vices énumérés ici sont appelés par Grégoire des filles, et non des membres. Ces vices ne doivent pas être appelés têtes, mais mères.

[7164] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 4Praeterea, Prov. 6, 16, ubi dicitur: sex sunt quae odit Deus, et septimum detestatur anima ejus, dicit Glossa, quod numerantur ibi septem vitia capitalia. Sed nullum eorum quae ibi dicuntur, est aliquod eorum quae hic numerantur. Ergo videtur quod sint ad minus quatuordecim.

4. À propos de Pr 6, 16 : Il y a six choses que Dieu hait, et une septième qu’il déteste, la Glose dit que sept vices capitaux sont énumérés là. Or, aucun de ceux qui sont indiqués là n’est un de ceux qui sont énumérés ici. Il semble donc qu’il en existe au moins quatorze.

[7165] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 5Praeterea, non est aliquod vitium quod interdum ex alio oriri non possit. Si ergo capitale vitium est ex quo alia oriuntur, videtur quod omnia peccata sint capitalia.

5. Il n’existe aucun vice qui ne puisse parfois provenir d’un autre. Si donc un vice capital est celui dont proviennent d’autres, il semble que tous les péchés sont capitaux.

[7166] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 6Praeterea, plura sunt vitia quam virtutes; quia uni virtuti plura vitia opponuntur. Sed virtutes principales sunt septem: tres theologicae, et quatuor cardinales. Ergo peccata capitalia debent esse plura quam septem.

6. Il existe plus de vices que de vertus parce que plusieurs vices s’opposent à la vertu. Or, les vertus principales sont au nombre de sept : trois théologales, et quatre cardinales. Les péchés capitaux doivent donc être plus de sept.

[7167] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 7Praeterea, fides est fundamentum virtutum, ut dicitur Rom. 11. Sed infidelitas fidei opponitur. Ergo infidelitas debet computari inter vitia capitalia, praecipue propter id quod dicitur Sap. 14, quod infandorum idolorum cultura, omnis mali principium est et origo.

7. La foi est le fondement des vertus, comme il est dit en Rm 11. Or, l’infidélité est le contraire de la foi. L’infidélité doit donc être comptée parmi les vices capitaux, surtout en raison de ce qui est dit en Sg 14, que le culte d’idoles abominables est le principe et l’origine de tout mal.

[7168] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod vitium capitale dicitur vitium ex quo alia vitia oriuntur; unde in hoc differt capitale peccatum a radice peccati, quia capitale peccatum est peccatum quoddam; radix autem peccati non est peccatum, si proprie sumatur, ut ex praedictis patet. Peccatum autem ex peccato oritur quatuor modis, ut supra, 36 dist., dictum est. Unus modus est ex parte aversionis, secundum quod gratia privat, qua privata, homo in peccatum ruit. Sed ista origo non est nisi per accidens, quia primum peccatum causat secundum sicut removens prohibens: caput autem nominat per se originem; et ideo per modum istum non potest dici proprie vitium capitale. Alio modo ex parte conversionis, secundum quod ex actu peccati relinquitur habitus, et ex habitu iterum procedit actus; et secundum hanc originem non potest dici vitium capitale, quia hic non est origo peccati ex peccato directe, sed mediante habitu. Alio modo peccatum oritur ex peccato, inquantum unum peccatum alteri materiam administrat, sicut luxuriae gula: et quia res non habet esse secundum materiam, sed secundum formam; ideo non complete oritur peccatum ex illo peccato quod materiam praestat; et propter hoc nec adhuc invenitur perfecta ratio capitalis vitii. Quarto modo oritur peccatum ex peccato quod ordinatur in finem illius, sicut cum quis ad habendum pecuniam furatur, furtum ex avaritia nascitur; et quia in moralibus species est a fine, ideo haec est formalis et completa origo peccati ex peccato; et secundum hanc originem proprie dicitur vitium capitale, et salvatur ibi metaphora capitis, secundum quod principem alicujus exercitus caput in exercitu dicimus, quia princeps est exercitus, ad cujus bonum totus exercitus ordinatur, ut ex 10 Metaph. patet: et per hunc modum illud vitium ad cujus finem alia ordinantur, caput eorum dicitur. Et ideo Gregorius ponit vitia capitalia quasi duces exercitus; et alia vitia quae ex eis oriuntur, ponit exercitus eorum, exponens illud Job 39, 25: audit clamorem ducum, et ululatum exercitus. Et quia finis semper est magis appetibile eo quod est ad finem, ideo oportet ut illa peccata praecipue capitalia dicantur in quorum fines appetitus corruptus magis natus est tendere. Hujusmodi autem sunt peccata illa quae circa principalia objecta sensibilium potentiarum sunt, quia ex corruptione sensualitatis peccata in nobis oriuntur. Appetitus autem sensibilis in duas vires dividitur, scilicet irascibilem et concupiscibilem. Concupiscibilis autem objectum est delectabile et conveniens secundum sensum; et ideo peccatum capitale quod in concupiscibili est, vel est ex hoc quod inordinate desiderat delectabile secundum sensum, vel ex eo quod inordinate fugit impedimentum hujusmodi delectationis. Si primo modo, hoc est dupliciter: vel ex eo quod appetitus tendit in id quod est ordinatum ad delectabile sensus, cujusmodi sunt bona exteriora, et sic est avaritia; vel ex eo quod appetitus inordinate tendit in ipsum delectabile sensus. Perfecta autem delectatio secundum sensum, est secundum tactum et gustum, prout est tactus quidam; quia est secundum applicationem ipsius rei ad sensum: et ideo circa delectabile tactus absolute est unum vitium capitale, scilicet luxuria; et circa delectabile gustus, prout est tactus quidam, est aliud, scilicet gula. Sed ex eo quod fugitur inordinate impedimentum delectationis sensibilis, est accidia, quae est taedium spiritualis boni, secundum quod impedit delectationem aliquam dissolutam. Objectum autem irascibilis proprie est arduum vel magnum aliquod in quod homo nititur. Ergo capitale peccatum in irascibili potest esse dupliciter: vel ex eo quod irascibilis inordinate fertur in arduum; et sic proprie est superbia vel inanis gloria; vel ex eo quod contra tendit ad id quod est ardui impedimentum. Sed hoc potest esse dupliciter: quia illud impeditivum contra quod tendit, vel impedit directe in contrarium agendo, sicut impugnans aliquem impedit promotionem ejus; et sic est ira, quae est appetitus in vindictam: vel indirecte; et sic est invidia, quae est dolor alieni boni, secundum quod illud bonum aestimatur impeditivum propriae excellentiae.

Réponse. Un vice est appelé capital du fait que d’autres vices proviennent de lui. Aussi le péché capital diffère-t-il de la racine du péché parce que le péché capital est un péché, mais que la racine du péché n’est pas un péché, si on l’entend au sens propre, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit plus haut. Or, un péché provient d’un péché de quatre manières, comme on l’a dit plus haut, d. 36. Une manière vient de l’aversion, selon qu’elle prive de la grâce ; privé de celle-ci, l’homme se précipite dans le péché. Or, cette origine n’est qu’accidentelle, car le premier parent cause le péché en enlevant ce qui empêche ; mais le chef (caput) désigne l’origine par soi. Aussi ne peut-on parler selon ce monde de vice capital au sens propre. Une autre manière vient de la conversion, selon laquelle un habitus est laissé par l’acte du péché, et l’acte provient à nouveau de l’habitus. Selon cette origine, on ne peut pas parler de vice capital, car ce n’est pas ici l’origine directe d’un péché à partir d’un péché, mais par l’intermédiaire de l’habitus. Le péché provient d’un péché d’une autre manière pour autant qu’un péché fournisse une matière à un autre, comme la gourmandise à la luxure. Et parce qu’une chose ne possède pas d’être selon sa matière, mais selon sa forme, le péché ne provient donc pas entièrement du péché qui fournit la matière : pour cette raison, on n’u trouve donc pas la raison parfiate de vice capital. D’une quatrième manière, un péché provient d’un péché qui est ordonné à sa fin, comme lorsque quelqu’un vole pour avoir de l’argent, le vol provient de l’avarice. Et parce que, en matière morale, l’espèce vient de la fin, telle est l’origine formelle et complète d’un péché à partir d’un péché. C’est selon cette origine qu’on parle de vice capital et qu’est préservée là la métaphore de la tête, selon laquelle le dirigeant d’une armée est la tête de l’armée parce qu’il est le dirigeant de l’armée, au bien duquel toute l’armée est ordonnée, comme cela ressort de Métaphysique, X. De cette manière, le vice à la fin duquel d’autres sont ordonnés est appelé leur tête. C’est pourquooi Grégoire présente les vices capitaux comme les dirigeants d’une armée, et il présente comme leur armée les autres vices qui en proviennent, en expliquant Jb 39, 25 : Il entend le cri des chefs et le hurlement de l’armée. Et parce que la fin est toujours plus désirable que ce qui est ordonné à la fin, il est donc nécessaire que soient principalement appelés capitaux les péchés vers la fin desquels l’appétit corrompu tend davantage par nature. Or, ces péchés sont ceux qui portent sur les principaux objets des puissances naturelles, car les péchés naissent en nous de la corruption de la sensualité. Or, l’appétit sensible se divise en deux puissances : l’irascible et le concupiscible. L’objet du concupisble est ce qui est délectable et convient au sens. C’est pourquoi un péché capital dans le concupiscible vient soit du fait qu’il désire de manière désordonnée ce qui est délectable poour le sens, soit du fait qu’il fuit de manière désordonnée un empêchement à cette délectation. S’il s’agit de la première manière, cela se produit de deux façons : soit du fait que l’appétit tend vers ce qui est ordonné à ce qui est délectable pour le sens, comme c’est le cas des biens extérieurs, et ainsi il s’agit d’avarice ; soit du fait que l’appétit tend de manière désordonnée vers cela même qui est délectable pour le sens. Or, la délectation parfaite pour le sens celle du toucher et du goût, pour autant que celui-ci est un certain toucher : en effet, il s’y réalise un contact entre la chose elle-même et le sens. C’est pourquoi, au sens absolu, il existe un seul vice capital portant sur ce qui est délectable pour le sens : la luxure ; et sur ce qui est délectable pour le goût, pour autant qu’il est un certain toucher, il en existe un autre : la gourmandise. Mais, du fait qu’il fuit de manière désordonnée un empêchement à la délectation sensible, existe l’acédie, qui est un dégoût du bien spirituel, selon qu’il empêche un plaisir dépravé. Mais l’objet de l’irascible est à proprement parler quelque chose de difficile et de grand à quoi l’homme s’efforce. Le péché capital peut donc existeer dans l’irascible de deux manières : soit du fait que l’irascible est porté de manière désordonnée vers ce qui est difficile, et ainsi il s’agit au sens propre de l’orgueil ou de la vaine gloire ; soit du fait qu’il tend au contraire vers ce qui est un empêchement de ce qui est difficile. Mais cela peeut se faire de deux manières, car ce qui est l’empêchement contre le lequel il tend ou ce qui l’empêche directement en agissant en sens contraire, comme celui qui combat quelqu’un l’empêche d’avancer : il s’agit alors de la colère, qui est un désir de vengeance ; ou indirectement : il s’agit alors de l’envie, qui est une douleur à propos du bien d’autrui, selon que ce bien est estimé empêcher sa propre excellence.

[7169] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod avaritia, sive cupiditas, tripliciter dicitur. Uno enim modo nominat passionem vel pronitatem ad passionem ex originali relictam; et sic non est peccatum, sed radix peccati. Alio modo secundum quod dicitur inordinatus appetitus cujuslibet boni commutabilis, sive scientiae, sive honoris, sive pecuniae, sive cujuscumque: et sic avaritia vel cupiditas, est genus omnium peccatorum; unde super illud ad Rom. 7, 7: concupiscentiam nesciebam, nisi lex diceret, non concupisces, Glossa: bona est lex, quae dum concupiscentiam prohibet, omnia mala prohibet. Tertio dicitur avaritia vel cupiditas secundum quod est inordinatus appetitus rerum exteriorum, quae ad usum vitae pertinent; et sic est quoddam speciale peccatum. Similiter etiam superbia tribus modis dicitur. Uno modo ipse habitualis contemptus praecepti et praecipientis, ex corruptione naturae proveniens, vel ex quocumque defectu creaturae; et sic non est peccatum, sed initium peccati. Alio modo dicitur appetitus excellentiae in quibuscumque, quia quicumque appetit aliquid inordinate, vult quodammodo excellere in illo; ideo hoc modo superbia, ut fertur ad omnia peccata, commune est, secundum quod est desiderium cujuscumque excellentiae. Tertio modo dicitur, secundum quod est inordinatus appetitus illius excellentiae determinatae, cui debetur honor et reverentia; et sic est speciale peccatum. Dicendum est ergo, quod sumendo primo modo superbiam et cupiditatem, ex eis oriuntur omnia vitia sicut ex radice vel initio, et non sicut ex peccato capitali. Loquendo de utroque secundo modo, oriuntur ex eis omnia peccata, sicut species ex genere. Loquendo autem de eisdem tertio modo, sic oriuntur ex eis quaedam specialia vitia; sed interdum ex eis omnia vitia possunt oriri; et frequentius ex aliquo eorum oriuntur omnia quam ex quovis alio vitio, cujus ratio est communitas objectorum ipsorum: quia objectum avaritiae, scilicet pecunia, promittit sufficientiam in omnibus quae sunt homini necessaria; et ideo facillime affectus inclinatur in hoc: similiter etiam excellentia, quae est objectum superbiae, videtur esse magis propinquum bonum ipsi homini; et ideo appetitus facile inclinatur in illam, et etiam magis quam in avaritiam: quia pecuniam nullus diligit nisi propter aliud quod ex ea consequi intendit, ut in 1 Ethic. dicitur, sed excellentia est quoddam propter se desideratum.

1. On parle d’avarice ou de cupidité de trois manières. Premièrement, elle désigne une passion ou une inclination à une passion laissée par le péché originel, et ainsi elle n’est pas un péché, mais la racine d’un péché. Deuxièmement, elle est appelée une désir désordonné de n’importe quel bien changeant : de la science, de l’honneur, de l’argent ou de n’importe quel autre chose ; l’avarice ou la cupidité est ainsi le genre de tous les péchés. Aussi la Glose dit-elle à propos de Rm 7, 7 : J’aurais ignoré la convoitise, si la loi n’avait pas dit : « Tu ne convoiteras pas » : « La loi est bonne : alors qu’elle empêche la convoitise, elle empêche tous les maux. » Troisièmement, on parle d’avarice ou de cupidité pour le désir désordonné des choses extérieures qui se rapportent à ce qui est utile pour la vie. Elle est ainsi un péché particulier. De même parle-ton d’orgueil de trois manières. D’une manière, pour le mépris habituel du commandement et de celui qui commande, provenant de la corruption de la nature ou de n’importe carence de la créature. Ainsi il n’est pas un péché, mais l’amorce d’un péché. Deuxièmement, pour le désir d’excellence dans n’importe quoi, car quiconque désire quelque chose de manière désordonnée veut d’une certaine manière exceller en cela ; c’est pourquoi, de cette manière, l’orgueil, en tant qu’il est porté à tous les péchés, est quelque chose de commun, pour autant qu’il est un désir de n’importe quelle excellence. Troisièmement, on en parle pour le désir désordonnée de l’excellence déterminée à laquelle l’honneur et la révérence sont dus ; il est ainsi un péché particulier. Il faut donc dire qu’en enetendent de la première manière l’orgueil et la cupidité, tous les vices en proviennent comme d’une racine ou d’une origine, et non comme d’un péché capital. Si l’on en parle selon les deux secondes manières, tous les péchés en proviennent comme l’espèce d’un genre. Mais, si on parle des mêmes choses selon la troisième manière, certains vices particuliers en proviennent ainsi ; mais parfois tous les vices peuvent provenir d’eux et, plus fréquemment, tous les vices proviennent de l’un d’eux plutôt que de n’importe quel autre vice. La raison en est le caractère commun de leur objets, car l’objet de l’avarice, l’argent, promet la suffisance pour tout ce qui est nécessaire à l’homme : aussi le désir y est-il très facilement incliné. De même, l’excellence, qui est l’objet de l’orgueil, semble être un bien plus rapproché de l’homme ; c’est pourquoi le désir y est facilement incliné, davantage même qu’à l’avarice, car personne n’aime l’argent si ce n’est pour quelque chose d’autre qu’il peut en obtenir, comme il est dit dans Éthique, I, mais l’excellence est une chose qui est désirée en elle-même.

[7170] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod quamvis veniale peccatum non habeat principalitatem in ratione peccati, potest tamen habere principalitatem in fine ad quem alia ordinantur; et ideo nihil prohibet veniale peccatum esse capitale vitium.

2. Bien que le péché véniel n’ait un caractère principal dans la raison de péché, il peut cependant avoir un caractère principe pour la fin àlquelle d’autres choses sont ordonnées. C’est pourquoi rien n’empêche qu’un péché véniel soit un vice capital.

[7171] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod unum vitium dicitur caput alterius, secundum quod aliud vitium ex eo oritur: et quia in nomine filiationis magis exprimitur origo quam in nomine membri; ideo potius vitia ex his generata dicuntur filiae quam membra; et vitium ex quo generatur, dicitur potius caput per modum originis, ut dictum est.

3. Un vice est appelé la tête d’un autre selon qu’un autre vice en provient. Et parce que dans le mot « filiation » est davantage exprimé l’origine que dans le mot « membre », les vices qui sont engendrés par eux sont plutôt appelés des fils que des membres, et le vice qui engendre est plutôt appelé « tête » est plutôt appelé « tête » par mode d’origine, comme on l’a dit.

[7172] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod vitium capitale ibi sumitur vitium grave, quod poena capitis plectendum est; et ideo aequivocatio est de capitali.

4. On entend là par vice capital un vice grave qui doit être puni de la peine capitale. Il y a donc équivoque sur le mot « capital ».

[7173] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod quamvis quodlibet vitium ex quolibet possit oriri, tamen quaedam vitia sunt in quae homo facilius inclinatur etiam per se, et illa ponuntur capitalia vitia; et quaedam vitia sunt in quae non facile inclinatur aliquis nisi propter finem alterius vitii: et hujusmodi dicuntur esse filiae capitalium vitiorum; et secundum quod directius potest reduci in finem unius vitii quam alterius, secundum hoc unum vitium assignatur potius filia unius capitalis quam alterius, quamvis ex diversis interdum oriatur.

5. Bien que n’importe quel vice puisse provenir de n’importe lequel, il existe cependant certains vices auxquel l’homme est plus facilement enclins par lui-même. Ceux-ci sont présentés comme des vices capitaux. Et il existe certains vices auxquels quelqu’un n’est facilement enclins qu’en raison de la fin d’un autre vice. On les appelle fils des vices capitaux. Et selon qu’on peut le ramener plus directement à la fin d’un vice que d’un autre, un vice est ainsi désigné comme fils d’un vice capital que d’un autre, bien qu’il provienne parfois de différents [vices].

[7174] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 ad 6Ad sextum dicendum, quod plura sunt vitia quam virtutes; non tamen oportet quod plura sint vitia capitalia quam virtutes principales: quia circa unam materiam in qua est virtus, possunt esse diversa vitia; sed tamen non omnia habent principale objectum, in quod facile animus inclinetur.

6. Les vices sont plus nombreux que les vertus ; il n’est cependant pas nécessaire qu’il existe plus de vices capitaux que de vertus principales, car divers vices peuvent exister à propos d’une seule matière sur laquelle porte une vertu ; cependant, tous n’ont pas un objet principal auquel l’esprit est facilement enclin.

[7175] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 3 ad 7Ad septimum dicendum, quod fides est fundamentum, inquantum habet in se rationem cognitionis, quia ex cognitione affectio quodammodo generatur; sed infidelitas est privatio cujusdam cognitionis; et ideo per se non potest causare affectionem, sed per accidens, sicut removens cognitionem quae prohibet peccatum, per modum quo ignorantia est causa peccati; et hoc modo dicitur idolorum cultura omnium malorum origo esse. Sed iste non est modus quo alia vitia ex capitalibus oriuntur, ut dictum est.

7. La foi est fondement pour autant qu’elle comporte en elle la raison de connaissance, car la disposition affective est d’une certaine manière engendrée par la connaissance. Mais l’infidélité est la privation d’une certaine connaissance ; c’est pourquoi elle ne peut causer de disposition affective par elle-même, mais par accident, en tant qu’elle enlève la connaissance qui empêche le péché, manière selon laqulelle l’ignorance est la cause du péché. On dit ainsi que le culte des dioles est l’origine de tous les maux. Mais ce n’est pas là la manière dont les autres vicces proviennent des vices capitaux, comme on l’a dit.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum species superbiae convenienter assignentur

Article 4 – Les espèces de l’orgueil sont-elles indiquées de manière appropriée ?

[7177] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter species superbiae assignentur. Credere enim aliquid quod est contrarium articulo fidei, est peccatum infidelitatis. Sed omnia bona esse a Deo, continetur in articulis fidei, ut patet in symbolo, ubi dicitur factor visibilium et invisibilium. Ergo videtur quod cum aliquis sibi tribuit bonum quod habet, et non a Deo recognoscit, sit infidelitatis peccatum, et non superbiae.

1. Il semble que les espèces de l’orgueil soient indiquées de manière inappropriée. En effet, croire quelque chose qui est contraire à un article de foi est un péché d’infidélité. Or, que tous les biens viennent de Dieu est contenu dans les articles de foi, comme cela ressort du symbole, où il est dit qu’il est créateur de toutes les choses visibles et invisibles. Il semble donc que lorsque quelqu’un s’attribue un bien qu’il possède, et ne reconnaît pas qu’il vient de Dieu, il s’agisse d’un péché d’infidélité, et non d’orgueil.

[7178] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 4 arg. 2Praeterea, nullus peccat credendo quod verum est. Sed verum est multa bona homini pro meritis dari. Ergo videtur quod non sit peccatum superbiae credere aliquid sibi pro meritis a Deo datum esse.

2. Personne ne pèche en croyant ce qui est vrai. Or, il est vrai que beaucoup de biens sont donnés à l’homme selon ses mérites. Il semble donc que ce ne soit pas un péché d’orgueil de croire que quelque chose nous a été donné par Dieu en vertu de nos mérites.

[7179] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 4 arg. 3Praeterea, unum non potest esse contrarium duobus. Sed philosophus ponit jactantiam contrariam virtuti quae dicitur veritas, in 4 Ethic. Ergo non contrariatur humilitati; et ita non est species superbiae, sicut in littera dicitur.

3. Une chose ne peut être contraire à deux choses. Or, en Éthique, IV, le Philosophe présente la présomption comme contraire à une vertu appelée vérité. Elle ne peut donc pas être contraire à l’humilité. Et ainsi, elle n’est pas une espèce de l’orgueil, comme on le dit dans le texte.

[7180] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 4 arg. 4Praeterea, ille cui omnia videntur parva, omnia despicit. Sed magnanimo omnia parva videntur, ut philosophus in 4 Ethic. dicit. Ergo magnanimi est alia despicere. Sed illud quod est virtutis, non est superbiae. Ergo non est superbiae quod homo ceteris despectis singulariter velit videri.

4. Celui à qui tout semble petit méprise tout. Or, pour le magnanime, tout semble petit, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IV. C’est donc le prope du magnanime de mépriser les autres choses. Or, ce qui relève de la vertu ne relève pas de l’orgueil. Il ne relève donc pas de l’orgueil que l’homme veuille être considéré d’une manière singulière au mépris des autres choses.

[7181] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 4 arg. 5Praeterea, ingratitudo et inobedientia, et multa alia vitia, species superbiae assignantur. Ergo cum de his non fiat in littera mentio, videtur quod insufficienter assignentur species superbiae.

5. L’ingratitude et la désobéissance et beaucoup d’autre vices sont données commes des espèces de l’orgueil. Puisqu’il n’en est pas fait mention dans le texte, il semble donc que les espèces de l’orgueil aient été indiquées de manière insuffisante.

[7182] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod secundum philosophum, rectum est judex sui ipsius et obliqui, ut dicitur 1 de anima; et ideo ex virtute in cognitionem vitii oppositi procedendum est. Quia vero oportet ut vitium illi virtuti opponatur cum qua in objecto communicat, sicut luxuria castitati; objectum autem superbiae est altum vel arduum; ideo oportet quod magnanimitati opponatur, cujus est in magna tendere. Sciendum autem, quod magnanimus mediocriter tendit in magna. Sed haec mediocritas non attenditur secundum quantitatem ejus in quod tendit, quia hoc in quod tendit magnanimus, est maximum quantumcumque potest esse: sed attenditur mediocritas in duobus; scilicet in electione magni, et in proportione sui ad magnum. In electione magni dico: quia tendit in id quod est magnum simpliciter, quod est scilicet actus virtutis perfectus; non autem tendit principaliter in id quod est magnum secundum quid, sicut sunt exteriora bona, inter quae praecipue magnum honor. Non enim magnanimus honorem quaerit tamquam finem voluntatis suae, quia hoc nimis sibi parvum reputat, cum sit vanum et transitorium bonum; unde non multum curat honorari, sed fieri honore dignum, secundum quod honor est testimonium virtutis. Item mediocritas attenditur in hoc quod non tendit in quodcumque magnum quod sibi improportionatum sit, sed in magnum quod potest esse sibi proportionatum; et ideo nullus potest esse magnanimus, nisi virtuosus, qui est habilis ad magna: et propter hoc etiam philosophus dicit, quod magnanimitas est ornamentum virtutum omnium: quia magnanimitas inclinat ad faciendum magna in omnibus virtutibus, ut quod faciat maximos actus fortitudinis, temperantiae, et hujusmodi: et secundum haec duo, inanis gloria et superbia sunt oppositae magnanimitati: quia inanis gloria non tendit in id quod est magnum simpliciter, et quod magnanimitas per se quaerit, sed in magnum exterius, ut in laudem vel honorem, vel aliquid hujusmodi; superbia vero tendit in magnum simpliciter, sed non secundum proportionem suam; et ideo quia actus fortitudinis est maxime arduus et difficilis, propter hoc superbus praecipue anhelat ad superabundantiam fortitudinis; et ideo dicit philosophus in 3 Ethic., quod superbus vult videri audax. Quod autem tendit in aliquid magnum non sibi proportionatum, potest contingere dupliciter. Aut quia illud simpliciter secundum se et absolute deficit sibi; et secundum hoc est tertia species, quae jactantia dicitur. Aut quia quamvis habeat, non tamen habet eo modo excellenti sicut nititur. Iste autem modus excellens est duplex, secundum duplicem modum quo aliquid est in causa excellentius quam in causato. Causa enim abundantius et perfectius habet aliquid quam causatum, sicut ignis calorem quam elementata; et secundum hunc modum excellentiae est quarta species, quia vult singulariter videri. Item quod est causa, non habet ab alio, sed a se, inquantum est causa hujus quod in effectu ab alio est; et secundum hoc sunt duae primae species superbiae: quia secundum primam speciem superbiae attribuit sibi hoc quod habet tamquam non ab alio sibi sit datum; secundum autem secundam attribuit sibi sicut causae meritoriae.

Réponse. Ce qui est juste est juge de soi et de son contraire, comme il est dit dans Sur l’âme, I. Aussi faut-il avancer dans la connaissance du vice opposé à partir de la vertu. Mais comme il faut que le vice contraire s’oppose à la vertu avec laquelle il a un objet commun, comme la luxure à la chasteté, et que l’objet de l’orgueil est ce qui est élevé et difficile, il est donc nécessaire qu’il s’oppose à la magnanimité, à laquelle il appartient de tendre vers ce qui est grand. Or, il faut savoir que le magnanime tend vers ce qui est grand comme vers un milieu. Mais ce milieu ne se prend pas de la quantité de ce à quoi il tend, car ce vers quoi tend le magnanime est ce qui peut exister de plus grand ; mais ce milieu vient de deux choses : du choix de ce qui est grand et de sa proportion par rapport à ce qui est grand. Je dis : dans le choix de ce qui est grand, car il tend vers ce qui est grand tout simplement, qui est un acte parfait de vertu ; mais il ne tend pas vers ce qui est grand de manière relative, comme le sont les biens extérieurs, parmi lesquels l’honneut est ce qu’il y a de plus grand. En effet, le magnanime ne recherche pas l’honneur comme fin de sa volonté, car il estime que cela est trop petit pour lui, puisque cela est vain et transitoire. Aussi ne se préoccupe-t-il pas beaucoup d’être honoré, mais de devenir digne d’honneur, selon que l’honneur est un témoignage rendu à la vertu. De plus, le milieu vient de ce qu’il ne tend pas vers n’importe quelle grandeur qui ne lui est pas proportionnée, mais vers une grandeur qui peut lui être proportionnée. C’est pourquoi personne d’autre ne peut être magnanime que celui est qui est vertueux, qui est apte à ce qui est grand. Pour cette raison aussi le Philosophe dit que la magnanimité est la parure de toute les vertus, car la magnanimité inciline à faire de grandes chioses dans toutes les vertus, comme à faire les plus grands actes de force, de tempérance, et ainsi de suite. Sous ces deux aspects, la vaine gloire et l’orgueil sont opposées à la magnanimité, car la vaine gloire ne tend pas à ce qui est grand tout simplement et à ce que la magnanimité recherche par soi, mais à une grandeur extérieure, coomme à la louange ou à l’honneur, ou à quelque chose de ce genre ; mais l’orgueil tend à ce qui est grand tout simplement, mais non selon ce qui lui est proportionné. Aussi, parce que l’acte de la force est au plus haut point pénible et difficile, à cause de cela l’orgueilleux aspire-t-il principalement à un excès de force. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Éthique, III, que l’orgueilleux veut paraître audacieux. Mais qu’il tende à une grandeur qui ne lui est pas proportionnée, cela peut se produire de deux manière. Soit que cela lui fait défaut tout simplement et de manière absolue : on a alors la troisième espèce, qui s’appelle l’ostentation. Soit, tout en la possédant, il ne la possède de la manière excellente à laquelle il prétend. Or, ce mode excellent est double, selon le double mode selon lequel quelque chose existe d’une manière plus excellente dans la cause que dans ce qui est causé. En effet, la cause possède quelque chose de manière plus abondante et plus parfaite que ce qui est causé, comme le feu possède mieux la chaleur que les éléments. Selon ce mode d’excellence, on a la quatrième espèce, car l’orgueilleux cherche à être vu comme unique. De même, ce qui est cause ne le tient pas d’un autre, mais de soi, dans la mesure où il est cause de ce qui existe dans l’effet comme venant d’un autre. Sous cet aspect, on a les deux premières espèces d’orgueil, car, selon la première espèce d’orgueil, celui-ci s’attribue ce qu’il possède comme si cela ne lui a pas été donné par un autre ; mais, selon la deuxième [espèce], il se l’attribue comme s’il en était la cause méritoire.

[7183] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod peccatum superbiae non est in sola cogitatione, sed in affectione: non enim superbus hoc credit quod aliquod bonum sit quod non est a Deo; sed hoc modo se de bono quod habet, magnificat, ac si ab alio non haberet.

1. Le péché d’orgueil ne consiste pas dans la seule pensée, mais dans une disposition affective. En effet, l’orgueilleux ne croit pas que quelque chose est bon et que cela ne vient pas de Dieu, mais il se glorifie d’un bien qu’il possède comme s’il ne le tenait pas d’un autre.

[7184] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod merita nostra insufficientia sunt ad ea quae pro meritis redduntur: et praeterea ipsorum meritorum non solum causa sumus nos; sed principalis causa est gratia, quae a Deo tantum est.

2. Nos mérites sont insuffisants par rapport à ce qui nous est donné par les mérites. De plus, non seulement nous ne sommes pas nous-mêmes cause des mérites eux-mêmes, mais la cause principale en est la grâce, qui vient de Dieu seulement.

[7185] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod jactantia, secundum quod dicit quamdam exteriorem ostensionem per verba vel gestus, ejus quod intus non habetur, est oppositum veritati; sed secundum quod jactantia dicit quamdam excellentiam, qua animus hominis seipsum extollit interius de eo quod non habet, opponitur humilitati, et est species superbiae.

3. L’ostentation, selon laquelle on exprime on se met en quelque sorte en évidence par des paroles ou par des gestes, est l’opposé de la vérité de ce qui n’est pas possédé intérieurement. Mais selon que l’ostentation qui exprime une certaine excellence, par laquelle l’esprit de l’homme se vante de ce qu’il ne possède pas, s’oppose à l’humilité, elle est aussi une espèce de l’orgueil.

[7186] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod magnanimo omnia parva videntur, non quia bona aliorum despiciat, sed quia nihil est in humanis actibus quod tamquam insolitum admiretur, cum cogitatio sua sit ad faciendum maxima quaeque: propter quod dicit philosophus, quod magnanimus non est admirativus.

4. Tout semble petit au magnanime, non pas parce qu’il méprise les biens des autres, mais parce qu’il n’existe rien dans les actes humains qui suscite l’admiration comme étant insolite, puisque sa pensée se porte vers l’accomplissement de tout ce qui est le plus grand. Pour cette raison, le Philosophe dit que le magnanime n’est pas admiratif.

[7187] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod inobedientia et ingratitudo non sunt species superbiae, quasi essentialiter superbiam dividentes; sed dicuntur superbiae species inquantum participant aliquid superbiae, secundum quod a superbia imperantur.

5. La désobéissance et l’ingratitude ne sont pas des espèces de l’orgueil, comme des divisisions essentielles de l’orgueil ; mais on les appelle des espèces de l’orgueil dans la mesure où elles participent à quelque chose de l’orgueil, selon qu’elles sont commandées par l’orgueil.

 

 

ARTICULUS 5 Utrum omnia peccata sint paria

Article 5 – Tous les péchés sont-ils égaux ?

[7189] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur quod omnia peccata sint paria. Virtus enim est aequalitas quaedam, eo quod est in medietate consistens. Sed aequalitas non est nisi uno modo, quasi indivisibilis existens. Ergo illud quod privat virtutem, totam eam privat. Sed privatio non recipit magis et minus, nisi forte secundum hoc quod habitus vel totus vel in parte privatur. Ergo et peccatum, quod dicitur per privationem virtutis, non recipit magis et minus.

1. Il semble que tous les péchés soient égaux. En effet, la vertu est une certaine égalité, dufait qu’elle se situe au milieu. Or, l’égalité n’existe que d’une manière, en étant pour ainsi dire indivisible. Ce qui prive de la vertu en prive donc totalement. Or, la privation n’est pas affectée de plus ou de moins, si ce n’est selon qu’un habitus est privé en totalité ou en partie. Donc, le péché, qui est appelé une privation de la vertu, ne re^coit pas de plus et de moins.

[7190] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 arg. 2Praeterea, albius est quod est nigro impermixtius, ut philosophus dicit. Sed quodlibet vitium est omnino impermixtum virtuti, quia nihil virtutis est in vitio. Ergo unum vitium non est gravius alio.

2. Est davantage blanc ce qui n’est aucunement mélangé de noir, comme le dit le Philosophe. Or, tout vice n’est aucunement mélangé de vertu, car il n’existe rien du vice dans la vertu. Un vice n’est donc pas plus grave qu’un autre.

[7191] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 arg. 3Praeterea, si esset praeceptum alicui quod catenam non transgrederetur, quicumque eam transiret, puniretur, nec esset differentia utrum eam per unum passum vel per duos transiret, quia aequaliter pro utroque puniretur. Sed praeceptum legis divinae et legis naturalis est ut homo rectitudinem virtutis non transeat. Ergo qualitercumque aliquid extra rectitudinem virtutis fiat, non differt; et ita omnia peccata sunt paria.

3. S’il avait été commandé à quelqu’un de ne pas franchir une chaîne, quiconque la franchirait serait puni, et cela ne ferait pas de différence qu’il l’ait franchie d’un pas ou de deux, car il serait également puni pour les deux choses. Or, le commandement de la loi divine et de la loi naturelle est que l’homme ne franchisse pas la droiture de la vertu. Quelle que soit la manière dont quelque chose chose est accompli en dehors de la droiture de la vertu, cela ne fait donc aucune différence, et ainsi tous les péchés sont égaux.

[7192] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 arg. 4Praeterea, eadem imperitia imponitur nautae, sive navis in pelago sive in littore submergatur. Sed sicut nauta per artem suam regit navem ne pereat; ita homo per virtutem suam regitur ne in actu peccet. Ergo idem praejudicium est virtutis, qualitercumque homo in peccatum ruat.

4. On attribue au marin la même inexpérience, que le navire soit en mer ou qu’il soit sur la rive. Or, de même que le marin dirige le navire par son art afin qu’il ne périsse pas, de même l’homme est-il dirigé par sa vertu afin de ne pas pécher dans son acte. Le même préjudice est donc porté à lavertu, quelle que soit la manière dont l’homme se précipite dans le péché.

[7193] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 arg. 5Praeterea, ex hoc aliquid est malum, quia nocet, ut Augustinus dicit. Sed omne peccatum mortale aequaliter nocet, eo quod quodlibet peccatum mortale privat omnes virtutes. Omnia ergo peccata, mortalia saltem, sunt aequalia.

5. Quelque chose est mauvais du fait que cela est nuisible, comme le dit Augustin. Or, tout péché mortel est également uisible, du fait que tout péché mortel prive de toutes les vertus. Tous les péchés, du moins les péchés mortels, sont donc égaux.

[7194] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 arg. 6Praeterea, aequalitas est in omnibus virtutibus propter caritatem, quae est mater earum, sicut dicitur Apoc. penul., quod latera civitatis sunt aequalia. Sed similiter omnium peccatorum mater est cupiditas, ut in littera dicitur. Ergo omnia peccata sunt paria.

6. L’égalité se trouve dans toutes les vertus en raison de la charité, qui est la mère de celles-ci, comme il est dit dans Ap 21, que les murs de la ville sont égaux. Or, la convoitise est semblablement la mère de tous les péchés, comme le dit le texte. Tous les péchés sont donc égaux.

[7195] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 s. c. 1Sed contra, peccatum nihil aliud est quam quaedam obliquatio a rectitudine virtutis. Sed contingit lineam unam magis esse curvam quam aliam, ut ex 4 Phys. potest accipi. Ergo contingit unum peccatum esse majus alio.

Cependant, [1] le péché n’est rien d’autre qu’un certain écart par rapport à la droiture de la vertu. Or, il arrive qu’une ligne soit plus courbe qu’une autre, comme on peut le conclure de Physique, IV. Il arrive donc qu’un péché soit plus grand qu’un autre.

[7196] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 s. c. 2Praeterea, sicut falsitas est recessus ab aequalitate veritatis, ita et peccatum est recessus ab aequalitate virtutis. Sed contingit esse falsitatem magis et minus, sicut dicit philosophus in 4 Metaph., quod error aestimantis tria esse quinque non est tantus sicut error aestimantis tria esse mille. Ergo et peccatum contingit esse gravius alio peccato.

[2] De même que la fausseté est l’éloignement de l’égalité de la vérité, de même aussi le péché est-il un éloignement de l’égalité de la vertu. Or, il arrive qu’une fausseté soit plus ou moins grande, comme le Philosophe dit, dans Métaphysique, IV, que l’erreur de celui qui estime que trois choses en sont cinq n’est pas aussi grande que celui qui estime que trois choses en sont mille. Il arrive donc qu’un péché soit plus grand qu’un autre péché.

[7197] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod Stoicorum opinio fuit (quos Tullius imitatur, ut in libro de paradoxis patet) omnia peccata paria esse: cujus positionis ratio fuit, quia aestimaverunt bonitatem virtutis esse in quodam indivisibili, ex eo quod virtus non est nisi ex debita proportione omnium circumstantiarum ad actum, quod non contingit nisi uno modo: et ideo virtus comparatur his quorum ratio in indivisibili est, idest quae tantum uno modo contingit, sicut comparatur aequalitati, rectitudini, et centro circuli. Unde putaverunt quod nihil de bonitate remaneat, quantulumcumque ab hoc indivisibili discedatur: et quia per quodlibet peccatum ab hoc indivisibili disceditur, ideo putaverunt sequi quod omnia peccata essent paria. Sed haec positio ex quatuor falsis videtur sequi. Primo, quia secundum opinionem Socratis, quae tangitur 6 Ethic., ponebant virtutem et scientiam idem esse: et ideo cum eadem sit scientia rectificandi se in omnibus humanis actibus; ex omnibus virtutibus unam conflabant, quam sapientiam dicebant: et ideo non erat disparitas vitiorum ex oppositione ad diversas virtutes. Hoc autem falsum est, ut ibidem philosophus ostendit: quia virtus praeter scientiam est habitus inclinans ad id quod est rationi conveniens. Secundo, quia ratio virtutis non est omnino in indivisibili: quia, ut in 2 Ethic. dicitur, non oportet semper medium attingere ad hoc quod sit opus virtutis, sed sufficit circa medium esse; sed verum est quod perfectio virtutis in indivisibili consistit. Tertio, quia etsi ratio virtutis omnino consisteret in indivisibili, non tamen ratio bonitatis in indivisibili consistit, sicut nec ratio perfecti: eo quod contingit perfectionem perfectioni superaddi, quarum unaquaeque rationem bonitatis causat; et ideo minor est bonitas si duae perfectiones subtrahantur quam si una tantum: et secundum hoc si non esset virtus nisi quando actus esset perfectus secundum omnes circumstantias omnino ad medium concurrentes, tamen unaquaeque circumstantia suam bonitatem haberet: et ideo pejor actus esset in quo corrumperentur duae circumstantiae quam in quo corrumperetur tantum una. Quarto, quia etsi ratio bonitatis in indivisibili sit, et negatio secundum magis et minus non dicatur in se; tamen quantum ad causam suam intenditur et remittitur; sicut dicitur magis caecus cui ex toto erutus est oculus, quam qui ex aliquo humore ad pupillam concurrente visum amittit; quamvis uterque caecus sit: et per hunc modum etiam inaequalitas dicitur secundum magis et minus: quia distantia ab aequalitate, quae aequalitatem tollit, potest esse major vel minor; et per hunc etiam modum, secundum majorem vel minorem distantiam a bonitate, posset actus dici magis vel minus malus. Et ideo simpliciter concedendum est, unum peccatum alio gravius esse. Hoc autem contingit duobus modis. Uno modo ex parte ipsius peccati in se: alio modo ex parte peccantis. Ex parte peccati in se accidit major vel minor gravitas peccati ex illa causa ex qua quis actus malus secundum se dicitur. Hoc autem est secundum quod actus discordat a rectitudine rationis. Unicuique enim naturae indita est naturalis quaedam inclinatio in suum finem: et ideo in ratione est quaedam naturalis rectitudo, per quam in finem inclinatur: et ideo illud quod abducit a fine illo, est discordans a ratione: et quia lex naturalis est secundum quam ratio recta est, ideo Augustinus dicit contra Faustum Manich., quod peccatum dicitur, inquantum discordat a lege aeterna, cujus expressio est ipsa lex naturalis. Quanto ergo aliquis actus magis abducit a fine humanae vitae, tanto in se gravius peccatum est; sive hoc contingat ex materia circa quam peccatur, sive ex corruptione plurium vel paucarum circumstantiarum. Ex parte autem peccantis etiam peccatum est gravius quantum ad duo; vel propter majorem contemptum, vel etiam propter majorem libidinem; quorum primum respicit aversionem, et secundum conversionem peccati. Sed ista gravitas accidentalis est peccato, secundum quod in genere suo consideratur: quia illud quod ex genere suo est levius, potest esse gravius, cum ex majori libidine vel contemptu fit.

Réponse. Les stoïciens – suivie par Tullius [Cicéron], comme cela est clair dans le livre Sur les paradoxes) ‑ étaient d’avis que tous les pécés étaient égaux. La raison de cette position était qu’ils estimaient que la bonté de la vertu consistait dans quelque chose d’indivisible, du fait que la vertu ne provient que de la proportion nécessaire entre toutes les circonstances et un acte. Ainsi, la vertu se compare à ce dont la raison consiste dans quelque chose d’indivisible, à savoir qu’elle ne survient que d’une seule manière, comme elle se compare à l’égalité, à la droiture et au centre d’un cercle. Ils ont donc pensé que rien ne demeure de la bonté si elle s’écarte de quelque façon de cet indivisible. Et parce qu’on s’écarte de cet indivisible par n’importe quel péché, ils ont donc pensé qu’il en découlait que tous les péchés étaient égaux. Mais cette position semble découler de quatre faussetés. Premièrement, parce qu’en suivant l’opinion de Socrate, abordée dans Éthique, VI, ils affirmaient que la vertu et la science sont la même chose. Ainsi, puisqu’ils pensaient que la science de se montrer droit dans tous les actes humains, qu’ils appelaient sagesse, étaient unique pour toutes les vertus, il n’existait pas d’inégalité entre les vices en raison de leur opposition à des vertus différentes. Or, cela est faux, comme le montre le Philosophe au même endroit, car, au-delà de la science, la vertu est un habitus qui incline à ce qui est approprié à la raison. Deuxièmement, parce que la raison de vertu ne consiste pas tout simplement dans quelque chose d’indivisible, car, ainsi qu’il est dit dans Éthique, II, il n’est pas nécessaire que le milieu coïncide ce qui est l’œuvre de la vertu, mais il suffit qu’il soit dans le voisinage du milieu ; mais il est vrai que la perfection de la vertu consiste dans quelque chose d’indivisible. Troisièmement, parce que même si la raison de vertu consistait dans quelque chose d’indivisible, la raison de bonté ne conciste cependant pas dans quelque chose d’indivisible, pas davantage que la raison de parfait, du fait qu’il arrive qu’une peerfection s’ajoute à une perfection, dont chacune cause une raison de bonté ; ainsi, si deux perfections sont enlevées, la bonté est moindre que si une seule l’est. De cette manière, s’il n’y avait de vertu que lorsqu’un acte est parfait selon toutes les circonstances coïncident avec le milieu, chaque circonstance aurait néanmoins sa bonté. C’est pourquoi l’acte dans lequel deux circonstances seraient corrompues serait pire que celui dans lequel une seule serait corrompue. Quatrièmement, parce que même si la raison de bonté consiste dans quelque chose d’indivisible et qu’il n’y ait pas en elle de négation en plus et en moins, il y a cependant intensité et relâchement du point de vue de sa cause, comme on dit qu’est moins aveugle celui qui perd la vue en raison d’une humeur qui affecte la pupille, que celqui dont l’œil a été complètement arraché, bien que tous deux soient aveugles. De cette manière aussi, on parle d’inégalité en plus ou en moins, car la distance par rapport à l’égalité qui enlève l’égalité peut être plus ou moins grande. De cette manière, on pourrait dire d’un acte qu’il est plus ou moins mauvais selon sa plus ou moins grande distance par rapport à la bonté. Aussi faut-il concéder tout simplement qu’un péché est plus grave qu’un autre. Et cela se produit de deux manières. D’une manière, du point de vue du péché en lui-même ; de l’autre manière, du point de vue de celui qui pêche. Du point de vue du péché, il arrive qu’il y ait en lui une gravité plus ou moins grande en vertu de la cause selon laquelle un acte est appelé mauvais en lui-même. Or, cela provient vient de ce qu’un acte est en désaccord avec la droiture de la raison. En effet, chaque nature a en elle-même une certaine inclination à sa fin. C’est pourquoi il existe dans la raison une certaine inclination naturelle par laquelle elle est encline à sa fin. Aussi, ce qui éloigne de cette fin est en désaccord avec la raison. Et parce que la loi naturelle est ce par rapport à quoi la raison est droite, c’est la raison pour laquelle Augustin dit, Contre le manichéen Faustus, qu’on parle de péché dans la mesure où il y a désaccord par rapport à la loi éternelle, dont la loi naturelle est elle-même l’expression. Plus un acte éloigne de la fin de la vie humaine, plus grave est donc en lui le pécé, que cela provienne de la matière à propos de la quelle il y a péché, ou de la corruption de plusieurs ou d’un petit nombre de circonstances. Du point de vue de celui qui pèche, la plus grande gravité du péché vient aussi de deux choses : en raison d’un mépris plus grand ou encore en raison d’une convoitise plus grande. La première concerne l’aversion [qui existe dans le péché], et la seconde la conversion qui existe dans le péché. Mais cette grtavité est accidentelle pour le péché, selon qu’il est envisagé dans son genre, car ce qui est plus léger par son genre peut être plus grave, lorsque cela est accompli en raison d’une plus grande convoitise ou d’un mépris plus grand.

[7198] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod quamvis virtus sit aequalitas, non tamen oportet ad esse virtutis quod ad omnimodam aequalitatem perveniatur; hoc enim est de perfectione virtutis: et ideo virtus intenditur et remittitur vel ex parte ipsius actus, qui tanto virtuosior est, quanto ad aequalitatem magis accedit; vel ex parte operantis, qui quanto perfectiori habitu operatur, tanto actus ejus virtuosior est, etiam si sit actus ejusdem generis: et similiter est de peccato. Et praeterea, si etiam virtus esset uno modo tantum, ratio non procederet, sicut ex praedictis patet.

1. Bien que la vertu soit une égalité, il n’est cependant pas nécessaire pour qu’existe la vertu qu’on parvienne à une égalité totale : en effet, cela relève de la perfection de la vertu. Aussi la vertu s’intensifie-t-elle ou se relâche-t-elle soit du point de vue de l’acte même, qui est d’autant plus vertu qu’il s’approche davantage de l’égalité, soit du point de vue de celui qui agit, dont l’acte est d’autant plus vertueux qu’il agit selon un habitus plus parfait, même s’il s’agit d’un acte du même genre. De même en est-il pour le péché. De plus, même si la vertu n’existait que selon un seul mode, le raisonnement ne serait pas concluant, comme cela apparaît par ce qui a été déjà été dit.

[7199] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 ad 2Ad secundum dicendum, quod in quolibet peccato est aliquid virtutis; virtus enim constituitur ex aequalitate omnium circumstantiarum. Non est autem possibile, ut philosophus dicit, ut omnium circumstantiarum corruptio fiat; et ideo aliquid virtutis in actu peccati remanet; et ideo habet peccatum aliquam permixtionem ad virtutem; et ideo ratio non procedit.

2. En tout péché, il existe quelque chose de la vertu : en effet, la vertu est constituée par l’églaité de toutes les circonstances. Or, il n’est pas possible, comme le dit le Philosophe, que toutes les circosntances soient corrompues. Aussi quelque chose de la vertu demeure dans l’acte du péché. C’est pourquoi le péché comporte un mélange de vertu. Aussi, le raisonnement n’est-il pas concluant.

[7200] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 ad 3Ad tertium dicendum, quod aliquid est in se malum; et aliquid malum est tantum quia prohibitum. In illis ergo quae sunt mala quia prohibita tantum, non differt utrum parum vel multum a praecepto elongetur ex parte ipsius actus: quamvis differat ex parte agentis, secundum quod majori vel minori contemptu potest facere. Hujus ratio est, quia in his tota ratio malitiae est ex hoc quod non servat praeceptum; et ita ratio bonitatis est in eo quod institutum est per praeceptum; et ideo si hoc tollitur, nil bonitatis manet. Sed non omnia peccata sunt hujusmodi; et ideo ratio non procedit.

3. Une chose est mauvaise en elle-même, et une chose n’est mauvaise que parce qu’elle est défendue. Dans les choses qui ne sont mauvaises que parce qu’elles sont défendues, qu’on s’éloigne plus ou moins du commandement ne fait donc pas différence du point de vue de l’acte lui-même, bien que cela fasse une différence du point de vue de celui qui agit, selon qu’il peut agir agir par un mépris plus oou moins grand. La raison en est que, dans ces choses, toute la raison de méchanceté vient de ce qu’on n’observe pas le commandement ; et ainsi, la raison de bonté consiste dans ce qui a été établi par le commandement. C’est pourquoi, si cela est enlevé, rien ne demeure de la bonté. Mais tous les péchés ne sont pas de cette sorte. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

[7201] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod in submersione navis, ubicumque submergatur, est aequale damnum, quia eadem res utrobique perditur; sed non in quolibet peccato est aequale damnum; immo in uno peccato perditur una debita circumstantia, in alio duae, et sic de aliis; et ideo non est simile.

4. Dans le naufrage du navire, le dommage est le même, où qu’il soit submergé, car la même chose est perdue dans les deux endroits. Mais le dommage n’est pas le même dans n’importe quel péché. Bien plus, dans un péché, une seule circonstance est perdue, dans un autre, deux, et ainsi de suite. Ce n’est donc pas la même chose

[7202] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod quamvis quodlibet peccatum mortale tollat omnes virtutes, unum tamen tollit plus de habilitate ad virtutem quam aliud; et praeterea unum peccatum tollit per se illam virtutem cui opponitur, sed quasi per accidens aliam virtutem.

5. Bien que tout péché mortel enlève toutes les vertus, l’un enlève cependant davantage d’aptitude à la vertu qu’un autre. De plus, un péché enlève par lui-même la vertu à laquelle il est opposé, mais [il enlève] une autre vertu pour ainsi dire par accident.

[7203] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 ad 6Ad sextum dicendum, quod caritas non facit omnes virtutes esse aequales secundum quantitatem, quia una virtus nobilior est alia, sed solum secundum proportionem: quia quantum augetur una virtus, tantum augetur alia proportionaliter; et est simile de augmento digitorum manus; et ita etiam non oportet omnia peccata aequalia esse. Et praeterea caritas est dilectio unius rei, scilicet Dei; cupiditas autem ad plura se habet; et ideo non habet rationem uniendi et adaequandi, sicut caritas.

6. La charité ne rend pas égales toutes les vertus selon la quantité, car une vertu est plus noble qu’une autre, mais seulement seulement une proportion, car selon qu’une vertu est augmentée, une autre l’est proportionnellement. Cela ressemble à la croissance des doigts de la main. Et ainsi, il n’est pas non plus nécessaire que tous les péchés soient égaux. De plus, la charité est l’amour d’une réalité, Dieu ; mais la convoitise se porte sur plusieurs choses. C’est pourquooi elle n’a pas une raison d’unification et d’égalisation, comme la charité.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 42, 2

[7204] Super Sent., lib. 2 d. 42 q. 2 a. 5 expos.Praeterea sciendum est, septem esse vitia capitalia. Videtur inconvenienter numerare vitia capitalia: quia superbia est aliud ab inani gloria; ergo inanis gloria male ponitur loco superbiae. Sed dicendum, quod quia, ut ostensum est, superbia habet majorem aptitudinem ut ex ea omnia vitia alia oriantur, quam aliquod aliorum; ideo Gregorius, non posuit superbiam quasi speciale caput vitiorum, sed quasi caput universale omnium, et nominavit eam reginam omnium vitiorum; et loco ejus inter vitia capitalia posuit inanem gloriam, quae est propinquissima filia sua. Isidorus autem considerans quod ex superbia omnia alia generantur, sed quaedam frequentius, quae magis cum ipsa conveniunt, ponit ibi superbiam speciale caput horum vitiorum quae ut frequenter ab ea oriuntur; et ideo computavit eam inter septem vitia capitalia, ut patet Deuter. 7 in Glossa.

 

 

 

DISTINCTIO 43

Distinction 43 – [Le péché contre l’Esprit saint]

 

 

QUAESTIO 1

Question unique – [Le péché contre l’Esprit saint existe-t-il et quelle est sa nature ?]

PROOEMIUM

Prologue

[7205] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 pr.Postquam diversa genera peccatorum assignavit, in parte ista determinat de quodam genere peccati quod ceteris aliis gravius invenitur, scilicet de peccato in spiritum sanctum; et dividitur in partes duas: in prima ostendit gravitatem hujus peccati; in secunda quaerit quid sit istud peccatum, ibi: sed quaeritur, quid sit illud peccatum in spiritum sanctum. Et dividitur in partes tres, secundum tres assignationes hujus peccati quas facit; secunda ibi: est et alia hujus peccati assignatio; tertia ibi: de hoc quoque peccato in spiritum sanctum Ambrosius (...) definitam assignationem tradit. Prima dividitur in duas: in prima ponit assignationem quamdam peccati in spiritum sanctum, magistralem; in secunda movet quamdam quaestionem, et solvit, ibi: sed quaeritur, utrum omnis obstinatio mentis in malitia obduratae, omnisque desperatio, sit peccatum in spiritum sanctum. Est et alia hujus peccati assignatio. Hic ponit secundam assignationem, ex verbis Augustini sumptam; et primo ponit eam; secundo ex verbis ejusdem ostendit, quomodo sit accipienda, ibi: illam tamen definitionem Augustinus in Lib. Retract. rememorans, aliquid adjiciendum ibi fore, nec asserendo se dixisse aperit. De hoc quoque peccato Ambrosius in Lib. de spiritu sancto disserens definitam assignationem tradit. Hic ponit tertiam assignationem secundum Ambrosium: et primo ponit eam; secundo removet quoddam dubium quod potest esse, ibi: non itaque distinctio illa verborum sic accipienda est. Hic sex quaeruntur: 1 an sit peccatum in spiritum sanctum, et quid sit; 2 utrum sit distinctum ab aliis peccatis; 3 de speciebus ejus; 4 de irremissibilitate ipsius; 5 utrum peccatum in spiritum sanctum praeexigat alia peccata, 6 quibus conveniat in spiritum sanctum peccare.

Après avoir indiqué divers genres de péchés, [le Maître] détermine dans cette partie d’un genre de péché, qui se trouve être plus grave que les autres : le péché contre le Saint-Esprit. Il y a deux parties : dans la première, il montre la gravité de ce péché ; dans la seconde, il demande ce qu’est ce péché, à cet endroit : « Mais on recherche ce qu’est ce péché contre le Saint-Esprit. » Et il y a trois parties, selon les trois explications qu’il donne de ce péché ; la deuxième est à cet endroit : « Il existe aussi une autre explications pour ce péché » ; la troisième se trouve à cet endroit : « À propos de ce péché contre l’Esprit saint, Ambroise… donne aussi une explication précise. » La première partie se divise en deux : dans la première, il présente une explication du péché contre le Saint-Esprit donnée par un maître ; dans la seconde, il soulève une objection et la résout, à cet endroit : « Mais on demande si toute obstination de l’esprit endurci dans le mal et tout désespoir est le péché contre le Saint-Esprit. » « Il y a aussi une deuxième explication de ce péché. » [Le Maître] présente ici la deuxième explication tirée des paroles d’Augustin. En premier lieu, il la présente ; deuxièmement, à partir de ses mots, il montre comment il faut l’entendre, à cet endroit : « Se rappelant cette définition dans le livre Rétractations, Augustin dit qu’il faut lui ajouter quelque chose et il affirme qu’il ne l’a pas donnée par mode d’affirmation. » « Parlant aussi de ce péché dans le livre sur L’Esprit saint, Ambroise en donne une explication précise. » [Le Maître] présente ici la troisième explication, celle d’Ambroise. Premièrement, il la présene ; deuxièmement, il écarte un doute qui pourrait exister, à cet endroit : « Il ne faut pas non plus entendre de cette manière cette distinction entre les mots. » Six questions se posent ici : 1. Existe-t-il un péché contre l’Esprit saint et quel est-il ? 2. Se distingue-t-il des autres péchés ? 3. À propos de ses expèces. 4. À propos de son caractère irrémissible. 5. Le péché contre l’Esprit saint suppose-t-il d’autres péchés ? 6. Quels sont ceux qui sont disposés à pécher contre l’Esprit saint ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum sit aliquod peccatum in spiritum sanctum

Article 1 – Existe-t-il un péché contre l’Esprit saint ?

[7207] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod nullum sit peccatum in spiritum sanctum. Quia, secundum quod in littera dicitur, illi dicuntur in spiritum sanctum peccare quibus placet malitia propter se sicut piis bonitas. Sed malitia nulli propter se placet: quia malum est praeter voluntatem, et nullus ad malum intendens operatur, ut Dionysius dicit. Ergo secundum hoc nullus in spiritum sanctum peccat.

1. Il semble qu’il n’eciste aucun péché contre l’Esprit saint, car, ainsi que le dit le texte, on dit que pèchent contre le Saint-Esprit ceux à qui plaît le mal pour lui-même, comme le bien plaît aux bons. Or, le mal ne plaît à personne pour lui-même, car le mal est hors de la volonté, et personne n’agit en vue du mal, comme le dit Denys. Donc, de cette façon, personne ne pèche contre l’Esprit saint.

[7208] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, omne peccatum hominis ex corruptione naturae nascitur. Sed peccatum quod est ex corruptione naturae, est ex infirmitate. Cum autem peccatur per infirmitatem, non peccatur in spiritum sanctum, ut in littera dicitur. Ergo nullum peccatum est in spiritum sanctum.

2. Tout péché provient de la corruption de la nature de l’homme. Or, le péché qui provient de la corruption de la nature vient de la faiblesse. Or, lorsqu’on p`che par faiblesse, on ne pèche pas contre l’Esprit saint, comme le dit le tecte. Il n’existe donc aucun péché contre l’Esprit saint.

[7209] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, Augustinus dicit, quod omne peccatum ex errore est. Sed error ignorantiam includit. Quod autem per ignorantiam est, condividitur contra peccatum in spiritum sanctum. Ergo nullum peccatum est in spiritum sanctum.

3. Augustin dit que tout péché vient d’une erreur. Mais l’erreur comporte l’ignorance. Or, ce qui est le fait de l’ignorance s’oppose au péché contre l’Esprit saint. Il n’existe donc aucun péché contre l’Esprit saint.

[7210] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, si aliquis peccat in spiritum sanctum, aut est in statu viae, aut post viam. Sed post viam esse non potest: quia tunc non erit tempus merendi et demerendi, ut plures dicunt: sed recipiendi pro his quae gessit, sive bonum sive malum. Similiter nec in statu viae: quia de nemine desperandum est, secundum Augustinum, dum vivit. Peccatum autem in spiritum sanctum est peccatum desperantium, quia pro eo oratio interdicitur 1 Joan. ult. Ergo nullus in spiritum sanctum peccat.

4. Si quelqu’un pèche contre l’Esprit saint, c’est dans l’état de cheminement ou après le cheminement. Or, après le cheminement, cela ne peut exister, car ce ne sera pas alors le temps de mériter et de démériter, comme le disent plusieurs, mais celui de recevoir en fonction de ce qu’on a fait en bien ou en mal. Ce n’est pas non plus dans l’état de cheminement, car, aussi longtemps qu’il vit, il ne faut désespérer de personne, selon Augustin. Or, le péché contre l’Esprit saint est le péché de ceux qui désespèrent, car il est défendu de prier pour eux, 1 Jn 5. Personne ne pèche donc contre l’Esprit saint.

[7211] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, quorum una est majestas et gloria, una est offensa. Sed patris et filii et spiritus sancti una est divinitas, aequalis gloria, coaeterna majestas. Ergo et eorum est una offensa; et ita cum peccatum in spiritum sanctum dividatur contra peccatum in patrem et filium, videtur quod nullum peccatum sit in spiritum sanctum.

5. Il y a une seule offense pour ceux dont la majesté et la gloire sont uniques. Or, « il n’existe qu’une seule divinité, une égale gloire et une majesté coéternelle du Père, du Fils et de l’Esprit saint. » Il n’existe donc qu’une seule offense contre eux. Puisque le péché contre l’Esprit saint se distingue du pèché contre le Père et le Fils, il semble donc qu’il n’existe aucun péché contre l’Esprit saint.

[7212] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra est quod dicitur Matth. 12, 32: qui blasphemaverit in spiritum sanctum, non remittetur ei in aeternum.

Cependant, [1] Mt 12, 32 dit en sens contraire : « Pour celui qui aura blasphémé contre l’Esprit saint, il n’y aura jamais de rémission. »

[7213] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, sicut potentia attribuitur patri, sapientia filio; ita bonitas spiritui sancto. Sed peccatum quod fit ex impotentia, dicitur peccatum in patrem; quod fit ex ignorantia, in filium. Ergo quod fit ex malitia, in spiritum sanctum. Cum ergo aliquod tale peccatum sit, erit aliquod peccatum in spiritum sanctum.

[2] De meme que la puissance est attribuée au Père et la sagesse au Fils, de même, la bonté est-elle attribuée à l’Esprit saint. Or, le péché qui est accompli par impuissance est appelé péché contre le Père ; ce qui est accompli par ignorance, [est appelé péché] contre le Fils. Ce qui est accompli par méchanceté [est donc péché] contre l’Esprit saint. Puisqu’il existe une tel péché, il existera donc un péché contre l’Esprit saint.

[7214] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod peccare in spiritum sanctum dicitur dupliciter: aut quia peccatur contra personam spiritus sancti; aut quia peccatur contra attributum personae. Peccatur contra personam spiritus sancti, scilicet quando de ea male sentitur; sicut qui dixerunt spiritum sanctum creaturam esse, et ministrum patris et filii: et sic etiam peccare in filium, est male sentire de persona filii. Sic autem non loquimur hic de peccato in spiritum sanctum, quia sic est peccatum infidelitatis. Peccare autem in attributum spiritui sancto, est ex certa malitia peccare, sicut peccare in patrem, est peccare ex infirmitate, et peccare in filium, est peccare ex ignorantia; ut dicatur peccatum in patrem, quando deficit istud quod patri attribuitur, scilicet potentia; et peccatum in filium, quando deest sapientia, quae filio attribuitur: et peccatum in spiritum sanctum, quando ponitur oppositum bonitatis, quae spiritui sancto attribuitur. Differentia autem horum potest accipi ex his quae philosophus dicit, ubi ostendit, quod peccatum tribus modis committitur; vel ex ignorantia, vel ex passione, vel ex electione. Ex ignorantia peccatum committitur, quando ignoratur aliquod eorum quorum scientia a peccato impedivisset; unde ignorantia est ibi causa peccati: et hoc dicitur peccatum in filium. Ex passione autem sive innata sive illata peccatur, quando propter impetum passionis, rationis judicium obruitur; et hoc proprie est ex infirmitate peccare, quod est peccatum in patrem. Ex electione autem peccatur, quando homo deliberans peccato adhaeret, non quasi aliqua tentatione victus, sed quia propter hoc quod habet corruptum appetitum, placet sibi illud peccatum secundum se: et hoc est ex malitia peccare, quod est peccare in spiritum sanctum.

Réponse. On parle de pécher contre l’Esprit saint de deux manières : soit que l’on pèche contre la personne de l’Esprit saint ; soit que l’on pèche contre ce qui est attribué à la personne. On pèche contre la personne de l’Esprit saint lorsque l’on en a une mauvaise opinion, comme c’est le cas de ceux qui ont dit que l’Esprit saint est une créature et le serviteur du Père et du Fils. De même, pécher contre le Fils, c’est avoir une mauvaise opinion de la personne du Fils. Mais nous ne parlons ici de cette manière à propos du péché contre l’Esprit saint, car il s’agit alors d’un péché d’infidélité. Mais pécher contre ce qui esst attribué à l’Esprit saint, c’est pécher par une malice certaine, comme pécher contre le Père, c’est pécher par faiblesse, et pécher contre le Fils, c’est péché par ignorance. On parle ainsi de péché contre le Père lorsque fait défaut ce qui est attribué au père : la puissance ; et de péché contre le Fils, lorsque fait défaut la sagesse, qui est attribuée au Fils ; et de péché contre l’Esprit saint, lorsque se présente ce qui est l’opposé de la bonté, qui est attribuée au Saint-Esprit. Or, la différence entre ces trois choses peut être saisie à partir de ce que dit le Philosophe, là où il montre que le péché est commis de trois manières : par ignorance, par passion ou par choix. Le péché est commis par ignorance lorsqu’est ignorée l’une des choses dont la connaissance aurait empêché de pécher. L’ignorance est donc là la cause du péché, et l’on parle alors de péché contre le Fils. Mais on parle de péché par passion innée ou acquise, lorsqu’en raison de l’impulsion de la passion, le jugement de la raison est obscurci. C’est là au sens propre pécher par faiblesse, ce qui est un péché contre le Père. Mais l’homme pèche par choix, qui adhère au péché de manière délibérée, non pas en étant vaincu par une tentation, mais parce que, ayant un appétit corrompu, ce péché lui plaît de lui-même. C’est là pécher par malice, ce qui est pécher contre l’Esprit saint.

[7215] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod malitiam sub ratione malitiae nullus unquam voluit; sed secundum quod peccatum aestimatur bonum ipsi peccanti, quasi quietans corruptum appetitum, propter hoc secundum se desideratur.

1. Personne n’a jamais voulu la malice sous la raison de malice. Mais, selon que le péché est estimé être un bien pour celui qui pèche, en tant qu’il apaise un appétit corrompu, il esst pour cctte raison désiré en lui-même.

[7216] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod res non habet speciem neque denominatur a causis primis, sed a causis proximis. Corruptio ergo naturae, quae est infectio fomitis, non est proxima causa cujuslibet peccati, cum aliquando homo sine aliquo incentivo concupiscentiae peccatum eligat; sed est causa prima: quia ex corruptione naturae inest homini quaedam debilitas, ut facilius in peccatum ruat: et ideo non oportet quod omne peccatum propter hoc ex infirmitate esse dicatur.

2. Une chose ne tire pas son espèce ou son nom des causes premières, mais des causes rapprochées. La corruption de la nature, qui est une maladie de la convoitise, n’est donc pas la cause rapprochée de tous les péchés, puisque l’homme choisit parfois le péché sans l’aiguillon de la concupiscence. Mais elle en est la cause première, car, en raison de la corruption de la nature, il existe chez l’homme une certaine faiblesse qui le pousse à pécher plus facilement. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire de dire de tout péché vient de la faiblesse.

[7217] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod error ille ex quo omne peccatum procedit, est error electionis, secundum quem philosophus omnem malum ignorantem esse dicit. Haec autem ignorantia non causat involuntarium, immo est ex voluntate causata: quia ex ipsa inclinatione corruptae voluntatis in peccatum, quae est per habitum vel passionem, consequitur ut hoc quasi bonum aliquis eligat quod voluntati placet; unde ex tali ignorantia non dicimus peccatum in filium: peccatum enim in filium est quando principalis causa peccati est ignorantia.

3. L’erreur dont provient tout péché est l’erreur du choix, selon laquelle le Philosophe dit que tout méchant est un ignorant. Or, cette ignorance ne cause pas l’involontaire, bien plus, elle est causée par la volonté, car, il découle de l’inclination même au péché de la volonté corrompue, soit par habitus, soit par passion, que quelqu’un choisisse comme un bien ce qui plaît à la volonté. Aussi ne parlons-nous pas de péché contre le Fils pour une telle ignorance. En effet, le péché contre le Fils existe-t-il lorsque la cause principale du péché est l’ignorance.

[7218] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod peccatum in spiritum sanctum non est desperatum ex parte medici curantis, scilicet Dei, qui immensitate suae misericordiae quemlibet in statu viae salvare potest: sed est desperatum ex parte ipsius morbi, qui quantum in se est, omnem viam curationis excludit, ut infra patebit.

4. Le péché contre l’Esprit saint n’est pas le désespoir du point de vue du médecin qui soigne, Dieu, qui, par l’immensité de sa miséricorde, peut sauver n’importe qui dans l’état de cheminement, mais le désespoir du point de vue de la maladie elle-même, qui, en elle-même, écarte tout cheminement vers la guérison, comme cela apparaîtra plus loin.

[7219] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod quamvis sit una majestas trium personarum, tamen personae distinguuntur proprietatibus personalibus, et etiam quaedam appropriantur uni quae non appropriantur alii personae; et secundum hoc contingit quod aliquod peccatum dicitur esse specialiter in filium vel in spiritum sanctum dupliciter: vel quia male sentitur de his quae sunt propria filii vel spiritus sancti; et sic non accipitur hic peccatum in spiritum sanctum: vel quia peccatur contra appropriatum filii vel spiritus sancti; et sic hic sumitur peccatum in spiritum sanctum.

5. Bien qu’il n’y ait qu’une seule majesté des trois personnes, les personnes se distinguent cependant par leurs propriétés personnelles, et certaines sont aussi appropriées à une personne, qui ne sont pas appropriées à une autre. Il arrive ainsi qu’on dise d’un péché qu’il est contre le Fils ou contre l’Esprit saint d’une manière particulière de deux manières : soit parce qu’on a une mauvaise opinion de ce qui est propre au Fils ou à l’Esprit saint, et le péché contre l’Esprit saint n’est pas entendu ici de cette manière ; soit parce qu’on pèche contre ce qui est approprié au Fils ou à l’Esprit saint, et on entend ici de cette manière le péché contre l’Esprit saint.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum peccatum in spiritum sanctum sit determinatum genus peccati

Article 2 – Le péché contre l’Esprit saint est-il un genre déterminé de péché ?

[7221] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod peccatum in spiritum sanctum non sit determinatum genus peccati. Sicut enim peccatum quod ex industria geritur, est peccatum in spiritum sanctum; ita peccatum quod est ex infirmitate, est in patrem, et quod ex ignorantia est in filium. Sed peccatum ex infirmitate non nominat determinate aliquod genus peccati, sed peccati circumstantiam. Ergo nec peccatum in spiritum sanctum est determinatum genus peccati.

1. Il semble que le péché contre l’Esprit saint ne soit pas un genre déterminé de péché. En effet, de même que le péché qui est commis de propos délibéré est un péché contre l’Esprit saint, de même le péché qui vient de la faiblesse est-il un péché contre le Père, et celui qui vient de l’ignorance est-il [un péché] contre le Fils. Or, le péché qui vient de la faiblesse ne désigne pas de manière déterminée un genre de péché, mais une circonstance du péché. Le péché contre l’Esprit saint n’est donc pas non plus un genre déterminé de péché.

[7222] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, peccare ex industria vel certa malitia, est peccare ex electione, ut dictum est. Sed unusquisque habens habitum vitiosum, ex electione peccat, ut ex 7 Ethic. patet, ubi distinguit intemperatum contra incontinentem: quorum primus habens habitum per electionem peccat, secundus per passionem. Ergo peccare ex habitu est peccare ex certa malitia, quod est peccatum in spiritum sanctum. Sed peccatum ex habitu procedens non nominat determinatum genus peccati. Ergo nec peccatum in spiritum sanctum.

2. Pécher de manière délibérée ou par malice certaine, c’est pécher par choix, comme on l’a dit. Or, quiconque a un habitus vicieux pèche par choix, comme cela ressort d’Éthique, VII, où [le Philosophe] fait une distinction entre l’intempérant et l’incontinent : le premier, possédant un habitus, pèche par choix, le second par passion. Pécher selon un habitus, c’est donc pécher par malice certaine, ce qui est un péché contre l’Esprit saint. Or, le péché qui provient d’un habitus ne désigne pas un genre déterminé de péché. Donc, le péché contre l’Esprit saint non plus.

[7223] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, in littera assignantur diversae species peccati in spiritum sanctum, ut desperatio, obstinatio, et multa hujusmodi. Sed ista se habent ad omne genus peccati: quia nullum genus peccati est quod interdum ex desperatione oriri non possit, et sic de aliis. Ergo peccatum in spiritum sanctum non est determinatum genus peccati.

3. Dans le texte, in signale diverses espèces du péché contre l’Esprit saint, comme le désespoir, l’obstination et plusieurs de ce genre. Or, ceux-ci se rapportent à tout genre de péché, car il n’existe aucun genre de péché qui ne puisse parfois provenir du désespoir, et il en est ainsi pour les autres. Le péché contre l’Esprit saint n’est donc pas un genre déterminé de péché.

[7224] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, peccatum in spiritum sanctum dicitur quod est contra appropriatum spiritui sancto. Sed omne peccatum mortale contrariatur gratiae, quae appropriatur spiritui sancto. Ergo omne peccatum mortale debet dici in spiritum sanctum.

4. On appelle péché contre l’Esprit saint celui qui est contraire à ce qui est approprié à l’Esprit saint. Or, tout péché mortel est contraire à la grâce, qui est appropriée à l’Esprit saint. Tout péché mortel doit donc être appelé un péché contre l’Esprit saint.

[7225] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, mors animae est, ut Augustinus dicit separatio animae a Deo. Sed quodlibet peccatum mortale separat animam a Deo. Ergo quodlibet mortale est ducens ad mortem. Sed peccatum ad mortem est peccatum in spiritum sanctum, ut Magister dicit. Ergo quodlibet mortale est peccatum in spiritum sanctum.

5. Comme le dit Augustin, la mort de l’âme consiste en ce que l’âme soit séparée de Dieu. Or, tout péché mortel sépare l’âme de Dieu. Tout péché mortel conduit donc à la mort. Or, le péché qui conduit à la mort est un péché contre l’Esprit saint, comme le dit le Maître. Tout péché mortel est donc un péché contre l’Esprit saint.

[7226] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, quodlibet genus peccati distinguitur ab aliis generibus. Sed peccatum in spiritum sanctum, est quoddam genus peccati gravius ceteris, ut Magister dicit. Ergo est determinatum et distinctum ab aliis.

Cependant, [1] n’importe quel genre de péché se distingue des autres genres. Or, le péché contre l’Esprit saint est un genre de péché plus grave que les autres, comme le dit le Maître. Il est donc déterminé et distinct des autres.

[7227] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, peccatum in spiritum sanctum, cum sit irremissibile, distinguitur ab aliis quae remissibilia sunt, secundum remissibile et irremissibile. Sed istae differentiae sunt maxime distantes. Ergo multo magis distincta genera peccatorum facient quam aliquae aliae peccatorum differentiae.

[2] Puisqu’il est irremissible, le péché contre l’Esprit saint se distingue des autres qui sont rémissibles, comme ce qui est rémissible [se distingue de] de ce qui est irrémissible. Or, ces différences sont les plus éloignées. Donc, à bien plus forte raison, les genres différents de péchés le seront, que certaines autres différences des péchés.

[7228] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod, ut supra dictum est, peccatum in spiritum sanctum dicitur quod est ex certa malitia vel industria sive electione, quod idem est. Quod autem aliquis ex certa deliberatione actum peccati eligat, non impulsus aliqua passione, potest contingere dupliciter. Aut per positionem alicujus in eligente, per quod inclinatur in talem actum, sicut in sibi similem; sic enim omnis habens habitum vel peccati vel virtutis inclinatur in actus similes suis habitibus, quia naturalis appetitus rei est in id quod sibi simile est; et hoc modo quicumque habet habitum intemperantiae, eligit actum intemperantiae, et sic de aliis peccatis. Alio autem modo ex certa deliberatione peccatum eligitur, quando voluntas rejicit illud per quod homo a peccato retrahi posset; verbi gratia, aliquis propter expectationem futuri praemii abstinet a peccato. Si ergo aliquis spem futuri praemii abjiciat voluntarie, vel aliquid hujusmodi, quod a peccato retrahebat; eliget hoc quod sibi erit delectabile secundum carnem, quasi per se bonum; et ita ex certa malitia peccabit. Sumendo ergo primo modo peccatum ex electione, non nominatur aliquod genus peccati determinatum, sed quaedam peccati circumstantia, ut scilicet actus ex habitu procedat; quod in omnibus generibus peccatorum contingit. Sed secundo modo speciale peccatum dicitur, quod ex electione contingit. Quia speciale peccatum dicitur ex speciali objecto; hoc autem est speciale objectum voluntatis, in quo peccatur, scilicet hoc quod a peccato natum erat retrahere, cui voluntas dissentit, ab eo sponte recedens. Peccatum autem in spiritum sanctum non proprie dicitur illud quod ex electione procedit primo modo; sed quod secundo modo ex electione procedit; quia peccata et specificantur et nominantur ab objectis: objectum autem in hoc peccato est hoc quod a peccato retrahebat, et istud est bonitas quaedam, vel aliquis effectus spiritui sancto appropriabilis; et ideo peccatum in spiritum sanctum determinatum genus peccati nominat.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, on appelle péché contre l’Esprit saint celui qui provient d’une malice certaine ou d’un propos délibéré ou d’un choix, ce qui est la même chose. Or, que quelqu’un choisisse un acte de péché par un délibération certaine, sans être poussé par une passion, cela peut se produire de deux manières. Ce peut être par l’existence de quelque chose chez l’agent, par quoi il est enclin à tel acte, comme à quelque chose qui lui ressemble. En effet, tous ceux qui un habitus de péché ou de vertu sont enclins à des actes semblables à leuers habitus, car l’appétit naturel d’une chose se porte sur ce qui lui est semblable. De cette manière, quiconque a un habitus d’intempérance choisit un acte d’intempérance, et il en va ainsi des autres péchés. Mais, d’une autre manière, le péché est choisi par une délibération certaine lorsque la volonté rejeette ce par quoi l’homme pourrait être retenu de pécher. Par exemple, quelqu’un s’abstiendra de pécher dans l’attente de la récompense à venir. Si donc quelqu’un rejette volontairement l’espérance de la récompense à venir, qui retenait de pécher, il choisisra ce qui lui plaira selon la chair comme bien en soi. Et ainsi, il pécheera par une malice certaine. En prenant donc le péché par choix de la première manière, on ne désignera pas un genre de péché déterminé, mais une circonstance du péché, à savoir qu’un acte provient d’un habitus, ce qui se produit dans tous les genres de péchés. Mais, de la seconde manière, on parlera de péché spécial pour celui qui survient par choix, car on parle de péché spécial pour celui qui provient d’un objet spécial. Or, l’objet spécial de la volonté, contre lequel elle pèche, est ce dont elle devait s’écarter par nature, dont la volonté se détourne en s’en éloignant spontanément. Or, on ne parle parle pas au sens propre de péché contre l’Esprit saint pour celui qui provient d’un choix de la première manière, mais pour celui qui provient d’un choix de la seconde manière, car les péchés sont spécifiés et désignés à partir de leurs objets. Or, l’objet dans ce péché est ce qui retenait de pécher : c’est là une certaine bonté ou un certain effet qui peut être approprié à l’Esprit saint. C’est pourquoi le péché contre l’Esprit saint désigne un genre déterminé de péché.

[7229] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod cum aliquis hoc secundo modo ex electione peccat, quod proprie peccatum in spiritum sanctum dicitur, considerantur ibi duo actus, quorum uterque peccatum est, et primus est causa secundi. Verbi gratia, aliquis uno actu voluntatis praemia aeterna contemnit, eorum spem a se abjiciens; et in hoc ipso peccat: et quia desperat de praemio, incidit in actum fornicationis; et hic actus in eo ex certa electione provenit propter praecedentem actum. Unde patet quod cum dicitur peccatum ex industria, ipsa industria, quae notatur esse causa peccati, est quoddam peccatum, et est determinatum peccati genus: et hoc proprie est peccatum in spiritum sanctum. Sed infirmitas vel ignorantia, non nominat peccatum aliquod, sed poenam tantum: et ideo ex ea non designatur speciale peccatum.

1. Lorsque quelqu’un pèche de cette seconde manière, ce qui est au sens propre un péché contre l’Esprit saint, deux actes sont ici concernés : les deux sont un péché, et le premier est la cause du second. Par exemple, quelqu’un méprise par un acte de volonté les récompenses éternelles, en en rejetant pour lui-même, et, en cela même, il pèche. Et, parce qu’il désespère de la récompense, il tombe dans un acte de fornication, et cet acte provient en lui d’un choix certain en raison de l’acte précédent. Lorsqu’on parle de propos délibéré, il est donc clair que le propos délibéré, qui est donné comme la cause du péché, est un péché et constitue un genre déterminé de péché. C’est là au sens propre le péché contre l’Esprit saint. Mais la faiblesse ou l’ignorance ne désignent pas un péché, mais seulement une peine. C’est pourquoi on ne désigne pas un péché particulier à partir d’elles.

[7230] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum patet responsio per ea quae dicta sunt in corp. art.

2. La réponse au deuxième argument ressort cliarement de ce qui a été dit dans le corps de l’article.

[7231] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod peccatum in spiritum sanctum non dicitur ille actus secundus qui ex primo, ut dictum est, causatur, nisi forte secundum quod virtus primi actus manet in eo; sed ipse primus actus est proprie peccatum in spiritum sanctum: et ideo non est inconveniens ut ex uno determinato peccato omnia peccata possint oriri, ut supra dictum est.

3. On ne parle pas de péché contre l’Esprit saint pour ce second acte, qui est causé par le premier, comme on l’a dit, si ce n’est parce que l’énergie du premier acte demeure en lui ; mais l’acte premier même est au sens propre le péché contre l’Esprit saint. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié que tous les péchés puissent provenir d’un seul péché déterminé, comme on l’a dit plus haut.

[7232] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod contrariari gratiae contingit dupliciter. Primo directe per se; et hoc fit dum aliquis gratiam actualiter despicit, vel aliquid ad gratiam pertinens; et sic opponitur gratiae peccatum in spiritum sanctum. Secundo indirecte et quasi ex consequenti; et sic omne peccatum mortale gratiae opponitur: quia per peccatum mortale quaeritur aliquid quod simul cum gratia esse non potest.

4. S’opposer à la grâce se réalise de deux manières. Premièrement, d’une manière directe et par soi : cela se produit lorsque quelqu’un méprise par un acte la grâce ou quelque chose qui se rapporte à la grâce. C’est ainsi que le péché contre l’Esprit saint s’oppose à la grâce. Deuxièmement, d’une manière indirecte et comme par mode de conséquence. Tout péché mortel s’oppose ainsi à la grâce, car, par le péchéé mortel, on recherche quelque chose qui ne peut exister en même temps que la grâce.

[7233] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod peccatum mortale quantum ad aliquid est simile morti, et quantum ad aliquid aegritudini: inquantum enim separat a Deo, qui vita est, mortis similitudinem habet, et haec est mors prima; inquantum autem adhuc manet possibilitas redeundi ad vitam, habet similitudinem aegritudinis, ducentis ad mortem condemnationis, quae est mors secunda, quae omnino similitudinem mortis retinet, dum per eam homo a Deo separatur, et ad vitam gratiae possibilis reditus non est. Sicut autem in aegritudinibus corporalibus quaedam sunt curabiles, quaedam autem non, quantum est de natura morbi, et hae dicuntur infirmitates ad mortem; ita etiam in peccatis illa tantum peccatorum mortalium ad mortem dicuntur quae quantum in se est irremissibilia sunt. Dicitur ergo peccatum esse mortale a morte prima; sed ad mortem propter mortem secundam.

5. Sous un aspect, le péché mortel est semblable à la mort, et sous un autre aspect, il est semblable à la maladie. En effet, dans la mesure où il sépare de Dieu, qui est vie, [le péché mortel] ressemble à la mort. C’est là la première mort. Mais, dans la mesure où demeure encore la possibilité de revenir à la vie, [le péché mortel] ressemble à la maladie, qui conduit à la mort par condamnation, qui est la seconde mort, qui ressemble en tout à la mort, puisque l’homme est séparé de Dieu par elle et qu’il n’existe pas de retour possible à la vie de la grâce. De même que, parmi les maladies corporelles, certaines sont guérissables et certaines ne le sont pas, pour ce qui est de la nature de la maladie – ce sont les maladies qui conduisent à la mort ‑, de même aussi, parmi les péchés, on ne dit que conduisent à la mort que les péchés mortels qui sont irrémissibles en eux-mêmes. On ne parle donc de péché mortel que pour la première mort ; mais, de péché conduisant à la mort, en raison de la seconde mort.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum species peccati in spiritum sanctum convenienter assignentur in littera

Article 3 – Les espèces du péché contre l’Esprit saint sont-elles attribuées de manière appropriée dans le texte ?

[7235] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod inconvenienter assignentur in littera species peccati in spiritum sanctum. Nullus enim desperare potest, credens remissionem peccatorum in Ecclesia fieri. Sed negare remissionem peccatorum est infidelitatis. Ergo desperatio est species infidelitatis, et non peccati in spiritum sanctum.

1. Il semble que les espèces du péché contre l’Esprit saint sont attribuées de manière inappropriée dans le texte. En effet, personne ne peut désespérer en croyant que la rémission des péchés se réalise dans l’Église. Or, nier la rémission des péchés relève de l’infidélité. Le désespoir est donc une espèce de l’infidélité, et non du péché contre l’Esprit saint.

[7236] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, illud quod est infinitum, nullus potest nimis extendere. Sed misericordia Dei infinita est. Ergo nullus peccat ex hoc quod Dei misericordiam nimis extendat; et ita videtur quod nimis praesumere de Dei misericordia, non sit peccatum in spiritum sanctum, vel species ejus.

2. Personne ne peut trop étendre ce qui est infini. Or, la miséricorde de Dieu est infinie. Personne ne pèche donc du fait qu’il étend trop la miséricorde de Dieu. Il semble ainsi que trop présumer de la miséricorde de Dieu ne soit pas un péché contre l’Esprit saint ou une de ses espèces.

[7237] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, accidentia non constituunt speciem. Sed impoenitentia est quoddam accidens peccati, sicut duratio cujuslibet rei est accidens ejus, quod solum impoenitentia dicere videtur, ut scilicet in peccatum usque ad mortem duret. Ergo impoenitentia non est aliqua species peccati.

3. Les accidents ne constituent pas l’espèce. Or, l’impénitence est un accident du péché,, comme la durée de n’importe quelle chose en est un accident, ce que l’impénitence semble seulement exprimer, à savoir que le péché dure jusqu’à la mort. L’impénitence n’est donc pas une espèce du péché.

[7238] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, praeteritum et futurum non diversificant speciem. Sed impoenitentia et obstinatio non differunt nisi secundum praeteritum et futurum: quia impoenitentia est ex hoc quod de praeteritis commissis homo non poenitet; obstinatio autem est in hoc quod futuris committendis firmiter proposito inhaeret. Ergo impoenitentia et obstinatio non sunt duae species peccati in spiritum sanctum.

4. Le passé et le futur ne diversifient pas l’espèce. Or, l’impénitence et l’obstinatio ne diffèrent que par le passé et le futur, car l’impénitence vient de ce qu’un homme ne se repent pas des [fautes] commises dans le passé, alors que l’obstination adhère fermement au propos d’en commettre à l’avenir. L’impénitence et l’obstination ne sont donc pas deux espèces du péché contre l’Esprit saint.

[7239] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, veritas appropriatur filio, qui dicit Joan. 14, 6: ego sum via, veritas et vita. Sed peccatum in filium est quod est contra appropriatum filii. Ergo impugnatio veritatis non est peccatum in spiritum sanctum, sed in filium.

5. La vérité est appropriée au Fils, qui dit en Jn 14, 6 : Je suis le chemin, la vérité et la vie. Or, le péché contre le Fils est contraire à ce qui est approprié au Fils. Le combat contre la vérité n’est donc pas un péché contre l’Esprit saint, mais contre le Fils.

[7240] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 arg. 6Praeterea, invidia est unum capitale vitiorum, ut supra dictum est, dist. 42, art. 3, et non est gravius inter ea. Sed alia peccata capitalia non ponuntur species peccati in spiritum sanctum. Ergo nec invidentia fraternae gratiae debet peccatum in spiritum sanctum dici.

6. L’envie est un des péchés capitaux, comme on l’a dit plus haut, d. 42, a. 3, et il n’y en a pas de plus grave parmi eux. Or, les autres péchés capitaux ne sont pas donnés comme des espèces du péché contre l’Esprit saint. L’envie de la grâce fraternelle ne doit donc pas non plus est appelée un péché contre l’Esprit saint.

[7241] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 arg. 7Praeterea, oppositorum generum diversae sunt species. Sed peccatum in spiritum sanctum, quod est ex certa malitia, ex opposito dividitur contra peccatum in patrem vel filium, quod est ex infirmitate vel ex ignorantia. Cum igitur quodlibet peccatum praedictorum, ut desperatio, praesumptio, et hujusmodi, possit ex infirmitate vel ex ignorantia accidere: videtur quod non convenienter assignetur species peccati in spiritum sanctum.

7. Les espèces de genres divers sont diverses. Or, le péché contre l’Esprit saint, qui provient d’une malice certaine, se distingue du péché contre le Père et le Fils, qui proviennent de la faiblesse ou de l’ignorance. Puisque n’importe quel des péchés mentionnés : le désespoir, la présomption eet ceux de ce genre, peut provenir de la faiblesse ou de l’ignorance, il semble donc que les espèces du péché contre l’Esprit saint ne sont pas attribuées de manière appropriée.

[7242] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 arg. 8Praeterea, aliquis non peccat ex electione, prout peccatum in spiritum sanctum ex electione dicitur, nisi removeantur omnia quae a peccato retrahere possunt: quolibet enim retrahente manente, peccatum non eligitur. Sed omnia retrahentia a peccato non tolluntur nisi per omnia sex enumerata. Ergo nullum istorum sex per se sumptum est species peccati in spiritum sanctum; sed simul accepta per modum partium integralium faciunt unum peccatum in spiritum sanctum.

8. On ne pèche pas par choix, au sens où le péché contre l’Esprit saint vient du choix, que si on enlève tout ce qui peut retenir de pécher : en effet, aussi longtemps que demeure ce qui retient, le péché n’est pas choisi. Or, tout ce qui retient de pécher n’est enlevé que par l’ensemble des six choses énumérées. Aucune de ces choses considérée en elle-même n’est donc une espèce du péché contre l’Esprit saint ; mais, considérées ensemble, elles constituent un seul péché contre l’Esprit saint par mode de parties intégrales.

[7243] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 s. c. 1In contrarium est quod in littera determinatur per auctoritates sanctorum.

Cependant, le contraire est déterminé dans le texte par des autorités des saints.

[7244] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, in corp. praec. art., peccatum in spiritum sanctum, proprie loquendo, secundum quod est determinatum genus peccati, consistit in actu voluntatis abjicientis id per quod aliquis a peccato retrahitur. Contingit autem hoc dupliciter. Retrahitur enim aliquis a peccato et operatur bonum propter se, et aliquis propter aliud. Propter aliud autem dupliciter: vel ad vitanda supplicia, vel ad consequenda praemia: et neutrum virtuosi est, qui bonum propter se operatur, et malum propter se fugit: et haec duo tolluntur per praesumptionem, quae privat timorem suppliciorum; et per desperationem, quae tollit spem praemiorum. Propter se autem aliquis operatur bonum vel fugit malum, quando movetur principaliter ex aliquo quod in ipso actu virtutis vel peccati est. Hoc autem est dupliciter. Aliquid enim potest considerari in actu virtutis vel vitii ut est quoddam humanum bonum, et aliquid ut est quoddam divinum. Si ergo consideretur actus peccati ex parte ejus quod est humanum in actu; sic duo possunt ibi esse, scilicet delectatio indebita, et deformitas actus; et ex utroque aliquis a peccato retrahitur: et secundum hoc sunt duae species peccati in spiritum sanctum, scilicet obstinatio et impoenitentia; quia per obstinationem aliquis firmiter adhaeret delectationi, ac si non esset incompetens; per impoenitentiam autem non vitat deformitatem quae est in actu, quae erat ratio poenitendi. Divinum autem in actu virtutis, quod etiam a peccato retrahit, est duplex: unum scilicet veritas fidei quasi dirigens, et aliud sicut inclinans, scilicet ipsa gratia per spiritum sanctum in Ecclesiam diffusa: contra primum est impugnatio veritatis agnitae, contra secundum invidentia fraternae gratiae. Quidam autem sic accipiunt distinctionem harum specierum: dicunt enim, quod peccatum in spiritum sanctum opponitur specialiter gratiae poenitentiali, per quam fit remissio peccatorum. Ad remissionem autem peccati quaedam exiguntur ex parte remittentis, quaedam ex parte ejus cui remittuntur, et quaedam ex parte ejus per quod fit remissio. Ex parte remittentis concurrunt duo; scilicet misericordia, et contra hoc est desperatio; et justitia, et contra hoc est praesumptio: ex parte ejus etiam cui remittuntur, duo: scilicet propositum non peccandi, contra quod est obstinatio; et dolor de commissis, contra quod est impoenitentia: ex parte ejus per quod fit remissio, duo: scilicet fides Ecclesiae, contra quam est impugnatio veritatis agnitae; et gratia quae datur in sacramentis, contra quam est invidentia fraternae gratiae.

Réponse. Comme on l’a dit dans le corps de l’article précédent, le péché contre l’Esprit saint consiste à proprement parler, selon quoi le genre du péché est déterminé, dans l’acte de la volonté qui rejette ce par quoi on est empêché de pécher. Or, cela se produit de deux manières. En effet, on est [empêché] de pécher et on accomplit le bien pour soi, et on en est [empêché du pcéhé et on accomplit le bien] en vue de quelque chose d’autre. Or, [on en est empêché] en vue de quelque chose d’autre de deux manières : soit pour éviter des punitions, soit pour obtenir des récompenses, et aucune des deux choses n’est propre à celui qui est vertueux, qui accomplit le bien pour lui-même et fuit le mal pour lui-même. Et ces deux choses sont enlevées par la présomption, qui prive de la crainte des punitions, et par le désespoir, qui enlève l’espérance de récompenses. Mais on accomplit le bien ou on fuit le mal pour soi lorsqu’on et principalement mû par quelque chose qui se trouve dans l’acte même de vertu ou de péché. Or, cela se produit de deux manières. En effet, on peut envisager quelque chose dans l’acte de la vertu ou du vice en tant que cela est quelque chose d’humain, et quelque chose en tant que cela est quelque chose de divin. Si donc on envisage l’acte du péché du point de vue de ce qui est humain dans l’acte, deux choses peuvent ainsi s’y trouver : un plaisir indû et une déformation de l’acte, et l’on est empêché de pécher par les deux. Il existe ainsi deux espèces de péché contre l’Esprit saint : l’obstination et l’impénitence, car, par l’obstination, on adhère fermement au plaisir, comme si cela n’était pas nuisible. Mais, par l’impénitence, on n’évite pas la déformation qui se trouve dans l’acte, qui était la raison de se repentir. Cependant, ce qui est divin dans l’acte de la vertu, et qui empêche aussi de pécher, est double : la vérité de la foi en tant qu’elle dirige et en tant qu’elle incline, à savoir, la grâce elle-même répandue par l’Esprit saint dans l’Église. Au premier aspect s’oppose l’attaque contre une vérité reconnue ; au second, l’envie de la grâce fraternelle. Or, certains entendent ainsi la distinction entre ces espèces : ils disent en effet que le péché contre l’Esprit saint s’oppose d’une manière particulière à la grâce de la pénitence, par laquelle se réalise la rémission des péchés. Or, pour la rémission des péchés, certaines choses sont requises du côté de celui qui remet, et certaines choses du côté de celui qui bénéficie de la rémission. Du côté de celui qui remet, deux choses convergent l’une vers l’autre : la miséricorde, et le désespoir s’y oppose ; et la justice, et la présomption s’y oppose. Du côté de celui qui bénéficie de la rémission, deux choses sont aussi requises : le propos de ne plus pécher, auquel s’oppose l’obstination ; et la douleur de ce qui a été commis, à laquelle s’oppose l’impénitence. Du côté de ce par quoi s’accomplit la rémission, deux choses [sont aussi requises] : la foi de l’Église, à laquelle s’oppose l’assaut contre la vérité reconnue ; la grâce qui est donnée dans les sacrements, à laquelle s’oppose l’envie de la grâce fraternelle.

[7245] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod desperatio, secundum quod est species peccati in spiritum sanctum, non provenit ex hoc quod aliquis neget remissionem peccatorum; sed quia remissionem peccatorum, quam fieri credit, ut liberius vacet peccatis, sponte a se abjicit, dum non vult tendere in hoc quod remissionem peccatorum consequatur.

1. Le désespoir, en tant qu’il est une espèce du péché contre l’Esprit saint, ne vient pas de ce que quelqu’un nie la rémission des péchés, mais de ce qu’il rejette de plein gré pour lui-même la rémission des péchés, à laquelle il croit, afin d’être libre de pécher, alors qu’il ne veut pas rechercher ce par quoi s’obtient la rémission des péchés.

[7246] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod praesumptuosus non peccat ex hoc quod Dei misericordiam nimis magnam arbitretur, sed quia justitiam ejus contemnit; et in hoc etiam misericordiae derogat, abutens ea, ac si non esset justa.

2. Le présomptueux ne pèche pas du fait qu’il estime trop grande la miséricorde de Dieu, mais parce qu’il méprise sa jusstice. En cela aussi il déroge à sa miséricorde en en abusant, comme si elle n’était pas juste.

[7247] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod sicut perseverantia dicitur dupliciter; uno enim modo est virtus specialis, prout dicit propositum perseverandi in bono incepto usque ad finem; et alio modo est circumstantia aliarum virtutum, prout dicit actualem durationem in actibus virtutum usque ad mortem; ita etiam et impoenitentia, secundum quod dicit propositum non poenitendi, est species peccati in spiritum sanctum; secundum autem quod dicit permanentiam in peccato usque ad mortem, negando peccati poenitentiam, sic est accidens vel circumstantia aliorum peccatorum.

3. On parle de persévérance de deux manières: en effet, d’une manière, elle est une vertu particulière, en tant qu’elle exprime le propos de persévérer jusqu’à la fin dans le bien entrepris ; d’une autre manière, elle est une circonstance des autres vertus, en tant qu’elle exprime en acte la durée dans les actes des vertus jusqu’à la mort. De même parle-ton aussi de l’impénitence : selon qu’elle exprime le propos de ne pas se repentir, elle est une espèce du péché contre l’Esprit saint ; mais selon qu’elle exprime le fait de rester jusqu’au la mort dans le péché, en niant la pénitence pour le péché, elle est alors un accident ou une circonstance des autres péchés.

[7248] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod obstinatio et impoenitentia non differunt secundum praeteritum et futurum; potest enim aliquis dici impoenitens qui proponit etiam de peccatis quae faciet, non poenitere: sed differunt secundum diversa quae in peccato attenduntur, quae respondent eis quasi objecta, ut in prima assignatione dictum est.

4. L’obstination et l’impénitence ne diffèrent pas selon le passé et le futur. En effet, on peut dire de quelqu’un qu’il est impénitent parce qu’il se propose de ne pas se repentir des péchés qu’il commettra. Mais elles diffèrent selon des choses différentes sur lesquelles on porte le regard : celles-ci jouent pour elles le rôle d’objets, comme on l’a dit pour la première attribution.

[7249] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum est, quod veritas, sapientia, et hujusmodi, possunt dupliciter considerari; vel secundum propriam rationem, et sic appropriantur filio; vel secundum quod habent rationem doni, et secundum hoc appropriantur spiritui sancto, qui est primum donum, in quo omnia dona donantur, ut in libro 1 dist. 18, dictum est; et ita aliquis impugnans veritatem agnitam ex certa malitia, in spiritum sanctum peccat.

5. La vérité, la sagesse et les choses de ce genre peuvent être envisagées de deux manières : selon leur raison propre, et ainsi elles sont appropriées au Fils ; ou selon qu’elles ont raison de don, et ainsi elles sont appropriées à l’Esprit saint, qui est le premier don, dans lequel tous les dons sont donnés, comme on l’a dit dans le livre I, d. 18. Et ainsi, celui qui combat par une malice certaine la vérité reconnue pèche contre l’Esprit saint.

[7250] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 ad 6Ad sextum dicendum, quod invidia potest esse duplex: quaedam quae est de prosperitate vel exaltatione hominis; et quaedam quae est de exaltatione gratiae, sicut quod multi ad Dei gratiam convertuntur, vel aliquid hujusmodi; et talis invidia solum est peccatum in spiritum sanctum; non quidem invidia fratris, sed invidia fraternae gratiae.

6. L’envie peut exister de deux manières : l’une porte sur la prospérité ou l’élévation de l’homme ; l’autre, sur l’élévation de la grâce, comme le fait que beaucoup se convertissent à la grâce de Dieu ou quelque chose de ce genre. Seule une telle envie est un péché contre l’Esprit saint ; non l’envie à l’endroit d’un frère, mais ’envie de la grâce fraternelle.

[7251] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 ad 7Ad septimum dicendum, quod quodlibet istorum quae dicta sunt, potest dupliciter accidere. Uno modo ex hoc quod per se voluntas tendit in unumquodque ipsorum, ut quia aliquis non vult habere spem de futuris praemiis, aut non vult veritati notae assentire, et sic de aliis; et hae tantummodo sunt species peccati in spiritum sanctum: quia sic, per se loquendo, est desperatio vel praesumptio, et sic de aliis, quando voluntas per se in actum desperationis labitur. Secundo potest accidere ex aliquo exteriori, ut propter defectum rationis regentis, vel propter aliquem impetum alicujus impellentis, sicut quando per infirmitatem vel ignorantiam aguntur; et sic non sunt species peccati in spiritum sanctum: quia sic non est dicendus aliquis desperatus per se, sed per accidens.

7. Tout ce qui a été dit peut survenir de deux manières. D’une manière, du fait que, par soi, la volonté tendit à n’importe quelle de ces choses, comme lorsque quelqu’un ne veut pas espérer les récompenses futures, ou ne veut pas consentir à la vérité reconnue, et ainsi de suite. Telles sont les seules espèces du péché contre l’Esprit saint, car ainsi existent à parler en soi le désespoir ou la présomption, et ainsi de suite, alors que la volonté tombe par soi dans l’acte de désespoir. D’une seconde manière, cela peut venir d’un agent extérieur, par exemple, d’une carence de la raison qui dirige, ou de l’impulsion de quelque chose qui incite, comme lorsqu’on agit par faiblesse ou ignorance. [Toutes les choses dites] ne sont pas alors des espèces du péché contre l’Esprit saint, car on ne dit pas ainsi que quelqu’un est désespéré par soi, mais par accident.

[7252] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 3 ad 8Ad octavum dicendum, quod quamvis multa sint quae a peccato retrahere possunt, secundum quae distinctae sunt species peccati in spiritum sanctum; tamen aliquis propter unum illorum tantum a peccando retrahitur, et alius propter alium; et ideo non oportet ut omnia semper concurrant ad hoc quod sit peccatum in spiritum sanctum.

8. Bien qu’il existe plusieurs choses qui peuvent retenir de pécher, en raison desquelles existent différentes espèces du péché contre l’Esprit saint, l’un est retenu de pécher en raison de l’une d’entre elles seulement, et un autre, en raison d’une autre. Aussi n’est-il pas nécessaire que toutes se retrouvent pour qu’il y ait péché contre l’Esprit saint.

 

 

ARTICULUS 4 Utrum peccatum in spiritum sanctum sit irremissibile

Article 4 – Le péché contre l’Esprit saint est-il irrémissible ?

[7254] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 4 arg. 1Ad quartum sic proceditur. Videtur quod peccatum in spiritum sanctum non sit irremissibile. Remissio enim peccati fit per gratiam. Sed ubi abundavit delictum, superabundavit et gratia, Rom. 5, 20. Cum ergo peccatum in spiritum sanctum sit gravissimum, videtur quod maxime sit remissibile.

1. Il semble que le péché contre l’Esprit saint ne soit pas irrémissible. En effet, la rémission du péché se réalise par la grâce. Or, là où la faute a abondé, la grâce a aussi surabondé, Rm 5, 20. Puisque le péché contre l’Esprit saint est le plus grave, il semble donc qu’il soit au plus haut point rémissible.

[7255] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 4 arg. 2Praeterea, caritas est perfectior spe, et fides prior ea. Sed peccatum oppositum fidei, scilicet infidelitas, et oppositum caritati, scilicet odium, sunt remissibilia. Ergo et desperatio, quae opponitur spei, est remissibilis, et eadem ratione aliae species peccati in spiritum sanctum.

2. La charité est plus parfaite que l’espérance et la foi la précède. Or, le péché contre la foi, l’infidélité, et le contraire de la charité, la haine, sont rémissibiles. Le désespoir, qui s’oppose à l’espérance, est donc aussi rémissible et, pour la même raison, les autres espèces du péché contre l’Esprit saint.

[7256] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 4 arg. 3Praeterea, quatuor dicuntur in nobis sicut poenalitates ex peccato primi hominis provenisse, scilicet ignorantia, infirmitas, concupiscentia et malitia. Sed infirmitas et ignorantia excusando peccatum, remissibile ipsum reddunt. Ergo et eadem ratione, malitia; et ita peccatum in spiritum sanctum, quod est ex certa malitia, remissibile erit.

3. On dit que quatre peines nous sont venues du péché du premier homme : l’ignorance, la faiblesse, la convoitise et la malice. Or, la faiblesse et l’ignorance rendent le péché rémissible en l’excusant. Pour la même raison, la malice [le fait aussi]. Et ainsi, le péché contre l’Esprit saint, qui vient d’une malice certaine, sera-t-il rémissible.

[7257] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 4 arg. 4Praeterea, in hoc dicitur homo ab Angelo differre quod homo habet vertibilitatem electionis mutabilem, Angelus vero immutabilem, quia ab eo quod semel eligit, nunquam removetur. Sed peccatum in spiritum sanctum est peccatum hominis. Ergo si homo per electionem in ipsum consentiat, iterum potest hanc electionem mutare, et ab eo discedere. Sed peccatum remittitur per hoc quod ab eo receditur. Ergo peccatum in spiritum sanctum est remissibile.

4. On dit que l’homme diffère de l’ange en ce que son choix peut être changé, alors que celui de l’ange est immuable, car il ne s’écarte jamais de ce qu’il a une fois choisi. Or, le péché contre l’Esprit saint est un péché de l’homme. Si l’homme y consent par son choix, il peut donc changer ce choix et s’en écarter. Or, le péché est remis du fait qu’on s’en éloigne. Le péché contre l’Esprit saint est donc rémissible.

[7258] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 4 arg. 5Praeterea, irremissibile tollit potentiam remissionis. Cum ergo dicitur peccatum in spiritum sanctum irremissibile, aut negatur potentia remissionis ex parte remittentis, aut ex parte ejus cui fit remissio. Non primo modo: quia potentia ipsius Dei, qui solus peccata dimittit, est infinita, ad omnium peccatorum remissionem se extendens. Similiter nec secundo modo: quia potentia ad remissionem ex parte ejus cui fit remissio, est liberum arbitrium in statu viae existens, quod etiam post peccatum in spiritum sanctum manet. Ergo peccatum in spiritum sanctum nullo modo est irremissibile.

5. Ce qui est irremissible enlève la possibilité de la rémission. Lorsqu’on dit du péché contre l’Esprit est irrémissible, ou bien l’on nie la puissance de la rémission du point de vue de celui qui remet, ou bien [on le fait] du point de vue de celui à qui est accordée la rémission. Or, ce n’est pas de la première manière, car la puissance de Dieu lui-même, qui seul remet les péchés, est infinie, et elle s’étend à la rémission de tous les péchés. De même, ce n’est pas non plus de la seconde manière, car la puissance d’une rémission du point de vue de celui à qui est accordée la rémission est le libre arbitre se trouvant dans l’état de la vie, qui demeure même après le péché contre l’Esprit saint. Le péché contre l’Esprit saint n’est donc aucunement irrémissible.

[7259] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 4 s. c. 1In contrarium sunt auctoritates quae in littera inducuntur.

Cependant, [1] les autorités inivoquées dans le texte vont en sens contraire.

[7260] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 4 s. c. 2Praeterea, peccatum virtuti opponitur. Sed de virtute perfectissima, scilicet caritate, dicitur, 1 Corinth. 13, quod nunquam excidit, quamvis multi eam amittant. Ergo et peccatum in spiritum sanctum, quod est gravissimum peccatorum, debet dici irremissibile, etsi quandoque remittatur.

[2] Le péché s’oppose à la vertu. Or, il est dit, en 1 Co 13 de la vertu la plus parfaite, la charité, qu’elle n’est jamais anéantie, bien que beaucoup la perdent. Le péché contre l’Esprit saint, qui est le plus grave des péchés, doit donc être appelé irrémissible, même s’il est parfois remis.

[7261] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 4 co.Respondeo dicendum, quod de peccato in spiritum sanctum duplex est opinio, ut ex littera colligi potest. Quidam enim accipientes impoenitentiam prout est circumstantia peccati, ut dictum est, assignant quinque species peccati in spiritum sanctum, quae scilicet supra impoenitentiae connumeratae sunt; et dicunt, quod nulla illarum specierum habet complete rationem peccati in spiritum sanctum nisi secundum quod adjungitur ei haec circumstantia, ut scilicet usque ad mortem in desperatione vel obstinatione perdurent; et secundum hoc dicitur peccatum in spiritum sanctum irremissibile, quia nunquam remittitur vel remitti potest: quia post mortem homo confirmatur in gratia vel in peccato, secundum quod fuit in statu mortis suae, ut dicitur Ecclesiastici 11, 3: lignum in quocumque loco ceciderit, ibi erit. Sed istud non videtur esse conveniens: quia secundum hoc omne peccatum quod usque ad mortem perdurat, irremissibile est, sive sit in patrem, sive in filium; et ita peccatum in spiritum sanctum non esset alio modo irremissibile quam peccatum in patrem vel filium, quod est contra textum Evangelii. Nisi forte diceretur, quod omne peccatum in patrem vel in filium, est peccatum veniale; quia Gregorius dicit in 4 Dialog. peccata venialia etiam post hanc vitam remitti. Sed hoc est expresse falsum: quia ignorantia non sic semper excusat peccatum ut non sit damnabile, sed ut sit minus damnabile. Et ideo alii dicunt, quod impoenitentia, quae dicit continuam durationem peccati usque ad mortem, non est necessaria ad hoc quod sit peccatum in spiritum sanctum, quia etiam uno solo motu voluntatis potest homo in spiritum sanctum peccare, sicut et in ceteris peccatis contingit; et secundum hos assignantur species peccati in spiritum sanctum sex, sicut dictum est; secundum hos autem oportet dicere, quod peccatum in spiritum sanctum non dicitur irremissibile quia nunquam remittatur, sed quia non habet de se aptitudinem ad hoc quod remissibile sit; et hoc praecipue propter tres causas. Una est ex causa movente ad peccandum: quandoque enim infirmitas, vel ignorantia ejus qui peccat, peccatum causant, quae nata sunt peccatum excusare in parte vel in toto, propter hoc quod involuntarium causant, vel simpliciter vel secundum quid: et tunc peccatum remissibile dicitur quod habet in se unde facile remittatur propter hoc quod ex causa excusante procedit. Peccatum autem quod ex industria fit, nullam rationem excusationis habet; et ideo dicitur irremissibile, quia non habet in se unde excusetur, et propter hoc ad remittendum sit facile. Secunda est ratio sumpta ex modo inclinationis voluntatis in peccatum: quia ut philosophus dicit in 7 Ethic., finis in operabilibus est sicut principium indemonstrabile in speculativis. Error autem in speculativis, qui est circa principia indemonstrabilia, difficile removeri potest, eo quod non possunt accipi aliqua magis nota, per quae error improbetur. Ita etiam in practicis, quando aliquis alicui peccato ut fini adhaeret, quasi in eo suam beatitudinem constituens, non potest tali peccato de facili remedium adhiberi: quia nihil est aliud magis a peccante dilectum, propter cujus consecutionem hoc in quo ultimum finem ponit, dimittat. Quicumque autem ex electione peccat, vel ex industria, adhaeret peccato quod eligit, quasi per se bono, et sic fini; et ideo tale peccatum non de facili medicinam recipit; unde philosophus in 7 Ethic. per hoc ostendit quod incontinens, quia ex passione peccat, sive infirmitate, facilius curatur quam intemperatus, qui peccat ex electione, sive ex industria. Et hae duae praedictae causae ostendunt causam irremissibilitatis non solum in peccato quod proprie dicitur in spiritum sanctum, sed etiam in quolibet peccato quod est ex electione. Tertia autem causa quae proprie peccatum in spiritum sanctum respicit, sumitur ex ejus objecto: quia peccatum in spiritum sanctum est ex hoc quod voluntas a se repellit id per quod remissio peccatorum fit. Unde sicut aegritudo diceretur incurabilis quae fastidium medicinae faceret; ita et peccatum irremissibile dicitur per cujus actum spiritualis medicina directe repellitur: et tamen sicut ille morbus corporalis virtute divina miraculose curari potest; ita et hujusmodi peccatum per misericordiam divinam quasi miraculose remitti potest.

Réponse. Il existe deux opinions à propos du péché contre l’Esprit saint, comme on peut le conclure à partir du texte. En effet, certains, considérant l’impénitence comme une circonstance du péché, ainsi qu’on l’a dit, reconnaissent cinq espèces du péché contre l’Esprit saint, qui ont été comptées plus haut parmi les impénitences. Ils disent qu’aucune de ces espèces n’a entièrement la raison du péché contre l’Esprit saint, que si on lui ajoute cette circonstance, à savoir qu’on persiste dans le désespoir ou l’obstination jusqu’à la mort. On dit ainsi que le péché contre l’Esprit saint est irrémissible parce qu’il n’est jamais remis ou ne peut jamais, car, après la mort, l’homme est confirmé dans la grâce ou dans le péché, comme il l’était dans l’état de sa mort, ainsi que le dit Si 11, 3 : L’arbre demeurera là où il est tombé. Mais cela ne semble pas approprié, car ainsi tout péché qui dure jusqu’à la mort est irrémissible, qu’il soit contre le Père ou contre le Fils. Ainsi, le péché contre l’Esprit saint ne serait pas irrémissible d’une autrement que le péché contre le Père ou contre le Fils, ce qui est contraire au texte de l’évangile, à moins de dire que tout péché contre le Père ou contre le Fils est un péché véniel, car Grégoire dit, Dialogues, IV, que les péchés véniels sont remis même après cette vie. Mais cela est clairement faux, car l’ignorance n’excuse pas toujours le péché de sorte qu’il ne soit pas condamnable, mais qu’il soit moins condamnable. C’est pourquoi d’autres disent que l’impénitence, qui exprime une persistance continue du péché jusqu’à la mort, n’est pas nécessaire pour qu’il y ait péché contre l’Esprit saint, car même par un seul mouvement de sa volonté, un homme peut pécher contre l’Esprit saint, comme cela se produit pour les autres péchés. Selon ceux-là, six espèces de péchés contre l’Esprit saint sont assignés, comme on l’a dit. Mais, selon ceux-là, il faut dire que le péché contre l’Esprit saint n’est pas appelé irrémissible parce qu’il n’est jamais remis, mais parce qu’il ne possède pas en lui-même la capacité d’être remis, et cela principalement pour trois causes. L’une provient de la cause qui pousse à pécher. En effet, la faiblesse ou l’ignorance de celui qui pèche causent parfois le péché ; celles-ci peuvent excuser le pécher en partie ou en totalité parce qu’elles causent l’involontaire simplement ou relativement. On dit alors que le péché est rémissible parce qu’il possède en lui-même la capacité d’être remis, parce qu’il provient d’une cause qui l’excuse. Mais le péché qui est commis délibérément ne possède aucune raison d’être excusé. On dit donc qu’il est irrémissible parce qu’il ne possède pas de raison d’être excusé et, pour cette raison, est facile à remettre. La deuxième raison est tirée du mode selon lequel la volonté est encline au péché, car, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, VII, en matière d’action, la fin se compare à un principe indémontrable en matière spéculative. Or, en matière spéculative, l’erreur portant sur les principes indémontrables peut difficilement être écartée du fait qu’on ne peut saisir quelque chose de plus connu par quoi l’erreur serait rejetée. De même, en matière d’action, lorsque quelqu’un s’attache à un péché comme à une fin, comme y plaçant sa béatitude, on ne peut apporter facilement un remède à un tel péché, car rien d’autre n’est davantage aimé par celui qui pèche, dont la recherche écarte ce en quoi il place sa fin ultime. Or, quiconque pèche par choix ou de manière délibérée s’attache au péché qu’il choisit, comme s’il était bon en soi, et comme s’il était ainsi sa fin. C’est pourquoi un tel péché ne reçoit pas facilement de remède. Aussi le Philosophe montre-t-il, Éthique, VII, que l’incontinent, qui pèche par passion ou par faiblesse, est plus facilement guéri que l’intempérant, qui pèche par choix ou de manière délibérée. Et ces deux causes mentionnées montrent non seulement la cause de l’irrémissibilité du péché contre l’Esprit saint proprement dit, mais aussi de tout péché qui provient d’un choix. Mais la troisième cause, qui concerne à proprement parler le pécé contre l’Esprit saint, est tirée de son objet, car le péché contre l’Esprit saint vient de ce que la volonté repousse ce par quoi se réalise la rémission des péchés. Ainsi, de même qu’on dirait de la maladie qui cause le dégoût d’un remède qu’elle est incurable, de même on dit qu’Est irrémissible le péché par l’acte duquel le remède spirituel est écarté. Tooutefois, de même que cette maladie corporelle peut être guérie miraculeusement par la puissance divine, de même aussi un péché de ce genre peut être miraculeusement remis par la miséricorde divine.

[7262] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 4 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod peccatum in spiritum sanctum praecludit viam gratiae: et ideo peccato in spiritum sanctum manente, ex parte ipsius peccantis non remanet facultas ad gratiam; sed remoto isto peccato per immensitatem divinae misericordiae, potest postmodum esse gratiae abundantia, si homo maxime humilietur propter gravitatem praecedentis peccati.

1. Le péché contre l’Esprit saint ferme la chemin de la grâce. C’est pourquoi, aussi longtemps que demeure le péché contre l’Esprit saint, l’aptitude à la grâce ne demeure-t-elle pas du côté du pécheur lui-même. Mais, lorsque ce péché est enlevé par l’kimmensité de la miséricorde divine, il peut par la suite exister une abondance de grâce, si l’homme s’humilie au plus haut point en raison de la gravité du péché précédent.

[7263] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 4 ad 2Ad secundum dicendum, quod spes directe est eorum in quae sicut in ultimum finem tendimus: et ideo remotio spei tollit finem; et ideo desperatio est irremissibile peccatum, sicut et error principiorum est insanabilis. Caritas autem non tantum est finis, sed et eorum quae sunt ad finem; scilicet proximorum: et ideo si peccatur contra caritatem proximi, non tamen propter hoc directe peccatur contra caritatem Dei; unde ex parte illa manet via ad curationem. Si autem directe contra caritatem Dei peccatur, prout est directio finis, sic irremissibile peccatum erit in spiritum sanctum; et hoc est quando quis invidet gratiae, qua etiam reconciliatus est. Similiter etiam dicendum de fide, quia infidelitas potest procedere vel ex ignorantia et sic habet pallium excusationis et facile remittitur; vel est ex certa malitia, et sic est peccatum in spiritum sanctum, quod est impugnatio veritatis agnitae.

2. L’espérance porte directement sur ce vers quoi nous tendons comme vers la fin ultime. L’enlèvement de l’espérance enlève donc la fin. C’est pourquoi le désespoir est un péché irrémissible, comme l’erreur sur les principes est incurable. Or, la charité ne porte pas seulement sur la fin, mais sur ce qui se rapporte à la fin, à savoir, le prochain. C’est pourquoi si l’on pèche contre la charité envers le prochain, on ne pèche cependant pas direcement contre la charité envers Dieu. De ce point de vue, il reste donc une voie vers la guérison. Mais, si l’on pèche directement contre la charité envers Dieu, d’où vient l’orientation vers la fin, le péché contre l’Esprit saint sera ainsi irrémissible. Cela se produit lorsque quelqu’un envie la grâce [du prochain], par laquelle il est aussi réconcilié. Il faut dire aussi la même chose de la foi, car l’infidélité peut provenir soit de l’ignorance, et elle possède ainsi le voile de l’excuse et est facilement remise ; soit d’une malcie certaine, et ainsi elle est un péché contre l’Esprit saint, qui est une attaque contre la vérité reconnue.

[7264] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 4 ad 3Ad tertium dicendum, quod malitia non causat involuntarium sicut infirmitas et ignorantia: et ideo non oportet quod peccatum excuset vel alleviet, sicut illa faciunt. Vel dicendum, quod malitia ex qua peccatum quod in spiritum sanctum dicitur, procedit, nominat quemdam actum peccati, ut actum desperationis vel obstinationis, et hujusmodi, et non sumitur secundum quod est poena, prout dicit defectum quemdam rationalis animae, secundum quem in malum facile inclinabilis est.

3. La malice ne cause pas l’involontaire comme la faiblesse et l’ignorance ; C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elle excuse ou diminue le péché, comme celles-ci le font. Ou bien il faut dire que la malice, de laquelle provient le péché qu’on dit être contre l’Esprit saint, désigne l’acte d’un péché, comme un acte de désespoir ou d’obstination, et ainsi de suite, mais elle n’est pas envisagée comme une peine, en tant qu’elle exprime une carence de l’âme raisonnable, selon laquelle celle-ci est facilement encline au mal.

[7265] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 4 ad 4Ad quartum dicendum, quod peccatum aliquod potest esse irremissibile dupliciter: vel ex genere peccati, et sic peccatum in spiritum sanctum irremissibile dicitur; vel ex statu peccantis; et sic omne peccatum in quo via finitur, est irremissibile, sive sit hominis sive Angeli; et secundum hoc accipitur differentia hominis et Angeli: quia status viae in Angelis finitur statim post primam electionem; non autem sic est in hominibus.

4. Un péché peut être irrémissible de deux manières. Soit en raison du genre du péché, et ainsi, le péché contre l’Esprit saint est-il appelé irrémissible. Soit en raison de l’état de celui qui pèche, et ainsi, tout péché dans lequel s’achève le cheminement est irrémissible, que ce soit celui de l’homme ou celui de l’ange. On saisit ainsi la différence entre l’homme et l’ange, car l’état de cheminement se termine chez les anges immédiatement après le premier choix. Mais il n’en est pas de même pour les hommes.

[7266] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 4 ad 5Ad quintum dicendum, quod cum dicitur peccatum irremissibile, non privatur potentia absolute ad remissionem, sed magis aptitudo vel facilitas quaedam.

5. Lorsqu’on dit d’un péché qu’il est irrémissible, on ne prive pas de manière absolue de la possibilité de la rémission, mais plutôt d’une certaine aptitude ou facilité [à celle-ci].

 

 

ARTICULUS 5 Utrum aliquis possit peccare in spiritum sanctum in primo actu peccati

Article 5 – Peut-on pécher contre l’Esprit saint dès le premier acte de péché ?

[7268] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 5 arg. 1Ad quintum sic proceditur. Videtur quod aliquis in primo actu peccati non possit peccare in spiritum sanctum, sed quod hoc peccatum praeexigat alia peccata. Dicit enim Bernardus in 4 sermone super cantica: nemo repente fit summus; sed paulatim proficere volo. Ergo e contrario nullus repente fit pessimus. Sed peccatum in spiritum sanctum est gravissimum. Ergo non statim aliquis hoc peccato potest peccare.

1. Il semble qu’on ne puisse péchér contre l’Esprit saint dès le premier acte de péché, mais que ce péché exige au préalable d’autres péchés. En effet, dans le sermon IV sur le Cantique, Bernard dit : « Personne ne devient le plus grand tout d’un coup, mais je veux progresser peu à peu. » En sens contraire, personne ne devient donc le pire tout d’un coup. Or, le péché contre l’Esprit saint est le plus grave. On ne peut donc pas pécher immédiatement par ce péché.

[7269] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 5 arg. 2Praeterea, Gregorius in Moral., exponens illud Job 39: clamorem ducum etc. dicit, quod vitia quae primo mentem invadunt, cum quadam ratione hominem, quasi persuadendo, ad modum ducis vincunt; sed postmodum mens per diversa vitia irrationabiliter dissipatur. Sed peccatum in spiritum sanctum est maxime a persuasione rationis recedens. Ergo non potest esse primum; sed oportet quod sequatur alia peccata.

2. Dans les Morales [sur Job], Grégoire, en expliquant Jb 39 : Le cri des chefs, etc., dit que les vices qui envahissent en premier l’esprit, l’emportent à la manière des chefs, en persuadantt l’homme par une raison ; mais, par la suite, l’esprit se disperse de manière non raisonnable dans divers vices. Or, le péché contre l’Esprit saint s’éloigne le plus de la persuasion de la raison. Il ne peut donc pas être premier, mais il faut qu’il suive d’autres péchés.

[7270] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 5 arg. 3Praeterea, philosophus dicit in 5 Ethic., quod non est in potestate hominis ut statim injusta operetur, sicut injustus facit. Sed injustus operatur injusta delectabiliter et ex electione. Ergo non est in potestate hominis ut statim et ex electione peccatum faciat. Quicumque autem peccat in spiritum sanctum, ex electione peccat. Ergo et cetera.

3. En Éthique, V, le Philosophe dit qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de commettre des choses injustes, comme l’injuste le fait. Or, l’injuste commet des choses injustes avec plaisir et par choix. Il n’est donc pas au pouvoir de l’homme de commettre immédiatement le péché par choix. Or, quiconque pèche contre l’Esprit saint, pèche par choix. Donc, etc.

[7271] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 5 arg. 4Praeterea, sicut spei opponitur desperatio, ita meritis opponuntur demerita. Sed spes praesupponit merita: est enim spes certa expectatio futurae beatitudinis ex meritis et gratia proveniens. Ergo et desperatio praesupponit demerita; et sic saltem haec species peccati in spiritum sanctum oportet quod ad alia peccata sequatur.

4. De meme que le désespoir s’oppose à l’espérance, de même les démérites s’opposent aux mérites. Or, l’espérance présuppose des mérites : en effet, l’espérance est l’attente certaine de la béatitude future provenant des mérites et de la grâce. Le désespoir présuppose donc des démérites, et ainsi, cette espèce de péché contre l’Esprit saint doit tout au moins suivre d’autres péchés.

[7272] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 5 arg. 5Praeterea, poenitentia et impoenitentia, cum sint opposita, sunt circa idem. Sed poenitentia est dolor de commissis. Ergo et impoenitentia aliqua peccata commissa praesupponit.

5. Puisqu’elles sont opposées, la pénitence et l’impénitence portent sur les mêmes choses. Or, la pénitence est une douleur pour les fautes commises. L’impénitence présuppose donc aussi que des péchés aient été commis.

[7273] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 5 s. c. 1Sed contra, peccatorum quae habent actus distinctos, unum ad sui esse alterum non praesupponit. Sed peccatum in spiritum sanctum habet actum ab aliis peccatis distinctum, qui est abjicere id per quod quis a peccato retrahitur, ut dictum est, in corp. art. 2. Ergo non de necessitate alia peccata praesupponit.

Cependant, [1] pour les péchés qui ont des actes différents, l’un ne présuppose pas l’autre pour exister. Or, le péché contre l’Esprit saint a un acte distinct des autres péchés, qui consiste à rejeter ce par quoi on est retenu de pécher, comme on l’a dit dans le corps de l’article 2. Il ne présuppose donc pas nécessairement d’autres péchés.

[7274] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 5 s. c. 2Praeterea, peccatum in spiritum sanctum consistit in hoc quod voluntas rejicit id per quod a peccato retrahi deberet. Sed voluntas se habet ad utrumque oppositorum. Ergo potest homo statim in spiritum sanctum peccare vel non peccare.

[2] Le péché contre l’Esprit saint consiste en ce que la volonté rejette ce par quoi elle devrait être retenue de pécher. Or, la volonté porte sur les deux contraires. L’homme peut donc immédiatement pécher ou non contre l’Esprit saint.

[7275] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 5 co.Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist. 42, art. 3, in corp., in peccatis quorum unum dicitur ex altero nasci, non consideratur quid semper fiat, sed quid in pluribus contingat, propter quamdam aptitudinem quam habet unum peccatum quod ex alio frequenter oriatur; sicut fraus assignatur filia avaritiae, quae tamen potest ex luxuria vel ex alio vitio oriri, quamvis ex avaritia saepius oriatur. Illud autem peccatum habet aptitudinem ut ex eo aliud oriatur, cujus objectum est vehementius appetibile, ut supra dictum est. Hoc autem est quod habet majorem apparentiam boni. Unde illud peccatum cujus objectum maxime recedit a ratione boni, minime potest esse primum; sed quasi semper vel frequentius ex alio oritur: et tale est peccatum in spiritum sanctum, prout speciale peccatum ponitur: et ideo ut saepius et quasi semper sequitur ad alia peccata: non tamen ita quin sit possibile ut etiam homo in primo actu peccati in spiritum sanctum peccet, et praecipue in duabus ultimis speciebus, scilicet impugnatione veritatis agnitae, et invidentia gratiae qua reconciliati sumus: quia istae species majorem videntur habere distinctionem ab aliis peccatis. Sed tamen hoc etiam contingit in aliis speciebus, si diligenter consideretur. Potest enim aliquis statim, inspectis diversorum hominum statibus, abjicere spem futurae gloriae, propter difficultatem perveniendi ad ipsam, et propter delectationes eorum qui de ea non curant; et similiter in hoc animum suum firmare ut suam voluntatem in omnibus sequatur; quod est obstinationis; et sic de aliis.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, d. 42, a. 3, dans le corps [de l’article], dans les péchés dont on dit que l’un est issu d’un autre, on ne considère pas ce qui est est toujours fait, mais ce qui survient dans la plupart des cas, en raison de l’aptitude d’un péché à provenir souvent d’un autre, comme la fraude est issue de l’avarice, alors qu’elle peut cependant être issue de la luxure ou d’un autre vice, bien qu’elle soit issue le plus souvent de l’avarice. Or, comme on l’a dit dit plus haut, le péché dont l’objet est le plus intensément désirable est celui dont un autre est susceptible de provenir. Or, c’est celui qui possède la plus grande apparence de bien. Le péché dont l’objet s’éloigne le plus de la raison de bien peut donc le moins être premier, mais il est toujours ou le plus souvent issu d’un autre. Tel est le péché contre l’Esprit saint, en tant qu’il est présenté comme un péché particulier. C’est pourquoi il suit le plus souvent et pour ainsi dire toujours d’autres péchés, non pas toutefois de manière qu’il soit possible qu’un homme pèche contre l’Esprit saint dans son premier acte, surtout dans les deux dernières espèces, à savoir, l’attaque contre la vérité reconnue et l’envie de la grâce par laquelle nous sommes réconciliés, car ces deux expèces semblent se distinguer davantage des autres péchés. Toutefois, cela arrive aussi dans les autres espèces, si on examine attentivement. En effet, quelqu’un peut rejeter immédiatement l’espérance de la gloire future, après avoir envisagé les états des différents hommes,en raison de la difficulté d’y parvenir et des plaisirs de ceux qui n’en ont cure. De même, il peut affermir sont esprit de sorte qu’il suive en tout sa volonté, ce qui relève de l’obstination. Et ainsi de suite.

[7276] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 5 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod non est simile de profectu virtutis, et de casu in peccatum: quia plura requiruntur ad actum virtutis quam ad actum peccati: et ad actum virtutis erigitur homo per gratiam; sed in actum peccati per seipsum quis cadere potest.

1. Il n’en va pas de même du progrès dans la vertu et de la chute dans le péché, car plus de choses sont nécessaires à l’acte de la vertu qu’à l’acte du péché. Et l’homme est élevé à l’acte de vertu par la grâce, mais quelqu’un peut tomber par lui-même dans l’acte du péché.

[7277] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 5 ad 2Ad secundum dicendum, quod Gregorius ibi assignans origines vitiorum, considerat id quod saepius accidit, non quin aliter possit accidere: hoc enim ad moralem pertinet, et etiam ad naturalem: quia causae naturales, et multo plus morales, deficiunt in minori parte, quia non sunt necessariae.

2. En assignant ainsi les origines des vertus, Grégoire considère ce qui arrive le plus souvent, sans exclure que cela se produise autrement. En effet, cela concerne ce sur quoi porte la morale, eet aussi la [science] naturelle, car les causes naturelles, et encore davantage les [causes] morales, font défaut dans une minorité de cas, parce qu’elles ne sont pas nécessaires.

[7278] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 5 ad 3Ad tertium dicendum, quod peccatum in spiritum sanctum, ut supra dictum est, non est hoc modo ex electione sicut habens habitum ex electione peccat; immo per actus peccati in spiritum sanctum praecedentes habitum aliquis habitus acquiritur: et ideo objectio non procedit: quia injustus ex electione peccat sicut habens habitum.

3. Comme on l’a dit plus haut, le péché contre l’Esprit saint ne provient pas du choix comme celui qui possède un habitus pèche par choix. Bien plus, un habitus est acquis par les actes du péché contre l’Esprit saint qui précèdent l’habitus. C’est pourquoi l’objection n’est pas concluante, car l’injuste pèche par choix en tant qu’il possède un habitus.

[7279] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 5 ad 4Ad quartum dicendum, quod spes non semper praeexigit merita in actu, sed solum in proposito sperantis; similiter etiam et desperatio non oportet quod praesupponat aliqua demerita praecedentia in actu.

4. L’espérance n’exige pas toujours au préablable des mérites en acte, mais seulement dans l’intention de celui qui espère. De même aussi n’est-il pas nécessaire que le désespoir présuppose des démérites précédents en acte.

[7280] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 5 ad 5Ad quintum dicendum, quod poenitentia, secundum quod dicit actum, non est nisi de malis praeteritis: sed secundum quod dicit habitum, quo quis dicitur poenitivus, non exigitur quod aliqua peccata commiserit, sed quod habeat hoc propositum, ut si contingeret ipsum peccare, statim poeniteret. Ita etiam ad rationem impoenitentiae sufficit ut aliquis nunquam poeniteat de peccatis, si qua committet.

5. Selon qu’elle exprime un acte, la pénitence ne porte que sur les fautes passées ; mais, selon qu’elle exprime un habitus, selon lequel on dit de quelqu’un qu’il est porté à la pénitence, elle n’exige pas qu’il ait commis des péchés, mais qu’il en ait l’intention, de sorte que s’il arrivait qu’il pèche, il se repentirait aussitôt. De même aussi, il suffit à la raison d’impénitence que quelqu’un ne se repente jamais de ses péchés, s’il en commet.

 

 

ARTICULUS 6 Utrum Adam peccaverit in spiritum sanctum

Article 6 – Adam a-t-il péché contre l’Esprit saint ?

[7282] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 arg. 1Ad sextum sic proceditur. Videtur quod Adam in spiritum sanctum peccaverit. Non enim peccavit in patrem, quia non peccavit ex infirmitate; neque etiam in filium, quia non ex ignorantia; cum infirmitas et ignorantia ante peccatum non fuerit. Ergo relinquitur quod peccavit in spiritum sanctum.

1. Il semble qu’Adam ait péché contre l’Esprit saint. En effet, il n’a pas péché contre le Père, car il n’a pas péché par faiblesse ; ni contre le Fils, car [il n’a pas péché] par ignorance, puisqu’il n’y avait ni faiblesse ni ignorance avant le péché. Il reste donc qu’il ait péché contre l’Esprit saint.

[7283] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 arg. 2Praeterea, nimia praesumptio de Dei misericordia, est peccatum in spiritum sanctum. Sed Adam peccans de Dei misericordia cogitavit, ut Augustinus dicit, et supra, dist. 22, habitum est. Ergo videtur in spiritum sanctum peccasse.

2. Une trop grande présomption de la miséricorde de Dieu esst un péché contre l’Esprit saint. Or, en péchant, Adam, a pensé à la miséricorde de Dieu, comme le dit Augustin et comme on l’a vu plus haut, d. 22. Il semble donc qu’il a péché contre l’Esprit saint.

[7284] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 arg. 3Contra, peccavit appetendo scientiam. Sed scientia appropriatur filio. Ergo magis peccavit in filium quam in spiritum sanctum.

3. Il a péché en désirant la science. Or, la science esst appropriée du Fils. Il a donc plutôt péché contre le Fils que contre l’Esprit saint.

[7285] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 arg. 4Praeterea, Augustinus dicit, quod quamvis Adam non fuerit seductus in hoc in quo mulier, tamen in hoc seductus est quod credidit veniale quod mortale erat. Sed peccatum quod est ex seductione, est peccatum in filium. Ergo peccavit in filium.

4. Augustin dit que, bien qu’Adam n’ait pas été séduit par ce par quoi la femme l’a été, il a cependant été séduit du fait qu’il a cru que ce qui était mortel était véniel. Or, le péché qui vient de la séduction est un péché contre le Fils. Il a donc péché contre le Fils.

[7286] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 arg. 5Item, videtur quod primus Angelus in spiritum sanctum peccaverit. Irremissibilitas enim est proprietas peccati in spiritum sanctum. Sed peccatum primi Angeli fuit irremissibile. Ergo fuit in spiritum sanctum.

5. Le premier ange a péché contre l’Esprit saint. En effet, l’irrémissibilité est une propriété du péché contre l’Esprit saint, Or, le péché du premier ange était irrémissible. Il était donc contre l’Esprit saint.

[7287] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 arg. 6Praeterea, eodem genere peccati quo tunc peccavit Diabolus, etiam nunc peccat. Sed nunc peccat in spiritum sanctum, quia invidet gratiae quae in sanctis operatur. Ergo et tunc in spiritum sanctum peccavit.

6. Le Diable pèche maintenant du même genre de péché par lequel il a alors péché. Or, il pèche maintenant contre l’Esprit saint, car il envie la grâce qui agit chez les saints. Il a donc péché alors contre l’Esprit saint.

[7288] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 arg. 7Sed contra, peccatum primi Angeli fuit ex hoc quod potentiam inordinate appetiit. Sed potentia appropriatur patri. Ergo peccavit in patrem.

7. Cependant, le péché du premier ange a consisdté à désirer le pouvoir de manière désordonnée. Or, le pouvoir est approprié au Père. Il a donc péché contre le Père.

[7289] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 arg. 8Praeterea, poena non praecedit culpam. Sed malitia computatur inter poenas peccati. Ergo ex malitia non potuit esse primi Angeli primum peccatum, quod nullum peccatum praecesserat.

8. La peine ne précède pas la faute. Or, la malice est comptée parmi les peines du péché. Le premier péché du premier ange, que l’avait précédé aucun péché, ne pouvait provenir de la malice.

[7290] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 co.Respondeo dicendum, quod quidam dicunt, quod peccatum primi hominis et peccatum Daemonis non fuit neque in patrem neque in filium neque in spiritum sanctum; hae enim non sunt differentiae peccati absolute accepti, sed peccati quod contingit in natura corrupta. Infirmitas enim et ignorantia et malitia, ex peccato naturam corruptam consequuntur. Sed sciendum, quod quamvis infirmitas nullo modo in natura integra inveniri possit, et ita nec peccatum in patrem: tamen ignorantia aliquo modo in natura integra inveniri potuit, non secundum quod ignorantia dicitur privative, sed secundum quod dicitur negative: sic enim est defectus consequens intellectum creatum, inquantum creatus est: ex hoc enim deficit a perfecto lumine intellectus increati, ut non omnia sciat, vel saltem non omnia actu consideret: et ex tali nescientia peccatum proveniens, peccatum in filium dici potest. Et similiter etiam malitia ex qua peccatum in spiritum sanctum procedit, non oportet quod sit poena, sed est aliquis actus peccati, ut supra dictum est; unde et in natura integra potuit esse peccatum in filium et in spiritum sanctum. Sciendum tamen, quod primus actus peccati primi hominis et Angeli non fuit in spiritum sanctum, prout peccatum in spiritum sanctum est speciale peccatum: quod patet ex ipso objecto peccati: uterque enim peccavit, altitudinem propriam appetendo. Et ideo quantum ad genus peccati fuit peccatum superbiae; sed quantum ad circumstantiam peccati utrumque fuit peccatum in filium: quia uterque peccavit ex hoc quod non consideravit ea quae consideranda erant ad evitationem peccati; non autem fuit peccatum primum eorum ex hoc quod propria voluntate repugnarent spei, vel alicui hujusmodi, sicut fit in peccato in spiritum sanctum.

Réponse. Certains disent que le péché du premier homme et le péché du démon n’ont été ni contre le Père, ni contre le Fils, ni contre l’Esprit saint. En effet, ce ne sont pas là des différences du péché considéré de manière absolue, mais du péché qui survienet dans la nature corrompue. En effet, la faiblesse, l’ignorance et la malice découlent de la nature corrompue par le péché. Mais il faut savoir que, bien que la faiblesse ne puisse se trouver d’aucune manière dans la nature intacte, et de même non plus le péché contre le Père, l’ignorance pouvait cependant se trouver dans la nature intacte, non pas si l’on parle d’ignorance de manière privatice, mais selon qu’on en parle de manière négative. En effet, il s’agit alors d’une carence qui découle de l’intellect créé en tant qu’il est créé, car le fait de ne pas tout connaître ou tout au moins de ne pas tout considérer en acte lui vient d’une carence de la lumière parfaite de l’intellect incréé. Le péché qui provient d’une telle ignorance peut être appelé péché contre le Fils. De même, la malice dont provient le péché contre l’Esprit saint n’est pas nécessairement une peine, mais elle est un acte du péché, comme on l’a dit plus haut. Aussi le péché contre le Fils et le péché contre l’Esprit saint pouvaient-ils aussi se trouver dans la nature intacte. Il faut cependant savoir que le premier acte de péché du premier homme et de l’ange n’était pas contre l’Esprit saint, pour autant que le péché contre l’Esprit saint est un péché particulier, ce qui est évident par l’objet même du péché : en effet, les deux ont péché en désirant leur propre élévation. Quant au genre de péché, c’était donc un péché d’orgueil ; mais, quant à la circonstance du péché, les deux étaient un péché contre le Fils, car les deux ont péché du fait qu’ils n’ont pas envisagé ce qui devait être envisagé pour éviter le péché. Mais leur premier péché ne venait pas de ce qu’ils résistaient à l’espérance, ou à quelque chose de ce genre, de leur propre volonté, comme c’est le cas du péché contre l’Esprit saint.

[7291] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 ad 1Ad primum ergo patet responsio per ea quae dicta sunt.

1. La réponse est claire d’après ce qui a été dit.

[7292] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 ad 2Ad secundum dicendum, quod quamvis Adam peccans cogitaret de Dei misericordia, non tamen peccavit peccato praesumptionis, quia non cogitavit se misericordiam consequi sine poenitentia; sed simul de misericordia et de poenitentia cogitavit, ut Augustinus ibidem dicit.

2. Bien qu’Adam en péchant ait pensé à la miséricorde de Dieu, il n’a cependant pas péché d’un péché de présomption, cat il n’a pas pensé obtenir la misécorde sans pénitence ; mais il a pensé en même temps à la miséricorde et à la pénitence, comme Augustin le dit au même endroit.

[7293] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 ad 3Alia duo concedimus, quamvis primum eorum non recte concludat, ut post dicetur.

3-4. Nous concédons les deux autres arguments, bien que le premier ne conclue pas correctement, comme on le dira plus loin.

[7294] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 ad 5Ad quintum dicendum, quod peccatum Angeli non habuit irremissibilitatem ex genere peccati, sed magis ex statu peccantis, ut supra dictum est: et ideo ratio non procedit.

5. Le péché de l’ange n’était pas irrémissible en raison du genre du péché, mais plutôt en raison de l’état de celui qui péchait, comme on l’a dit plus haut. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

[7295] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 ad 6Ad sextum dicendum, quod ad primum actum peccati in Angelo, qui fuit actus superbiae, consecutae sunt multae aliae deformitates peccatorum, ut invidia, odium, et hujusmodi; et inter illa potuit esse peccatum in spiritum sanctum.

6. Plusieurs autres difformités des péchés, comme l’envie, la haine et les choses de ce genre, ont découlé du premier acte de péché chez l’ange, lequel était un péché d’orgueil. Parmi celles-ci, pouvait se trouver le péché contre l’Esprit saint.

[7296] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 ad 7Ad septimum dicendum, quod peccatum in patrem non dicitur ex objecto, sed potius ex causa: et ideo quamvis potentiam appetierit, non sequitur quod in patrem peccaverit, quia non ex infirmitate peccavit. Unde et ratio illi similis, per quam ostendebatur quod homo primus in filium peccaverit, non concludebat.

7. On ne parle pas de péché contre le Père en raison de l’objet, mais plutôt en raison de la cause. C’est la raison pour laquelle il ne s’ensuit pas qu’il ait péché contre le Père, car il n’a pas péché par faiblesse. Aussi l’argument semblable à celui-ci, par lequel on montrait que le premier homme a péché contre le Fils, n’était-il pas concluant.

[7297] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 ad 8Ad octavum dicendum, quod malitia, ex qua peccatum in spiritum sanctum esse dicitur, non oportet ut sit poena peccati, ut dictum est; et ideo ratio non procedit, quamvis conclusio sit vera.

8. La malice, selon laquelle on parle de péché contre l’Esprit saint ne doit pas nécessairement être une peine du péché, comme on l’a dit. C’est pourquoi l’argument n’est pas valable, bien que la conclusion soit vraie.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 43

[7298] Super Sent., lib. 2 d. 43 q. 1 a. 6 expos.Neque hic neque in futuro. Hoc ideo dicitur, quia quaedam peccata in futuro etiam dimittuntur, sicut venialia quaedam, ut Gregorius dicit, non solum quantum ad poenam, sed etiam quantum ad culpam. Non pro eo dico ut quis oret. Si peccatum ad mortem intelligatur peccatum in spiritum sanctum, prout peccatum in spiritum sanctum requirit finalem impoenitentiam, secundum unam opinionem; sic intelligendum est, ut nullus pro talibus oret: quia qui usque ad mortem in peccato mortali perdurat, postmodum orationibus non juvatur. Si autem sumatur pro peccato in spiritum sanctum, secundum aliam opinionem, prout non requirit finalem impoenitentiam; sic intelligendum est, ut non oret pro eo quis, idest quicumque: quia talium conversio quasi miraculosa est. Unde sicut pro faciendis miraculis non quilibet orat, sed magni et sancti viri; ita nec pro talium conversione. Tamen secundum formam verborum non prohibetur oratio pro eo fieri; sed ostenditur quod praeceptum de orando pro proximis fidelibus non se extendit ad tales peccatores: quia propter sui peccati enormitatem hoc merentur ut a fidelibus relinquantur, sicut ethnici et publicani. Qui autem blasphemaverit in spiritum sanctum, non remittetur ei neque hic neque in futuro. Glossa ibidem dicit, scilicet Matth. 12, quod blasphemia remittitur, spiritus autem blasphemiae non remittitur. Blasphemia enim nominat ipsum peccati genus absolute: quod contingit quandoque ex infirmitate, sicut cum quis ex irae passione blasphemat; quandoque etiam ex ignorantia, sicut in his qui errant, male de Deo sentientes. Sed spiritus blasphemiae est voluntas blasphemandi, quando scilicet ex certa malitia blasphematur: et tunc est peccatum in spiritum sanctum. Discuti oportet, an aliud obstinatio, aliud impoenitentia sit peccatum. Hujus quaestionis apparet solutio secundum distinctionem impoenitentiae prius positam. Si enim impoenitentia sumatur pro actuali duratione in obstinatione usque ad mortem, non est aliud peccatum ab obstinatione, sed circumstantia ejus; si autem impoenitentia sumatur prout dicit propositum non poenitendi, sic est aliud peccatum.

 

 

 

DISTINCTIO 44

Distinction 44 – [La capacité de pécher ]

PROOEMIUM

Prologue

[7299] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 pr.Determinato de peccato quantum ad actum peccati, hic determinat de potentia peccandi; et dividitur in partes duas: in prima determinat de potentia peccandi; in secunda continuat se ad sequentem librum, ibi: jam nunc his intelligendis atque pertractandis quae ad verbi incarnati mysterium pertinent, integra mentis consideratione intendamus. Prima dividitur in duas: in prima inquirit, utrum potentia peccandi sit a Deo; in secunda determinat de obedientia quae debetur eis qui potentiam praelationis a Deo habent, ibi: hic oritur quaestio non transilienda silentio. Circa primum tria facit: primo movet quaestionem; secundo narrat opinionem quorumdam, ibi: putant quidam potentiam recte agendi nobis esse a Deo, potentiam vero peccandi non a Deo, sed a nobis, vel a Diabolo esse; tertio determinat veritatem, ibi: sed pluribus sanctorum testimoniis indubitanter monstratur quod potestas mali a Deo est. Hic oritur quaestio non transilienda silentio. Hic inquirit de obedientia debita his qui a Deo potestatem habent: et primo movet quaestionem; secundo solvit, ibi: sed sciendum est, apostolum ibi loqui de saeculari potestate. Jam nunc his intelligendis atque pertractandis quae ad verbi incarnati mysterium pertinent, integra mentis consideratione intendamus. Hic continuat se ad sequentia; et primo ponit continuationem; secundo assignat ordinem, ibi: hic est rationis ordo et cetera. Hic est duplex quaestio. Prima de potentia peccandi. Secunda de obedientia. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum potentia peccandi sit bona, et a Deo; 2 cum secundum praelationis officium, adsit potestas multa peccata perpetrandi, quae nisi quis in statu praelationis esset, facere non posset; utrum etiam omnis praelatio a Deo sit; 3 utrum praelatio, sive dominium, sit a Deo in ordinationem naturae institutae, vel in punitionem naturae corruptae.

Après avoir déterminé du péché quant à l’acte du péché, [le Maître] détermine ici de la capacité de pécher. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de la capacité de pécher ; dans la seconde, il fait le lien avec le livre suivant, à cet endroit : « Ne nous arrêtons pas maintenant avec toute l’attention de notre esprit à saisir et à traiter ce qui se rapporte au mystère du Verbe incarné. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il demande si la capacité de pécher vient de Dieu ; dans la seconde, il détermine de l’obéissance qui est due à ceux qui tiennent de Dieu un pouvoir de supériorité, à cet endroit : « Ici apparaît une question qui ne doit pas être passée sous silence. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il soulève une question. Deuxièmement, il rapporte l’opinion de certains, à cet endroit : « Certains pensent que la capacité d’agir correctement nous vient de Dieu, mais que la capacité de pécher ne vient pas de Dieu, mais de nous ou du Diable. » Troisièmement, il détermine de la vérité, à cet endroit : « Mais de nombreux témoignages des saints montrent de manière indubitable que la capacité du mal vient de Dieu. » « Ici apparaît une question qui ne doit pas être passée sous silence. » « Ici apparaît une question qui ne doit pas être passée sous silence. » Il s’interroge sur l’obéissance qui est due à ceux qui reçoivent de Dieu le pouvoir. Premièrement, il soulève une question. Deuxièmement, il y répond, à cet endroit : « Mais il faut savoir que l’Apôtre parle ici du pouvoir séculier. » « Ne nous arrêtons pas maintenant avec toute l’attention de notre esprit à saisir et à traiter ce qui se rapporte au mystère du Verbe incarné. » Ici, il fait le lien avec ce qui suit. Premièrement, il présente le lien, à cet endroit : « Tel est l’ordre de la raison, etc. » Il y a ici deux questions. La première porte sur la capacité de pécher ; la seconde, sur l’obéissance. À propos de la première, trois questions sont posées : 1. La capacité de pécher est-elle bonne et vient-elle de Dieu ? 2. Puisque, selon une fonction supérieure, existe la capacité de commettre de nombreux péchés, que l’on ne pourrait pas commettre si l’on n’était pas dans un état de supériorité, toute supériorité vient-elle de Dieu ? 3. La supériorité ou le pouvoir ont-ils établis par Dieu en vue de l’ordre de la nature ou de la punition de la nature corrompue ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum potentia peccandi sit a Deo

Article 1 – La capacité de pécher vient-elle de Dieu ?

[7301] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod potentia peccandi non sit a Deo. Posse enim peccare, ut Anselmus dicit, neque est libertas neque pars libertatis. Sed omnis potentia naturalis quae est in nobis ad agendum actus humanos, ad liberum arbitrium pertinet. Ergo potentia peccandi non est in nobis aliqua potentia naturalis. Constat etiam quod non est gratiae potentia: quia per gratiam nullus ordinatur ad peccatum. Cum ergo omnis potentia quae est in nobis a Deo, sit gratiae vel naturae, videtur quod potentia peccandi non sit in nobis a Deo.

1. Il semble que la capacité de péche ne vienne pas de Dieu. En effet, comme le dit Anselme, pouvoir pécher n’est ni la liberté, ni une partie de la liberté. Or, toute capacité naturelle qui existe en nous en vue de poser des actes humains relève du libre arbitre. La capacité de pécher n’est donc pas en nous une puissance naturelle. Il est clair aussi qu’elle n’est pas une puissance de la grâce, car, par la grâce, personne n’est ordonné au péché. Puisque toute capacité qui nous vient de Dieu relève de la grâce ou de la nature, il semble donc que la capacité de pécher ne nous vienne pas de Dieu.

[7302] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea, Deuter. 32, 4: Dei perfecta sunt opera. Ergo quanto aliquid magis est perfectum, magis debet computari inter divina opera. Sed actus est perfectior quam potentia. Cum igitur actus peccati non sit a Deo, nec potentia peccandi a Deo erit.

2. Dt 32, 4 dit : Les œuvres de Dieu sont parfaites. Plus une chose est parfaite, plus elle doit donc être comptée parmi les œuvres divines. Or, l’acte est plus parfait que la puissance. Puisque l’acte de pécher ne vient pas de Dieu, la capacité de Dieu ne viendra donc pas non plus de Dieu.

[7303] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea, ad opus humanum concurrunt potentia, scientia et voluntas. Sed voluntas peccandi non est a Deo. Ergo eadem rationem nec potentia peccandi ab ipso est.

3. La puissance, la science et la volonté concourent a un acte humain. Or, la volonté de pécheer ne vient pas de Dieu. Pour la même raison, la puissance de pécher ne viendra donc pas de lui.

[7304] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 1 arg. 4Praeterea, a causa per se producitur effectus secundum similitudinem suae causae; unde a Deo, qui est per se causa omnium, omnia producuntur retinentia similitudinem ejus quantum possunt: quia a primo ente sunt entia, et a primo vivente viventia. Sed in potentia peccandi non assimilatur creatura Deo. Ergo potentia peccandi non est in nobis a Deo.

4. Un effet est produit produit par soi à la ressemblance de sa cause. Aussi toutes choses sont dnc produites par Dieu, qui est cause par soi de tout, en gardant sa ressemblance autant qu’elles le peuvent, car les êtres viennent de celui qui est en premier, et les être vivants [viennent] du premier vivant. Or, la créature ne ressemble pas à Dieu par sa capacité de pécher. La capacité de Dieu ne se trouve pas en nous comme venant de Dieu.

[7305] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 1 arg. 5Praeterea, cujus usus malus est, ut Boetius dicit, ipsum malum est. Sed potentiae peccandi usus est ipsum peccatum, quod malum est. Ergo et potentia peccandi mala est. Sed nullum malum est a Deo. Ergo potentia peccandi non est a Deo.

5. Ce dont l’usage est mauvais, comme le dit Boèce, est mauvais en soi. Or, l’usage de la capacité de pécher est le péché même, qui est mauvais. La puissance de pécher est donc aussi mauvaise. Or, aucun mal ne vient de Dieu. La puissance de pécher ne vient donc pas de Dieu.

[7306] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 1 s. c. 1Sed contra, philosophus dicit, quod potentiae rationales sunt ad opposita. Ergo eadem est potentia peccandi et potentia bene operandi. Sed potentia bene operandi est a Deo. Ergo et potentia peccandi.

Cependant, [1] le Philosophe dit que les puissances raisonnables portent sur des contraires. La puissance de pécher et la puissance de bien agir sont donc les mêmes. Or, la puissance de bien agir vient de Dieu. Donc aussi, la puissance de pécher.

[7307] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea, omne ens a Deo est. Sed potentia peccandi est quoddam ens. Ergo et potentia peccandi a Deo est.

[2] Tout être vient de Dieu. Or, la puissance de pécher est un être. La puissance de pécher aussi vient donc de Dieu.

[7308] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod potentia cognoscitur per actum; unde ex consideratione actus peccati, judicium sumendum est de potentia peccandi. In actu autem peccati sunt duo, scilicet substantia actus, et deformitas vel defectus debitarum circumstantiarum; unde oportet quod etiam in ipsa potentia peccandi duo attendantur: scilicet ipsa potentia, quae est principium actus; et haec est eadem quae est principium actus ordinati et inordinati: et haec a Deo est: consideratur etiam in ea defectus quidam, secundum quem actum deficientem producere possit. Potentiae enim perfectissimae nunquam deficiunt ab eo ad quod ordinatae sunt, ut patet in necessariis. Unde quod potentia impediatur vel retrahatur ab eo ad quod naturaliter ordinata est, oportet quod sit ex defectu ejus, inquantum scilicet alteri agenti, quod impedit, succumbit. Unde cum potentia voluntatis humanae sit per se ordinata ad bonum, defectus a bono in actu ejus oportet quod causetur ex aliquo defectu in ipsa, per quem ab aliquo vinci potest, vel delectatione, vel suggestione, vel quocumque alio, ut ab eo quod est naturale sibi, ad id quod est innaturale, trahatur. Hic autem defectus est secundum quod ex nihilo est. Hujusmodi autem defectus, scilicet quod creatura ex nihilo sit, Deus directe causa non est, ut Avicenna probat: quia quod convenit rei secundum se, non causatur in eo ex alio. Res autem creata si sibi relinquatur, nihil est; unde hoc quod est ex nihilo esse, non est creaturae a Deo, quamvis esse creaturae a Deo sit. Posset tamen dici, quod iste defectus indirecte a Deo est, non quidem sicut ab agente aliquid, sed sicut a non agente, inquantum scilicet ipse creaturae hoc non praebet ut non ex nihilo sit, sicut dicitur causa privationis gratiae, quae poena est; nisi creatura hujusmodi perfectionis inveniretur capax non esse, ut scilicet non ex nihilo sit: et ideo hic defectus nullo modo a Deo est, nec directe nec indirecte. Sic ergo potentia peccandi, quantum ad id quod potentiae est, a Deo est; sed quantum ad defectum qui implicatur, non est a Deo.

Réponse. On connaît une puissance par son acte. Aussi, à partir de l’examen de l’acte du péché, faut-il juger de la puissance de pécher. Or, dans l’acte du péché, il y a deux choses : la substance de l’acte et la déformité ou carence des circonstances appropriées. Dans la puissance même de pécher, il faut donc considérer deux choses : la puissance elle-même, qui est le principe de l’acte, et celle-ci est la même qui est le principe d’un acte ordonné et désordonné, et elle vient de Dieu ; on considère aussi en elle une carence, selon laquelle elle peut produire un acte déficient. En effet, les puissances les plus parfaites ne s’écartent jamais de ce à quoi elles sont ordonnées, comme cela ressort pour les choses nécessaires. Qu’une puissance soit empêchée ou retenue de ce à quoi elle est naturellement ordonnée, il faut donc que cela vienne de sa carence, pour autant qu’elle succombe à un autre agent qui l’empêche. Puisque la puissance de la volonté humaine est par soi ordonnée au bien, il faut donc que le fait pour elle de s’écarter du bien soit causé par une carence en elle, par laquelle elle peut être vaincue par quelque chose : le plaisisr, une suggestion ou n’importe quoi d’autre, de sorte qu’elle soit attirée vers ce qui ne lui est pas naturel à partir de ce qui lui est naturel. Or, cette carence vient de ce qu’elle vient du néant. Or, cette carence, à savoir que la créature vient du néant, Dieu n’en est pas directement la cause, comme le démontre Avicenne, car ce qui convient à une chose en elle-même n’est pas causé en elle par autre chose. Or, si une réalité créée est laissée à elle-même, elle n’est rien. Aussi le fait d’êxister à partir du néant ne vient-il pas de Dieu à la créature, bien que l’être de la créature vienne de Dieu. On pourrait cependant dire que cette carence vient indirectement de Dieu, non pas en tant qu’il fait quelque chose, mais en tant qu’il ne le fait pas, à savoir qu’il ne confère pas à la créature de ne pas exister à partir du néant, de même qu’on dit de lui qu’il est cause de la privation de la grâce, qui est une peine, à moins de trouver que cette créature n’est pas capable d’une telle perfection, à savoir de ne pas exister à partir du néant. C’est pourquoi une telle carence ne vient de Dieu d’aucune manière, ni directement, ni indirectement. Ainsi donc, la puissance de pécher, pour ce qui relève de la puissamce, vient-elle de Dieu ; mais, pour ce qui est de la carence qu’elle comporte, ne vient-elle pas de Dieu.

[7309] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod posse peccare dicitur non esse pars libertatis, quia non requiritur ad libertatem voluntatis ut in peccatum possit; sed sufficit ad rationem libertatis ut in utrumque contradictoriorum possit; quamvis in his qui peccare possunt, per liberum voluntatis arbitrium peccetur: quia voluntas est qua peccatur et recte vivitur, ut Augustinus dicit Lib. 1 Retract., cap. 9.

1. On dit que pouvoir pécher n’est fait pas partie de la liberté parce qu’il n’est pas nécessaire que la liberté de la volonté soit capable de pécher ; mais il suffit pour la raison de la liberté qu’elle soit soit capable de deux choses contradictoires, bien que, chez ceux qui peuvent pécher, on pèche par le libr arbitre de la volonté, car la volonté est ce par quoi l’on pèche et l’on vit correctement, comme le dit Augustin dans les Rétractations, I, 9.

[7310] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod semper actus perfectior est potentia, perfectione proprii generis; unde actus bonus perfectior est in bonitate quam potentia bona; et similiter actus malus perfectior est in malitia quam potentia mala: quia in actu malo est malitia simpliciter, sed in potentia ad malum est malum secundum quid: et ideo actus malus simpliciter non dicitur a Deo esse, sed secundum quid; potentia autem ad malum dicitur simpliciter a Deo esse, et secundum quid a Deo non esse: perfectio enim in malitia non est perfectio proprie et simpliciter dicta, sed quasi transumptive, sicut dicimus perfectum latronem, et perfectionem caecitatis, ut in 5 Metaph. dicitur.

2. L’acte est toujours plus parfait que la puissance par une perfection du même genre. Aussi l’acte bon est-il plis parfait en bonté que la puissance bonne ; de même, l’acte mauvais est-il plus parfait en malice que la puissance mauvaise, car, dans l’acte mauvais, la méchanceté existe simplement, mais, dans la puissance au mal, le mal existe de manière relative. C’est pourquoi on ne dit pas que l’acte simplement mauvais vient de Dieu, mais [l’acte] relativement [mauvais]. Or, on dit que la puissance au mal vient de Dieu simplement, et que [la puissance au mal] relative ne vient pas de Dieu. En effet, la perfection de la méchanceté n’est pas, à parler proprement et simplement, une perfection, mais pour ainsi dire par métalepse, comme lorsque nous parlons d’un parfait voleur et d’une cécité parfaite, comme on le dit dans Métaphysique, V.

[7311] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod voluntas potest dupliciter sumi: vel pro ipsa potentia voluntatis vel pro actu ejus: et primo modo voluntas qua peccatur, a Deo est; secundo autem modo a Deo non est. Potentia autem nunquam nominat actum; sed usus potentiae est ipse actus: et ideo objectio ex aequivocatione voluntatis procedit.

3. On peut parler de volonté de deux manières : pour la puissance même de la volonté ou pour son acte, et, de cette première manière, la volonté par laquelle on pèche vient de Dieu ; mais, de la seconde manière, elle ne vient pas de Dieu. Or, une puissance ne désigne jamais un acte, mais l’usage de la puissance est l’acte lui-même. C’est pourquoi l’objection vient d’une équivoque à propre de la volonté.

[7312] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod est quoddam bonum perfectum et quoddam imperfectum. Si ergo aliquod nomen bonitatem in nobis, quae a Deo est, secundum quam sumus ei similes, sine imperfectione nominet, invenietur Deo et nobis convenire, ut sapientia, bonitas, et hujusmodi. Sed potentia peccandi nominat bonum cum imperfectione: et ideo Deo, in quo nulla imperfectio est, convenire non potest.

4. Il existe un bien parfait et un bien imparfait. Si donc un mot désigne comme sans étant sans imperfection une bonté qui existe en nous, qui vient de Dieu et par laquelle nous lui sommes semblables, on constatera qu’elle convient à Dieu et à nous, comme la sagesse, la bonté et les choses de ce genre. Or, la puissance de pécher désigne un bien comportant une imperfection ; c’est pourquoi elle ne peut convenir à Dieu, chez qui n’existe aucune imperfection.

[7313] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod usus rei dicitur ad quem res principaliter ordinatur. Potentia autem qua in peccatum possumus, non ordinatur ad malum, sed ad bonum; et ita peccare non est usus ejus; unde non sequitur quod si peccatum est malum, potentia sit mala; sed magis quod sit bona: quia deficere ab eo quod bonum est, malum est.

5. L’usage d’une chose est celui auquel une chose est principalement ordonnée. Or, la puissance par laquelle nous sommes capables de pécher n’est pas ordonnée au mal, mais au bien. Ainsi, pécher n’est pas son usage. C’est pourquoi, si le péché est mauvais, il n’en découle pas que la puissance soit mauvaise, mais plutôt qu’elle est bonne, car s’écarter de ce qui est bien est mauvais.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum omnis praelatio sit a Deo

Article 2 – Tout pouvoir vient-il de Dieu ?

[7315] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non omnis praelatio a Deo sit. Primo per id quod dicitur Oseae 8, 4: ipsi regnaverunt, sed non ex me.

1. Il semble que tout pouvoir ne vienne pas de Dieu. Premièrement, selon ce qui est dit en Os 8, 4 : Ils régneront, mais non par moi.

[7316] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, illud quod perverse fit, a Deo non est. Sed quaedam praelationes perverse acquiruntur, ut patet in simoniacis, et in aliquibus hujusmodi. Ergo non omnis praelatio a Deo est.

2. Ce qui est accompli de manière perverse ne vient pas de Dieu. Or, certains pouvoirs sont obtenus de manière perverse, comme cela ressort chez les simoniaques et chez certains de ce genre. Tout pouvoir ne vient donc pas de Dieu.

[7317] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 2 arg. 3Praeterea, praelatio concessa a summo rege non potest dici usurpata. Sed Boetius dicit in 3 de consolatione philosophiae, quod mali habent potestatem usurpatam. Ergo eorum praelatio non est a Deo.

3. On ne peut pas dire qu’un pouvoir concédé par le roi suprême est usurpé. Or, Boèce dit, dans La consolation de la philosophie, III, que les méchants ont un pouvoir usurpé. Leur pouvoir ne vient donc pas de Dieu.

[7318] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea, quod Deus dedit, homo non debet auferre; sicut quod Deus conjunxit, homo non separet, Matth. 19, 6. Sed quibusdam juste aufertur praelationis potestas. Ergo eorum praelationes non sunt a Deo.

4. Ce que Dieu a donné, l’homme ne doit pas l’enlever, de la même manière que ce que Dieu a uni, l’homme ne doit pas le séparer, Mt 19, 6. Or, le pouvoir est enlevé à certains. Leurs pouvoirs ne viennent donc pas de Dieu.

[7319] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 2 arg. 5Praeterea, omne quod a Deo est, ordinatum est, Roman. 13. Sed in quibusdam praelationibus videtur magna inordinatio esse, ut quod stultus sapienti, puer seni, peccator justo praeponatur, ut plerumque contingit. Ergo non omnis praelatio est a Deo.

5. Tout ce qui vient de Dieu est ordonné, Rm 13. Or, dans certains pouvoirs, il semble exister un grand désordre : ainsi, l’idiot est-il placé au-dessus du sage, l’enfant au-dessus de la personne âgée, le pécheur au-dessus du juste, comme cela arrive souvent. Tout pouvoir ne vient donc pas de Dieu.

[7320] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 2 s. c. 1Sed contra, magis videtur quod praelatio bonorum sit a Deo quam malorum. Sed praelationes malorum a Deo sunt. Job 34, 30: qui regnare facit hominem hypocritam propter peccata populi. Ergo et omnes praelationes sunt a Deo.

Cependant, [1] il semble plutôt que le pouvoir des bons vienne de Dieu contnrairement à celui des méchants. Or, les pouvoirs des méchants viennent de Dieu. Jb 34, 30 : Lui qui fait régner l’hypocrite à cause des péchés du peuple. Tous les pouvoirs viennent donc de Dieu.

[7321] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 2 s. c. 2Praeterea, omne quod est ordinatum, est a Deo, quia ex hoc ipso bonum est. Sed in omni praelatione invenitur ordo quidam superioris ad inferiorem. Ergo omnis praelatio a Deo est.

[2] Tout ce qui est ordonné vient de Dieu, car cela est bon pour cette raison même. Or, en tout pouvoir, on trouve un ordre entre supérieur et inférieur. Tout pouvoir vient donc de Dieu.

[7322] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod cum Deus dicatur esse auctor omnium bonorum, et non sit auctor mali; oportet, si in praelationibus aliquid boni et aliquid mali inveniatur, quod praelatio illa a Deo sit quantum ad id boni quod est in ea; quantum vero ad id mali quod sibi adjungitur, a Deo non sit. Est autem in praelatione considerare tria; scilicet praelationis principium, modum, et usum. In quibusdam igitur quodlibet horum bonum est, qui scilicet debite ad praelationem perveniunt, et debite praelationis actum exercent. In quibusdam vero principium est malum, sed usus bonus; sicut qui non digne ad praelationem perveniunt, vel propter eorum insufficientiam, vel propter modum perveniendi ad ipsam; et tamen actum praelationis quam indebite consecuti sunt, debito modo exercent. In quibusdam vero est e converso. In quibusdam autem utrumque est malum. Modus autem, seu forma, praelationis in omnibus bonus est: consistit enim in quodam ordine alterius tamquam regentis, et alterius tamquam subjacentis. Et quia judicium de re simpliciter ducendum est ex consideratione ejus quod est formale in ipsa, ideo simpliciter dicendum est, omnem praelationem a Deo esse; sed secundum quid aliquas praelationes non esse a Deo: quia scilicet abusus earum non est a Deo, vel quia etiam injusta actio per quam ad praelationem pervenitur, a Deo non est.

Réponse. Puisqu’on dit de Dieu qu’il est l’auteur de tous les biens et qu’il n’est pas l’auteur du mal, il est nécessaire que, si l’on trouve dans les pouvoirs quelque chose de bon et quelque chose de mal, ce pouvoir vienne de Dieu pour ce qu’il existe de bon en lui, mais qu’il ne vienne pas de Dieu pour le mal qui lui est ajouté. Or, dans le pouvoir, il faut considérer trois choses : les pouvoirs des dirigeants, leur mode et leur usage. Donc, chez certains, tout cela est bon, à savoir, chez ceux qui parviennent au pouvoir de manière appropriée et qui exercent l’acte du pouvoir de manière appropriée. Mais, chez certains, le principe est mauvais, mais l’usage est bon, comme chez ceux qui ne parviennent pas dignement au pouvoir, soit en raison de leur insuffisance, soit en raison de la manière d’y parvenir ; cependant, ils exercent d’une manière appropriée l’acte du pouvoir qu’ils ont obtenu. Mais, chez certains, c’est l’inverse. Chez certains, les deux sont mauvais. Mais le mode ou la forme du pouvoir est bon chez tous : il consiste dans un ordre entre celui qui dirige et celui qui est soumis. Et parce que le jugement sur une chose doit être simplement porté à partir de l’examen de ce qui est formel en elle, il faut donc dire simplement que tout pouvoir vient de Dieu, mais que, d’une manière relative, certains pouvoirs ne viennent pas de Dieu, parce que leur abus ne vient pas de Dieu ou en raison de l’action injuste par laquelle on est parvenu au pouvoir ne vient pas de Dieu.

[7323] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod dicuntur non ex Deo regnare Judaeorum reges, inquantum dissuadente Samuele regem sibi eligere voluerunt; sed tamen ipsa praelationis forma a Deo est instituta.

1. On dit des rois des juifs qu’ils ne régnent pas par Dieu pour que, comme le déconseillait Samuel, ils ont voulu se choisir un roi. Toutefois, la forme du pouvoir a été instituée par Dieu.

[7324] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod non est inconveniens effectum esse a Deo, cujus causa secundum aliquid a Deo non est; sicut poena vel passio aliqua a Deo est; cum tamen injusta actio, cujus effectus est, a Deo non sit; et hoc quomodo contingat, supra dictum est. Similiter etiam non est inconveniens ut praelatio quantum ad suam formam sit a Deo; quamvis injusta actio per quam ad praelationem pervenitur, a Deo non sit, nisi forte permissive.

2. Il n’est pas inapproprié que vienne de Dieu un effet dont la cause ne vient pas de Dieu d’une manière relative. Ainsi, une peine ou une souffrance vient de Dieu, alors que l’action injuste, dont elle est l’effet, ne vient pas de Dieu. Comment cela se produit, on l’a dit plus haut. De même, il n’est pas inapproprié qu’un pouvoir vienne de Dieu pour ce qui est de sa forme, bien que l’action injuste par laquelle on parvient au pouvoir ne vienne pas de Dieu, si ce n’est peut-être de manière permissive.

[7325] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod mali dicuntur habere potestatem usurpatam, inquantum ad eam indebite perveniunt, quantum ex eis est, quia indigni sunt ut talibus praeferantur; quamvis forte illi qui per eos affliguntur, digni sint ab eis affligi: et secundum hoc eorum praelatio a Deo est in poenam subditorum, qui talem praelatum merentur.

3. On dit que les méchants ont un pouvoir usurpé pour autant qu’ils y parviennent de manière indue, pour ce qui relève d’eux, car ils sont indignes d’être placés au-dessus de ceux-là, bien que, peut-être, ceux qui en sont affligés méritent d’en être affligés. De cette manière, leur pouvoir vient de Dieu en tant que peine de ceux qui y sont soumis, qui méritent un tel dirigeant.

[7326] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod aliquis propter abusum privat se beneficio accepto; unde etsi aliqui praelationem a Deo consecuti sint, tamen propter hoc quod ea abutuntur, dignum est ut eis praelationis potestas auferatur: et utrumque a Deo est; scilicet et quod praelationem habuerunt, et quod eam juste amittunt: sicut omnes vitam a Deo habent, tamen aliquis juste vita privatur.

4. Quelqu’un se prive par un abus d’un bienfait reçu. Même si certains ont obtenu de Dieu le pouvoir, parce qu’ils en abusent, ils méritent donc que le pouvoir leur soit enlevé. Et les deux choses viennent de Dieu : le fait qu’ils ont eu le pouvoir, et qu’ils le perdent justement. Ainsi, tous obtiennenet de Dieu la vie, mais quelqu’un est-il cependant privé justement de la vie.

[7327] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod non est omnino inordinatum quod indigni ad praelationes assumuntur: ordinatur enim in poenam subditorum, qui hoc merentur, ut significatur Job 34, 30: qui facit regnare hominem hypocritam propter peccata populi; et Oseae 13, 2: dabo eis regem in furore. Unde cum poena omnis a Deo sit, etiam tales praelationes a Deo sunt.

5. Il n’est pas tout à fait désordonné que des indignes soient élevés à des pouvoirs. En effet, cela est ordonné à la peine de ceux qui sont soumis et qui le méritent, comme l’indiquent Jb 34, 30 : Lui qui fait régner l’hypocrite à cause des péchés du peuple, et Os 13, 2 : Je leur donnerai un roi dans ma colère. Puisque toute peine vient de Dieu, de tels pouvoirs viennent donc aussi de Dieu.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum in statu innocentiae fuisset dominium

Article 3 – Le pouvoir existait-il dans l’état d’innocence ?

[7329] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in statu naturae integrae praelatio, seu dominium, non fuisset. Dicit enim Gregorius: natura omnes homines aequales fecit; sed pro meritis alios aliis occulta sed justa Dei dispensatio subjecit. Sed si homines non peccassent, statum naturae retinuissent. Ergo omnes fuissent aequales, et nulla in eis fuisset praelatio.

1. Il semble qu’il n’existait pas de pouvoir ou de supériorité dans l’état de la nature intacte. En effet, Grégoire dit : « [Dieu] a fait tous les hommes égaux par nature ; mais, en raison de leurs mérites, une disposition de Dieu cachée mais juste les a soumis les uns aux autres. » Or, si les hommes n’avaient pas péché, ils auraient conservé l’état de nature. Tous auraient donc été égaux et il n’y aurait eu entre eux aucune supériorité.

[7330] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 3 arg. 2Praeterea, Augustinus dicit in 19 de Civ. Dei, hominem ad imaginem Dei factum solum irrationalibus esse praepositum. Sed homo non aequiparatur irrationalibus nisi propter peccatum, ut dicitur in Psal. 48, 13: homo, cum in honore esset, non intellexit: comparatus est jumentis insipientibus et similis factus est illis. Ergo si peccatum non fuisset, unus homo alii suppositus non fuisset.

2. Augustin dit, dans La cité de Dieu, XIX, que seul l’homme à l’image de Dieu a été placé au-dessus des êtres sans raison. Or, l’homme n’est l’égal des êtres sans raison qu’en raison du péché, comme il est dit dans Ps 48, 13 : L’homme, alors qu’il était digne d’honneur, n’a pas compris : il est devenu l’égal des animaux sans raison et il leur est devenu semblable. S’il n’y avait pas eu de péché, un homme n’aurait été placé au-dessous d’un autre.

[7331] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 3 arg. 3Praeterea, dominium sine servitute esse non potest. Sed Augustinus et alii sancti communiter dicunt, quod servitus pro peccato est introducta. Ergo et dominium, seu praelatio, ante peccatum non fuisset.

3. Il ne peut exister de pouvoir sans soumission. Or, Augustin et les autres saints sont d’accord que la soumission a été introduite par le péché. Donc aussi, le pouvoir ou la supériorité n’aurait pas existé avant le péché.

[7332] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 3 arg. 4Praeterea, apostolus dicit, 1 Tim., 1, 9: justo non est lex posita. Sed philosophus dicit in fine Ethic. quod haec fuit necessitas constituendi reges et alios principes, ad leges condendas habentes vim coactivam ad virtutis actus, quam sermo persuasivus sapientum non habet. Ergo si omnes justitiam in qua conditi sunt, servassent, praelatio non fuisset.

4. L’Apôtre dit, 1 Tm 1, 9 : La loi n’a pas été établie pour le juste. Or, le Philosophe dit c’est pour établir des lois possédant une force coercitive en vue des actes de vertu, que ne possède pas le discours persuasif des sages, qu’il a été nécessaire d’établir des rois et d’autres dirigeants. Si tous avaient gardé la justice dans laquelle ils ont été créés, il n’y aurait donc pas eu de supériorité.

[7333] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 3 arg. 5Praeterea, ea quae consequuntur naturam integram, etiam remanent in patria. Sed in futuro omnis cessabit praelatio, ut dicitur in Glossa 1 Corinth. 15. Ergo et in natura integra praelatio non fuisset.

5. Ce qui découle de la nature intacte demeure aussi dans la patrie. Or, dans l’avenir, toute supériorité cesera, comme le dit la Glose à propos de 1 Co 15. Il n’y aurait donc pas eu de supériorité dans la nature intacte.

[7334] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 3 s. c. 1Sed contra, illud quod est dignitatis, in natura integra multo nobilius fuisset. Sed dominium et praelatio ad dignitatem pertinent. Ergo multo amplius in statu naturae integrae fuissent.

Cependant, [1] ce qui relève de la dignité aurait été beaucoup plus noble dans la nature intacte. Or, le pouvoir et la supériorité relèvent de la dignité. Ils auraient donc existé bien davantae dans l’état de nature intacte.

[7335] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 3 s. c. 2Praeterea, status naturae integrae non fuit altior quam est modo status Angelorum. Sed in Angelis est unus ordo qui dominationum vocatur, et etiam alii ad praelationem pertinentes, ut principatus, potestates, et Archangeli. Ergo et in statu naturae humanae ante peccatum fuisset praelatio.

[2] L’état de nature intacte n’était pas plus élevé que l’est maintenant l’état des anges. Or, chez les anges, il existe un ordre qui s’appelle « dominations », et aussi d’autres qui relèvent d’une supériorité, comme les « principautés », les « puissances » et les « archanges ». Il y aurait donc eu supériorité dans l’état de la nature humaine avant le péché.

[7336] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod duplex est praelationis modus: unus quidem ad regimen ordinatus; alius autem ad dominandum. Domini autem ad servum, ut in 8 Ethic. philosophus dicit, est praelatio sicut tyranni ad subditum. Differt autem tyrannus a rege, ut ibidem philosophus dicit, quia rex ordinat praelationem suam ad bonum gentis cui praeest, propter ejus utilitatem statuta et legem faciens: tyrannus autem praelationem suam ordinat ad utilitatem propriam; et ideo duplex modus praelationis supradictus in hoc differt, quia in primo intenditur bonum subditorum, in secundo proprium bonum praesidentis; et ideo secundus modus praelationis in natura integra esse non potuisset, nisi respectu eorum quae ad hominem tamquam ad finem ordinantur. Haec autem sunt creaturae irrationales, quibus omnibus ad suum commodum praefuisset multo amplius quam nunc. Sed creatura rationalis, quantum est de se, non ordinatur ut ad finem ad aliam, ut homo ad hominem; sed si hoc fiat, non erit nisi inquantum homo propter peccatum irrationalibus creaturis comparatur; unde etiam philosophus ibidem servum comparat organo, dicens, quod servus est organum animatum, et organum est servus inanimatus. Et ideo talis praelatio hominis ad hominem ante peccatum non fuisset; sed prima praelatio, quae ordinatur ad utilitatem subditorum, fuisset ibi quantum ad aliquem usum, non quantum ad omnes. Est enim praelatio, ad dirigendum subditos in his quae agenda sunt, et ad supplendum defectus, ut quod populi a regibus defendantur; et iterum ad corrigendum mores, dum mali puniuntur, et coacte ad actus virtutis inducuntur. Sed quia ante peccatum nil fuisset quod homini nocere posset, nec etiam voluntas alicujus bono contradiceret; ideo quantum ad duos ultimos usus praelatio in statu innocentiae non fuisset; sed quantum ad primum usum solum, qui scilicet est dirigere in agendis vel in sciendis, secundum quod unus alio majori munere sapientiae et majori lumine intellectus praeditus fuisset.

Réponse. Il existe deux modes de supériorité: l’un est ordonné au gouvernement; l’autre, à dominer. Or, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII, le pouvoir du seigneur sur l’esclave est comme celui d’un tyran sur un sujet. Mais le tyran diffère du roi, comme le dit le Philosophe au même endroit, en ce que le roi ordonne son pouvoir au bien du peuple au-dessus duquel il est placé, en établissant statuts et loi en vue de son bien, alors que le tyran ordonne son pouvoir à son propre bien. Les deux modes de supériorité diffèrent donc en ce que, dans le premier, le bien des sujets est recherché, mais, dans le second, le bien propre de celui qui dirige. C’est pourquoi le second mode de supériorité n’aurait pas pu exister dans la nature intacte, si ce n’est par rapport aux choses qui sont ordonnées à l’homme comme à leur fin. Or, celles-ci sont les créatures non raisonnables, qu’il aurait dirigé en vue de son propre bien encore bien davantage que maintenant. Mais la créature raisonnable, pour ce qui est d’elle-même, n’est pas ordonnée à une autre comme à sa fin, comme un homme à un autre homme. Mais si cela se produit, ce ne sera que dans la mesure où l’homme est l’égal des créatures non raisonnables en raison du péché. Ainsi, même le Philosophe compare-t-il au même endroit l’esclave à un instrument, en disant que l’esclave est un insntrument animé, et l’instrument un esclave inanimé. Aussi une telle supériorité de l’homme sur l’homme n’aurait-elle pas existéavant le péché, mais la première supériorité, qui est ordonnée au bien des sujets, y aurait existé en vue d’uun usage, mais non en vue de tous. En effet, la supériorité existe en vue de diriger les sujets pour ce qui doit être fait et de suppléer aux carences, par exemple, que les peuples soient défendus par les rois ; [elle existe] aussi en vue de corriger les comportements, alors que les méchants sont punis et sont conduits de force aux actes de vertu. Mais parce que, avant le péché, il n’aurait rien existé qui pût nuire à l’homme, pas plus que la volonté d’un homme se serait opposé au bien, la supériorité n’aurait pas existé dans l’état d’innocence pour ce qui est des deux derniers usages, mais pour ce qui est du premier usage seulement, qui consiste à diriger pour ce qu’il faut faire ou savoir, selon que l’un aurait été pourvu plus qu’un autre d’un plus grand don de sagesse et d’une plus grande lumière de l’intelligence.

[7337] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod natura omnes homines aequales in libertate fecit, non autem in perfectionibus naturalibus: liberum enim, secundum philosophum in 1 Metaphysic., est quod sui causa est. Unus enim homo ex natura sua non ordinatur ad alterum sicut ad finem; et ideo secundus modus praelationis non fuisset, qui libertatem subditis tollit; sed primus modus esse posset, qui nullum praejudicium libertati affert, dum subditi ad bonum praepositi non ordinantur, sed e converso regimen praepositi ad bonum subditorum; unde non incongrue se eorum servos appellant.

1. La nature a fait tous les hommes égaux en liberté, mais non par leurs perfections naturelles. En effet, selon le Philosophe, Métaphysique, I, est libre ce qui est cause de soi. En effet, un homme n’est pas ordonné à un autre comme à sa fin. C’est pourquoi le second mode de supériorité n’aurait pas existé, lui qui enlève la liberté aux sujets ; mais le premier mode pourrait exister, lui qui ne porte aucun préjudice à la liberté, puisque les sujets ne sont pas ordonnés au bien de celui du supérieur, mais, en sens contraire, le gouvernement du supérieur [est ordonné] au bien des sujets. Ils ne s’appellent donc pas des sujets de manière inappropriée.

[7338] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod auctoritas illa loquitur quantum ad secundum modum praelationis.

2. Cette autorité parle selon le second mode de supériorité.

[7339] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 3 ad 3Et similiter ad tertium.

3. De meme en est-il du troisième argument.

[7340] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod quantum ad illum usum praelatio non fuisset, sed quantum ad alios, ut dictum est.

4. Selon cette usage, il n’y aurait donc pas eu de supériorité, mais selon les autres, ainsi qu’on l’a dit.

[7341] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 1 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod supra, 11 dist., dictum est, quomodo intelligendum sit omnem praelationem in futuro evacuari. Si tamen simpliciter intelligeretur in futuro tolli, non oportet quod in statu innocentiae praelatio non fuisset: quia status ille adhuc erat status viae, et in via est necessaria praelatio per quam unus ab alio dirigatur: quod non adeo necessarium conceditur in termino viae.

5. On a dit plus haut, d. 11, comment il faut comprendre que toute supériorité aura disparu à l’avenir. Toutefois, si on entendait qu’elle disparaîtrait totalement dans l’avenir, il n’est pas nécessaire que, dans l’état innocence, il n’y ait pas eu de supériorité, car cet état était encore un état de cheminement et, pendant le cheminement, une supériorité est nécessaire, par laquelle l’n est dirigé par l’autre, ce qui n’est pas concédé aussi facilement au terme du cheminement.

 

 

QUAESTIO 2

Question 1 – [L’obéissance aux supérieurs]

PROOEMIUM

 

[7342] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 pr.Deinde quaeritur de obedientia ad praelatos; et circa hoc tria quaeruntur: 1 utrum obedientia sit virtus; et si est virtus, utrum sit virtus specialis; 2 utrum Christiani potestatibus saecularibus, et praecipue tyrannis, obedire teneantur; 3 utrum profitentes obedientiam, in omnibus praelatis suis teneantur obedire.

On s’interroge ensuite sur l’oébissance aux supérieurs. Trois questions sont posées à ce sujet : 1. L’obéissance est-elle une vertu et si elle est une vertu, est-elle une vertu particulière ? 2. Les chrétiens sont-ils obligés d’obéir aux pouvoir séculiers, surtout aux tyrans ? 3. Ceux qui font profession d’obéissance sont-ils obligés d’obéir en tout à leurs supérieurs ?

 

 

ARTICULUS 1 Utrum obedientia sit virtus

Article 1 – L’obéissance est-elle une vertu ?

[7344] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod obedientia non sit virtus. Omnis enim virtus est medium vitiorum, ut philosophus dicit in 2 Ethic. Sed obedientia non est hujusmodi: quia per abundantiam non corrumpitur, sed perficitur, si aliquis obediat in illis in quibus non tenetur. Ergo obedientia non est virtus.

1. Il semble que l’obéissance ne soit pas une vertu. En effet, toute vertu est un milieu entre des vices, comme le dit le Philosophe dans Éthique, II. Or, l’obéissance n’est pas de cette nature, car elle n’est pas corrompue par une abondance, mais elle est perfectionnée, si l’on obéit pour ce à quoi on n’est pas obligé. L’obéissance n’est donc pas une vertu.

[7345] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 arg. 2Praeterea, obedientia respicit praeceptum. Sed praeceptum se extendit ad omnes actus virtutum: quia omnes sunt in praecepto legis. Ergo obedientia non est virtus determinata, sed consequens omnem virtutem: quod etiam potest videri ex definitione Ambrosii, supra 35 distinct., inducta: dicit enim, quod peccatum est transgressio legis Dei, et caelestium inobedientia mandatorum.

2. L’obéissance concerne le commandement. Or, le commandement porte sur tous les actes des vertus, car toutes tombent sous le commandement de la loi. L’obéissance n’est donc pas une vertu déterminée, mais elle découle de toute vertu, ce qu’on peut aussi voir par la définition d’Ambroise donnée plus haut, d. 35. Il dit en effet que le péché est « une transgression de la loi de Dieu, et que la désobéissance porte sur les commandements célestes. »

[7346] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 arg. 3Praeterea, si est virtus determinata, aut est una de cardinalibus, aut de adjunctis. Sed nulla de cardinalibus est, quia illae sunt tantum quatuor inter quas non numeratur obedientia; similiter inter adjunctas non invenitur, ut patet si considerentur virtutes adjunctae, quas philosophus, 4 Eth., enumerat. Ergo obedientia non est virtus determinata.

3. Si elle est une vertu déterminée, soit elle fait partie des vertus cardinales, soit de celles qui s’y ajoutent. Or, elle n’est aucune des vertus cardinales, car celles-ci sont seulement au nombre de quatre, parmi lesquelles on ne compte pas l’obéissance ; de même, on ne la trouve pas parmi celles qui s’y ajoutent, comme cela ressort si on examine les vertus ajoutées, que le Philosophe énumène, Éthique, IV. L’oébissance n’est donc pas une vertu particulière.

[7347] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 arg. 4Si dicatur, quod reducitur ad justitiam: contra. Nulla virtus perficitur per diminutionem rationis objecti proprii: ut patet in magnanimitate quae magnum respicit; et quanto majus fuerit quod operandum est, magis ad magnanimitatem pertinet. Sed justitia debitum respicit quasi objectum, quia justitiae actus est reddere alteri quod suum est. Cum igitur obedientia perficiatur per hoc quod debitum minuitur, quod quanto aliquis minus considerat, ut Bernardus dicit, perfectior est obedientia, videtur quod obedientia ad justitiam non reducatur.

4. Si on dit qu’elle se ramène à la justice, on opposera qu’aucune vertu n’est perfectionnée par la diminution de la raison de son objet propre, comme cela ressort dans la magnanimité, qui porte sur ce qui est grand : plus ce qui doit être accompli sera grand, plus cela concernera la magnanimité. Or, la justice porte sur ce qui est dû comme sur son objet, car l’acte de la justice consiste à rendre à un autre ce qui lui appartient. Puisque l’obéissance est perfectionnée du fait que ce qui est dû est diminué – moins quelqu’un en tient compte, comme le dit Bernard, plus l’obéissance est parfaite ‑, il semble donc que l’obéissance ne se ramène pas à la justice.

[7348] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 arg. 5Praeterea, justitia legalis dicitur secundum quam praeceptis homo adaequatur. Sed obedientia praecepta respicit. Ergo obedientia est idem quod justitia legalis. Sed justitia legalis, ut dicit philosophus, 5 Ethicor., est omnis virtus. Ergo obedientia non est aliqua virtus determinata, sed generalis.

5. On appellee justice légale celle par laquelle l’homme s’ajuste aux commandements. Or, l’obéissance concerne les commandements. L’obéissance est donc la même chose que la jusstice légale. Or, comme le dit le Philosophe, Éthique, V, la justice légale est toute vertu. L’obéissance n’est donc pas une vertu déterminée, mais [une vertu] générale.

[7349] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 arg. 6Praeterea, Gregorius dicit, quod obedientia non tam est virtus quam mater omnium virtutum. Sed esse matrem virtutum convenit caritati. Ergo obedientia videtur esse idem quod caritas; et ita non videtur distincta ab aliis virtutibus.

6. Grégoire dit que « l’obéissance n’est pas tant une vertu que la même de toutes les vertus ». Or, être la mère des vertus convient à la charité. L’obéissance semble donc être la même chose que la charité. Ainsi, elle ne semble pas ètre distincte des autres vertus.

[7350] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 s. c. 1Sed contra, Hugo de sancto Victore dicit: obedientia est virtus quae omnia amplectitur injuncta, necessario implenda, nisi obstiterit imperantis auctoritas; et ita est specialis virtus, cum assignetur sibi actus specialis.

Cependant, [1] Hugues de Saint-Victor dit : « L’obéissance est une vertu qui embrasse tout ce qui est commandé en vue de l’accomplir nécessairement, à moins que ne s’y oppose l’autorité de celui qui commande. » Ainsi, elle est une vertu particulière, puisqu’un acte particulier lui est attribué.

[7351] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 s. c. 2Praeterea, quod assignatur maximum in aliquo genere, est aliquid determinatum in genere illo. Sed Gregorius dicit, quod obedientia est maxima virtutum. Ergo obedientia est quaedam virtus determinata.

[2] Ce qui est attribué à ce qui le plus grand dans un genre est quelque chose déterminé à l’intérieur de ce genre. Or, Grégoire dit que l’obéissance est la plus grande des vertus. L’obéissance est donc une vertu déterminée.

[7352] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod obedientia est virtus, et est specialis virtus. Cum enim habitus, potentiae, et actus distinguantur per objecta, oportet quod virtus quae habet speciale objectum, sit specialis virtus. Dicitur autem speciale objectum a speciali ratione; quamvis illa specialis ratio circa multas res vel omnes poni possit. Contingit enim eamdem rem ad diversas potentias pertinere, sicut colorem ad visum, imaginationem, et intellectum; sed sub diversa ratione; unde contingit ut una virtus specialis se extendat ad actus omnium virtutum secundum quamdam specialem rationem, sicut dicit philosophus de magnanimitate, quod operatur magnum in actibus omnium virtutum; unde et ceterarum virtutum ornatus quidam est: et tales virtutes dicuntur quodammodo generales, quia habent materiam generalem; quamvis objectum speciale habeant, propter specialem rationem objecti, quae in multis materiis invenitur. Et per hunc modum dico, quod obedientia est specialis virtus, quia attendit specialem rationem, scilicet praeceptum cum debito consentiendi. Et quia reddere alteri quod suum est et sibi debetur, est justitiae; ideo obedientia pars quaedam justitiae est, et specialiter divinae: quia hoc suum quod superioribus redditur, scilicet impletio mandatorum, est quaedam pars hujusmodi communis quod debitum dicitur, vel quod suum est, et quod etiam exigi posset coram judice: nam circa hujusmodi est proprie specialis justitia. Sed tamen sciendum, quod justitia specialis dupliciter sumitur: sumitur enim proprie et communiter. Propriissime sumpta specialis justitia, ut dicit philosophus in 5 Ethic., est tantum inter eos qui habent aequalitatem quamdam ad hoc quod stent coram principe, coram quo unus ab altero possit repetere quod suum est, secundum quem modum nec domini ad servum nec patris ad filium justitia dicitur esse: quia ea quae sunt servi, sunt domini: et ea quae sunt filii, sunt patris. Communiter autem justitia specialis attenditur etiam in hoc quod dominus reddit servo quod suum est, vel e converso, et sic de aliis, quia secundum hunc modum praedicta aequalitas non requiritur; et hoc modo accipiendo justitiam specialem, obedientia ad justitiam pertinet, quia per obedientiam inferior superiori reddit quod debet.

Réponse. L’obéissance est une vertu, et elle est une vertu particulière. En effet, puisque les habitus, les puissnaces et les actes se distinguent par leurs objets, il est nécessaire qu’une vertu qui a un objet particulier soit une vertu particulière. Or, on parle d’objet particulier pour une raison particulière, bien que cette raison particulière puisse être affirmée de sur plusieurs choses ou de toutes. En effet, il arrive qu’une même chose relève de diverses puissances, comme la couleur [relève] de la vue, de l’imagination et de l’intellect, mais sous une raison différente. Il arrive donc qu’une seule vertu particulière s’étende aux actes de toutes les vertus selon une raison particulière, comme le dit le Philosophe à propos de la magnanimité, qui accomplit ce qui est grand dans les actes de toutes les vertus. Aussi est-elle un ornement des autres vertus. De telles vertus sont appelées générales, car elles possèdent une matière générale, bien qu’elles aient un objet particulier en raison de la raison particulière de l’objet, qui se trouve dans plusieurs matières. De cette manière, je dis donc que l’obéissance esst une vertu particulière, car elle concerne une raison particulière : le commandement auquel on doit consentir. Et parce que rendre à un autre ce qui lui appartient et lui est dû relève de la justice, l’obéissance est donc une partie de la justice, et, d’une manière particulière, de la justice divine, car ce qui est rendu aux supérieurs comme un leur appartenant, à savoir, l’accomplissement des commandements, est une partie de cette réalité commune qui est appelée une dette ou ce qui leur appartient, et qui pourrait être aussi exigé devant un juge, car, au sens propre, la justice particulière porte sur les choses de ce genre. Mais il faut cependant savoir que la justice particulière est prise de deux manières : en effet, elle est prise de manière propre et de manière commune. Entendue au sens le plus propre, la justdice particulière, comme le dit le Philosophe, Éthique, V, existe seulement entre ceux qui possèdent une égalité pour se présenter devant un dirigeant, devant lequel l’un peut réclamer de l’autre ce qui lui appartient ; selon ce mode, on ne peut pas parler de justice du seigneur par rapport au serviteur, ni du père par rapport au fils, car ce qui appartient au serviteur appartient au seigneur, et ce qui appartient au fils appartient au père. Mais la justice particulière s’entend d’une manière commune même pour ce que le seigneur rend au serviteur et qui lui appartient ou inversement – et aussi pour les autres ‑, car, de cette manière, l’égalité mentionnée n’est pas requise. En entendait de cette manière la justice particulière, l’obéissance relève de la justice, car, par l’obéissance, l’inférieur rend au supérieur ce qu’il lui doit.

[7353] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod obedientia, sicut et aliae virtutes, potest esse medium duorum vitiorum. Sciendum tamen, quod non in omnibus virtutibus potest accipi superabundantia secundum quamlibet circumstantiam, aliis circumstantiis rite ordinatis: ut patet in hac virtute quae dicitur veritas, cujus medium attenditur secundum hoc quod homo talem se esse ostendit qualis est; superabundantia autem ejus non attenditur secundum superabundantiam hujus circumstantiae quantum, aliis circumstantiis rite ordinatis, ut scilicet homo possit nimis hanc veritatem servare; sed superabundantia ejus est ex hoc quod aliquis de se majora ostendit quam sint, quod est secundum hanc circumstantiam quae est quid. Similiter etiam dico, quod superabundantia obedientiae accipitur secundum hoc quod obedit in illis in quibus debet non obedire; non autem secundum hoc quod obediat plus quam debet, aliis circumstantiis ordinate suppositis.

1. L’obéissance, comme les autres vertus, peut être le milieu entre deux vices. Cependant, il faut savoir que la surabondance ne peut être envisagée dans toutes les vertus en n’importe quelle circonstance, les autres circonstances étant correctement ordonnées, comme cela ressort dans la vertu appelée vérité, dont le milieu se prend de ce qu’un homme se montre tel qu’il est ; mais sa surabondance ne se prend pas de la surabondance de cette circonstance qu’est la quantité, les autres circonstances étant correctement ordonnées, à savoir qu’un homme puisse trop observer cette vérité. Mais sa surabondance vient de ce que quelqu’un montre à son propre sujet des choses plus grandes qu’elles ne sont, ce qui relève de la circonstance qu’est l’essence. De la même manière, je dis que la surabondance de l’obéissance est envisagée selon qu’on obéit à propos de choses pour lesquelles on ne doit pas obéir, mais non selon qu’on obéit plus qu’on ne doit, en supposant que les autres circonstances sont correctes.

[7354] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 ad 2Ad secundum dicendum, quod obedientia etsi ad omnes actus virtutum se extendat, non tamen considerat in illis hoc quod est proprium unicuique virtuti (non enim elicit actum fortitudinis inquantum est medium inter timorem et audaciam); sed considerat in omnibus actibus virtutum unam rationem specialem, scilicet debitum fieri propter praeceptum superioris.

2. Même si l’obéissance s’étend à tous les actes des vertus, elle ne considère cependant pas en celles-ci ce qui est propre à chaque vertu (en effet, elle ne suscite pas un acte de force en tant que celui-ci est un milieu entre la crainte et l’audace), mais elle considère en tous les actes des vertus une seule raison particulière : son accomplissement comme un dû en raison du commandement d’un supérieur.

[7355] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 ad 3Ad tertium dicendum, quod obedientia ad justitiam reducitur specialem. Sed sciendum, quod una virtus reducitur ad aliam dupliciter: vel sicut pars ejus, vel sicut adjuncta ei. Sicut pars reducitur virtus ad virtutem, quando reducta habet pro objecto partem objecti illius virtutis ad quam reducitur: verbi gratia, objectum temperantiae est delectabile secundum tactum, cujus pars quaedam est delectabile venereum, et alia est delectabile quod est in cibis; et ideo castitas reducitur ad temperantiam sicut pars ejus; similiter et sobrietas, cujus objectum est delectabile in cibis; et per hunc modum obedientia reducitur ad justitiam specialem, ut patet ex dictis. Sed sicut adjuncta reducitur, quando virtus ad quam reducitur, habet pro objecto id quod est potissimum in aliqua materia; et illa quae reducitur, quae adjuncta dicitur, habet pro objecto id quod est minus principale: per quem modum mansuetudo ad fortitudinem reducitur: quia objectum fortitudinis est in maximis molestiis quae sunt circa mortem, sicut sunt bellicae; sed mansuetudo habet pro objecto reliquas molestias quae sunt iram excitantes, in qua medium tenet mansuetudo; et per hunc modum modestia, quae medium servat in delectationibus aliorum sensuum, et eutrapelia, quae medium servat in delectationibus ludorum, reducuntur ad temperantiam.

3. L’obéissance se ramène à la justice particulière. Mais il faut savoir qu’une vertu se ramène à une autre de deux manières : soit comme une partie de celle-ci ; soit en tant qu’elle lui est associée. Une vertu se ramène à une vertu comme sa partie lorsque celle qui est ramenée a comme objet une partie de l’objet de la vertu à laquelle elle est ramenée. Par exemple, l’objet de la tempérance est quelque chose d’agréable au toucher, dont une partie est ce qui est sexuellement agréable, et une autre est ce qui est agréable dans la nourriture. C’est pourquoi la chasteté se ramène à la tempérance en tant qu’elle en est une partie. De même encore, la sobriété, dont l’objet est ce qui agréable dans la nourriture. L’obéissance se ramène à la justice spéciale de cette manière, comme cela ressort de ce qui a été dit. Mais elle s’y ramène comme un ajout lorsque la vertu à laquelle elle se ramène a comme objet de ce qui est le plus important dans une matière ; et celle qui est ramenée, qu’on appelle associée, a comme objet ce qui est moins important. De cette manière, la douceur se ramène à la force, parce que l’objet de la force porte sur les désagréments les plus grands, qui concernent la mort, comme c’est le cas des [désagréments] de la guerre ; mais la douceur à comme objet les autres désagréments qui excitent la colère, à propos de laquelle la douceur garde le milieu. De cette manière aussi, la modestie, qui garde le milieu dans les plaisirs des autres sens, et l’eutrapélie, qui garde le milieu dans les plaisirs des jeux, se ramènent-elles à la tempérance.

[7356] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 ad 4Ad quartum dicendum, quod perfectio alicujus virtutis potest attendi dupliciter: vel quantum ad id quod est proprium sibi, vel quantum ad id quod est proprium superioris virtutis, quae imperat actum ejus. Dico igitur, quod perfectio obedientiae ex diminutione debiti non est quantum ad propriam rationem obedientiae, sed quantum ad propriam rationem caritatis, quae imperat actum ejus sicut et actus aliarum virtutum.

4. La perfection d’une vertu peut être envisagée de deux manières : soit pour ce qui lui est propre ; soit pour ce qui est propre à une vertu supérieure, qui commande son acte. Je dis donc que la perfection de l’obéissance en raison de la diminution de ce qui est dû ne se rapporte pas à la raison propre de l’obéissance, mais à la raison propre de la charité, qui commande son acte, comme les actes des autres vertus.

[7357] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 ad 5Ad quintum dicendum, quod obedientia non est idem quod justitia legalis. Justitia enim legalis respicit praeceptum legis, et actus virtutum qui lege ordinantur, secundum quod sunt ad alterum, sicut philosophus in 5 Ethic. dicit: idest secundum quod ad bonum civitatis, quae legibus regitur, actus virtutum lege praeceptarum ordinantur: sed obedientia respicit praeceptum solummodo secundum quod habet rationem debiti ex ordine sui ad superiorem; unde non oportet quod sit generalis virtus.

5. L’obéissance n’est pas la même chose que la justice légale. En effet, la justice légale concerne le commandement de la loi et les actes des vertus qui sont ordonnées par la loi, selon qu’ils se rapportent à quelqu’un d’autre, comme le dit le Philosophe, Éthique, V, c’est-à-dire selon que les actes de vertus qui sont commandées par la loi sont ordonnés au bien de la cité, qui est dirigé par les lois. Mais l’obéissance concerne le commandement seulement selon qu’il a un caractère de dette en raison de l’ordre par rapport au supérieur. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle soit une vertu générale.

[7358] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 1 ad 6Ad sextum dicendum, quod una virtus potest ex alia dupliciter oriri. Vel per modum causae finalis; et hoc modo virtus ex alia dicitur oriri, quando actus ejus ad finem alterius virtutis ordinatur: et per hunc modum caritas, cujus objectum est finis ultimus, omnium virtutum mater dicitur. Alio modo secundum quod ex actibus unius virtutis vel causatur alia virtus, vel conservatur; et obedientia hoc modo virtutum mater dicitur; quia ad hoc praecepta superiorum ordinantur ut ad virtutes inducant, praecipiendo ipsos actus virtutum, qui virtutes politicas causant, consuetudinem inducentes, sed ad virtutes infusas disponunt. Nec dico actum virtutis tantum qui est a virtute, sed eum etiam qui est ad virtutem vel sicut disponens vel sicut causans; sicut aliquis in peccato mortali existens actum obedientiae habere potest, quamvis obedientia et aliis virtutibus careat.

6. Un vertu peut provenir d’une autre de deux manières. Par mode de cause finale ; de cette manière, on dit d’une vertu qu’elle provient d’une autre lorsque son acte est ordonné à la fin de l’autre vertu. De cette manière, la charité, dont l’objet est la fin ultime, est appelée la mère de toutes les veertus. D’une autre manière, selon qu’une vertu est causée ou est conservée par les actes d’une autre vertu. De cette manière, l’obéissance est appelée mère des vertus, parce que les commandements des supérieurs sont ordonnés à susciter les vertus, en ordonnant les actes mêmes des vertus, qui causent les vertus politiques et qui suscitent la coutume, mais disposent aux vertus infuses. Et je ne parle pas d’acte de vertu seulement pour celui qui provient d’une vertu, mais aussi pour celui qui mène à la vertu soit en y disposant, soit en la causant. Ainsi, celui qui se trouve dans le péché mortel peut-il avoir un acte d’obéissance bien que l’obéissance et les autres vertus lui fassent défaut.

 

 

ARTICULUS 2 Utrum Christiani teneantur obedire potestatibus saecularibus, et maxime tyrannis

Article 2 – Les chrétiens sont-ils tenus d’obéir aux pouvoirs séculiers, et surtout aux tyrans ?

[7360] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 2 arg. 1Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christiani non teneantur saecularibus potestatibus obedire, et praecipue tyrannis. Matth. 17, 25, dicitur: ergo liberi sunt filii. Si enim in quolibet regno filii illius regis qui regno illi praefertur, liberi sunt, tunc filii regis cui omnia regna subduntur, in quolibet regno liberi esse debent. Sed Christiani effecti sunt filii Dei; Roman. 8, 16: ipse enim spiritus testimonium reddit spiritui nostro quod sumus filii Dei. Ergo ubique sunt liberi; et ita saecularibus potestatibus obedire non tenentur.

1. Il semble que les chrétiens ne soient pas tenus d’obéir aux pouvoirs séculiers, et principalement aux tyrans. Mt 17, 25 : Les fils sont donc libres. En effet, si, dans n’importe quel royaume, les fils du roi qui est à la tête de ce royaume sont libres, les fils du roi à qui tous les royaumes sont soumis doivent donc être libres dans n’importe quel royaume. Or, les chrétiens ont été faits fils de Dieu. Rm 8, 16 : L’Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes des fils de Dieu. Ils sont donc libres partout, et ainsi ne sont-ils pas tenus d’obéir aux pouvoirs séculiers.

[7361] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 2 arg. 2Praeterea, servitus pro peccato inducta est, ut supra, quaest. 1, art. 1, dictum est. Sed per Baptismum homines a peccato mundantur. Ergo a servitute liberantur; et sic idem quod prius.

2. La servitude a été introduite par le péché, comme on l’a dit, q. 1, a. 1. Or, par le baptême, les hommes sont purifiés du péché. Ils sont donc libérés de la servitude, et ainsi la conclusion est-elle la même que précédemment.

[7362] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 2 arg. 3Praeterea, majus vinculum absolvit a minori, sicut lex nova ab observantia legis veteris. Sed in Baptismo homo obligatur Deo, quae obligatio est majus vinculum quam id quo homo obligatur homini per servitutem. Ergo per Baptismum a servitute absolvitur.

3. Un lien plus fort libère d’un lien moins fort, comme la loi nouvelle [libère] de l’observance de la loi ancienne. Or, dans le baptême, l’homme est lié à Dieu, et ce lien est un lien plus fort que celui par lequel un homme est lié à un autre homme par la servitude. Par le baptême, [l’homme] est donc libéré de la servitude.

[7363] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 2 arg. 4Praeterea, quilibet potest licite resumere, cum facultas adest, quod sibi injuste ablatum est. Sed multi saeculares principes tyrannice terrarum dominia invaserunt. Ergo cum facultas rebellandi illis conceditur, non tenentur illis obedire.

4. N’importe qui peut licitement reprendre, lorsque cela est possible, ce qui lui a été injustement pris. Or, plusieurs dirigeants séculiers ont mis la main de manière tyrannique sur les droits de certaines régions. Puisque le droit de se rebeller leur est reconnu, ils ne sont donc pas tenus d’obéir.

[7364] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 2 arg. 5Praeterea, nullus tenetur ei obedire quem licite, immo laudabiliter potest interficere. Sed Tullius in libro de officiis salvat eos qui Julium Caesarem interfecerunt, quamvis amicum et familiarem, qui quasi tyrannus jura imperii usurpaverat. Ergo talibus nullus tenetur obedire.

5. Personne n’est tenu d’obéir à celui qu’il peut licitement, voire louablement tuer. Or, Tullius [Cicéron], dans le livre Sur les fonctions, épargne ceux qui ont tué Jules César, tout ami et familier qu’il fût, qui avait usurpé comme un tyran les droits sur l’empire. Personne n’est donc tenu d’obéir à de tels hommes.

[7365] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 2 s. c. 1Sed contra, 1 Petri 11, 18: servi subditi estote dominis vestris.

Cependant, [1] 1 P 11, 18 : Escalves, soyez soumis à vos maîtres.

[7366] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 2 s. c. 2Praeterea, Rom. 13, 2: qui potestati resistit, Dei ordinationi resistit. Sed non est licitum Dei ordinationi resistere. Ergo nec saeculari potestati resistere licet.

[2] Rm 13, 2 : Celui qui résiste au pouvoir résiste à l’ordre établi par Dieu. Or, il n’est pas permis de résister à l’ordre établi par Diu. Il n’esst donc pas permis de résister au pouvoir séculier.

[7367] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod sicut dictum est, obedientia respicit in praecepto quod servat, debitum observandi. Hoc autem debitum causatur ex ordine praelationis, quae virtutem coactivam habet, non tantum temporaliter sed etiam spiritualiter propter conscientiam, ut apostolus dicit Roman. 13, secundum quod ordo praelationis a Deo descendit, ut apostolus, ibidem, innuit. Et ideo secundum hoc quod a Deo est, obedire talibus Christianus tenetur, non autem secundum quod a Deo praelatio non est. Dictum est autem, quod praelatio potest a Deo non esse dupliciter: vel quantum ad modum acquirendi praelationem, vel quantum ad usum praelationis. Quantum ad primum contingit dupliciter: aut propter defectum personae, quia indignus est; aut propter defectum in ipso modo acquirendi, quia scilicet per violentiam vel per simoniam, vel aliquo illicito modo acquirit. Ex primo defectu non impeditur quin jus praelationis ei acquiratur; et quoniam praelatio secundum suam formam semper a Deo est (quod debitum obedientiae causat); ideo talibus praelatis, quamvis indignis, obedire tenentur subditi. Sed secundus defectus impedit jus praelationis: qui enim per violentiam dominium surripit non efficitur vere praelatus vel dominus; et ideo cum facultas adest, potest aliquis tale dominium repellere: nisi forte postmodum dominus verus effectus sit vel per consensum subditorum, vel per auctoritatem superioris. Abusus autem praelationis potest esse dupliciter: vel ex eo quod est praeceptum a praelato, contrarium ejus ad quod praelatio ordinata est, ut si praecipiat actum peccati contrarium virtuti ad quam inducendam et conservandam praelatio ordinatur; et tunc aliquis praelato non solum non tenetur obedire, sed etiam tenetur non obedire, sicut et sancti martyres mortem passi sunt, ne impiis jussis tyrannorum obedirent: vel quia cogunt ad hoc ad quod ordo praelationis non se extendit; ut si dominus exigat tributa quae servus non tenetur dare, vel aliquid hujusmodi; et tunc subditus non tenetur obedire, nec etiam tenetur non obedire.

Réponse. Comme on l’a dit, l’obéissance porte sur le devoir d’exécuter le commandement qu’elle observe. Or, ce devoir esst causé par l’ordre de la supériorité, qui possède une puissance coercitive, non seulement temporellement, mais aussi spirituellement du point de vue de la conscience, comme le dit l’Apôtre, Rm 13 ; conformément à cela, l’ordre de la supériorité vient de Dieu, comme l’indique l’Apôtre au même endroit. C’est pourquoi, pour autant qu’il vient de Dieu, le chrétien est tenu d’obéir à ces [dirigeants], mais pas pour autant que la supériorité ne vient pas de Dieu. Or, on a dit que la supériorité peut ne pas venir de Dieu de deux manières : soit pour la manière d’acquérir la supériorité, soit pour l’usage de la supériorité. Pour le premier point, cela se produit de deux manières : soit en raison d’une carence de la personne, parce qu’il [en] esst indigne ; soit en raison d’une carence dans la manière même de l’acquérir, parce [qu’il l’acquiert] par la violence ou par la simonie, ou par quelque autre manière défendue. En raison de la première carence, cela n’empêche pas qu’il acquierre un droit à la supériorité ; et parce que la supériorité, selon sa forme, vient toujours de Dieu (qui cause le devoir d’obéissance), les sujets sont tenus d’obéir à de tels dirigeants, bien qu’ils soient indignes. Mais la deuxième carence empêche le droit à la supériorité : en effet, celui qui usurpe le pouvoir par la violence ne devient pas vraiment un dirigeant ou un supérieur. C'est pourquoi, lorsque cela est possible, on peut rejeter un tel pouvoir, à moins que, par la suite, le supérieurne soit rendu véritable, soit par le consentement des sujets, soit par l’autorité d’un supérieur. Or, on peut abuser de la supérorité de deux manières. Soit parce que ce qui est commandé par le supérieur est contraire à ce pour quoi la supériorité a été établie, par exemple, si elle ordonne un acte de péché contraire à l’implantation et à la conservation de la vertu pour lesquelles la supériorité été établie. Alors, non seulement n’est-on pas tenu d’oébir, mais est-on aussi tenu de ne pas obéir, comme les saints martyrs ont souffert pour n’avoir pas obéiaux ordres impies des tyrans. Soit parce qu’ils contraignent à ce sur quoi l’ordre de la supériorité ne porte pas, par exemple, si le seigneur exige des contributions que le serviteur n’est pas tenu de donner, ou quelque chose de ce genre. Alors, le sujet n’est pas tenu d’obéir, et il n’est pas tenu non plus de ne pas obéir.

[7368] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 2 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod illa praelatio quae ad utilitatem subditorum ordinatur, libertatem subditorum non tollit; et ideo non est inconveniens quod tali praelationi subjaceant qui per spiritum sanctum filii Dei effecti sunt. Vel dicendum, quod Christus loquitur de se et suis discipulis, qui nec servilis conditionis erant, nec res temporales habebant, quibus suis dominis obligarentur ad tributa solvenda; et ideo non sequitur quod omnis Christianus hujusmodi libertatis sit particeps, sed solum illi qui sequuntur apostolicam vitam, nihil in hoc mundo possidentes, et a conditione servili immunes.

1. La supériorité qui est établie en vue du bien des sujets n’enlève pas la liberté des sujets. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié de se soumettre à une telle supériorité pour ceux qui ont été faits fils de Dieu par l’Esprit saint. Ou bien il faut dire que le Christ parle de lui-même et de ses disciples, qui n’avaient pas la condition de serviteurs et ne possédaient pas non plus de biens temporels, à même lesquels ils auraient été obligés d’acquitter des contributions à leurs maîtres. C’est pourquoi il n’en découle pas que tout chrétien participe à une telle liberté, mais seulement ceux qui suivent la voie apostolique en ne possédant rien en ce monde et en étant exempts de la condition de serviteurs.

[7369] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 2 ad 2Ad secundum dicendum, quod Baptismus non delet statim omnes poenalitates ex peccato primi parentis consequentes, sicut necessitatem moriendi et caecitatem, vel aliquid hujusmodi; sed regenerat in spem vivam illius vitae in qua omnia ista tollentur; et sic non oportet ut aliquis statim baptizatus a servili conditione liberetur, quamvis illa sit poena peccati.

2. Le baptême n’enlève pas immédiatement toutes les peines qui découlent du péché du premier parent, comme la nécessité de mourir et la cécité, ou quelque chose de ce genre ; mais il régénère en vue d’une vivante espérance de la vie où tout cela sera enlevé. Et ainsi, il n’est pas nécessaire que celui qui est baptisé soit immédiatement libéré de la condition de serviteur, bien que celle-ci soit une peine du péché.

[7370] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 2 ad 3Ad tertium dicendum, quod majus vinculum non absolvit a minori, nisi quando non compatitur se cum illo; sicut umbra et veritas simul esse non possunt: propter quod veniente veritate Evangelii, umbra veteris legis cessavit. Sed vinculum quo in Baptismo quis ligatur, compatitur vinculum servitutis; et ideo non absolvit ab illo.

3. Un lien plus grand ne délie pas d’un lien inférieur, sauf s’il ne peut exister en même temps que lui, comme l’ombre et la cécité ne peuvent exister en même temps. Pour cette raison, lorsqu’est venue la vérité de l’évangile, l’ombre de la loi ancienne a cessé. Mais le lien par lequel on est lié par le baptême peut exister en même temps que le lien de la servitude ; c’est pourquoi il n’en délie pas.

[7371] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 2 ad 4Ad quartum dicendum, quod qui per violentiam praelationem accipiunt, non sunt veri praelati; unde nec eis obedire tenentur subditi nisi sicut dictum est.

4. Ceux qui accèdent à la supériorité par la violence ne sont pas de vrais supérieurs. Aussi les sujets ne sont-ils pas tenus de leur obéir, si ce n’est de la manière qu’on a dite.

[7372] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 2 ad 5Ad quintum dicendum, quod Tullius loquitur in casu illo quando aliquis dominium sibi per violentiam surripit, nolentibus subditis, vel etiam ad consensum coactis, et quando non est recursus ad superiorem, per quem judicium de invasore possit fieri: tunc enim qui ad liberationem patriae tyrannum occidit, laudatur, et praemium accipit.

5. Tullis [Cicéron] parle du cas où quelqu’un a usurpé le pouvoir par la violence, sans la volonté des sujets, ou encore par le consentement contraint de ceux-ci, alors qu’ils ne peuvent recourir à un supérieur par qui un jugement puisse être porté contre l’usurpateur. En effet, celui qui tue un tyran pour libérer la patrie est loué et reçoit une récompense.

 

 

ARTICULUS 3 Utrum religiosi professi teneantur obedire praelatis suis in omnibus

Article 3 – Les religieux qui ont fait profession sont-ils tenus d’obéir en tout à leurs supérieurs ?

[7374] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur quod obedientiam professi simpliciter teneantur obedire praelatis suis. Colos. 3, 20: filii obedite parentibus per omnia. Sed magis tenetur obedire quis patri spirituali quam carnali. Ergo spirituales filii, praecipue obedientiam professi, patribus spiritualibus in omnibus obedire tenentur.

1. Il semble que les [religieux] qui ont fait profession d’obéissance soient tout simplement tenus d’obéir à leurs supérieurs. Col 3, 20 : Fils, obéissez en tout à vos parents.Or, on est davantage tenu d’oébir à son père spirituel qu’à son père charnel. Les fils spirituels, surtout ceux qui ont fait profession d’obéissance, sont donc tenus d’oébir en tout à leurs pères spirituels.

[7375] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 arg. 2Praeterea, beatus Benedictus dicit in regula, quod si praelatus etiam impossibile praecipiat, tentandum impossibile tamen est. Sed multo magis tenetur quis ad obediendum in possibilibus quam in impossibilibus. Ergo in omnibus possibilibus simpliciter obedientiam professus obedire tenetur praelato.

2. Le bienheureux Benoît dit dans la Règle que, si un supérieur ordonne même l’impossible, il faut néanmoins tenter l’impossible. Or, quelqu’un est davantage tenu d’obéir pour ce qui est possible que pour ce qui est impossible. Celui qui a fait profession d’obéissance est donc tout simplement tenu d’obéir à son supérieur pour tout ce qui est possible.

[7376] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 arg. 3Praeterea, religio quaelibet principaliter tria vota substantialia habet, scilicet castitatis, paupertatis, et obedientiae. Sed castitatem tenetur omnibus modis servare, et similiter paupertatem, ut nihil proprium habeat. Ergo et obedientiam sic tenetur servare ut in omnibus simpliciter obediat.

3. Toute vie religieuse comporte principalement trois vœux substantiels : la chasteté, la pauvreté et l’obéissance. Or, on est tenu de garder la chasteté de toutes les manières ; de même en est-il pour la pauvreté, de sorte qu’on ne possède rien en propre. On est donc aussi tenu d’observer l’obéissance de manière qu’on obéisse tout simplement en tout.

[7377] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 arg. 4Praeterea, inferiori non relinquitur judicium de superiori. Sed si subditus haberet discernere in quo obediret, in quo non, relinqueretur sibi judicium de praecepto superioris. Ergo subditus tenetur in omnibus simpliciter obedire.

4. Le jugement sur le supérieur n’est pas laissé à l’inférieur. Or, si un sujet pouvait choisir en quoi il obéirait ou non, il lui serait laissé de juger l’ordre d’un spérieur. Le sujet n’est donc pas tout simplement tenu d’obéir en tout.

[7378] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 arg. 5Praeterea, quilibet Christianus tenetur praelatis spiritualibus obedire. Si ergo profitentes obedientiam non tenerentur simpliciter in omnibus obedire, in nullo differrent profitentes obedientiam a non profitentibus, et sic talis professio supervacua esset. Ergo cum non sit supervacua, tenentur in omnibus obedire.

5. Tout chrétien est tenu d’obéir à ses supérieuers spirituels. Si donc ceux qui font profession d’obéissance n’étaient pas tout simplement tenus d’obéir en tout, ceux qui font profession d’obéissance ne différeraient donc en rien de ceux qui ne font pas profession, et ainsi une telle profession serait vaine. Puisqu’elle n’est pas vaine, ils sont donc tenus d’obéir en tout.

[7379] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 s. c. 1Sed contra, Bernardus dicit in Lib. de Disp. et praecepto: nihil me prohibeat horum quae promisi, nihil plus exigat quam promisi. Sed non promittuntur nisi illa quae sunt in regula. Ergo non tenetur subditus in aliis obedire nisi quae ad regulam pertinent.

Cependant, [1] Bernard dit, dans le livre Sur la dispense et le commandement : « Qu’on ne m’interdise rien de ce que j’ai promis, qu’on n’exige rien de plus que ce que j’ai promis. » Or, n’est promis que ce qui se trouve dans la règle. Le sujet n’est donc tenu d’obéir rien d’autre que ce qui relève de la règle.

[7380] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 s. c. 2Praeterea, nullus tenetur ad aliquid ad quod ceteri non tenentur, nisi secundum quod ad illud ex voto se obligat speciali. Sed profitentes non vovent obedire in omnibus, sed solum obedire secundum regulam talem vel talem. Ergo non tenentur in omnibus obedire. Et haec etiam ratio accipitur ex verbis Bernardi in eodem libro dicentis de hoc: non parum praelati praescribitur voluntati, quod is qui profitetur, spondet obedientiam; non tamen obedientiam omnimodam, sed determinate secundum regulam, nec aliam quam sancti Benedicti; et post subdit: praefixam praelatus sibi ex regula sciat mensuram; et sic sua demum imperia moderari circa id solum quod rectum esse constiterit; nec quodlibet rectum, sed hoc tantum quod praedictus pater constituit.

[2] Personne n’est tenu à ce à quoi les autres ne sont pas tenus, à moins qu’il ne s’y oblige par un vœu particulier. Or, ceux qui font profession ne font pas vœu d’obéir en tout, mais d’obéir seulement selon telle ou telle règle. Ils ne sont donc pas tenus d’obéir en tout. Cet argument est aussi tiré des paroles de Bernard, qui, dans le même, dit à ce sujet : « Il n’est pas peu enjoint à la volonté de celui a l’autorité que celui qui fait profession promette obéissance, non pas cependant une obéissance en tout, mais [une obéissance] déterminée selon la règle, et pas à une autre que celle de saint Benoît ». Et il ajoute plus loin : « Que celui qui a autorité connaisse la mesure selon la règle, et ainsi impose une limite à ses commandements en les faisant porter seulement sur ce que [la règle] a établi comme juste, et non pas n’importe quelle justice, mais ce que le père déjà mentionné [saint Benoît] a établi. »

[7381] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod est triplex obedientia: scilicet indiscreta, imperfecta (discreta tamen) et perfecta. Indiscreta obedientia, quae nec obedientia dici debet, est quando aliquis obedit in illis quae divinae legis regulae contrariantur, quam debet inviolabiliter observare: vel etiam in illis quae contrariantur regulae quam professus est, in his dumtaxat quae dispensationi praelati non subduntur, et ad hanc obedientiam nullus tenetur, immo quilibet tenetur eam non habere. Imperfecta autem obedientia, sed sufficiens ad salutem obedientiam profitentibus, est illa qua aliquis obedit in his quae servare promisit, et non aliis; unde b. Benedictus dicit: ceterum subditus hujusmodi obedientiam quae voti finibus cohibetur, noverit imperfectam; et ad hanc obedientiam profitentes obedientiam ex necessitate coguntur. Obedientia vero perfecta est secundum quam subditus simpliciter obedit in omnibus quae non sunt contraria legi divinae, vel regulae quam professus est; unde ibidem b. Benedictus dicit: perfecta obedientia legem nescit, terminis non arctatur, nec continetur professionis angustiis; largiori voluntate fertur in latitudinem caritatis, et ad omne quod injungitur, spontaneo vigore liberalis alacrisque animi, modum non considerans, in infinitum extenditur; et ad hanc obedientiam nullus tenetur debito necessitatis, sed solum ex honestate quadam, sicut tenetur semper aemulari charismata meliora. Quidam tamen aliter dicunt, scilicet quod obedientiam professi, ex necessitate tenentur obedire praelatis suis non solum in his quae ad regulam pertinent, sed in omnibus quae regulae non contrariantur, sive sint indifferentia, sive de numero bonorum, dummodo non sint altiora quam professio proprii ordinis requirit; sed ad aequalia vel faciliora praelatus cogere potest, etiam si secundum praecepta regulae non sint. Sed prima opinio est longe melior: quia cum debitum obedientiae ex ordine praelationis causetur, ad illa tantummodo ex obedientiae voto subditus obligatur ad quae praelatio est ordinata. Ad hoc autem praelationes in religionibus ordinantur, ut status religionis secundum instituta regulae conservetur; et ideo in his solum quae ad regulam pertinent, debitum obedientiae causatur. Sciendum autem, quod ad regulam pertinet aliquid dupliciter; vel directe vel indirecte. Directe, sicut ea quae in statutis regulae continentur, ut non comedere carnes, tenere silentium, et hujusmodi. Indirecte, sicut ea quae pertinent ad mutua obsequia, sine quibus status religionis servari non posset, vel etiam quae pertinent ad poenam transgressionum; etsi de eis nulla specialis mentio in regula fiat.

Réponse. Il existe une triple obéissance: sans discernement, imparfaite (mais cependant avec discernement) et parfaite. L’obéissance sans discernement, qui ne doit pas être appelée obéissance, est celle par laquelle quelqu’un obéit pour ce qui est contraire à la règle de la loi divine, qu’on doit respectr de manière inviolable ; ou encore, pour ce qui est contraire à la règle dont on a fait profession, pourvu que ce soit pour seulement pour ce qui n’est pas soumis à la dispense du supérieur. À cette obéissance, personne n’est tenu, bien plus, chacun est tenu de ne pas la pratiquer. Cependant, l’obéissance imparfaite, mais suffisante au salut de ceux qui font profession d’obéissance, est celle par laquelle quelqu’un obéit pour ce qu’il a promis d’observer, et non pour les autres choses. Aussi le bienheureux Benoît dit-il : « Au reste, que le sujet sache que l’obéissance qui se limite aux termes d’un vœu est imparfaite. » Ceux qui font profession d’obéissance sont nécessairement forcés à cette obéissance. Mais l’obéissance parfaite est celle selon laquelle le sujet obéit simplement pour tout ce qui n’est pas contraire à la loi divine ou à la règle dont il a fait profession. Aussi le bienheureux Benoît dit-il au même endroit : « L’obéissance parfaite ne connaît pas de loi, elle n’est pas confinée par certains termes et elle n’est pas contenue dans l’étroitesse d’une profession ; elle est portée par une volonté plus étendue vers l’ampleur de la charité et elle s’étend à l’infini à tout ce qui est ordonné avec la vigueur spontanée d’un esprit généreux et diligent, en ne tenant pas compte de la mesure. » Personne n’est tenu à cette obéissance par un devoir nécessaire, mais seulement par une certaine noblesse, comme on est tenu de toujours rechercher les dons les meilleurs. Cependant, certains certains disent autre chose : que ceux qui ont fait profession d’obéissance sont nécessairement tenus d’obéir à leurs supérieurs, non seulement pour ce qui relève de la règle, mais pour tout ce qui n’est pas contraire à la règle, qu’il s’agisse de choses indifférentes ou bonnes, pourvu qu’elles ne soient pas plus élevées que ne l’exige la profession de leur propre ordre ; mais le supérieure peut contraindre à des choses égales ou plus faciles, même si elles ne sont pas conformes aux commandements de la règle. Mais la première opinion est bien meilleure, car, puisque le devoir d’obéissance est causée par l’ordre de la supériorité, le sujet n’est obligé en vertu du vœu d’obéissance qu’à ce à quoi est ordonné la supériorité. Or, les supériorités dans les ordres religieux sont ordonnées à ce que l’état dela vie religieuse soit maintenu selon ce qui a été établi par la règle. C’est pourquoi le devoir d’obéissance n’est causé que pour ce qui relève de la règle. Mais il faut savoir que certaines relèvent de la règle de deux manières : soit directement, soit indirectement. Directement, comme ce qui est contenu dans les statuts de la règle, comme ne pas manger de viande, de garder le silence et les choses de ce genre. Indirectement, comme ce qui relève de la déférence réciproque, sans laquelle l’état de la vie religieuse ne peut pas être maintenu ; ou encore, comme ce qui se rapport à la punition des transgressions, même s’il n’en est pas fait une mention particulière dans la règle.

[7382] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 ad 1Ad primum ergo dicendum, quod praeceptum apostoli intelligitur non de omnibus absolute, sed de omnibus quae ad praelationem patris ad filium pertinent: quia in quibusdam, ut philosophus dicit in 9 Ethic., magis est obediendum patri, et in quibusdam magis duci exercitus quam patri, et in quibusdam magis medico, et sic de aliis.

1. Le commandement de l’Apôtre s’entend non pas de manière absolue pour tout, mais pour tout ce qui relève de la supériorité du père sur le fils, car, pour certaines choses, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V, il faut davantage obéir au père, et pour certaines autres, il faut plutôt obéir au chef de l’armée qu’au père, et pour d’autres encore, plutôt au médecin, et ainsi de suite.

[7383] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 ad 2Ad secundum dicendum, quod beatus Benedictus loquitur de obedientia perfecta, quam omnes obedientiam profitentes ex honestate aemulari debent; non tamen obligantur ex necessitate.

2. Le bienheureux Benoît parle de l’obéissance parfait, que tous ceux qui font profession d’obéissance doivent s’efforccer d’imiter par noblesse. Ils n’y sont cependant pas obligés de manière nécessaire.

[7384] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 ad 3Ad tertium dicendum, quod castitas est virtus habens determinatam materiam, et determinatum actum: similiter et paupertas. Obedientia vero habet generalem materiam, ut dictum est; et ideo si aliquis obedientiam absolute voveret in omnibus, esset confusio religionum, quia idem teneretur servare unus quod alter; et ideo votum obedientiae determinatur secundum certam regulam. Non est autem simile de aliis duobus votis.

3. La chasteté est une vertu qui a une matière déterminée et un acte déterminé, comme la pauvreté. Mais l’obéissance a une matière généréale, comme on l’a dit. Si donc avait fait vœu d’obéissance de manière absolue pour tout, il y aurait confusion des ordres religieux, car l’un serait tenu d’observer la même chose qu’un autre. C’est pourquoi le vœu d’obéissance est déterminé selon une certaine règle. Mais il n’en va pas de même pour les deux autres vœux.

[7385] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 ad 4Ad quartum dicendum, quod quamvis subditus non habeat judicare de praecepto praelati, habet tamen judicare de actu proprio in his dumtaxat in quibus praelato ex ordine praelationis subditus non est; et ideo non oportet quod in omnibus obediat, immo necesse est quod in quibusdam non obediat.

4. Bien qu’il n’appartienne pas au sujet de porter un jugement sur le commandement d’un supérieur, il doit cependant juger de son acte propre, du moins pour ce en quoi il n’est pas soumis au supérieur en vertu de l’ordre de la supériorité. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’il obéisse en tout, bien plus, il est nécessaire qu’il n’obéisse pas pour certaines choses.

[7386] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 ad 5Ad quintum dicendum, quod illi qui obedientiam non profitentur, non tenentur in omnibus obedire spiritualibus praelatis, nisi in illis quae pertinent ad regulam quam in Baptismo professi sunt, ut scilicet abrenuntiantes Satanae et omnibus pompis ejus et Christianam vitam agere profitentes, induant novum hominem, qui secundum Deum creatus est.

5. Ceux qui ne font pas profession d’obéissance ne sont pas tenus d’obéir en tout à leurs supérieurs spirituels, sauf pour ce qui relève de la règle dont ils ont fait profession par le baptême, comme de renoncer à Satan et à toutes ses pompes, et que ceux qui font profession de mener un vie chrétienne revêtent l’homme nouveau, qui a été créé selon Dieu.

 

 

EXPOSITIO TEXTUS

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 44

[7387] Super Sent., lib. 2 d. 44 q. 2 a. 3 expos.Post praedicta, consideratione dignum occurrit. Ratio ordinis est: quia potentia per actum cognoscitur; unde prius de actu peccati determinandum fuit quam de potentia peccandi; quamvis potentia actu naturaliter sit prior. Utrum potentia peccandi sit nobis a Deo vel a nobis. Videtur debuisse dicere, potentiae peccandi, pluraliter, quia actibus plurium potentiarum peccare contingit. Sed dicendum, quod nulla potentia habet quod eliciat actum peccati, nisi inquantum est voluntas vel a voluntate mota; et ideo una potentia est secundum quam primo peccatum inest, scilicet voluntas vel liberum arbitrium. Mala voluntas non a Deo nobis est, sed a nobis et a Diabolo. Hoc verum est, si sumatur voluntas pro actu voluntatis; non autem si sumatur pro potentia, quae est principium actus; et ideo similitudo nulla est, per quam a simili de potentia concludere volunt. Sed pluribus sanctorum testimoniis indubitanter monstratur quod potestas mali a Deo est. Videtur quod probatio Magistri nihil valeat: quia auctoritates sequentes non loquuntur de potentia peccandi, sed de potestate praelationis. Sed dicendum quod in potestate praelationis, quae habitualis potentia est, includitur etiam habitualis potestas peccandi: quia propter potestatem praelationis multa peccata praelati facere possunt, quae non possent, si praelati non essent. Per me reges regnant, et tyranni per me terram tenent. Quae sit differentia inter regem et tyrannum, ex dictis in tertio articulo primae quaestionis apparet. Sed sciendum est, apostolum ibi loqui de saeculari potestate. Videtur quod solutio Magistri sit insufficiens: quia superius ostendit etiam potestatem nocendi quam Diabolus habet, a Deo esse; et ita videtur quod si potestati est obediendum, quia potestas est a Deo, etiam Diabolo sit obediendum. Sed dicendum quod proculdubio auctoritas apostoli tantum de potestate praelationis intelligitur; cujusmodi potestatem supra homines Diabolus non habet; nisi inquantum cum eo quasi foedus ineunt, consentientes ei per peccatum, sicut servi ejus effecti. Sed hoc pactum illicitum est; et ideo ex hoc non acquiritur debitum obediendi, sed pactum frangendum est; Isa. 28, 18: pactum vestrum cum Inferno non stabit. Unde non oportet ut omni potestati quae a Deo sit, obediatur, sed ei tantum quae a Deo est ad hoc instituta ut sibi debita obedientia impendatur, cujusmodi est sola praelationis potestas. Contemne potestatem timendo majores potestates. Ex hoc videtur quod sit magis obediendum majori potestati quam minori. Sed hoc videtur esse falsum. Quia in quibusdam magis obeditur uni quam alteri, et in quibusdam minus, sicut in quibusdam plus patri quam duci exercitus, et in quibusdam plus duci exercitus quam patri, ut in 9 Ethic. dicitur. Ergo sequitur quod idem eodem sit major et minor. Praeterea, archiepiscopi potestas est major quam potestas episcopi. Sed in quibusdam plus tenentur obedire subditi suis episcopis quam archiepiscopis. Ergo non semper majori potestati est obediendum magis. Praeterea, abbates monasteriorum subduntur episcopis, nisi sint exempti. Ergo potestas episcopi est major quam potestas abbatis. Sed monachus tenetur plus obedire abbati quam episcopo. Ergo non semper majori potestati obediendum est magis. Praeterea, potestas spiritualis est altior quam saecularis. Si ergo majori potestati magis est obediendum, praelatus spiritualis semper absolvere poterit a praecepto potestatis saecularis: quod est falsum. Respondeo dicendum, quod potestas superior et inferior dupliciter possunt se habere. Aut ita quod inferior potestas ex toto oriatur a superiori; et tunc tota virtus inferioris fundatur supra virtutem superioris; et tunc simpliciter et in omnibus est magis obediendum potestati superiori quam inferiori; sicut etiam in naturalibus causa prima plus influit supra causatum causae secundae quam etiam ipsa causa secunda, ut in Lib. de causis dicitur: et sic se habet potestas Dei ad omnem potestatem creatam; sic etiam se habet potestas imperatoris ad potestatem proconsulis; sic etiam se habet potestas Papae ad omnem spiritualem potestatem in Ecclesia: quia ab ipso Papa gradus dignitatum diversi in Ecclesia et disponuntur et ordinantur; unde ejus potestas est quoddam Ecclesiae fundamentum, ut patet Matth. 16. Et ideo in omnibus magis tenemur obedire Papae quam episcopis vel archiepiscopis, vel monachus abbati, absque ulla distinctione. Potest iterum potestas superior et inferior ita se habere, quod ambae oriantur ex una quadam suprema potestate, quae unam alteri subdit secundum quod vult; et tunc una non est superior altera nisi in his quibus una supponitur alii a suprema potestate; et in illis tantum est magis obediendum superiori quam inferiori: et hoc modo se habent potestates et episcopi et archiepiscopi descendentes a Papae potestate. Ad primum ergo dicendum, quod non est inconveniens patrem esse superiorem in rebus familiaribus, et ducem in rebus bellicis; sed ei qui in omnibus superior est, scilicet Deo, simpliciter est magis obediendum, et ei qui vices Dei gerit plenarie. Ad secundum dicendum, quod in illis in quibus magis obediendum est episcopo quam archiepiscopo; archiepiscopus non est superior episcopo, sed tantum in casibus determinatis a jure, in quibus ab episcopo recurritur ad archiepiscopum. Ad tertium dicendum, quod monachus magis tenetur obedire abbati quam episcopo in illis quae ad statuta regulae pertinent; in his autem quae ad disciplinam ecclesiasticam pertinent, magis tenetur episcopo: quia in his abbas est episcopo suppositus. Ad quartum dicendum, quod potestas spiritualis et saecularis, utraque deducitur a potestate divina; et ideo intantum saecularis potestas est sub spirituali, inquantum est ei a Deo supposita, scilicet in his quae ad salutem animae pertinent; et ideo in his magis est obediendum potestati spirituali quam saeculari. In his autem quae ad bonum civile pertinent, est magis obediendum potestati saeculari quam spirituali, secundum illud Matth. 22, 21: reddite quae sunt Caesaris Caesari. Nisi forte potestati spirituali etiam saecularis potestas conjungatur, sicut in Papa, qui utriusque potestatis apicem tenet, scilicet spiritualis et saecularis, hoc illo disponente qui est sacerdos et rex in aeternum, secundum ordinem Melchisedech, rex regum, et dominus dominantium, cujus potestas non auferetur et regnum non corrumpetur in saecula saeculorum. Amen.

 

 

 

 



[1] Conversio-aversio : c’est par ces deux termes qu’Augustin caractérisait les mouvements de la volonté, par lesquels celle-ci se « tournait » vers Dieu ou s’en « détournait », pour « adhérer » à Dieu, dans le premier cas, ou pour pécher, dans le second. Nous les traduirons par « conversion » et « aversion », bien que, en français, ce dernier terme ne rende pas exactement le sens du terme latin correspondant.

[2] Voir Gn 6, 1-4.

[3] Le terme praescitus apparaît dans le contexte des débats sur la prédestination. La distinction entre praescitus et praedestinatus correspond à la distinction entre la simple connaissance par laquelle Dieu connaît de toute éternité ceux qui obtiendront la béatitude et ceux qui ne l’obtiendront pas, et la volonté (supposant la connaissance) par laquelle il décide et fait en sorte par sa providence qu’ils obtiennent effectivement cette béatitude.

[4] Voir les explications données plus loin dans la réponse à la quatrième objection.

[5] Au Moyen Àge, l’orientation du nord et du sud sur les cartes était inversée par rapport à la représentation à laquelle nous sommes habitués, le sud se trouvant en haut et le nord en bas.

[6] La question vient de ce que, en latin, quantum peut être considéré soit comme un substantif, soit comme un adverbe.