SAINT THOMAS D’AQUIN

Docteur de l’Église

COMMENTAIRE DES SENTENCES DE PIERRE LOMBARD

Scriptum super Sententiis

(1254-1256)

© Copyright, traduction et notes par Jacques MÉNARD 2009-2014

Edition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique

Les œuvres complètes de saint Thomas d’Aquin

Sentences II, 25-44 non relu et vérifié

 

LIVRE II

 

 

NOTE LIMINAIRE – Bien qu’il ait été rédigé sur une période de plusieurs années, le Commentaire sur le livre des Sentences de Pierre Lombard témoigne du premier enseignement de Thomas d’Aquin. Il a paru intéressant d’en donner une traduction française, même si plusieurs opinions exprimées par l’auteur seront corrigées ou abandonnées dans des œuvres ultérieures. Les lecteurs intéressés pourront ainsi étudier plus facilement comment la pensée de Thomas d’Aquin a pu évoluer. Par ailleurs, le Commentaire contient aussi des pages remarquables, que les lecteurs prendront intérêt à lire ou à relire en français. On se rappellera enfin que le IVe livre des Sentences a fourni en grande partie les matériaux du Supplément de la IIIa Pars de la Somme de théologie, que Thomas d’Aquin a laissée inachevée au moment de sa mort, en 1274 (la rédaction personnelle par Thomas d’Aquin se termine à III, q. 90, a. 4).

On trouvera une édition critique des Sentences sous le titre Sententiae, éd. I. Brady, Grottaferrata, 1971-1981. Il n’existe pas de traduction française de ce texte pourtant fondamental de la théologie médiévale. Sur Pierre Lombard, on pourra voir la brève notice « Pierre Lombard », Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Âge, Paris, 1992, p. 1185-1186 (bibl.), ainsi que la notice « Pierre Lombard », Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2002, p. 1106-1107 (bibl.). G. Silano a donné une bonne introduction à sa traduction des Sentences, publiée sous le titre : Peter Lombard. The Sentences, Book I : The Mystery of the Trinity, Toronto, 2007, p. vii et ss. Pour tout ce qui concerne le contexte historique du Commentaire de Thomas d’Aquin sur le Livre des Sentences, on pourra se rapporter à J.-P. TORRELL, Initiation à saint Thomas d’Aquin. Sa personne et son œuvre, Paris-Fribourg, 2002 (2e éd.), p. 53 et ss. (bibl.).

 

Version préliminaire

 

La presente version est préliminaire.

1. Il reste en eeffet à compléter et à uniformiser les citations bibliques (que j’ai laissées telles que les éditeurs du texte latin les ont données).

2. Il faudra aussi traduire les explications du texte (expositiones textus), lorsqu’une traduction française de référence des Sentences de Pierre Lombard aura été réalisée (ces explications du texte se trouvent généralement à la fin de chacune des distinctions). Il a paru en effet préférable d’attendre une traduction française du Livre des Sentences de Pierre Lombard et, le temps venu, de renvoyer à la traduction correspondant au texte de chaque expositio textus.

                                                                                                                                                      

En l’absence d’une édition critique, la traduction française est réalisée à partir de l’édition électronique des Opera omnia de Thomas d’Aquin, réalisée par le professeur Enrique Alarcón, dans le cadre de la publication accessible par ordinateur du Corpus thomisticum (Université de Navarre, 2004). http://www.corpusthomisticum.org

 

Distinction 1 – [La création] 12

Question 1 – [Existe-t-il un seul prncipe ?] 12

Prologue_ 12

Article 1 – Existe-t-il plusieurs premiers principes ?_ 13

Article 2 – Une chose peut-elle émaner de lui par création ?_ 21

Article 3 – Créer convient-il à d’autres qu’à Dieu ?_ 27

Article 4 – Une réalité autre Dieu produit-elle quelque chose ?_ 31

Article 5 – Le monde est-il éternel ?_ 37

Article 6 – Interprète-t-on correctement : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre », en disant : « … dans le Fils »?  56

Question 2 – [L’ordre des créatures à la fin ultime] 59

Prologue_ 59

Article 1 – Convient-il que Dieu agisse en vue d’une fin ?_ 60

Article 2 – Les créatures existent-elles en vue de la bonté de Dieu ?_ 63

Article 3 – Toutes choses ont-elles été créées pour l’homme ?_ 66

Article 4 – L’âme raisonnable doit-elle être unie au corps ?_ 70

Article 5 – L’âme humaine devait-elle être unie à tel corps ?_ 73

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1_ 76

Distinction 2 – [Les créatures en particulier] 77

Question 1 – [L’aevum diffère-t-il de l’éternité ou du temps ?] 77

Prologue_ 77

Article 1 – L’aevum est-il la même chose que l’éternité [ou le temps]?_ 79

Article 2 – N’existe-t-il qu’un seul ævum ?_ 84

Article 3 – La durée de l’ange a-t-elle commencé avant le monde ?_ 88

Question 2 – [Le ciel empyrée] 91

Prologue_ 91

Article 1 – Le ciel empyrée est-il un corps ?_ 91

Article 2 – Le ciel empyrée est-il lumineux ?_ 94

Article 3 – Le ciel empyrée exerce-t-il une influence sur les autres corps ?_ 98

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 2_ 101

Distinction 3 – [La condition des anges] 102

Question 1 – [Les anges sont-ils composés de matière et de forme ?] 102

Prologue_ 102

Article 1 – L’ange est-il composé de matière et de forme ?_ 103

Article 2 – La personnalité peut-elle exister chez les anges ?_ 110

Article 3 – Le nombre peut-il exister chez les anges ?_ 112

Article 4 – Existe-t-il plusieurs anges d’une seule espèce ?_ 118

Article 5 – Les anges appartiennent-ils à un seul genre ?_ 122

Article 6 – L’ange et l’âme diffèrent-ils selon l’espèce ?_ 125

Question 2 – [L’ange était-il mauvais au commencement de sa création ?] 134

Prologue_ 134

Article 1 – L’ange pouvait-il être mauvais au commencement de sa créaton ?_ 135

Question 3 – [La connaissance de l’ange] 140

Prologue_ 140

Article 1 – L’ange connaît-il les choses par son essence ?_ 140

Article 2 – Les anges supérieurs intelligent-ils par des espèces plus universelles ?_ 145

Article 3 – Les anges intelligent-ils les réalités particulières ?_ 149

Article 4 – L’ange intellige-t-il plusieurs choses en même temps ?_ 155

Question 4 – [Dans son état naturel, l’ange a-t-il aimé Dieu plus que lui-même et toutes les autres choses ?] 158

Article 1 – Dans son état naturel, l’ange a-t-il aimé Dieu plus que lui-même et toutes les autres choses ?_ 158

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 3_ 162

Distinction 4 – [La béatitude initiale des anges] 162

Prologue_ 162

Article 1 – Les anges ont-ils été créés bienheureux ?_ 164

Article 2 – Les anges ont-ils connu à l’avance leur misère ou leur béatitude ?_ 167

Article 3 – Les anges ont-ils été créés avec la grâce ?_ 170

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 4_ 174

Distinction 5 – [La conversion et l’aversion des anges] 174

Question 1 – [L’ange pouvait-il pécher ?] 174

Prologue_ 174

Article 1 – Le péché peut-il exister chez les anges ?_ 176

Article 2 – L’ange mauvais a-t-il désiré l’égalité avec Dieu ?_ 179

Article 3 – Le premier péché de l’ange a-t-il été l’orgueil ?_ 182

Question 1 – [La conversion des anges bons] 185

Prologue_ 185

Article 1 – Les anges ont-ils eu besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ?_ 185

Article 2 – Les anges ont-ils mérité leur béatitude ?_ 188

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 5_ 191

Distinction 6 – [Les conséquences de l’aversion et de la conversion chez les anges] 192

Question 1 – [À quel ordre appartenait Lucifer ?] 192

Prologue_ 192

Article 1 – Lucifer était-il le plus élevé de tous les anges ?_ 193

Article 2 – Le péché du premier ange a-t-il été une occasion de pécher pour les autres ?_ 195

Article 5 – Les démons qui sont vaincus par les saints sont-ils jetés en enfer ?_ 205

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 6_ 207

Distinction 7 – [Le pouvoir et la puissance des anges] 208

Question 1 – [La confirmation des anges] 208

Prologue_ 208

Article 1 – Les anges bons peuvent-ils pécher ?_ 210

Article 2 – Les démons peuvent-ils faire le bien ?_ 213

Question 2 – [La connaissance des démons] 219

Prologue_ 219

Article 1 – Les démons ont-ils une science pénétrante ?_ 219

Article 2 – La divination peut-elle être réalisée par les démons ?_ 222

Question 3 – [La puissance de l’action des démons] 229

Prologue_ 229

Article 1 – Les démons peuvent-ils produire un véritable effet corporel dans la matière corporelle ?_ 229

Article 2 – Est-il mal de recourir à l’aide du démon en vue d’effets corporels ?_ 233

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 7_ 236

Distinction 8 – [Les apparitions corporelles des anges bons et mauvais] 236

Prologue_ 236

Article 1 – Les anges ont-ils des corps qui leur sont unis ?_ 237

Article 2 – Les anges assument-ils un corps ?_ 239

Article 3 – Les corps assumés par les anges ont-ils la nature véritable qu’ils montrent ?_ 242

Article 5 – Les démons peuvent-ils se trouver à l’intérieur des corps des hommes ?_ 251

Article 6 – Dieu est-il apparu sous des figures corporelles ?_ 255

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 8_ 258

Distinction 9 – [La dignité des anges bons] 259

Prologue_ 259

Article 1 – La définition de la hiérarchie donnée par Denys est-elle appropriée ?_ 260

Article 2 – Un ange en purifie-t-il un autre ?_ 265

Article 3 – La hiérarchie angélique est-elle divisée de manière appropriée en trois hiérarchies et neuf ordres ?  271

Article 4 – Les noms des anges sont-ils distingués de manière appropriée ?_ 279

Article 5 – Tous les anges d’un seul ordre sont-ils égaux ?_ 283

Article 6 – Toutes les hiérarchies sont-elles connexes ?_ 285

Article 7 – La distinction entre les ordres vient-elle de la nature ?_ 289

Article 8 – [Les hommes sont-ils introduits dans les ordres des anges ?] 292

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 9_ 296

Distinction 10 – [Les actes des ordres angéliques] 296

Prologue_ 296

Article 1 – Tous les anges entourent-ils [Dieu] ?_ 297

Article 2 – Tous les anges sont-ils envoyés pour un ministère ?_ 300

Article 3 – Tous les anges de la deuxième hiérarchie sont-ils envoyés ?_ 305

Article 4 – Les anges sont-ils empêchés de contempler par l’accomplissement d’un ministère ?_ 309

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 10_ 311

Distinction 11 – [La garde des hommes par les anges] 311

Question 1 – [Les anges sont-ils assignés à la garde des hommes ?] 311

Prologue_ 311

Article 1 – Des anges gardent-ils les hommes ?_ 312

Article 2 – Appartient-il à tous les ordres de la troisième hiérarchie de garder les hommes ?_ 316

Article 3 – Des anges sont-ils assignés à tous les hommes pour les garder ?_ 319

Article 4 – L’ange abandonne-t-il parfois l’homme auquel il est assigné ?_ 322

Article 5 – Les anges éprouvent-ils de la peine en raison de la damnation des hommes qu’ils gardent ?_ 324

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 11, q. 1_ 326

Question 2 – [Le progrès des anges] 327

Prologue_ 327

Article 1 – Les anges progressent-ils dans la vision de Dieu ?_ 328

Article 2 – Les anges inférieurs sont-ils illuminés par les [anges] supérieurs ?_ 331

Article 3 – Les anges connaissent-ils certaines choses en se parlant ?_ 334

Article 4 – Les anges ont-ils appris le mystère de l’incarnation par des hommes ?_ 338

Article 5 – Peut-il y avoir combat entre les anges ?_ 342

Article 6 – Les ordres [des anges] dureront-ils au-delà du jour du jugement ?_ 345

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 11, q. 2, a. 6_ 347

Distinction 12 – [Les êtres corporels] 347

Question 1 – [Les êtres corporels ont-ils une seule matière ?] 347

Prologue_ 347

Article 1 – Les êtres corporels ont-ils une seule matière ?_ 349

Article 2 – Toutes les choses ont-elles été créées simultanément, différenciées selon les espèces ?_ 354

Article 3 – La distinction entre les jours est-elle sauvegardée selon l’interprétation d’Augustin ?_ 359

Article 4 – La matière première était-elle informe ?_ 366

Article 5 – Assigne-t-on de manière appropriée au caractère contemporain à quatre choses : [le ciel empyrée, la nature angélique, la matière des quatre éléments et le temps] ?_ 370

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 12_ 374

Distinction 13 – [L’œuvre du premier jour] 376

Prologue_ 376

Article 1 – L’œuvre de différenciation était-elle nécessaire après l’œuvre de la création ?_ 378

Article 2 – Trouve-t-on de la lumière au sens propre dans les [substances] spirituelles ?_ 381

Article 3 – La lumière est-elle un accident ?_ 384

Article 4 – La production de la lumière est-elle racontée de manière appropriée ?_ 393

Article 5 – Le Père accomplit-il tout par le Fils ?_ 398

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 13_ 400

Distinction 14 – [L’œuvre du deuxième et du troisième jour] 401

Prologue_ 401

Article 1 – Y a-t-il des eaux au-dessus des cieux ?_ 402

Article 2 – Le firmament a-t-il la même nature que les corps inférieurs ?_ 407

Article 3 – Le mouvement du ciel vient-il d’une intelligence ?_ 410

Article 4 – Le nombre des cieux est-il assigné de manière appropriée par Raban ?_ 414

Article 5 – L’œuvre du troisième jour est-elle décrite de manière appropriée ?_ 417

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 14_ 422

Distinction 15 – [L’œuvre d’embellissement] 423

Question 1 – [La production des étoiles] 423

Prologue_ 423

Article 1 – La production des étoiles est-elle décrite de manière appropriée ?_ 425

Article 2 – Les corps célestes exercent-ils une influence sur les corps inférieurs ?_ 429

Article 3 – Les corps supérieurs exercent-ils une causalité sur les mouvements du libre arbitre ?_ 434

Question 2 – [La production des animaux] 439

Prologue_ 439

Article 1 – Certains animaux ont-ils tiré leur matière des eaux et d’autres, de la terre ?_ 439

Article 2 – L’embellissement des éléments est-il décrit de manière appropriée en trois genres ?_ 442

Question 3 – [Le septième jour] 445

Prologue_ 445

Article 1 – Dieu a-t-il achevé son œuvre le septième jour ?_ 446

Article 2 – Est-ce qu’on dit de Dieu de manière appropriée qu’il s’est reposé le septième jour ?_ 451

Article 3 – Dieu devait-il sanctifier le septième jour plutôt que les autres ?_ 456

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 15_ 459

Distinction 16 – [L’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu] 460

Prologue_ 460

Article 1 – Peut-on dire d’une créature qu’elle est à l’image [de Dieu] ?_ 462

Article 2 – L’image de Dieu se trouve-t-elle seulement dans les créatures raisonnables ?_ 465

Article 3 – L’image de Dieu se trouve-t-elle davantage chez les anges que chez les hommes ?_ 468

Article 4 – L’image et la ressemblance sont-elles distinguées de manière appropriée dans le texte ?_ 471

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 16_ 474

Distinction 17 – [La création de l’homme en ses parties] 475

Question 1 – [L’âme fait-elle partie de l’essence divine ?] 475

Prologue_ 475

Article 1 – L’âme humaine fait-elle partie de l’essence divine ?_ 477

Article 2 – L’âme humaine est-elle constituée de quelque matière ?_ 482

Question 1 – [L’âme a-t-elle été créée hors du corps ?] 488

Prologue_ 488

Article 1 – L’âme intellectuelle ou l’intellect est-il unique pour tous les hommes ?_ 488

Article 2 – Les âmes ont-elles été créées en dehors des corps ?_ 502

Question 3 – [La formation du corps de l’homme] 507

Prologue_ 507

Article 1 – Existe-t-il quelque chose de la nature d’un corps céleste dans la composition de l’homme ?_ 507

Article 2 – Le Paradis dans lequel Adam était peut-il être un lieu corporel ?_ 511

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 17_ 515

Distinction 18 – [L’origine de la femme] 515

Question 1 – [Le corps de la femme a-t-il été fait à partir d’une côte d’Adam ?] 515

Prologue_ 515

Article 1 – Le corps de la femme devait-il être formé à partir d’une côté de l’homme ?_ 517

Article 2 – Dieu a-t-il implanté dans la matière des raisons séminales de manière appropriée ?_ 522

Article 3 – Les choses accomplies par-delà des raisons séminales sont-elles des miracles ?_ 529

Question 2 – [La formation de la femme du point de vue de son àme] 533

Prologue_ 533

Article 1 – L’âme humaine est-elle transmise par les parents ?_ 533

Article 2 – L’âme raisonnable vient-elle de Dieu par l’intermédiaire des anges ?_ 539

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 18_ 553

Distinction 19 – [Le premier état de la nature] 554

Question 1 – [L’immortalité de l’homme selon son âme] 554

Prologue_ 554

Article 1 – L’âme de l’homme est-elle corrompue lors de la corruption du corps ?_ 556

Article 2 – L’homme dans son premier état devait-il nécessairement mourir ?_ 565

Article 3 – Le corps d’Adam était-il passible ?_ 569

Article 4 – En son premier état, l’homme était-il impassible et immortel ?_ 572

Article 5 – L’immortalité d’Adam était-elle la même que l’immortalité des ressuscités ?_ 577

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 19_ 579

Distinction 20 – [La multiplication des iindividus par la génération] 581

Question 1 – [La génération aurait-elle existé dans le premier état ?] 581

Prologue_ 581

Article 1 – La génération aurait-elle existé dans le premier état ?_ 583

Article 2 – Dans l’état d’innocence, la génération se serait-elle réalisée par l’union sexuelle ?_ 586

Question 2 – [La qualité corporelle des enfants] 590

Prologue_ 590

Article 1 – Dans l’état d’innocence, les hommes auraient-ils eu, aussitôt après leur naissance, toute la perfection corporelle pour ce qui est la force, de la stature et du sexe ?_ 590

Article 2 – Dans l’état d’innocence, les enfants, aussitôt nés, auraient-ils eu une connaissance parfaite ?_ 595

Article 3 – Dans l’état d’innocence, les enfants seraient-ils nés avec la grâce ?_ 599

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 20_ 603

Distinction 21 – [La chute de l’homme par le péché] 604

Question 1 – [À qui revient-il de tenter ?] 604

Prologue_ 604

Article 1 – Dieu tente-t-il quelqu’un ?_ 606

Article 2 – La tentation par le Diable est-elle un péché ?_ 609

Article 3 – Faut-il désirer la tentation ?_ 612

Question 2 – [Le déroulement de la tentation des premiers parents] 615

Prologue_ 615

Article 1 – Le Diable a-t-il tenté Ève par envie et sous la forme d’un serpent ?_ 616

Article 2 – Le péché d’Adam a-t-il été plus grave que tous les autres péchés ?_ 619

Article 3 – Adam pouvait-il pécher véniellement dans l’état de nature ?_ 623

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 21_ 626

Distinction 22 – [Le principe intérieur de la chute] 627

Question 1 – [Quel était le genre du premier péché ?] 627

Prologue_ 627

Article 1 – Le premier péché de l’homme en fut-il un d’orgueil ?_ 629

Article 2 – Le péché de l’homme a-t-il consisté à désirer être comme Dieu ?_ 633

Article 3 – La femme a-t-elle péché plus gravement que l’homme ?_ 637

Question 2 – [L’ignorance est-elle un péché ?] 640

Prologue_ 640

Article 1 – L’ignorance est-elle un péché ?_ 640

Article 2 – L’ignorance excuse-t-elle le péché ?_ 643

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 22_ 647

Distinction 23 – [Comment Dieu a-t-il permis le péché ?] 648

Question 1 – [Dieu aurait-il pu faire en sorte qu’une nature créée ne puisse pas pécher, compte tenu de la condition de sa nature ?] 648

Prologue_ 648

Article 1 – Dieu pouvait-il faire en sorte qu’une créature ne puisse pas pécher, compte tenu de la condition de sa nature ?  650

Article 2 – Dieu devait-il permettre que l’homme soit tenté ou pèche ?_ 653

Question 2 – [La connaissance de l’homme en son premier état] 656

Prologue_ 656

Article 1 – Adam voyait-il Dieu par son essence ?_ 657

Article 2 – Adam a-t-il eu une connaissance parfaite des choses dès sa création ?_ 661

Article 3 – Dans son premier état, l’homme pouvait-il être induit en erreur?_ 666

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 23_ 668

Distinction 24 – [La puissance naturelle de l’homme en son premier état] 669

Question 1 – [Le libre arbitre est-il une puissance ou un habitus ?] 669

Prologue_ 669

Article 1 – Le libre arbitre est-il une puissance ?_ 671

Article 2 – Le libre arbitre désigne-t-il plusieurs puissances ou une seule ?_ 674

Article 3 – Le libre arbitre est-il une puissance distincte de la volonté et de la raison ?_ 678

Article 4 – En son premier état, Adam pouvait-il éviter le péché par son libre arbitre ?_ 683

Question 2 – [Les puissances associées au libre arbitre] 686

Prologue_ 686

Article 1 – Le signalement de la sensualité donné dans le texte est-il approprié ?_ 686

Article 2 – La raison supérieure et la raison inférieure sont-elles une seule puissance ?_ 690

Article 3 –La syndérèse est-elle un habitus ou une puissance ?_ 697

Article 4 – La conscience est-elle un acte ?_ 700

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 24, Question 2_ 705

Question 3 – [Le péché dans les puissances de l’âme] 705

Prologue_ 705

Article 1 – Le mouvement de la sensualité, de la raison supérieure et de la [raison] inférieure est-il suffisamment assigné dans le texte ?_ 706

Article 2 – Le péché existe-t-il dans la sensualité ?_ 711

Article 3 – Peut-il y avoir péché dans la raison ?_ 715

Article 4 – Peut-il exister un péché mortel dans la délectation de la raison inférieure ?_ 719

Article 5 – Le péché véniel peut-il exister dans la raison supérieure ?_ 723

Article 6 – Une péché véniel peut-il devenir mortel ?_ 727

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 24, Question 3_ 732

Distinction 25 – [Les conditions du libre arbitre] 733

Question 1 – [Chez qui trouve-t-on le libre arbitre] 733

Prologue_ 733

Article 1 – Le libre arbitre existe-t-il en Dieu ?_ 736

Article 2 – Le libre arbitre peut-il être contraint ?_ 741

Article 3 – Le libre arbitre porte-t-il sur tous les actes humains ?_ 746

Article 4 – La liberté de l’arbitre est-elle augmentée ou diminuée ?_ 748

Article 5 – Existe-t-il une triple distinction dans le libre arbitre ?_ 751

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 25_ 755

Distinction 26 – [La grâce met-elle quelque chose de créé dans l’âme ?] 756

Prologue_ 756

Article 1 – La grâce met-elle quelque chose de créé dans l’âme ?_ 758

Article 2 – La grâce est-elle un accident ?_ 762

Article 3 – La grâce réside-t-elle dans une puissance ou dans l’âme comme dans son sujet ?_ 766

Article 4 – La grâce est-elle une vertu ?_ 770

Article 5 – La grâce est-elle divisée de manière appropriée entre grâce opérante et [grâce] coopérante ?_ 774

Article 6 – La grâce est-elle multiple dans l’âme ?_ 778

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 26_ 783

Distinction 27 – [La grâce et la vertu sont-elles des actes ou des qualités de l’esprit ?] 784

Prologue_ 784

Article 1 – La vertu est-elle un habitus ?_ 787

Article 2 – La définition de la vertu donnée par Augustin est-elle appropriée ?_ 791

Article 3 – Quelqu’un peut-il mériter en justice la vie éternelle par des actes vertueux ?_ 795

Article 4 – Peut-on mériter la grâce ?_ 799

Article 5 – Peut-on mériter une augmentation de la grâce ?_ 802

Article 6 – Peut-on mériter la première grâce pour un autre ?_ 806

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 27_ 810

Distinction 28 – [Les erreurs à propos de la grâce] 811

Prologue_ 811

Article 1 – L’homme peut-il faire quelque bien sans la grâce ?_ 813

Article 2 – L’homme peut-il éviter le péché sans la grâce ?_ 817

Article 3 – L’homme peut-il accomplir les commandements de Dieu sans la grâce ?_ 822

Article 4 – L’homme peut-il se préparer à la grâce sans quelque grâce ?_ 825

Article 5 – L’homme peut-il connaître quelque vérité sans la grâce ?_ 829

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 28_ 833

Distinction 29 – [La grâce dans l’état d’innocence] 834

Prologue_ 834

Article 1 – La nature avait-elle besoin de la grâce dans l’état d’innocence ?_ 836

Article 2 – L’homme a-t-il eu la grâce avant le péché ?_ 840

Article 3 – En son premier état, l’homme aurait-il eu autant de grâce qu’il en eut après le péché ?_ 843

Article 4 – Les actions de l’homme sont-elles plus efficaces pour mériter la grâce après le péché qu’avant le péché ?  848

Article 5 – L’expulsion du Paradis et la privation de la justice originelle sont-elles une peine appropriée pour la première transgression ?_ 853

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 29_ 856

Distinction 30 – [Les conséquences du péché des premiers parents] 857

Question 1 – [Les carences que nous ressentons, la nécessité de mourir et les choses de ce genre, découlent-elles du péché des premiers parents comme une peine découle d’une faute ?] 857

Prologue_ 857

Article 1 – Les carences que nous ressentons nous viennent-elles en tant que peine pour une faute du premier homme ?  860

Article 2 – Une carence qui nous vient par origine a-t-elle raison de faute ?_ 866

Article 3 – Le péché originel est-il la concupiscence ?_ 870

Question 2 – [L’aliment est-il véritablement converti en la nature humaine ?] 874

Prologue_ 875

Article 1 – L’aliment est-il changé en véritable nature humaine ?_ 875

Article 2 – La semence est-elle séparée du fait qu’elle est engendrée à partir de la nourriture ?_ 890

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 30_ 902

Distinction 31 – [Les conditions du péché originel] 904

Question 1 – [Le péché originel est-il transmis par transmission de la chair ?] 904

Prologue_ 904

Article 1 – Le péché originel peut-il passer aux descendants par l’origine de la chair ?_ 906

Article 2 – Est-il nécesssaire que tous les hommes naissent avec le péché originel ?_ 911

Question 2 – [Le sujet du péché originel] 917

Prologue_ 917

Article 1 – Le péché originel se trouve-t-il dans une puissance comme dans son sujet ?_ 917

Article 2 – La puissance génératrice a-t-elle été infectée davantage que les autres puissances ?_ 921

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 31_ 923

Distinction 32 – [La remise du péché originel par le baptême] 924

Question 1 – [La faute originelle est-elle remise par le baptême ?] 924

Article 1 – Le péché originel est-il remis par le baptême ?_ 926

Article 2 – La peine du péché originel doit-elle demeurer après le baptême ?_ 932

Article 3 – Le désir désordonné désordonné (fomes) est-elle plus grand chez l’un que chez l’autre ?_ 935

Question 2 – [La cause de l’infection originelle] 939

Prologue_ 939

Article 1 – L’infection originelle vient-elle de Dieu ?_ 939

Article 2 – Convient-il à la sagesse divine d’infuser l’âme dans un corps dont elle contracte la souillure ?_ 942

Article 3 – Les âmes sont-elles égales lors de leur création ?_ 946

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 32_ 950

Distinction 33 – [La transmission du péché depuis les premiers parents] 951

Question 1 – [Les péchés des parents rapprochés passent-ils aux enfants pour ce qui est de l’infection de la souillure originelle ?] 952

Prologue_ 952

Article 1 – Contracte-t-on la souillure des parents rapprochés ?_ 955

Article 2 – La faute des parents rapprochés rejaillit-elle sur les enfants pour ce qui est de la peine ?_ 959

Article 3 – Le péché originel est-il unique ?_ 962

Question 2 – [Une peine sensible est-elle due après la mort chez ceux qui meurent avec le péché originel seulement ?] 966

Prologue_ 966

Article 2 – Les enfants non baptisés éprouvent-ils une affliction spirituelle dans leur âme ?_ 970

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 33_ 974

Distinction 34 – [La transmission du péché actuel des parents à leurs descendants par imitation] 977

Question 1 – [Le mal existe-t-il ?] 977

Prologue_ 977

Article 1 – Le mal existe-t-il ?_ 978

Article 2 – Le mal est-il quelque chose qui existe de manière positive ?_ 982

Article 3 – Le bien est-il la cause du mal ?_ 988

Article 4 – Le mal a-t-il le bien comme sujet ?_ 994

Article 5 – Le mal peut-il corrompre le bien tout entier ?_ 998

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 34_ 1002

Distinction 35 – [La substance de l’acte de péché] 1003

Prologue_ 1003

Article 1 – Le mal est-il divisé de manière suffisante en mal de faute et mal de peine ?_ 1006

Article 2 – Les définitions du péché proposées ici sont-elles adéquates?_ 1011

Article 3 – Tous les péchés comportent-ils un acte ?_ 1014

Article 4 – Le péché consiste-t-il dans un acte extérieur ?_ 1019

Article 5 – Les puissances de l’âme sont-elles en quelque sorte corrompues par le péché ?_ 1023

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 35_ 1027

Distinction 36 – [Un péché peut-il être la cause d’un autre péché ?] 1030

Prologue_ 1030

Article 1 – Un péché peut-il être la cause d’un autre péché ?_ 1031

Article 2 – Une passion peut-elle être un péché ?_ 1035

Article 3 – Un péché peut-il être la peine d’un autre péché ?_ 1038

Article 4 – Toute peine est-elle infligée pour un péché ?_ 1043

Article 5 – La distinction entre les biens est-elle appropriée ?_ 1047

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 36_ 1050

Distinction 37 – [Les actes viennent-ils de Dieu de quelque manière ?] 1051

Question 1 – [Le péché est-il une substance, une nature ou une chose ?] 1051

Prologue_ 1051

Article 1 – Le péché est-il une substance ou une nature ?_ 1052

Article 2 – Tout être vient-il de Dieu ?_ 1057

Question 2 – [La cause du péché] 1061

Prologue_ 1061

Article 1 – Dieu est-il simplement la cause du péché ?_ 1061

Question 3 – [La cause de la peine] 1069

Prologue_ 1069

Article 1 – La peine vient-elle de Dieu ?_ 1069

Article 2 – Parle-t-on de mal pour la peine plutôt que pour la faute ?_ 1073

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 37_ 1077

Distinction 38 – [Les actes en particulier] 1078

Question 1 – [Existe-t-il une seule fin de toutes les volontés droites ?] 1078

Prologue_ 1078

Article 1 – Existe-t-il une seule fin de toutes les volontés droites ?_ 1079

Article 2 – La charité est-elle la fin commune et unique des volontés droites ?_ 1083

Article 3 – L’intention est-elle un acate de la volonté ?_ 1088

Article 4 – La volonté veut-elle dans un seul et même acte la fin et ce qui se rapporte à la fin ?_ 1092

Article 5 – Faut-il juger que la volonté est droite en fonction de la fin ?_ 1095

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 38_ 1098

Distinction 39 – [La volonté, lieu du péché] 1099

Question 1 – [Le dérèglement du péché peut-il exister dans la volonté ?] 1099

Prologue_ 1099

Article 1 – La volonté peut-elle être déréglée par le péché ?_ 1100

Article 2 – Le péché peut-il exister dans l’acte de l’intelligence et celui des autres puissances à partir de la volonté ?  1104

Question 2 – [La volonté naturelle du bien par l’homme] 1108

Prologue_ 1109

Article 1 – L’homme veut-il le bien naturellement ?_ 1109

Article 2 – La volonté par laquelle l’homme veut naturellement le bien et par laquelle il veut le mal est-elle la même ?  1111

Question 3 – [L’étincelle supérieure de la raison] 1114

Prologue_ 1114

Article 1 – L’étincelle supérieure de la raison peut-elle être éteinte ?_ 1115

Article 2 – La conscience se trompe-t-elle parfois ?_ 1119

Article 3 – La conscience erronée oblige-t-elle ?_ 1123

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 39_ 1128

Distinction 40 – [Le péché dans les actes extérieurs] 1129

Question 1 – [Le bien et le mal sont-ils des différences spécifiques de l’action ?] 1129

Prologue_ 1129

Article 1 – Le bien et le mal sont-ils des différences spécifiques de l’action ?_ 1131

Article 2 – L’action doit-elle simplement être être jugée bonne ou mauvaise à partir de la volonté ?_ 1134

Article 3 – L’acte extérieur ajoute-t-il quelque chose à la bonté ou à la malice de la volonté ?_ 1138

Article 4 – Une même action peut-elle être bonne et mauvaise ?_ 1142

Article 5 –Une action humaine peut-elle être indifférente ?_ 1146

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 40_ 1156

Distinction 41 – [Le rôle de l’intention dans l’acte du péché] 1157

Question 1 – [La foi dirige-t-elle l’intention ?] 1157

Prologue_ 1157

Article 1 – La foi dirige-t-elle l’intention de manière universelle ?_ 1158

Article 2 – Un acte d’un infidèle peut-il être bon ?_ 1162

Question 2 – [Le rapport entre le péché et la volonté] 1165

Article 1 – Tout péché est-il volontaire ?_ 1165

Article 2 – Tout péché réside-t-il dans la volonté ?_ 1168

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 41_ 1170

Distinction 42 – [Les parties du péché] 1172

Question 1 – [La volonté est l’acte extérieur sont-ils une seule chose ?] 1172

Prologue_ 1172

Article 1 – La volonté de pécher et l’acte sont-ils deux péchés ?_ 1173

Article 2 – La cullpabilité du péché demeure-t-elle après le péché ?_ 1178

Article 3 – Le péché est-il convenablement divisé en mortel et véniel ?_ 1181

Article 4 – Le péché véniel se distingue-t-il du péché mortel ?_ 1185

Article 5 – Le péché mortel et le péché véniel diffèrent-ils par la peine éternelle et la peine temporelle ?_ 1189

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 42, 1_ 1194

Question 2 – [Les distinctions entre les péchés] 1195

Prologue_ 1195

Article 1 – Les péchés se distinguent-ils par leurs racines ?_ 1196

Article 2 – Le péché est-il divisé de manière appropriée en péché en pensée, en parole et en acte ?_ 1200

Article 3 – La division ddes vices capitaux est-elles appropriée ?_ 1206

Article 4 – Les espèces de l’orgueil sont-elles indiquées de manière appropriée ?_ 1213

Article 5 – Tous les péchés sont-ils égaux ?_ 1216

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 42, 2_ 1222

Distinction 43 – [Le péché contre l’Esprit saint] 1223

Question unique – [Le péché contre l’Esprit saint existe-t-il et quelle est sa nature ?] 1223

Prologue_ 1223

Article 1 – Existe-t-il un péché contre l’Esprit saint ?_ 1224

Article 2 – Le péché contre l’Esprit saint est-il un genre déterminé de péché ?_ 1227

Article 3 – Les espèces du péché contre l’Esprit saint sont-elles attribuées de manière appropriée dans le texte ?  1232

Article 4 – Le péché contre l’Esprit saint est-il irrémissible ?_ 1237

Article 5 – Peut-on pécher contre l’Esprit saint dès le premier acte de péché ?_ 1242

Article 6 – Adam a-t-il péché contre l’Esprit saint ?_ 1245

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 43_ 1248

Distinction 44 – [La capacité de pécher ] 1250

Prologue_ 1250

Article 1 – La capacité de pécher vient-elle de Dieu ?_ 1251

Article 2 – Tout pouvoir vient-il de Dieu ?_ 1255

Article 3 – Le pouvoir existait-il dans l’état d’innocence ?_ 1257

Question 1 – [L’obéissance aux supérieurs] 1261

Article 2 – Les chrétiens sont-ils tenus d’obéir aux pouvoirs séculiers, et surtout aux tyrans ?_ 1266

Article 3 – Les religieux qui ont fait profession sont-ils tenus d’obéir en tout à leurs supérieurs ?_ 1270

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 44_ 1274

 

 

 

 

 

Distinctio 1

Distinction 1 – [La création]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Existe-t-il un seul prncipe ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[3416] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 pr. Dividitur ergo liber iste in partes duas: in prima determinat de creaturis in communi: in secunda determinat de eis in speciali, quantum ad considerationem theologi pertinet. Secunda, dist. 2, ibi: de angelica itaque natura haec primo consideranda sunt. Prima in duas: in prima determinat de creaturis secundum exitum earum a principio; in secunda determinat de eis secundum ordinem earum in ultimum finem, ibi: credamus ergo rerum creatarum (...) causam non esse nisi bonitatem creatoris. Prima dividitur in tres: in prima inducit auctoritatem, quae, ostensa veritate omnium, errorem excludit; secundo prosequitur errores, qui per auctoritates confirmantur, ibi: Plato namque tria initia existimavit; tertio concludit veritatem, ibi: horum ergo et similium errorem spiritus sanctus evacuans, veritatisque disciplinam tradens, Deum in principio temporum mundum creasse, et ante tempora aeternaliter extitisse significat. Circa primum duo facit: primo tangit errorem Platonis; secundo errorem Aristotelis, ibi: Aristoteles vero duo principia dixit. Circa primum facit duo: primo ostendit quomodo per auctoritatem Scripturae refellitur error Platonis, tum propter multitudinem principiorum, tum propter negationem creationis; secundo removet quamdam dubitationem ex dictis, ibi: verumtamen sciendum est, haec verba, scilicet creare, facere, agere, et alia hujusmodi, de Deo non posse dici secundum eam rationem qua dicuntur de creaturis. Ad evidentiam hujus partis quaeruntur hic sex: 1 utrum sit tantum unum primum principium; 2 utrum ab illo principio res per creationem effluxerunt; 3 utrum tantum ab ipso res per creationem prodierunt, an etiam ab aliquibus principiis secundis; 4 si non per creationem, utrum alio quolibet modo unum possit esse causa alterius; 5 utrum res ab aeterno creatae fuerunt; 6 supposito quod non, quomodo dicitur Deus in principio caelum et terram creasse.

Ce livre se divise donc en deux parties. Dans la première, [le Maître] détermine des créatures d’une manière générale ; dans la seconde, d’une manière particulière, pour autant que cela relève de la considération du théologien. La seconde partie [se trouve] à la d. 2, à cet endroit : « À propos de la nature angélique, il faut d’abord considérer ceci. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine des créatures selon qu’elles sont issues de leur principe ; dans la seconde, il en détermine selon leur ordre par rapport à la fin ultime, à cet endroit : « Croyons donc que la cause des réalités créées n’est autre que la bonté du Créateur. » La première se divise en trois parties. Premièrement, il invoque une autorité, qui écarte l’erreur en montrant la vérité de tout. Deuxièmement, il pourchasse les erreurs qui sont confirmées par des autorités, à cet endroit : « Car Platon posait l’existence de trois commencements. » Troisièmement, il conclut par la vérité, à cet endroit : « En éliminant ces erreurs et d’autres semblables et en enseignant la vérité, l’Esprit Saint fait comprendre que Dieu a créé le monde au commencement du temps et que lui-même existait éternellement avant le temps. » À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il montre comment l’erreur de Platon est repoussée par l’autorité de l’Écriture, tant pour ce qui est de la multitude des principes que pour la négation de la création. Deuxièmement, il écarte un doute soulevé par ce qui a été dit, à cet endroit : « Il faut donc savoir que ces mots « créer », « faire », « agir » et ceux de ce genre ne peuvent être dits de Dieu dans le même sens où ils sont dits des créatures. » Pour éclairer cette partie, six questions sont posées : 1. Existe-t-il un seul principe ? 2. Les choses sont-elles issues de ce principe par création ? 3. Les choses sont-elles issues seulement de ce principe par création, ou aussi de principes seconds ? 4. Si ce n’est pas par création, une chose peut-elle être principe d’une autre manière ? 5. Les choses ont-elles été créées de toute éternité ? 6. À supposer que ce ne soit pas le cas, comment dit-on que Dieu a créé le ciel et la terre au commencement ?

 

 

 

 

Articulus 1 [3417] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 tit. Utrum sint plura prima principia

Article 1 – Existe-t-il plusieurs premiers principes ?

 

[3418] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod sint plura prima principia. Quia, secundum philosophum, si unum contrariorum fuerit in natura, et reliquum. Sed summum malum est contrarium summo bono, sicut et malum bono. Ergo cum sit quoddam summum bonum, quod est principium primum omnium bonorum, videtur quod sit et unum summum malum, quod est principium primum omnium malorum: et sic erunt duo prima principia.

1. Il semble qu’il n’existe pas plusieurs premiers principes, car, selon le Philosophe, si l’un des contraires existait dans la nature, l’autre aussi [existerait]. Or, le mal suprême est le contraire du bien suprême, comme le mal l’est du bien. Puisqu’il existe un bien suprême, qui est le principe premier de tous les biens, il semble donc qu’il existe un mal suprême, qui est le principe premier de tous les maux. Il y aura donc ainsi deux premiers principes.

 

[3419] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne quod fit, vel ipsum est primum principium, vel est ab aliquo principio, sicut in 2 Physic. dicitur. Sed aliquod malum fit in mundo. Si ergo ipsum non sit primum principium (quia hoc dato, haberetur propositum), oportet quod sit ab aliquo principio. Sed non a bono, quia bonum est destructivum mali, et non causa ejus, sicut nec calidum frigidi; et eadem ratione illius mali, si non sit primum principium, erit alterum malum principium primum; non est enim in principiis vel causis procedere in infinitum, ut probatur 2 Metaph. Ergo videtur quod oportet devenire ad primum malum, quod sit principium omnis mali; et sic habetur propositum.

2. Tout ce qui existe est le premier principe, ou vient d’un principe, comme on le dit dans Physique, II. Or, il existe du mal dans le monde. Si donc il n’est pas le premier principe (car si c’était le cas, ce qui a été dit plus haut serait vrai), il est nécessaire qu’il vienne d’un principe. Or, il ne vient pas d’un bon [principe], car le bien détruit le mal et n’est pas sa cause, pas plus que ce qui est chaud n’est le principe de ce qui est froid. Pour la même raison, s’il n’est pas le premier principe, un autre mal sera le premier principe : en effet, on ne peut pas remonter à l’infini pour les principes ou pour les causes, comme le démontre Métaphysique, II. Il semble donc qu’on doive parvenir à un premier mal, qui est le principe de tout mal. Ainsi, ce qui est affirmé est vrai.

 

[3420] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod malum non habet principium, sed accidit praeter intentionem alicujus principii agentis. Contra, omne quod accidit praeter intentionem agentis, est casuale, et in paucioribus. Sed malum invenitur ut in pluribus, ut in 2 Topic. dicitur. Ergo videtur quod malum sit intentum, et habeat per se principium.

3. Le mal n’a pas de principe, mais il survient hors de l’intention d’un principe agent. En sens contraire, tout ce qui survient hors de l’intention d’un agent relève du hasard et survient dans une minorité de cas. Or, le mal se trouve dans un grand nombre de choses, comme on le dit dans Topiques, II. Il semble donc que le mal soit intentionnel et ait un principe par soi.

 

[3421] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, quae sunt ab uno principio, habent conformitatem ad invicem: quia principiatum imitatur principium. Sed in rebus reperitur magna contrarietas et diversitas. Ergo oportet eam in principia contraria reducere.

4. Les choses qui viennent d’un seul principe sont semblables les unes aux autres, car ce qui vient d’un principe imite le principe. Or, parmi les choses, on rencontre beaucoup de contraires et une grande diversité. Il faut donc ramener ceux-ci à des principes contraires.

 

[3422] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, materia et agens nunquam incidunt in idem, ut in 2 Physic. dicitur: nec etiam agens et forma in idem numero. Sed res habent principia et formalia et materialia et activa; et in singulis est devenire ad unum primum, ut in 2 Metaph. probatur. Ergo oportet ponere multa prima principia.

5. La matière et l’agent ne portent pas sur une même chose, comme le dit Physique, II, et l’agent et la forme ne sont pas non plus une même chose numériquement. Or, les choses ont des principes formels, matériels et actifs, et, pour chaque chose, il faut en venir à un seul premier [principe], comme le montre Métaphysique, II. Il est donc nécessaire de reconnaître plusieurs premiers principes.

 

[3423] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, omnem multitudinem praecedit unitas: quia pluralitas ex unitate nascitur. Si ergo ponantur plura principia, oportet eis esse prius unum principium. Sed primo non est aliquid prius. Ergo impossibile est ponere plura prima principia.

Cependant, [1] l’unité précède toute multiplicité, car la pluralité naît de l’unité. Si donc on reconnaît plusieurs principes, il est nécessaire qu’ils aient d’abord un seul principe. Or, il n’y a rien d’antérieur à ce qui est premier. Il est donc impossible de reconnaître plusieurs premiers principes.

 

[3424] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, quaecumque conveniunt in aliquo et in alio differunt, oportet esse composita. Sed si ponantur plura prima principia, oportet ea in aliquo convenire, ex quo habent rationem principii; et cum sint plura, in aliquo differre. Ergo oportet ea esse composita. Sed nullum compositum est primum. Ergo impossibile est esse plura prima principia.

[2] Tout ce qui a quelque chose en commun et diffère pour autre chose doit être composé. Or, si on reconnaît plusieurs premiers principes, il est nécessaire qu’ils aient quelque chose en commun, par quoi ils ont raison de principe ; et puisqu’ils sont plusieurs, ils doivent différer par quelque chose. Il est donc nécessaire qu’ils soient composés. Or, rien de ce qui est composé n’est premier. Il est donc impossible qu’existent plusieurs premiers principes.

 

[3425] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, si essent plura principia prima, aut essent similia, aut contraria. Si similia, aut utrumque per se sufficiens, et sic alterum superflueret; aut utrumque per se insufficiens, sed conjuncta sufficerent ad principiandum res; et sic non essent prima principia: tum quia indigerent conjungente quod esset prius eis: tum quia agerent per aliud additum essentiae, scilicet per conjunctionem ipsam; et nullum tale est principium primum. Si autem sunt contraria, omne autem contrarium destruit et impedit contrarium suum; ergo si sint aequalis potentiae, unum impediet alterum, adeo quod nullus sequetur effectus. Si vero alterum fuerit potentius, omnino destruet alterum. Ergo impossibile est esse plura prima principia.

[3] S’il y avait plusieurs premiers principes, ils seraient semblables ou contraires. S’ils étaient semblables, les deux seraient suffisants par eux-mêmes, et ainsi les autres seraient superflus ; ou bien les deux seraient insuffisants par eux-mêmes, mais suffiraient, s’ils étaient unis, pour être principes des choses. Et ainsi, ils ne seraient pas des premiers principes, tant parce qu’ils auraient besoin de ce qui les unit, qui serait antérieur à eux, que parce qu’ils agiraient par quelque chose d’ajouté à leur essence, à savoir, l’union elle-même, alors qu’aucun premier principe n’est tel. Mais s’ils sont contraires, tout contraire détruit et empêche son contraire. S’ils ont une puissance égale, l’un empêcherait donc l’autre, au point où aucun effet n’en découlerait. Mais si l’un est plus puissant que l’autre, il détruirait l’autre complètement. Il est donc impossible qu’existent plusieurs principes premiers.

 

[3426] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod primum dicitur dupliciter: scilicet primum simpliciter, et primum in genere vel in ordine aliquo. Si secundo modo, sic secundum genera plura causarum sunt plura prima principia, ut materiale primum quod est materia prima, et primum formale, quod est esse, et sic de aliis; et ulterius descendendo ad diversa rerum genera, inveniuntur diversa prima principia in diversis etiam secundum idem genus causae; sicut in liquabilibus prima materia est aqua, et in aridis terra; et in animalibus semen, vel menstruum. Sed primum simpliciter impossibile est esse nisi unum: et hoc tripliciter patet: primo ex ipso ordine universi, cujus partes inveniuntur ad invicem ordinatae esse, quasi partes animalis in toto, quae sibi invicem deserviunt. Talis autem coordinatio plurium non est, nisi unum aliquod intendant. Ergo oportet esse unum summum bonum ultimum, quod ab omnibus est desideratum; et hoc est principium. Aliter apparet ex ipsa rerum natura. Invenitur enim in omnibus rebus natura entitatis, in quibusdam magis nobilis, et in quibusdam minus; ita tamen quod ipsarum rerum naturae non sunt hoc ipsum esse quod habent: alias esse esset de intellectu cujuslibet quidditatis, quod falsum est, cum quidditas cujuslibet rei possit intelligi esse non intelligendo de ea an sit. Ergo oportet quod ab aliquo esse habeant, et oportet devenire ad aliquid cujus natura sit ipsum suum esse; alias in infinitum procederetur; et hoc est quod dat esse omnibus, nec potest esse nisi unum, cum natura entitatis sit unius rationis in omnibus secundum analogiam; unitas enim causati requirit unitatem in causa per se; et haec est via Avicennae. Tertia via est ex immaterialitate ipsius Dei: oportet enim causam moventem caelum esse virtutem non in materia, ut in 8 Physic. probatur. In his autem quae sunt sine materia, non potest esse diversitas, nisi secundum quod natura unius est magis completa et in actu existens quam natura alterius. Ergo oportet quod illud quod venit ad perfectionem complementi et puritatem actus, sit unum tantum, a quo proficiscatur omne illud quod potentiae admixtum est: quia actus praecedit potentiam, et complementum diminutum; ut in 9 Metaph. probatur. Circa hoc tamen tripliciter est erratum. Quidam enim, ut primi naturales, non posuerunt nisi causam materialem: unde qui ex eis plura principia materialia posuit, plura principia simpliciter dixit prima. Quidam vero cum causa materiali posuerunt etiam causam agentem, et dixerunt duo contraria esse prima agentia, scilicet Empedocles, ut amicitiam et litem: et huic consonat opinio Pythagorae, qui divisit omnia entia in duos ordines, et unum ordinem reduxit in bonum, sicut in principium, et alterum in malum: et exinde pullulavit haeresis Manichaeorum, qui ponunt duos deos, unum creatorem bonorum, invisibilium, incorporalium, novi testamenti; alium creatorem visibilium, corporalium, veteris testamenti. Tertius error fuit eorum qui posuerunt agens et materiam, sed agens non esse principium materiae, quamvis sit unum tantum agens: et haec est opinio Anaxagorae et Platonis: nisi quod Plato superaddidit tertium principium, scilicet ideas separatas a rebus, quas exemplaria dicebat; et nullam esse causam alterius; sed per haec tria causari mundum, et res ex quibus mundus constat.

Réponse. On parle de premier de deux manières : premier simplement, et premier dans un genre ou dans un ordre. Si [on parle] de la seconde manière, il existe ainsi plusieurs premiers principes selon plusieurs genres de causes, comme un premier principe matériel, qui est la matière première, et un premier principe formel, qui est l’acte d’être, et ainsi de suite. Plus loin encore, en descendant dans les divers genres des choses, on trouve divers principes premiers dans diverses choses, même à l’intérieur d’un seul genre de cause. Ainsi, dans ce qui peut être liquéfié, la matière première est l’eau et, dans ce qui est sec, la terre ; et chez les animaux, la semence ou les menstrues. Or, il est nécessaire que ce qui est premier simplement ne soit qu’une seule chose, et cela ressort de trois manières. Premièrement, à partir de l’ordre même de l’univers, dont les parties se trouvent ordonnées les unes par rapport aux autres comme les parties d’un animal à l’intérieur d’un tout, qui se rendent service les unes aux autres. Or, une telle coordination de plusieurs choses n’existe pas, à moins qu’elles ne visent une seule chose. Il est donc nécessaire qu’existe un bien suprême, qui est désiré par toutes, et c’est là le principe. Autrement, cela ressort à partir de la nature même des choses. En effet, on trouve en toutes choses la nature de l’être, plus noble chez certaines, moins [noble] chez d’autres, de telle sorte cependant que les natures des choses elles-mêmes ne soient pas l’acte d’être même qu’elles possèdent, autrement l’acte d’être ferait partie de la compréhension de toute quiddité, ce qui est faux, puisque la quiddité de toute chose peut être saisie sans comprendre, en la saisissant, qu’elle possède l’acte d’être. Il est donc nécessaire que [toutes choses] tiennent l’acte d’être de quelque chose d’autre. Il faut donc qu’on parvienne à quelque chose dont la nature est l’être même, autrement on remonterait à l’infini. C’est là ce qui donne l’acte d’être à toutes choses, et cela ne peut être qu’unique, puisque la nature de l’acte d’être est la même en toutes choses par analogie. En effet, l’unité de ce qui est causé exige l’unité d’une cause par soi. C’est là la voie d’Avicenne. La troisieme voie vient de l’immatérialité de Dieu lui-même. En effet, il est nécessaire qu’une cause qui meut le ciel soit une puissance qui n’est pas intrinsèque à la matière, comme le démontre Physique, VIII. Or, dans ce qui est sans matière, il ne peut y avoir de diversité que selon que la nature d’une chose est plus complète et est davantage en acte que la nature d’une autre chose. Il est donc nécessaire que ce qui se présente comme perfection de ce qui complète et pureté de l’acte soit une seule chose, dont vient tout ce qui comporte puissance, car l’acte précède la puissance ainsi qu’un achèvement amoindri, comme le montre Métaphysique, IX. Toutefois, sur cettte question, on s’est trompé de trois manières. En effet, certains, comme les premiers [philosophes] de la nature, n’ont reconnu que la cause matérielle ; aussi celui qui a affirmé dans leur sillage plusieurs principes matériels a affirmé qu’il y existe simplement plusieurs premiers principes. Mais certains, tel Empédocle, ont reconnu, avec la cause matérielle, une cause efficiente, et ils ont affirmé que deux choses contraires sont les premiers principes efficients, comme l’amitié et le conflit. L’opinion de Pythagore est d’accord avec cela. Il divise tous les êtres en deux ordres : il a ramené un ordre au bien comme à son principe, et l’autre, au mal. À partir de là, s’est répandue l’erreur des manichéens, qui reconnaissent deux dieux : l’un, créateur des choses bonnes, invisibles et incorporelles, ainsi que du Nouveau Testament ; l’autre, créateur des choses visibles, corporelles, ainsi que de l’Ancien Testament. La troisième erreur est celle de ceux qui ont reconnu une cause efficiente et une matière, mais disent que la cause efficiente n’est pas le principe de la matière, bien qu’il n’existe qu’une seule cause efficiente. Telle est l’opinion d’Anaxagore et de Platon, sauf que Platon ajoute un troisième principe, les idées séparées des choses, qu’il appelait modèles (exemplaria), et qu’aucune n’est cause de l’autre, mais que le monde est causé par ces trois choses, ainsi que les choses dont le monde est constitué.

 

[3427] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod summum malum non contrariatur summo bono secundum rem, sed solum secundum vocem, propter duo. Primo, quia summum malum esse non potest: nihil enim est adeo malum in quo non sit aliquid boni, ad minus esse; et ideo dicit philosophus, quod si esset adeo perfectum malum quod proveniret ex corruptione omnium circumstantiarum, nec seipsum sustinere posset. Secundo, quia illi bono quod nullo modo potest auferri vel minui, nihil opponitur privative vel contrarie: unde nec ipsum particulare malum opponitur summo bono directe, sed particulari bono, quod per ipsum privatur. Et dico aliquid directe opponi alteri, quando opponitur ei secundum quod hujusmodi; sicut nigredo manus opponitur albedini manus directe; sed indirecte opponitur etiam albedini parietis, non in quantum est nigredo vel albedo hujus, sed inquantum est albedo simpliciter: per quem modum cuilibet bono quodlibet malum opponitur, non secundum propriam rationem hujus vel illius, sed secundum communem rationem boni et mali: et sic si malum summo bono opponatur, hoc erit indirecte: quia non opponitur ei inquantum est tale bonum, sed inquantum bonum.

1. Le mal suprême n’est pas en réalité contraire au bien suprême, mais en paroles seulement, pour deux raisons. Premièrement, parce que le mal suprême ne peut exister. En effet, rien n’est mauvais au point qu’il n’y existe quelque chose de bon, tout au moins le fait d’exister. C’est pourquoi le Philosophe dit que, si le mal était à ce point complet qu’il provenait de la corruption de toutes les circonstances, il ne pourrait se maintenir. Deuxièmement, parce que rien ne s’oppose par mode de privation ou de contraire au bien qui ne peut être d’aucune manière enlevé ou diminué. Même le mal particulier ne s’oppose donc pas directement au bien suprême, mais à un bien particulier, qui en est privé. Et je dis qu’une chose est directement opposée à une autre chose lorsqu’elle s’y oppose selon quelque chose du même genre, comme le noir de la main s’oppose directement au blanc de la main ; mais cela s’oppose aussi indirectement au blanc du mur, non pas en tant que c’est le blanc ou le noir de cela, mais en tant qu’existe simplement la blancheur. De cette manière, n’importe quel mal s’oppose à n’importe quel bien, non pas selon la raison propre de ceci ou de cela, mais selon leur raison commune de bien et de mal. Le mal s’oppose ainsi au bien suprême de manière indirecte, car il ne s’y oppose pas en tant qu’il est tel bien, mais en tant qu’il est bon.

 

[3428] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod malum non habet causam nisi per accidens dupliciter. Primo modo scilicet, secundum quod agens per accidens dicitur respectu ejus quod accidit praeter intentionem agentis, quia omne agens agit propter finem, et intendit bonum quod est finis, et nulla privatio est intenta, sed sequitur ex forma inducta cui adjungitur: ignis enim non intendit a materia privare formam aeris, sed inducere formam propriam; sed inducendo formam propriam, privat formam aeris; similiter peccator intendit dulcedinem, quae est bonum alicujus partis ejus, scilicet concupiscibilis, et non intendit privationem gratiae. Secundo, sicut dicitur agens per accidens, removens prohibens: prohibens enim privationem est forma vel res aliqua. Unde qui removet illam rem, dicitur causare privationem; sicut qui extinguit candelam vel exportat ex domo, dicitur causare tenebras. Quod ergo dicitur, quod omne quod est, vel est principium vel a principio, intelligendum est de illis quae sunt aliquid in re; sed malum est privatio quaedam, et non nominat naturam aliquam positive.

2. Le mal a une cause par accident de deux manières seulement. De la première manière, selon qu’on parle d’agent pour ce qui survient hors de l’intention de l’agent, car tout agent agit pour une fin et tend vers le bien qui est sa fin, et il n’a en vue aucune privation, mais celle-ci découle de la forme introduite, à laquelle elle est ajoutée. En effet, le feu ne tend pas à priver de matière la forme de l’air, mais à introduire sa propre forme ; mais, en introduisant sa propre forme, il prive la forme de l’air. De même, le pécheur ne tend pas vers la douceur, qui est le bien d’une de ses parties, le concupiscible, et il ne vise pas la privation de la grâce. De la deuxième manière, comme on dit d’un agent par accident qu’il enlève un empêchement : en effet, ce qui empêche la privation est une forme et ou une chose. On dit donc que celui qui enlève cette chose cause une privation : ainsi, on dit que celui qui éteint une chandelle ou l’emporte hors de la maison cause les ténèbres. Donc, lorsqu’on dit que tout ce qui est est un principe ou vient d’un principe, il faut l’entendre de ce qui est en réalité quelque chose. Mais le mal est une privation, et il ne désigne pas une nature de manière positive.

 

[3429] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si loquamur de malo naturae, malum potest considerari vel respectu totius naturae, vel respectu alicujus particularis agentis in natura. Si respectu totius naturae, sic constat quod malum est valde in paucioribus, quia non potest esse nisi in generabilibus et corruptibilibus, quorum congregatio est parvae quantitatis respectu totius caeli, in quo nullum malum accidit. Si autem consideretur respectu alicujus particularis agentis in natura, constat quod actio ejus semper est secundum debitum naturae suae, nisi aliquando impediatur, et hoc est raro; et ex tali impedimento accidit malum in natura ejus, sicut apparet in partubus monstruosis. Si autem loquamur de malo culpae, quod invenitur in eo quod non determinatur ad unam actionem, sicut omnia quae agunt ex libertate voluntatis; aut hoc est plurium naturarum, aut unius tantum. Si est unius naturae, sicut in Angelis, sic constat quod in pluribus est consecuta operatio recta secundum convenientiam naturae ipsorum, et peccatum ipsorum fuit ut in paucioribus. Si autem est plurium naturarum, sicut est homo, qui est compositus ex natura intellectuali et sensitiva, potest considerari dupliciter. Vel secundum totam naturam speciei; et sic oportet quod in pluribus actio ejus procedat secundum illam naturam cujus actio est multiplicior, et circa bona magis manifesta nobis; et quia naturae sensitivae actio est circa delectabilia sensus, quae magis multiplicantur quam delectabile rationis, quod est etiam magis occultum nobis, qui cognitionem a sensu accipimus; ideo plures sequuntur operationes illas; et ex hoc contingit malum ipsi homini, non inquantum est homo; quia non est homo secundum quod habet sensum, sed secundum quod habet rationem. Vel potest considerari aliquod individuum illius speciei; et sic contingit quod aliquis per voluntatem determinatur ad sequendum operationes ipsius rationis per habitum virtutis; et tunc ut in pluribus bene operatur, et deficit ut in paucioribus: sed quando adhaeret alteri naturae, efficitur quasi alius, ut dicitur in 9 Ethic.: unde tunc est judicium de ipso sicut de aliis animalibus, in quibus est natura sensitiva tantum: quia in pluribus operabitur bonum sibi quantum ad id quod factus est, ut leo per crudelitatem, vel canis per iram, sus per luxuriam, et sic de aliis, ut dicit Boetius. Unde constat quod malum est in paucioribus, sive comparetur ad principium totius naturae, sive ad aliquod agens particulare.

3. Si nous parlons du mal naturel, le mal peut être considéré par rapport à la nature tout entière ou par rapport à un agent particulier à l’intérieur de la nature. Par rapport à la nature tout entière, il apparaît que le mal existe chez un très petit nombre, car il ne peut exister que dans ce qui est sujet à la génération et à la corruption, dont le regroupement représente une petite quantité par rapport à l’ensemble du ciel, dans lequel aucun mal ne se produit. Mais si on le considère par rapport à un agent particulier à l’intérieur de la nature, il apparaît que son action est toujours conforme aux exigences de sa nature, à moins qu’elle ne soit parfois empêchée, et cela se produit rarement. Un mal survient dans sa nature en raison d’un tel empêchement, comme cela apparaît dans les gestations monstrueuses. Mais si nous parlons du mal de faute, qui se rencontre chez celui qui n’est pas déterminé à une seule action, comme tout ce qui agit selon la liberté de la volonté, cela est le fait de plusieurs natures ou bien d’une seule uniquement. Si c’est le fait d’une seule nature, comme chez les anges, il apparaît ainsi qu’une opération droite a été accomplie par la plupart, conformément à leur nature, et que leur péché n’a existé que chez une minorité. Mais si c’est le fait d’un grand nombre de natures, comme c’est le cas pour l’homme, qui est composé de nature intellectuelle et [de nature] sensible, cela peut être envisagé de deux manières. Selon la nature entière de l’espèce : il est ainsi nécessaire que, dans la plupart des cas, son action vienne de la nature dont l’action est plus fréquente et à propos de biens qui nous sont plus manifestes. Et parce que l’action de la nature sensible porte sur les plaisirs des sens, qui sont plus fréquents que ce qui est délectable pour la raison, qui est aussi plus caché à nous qui recevons la connaissance à partir du sens, un grand nombre suivra ces actions. De là vient le mal pour l’homme lui-même, non pas en tant qu’il est homme, mais en tant qu’il possède la raison. Ou bien on peut envisager un individu de cette espèce. Il arrive ainsi que quelqu’un est déterminé par sa volonté à accomplir des opérations de la raison elle-même par l’habitus de la vertu. Alors, il agit bien dans la plupart des cas et est défaillant dans un petit nombre de cas. Mais lorsqu’il adhère à une autre nature, il devient pour ainsi dire autre, comme on le dit dans Éthique, IX. On juge alors de lui comme des autres animaux, chez lesquels existe seulement la nature sensible, car, dans la plupart des cas, elle accomplira ce qui est bon pour elle selon ce qu’elle a été faite, comme le lion [agira] par cruauté, le chien par colère, le porc par luxure, et ainsi de suite pour les autres, comme le dit Boèce. Il apparaît donc que le mal existe dans un petit nombre de cas, qu’on le compare au principe de la nature tout entière, ou à un agent particulier.

 

[3430] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod res habent contrarietatem ad invicem quantum ad proximos effectus, sed tamen concordant etiam contraria in ultimo fine ad quem ordinantur secundum harmoniam quam constituunt, sicut patet etiam in mixto quod componitur etiam ex contrariis; et ex hoc sequitur quod agentia proxima sunt contraria, licet agens primum sit unum: quia judicium de agente et fine est idem, cum hae duae causae in idem incidant.

4. Les choses sont contraires les unes aux autres pour ce qui est des effets rapprochés ; cependant, même les contraires se rejoignent dans la fin ultime à laquelle ils sont ordonnés selon l’harmonie qu’ils constituent, comme cela ressort encore dans le [corps] mixte, qui est aussi composé de contraires. Il découle de cela que les agents rapprochés sont contraires, bien que l’agent premier soit unique, car le jugement sur l’agent et sur la fin est le même, puisque ces deux causes agissent en vue de la même chose.

 

[3431] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis Deus nullo modo sit materia, nihilominus tamen ipsum esse, quod materia habet imperfectum, prout dicitur ens in potentia, habet a Deo, et reducitur in ipsum sicut in principium. Similiter et forma, quae pars est rei, est similitudo agentis primi fluens ab ipso. Unde omnes formae reducuntur in primum agens sicut in principium exemplare. Et sic patet quod est unum primum principium simpliciter, quod est primum agens, et exemplar, et finis ultimus.

5. Bien que Dieu ne soit d’aucune façon matière, cependant l’être même que la matière possède imparfaitement, pour autant qu’elle est appelée un être en puissance, lui vient de Dieu et se ramène à lui comme à son principe. De même la forme, qui est partie d’une chose, est-elle une similitude du premier agent et découle-t-elle de lui. Toutes les formes se ramènent donc au premier agent comme leur principe exemplaire. Ainsi ressort l’unique principe premier à parler simplement, qui est le premier agent, le modèle et la fin ultime.

 

 

 

 

Articulus 2 : [3432] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 tit. Utrum aliquid possit exire ab eo per creationem

Article 2 – Une chose peut-elle émaner de lui par création ?

 

[3433] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod per creationem nihil a Deo possit exire in esse. Omne enim quod fit possibile erat prius fieri: quia si non possibile erat fieri, et necesse non fieri ab aequipollenti, et ita factum non esset. Sed quidquid est possibile fieri vel moveri, est possibile per potentiam passivam; quae, cum non sit ens per se existens, oportet quod sit in aliquo ente, quod est in potentia ad aliquid. Sed nihil est ens in potentia ad aliquid, quin etiam ad aliquid sit in actu. Ergo omne quod fit, fit ex aliquo ente in actu praeexistente. Sed nullum tale creatur: quia creare est ex nihilo aliquid facere, ut in littera dicitur. Ergo nihil a Deo potest creari.

1. Il semble que rien ne puisse émaner de lui en vue d’être. En effet, tout ce qui peut être fait pouvait auparavant être fait, car si cela ne pouvait être fait, cela ne peut être fait par un égal, et ainsi ce qui a été fait n’aurait jamais été fait. Or, tout ce qui peut être fait et être mû est possible en vertu de sa puissance passive, qui, n’étant pas un être existant par soi, doit nécessairement faire partie d’un être qui est en puissance à quelque chose. Or, rien n’est un être en puissance à quelque chose, qui ne soit aussi en acte à quelque chose. Tout ce qui est fait vient donc d’un être préexistant en acte. Or, rien de tel n’est créé, car créer consiste à faire quelque chose à partir de rien, comme il est dit dans le texte. Rien ne peut donc être créé par Dieu.

 

[3434] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in omni mutatione est aliquid ex quo est mutatio per se: quia omnis mutatio est inter duos terminos. Sed illud ex quo per se fit aliquid, oportet remanere in eo quod fit vel secundum totum, si fit ex eo sicut ex materia, ut cultellus ex ferro; vel secundum aliquid ejus, scilicet secundum materiam, ut si dicatur totum fieri ex toto, ut caro fit ex cibo: ex albedine enim non dicitur fieri nigredo nisi per accidens, idest post albedinem, sicut etiam ex nocte dicitur fieri dies. Si ergo dicatur ens fieri ex non ente, oportet quod non ens, vel aliqua pars ejus, cum tamen partem non habeat, maneat in ente, et quod sit simul ens et non ens, quod est impossibile. Ergo omne quod fit, fit ex ente aliquo: ergo videtur quod impossibile est aliquid a Deo creari.

2. En tout changement, il y a ce à partir de quoi le changement existe par soi, car tout changement se réalise entre deux termes. Or, ce à partir de quoi quelque chose est fait doit nécessairement demeurer dans ce qui est fait, en totalité, si cela est fait à partir de cela comme d’une matière – ainsi le couteau est fait à partir du fer ‑, ou selon quelque chose de lui, c’est-à-dire selon la matière, comme lorsqu’on dit qu’un tout vient d’un tout – ainsi, la chair vient de la nourriture. En effet, on ne dit pas que la blancheur vient de la couleur noir, si ce n’est par accident, c’est-à-dire après la blancheur ‑ on dit ainsi que le jour vient de la nuit. Si donc on dit qu’un être est fait à partir du néant, il est nécessaire que le non-être, ou une partie de lui, alors qu’il n’a pas de partie, demeure dans ce qui existe, et qu’existe en même temps l’être et le non-être, ce qui est impossible. Tout ce qui est fait est donc fait à partir d’un être. Il semble donc qu’il soit impossible que quelque chose soit créé par Dieu.

 

[3435] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, nullum permanens simul fit et factum est: quia dum fit, non est; et dum factum est, est: non autem simul est et non est. Si ergo aliqua res permanens fiat a Deo, oportet quod fieri sit ante suum esse. Sed factio, cum sit accidens, non potest esse sine subjecto. Ergo oportet quod omne quod fit, fiat ex aliquo in quo sit factio sicut in subjecto. Sed nullum tale creatur. Ergo nihil per creationem fieri potest.

3. Rien de permanent n’est fait en même temps que cela a été fait, car, alors que cela est fait, cela n’est pas, et alors que cela a été fait, cela est, car une chose n’existe pas en même temps qu’elle existe. Si donc une chose permanente est faite par Dieu, il est nécessaire que le devenir [de cette chose] précède son être. Or, l’action de faire, puisqu’elle est un accident, ne peut exister sans un sujet. Il est donc nécessaire que tout ce qui est fait soit fait à partir d’une chose en quoi existe l’action de faire comme dans son sujet. Or, rien de tel n’est créé. Rien ne peut donc être fait par création.

 

[3436] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, si creatio est aliquid, cum non sit substantia, oportet quod sit accidens. Omne autem accidens est in aliquo subjecto, non autem potest esse in ipso creato sicut in subjecto: quia hoc est terminus ejus: sic enim creatum creatione esset prius, inquantum est subjectum ejus, et posterius, inquantum est terminus. Ergo oportet quod sit in aliqua materia, ex qua creatum fiat; et hoc est contra rationem creationis. Ergo creatio nihil est.

4. Si la création est quelque chose, comme elle n’est pas une substance, elle doit donc être un accident. Or, tout accident se trouve dans un sujet, mais il ne peut exister dans cela même qui est créé comme dans un sujet, car c’est là son terme. En effet, ce qui est créé serait ainsi antérieur à la création, en tant que cela en est le sujet, et postérieur, en tant que cela en est le terme. Il est donc nécessaire que [la création] existe dans un matière à partir de laquelle ce qui est créé est fait, et cela est contraire à la notion de création. La création n’est donc rien.

 

[3437] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, si creatio aliquid est, aut est creator, vel creatura. Sed non creator; quia sic esset ab aeterno, et ita creaturae ab aeterno. Ergo est creatura. Sed omnis creatura aliqua creatione creatur, et sic creationis est creatio in infinitum; quod est impossibile, ut patet ex 5 Physic., ubi dicitur quod actionis non est actio in infinitum. Ergo impossibile est creationem esse.

5. Si la création est quelque chose, elle est soit le Créateur, soit une créature. Or, elle n’est pas le Créateur, car elle existerait ainsi éternellement, et ainsi les créatures [existeraient] éternellement. Elle est donc une créature. Or, toute créature est créée par une création, et on remonte donc de la création à la création à l’infini, ce qui est impossible, comme cela ressort de Physique, V, où il est dit qu’il n’existe pas d’action de l’action à l’infini. Il est donc impossible que la création existe.

 

[3438] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Genesis 1: in principio creavit Deus caelum et terram.

Cependant, [1] il est dit en Gn 1 : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.

 

[3439] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne agens agit secundum id quod est in actu. Sed quod est secundum aliquid sui in actu, et secundum aliquid in potentia, efficit rem secundum aliquid sui, scilicet inducendo formam in materiam. Ergo cum primum ens, scilicet Deus, sit actus sine permixtione potentiae, videtur quod totam rem efficere possit, secundum totam substantiam ejus. Hoc autem est creare. Ergo videtur quod Deus creare possit.

[2] Tout agent agit selon ce qu’il est en acte. Or, ce qui est, selon quelque chose de soi en acte et selon quelque chose de soi en puissance, réalise une chose selon quelque chose de ce qu’il est, en donnant forme à une matière. Puisque l’être premier, Dieu, est acte sans mélange de puissance, il semble donc qu’il puisse faire la totalité d’une chose, selon sa substance tout entière. Or, créer, c’est cela. Il semble donc que Dieu puisse créer.

 

[3440] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 co. Respondeo quod creationem esse, non tantum fides tenet, sed etiam ratio demonstrat. Constat enim quod omne quod est in aliquo genere imperfectum, oritur ab eo in quo primo et perfecte reperitur natura generis: sicut patet de calore in rebus calidis ab igne. Cum autem quaelibet res, et quidquid est in re, aliquo modo esse participet, et admixtum sit imperfectioni, oportet quod omnis res, secundum totum id quod in ea est, a primo et perfecto ente oriatur. Hoc autem creare dicimus, scilicet producere rem in esse secundum totam suam substantiam. Unde necessarium est a primo principio omnia per creationem procedere. Sciendum est autem, quod ad rationem creationis pertinent duo. Primum est ut nihil praesupponat in re quae creari dicitur: unde in hoc ab aliis mutationibus differt, quia generatio praesupponit materiam quae non generatur, sed per generationem completur in actum formae transmutata; in reliquis vero mutationibus praesupponitur subjectum, quod est ens completum; unde causalitas generantis vel alterantis non sic se extendit ad omne illud quod in re invenitur; sed ad formam, quae de potentia in actum educitur: sed causalitas creantis se extendit ad omne id quod est in re; et ideo creatio ex nihilo dicitur esse, quia nihil est quod creationi praeexistat, quasi non creatum. Secundum est, ut in re quae creari dicitur, prius sit non esse quam esse: non quidem prioritate temporis vel durationis, ut prius non fuerit et postmodum sit; sed prioritate naturae, ita quod res creata si sibi relinquatur, consequatur non esse, cum esse non habeat nisi ex influentia causae superioris. Prius enim unicuique inest naturaliter quod non ex alio habet, quam quod ab alio habet: et ex hoc differt creatio a generatione aeterna: sic enim non potest dici quod filius Dei si sibi relinquatur, non habeat esse, cum recipiat a patre illud idem esse quod est patris, quod est esse absolutum, non dependens ab aliquo. Et secundum ista duo creatio dupliciter dicitur esse ex nihilo. Tum ita quod negatio neget ordinem creationis importatae per hanc praepositionem ex, ad aliquid praeexistens, ut dicatur esse ex nihilo, quia non ex aliquo praeexistenti; et hoc quantum ad primum. Tum ita quod remaneat ordo creationis ad nihil praeexistens, ut affirmatus; ut dicatur creatio esse ex nihilo, quia res creata naturaliter prius habet non esse quam esse; et si haec duo sufficiant ad rationem creationis, sic creatio potest demonstrari, et sic philosophi creationem posuerunt. Si autem accipiamus tertium oportere ad rationem creationis, ut scilicet etiam duratione res creata prius non esse quam esse habeat, ut dicatur esse ex nihilo, quia est tempore post nihil, sic creatio demonstrari non potest, nec a philosophis conceditur; sed per fidem supponitur.

Réponse. Non seulement la foi affirme que la création existe, mais la raison aussi le démontre. En effet, il apparaît que tout ce qui est imparfait dans un genre provient de ce en quoi se trouve en premier et parfaitement la nature du genre, comme cela ressort pour la chaleur dans les choses qui sont rendues chaudes par le feu. Puisque toutes les choses et tout ce qui existe en elles participent d’une certaine manière à l’être et sont mélangées à de l’imperfection, il est donc nécessaire que toutes les choses, selon la totalité de ce qui existe en elles, proviennent d’un être premier et parfait. Or, c’est cela que nous appelons créer : amener une chose à l’être selon toute sa substance. Il est donc nécessaire que tout provienne d’un premier principe par création. Mais il faut savoir que deux choses se rapportent à la notion de création. La première est qu’elle ne présuppose rien dans la chose dont on dit qu’elle est créée. Elle diffère donc ainsi des autres mutations, car la génération présuppose une matière qui n’est pas engendrée, mais complétée par la génération en étant changée en l’acte de la forme. Mais, dans les autres changements, un sujet qui est un être complet est présupposé. Aussi la causalité de celui qui engendre ou transforme ne s’étend-elle pas à tout qui se trouve dans la chose, mais à la forme, qui est amenée de la puissance à l’acte. Mais la causalité de celui qui crée s’étend à tout ce qui existe dans la chose. C’est pourquoi on dit que création part du néant, car rien qui ne soit créé ne préexiste à la création. La seconde chose est que, dans ce dont on dit que cela est créé, le non-être est antérieur à l’être, non pas d’une antériorité dans le temps ou dans la durée, de sorte que cela n’aurait d’abord pas existé et existerait par la suite, mais d’une priorité de nature, de sorte que la chose créée, si elle était laissée à elle-même, aboutirait au non-être, puisqu’elle n’a l’être que par l’action d’une cause supérieure. En effet, existe naturellement en premier en toutes choses ce qu’elles ne tiennent pas d’un autre (ex alio), plutôt que ce qu’elles tiennent par un autre (ab alio), et, par là, la création diffère de la génération éternelle. En effet, on ne peut dire que le Fils de Dieu, s’il est laissé à lui-même, n’a pas l’être, puisqu’il reçoit du Père ce même être qui appartient au Père, qui est un être absolu, qui ne dépend pas d’un autre. Selon ces deux aspects, on dit que la création se réalise à partir de rien de deux manières. D’abord, de manière à ce que la négation nie l’ordre de la création que comporte la préposition « à partir de » par rapport à quelque chose de préexistant, de telle sorte qu’on dise de la création qu’elle se réalise « à partir de rien », au sens où elle ne vient pas de quelque chose qui préexiste : c’est le premier point. Ensuite, de manière à ce que l’ordre de la création au néant préexistant demeure, tel qu’il a été affirmé. Ainsi, on dit que la création se réalise à partir de rien parce que la chose créée possède d’abord par nature le non-être avant l’être. Et si ces deux choses suffisent à la notion de création, la création peut ainsi être démontrée, et c’est de cette manière que les philosophes ont affirmé la création. Mais si on entend qu’une troisième chose est nécessaire à la notion de création, à savoir que la chose créée ait d’abord le non-être avant l’être aussi dans la durée, de sorte qu’on dise d’elle qu’elle se réalise « à partir de rien », au sens où elle succède au néant, la création ne peut être ainsi démontrée et elle n’est pas concédée par les philosophes, mais elle est supposée par la foi.

 

[3441] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Avicennam, duplex est agens: quoddam naturale quod est agens per motum, et quoddam divinum quod est dans esse, ut dictum est. Et similiter oportet accipere duplex actum vel factum: quoddam per motum agentis naturalis; et omne tale fieri oportet quod praecedat tempore potentia non tantum activa, sed etiam passiva: quia motus est actus existentis in potentia. Quoddam vero est factum, inquantum recipit esse ab agente divino sine motu: et si istud factum sit novum, oportet quod praecedat esse ejus natura et duratione potentia activa et non passiva: et ab activa potentia tale factum dicitur possibile fieri. Si autem non sit novum, tunc potentia activa non praecedit duratione, sed natura.

1. Selon Avicenne, il existe un double agent : un [agent] naturel, qui est un agent par mouvement, et un [agent] divin, qui donne l’être, comme on l’a dit. De même est-il nécessaire d’envisager l’action ou ce qui est fait de deux manières. L’une, selon le mouvement d’un agent naturel. Une puissance non seulement active, mais aussi passive doit précèder dans le temps un tel devenir, car le mouvement est l’acte de ce qui existe en puissance. Mais une chose est aussi réalisée pour autant qu’elle reçoit l’être de l’agent divin sans mouvement. Si ce qui est ainsi fait est nouveau, il est nécessaire qu’une puissance active, mais non pas passive précède son être selon la nature et la durée : on dit alors de ce qui est ainsi réalisé par une puissance active qu’il est en puissance de devenir. Mais si cela n’est pas nouveau, la puissance active ne précède pas alors dans la durée, mais par nature.

 

[3442] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatio non est factio quae sit mutatio proprie loquendo; sed est quaedam acceptio esse. Unde non oportet quod habeat ordinem essentialem nisi ad dantem esse; et sic non est ex non esse, nisi inquantum est post non esse, sicut nox ex die.

2. La création n’est pas une manière de faire qui est un changement au sens propre, mais elle est une manière de recevoir l’être. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle ait un ordre essentiel, sinon à ce qui donne l’être. Elle ne vient donc du néant que pour autant qu’elle existe après n’avoir pas existé, comme la nuit après le jour.

 

[3443] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nulla res permanens potest simul fieri et facta esse, si fieri proprie sumatur; sed quaedam sunt quae significant ipsum factum per modum fieri, sicut cum dicitur motus terminari: simul enim terminatur et terminatum est, et similiter simul illuminatur et illuminatum est, eo quod illuminatio est terminus motus, ut in 4 Physic. Commentator dicit; et similiter etiam forma substantialis simul recipitur et recepta est; et similiter aliquid simul creatur et creatum est. Et si objiciatur, quod ante omne factum esse, est omne fieri proprie acceptum; dico, quod verum est in omnibus quae fiunt per motum, sicut generatio sequitur motum alterationis, et illuminatio motum localem; non autem sic est in creatione, ut dictum est.

3. Aucune réalité permanente ne peut en même temps devenir et être devenue, si on entend devenir au sens propre ; mais il existe certaines choses qui signifient ce qui est devenu par mode de devenir, comme lorsqu’on dit qu’un mouvement se termine : en effet, il se termine en même temps qu’il a été terminé ; de même en est-il pour ce qui est illuminé et a été illuminé, du fait que l’illumination est le terme d’un mouvement, comme le dit le Commentateur dans Physique, IV. De même, la forme substantielle est-elle reçue en même temps qu’elle a été reçue. De la même manière, une chose est-elle créée en même temps qu’elle a été créée. Et si on objecte qu’avant d’être devenu, tout devient au sens propre, je dis que cela est vrai pour tout ce qui devient par un mouvement, comme la génération découle d’un mouvement d’altération, et l’illumination, d’un mouvement local. Mais il n’en est pas ainsi pour la création, ainsi qu’on l’a dit.

 

[3444] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod creatio potest sumi active et passive. Si sumatur active, cum creatio significet operationem divinam, quae est essentia ejus cum relatione quadam; sic creatio est substantia divina. Si autem sumatur passive, sic est quoddam accidens in creatura, et sic significat quamdam rem, non quae sit in praedicamento passionis, proprie loquendo, sed quae est in genere relationis, et est quaedam habitudo habentis esse ab alio consequens operationem divinam: et sic non est inconveniens quod sit in ipso creato quod educitur per creationem, sicut in subjecto; sicut filiatio in Petro, inquantum recipit naturam humanam a patre suo, non est prior ipso Petro; sed sequitur actionem et motum, quae sunt priora. Habitudo autem creationis non sequitur motum, sed actionem divinam tantum, quae est prior quam creatura.

4. La création peut s’entendre en un sens actif et en un sens passif. Si elle est prise au sens actif, puisque la création signifie une opération de Dieu, qui est son essence comportant une certaine relation, la création est ainsi la substance divine. Mais si elle est prise au sens passif, elle est ainsi un accident dans la créature, et elle signifie ainsi une réalité, qui, à proprement parler, ne fait pas partie du prédicament de la passion, mais se trouve dans la genre de la relation : elle est un certain rapport entre ce qui a l’être par un autre à la suite d’une opération divine. De cette manière, il n’est pas inapproprié qu’elle se trouve comme dans son sujet dans cela même qui est créé, qui est amené par la création, comme la filiation chez Pierre, qui, dans la mesure où il reçoit la nature humaine de son père, n’est pas antérieure à Pierre lui-même, mais découle d’une action et d’un mouvement, qui sont antérieurs. Toutefois, le rapport de la création ne découle pas d’un mouvement, mais d’une action divine seulement, qui est antérieure à la créature.

 

[3445] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, ut prius dictum est, in 1, dist. 30, art. 3, quando creatura refertur ad creatorem, relatio realiter fundatur in creatura, et in Deo secundum rationem tantum: unde ipsa relatio importata in nomine creationis non ponit aliquid in creatore, sed in creato tantum. Non tamen oportet quod alia creatione creetur: quia illud quod est relatio per essentiam, non refertur ad aliud alia relatione media, ut etiam in 1 dictum est, dist. 26, art. 3, nisi secundum rationem; et hujusmodi relationes, quae secundum rationem tantum sunt, non est impossibile in infinitum multiplicari.

5. Comme on l’a déjà dit, livre I, d. 30, a. 3, lorsque la créature est mise en relation avec le Créateur, la relation a un fondement réel dans la créature, et de raison seulement en Dieu ; aussi la relation que comporte le mot « création » n’entraîne-t-elle rien chez le Créateur, mais dans ce qui est créé seulement. Toutefois, il n’est pas nécessaire qu’elle soit créée par une autre création, car ce qui est par essence une relation ne se rapporte pas à autre chose par une autre relation intermédiaire, comme on l’a aussi dit au livre I, d. 26, a. 3, si ce n’est selon la raison. Et il n’est pas impossible que les relations de ce genre, qui existent seulement selon la raison, soient multipliées à l’infini.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3446] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 tit. Utrum creare conveniat aliis quam Deo.

Article 3 – Créer convient-il à d’autres qu’à Dieu ?

 

[3447] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod creare etiam conveniat aliis quam Deo. Omne enim quod non producitur in esse per generationem, si de novo fiat, creatur. Sed anima rationalis non exit in esse per generationem. Ergo a quocumque fit, creatur. Sed anima rationalis exit in esse virtute intelligentiarum; unde Plato inducit Deum secundis diis dicentem: fenus quod credidistis ad vos recipite; et loquitur de anima rationali. Et similiter in libro de causis dicitur, quod creata est anima mediante intelligentia. Ergo videtur quod Angeli: vel intelligentiae, creare possint.

1. Il semble que créer convienne aussi à d’autres qu’à Dieu. En effet, tout ce qui n’est pas amené à l’être par la génération est créé, si cela est réalisé pour la première fois. Or, l’âme raisonnable n’est pas amenée à l’être par la génération. Quel que soit celui qui la produit, elle est donc créée. Or, l’âme raisonnable est amenée à l’être par la puissance des intelligences ; aussi Platon invoque-t-il Dieu, qui dit aux dieux de second rang : « Recevez ce que vous avez cru gagner ! », et il parle de l’âme raisonnable. De même est-il dit, dans le Livre sur les causes, que l’âme a été créée par l’intermédiaire d’une intelligence. Il semble donc que les anges ou des intelligences puissent créer.

 

[3448] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, cujuscumque dignitatis creatura est capax, haec ab eo sibi communicatur qui summe liberalis est. Sed potentia creandi communicabilis est creaturae, ut infra, in 4, dist. 5, Magister dicit. Ergo videtur quod alicui creaturae sit communicatum quod creet.

2. Quelle que soit la dignité dont la créature est capable, elle lui a été communiquée par celui dont la libéralité est la plus grande. Or, la puissance de créer peut être communiquée à une créature, comme le Maître le dit plus loin, dans le livre IV, d. 4. Il semble donc que la capacité de créer ait été communiquée à une créature.

 

[3449] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, quanto aliquid magis resistit agenti, difficilius est ab eo aliquid fieri. Sed contrarium est magis resistens quam non ens simpliciter. Ergo difficilius est aliquid fieri ex contrario, quam ex non ente. Sed agens naturale facit contrarium ex contrario. Ergo videtur quod etiam ex non ente simpliciter aliquid facere possit, et sic potest creare.

3. Plus quelque chose résiste à un agent, plus il est difficile pour celui-ci de faire quelque chose à partir de cela. Or, un contraire est plus résistant que le simple néant. Il est donc plus difficile que qu’une chose chose soit faite à partir d’un contraire que du néant. Or, un agent naturel réalise une chose contraire à partir d’un contraire. Il semble donc qu’il puisse aussi faire quelque chose à partir du simple néant, et ainsi il peut créer.

 

[3450] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum quod res exeunt a Deo, ita etiam ordinantur in ipsum. Sed secundum Dionysium in pluribus locis, lex divinitatis est ut nunquam ultima reducantur in finem nisi per media. Ergo videtur quod etiam ultima entium non immediate a Deo creentur, sed a causis mediis.

4. Selon que les choses sont issues de Dieu, de même sont-elles aussi ordonnées à lui. Or, selon Denys en plusieurs endroits, la loi de la divinité est que jamais les dernières réalités ne soient ramenées à leur fin que par des réalités intermédiaires. Il semble donc que même les derniers parmi les êtres ne soient pas immédiatement créés par Dieu, mais par des causes intermédiaires.

 

[3451] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, in causatum causae secundae nunquam agit causa prima, nisi secundum quod agit in ipsa causa secunda agente. Sed Deus, qui est causa prima omnium rerum, cujuslibet rei creator est. Ergo et quaelibet causa secunda, in qua Deus operando creat, creatrix dici debet; et sic creare non tantum Deo convenit.

5. La cause première n’agit jamais sur ce qui est causé par une cause seconde, qu’en agissant sur la cause seconde qui agit. Or, Dieu, qui est la cause première de toutes choses, est le créateur de toutes choses. Toute cause seconde, dans laquelle Dieu crée en agissant, doit donc être appelée créatrice. Ainsi, créer ne convient pas à Dieu seulement.

 

[3452] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Damascenus anathematizat omnes qui dicunt Angelos aliquid creare: de quibus tamen magis videtur quam de aliis. Ergo videtur quod creare solius Dei sit.

Cependant, [1] [Jean] Damascène anathématise tous ceux qui disent que les anges créent quelque chose, alors qu’il semble que ce soit plutôt le cas pour eux que pour d’autres. Il semble donc que créer revient à Dieu seul.

 

[3453] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, ens et non ens simpliciter in infinitum distant. Sed movere per distantiam infinitam est potentiae infinitae, qualis est sola divina potentia. Ergo solius ejus creare est.

[2] L’être et le néant sont infiniment distants. Or, mouvoir sur une distance infinie revient à une puissance infinie, telle qu’est seule la puissance divine. Il revient donc à elle seule de créer.

 

[3454] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est triplex opinio. Quidam enim philosophi posuerunt quod a prima causa immediate est unum primum causatum, a quo postmodum sunt alia, et sic deinceps; unde posuerunt, unam intelligentiam causari mediante alia, et animam mediante intelligentia, et corporalem naturam mediante spirituali: quod pro haeresi condemnatur: quia haec opinio honorem qui Deo debetur, creaturae attribuit; unde propinqua est ad trahendum in idolatriam. Unde alii dixerunt, quod creatio nulli creaturae convenit, nec etiam communicabilis est; sicut nec esse infinitae potentiae, quam exigit creationis opus. Alii dixerunt creationem nulli creaturae communicatam esse, communicari tamen potuisse: quod Magister asserit, in 4 Lib., dist. 5, in fine. Utraque autem harum ultimarum opinionum videtur mihi secundum aliquid vera esse. Cum enim de ratione creationis sit ut non praeexistat aliquid sibi, ad minus secundum naturae ordinem, hoc potest accipi vel ex parte creantis, vel ex parte creati. Si ex parte creantis, sic dicitur illa actio esse creatio quae non firmatur super actione alicujus causae praecedentis; et sic est actio tantum causae primae: quia omnis actio secundae causae firmatur super actione causae primae. Unde sicut non potest communicari alicui creaturae quod sit causa prima; ita non potest communicari sibi quod sit creans. Si autem sumatur ex parte creati, sic illius proprie est creatio cui non praeexistat aliquid in re, et hoc est esse. Unde dicitur in Lib. de causis, quod prima rerum creatarum est esse; et alibi in eodem Lib. dicitur, quod esse est per creationem, et aliae perfectiones superadditae per informationem, et in compositis praecipue illud esse quod est primae partis, scilicet materiae; et ex parte ista accipiendo creationem, potuit communicari creaturae, ut per virtutem causae primae operantis in ipsa, aliquod esse simplex, vel materia produceretur: et hoc modo philosophi posuerunt intelligentias creare, quamvis sit haereticum.

Réponse. Sur ce point, il existe trois opinions. En effet, certains philosophes ont affirmé qu’une première créature est immédiatement causée par la première cause, dont proviennent ensuite les autres choses, et ainsi de suite. Ils ont ainsi affirmé qu’une intelligence est causée par l’intermédiaire d’une autre, l’âme par l’intelligence, et la nature corporelle par l’intermédiaire de la nature spirituelle, ce qui est condamné comme une hérésie, car cette opinion attribue à une créature l’honneur qui est dû à Dieu ; aussi est-elle proche d’entraîner à l’idolâtrie. Aussi d’autres ont-ils dit que la création ne convient à aucune créature et qu’elle ne lui pas non plus communicable, comme non plus la puissance infinie qu’exige l’action de la création. D’autres ont dit que la création n’a été communiquée à aucune créature, mais qu’elle pouvait cependant être communiquée, ce qu’affirme le Maître, dans le livre IV, d. 5, vers la fin. Or, ces deux dernières opinions me semblent être partiellement vraies. En effet, puisqu’il fait partie de la notion de création que rien ne lui préexiste, tout au moins selon un ordre de nature, cela peut se concevoir soit du point de vue de celui qui crée, soit du point de vue de ce qui est créé. Si l’on prend le point de vue de celui qui crée, l’action qui ne s’appuie pas sur l’action d’une cause précédente est appelée création ; elle est ainsi l’action de la seule cause première, car toute action d’une cause seconde est affermie par l’action de la cause première. De même que ne peut être communiqué à une créature d’être la cause première, de même donc ne peut-il lui être communiqué de créer. Mais si on adopte le point de vue de ce qui est créé, la création appartient en propre à ce à quoi rien ne préexiste, et cela est l’acte être. Aussi est-il dit, dans le Livre sur les causes, que la première chose créée est l’acte d’être, et ailleurs, dans le même livre, que l’acte d’être vient de la création, que les autres perfections ajoutées [viennent] par la forme, et que, dans les composés, [vient] surtout cet être qui revient à la première partie, c’est-à-dire à la matière. En comprenant la création de ce point de vue, il pouvait être communiqué à la créature que, par la puissance de la cause première agissant en elle, un être simple ou une matière soient produits. De cette manière, des philosophes ont affirmé que les intelligences créent, bien que cela soit hérétique.

 

[3455] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hoc auctoritates philosophorum non sunt recipiendae: quia in hoc erraverunt. Possent tamen exponi hoc modo omnes illae auctoritates, ut dicerentur creare animas, inquantum per motum orbium disponuntur corpora ad animae receptionem; sed hoc non est de intentione eorum.

1. Sur ce point, les autorités des philosophes ne doivent pas être acceptées, car ils s’y sont trompés. Toutefois, toutes ces autorités pourraient être interprétées au sens où elles parleraient de créer les âmes dans la mesure où, par le mouvement des sphères, les corps sont disposés à recevoir l’âme. Mais ce n’est pas ce qu’elles veulent dire.

 

[3456] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidquid est communicabile creaturae, de hoc quod est pertinens ad perfectionem naturae ejus, communicatur sibi; non autem est verum de perfectionibus secundis; sicut non omnis homo qui receptibilis est regiae dignitatis, a Deo factus est rex; et sic etiam est de auctoritate creandi, secundum illos qui dicunt, quod creatio potuit creaturae communicari.

2. Tout ce qui peut être communiqué à la créature de ce qui se rapporte à la perfection de sa nature lui est communiqué ; mais cela n’est pas vrai des perfections secondaires, de même que tout homme, qui est susceptible de recevoir la dignité royale, n’a pas été fait roi par Dieu. De même en est-il de l’autorité de créer, selon ceux qui disent que l’action de créer pouvait être communiquée à la créature.

 

[3457] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod resistens contrarium non facit difficultatem in agendo, nisi inquantum elongat potentiam ab actu: quia unum contrariorum quanto est magis intensum, tanto potentia est magis remota ab actu: et ideo quod aliquid fiat ex non ente, simpliciter est majoris virtutis quam quod fiat ex contrario: quia in non ente simpliciter nulla potentia remanet.

3. Le contraire qui résiste n’occasionne pas de difficulté pour l’action, si ce n’est dans la mesure où il éloigne la puissance de l’acte, car plus l’un des contraires est intense, plus sa puissance est éloignée de l’acte. Que quelque chose soit fait à partir du néant relève donc simplement d’une plus grande puissance que si cela est fait à partir d’un contraire, car aucune puissance ne demeure dans ce qui n’existe tout simplement pas.

 

[3458] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis ad ultimum finem reducantur ultima per media; nunquam tamen influentia ultimi finis alicui mediorum communicatur, ita scilicet ut sit ultimum desideratum; et sic etiam nunquam influentia primi agentis, quae est creatio, alicui secundorum principiorum communicari potest.

4. Bien que les dernières choses soient ramenées à leur fin ultime par des choses intermédiaires, jamais cependant l’emprise de la fin ultime n’est communiquée à l’un des intermédiaires, de sorte qu’il serait ce qui est ultimement désiré. Ainsi, jamais l’emprise du premier agent, en quoi consiste la création, ne peut-elle être communiquée à l’un des principes seconds.

 

[3459] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod agens proximum, ut generans, non operatur in hac re generata, nisi educendo de potentia materiae formam. Sed operatio causae primae est etiam in creando ipsam materiam: et ideo agens naturale proximum est tantum generans hanc rem; sed agens primum et divinum est creans; et ex hoc patet quod sicut operatio artis fundatur super operationem naturae, inquantum natura praeparat arti materiam; ita et operatio naturae fundatur supra creationem, inquantum ministrat naturae materiam.

5. Un agent rapproché, comme celui qui engendre, n’agit sur la chose engendrée qu’en tirant la forme de la puissance de la matière. Or, l’opération de la cause première consiste à créer aussi la matière elle-même. Ainsi l’agent naturel rapproché ne fait-il qu’engendrer cette chose ; mais l’agent premier et divin la crée. De cela ressort que, de même que l’opération de l’art se fonde sur l’opération de la nature, pour autant que la nature prépare à l’art sa matière, de même aussi l’opération de la nature se fonde-t-elle sur la création, dans la mesure où elle fournit la matière à la nature.

 

 

 

 

Articulus 4 : [3460] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 tit. Utrum aliquid aliud a Deo efficiat aliquam rem

Article 4 – Une réalité autre Dieu produit-elle quelque chose ?

 

[3461] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod nihil aliud efficiat aliquam rem nisi Deus. Agens enim quod agit sine medio, est perfectius quam illud quod medio indiget in sua actione. Sed Deus est agens perfectissimum. Ergo videtur quod omnia nullo mediante producat.

1. Il semble que rien d’autre que Dieu ne produise quelque chose. En effet, l’agent qui agit sans intermédiaire est plus parfait que celui qui a besoin d’un intermédiaire pour son action. Or, Dieu est l’agent le plus parfait. Il semble donc qu’il produise tout sans intermédiaire.

 

[3462] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, inter alias creaturas Angeli sunt nobiliores. Sed efficientia rerum non attribuitur Angelis; unus enim Angelus non est causa alterius, nec est iterum causa corporalis creaturae. Ergo videtur quod multo minus aliae creaturae sint causae quorumdam.

2. Parmi les autres créatures, les anges sont plus nobles. Or, la réalisation des choses n’est pas attribuée aux anges. En effet, un ange n’est pas la cause d’un autre, et il n’est pas la cause de la créature corporelle. Il semble donc que les autres créatures soient encore bien moins causes de certaines choses.

 

[3463] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, idem specie non producitur a diversis agentibus secundum speciem. Sed prima individua omnium specierum immediate a Deo creata sunt, supposito quod mundus non fuerit semper. Ergo videtur quod nihil possit producere aliquid simile sibi secundum speciem.

3. Une chose identique selon l’espèce n’est pas produite pas des agents différents selon l’espèce. Or, les premiers individus de toutes les espèces ont été immédiatement créés par Dieu, en supposant que le monde n’ait pas toujours existé. Il semble donc que rien ne puisse produire quelque chose de semblable à soi-même selon l’espèce.

 

[3464] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, illud quod non est ex aliqua materia, non potest fieri nisi per creationem. Sed formae et accidentia non habent materiam partem sui; vel esset in infinitum abire. Ergo non possunt fieri nisi per creationem. Inde sic. Omnis causa efficiens alicujus rei dat sibi formam, vel substantialem, vel accidentalem. Sed hujusmodi non producuntur nisi per creationem. Ergo nihil potest esse causa efficiens alicujus rei nisi creator, qui tantum Deus est, ut dictum est.

4. Ce qui ne vient pas d’une matière ne peut être fait que par création. Or, les formes et les accidents n’ont pas de matière comme partie d’eux-mêmes, autrement il faudrait remonter à l’infini. Ils ne peuvent donc être produits que par création. D’où il découle que toute cause efficiente d’une chose lui donne une forme, substantielle ou accidentelle. Or, celles-ci ne sont produites que par création. Donc, rien ne peut être cause efficiente d’une chose que le Créateur, qui est Dieu seulement, comme on l’a dit.

 

[3465] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, causa efficiens nunquam est deficientior quam effectus. Sed agentia naturalia non agunt nisi per qualitates activas, quae sunt accidentia: quod probatur ex hoc quod non est possibile aliquid esse formam substantialem in uno, et accidentalem in altero; unde calor, qui est accidens hominis, non potest esse forma substantialis ignis; et sic de aliis. Ergo nullum agens naturae producit aliquam formam substantialem; et sic idem quod prius.

5. La cause efficiente n’est jamais plus faible que l’effet. Or, les agents naturels n’agissent que par leurs qualités actives, qui sont des accidents, ce qui est démontré par le fait qu’il n’est pas possible que quelque chose soit la forme substantielle chez l’un, et une forme accidentelle chez un autre. Aussi la chaleur, qui est un accident de l’homme, ne peut-elle être la forme substantielle du feu, et ainsi de suite pour les autres. Aucun agent de la nature ne produit donc une forme substantielle, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

 

[3466] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, secundum Damascenum, cujuslibet rei est propria operatio. Sed omnis res quae habet propriam operationem activam, sua operatione est causa alicujus. Ergo videtur quod ignis calefaciendo sit causa caloris, et sic de aliis.

Cependant, [1] selon [Jean] Damascène, une opération propre appartient à chaque chose. Or, toute chose qui a son opération active propre est cause de quelque chose par son opération. Il semble donc que le feu soit cause de la chaleur en réchauffant, et ainsi de suite pour les autres.

 

[3467] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, si Deus immediate causaret omnia, una res non dependeret ab alia, sicut causatum a causa; et sic res non magis fieret ab uno quam ab alio. Sed videmus ad sensum quod non fit quodlibet ex quolibet, sed ex semine hominis semper generatur homo. Ergo semen patris est causa effectiva filii.

[2] Si Dieu causait tout, une chose ne dépendrait pas d’une autre, comme ce qui est causé [dépend] de sa cause ; ainsi, une chose ne serait pas faite par une chose plutôt que par une autre. Or, nous voyons par les sens que n’importe quoi n’est pas fait par n’importe quoi, mais que, à partir de la semence de l’homme, c’est toujours un homme qui est engendré. La semence du père est donc la cause efficiente du fils.

 

[3468] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc quaestionem sunt tres positiones. Quarum una est, quod Deus immediate operetur omnia, ita quod nihil aliud est causa alicujus rei; adeo quod dicunt quod ignis non calefacit, sed Deus; nec manus movetur, sed Deus causat ejus motum, et sic de aliis. Sed haec positio stulta est: quia ordinem tollit universi, et propriam operationem a rebus, et destruit judicium sensus. Secunda positio est quorumdam philosophorum, qui ut proprias operationes rerum sustineant, Deum immediate omnia creare negant; sed dicunt, quod immediate est causa primi creati, et illud est causa alterius, et sic deinceps. Sed haec opinio erronea est: quia secundum fidem non ponimus Angelos creatores, sed solum Deum creatorem omnium visibilium et invisibilium. Tertia positio est, quod Deus immediate omnia operatur, et quod res singulae proprias operationes habent, per quas causae proximae rerum sunt, non tamen omnium, sed quorumdam: quia enim, ut dictum est, secundum fidem non ponitur creatura aliqua aliam in esse producere per creationem, nec virtute propria nec aliena; ideo omnium illorum quae per creationem in esse exeunt, solus Deus immediate causa est. Hujusmodi autem sunt quae per motum in esse exire non possunt, nec per generationem. Primo propter simplicitatem essentiae suae, in qua subsistunt: quia omne quod generatur, oportet esse compositum ex materia et forma; unde nec Angeli nec animae rationales possunt generari, sed solum creari; secus autem de aliis formis, quae etiam si sint simplices, non tamen habent esse absolutum, cum non sint subsistentes; unde exitus in esse non debetur eis, sed composito habenti talem formam, quod per se generari dicitur, quasi per se esse habens. Formae vero praedictae non dicuntur generari nisi per accidens: et eadem ratione materia prima, quae generationi substat, propter sui simplicitatem non generatur, sed creatur. Secundo, propter elongationem a contrarietate, ut corpora caelestia: omne enim quod generatur, generatur ex contrario. Tertio, propter necessitatem generantis similis in specie generato: propter quod primae hypostases immediate a Deo creatae sunt: ut primus homo, primus leo, et sic de aliis: non enim homo generari potest nisi ab homine. Aliter autem est de illis rebus ad quarum generationem non requiritur agens simile in specie, sed sufficit virtus caelestis cum qualitatibus activis et passivis, ut quae ex putrefactione generantur. Aliorum vero quae per motum et generationem producuntur, creatura causa esse potest, vel ita quod habeat causalitatem supra totam speciem, sicut sol est causa in generatione hominis vel leonis; vel ita quod habeat causalitatem ad unum individuum speciei tantum, sicut homo generat hominem, et ignis ignem. Horum tamen causa etiam Deus est, magis intime in eis operans quam aliae causae moventes: quia ipse est dans esse rebus. Causae autem aliae sunt quasi determinantes illud esse. Nullius enim rei totum esse ab aliqua creatura principium sumit, cum materia a Deo solum sit; esse autem est magis intimum cuilibet rei quam ea per quae esse determinatur; unde et remanet, illis remotis, ut in libro de causis dicitur. Unde operatio creatoris magis pertingit ad intima rei quam operatio causarum secundarum: et ideo hoc quod creatum est causa alii creaturae, non excludit quin Deus immediate in rebus omnibus operetur, inquantum virtus sua est sicut medium conjungens virtutem cujuslibet causae secundae cum suo effectu: non enim virtus alicujus creaturae posset in suum effectum, nisi per virtutem creatoris, a quo est omnis virtus, et virtutis conservatio, et ordo ad effectum; quia, ut in libro de causis dicitur, causalitas causae secundae firmatur per causalitatem causae primae.

Réponse. Sur cette question, il y a trois positions. L’une est que Dieu réalise tout de manière immédiate, de telle sorte que rien d’autre n’est cause de quelque chose ; ils vont jusqu’à dire que le feu ne réchauffe pas, mais Dieu; la main non plus ne se meut pas, mais Dieu cause son mouvement, et ainsi pour les autres choses. Mais cette position est stupide, car elle supprime l’ordre de l’univers et l’opération propre des choses, et elle détruit le jugement du sens. La deuxième position est celle de certains philosophes qui, pour soutenir les opérations propres des choses, nient que Dieu crée tout de manière immédiate ; mais ils disent qu’il est immédiatement la cause du premier être créé, et que celui-ci est la cause d’un autre, et ainsi de suite. Mais cette opinion est erronée, car, selon la foi, nous n’affirmons pas que les anges sont créateurs, mais que seul Dieu [est le créateur] de toutes les choses visibles et invisibles. La troisième position est que Dieu réalise tout de manière immédiate, et que chaque chose a ses opérations propres, par lesquelles elle est cause prochaine de choses, non pas de toutes, mais de certaines. En effet, comme on l’a dit, selon la foi, on n’affirme pas qu’une créature en amène une autre à l’être par création, ni par sa puissance propre ni par celle d’un autre ; ainsi, de tout ce qui vient à l’être par création, Dieu seul est cause de manière immédiate. Or, sont de cette sorte les choses qui ne peuvent venir à l’être par le mouvement ni par génération. Premièrement, en raison de la simplicité de leur essence, dans laquelle elles subsistent, car tout ce qui est engendré doit être composé de matière et de forme. Aussi les anges ni les âmes raisonnables ne peuvent-elles être engendrées, mais seulement créées. Mais il en va autrement des autres formes qui, même si elles sont simples, ne possèdent cependant pas un être absolu, puisqu’elles ne subsistent pas. Aussi la venue à l’être ne leur est-elle pas due, mais [elle est due] au composé possédant une telle forme, dont on dit qu’il est engendré par soi, en tant que possédant l’être par soi. Mais on dit que les formes mentionnées sont engendrées seulement par accident. Pour la même raison, la matière première, qui est sous-jacente à la génération, n’est pas engendrée en raison de sa simplicité, mais elle est créée. Deuxièmement, en raison de l’éloignement de ce qui leur est contraire, comme les corps célestes. En effet, tout ce qui est engendré est engendré à partir d’un contraire. Troisièmement, du fait que ce qui engendre est nécessairement semblable par l’espèce à ce qui est engendré. Pour cette raison, les premières hypostases ont été créées immédiatement par Dieu, comme le premier homme, le premier lion, et ainsi pour les autres : en effet, un homme ne peut être engendré que par un homme. Mais il en va autrement des choses dont la génération n’exige pas un agent semblable par l’espèce, mais pour lesquelles suffit la puissance céleste, avec ses qualités actives et passives, comme c’est le cas de ce qui engendré par la putréfaction. Mais une créature peut être la cause de ce qui est produit par le mouvement et la génération, ou de telle sorte qu’elle ait la qualité de cause sur l’espèce tout entière, comme le soleil est cause dans la génération de l’homme ou du lion ; ou de telle sorte qu’elle ait la qualité de cause seulement pour un seul individu de l’espèce, comme l’homme engendre un homme, et le feu un feu. Toutefois, Dieu est aussi cause de ces choses en agissant plus intimement en elles que les autres causes qui les meuvent, car c’est lui qui donne l’être aux choses. Mais ces causes agissent pour ainsi dire en déterminant cet être. En effet, aucune chose ne tire en totalité d’une créature le principe de son être, puisque la matière vient de Dieu seul. Or, l’être est plus intime à chaque chose que les choses par lesquelles l’être est déterminé. Si celles-ci sont enlevées, [l’être] demeure, comme il est dit dans le Livre sur les causes. Aussi l’action du Créateur est-elle plus intime à une chose que l’opération des causes secondes. C’est pourquoi le fait que quelque chose de créé soit cause pour une autre créature n’exclut pas que Dieu agisse de manière immédiate en toutes choses, dans la mesure où sa puissance est comme le moyen qui unit la puissance de toute cause seconde avec son effet. En effet, la puissance d’une créature n’aurait aucun pouvoir sur son effet si ce n’était de la puissance du Créateur, dont viennent toute puissance, la conservation d’une puissance et l’ordre à son effet, car, ainsi que le dit le Livre sur les causes, la causalité de la cause seconde est affermie par la causalité de la cause première.

 

[3469] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est ex indigentia Dei quod causis aliis indiget ad creandum, sed ex bonitate ipsius, qui etiam dignitatem causandi aliis conferre voluit.

1. Ce n’est pas en raison de l’insuffisance de Dieu qu’il a besoin d’autres causes pour créer, mais en raison de sa bonté, qui a voulu conférer aussi à d’autres la dignité de cause.

 

[3470] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si ponamus secundum quorumdam opinionem Angelos deservire Deo in motibus orbium, constat quod Angeli causa erunt generationis et corruptionis per motum orbium: et ista causalitas in omnes retorquebitur, quamvis non omnes circa hoc ministerium occupentur: quia secundum Dionysium, superiores Angeli inferiores illuminant de ministeriis per eos exequendis. Si autem hoc non supponitur, potest dici quod ex hoc quod Angeli sunt nobiliores, non sequitur quod habeant hanc dignitatem, quae est causare generationem et corruptionem in rebus; sed aliam multo digniorem, quae consistit in Dei cognitione.

2. Si nous affirmons, selon l’opinion de certains, que les anges servent Dieu pour les mouvements des sphères, il est clair que les anges seront la cause de la génération et de la corruption par le mouvement des sphères. Cette causalité retournera à tous, bien que tous ne soient pas occupés à ce ministère, car, selon Denys, les anges supérieurs éclairent les anges inférieurs à propos des ministères qu’ils doivent exercer. Si on ne suppose pas cela, on peut dire que du fait que les anges sont plus nobles, il ne découle pas qu’ils possèdent cette dignité qui consiste à causer la génération et la corruption dans les choses, mais une autre beaucoup plus digne, qui consiste dans la connaissance de Dieu.

 

[3471] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest idem effectus secundum speciem esse a diversis agentibus immediatis, habentibus operationes determinatas ad determinatos effectus, sicut ab arte et natura. Sed Deus non habet operationem determinatam ad aliquem effectum; immo una sola operatione potest omnes effectus quos vult producere. Unde eumdem effectum specie quem natura producit, Deus potest sine natura operante facere.

3. Le même effet selon l’espèce ne peut venir de divers agents immédiats, comme de l’art et de la nature, possédant des opérations déterminées par rapport à des effets déterminés. Mais Dieu n’a pas d’opération déterminée par rapport à un effet ; bien plutôt, par une seule opération, il peut produire tous les effets qu’il veut. C’est pourquoi Dieu peut produire sans l’opération de la nature le même effet que la nature produit.

 

[3472] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod circa exitum rerum in esse per generationem fuit triplex opinio. Prima fuit ponentium latitationem, scilicet Anaxagorae, qui ponebat omnia in omnibus, et generationem fieri per abstractionem; et sic non ponebat veram generationem, quae est per hoc quod nova forma substantialis acquiritur materiae: et in hunc defectum incidit omnis opinio antiquorum, qui non ponebant veram generationem, sed generationem esse vel per congregationem et segregationem, vel per alterationem tantum: et hoc contingebat eis, quia non ponebant causam formalem, sed vel materialem tantum, vel cum hac etiam agentem. Alia opinio huic contraria fuit Platonis qui posuit, formas separatas, quas vocavit ideas, esse inducentes formas in materiis: et quasi ad hanc opinionem reducitur opinio Avicennae, qui dicit quod omnes formae sunt ab intelligentia, et agens naturale non est nisi praeparans materiam ad receptionem formae; et ista opinio procedit ex hoc quod vult unumquodque generari ex suo simili, quod frequenter non invenitur in rebus naturalibus; sicut in his quae per putrefactionem fiunt; et etiam quia ponebat fieri per se terminari ad formam; et hoc non potest esse, quia per se fieri terminatur ad hoc quod habet esse, quod est terminus factionis; et hoc est tantum compositum, non forma neque materia; unde forma, non nisi per accidens generatur. Tertia est Aristotelis, media inter has, scilicet quod omnes formae sunt in potentia in materia prima, non autem actu sicut ponentes latitationes dixerunt: et agens naturale agit non formam, sed compositum, reducendo materiam de potentia in actum; et hoc agens naturale in sua actione est quasi instrumentum ipsius Dei agentis, qui etiam materiam condidit, et formae potentiam dedit. Unde non oportet, hanc opinionem sustinendo, quod generans creet formam, vel quod faciat aliquid ex nihilo: quia non facit formam, sed compositum.

4. À propos de la venue à l’être des choses par la génération, il y a eu trois opinions. La première était celle de ceux qui affirmaient qu’elle était cachée, tel Anaxagore, qui affirmait que tout est en tout, et que la génération se produisait par l’abstraction. Ainsi, il n’affirmait pas une génération véritable, qui consiste en ce que la matière acquiert une nouvelle forme substantielle. Toutes les opinions des anciens étaient affectées par ce défaut : ils n’affirmaient pas une génération véritable, mais que la génération se faisait par un rassemblement ou une séparation, ou par une simple altération. Ils agissaient ainsi parce qu’ils ne reconnaissaient pas la cause formelle, mais seulement la cause matérielle ou, avec celle-ci, la cause efficiente. L’autre opinion était contraire à celle-ci : c’était celle de Platon, qui affirmait que des formes séparées, qu’il appelait idées, amenaient les formes dans les matières. L’opinion d’Avicenne se ramène pour ainsi dire à cette opinion : il dit que toutes les formes viennent d’une intelligence, et qu’un agent naturel ne fait que préparer la matière en vue de la réception de la forme. Cette opinion vient de ce qu’il veut que chaque chose soit engendrée par sa semblable, ce qui souvent ne se produit pas dans les choses naturelles, comme dans ce qui est réalisé par la putréfaction ; elle vient aussi de ce qu’il affirmait que le devenir se terminait à la forme. Mais cela ne peut pas être le cas, car ce est réalisé de soi se termine à ce qui possède l’être, qui est le terme de l’action. Or, cela est le composé seulement, mais non la forme ni la matière. Aussi la forme n’est-elle engendrée que par accident. La troisième [opinion] est celle d’Aristote, qui occupe le milieu entre celles-ci, à savoir que toutes les formes existent en puissance dans la matière première, mais non en acte, comme l’ont affirmé ceux qui affirmaient qu’elles y étaient cachées. L’agent naturel ne réalise pas la forme, mais le composé, en amenant la matière de la puissance à l’acte, et cet agent naturel est, par son action naturelle, comme un instrument de Dieu qui agit, qui a aussi créé la matière et lui a donné la puissance à la forme. Il n’est donc pas nécessaire, en soutenant cette opinion, que celui qui engendre crée la forme ou réalise quelque chose à partir de rien, car il ne réalise pas la forme, mais le composé.

 

[3473] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut calor naturalis agit in virtute animae ut instrumentum ejus, ut in 2 de anima dicitur, propter quod non tantum calefacit, sed agit ad generationem carnis animatae: ita qualitas activa agit in virtute formae substantialis; et ideo per illam actionem non tantum inducitur materia in actum formae accidentalis, sed etiam in actum formae substantialis.

5. De même que la chaleur naturelle agit par la puissance de l’âme en tant qu’elle est son instrument, comme on le dit dans Sur l’âme, II, raison pour laquelle elle ne réchauffe pas seulement, mais agit en vue de la génération de la chair animée, de même la qualité active agit par la puissance de la forme substantielle. C’est pourquoi, par cette action, non seulement la matière est-elle amenée à une forme accidentelle en acte, mais aussi à une forme substantielle en acte.

 

 

 

 

Articulus 5 : [3474] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 tit. Utrum mundus sit aeternus

Article 5 – Le monde est-il éternel ?

 

[3475] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod mundus sit aeternus: et ad hoc possunt adduci rationes sumptae ex quatuor, scilicet ex substantia caeli, ex tempore, ex motu, et ex agente vel movente. Ex substantia caeli sic. Omne quod est ingenitum et incorruptibile, semper fuit et semper erit. Sed materia prima est ingenita et incorruptibilis; quia omne quod generatur, generatur ex subjecto, et quod corrumpitur, corrumpitur in subjectum; materiae autem primae non est aliquod subjectum. Ergo materia prima semper fuit et semper erit. Sed materia nunquam denudatur a forma. Ergo materia ab aeterno fuit perfecta formis suis, quibus species constituuntur; ergo universum ab aeterno fuit, cujus istae species sunt partes. Et haec est ratio Aristotelis in 1 Physic.

1. Il semble que le monde soit éternel. En ce sens, on peut invoquer des raisons tirées de quatre sources : la substance du ciel, le temps, le mouvement et l’agent ou le moteur. Quant à la substance du ciel, voici : tout ce qui est inengendré et incorruptible a toujours existé et existera toujours. Or, la matière première est inengendrée et incorruptible, car tout ce qui est engendré est engendré à partir d’un sujet, et ce qui est corrompu est corrompu dans un sujet. Or, la matière première n’est pas un sujet. La matière première a donc toujours existé et existera toujours. Or, la matière n’est jamais privée de forme. La matière a donc toujours été perfectionnée par ses formes, qui constituent les espèces. L’univers, dont font partie ces espèces, a donc existé depuis l’éternité. Telle est l’argument d’Aristote dans Physique, I.

 

[3476] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, quod non habet contrarium, non est corruptibile nec generabile; quia generatio est ex contrario, et corruptio in contrarium. Sed caelum non habet contrarium, cum motui ejus nihil contrarietur. Ergo caelum non est generabile nec corruptibile: ergo semper fuit et semper erit. Et haec est ratio philosophi in 1 caeli et mundi.

2. Ce qui n’a pas de contraire n’est pas corruptible ni susceptible d’être engendré, car la génération vient d’un contraire et la corruption va vers un contraire. Or, le ciel n’a pas de contraire, puisque rien n’est contraire à son mouvement. Le ciel ne peut donc être ni engendré ni corrompu. Il a donc toujours existé et existera toujours. Tel est l’argument du Philosophe dans Le ciel et le monde, I.

 

[3477] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, secundum positionem fidei, substantia mundi ponitur incorruptibilis. Sed omne incorruptibile est ingenitum. Ergo mundus est ingenitus: ergo fuit semper. Probatio mediae. Omne quod est incorruptibile, habet virtutem quod sit semper. Sed illud quod habet virtutem quod sit semper, non invenitur quandoque ens et quandoque non ens; quia sequeretur quod simul esset ens et non ens: toto enim tempore aliquid est ens ad quod virtus sua essendi determinatur; unde si habet virtutem ut sit in omni tempore, in omni tempore est: et ita, si ponatur aliquando non esse, sequitur quod simul sit et non sit. Ergo nullum incorruptibile est quandoque ens et quandoque non ens. Sed omne generabile est hujusmodi. Ergo et cetera. Et haec est ratio philosophi in 1 de Cael. et Mund.

3. Selon l’affirmation de la foi, la substance du monde est considérée comme incorruptible. Or, tout ce qui est incorruptible est inengendré. Le monde est donc inengendré. Il a donc toujours existé. Démonstration de la mineure. Tout ce qui est incorruptible a le pouvoir de toujours exister. Or, on ne trouve pas que ce qui a la capacité de toujours exister existe parfois et parfois n’existe pas, car il en découlerait qu’une chose existerait et n’existerait pas. En effet, une chose existe pendant tout le temps auquel sa capacité d’être est déterminée. Si donc elle a la capacité d’exister tout le temps, elle existe toujours. Et ainsi, si on affirme qu’elle n’existe pas à un certain moment, il en découle qu’elle existe et n’existe pas en même temps. Donc, rien d’incorruptible n’existe parfois et parfois n’existe pas. Or, tout ce qui est susceptible d’être engendré est de cette sorte. Donc, etc. Tel est l’argument du Philosophe dans Le ciel et le monde, I.

 

[3478] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, omne quod alicubi est ubi prius nihil erat, est in eo quod prius fuit vacuum: quia vacuum est in quo potest esse corpus, cum nihil sit ibi. Sed si est mundus factus ex nihilo; ubi nunc est mundus, prius nihil erat. Ergo ante mundum fuit vacuum. Sed vacuum esse est impossibile, ut probatur in 4 Physic., et ut multa experimenta sensitiva demonstrant in multis ingeniis quae per hoc fiunt quod natura non patitur vacuum. Ergo impossibile est mundum incepisse. Et haec ratio est Commentatoris in 3 Cael. et Mund.

4. Tout ce qui existe là où il n’existait rien existe là où existait d’abord le vide, puisque le vide est là où un corps peut exister, alors qu’il n’y a rien. Or, si le monde a été créé à partir de rien, rien n’existait là où le monde existe maintenant. Donc, avant le monde, c’était le vide. Or, il est impossible que le vide existe, comme on le démontre dans Physique, IV, et comme le démontrent de nombreuses expériences sensibles dans plusieurs expériences ingénieuses, qui font en sorte que la nature ne souffre pas le vide. Il est donc impossible que le monde ait commencé. Tel est l’argument du Commentateur dans Le ciel et le monde, III.

 

[3479] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 5 Idem potest argui ex parte temporis sic. Omne quod est semper in principio et fine sui, semper fuit et semper erit: quia post principium est aliquid, et ante finem. Sed tempus semper est in eo quod est principium temporis et finis; quia nihil est temporis nisi nunc, cujus definitio est quod sit finis praeteriti, et principium futuri. Ergo videtur quod semper fuit tempus, et semper erit; et ita motus, et mobile, et totus mundus. Et haec est ratio philosophi in 8 Physic.

5. On peut raisonner de la même manière du point de vue du temps. Tout ce qui existe toujours au commencement et à la fin a toujours existé et existera toujours, car il existe quelque chose après le commencement et avant la fin. Or, le temps existe toujours là où existent le commencement et la fin, car rien du temps n’existe que le présent, dont la définition est d’être la fin de ce qui est passé et le commencement de ce qui est à venir. Il semble donc que le temps a toujours existé et existera toujours, et ainsi le mouvement, ce qui est mobile et le monde entier. Tel est l’argument du Philosophe dans Physique, VIII.

 

[3480] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, omne id quod nunquam potest demonstrari ut stans, sed semper ut fluens, habet aliquid ante se a quo fluit. Sed nunc non potest demonstrari ut stans, sicut punctus, sed semper ut fluens; quia ratio tota temporis est in fluxu et successione. Ergo oportet ante quodlibet nunc ponere aliud nunc: ergo impossibile est imaginari tempus habuisse primum nunc: ergo tempus semper fuit, et ita ut prius. Et haec est ratio Commentatoris ibidem.

6. Tout ce dont on peut démontrer que cela dure, mais en s’écoulant toujours, a avant lui quelque chose dont il a découlé. Or, on ne peut démontrer que le présent dure, comme le point, tout en s’écoulant toujours, car toute la notion de temps consiste dans l’écoulement et la succession. Il est donc nécessaire d’affirmer avant n’importe quel présent un autre présent. Il est ainsi impossible d’imaginer que le temps ait eu un premier présent. Le temps a donc toujours existé, et la conclusion est la même que précédemment. Tel est l’argument du Commentateur au même endroit.

 

[3481] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 7 Praeterea, creator mundi aut praecedit mundum tantum natura, aut etiam duratione. Si natura tantum, sicut causa effectum; ergo quandocumque fuit creator, fuit creatura; et ita mundus ab aeterno. Si autem duratione; prius autem et posterius in duratione causat rationem temporis: ergo ante totum mundum fuit tempus: et hoc est impossibile; quia tempus est accidens motus, nec est sine motu. Ergo impossibile est mundum non semper fuisse. Et haec est ratio Avicennae in sua Metaph.

7. Le créateur du monde précède le monde soit par nature seulement, soit aussi par la durée. Si c’est par nature seulement, c’est comme la cause précède l’effet. Donc, quel que soit le moment où a a été créateur, la créature a existé, et ainsi le monde existe éternellement. Mais si c’est par la durée, l’avant et l’après dans la durée causent la notion de temps ; et cela est impossible, car le temps est un accident du mouvement et il n’existe pas sans mouvement. Il est donc impossible que le monde n’ait pas toujours existé. Tel est l’argument d’Avicenne dans sa Métaphysique.

 

[3482] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 8 Idem potest ostendi ex parte motus. Impossibile enim est novam relationem esse inter aliqua nisi aliqua mutatione facta circa alterum eorum; sicut patet in qualitate; non enim aliqua fiunt de novo aequalia, nisi altero extremorum augmentato vel diminuto. Sed omnis motus importat relationem moventis ad motum, quae relative opponuntur. Ergo impossibile est motum esse novum, nisi praecedat aliqua mutatio vel in movente vel in moto: sicut quod unum approximetur ad alterum, vel aliquid aliud hujusmodi. Ergo ante omnem motum est motus; et sic motus est ab aeterno, et mobile, et mundus. Et haec est ratio philosophi, in 8 Physic.

8. On peut le montrer à partir du mouvement. En effet, il est impossible qu’existe une nouvelle relation entre des choses, sinon par le changement accompli dans l’une d’elles, comme cela ressort pour la qualité. En effet, des choses ne redeviennent égales que par l’augmentation ou la diminution des extrêmes. Or, tout mouvement comporte une relation entre ce qui meut et ce qui est mû, qui sont opposés par mode de relation. Il est donc impossible qu’existe un nouveau mouvement sans que précède un changement dans ce qui meut ou dans ce qui est mû, comme le fait que l’un se rapproche de l’autre, ou quelque chose chose d’autre de ce genre. Donc, avant tout mouvement existe un mouvement, et ainsi le mouvement existe éternellement, ainsi que ce qui est mû et le monde. Tel est le raisonnement du Philosophe dans Physique, VIII.

 

[3483] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 9 Praeterea, omne illud cujus motus quandoque est et quandoque quiescit, reducitur ad aliquem motum continuum, qui semper est: quia hujus successionis, quae est ex vicissitudine motus et quietis, non potest esse causa aliquid eodem modo se habens; quia idem eodem modo se habens, semper facit idem. Ergo oportet quod causa hujus vicissitudinis sit aliquis motus qui non est semper; et sic oportet quod habeat aliquem motum praecedentem: et cum non sit abire in infinitum, oportet devenire ad aliquem motum qui semper est; et sic idem quod prius. Et haec ratio est Commentatoris in 8 Physic. Idem potest etiam extrahi ex verbis philosophi. Inducit etiam hanc rationem Commentator in 7 Metaph., ad ostendendum, quod si mundus esset factus, oporteret quod hic mundus esset pars alterius mundi, cujus motu accideret variatio in mundo isto, sive in vicissitudine motus et quietis, sive in vicissitudine esse et non esse.

9. Tout ce dont le mouvement existe parfois et parfois cesse se ramène à quelque chose qui est mû de manière continue, qui existe toujours, car la cause de cette succession, qui vient de la précarité du mouvement et du repos, ne peut être quelque chose qui est toujours identique, puisque quelque chose qui est toujours identique fait toujours la même chose. Il est donc nécessaire que la cause de cette précarité soit un mouvement qui n’existe pas toujours ; elle doit donc avoir un mouvement antérieur, et puisqu’on ne peut remonter à l’infini, il faut en venir à un moteur qui existe toujours. La conclusion est ainsi la même que précédemment. Cet argument est celui du Commentateur dans Physique, VIII. La même chose peut être tirée des paroles du Philosophe. Le Commentateur fait aussi appel à ce raisonnement dans Métaphysique, VII, pour montrer que si le monde avait été créé, il faudrait que ce monde soit une partie d’un autre monde, par le mouvement duquel un changement se produirait dans ce monde, soit en raison de la précarité du mouvement et du repos, soit en raison de la précarité de l’être et du non-être.

 

[3484] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 10 Praeterea, generatio unius est corruptio alterius. Sed nihil corrumpitur nisi generetur prius. Ergo ante omnem generationem est generatio, et ante omnem corruptionem corruptio. Sed haec non potuerunt esse, nisi mundo existente. Ergo mundus semper fuit. Et haec est ratio philosophi in 1 de generatione.

10. La génération est la corruption de quelque chose d’autre. Or, rien n’est corrompu qui ne soit d’abord engendré. Avant toute génération, il existe donc une génération, et avant toute corruption, il existe une corruption, Or, celles-ci n’ont pu exister que si le monde existait. Le monde a donc toujours existé. Tel est l’argument du Philosophe dans Sur la génération, I.

 

[3485] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 11 Idem potest ostendi ex parte ipsius moventis vel agentis. Omnis enim actio vel motus quae est ab agente vel movente non moto, oportet quod sit semper. Sed primum agens vel movens est omnino immobile. Ergo oportet quod actio ejus et motus ejus sit semper. Prima sic probatur. Omne quod agit vel movet postquam non agebat vel movebat, educitur de potentia in actum, quia unumquodque agit secundum id quod est in actu: unde si agit postquam non agebat, oportet quod sit aliquid in actu in eo quod prius erat in potentia. Sed omne quod educitur de potentia in actum movetur. Ergo omne quod agit postquam non agebat, movetur. Et haec ratio potest extrahi ex verbis philosophi, in 8 Physic.

11. La même chose peut être montrée du point de vue de ce qui meut ou de l’agent. En effet, toute action ou mouvement, qui est le fait d’un agent ou d’un moteur non mû, doit toujours exister. Or, le premier agent ou moteur est tout à fait immobile. Il faut donc que son action et son mouvement existe toujours. La majeure se démontre ainsi. Tout ce qui agit ou meut, après n’avoir pas agi ni mû, est amené de la puissance à l’acte, car tout agit selon ce qu’il est en acte. S’il agit après n’avoir pas agi, il faut donc qu’existe en lui quelque chose en acte, qui était d’abord en puissance. Or, tout ce qui est amené de la puissance à l’acte est mû. Donc, tout ce qui agit après n’avoir pas agi est mû. Cet argument peut être tiré des paroles du Philosophe, Physique, VIII.

 

[3486] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 12 Praeterea, Deus aut est agens per voluntatem, aut per necessitatem naturae. Si per necessitatem naturae, cum talia sint determinata ad unum, oportet quod ab eo semper idem fiat: unde si ab eo mundus est aliquando factus, necesse est mundum esse aeternum. Si autem agens per voluntatem; omnis autem voluntas non incipit agere de novo nisi aliquis motus fiat in volente, vel ab aliquo impediente, quod prius erat et postmodum cessat, vel ex eo quod excitatur nunc et non prius, aliquo inducente ad agendum quod prius non inducebat: cum ergo voluntas Dei immobiliter eadem maneat, videtur quod non incipiat de novo agere. Et ista ratio communiter est philosophi in 8 Physic., et Avicennae, et Commentatoris.

12. Dieu agit soit par sa volonté, soit par une nécessité de nature. Si c’est par nécessité de nature, puisque les choses de ce genre sont déterminées à une seule chose, il fait en sorte que toujours la même chose vient de lui. Si le monde a été fait par lui à un certain moment, il est donc nécessaire que le monde soit éternel. Mais s’il agit par volonté, comme toute volonté ne se met à agir de nouveau que si un mouvement se produit chez celui qui veut, venant soit de quelque chose qui l’empêche, qui existait d’abord et cesse par la suite, soit du fait qu’elle est maintenant stimulée, alors qu’elle ne l’était pas auparavant, par quelque qui l’incite, alors que cela ne l’incitait pas auparavant ; puisque la volonté de Dieu demeure la même sans mouvement, il semble donc qu’elle ne se mette pas à agir de nouveau. Cet argument vient conjointement du Philosophe, Physique, VIII, d’Avicenne et du Commentateur.

 

[3487] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 13 Praeterea, omnis volens quandoque agere et quandoque non agere, oportet quod imaginetur tempus post tempus, discernendo tempus in quo vult agere, a tempore in quo non vult agere. Sed imaginari tempus post tempus, sequitur mutationem vel ipsius imaginationis, vel saltem imaginati, quia successio temporis causatur a successione motus, ut patet ex 4 Physic. Ergo impossibile est quod voluntas incipiat aliquem novum motum agere quem non praecedat alius motus. Et haec est ratio Commentatoris in 8 Physic.

13. Pour tout ce qui veut parfois agir et parfois ne pas agir, il faut imaginer un temps après un autre temps, en distinguant le temps où cela veut agir du temps où cela ne veut pas agir. Or, imaginer un temps après un autre découle d’un changement, soit de l’imagination elle-même, soit à tout le moins de ce qui est imaginé, car la succession du temps est causée par la succession du mouvement, comme cela ressort de Physique IV. Il est donc impossible que la volonté commence à faire un nouveau mouvement qu’un autre mouvement ne précèderait pas. Tel est l’argument du Commentateur dans Physique, VIII.

 

[3488] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 arg. 14 Praeterea, omnis voluntas efficiendi statim producit effectum, nisi desit aliquid illi volito quod sibi postmodum adveniat; sicut si modo habeam voluntatem faciendi ignem cras quando erit frigus, modo isti volito deest praesentia frigoris, qua adveniente, statim faciam ignem, si possum, nisi ad hoc aliquid aliud desit. Sed Deus habuit voluntatem aeternam faciendi mundum; alias esset mutabilis. Ergo impossibile est quod ab aeterno non fecerit mundum, nisi per hoc quod aliquid mundo deerat quod postmodum advenit. Sed non potuit advenire nisi per actionem aliquam. Ergo oportet quod ante hoc de novo factum praecedat aliqua actio mutationem faciens; et ita a voluntate aeterna nunquam procedat aliquid novum, nisi motu mediante aeterno. Ergo oportet mundum aeternum semper fuisse. Et haec est ratio Commentatoris, ibidem.

14. Toute volonté de faire produit aussitôt son effet, à moins que ne fasse défaut à ce qui est voulu ce qui y survient par la suite. Ainsi, si j’ai maintenant la volonté de faire du feu demain, alors qu’il fera froid, la présence du froid fait maintenant défaut à ce qui est ainsi voulu ; si elle survient, je ferai aussitôt du feu, si je le peux, à moins qu’il n’y manque quelque chose d’autre. Or, Dieu a eu éternellement la volonté de faire le monde, autrement, il pourrait être changeant. Il est donc impossible qu’il n’ait pas fait le monde éternellement, à moins que n’ait fait défaut au monde quelque chose qui est survenu par la suite. Or, cela ne pouvait survenir que par une action. Il faut donc qu’avant ce qui a été fait de nouveau, précède une action qui produit le changement. Et ainsi, jamais quelque chose de nouveau ne procède de la volonté éternelle, si ce n’est par l’intermédiaire d’un mouvement éternel. Il faut donc que le monde ait toujours existé. Tel est l’argument du Commentateur, au même endroit.

 

[3489] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, Deus aut est causa substantiae mundi, aut non, sed motus ejus tantum. Si motus tantum, ergo ejus substantia non est creata: ergo est primum principium; et sic erunt plura prima principia et plura increata, quod supra improbatum est. Si autem est causa substantiae caeli, dans esse caelo; cum omne quod recipit esse ab aliquo, sequatur ipsum in duratione, videtur quod mundus non semper fuerit.

Cependant, [1] soit Dieu est cause de la substance du monde, soit il ne l’est pas, mais [il est cause] de son mouvement seulement. S’il est cause de son mouvement seulement, la substance [du monde] n’est pas créée. Elle est donc un premier principe. Il y aura ainsi plusieurs premiers principes et plusieurs réalités incréées, ce qui a été réfuté plus haut. Mais si [Dieu] est cause de la substance du ciel en donnant l’être au ciel, puisque tout ce qui reçoit l’être d’une chose la suit dans la durée, il semble donc que le monde n’ait pas toujours existé.

 

[3490] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, omne creatum est ex nihilo factum. Sed omne quod est ex nihilo factum est ens postquam fuit nihil, cum non sit simul ens et non ens. Ergo oportet quod caelum prius non fuerit et postmodum fuerit, et sic totus mundus.

[2] Tout ce qui est créé est fait à partir de rien. Or, tout ce qui a été fait à partir de rien est un être, après avoir été néant, puisque l’être et le non-être n’existent pas en même temps. Il faut donc que d’abord le ciel n’ait pas existé et ait existé par la suite, et ainsi l’ensemble du monde.

 

[3491] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, si mundus fuit ab aeterno, ergo infiniti dies praecesserunt diem istum. Sed infinita non est transire. Ergo nunquam fuisset devenire ad hunc diem; quod falsum est: ergo et cetera.

[3] Si le monde existait depuis l’éternité, un nombre infini de jours a précédé le jour présent. Or, ce qui est infini ne passe pas. On ne serait donc jamais parvenu au jour présent, ce qui est faux. Donc, etc.

 

[3492] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 4 Praeterea, cuicumque potest fieri additio, isto potest esse aliquid majus vel plus. Sed diebus qui praecesserunt, potest fieri dierum additio. Ergo tempus praeteritum potest esse majus quam sit. Sed infinito non est majus, nec potest esse. Ergo tempus praeteritum non est infinitum.

[4] Là où une addition peut être faite, quelque chose de plus grand ou de plus peut l’être. Or, on peut ajouter des jours à ceux qui ont précédé. Le passé peut donc être plus grand qu’il ne l’est. Or, il n’y a pas de plus grand que l’infini, et il ne peut pas y en avoir. Le passé n’est donc pas infini.

 

[3493] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 5 Praeterea, si mundus fuit ab aeterno, ergo et generatio fuit ab aeterno tam hominum quam animalium. Sed omnis generatio habet generans et generatum; generans autem est causa efficiens generati; et sic in causis efficientibus est procedere in infinitum, quod est impossibile, ut probatur in 2 Metaph. Ergo impossibile est generationem semper fuisse, et mundum.

[5] Si le monde a existé depuis l’éternité, la génération des hommes, comme celle des animaux, a donc aussi existé depuis l’éternité. Or, en toute génération, il y a ce qui engendre et ce qui est engendré : ce qui engendre est la cause de ce qui est engendré, et ainsi il faut remonter à l’infini pour les causes efficientes, ce qui est impossible, comme le démontre Métaphysique, II. Il est donc impossible que la génération et le monde aient toujours existé.

 

[3494] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 6 Praeterea, si mundus semper fuit, homines semper fuerunt. Ergo infiniti homines sunt mortui ante nos. Sed homine moriente non moritur anima ejus, sed manet. Ergo modo sunt infinitae animae in actu a corporibus absolutae. Sed impossibile est infinitum esse in actu, ut in 3 Physic. probatur. Ergo impossibile est mundum semper fuisse.

[6] Si le monde a toujours existé, les hommes ont toujours existé. Donc, un nombre infini d’hommes sont morts avant nous. Or, lorsqu’un homme meurt, son âme ne meurt pas, mais demeure. Il existe donc maintenant en acte un nombre infini d’âmes séparées du corps. Or, il est impossible que l’infini existe en acte, comme on le démontre dans Physique, III. Il est donc impossible que le monde ait toujours existé.

 

[3495] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 7 Praeterea, impossibile est aliquid Deo aequiparari. Sed si mundus semper fuisset, aequipararetur Deo in duratione. Ergo hoc est impossibile.

[7] Il est impossible que quelque chose soit égal à Dieu. Or, si le monde avait toujours existé, il serait égal à Dieu par la durée. Cela est donc impossible.

 

[3496] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 8 Praeterea, nulla virtus finita, est ad operationem infinitam. Sed virtus caeli est virtus finita, cum magnitudo ejus finita sit, et impossibile sit a magnitudine finita esse virtutem infinitam. Ergo impossibile est quod motus ejus fuerit in tempore infinito, et similiter impossibile est ut esse ejus tempore infinito duraverit: quia duratio rei non excedit virtutem quam habet ad esse: et sic incepit quandoque.

[8] Aucune puissance finie n’est apte à une opération infinie. Or, la puissance du ciel est une puissance finie, puisque sa grandeur est finie et qu’il est impossible qu’une grandeur finie ait une puissance infinie. Il est donc impossible que son mouvement ait existé pendant un temps infini, et de même il est impossible que son être ait duré pendant un temps infini, car la durée d’une chose ne dépasse pas la puissance qu’elle a par rapport à l’être. [Le ciel] a donc commencé à un certain moment.

 

[3497] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 s. c. 9 Praeterea, nullus dubitat quin Deus natura praecedat mundum. Sed in Deo idem est natura et duratio sua. Ergo duratione Deus mundum praecedit. Ergo mundus non fuit ab aeterno.

[9] Personne ne doute que Dieu précède le monde par sa nature. Or, en Dieu, sa nature et sa durée sont la même chose. Dieu a donc précédé le monde par sa durée. Le monde n’a donc pas existé depuis l’éternité.

 

[3498] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc quaestionem est triplex positio. Prima est philosophorum, qui dixerunt, quod non solum Deus est ab aeterno, sed etiam aliae res; sed differenter: quia quidam ante Aristotelem posuerunt quod mundus est generabilis et corruptibilis, et quod ita est de toto universo sicut de aliquo particulari alicujus speciei, cujus unum individuum corrumpitur, et aliud generatur. Et haec fuit opinio Empedoclis. Alii dixerunt, quod res fuerunt quiescentes tempore infinito, et per intellectum coeperunt moveri, extrahentem et segregantem unum ab alio. Et haec fuit opinio Anaxagorae. Alii dixerunt, quod res ab aeterno movebantur motu inordinato, et postea reductae sunt ad ordinem, vel casu, sicut ponit Democritus, quod corpora indivisibilia ex se mobilia casu adunata sunt ad invicem, vel a creatore, et hoc ponit Plato, ut dicitur in 3 caeli et mundi. Alii dixerunt, quia res fuerunt ab aeterno secundum illum ordinem quo modo sunt; et ista est opinio Aristotelis, et omnium philosophorum sequentium ipsum; et haec opinio inter praedictas probabilior est: tamen omnes sunt falsae et haereticae. Secunda positio est dicentium, quod mundus incepit esse postquam non fuerat, et similiter omne quod est praeter Deum, et quod Deus non potuit mundum ab aeterno facere, non ex impotentia ejus, sed quia mundus ab aeterno fieri non potuit, cum sit creatus: volunt etiam quod mundum incepisse, non solum fide teneatur, sed etiam demonstratione probetur. Tertia positio est dicentium, quod omne quod est praeter Deum, incepit esse; sed tamen Deus potuit res ab aeterno produxisse; ita quod mundum incepisse non potuit demonstrari, sed per revelationem divinam esse habitum et creditum. Et haec positio innititur auctoritati Gregorii, qui dicit quod quaedam prophetia est de praeterito, sicut Moyses prophetizavit cum dixit Genes. 1: in principio creavit Deus caelum et terram. Et huic positioni consentio: quia non credo, quod a nobis possit sumi ratio demonstrativa ad hoc; sicut nec ad Trinitatem, quamvis Trinitatem non esse sit impossibile; et hoc ostendit debilitas rationum quae ad hoc inducuntur pro demonstrationibus, quae omnes a philosophis tenentibus aeternitatem mundi positae sunt et solutae: et ideo potius in derisionem quam in confirmationem fidei vertuntur si quis talibus rationibus innixus contra philosophos novitatem mundi probare intenderet. Dico ergo, quod ad neutram partem quaestionis sunt demonstrationes, sed probabiles vel sophisticae rationes ad utrumque. Et hoc significant verba philosophi dicentis quod sunt quaedam problemata de quibus rationem non habemus, ut utrum mundus sit aeternus; unde hoc ipse demonstrare nunquam intendit: quod patet ex suo modo procedendi; quia ubicumque hanc quaestionem pertractat, semper adjungit aliquam persuasionem vel ex opinione plurium, vel approbatione rationum, quod nullo modo ad demonstratorem pertinet. Causa autem quare demonstrari non potest, est ista, quia natura rei variatur secundum quod est in esse perfecto, et secundum quod est in primo suo fieri, secundum quod exit a causa; sicut alia natura est hominis jam nati, et ejus secundum quod est adhuc in materno utero. Unde si quis ex conditionibus hominis nati et perfecti vellet argumentari de conditionibus ejus secundum quod est imperfectus in utero matris existens, deciperetur; sicut narrat Rabbi Moyses, de quodam puero, qui mortua matre, cum esset paucorum mensium, et nutritus fuisset in quadam insula solitaria, perveniens ad annos discretionis, quaesivit a quodam, an homines essent facti, et quomodo; cui cum exponerent ordinem nativitatis humanae, objecit puer hoc esse impossibile, asserens, quia homo nisi respiret et comedat, et superflua expellat, nec per unum diem vivere potest; unde nec in utero matris per novem menses vivere potest. Similiter errant qui ex modo fiendi res in mundo jam perfecto volunt necessitatem vel impossibilitatem inceptionis mundi ostendere: quia quod nunc incipit esse, incipit per motum; unde oportet quod movens praecedat duratione: oportet etiam quod praecedat natura, et quod sint contrarietates, et haec omnia non sunt necessaria in progressu universi esse a Deo.

Réponse. Sur cette question, il y a trois positions. La première est celle des philosophes qui ont dit que, non seulement Dieu existe depuis l’éternité, mais aussi les autres réalités ; de manière différente, cependant, car certains, antérieurs à Aristote, ont affirmé que le monde peut être engendré et se corrompre, et qu’il en est ainsi de l’ensemble de l’univers comme d’une chose particulière d’une espèce, dont un individu se corrompt et un autre est engendré. Telle fut l’opinion d’Empédocle. D’autres ont dit que les choses ont été au repos pendant un temps infini et qu’elles ont commencé à être mues par une intelligence qui a tiré et séparé une chose d’une autre. Telle fut l’opinion d’Anaxagore. D’autres ont dit que les choses étaient mues depuis l’éternité d’un mouvement désordonné et que, par la suite, elles ont été ramenées à l’ordre, soit par le hasard, comme Démocrite affirme que les corps indivisibles, mobiles par eux-mêmes, ont été réunis les uns avec les autres par le hasard ou par un créateur. Platon affirme cela, comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, III. D’autres ont dit que les choses ont existé depuis l’éternité dans l’ordre où elles se trouvent maintenant : telle est l’opinion d’Aristote et de tous les philosophes qui l’ont suivi. Cette opinion est la plus probable de celles qui ont été rappelées ; cependant, toutes sont fausses et hérétiques. La deuxième opinion est celle de ceux qui disent que le monde a commencé exister, alors qu’il n’avait pas existé, qu’il en est de même pour tout ce qui n’est pas Dieu, et que Dieu ne pouvait pas créer le monde depuis l’éternité, non pas en raison de son impuissance, mais parce que le monde ne pouvait pas être créé depuis l’éternité, puisqu’il est créé. Ils veulent aussi que le fait que le monde a commencé ne soit pas soutenu par la foi seulement, mais que cela soit prouvé par une démonstration. La troisième position est celle de ceux qui disent que tout ce qui existe, à part Dieu, a commencé à être ; cependant, Dieu pouvait produire les choses depuis l’éternité, de telle sorte que le fait pour le monde d’avoir commencé ne pouvait pas être démontré, mais était obtenu et cru en vertu d’une révélation divine. Cette position s’appuie sur l’autorité de Grégoire, qui dit d’une certaine prophétie qu’elle portait sur le passé ; ainsi, Moïse prophétisa lorsqu’il dit, Gn 1 : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Et je suis d’accord avec cette position, car je ne crois pas qu’un argument démonstratif puisse être tiré de nous à cette fin, comme pour la Trinité, bien qu’il soit impossible que la Trinité n’existe pas. Et cela montre la faiblesse des arguments qui sont invoqués comme des démonstrations, qui ont tous été affirmés et résolus par les philosophes qui affirmaient l’éternité du monde. C’est pourquoi ils tournent davantage à la dérision qu’à la confirmation de la foi, si quelqu’un, en s’appuyant sur de tels arguments, avait l’intention de prouver contre les philosophes le commencement du monde. Je dis donc qu’il n’existe de démonstrations pour aucune des deux parties de la question, mais des arguments probables ou relevant d’un argument de sophiste pour les deux. C’est ce que signifient les paroles du Philosophe : il dit qu’il existe certains problèmes dont nous ne pouvons pas rendre compte, comme celui de l’éternité du monde. Aussi n’a-t-il pas lui-même eu l’intention de démontrer cela, ce qui ressort clairement de sa manière de procéder, car, partout où il traite de cette question, il s’efforce toujours de persuader en faisant appel soit à l’opinion d’un grand nombre, soit à la confirmation de [leurs] arguments, ce qui n’est pas du tout le fait de quelqu’un qui démontre. Or, la cause pour laquelle cela ne peut pas être démontré est celle-ci : la nature d’une chose varie selon qu’elle a son être achevé et selon qu’elle est en son premier devenir, alors qu’elle sort de sa cause. Ainsi, autre est la nature de l’homme déjà né, autre celle qu’il a lorsqu’il est encore dans le sein maternel. Si donc quelqu’un voulait raisonner, à partir des conditions de l’homme né et achevé, sur les conditions qui sont les siennes, alors qu’il est imparfait dans le sein maternel, il se tromperait. Ainsi rabbi Moïse raconte, à propos d’un enfant, dont la mère était morte alors qu’il n’avait que quelques mois et qu’il avait été élevé sur une île solitaire, que, parvenu à l’âge de discrétion, il demanda à quelqu’un si les hommes avaient été créés et comment. Comme on lui expliquait le processus de la naissance humaine, l’enfant objecta que cela était impossible : il affirmait que, si l’homme ne respire pas, ne mange pas et n’élimine pas le superflu, il ne peut vivre pendant une seule journée. Il ne peut donc pas non plus vivre pendant neuf mois dans le sein de sa mère. De même, ceux-là se trompent, qui veulent montrer la nécessité ou l’impossibilité du commencement du monde à partir de la manière dont les choses apparaissent dans un monde déjà achevé, car ce qui commence à exister maintenant commence par un mouvement. Aussi est-il nécessaire que ce qui meut précède dans la durée ; il faut aussi qu’il précède par nature et qu’existent des contraires. Et il n’est pas nécessaire que tout cela existe pour le progression de l’univers vers l’être à partir de Dieu.

 

[3499] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum est, quod materia est ingenita et incorruptibilis, non tamen sequitur quod semper fuerit: quia incepit esse non per generationem ex aliquo sed omnino ex nihilo; et similiter posset deficere si Deus vellet, cujus voluntate materiae et toti mundo esse communicatur.

1. La matière est inengendrée et incorruptible. Il n’en découle cependant pas qu’elle ait toujours existé, car elle a commencé à exister, non pas par génération à partir de quelque chose, mais entièrement à partir de rien. De même pourrait-elle faire défaut, si Dieu le voulait, par la volonté de qui l’être est communiqué à la matière et au monde tout entier.

 

[3500] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 2 Et similiter dicendum est ad secundum, quod illa ratio procedit de inceptione per generationem et motum; unde illa est ratio contra Empedoclem et alios, qui posuerunt caelum generari.

2. De même, il faut répondre au deuxième argument que cet argument vient du commencement par génération et par mouvement ; c’est donc un argument contre Empédocle et les autres qui ont affirmé que le ciel est engendré.

 

[3501] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia quae nunc est in caelo ad durationem non mensuratur ad determinatum tempus; unde per eam in ante et post potuit infinito tempore esse, si eam semper habuisset: sed hanc potentiam durationis non semper habuit, sed voluntate divina in sua creatione sibi tradita est.

3. La puissance qui existe maintenant dans le ciel en vue de sa durée n’est pas mesurée par un temps déterminé. Aussi a-t-il pu exister par elle avant comme après pendant un temps infini, s’il l’avait toujours possédée. Mais il n’a pas toujours possédé cette capacité de durer : elle lui a été donnée par la volonté divine lors de sa création.

 

[3502] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ante creationem mundi non fuit vacuum, sicut neque post: vacuum enim non est tantum negatio sed privatio; unde ad positionem vacui oportet ponere locum vel dimensiones separatas, sicut ponentes vacuum dicebant, quorum nullum ponimus ante mundum. Et si dicatur, quod possibile erat ante factionem mundi, mundum futurum esse ubi nunc est, dicendum ad hoc, quod non erat nisi in potestate agentis, ut supra dictum est.

4. Avant la création du monde, il n’y avait de vide, ni après. En effet, le vide n’est pas seulement une négation, mais une privation. Pour affirmer le vide, il faut donc affirmer le lieu ou des dimensions distinctes, comme le disaient ceux qui affirmaient le vide. Nous n’affirmons rien de cela avant le monde. Et si l’on dit qu’il était possible, avant la création du monde, que le monde soit là où il est maintenant, il faut répondre à cela qu’il n’existait que dans la puissance de l’agent, comme on l’a dit plus haut.

 

[3503] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa ratio est circularis, quod sic patet secundum philosophum. Per prius et posterius in motu, est prius et posterius in tempore; unde quando dicitur, quod omne nunc sit finis prioris, et posterioris principium, supponitur quod omne momentum motus sequatur quemdam motum, et praecedat quemdam. Unde dico, quod propositio illa non potest probari nisi ex suppositione ejus quod per eam concluditur; et ideo patet quod non est demonstratio.

5. Cet argument est circulaire, ce que le Philosophe fait ainsi ressortir. Ce qui est antérieur et postérieur dans le temps vient de ce qui antérieur et postérieur par le mouvement. Aussi, lorsqu’on dit que tout présent est la fin de ce qui est antérieur et le début de ce qui est postérieur, on suppose que tout moment d’un mouvement suit un mouvement et en précède un autre. Je dis donc que cette proposition ne peut être prouvée qu’en supposant sa conclusion. Il est donc clair qu’elle n’est pas une démonstration.

 

[3504] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod nunc nunquam intelligitur ut stans sed semper ut fluens; non autem ut fluens a priori, nisi motus praecedat, sed in posterius; nec iterum in posterius sed a priori, nisi motus sequatur. Unde si nunquam sequeretur vel praecederet motus, nunc non esset nunc: et hoc patet in motu particulari, qui sensibiliter incipit, cujus quodlibet momentum est fluens, et tamen aliquod est primum et aliquod ultimum, secundum terminum a quo et in quem.

6. Le présent ne se comprend jamais comme quelque chose de fixe, mais comme quelque chose qui s’écoule. Non pas cependant comme quelque chose qui s’écoule de ce qui est antérieur, à moins qu’un mouvement ne précède, mais comme quelque chose qui s’écoule vers ce qui est postérieur ; non pas non plus [comme quelque chose qui s’écoule] vers ce qui est postérieur, mais [qui s’écoule] de quelque chose d’antérieur, à moins qu’un mouvement ne suive. Aussi, si jamais un mouvement ne suivait ou ne précédait, le présent ne serait pas le présent. Cela ressort clairement dans un mouvement particulier qui commence de manière sensible, dont tout moment s’écoule ; cependant, il en existe un premier et un dernier, selon son terme a quo et ad quem.

 

[3505] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deus praecedit mundum non tantum natura sed etiam duratione: non tamen duratione temporis, sed aeternitatis; quia ante mundum non fuit tempus in rerum natura existens, sed imaginatione tantum: quia nunc imaginamur huic tempori finito, ex parte ante Deum potuisse multos annos addidisse quibus omnibus praesens esset aeternitas; et secundum hoc dicitur quod Deus potuit prius facere mundum quam fecerit et majorem et plures.

7. Dieu précède le monde non seulement par nature, mais aussi selon la durée, non pas selon la durée du temps, mais selon celle de l’éternité, car, avant le monde, le temps n’existait pas dans la nature des choses, mais en imagination seulement. En effet, nous imaginons qu’avant ce temps fini, Dieu pouvait ajouter plusieurs années et que, pendant toutes [ces années], l’éternité était présente. On dit ainsi que Dieu pouvait créer le monde avant qu’il ne l’a fait, [de même qu’un monde] plus grand et plusieurs mondes.

 

[3506] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod novitas relationis contingit non ex mutatione moventis sed ex mutatione mobilis, ut large mutatio sumatur pro creatione quae proprie mutatio non est, ut dictum est supra. Unde motum caeli praecedit creatio ejus ad minus enatura: creationem autem non praecedit aliqua mutatio, cum sit ex non ente simpliciter. Si tamen supponeretur quod etiam caelum extitisset antequam moveri coepisset, adhuc ratio non procederet: quia intelligendum est quod duplex est relatio. Quaedam est relatio absoluta, sicut in omnibus quae sunt ad aliquid secundum esse ut paternitas et filiatio; et talis relatio non efficitur nova nisi per acquisitionem illius in quo relatio fundatur; unde si acquiratur per motum, talis relatio sequitur motum; sicut similitudo unius ad alterum sequitur alterationem in qualitate supra quam fundatur relatio. Si autem acquiratur per creationem, sequitur creationem, sicut similitudo creaturae ad Deum fundatur super bonitatem quae per creationem acquiritur, per quam creatura Deo assimilatur. Quaedam autem relativa sunt quae simul important relationem et fundamentum relationis. Novitas autem talium relationum exigit acquisitionem illius rei quae significatur per nomen, sicut ipsius habitus qui est scientia; et similiter est de relatione quam importat nomen motus, quae efficitur nova per acquisitionem ipsius motus a movente in mobili.

8. La nouveauté de la relation ne vient pas d’un changement dans ce qui meut, mais d’un changement dans le mobile, si l’on « changement » de la création, qui n’est pas à proprement parler un changement, comme on l’a dit plus haut. Aussi la création du ciel précède-t-elle son mouvement, du moins par nature, mais aucun changement ne précède la création, puisqu’elle vient simplement du non-être. Si l’on supposait cependant que le ciel est apparu avant de se mouvoir, le raisonnement ne serait pas non plus correct, car il faut comprendre qu’il existe une double relation. L’une est la relation absolue, comme dans tout ce qui se rapporte à quelque chose d’autre selon l’être, comme la paternité et la filiation ; une telle relation ne commence que par l’acquisition de ce en quoi la relation est fondée. Aussi, si elle est acquise par le mouvement, une telle relation découle du mouvement, comme la ressemblance d’une chose avec une autre découle de l’altération de la qualité sur laquelle se fonde la relation. Mais si elle est acquise par création, elle découle de la création, comme la ressemblance de la créature avec Dieu se fonde sur la bonté qui est acquise par la création, par laquelle la créature est rendue semblable à Dieu. Mais il existe des choses relatives qui comportent simultanément la relation et le fondement de la relation. Le commencement de telles relations exige l’acquisition de la chose qui est signifiée par le mot, comme l’habitus même qu’est la science. De même en va-t-il de la relation que comporte le mot « mouvement », qui commence par l’acquisition du mouvement lui-même par le mobile à partir de ce qui meut.

 

[3507] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod hujusmodi vicissitudinis quod quandoque mundus non fuit et postmodum fuit, non est causa efficiens aliquis motus sed aliqua res semper eodem modo se habens, scilicet voluntas divina, quae ab aeterno fuit de hoc quod mundus in esse post non esse exiret. Et si diceretur, quod idem semper facit idem, dico, quod verum est, si accipiatur agens secundum propriam rationem, qua producit determinate hunc effectum. Sicut autem agens naturale determinatur per formam propriam, ut nunquam sequatur actio nisi secundum convenientiam ad formam illam; ita agens voluntarium determinatur ad actionem per propositum voluntatis; unde si voluntas non sit impedibilis nec mobilis, non sequitur effectus nisi secundum hoc quod voluntas proposuit; et hoc est verum quod voluntas divina in hoc quod semper est eadem, semper facit illud quod ab aeterno voluit, quia nunquam causatur; non tamen facit ut sua volita semper sint; quia hoc ipse non vult; unde si hoc faceret, quia faceret illud quod ipse non vult, esset simile ac si calor faceret frigus.

9. La cause efficiente du changement selon lequel le monde n’existait pas à un certain moment et a existé par la suite n’est pas un mouvement, mais une réalité qui est toujours identique à elle-même, à savoir, la volonté divine, qui était depuis l’éternité que le monde vienne à l’être après n’avoir pas été. Et si l’on disait que ce qui est identique produit toujours quelque chose d’identique, je dis que cela est vrai, si on parle d’un agent par sa nature propre, par laquelle il produit de manière déterminée cet effet. Mais de même qu’un agent naturel est déterminé par sa forme propre à ce que jamais une action n’en découle que selon la conformité à cette forme, de même un agent volontaire est-il déterminé à l’action par le propos de sa volonté. Si donc la volonté ne peut être empêchée ni mue, l’effet qui en découle n’est que ce dont la volonté a eu le propos. Et il est vrai que la volonté divine, du fait qu’elle est toujours identique à elle-même, accomplit toujours ce qu’elle a voulu depuis l’éternité, car elle n’est jamais causée ; elle ne fait cependant pas en sorte que ce qu’elle veut existe toujours, car elle ne veut pas cela. Si elle le faisait, parce qu’elle accomplirait ce qu’elle ne veut pas, elle ressemblerait à la chaleur qui produirait du froid.

 

[3508] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod prima individua generabilium et corruptibilium non prodierunt in esse per generationem, sed per creationem; et ideo non oportet quaedam praeextitisse ex quibus creata sint ut sic in infinitum abeatur.

10. Les premiers individus suscepbles d’être engendrés et corrompus ne sont pas venus à l’être par génération, mais par création. Il n’est donc pas nécessaire que certaines choses aient préexisté, à partir desquelles elles auraient été créées, de sorte qu’on remonte ainsi à l’infini.

 

[3509] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod est duplex agens. Quoddam per necessitatem naturae; et istud determinatur ad actionem per illud quod est in natura ejus; unde impossibile est quod incipiat agere nisi per hoc quod educitur de potentia ad actum, vel essentiali vel accidentali. Aliud est agens per voluntatem, et in hoc distinguendum est: quod quoddam agit actione media quae non est essentia ipsius operantis; et in talibus non potest sequi effectus novus sine nova actione, et novitas actionis facit aliquam mutationem in agente prout est exiens de otio in actum, ut in 2 de anima dicitur. Quoddam vero sine actione media vel instrumento, et tale agens est Deus; unde suum velle est sua actio; et sicut suum velle est aeternum, ita et actio: non tamen effectus sequitur nisi secundum formam voluntatis, quae proponit sic vel sic facere; et ideo non exit de potentia in actum; sed effectus qui erat in potentia agente, efficitur actu ens.

11. Il existe deux agents. L’un, par nécessité de nature, et celui-ci est déterminé à son action par ce qui se trouve dans sa nature. Aussi est-il impossible qu’il commence à agir sans qu’il soit amené de la puissance à l’acte, essentiel ou accidentel. L’autre agit par volonté, et il faut ici faire une distinction. L’un agit par une action intermédiaire, qui n’est pas l’essence de celui qui agit. Chez ceux-là, un effet nouveau ne peut découler que d’une action nouvelle, et la nouveauté de l’action produit un changement dans l’agent pour autant qu’il sort du repos vers l’acte, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Mais un autre [agit] sans action intermédiaire ou sans instrument. Dieu est un tel agent. Aussi sa volonté est-elle son action, et de même que sa volonté est éternelle, de même aussi son action. Cependant, l’effet ne suit que selon la forme de la volonté, qui se propose d’agir de telle ou telle manière. C’est pourquoi elle ne passe pas de la puissance à l’acte, mais l’effet qui se trouvait dans la puissance active devient un être en acte.

 

[3510] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod in omnibus illis quae agunt propter finem qui est extra voluntatem, voluntas regulatur secundum illum finem; unde secundum ea quae impediunt et juvant ad finem, vult quandoque agere et quandoque non agere. Sed voluntas Dei non dedit esse ipsi universo propter alium finem existentem extra voluntatem ejus, sicut nec movet propter alium finem, ut philosophi concedunt, quia nobilius non agit propter vilius se; et ideo non oportet ex hoc quod non semper agat, quod habeat aliquid inducens et retrahens, nisi determinationem voluntatis suae, quae ex sapientia sua omnem sensum excedente procedit.

12. En tout ce qui agit pour une fin qui est extérieure à la volonté, la volonté est réglée selon cette fin ; aussi veut-elle parfois agir et parfois ne pas agir, selon ce qui aide ou empêche l’atteinte de la fin. Mais la volonté de Dieu n’a pas donné l’être à l’univers en vue d’une fin autre qui aurait existé en dehors de sa volonté, pas plus qu’elle ne meut en vue d’une autre fin, comme les philosophes le concèdent, car une chose plus noble n’agit pas en vue de quelque chose de moins noble qu’elle-même. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire, du fait qu’elle n’agit pas toujours, qu’elle ait quelque chose qui l’amène ou la retienne [d’agir], si ce n’est la détermination de sa volonté, qui procède de sa sagesse qui dépasse tout sens.

 

[3511] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod intellectus divinus intelligit omnia simul; et ideo ex hoc quod intelligit praesentia hujus temporis et illius, non est aliqua mutatio in intellectu ejus, licet hoc non possit contingere in intellectu nostro; et ideo patet quod ratio sophistica est. Similiter nec ponitur aliquis motus ex parte rei imaginatae, quia Deus noluit facere universum post aliquod tempus; quia tempus ante non erat nisi imaginatum, ut prius dictum est.

13. L’intelligence divine intellige tout simultanément. C’est pourquoi, du fait qu’elle intellige les réalités présentes de tel ou tel temps, il n’existe pas de changement dans son intelligence, bien que cela ne puisse se produire dans notre intellect. Il est donc clair que l’argument porte à faux. De même n’affirme-t-on pas un mouvement du point de vue de la réalité imaginée, car Dieu n’a pas voulu créer l’univers après un certain temps, car le temps antérieur n’est qu’imaginé, comme on l’a dit plus haut.

 

[3512] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod voluntas divina non ab aeterno produxit universum, quia aliquid deerat ipsi volito: hoc enim quod volito potest intelligi deesse propter quod differtur, est proportio ipsius ad finem; sicut voluntas hominis differt sumere medicinam, quando medicina non est proportionata sanitati hominis; et sic dico quod ipsi universo quod fieret ab aeterno, deerat proportio ad finem, quae est voluntas divina: hoc enim voluit Deus ut haberet esse post non esse, sicut natura ita et duratione; et si ab aeterno fuisset, hoc sibi defuisset; unde non fuisset proportionatum divinae voluntati quae est finis ejus.

14. La volonté divine n’a pas produit l’univers depuis l’éternité parce que quelque chose manquait à cela même qui était voulu. En effet, le fait qu’on puisse comprendre que quelque chose fait défaut à ce qui est voulu parce que cela est reporté est sa proportion par rapport à la fin. Ainsi, la volonté de l’homme reporte la prise d’un médicament lorsque le médicament n’est pas proportionné à la santé de l’homme. Je dis ainsi que la proportion par rapport à la fin, qui est la volonté divine, faisait défaut à l’univers qui serait créé depuis l’éternité : en effet, Dieu a voulu qu’il existe en nature et en durée, après n’avoir pas existé, et s’il avait existé de toute éternité, cela lui aurait fait défaut. Aussi n’aurait-il pas été proportionné à la volonté divine, qui est sa fin.

 

[3513] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 1 Et quia ad rationes in contrarium factas, quas dixi demonstrationes non esse, inveniuntur philosophorum responsiones; ideo quamvis verum concludant, ad eas etiam respondendum est, secundum quod ipsi philosophi respondent, ne alicui disputanti contra tenentes aeternitatem mundi ex improviso occurrant. Ad primum ergo dicendum, quod sicut dicit Commentator in Lib. de substantia orbis, Aristoteles nunquam intendit quod Deus esset causa motus caeli tantum, sed etiam quod esset causa substantiae ejus dans sibi esse. Cum enim sit finitae virtutis, eo quod corpus est, indiget aliquo agente infinitae virtutis, a quo et perpetuitatem motus habeat, et perpetuitatem essendi, sicut motum et esse. Non tamen ex hoc sequitur quod praecedat duratione: quia non est dans esse per motum, sed per influentiam aeternam, secundum quod scientia ejus est causa rerum; et ex hoc quod scit ab aeterno et vult, sequitur res ab aeterno esse; sicut ex hoc quod sol est ab aeterno, sequitur quod radius ejus ab aeterno sit.

[1] On trouve des réponses des philosophes aux arguments invoqués en sens contraire, dont j’ai dit qu’ils n’étaient pas des démonstrations. Bien que leur conclusion soit vraie, il faut donc aussi leur répondre, selon que les philosophes leur répondent, pour éviter qu’on ne s’oppose à l’improviste à celui qui dispute contre ceux qui affirment l’éternité du monde. Au premier argument, il faut donc répondre que, ainsi que le dit le Commentateur dans le livre Sur la substance de l’univers, Aristote n’a jamais voulu dire que Dieu était la cause du seul mouvement du cielt, mais aussi qu’il était la cause de sa substance en lui donnant son être. Alors que [le monde] possède une puissance finie, parce qu’il est un corps, il a besoin d’un agent d’une puissance infinie, dont il reçoit la perpétuité de son mouvement et la perpétuité de son être, de même que son mouvement et son être. Toutefois, il n’en découle pas que [cet agent] précède dans le temps, car il ne donne pas l’être par un mouvement, mais par un influx éternel, selon que sa science est cause des choses. Du fait qu’il connaît et veut depuis l’éternité, il en découle donc qu’une chose existe depuis l’éternité, de même que, du fait que le soleil est éternel, il en découle que son rayon est éternel.

 

[3514] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 2 Ad secundum respondet Avicenna in sua metaphysica: dicit enim omnes res a Deo creatas esse, et quod creatio est ex nihilo, vel ejus quod habet esse post nihil. Sed hoc potest intelligi dupliciter: vel quod designetur ordo durationis, et sic secundum eum falsum est; aut quod designetur ordo naturae, et sic verum est. Unicuique enim est prius secundum naturam illud quod est ei ex se, quam id quod est ei ab alio. Quaelibet autem res praeter Deum habet esse ab alio. Ergo oportet quod secundum naturam suam esset non ens, nisi a Deo esse haberet; sicut etiam dicit Gregorius quod omnia in nihilum deciderent, nisi ea manus omnipotentis contineret: et ita non esse quod ex se habet naturaliter, est prius quam esse quod ab alio habet, etsi non duratione; et per hunc modum conceduntur a philosophis res a Deo creatae et factae.

[2] Avicenne répond au deuxième argument dans sa Métaphysique. En effet, il dit que toutes les choses ont été créées par Dieu et que la création vient du néant, ou est le fait de ce qui possède l’être après le néant. Mais cela peut s’entendre de deux manières : soit qu’on indique un ordre dans la durée, et ainsi cela est faux, selon lui ; soit qu’on indique un ordre de nature, et ainsi cela est vrai. En effet, est antérieur selon la nature ce qui appartient par soi à une chose, plutôt que ce qui lui vient de quelque chose d’autre. Or, à part Dieu, toutes choses possèdent l’être comme venant de quelque chose d’autre. Il faut donc que, selon sa nature, cela soit néant, si cela ne reçoit pas de Dieu l’être. Aussi Grégoire dit-il que « toutes choses tomberaient dans le néant, si elles n’étaient n’étaient pas dans la main du tout-puissant ». Aussi, le non-être qui est le leur naturellement est-il antérieur à l’être qu’elles tiennent d’un autre, même si ce n’est pas selon la durée. C’est de cette manière que les philosophes concèdent que les choses ont été créées et faites par Dieu.

 

[3515] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod infinitum actu impossibile est; sed infinitum esse per successionem, non est impossibile. Infiniti autem sic considerati quodlibet acceptum finitum est: transiens autem non potest intelligi nisi ex aliquo determinato ad aliquod determinatum: et ita quodcumque tempus determinatum accipiatur, semper ab illo tempore ad istud est finitum tempus; et ita est devenire ad praesens tempus. Vel potest dici, quod tempus praeteritum est ex parte anteriori infinitum, et ex posteriori finitum; tempus autem futurum e contrario. Unicuique autem ex parte illa qua finitum est, est ponere terminum, et principium vel finem. Unde ex hoc quod infinitum est tempus praeteritum ex parte anteriori, secundum eos sequitur quod non habeat principium, sed finem: et ideo sequitur quod si homo incipiat numerare a die isto, non poterit numerando pervenire ad primum diem; et e contrario sequitur de futuro.

[3] L’infini en acte est impossible ; mais il n’est pas impossible que l’infini existe par succession. Mais tout ce qui saisi de l’infini ainsi considéré est fini, car ce qui passe ne peut être saisi que comme allant de quelque chose de déterminé à quelque chose de déterminé. Quel que soit le temps déterminé qui est saisi, tout temps déterminé allant de tel temps à tel temps est donc un temps fini ; ainsi en vient-on au temps présent. Ou bien on peut peut dire que le temps passé est infini pour ce qui précède, et fini pour ce qui suit ; mais c’est le contraire pour le temps futur. Or, sous l’aspect où cela est fini, il faut mettre un terme : un commencement ou une fin. Du fait qu’il y a un temps passé infini pour ce qui précède, il découle donc pour [ces philosophes] qu’il n’y a pas de commencement, mais une fin. C’est pourquoi il en découle que, si un homme se met à compter à partir de ce jour, il ne pourra pas parvenir au premier jour ; et il en découle le contraire pour le futur.

 

[3516] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod infinito non fit additio secundum suam totalem successionem, qua infinitum est in potentia tantum accipientis; sed alicui finito accepto in actu: et illo nihil prohibet aliquid esse plus vel majus. Et quod haec ratio sit sophistica patet, quia tollit etiam infinitum in additione numerorum, ut si sic dicatur: aliquae species numerorum sunt excedentes denarium, quae non excedunt centenarium: ergo plures species excedunt denarium quam centenarium: et ita cum infinitae excedant centenarium, erit aliquid majus infinito. Patet ergo quod excessus et additio et transitus non est nisi respectu alicujus in actu vel in re existentis, vel actu per intellectum vel imaginationem acceptae. Unde per has rationes sufficienter probatur quod non sit infinitum in actu; nec hoc est necessarium ad aeternitatem mundi. Et istae solutiones accipiuntur ex verbis philosophi.

[4] On n’ajoute rien à l’infini pour l’ensemble de sa succession, par laquelle il est infini en puissance pour celui qui le saisit seulement ; mais [on ajoute] à quelque chose de fini saisi en acte, et rien n’empêche que ce soit quelque chose de plus ou de plus grand. Que ce raisonnement soit celui d’un sophiste, cela ressort du fait qu’il écarte l’infini même de l’addition des nombres, comme si l’on disait : certaines espèces de nombres dépassent la dizaine, qui ne dépassent pas la centaine ; donc, un plus grand nombre d’espèces dépassent la dizaine que la centaine ; et ainsi, puisqu’une infinité de nombres dépassent la centaine, il y aura quelque chose de plus grand que l’infini. Il est donc clair que le dépassement, l’addition et le passage n’existent qu’en regard de quelque chose qui existe en acte ou dans un réalité de ce qui existe, perçue en acte par l’intelligence ou par l’imagination. Par ces arguments, on démontre donc qu’il n’existe pas d’infini en acte et que cela n’est pas nécessaire pour l’éternité du monde. Ces solutions sont tirées des paroles du Philosophe.

 

[3517] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod eumdem effectum praecedere causas infinitas per se, vel essentialiter, est impossibile; sed accidentaliter est possibile; hoc est dictu, aliquem effectum de cujus ratione sit quod procedat a causis infinitis, esse impossibilem; sed causas illas quarum multiplicatio nihil interest ad effectum, accidit effectui esse infinitas. Verbi gratia, ad esse cultelli exiguntur per se aliquae causae moventes, sicut faber, et instrumentum; et haec esse infinita est impossibile, quia ex hoc sequeretur infinita esse simul actu; sed quod cultellus factus a quodam fabro sene, qui multoties instrumenta sua renovavit, sequitur multitudinem successivam instrumentorum, hoc est per accidens; et nihil prohibet esse infinita instrumenta praecedentia istum cultellum, si faber fuisset ab aeterno. Et similiter est in generatione animalis: quia semen patris est causa movens instrumentaliter respectu virtutis solis. Et quia hujusmodi instrumenta, quae sunt causae secundae, generantur et corrumpuntur, accidit quod sunt infinitae: et per istum etiam modum accidit quod dies infiniti praecesserint etiam istum diem: quia substantia solis ab aeterno est secundum eos, et circulatio ejus quaelibet finita. Et hanc rationem ponit Commentator in 8 Physic.

[5] Il est impossible que des causes infinies précèdent par elles-mêmes ou de manière essentielle un même effet ; mais cela est possible de manière accidentelle, c’est-à-dire qu’un effet, dont la raison exige qu’il procède de causes infinies, est impossible. Mais il arrive que les causes dont la multiplication importe peu pour l’effet soient infinies pour l’effet. Par exemple, certaines causes efficientes sont nécessaires à l’existence d’un couteau, comme un artisan et un instrument, et il est impossible qu’elles soient infinies, car il en découlerait que des infinis existent simultanément en acte. Mais, du fait qu’un couteau est fabriqué par un artisan âgé, qui a souvent réparé ses instruments, découle une multitude successive d’instruments, à savoir, par accident ; et rien n’empêche qu’un nombre infini d’instruments aient précédé ce couteau, si l’artisan avait existait depuis l’éternité. De même en est-il pour la génération animale, car la semence du père est la cause efficiente instrumentale par rapport à la puissance du soleil. Et parce que ces instruments, qui sont des causes secondes, sont engendrés et corrompus, il arrive que celles-ci soient infinies. De cette manière, il arrive que des jours infinis aient précédé aussi ce jour, car, selon eux, la substance du soleil existe depuis l’éternité, et toutes ses orbites sont finies. Cet argument est présenté par le Commentateur dans Physique, VIII.

 

[3518] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 6 Ad sextum dicendum, quod illa objectio inter alias fortior est; sed ad hanc respondet Algazel, in sua Metaph., ubi dividit ens per finitum et infinitum; et concedit infinitas animas esse in actu: et hoc est per accidens, quia animae rationales exutae a corporibus non habent dependentiam ad invicem. Sed Commentator respondet, quod animae non remanent plures post corpus, sed ex omnibus manet una tantum, ut infra patebit; unde nisi haec positio, quam ponit in 3 de anima, primo improbaretur, ratio contra eum non concluderet. Et hanc etiam rationem tangit Rabbi Moyses, ostendens praedictam rationem non esse demonstrationem.

[6] Cette objection est la plus forte de toutes, mais Algazel y répond, dans sa Métaphysique, où il distingue l’être fini et l’être infini. Il concède qu’un nombre infini d’âmes existent en acte, et cela, par accident, car les âmes raisonnables dépouillées des corps n’ont pas de dépendance les unes par rapport aux autres. Mais le Commentateur répond que plusieurs âmes ne demeurent pas après le corps, mais que, de toutes, il n’en reste qu’une seule, comme cela ressortira plus loin. Si cette position, qu’il présente dans Sur l’âme, III, n’est pas d’abord rejetée, le raisonnement qui s’oppose à lui ne serait donc pas concluant. Rabbi Moïse aussi aborde cet argument, en montrant que l’argument précédent n’est pas une démonstration.

 

[3519] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 7 Ad septimum dicendum, quod etiam si mundus semper fuisset, non aequaretur Deo in duratione: quia duratio divina, quae est aeternitas, est tota simul; non autem duratio mundi, quae successione temporum variatur. Et hanc ponit Boetius in 5 de consolatione.

[7] Même si le monde avait toujours existé, il ne serait pas l’égal de Dieu en durée, car la durée divine, qui est l’éternité, existe en totalité simultanément, mais non la durée du monde, qui change selon la succession des temps. Boèce présente cela dans La consolation de la philosophie, V.

 

[3520] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 8 Ad octavum dicendum, quod in caelo non est potentia ad esse, sed ad ubi tantum, secundum philosophum: et ideo non potest dici, quod potentia ad esse sit finita vel infinita: sed potentia ad ubi finita est. Nec tamen oportet quod motus localis, cui correspondet haec potentia, sit finitus: quia motus est infinitus duratione ab infinitate virtutis moventis, a qua fluit motus in mobile. Et haec est ratio Commentatoris, in 11 Metaph.: tamen hoc quod dicit, quod non habet potentiam ad esse, intelligendum est, ad acquirendum esse per motum; habet tamen virtutem vel potentiam ad esse, ut dicitur in 1 Cael. et Mund., et haec virtus finita est; sed acquiritur duratio infinita ab agente separato infinito, ut ipsemet dicit.

[8] Il n’existe pas dans le ciel de puissance par rapport à l’être, mais par rapport au lieu seulement, selon le Philosophe. On ne peut donc pas dire que la puissance par rapport à l’être est finie ou infinie, mais que la puissance par rapport au lieu est finie. Toutefois, il n’est pas nécessaire que le mouvement local, auquel correspond cette puissance, soit fini, car le mouvement est infini selon la durée en raison de l’infinité de la puissance qui meut, dont découle le mouvement dans le mobile. Tel est le raisonnement du Commentateur, dans Métaphysique, XI. Cependant, ce qu’il dit, que [le ciel] n’a pas de puissance par rapport à l’être, doit s’entendre : pour acquérir l’être par le mouvement. Il possède cependant une capacité ou une puissance par rapport à l’être, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, et cette puissance est finie ; mais sa durée infinie est reçue de l’agent séparé infini, comme il le dit lui-même.

 

[3521] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 9 Ad nonum dicendum, quod duratio Dei, quae aeternitas ejus est, et natura ipsius sunt una res; et tamen distinguuntur ratione, vel modo significandi: quia natura significat quamdam causalitatem, prout dicitur natura motus principium; duratio autem significat quamdam permanentiam: et ideo si accipiatur praeeminentia naturae divinae et durationis ad creaturam, ut utrumque est res quaedam, invenitur eadem praeeminentia: sicut enim natura divina praecedit creaturam dignitate et causalitate; ita et duratio divina eisdem modis creaturam praecedit. Non tamen oportet, si Deus praecedit mundum per modum naturae, ut significatur cum dicitur, naturaliter praecedit mundum, quod etiam mundum praecedat per modum durationis, ut significatur, cum dicitur, Deus duratione praecedit mundum; cum non sit idem modus significandi naturae et durationis. Et similiter solvuntur multae aliae similes objectiones, ut in 1 libro dictum est.

[9] La durée de Dieu, qui est son éternité, et sa nature sont une seule réalité ; cependant, elles se distinguent par la raison ou par la manière de signifier, car la nature signifie une certaine causalité, pour autant que la nature est appelée le principe du mouvement ; mais la durée signifie une certaine permanence. Si donc la prééminence de la nature et de la durée divines est considérée par rapport à la créature, alors que les deux choses sont une seule réalité, on trouve la même prééminence. En effet, de même que la nature divine précède la créature par sa dignité et sa causalité, de même la durée divine précède-t-elle la créature de ces mêmes manières. Il n’est cependant pas nécessaire que, si Dieu précède le monde par mode de nature, comme on le signifie lorsqu’on dit qu’il précède naturellement le monde, il précède aussi le monde en durée, comme on le dit lorsqu’on dit que Dieu précède le monde en durée, puisque les manières de signifier la nature et la durée ne sont pas les mêmes. Plusieurs autres objections semblables sont résolues de la même manière, comme on l’a dit dans le livre I.

 

 

 

 

Articulus 6 : [3522] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 tit. Utrum convenienter exponitur: in principio creavit Deus caelum et terram, idest in filio

Article 6 – Interprète-t-on correctement : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre », en disant : « … dans le Fils »?

 

[3523] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter exponatur: in principio creavit Deus caelum et terram, idest in filio. Pater enim est principium totius divinitatis, ut Augustinus dicit. Ergo per principium appropriate debet intelligi pater.

1. Il semble qu’on interprète de manière inappropriée : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre », en disant : « … dans le Fils ». En effet, le Père est le principe de la divinité tout entière, comme le dit Augustin. Par « commencement », il faut donc comprendre le Père par appropriation.

 

[3524] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, ut in 1 libro dictum est, ex ipso dicitur propter patrem, in ipso propter spiritum sanctum. Ergo per hoc quod dicitur, in principio, intelligitur spiritus sanctus, et non filius.

2. Comme on l’a dit dans le livre I, « de lui » (ex ipso) se dit du Père, « en lui » (in ipso) se dit de l’Esprit Saint. Lorsqu’on dit : « au commencement » (in principio), on entend donc l’Esprit Saint, et non le Fils.

 

[3525] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 3 Item, videtur quod inconvenienter dicatur, in principio temporis. Quia tempus adjacet motui firmamenti. Sed firmamentum factum est secunda die. Ergo principium temporis fuit post creationem caeli et terrae; et ita non in principio temporis creata sunt.

3. Il semble qu’on dise de manière inapproprié : « Au commencement du temps », car le temps est associé au mouvement du firmament. Or, le firmament a été créé le deuxième jour. Le commencement du temps est donc survenu après la création du ciel et de la terre, et ainsi ils n’ont pas été créés au commencement du temps.

 

[3526] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, tempus est unum de quatuor primo creatis. Sed tempus non est creatum in principio temporis, quia tempus sic esset in indivisibili, quod est impossibile. Ergo nec caelum nec terra.

4. Le temps est une des quatre premières choses créées. Or, le temps n’a pas été créé au commencement du temps, car le temps ferait ainsi partie de l’indivisible, ce qui est impossible. Donc, ni le ciel ni la terre.

 

[3527] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 5 Item, videtur quod inconvenienter dicatur: in principio, idest ante omnia. Quia sicut dicitur in libro de causis, prima rerum creatarum est esse, et non est ante ipsum creatum aliud. Sed caelum et terra non sunt suum esse. Ergo ante caelum et terram aliquid creatum est.

5. Il semble qu’on dise de manière inappropriée : « Au commencement », c’est-à-dire avant toutes choses, car, ainsi qu’il est dit dans le livre Sur les causes, « la première des réalités créées est l’être, et il n’existe rien de créé avant lui ». Or, le ciel et la terre ne sont pas leur propre être. Quelque chose a donc été créé avant le ciel et la terre.

 

[3528] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 6 Praeterea, Eccli. 18, 1, dicitur: qui vivit in aeternum creavit omnia simul. Ergo caelum et terra non sunt ante omnia creata.

6. Il est dit en Si 18, 1 : Celui qui vit éternellement a créé en même temps toutes choses. Donc, le ciel et la terre n’ont pas été créés avant toutes choses.

 

[3529] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 arg. 7 Praeterea, caelum et Angelus sunt simul facta, ut infra dicetur. Ergo non ante omnia caelum et terra facta sunt.

7. Le ciel et l’ange ont été créés en même temps, comme on le dira plus loin. Le ciel et la terre n’ont donc pas été créés avant toutes choses.

 

[3530] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod triplex expositio posita conveniens est secundum sanctos, per quam multiplex error excluditur. Per primam excluditur error Manichaei ponentis plura principia: quia in principio uno effectivo, et non in pluribus, res factae dicuntur. Per secundam excluditur error aeternitatis mundi, in hoc quod mundus principium durationis habere ponitur. Per tertiam excluditur error ponentium visibilia a Deo creata mediante spirituali creatura, in hoc quod ponitur caelum et terra esse primo creata.

Réponse. La triple interprétation donnée par les saints est appropriée : par elle, de nombreuses erreurs sont écartées. Par la première, est écartée l’erreur de Mani, qui affirme plusieurs principes, car on dit que les choses ont été créées par un seul principe efficient, et non par plusieurs. Par la deuxième, est écartée l’erreur sur l’éternité du monde, du fait qu’on affirme que le monde a commencé dans la durée. Par la troisième, est écartée l’erreur de ceux qui affirment que les réalités visibles ont été créées par Dieu par l’intermédiaire d’une créature spirituelle, du fait qu’on affirme que le ciel et la terre ont été créés en premier.

 

[3531] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio principii effectivi appropriatur patri, sed ratio principii exemplaris per modum artis appropriatur filio, qui est sapientia et ars patris.

1. La raison de principe efficient est appropriée au Père ; mais la raison de principe exemplaire par mode d’art est appropriée au Fils, qui est la sagesse et l’art du Père.

 

[3532] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse in, sicut in continente et salvante, appropriatur spiritui sancto propter appropriatum bonitatis; sed esse in per modum quo artificiatum est in arte, et res in sua similitudine, appropriatur filio.

2. « Être dans », comme dans ce qui contient et sauve, est approprié à l’Esprit Saint en raison de la bonté [qui lui est] appropriée ; mais « être dans », à la manière dont une œuvre d’art se trouve dans l’art et une chose dans sa ressemblance, est approprié au Fils.

 

[3533] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum illam opinionem quae ponit omnia simul creata in materia informi, dicuntur res creatae in principio temporis, quod mensurat motum primi mobilis, non sicut in mensurante creationem, sed sicut in adjacente creationi: quia simul fuerunt rerum creatio et temporis principium. Sed secundum aliam opinionem, quae ponit res formatas per temporum successionem, non intelligitur de tempore quod est mensura illius motus, sed de tempore quod est numerus illius vicissitudinis, qua esse mundi succedit ad non esse ejusdem. Vel secundum alios sumitur tempus pro aevo, quod simul cum caelo et terra creatum est.

3. Selon cette opinion, qui affirme que tout a été créé en même dans une matière informe, il est dit que les choses ont été créées au commencement du temps, qui mesure le mouvement du premier mobile, non pas comme dans ce qui mesure la création, mais dans ce qui est à côté de la création, car la création des choses et le commencement du temps ont eu lieu en même temps. Mais, selon une autre opinion, qui affirme que les choses ont été formées selon la succession des temps, on ne l’entend pas du temps qui est la mesure de ce mouvement, mais du temps qui est le nombre du changement par lequel l’être du monde a succédé à son non-être. Ou bien, selon d’autres, on entend par temps l’aevum, qui a été créé en même temps que le ciel et la terre.

 

[3534] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut numerus non numeratur alio numero, ita nec tempus alio tempore mensuratur, nec fieri ejus, cum suum esse totum sit in fieri: unde incipit in principio temporis non sicut in mensurante esse ejus, sed sicut in eo a quo incipit ejus productio, ut animalis a corde, et domus a fundamento, et linea a puncto.

4. De même que le nombre n’est pas compté par un autre nombre, de même non plus le temps n’est-il pas mesuré par un autre temps, pas davantage que son devenir, puisque son être tient en totalité dans le devenir. Aussi commence-t-il au commencement du temps, non pas comme ce qui mesure son être, mais comme ce par quoi commence sa production, comme l’animal [commence] par le cœur, la maison par sa fondation et la ligne par le point.

 

[3535] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod loquitur philosophus de ordine naturae prout animal prius homine dicitur, et non de ordine durationis; non enim fuit esse caeli et terrae ante ipsa tempora.

5. Le Philosophe parle de l’ordre de la nature. Ainsi, on dit de l’animal qu’il est antérieur à l’homme, mais non dans l’ordre de la durée. En effet, l’être du ciel et de la terre n’a pas précédé le temps lui-même.

 

[3536] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 6 Ad sextum dicitur, quod intelliguntur secundum unam opinionem omnia simul creata non in speciebus suis, sed in materia informi; sed secundum alios dicuntur omnia creata simul etiam in formis propriis; sed tunc haec ante alia creata dicuntur, non duratione, sed naturae ordine, secundum quod in via generationis est incompletum ante completum. Haec tamen infra magis inquirentur.

6. Selon une opinion, on comprend que toutes choses a été créé simultanément, non pas dans leurs espèces, mais dans la matière informe. Mais, selon d’autres, on dit que toutes choses ont été créées en même temps, même dans leurs propres formes. Mais alors, on dit que ces choses ont été créées avant les autres, non pas selon la durée, mais selon l’ordre de la nature, pour autant que, sur la voie de la génération, existe d’abord ce qui est incomplet avant ce qui est complet. Toutefois, ces choses seront davantage examinées plus loin.

 

[3537] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 1 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod per caelum etiam intelligitur angelica natura, quae in caelis habitare dicitur; et per terram intelligitur tota natura generabilium et corruptibilium.

7. Par « ciel », on entend la nature angélique, dont on dit qu’elle habite dans le ciel ; par « terre », on entend toute la nature de ce qui est susceptible d’être engendré et corrompu.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’ordre des créatures à la fin ultime]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[3538] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 pr. Dicto exitu rerum a primo principio, hic prosequitur ordinem earum in ultimum finem; et dividitur in partes tres: in prima ostendit finem ultimum creaturarum: in secunda ex fine ostendit creaturarum diversitatem, ibi: et quia non valet ejus beatitudinis particeps existere aliquis nisi per intelligentiam (...) fecit Deus rationalem creaturam: in tertia, ex distinctione concludit tractandi ordinem, ibi: ex praemissis apparet, rationalem creaturam in angelicam et humanam fuisse distinctam. Secunda dividitur in tres: in prima ostendit ordinem spiritualis naturae in finem; in secunda ordinem corporalis, ibi: et sicut factus est homo propter Deum (...) ita mundus factus est propter hominem; in tertia ordinem conjuncti ex utroque, ibi: solet etiam quaeri, cum majoris dignitatis esse videretur anima si absque corpore permansisset, cur unita sit corpori. Circa primum duo facit: primo ex fine concludit spiritualis naturae institutionem; secundo concludit ordinem ipsius in finem, ibi: ideoque si quaeratur, quare creatus sit homo vel Angelus, brevi sermone responderi potest: propter bonitatem ejus. Et circa hoc tria facit: primo assignat finem ex parte agentis; secundo ex parte operis, ibi: et si quaeratur, ad quid creata sit rationalis creatura, respondetur, ad laudandum Deum; tertio conjungit utrumque, ibi: cum ergo quaeritur quare vel ad quid facta sit rationalis creatura, brevissime responderi potest: propter Dei bonitatem et suam utilitatem. Circa hoc duo facit: primo ostendit finem corporalis creaturae; secundo excludit quamdam dubitationem, ibi: de homine quoque in Scriptura interdum reperitur quod factus sit propter reparationem angelicae ruinae. Hic quinque quaeruntur: 1 utrum Deo conveniat agere propter finem; 2 utrum finis omnium sit Dei bonitas; 3 utrum omnia sint propter hominem facta; 4 propter quid homo ex anima et corpore constitutus sit; 5 utrum tali corpori anima ejus uniri debuerit.

Après avoir exposé la sortie des choses du principe premier, [le Maître] poursuit ici [l’exposé de] leur ordre par rapport à la fin ultime. Il y a trois parties : dans la première, il montre la fin ultime des créatures ; dans la deuxième, à partir de la fin, il montre la diversité des créatures, à cet endroit : « Et parce que quelqu’un ne peut participer à sa béatitude que par l’intelligence…, Dieu a créé la créature raisonnable »; dans la troisième, à partir de la [distinction des créatures], il conclut l’ordre de son exposé, à cet endroit : « Par ce qui précède, il apparaît qu’une distinction entre la créature angélique et la créature humaine a été établie. » La deuxième partie se divise en trois : dans la première, il montre l’ordre de la nature spirituelle par rapport à sa fin ; dans la deuxième, l’ordre de la créature corporelle, à cet endroit : « Et de même que l’homme été créé en vue de Dieu…, de même le monde a été créé en vue de l’homme »; dans la troisième, [il montre] l’ordre de ce qui est composé des deux, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander pourquoi l’âme a été unie au corps, puisqu’elle semble avoir une plus grande dignité si elle demeure sans le corps. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, à partir de la fin, il achève [l’exposé de] l’établissement de la nature spirituelle ; deuxièmement, il achève [l’exposé de ] son ordre par rapport à sa fin, à cet endroit : « C’est pourquoi, si on se demande pourquoi l’homme ou l’ange a été créé, on peut répondre brièvement que c’est en raison de la bonté [de Dieu]. » À ce sujet, il fait trois choses : premièrement, il assigne [sa] fin du point de vue de l’agent ; deuxièmement, du point de vue de l’œuvre, en cet endroit : « Et si on cherche la fin pour laquelle la créature raisonnable a été créée, on répond : pour la gloire de Dieu »; troisièmement, il unit les deux, à cet endroit : « Lorsqu’on cherche pour quelle fin ou pourquoi la créature raisonnable a été créée, on peut répondre brièvement : à cause de la bonté de Dieu et pour son service. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre la fin de la créature corporelle ; deuxièmement, il écarte un doute, à cet endroit : « À propos de l’homme, on trouve aussi dans l’Écriture qu’il a été créé pour réparer la chute de la créature angélique. » Ici, cinq questions sont posées : 1. Convient-il que Dieu agisse en vue d’une fin ? 2. La bonté de Dieu est-elle la fin de toutes choses ? 3. Toutes les choses ont-elles été créées pour l’homme ? 4. En vue de quoi l’homme a-t-il été constitué d’une âme et d’un corps ? 5. Son âme devait-elle être unie ce corps ?

 

 

 

 

Articulus 1 : [3539] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 tit. Utrum Deo competat agere propter finem

Article 1 – Convient-il que Dieu agisse en vue d’une fin ?

 

[3540] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deo non competit agere propter finem. Finis enim est terminus motus: unde in his quae carent motu, sicut in mathematicis, non est finis neque bonum, ut in 3 Metaph. dicitur. Sed Deus non producit res per motum, ut prius dictum est. Ergo sibi non competit propter finem agere

1. Il semble qu’il ne convienne pas que Dieu agisse en vue d’une fin. En effet, la fin est le terme d’un mouvement ; aussi, chez ce à quoi le mouvement fait défaut, comme dans les mathématiques, il n’existe pas de fin ni de bien, comme on le dit dans Métaphysique, III. Or, Dieu ne produit pas les choses par un mouvement, comme on l’a dit plus haut. Il ne lui convient donc pas d’agir en vue d’une fin.

 

[3541] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, finis est perfectio agentis: unde sicut materia appetit formam, ita agens finem. Sed Deo non competit ab aliquo perfici, cum sit primum movens, et perfectio summa. Ergo non agit propter finem.

2. La fin est la perfection de l’agent ; de même que la matière désire la forme, de même l’agent [désire-t-il] donc la fin. Or, il ne convient pas que Dieu soit perfectionné par quelque chose, puisqu’il est le premier moteur et la plus haute perfection. Il n’agit donc pas en vue d’une fin.

 

[3542] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, unicuique agenti propter finem, melius est suum opus esse quam non esse: quia per illud finem consequitur, ut patet inducendo in singulis. Sed non melius, immo indifferens est Deo utrum creaturae sint vel non sint; quia bonorum nostrorum non eget. Ergo non agit propter finem.

3. Pour tout agent qui agit en vue d’une fin, il est mieux que son action existe plutôt qu’elle n’existe pas, car il atteint sa fin par elle, comme cela ressort en faisant une induction à partir de cas particuliers. Or, il n’est pas mieux, bien plus, il est indifférent pour Dieu que les créatures existent ou n’existent pas, car il n’a pas besoin de nos biens. Il n’agit donc pas en vue d’une fin.

 

[3543] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, actio ejus est ultimus finis rerum, quia est sua substantia. Sed finis ultimi non est aliquis alius finis. Ergo videtur quod actio ejus non sit propter finem.

4. L’action [de Dieu] est la fin ultime des choses, car il est sa propre substance. Or, il n’existe pas d’autre fin pour la fin ultime. Il semble donc que son action n’existe pas en vue d’une fin.

 

[3544] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, omne agens quod non agit propter finem aliquem, opus ejus est vanum. Sed Dei opera non sunt hujusmodi: unde in Psalm. 88, 48, dicitur: numquid enim vane constituisti omnes filios hominum? Ergo agit propter finem.

Cependant, [1] l’action de tout agent qui n’agit pas en vue d’une fin est vaine. Or, les œuvres de Dieu ne sont pas telles ; aussi est-il dit dans Ps 88, 48 : As-tu créé en vain tous les fils des hommes ? Il agit donc en vue d’une fin.

 

[3545] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum, omne agens per intellectum, agit propter finem. Sed Deus est hujusmodi, cum sua scientia sit causa rerum. Ergo et cetera.

[2] Selon le Philosophe, tout ce qui agit par intelligence agit en vue d’une fin. Or, Dieu est tel, puisque sa science est la cause des choses. Donc, etc.

 

[3546] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod agere aliquid propter finem est dupliciter: vel propter finem operis, vel propter finem operantis. Finis operis est hoc ad quod opus ordinatum est ab agente, et hoc dicitur ratio operis; finis autem operantis est quem principaliter operans intendit: unde finis operis potest esse in alio; sed finis operantis semper est in ipso; sicut patet in aedificatore, qui lapides congregat ad componendum eos, quod ista compositio, in qua consistit forma domus, est finis operis; sed utilitas quae provenit ex hoc operanti, est finis ex parte agentis. Cum autem omne opus divinum in finem quemdam ordinatum sit, constat quod ex parte operis Deus propter finem agit. Sed quia finis operis semper reducitur in finem operantis, ideo oportet quod etiam ex parte operantis, finis actionis ejus consideretur, qui est bonum ipsius in ipso. Sciendum est ergo, quod agere hoc modo, est dupliciter: vel propter desiderium finis; vel propter amorem finis: desiderium enim est rei non habitae; sed amor est rei quae habetur, ut Augustinus dicit; et ideo omni creaturae convenit agere propter desiderium finis, quia unicuique creaturae acquiritur bonum ab alio quod ex se non habet; sed Deo competit agere propter amorem finis, cujus bonitati nihil addi potest. Ipse enim bonitatem suam perfecte amat, et ex hoc vult quod bonitas sua multiplicetur per modum qui possibilis est, ex sui scilicet similitudine, ex quo provenit utilitas creaturae, inquantum similitudinem divinae bonitatis recipit: et ideo dicitur in littera, quod Deus fecit creaturam propter bonitatem suam, considerando finem operantis; et propter utilitatem creaturae, considerando finem operis; et propter hoc etiam dicit Augustinus, quod inquantum Deus est bonus, sumus: et Dionysius dicit, quod divinus amor non dimisit eum sine germine esse.

Réponse. On fait quelque chose en vue d’une fin de deux manières : en vue de la fin de l’œuvre ou en vue de la fin de celui qui agit. La fin de l’œuvre est ce à quoi l’agent a ordonné une chose : cela s’appelle la raison de l’œuvre. Mais la fin de l’agent est celle que l’agent a principalement en vue. Aussi la fin de l’œuvre peut-il exister dans autre chose, mais la fin de celui qui agit se trouve toujours en lui-même, comme il ressort chez le constructeur, qui assemble des pierres en vue de les agencer, que cet agencement, dans lequel consiste la forme de la maison, est la fin de l’œuvre ; mais l’utilité qui en provient pour celui qui la réalise est la fin du point de vue de l’agent. Or, comme toute l’œuvre divine a été ordonnée à une fin, il est clair que, du point de vue de l’œuvre, Dieu agit en vue d’une fin. Mais parce que la fin de l’œuvre se ramène toujours à la fin du côté de l’agent, il est donc nécessaire que, du point de vue de l’agent aussi, la fin de l’action, qui est son propre bien en lui-même, soit prise en compte. Il faut donc savoir qu’on peut qu’agir de cette manière de deux façons : par désir de la fin ou par amour de la fin. En effet, « le désir porte sur une chose qui n’est pas possédée, mais l’amour porte sur une chose qui est possédée », comme le dit Augustin. C’est pourquoi il convient à toute créature d’agir par désir de la fin, car toute créature acquiert un bien par quelque chose d’autre qu’elle ne possède pas en elle-même ; mais il convient à Dieu d’agir par amour de la fin, alors que rien ne peut être ajouté à sa bonté. En effet, lui-même aime parfaitement sa propre bonté et, à partir de là, il veut que sa bonté se multiplie d’une manière qui est possible, à savoir, par une similitude de lui-même, dont provient l’utilité de la créature, dans la mesure où elle reçoit une similitude de la bonté divine. Aussi est-il dit dans le texte que Dieu a fait la créature en vue de sa propre bonté, en prenant en considération la fin de celui qui agit ; et pour l’utilité de la créature, en prenant en considération la fin de l’œuvre. Pour cette raison aussi, Augustin dit que « nous sommes dans la mesure où Dieu est bon »; et Denys dit que « l’amour divin n’a pas laissé [l’homme] sans semence ».

 

[3547] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Avicennam, sicut est duplex agens, quoddam quod agit per motum, sicut naturale; et quoddam quod agit sine motu, dando esse; ita duplex est bonum: quoddam acquisitum per motum, et hoc est tantum in rebus naturalibus; et quoddam acquisitum sine motu in recipiendo influentiam agentis sine motu, et tale est bonum etiam in rebus immobilibus.

1. Selon Avicenne, de même qu’il existe un double agent : l’un qui agit par le mouvement, comme l’agent naturel, et l’autre qui agit sans mouvement en donnant l’être, de même il existe un double bien : l’un qui est acquis par le mouvement, et cela n’existe que pour les choses naturelles, et l’autre qui est acquis sans mouvement en recevant l’influence d’un agent sans mouvement : tel est le bien qui existe aussi dans les réalités immobiles.

 

[3548] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod agit propter desiderium finis, habet finem extra se, quo perficitur. Hoc autem non convenit Deo qui agit propter amorem finis, quia ipsemet est sibi finis a se habitus et amatus: et ideo dicimus, quod divina voluntas non est perfecta quodam alio, sed seipsa, quia ipsa voluntas est bonitas.

2. Ce qui agit par désir d’une fin a une fin qui lui est extérieure, par laquelle il est perfectionné. Or, cela ne convient pas à Dieu, qui agit par amour de la fin, car il est pour lui-même la fin possédée et aimée par lui-même. Nous disons donc que la volonté divine n’est pas perfectionnée par quelque chose d’autre, mais par elle-même, car sa volonté elle-même est bonté.

 

[3549] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omne id quod agit propter desiderium finis, per actionem suam ordinatur ad consecutionem desiderati. Unde oportet quod apud eum differat an sit vel non sit suum opus. Non autem apud eum qui agit propter finis amorem, quia non agit ad acquirendum aliquod bonum.

3. Tout ce qui agit par désir d’une fin est ordonné par son action à obtenir ce qui est désiré. Il faut donc que diffère le fait que son œuvre se trouve ou ne se trouve pas en lui. Mais non chez celui qui agit par amour de la fin, car il n’agit pas en vue d’acquérir un bien.

 

[3550] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actio divina est essentia ejus; et ex hac parte non quaeritur finis ejus, sed ex parte illa qua effectum creaturae communicat.

4. L’action de Dieu est son essence. De ce point de vue, sa fin n’est pas recherchée, mais du point de vue où il communique un effet à la créature.

 

 

 

 

Articulus 2 : [3551] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 tit. Utrum creaturae sint propter bonitatem Dei

Article 2 – Les créatures existent-elles en vue de la bonté de Dieu ?

 

[3552] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod creaturae non sint propter Dei bonitatem. Sicut enim in 1 Cael. et Mund. dicitur, nihil movetur naturaliter propter illud quod consequi non potest. Sed nulla res potest consequi divinam bonitatem: quia ipsa non recipitur ut perfectio alicujus creaturae, vel forma. Ergo res non sunt ordinatae naturaliter in ipsam.

1. Il semble que les créatures n’existent pas en vue de la bonté de Dieu. En effet, comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, I, « rien n’est naturellement mû vers ce qu’il ne peut obtenir ». Or, rien ne peut obtenir la bonté divine, car elle n’est pas reçue comme la perfection d’une créature ou comme sa forme. Les choses ne sont donc pas naturellement ordonnées à elle.

 

[3553] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, ut in 2 Cael. et Mund. dicitur, omnis res est propter suam operationem, et res sempiterna vel incorporalis, est propter sempiternalitatem sui esse. Sed esse rei et operatio non est extra ipsam. Ergo videtur quod non sint propter Dei bonitatem, quae est a rebus separata et impermixta.

2. Dans Sur le ciel et le monde, II, on dit que toute chose existe en vue de son opération, et qu’une réalité éternelle ou incorporelle existe en vue de l’éternité de son être. Or, l’être d’une chose et son opération ne lui sont pas extrinsèques. Il semble donc que [les choses] n’existent pas en vue de la bonté de Dieu, qui est séparée des choses et n’est pas mélangée avec elles.

 

[3554] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, omnis res producitur ab agente propinquius fini, quantumcumque potest. Sed quanto aliquid est melius et diuturnius, magis ad divinam bonitatem accedit. Ergo Deus fecit unumquodque quantumcumque melius potuit, et ab aeterno, si facere potuit: quae cum falsa sint, videtur quod bonitas Dei creaturarum finis non sit.

3. Toute chose est produite par l’agent le plus rapproché de la fin, autant que possible. Or, meilleur et plus durable est quelque chose, plus cela se rapproche de la bonté divine. Dieu a donc créé chaque chose aussi bonne qu’il pouvait et éternellement, s’il pouvait le faire. Comme cela est faux, il semble donc que la bonté de Dieu ne soit pas la fin des créatures.

 

[3555] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, divina bonitas est sua beatitudo. Sed beatitudinis ejus non est capax nisi intellectualis creatura, ut in littera dicitur. Ergo non omnis creaturae finis est divina bonitas.

4. La bonté divine est sa béatitude. Or, seule une créature intellectuelle est capable de sa béatitude, comme on le dit dans le texte. La fin de toute créature n’est donc pas la bonté divine.

 

[3556] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, hoc propter quod res fit, est finis ejus. Sed, sicut dicitur Proverb. 16, 4, universa propter semetipsum operatus est dominus. Ergo videtur quod ipse sit finis omnium.

Cependant, [1] ce pour quoi une chose est faite est sa fin. Or, comme le dit Pr 16, 4, le Seigneur a tout créé pour lui-même. Il semble donc qu’il soit lui-même la fin de toutes choses.

 

[3557] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, bonum habet rationem finis, ut in 3 Metaph. dicitur. Ergo et summum bonum habet in Deo rationem finis ultimi. Sed divina bonitas est summa bonitas. Ergo ipsa est ultimus rerum finis.

[2] Le bien a raison de fin, comme il est dit dans Métaphysique, III. Le bien suprême a donc en Dieu raison de fin ultime. Or, la bonté divine est la bonté suprême. Elle est donc elle-même la fin ultime des choses.

 

[3558] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod finis et agens proportionantur ad invicem, sicut materia et forma. Unde secundum differentiam agentis est differentia finis. Est autem duplex agens. Quoddam quod suscipienti suum effectum est proportionatum; unde formam ejusdem speciei vel rationis in effectum inducit, sicut in omnibus agentibus univocis, ut ignis generat ignem, et domus quae est in anima artificis, causat domum quae est in materia. Quoddam vero agens non est proportionatum recipienti suum effectum. Unde effectus non consequitur speciem agentis, sed aliquam similitudinem ejus quantum potest, sicut est in omnibus agentibus aequivoce, ut sol calefacere dicitur. Ita etiam est duplex finis. Quidam proportionatus ei quod est ad finem; et talis finis acquiritur ut perfectio in eo quod ad finem est, sicut sanitas per operationem medicinae. Est etiam quidam finis improportionabiliter excedens illud quod est ad finem: et hic non acquiritur ut perfectio inhaerens ei quod est ad finem, sed aliqua similitudo ejus; et talis finis est divina bonitas in infinitum creaturas excedens; et ideo non acquiritur in creatura secundum se, ita ut sit forma ejus; sed aliqua similitudo ejus quae est in participatione alicujus bonitatis; et ideo omnis appetitus naturae vel voluntatis tendit in assimilationem divinae bonitatis, et in ipsammet tenderet, si esset possibilis haberi ut perfectio essentialis, quae est forma rei. Sed tamen ipsamet divina bonitas potest acquiri a creatura rationali ut perfectio quae est objectum operationis, inquantum rationalis creatura possibilis est ad videndum et amandum Deum. Et ideo singulari modo Deus est finis in quem tendit creatura rationalis praeter modum communem quo tendit in ipsum omnis creatura, inquantum scilicet omnis creatura desiderat aliquod bonum, quod est similitudo quaedam divinae bonitatis. Et ex hoc patet quod in omni bono summum bonum desideratur.

Réponse. La fin et l’agent sont proportionnels l’un par rapport à l’autre, comme la matière et la forme. À la différence d’agent correspond donc une différence de la fin. Or, il existe un double agent. L’un est proportionné à ce qui reçoit son effet. Il entraîne donc une forme de même espèce ou raison dans l’effet, comme c’est le cas de tous les agents univoques : ainsi, le feu engendre le feu, et la maison qui se trouve dans l’âme de l’artisan cause la maison qui existe dans la matière. Mais il existe un agent qui n’est pas proportionné à ce qui reçoit son effet. L’effet ne reçoit donc pas l’espèce de l’agent, mais sa ressemblance autant qu’il le peut, comme c’est le cas pour tout ce qui agit de manière équivoque : ainsi dit-on que le soleil réchauffe. De même aussi existe-t-il une double fin. L’une est proportionnée à ce qui est orienté vers la fin : une telle fin est reçue comme une perfection chez ce qui est orienté vers la fin, comme la santé par l’action du médicament. Mais il existe une fin qui dépasse sans proportion ce qui est orienté vers la fin : celle-ci n’est pas reçue comme une perfection intrinsèque à ce qui est orienté vers la fin, mais comme une certaine ressemblance avec elle. Et la bonté divine est une telle fin, qui dépasse de manière infinie les créatures. C’est pourquoi elle n’est pas reçue dans la créature selon elle-même, de sorte qu’elle en soit la forme, mais une certaine ressemblance avec elle, qui consiste dans la participation à une certaine bonté. C’est pourquoi tout appétit naturel ou volontaire tend à ressembler à la bonté divine, et il tendrait vers [cette bonté] elle-même, si elle pouvait être obtenue comme une perfection essentielle, qui est la forme d’une chose. Cependant, la bonté divine elle-même peut être obtenue par une créature raisonnable comme une perfection qui est l’objet d’une opération, dans la mesure où il est possible à la créature raisonnable de voir et d’aimer Dieu. Dieu est donc d’une manière unique la fin vers laquelle tend la créature raisonnable, au-delà du mode commun selon lequel toute créature tend vers lui, pour autant que toute créature désire un certain bien, qui est une ressemblance de la bonté divine. Il ressort ainsi clairement que le bien suprême est désiré en tout bien.

 

[3559] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis res non acquirat divinam bonitatem, tamen acquirit aliquam similitudinem ejus; et ex hoc dicitur finis.

1. Bien qu’une chose n’acquière pas la bonté divine, elle acquiert cependant une certaine ressemblance avec elle. C’est pour cette raison qu’on parle de fin.

 

[3560] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ipsa operatio est ultima perfectio in qua res existit: habitus enim et potentia imperfectionem dicunt: et ideo idem est rei esse propter suam operationem et propter divinam bonitatem, ad quam maxime accedit secundum quod maxime est in actu perfecto. Similiter etiam ipsa sempiternitas essendi est quaedam assimilatio divinae bonitatis; et propter hoc perpetuitas specierum vocatur a philosophis divinum esse.

2. L’opération est la perfection ultime en laquelle une chose existe. En effet, l’habitus et la puissance expriment une imperfection. Ainsi, qu’une chose existe en vue de son opération et en vue de la bonté divine est la même chose : elle y accède au plus haut point selon qu’elle existe dans son acte le plus parfait. De même, exister perpétuellement est une certaine ressemblance avec la bonté divine. Pour cette raison, l’existence perpétuelle des espèces est appelée par les philosophes une existence divine.

 

[3561] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod finis non est causa rei, nisi secundum quod est in voluntate agentis; et ideo ipsa bonitas divina secundum modum et ordinem quo est ab eo volita est finis rerum. Et ideo tunc unaquaeque res maxime ad suum finem accedit, quando imitatur divinam voluntatem, secundum quod de ipsa re dispositum est a Deo.

3. La fin n’est cause d’une chose que pour autant qu’elle existe dans la volonté de l’agent. C’est pourquoi la bonté divine, dans la mesure et selon l’ordre où elle est voulue par lui, est la fin des choses. Aussi chaque chose atteint-elle le plus sa fin lorsqu’elle imite la volonté divine, selon que Dieu a disposé de cette chose.

 

[3562] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum bonitas Dei sit finis rerum, ad ipsam res diversimode se habent. Ipse enim Deus habet eam perfecte secundum suum esse; unde summe bonus est; et etiam secundum suam operationem, qua perfecte eam cognoscit et amat: unde beatus est, quia beatitudo est operatio perfecta, secundum philosophum. Creatura autem intellectualis non attingit ad eam secundum suum esse ut ipsa sit summum bonum, sed secundum operationem intelligendo et amando eam; unde particeps est beatitudinis et non tantum bonitatis divinae. Sed creatura irrationalis accedit ad eam secundum aliquam assimilationem, quamvis non pertingat neque secundum operationem neque secundum esse; unde est particeps bonitatis, sed non beatitudinis.

4. Puisque la bonté de Dieu est la fin des choses, les choses ont avec lui différents rapports. En effet, Dieu lui-même la possède selon son être : aussi est-il bon au plus haut point ; [il la possède aussi] selon son opération, par laquelle il la connaît et l’aime : aussi est-il bienheureux, car la béatitude est l’opération parfaite, selon le Philosophe. Mais la créature intellectuelle n’atteint pas [la bonté divine] selon son être de sorte qu’elle soit elle-même le bien suprême, mais selon son opération en la connaissant et en l’aimant ; elle participe donc à la béatitude, et non seulement à la bonté divine. Mais la créature non raisonnable atteint [la bonté divine] selon une certaine ressemblance, bien qu’elle ne l’atteigne ni par son opération, ni par son être. Elle participe donc à sa bonté, mais non à sa béatitude.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3563] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 tit. Utrum omnia sint facta propter hominem

Article 3 – Toutes choses ont-elles été créées pour l’homme ?

 

[3564] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non omnia sint facta propter hominem. Finis enim est intentus ab agente. Sed humana natura non potest esse intenta a Deo: quia nullius intentio est ad hoc quod est vilius se. Ergo videtur quod Deus non fecit omnia propter hominem.

1. Il semble que tout n’ait pas été pour l’homme. En effet, la fin est voulue par l’agent. Or, la nature humaine ne peut avoir téé voulue par Dieu, car personne ne veut ce qui est moins digne que lui. Il semble donc que Dieu n’a pas tout créé pour l’homme.

 

[3565] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut universale agens non est nisi primum agens, ita universalis finis non videtur esse nisi finis ultimus. Sed homo non est finis ultimus creaturae, sed divina bonitas, ut dictum est. Ergo non est finis omnium creaturarum.

2. De même que seul le premier agent peut être l’agent universel, de même la fin universelle ne peut être que la fin ultime. Or, l’homme n’est pas la fin ultime de la créature, mais la bonté divine, comme on l’a dit. [L’homme] n’est donc pas la fin de toutes les créatures.

 

[3566] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, non est sapientis artificis facere multa magna instrumenta propter aliquod parvum. Sed humana natura est quasi quoddam minimum in universo. Ergo videtur ridiculum quod totum universum propter hominem factum sit.

3. Un artisan sage ne fait par un grand nombre d’instruments pour quelque chose de petit. Or, la nature humaine est pour ainsi ce qu’il y a de plus petit dans l’univers. Il semble donc ridicule que tout l’univers ait été créé pour l’homme.

 

[3567] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod non juvat ad id propter quod fit, est superfluum et inane. Sed multa sunt in universo quae sunt homini nociva, ut serpentes, spinae et hujusmodi: multa sunt etiam ex quibus nullum juvamentum habet, sicut aliqui pisces in profundo maris existentes. Ergo cum nihil sit vanum in operibus Dei, videtur quod non omnia propter hominem facta sint.

4. Ce qui ne contribue pas à ce pourquoi cela est fait est superflu et inutile. Or, il existe beaucoup de choses dans l’univers qui sont nuisibles à l’homme, comme les serpents, les épines et les choses de ce genre ; il en existe aussi beaucoup qui ne sont d’aucune aide, comme certains poissons qui se trouvent au fond de la mer. Puisque rien n’est vain dans les œuvres de Dieu, il semble donc que toutes les choses n’aient pas été créées pour l’homme.

 

[3568] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in 2 Phys., quod sumus et nos quodammodo finis omnium.

Cependant, [1] Physique, II dit que nous sommes aussi d’une certaine manière la fin de tout.

 

[3569] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, ordo universi est finis totius creaturae. Sed in homine est quaedam similitudo ordinis universi; unde et minor mundus dicitur: quia omnes naturae quasi in homine confluunt. Ergo videtur quod ipse sit quodammodo finis omnium.

[2] L’ordre de l’univers est la fin de toute la création. Or, il y a dans l’homme une certaine ressemblance de l’ordre de l’univers ; aussi est-il appelé un microcosme, car toutes les natures se rejoignent pour ainsi dire dans l’homme. Il semble donc qu’il soit d’une certaine manière la fin de tout.

 

[3570] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod finis alicujus rei dicitur dupliciter: vel in quem tendit naturaliter, vel ex eo quod ad ipsum sicut ad finem ordinari dicitur, ut utilitatem aliquam consequatur secundum intentionem et ordinem agentis. Utroque autem modo homo finis creaturarum dicitur: et primus quidem ex parte operis, sed secundus ex parte agentis. Differenter tamen homo dicitur finis, et divina bonitas: quia ex parte agentis divina bonitas est finis rerum, sicut ultimum intentum ab agente: sed natura humana non est intenta a Deo quasi movens voluntatem ejus, sed sicut ad cujus utilitatem est ordinatus effectus ejus. Ipse enim duplicem ordinem in universo instituit; principalem scilicet, et secundarium. Principalis est secundum quod res ordinantur in ipsum; et secundarius est secundum quod una juvat aliam in perveniendo ad similitudinem divinam; unde dicitur in 12 Metaph., quod ordo partium universi ad invicem est propter illum ordinem qui est in bonum ultimum, et sic dicitur esse propter aliud omne illud ex quo provenit ei utilitas. Sed hoc contingit dupliciter; aut ita quod illud ex quo provenit alicui utilitas, non habeat participationem divinae bonitatis nisi secundum ordinem ejus ad hoc cui est utile, sicut sunt partes ad totum, et accidentia ad subjectum, quae non habent esse absolutum, sed solum in altero: et talia non essent nec fierent, nisi aliud esset, cui ex eis provenit utilitas. Sed quaedam sunt quae habent participationem divinae bonitatis absolutam, ex qua provenit aliqua utilitas alicui rei: et talia essent etiam si illud cui provenit ex eis utilitas non foret: et per hunc modum dicitur, quod Angeli et omnes creaturae propter hominem a Deo factae sunt; et sic etiam homo factus est propter reparationem ruinae angelicae: quia haec utilitas consecuta est et a Deo praevisa et ordinata. Similiter ex parte operis ipsae creaturae tendunt in divinam bonitatem sicut in illud cui per se assimilari intendunt. Sed quia optimo assimilatur aliquid per hoc quod simile fit meliori se, ideo omnis creatura corporalis tendit in assimilationem creaturae intellectualis quantum potest, quae altiori modo divinam bonitatem consequitur, et propter hoc etiam forma humana, scilicet anima rationalis, dicitur esse finis ultimus intentus a natura inferiori, ut in 2 de anima dicitur.

Réponse. On parle de fin pour une chose de deux manières : celle vers laquelle elle tend naturellement ; celle selon laquelle on dit qu’on est ordonné à elle comme à la fin, de sorte qu’il en découle une utilité selon l’intention et l’ordre de l’agent. Or, l’homme est appelé la fin des créatures des deux manières : de la première, du point de vue de l’action, mais de la seconde, du point de vue de l’agent. Cependant, l’homme est appelé fin d’une manière différente de la bonté divine, car, du point de vue de l’agent, la bonté divine est la fin des choses, comme ce qui est ultimement voulu par l’agent ; mais la nature humaine n’est pas voulue par Dieu comme si elle mouvait sa volonté, mais comme ce dont l’utilité est visée par son effet. En effet, il a établi un double ordre dans l’univers : un [ordre] principal et un [ordre] secondaire. L’[ordre] principal est celui par lequel les choses sont ordonnées à lui ; l’[ordre] secondaire et celui par lequel une chose aide l’autre à parvenir à la ressemblance divine. Aussi est-il dit, dans Métaphysique, XII, que l’ordre des parties du tout entre elles existe en vue de l’ordre à la fin ultime, et on dit qu’existe pour autre chose tout ce dont lui vient une utilité. Or, cela se produit de deux manières. Soit que ce dont provient une utilité pour quelque chose ne participe à la bonté divine que selon l’ordre à ce pourquoi il est utile, comme c’est le cas des parties d’un tout et des accidents par rapport à un sujet, qui n’ont pas d’existence absolue, mais seulement à l’intérieur d’un autre. De telles choses n’existeraient pas et ne seraient pas créées, à moins que n’existe l’autre à qui elles sont utiles. Mais il existe certaines choses qui participent à la bonté divine d’une manière absolue, ce dont provient une utilité pour une chose. De telles choses existeraient même si ce dont leur vient leur utilité n’existait pas. On dit ainsi que les anges et toutes les créatures ont été créées par Dieu pour l’homme ; de même aussi l’homme a-t-il été créé en vue de réparer la chute de l’ange, car cette utilité a été obtenue et a été prévue et ordonnée par Dieu. De même, du point de vue de l’action, les créatures tendent-elles vers la bonté divine comme vers ce à quoi elles cherchent à être assimilées. Mais parce que l’assimilation se réalisé au mieux lorsque quelque chose devient semblable à ce qui est meilleur que lui, toute créature corporelle tend à ressembler à la créature intellectuelle autant qu’elle le peut, laquelle reçoit la bonté divine d’une manière plus élevée. Pour cette raison, même la forme humaine, c’est-à-dire l’âme raisonnable, est-elle appelée la fin ultime visée par la nature inférieure, comme il est dit dans Sur l’âme, II.

 

[3571] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod homo non hoc modo dicitur esse finis sicut intentum ab agente: quia haec est ratio finis ultimi et principalis: sed sicut ad quod ordinatum est opus agentis aliquo modo, ut dictum est.

1. L’homme n’est pas appelé fin comme s’il était voulu par l’agent, car c’est là la nature de la fin ultime et principale, mais comme ce à quoi est ordonnée l’action de l’agent d’une certaine manière, ainsi qu’on l’a dit.

 

[3572] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo non est finis omnis creaturae sicut ultimo intentum ab omni creatura, sed sicut illud cui provenit utilitas ex omni creatura: et hoc contingit propter communicationem ejus cum omni creatura, ut dicit Gregorius, ubi supra.

2. L’homme n’est pas fin de toutes les créatures comme ce qui est ultimement visé par toute créature, mais comme celui à qui survient une utilité de la part de toute créature. Et cela se produit en raison de ce qu’il a de commun avec toute créature, comme le dit plus haut Grégoire.

 

[3573] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnis creatura corporalis, quantumcumque sit magna quantitate, est tamen inferior homine ratione intellectus. Unde non est inconveniens, si omnis creatura talis etiam in assimilationem ejus tendit, inquantum per hoc summae bonitati assimilatur. Sed Angeli sunt nobiliores homine secundum conditionem naturae; unde non sunt propter hominem praedicto modo, sed solum sicut ex quibus provenit homini utilitas; sicut si diceretur regem esse constitutum propter aliquem rusticum, cui provenit utilitas pacis propter leges regis.

3. Toute créature corporelle, aussi grande soit sa quantité, est cependant inférieure à l’homme en raison de l’intelligence. Il n’est donc pas inapproprié que toute créature tende aussi à lui ressembler, pour autant qu’elle soit ainsi assimilée à la bonté suprême. Mais les anges sont plus nobles que l’homme selon la condition de leur nature ; ils n’existent donc pas pour l’homme de la manière dite, mais seulement comme ce dont vient une utilité à l’homme, comme si on disait que le roi a été établi pour le cltivateur, parce que l’utilité de la paix vient à celui-ci des lois du roi.

 

[3574] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hujusmodi non fuerunt a principio homini nociva; sed postea per peccatum nociva sibi facta sunt; ex quibus tamen aliqua utilitas sibi provenit, dum per hoc humilior fit, et in talibus etiam visibilibus gloriam et sapientiam Dei considerat. Et sic etiam in utilitatem cedunt ea quae in usum operis ejus non veniunt, dum de eis aliquam cognitionem habet vel in universali vel in particulari. Tamen auctoritas philosophi in 5 Physic., in contrarium inducta, intelligitur de rebus artificialibus.

4. Ces choses n’ont pas été nuisibles pour l’homme dès le début, mais, par la suite, elles sont devenues nuisibles en raison du péché. Une certaine utilité vient cependant d’elles, alors qu’il devient ainsi plus humble et considère la gloire et la sagesse de Dieu dans ces réalités visibles. De même aussi, lui sont utiles les choses qui ne font pas partie de la mise en œuvre de son action, alors qu’il en tire une connaissance universelle ou particulière. Toutefois, l’autorité du Philosophe, Physique, V, invoquée en sens contraire, s’entend des réalités qui résultent de l’art.

 

 

 

 

Articulus 4 : [3575] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 tit. Utrum anima rationalis debeat uniri corpori

Article 4 – L’âme raisonnable doit-elle être unie au corps ?

 

[3576] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod anima rationalis corpori uniri non debuit. Ea enim quae sunt ad finem, determinantur secundum rationem finis. Sed anima rationalis est propter divinam beatitudinem et bonitatem. Ergo cum per corpus impediatur a participatione divinae beatitudinis, quia per operationes corporales impeditur anima a contemplatione spiritualium, videtur quod corpori uniri non debuit.

1. Il semble que l’âme raisonnable ne devait pas être unie au corps. En effet, ce qui est ordonné à une fin est déterminé d’après la nature de la fin. Or, l’âme raisonnable existe en vue de la béatitude et de la bonté divines. Puisqu’elle est empêchée de participer à la béatitude divine par le corps, l’âme étant empêchée de contempler les réalités spirituelles par les opérations corporelles, il semble donc qu’elle ne devait pas être unie au corps.

 

[3577] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, illud quod habet per se esse subsistens, non unitur alteri nisi accidentaliter; quia quod advenit post esse completum, est accidens. Sed anima est quiddam in esse suo subsistens; alias post corpus remanere non posset. Ergo non est unibilis, ut ex ea et corpore fiat unum essentialiter.

2. Ce qui possède par soi un être subsistant n’est uni à une autre chose que par accident, car ce qui survient après l’être achevé est un accident. Or, l’âme est quelque chose qui subsiste dans son être, autrement elle ne pourrait pas demeurer après le corps. Elle n’est donc pas susceptible d’être unie afin que, d’elle et du corps, une seule réalité essentielle soit formée.

 

[3578] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, ea quae maxime distant, non uniuntur nisi minima conjunctione. Sed anima et corpus maxime distant, ut in littera dicitur. Ergo cum conjunctio formae ad materiam sit secundum maximam unionem, videtur quod anima non sit corpori unibilis, sicut forma materiae.

3. Les choses qui sont très éloignées ne sont unies que par la plus petite union. Or, l’âme et le corps sont très éloignés, comme il est dit dans le texte. Puisque l’union de la forme à la matière se réalise par l’union la plus grande, il semble donc que l’âme ne soit pas susceptible d’être unie au corps, comme la forme à la matière.

 

[3579] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, potentiae animae fluunt ab essentia ejus. Sed principiatum non potest esse simplicius principio a quo fluit. Cum ergo quaedam potentia animae nullius corporis actus sit, ut intellectus et voluntas; videtur quod nec essentia animae rationalis.

4. Les puissances de l’âme sont issues de son essence. Or, ce qui vient d’un principe ne peut pas être plus simple que le principe dont cela est issu. Puisque l’acte d’aucun corps ne met en œuvre une puissance de l’âme, comme l’intelligence et la volonté, il semble donc que ce ne soit pas non plus le cas de l’essence de l’âme raisonnable.

 

[3580] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra, divinae bonitatis est omnes gradus creaturarum universi complere. Sed quaedam creaturae sunt pure corporales, quaedam pure intellectuales. Ergo ad completionem universi oportet esse creaturam ex corporali et intellectuali natura compositam.

Cependant, [1] il revient à la bonté divine de combler tous les degrés des créatures. Or, certaines créatures sont purement corporelles, et certaines sont purement intellectuelles. Pour l’achèvement de l’univers, il est donc nécessaire qu’il y ait une créature composée d’une nature corporelle et intellectuelle.

 

[3581] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, intellectus possibilis, secundum philosophum, est sicut tabula in qua nihil est scriptum. Sed non potest perfici ut scribatur aliquid in eo nisi per species in sensibus receptas. Ergo oportet quod uniatur corpori organico sensibili.

[2] Selon le Philosophe, l’intellect possible est comme une tablette sur laquelle rien n’a été écrit. Or, rien ne peut être écrit sur lui que par des espèces reçues par les sens. Il est donc nécessaire qu’il soit uni à un corps sensible pourvu d’organes.

 

[3582] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod causa finalis ipsius conjunctionis animae et corporis assignatur in littera a Magistro sufficienter. Finis enim potest sumi vel ex parte agentis, vel ex parte ipsius operis. Ex parte agentis, scilicet Dei, finis est bonitas ejus, secundum quod cadit in voluntate ipsius volentis bonitatem suam in res diffundere: et haec est prima ratio quam Magister assignat. Ex parte autem operis, finis intentus est pertingere in assimilationem divinae beatitudinis. Hoc autem est secundum esse ejus, prout ipsa conjunctio animae et corporis est quaedam similitudo divinae beatitudinis, qua conjungitur spiritus Deo: et haec est secunda ratio quam assignat. Et etiam secundum operationem, prout scilicet anima per operationes quas in corpore exercet, ad divinam beatitudinem accedit merendo: et haec est tertia ratio.

Réponse. La cause finale de l’union de l’âme et du corps est suffisamment exprimée dans le texte par le Maître. En effet, la fin peut être envisagée soit du point de vue de l’agent, soit du point de vue de l’œuvre. Du point de vue de l’agent, c’est-à-dire de Dieu, la fin est sa bonté, selon qu’il relève de sa volonté elle-même de répandre sa bonté dans les choses. Telle est la première raison donnée par le Maître. Mais, du point de vue de l’œuvre, la fin visée est de parvenir à une ressemblance avec la béatitude divine. Or, cela se réalise [chez l’homme] selon son être même, pour autant que l’union même de l’âme et du corps est une certaine ressemblance de la béatitude divine, par laquelle l’esprit est uni à Dieu. Telle est la deuxième raison qu’il donne. [Cela se réalise aussi chez l’homme] selon l’opération, pour autant que l’âme, par les opérations qu’elle exerce dans le corps, accède à la béatitude divine en méritant. Telle est la troisième raison.

 

[3583] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si anima non esset corpori unibilis, tunc esset alterius naturae; unde secundum hanc naturam quam habet, non potest melius ad divinam bonitatem accedere quam per hoc quod unitur corpori.

1. Si l’âme n’était pas susceptible d’être unie au corps, elle aurait alors une autre nature. C’est pourquoi, selon la nature qu’elle possède, elle ne peut mieux accéder à la bonté divine qu’en étant unie au corps.

 

[3584] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidquid advenit rei subsistenti ita quod ex ipsius adventu novum esse constituatur, oportet accidentaliter advenire, quia unius rei non potest esse nisi unum esse essentiale; unde aliud esse superveniens erit accidentale. Sed corpus adveniens animae trahitur in consortium illius esse a quo anima subsistere potest, quamvis aliae formae non possunt subsistere in illo esse, sicut potest anima.

2. Tout ce qui arrsive à une chose subsistante de telle sorte qu’un être nouveau soit constitué par ce qui arrive, doit advenir de manière accidentelle, car il ne peut y avoir qu’un seul être essentiel pour une seule chose ; aussi ce qui survient d’autre sera-t-il accidentel. Or, le corps qui advient à l’âme est attiré au partage de l’être par lequel l’âme peut subsister, bien que d’autres formes ne puissent subsister dans cet être, comme le peut l’âme.

 

[3585] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod propter hanc objectionem Plato posuit, ut Gregorius Nyssenus narrat, quod anima est in corpore sicut motor in mobili, ut nauta in navi, et non sicut forma in materia; unde dicebat, quod homo non est aliquid ex anima et corpore, sed quod homo est anima utens corpore; et propter hoc etiam quidam quaesierunt quaedam media inter animam et corpus, ut spiritum corporalem, animam vegetabilem et sensibilem, et lucem, quibus mediantibus anima rationalis corpori uniretur; quae omnia absurda sunt secundum philosophiam, et improbata a philosopho in 8 Metaph. Et ideo dicimus quod essentia animae rationalis immediate unitur corpori sicut forma materiae, et figura cerae, ut in 2 de anima dicitur. Sciendum ergo, quod convenientia potest attendi dupliciter: aut secundum proprietates naturae; et sic anima et corpus multum distant: aut secundum proportionem potentiae ad actum; et sic anima et corpus maxime conveniunt. Et ista convenientia exigitur ad hoc ut aliquid uniatur alteri immediate ut forma; alias nec accidens subjecto nec aliqua forma materiae uniretur; cum accidens et subjectum etiam sint in diversis generibus, et materia sit potentia, et forma sit actus.

3. En raison de cette objection, Platon affirmait, comme le raconte Grégoire de Nysse, que l’âme est dans le corps comme un moteur dans un mobile, comme un navigateur dans un navire, et non comme une forme dans une matière. Il disait donc que l’homme n’est pas quelque chose qui est composé d’une âme et d’un corps, mais que l’homme est une âme faisant usage d’un corps. Pour cette raison aussi, certains ont cherché un intermédiaire entre l’âme et le corps, comme un esprit corporel, une âme végétative et sensible, et la lumière, par l’intermédiaire desquels l’âme raisonnable serait unie au corps. Tout cela est absurde, selon la philosophie, et a été repoussé par le Philosophe, Métaphysique, VIII. C’est pourquoi nous disons que l’essence de l’âme raisonnable est unie de manière immédiate au corps comme une forme à une matière et une figure à la cire, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Il faut cependant savoir que le fait d’être joint peut être envisagé de deux manières : soit selon les propriétés naturelles, et ainsi l’âme et le corps sont très distants ; soit selon la proportion entre la puissance et l’acte, et ainsi l’âme et le corps se rejoignent au plus haut point. Et cette union est requise pour qu’une chose soit unie à une autre de manière immédiate comme une forme, autrement ni l’accident ne serait uni à la forme, ni la forme à la matière, puisque l’accident et le sujet font partie de genres différents, et que la matière est puissance, alors que la forme est acte.

 

[3586] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in formis est quidam gradus nobilitatis; et quanto aliqua forma est nobilior, tanto plus materiae praedominatur; unde forma terrae est magis materialis quam forma aeris vel ignis. Inter autem omnes formas anima rationalis nobilior est, unde maxime praedominatur materiae. Omne autem quod unitur alteri ut vincens et dominans super illud habet effectum non solum secundum conjunctionem sui ad alterum, sed etiam per se absolute, inquantum non dependet ad illud cui unitur; sicut patet in igne candelae, cujus lumen extenditur ultra ascensionem vaporis, et calefactionem. Unde quaedam vires ab anima provenire possunt quae sunt corporis actus, et quaedam sunt ab organis corporalibus absolutae; quamvis enim essentia animae corpori uniatur ut forma, non tamen sicut forma materialis non habens esse absolute in quo subsistere possit.

4. Dans les formes, il existe un certain degré de noblesse, et plus une forme est noble, plus elle l’emporte sur la matière ; aussi la forme de la terre est-elle plus matérielle que la forme de l’air ou du feu. Or, parmi toutes les formes, l’âme raisonnable est la plus noble ; aussi l’emporte-t-elle le plus sur la matière. Or, tout ce qui est uni à une autre chose comme l’emportant et s’imposant à elle a un effet, non seulement selon son union à l’autre, mais aussi par soi de manière absolue, dans la mesure où cela ne dépend pas de ce à quoi cela est uni, comme on le voti clairement pour le feu de la chandelle, dont la lumière ne va pas au-delà de la montée de la fumée et de la chaleur. Aussi certaines puissances peuvent-elles provenir de l’âme : elles sont des actes du corps ; et d’autres sont séparées des organes corporels. En effet, bien que l’essence de l’âme soit unie au corps en tant que forme, elle ne l’est cependant pas comme une forme matérielle, qui ne possède pas un être absolu dans lequel elle puisse subsister.

 

 

 

 

Articulus 5 : [3587] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 tit. Utrum anima humana tali corpori debuerit uniri

Article 5 – L’âme humaine devait-elle être unie à tel corps ?

 

[3588] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod tali corpori uniri non debuit. Cum enim forma proportionetur materiae, nobilissimae formae debetur nobilissimum corpus. Ergo videtur quod corpori caelesti debeat uniri anima, quae est nobilissima formarum.

1. Il semble qu’elle ne devait pas être unie à tel corps. En effet, puisque la forme est proportionnée à la matière, le corps le plus noble est donc dû à la forme la plus noble. Il semble donc que l’âme, qui est la plus noble des formes, doive être unie à un corps céleste.

 

[3589] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, simplici formae magis proportionatur corpus simplex quam compositum. Sed anima est simplicissima formarum. Ergo non debet uniri composito, sed simplici.

2. Un corps simple, plutôt qu’un corps complexe, est davantage proportionné à une forme simple. Or, l’âme est la plus simple des formes. Elle ne doit donc pas être unie à quelque chose de composé, mais à quelque chose de simple.

 

[3590] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, corpus organicum est magis difforme quam corpus homogeneum. Sed anima est simplicissimus motor. Ergo corpus cui unitur sicut mobili, debet esse homogeneum et non organicum.

3. Un corps pourvu d’organes est plus difforme qu’un corps homogène. Or, l’âme est le moteur le plus simple. Le corps, auquel elle est unie comme à un mobile, doit donc être homogène, et non pas pourvu d’organes.

 

[3591] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, quanto corpus est subtilius, tanto magis accedit ad nobilitatem formae et continentis. Sed ignis est subtilissimum corpus; unde in 2 de generatione dicitur, quod habet plus de specie. Ergo videtur quod ad minus secundum praedominium ignis debeat esse in corpore animato; cujus contrarium ostendit motus gravis quem habet; unumquodque enim movetur motu praedominantis in ipso, ut in 1 de caelo et mundo dicitur.

4. Plus un corps est subtil, plus il s’approche de la noblesse de la forme et de ce qui le contient. Or, le feu est le corps le plus subtil ; aussi est-il dit, dans Sur la génération, II, qu’il possède davantage son espèce. Il semble donc qu’au moins une prédominance du feu doive se trouver dans le corps animé, alors que son mouvement lourd montre le contraire. En effet, tout est mû par ce qui prédomine en lui, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I.

 

[3592] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Genes. 2, 7: formavit Deus hominem de limo terrae. Et hoc etiam ad sensum videmus.

Cependant, il est dit dans Gn 2, 7 : Dieu forma l’homme à partir de la glaise du sol. Et nous voyons cela par les sens.

 

[3593] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod oportuit talem formam, scilicet animam rationalem, corpori bene complexionato uniri: cujus rationem assignat Avicenna dicens, quod oportet ordinem perfectibilium esse secundum ordinem perfectionum. Inter omnes autem perfectiones illa est nobilissima quae movet caelum, cui inter omnes alias perfectiones maxime anima rationalis assimilatur: et ideo corpus oportet quod sit simillimum caelo. De nobilitate autem corporis caelestis est, quod non habet contrarium; unde quanto plus corpus separatur a contrarietate, similius caelo efficitur. Hoc autem non potest esse in generabilibus et corruptibilibus hoc modo quod a contrariis omnimode absolvantur, scilicet calido et frigido, per hoc quod conveniunt ad medium, quia medium neutrum extremorum est actu; et ideo illud corpus quod venit ad maximam aequalitatem mixtionis, est simillimum caelo; et tale corpus debet esse corpus humanum; et inde est quod dicitur 2 de anima quod homo habet meliorem tactum ceteris animalibus; et quanto est melioris tactus, tanto est melioris intellectus, quia subtilitas tactus sequitur aequalitatem complexionis. Instrumentum enim tactus debet esse in potentia respectu suorum sensibilium sicut medium et non privatio, sicut pupilla est potentia album et nigrum, ut in eodem libro dicitur.

Réponse. Il était nécessaire qu’une telle forme, à savoir, l’âme raisonnable, soit unie à un corps possédant une bonne constitution. Avicenne en donne la raison en disant qu’il est nécessaire que l’ordre de ce qui est susceptible d’être perfectionné soit conforme à l’ordre des perfections. Or, parmi toutes les perfections, la plus noble est celle qui meut le ciel, à laquelle l’âme raisonnable ressemble le plus parmi toutes les autres perfections. C’est pourquoi il est nécessaire que le corps ressemble le plus au ciel. Or, il appartient à la noblesse du corps céleste de ne pas avoir de contraire ; aussi plus un corps est séparé de ce qui est contraire, plus devient-il semblable au ciel. Mais cela ne peut se produire pour les réalités susceptibles d’être engendrées et corrompues en raison de la manière dont elles sont dissoutes par des contraires, à savoir, le chaud et le froid, du fait qu’elles se rejoignent dans un milieu, car le milieu n’est aucun des extrêmes en acte. C’est pourquoi le corps qui atteint la plus grande égalité du mélange ressemble le plus au ciel. C’est un tel corps que doit être le corps humain. De là vient ce qui est dit, dans Sur l’âme, II, que l’homme a un meilleur toucher que les autres animaux ; et meilleur est le toucher, meilleure est l’intelligence, car la subtilité du toucher découle de l’égalité de la constitution. En effet, l’instrument du toucher doit être en puissance par rapport à ce qui lui est sensible comme un moyen, et non comme une privation. Ainsi, la pupille est-elle en puissance au blanc et au noir, comme il est dit dans le même livre.

 

[3594] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpus caeleste est nobilius quam corpus humanum, et perfectio sua est nobilior quam anima humana. Sed, sicut dicit Commentator, in Lib. 1 de substantia orbis, corpus caeleste non est generabile neque corruptibile sicut corpus humanum; et ideo non indiget perfectione terminante ipsum sensificando et vegetando, sed qua moveat ipsum in loco: et quaecumque sit virtus illa, sive Deus sive Angelus, est superior in natura quam anima humana, quae est motor corporis humani; et corporeitas caeli quam corporeitas corporis humani.

1. Le corps céleste est plus noble que le corps humain et sa perfection est plus noble que l’âme humaine. Mais, comme le dit le Commentateur dans Sur la substance du monde, I, le corps céleste ne peut être engendré et être corrompu comme le corps humain. C’est pourquoi il n’a pas besoin d’une perfection qui l’achève en le rendant sensible et végétatif, mais par laquelle il se déplacerait dans un lieu. Quelle que soit cette puissance, Dieu ou un ange, elle a une nature supérieure à l’âme humaine, qui meut le corps humain, et la corporéité du ciel [est supérieure] à la corporéité du corps humain.

 

[3595] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod corpora simplicia maxime removentur a similitudine caeli, inquantum in eorum natura est habere contrarium cum intentione, et ideo corpori tali anima rationalis uniri non debuit.

2. Les corps simples sont les plus éloignés de la ressemblance avec le ciel dans la mesure où il est de leur nature de posséder intensément un contraire ; c’est pourquoi l’âme raisonnable ne devait pas être unie à un tel corps.

 

[3596] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod anima rationalis quamvis sit simplex in essentia, tamen est multiplex in potentiis et operationibus: et ideo oportet quod corpus suum multa habeat organa ad diversas operationes apta; et propter hoc natura dedit homini manus, quibus plurimas operationes facere potest; et propter hoc etiam quanto anima est minus nobilis, requirit minorem diversitatem in organis, sicut patet in plantis et in animalibus annulosis.

3. L’ame raisonnable, bien qu’elle soit simple dans son essence, est cependant multiple par ses puissances et ses opérations. C’est pourquoi il est nécessaire que son corps ait plusieurs organes aptes aux diverses opérations. Pour cette raison, la nature a donné à l’homme les mains, par lesquelles il peut faire plusieurs opérations. Pour cette raison aussi, moins l’âme est noble, moins elle exige de diversité dans les organes, comme cela ressort chez les plantes et chez les animaux annelés.

 

[3597] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod elementa quanto plus habent de specie et de qualitatibus activis, tanto plus habent de virtute agendi: unde non posset fieri adaequatio, nisi de elemento magis materiali esset plus secundum quantitatem vel materiam. Ideo oportet corpus humanum secundum quantitatem habere plus de terrestri, quamvis non secundum qualitatem, quia in corpore vivo dominatur calidum: unde in libris de anima dicitur, quod nihil est sensitivum sine calore, et quod calor ignis est instrumentum animae. Et quia gravitas et levitas, quae sunt principia motus localis, consequuntur quantitatem materiae, ideo motus gravis apparet in corpore humano.

4. Plus des éléments possèdent une espèce et des qualités actives, plus ils possèdent la puissance d’agir ; aussi l’égalité ne pourrait-elle se réaliser s’il n’existait pas davantage d’éléments matériels selon la quantité ou la matière. C’est pourquoi il est nécessaire que le corps humain possède davantage en quantité, bien que non en qualité, de [l’élément] terrestre, car le chaud prédomine dans un corps vivant. Aussi est-il dit dans les ouvrages sur l’âme que rien ne peut sentir sans la chaleur et que la chaleur du feu est l’instrument de l’âme. Et parce que la lourdeur et la légèreté, qui sont les principes du mouvement local, découlent de la quantité de la matière, c’est la raison pour laquelle un mouvement lourd apparaît dans le corps humain.

 

 

 

 

 

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1

 

[3598] Super Sent., lib. 2 d. 1 q. 2 a. 5 expos. Plato namque tria initia existimavit. Sciendum, quod in hoc Plato erravit, quia posuit formas exemplares per se subsistentes extra intellectum divinum, et neque ipsas neque materiam a Deo esse habere. Aristoteles vero duo principia dixit. Videtur imperfecte tangere positionem ejus: quia ipse ponit tria principia, in 1 Phys., materiam, formam, et privationem. Praeterea, ipse ponit non solum causam effectivam exemplarem, quae intelligitur per principium operatorium, sed etiam causam finalem. Praeterea, secundum ipsum, forma et agens et finis incidunt in idem, ut in 2 Phys. dicit; et ita videtur tantum duo principia posuisse. Ad quod dicendum, quod Aristoteles non erravit in ponendo plura principia: quia posuit esse omnium tantum a primo principio dependere; et ita relinquitur unum esse primum principium. Erravit autem in positione aeternitatis mundi. Ad primum ergo dicendum, quod privatio ab eo non ponitur per se principium, sed per accidens; nec in esse rei, sed in fieri tantum. Ad aliud dicendum, quod secundum ipsum, primum principium agens et ultimus finis reducuntur in idem numero, ut patet in 12 Metaph.: ubi ponit quod primum principium movens movet ut desideratum ab omnibus. Forma autem quae est pars rei non ponitur ab eo in idem numero incidere cum agente, sed in idem specie vel similitudine: ex quo sequitur quod sit unum principium primum extra rem, quod est agens et exemplar et finis; et duo quae sunt partes rei, scilicet forma et materia, quae ab illo primo principio producuntur. Intelligendo amaret. Hic ponit quatuor, quae se secundum ordinem habent. Intellectus enim secundum apprehensionem boni gignit amorem, amor autem unit amato, et quodammodo illud suum esse facit possidendo. Et ex hac conjunctione sequitur delectatio quae perficit rationem fruitionis. Cetera ex praedictis manifesta sunt.

 

 

 

 

 

Distinctio 2

Distinction 2 – [Les créatures en particulier]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’aevum diffère-t-il de l’éternité ou du temps ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[3599] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 pr. Hic Magister incipit determinare de creaturis in speciali quantum ad considerationem theologi pertinet; et dividitur in tres partes: in prima determinat de creatura pure spirituali; in secunda de creatura pure corporali, 12 dist., ibi: hae de angelicae naturae conditione dicta sufficiant; in tertia de creatura ex utraque composita, 16 dist.: his excursis, quae supra de creatione hominis praemisimus, effectui mancipare, atque ordine explanare nunc suscipimus. Prima in tres: in prima determinat de Angelorum creatione; in secunda de separatione per aversionem et conversionem, 5 dist., ibi: post haec, consideratio adducit inquirere, quales effecti sint, dum dividerentur aversione et conversione; in tertia determinat de bonorum dignitate, 9 dist., ibi: post praedicta superest cognoscere de ordinibus Angelorum quid Scriptura tradat. Prima in duas: in prima determinat de creatione Angelorum, quantum ad illud quod adjacet eis quasi mensura; in secunda determinat de conditione ipsorum creatorum, 3 dist., ibi: ecce ostensum est ubi Angeli fuerint mox ut creati sunt. Prima dividitur in duas: in prima ostendit quando creati sunt Angeli; in secunda ubi creati sunt, ibi: jam ostensum est quando creata fuerit angelica natura. In prima dicit de quo est intentio; in secunda prosequitur quaestionem, ibi: quaedam auctoritates videntur innuere quod ante omnem creaturam creati sunt Angeli. Et circa hoc duo facit: primo movet quaestionem, ponendo rationes ad utramque partem; secundo determinat eam, ibi: videtur utique hoc esse tenendum. Et circa hoc tria facit: primo determinat quaestionem; secundo determinationem confirmat, ibi: quod autem simul creata fuerit corporalis spiritualisque creatura, Augustinus (...) aperte ostendit; tertio objecta in contrarium solvit, ibi: Hieronymus super epistolam ad Titum aliud videtur sentire. Jam ostensum est quando creata fuerit angelica natura. Hic determinat ubi creati sunt Angeli: et primo ostendit quod in caelo Empyreo; secundo epilogat ea quae dixerat, ibi: simul ergo visibilium rerum materia et invisibilium natura condita est; tertio objectum in contrarium solvit, ibi: hic quaeri solet, si in caelo Empyreo fuerunt Angeli statim ubi facti sunt. Hic est duplex quaestio. Prima de aevo, quod durationem Angeli mensurat. Secunda de caelo Empyreo, qui locus Angelorum dicitur. Circa primum tria quaeruntur: 1 utrum aevum ab aeternitate vel tempore differat; 2 utrum sit unum tantum aevum; 3 utrum aevum mensurans durationem Angeli ante tempus inceperit.

Le Maître commence ici à déterminer des créatures en particulier, pour autant que cela relève de la considération du théologien. Il y a trois parties : dans la première, il détermine de la créature purement spirituelle ; dans la deuxième, de la créature purement corporelle, d. 12, à cet endroit : « Que suffise ce qui a été dit de la condition de la nature angélique »; dans la troisième, de la créature composée des deux, d. 16 : « Après avoir parcouru cela, nous entreprenons maintenant ce que nous avons pris plus haut l’engagement d’accomplir et d’expliquer de manière ordonnée à propos de la création de l’homme. » La première partie [est divisée] en trois : dans la première, [le Maître] détermine de la création des anges ; dans la deuxième, de leur séparation par l’aversion (per aversionem) et la conversion (per conversionem)[1], d. 5, à cet endroit : « Après cela, l’examen nous amène à rechercher ce qu’ils sont devenus, après avoir été séparés par la défection et la conversion »; dans la troisième, il détermine de la dignité de [anges] bons, d. 9, à cet endroit : « Après ce qui a été dit, il reste à connaître ce que l’Écriture enseigne à propos des ordres des anges. ». La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la création des anges selon ce qui les affecte comme une mesure ; dans la seconde, il détermine de leur condition lorsqu’ils ont été créés, d. 3, à cet endroit : « Voilà qu’on a montré où les anges étaient dès qu’ils ont été créés. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre quand les anges ont été créés ; dans la seconde, où ils ont été créés, à cet endroit : « On a déjà montré quand la nature angélique a été créée. » Dans la première, il formule son intention ; dans la seconde, il poursuit la question, à cet endroit : « Certaines autorités semblent insinuer que les anges ont été créés avant toutes les créatures. » À ce propos, [le Maître] fait deux choses : premièrement, il soulève une question, en présentant les arguments dans les deux sens ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « Il semble bien qu’il faille soutenir cela. » À ce sujet, il fait trois choses : premièrement, il détermine de la question ; deuxièmement, il confirme la détermination, à cet endroit : « Que la créature corporelle ait été créée en même temps que la créature spirituelle, Augustin… le montre clairement »; troisièmement, il résout les objections en sens contraire, à cet endroit : « En commentant l’épître à Tite, Jérôme semble avoir une autre opinion. » « On a déjà montré quand la nature angélique a été créée. » Ici, il détermine de l’endroit où les anges ont été créés. Premièrement, il montre que c’est dans le ciel empyrée ; deuxièmement, il conclut ce qu’il avait dit, à cet endroit : « La nature des réalités visibles et des réalités invisibles a donc été créée en même temps »; troisièmement, il résout l’objection en sens contraire, à cet endroit : « On a coutume de se demander ici si les anges ont été placés immédiatement dans le ciel empyré où ils ont été créés. » Il y a ici une double question. La première, à propos de l’ævum, qui mesure la durée de l’ange. La seconde, à propos du ciel empyrée, dont on dit qu’il est le lieu des anges. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1. L’ævum diffère-t-il de l’éternité et du temps ? 2. Existe-t-il un seul ævum ? 3. L’ævum qui mesure la durée de l’ange a-t-il commencé avant le temps ?

 

 

 

 

Articulus 1 : [3600] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 tit. Utrum aevum sit idem quod aeternitas

Article 1 – L’aevum est-il la même chose que l’éternité [ou le temps]?

 

[3601] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod aevum sit idem quod aeternitas. Sicut enim dicitur in libro de causis, intelligentia parificatur aeternitati. Non autem nisi sicut mensuratum mensurae. Cum ergo mensura angelicae durationis ponatur aevum; videtur quod sit idem aeternitati.

1. Il semble que l’ævum soit la même chose que l’éternité. En effet, comme on le dit dans le livre Sur les causes, l’intelligence est égale à l’éternité, mais seulement comme ce qui est mesuré à la mesure. Puisqu’on affirme que la mesure de la durée angélique est l’ævum, il semble donc qu’il soit la même chose que l’éternité.

 

[3602] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut se habent mensurata, ita et mensurae. Sed Angelus non est causa temporalium rerum. Ergo nec mensura durationis ejus causa erit temporis, sed tantum mensura durationis creationis, quae est aeternitas. Sed aevum est causa temporis, sicut dicit Boetius de Consolat.: qui tempus ab aevo ire jubes. Ergo aevum est aeternitas.

2. Ce qui est mesuré est proportionnel aux mesures. Or, l’ange n’est pas la cause des réalités temporelles. La mesure de sa durée ne sera donc pas non plus la cause du temps, mais seulement la mesure de la durée de la création, qui est l’éternité. Or, l’ævum est la cause du temps, comme le dit Boèce, dans Sur la consolation : « Toi qui ordonnes que le temps vienne de l’ævum… » L’ævum est donc l’éternité.

 

[3603] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut se habent mobilia ad invicem in successione, ita se habent immobilia ad invicem in immobilitate. Sed omnium mobilium est una mensura successiva, scilicet tempus. Ergo et omnium immobilium est mensura una, scilicet aeternitas.

3. Le rapport réciproque entre des réalités mobiles qui se succèdent est le même que le rapport réciproque entre des réalités immobiles dans l’immobilité. Or, il n’existe qu’une seule mesure successive de toutes les réalités mobiles : le temps. Il existe donc une seule mesure de toutes les réalités immobiles : l’éternité.

 

[3604] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 4 Sed contra, videtur quod aevum sit idem quod tempus. Quia, secundum Augustinum, Deus movet spiritualem creaturam per tempus. Sed talis creaturae mensura ponitur aevum. Ergo aevum et tempus idem sunt.

Cependant, [4] il semble que l’ævum soit la même chose que le temps, car, selon Augustin, Dieu meut la créature spirituelle dans le temps. Or, on affirme que la mesure d’une telle créature est l’ævum. L’ævum et le temps sont donc la même chose.

 

[3605] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnis mensura durationis creaturae est divisibilis. Sed partes durationis non sunt simul. Ergo cum aevum sit mensura durationis creaturae, videtur quod in eo sit successio. Sed haec est ratio temporis. Ergo videtur quod tempus et aevum sint idem.

[5] Toute mesure de la durée de la créature est divisible. Or, les parties de la durée ne sont pas simultanées. Puisque l’ævum est la mesure de la durée d’une créature, il semble donc qu’il y ait en lui succession. Or, telle est la notion de temps. Il semble donc que le temps et l’ævum soient la même chose.

 

[3606] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, nullum creatum est actu infinitum. Sed Angelus in infinitum durabit, quia nunquam corrumpetur. Ergo sua duratio non est tota simul; et sic idem quod prius.

[6] Aucune réalité créée n’est infinie en acte. Or, l’ange durera à l’infini, car il ne sera jamais corrompu. Sa durée n’est donc pas entièrement simultanée. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 

[3607] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, omne illud cujus duratio est tota simul, non differt in eo esse et fuisse. Sed illud quod fuit, non potest intelligi non fuisse. Ergo non potest intelligi Angelum non esse, nec Deus potest hoc facere: quod est falsum. Ergo duratio Angeli non est tota simul.

[7] Être et avoir été ne diffèrent pas chez tout ce dont la durée est entièrement simultanée. Or, on ne peut comprendre que n’ait pas été ce qui a été. On ne peut donc pas comprendre que l’ange ne soit pas, et Dieu ne peut pas faire cela, ce qui est faux. La durée de l’ange n’est donc pas entièrement simultanée.

 

[3608] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod aevum ponitur mensura media inter tempus et aeternitatem. De distinctione autem temporis ab aevo est triplex opinio. Quidam enim dicunt, quod idem est nunc aevi et temporis secundum essentiam, sed differunt secundum rationem: quia nunc temporis mensurat ipsum mobile inquantum est in motu; eo quod sicut se habet tempus ad motum, ita se habet nunc temporis ad mobile, ut dicitur in 4 Phys.: sed nunc aevi mensurat substantiam ipsius primi mobilis prout in se consideratur: et sic tempus et aevum differunt tantum ratione: tamen aevo mensuratur non tantum substantia caeli sed etiam Angeli. Sed hoc non potest stare: quia duratio respicit esse in actu; non est autem idem actus nec unius rationis esse caeli quod mensuratur aevo, et moveri ipsius quod mensuratur tempore: et ideo secundum rem tempus et aevum differunt, cum diversorum generum sint diversae mensurae, ut ex 10 Metaph. patet. Ideo alii hoc concedentes, dixerunt, quod aevum est mensura rei permanentis creatae, sed tempus est mensura rei motae; et tamen in aevo est prius et posterius sicut in tempore, sed differunt, quia in tempore est prius et posterius cum innovatione, in aevo autem est sine innovatione et inveteratione. Hoc autem nihil videtur dictu: quia ubicumque est prius et posterius, oportet intelligere partem priorem et posteriorem, et in nulla duratione partes priores et posteriores sunt simul; unde oportet quod quando est prius non sit posterius; et ideo oportet posterius de novo advenire, cum prius non fuerit. Exemplum etiam quod ponunt, falsum supponit: dicunt enim, quod sicut invenitur fluxus alicujus ab alio continuus cum innovatione, eo quod semper aliud et aliud est quod fluit, sicut in exitu rivi a fonte; ita etiam invenitur fluxus continuus sine innovatione, sicut exitus radii a sole, qui semper est idem. Sed hoc non est verum: quia in exitu radii a sole non attenditur prius et posterius per se: quia illuminatio non est motus et non est in tempore nisi per posterius, eo quod omne quod illuminatur, reducitur in quemdam motum sicut in causam, in quo est innovatio situs; sicut in motum corporis illuminantis, quod illuminat dum super terram movetur. Esse autem Angeli non reducitur in innovationem alicujus motus sicut in causam, nec in se innovatur, quia nihil fit quod prius non esset. Ergo impossibile est quod aliquo modo sit ibi prius et posterius. Et ideo dicendum, quod tempus est mensura habens prius et posterius, aevum autem non habens; oportet enim rationem mensurae ex mensurato accipere. Esse autem Angeli, quod aevo mensuratur, est indivisibile variatione carens, et ideo aevum prius et posterius non habet; sed motus qui tempore mensuratur, successione quadam perficitur; et ideo in tempore invenitur prius et posterius. Differt autem aevum ab aeternitate, sicut et esse Angeli ab esse divino, in duobus. Primo, quia esse divinum est per se stans, quia est id quod est; in Angelo autem est aliud esse et aliud quod est. Secundo, quia esse Angeli est ab alio, et non esse divinum; unde patet quod sicut esse Angeli est quaedam participatio divini esse, ita etiam aevum est quaedam participatio aeternitatis; et propter hoc doctores parum loquuntur de differentia aevi et aeternitatis; unde Dionysius indifferenter utroque utitur.

Réponse. L’ævum se présente comme une mesure intermédiaire entre le temps et l’éternité. Or, à propos de la distinction entre le temps et l’ævum, il existe trois opinions. En effet, certains disent que l’ævum et le temps sont par essence la même chose, mais qu’ils diffèrent selon la raison, car le présent du temps mesure ce qui est mobile en tant que cela est en mouvement, du fait que le rapport entre le temps et le mouvement est le même que le rapport entre le présent du temps et ce qui est mobile, comme il est dit dans Physique, IV. Mais le présent de l’aevum mesure la substance même du premier mobile considéré en lui-même. Le temps et l’ævum diffèrent ainsi seulement selon la raison ; cependant, non seulement la substance du ciel, mais aussi celle de l’ange est mesurée par l’ævum. Mais cela ne peut être soutenu, car la durée concerne l’être en acte. Or, l’être du ciel, qui est mesuré par l’ævum, n’est pas le même acte et n’a pas la même nature, que son mouvement qui est mesuré par le temps. Le temps et l’ævum diffèrent donc réellement, puisque les mesures différentes relèvent de genres différents, comme cela ressort de Métaphysique, X. C’est pourquoi, en concédant cela, d’autres ont dit que l’ævum est la mesure d’une réalité créée permanente, mais que le temps que la mesure d’une réalité qui est mue. Cependant, dans l’ævum, il existe un avant et un après, comme dans le temps, mais ils sont différents, car, dans le temps, existent un avant et après qui apportent du nouveau, mais, dans l’ævum, ils n’apportent ni nouveau ni déclin. Mais il semble que ce soit parler pour ne rien dire, car partout où existent l’avant et l’après, il faut comprendre qu’il existe une partie antérieure et une partie ultérieure, et que les parties antérieures et ultérieures n’existent simultanément dans aucune durée. Il faut donc que, lorsqu’il y a antérieur, il n’y ait pas d’ultérieur. Aussi faut-il que ce qui est ultérieur arrive comme quelque chose de nouveau, alors que cela n’existait pas antérieurement. L’exemple qu’ils donnent suppose aussi une fausseté. En effet, ils disent que, de même qu’on trouve un écoulement continu, comportant nouveauté, à partir d’autre chose, du fait que ce qui s’écoule est toujours quelque chose de différent, comme le ruisseau qui s’écoule d’une source, de même aussi trouve-t-on un écoulement sans nouveauté, comme le rayon venu du soleil, qui est toujours le même. Mais cela n’est pas vrai, car, dans le rayon venu du soleil, on ne s’arrête pas à quelque chose d’antérieur et d’ultérieur par soi, car l’illumination n’est pas un mouvement, et elle n’existe dans le temps que par après, du fait que tout ce qui est illuminé est ramené à un certain mouvement comme à sa cause, là où existe un changement de site, comme c’est le cas du mouvement d’un corps lumineux, qui éclaire lorsqu’il est mû sur la terre. Or, l’être de l’ange ne se ramène pas comme à sa cause à un nouveau mouvement et il n’est pas changé en lui-même, car rien ne devient qui n’ait d’abord été. Il est donc impossible qu’il existe là en quelque manière un avant et un après. C’est pourquoi il faut dire que le temps est une mesure qui comporte un avant et un après, mais que l’ævum n’en comporte pas. En effet, il faut tirer de ce qui est mesuré la nature de la mesure. Or, l’être de l’ange, qui est mesuré par l’ævum, est indivisible puisque le changement lui fait défaut. C’est pourquoi l’ævum ne comporte pas d’avant ni d’après. Mais le mouvement, qui est mesuré par le temps, se réalise par une certaine succession : c’est pourquoi on trouve un avant et un après dans le temps. L’ævum diffère toutefois de l’éternité, comme l’être de l’ange diffère de l’être divin, sur deux points. Premièrement, parce que l’être divin se tient par lui-même, car il est ce qui est ; mais, chez l’ange, autre est l’être est autre ce qu’il est. Deuxièmement, parce que l’être de l’ange vient d’un autre, mais non l’être de Dieu. Il est donc clair que, de même que l’être de l’ange est une certaine participation à l’être divin, de même aussi l’ævum est une participation à l’éternité. Pour cette raison, les docteurs parlent peu de la différence entre l’ævum et l’éternité. C’est aussi la raison pour laquelle Denys parle indifféremment des deux.

 

[3609] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum: quia aeternitas ibi sumitur pro aeternitate participata, quae est aevum; et Deus dicitur esse supra aeternitatem, sicut supra ens, et supra omne quod nominatur.

1. La réponse au premieer argument ressort ainsi clairement, car l’éternité est prise là pour l’éternité participée qu’est l’ævum. Et on dit que Dieu est supérieur à l’éternité, comme il est supérieur à ce qui est et supérieur à tout ce qui porte un nom.

 

[3610] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 2 Et similiter dicendum est ad secundum, quod aevum sumitur ibi pro aeternitate. Si tamen sumatur secundum quod differt ab aeternitate, sic dicitur tempus ab aevo fluere non effective, sed exemplariter: quia digniora in entibus sunt quodammodo exemplaria inferiorum, inquantum magis accedunt ad primum exemplar; et ita aevum est exemplar temporis, inquantum aeternitati similius est.

2. Il faut dire la même chose pour le deuxième argument : l’ævum y est pris pour l’éternité. Cependant, si on le prend selon qu’il diffère de l’éternité, on dit ainsi que le temps découle de l’avum, non par mode de cause efficientem, mais à la manière d’un modèle, car ce qui est plus digne parmi les les êtres est, d’une certaine manière, le modèle des réalités inférieures, pour autant que cela se rapproche davantage du premier modèle. Et ainsi, l’ævum est le modèle du temps, pour autant qu’il ressemble davantage à l’éternité.

 

[3611] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod motus univocatur ad minus in intentione generis; et ideo omnibus motibus ordinatis ad invicem, potest una mensura respondere. Sed nullum esse creatum univocatur cum esse increato; et ideo oportet ponere duas mensuras.

3. Le mouvement est univoque, du moins selon l’intention du genre ; c’est pourquoi une seule mesure peut correspondre à tous les mouvements ordonnés. Mais aucun être créé n’est univoque en regard de l’être incréé. C’est pourquoi il faut reconnaître deux mesures.

 

[3612] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angelus potest considerari dupliciter. Vel quantum ad suum esse quod est sine vicissitudine, et sic mensuratur aevo; vel quantum ad operationem, et sic etiam quantum ad aliquam operationem aevo mensuratur, prout scilicet intuetur res in verbo, quia sic in ejus operatione non est vicissitudo aliqua: sed secundum aliam operationem, in qua est vicissitudo, mensuratur tempore, secundum scilicet quod intuetur res per plures species quae sunt apud ipsum. Hoc autem tempus est aliud a tempore quod mensurat motum primi mobilis, eo quod ista vicissitudo non ordinatur ad illam, nec istud tempus est continuum, sed numerus discretus vicissitudinis non continuae: continuitas enim accidit tempori ex parte motus numerati, et non secundum formam suam qua numerus est, ut dicit Commentator, in 4 Physic.

4. L’ange peut être envisagé de deux manières : soit quant à son être, qui est sans changement, et ainsi il est mesuré par l’ævum ; soit quant à son opération, et ainsi il est encore mesuré par l’ævum pour une certaine opération : celle par laquelle il regarde les choses dans le Verbe, car il n’y a ainsi aucun changement dans son opération ; mais, selon une autre opération, où laquelle existe un changement, il est mesuré par le temps : celle par laquelle il regarde les choses au moyen de plusieurs espèces qui se trouvent chez lui. Mais ce temps est différent du temps qui mesure le mouvement du premier mobile du fait que ce changement n’est pas ordonné à cette [opération] et que ce temps n’est pas continu, mais qu’il est un nombre divisé d’un changement non continu. En effet, la continuité affecte le temps du point de vue de ce qui est sujet au nombre, et non du point de vue de la forme selon laquelle le nombre existe, comme le dit le Commentateur, dans Physique, IV.

 

[3613] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod omnis divisio durationis accidit ex motu per quem fit successio prioris et posterioris, et ideo tempus est mensura per modum numeri. Sed aevum et aeternitas mensurant actum, in quo non accidit renovatio per motum; et ideo sunt indivisibiles mensurae per modum unitatis; sicut enim tempus est numerus prioris et posterioris in motu, ita etiam et aevum est unitas permanentiae actus qui est esse vel operatio creati, et similiter aeternitas increati.

5. Toute division de la durée vient du mouvement par lequel se réalise une succession de ce qui est antérieur et ultérieur ; c’est pourquoi le temps est une mesure par mode de nombre. Mais l’aevum et l’éternité mesurent un acte dans lequel ne se produit pas de changement par un mouvement. C’est pourquoi ils sont des mesures indivisibles par mode d’unité. En effet, de même que le temps est le nombre de ce qui est antérieur et postérieur dans un mouvement, de même aussi l’ævum est-il l’unité d’un acte permanent qui est l’acte d’être ou l’opération de ce qui est créé. De même en est-il aussi pour l’éternité de ce qui est incréé.

 

[3614] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod esse Angeli non est infinitum privative per modum quanti, quia indivisibile est, cujus infinitum non potest esse in actu; sed est infinitum negative, non simpliciter, sed respectu alicujus finis qui est terminus durationis quam non habet.

6. L’être de l’ange n’est pas infini de manière privative selon le nombre, car ce dont l’infini ne peut exister en acte est indivisible ; mais il est infini de manière négative, non pas simplement, mais par rapport à une fin qui est le terme d’une durée qu’il ne possède pas.

 

[3615] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod potest Deus facere Angelum non esse: quia sicut non potuit per se incipere, ita nec durare, nisi voluntate ejus: et similiter potest intelligi non esse, eo quod sua quidditas non est suum esse. Nec tamen potest facere ut simul sit et non sit: nec hoc potest intelligi; et sic non potest facere ipsum non fuisse, quia haec possibilitas diversificatur ab illa, ut in 1 Lib., distinct. 43, dictum est: et ideo objectio ista non est ad propositum.

7. Dieu peut faire que l’ange n’existe pas, car, de même que [l’ange] n’a pu commencer à exister par lui-même, de même ne peut-il durer que par la volonté [de Dieu]. On peut entendre de la même façon le fait qu’il n’existe pas, car sa quiddité n’est pas son être. [Dieu] ne peut cependant faire que [l’ange] existe et n’existe pas en même temps, pas davantage que cela ne peut se comprendre. De même ne peut-il pas faire qu’il n’ait pas existé, car cette possibilité est différente de celle-là, comme on l’a dit dans le livre I, d. 43. Cette objection porte donc à faux.

 

 

 

 

Articulus 2 : [3616] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 tit. Utrum aevum sit tantum unum

Article 2 – N’existe-t-il qu’un seul ævum ?

 

[3617] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod aevum non sit tantum unum. Sicut enim tempus est numerus motus, ita et aevum videtur esse unitas contracta vel determinata ad rem aliquam. Sed talis unitas multiplicatur ad multiplicationem eorum quibus convenit esse unum. Ergo non est tantum unum aevum.

1. Il semble qu’il n’existe pas un seul aevum. En effet, de même que le temps est le nombre du mouvement, de même aussi l’ævum semble-t-il être une unité ramenée ou déterminée à une chose. Or, une telle unité est multipliée par la multiplication de ce à quoi il convient d’être unique. Il n’existe donc pas un seul ævum.

 

[3618] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, corporalium et incorporalium, cum sint diversorum generum, non est mensura una. Sed aevo mensurantur quaedam corpora, sicut substantia caeli. Ergo videtur, cum etiam quaedam spiritualia mensurentur aevo, quod aevum non sit unum.

2. Il n’existe pas de mesure unique pour les réalités corporelles et les incorporelles, puisqu’elles appartiennent à des genres différents. Or, certains corps sont mesurés par l’ævum, comme la substance du ciel. Il semble donc que l’ævum ne soit pas unique, puisque certaines réalités spirituelles sont aussi mesurées par l’ævum.

 

[3619] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, omnium motuum quorum est tempus unum, est reductio in unum motum sicut in causam. Sed Angeli non reducuntur in unum Angelum sicut in causam. Ergo non mensurantur uno aevo.

3. Tous les mouvements dont le temps est unique se ramènent à un seul mouvement comme à leur cause. Or, les anges ne se ramènent pas à un seul ange comme à leur cause. Ils ne sont donc pas mesurés par l’ævum.

 

[3620] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, quocumque Angelo remoto, nihilominus remanebit esse aliorum Angelorum aevo mensuratum. Sed quaecumque ita se habent quod remoto uno remanet alterum, non dependent ad invicem. Ergo videtur quod aevum unius Angeli non dependet ad aevum alterius, et sic non est omnium unum aevum.

4. Quel que soit l’ange qu’on enlève, l’acte d’être des autres anges demeurera néanmoins mesuré par l’ævum. Or, toutes les choses qui sont telles, une fois l’une enlevée, qu’une autre demeure ne dépendent pas l’une de l’autre. Il semble donc que l’ævum d’un ange ne dépende pas de l’ævum d’un autre, et ainsi il n’existe pas un seul ævum pour tous.

 

[3621] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, si mensuretur per unum aevum, hoc non est nisi per aevum quod est mensura esse primi Angeli. Sed, ut infra dicitur, Angelus qui corruit, inter omnes major fuit. Ergo videtur quod esse omnium bonorum Angelorum mensuretur ad aevum Daemonis, quod est absurdum. Ergo videtur quod non sit tantum unum aevum.

5. Si [l’ange] est mesuré par un seul ævum, ce n’est que par l’ævum qui est la mesure de l’acte d’être du premier ange. Or, comme on le dit plus loin, l’ange qui est tombé était le plus grand de tous. Il semble donc que l’être de tous les anges bons soit mesuré par l’ævum du Démon, ce qui est absurde. Il semble donc qu’il n’y ait pas un seul ævum.

 

[3622] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, medium habet naturam extremorum. Sed aevum medium est inter aeternitatem et tempus; aeternitas autem est una, et similiter tempus. Ergo aevum est unum.

Cependant, [1] ce qui est au milieu possède la nature des extrêmes. Or, l’ævum est intermédiaire entre l’éternité et le temps. Or, l’éternité est unique, et de même en est-il du temps. L’ævum est donc unique.

 

[3623] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc etiam videtur per hoc quod aevum est simplicius quam tempus, et ita magis unum.

[2] Il semble que si l’ævum est plus simple que le temps, il soit d’autant plus unique.

 

[3624] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ponendo unitatem aevi, oportet eam investigare ad similitudinem temporis: cujus causa tripliciter assignatur. Quidam enim dicunt, quod tempus est numerus motus; unde sicut idem est denarius quo numerantur decem canes et decem equi; ita est etiam idem tempus quo numerantur omnes motus. Sed hoc improbat Commentator in 4 Phys.: quia unitas numeri diversorum numeratorum non est nisi unitas numeri mathematice accepti. Tempus autem non est quid mathematicum, sed naturale. Praeterea omnia mathematica multiplicantur secundum esse quod habent in rebus, sicut non est eadem linea in cupro et ligno secundum esse; unde sequeretur quod tempus secundum esse numeraretur, et multiplicaretur ad numerum motuum; et ita sequeretur quod essent plura tempora simpliciter, sed unum tantum imaginarie. Alii dixerunt, quod quia tempus est mensura variationis, et omnis variatio est ex possibilitate materiae, et quia materia est una; ideo dicunt tempus unum ab unitate materiae. Sed hoc non videtur verum. Tempus enim non mensurat variationem in potentia, sed variationem in actu; actus autem variationis in materia non est unus, sed plures; sed tantum prima potentia ad variationem est una: quamvis etiam hoc non sit per se notum; immo forte falsum, quod omnium mobilium sit materia una. Et praeterea tempus de necessitate, cum sit numerus, respicit aliquam multitudinem numeratam. In materia autem prima secundum essentiam non est aliqua multitudo, sed solum secundum esse; et secundum hoc esse non est una in pluribus; unde nec tempus materiae secundum essentiam suam respondet, sed solum esse, secundum quod variatur per motum; unde ex unitate materiae nullo modo potest esse tempus unum. Et ideo dicendum cum Commentatore, in 4 Physic., quod tempus est unum ab unitate motus primi mobilis: tempus enim comparatur ad istum motum non tantum ut mensura ad mensuratum, sicut ad alios motus, sed sicut accidens ad subjectum, quod ponitur in definitione ejus; ex quo habet unitatem et multitudinem. Unde primo mensurat motum diurnum, et per illum mensurat omnes alios; sicut enim dicitur in 10 Metaph., unumquodque mensuratur per illud quod est primum et minimum sui generis. Et similiter dicendum est de aevo, quod est unum ab unitate esse simplicissimi aeviternorum, quod est primus Angelus: quia oportet unum esse simpliciorem altero, ut infra dicetur.

Réponse. En affirmant l’unité de l’ævum, il est nécessaire de l’examiner par ressemblance avec le temps. Une triple cause en est donnée. En effet, certains disent que le temps est le nombre du mouvement : de même que le nombre dix, selon lequel sont dénombrés dix chiens et dix chevaux, est le même, de même aussi, le temps selon lequel sont dénombrés tous les mouvements est-il le même. Or, le Commentateur rejette cela dans Physique, IV, car l’unité de nombre entre diverses choses dénombrées n’est que l’unité d’un nombre considéré de manière mathématique. Or, le temps n’est pas quelque chose de mathématique, mais de naturel. De plus, tout ce qui est mathématique se multiplie selon l’être qu’il possède dans les choses : ainsi, selon l’être, ce n’est pas la même ligne dans le cuivre et dans le bois. Il en découlerait donc que le temps serait dénombré selon l’être et serait multiplié selon le nombre des mouvements. Il en découlerait donc qu’il existerait simplement plusieurs temps, mais un seul selon l’imagination. D’autres ont dit que, parce que le temps est la mesure d’une variation, que toute variation vient de la puissance de la matière et que la matière est unique, le temps est unique en raison de l’unité de la matière. Mais cela ne semble pas vrai. En effet, le temps ne mesure pas une variation en puissance, mais une variation en acte. Or, l’acte qui varie dans la matière n’est pas unique, mais plusieurs. Cependant, seule la puissance première au changement est unique, bien que cela ne soit pas connu par soi, mais qu’il soit plutôt faux qu’il existe une seule matière pour tout ce qui est susceptible de mouvement. De plus, le temps, puisqu’il est dénombré, concerne nécessairement une multitude dénombrée. Or, dans la matière première, il n’existe pas de multiplicité par essence, mais seulement selon l’être, et, selon cet être, elle n’est pas unique en plusieurs. Aussi le temps ne correspond-il pas à la matière selon son essence, mais seulement selon son être, selon qu’il varie par le mouvement. Il ne peut donc aucunement exister de temps unique en raison de l’unité de la matière. C’est pourquoi il faut dire, avec le Commentateur, Physique, IV, que le temps est unique selon l’unité du mouvement du premier mobile. En effet, le temps se compare à ce mouvement, non seulement comme le fait la mesure à ce qui est mesuré, comme pour les autres mouvements, mais comme un accident le fait par rapport au sujet qui est placé dans sa définition et dont il tire son unité et sa multiplicité. En premier lieu, il mesure donc le mouvement diurne, et il mesure tous les autres par celui-ci ; ainsi, il est dit dans Métaphysique, X, que tout est mesuré par ce qui est premier et le plus petit dans son genre. De même faut-il dire de l’ævum qu’il est unique selon l’unité de l’être le plus simple parmi les réalités æviéternelles, qui est le premier ange, car il est nécessaire que l’un soit plus simple que l’autre, comme on le dira plus loin.

 

[3625] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mensura est duplex. Quaedam intrinseca, quae est in mensurato sicut accidens in subjecto; et haec multiplicatur ad multiplicationem mensurati; sicut plures lineae sunt quae mensurant longitudinem plurium corporum aequalium. Est etiam quaedam mensura extrinseca; et hanc non est necesse multiplicari ad multiplicationem mensuratorum, sed est in uno sicut in subjecto ad quod multa mensurantur, sicut multi panni mensurantur ad longitudinem unius ulnae: et hoc modo multi motus mensurantur ad numerum unius primi motus, qui numerus est tempus; et multa permanentia ad unitatem unius permanentis, quod est aevum.

1. La mesure est double. L’une est intrinsèque : elle est à, ce qui est mesuré, comme un accident par rapport à son sujet. Celle-ci se multiplie selon la multiplication de ce qui est mesuré : ainsi, il existe plusieurs lignes qui mesurent la longueur de plusieurs corps égaux. Il existe aussi une mesure extrinsèque : il n’est pas nécessaire que celle-ci se multiplie selon la multiplicité de ce qui est mesuré, mais elle se trouve dans une chose comme dans son sujet, par rapport auquel plusieurs choses sont mesurées ; ainsi, plusieurs pièces d’étoffe sont mesurées selon la longueur d’une aune. De cette manière, plusieurs mouvements snt mesurés selon le nombre du premier mouvement, nombre qui est le temps ; et plusieurs réalités permanentes le sont selon l’unité d’une seule réalité permanente, qui est l’ævum.

 

[3626] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod spiritualia et corporalia possunt in permanentia essendi assimilari, et secundum hoc unam mensuram habere, quamvis in aliis multum distent.

2. Les réalités spirituelles et les réalités corporelles peuvent être assimilées par leur permanence dans l’être et, sous cet aspect, avoir une seule mesure, bien qu’il y ait une grande distance entre elles sous d’autres aspects.

 

[3627] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis unus Angelus non sit causa alterius, est tamen simplicior altero: et hoc sufficit ad rationem mensurae.

3. Bien qu’un ange ne soit pas la cause d’un autre, il est cependant plus simple qu’un autre, et cela suffit à la notion de mesure.

 

[3628] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si non esset iste primus Angelus qui modo est, esset alius primus ad quem alii mensurarentur; sicut si non esset hoc primum mobile, esset aliud, cujus tempus esset mensura.

4. Si le premier ange qui existe maintenant n’existait pas, il y aurait un autre [ange] premier, par rapport auquel les autres se mesureraient, de même que, si n’existait pas ce premier mobile, il en existerait un autre, dont le temps serait la mesure.

 

[3629] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum aevum sit participatio aeternitatis, quanto aliquid magis est in participatione aeternitatis, per prius mensuratur aevo; et ideo cum Angelus beatus magis sit in participatione aeternitatis quam ille qui per peccatum corruit, non sequitur quod Angelus beatus mensuretur ad aevum Daemonis, sed e converso.

5. Puisque l’ævum est une participation à l’éternité, plus une chose se trouve participer à l’éternité, plus elle est mesurée par l’ævum. Puisque l’ange bienheureux participe davantage à l’éternité que celui qui est tombé par le péché, il ne découle donc pas que l’ange bienheureux se mesure selon l’ævum du Démon, mais c’est le contraire.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3630] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 tit. Utrum duratio Angeli inceperit ante mundum

Article 3 – La durée de l’ange a-t-elle commencé avant le monde ?

 

[3631] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod duratio Angeli ante mundum inceperit. Gregorius enim Nazianzenus dixit, quod Deus primo excogitavit angelicas substantias; et excogitatio ipsius, opus ejus est, ut dicit Damascenus. Ergo videtur quod ante alias creaturas Angelus factus sit.

1. Il semble que la durée de l’ange ait commencé avant le monde. En effet, Grégoire de Nazianze dit que Dieu a d’abord pensé aux substances angéliques et que « sa pensée est son action », comme le dit [Jean] Damascène. Il semble donc que l’ange ait été créé avant les autres créatures.

 

[3632] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, creatura corporalis non aequiparatur spirituali. Sed ideo dicitur Deum noluisse mundum ab aeterno facere, ne mundus sibi aequiparari videretur. Ergo videtur quod nec creaturam corporalem simul cum spirituali facere debuerit.

2. La créature corporelle n’est pas l’égale de la créature spirituelle. Or, on dit que Dieu n’a pas voulu créer le monde depuis l’éternité afin que le monde ne semble pas être son égal. Il semble donc qu’il ne devait pas non plus créer la créature corporelle en même temps que la créature spirituelle.

 

[3633] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, nullus potest habere cognitionem alicujus rei fiendae, nisi praeexistat aliquid ejus esse. Sed secundum Augustinum, Angelus in verbo accepit cognitionem creaturae per verbum fiendae, quae cognitio matutina dicitur. Ergo videtur quod Angelus ante alias creaturas factus sit.

3. Personne ne peut avoir la connaissance d’une chose qui doit être créée, à moins que ne préexiste quelque chose de son être. Or, selon Augustin, l’ange a reçu dans le Verbe la connaissance de la créature qui devait être créée par le Verbe, connaissance appelée [connaissance] du matin. Il semble donc que l’ange ait été créé avant les autres créatures.

 

[3634] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum aliquos, Angeli movent caelos. Sed motor praecedit mobile. Ergo videtur quod Angeli praecesserunt caelos, et alia corporea.

4. Selon certains, les anges meuvent les cieux. Or, le moteur précède ce qui est susceptible de mouvement. Il semble donc que les anges aient précédé les cieux et les autres corps.

 

[3635] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, quandocumque fuerunt Angeli, distiterunt ab invicem per essentiam. Sed distantia aliquorum non potest intelligi nisi loco existente; nec locus, nisi sit corpus. Ergo Angeli ante corporalia creati non sunt.

Cependant, [1] quel que que soit le moment où les anges ont existé, ils se distinguaient les uns des autres par leur essence. Or, la distance de certaines choses ne peut se comprendre que si un lieu existe, ni le lieu, que si un corps existe. Les anges n’ont donc pas été créés avant les réalités corporelles.

 

[3636] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, si Angelus ante corporalia creatus fuit, oportet quod nunc creationis Angeli sit prius quam nunc creationis mundi. Sed ubicumque est nunc prius et posterius, ibi est tempus. Ergo oportet quod ante mundum fuerit tempus; quod est impossibile, ut videtur, quia tunc esset et motus.

[2] Si l’ange a été créé avant les réalités corporelles, il est nécessaire que le moment de la création de l’ange soit antérieur au moment de la création du monde. Or, partout où existent un avant et un après, là existe le temps. Il est donc nécessaire que le temps ait existé avant le monde, ce qui est impossible, semble-t-il, car alors existerait aussi le mouvement.

 

[3637] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod creatio rerum dependet ex voluntate creatoris, qui tunc et non prius res creare voluit; quae quia nobis nota non est, initium creationis rerum ratione investigare non possumus, sed fide tenemus, prout nobis traditum est per eos quibus divinam voluntatem revelatam credimus. Sciendum est ergo, quod circa inceptionem rerum, sancti convenientes in eo quod fidei est, scilicet quod nihil est ab aeterno praeter Deum, varia, ad minus quantum ad verborum superficiem, dixisse inveniuntur in his quae de necessitate fidei non sunt, in quibus licuit eis diversimode opinari, sicut et nobis. Plures enim eorum qui Augustinum praecesserunt, ut Hieronymus, Hilarius, Gregorius Nazianzenus, videntur posuisse Angelos ante creaturam corporalem factos, et corporalem per spiritualem successive distinctam. Augustinus vero ponit corporalem simul et spiritualem creaturam factam, et corporalem simul secundum materiam et species, non tamen secundum individua, quae successione temporis generantur. Sequentes vero, ut Gregorius et Beda, concordant cum Augustino in coaevitate corporalis et spiritualis creaturae, et cum aliis in successione distinctionis corporum per species diversas: et ideo communiter tenetur quod Angelus non est factus ante corporalem creaturam: hoc enim probabilius videtur, tum ex parte divinae omnipotentiae, cujus non est successive operari, tum ad excludendum errorem, ne viderentur Angeli corporalium creatores esse. Tamen alteri sententiae praejudicandum non est, ut in littera dicitur: quia non est demonstratum, nec fide expressum.

Réponse. La création des choses dépend de la volonté du Créateur, qui a voulu que les choses soient créées alors, et pas avant. Pasrce que [cette volonté] ne nous est pas connue, nous ne pouvons pas scruter le commencement de la création des choses par la raison, mais nous le tenons par la foi, telle qu’elle nous a été transmise par ceux à qui nous croyons que la volonté divine a été révélée. Il faut donc savoir qu’à propos du commencement des choses, on trouve que les saints, qui se rejoignent sur ce qui relève de la foi ‑ à savoir que rien n’existe éternellement à part Dieu ‑, ont dit différentes choses, du moins pour ce qui est de la surface des mots, à propos de ce qui ne relève pas nécessairement de la foi, sur quoi il leur était permis, comme à nous, d’avoir des opinions différentes. En effet, plusieurs parmi ceux qui ont précédé Augustin, tels Jérôme, Hilaire, Grégoire de Nazianze, semblent avoir affirmé que les anges ont été créés avant la créature corporelle, et que la créature corporelle a été successivement différenciée par la créature spirituelle. Mais Augustin affirme que la créature corporelle a été créée en même temps que la créature spirituelle, et que la créature corporelle l’a été en même temps selon la matière et l’espèce, mais non pas selon les individus, qui sont engendrés selon la succession du temps. Ceux qui viennent par la suite, comme Grégoire et Bède, sont d’accord avec Augustin sur l’identité d’âge de la créature corporelle et de la créature spirituelle, et avec les autres sur la succession dans la distinction des corps selon les diverses espèces. Aussi tient-on généralement que l’ange n’a pas été créé avant la créature corporelle. En effet, cela semble plus probable, tant du côté de la toute-puissance divine, à qui il n’appartient pas d’agir successivement, que pour écarter l’erreur qu’il ne semble pas que les anges soient les créateurs des réalités corporelles. Toutefois, il ne faut pas écarter l’autre position sans examen, comme on le dit dans le texte, car cela n’a pas été démontré ni n’a été formulé par la foi.

 

[3638] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si diversorum dicta ad convenientiam reducere volumus, quod tamen necessarium non est, potest dici, quod auctoritates quae coaevitatem negare videntur, exponendae sunt secundum ordinem dignitatis, et non durationis.

1. Si nous voulons ramener à une position commune ce que disent différents [auteurs], ce qui n’est cependant pas nécessaire, on peut dire que les autorités qui semblent nier un même moment doivent être interprétées selon un ordre de dignité, et non de durée.

 

[3639] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est simile; quia Deus praecedit creaturam non solum dignitate, sed etiam causalitate, quam ostendit mundi inchoatio: quia, ut Rabbi Moyses dicit, facillima via ad ostendendum Deum esse, et ab ipso esse omnia, est ex suppositione novitatis mundi: et ideo statutum est in lege ut septimo die festum ducerent, in quo mundus consummatus est, ut per novitatem mundi semper in cognitione Dei permanerent. Sed spiritualis creatura excedit corporalem dignitate, non causalitate; quae ne credi causa ejus posset, congrue simul utraque facta est.

2. Ce n’est pas la même chose, car Dieu précède la créature non seulement en dignité, mais aussi par la causalité, que montre le commencement du monde, car, ainsi que le dit rabbi Moïse, « la voie la plus facile pour montrer que Dieu existe et que tout existe par lui est celle qui suppose un commencement du monde ». C’est pourquoi il a été déclaré dans la loi de fêter le septième jour, alors que le monde a été achevé, afin que, par le commencement du monde, on demeure toujours dans la connaissance de Dieu. Toutefois, la créature spirituelle dépasse la créature corporelle en dignité, mais non par la causalité : pour qu’on ne croie pas qu’elle est la cause de [la créature corporelle], il convenait que les deux aient été créées en même temps.

 

[3640] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de re jam facta potest accipi cognitio ejus ut fiendae, si consideretur in causis suis, ex quibus processit: et sic Angeli susceperunt cognitionem rerum fiendarum in verbo, quod est ars operativa rerum.

3. À partir d’une chose déjà créée, on peut la connaître comme devant être créée, si on la considère dans les causes dont elle est venue. Ainsi les anges ont-ils reçu la connaissance des choses qui devaient être créées dans le Verbe, l’art qui réalise les choses.

 

[3641] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod motor non necessario praecedit mobile duratione, sed dignitate, ut patet de anima et corpore.

4. Le moteur ne precede pas nécessairement le mobile dans la durée, mais en dignité, comme cela ressort clairement pour l’âme et le corps.

 

[3642] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 ad s. c. 1 Aliae rationes ad oppositum sunt etiam sophisticae: quia essentia Angeli non necessario indiget loco, nec eorum definitio est secundum ordinem vel distantiam localem, sed secundum principia essentialia.

[1]. Les autres arguments en sens contraire sont aussi des sophismes, car l’essence de l’ange n’a pas nécessairement besoin d’un lieu et leur définition ne tient pas à un ordre ou à une distance de lieu, mais aux principes essentiels.

 

[3643] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 1 a. 3 ad s. c. 2 Similiter etiam alia objectio procedit de tempore imaginato: quia scilicet nunc imaginari ante mundum possumus, sicut etiam multas lineas extra caelum.

[2] De même, une autre objection vient d’un temps imaginé, car nous pouvons maintenant imaginer ce qui a précédé le monde, comme aussi plusieurs lignes en dehors du ciel.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le ciel empyrée]

 

Prooemium

Prologue

 

[3644] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 pr. Deinde quaeritur de caelo Empyreo, in quo Angeli facti dicuntur; de quo tria quaeruntur: 1 utrum sit corpus; 2 quale sit; 3 utrum influentiam habeat super alia corpora.

On s’interroge ensuite sur le ciel empyrée, dont on dit que les anges y ont été créés. Trois questions sont posées : 1. Est-il un corps ? 2. Qu’est-il ? 3. Exerce-t-il une influence sur les autres corps ?

 

 

 

 

Articulus 1 : [3645] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 tit. Utrum caelum Empyreum sit corpus

Article 1 – Le ciel empyrée est-il un corps ?

 

[3646] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non sit corpus. Omne enim corpus naturale est sensibile, et praecipue sensu visus. Sed caelum Empyreum non est visibile, sed intellectuale, ut in littera dicitur. Ergo non est corpus.

1. Il semble qu’il ne soit pas un corps. En effet, tout corps naturel est sensible, et surtout par le sens de la vue. Or, le ciel empyrée n’est pas doué de vue, mais d’intelligence, comme on le dit dans le texte. Il n’est donc pas un corps.

 

[3647] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, caelum Empyreum est locus contemplationis. Sed contemplationi non debetur locus corporalis, quae etiam existentes in corpore a corporibus abstrahit: quia, secundum Augustinum: quamdiu aliquid divinum mente percipimus, non in hoc mundo sumus. Ergo videtur quod caelum Empyreum non sit corpus.

2. Le ciel empyrée est le lieu de la contemplation. Or, un lieu corporel n’est pas nécessaire à la contemplation, qui arrache aux corps même ceux qui se trouvent dans un corps, car, selon Augustin, « aussi longtemps que nous percevons par l’esprit quelque chose de divin, nous ne sommes pas dans ce monde ». Il semble donc que le ciel empyrée ne soit pas un corps.

 

[3648] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, philosophus probat in 1 Cael. et Mund., quod extra primum mobile non est aliquod corpus, extra quod tamen quodammodo ponit vitam beatam, quam nos dicimus in caelo Empyreo esse. Ergo videtur quod non sit corpus.

3. Le Philosophe démontre, dans Sur le ciel et le monde, I, qu’il n’existe pas de corps en dehors du premier mobile, hors duquel il situe, d’une certaine manière, la vie bienheureuse, dont nous disons qu’elle existe dans le ciel empyrée. Il semble donc qu’il ne soit pas un corps.

 

[3649] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, corporum naturas perscrutati sunt philosophi, quibus etiam Deus sua invisibilia revelavit, secundum apostolum ad Rom. 1. Sed de caelo Empyreo nullam mentionem fecerunt. Ergo non est corpus.

4. Les philosophes ont fouillé les natures des corps, auxquels Dieu a aussi révélé ce qui est invisible en lui, selon l’Apôtre, Rm 1. Or, ils n’ont fait aucune mention du ciel empyrée. Il n’est donc pas un corps.

 

[3650] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, omne quod movetur in loco est in loco: quia motus localis est primus motuum, ut in 8 Physic. probatur. Ergo videtur quod primum mobile sit in loco. Sed locus est superficies corporis continentis. Ergo oportet quod habeat corpus continens quietum, et hoc dicimus caelum Empyreum.

Cependant, [1] tout ce qui est mû dans un lieu se trouve dans un lieu, car le mouvement local est le premier des mouvements, comme on le montre dans Physique, VIII. Il semble donc que le premier mobile soit dans un lieu. Or, le lieu est la surface d’un corps contenant. Il est donc nécessaire qu’il y ait un corps contenant au repos, et c’est ce que nous appelons le ciel empyrée.

 

[3651] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut dicitur in 2 Cael. et Mund., perfectius est quod acquirit bonitatem sine motu, quam quod per motum acquirit. Sed Dei perfecta sunt opera. Ergo oportet perfectissimum corpus esse immobile.

[2] Comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, II, ce qui acquiert une bonté sans mouvement est plus parfait que ce qui l’acquiert par le mouvement. Or, les œuvres de Dieu sont parfaites. Il est donc nécessaire que le corps le plus parfait soit immobile.

 

[3652] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, ante omne multiforme est aliquid uniforme, ut in 9 Metaph. probatur. Sed est aliquod caelum difforme, quod partim est diaphanum et partim lucidum actu, ut caelum stellatum. Ergo oportet aliquod esse tantum diaphanum et aliquod tantum lucidum; quod etiam concludi potest ex propositione qua utitur philosophus, quod si aliquid invenitur compositum ex duobus, quorum unum invenitur per se, oportet et reliquum per se inveniri. Sed diaphanum est sicut potentia respectu lucidi. Ergo oportet primum corpus esse totum lucidum actu; et hoc dicimus caelum Empyreum.

[3] Avant d’être multiforme, une chose est uniforme, comme le montre Métaphysique, IX. Or, il existe un ciel à double forme, qui est en partie diaphane et en partie lumineux en acte, tel le ciel étoilé. Il est donc nécessaire qu’existe une chose seulement diaphane et une chose seulement lumineuse, ce qu’on peut aussi conclure de la proposition qu’utilise le Philosophe, que si on trouve une chose composée de deux éléments, dont l’un est par soi, il est nécessaire que l’autre existe par soi. Or, le diaphane est comme une puissance par rapport au lumineux. Il est donc nécessaire que le premier corps soit totalement lumineux en acte. C’est ce que nous appelons le ciel empyrée.

 

[3653] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod caelum Empyreum ratione investigari non potest: quia quidquid de caelis cognoscimus hoc est aut per visum aut per motum. Caelum autem Empyreum nec motui subjacet nec visui, ut in littera dicitur, unde nec naturali ratione sed per auctoritatem est habitum: et est corpus quod principaliter ordinatum est ut sit habitatio beatorum, et hoc magis propter homines quorum etiam corpora glorificabuntur, quibus locus debetur, quam propter Angelos qui loco non indigent; et quia illa gloria excedit investigationem humanam, ideo etiam et caelum Empyreum.

Réponse. Le ciel empyrée ne peut être scruté par la raison, car tout ce que nous connaissons du ciel, nous le connaissons soit par la vue, soit par le mouvement. Or, le ciel empyrée n’est soumis ni au mouvement ni à la vue, comme on le dit dans le texte ; aussi n’est-il pas atteint par la raison mais par l’autorité. C’est le corps qui a été principalement ordonné à être la demeure des bienheureux, et cela surtout en raison des hommes, dont même les corps qui doivent être dans un lieu seront glorifiés, plutôt qu’en raison des anges, qui n’ont pas besoin de lieu. Et parce que cette gloire dépasse les recherches des hommes, il en est de même pour le ciel empyrée.

 

[3654] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caelum Empyreum dicitur intellectuale, quia nostris visibus non subjacet, sed intellectu tantum capitur, non quod in se non sit visibile.

1. On dit que le ciel empyrée est intellectuel parce qu’il n’est pas soumis à nos regards, mais qu’il est saisi seulement par l’intelligence, et non pas parce qu’il n’est pas visible par lui-même.

 

[3655] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caelum Empyreum dicitur locus contemplationis, non quantum ad necessitatem, sed quantum ad congruitatem, sicut etiam Ecclesia dicitur locus orationis.

2. On dit que le ciel empyrée est le lieu de la contemplation, non pas de manière nécessaire, mais en raison d’une convenance, comme l’église est appelée le lieu de la prière.

 

[3656] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod probationes philosophi hoc demonstrant, quod extra totum universum non sit aliquod corpus, non quod extra hoc caelum non sit aliud caelum: quia in numero sphaerarum etiam philosophi dissentire inveniuntur.

3. Les preuves des philosophes démontrent qu’en dehors de l’univers tout entier, il n’existe aucun corps, et non qu’en dehors de ce ciel, il n’existe pas d’autre ciel, car on trouve que les philosophes sont aussi en désaccord sur le nombre des sphères.

 

[3657] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio jam dicta est, quare philosophi hoc caelum non cognoverunt: quia nec motui nec visui subjacet: et tamen multa quae de istis dixerunt, non demonstrative, sed probabiliter cognoverunt; unde ipsemet philosophus testatur topica solutione se solvere quaestiones difficiles.

4. C’est pour la raison déjà donnée que les philosophes n’ont pas connu ce ciel, car il n’est soumis ni au mouvement ni à la vue. Cependant, ils ont dit beaucoup de choses à ce propos, non pas de manière démonstrative, mais de manière probable. Aussi le Philosophe lui-même atteste-t-il que la solution qu’il donne à ces questions difficiles est une solution topique.

 

[3658] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 1 ad s. c. Aliae etiam rationes non sunt cogentes: quia ultimum caelum quod movetur, non est in loco per se sed per accidens, ut dicit philosophus: ubi Commentator etiam diversas sententias philosophorum de hoc posuit: nec etiam oportet quod id quod sine motu bonitatem divinam participat sit corpus: nec iterum oportet quod multiforme reducatur ad uniforme corporeum.

[1]-[3] Les autres arguments non plus ne sont pas contraignants, car le ciel ultime qui est mû n’est pas dans un lieu par soi mais par accident, comme le dit le Philosophe, là où le Commentateur présente aussi diverses opinions des philosophes à ce sujet. Il n’est pas non plus nécessaire que ce qui participe à la bonté divine sans mouvement soit un corps ; il n’est pas non plus nécessaire que ce qui est [corporellement] multiforme soit ramené à ce qui est une chose corporellement uniforme.

 

 

 

 

Articulus 2 [3659] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 tit. Utrum caelum Empyreum sit lucidum
 

Article 2 – Le ciel empyrée est-il lumineux ?

 

[3660] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod caelum Empyreum non sit lucidum. Quia secundum Avicennam, causa luciditatis est congregatio partium diaphani, ut patet in chrystallo, et hoc dicit Commentator in Lib. de substantia orbis. Sed caelum Empyreum est subtilissimum, cum sit nobilissimum corporum, et maxime formale. Ergo caelum Empyreum non est lucidum.

1. Il semble que le ciel empyrée soit lumineux, car, selon Avicenne, la cause de la luminosité est le rassemblement des parties du diaphane, comme cela ressort pour le cristal ; et c’est ce que dit le Commentateur de la substance de la sphère. Or, le ciel empyrée est le plus subtil, puisqu’il est le plus noble des corps et qu’il a le plus caractère de forme. Le ciel empyrée n’est donc pas lumineux.

 

[3661] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, caelum Empyreum est majus quantitate et virtute quam sol. Sed sol quando directe nobis opponitur, facit nobis diem, et a nobis videtur. Ergo cum caelum Empyreum semper nobis opponatur directe, videtur quod si esset lucidum, semper nobis esset dies, et semper videremus ipsum, quod falsum est.

2. Le ciel empyrée est plus grand que le soleil en quantité et en puissance. Or, lorsque le soleil nous fait directement face, il nous donne le jour et nous le voyons. Puisque le ciel empyrée nous fait toujours face directement, il semble donc que, s’il était lumineux, ce serait toujours le jour pour nous et que nous le verrions toujoours, ce qui est faux.

 

[3662] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, videtur quod non sit immobile. Omne enim quantum habet partes distantes. Sed quod habet partes distantes, ubi est una pars ejus potest esse etiam alia: ita et singulae partes ejus possunt esse ubi non sunt: et quod est hujusmodi, est mobile secundum locum. Cum ergo caelum Empyreum sit quantum, quia est corpus, videtur quod sit mobile.

3. Il semble que [le ciel empyrée] ne soit pas immobile. En effet, ce qui est quantifié possède des parties éloignées. Or, ce qui possède des parties éloignées, pourrait avoir une partie différente là où existe une partie ; ainsi, chacune de ses parties pourrait se trouver là ou elle n’est pas, et ce qui est de cette sorte est mobile selon le lieu. Puisque le ciel empyrée est quantifié, étant un corps, il semble donc qu’il soit mobile.

 

[3663] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne corpus naturale est mobile: tum quia natura est principium motus: tum quia corpus materiale est corpus in materia; et materia et motus se consequuntur. Sed caelum Empyreum est corpus naturale; alias esset mathematicum et imaginabile. Ergo caelum Empyreum est mobile.

4. Tout corps naturel est mobile, tant parce que la nature est le principe du mouvement, que parce qu’un corps matériel est un corps dans la matière, et que la matière et le mouvement découlent l’un de l’autre. Or, le ciel empyrée est un corps naturel, autrement il serait mathématique et imaginaire. Le ciel empyrée est donc mobile.

 

[3664] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 5 Item, videtur quod sit divisibile per densitatem et raritatem. Vox enim non potest formari nisi in tali corpore quod per modum istum dividitur, sicut in aere. Sed in caelo Empyreo formabitur vox, quia erit ibi laus vocalis, ut a multis dicitur. Ergo videtur quod sit divisibile.

5. Il semble qu’il soit divisible selon la densité et la rareté. En effet, la voix ne peut prendre forme que dans un corps qui est divisé de cette manière, comme dans l’air. Or, dans le ciel empyrée, la voix prendra forme, car il y aura là une louange vocale, comme plusieurs le disent. Il semble donc qu’il soit divisible.

 

[3665] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, omne corpus per quod est motus, est divisibile per rarefactionem et condensationem, nisi ponatur duo corpora esse in eodem loco. Sed corpora gloriosa in caelo Empyreo movebuntur, ut dicitur Sap. 3, 7: fulgebunt justi et tamquam scintillae in arundineto discurrent. Ergo est divisibile: et ex hoc ulterius potest concludi, quod sit generabile et corruptibile: quia densitas et raritas sunt quaedam principia generationis et corruptionis.

6. Tout corps par lequel existe un mouvement est divisible selon la raréfaction et la condensation, à moins qu’on affirme que deux corps se trouvent dans le même lieu. Or, les corps glorieux se déplaceront dans le ciel empyrée, comme Sg 3, 7 le dit : Les justes brilleront et courront comme des étincelles dans les roseaux. Il est donc divisible et, à partir de cela, on peut conclure qu’il peut être engendré et corrompu, car la densité et la rareté sont des principes de génération et de corruption.

 

[3666] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, in littera dicitur, quod dicitur Empyreum non ab ardore, sed a splendore: dicitur etiam, quod a volubilitate mundi secretum est: dicitur etiam, quod non habet ardorem, et per consequens nec aliquam qualitatem activam nec passivam. Ergo est incorruptibile, immobile, et lucidum.

Cependant, [1] on dit dans le texte qu’on parle d’empyrée, non pas en raison de l’ardeur, mais de la splendeur ; on dit aussi qu’il est exempt du mouvement giratoire du monde ; on dit encore qu’il ne brûle pas et que, par conséquent, il n’a pas de qualité active ni passive. Il est donc incorruptible, immobile et lumineux.

 

[3667] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum omnes res determinentur a fine, oportet conditiones caeli Empyrei accipere secundum quod convenit statui bonorum, propter quod factum est; et quia illi sunt in plena participatione aeternae lucis et quietis et aeternitatis, ideo decet caelum Empyreum lucidum, immobile et incorruptibile esse.

Réponse. Puisque toutes les choses sont déterminées par leur fin, il est nécessaire de concevoir les conditions du ciel empyrée selon ce qui convient à l’état des bons, pour lequel il a été créé. Et parce que ceux-ci participent pleinement à la lumière éternelle, au repos et à l’éternité, il convient donc que le ciel empyrée soit lumineux, immobile et incorruptible.

 

[3668] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa ratio procedit de eo quod est hoc modo lucidum, quia radios emittit sensui nostro visibiles: propter quod etiam ignis in propria sphaera non lucet. Sic autem non dicimus lucidum caelum Empyreum, sed quia in natura sua lucem habet, eo quod maxime formale est.

1. Cet argument vient de ce qui est lumineux, parce que cela émet des rayons visibles par notre sens ; pour cette raison aussi, le feu ne brille pas dans sa propre sphère. Nous ne disons donc pas que le ciel empyrée est lumineux de cette manière, mais qu’il possède par sa nature la lumière, du fait qu’il possède au plus haut point le caractère de forme.

 

[3669] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet responsio ad secundum.

2. La réponse au deuxième argument ressort ainsi clairement.

 

[3670] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quanto, prout quantum est, non debetur proprie locus, nec per consequens potentia ad ubi; sed prout habet determinatam naturam: unde dicitur in 1 de Gener., quod mathematicis similitudinarie dandus est tactus et motus.

3. À proprement parler, un lieu n’est pas nécessaire à la quantité en tant que quantité, ni par conséquent en tant que puissance par rapport au lieu, mais pour autant qu’il a une nature déterminée. Aussi est-il dit, dans Sur la génération, I, qu’il faut reconnaître par mode de ressemblance le toucher et le mouvement aux réalités mathématiques.

 

[3671] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod naturale potest dupliciter sumi. Uno modo prout dividitur contra ens in anima; et sic dicitur naturale omne illud quod habet esse fixum in natura; et sic caelum Empyreum et Angeli dicuntur naturalia. Alio modo dicitur naturale, secundum quod dividitur contra ens divinum, quod abstrahitur a materia et motu: et sic naturale dicitur illud solum quod movetur, et est ordinatum ad generationem et corruptionem in rebus: et hoc modo caelum Empyreum non est ens naturale, sed divinum, quod ordinatum est ad gloriam bonorum; nec materiam habet determinatam ad motum, sed ad finem suum: quia et mathematici non abstrahunt ab omni materia, sed a sensibili tantum, ut in 8 Metaph. dicitur. Unde non oportet, ubicumque est materia, quod sit motus; sed verum est quod in mobilibus et immobilibus est materia aequivoce.

4. On peut entendre « naturel » de deux manières. D’une manière, en tant qu’il se distingue de ce qui existe dans l’âme : on parle ainsi de « naturel » pour ce qui a un être fixe dans la nature. On dit donc que le ciel empyrée et les anges sont « naturels » de cette manière. D’une autre manière, on parle de « naturel » selon que celui-ci se distingue de l’être divin, qui est exempt de matière et de mouvement. On appelle ainsi « naturel » seulement ce qui est mû et est ordonné à la génération et à la corruption dans les choses. De cette manière, le ciel empyrée n’est pas un être naturel, mais divin, qui a été ordonné à la gloire des bons ; il n’a pas non plus de matière déterminée au mouvement, mais à sa fin, car les mathématiciens n’abstraient pas de toute matière, mais de la [matière] sensible seulement, comme on le dit dans Métaphysique, VIII. Il n’est donc pas nécessaire que, partout où il y a matière, existe le mouvement ; mais il est vrai que la matière existe de manière équivoque dans ce qui est mobile et dans ce qui est immobile.

 

[3672] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caelum Empyreum est locus Angelorum, animarum, et hominum. Angelorum autem et animarum exutarum constat quod non erit in caelo Empyreo laus vocalis; sed utrum hominum post resurrectionem futura sit ibi laus vocalis, dubitatio est; quibusdam dicentibus non futuram ibi esse laudem vocalem, sed solum mentalem, quae dignior est; quia nec erit ibi respiratio; sed solum in respirantibus est vox, ut in 2 de anima dicitur. Alii vero dicunt, futuram etiam ibi laudem vocalem, non propter aliquam indigentiam, sed ut nihil in sanctis vacet a divina laude, neque mens, neque lingua. Quomodo autem esse possit, ita dicunt, quod scilicet in pulmone et instrumentis vocalibus est aer, et per illum aerem poterunt voces formare, sicut et animalia quae habent spiritum complantatum, ut dicitur in Lib. de Somn. et Vigil. Et hoc quantum ad aliquid videtur esse conveniens, quia ad formationem vocis non est necessaria expulsio vel attractio aeris: unde respirando non potest animal vocem formare, ut dicitur in 2 de anima. Sed quo ad aliquid videtur insufficiens: quia ad vocem non tantum exigitur aer interior, sed etiam exterior, cujus confractione et motu sonus deferatur. Unde plus addendum est, ut dicamus, quod quaedam sensibilia deferuntur ad sensum secundum esse spirituale tantum, sicut species colorum; quaedam quae contingunt organum secundum esse suum materiale, sicut in gustu et tactu; quaedam vero deferuntur utroque modo, sicut species odorum cum permixtione fumalis evaporationis; tamen species extenditur ultra fumalem evaporationem. Et similiter est de sono et motu, ibi tamen species soni defertur secundum esse spirituale tantum: unde non oportebit esse motum in medio, aut confractionem, aut condensationem. Vel potest dici, quod etiam erit confractio caeli Empyrei: nec hoc erit ei ignobilitas, quia erit instrumentum motum a lingua glorificata, et materia vocis prolatae in laudem divinam; nec propter hoc sequitur quod sit generabile et corruptibile: quia raritas et densitas sunt aequivoce dicta in isto corpore et in aliis corporibus; sicut etiam ponunt astrologi inter duas sphaeras, quae non possunt scindi, esse aliquod spatium repletum corpore divisibili, cum in isto spatio sit motus planetarum, secundum motum epicycli.

5. Le ciel empyrée est le lieu des anges, des âmes et des hommes. Mais il est clair que, de la part des anges et des âmes sorties [de leurs corps], il n’y aura pas de louange vocale dans le ciel empyrée. Toutefois, il existe un doute à savoir s’il y aura une louange vocale de la part des hommes après la résurrection à venir. Certains disent qu’il n’y aura pas de louange vocale, mais seulement mentale, qui est plus digne, car il n’y aura pas non plus de respiration, alors que la voix n’existe que chez ceux qui respirent, comme on le dit dans Sur l’âme, II. Mais d’autres disent qu’il y aura aussi une louange vocale, non pas en raison d’une carence, mais afin que rien chez les saints ne fasse défaut à la louange divine, ni l’esprit, ni la langue. Mais, comment cela est possible, ils disent qu’il y a de l’air dans les poumons et dans les instruments vocaux, et que, par cet air, ils pourront former des paroles, comme aussi les animaux à qui un souffle a été donné, ainsi qu’il est dit dans le Livre sur le sommeil et la veille. Sous un aspect, il semble que cela soit approprié, car, pour la formation de la parole, l’expulsion et l’attraction d’air n’est pas nécessaire ; aussi un animal ne peut-il pas former un son en respirant, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Mais, d’un autre point de vue, cela semble insuffisant, car, pour un son, n’est pas requis seulement l’air intérieur, mais aussi l’air extérieur, par la contraction [corr. confractione/contractione] et le mouvement duquel le son est porté. Aussi faut-il dire en plus que certaines choses sensibles sont portées jusqu’au sens selon une existence spirituelle seulement, comme les espèces des couleurs ; mais certaines touchent l’organe selon leur existence matérielle, comme pour le goût et le toucher ; et certaines sont portées des deux manières, comme les espèces des odeurs comportant un mélange de fumée ; toutefois, l’espèce va au-delà de l’évaporation de la fumée. De même en est-il du son et du mouvement, mais [dans le ciel empyrée], l’espèce du son est portée selon son être spirituel seulement. Aussi ne sera-t-il pas nécessaire qu’un mouvement existe, soit une contraction [corr. confractionem/contractionem], soit une condensation. Mais on peut dire qu’il existera aussi une contraction [corr. confractio/contractio] du ciel empyrée. Et cela ne sera pas pour lui un déshonneur, car ce sera un instrument mû par une langue glorifiée, et la matière d’une voix portée vers la louange divine. Il n’en découle pas pour autant qu’il soit susceptible d’être engendré et corrompu, car on parle de rareté et de densité de manière équivoque pour ce corps et pour les autres corps, comme aussi les astrologues affirment qu’il existe entre deux sphères un espace comblé par un corps divisible, puisque le mouvement des planètes existe dans cet espace selon un mouvement d’épicycle.

 

[3673] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 2 ad 6 Et per hoc patet responsio ad ultimum. Item per miraculum fieri potest quod duo corpora sint in uno loco, quod oportet esse ad minus, dum corpus gloriosum supra caelum Empyreum transfertur mediante caelesti corpore, quod non scinditur. Quid autem de his verum sit, incertum est, quia nec fide determinatur, nec ratione probatur.

6. La réponse au dernier argument est ainsi claire. De plus, par un miracle, il peut arriver que deux corps se trouvent dans un seul lieu, ce qui doit au moins se produire lorsque le corps glorieux est porté au-dessus du ciel empyrée en traversant le corps céleste, qui n’est pas déchiré. Ce qui est vrai en ces matières est incertain, car cela n’est pas déterminé par la foi ni démontré par la raison.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3674] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 tit. Utrum caelum Empyreum habeat influentiam super alia corpora
 

Article 3 – Le ciel empyrée exerce-t-il une influence sur les autres corps ?

 

[3675] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod caelum Empyreum influentiam habeat supra alia corpora. Ita enim est in aliis elementis, quod semper continens est salvans contentum, quamvis sit contrarium sibi, eo quod est locus ejus, et habet se ad ipsum sicut actus ad potentiam, et sicut totum ad partem divisam, ut dicitur in 4 Phys. Sed caelum Empyreum continet alios caelos. Ergo multo fortius, cum non contrarietur eis, videtur quod influat in eos continendo et salvando eos.

1. Il semble que le ciel empyrée exerce une influence sur les autres corps. En effet, dans les autres éléments, il arrive que ce qui contient sauvegarde toujours le contenu, bien qu’il lui soit contraire du fait que c’est son lieu et qu’il se comporte comme l’acte par rapport à la puissance, et comme un tout par rapport à la partie divise, ainsi qu’on le dit dans Physique, IV. Or, le ciel empyrée contient les autres cieux. À bien plus forte raison, puisqu’il ne leur est pas contraire, il semble donc qu’il influe sur eux en les contenant et les sauvegardant.

 

[3676] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, secundum Avicennam et alios philosophos, sol habet effectum in istis inferioribus per lumen suum, quod irradiando emittit. Sed caelum Empyreum est totum lucidum. Ergo videtur quod influentiam habeat in inferiora corpora.

2. Selon Avicenne et d’autres philosophes, le soleil exerce une influence sur ces [corps] inférieurs par sa lumière, qu’il émet par irradiation. Or, le ciel empyrée est entièrement lumineux. Il semble donc qu’il exerce une influence sur les corps inférieurs.

 

[3677] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, in primo mobili est dextrum et sinistrum, et aliae positiones, ut in 2 Cael. et Mun. determinatur. Sed hoc non potest esse nisi per influentiam alicujus superioris. Cum ergo nullum corpus sit superius, nisi caelum Empyreum, videtur quod influentiam ejus habeat.

3. Chez le premier mobile, existent la droite et la gauche et les autres positions, comme cela est déterminé dans Sur le ciel et le monde, II. Or, cela ne peut exister que par l’influence de quelque chose de supérieur. Puisqu’aucun corps n’est supérieur au ciel empyrée, il semble donc qu’il en exerce l’influence

 

[3678] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, ad nobiliorem formam est nobilior dispositio. Sed ad formam animae vegetabilis disponit lux caeli siderei. Ergo cum anima sensibilis sit nobilior, videtur quod ad ipsam disponat lux caeli chrystallini; ulterius ad animam rationalem lux caeli Empyrei; et sic influentiam habet in inferiora.

4. Une disposition plus noble existe pour une forme plus noble. Or, la lumière du ciel sidéral dispose à la forme de l’âme végétative. Puisque l’âme sensible est plus noble, il semble donc que la lumière du ciel cristallin y dispose ; davantage, la lumière du ciel empyrée [dispose-t-elle] à l’âme raisonnable. Il exerce ainsi une influence sur les corps inférieurs.

 

[3679] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, status gloriae est alius a statu generationis et corruptionis, qui competit viae. Caelum autem Empyreum ordinatur ad statum gloriae. Ergo videtur non esse ejusdem ordinis cum aliis corporibus. Sed ea quae non sunt ejusdem ordinis non habent influentiam ad invicem. Ergo caelum Empyreum non influit in alia corpora.

Cependant, [1] l’état de la gloire est autre que l’état de la génération et de la corruption, qui convient alors qu’on est en route. Or, le ciel empyrée est ordonné à l’état de la gloire. Il semble donc qu’il ne soit pas du même ordre que les autres corps. Or, les choses qui ne sont pas du même ordre n’exercent pas d’influence les unes sur les autres. Le ciel empyrée n’influe donc pas sur les autres corps.

 

[3680] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Angeli sunt nobiliores caelo Empyreo. Sed Angeli non habent causalitatem super alias res. Ergo multo minus caelum Empyreum.

[2] Les anges sont plus nobes que le ciel empyrée. Or, les anges n’exercent pas de causalité sur les autres choses. Encore bien moins, le ciel empyrée.

 

[3681] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod caelum Empyreum nullam habet influentiam super alia corpora, quae rationabiliter poni possit. Non enim ponimus aliquod corpus habere influentiam super aliud, nisi per motum; quia, ut in Lib. de causis dicitur, etiam anima in hoc ab intelligentia deficit, quia non imprimit in res nisi movendo eas; et multo minus corpus. Nullum autem corpus movet nisi motum, ut a philosophis probatum est; caelum enim per motum suum causat generationem et corruptionem in istis inferioribus: unde dicitur in 8 Phys., quod motus ejus est sicut vita existentibus omnibus. Unde dicit Rabbi Moyses, quod caelum in universo est sicut cor in animali, cujus motus si ad horam quiesceret, corporis vita finiretur. Unde cum caelum Empyreum ponatur immobile, non potest rationabiliter poni influentiam super corpora habere. Constat enim quod non habet influentiam sine motu ad modum creantis. Nec tamen negatur quin Deus potentiam influendi sine motu ei conferre potuisset; sed quia hoc nec auctoritate confirmatur nec ratione, ideo positio eorum qui dicunt caelum Empyreum influentiam super alia corpora habere, eadem facilitate contemnitur qua tenetur; et praecipue cum in talibus non quaeratur quid Deus per miraculum possit facere, sed quid naturae rei conveniat, ut dicit Augustinus.

Réponse. Le ciel empyrée n’exerce aucune influence sur les autres corps, qui puisse être affirmée de manière raisonnable. En effet, nous n’affirmons pas qu’un corps exerce une influence sur un autre, sauf par le mouvement, car, on dit, dans le Livre sur les causes, que l’âme est moindre que l’intelligence parce qu’elle n’exerce d’action sur les choses qu’en les mouvant ; c’est encore bien moins le cas du corps. Or, aucun corps ne meut que ce qui est mû, comme les philosophes l’ont démontré. En effet, le ciel cause par son mouvement la génération et la corruption dans les [corps] inférieurs. Aussi est-il dit, Physique, VIII, que son mouvement est comme la vie pour tous les êtres. C’est pourquoi rabbi Moïse dit que le ciel est pour l’univers comme le cœur chez l’animal : si son mouvement cessait subitement, la vie du corps se terminerait. Puisqu’on affirme que le ciel empyrée est immobile, on ne peut donc raisonnablement affirmer qu’il a une influence sur les corps. En effet, il est clair qu’il n’a pas d’influence sans mouvement, à la manière de celui qui crée. On ne nie cependant pas que Dieu aurait pu lui conférer la puissance d’influer sans mouvement ; mais comme cela n’est confirmé ni par l’autorité ni par la raison, la position de ceux qui disent que le ciel empyrée exerce une influence sur les autres corps est méprisée avec la même facilité qu’elle est tenue, surtout qu’on ne cherche pas en de telles matières ce que Dieu peut faire, mais ce qui convient à la nature d’une chose, comme le dit Augustin.

 

[3682] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpus motum motu recto, generabile et corruptibile, indiget loco continente et conservante; et ista virtus locandi et conservandi attenditur in uno elementorum respectu alterius, cum virtute caeli influentis in elementa per motum. Corpus autem motum circulariter, incorruptibile, non indiget ad motum loco extrinsecus continente, nec etiam ad conservationem; et quod aliquod hujusmodi corpus habeat exterius continens, hoc est per accidens, ut in 4 Phys. Commentator dicit; unde non dependet ab eo nisi inquantum revolvitur revolutione ejus. In caelo autem Empyreo non ponitur aliqua revolutio: unde non remanet aliquis influendi modus.

1. Le corps mû selon un mouvement en ligne droite, susceptible de génération et de corruption, a besoin d’un lieu qui le conserve et le contienne : cette capacité de le situer dans un lieu et de le conserver vient du rapport entre un élément et les autres, combiné à la puissance du ciel qui influe sur les éléments par le mouvement. Mais un corps mû de manière circulaire, incorruptible, n’a pas besoin pour son mouvement d’un lieu qui le contienne de l’extérieur, ni qui le conserve. Qu’un corps de ce genre ait quelque chose qui le contienne de l’extérieur, cela est accidentel, comme le dit le Commentateur dans Physique, IV. Il ne dépend donc de lui que dans la mesure où il tourne selon sa révolution. Or, dans le ciel empyrée, il n’existe pas de révolution. Aussi ne reste-t-il aucun mode d’influence.

 

[3683] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod lux caeli Empyrei, ut dictum est, non est per modum fulgoris irradiantis in alia corpora, et ideo nec etiam illuminationem influit in alia corpora: cujus ratio est, quia cum sit virtuosissimum corporum, et maximum, sine lumine solis omnia illuminaret. Et praeterea lumen caeli non est causa effectiva in inferioribus, nisi supposito motu, qui a caelo Empyreo removetur.

2. Comme on l’a dit, la lumière du ciel empyrée n’est pas comme celle de l’éclair qui irradie les autres corps ; c’est pourquoi elle ne produit pas d’illumination des autres corps. La raison en est qu’étant le plus puissant et le plus grand des corps, il illuminerait tous [les corps] sans la lumière du soleil. De plus, la lumière du ciel n’est une cause efficiente s’exerçant sur les réalités inférieures qu’en supposant le mouvement, qui n’existe pas dans le ciel empyrée.

 

[3684] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dextrum et sinistrum sunt in caelo ex virtute motoris sui, quicumque sit iste, non ex influentia alicujus corporis, sicut et in animali est ex virtute animae.

3. La droite et la gauche existent dans le ciel en vertu de son moteur, quel qu’il soit, et non par l’influence d’un corps, comme [elles existent] chez l’animal en vertu de l’âme.

 

[3685] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nobilissima dispositio quae unquam potest esse in corpore ad formam, est infra nobilitatem caeli: unde eadem virtus caelestis est per quam corpus disponitur ad formam elementi et mixti, et animae vegetabilis, sensibilis, rationalis: nec oportet, si hoc caelum disponit ad animam vegetabilem, quod non possit disponere ad animam sensibilem, nisi probetur quod ex hoc esset ultimum virtutis ejus; quod falsum est. Unde patet quod ista positio fundatur super tria falsa. Primum est quod dispositio quae est in corpore humano ad animam, non possit esse ex virtute solis. Secundum est quod lux sit corpus materialiter veniens in compositionem animati. Tertium est quod sit per medium inter animam et corpus; quae sunt absurda apud omnes qui rationaliter locuti sunt; et ideo uno inconvenienti dato, alia contingunt; et hoc non est mirum.

4. La disposition la plus noble qui puisse exister dans un corps par rapport à une forme est inférieure à la noblesse du ciel. Aussi est-ce la même puissance céleste par laquelle un corps est disposé à la forme d’un élément ou d’un [corps] mixte et à l’âme végétative, sensible et raisonnable. Et il n’est pas nécessaire, si ce ciel dispose à l’âme végétative, qu’il ne puisse pas disposer à l’âme sensible, à moins qu’on ne prouve que, de ce fait, ce soit le point ultime de sa puissance, ce qui est faux. Aussi ressort-il clairement que cette position se fonde sur trois faussetés. La première est que la disposition qui existe dans le corps pour l’âme ne peut pas exister par la puissance du soleil. La deuxième est que la lumière est un corps matériel entrant dans la composition de ce qui est animé. La troisième est qu’elle existe par un intermédiaire entre l’âme et le corps. Tout cela est absurde pour tous ceux qui en ont parlé raisonnablement. C’est pourquoi, si l’on reconnaît qu’une de ces choses est inappropriée, les autres inconvénients surviennent, et cela n’est pas étonnant.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 2

 

[3686] Super Sent., lib. 2 d. 2 q. 2 a. 3 expos. Quantas prius aeternitates (...) fuisse arbitrandum est? Videtur falsum dicere, quia aeternitas est tantum una. Praeterea. In quo differt saeculum, tempus, et aeternitas? Ad hoc dicendum, quod in Angelo est tria considerare: scilicet esse ejus, cujus mensura dicitur saeculum; quia, ut dicitur in primo Cael. et Mun., saeculum dicitur finis uniuscujusque. Secundo operationem ipsius, in qua res in propria natura cognoscitur per species innatas, in qua est vicissitudo et aliquis modus motus; et sic mensuratur tempore, quod tamen est aliud ab eo quod est numerus motus caeli. Tertio operationem qua verbum intuetur: et sic fit in participatione aeternitatis et beatitudinis; et secundum quod sunt multae beatitudines participatae, ita et aeternitates: quamvis beatitudo essentialiter sit tantum una. Sed ibi caelum vocat Dei celsitudinem. Hoc caelum non est corpus, quia caelum sanctae Trinitatis dicitur esse idem quod essentia majestatis ejus: in quo caelo nulla creatura potest esse, sicut nec aequari Deo; sed tantum tres coaeternae et coaequales in eo sunt personae.

 

 

 

 

 

Distinctio 3

Distinction 3 – [La condition des anges]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Les anges sont-ils composés de matière et de forme ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[3687] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 pr. Ostenso quando et ubi Angeli creati sunt, hic inquirit, quales effecti sunt; et dividitur in tres partes: in prima inquiritur quales effecti sunt quantum ad perfectionem naturae; in secunda quales quantum ad gratiam, vel culpam, ibi: illud quoque investigatione dignum videtur; in tertia quales quantum ad gloriam vel miseriam, 4 dist., ibi: post haec videndum est, utrum perfectos et beatos creavit Deus Angelos, an miseros et imperfectos. Prima in duas: in prima ostendit quot fuerunt naturales perfectiones Angelis in principio creationis collatae; secundo ostendit qualiter ad invicem secundum istas operationes comparentur, ibi: hic considerandum est. Et circa hoc duo facit: primo ostendit in quibus erant inaequales; secundo ostendit in quibus erant aequales, ibi: et sicut in praedictis Angeli differebant, ita et quaedam communia et aequalia habebant. Circa primum duo facit: primo ostendit eos fuisse inaequales in perfectionibus naturalibus; secundo ostendit quod secundum gradum naturalium, fuit etiam in eis gradus gratuitorum donorum, ibi: ad hunc ergo modum credendum est illas spirituales naturas, convenientes suae puritati et excellentiae (...) differentias accepisse. Hic quaeruntur sex: 1 utrum Angeli sint adeo simplices, quod non sint compositi ex materia et forma; 2 utrum sit in eis personalitas; 3 utrum sit in eis aliquis numerus, et quis est iste; 4 utrum omnes sint unius speciei; 5 si non, utrum sint unius generis; 6 de differentia Angeli et animae rationalis.

Après avoir montré quand et où les anges ont été créés, [le Maître] s’enquiert ici de la condition dans laquelle les anges ont été créés. Il y a trois parties : dans la première, il se demande dans quelle condition ils ont été créés pour ce qui est de la perfection de leur nature ; dans la deuxième, dans quelle condition pour ce qui est de la grâce ou de la faute, à cet endroit : « Ceci semble aussi digne d’être examiné… »; dans la troisième, dans quelle condition pour ce qui est la gloire ou de la misère, d. 4, à cet endroit : « Après cela, il faut voir si Dieu a créé les anges parfaits et bienheureux, ou bien misérables et imparfaits. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre quelles perfections naturelles ont été données aux anges au commencement de la création ; deuxièmement, il montre comment ils se comparent les uns aux autres selon ces opérations, à cet endroit : « Ici, il faut considérer… » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre en quoi ils étaient inégaux ; deuxièmement, il montre en quoi ils étaient égaux, à cet endroit : « De même que les anges étaient différents selon ce qui a été dit plus haut, de même possédaient-il certaines choses égales et communes. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’ils étaient inégaux pour les perfections naturelles ; deuxièmement, il montre que le degré des dons gratuits correspondait au degré de leurs [perfections] naturelles, à cet endroit : « De cette manière, il faut croire que ces natures spirituelles ont reçu des différences… conformes à leur pureté et à leur excellence. » Ici, six questions sont posées : 1. Les anges sont-ils simples au point de n’être pas composés de matière et de forme ? 2. Ont-ils une personnalité ? 3. Existe-t-il chez eux un nombre, et quel est-il ? 4. Tous appartiennent-ils à une seule espèce ? 5. Si tel n’est pas le cas, appartiennent-ils à un même genre ? 6. À propos de la différence entre l’ange et l’âme raisonnable.

 

 

 

 

Articulus 1 : [3688] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 tit. Utrum Angelus sit compositus ex materia et forma

Article 1 – L’ange est-il composé de matière et de forme ?

 

[3689] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angelus sit compositus ex materia et forma. Quidquid enim est in genere aliquo, participat rationem illius generis. Sed ratio substantiae, secundum quod est praedicamentum, est quod sit composita ex materia et forma. Boetius enim dicit in Comment. praedicamentorum quod Aristoteles, relictis extremis, scilicet materia et forma, agit de medio, idest de composito, cum de substantia determinat. Cum ergo Angelus sit in praedicamento substantiae, videtur quod ex materia et forma componatur.

1. Il semble que l’ange soit composé de matière et de forme. En effet, tout ce qui appartient à un genre participe à la raison de ce genre. Or, la raison de substance, selon qu’elle est un prédicament, est qu’elle soit composée de matière et de forme. En effet, Boèce dit, dans son commentaire sur les Prédicaments, qu’Aristote, délaissant les extrêmes, à savoir la matière et la forme, traite du milieu, c’est-à-dire du composé, lorsqu’il détermine de la substance. Puisque l’ange appartient au prédicament de la substance, il semble donc qu’il soit composé de matière et de forme.

 

[3690] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quaecumque sunt in aliquo genere uno, communicant uniformiter principia illius generis. Sed principia generis substantiae sunt materia et forma. Cum ergo corpora quae sunt in genere substantiae, communicent ista principia, ita quod ex eis componuntur, videtur quod etiam Angelus, qui est in eodem genere, ex materia et forma componatur.

2. Tout ce qui appartient à un seul genre a en commun de manière uniforme les principes de ce genre. Or, les principes du genre de la substance sont la matière et la forme. Puisque les corps qui font partie du genre de la substance ont en commun ces principes, de sorte qu’ils soient composés d’eux, il semble donc que l’ange lui-même, qui fait partie du même genre, soit composé de matière et de forme.

 

[3691] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, ubicumque inveniuntur proprietates materiae, invenitur materia; cum proprietates materiae rei non sint a re separatae. Sed recipere, substare, et hujusmodi, sunt proprietates materiae. Ergo cum inveniantur in Angelo, videtur quod Angelus sit ex materia compositus.

3. Partout où on trouve des propriétés de la matière, on trouve la matière, puisque les propriétés de la matière d’une chose ne sont pas séparées de la chose. Or, recevoir, être soumise et les choses de ce genre sont des propriétés de la matière. Puisqu’on les trouve chez l’ange, il semble donc que l’ange soit composé de matière.

 

[3692] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod est, vel est tantum actus, vel tantum potentia, vel utrumque. Sed Angelus non est actus purus, quia sic non differret a Deo: nec est potentia pura, quia sic non differret a materia prima: et praeterea nullam operationem haberet. Ergo est compositus ex actu et potentia: et hoc est componi ex materia et forma: ergo et cetera.

4. Tout ce qui est est soit acte seulement, soit puissance seulement, soit les deux. Or, l’ange n’est pas acte pur, car alors il ne différerait pas de Dieu ; il n’est pas non plus puissance pure, car alors il ne différerait pas de la matière première et, de plus, il n’aurait aucune opération. Il est donc composé d’acte et de puissance, et c’est là être composé de matière et de forme. Donc, etc.

 

[3693] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, in libro de causis, dicitur, quod omne creatum compositum est ex finito et infinito. Sed Angelus est ens creatum. Ergo ex infinito, quod est materia, compositus est.

5. Dans le livre Sur les causes, on dit que tout ce qui est créé est composé de fini et d’indéfini. Or, l’ange est un être créé. Il est donc composé d’indéfini, qui est la matière.

 

[3694] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 6 Item dicit Boetius in Lib. de Trinit., quod forma simplex subjectum esse non potest. Sed Angelus est subjectum gratiae. Ergo non est tantum forma, sed etiam habet materiam partem sui.

6. Boèce dit, dans le livre Sur la Trinité, qu’une forme simple ne peut être un sujet. Or, l’ange est le sujet de la grâce. Il n’est donc pas une forme seulement, mais la matière aussi fait partie de lui.

 

[3695] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit in 4 cap. de Div. Nom., quod Angeli intelliguntur immateriales et incorporales.

Cependant, [1] Denys dit, dans le chapitre 4 des Noms divins, qu’on comprend des anges qu’ils sont immatériels et incorporels.

 

[3696] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Boetius dicit in Lib. de duabus naturis, quod omnis natura incorporeae substantiae nullo materiae nititur fundamento. Sed Angelus est substantia incorporea. Ergo materiam pro fundamento non habet.

[2] Boèce dit, dans le livre Sur les deux causes, que toute nature d’une substance incorporelle ne se fonde sur aucune matière. Or, l’ange est une substance incorporelle. Il n’a donc pas de matière comme fondement.

 

[3697] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc materiam tres sunt positiones. Quidam enim dicunt quod in omni substantia creata est materia, et quia omnium est materia una; et hujus positionis auctor videtur Avicebron, qui fecit librum fontis vitae, quem multi sequuntur. Secunda positio est quod materia non est in substantiis incorporeis, sed tantum est in omnibus corporibus, etiam una; et haec est positio Avicennae. Tertia positio est quod corpora caelestia et elementa non communicant in materia: et haec est positio Averrois, et Rabbi Moysis, et videtur magis dictis Aristotelis convenire; et ideo istam eligimus, quantum ad praesens pertinet, dicentes, quod quidquid sit de corporalibus, in Angelis nullo modo potest esse materia: tum ratione intellectualitatis; tum etiam ratione incorporeitatis; quod enim nullum intellectuale sit materiale, communiter a philosophis tenetur. Unde etiam ex immaterialitate divina ejus intellectum concludunt. Et ratio satis manifesta est; quia materia prima recipit formam, non inquantum est forma simpliciter, sed inquantum est haec: unde forma existens in materia non est intellecta nisi in potentia, quia cognosco esse formae, inquantum est forma; et ideo si intellectus aliquis poneretur habens materiam, forma existens in eo non esset intellecta in actu: et sic per formam illam non intelligeret. Hujus etiam signum est, quod forma materialis non efficitur intellectualis, nisi quia a conditionibus materiae abstrahitur; et sic efficitur perfectio intellectus proportionata sibi: unde oportet intellectum non materialem esse: et hoc non sequitur materiam ex parte alicujus formae, cum omnis forma per abstractionem a conditionibus materiae intelligibilis fiat; sed consequitur eam secundum se, et virtualiter, sive sit sub forma corporali, sive spirituali. Secundo incorporeitas repugnat materiae: cum enim uni perfectibili debeatur una perfectio, et in materia prima non sit ulla diversitas, oportet quod omnis forma antequam possit in ea esse ulla diversitas, nec intelligi, investiat eam totam. Sed ante corporeitatem non potest intelligi aliqua diversitas, quia diversitas praesupponit partes, quae non possunt esse nisi praeintelligatur divisibilitas quae consequitur quantitatem, quae sine corporeitate non est. Unde oportet quod tota materia sit vestita forma corporeitatis; et ideo si aliquid est incorporeum, oportet esse immateriale. Et tamen aliquam compositionem in Angelo ponimus: quae qualis sit, sic investiganda est. In rebus ex materia et forma compositis, natura rei, quae quidditas vel essentia dicitur, ex conjunctione formae ad materiam resultat, ut humanitas ex conjunctione animae et corporis. De ratione autem quidditatis in quantum est quidditas, non est quod sit composita; quia nunquam inveniretur simplex natura, quod ad minus in Deo falsum est: nec est de ratione ejus quod sit simplex, cum quaedam inveniatur composita, ut humanitas. Esse autem secundum quod dicitur res esse in actu, invenitur ad diversas naturas vel quidditates diversimode se habere. Quaedam enim natura est de cujus intellectu non est suum esse, quod patet ex hoc quod intelligi potest cum hoc quod ignoretur an sit, sicut Phaenicem, vel eclipsim, vel aliquid hujusmodi. Alia autem natura invenitur de cujus ratione est ipsum suum esse, immo ipsum esse est sua natura. Esse autem quod hujusmodi est, non habet esse acquisitum ab alio; quia illud quod res ex sua quidditate habet, ex se habet. Sed omne quod est praeter Deum habet esse acquisitum ab alio. Ergo in solo Deo suum esse est sua quidditas vel natura; in omnibus autem aliis esse est praeter quidditatem, cui esse acquiritur. Sed cum quidditas quae sequitur compositionem dependeat ex partibus, oportet quod ipsa non sit subsistens in esse quod sibi acquiritur, sed ipsum compositum, quod suppositum dicitur: et ideo quidditas compositi non est ipsum quod est, sed est hoc quo aliquid est, ut humanitate est homo; sed quidditas simplex, cum non fundetur in aliquibus partibus, subsistit in esse quod sibi a Deo acquiritur; et ideo ipsa quidditas Angeli est quo subsistit etiam ipsum suum esse, quod est praeter suam quidditatem, et est id quo est; sicut motus est id quo aliquid denominatur moveri; et sic Angelus compositus est ex esse et quod est, vel ex quo est et quod est: et propter hoc in Lib. de causis dicitur, quod intelligentia non est esse tantum, sicut causa prima; sed est in ea esse, et forma, quae est quidditas sua: et quia omne quod non habet aliquid ex se, sed recipit illud ab alio, est possibile vel in potentia respectu ejus, ideo ipsa quidditas est sicut potentia, et suum esse acquisitum est sicut actus; et ita per consequens est ibi compositio ex actu et potentia; et si ista potentia vocetur materia, erit compositus ex materia et forma: quamvis hoc sit omnino aequivocum dictum: sapientis enim est non curare de nominibus.

Réponse. Sur ce sujet, il y a trois positions. En effet, certains disent que, dans toute substance créée, existe une matière et qu’il n’existe qu’une seule matière pour toutes. L’auteur de cette position semble être Avicébron, qui a écrit le livre Sur la source de la vie, que beaucoup suivent. La deuxième position est qu’il n’existe pas de matière dans les substances incorporelles, mais que celle-ci existe seulement dans tous les corps, et même unique ; telle est la position d’Avicenne. La troisième position est que les corps célestes et les éléments n’ont pas de matière en commun ; telle est la position d’Averroès et de rabbi Moïse, et elle semble plutôt rejoindre ce que dit Aristote. C’est pourquoi nous choisissons celle-ci, pour ce qui concerne la question présente, en disant que, quoi qu’il en soit des réalités corporelles, il ne peut aucunement exister de matière chez les anges, tant en raison de leur intellectualité, qu’en raison aussi de leur incorporéité. En effet, que rien d’intellectuel ne soit matériel, cela est généralement reconnu par les philosophes. Aussi concluent-ils à l’intelligence divine à partir de l’immatérialité de Dieu. La raison en est assez claire, car la matière première reçoit la forme, non pas en tant qu’elle est simplement forme, mais en tant qu’elle est telle forme. Ainsi, la forme qui existe dans la matière n’est-elle intelligée qu’en puissance, car je connais l’être de la forme en tant qu’elle est forme. C’est pourquoi en affirmant qu’un intellect possède une matière, la forme qui existe en lui ne serait pas intelligée en acte, et ainsi il n’intelligerait pas par cette forme. Le signe en est que la forme matérielle ne devient intellectuelle que parce qu’elle est abstraite des conditions de la matière. Elle devient ainsi une perfection de l’intelligence qui lui est proportionnée. Il est donc nécessaire que l’intellect ne soit pas matériel, et cela ne découle pas de la matière du point de vue d’une forme, puisque toute forme devient intelligible par l’abstraction des conditions de la matière, mais cela découle [de la matière] en elle-même et selon sa puissance, qu’elle existe sous une forme corporelle ou sous [une forme] spirituelle. Deuxièmement, l’incorporéité est incompatible avec la matière. En effet, puisqu’une seule perfection est nécessaire pour une seule réalité perfectible et que, dans la matière première, il n’existe aucune diversité, il est nécessaire, avant qu’il puisse y exister ou qu’on puisse y intelliger une diversité, que toute forme la couvre tout entière. Or, avant la corporéité, aucune diversité ne peut être intelligée, car la diversité présuppose des parties, qui ne peuvent exister sans que soit d’abord intelligée la divisibilité, qui découle de la quantité, qui n’existe pas sans corporéité. Aussi est-il nécessaire que toute la matière soit couverte par la forme de la corporéité. S’il existe quelque chose d’incorporel, il est donc nécessaire que ce soit immatériel. Toutefois, nous reconnaissons une certaine composition chez l’ange. En quoi celle-ci consiste, il faut l’examiner de la manière suivante. Dans les choses composées de matière et de forme, la nature de la chose, qu’on appelle sa quiddité ou son essence, résulte de l’union de la forme à la matière, comme l’humanité [résulte] de l’union de l’âme et du corps. Or, il ne fait pas partie de la quiddité en tant que quiddité qu’elle soit composée, car on ne trouverait jamais de nature simple, ce qui est faux au moins pour Dieu ; il ne fait pas non plus partie de sa raison qu’elle soit simple, puisqu’on en trouve une qui est composée, ainsi l’humanité. Or, on trouve que l’être, pour autant qu’on dit d’une chose qu’elle est en acte, a un rapport différent avec les diverses natures ou quiddités. En effet, il existe une nature dont l’être ne fait pas partie de ce qu’on en saisit, ce qui ressort du fait qu’elle peut être saisie alors qu’on ignore si elle existe : c’est le cas du Phénix ou d’une éclipse, ou de quelque chose de ce genre. Mais on trouve une autre nature dont l’être fait partie de sa nature, bien plus, dont l’être même est sa nature. Or, l’être qui est de cette sorte ne possède pas un être reçu d’un autre, car ce qu’une chose possède par sa quiddité, elle le possède par soi. Mais tout ce qui existe en dehors de Dieu a un être reçu d’un autre. Donc, chez Dieu seul, son être est sa quiddité ou sa nature ; mais, chez tous les autres, l’être est en dehors de sa quiddité, laquelle reçoit l’être. Mais puisque la quiddité qui découle d’une composition dépend des parties, il est nécessaire qu’elle ne subsiste pas dans l’être qu’elle reçoit, mais [que ce soit le cas du] composé, qui est appelé suppôt. Aussi la quiddité d’un composé n’est-elle pas ce qui est, mais elle est ce selon quoi quelque chose est, comme l’homme est selon l’humanité ; mais une quiddité simple, puisqu’elle n’est pas fondée sur des parties, subsiste dans l’être qu’elle reçoit de Dieu. C’est pourquoi la quiddité même d’un ange est ce selon quoi son être même subsiste, lequel est hors de sa quiddité, et elle est ce selon quoi il est, comme le mouvement ce en vertu de quoi on dit que quelque chose est mû. L’ange est ainsi composé d’être et de ce qui est, ou de ce selon quoi il est et de ce qu’il est. Pour cette raison, il est dit, dans le livre Sur les causes, que l’intelligence n’est pas seulement l’être, comme la cause première ; mais il existe en elle l’être et une forme, qui est sa quiddité. Et parce que tout ce qui ne possède pas quelque chose par soi, mais le reçoit d’un autre, est en puissance par rapport à cela, la quiddité elle-même est comme en puissance et l’être qu’elle reçoit est comme un acte. Par conséquent, il existe là une composition d’acte et de puissance, et si cette puissance est appelée matière, il y aura composé de matière et de forme, bien que cela soit dit de manière tout à fait équivoque. En effet, c’est le propre du sage de ne pas se préocccuper des mots.

 

[3698] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum est, quod de ratione substantiae est quod subsistit quasi per se ens; et ideo forma et materia, quae sunt pars compositi, cum non subsistant, non sunt in praedicamento substantiae sicut species, sed solum sicut principia. Quod autem hoc subsistens habeat quidditatem compositam, non est de ratione substantiae: unde non oportet illud quod est in praedicamento substantiae, habere quidditatem compositam; sed oportet quod habeat compositionem quidditatis et esse: omne enim quod est in genere, sua quidditas non est suum esse, ut Avicenna dicit. Et ideo non potest Deus in praedicamento substantiae poni: unde Boetius intendit dicere, quod inter tria haec, scilicet materiam, formam, et compositum, ex his solum compositum est in genere substantiae sicut species; non autem intendit quod omne quod est in genere substantiae, sit compositum ex materia et forma.

1. Il est de la raison de la substance qu’elle subsiste comme un être par soi. Aussi la forme et la matière, qui font partie du composé, puisqu’elles ne subsistent pas, n’apparaissent-elles pas comme des espèces dans le prédicament de la substance, mais seulement comme des principes. Mais que tel subsistant ait une quiddité composée ne fait pas partie de la raison de la substance. Il n’est donc pas nécessaire que ce qui se trouve dans le prédicament de la substance possède une quiddité composée, mais il est nécessaire qu’il possède une composition de quiddité et d’être : en effet, pour tout ce qui fait partie d’un genre, la quiddité n’est pas l’être, comme le dit Avicenne. C’est pourquoi il n’est pas possible de placer Dieu dans le prédicament de la substance. Aussi Boèce veut-il dire que, parmi ces trois choses : la matière, la forme et le composé, seul le composé fait partie du genre de la substance en tant qu’espèce ; mais il ne veut pas dire que tout ce qui fait partie du genre de la substance est composé de matière et de forme.

 

[3699] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliqua sunt unius generis logice loquendo, quae naturaliter non sunt unius generis, sicut illa quae communicant in intentione generis quam logicus inspicit, et habent diversum modum essendi: unde in 10 Metaph. dicitur, quod de corruptibilibus et incorruptibilibus nihil commune dicitur, nisi communitate nominis: et ideo non oportet Angelos cum corporalibus eadem principia communicare, nisi secundum intentionem tantum, prout in omnibus invenitur potentia et actus, analogice tamen, ut in 12 Metaph. dicitur.

2. Certaines choses font partie d’un seul genre logiquement parlant, qui ne font pas naturellement partie d’un genre, telles celles qui se rejoignent dans l’intention du genre qu’examine le logicien et possèdent un mode différent d’être. Aussi est-il dit, Métaphysique, X, qu’on ne parle pas d’une manière commune des choses corruptibles et incorruptibles, si ce n’est selon un nom commun. Il n’est pas nécessaire que les anges aient en commun avec les réalités corporelles les mêmes principes, si ce n’est selon l’intention, pour autant qu’on trouve en tout puissance et acte, mais cependant de manière analogique, comme il est dit dans Métaphysique, XII.

 

[3700] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut dicit Commentator in 3 de anima, recipere, et omnia hujusmodi, dicuntur aequivoce de materia et intellectu: materia enim prima recipit formam non prout est forma simpliciter, sed prout est hoc, unde per materiam individuatur; sed intellectus recipit formam inquantum est forma simpliciter, non individuans eam, quia forma in intellectu habet esse universale; unde etiam philosophus ibidem dicit, quod intelligere, pati quoddam est; sed communiter et aequivoce dictum; unde ex hoc non ponitur compositio vel materialitas substantiae intellectualis.

3. Comme le dit le Commentateur dans Sur l’âme, III, recevoir et toutes les choses de ce genre se disent de manière équivoque de la matière et de l’intellect. En effet, la matière première reçoit une forme, non pas selon qu’elle est simplement une forme, mais selon qu’elle est ce par quoi la matière est individuée ; mais l’intellect reçoit une forme selon qu’elle est simplement une forme, sans l’individuer, parce que la forme dans l’intellect possède un être universel. Aussi le Philosophe dit-il, au même endroit, qu’intelliger est une certaine passion, mais en un sens général et équivoque. On n’affirme pas pour autant une composition ou une matérialité de la substance intellectuelle.

 

[3701] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum jam patet responsio per ea quae dicta sunt; ostensum est enim quod in Angelo est potentia et actus; non tamen sicut partes quidditatis; sed potentia tenet se ex parte quidditatis, et esse est actus ejus.

4. La réponse à la quatrième objection ressort déjà clairement de ce qui a été dit. En effet, on a montré que, chez l’ange, il existe puissance et acte ; mais la puissance se trouve du côté de la quiddité, et l’être, du côté de l’acte.

 

[3702] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod objectio procedit ex falso intellectu litterae: non enim est sensus quod ens creatum componatur ex finito et infinito sicut ex partibus integralibus, sed sicut ex partibus subjectivis: quia entis creati quoddam est finitum, sicut incorruptibile, et quoddam infinitum, sicut corruptibile, quod non est determinatum ad esse tantum, sed quandoque est et quandoque non est: unde in quodam Comment. Lib. de causis exponitur infinitum idest potens esse vel non esse. Vel dicendum, quod componitur ex infinito, scilicet ex potentia, et finito, scilicet ex actu.

5. L’objection découle d’une mauvaise interprétation du texte. En effet, le sens n’est pas qu’un être créé est composé de fini et d’indéfini comme de ses parties intégrales, mais comme de ses parties subjectives, car quelque chose est fini dans l’être créé, comme le fait qu’il soit incorruptible, et quelque chose indéfini, comme le fait d’être corruptible, qui n’est pas déterminé à l’être seulement, mais parfois existe et parfois n’existe pas. Aussi, dans un commentaire du livre Sur les causes, l’infédini est-il interprété comme ce qui peut être ou ne pas être. Ou bien il faut dire que [l’être créé] est composé d’indéfini, c’est-à-dire de puissance, et de fini, c’est-à-dire d’acte.

 

[3703] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod forma omnino simplex, quae est suum esse, sicut essentia divina, de qua Boetius ibi loquitur, nullo modo potest esse subjectum; sed forma simpliciter subsistens quae non est suum esse, ratione possibilitatis quam habet, potest subjectum esse; sed aequivoce a modo quo materia vel materiale subjectum dicitur, ut dictum est.

6. Une forme entièrement simple, qui est son propre être, comme l’essence divine, dont parle Boèce à cet endroit, ne peut d’aucune manière être un sujet ; mais une forme qui subsiste simplement, qui n’est pas son propre être, en raison de la possibilité qu’elle comporte, peut être un sujet, mais de manière équivoque par rapport à la matière ou à un sujet matériel, comme on l’a dit.

 

 

 

 

Articulus 2 : [3704] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 tit. Utrum in Angelis possit esse personalitas

Article 2 – La personnalité peut-elle exister chez les anges ?

 

[3705] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in Angelis non possit esse personalitas. Individuatio enim est de ratione personae, quia persona est rationalis naturae individua substantia. Principium autem individuationis est materia. Cum ergo Angelus materia careat, ut dictum est, videtur quod ab eo personalitas excludatur.

1. Il semble qu’il ne puisse exister de personnalité chez les anges. En effet, l’individuation fait partie de la raison de la personne, car la personne est une substance individuelle de nature raisonnable. Or, le principe de l’individuation est la matière. Puisque la matière fait défaut à l’ange, comme on l’a dit, il semble donc que la personnalité en soit exclue.

 

[3706] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, omnis forma, quantum est de se, communicabilis est et universalis. Sed Angelus est forma simplex. Ergo videtur quod sit universale. Sed universalia non dicimus personas, ut dicit Boetius. Ergo videtur quod Angelus non sit persona.

2. Toute forme est en elle-même communicable et universelle. Or, l’ange est une forme simple. Il semble donc qu’il soit universel. Or, nous ne disons pas que les universaux sont des personnes, comme le dit Boèce. Il semble donc que l’ange ne soit pas une personne.

 

[3707] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, perfectio debet perfectibili proportionari. Sed forma intelligibilis, quae est perfectio intellectus, non habet rationem singularis, sed magis universalis. Ergo nec intellectus. Sed Angeli sunt divini intellectus et divinae mentes, ut dicit Dionysius. Ergo non sunt personae.

3. La perfection doit être proportionnée à ce qui est perfectible. Or, la forme intelligible, qui est une perfection de l’intellect, ne possède pas de raison singulière, mais plutôt universelle. Donc, ni l’intellect. Or, les anges sont des intelligences divines et des esprits divins, comme le dit Denys. Ils ne sont donc pas des personnes.

 

[3708] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, persona est rationalis naturae individua substantia. Sed a Dionysio ponitur Angelus in ordine intelligibilium, quae supra rationabilia consistunt. Ergo videtur quod Angelus non sit persona.

4. La personne est une substance individuelle de nature raisonnable. Or, Denys place l’ange dans l’ordre des intelligibles, qui se situent au-dessus des réalités raisonnables. Il semble donc que l’ange ne soit pas une personne.

 

[3709] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, persona, secundum magistros, est hypostasis proprietate distincta ad dignitatem pertinente. Sed Angelus, cum sit quid subsistens, dicitur hypostasis, et ejus proprietates sunt nobilissimae. Ergo videtur quod sit persona.

Cependant, [1] selon des maîtres, la personne est une hypostase possédant une propriété distincte en rapport avec sa dignité. Or, l’ange, puisqu’il est subsistant, est appelé une hypostase et ses propriétés sont les plus nobles. Il semble donc qu’il soit une personne.

 

[3710] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc idem habetur ex littera et ex dictis Richardi de sancto Victore, qui secundum diversas proprietates, diversimode personam ponit in homine, Angelo et Deo.

[2] On tire la même chose de ce que Richard de Saint-Victor a dit et écrit : selon diverses propriétés, il situe la personne dans l’homme, l’ange et Dieu.

 

[3711] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod personalitas est in Angelo, alio tamen modo quam in homine: quod patet, si tria quae sunt de ratione personae considerentur, scilicet subsistere, ratiocinari, et individuum esse. Subsistit enim homo in partibus suis, ex quibus componitur; sed Angelus in natura sua simplici nullo indigens partium vel materiae fundamento. Ratiocinatur homo discurrendo et inquirendo lumine intellectuali per continuum et tempus obumbrato, ex hoc quod cognitionem a sensu et imagine accipit: quia, secundum Isaac in Lib. de Definit., ratio oritur in umbra intelligentiae; sed Angelus lumen intellectuale purum et impermixtum participat; unde etiam sine inquisitione deiformiter intelligit, secundum Dionysium. Similiter incommunicabilitas est in homine ex hoc quod natura sua receptibilis in materiae fundamento per materiam determinatur; sed in Angelo in se determinata est ex hoc quod in aliquo sicut forma determinabilis recipi non potest; et ex hoc ipso satis incommunicabilis est, et non per determinationem recipientis: sicut et divinum esse est proprium et determinatum non per additionem alicujus contrahentis, sed per negationem omnis additi; unde dicitur in Lib. de causis, quod individuatio sua est bonitas pura. Quare patet quod multo nobilior est personalitas in Angelo quam in homine, sicut et cetera quae eis conveniunt, secundum Dionysium.

Réponse. La personnalité existe chez l’ange, mais d’une autre manière que chez l’homme. Cela ressort si on examine les trois choses qui font partie de la raison de personne, c’est-à-dire subsister, raisonner et être individuel. En effet, l’homme subsiste dans ses parties, dont il est composé ; mais l’ange, dans sa nature simple, qui n’a besoin d’aucun fondement de parties ou de matière. L’homme raisonne en discourant et en recherchant par la lumière intellectuelle assombrie par ce qui est continu et par le temps, du fait qu’il reçoit sa connaissance du sens et de l’imagination, car, selon Isaac, dans le livre Sur les définitions, «°la raisone se lève dans l’ombre de l’intelligence°»; mais l’ange participe à la lumière intellectuelle pure et sans mélange. Aussi intellige-t-il sans recherche, à la manière de Dieu, selon Denys. De même, l’incommunicabilité existe-t-elle chez l’homme du fait que sa nature, qui peut être reçue dans le fondement de la matière, est déterminée par la matière ; mais, chez l’ange, elle est déterminée en elle-même du fait qu’il ne peut être reçu par quelqu’un selon une forme susceptible d’être déterminée. Par le fait même, il est tout à fait incommunicable, et non par une détermination de la part de ce qui reçoit ; comme l’être divin est propre et déterminé, non par l’addition de quelque chose qui le limite, mais par la négation de tout ajout. Ainsi est-il dit, dans le livre Sur les causes, que son individuation pure bonté. Pour ces raisons, il ressort clairement que la personnalité est beaucoup noble chez l’ange que chez l’homme, comme les autres choses qu’ils ont en commun, selon Denys.

 

[3712] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod forma participabilis non individuatur nisi per materiam, in qua accipit esse determinatum; sed forma quae non est receptibilis, non indiget materia determinante, sed in sua natura determinatur ad esse quod sibi non ad materiam dependens acquiritur sicut formis corruptibilibus; nec in materia etsi non ad materiam dependens, sicut animae rationali.

1. Une forme susceptible de participation n’est individuée que par la matière, par laquelle elle reçoit un être déterminé ; mais une forme qui ne peut être reçue n’a pas besoin d’une matière qui la détermine, mais elle est déterminée par sa nature à l’être qui ne lui vient pas d’une dépendance par rapport à la matière, comme c’est le cas pour les formes corruptibles, ni par le fait qu’elle existe dans la matière, même si elle ne dépend pas de la matière, comme c’est le cas de l’âme raisonnable.

 

[3713] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 ad 2 Et per hoc etiam patet responsio ad secundum; quia forma rationem universalitatis habet ex hoc quod in pluribus est receptibilis.

2. La réponse au deuxième argument ressort aussi de cela, car la forme possède une raison d’universalité du fait qu’elle peut être reçue par plusieurs.

 

[3714] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod forma quae est recepta in intellectu, potest dupliciter considerari: vel per comparationem ad rem cujus est similitudo; et sic habet universalitatem: non enim est similitudo hominis secundum conditiones individuantes, sed secundum naturam communem: vel per comparationem ad intellectum in quo habet esse, et sic est quid individuatum, quemadmodum intellectus; et alia numero species intellecta hominis est in intellectu Socratis, et alia in intellectu Platonis; unde non oportet intellectum non esse quid determinatum et subsistens.

3. La forme qui est reçue dans l’intelligence peut être envisagée de deux manières : soit par comparaison avec la chose dont elle est une similitude, et ainsi elle possède une universalité, puisqu’elle n’est pas une similitude d’un homme selon ses conditions individuantes, mais selon une nature commune ; soit par comparaison à l’intelligence dans laquelle elle existe, et ainsi elle est quelque chose d’individué, comme l’intelligence. Et l’espèce de l’homme intelligée par l’intelligence de Socrate est autre que celle qui est intelligée dans l’intelligence de Platon. Il n’est donc pas nécessaire que ce qui est intelligé ne soit pas quelque chose de déterminé et de subsistant.

 

[3715] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod rationale, secundum Dionysium, est in Angelis et in Deo eminenter, secundum quem modum ipse intellectus divinus et angelicus ratio nominatur.

4. Selon Denys, ce qui est raisonnable existe chez les anges et chez Dieu de manière éminente, de la manière même dont on parle de l’intelligence divine et de l’intelligence angélique.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3716] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 tit. Utrum in Angelis possit esse numerus

Article 3 – Le nombre peut-il exister chez les anges ?

 

[3717] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in Angelis non possit esse numerus. Numerus enim quantitas est. Sed quantitatis subjectum est materia. Cum ergo in Angelis non sit materia, ut dictum est, videtur quod nec numerus.

1. Il semble qu’il ne puisse exister de nombre chez les anges. En effet, le nombre est une quantité. Or, le sujet de la quantité est la matière. Puisque, chez les anges, il n’existe pas de matière, ainsi qu’on l’a dit, il semble donc qu’il n’existe pas non plus de nombre.

 

[3718] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, secundum philosophos, in his quae sunt sine materia, non potest esse numerus, nisi secundum causam et causatum. Sed unus Angelus non est causa alterius. Ergo si sunt sine materia, nullus numerus in eis esse potest.

2. Selon les philosophes, il ne peut exister de nombre chez ce qui est sans matière, si ce n’est selon la cause et ce qui est causé. Or, un ange n’est pas la cause d’un autre. S’ils sont sans matière, il ne peut donc y avoir de nombre chez eux.

 

[3719] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, quanto aliquid est propinquius uni simplici, tanto minus dividitur. Sed inter omnes creaturas natura angelica Deo est propinquior, secundum Augustinum, qui dicit in Lib. Conf.: duo fecisti, domine: unum prope te, scilicet Angelum: alterum prope nihil, scilicet materiam. Ergo videtur quod vel non sit in eis numerus aliquis, vel sit paucissimus.

3. Plus quelque chose est proche de ce qui est simple, moins il se divise. Or, parmi toutes les créatures, la nature angélique est la plus proche de Dieu, selon Augustin, qui dit dans le livre des Confessions : « Tu as créé deux choses, Seigneur : l’une proche de toi, l’ange, l’autre proche du néant, la matière. » Il semble donc qu’il n’existe aucun nombre chez eux ou qu’il soit très petit.

 

[3720] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, cum partes universi sint ordinatae invicem juvantes se mutuo, illud ex quo non provenit utilitas in partibus universi, videtur esse frustra vel vanum, et sic omnino non esse. Sed spiritualis substantia non juvat ad corporalem nisi movendo ipsam. Ergo videtur quod non sunt plures substantiae separatae nisi quibus expletur motus corporalis creaturae: et ita videtur quod numerus Angelorum sit accipiendus secundum numerum motuum caeli, vel etiam ipsorum mobilium. Ergo videtur quod numerus Angelorum determinatus possit esse nobis.

4. Puisque les parties de l’univers sont ordonnées entre elles pour s’aider mutuellement, ce qui n’estd d’aucune utilité pour les parties de l’univers semble être inutile et vain, et ainsi ne pas exister du tout. Or, la substance spirituelle n’aide la substance corporelle qu’en la mouvant. Il semble donc qu’il n’existe plusieurs substances séparées que celles par lesquelles s’accomplit le mouvement corporel de la créature. Et ainsi, il semble que le nombre des anges doit être conçu selon le nombre des mouvements du ciel ou même des objets mobiles eux-mêmes. Il semble donc que le nombre des anges puisse être déterminé pour nous.

 

[3721] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, de Angelis, secundum Dionysium nihil scire possumus, nisi ea quae nobis in sacra Scriptura traduntur. Sed Danielis 7, 10, dicitur: millia millium ministrabant ei, et decies millies centena millia assistebant ei. Ergo videtur quod numerus eorum sit nobis determinatus.

5. Selon Denys, nous ne pouvons rien savoir des anges que ce qui nous est enseigné par l’Écriture. Or, il est dit en Dn 7, 10 : Des milliers de milliers le servaient, et des dizaines de milliers et des centaines de milliers l’entouraient. Il semble donc que leur nombre soit déterminé pour nous.

 

[3722] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Hieronymus dicit, quod unaquaeque anima habet Angelum bonum ad custodiam et malum ad exercitium sibi deputatum. Sed numerus hominum in mundo simul viventium est nobis indeterminatus. Ergo et numerus Angelorum custodum, qui sunt unius ordinis, et multo fortius numerus omnium Angelorum.

Cependant, [1] Jérôme dit que chaque âme a un ange bon qui le garde et qui combat le mal pour lui. Or, le nombre des hommes qui vivent simultanément dans le monde est indéterminé pour nous. Le nombre des anges gardiens l’est donc aussi, eux qui font partie d’un seul ordre, et, à plus forte raison, le nombre de tous les anges.

 

[3723] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Job 25, 3, dicitur: numquid est numerus militum ejus? Milites autem ejus sunt Angeli, ut habetur Luc. 2, 13: facta est cum Angelo multitudo militiae caelestis. Ergo videtur quod numerus eorum non sit nobis determinatus.

[2] Il est dit en Jb 25, 3 : Ses soldats se comptent-ils ? Or, ses soldats sont les anges, comme on le lit dans Lc 2, 13 : Une multitude de l’armée céleste apparut avec l’ange. Il semble donc que leur nombre ne soit pas déterminé pour nous.

 

[3724] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod ratio humana deficit a cognitione substantiarum separatarum, quae tamen sunt notissima naturae, ad quae intellectus noster se habet sicut oculus noctuae ad lumen solis, ut dicitur in 2 Metaphys.; et ideo dicitur in 11 de animalibus, quod de eis valde pauca scire possumus per rationem; quamvis illud quod de eis est scitum est valde delectabile et amatum. Et ideo philosophi de illis nihil quasi demonstrative, et pauca probabiliter dixerunt: et hoc ostendit eorum diversitas in ponendo numerum Angelorum. Quidam enim posuerunt numerum substantiarum separatarum secundum numerum motuum caeli, sicut Aristoteles in 12 Metaphys. Quidam secundum numerum sphaerarum, ut Avicenna in sua Metaphysic. Quidam autem negaverunt omnino aliquid esse incorporeum, sicut Empedocles et Democritus, et Sadducaei Judaeorum. Quidam etiam posuerunt unum tantum esse Angelum, qui diversa sortitur vocabula secundum diversos actus, sicut quidam haeretici. Quidam vero posuit Angelos non in determinato numero nobis; sed tantum per Angelos significari dicit in Scripturis omnem virtutem vel corporalem vel spiritualem per quam Deus ordinem suae providentiae explet, quasi divinae voluntatis nuntium; adeo quod vim concupiscibilem nominat Angelum concupiscentiae: sed substantias separatas dicit esse secundum numerum quem philosophi posuerunt; et iste est Rabbi Moyses. Fides autem Catholica tenet numerum substantiarum separatarum, quas Angelos dicimus, esse numerum Deo finitum, sed nobis infinitum. Unde Gregorius dicit in Glossa Danielis 7, quod excedit omnem materialem multitudinem, ut Dionysius dicit, 14 cap. Cael. Hierar. Et hoc satis est probabile. Videmus enim illa corpora quae nobilius divinam bonitatem participant, scilicet caelestia, excedere quasi sine proportione corpora generabilia et corruptibilia. Et hoc est, quia productionis creaturarum causa est divina bonitas quam rebus communicare voluit; unde videtur quod naturas spirituales, in quibus maxime sua bonitas relucet, creavit in numero quasi improportionabiliter excrescente numerum naturarum corporalium. Qualiter autem distinguantur ad invicem, accipere possumus ex verbis Commentatoris in 3 de anima, ubi dicit, quod si natura intellectus possibilis esset nobis ignota, non possemus assignare numerum substantiarum separatarum. Unde dico, quod secundum gradum possibilitatis permixtae in natura angelica est eorum distinctio. Dictum est enim supra, quod ipsa natura vel quidditas Angeli est possibilis respectu esse quod a Deo habet. Invenitur enim natura cui possibilitas admiscetur plus et plus distans ab actu, secundum quod recedit a similitudine divinae naturae, quae est actus tantum. Illa ergo quidditas est actus completus praeter quam non est suum esse, scilicet natura divina: et ista quidditas simplex quae est propinquior per similitudinem ad divinum esse, minus habet de potentia et plus de actu, et est Deo vicinior, et perfectior: et sic deinceps, quousque veniatur ad illam naturam quae est in ultimo gradu possibilitatis in substantiis spiritualibus; adeo quod non acquiritur sibi esse nisi in altero, quamvis esse suum ad illud non dependeat; scilicet intellectus humanus, qui, secundum Commentatorem, est ultimus in ordine naturarum intellectualium, sicut materia prima in ordine corporalium.

Réponse. La raison humaine est incapable de connaître les substances séparées, qui sont cependant les réalités les plus connues de la nature, par rapport auxquelles notre intellect est comme l’œil du hibou par rapport à lumière du soleil, ainsi qu’on le dit dans Métaphysique, II. Aussi est-il dit, Sur les animaux, XI, que, par la raison, nous pouvons connaître très peu de choses à leur sujet, bien que ce qui est connu d’elles soit très agréable et aimé. C’est pourquoi les philosophes n’ont presque rien dit d’elles de manière démonstrative, et peu de choses de manière probable ; leurs divergences à propos du nombre des anges le montre bien. En effet, certains ont affirmé que le nombre des substances séparées correspondait au nombre des mouvements du ciel, tel Aristote dans Métaphysique, XII. Certains, au nombre des sphères, tel Avicenne dans sa Métaphysique. Mais certains ont tout simplement nié qu’il existe quelque chose d’incorporel, comme Empédocle et Démocrite, et les Sadducéens chez les Juifs. Certains ont aussi affirmé qu’il n’existe qu’un seul ange qui porte divers noms selon ses différents actes, tels certains hérétiques. Mais un autre a affirmé que les anges n’existent pas en nombre déterminé pour nous, mais il dit qu’est signifiée par les anges dans l’Écriture toute puissance corporelle ou spirituelle par laquelle Dieu réalise l’ordre de sa providence, en tant que messagère de la volonté divine. Ainsi, il nomme la puissance concupiscible ange de la concupiscence ; mais il dit que les substances séparées existent selon le nombre affirmé par les philosophes. Il s’agit de rabbi Moîse. Mais la foi catholique soutient que le nombre des substances séparées, que nous appelons anges, est un nombre fini pour Dieu, mais infini pour nous. Aussi Grégoire dit-il, dans une glose sur Dn 7, que [le nombre des substances séparées] dépasse toute multitude matérielle, comme le dit Denys, dans La hiérarchie céleste, XIV. Et cela est assez probable. En effet, nous voyons que les corps qui participent le plus noblement à la bonté divine, les corps célestes, dépassent pour ainsi dire sans proportion les corps sujets à la génération et à la corruption. Cela vient de ce que la cause de la production des créatures est la bonté divine que [Dieu] a voulu communiquer aux choses. Il semble donc qu’il a créé les natures spirituelles, dans lesquelles sa bonté brille au plus haut point, en un nombre qui dépasse de manière pour ainsi dire sans proportion le nombre des natures corporelles. Mais comment ils se distinguent les uns des autres, nous pouvons le saisir par les paroles du Commentateur, dans Sur l’âme, III, où il dit que si la nature de l’intellect possible nous était inconnue, nous ne pourrions attribuer un nombre aux substances séparées. Je dis donc qu’ils se distinguent selon le degré de puissance mêlée à la nature angélique. En effet, on a dit plus haut que la nature même ou la quiddité de l’ange est en puissance par rapport à l’être qu’il tient de Dieu. En effet, on trouve une nature à laquelle la puissance est davantage mêlée et davantage éloignée de l’acte, selon qu’il s’écarte de la similitude avec la nature divine, qui est acte seulement. Cette quiddité, la nature divine, est donc un acte complet en dehors duquel son être n’existe pas. Et la quiddité simple, qui se rapproche davantage d’une similitude par rapport à l’être de Dieu, comporte moins de puissance et davantage d’acte, et elle est plus proche de Dieu et plus parfaite. Et il en va ainsi, jusqu’à ce qu’on parvienne à la nature qui se trouve au dernier degré de puissance chez les substances spirituelles, au point où elle ne reçoit l’être que dans quelque chose d’autre, bien que son être n’en dépende pas, à savoir, l’intellect humain, qui, selon le Commentateur, est le dernier degré des natures intellectuelles, comme la matière première dans l’ordre des natures corporelles.

 

[3725] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in primo libro dictum est, unum dicitur dupliciter. Uno modo secundum quod convertitur cum ente, quod non determinatur ad aliquod genus, et similiter nec multitudo sequens ad tale unum; et talis multitudo ponitur in Angelis, quae non sequitur divisionem quantitatis vel materiae, sed distinctionem naturarum. Alio modo dicitur unum quod est principium numeri, qui est discreta quantitas, causatus ex divisione materiae vel continui: et talis non est nisi in materialibus.

1. Comme on l’a dit dans le premier livre, on parle de quelque chose d’un de deux manières. D’une manière, selon que cela se convertit avec l’être, qui n’est pas déterminé à un genre, pas davantage que la multitude qui découle de ce quelque chose d’un ; et on affirme une telle multitude chez les anges, qui ne découle pas de la division de la quantité ou de la matière, mais de la distinction des natures. D’une autre manière, on parle d’un pour le principe du nombre, qui est une quantité discrète ; ce [nombre] est causé par la division de la matière ou de ce qui est continu. Cet un n’existe que pour les réalités matérielles.

 

[3726] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam secundum philosophos qui distinguunt numerum substantiarum separatarum per causam et causatum, causa et causatum non sunt per se distinguentia, sed secundum eos consequuntur ad principia distinctionis; cum enim distinctio sit, per se loquendo, per hoc quod est major vel minor compositio, et secundum distantiam potentiae et actus, secundum eos, sequitur quod illud quod est plus in actu, sit causa ejus quod est minus, secundum quem modum dicunt multitudinem ab uno primo simplici processisse; quem tamen modum dicit Commentator in 11 Metaphys., insufficienter probatum, et concedit ab uno primo simplici immediate potuisse plura procedere: ita et nos concedimus omnes naturas intellectuales immediate a Deo processisse distinctas secundum ordinem sapientiae disponentis diversos gradus naturarum spiritualium. Et ideo remoto quod infidelitatis est, scilicet ordine causalitatis ab Angelis, et retento quod fidei consonat, scilicet gradu simplicitatis, habebimus eumdem modum distinctionis quem ipsi habuerunt.

2. Même selon les philosophes qui distinguent le nombre des substances séparées par la cause et par ce qui est causé, la cause et ce qui est causé ne doivent pas être distingués par eux-mêmes, mais, selon eux, ils découlent des principes de la distinction. Puisque la distinction vient à proprement parler du fait qu’il y a une composition plus ou moins grande et selon la distance entre la puissance et l’acte, il en découle, selon eux, que ce qui est davantage en acte est la cause de ce qui l’est moins ; ils disent ainsi que la multitude vient d’une première [substance] simple. Mais le Commentateur dit, dans Métaphysique, XI, que ce mode est insuffisamment démontré et concède que plusieurs choses peuvent venir d’une première chose simple. De même, nous aussi concédons que toutes les natures intellectuelles viennent immédiatement de Dieu, distinctes selon l’ordre de la sagesse qui dispose les différents degrés des natures spirituelles. Ainsi, en enlevant ce qui relève de l’incroyance, à savoir, un ordre de causalité venant des anges, et en retenant ce qui s’accorde avec la foi, à savoir, le degré de simplicité, nous aurons le même mode de distinction qu’eux-mêmes avaient.

 

[3727] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex ratione illa probatur simplicitas angelicae naturae, et praecipue illius quae in ea suprema est; sed pluralitas gradus ab ea non tollitur. Praeterea non est loquendum de Angelis sicut de divina natura, specialiter cum plures Angeli non tantum numero, sed specie differant, ut dicetur.

3. Cet argument démontre la simplicité de la nature angélique, et surtout de celle qui est la plus élevée en elle ; mais il n’écarte pas la pluralité de degrés. De plus, il ne faut pas parler des anges comme de la nature divine, surtout que plusieurs anges diffèrent non seulement par le nombre, mais selon l’espèce, comme on le dira.

 

[3728] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angeli non sunt facti propter motum corporalium, quia nihil fit propter vilius se: unde si sunt aliquae substantiae non moventes, non sequitur quod sint superfluae. Nihilominus tamen dicendum, quod ex omnibus substantiis illis provenit aliqua utilitas per juvamentum in rebus corporalibus: quia inferiores Angeli in motu sphaerarum Deo ministrant, sicut a quibusdam dicitur, et probabile videtur, cum Gregorius dicat corporalem creaturam per spiritualem administrari. Illuminatio autem inferiorum Angelorum est a Deo per proximos et medios, ut dicit Dionysius, et ita omnes influentiam habent super motum corporalium, vel ad minus quantum ad custodiam hominum, quae pertinet ad ultimum ordinem.

4. Les anges n’ont pas été créés pour le mouvement, car rien n’est créé pour ce qui est moins digne que lui. Si donc il existe des substances qui ne meuvent pas, il n’en découle pas qu’elles sont superflues. Toutefois, il faut cependant dire qu’un certaine utilité vient de toutes ces substances du fait qu’elles aident les réalités corporelles, car les anges inférieurs s’occupent du mouvement des sphères, comme le disent certains et comme cela semble probable, puisque Grégoire dit que la créature spirituelle s’occupe de la créature corporelle. Mais l’illumination des anges inférieurs vient de Dieu par les anges proches et intermédiaires, comme le dit Denys, et ainsi tous exercent une influence sur le mouvement des réalités corporelles ou, au moins, sur la garde des hommes, qui se rapporte à l’ordre ultime.

 

[3729] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod verba ista aliter a Gregorio et a Dionysio exponuntur; et quantum ad aliquid eodem modo: in hoc enim conveniunt quod Angelorum numerus non est determinatus nobis; sed in hoc differunt, quia Dionysius vult, quod cum dicitur, millia millium, unum mille multiplicat aliud, ac si diceret, millesies mille; et sic aequalis numerus importatur, cum dicitur, millia millium primo, et decies centena millia secundo, quod habet una littera. Tantum enim est decies centum millia, quantum millies millia. Et secundum hoc datur intelligi quasi aequalis numerus ministrantium et assistentium. Vel secundum aliam litteram quae habet, millia millium ministrabant ei, et decies millies centena millia assistebant ei, datur intelligi, quod numerus assistentium excedit numerum ministrantium propter suam nobilitatem: quod consonat ei quod supra dictum est secundum intentionem Dionysii, quod scilicet nobiliores creaturae plures sunt. Unde dicit, quod in hoc verbo maximus numerus apud nos nomen proprium habens, scilicet mille, multiplicatur per omnes maximos numeros, scilicet limites nominatos, scilicet per seipsum, cum dicitur millia millium; per denarium cum dicitur, decies millies; per centenarium cum dicitur centena millia; in quo ostenditur maxima numerositas excedens nostrum intellectum. Sed Gregorius vult quod sit constructio partitiva cum dicitur millia millium, quasi diceret, millia de numero millium: unde vult quod datur intelligi major numerus ministrantium quam assistentium, per hoc quod ad administrantes ponitur numerus non determinatus, et ad assistentes determinatus.

5. Ces paroles sont interprétées de manière différente par Grégoire et par Denys et, sous un aspect, de la même manière. En effet, ils sont d’accord que le nombre des anges n’est pas déterminé pour nous ; mais ils divergent, car Denys veut que, lorsqu’on dit : …des milliers de milliers, un seul mille en multiplie un autre, comme si on disait : « mille fois mille ». Et ainsi, le même nombre est visé lorsqu’on dit d’abord : …des milliers de milliers, puis : …une dizaine de centaines de milliers, ce que dit une version. En effet, une dizaine de centaines de milliers est égal à mille milliers. En ce sens, on laisse entendre que le nombre de ceux qui assurent le service et de ceux qui entourent est le même. Ou, selon une autre version, qui dit : Des milliers de milliers le servaient, et des dizaines de milliers de centaines de milliers l’entouraient, on laisse entendre que le nombre de ceux qui entourent dépasse le nombre de ceux qui assurent le service en raison de leur noblesse, ce qui s’accorde à ce qui a été dit plus haut selon l’intention de Denys, à savoir que les créatures plus nobles sont plus nombreuses. Il dit donc que, par cette expression, le plus grand nombre qui possède un nom propre pour nous, à savoir, mille, est multiplié par tous les plus grands nombres, à savoir, les nombres les plus élevés qui portent un nom par soi, comme lorsqu’on dit : mille milliers, par la dizaine, lorsqu’on dit : dizaine de milliers, par la centaine, lorsqu’on dit : centaine de milliers. par cela, On montre ainsi le nombre le plus grand qui dépasse notre intelligence. Mais Grégoire veut qu’il s’agisse d’une construction partitive, lorsqu’on dit : milliers de milliers, comme si on disait : « des milliers parmi un nombre de milliers ». Il veut donc qu’on laisse entendre que le nombre de ceux qui assurent le service est plus grand que celui de ceux qui entourent, du fait qu’un nombre indéterminé est donné pour ceux qui assurent le service, et un nombre déterminé pour ceux qui entourent.

 

 

 

 

Articulus 4 [3730] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 tit. Utrum unius speciei sint plures Angeli

Article 4 – Existe-t-il plusieurs anges d’une seule espèce ?

 

[3731] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod sint plures Angeli unius speciei. Sicut enim Angelus est substantia simplex, ita et anima. Sed omnes animae rationales sunt unius speciei. Ergo et omnes Angeli.

1. Il semble qu’il existe plusieurs anges d’une seule espèce. En effet, de même que l’ange est une substance simple, de même aussi l’âme. Or, toutes les âmes raisonnables appartiennent à une même espèce. Donc, tous les anges aussi.

 

[3732] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, perfectio una secundum speciem est eorum quae in specie conveniunt. Sed omnes Angeli sunt perfectibiles una perfectione secundum speciem, quae est gratia vel gloria. Ergo videtur quod sint unius speciei.

2. Ce qui appartient à une seule espèce possède une perfection unique selon l’espèce. Or, tous les anges sont susceptibles d’une seule perfection selon l’espèce : la grâce ou la gloire. Il semble donc qu’ils soient d’une seule espèce.

 

[3733] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, divinae bonitatis, ut dictum est, proprium est nobiliora in entibus magis multiplicare, ut bonitas sua magis diffundatur. Sed in vilibus creaturis invenitur magna multitudo participantium unam speciem. Ergo videtur quod multo fortius hoc sit in Angelis.

3. C’est le propre de la bonté divine, comme on l’a dit, de multiplier plutôt les plus nobles parmi les êtres afin que sa bonté se répande davantage. Or, dans les créatures sans noblesse, on trouve un grand nombre de participants à une seule espèce. Il semble donc qu’à bien plus forte raison ce soit le cas pour les anges.

 

[3734] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, secundum Boetium, nullius rei sine consortio potest esse jucunda possessio. Sed in Angelis est maxima jucunditas, cum delectatio sit de ratione felicitatis, secundum philosophum in 1 Ethic. Ergo videtur quod in Angelis sit multorum consortium in una specie.

4. Selon Boèce, il ne peut exister de possession joyeuse d’une chose sans y être unie. Or, chez les anges, existe la joie la plus grande, puisque la délectation fait partie de la félicité, selon le Philosophe dans Éthique, I. Il semble donc que, chez les anges, existe l’union de plusieurs dans une espèce.

 

[3735] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, multiplicatio individuorum unius speciei non est nisi ad conservandum speciei perpetuitatem, quae in uno salvari non potest: unde in corporibus incorruptibilibus non est nisi unum individuum unius speciei, ut sol et luna. Sed Angelus est substantia incorruptibilis. Ergo non sunt plures Angeli unius speciei.

Cependant, [1] la multiplication des individus d’une seule espèce n’existe que pour conserver la perpétuité de l’espèce, qui ne peut être sauvegardée par un seul ; aussi, dans les corps incorruptibles, n’existe-t-il qu’un seul individu d’une seule espèce, comme le soleil et la lune. Or, l’ange est une substance incorruptible. Il n’existe donc pas plusieurs anges d’une seule espèce.

 

[3736] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Angelus est perfectior quolibet corpore. Sed aliquod corpus ad tantam perfectionem pervenit ut nihil suae naturae sit extra ipsum, ut patet in his quae constant ex tota materia suae speciei, ut patet in caelo, ut dicitur in 1 Cael. et Mund. Ergo videtur quod multo fortius extra unum Angelum non sit aliquid suae speciei.

[2] L’ange est plus parfait que n’importe quel corps. Or, un corps parvient à la perfection selon laquelle rien de sa nature n’existe en dehors de lui ; cela ressort dans ce qui est constitué de toute la matière de son espèce, comme c’est le cas du ciel, ainsi que le dit Sur le ciel et le monde, I. Il semble donc qu’à bien plus forte raison, en dehors d’un seul ange, n’existe rien de son espèce.

 

[3737] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt tres opiniones. Quidam enim dixerunt, quod omnes Angeli sunt unius speciei, adeo quod etiam Angelus et anima non differunt specie. Alii vero dicunt quod Angelus et anima differunt specie, et Angeli unius ordinis ab Angelis alterius ordinis; sed omnes qui sunt unius ordinis, sunt unius speciei. Alii vero dicunt, quod nullus Angelus est unius speciei cum alio: et haec opinio concordat cum dictis philosophorum, et etiam Dionysii, qui ponit in 10 cap. Cael. Hierarch., in eodem ordine esse primos, medios, et ultimos. Et huic necessarium est consentire, tum ex immaterialitate, tum etiam ex incorporeitate. Si enim immateriales ponuntur, cum nulla forma vel natura multiplicet numerum nisi in diversitate materiae, oportet quod forma simplex et immaterialis, non recepta in aliqua materia, sit una tantum: unde quidquid est extra eam, est alterius naturae, eo quod distet ab eo secundum formam, non secundum materiale principium, quod ibi nullum est. Talis autem diversitas causat differentiam in specie. Unde oportet quoslibet duos Angelos acceptos differre secundum speciem. Hoc etiam de necessitate sequitur si ex materia componantur, dummodo non ponantur corporea: quod sic patet. Quorumcumque materia secundum esse differre ponitur, oportet, si ista materia est ejusdem ordinis in utroque (sicut materia generabilium et corruptibilium est una) quod diversae formae secundum quas diversum esse accipit, recipiantur in diversis partibus materiae. Non enim una pars materiae, diversas formas oppositas et disparatas simul recipere potest. Sed impossibile est in materia intelligere diversas partes, nisi praeintelligatur in materia quantitas dimensiva ad minus interminata, per quam dividatur, ut dicit Commentator in libro de substantia orbis, et in 1 Physic., quia separata quantitate a substantia, remanet indivisibilis, ut in 1 Phys. philosophus dicit. Sed nulla forma recipitur in materia sub quantitate intellecta, nisi forma corporalis. Ergo impossibile est duos Angelos communicare in materia, vel in potentia unius ordinis. Sed omnis forma vel natura quae recipitur in diversis gradibus potentiarum, recipitur secundum prius et posterius secundum esse. Impossibile est autem naturam speciei communicari ab individuis per prius et posterius, nec secundum esse, nec secundum intentionem; quamvis hoc sit possibile in natura generis, ut dicitur in 3 Metaph. Ergo impossibile est duos Angelos, si sunt incorporei, esse unius speciei.

Réponse. À ce sujet, il y a trois opinions. En effet, certains ont dit que tous les anges appartiennent à une seule espèce, de sorte que l’ange et l’âme ne diffèrent pas selon l’espèce. Mais d’autres disent que l’ange et l’âme diffèrent selon l’espèce, et les anges d’un ordre, des anges d’un autre ordre ; mais tous ceux qui appartiennent à un seul ordre sont d’une seule espèce. D’autres disent encore qu’aucun ange n’est de la même espèce qu’un autre, et cette opinion s’accorde avec ce que disent les philosophes et aussi Denys, qui affirme, dans La hiérarchie céleste, X, que les premiers [anges], les [anges] intermédiaires et les derniers appartiennent au même ordre. Et il faut être d’accord avec celui-ci, tant en raison de l’immatérialité qu’en raison de l’incorporéité. En effet, si on affirme qu’ils sont immatériels, puisqu’aucune forme ou nature ne se multiplie en nombre que par la diversité de la matière, il est nécessaire qu’une forme simple et immatérielle, non reçue dans une matière, soit unique seulement. Aussi tout ce qui est en dehors d’elle appartient-il à une autre nature, du fait qu’elle s’en éloigne selon la forme, et non selon le principe matériel, qui n’y existe pas. Or, une telle diversité cause une différence selon l’espèce. Aussi est-il nécessaire que deux anges, quels qu’ils soient, diffèrent selon l’espèce. C’est aussi une conséquence nécessaire s’ils sont composés de matière, pourvu qu’on n’affirme pas qu’ils sont corporels. Cela se démontre de la manière suivante. Il est nécessaire d’affirmer que la matière de n’importe quelle chose diffère selon l’être, si cette matière est du même ordre dans deux choses (ainsi, la matière de choses susceptibles de génération et de corruption est une), de telle sorte que les diverses formes selon lesquelles elle reçoit l’être soient reçues dans les diverses parties de la matière. En effet, une seule partie de la matière ne peut recevoir en même temps diverses formes opposées et disparates. Or, il est impossible de concevoir diverses parties dans la matière, à moins de concevoir au préalable dans la matière une quantité dimensionnelle, tout au moins indéterminée, par laquelle elle est divisée, comme le dit le Commentateur dans Physique, I, car si l’on sépare la quantité de la substance, elle demeure indivisible, comme le dit le Philosophe dans Physique, I. Or, aucune forme n’est reçue dans la matière conçue comme quantifiée, sinon une forme corporelle. Il est donc impossible que deux anges aient en commun une matière ou une puissance du même ordre. Or, toute forme ou nature qui est reçue dans divers degrés de puissances est reçue selon un avant et un après dans l’être. Pourtant, il est impossible que la nature d’une espèce soit communiquée à des individus selon un avant et un après, ni selon l’être, ni selon l’intention, bien que cela soit possible pour la nature du genre, comme on le dit dans Métaphysique, III. Il est donc impossible que deux anges, s’ils sont incorporels, soient d’une seule espèce.

 

[3738] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis anima sit forma simplex, sicut et Angelus, tamen anima non recipit esse a Deo nisi in corpore: quia, secundum Augustinum, et infundendo creatur, et creando infunditur. Unde ex corpore recipit esse individuatum: quod quia non dependet ex corpore, remanet individuatio, etiam destructo corpore. Ideo Augustinus dicit, quod impossibilis est positio illorum haereticorum qui dicunt, plures animas ante corpus creatas fuisse. Sic autem non est in Angelo: et ideo non est ratio similis.

1. Bien que l’âme soit une forme simple, comme l’ange, l’âme ne reçoit cependant de Dieu l’être que dans un corps, car, selon Augustin, « elle est créée par infusion et elle est infusée par création ». Elle reçoit donc du corps un être individué ; parce que celui-ci ne dépend pas du corps, l’individuation demeure, même lorsque le corps est détruit. C’est pourquoi Augustin dit qu’est impossible la position des hérétiques qui disent que plusieurs âmes ont été créées avant le corps. Mais il n’en va pas de même chez l’ange. Le raisonnement n’est donc pas semblable.

 

[3739] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc tenet in perfectionibus quae sunt de natura rei, non autem in perfectionibus superadditis, quae non sequuntur ex principiis naturae, quales sunt gratia et gloria. Possunt enim etiam in corporibus diversa secundum speciem unum specie colorem habere.

2. Cela vaut pour les perfections qui font partie de la nature d’une chose, mais non pour les perfections ajoutées, qui ne découlent pas des principes de la nature, comme c’est le cas de la grâce et de la gloire. En effet, des choses diverses selon l’espèce dans les corps peuvent aussi avoir une seule couleur selon l’espèce.

 

[3740] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod perfectio universi essentialis non attenditur in individuis, quorum multiplicatio ordinatur ad perfectionem speciei, sed in speciebus per se. Unde magis apparet divina bonitas in hoc quod sunt multi Angeli diversarum specierum, quam si sint unius speciei tantum.

3. La perfection essentielle de l’univers ne se prend pas des individus, dont la multiplication est ordonnée à la perfection de l’espèce, mais des espèces en elles-mêmes. Aussi la bonté divine se manifeste-t-elle davantage dans le fait qu’il existe beaucoup d’anges d’espèces différentes, que s’ils étaient seulement d’une seule espèce.

 

[3741] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod delectatio, secundum philosophum in Ethicis, sequitur operationem perfectam: et ideo ad jucunditatem consortium exigitur in illa natura in qua non potest esse in uno perfecta operatio sine alterius adjutorio, ut in hominibus, in quibus unus per seipsum non sufficit ad operationem suae speciei: quod non potest in Angelis poni: et ideo hujusmodi objectio est vana. Non tamen negamus quin unus Angelus ab alio juvetur, cum inferiores per superiores illuminentur; et in hac societate est jucunditas civium caelestis curiae. Sed ad hoc non exigitur unitas speciei, sed conformitas gratiae.

4. Selon le Philosophe, dans Éthique, la délectation découle d’une opération parfaite. C’est pourquoi l’union est requise pour la joie dans la nature, où ne peut exister en une seule chose une opération parfaite sans l’aide d’une autre, comme chez les hommes, chez qui un seul ne suffit pas par lui-même à l’opération de son espèce, ce qui ne peut pas être affirmé des anges. C’est pourquoi cette objection est vaine. Nous ne nions cependant pas qu’un ange soit aidé par un autre, puisque les [anges] inférieurs sont illuminés par les [anges] supérieurs ; et les citoyens de la cour céleste trouvent la joie dans cette société. Cependant, l’unité d’espèce n’est pas exigée pour cela, mais une même forme de la grâce.

 

 

 

 

Articulus 5: [3742] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 tit. Utrum Angeli sint unius generis

Article 5 – Les anges appartiennent-ils à un seul genre ?

 

[3743] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Angeli non reducantur in unum genus. Quaecumque enim sunt unius generis, communicant in una potentia generis, ut dicitur in 10 Metaphysic.: sed Angeli non communicant in una potentia generis, quia immateriales sunt. Ergo videtur quod non sint unius generis.

1. Il semble que les anges ne se ramènent pas à un seul genre. En effet, tout ce qui appartient à un seul genre a en commun la seule puissance de ce genre, comme il est dit dans Métaphysique, X. Or, les anges n’ont pas en commun une seule puissance d’un genre, parce qu’ils sont immatériels. Il semble donc qu’ils n’appartiennent pas à un seul genre.

 

[3744] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, quaecumque exeunt ab aliquo communi, per divisionem exeunt ab illo, et prius erant in illo in potentia. Sed Angelus non exit de potentia in actum nisi sumatur potentia agentis; alias esset generabilis et corruptibilis: nec iterum est ponere aliquod unum secundum rem in plures Angelos divisum: hoc enim non posset esse, nisi illud unum esset quantum. Ergo non inveniuntur plures Angeli unius generis.

2. Tout ce qui provient de quelque chose de commun provient de cela par division, et auparavant cela y existait en puissance. Or, l’ange ne passe de la puissance à l’acte que si l’on envisage la puissance de l’agent, autrement il serait susceptible d’être engendré et corrompu. De plus, on ne peut affirmer quelque chose d’unique réellement divisé entre plusieurs anges : en effet, cela ne pourrait exister que si cette réalité unique était quelque chose de quantifié. On ne trouve donc pas plusieurs anges d’un seul genre.

 

[3745] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, omne genus univoce et aequaliter praedicatur de suis speciebus. Sed essentialia Angelorum quae consequuntur naturam communem in ipsis, inveniuntur in Angelis secundum magis et minus, ut in littera dicitur. Ergo videtur quod non sint unius generis.

3. Tout genre est prédiqué univoquement et également de ses espèces. Or, les attributs essentiels des anges, qui découlent d’une nature commune chez eux, se trouvent chez les anges selon le plus et le moins, comme il est dit dans le texte. Il semble donc qu’ils n’appartiennent pas à un seul genre.

 

[3746] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, quod differt ab alio in specie, si communicat cum eo genere, oportet esse compositum ex genere et differentia. Sed compositio generis et differentiae praesupponit compositionem formae et materiae, ut videtur: quia, secundum Avicennam, differentia sumitur ex principiis formalibus rei, genus autem ex materialibus: unde in 5 Metaph., dicuntur esse genere unum quae in materia conveniunt. Ergo videtur, cum Angelus non sit compositus ex materia et forma, et unus differat in specie ab alio Angelo, quod non possit etiam in genere convenire.

4. Ce qui diffère d’un autre selon l’espèce, s’il a le genre en commun avec lui, doit être composé du genre et d’une différence. Or, la composition de genre et de différence présuppose la composition de matière et de forme, semble-t-il, car, selon Avicenne, la différence se prend des principes formels d’une chose, mais le genre, des principes matériels ; aussi, dans Métaphysique, V, est-il dit que ce qui a la matière en commun est un par le genre. Puisque l’ange n’est pas composé de matière et de forme et qu’un ange diffère d’un autre selon l’espèce, il semble donc qu’ils ne puissent se rejoindre dans un genre.

 

[3747] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, genus substantiae est tantum genus unum. Sed quilibet Angelus est in genere substantiae. Ergo videtur quod in genere uno conveniant.

Cependant, [1] le genre de la substance est un genre unique. Or, chaque ange est dans le genre de la substance. Il semble donc que [les anges] se rejoignent dans un seul genre.

 

[3748] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, differentia addita generi constituit speciem. Sed incorporeum, secundum Porphyr., est differentia substantiae. Ergo substantia incorporea est species substantiae. Praedicatur autem de multis Angelis specie differentibus. Ergo est genus subalternum. Et ita in genere subalterno etiam Angeli conveniunt.

[2] La différence ajoutée au genre constitue l’espèce. Or, selon Porphyre, l’incorporel est la différence de la substance. La substance incorporelle est donc l’espèce d’une substance. Or, cela est prédiqué de plusieurs anges différents selon l’espèce. Il s’agit donc d’un genre subalterne. Et ainsi, les anges se rejoignent aussi dans un genre subalterne.

 

[3749] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod secundum Avicennam, omne id quod habet esse aliud a sua quidditate, oportet quod sit in genere; et ita oportet quod omnes Angeli ponantur in praedicamento substantiae. Haec est enim ratio substantiae, prout est praedicamentum, secundum Avicennam, quod sit res quidditatem habens, cui debeatur esse per se, non in alio, scilicet quod sit aliud a quidditate ipsa: et ideo ex ipsa possibilitate quidditatis trahitur ratio generis: ex complemento autem quidditatis trahitur ratio differentiae, secundum quod appropinquat ad esse in actu; sed hoc differenter contingit in substantiis compositis et simplicibus: quia in compositis possibilitas est ex parte materiae, sed complementum est ex parte formae; et ideo ex parte materiae sumitur genus, et ex parte formae differentia: non autem ita quod materia sit genus, aut forma differentia, cum utrumque sit pars, et neutrum praedicetur; sed quia materia est materia totius, non solum formae; et forma perfectio totius, non solum materiae; ideo totum potest assignari ex materia et forma et ex utroque. Nomen autem designans totum ex materia, est nomen generis; et nomen designans totum ex forma, est nomen differentiae; et nomen designans totum ex utroque, est nomen speciei: et hoc patet si consideretur quomodo corpus est genus animati corporis, et animatum differentia: semper enim invenitur genus sumptum ab eo quod materiale est, et differentia ab eo quod est formale: et inde est quod differentia determinat genus sicut forma materiam. In simplicibus autem naturis non sumitur genus et differentia ab aliquibus partibus, eo quod complementum in eis et possibilitas non fundatur super diversas partes quidditatis, sed super illud simplex: quod quidem habet possibilitatem secundum quod de se non habet esse, et complementum prout est quaedam similitudo divini esse, secundum hoc quod appropinquabilis est magis et minus ad participandum divinum esse; et ideo quot sunt gradus complementi, tot sunt differentiae specificae.

Réponse. Selon Avicenne, tout ce qui possède un acte d’être différent de sa quiddité doit se trouver dans un genre ; il est ainsi nécessaire que tous les anges soient situés dans le prédicament de la substance. En effet, selon Avicenne, la raison de substance, pour autant qu’elle est un prédicament, consiste en ce qu’elle soit une chose qui possède une quiddité, à laquelle est dû un acte d’être par soi, et non dans un autre, c’est-à-dire qu’il soit autre que la quiddité elle-même. C’est pourquoi la raison de genre est tirée de la puissance de la quiddité ; mais la raison de la différence est tirée de l’ajout à la quiddité, selon qu’elle s’approche de l’acte d’être en acte. Mais cela se produit différemment dans les substances composées et dans les substances simples, car, dans les substances composées, la puissance se prend du côté de la matière, mais l’ajout, du côté de la forme ; c’est pourquoi le genre se prend du côté de la matière, et la différence, du côté de la forme ; non pas que la matière soit le genre ou la forme, la différence, puisque les deux sont des parties et qu’aucun des deux n’est prédiqué, mais parce que la matière est la matière du tout, et non seulement de la matière. C’est pourquoi le tout peut être attribué selon la matière et la forme et selon les deux. Or, le nom qui désigne le tout selon la matière est le nom du genre ; le nom qui désigne le tout selon la forme est le nom de la différence ; et le nom qui désigne le tout selon les deux est le nom de l’espèce. Et cela ressort si l’on considère comment le corps est le genre du corps animé, et le fait d’être animé, la différence. En effet, le genre est toujours pris de ce qui est matériel, et la différence, de ce qui est formel ; de là vient que la différence détermine le genre comme la forme la matière. Or, dans les natures simples, le genre et la différence ne se prennent pas de certaines parties, du fait que le complément et la puissance chez elles ne se fondent pas sur des parties différentes de la quiddité, mais sur quelque chose de simple, qui est en puissance selon qu’il ne possède pas l’acte d’être par soi, et sur un complément, selon qu’il s’approche plus ou moins de la participation à l’acte d’être divin. Aussi, autant il existe de degrés du complément, autant il existe de différences spécifiques.

 

[3750] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non oportet quod conveniant nisi in una intentione potentiae, quae est possibilitas recipiendi esse a Deo, in quo subsistant sine quantitate et materia.

1. Il n’est pas nécessaire qu’ils aient en commun une seule intention de la puissance, qui est la possibilité de recevoir de Dieu l’acte d’être dans lequel ils subsistent sans quantité ni matière.

 

[3751] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 ad 2 Et per hoc patet responsio ad secundum: quia non oportet esse unam numero potentiam quae dividatur in omnes Angelos, vel in qua prius fuerint in potentia quam in actu.

2. La réponse au deuxième argument ressort ainsi clairement, car il n’est pas nécessaire qu’existe une seule puissance en nombre, divisée entre tous les anges, ou dans laquelle ils aient d’abord existé en puissance avant [d’exister] en acte.

 

[3752] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod genus praedicatur aequaliter de speciebus quantum ad intentionem, sed non semper quantum ad esse, sicut in figura et numero, ut in 3 Metaph. dicitur. Sed hoc in speciebus non contingit, ut ibidem dicitur: unde ex hoc sufficienter posset probari quod non sunt unius speciei, non autem quod non sunt unius generis, cum conveniant in genere, ad quod se habent omnes Angeli sicut diversae species numerorum se habent ad numerum, quarum una secundum esse est prior alia.

3. Le genre est prédiqué également des espèces pour ce qui est de l’intention, mais pas toujours pour ce qui est de l’être, comme c’est le cas pour la figure et le nombre, ainsi que le dit Métaphysique, III. Mais cela ne se produit pas dans les espèces, ainsi qu’on le dit au même endroit. Aussi pourrait-on suffisamment démontrer par là qu’ils ne sont pas d’une seule espèce, mais non qu’ils n’appartiennent pas à un seul genre, puisqu’ils se rejoignent dans le genre, avec lequel tous les anges entretiennent le même rapport que les diverses espèces de nombres par rapport au nombre, l’une étant antérieure à l’autre selon l’être.

 

[3753] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum patet responsio per ea quae dicta sunt.

4. La réponse ressort clairement de ce qui a été dit.

 

 

 

 

Articulus 6 : [3754] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 tit. Utrum Angelus et anima differant specie

Article 6 – L’ange et l’âme diffèrent-ils selon l’espèce ?

 

[3755] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod Angelus et anima specie non differant. Quaecumque enim conveniunt in ultima differentia constitutiva, sunt eadem specie, quia ipsa est quae complet rationem speciei. Sed Angelus et anima sunt hujusmodi. Ergo non differunt secundum speciem. Probatio minoris. Ultima differentia constitutiva sumitur ab eo quod nobilissimum in re est, cum se habeat ad genus et differentias praecedentes proportionabiliter sicut forma ad materiam. Sed Angelus et anima conveniunt in eo quod est nobilissimum in utroque, scilicet in intellectu. Ergo conveniunt in ultima differentia constitutiva.

1. Il semble que l’ange et l’âme ne diffèrent pas selon l’espèce. En effet, tout ce qui a en commun une différence ultime constitutive est de la même espèce, car c’est elle qui achève la raison de l’espèce. Or, l’ange et l’âme sont de cette sorte. Ils ne diffèrent donc pas selon l’espèce. Démonstration de la mineure. La différence ultime constitutive se prend de ce qui est le plus noble dans une chose, puisqu’elle a un rapport proportionnel avec le genre et les différences précédentes, comme la forme et la matière. Or, l’ange et l’âme se rejoignent dans ce qui est le plus noble chez les deux, l’intelligence. Ils se rejoignent donc dans la différence ultime constitutive.

 

[3756] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 arg. 2 Si diceres, quod ultima differentia constitutiva Angeli est intellectuale, quod ab intellectu sumitur, ultima autem differentia animae est rationale, sicut etiam Dionysius, videtur distinguere ordinem intellectualium et rationabilium: contra. Ea quae conveniunt communiter in duobus, non distinguunt inter ipsa. Sed intellectus non tantum ponitur in Angelis sed etiam in anima, ut patet in 3 de anima: similiter et ratio non tantum animae sed etiam Angelo convenit; unde Gregorius in Homil. Epiph. Angelum animal rationale vocat; et supra Magister creaturam rationalem in Angelum et animam distinxit. Ergo Angelus et anima non differunt penes rationale et intellectuale.

2. Si tu disais que la différence ultime de l’ange est quelque chose d’intellectuel, qui se prend de l’intelligence, mais que la différence ultime de l’âme était quelque chose de raisonnable, comme Denys semble aussi distinguer l’ordre des réalités intellectuelles et des réalités raisonnables, on objecterait que ce qui se rejoint en deux choses ne les distingue pas. Or, l’intelligence n’est pas reconnue seulement aux anges, mais aussi à l’âme ; de même, la raison ne convient pas seulement à l’âme, mais aussi à l’ange. Aussi, dans une homélie susr l’Épiphanie, Grégoire appelle-t-il l’ange un animal raisonnable ; et plus haut, le Maître a-t-il fait une distinction à l’intérieur de la créature raisonnable entre l’ange et l’âme. L’ange et l’âme ne diffèrent donc pas selon ce qui est raisonnsable et ce qui est intellectuel.

 

[3757] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 arg. 3 Si diceres, quod distinguitur penes unibile corpori et non unibile: contra. Quidquid consequitur rem habentem esse completum, non distinguit eam essentialiter a re alia: quia omnia hujusmodi quae sic consequuntur rem, sunt de genere accidentium. Sed unio ad corpus est quaedam relatio quae consequitur animam habentem in se esse completum ad corpus non dependens; alias sine corpore esse non posset. Ergo hoc quod est unibile corpori, non distinguit essentialiter vel secundum speciem animam ab Angelo.

3. Si tu disais qu’ils se distinguent selon ce qui est susceptible d’être uni à un corps et ce qui ne l’est pas, on objecterait que tout ce qui découle d’une réalité qui possède un être complet ne la distingue pas essentiellement d’une autre chose, car toutes les choses de ce genre, qui découlent ainsi d’une chose, font partie du genre des accidents. Or, l’union au corps est une relation qui découle de l’âme qui possède en elle-même un être complet qui ne dépend pas du corps, autrement elle ne pourrait exister sans corps. Ce qui est susceptible d’être uni à un corps ne distingue donc pas l’âme de l’ange essentiellement ou selon l’espèce.

 

[3758] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, differentia specifica non assignatur alicui rei nisi secundum quod est in genere ut species: quia differentia est qua abundat species a genere. Sed anima inquantum est forma talis corporis, non est in genere substantiae ut species, sed ut principium. Cum ergo unibilitas non conveniat animae nisi secundum quod est forma, videtur quod esse unibile non possit esse distinguens secundum speciem animam ab Angelo.

4. La différence spécifique n’est attribuée à une chose qu’en se situant dans un genre comme une espèce, car la différence est ce par quoi l’espèce déborde du genre. Or, l’âme en tant qu’elle est la forme de tel corps, ne se situe pas dans le genre de la substance en tant qu’espèce, mais en tant que principe. Puisque que la susceptibilité d’être unie [au corps] ne convient à l’âme que selon qu’elle est une forme, il semble donc que la susceptibilité d’être unie ne puisse établir une distinction selon l’espèce entre l’âme et l’ange.

 

[3759] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, ea quorum est unus finis, non differunt specie, cum cuilibet rei proprius finis respondeat. Sed idem est finis Angeli et animae rationalis; scilicet beatitudo aeterna, ut supra, distinct. 1, Magister dicit; quod etiam haberi ex eo potest quod dicitur Matth. 23, 30: erunt sicut Angeli Dei in caelo. Ergo Angelus et anima non differunt specie.

5. Les réalités qui ont une seule fin ne diffèrent pas selon l’espèce, puisqu’une fin propre correspond à chaque chose. Or, la fin de l’ange et de l’âme raisonnable est la même : la béatitude éternelle, comme le Maître dit plus haut, d. 1, que ce qui est dit en Mt 23, 30 : Ils seront comme des anges de Dieu dans le ciel, peut aussi s’entendre d’elle. L’ange et l’âme ne diffèrent donc pas selon l’espèce.

 

[3760] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra, plus differt anima ab Angelo, quam unus Angelus ab alio. Sed unus Angelus differt ab alio secundum speciem, ut dictum est. Ergo multo fortius anima ab Angelo.

Cependant, [1] l’âme diffère davantage de l’ange qu’un ange d’un autre. Or, un ange diffère d’un autre selon l’espèce, comme on l’a dit. À bien plus forte raison, l’âme [diffère-t-elle] d’un ange.

 

[3761] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, eidem formae vel perfectioni respondet idem perfectibile. Sed anima et Angelus sunt quaedam formae, prout communiter omnes substantias a materia separatas formas dicimus, quarum formae materiales sunt imagines, ut Boetius in Lib. 1 de Trinit. dicit. Cum ergo animae respondeat hoc perfectibile quod est corpus humanum, Angelo vero vel nullius vel alterius speciei, ut corpus aereum, secundum quod Augustinus videtur dicere, vel etiam corpus caeleste secundum opinionem Avicennae et quorumdam philosophorum; videtur quod anima et Angelus non sunt unius speciei.

[2] À une même forme ou perfection correspond une même réalité perfectible. Or, l’âme et l’ange sont des formes, pour autant que nous appelions formes toutes les substances séparées de la matière, dont les formes matérielles sont des images, comme le dit Boèce, dans le livre Sur la Trinité, I. Puisque correspond à l’âme cette réalité perfectible qu’est le corps humain, mais à l’ange, ce qui ne relève d’aucune ou d’une autre espèce, tel un corps aérien, selon ce que semble dire Augustin, ou un corps céleste, selon l’opinion d’Avicenne et de certains philosophes, il semble que l’âme et l’ange ne fassent pas partie d’une seule espèce.

 

[3762] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt tres opiniones. Quidam enim dicunt, quod anima non est in genere substantiae sicut species, sed sicut principium, cum sit forma; unde non proprie dicitur anima specie differre vel convenire cum alia substantia; sed proprie dicitur, quod secundum animam compositum ab alia vel cum alia substantia convenit specie vel differt. Sed hoc non videtur esse necessarium: quia, ut Avicenna dicit in sua Metaph., ad hoc quod aliquid sit proprie in genere substantiae requiritur quod sit res quidditatem habens, cui debeatur esse absolutum, ut per se esse dicatur vel subsistens: et ideo duobus modis potest contingere quod aliquid ad substantiae genus pertinens, non sit in genere substantiae sicut species: vel quia res illa non habet quidditatem aliam nisi suum esse; et propter hoc Deus non est in genere substantiae sicut species, ut ipse Avicenna dicit: vel quia res illa non habet esse absolutum, ut ens per se dici possit; et propter hoc materia prima et formae materiales non sunt in genere substantiae sicut species, sed solum sicut principia. Anima autem rationalis habet esse absolutum, non dependens a materia; quod est aliud a sua quidditate, sicut etiam de Angelis dictum est: et ideo relinquitur quod sit in genere substantiae sicut species, et etiam sicut principium, inquantum est forma hujus corporis: et inde venit ista distinctio, quod formarum quaedam sunt formae materiales, quae non sunt species substantiae; quaedam vero sunt formae et substantiae, sicut animae rationales. Secunda opinio est eorum qui dicunt, animam et Angelum unius speciei esse: quod nullo modo potest esse, si ab anima et Angelo compositio formae et materiae removeatur, ut supra de Angelis dictum est. Et ideo tertia opinio communior est, cui assentiendum videtur, quod anima et Angelus specie differunt. Quibus autem differentiis specificis distinguantur, diversimode assignatur. Quidam enim assignant eas specie distingui, per hoc quod est unibile corpori et non unibile. Alii vero per hoc quod est rationale et intellectuale esse. Tertio secundum hoc quod est habere intellectum possibilem respectu superiorum tantum; quod convenit Angelo; qui a superiori, scilicet Deo vel Angelo, illuminationem recipit: et secundum hoc quod est habere intellectum possibilem respectu superiorum et inferiorum, quod convenit animae humanae, quae etiam a superioribus illuminatur, et a phantasmatibus cognitionem recipit. Quarto secundum hoc quod est habere vertibilitatem immutabilem, quod Angelo convenit, eo quod immutabiliter adhaereat bono vel malo ad quod se semel per electionem convertit; vel habere mutabilem vertibilitatem, quod homini convenit, qui de bono in malum converti potest, et e contrario. Quinto secundum virtutem interpretativam: quia, secundum Damascenum, Angelus interpretatur vel loquitur quibusdam nutibus et signis intellectualibus sine vocis expressione, ut infra patebit; homo autem loquitur voce expressa. Nec est mirum quod sic diversimode Angeli et animae differre assignantur: quia differentiae essentiales, quae ignotae et innominatae sunt, secundum philosophum designantur differentiis accidentalibus, quae ex essentialibus causantur, sicut causa designatur per suum effectum; sicut calidum et frigidum assignantur differentiae ignis et aquae. Unde possunt plures differentiae pro specificis assignari, secundum plures proprietates rerum differentium specie, ex essentialibus differentiis causatas; quarum tamen istae melius assignantur quae priores sunt, quasi essentialibus differentiis propinquiores. Cum ergo substantiarum simplicium, ut dictum est de Angelis, sit differentia in specie secundum gradum possibilitatis in eis, ex hoc anima rationalis ab Angelis differt, quia ultimum gradum in substantiis spiritualibus tenet, sicut materia prima in rebus sensibilibus, ut dicit Commentator in 3 de anima. Unde quia plurimum de possibilitate habet, esse suum est adeo propinquum rebus materialibus, ut corpus materiale illud possit participare, dum anima corpori unitur ad unum esse: et ideo consequuntur istae differentiae inter animam et Angelum, unibile, et non unibile, ex diverso gradu possibilitatis. Item ex eodem sequuntur aliae differentiae, rationale et intellectuale: quia ex hoc quod Angelus plus habet de actu quam anima, et minus habet de potentia, participat quasi in plena luce naturam intellectualem (unde intellectualis dicitur); anima vero quia extremum gradum in intellectualibus tenet, participat naturam intellectualem magis defective quasi obumbrata: et ideo dicitur rationalis, quia ratio, ut dicit Isaac oritur in umbra intelligentiae. Tertia vero distinctio sequitur ex prima et secunda: ex hoc enim quod anima corporis forma et actus est, procedunt ab essentia ejus quaedam potentiae organis affixae, ut sensus, et hujusmodi, ex quibus cognitionem intellectualem accipit, propter hoc quod rationalis est habens cognitionem decurrentem ab uno in aliud; et sic a sensibilibus in intelligibilia venit, et per hoc ab Angelo differt, qui non a sensibilibus discurrendo ad intelligibilia, cognitionem accipit. Quarta autem distinctio sequitur ex secunda: quia dicitur, quod per hoc quod Angelus intellectum deiformem habet, convertitur ad quodcumque immobiliter; per quod ab anima dicitur Angelus differre, quae non intellectu deiformi, sed per inquisitionem rationis cognitionem habet. Quinta etiam sequitur ex prima: quia propter hoc quod anima corpori unitur, potest vocem corporalem formare, non autem Angelus. Unde patet quod istarum distinctionum prima melior est, quia accipitur secundum esse animae, quod primum est; secunda autem et tertia accipiuntur penes virtutem cognoscitivam vel intellectivam tantum, sicut secunda, vel penes intellectivam simul et sensitivam, sicut tertia. Quarta autem accipitur penes virtutem appetitivam; quia electio ad appetitum pertinet, ut dicit philosophus in Ethicis, per quam anima mutabiliter convertitur. Unde cum appetitiva posterior sit cognitiva, haec minus valet quam praecedentes. Quinta accipitur penes virtutem motivam: formatio enim vocis est per motum corporalem membrorum. Motiva autem posterior est cognitiva et appetitiva; unde minus valet inter alias.

Réponse. À ce sujet, il y a trois opinions. En effet, certains disent que l’âme ne fait pas partie du genre de la substance comme l’espèce, mais comme un principe, puisqu’elle est une forme ; aussi ne parle-t-on pas au sens propre lorsqu’on dit que l’âme diffère ou rejoint une autre substance selon l’espèce ; mais on parle au sens propre lorsqu’on dit que le composé rejoint ou diffère d’une autre espèce selon l’âme. Mais cela ne semble pas être nécessaire, car, ainsi que le dit Avicenne dans sa Métaphysique, pour que quelque chose fasse partie du genre de la substance, il est nécessaire que ce soit une chose qui possède une quiddité, à laquelle est dû un être absolu, de sorte qu’on dise d’elle qu’elle existe par soi ou qu’elle est subsistante. Il peut donc arriver de deux manières que quelque chose qui relève du genre de la substance ne fasse pas partie du genre de la substance comme l’espèce. Soit cette chose ne possède pas d’autre quiddité que son acte d’être, et, pour cette raison, Dieu ne fait pas partie du genre de la substance comme l’espèce, comme Avicenne lui-même le dit. Soit cette chose ne possède pas un acte d’être absolu, de sorte qu’elle puisse être appelée un être par soi, et, pour cette raison, la matière première et les formes matérielles ne font pas partie du genre de la substance comme des espèces, mais comme des principes seulement. Or, l’âme raisonnable possède un acte d’être absolu, qui ne dépend pas de la matière, qui est différent de sa quiddité, comme on l’a dit aussi pour les anges. Il reste donc qu’elle fasse partie du genre de la substance comme une espèce, et aussi comme un principe, pour autant qu’elle est la forme de tel corps. De là vient la distinction selon laquelle, parmi les formes, certaines sont des formes matérielles, qui ne sont pas des espèces d’une substance, mais certaines sont des formes et des substances, comme les âmes raisonnables. La deuxième opinion est celle de ceux qui disent que l’âme et l’ange font partie d’une seule espèce, ce qui ne peut d’aucune manière être le cas, si on écarte de l’âme et de l’ange la composition de forme et de matière, comme on l’a dit plus haut à propos de l’ange. C’est pourquoi la troisième opinion est la plus commune et celle qu’il faut accepter : l’âme et l’ange diffèrent selon l’espèce. Mais par quelles différences spécifiques ils se distinguent, on le reconnaît de diverses manières. En effet, certains reconnaisssent qu’ils se distinguent selon l’espèce du fait de la possibilité ou de l’impossibilité de l’union à un corps. D’autres, du fait qu’ils ont un être raisonnable et intellectuel. Troisièmement, selon qu’ils possèdent un intellect possible par rapport à ce qui leur est supérieur seulement, ce qui convient à l’ange, qui reçoit l’illumination d’un supérieur, à savoir, Dieu ou un ange ; et selon le fait de posséder un intellect possible par rapport à ce qui est supérieur et inférieur, ce qui convient à l’âme humaine, qui est aussi illuminée par les réalités supérieures et reçoit des fantasmes la connaissance. Quatrièmement, selon qu’il peut se tourner de manière immuable, ce qui convient à l’ange, du fait qu’il adhère de manière immuable au bien ou au mal vers lequel il se tourne une seule fois par un choix ; ou selon qu’il peut se tourner de manière changeante, ce qui convient à l’homme, qui peut se tourner du bien vers le mal, et inversement. Cinquièmement, selon la capacité d’interprétation, car, selon [Jean] Damascène, l’ange interprète ou parle par certaines indications et signes intellectuels sans exprimer de parole, comme cela ressortira plus loin ; mais l’homme parle par la parole expresse. Et il n’est pas étonnant qu’on affirme des anges et des âmes qu’ils se distinguent ainsi de diverses manières, car les différences essentielles, qui sont inconnues et sans nom, sont, selon le Philosophe, désignées par des différences accidentelles, qui sont causées par les [différences] essentielles, comme la cause est désignée par son effet. Ainsi, le chaud et le froid sont donnés comme des différences du feu et de l’eau. Plusieurs différences peuvent donc être attribuées pour les [différences] spécifiques selon plusieurs propriétés de choses qui diffèrent selon l’espèce, et qui sont causées par les différences essentielles ; parmi elles, sont attribuées au mieux celles qui sont premières et, pour ainsi dire, plus rapprochées des différences essentielles. Puisque la différence entre les substances simples est, comme on l’a dit des anges, une différence selon l’espèce par le degré de puissance qu’elles ont, l’âme raisonnable diffère des anges par le fait qu’elle détient le dernier degré parmi les substances spirituelles, comme la matière première pour les réalités sensibles, ainsi que le dit le Commentateur dans Sur l’âme, III. Parce qu’elle possède davantage de potentialité, son être est à ce point proche des réalités matérielles, que le corps matériel peut y participer aussi longtemps que l’âme est unie au corps par un seul acte d’être. C’est pourquoi ces différences entre l’âme et l’ange en découlent : le fait de pouvoir ou non être uni, en raison du degré différent de puissance. De même, les autres différences : la rationalité et l’intellectualité, découlent-elles de la même chose, car, du fait que l’ange possède davantage d’acte que l’âme et possède moins de puissance, il participe à la nature intellectuelle pour ainsi dire par une pleine lumière (c’est la raison pour laquelle il est appelé intellectuel) ; mais l’âme, parce qu’elle occupe le dernier degré parmi les réalités intellectuelles, participe à la nature intellectuelle d’une manière plutôt déficiente et comme ombragée ; aussi est-elle appelée raisonnable, car, ainsi que le dit Isaac, « la raison se lève dans l’ombre de l’intelligence ». Mais la troisième distinction découle de la première et de la deuxième. En effet, parce que l’âme est la forme et l’acte du corps, certaines puissances reliées à des organes proviennent de son essence, comme le sens et celles de ce genre, à partir desquelles elle reçoit la connaissance intellectuelle ; c’est la raison pour laquelle [l’âme] raisonnable a une connaissance qui passe d’une chose à une autre. C’est ainsi qu’elle atteint ce qui est intelligible à partir des réalités sensibles. Elle diffère ainsi de l’ange, qui ne reçoit pas la connaissance en passant de ce qui est sensible à ce qui est intelligible. Mais la quatrième [différence] découle de la deuxième, car on dit que, parce que l’ange possède un intellect déiforme, il se tourne vers n’importe quoi d’une manière immobile. En cela, on dit que l’ange diffère de l’âme, qui possède la connaissance, non par un intellect déiforme, mais par une recherche de la raison. La cinquième [différence] découle aussi de la première, car, du fait que l’âme est unie au corps, elle peut formuler une parole corporelle, ce qui n’est pas le cas de l’ange. Il ressort donc ainsi clairement que la première de ces distinctions est meilleure, parce qu’elle se prend selon l’acte d’être de l’âme, qui est premier. Mais la deuxième et la troisième se prennent seulement de la puissance cognitive ou intellectuelle, comme la deuxième, ou, en même temps, de la [puissance] intellective et de la puissance sensible, comme la troisième. Mais la quatrième [différence] se prend de la puissance appétitive, car le choix relève de l’appétit, comme le dit le Philosophe dans l’Éthique ; par lui, l’âme se tourne de manière changeante. Puisque la [puissance] appétitive est postérieure à la [puissance] cognitive, cette [distinction] a donc moins de valeur que les précédentes. La cinquième [différence] se prend de la puissance motrice : en effet, la formation d’une parole se réalise par le mouvement de membres corporels. Or, la [puissance] motrice est postérieure aux [puissances] cognitive et appétitive ; elle a donc moins de valeur par rapport aux autres.

 

[3763] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod differentia non est nobilior genere, sicut natura una est nobilior altera, vel sicut forma una nobilior est alia: quia differentia nullam formam dicit, quae implicite in natura generis non contineatur, ut dicit Avicenna: genus enim non significat partem essentiae rei, sed totum. Sed dicitur genere nobilior, sicut determinatum indeterminato; et per hunc modum habere intellectum sic, est nobilius quam habere intellectum simpliciter; et habere sensum sic, quam habere sensum simpliciter: et ideo anima et Angelus non conveniunt in eo quod per modum istum est nobilissimum in eis; unde non oportet quod conveniant in differentia ultima specifica, et ita sint idem specie.

1. La différence n’est pas plus noble que le genre, comme une nature est plus noble qu’une autre, ou comme une forme est plus noble qu’une autre, car la différence n’exprime aucune forme qui ne soit contenue implicitement dans la nature du genre, comme le dit Avicenne. En effet, le genre ne signifie pas une partie de l’essence d’une chose, mais le tout. Mais on dit [de la différence] qu’elle est plus noble que le genre comme ce qui est déterminé par rapport à ce qui est indéterminé. Posséder ainsi l’intelligence est donc plus noble que posséder l’intelligence simplement; et posséder ainsi le sens, que posséder le sens simplement. C’est pourquoi l’âme et l’ange n’ont pas ainsi en commun ce qui est le plus noble en eux. Il n’est donc pas nécessaire qu’ils se rejoignent dans une différence ultime spécifique, et soient ainsi la même chose selon l’espèce.

 

[3764] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in homine est intellectus; non tamen propter hoc in ordine intellectualium proprie ponitur: quia illa substantia intellectualis dicitur cujus tota cognitio secundum intellectum est, quia omnia quae cognoscit, subito sine inquisitione sibi offeruntur: non autem ita est de cognitione animae, quia per inquisitionem et discursum rationis ad notitiam rei venit: et ideo rationalis dicitur, quia ejus cognitio secundum terminum tantum et secundum principium intellectualis est: secundum principium, quia prima principia sine inquisitione statim cognoscit (unde habitus principiorum indemonstrabilium intellectus dicitur): secundum terminum vero, quia inquisitio rationis ad intellectum rei terminatur; et ideo non habet intellectum ut naturam propriam, sed per quamdam participationem. Ratio autem et de Deo et de Angelis dicitur; tamen alio modo sumitur, secundum quod scilicet omnis cognitio immaterialis ratio potest dici, prout dividitur ratio contra sensum, et non contra intellectum.

2. L’intelligence existe chez l’homme ; cependant, il n’est pas pour autant situé à proprement parler dans l’ordre des réalités intellectuelles, car on appelle substance intellectuelle celle dont toute la connaissance se réalise selon l’intellect, puisque tout ce qu’elle connaît lui est offert d’un coup sans recherche. Mais il n’en va pas de même de la connaissance de l’âme, car elle parvient à la connaissance d’une chose par la recherche et la démarche de la raison. Elle est donc appelée raisonnable parce que sa connaissance n’est intellectuelle que dans son principe et dans son terme : dans son principe, parce qu’elle connaît les premiers principes sans recherche (c’est ainsi que l’habitus des principes indémontrables est appelé intelligence) ; mais, dans son terme, parce que la recherche de la raison aboutit à l’intelligence d’une chose. Elle ne possède donc pas l’intelligence comme sa nature propre, mais selon une certaine participation. Tooutefois, on parle de raison pour Dieu et pour les anges; mais on l’entend différemment, selon que toute connaissance immatérielle peut être appelée raison, pour autant que la raison s’oppose au sens, et non à l’intelligence.

 

[3765] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unibilitas non est propria differentia essentialis; sed est quaedam designatio essentialis differentiae per effectum, ut dictum est.

3. La capacité d’être unie n’est pas une différence essentielle, mais elle est une désignation de la différence essentielle en vertu de son effet, ainsi qu’on l’a dit.

 

[3766] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 ad 4 Et per hoc etiam patet responsio ad quartum; quia illud quod convenit animae inquantum est forma, est effectus differentiae essentialis.

4. Par cela, la réponse à la quatrième objection ressort clairement, car ce qui convient à l’âme en tant qu’elle est forme est un effet de la différence essentielle.

 

[3767] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ea quae differunt specie, differunt secundum finem proximum, qui est permanentia vel operatio rei, ut in 2 Cael. et mundi dicitur. Possunt tamen convenire in fine ultimo, et hujusmodi finis est beatitudo.

5. Les choses qui diffèrent selon l’espèce diffèrent selon la fin rapprochée, qui est la permanence ou l’opération de la chose, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, II. Elles peuvent cependant se rejoindre dans la fin ultime, et ce genre de fin est la béatitude.

 

 

 

 

Exposistio textus

Explication du texte

 

[3768] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 1 a. 6 expos. Et quatuor quidem Angelis videntur attributa. Videtur inconvenienter numerare: quia Dionysius attribuit tria Angelis, scilicet essentiam, virtutem et operationem; hic autem de operatione non fit mentio. Praeterea, in 11 Metaph. dicitur a Commentatore, quod substantiae separatae dividuntur in voluntatem et intellectum; et ita videtur quod duo tantum debeant esse attributa. Praeterea, liberum arbitrium est facultas rationis et voluntatis. Ergo videtur quod non debeat dividi contra tertium attributum. Item quaeritur de ratione numeri. Ad hoc dicendum, quod haec attributa accipiuntur secundum haec tria: substantia, species, et virtus, quae sic differunt. Res enim potest considerari secundum quod est principium alterius; et sic invenitur in re virtus, et secundum hoc attribuitur Angelis liberum arbitrium. Vel secundum quod est in se, et hoc dupliciter: vel quantum ad ipsam naturam subsistentem, vel quantum ad modum perfectionis ejus, secundum quam speciem sortitur; et sic est species, et tertium attributum, quod est naturae rationalitas, secundum quod ratio dicta est in Angelis esse. Si vero quantum ad ipsam naturam subsistentem, sic est substantia; et secundum hanc duo sumuntur secundum duplicem acceptionem ejus: scilicet prout dicitur quidditas rei, et sic sumitur primum attributum, scilicet essentiae simplicitas; vel secundum quod dicitur hypostasis, et sic sumitur secundum, scilicet personalitas. Ad primum ergo dicendum, quod operationis principium est ipsemet Angelus; et ideo non numeratur inter collata sibi a creatione. Ad secundum dicendum, quod ista duo sunt quasi duae potentiae ejus; unde reducitur ad ultimum attributum et ad tertium diversimode. Ad tertium dicendum, quod in tertio attributo ponitur ratio et voluntas non secundum quod sunt potentiae consequentes essentiam, sed ut per eas designatur species essentiae ex qua procedunt, sicut etiam rationale ponitur differentia hominis: sed ad quartum pertinent, secundum quod sunt potentiae. Differentem essentiae tenuitatem, et differentem sapientiae perspicacitatem, atque differentem arbitrii libertatem et habilitatem recte habuisse intelligitur. Quomodo hoc sit ex dictis patet: quia quanto quidditas est magis propinqua ad esse divinum, tanto minus habet de potentia, et ita est major simplicitas; et ita etiam cetera nobiliora erunt inquantum nobilius esse recipiunt. Qui tunc per naturalia bona aliis excellebant, ipsi etiam per munera gratiae aliis praeerant. Quantum ad illos qui ponunt Angelos in gratuitis creatos facile est rationem assignare: quia ad nihil aliud potuit gratia mensurari nisi ad capacitatem naturae. Si autem ponantur in gratia non creati, tunc, cum in naturalibus simul accipiendus sit conatus secundum quod naturalia dicimus etiam illa in quae per principia naturalia possumus, prout naturale contra gratuitum dividitur; probabile est etiam ut cujus natura est dignior, etiam conatus esset major in illud ad quod natura ordinabatur, cum non esset aliquid retardans, sicut in nobis, in quibus corpus quod corrumpitur, aggravat animam, Sapient. 9, 15. Et ideo quidquid sit de Angelis, certum est quod nobis non infunditur gratia secundum mensuram naturalium, sed magis secundum mensuram conatus.

 

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’ange était-il mauvais au commencement de sa création ?]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[3769] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 pr. Hic Magister inquirit, quales Angeli effecti sunt secundum culpam vel gratiam; et dividitur in partes duas: in prima ostendit quod Angeli non sunt facti mali in principio suae creationis; in secunda ostendit qua perfectione erant boni, ibi: hic inquiri solet quam sapientiam habuerunt. Prima in duas: in prima ponit quaestionem; in secunda prosequitur eam, secundum diversas opiniones, ibi: putaverunt enim quidam, Angelos qui ceciderunt creatos esse malos. Et circa hoc duo facit: primo ponit opinionem dicentium Angelos creatos esse malos; secundo ponit contrariam opinionem, ibi: aliis autem videtur omnes Angelos creatos esse bonos. Et circa hoc tria facit: primo ponitur opinio; secundo improbatio primae opinionis, et confirmatio hujus auctoritate et ratione, ibi: ad hoc confirmandum utuntur testimonio Augustini; tertio ponitur responsio ad auctoritates primae opinionis, ibi: Augustinus exterminans opinionem eorum qui Angelos creatos fuisse malos putant, auctoritate et ratione probat bonos fuisse creatos; et primo exponitur auctoritas Job; secundo auctoritas Evangelii, ibi: deinde qualiter verba domini quae supra posuit accipienda sint Augustinus aperit. Hic inquiri solet quam sapientiam habuerunt ante casum vel confirmationem. Hic ostenditur quam perfectionem habuerint Angeli in principio suae creationis, et primo quantum ad cognitionem, secundo quantum ad dilectionem, ibi: solet etiam quaeri, utrum aliquam Dei vel sui dilectionem invicem habuerint. Hic tria quaeruntur: 1 utrum Angelus in principio suae creationis malus fuerit; 2 de naturali cognitione Angelorum; 3 de dilectione eorum.

Ici, le Maître se demande ce que sont devenus les anges par la faute ou par la grâce. Il y a deux parties : dans la première, il montre que les anges n’ont pas été créés mauvais au commencement de leur création ; dans la seconde, il montre par quelle perfection ils étaient bons, à cet endroit : « Ici, on a coutume de se demander quelle sagesse ils possédaient. » La première partie se divise en deux : dans la première, il pose une question ; dans la seconde, il la poursuit selon diverses opinions, à cet endroit : « En effet, certains ont pensé que les anges qui sont tombés ont été créés mauvais. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il présente l’opinion de ceux qui disent que les anges ont été créés mauvais ; deuxièmement, il présente l’opinion contraire, à cet endroit : « Il semble à d’autres que tous les anges ont été créés bons. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, l’opinion est présentée. Deuxièmement, la réfutation de la première opinion et la confirmation de celle-ci par l’autorité et par la raison, à cet endroit : « Pour confirmer cela, ils recourent au témoignage d’Augustin. » Troisièmement, la réponse aux autorités en faveur de la première opinion est présentée, à cet endroit : « Augustin, en détruisant l’opinion de ceux qui pensent que les anges ont été créés mauvais, démontre par l’autorité et la raison qu’ils ont été créés bons. » En premier lieu, l’autorité de Job est présentée. En second lieu, l’autorité de l’évangile, à cet endroit : « Ensuite, Augustin montre comment doivent être comprises les paroles du Seigneur qu’il a présentées plus haut. ». « Ici, on a coutume de se demander quelle sagesse ils ont eue avant la chute ou la confirmation. ». Il est montré ici quelle perfection les anges ont eue au commencement de leur création : d’abord, quant à la connaissance et, en second lieu, quant à l’amour, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander s’ils ont eu un amour de Dieu ou un amour de soi [ou] des uns pour les autres. » Ici, trois questions sont posées : 1. L’ange était-il mauvais au commencement de sa création ? 2. Sur la connaissance naturelle des anges. 3. Sur leur amour.

 

 

 

 

Articulus 1 : [3770] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 tit. Utrum Angelus in principio suae creationis potuerit esse malus

Article 1 – L’ange pouvait-il être mauvais au commencement de sa créaton ?

 

[3771] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angelus in principio suae creationis malus esse potuit. Dicitur enim ad Rom. 9, 21: numquid non habet potestatem figulus ex eodem luto facere aliud vas in honorem, et aliud in contumeliam? Vasa quae in honorem Deus, sicut figulus, facit, sunt sancti, qui praeparantur in gloriam: vasa autem in contumeliam sunt peccatores praeparati ad poenam. Ergo potest Deus quosdam justos et quosdam peccatores creare: et sic potuit Angelus in principio creationis suae malus esse.

1. Il semble que l’ange pouvait être mauvais au commencement de sa création. En effet, il est dit dans Rm 9, 21 : Le potier n’a-t-il pas le pouvoir de fabriquer avec la même argile un vase de luxe et un vase de honte ? Les vases que Dieu réalise comme le potier pour l’honneur sont les saints, qui sont préparés pour la gloire ; mais les vases [que Dieu prépare] pour la honte sont les pécheurs, qui sont préparés pour la peine. Dieu peut donc faire de certains des justes et de certains des pécheurs, et ainsi l’ange pouvait être mauvais au commencement de sa création.

 

[3772] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, Isaiae 45 dicitur, quod Deus est faciens bonum, et creans malum. Sed primum malum inventum est in Angelo. Ergo videtur quod a Deo creatus sit malus.

2. En Is 45, il est dit que Dieu fait le bien et crée le mal. Or, le premier mal s’est trouvé chez l’ange. Il semble donc qu’il ait été créé mauvais par Dieu.

 

[3773] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum Augustinum, Angelus et homo, ad minus secundum animam, simul creati sunt. Sed homo factus est propter reparationem ruinae angelicae; non autem hoc esset, Angelo adhuc non ruente. Ergo videtur quod Angelus in principio creationis suae malus et ruens fuit.

3. Selon Augustin, l’ange et l’homme ont été créés en même temps, du moins pour ce qui est de l’âme. Or, l’homme a été créé en vue de réparer la chute de l’ange ; mais cela n’aurait pas été le cas si l’ange n’était pas tombé. Il semble donc que l’ange ait été mauvais et soit tombé dès le commencement de sa création.

 

[3774] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, in naturis corporalibus videmus quod statim ut res incipit esse, habet operationem suam. Unde idem est instans ad quod terminatur generatio ignis, et in quo incipit motus localis ejus. Sed voluntas Angeli est virtuosior quam natura corporalis. Ergo in principio creationis voluntas in operationem exire potuit. Sed per operationem suam, quae indivisibilis est, et ita in instanti compleri potuit, factus est malus. Ergo bene dicitur, quod in primo instanti suae creationis potuit esse malus.

4. Dans les natures corporelles, nous voyons que dès qu’une chose commence à exister, elle possède son opération. Aussi est-ce le même instant où la génération du feu se termine et où son mouvement local commence. Au commencement de la création, la volonté pouvait donc passer à l’acte. Or, [l’ange] a été rendu mauvais par son opération, qui est indivisible et pouvait ainsi s’achever dans l’instant. C’est donc à juste titre qu’on dit qu’il a pu être mauvais dès le premier instant de sa création.

 

[3775] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, si prius fuit bonus et postea malus, est signare ultimum instans in quo fuit bonus vel innocens, et primum in quo fuit malus. Aut est ergo unum et idem instans; et sic simul est bonus et malus: aut aliud et aliud; et sic cum inter quaelibet duo instantia sit unum tempus medium, in tempore isto neque erit bonus neque malus: quorum utrumque est impossibile. Ergo Angelus non est factus ex bono malus, sed in principio creationis suae fuit malus.

5. Si [l’ange] a d’abord été bon et ensuite mauvais, il faut marquer le dernier instant où il était bon ou innocent, et le premier où il a été mauvais. Soit il s’agit d’un seul et même instant, et ainsi il est en même temps bon et mauvais ; soit il s’agit de deux instants, et ainsi, puisqu’il existe un temps intermédiaire entre deux instants, quels qu’ils soient, il n’était ni bon ni mauvais pendant ce temps, deux choses qui sont impossibles. L’ange n’est donc pas devenu mauvais après avoir été bon, mais il était mauvais dès le commencement de sa création.

 

[3776] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Gen. 1, 31, dicitur: vidit Deus cuncta quae fecerat, et erant valde bona. Sed Angelum fecerat. Ergo in principio suae creationis bonus erat.

Cependant, [1] il est dit en Gn 1, 31 : Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et cela était très bon. Or, il avait créé l’ange. Celui-ci était donc bon au commencement de sa création.

 

[3777] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, dicitur, quod inferiores Angeli peccaverunt occasionem sumentes ex peccato primi. Sed hoc non potest esse, nisi primo viderint eum bonum. Ergo videtur, quod aliquando fuit bonum.

[2] On dit que les anges inférieurs ont péché en prenant occasion du péché du premier [ange]. Or, cela est impossible s’ils ne l’avaient d’abord vu bon. Il semble donc qu’il ait été bon à un certain moment.

 

[3778] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc fuit triplex positio. Quidam enim dixerunt, quod Angelus a Deo creatus est malus. Hoc autem haereticum est, et impossibile. Nullus enim effectus consequitur ab agente nisi secundum conditionem agentis. Dictum est autem supra, quod causa creationis rerum est quia Deus bonitatem suam rebus communicare voluit; unde impossibile est quod ab ipso fiat aliquid nisi secundum quod suae bonitatis particeps est; et hujusmodi est bonum, et non malum. Ideo alii dixerunt, quod Angelus, in principio suae creationis, malus fuit, non tamen malitiam a Deo habuit, sed actu propriae voluntatis. Haec autem positio vana et erronea est et falsa. Vana, quia non habet fundamentum firmum per quod probetur, cum malitia Angeli ex voluntate ejus dependeat; et ideo cum voluntas se habeat ad utrumlibet, ratio inveniri non potest. Erronea est, quia primae opinioni nimis vicina est et a magistris damnata. Falsa est, quia impossibile est Angelum in primo instanti suae creationis peccasse: cujus impossibilitatis haec a quibusdam causa assignatur: quia duarum operationum se consequentium non potest esse unus terminus: operatio autem Angeli consequitur creationem; unde non potest esse quod idem sit instans in quo primo est ens, quod est terminus creationis, et in quo primo est malus, quod est terminus operationis. Sed haec ratio non videtur cogens: quia cum operatio voluntatis Angeli non sit continua, non oportet quod ultimum ejus differat a principio: principium autem potest esse simul cum termino creationis; unde et terminus operationis potest esse simul cum termino creationis. Nec potest dici, quod oporteat actum voluntatis sequi apprehensionem intellectus, nisi ordine naturae: quia de eodem potest simul esse cognitio et voluntas. Nec iterum potest dici quod oportet collationem praecedere de appetendo: quia intellectus Angeli non est inquisitivus vel collativus. Et ideo aliter dicendum, quod cum voluntas non sit nisi boni, non potest esse aliquid volitum nisi apprehendatur ut bonum ad appetendum; quod si vere est bonum, non est peccatum in appetitu. Ergo oportet, si est peccatum, quod sit verisimiliter bonum, et non vere bonum. Sed, secundum Augustinum in libro contra Academicos, non potest aliquis judicare verisimile, nisi verum sit cognitum. Ergo oportet ut intellectus veri boni praecedat intellectum verisimilis boni; et ita appetitus aestimati boni quo malus fit Angelus, non potest sequi primum actum intellectus secundum quod considerat verum bonum, sed secundum quod considerat verisimile bonum. Unde cum impossibile sit intellectui creato simul plura intelligere, non potuit in primo instanti creationis appetitus Angeli esse malus.

Réponse. À ce sujet, il y a eu trois opinions. En effet, certains on dit que l’ange a été créé mauvais par Dieu. Or, cela est hérétique et impossible. En effet, aucun effet ne découle d’un agent que selon la condition de l’agent. Or, on a dit plus haut que la cause de la création des choses est que Dieu a voulu communiquer sa bonté aux choses. Il est donc impossible qu’une chose ait été créée par lui, à moins de participer à sa bonté ; c’est là quelque chose de bon, et non de mal. C’est pourquoi d’autres ont dit que l’ange, au commencement de sa création, était mauvais ; toutefois il n’a pas reçu de Dieu sa méchanceté, mais de l’acte de sa propre volonté. Or, cette position est futile, erronée et fausse. Futile, car elle ne possède pas d’appui solide pour sa démonstration, puisque la malice de l’ange dépend de sa volonté. Puisque la volonté peut se porter sur les deux choses, on ne peut donc en trouver la raison. Elle est erronée, car elle est trop proche de la première opinion et a été condamnée par les maîtres. Elle est fausse, car il est impossible que l’ange ait péché au premier instant de sa création. Certains donnent comme cause de cette impossibilité le fait qu’il ne peut exister un seul terme pour deux opérations qui se suivent. Or, l’opération de l’ange découle de la création. L’instant dans lequel il est d’abord un être, qui est le terme de la création, et dans lequel il est d’abord mauvais, qui est le terme de son opération, ne peut donc être le même. Mais ce raisonnement ne semble pas contraignant. En effet, comme l’opération de la volonté de l’ange n’est pas continue, il n’est pas nécessaire que son point ultime coïncide avec celui de la création. Aussi le terme de l’opération peut-il exister en même temps que le terme de la création. Et on ne peut pas dire qu’il est nécessaire que l’acte de la volonté suit la saisie par l’intellect, si ce n’est selon un ordre de nature, car la connaissance et la volonté peuvent porter sur une même chose. On ne peut pas non plus dire qu’une comparaison doit précéder le désir, car l’intellect de l’ange ne recherche pas et ne fait pas de comparaisons. Il faut donc dire autre chose : puisque la volonté ne porte que sur le bien, une chose ne peut être voulue que si elle est saisie comme un bien à désirer ; s’il s’agit d’un vrai bien, il n’y a pas de péché dans l’appétit. Il est donc nécessaire, s’il y a péché, qu’il s’agisse d’un bien apparent, et non d’un véritable bien. Or, selon Augustin, dans le livre Contre les académiciens, quelqu’un ne peut juger d’un [bien] apparent, que s’il connaît le [bien] véritable. Il est donc nécessaire que la saisie du bien véritable précède la saisie du bien apparent. Et ainsi, l’appétit de ce qui est estimé un bien, par lequel l’ange devient mauvais, ne peut-il découler du premier acte de l’intellect par lequel il considère le bien véritable, mais selon qu’il considère un bien apparent. Puisqu’il est impossible à l’intellect créé d’intelliger plusieurs choses en même temps, l’appétit de l’ange n’a donc pas pu être mauvais dès le premier instant de sa création.

 

[3779] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in vasis contumeliae non facit Deus malitiam, sed naturam; sed ordinat malitiam ad poenam; et iste ordo designatur cum dicitur: in contumeliam. Potest enim designari ordo vel poenae ad culpam, et hic ordo est a Deo; vel culpae ad naturam, et haec conjunctio non est a Deo. Unde in proposito tenetur consecutive, non causative.

1. Dans les vases honteux, Dieu ne fait pas la malice, mais la nature ; toutefois, il ordonne la malice à la peine. Cet ordre est indiqué lorsqu’il est dit : pour la honte. En effet, on peut indiquer soit l’ordre de la peine à la faute, et cet ordre vient de Dieu ; soit [l’ordre] de la faute à la nature, et cette association ne vient pas de Dieu. Aussi, dans ce qui est en cause, parle-t-on de manière consécutive, et non causative.

 

[3780] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc intelligitur de malo poenae, et non de malo culpae; et de hoc infra plenius agetur, dist. 37.

2. Cela s’entend du mal de peine, et non du mal de faute. On en traitera davantage plus loin, d. 37.

 

[3781] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam supposito quod homo simul cum Angelo creatus sit, non oportet quod Angelo existente malo, creatus sit homo: quia non est principalis finis creationis hominis, reparatio ruinae angelicae, sed quaedam utilitas consequens, ut supra dictum est. Et hanc utilitatem Deus praevidebat, in cujus praescientia eventus omnium rerum erant.

3. Même en supposant que l’homme a été créé en même temps que l’ange, il n’est pas nécessaire que, l’ange devenant mauvais, l’homme soit créé, car la réparation de la chute de l’ange n’est pas la fin principale de la création de l’homme, mais un bien qui en découle, comme on l’a dit plus haut. Et Dieu prévoyait ce bien, dans la prescience de qui l’apparition de toutes choses se trouvait.

 

[3782] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in instanti suae creationis aliquem actum voluntatis habere potuit; non tamen primus actus potuit esse malus sicut nec prima cognitio falsa.

4. [L’ange] a pu avoir un acte de volonté dans l’instant de sa création ; mais son premier acte ne pouvait pas être mauvais, comme sa première connaissance ne pouvait être fausse.

 

[3783] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod secundum quosdam, in eodem instanti Angelus fuit primo bonus, et post malus, et illud instans quamvis sit unum re, tamen differt ratione, secundum quod est finis praeteriti et principium futuri. Sed diversa ratio comparationis non tollit conjunctionem eorum quae sunt in uno instanti; unde sequeretur quod innocentia et malitia ejus conjungerentur, quod est impossibile. Ideo alii dicunt, quod in toto tempore praecedenti fuit bonus, sed in istius temporis ultimo instanti est malus: et sicut non est assignare immediatum instans ante aliud instans, ita nec ultimum instans in quo fuit bonus. Sed ista ratio bona est, prout inducitur a philosopho, in 8 Physic., tunc quando nunc continuat tempus quietis et motus, qui semper se tenet cum passione, quae inest subjecto mobili tempore quietis, sive praecedat quies sive sequatur. Sed si poneretur instans inter duas quietes, vel inter duas partes motus continui, non magis se tenet cum uno quam cum alio. Non autem dicimus hic quod Angelus per aliquem motum continuum factus sit malus; et ideo primum instans malitiae suae non est medium inter quietem et motum, sed inter duas quietes. Unde ratio ista non est ad propositum. Ideo aliter dicendum, quod est assignare ultimum instans in quo Angelus fuit bonus et primum in quo fuit malus, nec inter haec instantia fuit tempus medium, quia tempus formaliter est numerus, nec sequitur ipsum continuitas nisi ex parte motus. Unde cum vicissitudo affectionum in Angelo, per quas est bonus et malus, non sit continua, nec ordinata ad aliquem motum continuum; numerus earum dicetur tempus, quia secundum prius et posterius se habent; sed non erit continuum; unde inter ejus instantia non necessario accipietur tempus medium, sicut nec inter duas unitates numerus.

5. Selon certains, l’ange a été d’abord bon, puis mauvais dans le même instant ; et cet instant, bien qu’il soit en réalité le même, est cependant différent selon la raison, selon qu’il est la fin de ce qui est passé et le commencement de ce qui est à venir. Or, une raison différente de comparer n’enlève pas l’association de choses qui existent dans le même instant. Il en découlerait donc que son innocence et sa méchanceté seraient unies, ce qui est impossible. C’est pourquoi d’autres disent que, pendant tout le temps précédent, il était bon, mais, dans l’instant ultime de ce temps, il est mauvais ; et de même qu’on ne précise pas d’instant qui précède immédiatement un autre instant, de même [ne précise-t-on] pas l’instant ultime où il était bon. Or, ce raisonnement est bon, tel qu’il est invoqué par le Philosophe dans Physique, VIII, lorsque se continue maintenant le temps du repos et du mouvement, qui a toujours lieu avec une passion, qui existe chez le sujet mobile au temps du repos, que le repos précède ou suive. Mais si on situait l’instant entre deux repos ou entre deux parties d’un mouvement continu, il n’est pas davantage du côté de l’un que de l’autre. Or, nous ne disons pas ici que l’ange a été rendu mauvais par un mouvement continu ; c’est pourquoi le premier instant de sa malice n’est pas intermédiaire entre le repos et le mouvement, mais entre deux repos. Ce raisonnement porte donc à faux. Il faut donc dire autre chose. Il faut préciser un instant ultime où l’ange était bon et un premier où il était mauvais ; entre ces instants, il n’y a pas eu de temps intermédiaire, car le temps est, au sens formel, un nombre, et sa continuité ne découle que du mouvement. Puisque le changement des inclinations chez l’ange, par lesquelles il est bon et mauvais, n’est pas continu et n’est pas ordonné à un mouvement continu, on parlera pour elles de temps, parce qu’on y trouve antérieur et ultérieur ; mais il ne sera pas continu. Aussi, entre ses instants, on ne comprendra pas nécessairement un temps intermédiaire, pas davantage qu’un nombre entre deux unités.

 

 

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La connaissance de l’ange]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[3784] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 pr. Deinde quaeritur de cognitione Angelorum, et circa hoc quatuor quaeruntur: 1 utrum Angelus cognoscat per species; 2 utrum in superioribus sint species magis universales; 3 utrum per species istas, singularium cognitionem habere possint; 4 utrum possint simul plura intelligere.

On s’interroge ensuite sur la connaissance des anges. À ce propos, quatre questions sont posées : 1. L’ange connaît-il par des espèces [ou par son essence] ? 2. Y a-t-il chez les [anges] supérieurs des espèces plus universelles ? 3. Peuvent-ils avoir une connaissance des réalités singulières par ces espèces ? 4. Peuvent-ils intelliger plusieurs choses en même temps ?

 

 

 

 

Articulus 1 : [3785] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 tit. Utrum Angelus cognoscat res per suam essentiam

Article 1 – L’ange connaît-il les choses par son essence ?

 

[3786] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod Angelus per essentiam suam res cognoscat et non per species aliquas. Quia, secundum philosophum, anima est species specierum. Sed Angelus simplicior est anima et nobilior. Ergo essentia Angeli est similitudo vel species rerum. Sed res potest in similitudine sui cognosci. Ergo videtur quod Angelus intuendo essentiam suam, res cognoscat, et non per species aliquas.

1. Il semble que l’ange connaisse les choses par son essence, et non par des espèces. En effet, selon le Philosophe, l’âme est l’espèce des espèces. Or, l’ange est plus simple et plus noble que l’âme. L’essence de l’ange est donc une ressemblance ou une espèce des choses. Or, une chose peut être connue par sa ressemblance. Il semble donc que l’ange connaisse les choses en regardant son essence, et non par des espèces.

 

[3787] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, omnis species vel est causa rei, vel a re accepta. Sed species rerum in intellectu Angeli non possunt esse causatae a rebus, cum Angelus careat potentiis et organis, quibus fit abstractio a sensibilibus: nec iterum sunt causae rerum, cum Angeli non sint causatores. Ergo videtur quod Angeli per species non cognoscant.

2. Toute espèce est soit la cause d’une chose, soit reçue d’une chose. Or, les espèces des choses dans l’intellect de l’ange ne peuvent être causées par les choses, puisque font défaut à l’ange les puissances et les organes, par lesquels l’abstraction à partir des réalités sensibles se réalise ; elles ne peuvent être non plus causes des choses, puisque les anges ne sont pas des causes. Il semble donc que les anges ne connaissent pas par des espèces.

 

[3788] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum Dionysium, nobiliora in entibus sunt inferiorum exemplaria. Sed in exemplari res optime cognoscitur. Cum ergo Angeli inter res creatas sint nobilissimi, quasi Deo propinquiores, secundum Augustinum; videtur quod natura sua inspecta, alias res cognoscant.

3. Selon Denys, les réalités les plus nobles parmi les êtres sont des modèles des réalités inférieures. Or, une chose est connue au mieux par son modèle. Puisque les anges, étant plus proches de Dieu, selon Augustin, sont les plus nobles parmi les réalités créées, il semble donc qu’ils connaissent les autres choses en regardant leur nature.

 

[3789] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, intellectum et intellectus non differunt nisi quando utrumque eorum est in potentia, ut in 1 Lib. dictum est. Ergo omnis intellectus qui est semper in actu, non differt in eo intelligens et intellectum. Sed intellectus substantiae separatae videtur semper in actu esse, cum suum intelligere non sequatur transmutationem aliquam. Ergo videtur quod in ea non differat species intellecta et substantia intellectus; et ita non per species cognoscit.

4. Ce qui est intelligé et l’intellect ne diffèrent que dans la mesure où les deux sont en puissance, comme on l’a dit dans le livre I. Celui qui intellige et ce qui est intelligé ne diffèrent donc pas en tout intellect qui est toujours en acte. Or, l’intellect de la substance séparée semble être toujours en acte, puisque son acte d’intelliger ne découle pas d’un changement. Il semble donc qu’en elle, l’espèce intelligée et la substance de l’intellect ne diffèrent pas, et ainsi elle ne connaît pas par des espèces.

 

[3790] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit quod Angeli illuminantur per scibiles rerum rationes. Hae autem non sunt nisi species rerum intellectae. Ergo per species rerum cognitionem habent.

Cependant, [1] les anges sont illuminés par les raisons connaissables des choses. Or, celles-ci ne sont que les espèces des réalités intelligées. Ils connaissent donc par des espèces des choses.

 

[3791] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in Lib. de causis dicitur, quod omnis intelligentia est plena formis. Sed illa quae sunt in intelligentia, sunt in ea per modum intelligibilem, ut in eodem libro dicitur; quae autem sic sunt in ea, sunt in ea ad cognoscendum. Ergo videtur quod res per formas cognoscant.

[2] Dans le livre Sur les causes, il est dit que toute intelligence est pleine de formes. Or, ce qui se trouve dans l’intelligence s’y trouve selon un mode intelligible, comme le même livre le dit. Or, ce qui s’y trouve s’y trouve en vue de la connaissance. Il semble donc qu’ils connaissent les choses par des formes.

 

[3792] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod intellectus angelicus est medius inter intellectum divinum et humanum, et virtute et modo cognoscendi. In intellectu enim divino similitudo rei intellectae est ipsa divina essentia, quae est rerum causa exemplaris et efficiens; in intellectu vero humano similitudo rei intellectae est aliud a substantia intellectus, et est sicut forma ejus; unde ex intellectu et similitudine rei efficitur unum completum, quod est intellectus in actu intelligens; et hujus similitudo est accepta a re. Sed in intellectu angelico similitudo rei intellectae est aliud a substantia intelligentis, non tamen est acquisita a re, cum non sint ex rebus divisibilibus cognitionem congregantes, ut Dionysius dicit. Nec tamen est causa rei secundum fidem, sed est infusa a Deo ad cognoscendum. Et ratio hujus sumi potest ex verbis Commentatoris, in 11 Metaph. Ipse enim dicit quod secundum ordinem simplicitatis naturarum separatarum est ordo distantiae speciei intellectae ab intellectu; unde in prima essentia, cui non admiscetur potentia aliqua, est omnino idem intelligens et intellectum; in aliis autem secundum quod plus admiscetur de potentia, est major distantia inter speciem intellectam et intellectum. Cujus ratio est quia nihil operatur nisi secundum quod est in actu; unde illud cujus essentia est purus actus, intelligit sine receptione alicujus perficientis, quod sit extra essentiam ejus; illud vero in quo est potentia, non poterit intelligere nisi perficiatur in actu per aliquid receptum ab extrinseco; et hoc est lumen intellectivum naturale, quod a Deo in substantias intellectivas emittitur. Et quia unumquodque recipitur in aliquo per modum recipientis; lumen illud quod in Deo est simplex, recipitur in mente Angeli ut divisum et multiplicatum: omnis enim potentia receptiva de se divisibilitatem habet secundum quod non est terminata ad unum, quod fit per actum terminantem: et ideo dicitur in libro de causis, quod sicut in natura inferiori multiplicantur singularia, ita et species intelligibiles in intelligentiis; utrumque enim est propter multiplicabilitatem potentiae; et istae sunt species per quas Angeli cognoscunt.

Réponse. Par sa puissance et par sa manière de connaître, l’intelligence angélique est intermédiaire entre l’intelligence divine et l’intelligence humaine. En effet, dans l’intelligence divine, la ressemblance de la chose intelligée est l’essence divine elle-même, qui est la cause exemplaire et efficiente des choses ; mais, dans l’intelligence humaine, la ressemblance de la chose intelligée est autre chose que la substance de l’intelligence : elle en est pour ainsi dire la forme. Aussi une seule réalité complète est-elle réalisée par l’intelligence et par la ressemblance : c’est l’intelligence qui intellige en acte, et cette ressemblance est reçue de la chose. Mais, dans l’intelligence angélique, la ressemblance de la chose intelligée est autre chose que la substance de celui qui intellige ; elle ne vient cependant pas de la chose, puisque [les anges] n’obtiennent pas leur connaissance à partir de réalités divisibles, comme le dit Denys. [Cette ressemblance] n’est cependant pas cause de la chose, selon la foi, mais elle est infusée par Dieu en vue de la connaissance. La raison de ceci peut être tirée des paroles du Commentateur, Métaphysique, XI. En effet, il dit qu’il existe un ordre dans la distance entre l’espèce intelligée et l’intelligence selon l’ordre de la simplicité entre les natures séparées. Ainsi, dans la première essence, à laquelle n’est mêlée aucune puissance, celui qui intellige et ce qui est intelligé sont tout à fait la même chose ; mais, chez les autres, il existe une distance plus ou moins grande entre l’espèce intelligée et l’intelligence selon que davantage de puissance y est mêlée. La raison de ceci est que rien n’agit que selon qu’il est en acte. Ce dont l’essence est acte pur intellige donc sans réception de rien qui vienne de l’extérieur de son essence pour le perfectionner. Mais ce en quoi existe une puissance ne pourra intelliger sans être perfectionné en acte par quelque chose qui est reçu de l’extérieur : c’est là la lumière naturelle de l’intelligence, qui est émise dans les substances intellectuelles. Et parce que tout est reçu dans quelque chose selon le mode de ce qui reçoit, cette lumière, qui est simple en Dieu, est reçu dans l’esprit de l’ange comme divisée et multipliée. En effet, toute puissance réceptive possède par soi-même une aptitude à la division selon qu’elle n’est pas déterminée à une seule chose, ce qui se réalise par l’acte qui met une limite. C’est pourquoi il est dit, dans le livre Sur les causes, que de même que, dans la nature inférieure, les choses singulières se multiplient, de même aussi les espèces intelligibles dans les intelligences. En effet, les deux choses se produisent en raison de l’aptitude à la multiplicité de la puissance. Telles sont les espèces par lesquelles les anges connaissent.

 

[3793] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima dicitur species specierum, inquantum per intellectum agentem facit species intelligibiles actu, et recipit eas secundum intellectum possibilem, sicut ibidem sensus dicitur species sensibilis, et manus organum organorum, inquantum videlicet omnia artificialia per manus efficiuntur; unde in 14 de animalibus dicitur, quod manus datae sunt homini loco cornuum, et omnium quibus alia animalia juvantur. Unde non sequitur quod essentia animae vel Angeli sit talis species in qua omnia cognoscantur.

1. L’âme est appelée espèce des espèces dans la mesure où elle produit par l’intellect agent des espèces intelligibles en acte ; et elle les reçoit par l’intellect possible, comme le sens est appelé au même endroit espèce sensible, et la main, organe des organes, dans la mesure où tout ce qui est œuvre d’art est réalisé par la main. C’est pourquoi, dans Sur les animaux, XIV, on dit que les mains ont été données à l’homme à la place des cornes et de tout ce par quoi les autres animaux sont aidés. Il n’en découle donc pas que l’essence de l’âme ou de l’ange soit une espèce dans laquelle tout est connu.

 

[3794] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudines rerum in intellectu Angeli existentes, non sunt a rebus acceptae, quia species intelligibilis non accipitur a re nisi mediante phantasmate, quod se habet ad intellectum sicut color ad visum, ut in 3 de anima dicitur. Nec tamen sunt causae rerum per modum creationis, sed forte per modum motus, si forte ponantur orbes movere, quorum motus est causa formarum naturalium. Nihilominus tamen oportet quod quaedam cognoscant quorum non sunt causae, sicut ipsos orbes, et alios Angelos. Unde dicendum, quod ad hoc quod aliquam assimilationem habeant ad invicem, potest contingere dupliciter; vel ita quod unum sit causa alterius, similitudinem suam illi imprimens, sicut ignis et aer calefactus; et hoc modo intellectus divinus et humanus habent assimilationem ad res intellectas, licet modo converso, quia intellectus divinus imprimit in rem formam, per quam res sibi similatur; intellectus autem humanus speciem, per quam rei assimilatur, a re accipit: vel ita quod utrumque sit ab una causa similem formam utrique imprimente; et sic intellectus angelicus rebus cognitis assimilatur, quia formae quae a Deo impressae sunt rebus ad subsistendum, sunt etiam Angelo impressae ad cognoscendum.

2. Les ressemblances des choses qui se trouvent dans l’intelligence de l’ange ne sont pas obtenues des choses parce que l’espèce intelligible n’est tirée d’une chose que par l’intermédiaire d’un fantasme, dont le rapport à l’intelligence est le même que celui de la couleur à la vue, comme il est dit dans Sur l’âme, III. Cependant, elles ne sont pas causes des choses par mode de création, mais peut-être par mode de mouvement, si on affirme que, peut-être, [les anges] meuvent les sphères, dont le mouvement est la cause des formes naturelles. Néanmoins, il est nécessaire qu’ils connaissent certaines choses dont ils ne sont pas les causes, comme les sphères elles-mêmes et les autres anges. Aussi faut-il dire qu’il peut arriver de deux façons que des choses aient une certaine ressemblance avec d’autres. Soit l’une est cause de l’autre et lui imprime sa ressemblance, comme le feu et l’air réchauffé. De cette manière, l’intelligence divine et l’intelligence humaine ont une ressemblance avec les choses intelligées, bien que de manière inverse, car l’intelligence divine imprime une forme dans la chose, par laquelle la chose lui est assimilée, mais l’intelligence humaine tire de la chose l’espèce par laquelle elle est assimilée à la chose. Soit que les deux proviennent d’une seule cause qui imprime une forme semblable dans les deux. Ainsi, l’intelligence angélique est-elle assimilée aux choses connues, parce que les formes, qui ont été imprimées par Dieu dans les choses en vue de les faire subsister, sont aussi imprimées chez l’ange afin qu’elles soient connues.

 

[3795] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod res non cognoscitur perfecte in exemplari, nisi a quo ducitur secundum totum quod in ipsa est; et hoc modo res cognoscuntur in primo exemplari, quod imitantur res secundum esse illud quod in re est. Sic autem non est de essentia Angeli, cum non sit causa vel exemplar totius quod in re est, scilicet materiae et formae: et propterea non est actu exemplar nisi per hoc quod potentia sua completur per lumen a Deo immissum, ut dictum est.

3. Une chose n’est connue parfaitement dans son modèle que si elle en est tirée selon tout ce qui existe en elle ; c’est de cette manière que les choses sont connues dans le premier modèle, que les choses imitent selon l’être qui se trouve dans la chose. Or, il n’en va pas de même de l’essence de l’ange, puisqu’il n’est pas la cause ou le modèle de tout ce existe dans une chose, à savoir, la matière et la forme. Pour cette raison, il n’est modèle en acte que dans la mesure où sa puissance est achevée par une lumière qui lui a été envoyéé par Dieu, comme on l’a dit.

 

[3796] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus angelicus etsi ponatur semper in actu respectu cognitorum naturalium, non tamen esse in actu habet a se, sed ab alio: unde sicut in ipso differt esse et quod est, propter hoc quod esse quod habet, habet ab alio; ita differt in eo intellectus et quo actu intelligit, propter hoc quod intelligere ab alio habet.

4. L’intelligence angélique, même si on dit qu’elle est toujours en acte par rapport à ce qu’elle connaît naturellement, ne tient cependant pas son être d’elle-même, mais d’un autre. De même qu’en elle diffère l’acte d’être et ce qui est, parce qu’elle tient d’un autre l’acte d’être qu’elle possède, de même donc diffère en elle l’intelligence et ce par quoi elle intellige, parce qu’elle tient d’un autre d’intelliger.

 

 

 

 

Articulus 2 [3797] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 tit. Utrum Angeli superiores intelligant per species universaliores

Article 2 – Les anges supérieurs intelligent-ils par des espèces plus universelles ?

 

[3798] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod species superiorum non sint universaliores speciebus quas habent Angeli inferiores. Quia, secundum philosophum in 1 de anima, animal universale aut nihil est, aut posterius est. Non enim dicitur esse posterius nisi propter abstractionem a rebus, in qua completur intentio universalitatis per actum intellectus abstrahentis. Cum ergo intellectus Angeli non abstrahat species a rebus, videtur quod species non sint universales in ipso.

1. Il semble que les espèces des [anges] supérieurs ne soient pas plus universelles que les espèces que possèdent les anges inférieurs. En effet, selon le Philosophe, Sur l’âme, I, ce qui est universel dans l’âme ou bien n’est rien, ou bien est postérieur. En effet, on ne dit que cela est postérieur ultérieur qu’en raison de l’abstraction à partir des choses, par laquelle s’achève l’intention d’universalité par l’acte de l’intellect qui abstrait. Puisque l’intelligence de l’ange n’abstrait pas les espèces à partir des choses, il semble donc que les espèces ne soient pas plus universelles en lui.

 

[3799] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, si dicantur universaliores, aut hoc est quantum ad cognitionem, aut quantum ad operationem. Non quantum ad cognitionem, quia naturalium causarum omnes cognitionem habent, et sui ipsorum, et Dei; non quantum ad operationem, quia non sunt rerum operatores, ut dictum est. Ergo videtur, quod nullo modo possint quorumdam species universaliores esse.

2. Si on dit que [les espèces] sont plus universelles, c’est soit par rapport à la connaissance, soit par rapport à l’opération. Or, ce n’est pas par rapport à la connaissance, car tous ont la connaissance des causes naturelles, d’eux-mêmes et de Dieu ; ce n’est pas non plus par rapport à l’opération, car ils ne sont pas agents des choses, comme on l’a dit. Il semble donc que les espèces de certains d’entre eux ne puissent pas être plus universelles.

 

[3800] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, quanto cognitio est magis propria, tanto est magis perfecta. Sed superiorum cognitio perfectior est, sicut et natura simplicior, ut ex praedictis patet. Ergo videtur quod superiorum species non sint magis universales.

3. Plus la connaissance est propre, plus elle est parfaite. Or, la connaisances des [anges] supérieurs est plus parfaite, comme leur nature est plus simple : cela ressort de ce qui a été dit auparavant. Il semble donc que les espèces des [anges] supérieurs ne soient pas plus universelles.

 

[3801] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, qui cognoscit universalia, non potest propria cognoscere, nisi acquirat aliquid de propriis rei. Si ergo inferiorum Angelorum species essent magis propriae, oporteret quod superiores non reducerentur in actum propriae cognitionis rerum nisi per inferiores: quod est inconveniens, cum magis e contra contingat, secundum Dionysium. Ergo videtur idem quod prius.

4. Celui qui connaît des réalités universelles ne peut connaître des réalités propres qu’en acquérant quelque chose des aspects propres d’une chose. Si donc les espèces des anges inférieurs étaient davantage propres, il faudrait que les anges supérieurs ne soient ramenés à l’acte de la connaissance propre des choses que par les [anges] inférieurs, ce qui est inapproprié, puisque c’est plutôt le contraire qui se produit, selon Denys. La conclusion semble donc être la même qu’antérieurement.

 

[3802] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit, quod superiores Angeli habent scientiam magis universalem, et inferiores particularem et subjectam.

Cependant, [1] Denys dit le contraire, à savoir que les [anges] supérieurs possèdent une science plus universelle, et les [anges] inférieurs, une science particulière et soumise [à celle des anges supérieurs].

 

[3803] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc idem videtur per hoc quod in libro de causis dicitur, quod cum omnis intelligentia sit plena formis, in quibusdam sunt formae magis universales, scilicet in superioribus; et in quibusdam minus, scilicet in inferioribus.

[2] La même chose semble être montrée par le fait que, dans le livre Sur les causes, on dit que toute intelligence est pleine de formes, parmi lesquelles se trouvent des formes plus universelles chez les [anges] supérieurs, et chez d’autres, les [anges] inférieurs, des [formes] moins [universelles].

 

[3804] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, secundum theologos et philosophos oportet ponere formas superiorum Angelorum esse magis universales. Cujus ratio est, quia in omnibus scientiis et artibus, sive speculativis sive operativis, oportet quod illa quae est altior et ordinativa aliarum, consideret rationes magis universales, eo quod principia sunt parva quantitate, et maxima virtute, et simplicia ad plurima se extendunt: verbi gratia, sub civili scientia est militaris, et sub militari equestris, et sic deinceps; civilis autem sub consideratione boni humani absolute; militaris autem considerat hoc idem, secundum quod determinatur ad res bellicas, et sic deinceps: et propter hoc inferior accipit principia sua a superiori, quae est quasi propter qui demonstrans: et hoc etiam facilius patet in scientiis speculativis: quia metaphysica, quae est ordinativa aliarum, considerat rationem entis absolute; aliae vero secundum determinationem aliquam. Hoc autem sic est in Angelis, et secundum omnes philosophos, et secundum nos: quia superiores per suam scientiam ordinant actus et officia inferiorum, illuminantes eos, et perficientes, et purgantes. Unde oportet quod scientia superiorum sit universalior, et species universaliores: quod quomodo contingat, potest videri ex verbis Commentatoris in 11 Metaph. Ipse enim dicit, quod secundum ordinem differentiae inter intelligens et intellectum, est etiam ordo multiplicationis intellectorum: quia in intellectu superiori, qui habet minus de possibilitate, minor est compositio intelligentis et intellecti: et inde est etiam, quod sunt in eo pauciores formae intelligibiles: quia quanto minus habet de potentia lumen intellectuale, minus dividitur et multiplicatur in eo; et ideo oportet quod istae formae sint universaliores formis magis multiplicatis. Secundum hoc ergo scientia Dei est universalissima: quia una similitudine, quae est sua essentia, omnia cognoscit, ac si aliquis per rationem communem entis omnia cognoscere possit; et quanto per pauciores formas intelligit, tanto scientia ejus est universalior, et similior divinae scientiae: ut si aliquis cognoscat omnia per intentionem decem generum, et aliquis non nisi acciperet species primas generum, et sic descendendo usque ad specialissima; secundum multiplicationem specierum inveniretur particulatio earum.

Réponse. Selon les philosophes et les théologiens, il est nécessaire d’affirmer que les formes des anges supérieurs sont plus universelles. La raison en est que, dans toutes les sciences et les arts, spéculatifs ou opératoires, il est nécessaire que celui qui est plus élevé et ordonne les autres considère des raisons plus universelles, du fait que ses principes sont peu nombreux et possèdent une plus grande puissance, et que les réalités simples s’étendent un plus grand nombre de choses. Par exemple, sous la science civile, se trouve la [science] militaire, et sous la [science] militaire, la chevalerie, et ainsi de suite. Or, la [science] civile est soumise à la considération du bien humain de manière absolue ; mais la [science] militaire envisage la même chose selon que celui-ci se limite aux réalités de la guerre, et ainsi de suite. Pour cette raison, la [science] inférieure reçoit ses principes de la [science] supérieure, qui en montre pour ainsi dire les raisons. Cela ressort plus facilement dans les sciences spéculatives, car la métaphysique, qui ordonne les autres [sciences], considère la raison d’un être de manière absolue ; mais les autres, selon une certaine détermination. Or, il en est de même chez les anges, selon tous les philosophes et selon nous, car les [anges] supérieurs ordonnent par leur science les actes et les fonctions des [anges] inférieurs en les illuminant, les perfectionnant et les purifiant. Il est donc nécessaire que la science des [anges] supérieurs soit plus universelle, et les espèces, plus universelles. Comment cela se produit, on peut le voir à partir de ce que dit le Commentateur, Métaphysique, XI. En effet, il dit que l’ordre de la multiplication des intelligences suit l’ordre de la différence entre celui qui intellige et ce qui est intelligé, car, dans l’intelligence supérieure, qui comporte moins de puissance, la composition entre celui qui est intellige et ce qui est intelligé est moindre. De là vient aussi qu’il y a en lui moins de formes intelligibles, car moins la lumière intellectuelle est en puissance, moins elle est divisée et multipliée en lui. C’est pourquoi il est nécessaire que ces formes soient plus universelles que les formes qui sont davantage multipliées. Dans cette ligne aussi, la science de Dieu est la plus universelle, car elle connaît toutes choses par une seule similitude, qui est sa propre essence, comme si quelqu’un pouvait connaître toutes choses par la raison commune d’être. Et plus elle peut connaître par un plus petit nombre de formes, plus sa science est universelle et davantage semblable à la science divine, comme si quelqu’un connaissait toutes choses par l’intention des dix genres, et quelqu’un ne pouvait saisir que les premières espèces des genres. Et en descendant ainsi jusqu’aux choses les plus particulières, on trouverait leur caractère particulier selon la division des espèces.

 

[3805] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod est triplex universale. Quoddam quod est in re, scilicet natura ipsa, quae est in particularibus, quamvis in eis non sit secundum rationem universalitatis in actu. Est etiam quoddam universale quod est a re acceptum per abstractionem, et hoc posterius est re; et hoc modo formae Angelorum non sunt universales. Est etiam quoddam universale ad rem, quod est prius re ipsa, sicut forma domus in mente aedificatoris; et per hunc modum sunt universales formae rerum in mente angelica existentes, non ita quod sint operativae, sed quia sunt operativis similes, sicut aliquis speculative scientiam operativam habet.

1. Il existe un triple universel. L’un existe dans la chose, à savoir, sa nature, qui se trouve dans les réalités particulières, bien qu’il n’y existe pas selon la raison d’universalité en acte. Il existe aussi un universel qui est tiré d’une chose par l’abstraction, et celui-ci est postérieur à la chose. Les formes des anges ne sont pas universelles de cette manière. Il existe aussi un universel ordonné à une chose, qui est antérieur à la chose elle-même, comme la forme de la maison dans l’esprit du constructeur. C’est de cette manière que les formes universelles des choses existent dans l’esprit des anges, non pas de telle sorte qu’elles soient opératoires, mais parce qu’elles ressemblent aux [formes] opératoires, comme lorsque quelqu’un possède une science opératoire de manière spéculative.

 

[3806] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sunt universaliores et quantum ad cognitionem et quantum ad operationem. Quantum ad cognitionem, tum ex parte ipsarum specierum, quia ad plura se extendunt; tum ex parte rerum cognitarum, quia superiores perfectius et clarius cognoscunt idem cognitum quam inferiores, unde illuminant eos; sicut etiam eamdem conclusionem aliter demonstrator, aliter dialecticus cognoscit. Nec etiam est remotum a veritate quin plura subjaceant cognitioni naturali superiorum quam inferiorum. Similiter etiam sunt universaliores quantum ad operationem, tam secundum philosophos, qui ponunt ordinem intelligentiarum secundum ordinem motuum, ex quo oportet quod causalitas formarum illius intelligentiae superioris sit universalior, cujus motus est universalior in causando, quam etiam secundum nos, qui ponimus eos ordines secundum diversa divina officia; unde superiores ordinant inferiores in suis officiis, et non e converso. Unde remanet nobis eadem via procedendi, secundum traditionem Dionysii, sicut etiam philosophis.

2. Elles sont plus universelles tant par rapport à la connaissance que par rapport à l’opération. Par rapport à la connaissance, tant du point de vue des espèces elles-mêmes, car elles s’étendent à plus de choses, que du point de vue des choses connues, parce que les [anges] supérieurs connaissent plus parfaitement et plus clairement la même chose qui est connue par les [anges] inférieurs; aussi les illuminent-ils. De la même manière, celui qui démontre une conclusion connaît la même conclusion autrement que le dialecticien. Il n’est pas non plus éloigné de la vérité qu’un plus grand nombre de choses soit soumis à la connaissance naturelle des [anges] supérieurs qu’à celle des [anges] inférieurs. Elles sont aussi plus universelles pour ce qui est de l’opération, aussi bien pour les philosophes, qui présentent l’ordre des intelligences selon l’ordre des mouvements : il est ainsi nécessaire que soit plus universelle la causalité des formes de l’intelligence supérieure dont le mouvement est plus universel lorsqu’il cause. Et aussi selon nous, qui affirmons que ces ordres [se conforment] aux diverses fonctions. Aussi les [anges] supérieurs ordonnent-ils les [anges] inférieurs dans leurs fonctions, et non le contraire. Il nous reste donc à avancer sur la même route que les philosophes en suivant l’enseignement de Denys.

 

[3807] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cognitio perfecta non habetur per medium universale, quia non est efficax ad cognitionem omnium propriorum. Si autem per medium universale omnia propria efficaciter cognoscerentur, esset perfectissima cognitio; quia quanto aliquid est magis unum et simplex, tanto est virtuosius et nobilius; et hoc modo dicimus, quod Angeli superiores sufficienter per formas universales cognoscunt res, sicut Deus per essentiam suam perfecte cognoscit omnia.

3. Une connaissance parfaite n’est pas obtenue par un moyen universel, car elle n’est pas efficace pour connaître tout ce qui est propre. Si tout ce qui est propre était connu efficacement par un moyen universel, ce serait la connaissance la plus parfaite, car plus quelque chose est un et simple, plus il est puissant et noble. Nous disons ainsi que les anges supérieurs connaissent suffisamment les choses par des formes universelles, comme Dieu connaît parfaitement toutes choses par son essence.

 

[3808] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio procederet, si formae universales superiorum non essent sufficientes ad cognitionem propriorum, quod falsum est: quia omnia quae cognoscit inferior per formas particulares, cognoscit superior per universales, vel etiam plura: et quia ex causis universalibus confirmantur particulares, inde est quod scientia inferiorum perficitur per superiores.

4. Le raisonnement serait valable si les formes universelles des [anges] supérieurs n’étaient pas suffisantes pour connaître ce qui ce qui propre, ce qui est faux, car tout ce que connaît un [ange] inférieur par des formes particulières, l’[ange] supérieur le connaît par des [formes] universelles, ou même plus de choses. Et parce que les causes particulières sont confirmées à partir des causes universelles, de là vient que la science des [anges] inférieurs est perfectionnée par les [anges] supérieurs.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3809] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 tit. Utrum Angeli intelligant particularia

Article 3 – Les anges intelligent-ils les réalités particulières ?

 

[3810] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Angeli per formas intellectuales particularia non cognoscant. Ubi enim invenitur una natura communis, non est diversitas in operatione consequente naturam. Sed natura intellectualis est in Angelis et in nobis. Cum ergo intellectus noster non possit esse singularium, videtur quod nec angelicus.

1. Il semble que les anges ne connaissent pas par des formes particulières. En effet, là où se trouve une seule nature commune, il n’existe pas de diversité dans l’opération qui découle de la nature. Or, la nature intellectuelle existe chez les anges et chez nous. Puisque notre intellect ne peut porter sur les réalités singulières, il semble donc que l’ange ne le puisse pas non plus.

 

[3811] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, omnis cognitio est per assimilationem. Sed quodlibet singulare in materialibus, est singulare per materiam. Cum ergo species rerum in mente angelica sint omnino a materia et a conditionibus materialibus absolutae, cum intellectus Angeli non sit minus immaterialis intellectu humano, videtur quod non possit esse principium cognoscendi singulare, prout est in sua singularitate consistens.

2. Toute connaissance se réalise par une ressemblance. Or, tout ce qui est singulier dans les réalités matérielles est singulier en raison de la matière. Puisque les espèces des choses dans l’esprit des anges existent d’une manière entièrement séparée de la matière et des conditions matérielles, et que l’intelligence de l’ange n’est pas moins immatérielle que l’intelligence humaine, il semble donc qu’il ne puisse être un principe de connaissance du singulier, en tant que celui-ci subsiste en sa singularité.

 

[3812] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, si cognoscunt singularia diversa, ergo aut uno, aut pluribus. Si uno, cum particularia sint infinita, videtur quod in intellectu Angeli sit unum quo cognoscat infinita; et sic aequabitur intellectui divino. Si autem pluribus, oportebit esse multitudinem specierum in intellectu Angeli existentium, secundum multitudinem individuorum quae possunt esse; et ita erunt infinitae species in actu in mente Angeli, quod est inconveniens.

3. S’ils connaissent divers singuliers, c’est soit par une seule chose, soit par plusieurs. Si c’est par une seule, puisque les réalités particulières sont infinies, il semble qu’il existe dans l’intelligence de l’ange une seule chose par laquelle il connaît des réalités infinies, et ainsi il égalera l’intelligence divine. Mais si c’est par plusieurs, il sera nécessaire qu’existe une multitude d’espèces dans l’intelligence de l’ange, selon la multitude des individus qui peuvent exister. Et ainsi, les espèces dans l’esprit de l’ange seront infinies, ce qui est inapproprié.

 

[3813] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, esse multorum singularium dependet ex causis contingentibus, ad minus quantum ad generationem; sicut generatio Platonis ex voluntate patris ejus, ut scilicet commisceretur ejus matri. Si ergo Angeli cognoscunt singularia, videtur quod cognoscunt futura contingentia; quod negatur, quia hoc solius Dei est. Ergo videtur quod singularia non cognoscant.

4. L’acte d’être de nombreux singuliers dépend de causes contingentes, du moins quant à la génération ; ainsi, la génération de Platon [dépend-elle] de la volonté de son père de s’unir à sa mère. Si donc les anges connaissent les réalités singulières, il semble que les anges connaissent les futurs contingents, ce qu’on nie, car cela appartient à Dieu seul. Il semble donc qu’ils ne connaissent pas les réalités singulières.

 

[3814] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed contra, officium quorumdam Angelorum est custodire homines, ut a sanctis traditur. Sed hoc non potest esse, nisi homines quos custodiunt, cognoscant. Ergo videtur quod singularia hominum cognoscant; et eadem ratione aliarum specierum.

Cependant, [1] la fonction de certains anges est de garder les hommes, comme l’enseignent les saints. Or, cela ne peut être le cas que s’ils connaissent les hommes qu’ils gardent. Il semble donc qu’ils connaissent les aspects singuliers des hommes et, pour la même raison, des autres espèces.

 

[3815] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, cognitio Angelorum est perfectior quam nostra. Sed nos scimus non tantum universalia, sed etiam singularia. Ergo videtur quod multo fortius Angeli.

[2] La connaissance des anges est plus parfaite que la nôtre. Or, nous connaissons non seulement des réalités universelles, mais aussi des réalités singulières. Il semble donc que ce soit à bien plus forte raison le cas de l’ange.

 

[3816] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod praeter illam positionem quae ponit Angelos singularium cognitionem non habere, quae haeretica est, et veritati sacrae Scripturae contraria, sunt diversae opiniones de modo quo Angeli cognoscunt singularia. Quidam enim dicunt, quod Angeli per formas innatas solum causas universales cognoscunt: sed ex rebus ipsius accipiunt, unde singularia ex causis universalibus producta cognoscunt. Sed hoc non videtur conveniens: quia illud quod est acceptum a re singulari, non ducit in cognitionem singularitatis ejus nisi quamdiu servantur in eo conditiones materiales individuantes illud; quod non potest esse nisi specie existente in organo corporali, ut in sensu et imaginatione. Unde cum Angeli organo corporali careant, etiamsi a rebus species abstraherent, non possent per hujusmodi species singularium cognitionem habere. Ideo alii dixerunt, quod omnia singularia producuntur ex causis universalibus ordinatis in natura; unde cum apud Angelum sint formae ordinis causarum universi, per hujusmodi formas omnia singularia cognoscere potest: et haec videtur via Avicennae. Sed tamen non est sufficiens secundum fidem nostram: quia in causis universalibus non cognoscitur aliquid secundum conditiones individuales, ut scilicet cognoscatur prout est hic et nunc, et hujusmodi. Unde dicit ipse Avicenna, quod Deus non cognoscit particularia particulariter, ut scilicet hoc nunc esse, et nunc non esse; et est simile de eo qui cognoscit eclipsim in causis suis universalibus, qui non cognoscit hanc eclipsim secundum quod est hic et nunc incipiens et nunc finiens, nisi sensu percipiat. Et ideo ad hanc positionem quidam addiderunt, quod ex applicatione harum formarum universalium ad hoc particulare vel illud determinatur Angeli cognitio ut hoc singulare cognoscat. Sed hoc iterum non videtur sufficiens: quia haec applicatio universalium causarum ad singulare, aut est ad singulare quod est in intellectu Angeli; et sic supposito, supponeretur illud de quo dubitatur, scilicet singularia esse in intellectu Angeli; vel ad singulare quod est in re, sicut dicere videtur, ut si lux solis esset intelligens, intelligeret corpora ad quae radii sui applicantur. Hoc autem esse non potest: quia cum cognitio non sit nisi secundum assimilationem, impossibile est quod cognitio extendat se ultra id in quo est assimilatio. Si ergo lux solis vel intellectus Angeli assimilatur rei quam irradiat, hoc non potest esse nisi vel ex eo quod illud quod est rei recipitur in intellectu aut in luce solis (et hoc ipsi non ponunt, quia rediret prima positio), vel ex eo quod a sole aliquid circa rem ponitur; et sic non cognosceret de re nisi hoc quod circa eam ponit; sicut si sol cognosceret naturam luminis, et non propriam rationem hujus vel illius coloris quae est ex diversa recipientium proportione: et similiter etiam Angelus per hujusmodi applicationem propriam cognitionem de rebus non haberet, cum propriam naturam ipsi rei non conferat. Alii vero dicunt, quod ex conjunctione universalium quae cognoscunt, resultat cognitio particularis, secundum quod ex pluribus formis congregatis resultat quaedam collectio accidentium, quam non est reperire in alio. Sed haec etiam non est sufficiens: quia formae individuatio non est nisi ex materia; unde quantumcumque formae aggregentur, semper remanet collectio illa communicabilis multis, quousque intelligatur per materiam individuata; unde cognitis hujusmodi formis aggregatis, non cognoscitur Socrates vel Plato. Et ideo aliter dicendum, quod eadem ratio est cognitionis singularium in Deo et in Angelis; unde considerandum est, qualiter Deus singularia cognoscat. Oportet enim illam virtutem quae cognoscit singulare, habere apud se rei similitudinem, quantum ad conditiones individuantes: et haec est ratio quare per speciem quae est in sensu, cognoscitur singulare, et non per speciem quae est in intellectu. Oportet autem ut apud artificem sit similitudo rei per artem conditae secundum totum illud quod ab artifice producitur: et propter hoc aedificator per artem cognoscit formam domus quam inducit in materiam; non autem hanc domum vel illam, nisi per hoc quod a sensu accipit; quia ipse materiam non facit; sed Deus est causa rei, non solum quantum ad formam, sed etiam quantum ad materiam, quae est principium individuationis; unde idea in mente divina est similitudo rei quantum ad utrumque, scilicet materiam et formam; et ideo per eam cognoscuntur res non tantum in universali, sed etiam in particulari. Formae autem quae sunt in mente Angeli, sunt simillimae rationibus idealibus in mente divina existentibus, sicut deductae immediate exemplariter ab eis; unde per eas Angeli cognoscere possunt rerum singularia, quia sunt similitudines rerum etiam quantum ad dispositiones materiales individuantes, sicut et rationes vel ideae rerum existentes in mente divina.

Réponse. En plus de la position qui affirme que les anges n’ont pas de connaissance des réalités singulières, ce qui est hérétique et contraire à la vérité de la Sainte Écriture, il existe diverses opinions sur la manière dont les anges connaissent les réalités singulières. En effet, certains disent que les anges connaissent par des formes innées seulement les causes universelles, mais qu’ils tirent des choses elles-mêmes (corr. Ipsius/ipsis) la manière de connaître les réalités singulières produites à partir de causes universelles. Mais cela ne paraît pas approprié, car ce qui est tiré d’une chose singulière ne conduit à la connaissance de sa singularité que dans la mesure où sont préservées en elle les conditions matérielles qui lui confèrent son caractère individuel, ce qui ne peut être le cas que pour l’espèce qui existe dans un organe corporel, comme dans le sens et dans l’imagination. Puisque les anges n’ont pas d’organe corporel, même s’ils abstrayaient des espèces des choses, ils ne pourraient obtenir une connaissance des réalités singulières par ces espèces. C’est pourquoi d’autres ont dit que toutes les réalités singulières sont produites à partir de causes universelles ordonnées dans la nature. Puisque les formes de l’ordre des causes de l’univers existent chez l’ange, il peut donc connaître par les formes de ce genre toutes les réalités singulières. Telle semble être la voie d’Avicenne. Cependant, cela n’est pas suffisant selon notre foi, car, dans les causes universelles, quelque chose n’est pas connu selon les conditions individuelles, de sorte que ce soit connu tel que cela existe ici et maintenant, et ainsi de suite. Aussi Avicenne lui-même dit-il que Dieu ne connaît pas les réalités particulières d’une manière particulière, de telle sorte qu’[il connaisse] que cela existe maintenant et n’existe pas à maintenant. Et il en va de même de celui qui connaît l’éclipse dans ses causes universelles : il ne connaît pas cette éclipse selon qu’elle commence et se termine ici et maintenant, à moins de la percevoir par le sens. C’est pourquoi certains ont ajouté à cette position que la connaissance de l’ange est déterminée à la connaissance de telle réalité singulière à partir de l’application de ces formes universelles à telle ou telle réalité singulière. Mais, de nouveau, cela ne paraît pas suffisant, car cette application de causes universelles à une réalité singulière se fait soit à une réalité singulière qui existe dans l’intelligence de l’ange : cela supposé, on supposerait ce dont on doute, à savoir s’il existe des réalités singulières dans l’intelligence de l’ange ; soit [cettte application se fait] à une réalité singulière qui existe dans une chose : on semble ainsi dire que si la lumière du soleil était intelligente, elle intelligerait les corps auxquels s’appliquent ses rayons. Or, cela ne peut être le cas, car, la connaissance ne se réalisant que par une assimilation, il est impossible que la connaissance s’étende au-delà de ce à quoi il y a assimilation. Si donc la lumière du soleil ou de l’intelligence de l’ange est rendue semblable à la chose qu’elle irradie, cela ne peut venir que du fait que ce qui appartient à la chose est reçu dans l’intelligence ou dans la lumière du soleil, (et ils n’affirment pas cela, car ce serait revenir à la première position), ou du fait que quelque chose est affirmé de la chose à partir du soleil. Ainsi, on ne connaîtrait de la chose que ce qu’on en affirme, comme si le soleil connaissait la nature de la lumière, et non la raison propre de telle ou telle couleur qui vient d’une proportion diverse de ceux qui reçoivent. De la même manière aussi, l’ange n’aurait une connaissance propre des choses par une telle application, puisqu’elle ne confère pas sa nature propre à la chose elle-même. Mais d’autres disent que, de l’assemblage des réalités universelles que [les anges] connaissent, résulte une connaissance particulière, selon que, de plusieurs formes assemblées, résulte un certain assemblage d’accidents qu’on ne trouve pas dans une autre chose. Mais cela aussi n’est pas suffisant, car l’individuation d’une forme ne vient que de la matière ; par conséquent, autant assemble-t-on de formes, cet assemblage demeure toujours susceptible d’être communiqué à plusieurs, jusqu’à ce qu’on comprenne qu’il est individué par la matière. Ainsi, une fois connues ces formes assemblées, on ne connaît pas Socrate ou Platon. Il faut donc dire autre chose. La raison de la connaissance des réalités singulières en Dieu et chez les anges est la même ; aussi faut-il examiner comment Dieu connaît les réalités singulières. En effet, il est nécessaire que la puissance qui connaît une réalité singulière possède en elle-même une similitude de la chose en ses conditions individuantes. C’est la raison pour laquelle une réalité singulière est connue par l’espèce qui existe dans le sens, et non par l’espèce qui existe dans l’intelligencce. Or, il est nécessaire qu’existe dans l’artisan une ressemblance de la chose réalisée par l’art selon tout ce qui est produit par l’art ; pour cette raison, le constucteur connaît par son art la forme de la maison qu’il amène dans la matière, mais non de telle ou telle maison, si ce n’est dans la mesure où il la reçoit du sens, car il ne fait pas la matière. Mais Dieu est cause de la chose, non seulement pour sa forme, mais aussi pour sa matière, qui est le principe de l’individuation. Aussi l’idée qui existe dans l’esprit de Dieu est-elle une similitude de la chose quant aux deux aspects, la matière et la forme. Aussi les choses sont-elles connues par elle non seulement dans l’universel, mais aussi dans le particulier. Or, les formes qui existent dans l’esprit de l’ange sont tout à fait semblables aux idées qui existent dans l’esprit de Dieu en tant qu’elles sont immédiatement tirées d’elles comme de modèles. Aussi les anges peuvent-ils connaître par elles les aspects singuliers des choses, parce qu’elles sont aussi des ressemblances des choses pour ce qui est des dispositions matérielles individuantes, comme les raisons ou les idées des choses qui existent dans l’esprit de Dieu.

 

[3817] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intellectus humanus est ultimus in gradu substantiarum intellectualium; et ideo est in eo maxima possibilitas respectu aliarum substantiarum intellectualium; et propter hoc recipit lumen intelligibile a Deo debilius, et minus simile lumini divini intellectus; unde lumen intellectuale in eo receptum, non est sufficiens ad determinandum propriam rei cognitionem nisi per species a rebus receptas, quas oportet in ipso recipi formaliter secundum modum suum: et ideo ex eis singularia non cognoscuntur, quae individuantur per materiam, nisi per reflexionem quamdam intellectus ad imaginationem et sensum, dum scilicet intellectus speciem universalem, quam a singularibus abstraxit, applicat formae singulari in imaginatione servatae. Sed in Angelo ex ipso lumine determinantur species quibus fit propria rerum cognitio, sine aliquo alio accepto: et ideo cum illud lumen sit similitudo totius rei inquantum est exemplariter a Deo traductum, per hujusmodi species propria singularium cognitio haberi potest: et ita patet quod secundum gradum naturae intellectualis, est etiam diversus intelligendi modus.

1. L’intellect humain est le dernier degré des substances intellectuelles. C’est pourquoi la plus grande puissance existe en lui par rapport aux autres substances intellectuelles. Pour cette raison, il reçoit de Dieu une lumière intelligible plus faible et moins semblable à la lumière de l’intellect divin. Aussi la lumière intellectuelle reçue en lui n’est-elle suffisante pour déterminer une connaissance propre d’une chose que par des espèces reçues des choses, qui doivent être reçues par lui selon son mode. C’est pourquoi les réalités singulières qui sont individuées par la matière ne sont connues à partir d’elles que par une certaine réflexion de l’intellect sur l’imagination et le sens, alors qu’il applique à la forme singulière conservée dans l’imagination l’espèce universelle qu’il a abstraite des réalités singulières. Mais, chez l’ange, sont déterminées par la même lumière les espèces par lesquelles se réalise une connaissance propre des choses, sans rien recevoir d’autre. Puisque cette lumière est une similitude de la chose tout entière en tant qu’elle est tirée de Dieu comme d’un modèle, [l’ange] peut donc avoir par ces espèces une connaissance des réalités singulières. Il ressort ainsi clairement que, selon le degré d’une nature intellectuelle, il existe un mode différent d’intellection.

 

[3818] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia divina quamvis sit actus purus, tamen est similitudo materiae, secundum quod omne ens, quantumcumque imperfectum, a primo ente exemplariter deducitur; et ita etiam formae immateriales quae sunt in intellectu Angeli, sunt rerum similitudines, etiam quantum ad principia materialia.

2. L’essence divine, bien qu’elle soit acte pur, est cependant une similitude de la matière selon que tout être, aussi imparfait soit-il, est tiré du premier être en tant que modèle. Même les formes immatérielles, qui se trouvent dans l’intelligence de l’ange, sont donc des similitudes des choses, même pour ce qui est de leurs principes matériels.

 

[3819] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut ex praedictis patet, quanto aliquis Angelus est superior, tanto plura una specie cognoscere potest; nullus tamen est in quo oporteat secundum numerum individuorum species multiplicari; quia per unam speciem omnia individua illius speciei cognoscit, et illa species efficitur propria ratio hujus vel illius secundum respectum ad hoc vel ad illud, per modum quo ideae in intellectu divino multiplicantur: et ita neque intellectus Angeli intellectui divino aequabitur, neque infinitae species in intellectu Angeli erunt. Relationes autem quae consequuntur actus rationis vel intellectus, in infinitum multiplicari, non est inconveniens.

3. Comme cela ressort de ce qui a été dit, plus un ange est supérieur, plus il peut connaître de choses dans une seule espèce. Cependant, il n’en existe aucun où il faille que les espèces soient multipliées selon le nombre des individus, car il connaît tous les individus de cette espèce par une seule espèce, et cette espèce devient la raison propre de telle ou telle chose selon le rapport à telle ou telle chose, à la manière dont les idées sont multitpliées dans l’intelligence divine. Ainsi, l’intelligence de l’ange n’égalera pas l’intelligence divine, et il n’existera pas d’espèces infinies dans l’intelligence de l’ange. Mais il n’est pas inapproprié que les relations qui découlent des actes de la raison et de l’intelligence se multiplient à l’infini.

 

[3820] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod per species sibi a creatione inditas cognoscunt Angeli causas habentes ordinem in natura, et omne illud quod in causis illis determinatur vel simpliciter, vel ut frequenter; et quia contingentia futura non sunt determinata in causis suis, sed facta determinatione causarum efficiuntur in actu praesentia; ideo eorum, quamdiu futura sunt, cognitionem non habent; sed hoc solius Dei est, qui omnes successiones temporum uno actu intuetur.

4. Les anges connaissent les causes qui ont un ordre dans la nature par les espèces qui leur sont infusées par la création, ainsi que tout ce qui est déterminé simplement ou le plus souvent dans ces causes. Et parce que les futurs contingents ne sont pas déterminés dans leurs causes, mais deviennent présents en acte par une détermination des causes, [les anges] n’en ont donc pas connaissance aussi longtemps que [les futurs contingents] sont à venir, mais cela appartient à Dieu seul, qui considérera toute la suite des temps en un seul acte.

 

 

 

 

Articulus 4 : [3821] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 tit. Utrum Angelus intelligat plura simul

Article 4 – L’ange intellige-t-il plusieurs choses en même temps ?

 

[3822] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Angelus simul actu plura intelligat. Quia, secundum Dionysium Angelus habet intellectum deiformem. Sed Deus in actu simul omnia intelligit: quia apud ipsum nulla est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio: Jac. 1, 17. Ergo et intellectus Angeli est simul plurium.

1. Il semble que l’ange saisisse plusieurs choses en même temps, car, selon Denys, l’ange a une intelligence déiforme. Or, Dieu saisit toutes choses en même temps en acte, car il n’y a pas de changement ni l’ombre d’une variation en lui, Jc 1, 17. L’ange saisit donc [plusieurs choses] en même temps.

 

[3823] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 arg. 2 Praeterea, in patria non erunt cogitationes volubiles. Sed sanctis in patria promittitur, quod erunt sicut Angeli in caelo, Matth. 22. Ergo videtur quod nec Angeli intellectus volvatur de uno in aliud, sed simul omnia cognoscat.

2. Dans la patrie, il n’y aura pas de pensées qui changent constamment. Or, il est promis aux saints qu’ils seront comme des anges dans le ciel, Mt 22. Il semble donc que l’intelligence de l’ange ne passe pas d’une chose à une autre, mais connaisse tout simultanément.

 

[3824] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum felicitas est in operatione, et non in habitu. Sed Angeli habent nobilissimam felicitatem, ad minus beati. Ergo videtur quod omnium cognitorum suorum cognitionem simul in actu habeant et non successive.

3. Selon le Philosophe, la félicité se trouve dans une opération, et non dans un habitus. Or, les anges possèdent la plus noble félicité, du moins ceux qui sont bienheureux. Il semble donc qu’ils aient une connaissance en acte de tout ce qu’ils connaissent simultanée, et non successive.

 

[3825] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 arg. 4 Praeterea, intellectus Angeli non est minus nobilis quam intellectus agens animae rationalis. Sed de hoc intellectu dicitur in 3 de anima, quod non quandoque intelligit et quandoque non, sed semper. Ergo multo fortius hoc verum est de intellectu Angeli.

4. L’intelligence de l’ange n’est pas moins noble que l’intellect agent de l’âme raisonnable. Or, dans Sur l’âme, III, on dit de cet intellect qu’il n’intellige pas à un certain moment et intellige à un autre, mais [qu’il intellige] toujours. À bien plus forte raison, cela est-il donc vrai de l’intelligence de l’ange.

 

[3826] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 s. c. 1 Sed contra, secundum Augustinum Deus movet spiritualem creaturam per tempus. Sed per tempus moveri, est per affectiones et conceptiones intellectus moveri. Ergo videtur quod in Angelis sit successio intellectuum.

Cependant, [1] selon Augustin, Dieu meut la créature spirituelle dans le temps. Or, être mû dans le temps, c’est être mû par les affections et les conceptions de l’intelligence. Il semble donc que, chez les anges, il existe une succession des [actes] d’intelligence.

 

[3827] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod causa quare non possunt plura simul intelligi in actu, haec est quam Algazel assignat, quia oportet semper intellectum configurari actu secundum speciem rei intelligibilem, quam apud se habet, rei intellectae in actu, ut sit assimilatio utriusque quae exigitur ad cognitionem rei. Sicut autem impossibile est, corpus secundum eamdem partem diversimode figurari diversis figuris, ita impossibile est unum intellectum diversis simul speciebus ad diversa intelligenda actu informari; et ideo considerandum est, quod quicumque intellectus plura intelligit per plures species, oportet quod ea non simul intelligat, ut patet in intellectu humano secundum statum viae a rebus accipiente. Intellectus autem divinus quia uno actu omnia cognoscit, ideo simul est actu omnium. Sed intellectus Angeli cognoscit res dupliciter. Uno modo per species plures, quae in intellectu ejus sunt; et sic oportet quod plura non simul cognoscat, nisi inquantum reducuntur ad unam speciem, per quam cognoscuntur. Alio modo cognoscunt res in uno quod est causa earum, et hoc est verbum; et sic possunt esse simul in actu cognitionis omnium. Haec autem cognitio est quasi formalis respectu praecedentis, a qua nunquam absolvuntur; et ideo frequenter invenitur traditum a sanctis et philosophis quod in intellectu ipsorum non est successio vel renovatio, quamvis sit vicissitudo inquantum intelligunt res in propria natura per species concreatas.

Réponse. La cause pour laquelle plusieurs choses choses ne peuvent pas être intelligées est celle que donne Algazel : il est nécesaire que l’intelligence soit toujours configurée en acte selon l’espèce intelligible de la chose intelligée en acte, possédée en elle-même, afin qu’il y ait entre les deux la ressemblance requise pour la connaissance de la chose. Or, de même qu’il est impossible qu’une même partie d’un corps soit représentée diversement par diverses figures, de même est-il impossible qu’un seul intellect reçoive en même temps la forme de diverses espèces pour saisir diverses choses. Aussi faut-il considérer que tout intellect qui intellige plusieurs choses par plusieurs espèces ne doit pas les intelliger en même temps, comme cela ressort pour l’intellect humain qui reçoit [les espèces] à partir des choses dans l’état du cheminement. Mais l’intellect divin, parce qu’il connaît tout par un seul acte, est donc en acte de tous simultanément. Cependant, l’intelligence de l’ange connaît les choses de deux manières. D’une manière, par plusieurs espèces qui se trouvent dans son intelligence ; il est ainsi nécessaire qu’il ne connaisse pas plusieurs choses en même temps, à moins qu’elles ne soient ramenées à une seule espèce par laquelle elles sont connues. D’une autre manière, [les anges] connaissent les choses dans quelque chose d’unique qui est leur cause : il s’agit du Verbe ; et ainsi, ils peuvent les connaître toutes en acte simultanément. Or, cette connaissance a le caractère de forme par rapport à la précédente, elles ne sont jamais séparées. C’est pourquoi on trouve fréquemment enseigné par les saints et les philosophes qu’il n’existe pas de succession ou de renouvellement dans l’intelligence [des anges], bien qu’il y ait un changement pour autant qu’ils saisissent les choses dans leur propre nature par des espèces concréées.

 

[3828] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 ad 1 Ad primum dicendum, quod intellectus Angelorum dicitur deiformis, eo quod divino intellectui conformis est: non autem in hoc quod uno actu omnia intelligat, et ita simul: sed in hoc quod a rebus cognitionem non accipit, sed sine investigatione rationis et sine adminiculo sensus cognoscit.

1. On dit que l’intelligence des anges est déiforme parce qu’elle est conforme à l’intelligence divine, non pas parce qu’elle saisit toutes choses en un seul acte, et ainsi simultanément, mais parce qu’elle ne reçoit pas sa connaissance à partir des choses, mais connaît sans recherche de la raison et sans l’aide du sens.

 

[3829] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cognitiones volubiles dicuntur in quibus est etiam revolutio secundum discursum rationis de causatis in causas procedentis; aut e contrario, ut ex notis in ignota deveniat: non tamen excluditur successio cognitionum ab Angelis et a sanctis nisi secundum contemplationem verbi, prout in perfectam assimilationem divinam perducuntur; et in hoc etiam eorum felicitas essentialis consistit.

2. On appelle connaissances qui changent constamment celles où il se produit un retour par la démarche de la raison, qui va des réalités causées à leurs causes, ou bien, en sens contraire, parce que qu’elle parvient à des choses inconnues à partir de choses connues. La succession des connaissances chez les anges et chez les saints n’est cependant exclue que pour la contemplation du Verbe, pour autant qu’ils sont conduits à une parfaite ressemblance avec Dieu. C’est en cela que consiste leur félicité essentielle.

 

[3830] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 ad 3 Unde patet responsio ad tertium.

3. La réponse au troisième argument est ainsi claire.

 

[3831] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 3 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus possibilis et agens est in Angelis sicut in nobis sed diversimode: quia intellectus possibilis in nobis est in potentia respectu specierum acceptarum a rebus per lumen intellectus agentis actu eas intelligibiles facientis; sed in eis est possibilis respectu luminis a Deo in eos procedentis. Similiter etiam lumen intellectus agentis in nobis non sufficit ad distinctam rerum cognitionem habendam, nisi secundum species receptas quas informat ut lux colores: sed lumen intellectuale in Angelis sufficit ad distinctam cognitionem rerum habendam: quia hoc ipsum lumen est ex quo formae intellectuales multiplicantur, quibus intelligentiae plenae dicuntur. Sic ergo intellectus agens ipsorum semper dicitur in actu esse, quia incessanter ad aliquid actu considerandum lucet in Angelis sicut in nobis quantum in ipso est: non tamen oportet quod semper ad unam speciem fiat conversio, ita ut semper unum intelligatur in actu.

4. L’intellect possible et l’intellect agent existent chez anges comme chez nous, mais de manière différente, car, chez nous, l’intellect possible est en puissance par rapport aux espèces reçues des choses par la lumière de l’intellect agent qui les rend intelligibles en acte ; mais, chez eux, l’intellect possible [est en puissance] par rapport à la lumière qui vient de Dieu en eux. De même aussi, la lumière de l’intellect agent en nous ne suffit pas pour avoir une connaissance distincte des choses, à moins que ce ne soit selon les espèces reçues auxquelles elle donne forme, comme la lumière aux couleurs ; mais la lumière intellectuelle chez les anges suffit pour qu’ils obtiennent une connaissance distincte des choses, car c’est cette lumière même par laquelle les formes intellectuelles sont multipliées, dont on dit que les intelligences sont remplies. Ainsi donc, on dit que leur intellect agent est toujours en acte, car, chez les anges, pour ce qui le concerne, il brille de manière incessante afin de considérer quelque chose en acte ; toutefois, il n’est pas nécessaire qu’il se tourne toujours vers une seule espèce, de sorte qu’une seule chose soit toujours intelligée en acte.

 

 

 

 

Quaestio 4

Question 4 – [Dans son état naturel, l’ange a-t-il aimé Dieu plus que lui-même et toutes les autres choses ?]

 

 

 

 

Articulus 1 : [3832] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 tit. Utrum Angelus in statu suo naturali dilexerit Deum plus quam se et omnia alia

Article 1 – Dans son état naturel, l’ange a-t-il aimé Dieu plus que lui-même et toutes les autres choses ?

 

[3833] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 1 Circa tertium principale quaeritur de dilectione, scilicet utrum Angeli si in gratia creati non sunt, in illo statu innocentiae Deum super se et plus quam omnia dilexerunt. Et videtur, quod non. Sic enim Deum diligere est actus caritatis, qui caritatem non habentis esse non potest. Sed Angeli in isto statu caritatem non habebant quae sine gratia non est, cum nunquam sit informis. Ergo videtur quod non dilexerunt Deum plus quam se.

1. À propos de la troisième question, on s’interroge sur l’amour : si les anges n’ont pas été créés avec la grâce, dans cet état d’innocence, ont-ils aimé Dieu plus qu’eux-mêmes et plus que toutes choses ? Il semble que non. En effet, aimer Dieu de cette manière est l’acte de la charité, qui ne peut exister chez celui qui n’a pas la charité. Or, dans cet état, les anges n’avaient pas la charité, qui n’existe pas sans la grâce, puisqu’elle n’est jamais sans forme. Il semble donc qu’ils n’ont pas aimé Dieu plus qu’eux-mêmes.

 

[3834] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Bernardum natura semper in se curva est. Sed dilectio Angelorum in primo statu non fuit nisi ex principio naturali. Ergo tota in amantem reflectebatur, ut quidquid diligerent Angeli, propter seipsos diligerent; et ita non Deum supra se diligebant.

2. Selon Bernard, la nature est toujours retournée vers elle-même. Or, l’amour des anges dans leur premier état ne provenait que d’un principe naturel. Il était donc entièrement retourné vers celui qui aimait, de sorte que quoi que les anges aient aimé, ils l’aimaient pour eux-mêmes. Et ainsi, ils n’aimaient pas Dieu plus qu’eux-mêmes.

 

[3835] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, Avicenna dicit, quod nulla actio alicujus naturae est liberalis, nisi solius Dei, ex hoc quod omnem actionem aliam sequitur aliquod commodum ipsius agentis. Sed dilectio qua aliquis Deum super se diligit, est maxime liberalis. Ergo videtur quod hoc non possit alicui convenire nisi per gratiam.

3. Avicenne dit qu’aucune action d’une nature n’est libérale, sauf celle de Dieu, du fait que quelque chose d’utile à celui qui agit découle de toute autre action. Or, l’amour par lequel quelqu’un aime Dieu plus que lui-même est libéral au plus haut point. Il semble donc que cela ne puisse convenir à quelqu’un que par grâce.

 

[3836] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 4 Praeterea, unumquodque naturaliter appetit acquirere suum finem. Sed omne quod desideratur ab aliquo ut sibi acquirendum, propter se et minus se diligitur. Cum ergo Angeli in statu naturalium Deum sicut suum finem dilexerint, videtur quod eum super se non dilexerunt.

4. Toute chose désire obtenir sa fin. Or, tout ce qui est désiré par quelque chose en vue de l’obtenir est aimé en vue de soi et moins que soi. Puisque les anges aimaient Dieu comme leur fin dans leur état naturel, il semble donc qu’ils ne l’aimaient pas plus qu’eux-mêmes.

 

[3837] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 5 Praeterea, secundum Dionysium, bona naturalia in Angelis remanent etiam post peccatum. Sed constat quod peccator homo vel Angelus non diligit Deum super omnia. Ergo videtur quod nec in statu naturalium.

5. Selon Denys, chez les anges, les biens naturels demeurent, même après le péché. Or, il est clair que l’homme ou l’ange pécheur n’aime pas Dieu par-dessus tout. Il semble donc que ce ne soit pas non plus le cas dans l’état de nature.

 

[3838] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed contra, omnis dilectio aut est usus, aut fruitionis. Si ergo Angeli diligebant Deum in statu innocentiae, aut ut utentes aut ut fruentes. Si ut utentes, ergo utebantur re fruenda, quod est magnae perversitatis, secundum Augustinum; et ita esset dilectio peccati, et non naturalis. Si ut fruentes, ergo Deum propter seipsum diligebant, quia frui est amore inhaerere alicui rei propter seipsam.

Cependant, [1] tout amour existe soit en vue d’’un usage, soit en vue de la jouissance. Si donc les anges aimaient Dieu dans l’état d’innocence, c’était soit pour un usage, soit pour en jouir. Si c’était pour un usage, ils faisaient usage d’une réalité dont ils devaient jouir, ce qui est une grande perversion, selon Augustin ; ce serait donc l’amour du péché, et non [un amour] naturel. Si c’était pour en jouir, ils aimaient donc Dieu pour lui-même, puisque jouir, c’est s’unir à une réalité pour elle-même.

 

[3839] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Deum esse super omnia diligendum, cum sit legis naturalis, scriptum erat in mente Angeli multo expressius quam in mente hominis. Sed non contingit sine peccato facere contra id quod per naturalem legem cordi inditum est. Ergo si Deum super omnia non diligebant, peccabant. Quamdiu ergo sine peccato fuerunt, Deum super omnia dilexerunt.

2. Que Dieu doive être aimé par-dessus tout, puisque cela relève de la loi naturelle, avait donc été inscrit dans l’esprit de l’ange beaucoup plus expressément que dans l’esprit de l’homme. Or, on ne peut agir sans péché à l’encontre de ce qui a été implanté dans le cœur par la loi naturelle. S’ils n’aimaient pas Dieu plus que toutes choses, ils péchaient donc. Aussi longtemps qu’ils ont été sans péché, ils ont donc aimé Dieu par-dessus toutes choses.

 

[3840] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim distinguunt dilectionem concupiscentiae et amicitiae: quae duo si diligenter consideremus, differunt secundum duos actus voluntatis, scilicet appetere, quod est rei non habitae, et amare, quod est rei habitae, secundum Augustinum. Est ergo dilectio concupiscentiae qua quis aliquid desiderat ad concupiscendum, quod est sibi bonum secundum aliquem modum; et tali dilectione Angeli in statu naturalium Deum plus quam se diligebant vehementius appetendo bonum divinum quam suum: quia hoc erat eis delectabilius; unde totam hanc dilectionem in seipsos retorquebant. Dilectio autem amicitiae est qua aliquis aliquid, vel similitudinem ejus quod in se habet, amat in altero volens bonum ejus ad quem similitudinem habet: et propter hoc philosophus dicit quod est similis a simili amari, sicut unus virtuosus alium diligit; in quibus tamen est vera amicitia; et tali dilectione Angeli quodammodo diligebant Deum supra se: quia ei majus bonum quam sibi optabant, scilicet esse Deum, quod sibi non volebant; sed aliquod minus bonum; sed tamen intensius sibi volebant bonum creatum quam Deo bonum divinum. Sed ista responsio non potest stare: oportet enim ponere Angelos ad Deum habuisse dilectionem amicitiae, cum secundum bona naturalia similitudo divina in eis resplenderet. Hoc autem est de ratione amicitiae quod quamvis habeat dilectiones et utilitates annexas, non tamen ad has oculus amantis respicit, sed ad bonum amatum. Ergo in corde amantis praeponderat bonum amatum omnibus utilitatibus vel dilectionibus quae consequuntur ex amato. Sed nullum bonum erat in Angelo quod non esset ex ipso amato, scilicet Deo. Ergo plus diligebant bonum amatum divinum quam bonum quod ipsi erant, vel quod in eis erat; et haec est alia opinio.

Réponse. À ce sujet, il y a une double opinion. En effet, certains font une distinction entre l’amour de concupiscence et l’amour d’amitié. Si on examine attentivement les deux, ils diffèrent selon les deux actes de la volonté : désirer, qui porte sur une chose non possédée, et aimer, qui porte sur une chose possédée, selon Augustin. L’amour de concupiscence est donc celui par lequel quelqu’un désire une chose, qui est bonne d’une certaine manière, en vue de la posséder. Selon un tel amour, les anges, dans l’état de nature, aimaient Dieu plus qu’eux-mêmes en désirant de manière plus ardente le bien divin que leur bien propre, car cela était plus délectable pour eux. Aussi ramenaient-ils tout cet amour à eux-mêmes. Mais l’amour d’amitié est celui par lequel quelqu’un aime chez un autre une chose ou une ressemblance de ce qui existe en lui-même, en voulant le bien de celui avec qui il a une ressemblance. Pour cette raison, le Philosophe dit qu’il appartient au semblable d’aimer son semblable, comme un vertueux en aime un autre. Selon un tel amour, les anges aimaient d’une certaine manière Dieu plus qu’eux-mêmes, car [ils aimaient] le plus grand bien qu’ils se souhaitaient, être Dieu, ce qu’ils ne voulaient pas pour eux-mêmes, mais un bien moindre. Toutefois, ils voulaient pour eux-mêmes plus intensément pour Dieu un bien créé pplutôt que le bien divin. Mais cette réponse ne peut tenir. En effet, il est nécessaire d’affirmer que les anges ont eu pour Dieu un amour d’amitié, puisque la ressemblance divine resplendissait en eux par les biens naturels. Or, il est de l’essence de l’amitié que, bien qu’elle comporte des amours et des biens qui lui sont associés, le regard de celui qui aime ne s’y porte pas, mais vers le bien aimé. Dans le cœur de celui qui aime, le bien aimé l’emporte donc sur tous les biens ou toutes les amours qui découlent de ce qui est aimé. Or, il n’y avait chez l’ange aucun bien qui ne venait ce cela même qui était aimé : Dieu. Ils aimaient donc davantage le bien aimé divin que le bien qu’ils étaient eux-mêmes et qui existait en eux. Telle est l’autre opinion.

 

[3841] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actus caritatis potest dici dupliciter: vel qui est ex caritate; et hoc non est nisi in habente caritatem: vel qui est ad caritatem, non sicut meritorius vel generativus, sed sicut praeparativus; et sic actus caritatis ante caritatem habitam haberi potest, sicut facere justa est ante habitum justitiae. Vel potest dici, quod in amicitia caritatis movetur animus ad amandum Deum ex similitudine gratiae; sed in dilectione naturali ex ipso boni naturae, quod etiam est similitudo summae bonitatis. Et propter hoc dicendum, quod cum dicitur, quod habens caritatem diligit Deum propter se ipsum, ly propter denotat habitudinem finis et efficientis, quia ipse Deus superaddit naturae unde in ejus dilectionem tendit; sed cum dicitur de carente caritate, quod diligit Deum propter se ipsum, ly propter denotat habitudinem finis, et non efficientis proximi, nisi sicut Deus in omni natura operante operatur.

1. Un acte peut être appelé de charité de deux manières : soit qu’il vienne de la charité, et cela n’existe que chez celui qui a la charité ; soit qu’il soit ordonné à la charité, non pas comme la méritant ou l’engendrant, mais comme la préparant. De cette manière, il ne peut y avoir d’acte de charité avant la possession de la charité, comme on peut faire des choses justes avant l’habitus de la justice. Ou bien on peut dire que, par l’amitié de la charité, l’âme est mue vers l’amour de Dieu en vertu de la ressemblance de la grâce, mais, pour l’amour naturel, en vertu du bien même de la nature, qui est aussi une ressemblance avec la bonté suprême. Pour cette raison, il faut dire que lorsqu’on dit que celui qui possède la charité aime Dieu pour lui-même, « pour » indique un rapport avec la fin et avec celui qui [la] réalise, car Dieu lui-même ajoute à la nature ce en vertu de quoi [la charité] tend à l’aimer. Mais lorsqu’on dit de celui à qui fait défaut la charité qu’il aime Dieu pour lui-même, « pour » indique un rapport avec la fin, mais avec celui qui la réalise de manière prochaine, mais non de ce qui la réalise de manière prochaine, si ce n’est que Dieu agit en toute nature qui agit.

 

[3842] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod natura in se curva dicitur, quia semper diligit bonum suum. Non tamen oportet quod in hoc quiescat intentio quod suum est, sed in hoc quod bonum est: nisi enim sibi esset bonum aliquo modo, vel secundum veritatem, vel secundum apparentiam, nunquam ipsum amaret. Non tamen propter hoc amat quia suum est; sed quia bonum est: bonum enim est per se objectum voluntatis.

2. On dit que la nature est retournée vers elle-même parce qu’elle aime toujours son propre bien. Toutefois, il n’est cependant pas nécessaire que son intention se repose dans ce qui est sien, mais dans ce qui est bon. En effet, si cela n’était pas bon pour elle de quelque manière, soit en vérité, soit en apparence, jamais elle ne l’aimerait. Elle ne l’aime cependant pas parce que cela est sien, mais parce que cela est bon : en effet, le bien est par soi l’objet de la volonté.

 

[3843] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis cuilibet naturae creatae agenti ex sua actione proveniat aliquod commodum, non tamen oportet quod illud commodum sit intentum; sicut patet in amicitia honestorum.

3. Bien qu’un certain bien soit acquis par toute nature en vertu de sa propre action, il n’est cependant pas nécessaire que ce bien soit visé, comme cela ressort dans l’amitié de gens honnêtes.

 

[3844] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod finis est duplex: quidam proportionatus rei, receptus in ipsa ut perfectio inhaerens sibi, sicut sanitas in operationibus medicinae; et quia iste finis non est secundum esse nisi in eo cui acquiritur, ideo absolute non amatur ab aliquo supra se; sed se esse sub tali perfectione, amatur supra se esse simpliciter. Sed est quidam finis per se subsistens non dependens secundum esse a re quae est ad finem; et iste finis desideratur quidem acquiri; sed amatur supra id quod acquisitum est ab illo; et talis finis est Deus, ut supra dictum est.

4. Il existe une double fin. L’une est proportionnée à la chose et reçue en elle comme une perfection qui lui est unie : ainsi, la santé dans les opérations de la médecine. Parce que cette fin n’existe que chez celui en qui elle est acquise, elle n’est pas aimée par quelqu’un plus que lui-même au sens absolu ; mais c’est d’exister avec une telle perfection qui est aimé plus que sa propre existence. Mais il existe une fin subsistant par elle-même, qui ne dépend pas pour exister d’une chose qui est ordonnée à une fin. L’obtention de cette fin est certes désirée, mais elle est aimée plus que ce qui est acquis par elle. Une telle fin est Dieu, comme on l’a dit plus haut.

 

[3845] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod bona naturalia, prout in esse naturae absolute considerantur, remanent integra post peccatum, tamen pervertuntur quantum ad rectum ordinem quem habebant in gratia vel virtute; et hanc rectitudinem consequebatur, super omnia Deum diligere.

5. En tant qu’ils sont considérés de manière absolue dans leur être naturel, les biens naturels demeurent intégralement après le péché ; cependant, ils sont sens dessus dessous pour ce qui est de l’ordre adéquat qu’ils possédaient sous la grâce et la vertu. C’est cette droiture qu’ils possédaient : aimer Dieu par-dessus toutes choses.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 3

 

[3846] Super Sent., lib. 2 d. 3 q. 4 a. 1 expos. Hic quaeri solet quam sapientiam habuerunt ante casum vel confirmationem. Ponitur hic duplex Angelorum cognitio; una speculativa, qua cognoscebant Deum et seipsos et alias creaturas; et alia practica sequens eorum operationem, quae ad eos pertinebat, qua cognoscebant quid eligere et respuere deberent. Et haec erat similis cognitioni prudentiae in nobis.

 

 

 

 

 

Distinctio 4

Distinction 4 – [La béatitude initiale des anges]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[3847] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 pr. Ostenso quales fuerunt Angeli in principio suae creationis quantum ad naturam, et quantum ad culpam et innocentiam, hic inquirit quales fuerunt quantum ad gloriam et miseriam; et dividitur in partes tres: in prima movet quaestionem; in secunda determinat eam, ibi: ad quod dici potest, quod nec in beatitudine nec in miseria creati sunt; in tertia epilogat ea quae dixerat, ibi: quales fuerunt Angeli in creatione ostensum est. Secunda pars dividitur in duas, secundum duas quaestiones propositas, quarum prima quaerebat de beatitudine; secunda de perfectione beatitudini annexa quam determinat ibi: ad hoc autem quod quaerebant utrum perfecti vel imperfecti fuerint creati, dici potest, quod quodam modo perfecti fuerunt et quodam alio modo imperfecti. Circa primum tria facit: primo determinat quaestionem quantum ad malos; secundo quantum ad bonos, ibi: boni vero qui perstiterunt, forte suae beatitudinis praescii fuerunt; tertio solutionis virtutem post inquisitionem colligit, ibi: ex praedictis consequitur quod Angeli qui corruerunt, numquam beati fuerunt. Circa secundum duo facit: primo ponit quamdam viam per quam videtur Angelos bonos, beatos creatos; secundo excludit eam, ibi: sed haec magis opinando et quaerendo dicit Augustinus quam asserendo. Hic tria quaeruntur: 1 utrum Angeli in principio suae creationis beati fuerunt vel miseri, 2 si non, utrum beatitudinem suam vel miseriam praesciverunt; 3 utrum perfecti in gratia creati sunt.

Après avoir montré comment étaient les anges au commencement de leur création pour ce qui était de leur nature et pour ce qui était de la faute et de l’innocence, [le Maître] se demande ici comment ils étaient pour ce qui était de la gloire et de la misère. Cela se divise en trois parties. Dans la première, il soulève une question. Dans la deuxième, il en détermine, à cet endroit : « On peut dire à cela qu’ils n’ont été créés ni dans la béatitude ni dans la misère. » Dans la troisième, il termine ce qu’il avait dit, à cet endroit : « On a montré comment étaient les anges lors de leur création. » La deuxième partie se divise en deux, selon les deux questions mises de l’avant. La première s’interrogeait sur la béatitude ; la seconde, sur la perfection associée à la béatitude, qu’il précise à cet endroit : « À la question : ont-ils été créés parfaits ou imparfaits ? on peut dire qu’ils étaient parfaits d’une manière et imparfaits d’une autre. » À propos du premier point, [le Maître] fait trois choses. Premièrement, il détermine de la question pour ce qui est des méchants. Deuxièmement, pour ce qui est des bons, à cet endroit : « Mais les bons qui ont tenu connaissaient peut-être à l’avance leur béatitude. » Troisièmement, il recueille la force de la solution après la recherche, à cet endroit : « Il découle de ce qui a été dit que les anges qui sont tombés n’ont jamais été bienheureux. » À propos du deuxième point, il fait deux choses. Premièrement, il présente une démarche selon laquelle il semble que les anges bons ont été créés bienheureux. Deuxièmement, il l’écarte, en cet endroit : « Mais Augustin dit cela plutôt à titre d’opinion et en s’interrogeant plutôt qu’en affirmant. » Ici, trois questions sont posées : 1. Au commencement de leur création, les anges ont-ils été bienheureux ou misérables ? 2. Sinon, ont-ils connu d’avance leur béatitude ou leur misère ? 3. Ont-ils été créés parfaits dans la grâce ?

 

 

 

 

Articulus 1 : [3848] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 tit. Utrum Angeli sint creati beati

Article 1 – Les anges ont-ils été créés bienheureux ?

 

[3849] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angeli creati sint beati. Primo per Augustinum in Lib. de ecclesiasticis dogmatibus, qui dicit quod Angeli qui in illa in qua sunt creati beatitudine perseverant, non natura, sed gratia possident ut non mutentur. Sed Angeli boni, de quibus loquitur, perseverant in beatitudine perfectae gloriae. Ergo videtur quod in illa creati sint.

1. Il semble que les anges aient été créés bienheureux. Premièrement, selon Augustin, dans le livre Sur les enseignements de l’Église, qui dit des anges qui persévèrent dans la béatitude où ils ont été créés, qu’ils possèdent de ne pas changer, non pas par nature, mais par grâce Or, les anges bons, dont il est question, persévérent dans la béatitude de la gloire parfaite. Il semble donc qu’ils aient été créés avec celle-ci.

 

[3850] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, tota substantia beatitudinis consistit in Dei visione; unde dicitur Joan. 17, 3: haec est vita aeterna ut cognoscant te solum Deum verum et quem misisti Jesum Christum. Sed Angeli in principio suae creationis Deum viderunt: alias in verbo creaturas non cognovissent cognitione matutina, quam Augustinus ponit. Ergo videtur quod beati creati sunt.

2. Toute la substance de la béatitude consiste dans la vision de Dieu. Aussi est-il dit, en Jn 17, 3 : La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui qui tu as envoyé, Jésus, le Christ. Or, les anges ont vu Dieu au commencement de leur création, autrement ils n’auraient pas connu les créatures par une connaissance matinale dans le Verbe, ce qu’affirme Augustin. Il semble donc qu’ils aient été créés bienheureux.

 

[3851] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, supra dictum est, quod Angeli in principio suae creationis aliquam cognitionem de Deo habuerunt. Non autem cognoverunt in speculo et aenigmate, sicut nos modo ut dicitur 1 Corinth 13 : quia obscuritas aenigmatis est rationis obumbratae per continuum tempus, in quantum a sensibus et fantasmatibus cognitionem inquirendo accipit. Ergo cognoverunt per speciem, et ita beati fuerunt.

 

3. On a dit plus haut que les anges ont eu une certaine connaissance de Dieu au commencement de leur création. Or, ils ne l’ont pas connu dans un miroir et comme dans une énigme, comme c’est pour le cas pour nous maintenant, ainsi qu’il est dit en 1 Co 13, car l’obscurité de l’énigme est celle de la raison pendant la durée du temps, pour autant qu’elle reçoit sa connaissance en cherchant à partir des sens et des fantasmes. Ils ont donc connu selon la vision, et ainsi ils étaient bienheureux.

 

[3852] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, venire de posterioribus in priora, de causatis in causas, est virtutis inquirentis et conferentis. Sed intellectus angelicus non est hujusmodi; quinimmo deiformiter intelligit sine inquisitione sicut nos prima principia, quorum est intellectus. Ergo videtur quod Deum non ex creaturis cognoverunt, sed ipsum in se, et ita visionem gloriosam habuerunt.

4. Passer des réalités postérieures aux réalités antérieures, des réalités causées aux causes relève d’une puissance qui cherche compare. Or, l’intelligence angélique n’est pas de ce genre ; bien plutôt, elle intellige à la manière de Dieu, sans recherche, comme nous, les premiers principes, sur lesquels porte l’intelligence. Il semble que [les anges] n’aient pas connu Dieu à partir des créatures, mais qu’[ils l’aient connu] lui-même en lui-même, et ainsi qu’ils aient eu la vision glorieuse.

 

[3853] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, de ratione beatitudinis est status confirmatio; unde Boetius dicit: quid me felicem toties jactastis amici? Qui cecidit stabili non erat ille gradu. Sed Angeli in principio suae creationis non fuerunt confirmati omnes, quod quorumdam casus ostendit: nec etiam quidam aliis non confirmatis: quia culpam non potuit praecedere distinctio in carentia beneficiorum quae a Deo conferebantur. Ergo videtur quod non fuerunt creati beati in principio suae creationis.

Cependant, [1] la confirmation de son état fait partie de l’essence de la béatitude. Aussi Boèce dit-il : « Pourquoi me proclamez-vous bienheureux si souvent ? Celui qui est tombé ne se trouvait pas sur un degré solide. » Or, les anges, au commencement de leur création, n’ont pas tous été confirmés, ce que montre la chute de certains ; certains [n’ont pas non plus été confirmés], alors que d’autres n’étaient pas confirmés, car une différence dans le manque de bienfaits conférés par Dieu ne pouvait précéder la faute. Il semble donc qu’ils n’aient pas été créés bienheureux au commencement de leur création.

 

[3854] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, simul boni Angeli effecti sunt beati et mali Angeli miseri. Ergo videtur, cum mali Angeli in principio suae creationis non fuerint miseri, sicut nec peccatores, quod nec boni in principio suae creationis beati fuerunt.

[2] Les anges bons sont devenus bienheureux en même temps que les anges mauvais sont devenus misérables. Puisque les anges mauvais n’étaient pas misérables au commencement de leur création, pas davantage que pécheurs, il semble donc que les bons non plus n’étaient pas bienheureux au commencement de leur création.

 

[3855] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod beatitudo, sive felicitas, est in perfectissima operatione habentis rationem et intellectum. Intellectus autem perfectissima operatio est in contemplatione altissimi intelligibilis, quod Deus est. Unde tam Dei quam Angeli, quam etiam hominis ultima felicitas et beatitudo, Dei contemplatio est, non solum secundum sanctos, sed etiam secundum philosophos. Hanc autem operationem non est possibile aequaliter in omnibus inveniri; unde beatitudo uniuscujusque consistit, inquantum hanc operationem attingit secundum modum suae perfectionis; et ideo diversimode invenitur in Deo et in Angelo et in homine secundum eorum naturalia consideratis. Ipse enim Deus seipsum per essentiam suam videt et non per aliquam sui similitudinem. Intellectus autem Angeli naturali cognitione ipsum videt per similitudinem ejus acquisitam in ipso; unde in Lib. de causis dicitur, quod intelligentia scit quod est supra se, inquantum est creata ab eo; unde similitudinem divini esse participat secundum modum suum. Sed intellectus humanus non pervenit ad hanc visionem naturali cognitione nisi per similitudinem a creaturis receptam, inquantum per ea quae facta sunt, invisibilia cognoscit, ut dicitur Rom. 1. Et differt haec triplex visio, ut sensibiliter loquamur; sicut oculus videt lucem existentem in pupilla, non per aliquam speciem ejus; et haec est similis visioni qua Deus videt se. Sed visio qua Angelus videt Deum, est similis visioni qua aliquis videt hominem per similitudinem immediate ab ipso receptam. Sed visio intellectus humani qua Deum videt, similis est illi visioni qua aliquis hominem videt intuendo speculum, in quo hominis imago resultat: et propter hoc dicimur in speculo videre, 1 Corinth. 13: et in hac beatitudine visionis divinae, quae naturaliter Angelis debetur, Angeli creati sunt; et haec est perfectio eorum secundum tempus illud. Sed est alia perfectio, in quam per naturam suam non possunt devenire, cujus tamen capaces sunt: ut scilicet ipsum Deum in essentia sua videant, non per aliquam similitudinem receptam, ut eorum beatitudo divinae beatitudini sit conformis; et in hac beatitudine creati non sunt, sed ad eam, aliis cadentibus, pervenerunt.

Réponse. La béatitude ou la félicité consiste dans l’opération la plus parfaite de celui qui possède raison et intelligence. Or, l’opération la plus parfaite de l’intelligence consiste dans la contemplation de l’intelligible le plus élevé, qui est Dieu. Aussi la félicité et la béatitude ultimes de Dieu, des anges et même de l’homme consistent-elles dans la contemplation de Dieu, non seulement selon les saints, mais aussi selon les philosophes. Mais on ne peut trouver cette opération de manière égale chez tous. La béatitude de chacun consiste donc en ce qu’il atteigne cette opération selon le mode de sa perfection. C’est pourquoi elle se trouve différemment chez Dieu, chez l’ange et chez l’homme, considérés selon ce qui leur est naturel. En effet, Dieu lui-même se voit par sa propre essence, et non par une ressemblance de lui-même. Mais l’intelligence de l’ange le voit par une connaissance naturelle selon une ressemblance de lui-même acquise en elle-même ; aussi est-il dit, dans le livre Sur les causes, que l’intelligence connaît ce qui est au-dessus d’elle dans la mesure où elle est créée par lui. Elle participe donc à la ressemblance de l’être divin selon son mode propre. Mais l’intelligence humaine ne parvient à cette vision selon une vision naturelle que par une ressemblance reçue des créatures, dans la mesure où elle connaît les réalités invisibles par ce qui a été créé, comme il est dit dans Rm 1. Et, pour parler selon une comparaison avec les sens, cette triple vision diffère comme l’œil voit la lumière présente dans la pupille, et non pas une espèce d’elle, et cette vision est semblable à celle par laquelle Dieu se voit. Tooutefois, la vision par laquelle l’ange voit Dieu est semblable à la vision par laquelle quelqu’un voit un homme par une ressemblance immédiatement reçue de lui. Mais la vision de l’intelligence humaine par laquelle elle voit Dieu est semblable à la vision par laquelle quelqu’un voit un homme en regardant dans un miroir, dans lequel l’image de l’homme apparaît, 1 Co 13. Les anges ont été créés dans cette béatitude de la vision divine qui revient naturellement aux anges : telle est leur perfection à ce moment-là. Mais il existe une autre perfection, à laquelle ils ne peuvent parvenir par leur propre nature, mais dont ils sont cependant capables : qu’ils voient Dieu dans sa propre essence, et non pas par une ressemblance reçue, de sorte que leur béatitude soit conforme à la béatitude divine. Ils n’ont pas été créés dans cette béatitude, mais ils y sont parvenus, alors que les autres ont chuté.

 

[3856] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus nominat beatitudinem illam visionem Dei naturalem; per quam tamen non erant beati simpliciter, cum majoris perfectionis capaces essent secundum quid, scilicet secundum tempus illud: sicut et philosophus, dicit aliquos in hac vita beatos, non simpliciter sed ut homines.

1. Augustin appelle cette béatitude la vision naturelle de Dieu ; par elle, ils n’étaient cependant pas simplement bienheureux, puisqu’ils étaient capables d’une plus grande perfection sous un aspect, à savoir, selon ce temps. Ainsi, le Philosophes dit-il que certains sont bienheureux en cette vie, non pas simplement, mais comme des hommes.

 

[3857] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod viderunt verbum per similitudinem verbi in eis impressam; non tamen in hoc est ultima eorum beatitudo, ut dictum est.

2. Ils voyaient le Verbe par une ressemblance du Verbe imprimée en eux ; cependant, leur béatitude ultime ne consiste pas en cela, comme on l’a dit.

 

[3858] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non proprie dicitur illa cognitio specularis, sicut homo non dicitur videre in speculo illud cujus similitudo in oculo suo relinquitur, nisi ipse oculus speculum diceretur in quo species rei resultat. Nec tamen est visio beata, ut dictum est.

3. Au sens propre, on ne dit pas que cette connaissance est une connaissance dans un miroir, comme on ne dit pas que l’homme voit dans un miroir ce dont la ressemblance est restée dans son œil, à moins d’appeler miroir l’œil même dans lequel l’espèce de la chose apparaît. Il ne s’agit cependant pas de la vision bienheureuse, comme on l’a dit.

 

[3859] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtutis cognoscitivae est una conversio in speciem rei et in rem ipsam; unde ex hoc quod aliquis per speciem rei quam apud se habet, rem illam cognoscit, non dicitur conferre; sed ex eo quod ex similitudine unius rei aliam rem accipit; et ita patet quod non oportet intellectum Angeli ponere collativum et inquisitivum.

4. Il existe une conversion de la puissance cognitive qui se tourne vers l’espèce d’une chose et vers la chose elle-même. Du fait que quelqu’un connaît une chose par l’espèce de la chose qu’il a en lui-même, on ne dit pas qu’il compare, mais [on dit cela] du fait qu’il perçoit une autre chose à partir de la similitude d’une chose. Il ressort ainsi clairement qu’il ne faut pas affirmer que l’intelligence de l’ange compare et recherche.

 

 

 

 

Articulus 2 : [3860] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 tit. Utrum Angeli praesciverint suam miseriam vel beatitudinem

Article 2 – Les anges ont-ils connu à l’avance leur misère ou leur béatitude ?

 

[3861] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod Angeli suam miseriam vel beatitudinem praesciverunt. Sicut enim Angeli ita et hominis miseria est per peccatum. Sed homini suum peccatum quandoque praenuntiatur, sicut dominus Petro futurum peccatum praedixit, ut legitur Matth. 26. Ergo videtur quod etiam Angelis suum casum praenuntiare debuerit.

1. Il semble que les anges aient connu à l’avance leur misère ou leur béatitude. En effet, la misère de l’homme après le péché est semblable à celle de l’ange. Or, son péché est parfois annoncé à un homme à l’avance ; ainsi, le Seigneur a prédit à Pierre son péché à venir, comme on le lit en Mt 26. Il semble donc qu’il ait dû aussi annoncer à l’avance leur chute aux anges.

 

[3862] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Bernardus de gradibus humilitatis, dicit, quod Diabolus praevidit se super malos principatum habiturum, propter hoc in latere Aquilonis solium suum ponere volebat; ut dicitur Isai. 14. Sed non est factus princeps malorum, nisi per peccatum. Ergo videtur quod peccatum suum praesciverit.

2. À propos des degrés de l’humilité, Bernard dit que le Diable a vu à l’avance qu’il serait à la tête des méchants ; pour cette raison, il voulait placer son trône du côté de l’Aquilon, comme il est dit dans Is 14. Or, il n’est devenu le prince des méchants que par le péché. Il semble donc qu’il ait connu son péché.

 

[3863] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ante peccatum nullus dolor vel poena praecessit in Angelis. Sed esse incertum de sua salute est sanctis magna causa doloris, ut dicit Gregorius super illud Job 3, 23: viro cujus abscondita est vita et circumdedit eum Deus tenebris. Ergo videtur quod boni Angeli certi fuerunt de sua salute, et ita etiam mali de suo casu.

3. Aucune douleur ni peine n’a existé chez les anges avant le péché. Or, être incertain de leur salut est une grande cause de douleur pour les saints, comme le dit Grégoire à propos de Jb 3, 23 : Pour l’homme dont la vie est cachée et que Dieu a entouré de ténèbres. Il semble donc que les anges bons aient été certains de leur salut, et aussi les mauvais de leur chute.

 

[3864] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, quanto aliquid est magis remotum a cognoscente, tanto minus subjacet cognitioni ejus. Sed magis distant ab Angelis ea quorum ipsi non sunt causae (sicut res naturales quarum tamen cognitionem habebant) quam motus liberi arbitrii, quibus sunt conversi vel aversi, quorum ipsi sunt causae. Ergo suam conversionem et aversionem praesciverunt.

4. Plus quelque chose est éloigné de celui qui connaît, moins cela est soumis à sa connaissance. Or, ce dont les anges ne sont pas eux-mêmes causes (comme les réalités naturelles dont ils ont pourtant connaissance) est plus éloigné d’eux que les mouvements du libre arbitre, par lesquels ils se sont tournés [vers Dieu] ou détournés, et dont ils sont eux-mêmes causes. Ils ont donc connu à l’avance leur conversion ou leur détournement.

 

[3865] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, quicumque est certus de malo futuro, non potest simul sperare bonum contrarium. Si ergo Angeli qui ceciderunt, praescivissent suum casum, oportebat eos desperare de beatitudine accipienda. Ergo fuissent desperati antequam peccassent: quod est inconveniens.

Cependant, [1] quiconque est certain d’un mal à venir ne peut en même temps espérer le bien contraire. Si donc les anges qui sont tombés avaient connu leur chute à l’avance, il fallait qu’ils désespèrent de la béatitude à recevoir. Ils auraient donc été désespérés avant de pécher, ce qui est inapproprié.

 

[3866] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne quod quis apprehendit, oportet quod sit vel conveniens suae voluntati, vel discordans. Sed malum culpae non potest esse concordans voluntati peccantis sine peccato, nec potest aliquid cognitum discordare a voluntate sine dolore et poena. Ergo si casum suum praesciverunt, oportet quod poena vel culpa in eis praecederet primam culpam: quod est impossibile.

[2] Tout ce que quelqu’un saisit doit soit s’accorder à sa volonté, soit être en désaccord. Or, le mal de faute ne peut s’accorder sans péché à la volonté de celui qui pèche ; quelque chose de connu ne peut pas non plus être en désaccord avec sa volonté sans douleur ni peine. S’ils ont connu leur chute, il est donc nécessaire qu’une peine ou une faute ait précédé chez eux la première faute, ce qui est impossible.

 

[3867] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod aliquod potest praecognosci dupliciter: vel cognitione certa, sicut ea quae habent causas determinatas infallibiles, ut solem oriri cras; vel cognitione conjecturali, sicut ea quae habent causas determinatas ut in majori parte, sicut medicus praecognoscit sanitatem futuram, et nauta tempestatem. Cum ergo casus et confirmatio Angelorum dependeant ex libero arbitrio, quod non est causa determinata ad unum, non potuit eorum praecognitio haberi secundum certitudinem, nisi a Deo, qui praesentialiter omnia intuetur. Sed tamen secundum conjecturam poterant praesumere omnes se habituros beatitudinem, quia ad hoc eorum natura erat magis inclinata, velut ad hoc instituta; sed suum casum praescire non poterant ex seipsis nec per conjecturam nec per certitudinem; sed tantum potentiam cadendi. Nec etiam fuit congruum a Deo eis revelari, ne poena culpam praecederet; nec iterum bonis suam confirmationem, ne distinctio culpam praecederet, ut in littera dicitur. Si tamen utrisque revelatum fuisset; recepissent id non secundum certitudinem, prout in Deo erat, sed secundum modum suum, quasi ad cautelam dictum.

Réponse. Quelque chose peut être connu à l’avance de deux manières : d’une connaissance certaine, comme ce qui a des causes déterminées infaillibles : ainsi le soleil va se lever demain ; soit d’une connaissance par conjecture, comme ce qui a des causes déterminées dans la majorité des cas : ainsi le médecin connaît à l’avance la santé à venir, et le marin, la tempête. Puisque la chute et la confirmation des anges dépendent du libre arbitre, qui n’est pas une cause déterminée à une seule chose, leur connaissance à l’avance ne pouvait donc pas être certaine, à moins qu’elle ne vienne de Dieu, qui voit tout comme si cela était présent. Toutefois, par conjecture, ils pouvaient présumer qu’ils posséderaient tous la béatitude, car leur nature est davantage inclinée à cela puisqu’elle a été créée pour cela. Mais ils ne pouvaient connaître à l’avance leur chute par eux-mêmes ni par conjecture, ni de manière certaine, mais seulement leur pouvoir de tomber. Il n’était pas non plus convenable que cela leur soit révélé par Dieu, de sorte que la peine ne précède pas la faute ; non plus que leur confirmation [soit révélée] aux bons, de crainte qu’une distinction ne précède la faute, comme il est dit dans le texte. Cependant, si cela avait été révélé aux deux, ils l’auraient accuilli, non pas avec certitude, comme cela existait en Dieu, mais selon leur mode, comme une mise en garde.

 

[3868] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Petrus etiam domini praenuntiationem accepit non per certitudinem, sed ad comminationem dictam. Praeterea, non est simile de homine et de Angelo: quia homo cadit reparabiliter; unde desperare non cogitur ex praescientia sui casus, sicut Angelus, cujus casus est irreparabilis.

1. Pierre aussi a accueilli la prémonition du Seigneur, non pas avec certitude, mais comme exprimant une menace. De plus, il n’en va pas de même de l’homme et de l’ange, car l’homme tombe et peut être rétabli ; aussi n’est-il pas forcé de désespérer pour avoir connu à l’avance sa chute, comme c’est le cas de l’ange, dont la chute est irréparable.

 

[3869] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quando ad aliquod consequens potest per multa diversa antecedentia veniri, contingit consequens sciri sine hoc quod antecedentia determinate sciantur; sicut Joseph praevidit suum dominium super fratres, non tamen venditionem, et alia ex quibus dominium consecutus est. Ita et Daemon potuit praevidere suum principatum super malos sine hoc quod casum praesciret, quia poterat malorum princeps esse etiam bonus existens.

2. Lorsqu’on peut parvenir à une conclusion par de nombreux antécédents, il arrive qu’une conséquence soit connue sans que les antécédents soient connus de manière déterminée. Ainsi, Joseph connut à l’avance qu’il serait à la tête de ses frères, mais non sa vente et les autres choses par lesquelles il a obtenu d’être à leur tête. Ainsi le démon pouvait-il prévoir qu’il dirigerait les [anges] méchants, sans connaître la chute, car il pouvait être le prince des méchants en continuant d’être bon.

 

[3870] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa conjecturalis cognitio, per quam de sua bonitate praesumebant, omnem dubitationem et anxietatem ab eis auferebat, cum hoc quod non erat in eis aliquid ad casum trahens, sicut in nobis.

3. Cette connaissance conjecturale, par laquelle ils estimaient à l’avance leur bonté, leur enlevait tout doute et toute anxiété, en même temps que ce qui n’était pas chez eux quelque chose qui les entraînait à la chute, comme pour nous.

 

[3871] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod effectus naturales qui non habent causas determinatas ad unum, praescire non poterant in causis, sed tantum illa quae ex causis naturalibus determinatis ad unum procedunt: et ita in seipsis cognoscebant ea quae in natura eorum determinata erant, non autem illa quae ex libero arbitrio dependebant, ut dictum est.

4. Ils ne pouvaient connaître dans leurs causes les effets naturels qui n’ont pas de causes déterminées à une seule chose, mais seulement ce qui vient de causes naturelles déterminées à une seule chose. Et ainsi, ils connaissaient en eux-mêmes ce qui avait été déterminé dans leur nature, mais non ce qui dépendait du libre arbitre, comme on l’a dit.

 

 

 

 

Articulus 3 : [3872] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 tit. Utrum Angeli creati fuerint in gratia

Article 3 – Les anges ont-ils été créés avec la grâce ?

 

[3873] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Angeli non sint creati in gratia. Sicut enim dicit Augustinus, per caelum, quod primo creatum commemoratur, datur intelligi informis natura spiritualis, sicut in se potest existere, non conversa ad creatorem. Sed haec conversio per gratiam fit. Ergo videtur quod angelica natura creata est informis sine gratia.

1. Il semble que les anges n’aient pas été créés avec la grâce. En effet, comme le dit Augusstin, par le « ciel », dont on rappelle qu’il a été créé en premier, on donne à comprendre la nature spirituelle informe, telle qu’elle peut exister chez eux, alors qu’elle n’est pas tournée (conversa) vers le Créateur. Or, cette conversion se réalise par la grâce. Il semble donc que la nature angélique ait été créée informe sans la grâce.

 

[3874] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut supra in littera habitum est, per ea quae Angeli in principio creationis acceperunt, poterant stare, sed non poterant proficere. Sed per gratiam potest aliquis mereri gratiae augmentum, et ita proficere. Ergo non fuerunt in gratia creati.

2. Comme on l’a lu plus haut dans le texte, par ce que les anges ont reçu au commencement de la création, ils pouvaient tenir, mais ils ne pouvaient pas progresser. Or, par la grâce, quelqu’un peut mériter l’accroissement de la grâce, et ainsi progresser. Ils n’ont donc pas été créés dans la grâce.

 

[3875] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit, ut supra habitum est, quod Diabolus continuo ut factus est, non cecidit ab eo quod accepit, sed quod acciperet, si Deo subdi voluisset. Cecidit autem a gratia. Ergo gratiam nondum acceperat.

3. Comme on l’a vu plus haut, Augustin dit que le Diable n’est pas immédiatement tombé de ce qu’il avait reçu, mais de ce qu’il aurait reçu, s’il avait voulu se soumettre à Dieu. Or, il est tombé de la grâce. Il n’avait donc pas encore reçu la grâce.

 

[3876] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum Augustinum, per lucem primo creatam significatur gratia Angelorum. Sed quam cito facta ex lux, divisa est a tenebris, per quas intelliguntur Angeli peccantes. Cum ergo nullus Angelus fuerit tenebra per peccatum in principio suae creationis, videtur quod nec etiam fuerunt lux per gratiam.

4. Selon Augustin, par la lumière créée en premier lieu, la grâce des anges est signifiée. Or, dès que la lumière a été créée (corr. ex/est), elle a été séparée des ténèbres, par lesquelles on entend les anges qui pèchent. Puisque aucun ange n’était ténèbre au commencement de leur création, il semble qu’ils n’étaient pas non plus lumière par la grâce.

 

[3877] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, cum in principio creationis non fuerit distinctio in Angelis quantum ad gratiam et culpam, si aliqui in gratia fuerint creati omnes in gratia creati fuissent. Sed illi qui ceciderunt, nunquam in gratia fuerunt: quia cum non fuisset in eis aliquid retrahens, impetum gratiae secuti fuissent dirigentis in Deum. Ergo videtur quod nullus in gratia creatus est.

5. Puisque, au commencement de la création, il n’y avait pas de séparation chez les anges pour ce qui est de la grâce et de la faute, si quelques-uns ont été créés avec la grâce, tous auraient été créés avec la grâce. Or, ceux qui sont tombés n’ont jamais eu la grâce, car, puisqu’il n’y avait rien chez pour les retenir, ils auraient suivi la poussée de la grâce qui oriente vers Dieu. Il semble donc qu’aucun n’a été créé avec la grâce.

 

[3878] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit, quod Deus simul erat condens naturam et largiens gratiam. Ergo in principio creationis gratiam habuerunt.

Cependant, [1] Augustin dit que Dieu établissait la nature en même temps qu’il donnait la grâce. Au commencement de la création, [les anges] avaient donc la grâce.

 

[3879] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, supra illud Oseae 3, 1: diligunt vinacia uvarum, dicit Glossa, quod Daemones in magna pinguedine sancti spiritus creati sunt, qua per peccatum sunt privati. Sed pinguedo sancti spiritus est gratia. Ergo in gratia creati sunt.

[2] À propos de Os 3, 1 : Ils aiment le marc de raisin, la Glose dit que les démons ont été créés dans une grande surabondance de l’Esprit Saint, par laquelle ils étaient privés de péché. Or, la surabondance de l’Esprit Saint est la grâce. Ils ont donc été créés avec la grâce.

 

[3880] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, ad divinam liberalitatem pertinet ut gratiam infundat omnibus qui sunt capaces gratiae, nisi in eis aliquid resistens inveniatur, multo amplius quam cuilibet materiae dispositae formam naturalem tribuat. Sed Angeli in principio suae creationis motum liberi arbitrii habuerunt, nec aliquid in eis impediens fuit. Ergo videtur quod statim in eis gratiam infudit.

[3] Il revient à la libéralité divine d’introduire la grâce en tous ceux qui sont capables de la grâce, encore bien davantage que de donner sa forme naturelle à toute matière disposée, à moins que ne se trouve chez eux un obstacle. Or, au commencement de leur création, les anges avaient le mouvement du libre arbitre, et il n’y avait pas d’obstacle chez eux. Il semble donc que [la libéralité divine] a immédiatement introduit la grâce en eux.

 

[3881] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 s. c. 4 Praeterea, gratiam per naturalia nullus mereri potuit, per quae tamen ad eam se praeparare potest. Sed praeparatio ad gratiam potest esse etiam per unum motum liberi arbitrii, sicut patet in contritione. Ergo videtur quod cum motum liberi arbitrii habuerint in principio creationis suae, pro nihilo differretur gratiae collatio: et ita videtur quod statim gratiam habuerunt.

[4] Personne ne pouvait mériter la grâce par ce qui est naturel, par quoi il peut cependant s’y préparer. Or, la préparation à la grâce peut aussi se réaliser par un mouvement du libre arbitre, comme cela ressort pour la contrition. Il semble donc que, puisque [les anges] ont eu le mouvement du libre arbitre au commencement de leur création, l’octroi de la grâce ne serait en rien différé. Et ainsi, il semble qu’ils ont aussitôt possédé la grâce.

 

[3882] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod Angeli non in gratia, sed in naturalibus tantum creati sunt; et haec opinio est communior. Alii vero dicunt, Angelos in gratia creatos esse. Harum autem opinionum quae verior sit, non potest efficaci ratione deprehendi, eo quod creaturarum principium ex simplici creatoris voluntate dependet, quam ratione investigare impossibile est; tamen secundum convenientiam ad alia ejus opera, potest una pars alia probabilius sustineri. Illa enim opinio quae ponit Angelos in naturalibus tantum creatos, consonat illi opinioni quae ponit omnia simul in materia, non autem per species distinctas creata: quia sicut se habet materia informis ad formas corporales, ita natura angelica ad gratiam. Illa autem opinio quae ponit Angelos in gratia creatos, magis consonat illi opinioni quae ponit omnia in exordio creationis per species distincta: quae opinio mihi magis placet, absque alterius partis praejudicio: quia huic positioni, praecipuae quantum ad gratiam Angelorum, plures sanctorum auctoritates consonare videntur.

Réponse. À ce propos, il existe une double opinion. En effet, certains disent que les anges ont été créés, non pas avec la grâce, mais avec leurs attributs naturels seulement, et cette opinion est la plus commune. Mais d’autres disent que les anges ont été créés avec la grâce. Or, on ne peut saisir par un raisonnement convaincant laquelle de ces deux opinions est plus vraie, du fait que le commencement des créatures dépend de la simple volonté du Créateur, qu’il est impossible de scruter par la raison. Toutefois, selon ce qui convient à ses autres œuvres, une opinion peut être soutenue comme plus probable. En effet, l’opinion qui affirme que les anges ont été créés avec leurs attributs naturels seulement est en harmonie avec l’opinion qui affirme que tout existe en même temps dans la matière, mais que cela n’a pas été créé selon des espèces distinctes, car le rapport entre la matière informe et les formes corporelles est le même qu’entre la nature angélique et la grâce. Mais l’opinion qui affirme que les anges ont été créés avec la grâce est davantage en harmonie avec l’opinion qui affirme qu’au début de la création, tout [a existé] selon des espèces distinctes, opinion qui me plaît davantage, sans préjudice pour l’autre partie, car les autorités de plusieurs saints me semblent être en harmonie avec cette position, surtout pour ce qui est de la grâce des anges.

 

[3883] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Augustinum, in illa distinctione operum quae in principio Genesis memorantur, non designatur successio temporis, sed ordo naturae tantum, secundum quod in via generationis est imperfectum ante perfectum, et in eodem potentia ante actum; quamvis actus simpliciter praecedat potentiam.

1. Selon Augustin, dans cette différenciation des œuvres qui est rappelée au début de la Genèse, ce n’est pas une succession dans le temps, mais un ordre de nature seulement qui est indiqué, selon que, sur le chemin de la génération, l’imparfait précède le parfait, et que la puissance se trouve chez le même avant l’acte, bien que l’acte précède la puissance simplement.

 

[3884] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dicuntur Angeli non potuisse proficere, non quia mereri non poterant, sed quia per suam virtutem in gloriam transferri non poterant, nisi ampliori lumine infuso.

2. On dit que les anges n’ont pas pu progresser, non pas parce qu’ils ne pouvaient pas mériter, mais parce qu’ils ne pouvaient pas être emportés dans la gloire par leur vertu, à moins qu’une plus grande lumière ne [leur] soit infusée.

 

[3885] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod oportet dicere, Angelos qui peccaverunt, ab aliquo quod habuerunt, cecidisse, sive in gratia creati fuerint, sive non; saltem ab innocentia vel rectitudine naturali: et ideo hoc quod dicitur, quod cecidit ab eo quod nondum receperat, referendum est ad casum a gloria: quod patet ex hoc quod praemittitur: beatae vitae dulcedinem non gustavit et cetera.

3. Il faut dire que les anges qui ont péché sont tombés de quelque chose qu’ils possédaient, qu’ils aient ou non été créés avec la grâce, du moins, de l’innocence ou de la droiture naturelle. C’est pourquoi ce qui est dit : qu’il est tombé de ce qu’il ne possédait pas déjà, doit être mis en rapport avec la chute depuis la gloire, ce qui ressort clairement de ce qui est dit précédemment : « … il n’a pas goûté à la douceur de la vie bienheureuse, etc. »

 

[3886] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in diaphano est aliquid de natura lucis, licet imperfecte, completur autem quando efficitur lucidum in actu; ita etiam in principio creationis Angelorum erat in eis aliquid de natura lucis vel gratiae; vel saltem naturalis intellectus tantum; unde oportet ut per hoc quod dicitur: fiat lux, intelligatur de luce perfecta, quae est gloria, quae non prius bonis infuit quam a malis divisi essent; si tamen intelligatur caelum factum prius tempore ante lucem. Si autem intelligatur non prius factum tempore, sed natura, ut Augustinus exponit in 1 super Genes., tunc potest intelligi de luce gratiae; et per tenebras non intelligitur peccatum Angelorum, sed informitas corporalis creaturae, quae formanda restabat, ut ipse in eodem exponit.

4. De même que, dans le diaphane, il existe quelque chose de la nature de la lumière, bien que de manière imparfaite, et que cela est complété lorsque cela devient lumineux en acte, de même aussi, au début de la création des anges, il y avait en eux quelque chose de la nature de la lumière ou de la grâce ou, tout au moins, seulement de l’intelligence naturelle. Aussi, par « Que la lumière soit ! » faut-il entendre la lumière parfaite, qui est la gloire, qui n’était pas présente chez les bons avant qu’ils ne soient séparés des méchants, à condition de comprendre que le ciel a été créé avant le temps, avant la lumière. Mais si on comprend qu’il n’a pas été créé antérieurement dans le temps, mais par nature, comme Augustin l’explique dans le Commentaire littéral de la Genèse, I, alors on peut l’entendre de la lumière de la grâce et, par les ténèbres, on n’entend pas le péché des anges, mais l’absence de forme chez la créature corporelle, qu’il restait à former, comme il l’explique lui-même dans le même livre.

 

[3887] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ex inclinatione gratiae in bonum, non potest concludi, quod habens gratiam a bono diverti non possit, etiam si nihil habeat retrahens; nisi sit perfecta gratia, quae fini conjungat, qualis est in beatis; quia habens gratiam non agit ex necessitate gratiae, sicut nec necessitate naturae, quae in bonum etiam ordinata est; sed ex libertate voluntatis.

5. À partir de l’inclination de la grâce au bien, on ne peut conclure que celui qui possède la grâce ne peut être détourné du bien, même si rien ne le retient, à moins qu’il s’agisse d’une grâce parfaite, qui unit à la fin, et qui se trouve chez les bienheureux, car celui qui possède la grâce n’agit pas selon nécessité de la grâce, pas davantage que par nécessité de la nature, qui est aussi ordonnée au bien, mais par liberté de sa volonté.

 

[3888] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 ad s. c. Qui autem aliam opinionem sustinent, respondent ad auctoritates, exponentes gratiam non pro gratia gratum faciente, sed pro alia gratia gratis data, sicut est perspicacitas ingenii, vel aliquid hujusmodi in hominibus. Dicunt autem ad alias rationes, quod Deus gratiam distulit, ut ostenderetur quod distat inter possibilitatem naturae et gratiae, ut sic creatura magis beneficium gratiae acceptum haberet.

[1]-[4] Ceux qui soutiennent une autre opinion répondent aux autorités en expliquant que la grâce n’est pas la grâce sanctifiante, mais une autre grâce gratuitement donnée, comme l’est la perspicacité de l’esprit ou quelque chose de ce genre chez les hommes. Mais, pour les autres arguments, ils disent que Dieu a reporté la grâce afin de montrer la distance entre le pouvoir de la nature et celui de la grâce, de sorte que la créature accueille mieux le bienfait de la grâce.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 4

 

[3889] Super Sent., lib. 2 d. 4 q. 1 a. 3 expos. Qui sui eventus ignari fuerunt. Est enim de ratione felicitatis ut felix ea quae ad ipsum pertinent, non ignoret; quamvis non requiratur ad eam omnium scientiam habere. Universaliter autem et summe perfectum est cui nihil unquam deest. Huic consonat quod philosophus dicit in 5 Metaph., illud esse simpliciter perfectum quod habet in se omnes perfectiones quae in generibus rerum inveniuntur; et hanc perfectionem ibidem Commentator dicit esse in Deo.

 

 

 

 

 

Distinctio 5

Distinction 5 – [La conversion et l’aversion des anges]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’ange pouvait-il pécher ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[3890] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 pr. Post haec consideratio adducit inquirere, quales effecti sint, dum dividerentur aversione et conversione. Ostenso quales Angeli creati sunt, hic ostendit eorum differentiam ad invicem per aversionem et conversionem: et dividitur in partes duas: in prima determinat de aversione Angelorum; in secunda determinat quae consequuntur aversos et conversos secundum operationem eorum ad invicem, 6 dist., ibi: praeterea scire oportet, quoniam sicut de majoribus et minoribus quidam perstiterunt; ita de utroque gradu quidam corruerunt. Prima in duas: in prima determinat aversionem et conversionem quorumdam; in secunda ostendit per quid sunt aversi et conversi, ibi: habebant enim omnes liberum arbitrium. Et circa hoc duo facit: primo ostendit quod per liberum arbitrium sunt aversi et conversi; secundo inquirit, utrum liberum arbitrium sufficiat ad conversionem, sicut ad aversionem, ibi: si autem quaeritur utrum post creationem conversis aliquid collatum sit per quod converterentur (...) dicimus, quia eis collata est gratia cooperans. Et circa hoc duo facit: primo ostendit quod conversis apposita est gratia, per quam converterentur; secundo inquirit utrum per gratiam illam, suam beatitudinem meruerint, ibi: hic quaeri solet, utrum in ipsa confirmatione beati fuerint Angeli. Circa primum duo facit: primo determinat veritatem; secundo excludit objectum, ibi: ideoque a quibusdam dici solet, non esse imputandum illis qui aversi sunt. Hic est duplex quaestio. Prima est de aversione malorum Angelorum. Secunda de conversione bonorum. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum Angelus peccare potuerit; 2 quid appetendo peccaverit; 3 ad quod genus peccati, ejus peccatum reducatur.

« Après cela, l’examen conduit à se demander ce que [les anges] sont devenus, lorsqu’ils ont été séparés par l’aversion et la conversion. » Après avoir montré dans quel état les anges ont été créés, [le Maître] montre ici la différence entre eux selon l’aversion et de la conversion. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de l’aversion des anges ; dans la seconde, il détermine des conséquences, chez ceux qui se sont détournés (aversos) et ceux qui se sont tournés (conversos) [vers Dieu], pour leurs rapports mutuels, d. 6, à cet endroit : « De plus, il faut savoir que, de même que, parmi les plus grands et les plus petits, certains ont tenu, de même certains parmi les deux degrés ont chuté. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’aversion et de la conversion de certains ; dans la seconde, il montre par quoi ils ont été détournés ou se sont convertis, à cet endroit : « En effet, tous avaient le libre arbitre. » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’ils se sont détournés ou tournés par le libre arbitre ; deuxièmement, il se demande si le libre arbitre suffit à la conversion comme à l’aversion, à cet endroit : « Mais si on se demande si quelque chose a été conféré, après leur création, à ceux qui se sont convertis, par quoi ils se sont convertis…, nous disons que leur a été ajoutée la grâce coopérante. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre que la grâce a été apportée à ceux qui se sont convertis, par laquelle ils se sont convertis ; deuxièmement, il se demande si, par cette grâce, ils ont mérité leur béatitude, à cet endroit : « On a coutume de se demander ici si, par leur confirmation même, les anges ont été bienheureux. » À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il détermine de la vérité ; deuxièmement, il écarte une objection, à cet endroit : « C’est pourquoi certains ont coutume de dire qu’il ne faut pas imputer à ceux qui se sont détournés. » Il y a ici deux questions. La première porte sur le détournement des anges mauvais ; la seconde, sur la conversion des [anges] bons. À propos de la première, trois questions sont posées : 1. L’ange peut-il pécher ? 2. Qu’a-t-il désiré pour pécher ? 3. À quel genre de péché son péché se ramène-t-il ?

 

 

 

 

Articulus 1 : [3891] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Angelis possit esse peccatum

Article 1 – Le péché peut-il exister chez les anges ?

 

[3892] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Angelis non potuit esse peccatum. Sicut enim dicitur in 9 Metaph., in his quae semper sunt actu, non potest esse malum: unde Avicenna dicit, quod supra sphaeram lunae non est malum. Sed adhuc minus est de possibilitate in Angelo quam in corpore caelesti. Ergo in Angelis nullo modo potest esse peccatum.

1. Il semble qu’il ne pouvait y avoir de péché chez les anges. En effet, ainsi qu’on le dit dans Métaphysique, IX, chez les êtres qui sont toujours en acte, il ne peut exister de mal ; aussi Avicenne dit-il qu’il n’existe pas de mal au-delà de la sphère de la lune. Or, cette possibilité est encore moindre chez l’ange que dans un corps céleste. Il ne peut donc d’aucune manière y avoir de péché chez les anges.

 

[3893] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quod aliquid sit malum postquam fuit bonum, hoc non potest esse sine motu. Sed motus non est sine materia, ut dicitur in 2 Metaph. Cum ergo in Angelis non sit materia, ut supra dictum est, videtur quod non potuerit in eis peccatum esse.

2. Que quelque chose soit mauvais après avoir été bon, cela ne peut exister sans mouvement. Or, le mouvement n’existe pas sans matière, comme il est dit dans Métaphysique, II. Puisqu’il n’y a pas de matière chez les anges, ainsi qu’on l’a dit plus haut, il semble donc qu’il ne pouvait pas y avoir de péché chez eux.

 

[3894] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut dicitur in 7 Phys., omnis mutatio virtutis et vitii reducitur in alterationem, quae est secundum passiones partis sensitivae. Sed hujusmodi passiones non sunt in Angelis carentibus organis sensus. Ergo in Angelis non potest esse mutatio de virtute in vitium, ut peccent postquam boni fuerant.

3. Comme on le dit dans Physique, tout changement de la vertu et du vice se ramène à une altération, qui se rapporte aux passions de la partie sensible. Or, les passions de ce genre n’existent pas chez les anges à qui font défaut les organes du sens. Chez les anges, il ne peut donc y avoir de changement de la vertu au vice, de sorte qu’ils pèchent après avoir été bons.

 

[3895] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, voluntas non est nisi boni, vel apparentis boni. Ergo cui non potest apparere bonum nisi quod est bonum, non potest voluntas ferri nisi in bonum verum. Sed in Angelis non potest esse bonum apparens, nisi quod est verum bonum. Ergo non possunt desiderare nisi id quod est verum bonum; et ita non possunt peccare. Probatio mediae. Intellectus nunquam errat in his quorum proprie est intellectus, sicut in cognitione principiorum. Sed Angeli non habent nisi intellectivam cognitionem. Ergo non possunt in sua cognitione errare. Unde philosophus dicit in Lib. 3 de anima, quod intellectus semper est rectus, phantasia autem est recta et non recta. Hoc idem dicit Augustinus super Genes., Lib. 12.

4. La volonté n’a comme objet que le bien ou un bien apparent. Donc, celui à qui ne peut apparaître bien que ce qui est bien, sa volonté ne peut être porté que vers un bien vrai. Or, chez les anges, il ne peut exister de bien apparent, qui ne soit un vrai bien. Ils ne peuvent donc désirer que ce qui est bien et ainsi, ils ne peuvent pas pécher. Démonstration de la mineure. L’intelligence ne se trompe jamais à propos de ce qui relève de l’intelligence au sens propre, telle la connaissance des principes. Or, les anges n’ont qu’une connaissance intelligente. Aussi le Philosophe dit-il, Sur l’âme, III, que l’intelligence est toujours droite, mais que l’imagination est parfois droite et parfois non droite. Augustin dit la même chose dans son Commentaire littéral de la Genèse, XII.

 

[3896] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Job 4, 18: ecce qui serviunt ei non sunt stabiles, et in Angelis suis reperit pravitatem. Ergo et cetera.

Cependant, [1] Jb 4, 18 dit le contraire : Voici que ceux qui le servent ne sont pas solides, et il rencontre le mal chez ses anges. Donc, etc.

 

[3897] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ut supra dictum est, 3 dist., Angelis in sui creatione datum est liberum arbitrum. Sed liberum arbitrium quod est ex nihilo, potest etiam in malum deflecti. Ergo videtur quod Angeli peccare potuerunt.

[2] Plus haut, d. 3, on a dit que le libre arbitre a été donné aux anges lors de leur création. Or, le libre arbitre, qui vient du néant, peut aussi être fléchi vers le mal. Il semble donc que les anges puissent pécher.

 

[3898] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod apud omnes Catholicos certum est, Angelos peccasse, et Daemones effectos esse. Quomodo autem peccaverunt, difficile est videre: quia non potest esse peccatum in voluntate, nisi sit aliquo modo deceptio in ratione; unde omnis malus est quodammodo ignorans, ut in 3 Ethic., dicit philosophus: quod qualiter sit videndum est ad propositae quaestionis intellectum. Ipse enim distinguit in 7 Ethic., operandorum duplicem cognitionem, scilicet universalem, et particularem: et quia operationes sunt circa singularia, ideo aliquem recte in universali opinantem, circa singularia peccare contingit. Singularia enim contingit cognoscere dupliciter; scilicet in habitu, et in actu. Contingit ergo aliquem peccantem rectam existimationem etiam de singulari operabili in habitu habere, non tamen in actu; quia in nobis habitus passione ligatur, ne in actum exeat circa considerationem particularis operandi, sicut ebrietate, ita et ira et concupiscentia; adeo ut si verba pronuntiet, sensum mente non teneat, inquantum judicium rationis, vehementia passionis absorbetur: unde dicitur in 6 Ethic., quod delectatio corrumpit existimationem prudentiae. Sed quamvis hoc modo in Angelis judicium intellectus ligari non possit, eo quod tales passiones in eis non sunt, potest tamen ligari inquantum considerando unum retrahitur a consideratione alterius; eo quod ejus intellectus simul plurium non est, nisi sicut in verbo omnia contemplatur. Contingit autem aliquid esse eligendum secundum unam conditionem rei consideratam, quod tamen eligendum non est, omnibus conditionibus concurrentibus consideratis; et ita potuit in Angelis error electionis esse, et peccatum.

Réponse. Pour tous les catholiques, il est certain que des anges ont péché et sont devenus des démons. Mais comment ils ont péché, il est difficile de le voir, car il ne peut y avoir de péché dans la volonté que s’il y a d’une certaine manière erreur dans la raison ; aussi tout méchant est-il d’une certaine manière un ignorant, comme le dit le Philosophe dans Éthique, III. Comment cela se fait, il faut le voir pour comprendre la question proposée. En effet, [Aristote] lui-même fait une distinction entre une double connaissance de ce qui doit être fait : universelle et particulière. Et parce que les opérations portent sur des réalités singulières, il arrive que quelqu’un, qui a une opinion droite dans l’universel, pèche à propos du particulier. En effet, il arrive qu’on connaisse les réalités singulières de deux manières : selon l’habitus et selon l’acte. Il arrive donc qu’un pécheur ait en habitus une estimation droite, même du singulier qui doit être accompli, mais qu’il ne l’ait cependant pas en acte, de sorte qu’il ne passe pas à l’acte dans la considération du particulier à accomplir, par exemple, à cause de l’ébriété, de la colère et de la concupiscence, au point où s’il prononce des paroles, il ne les comprenne pas, dans la mesure où le jugement de la raison est absorbé par l’intensité de la passion. Aussi est-il dit, dans Éthique, VI, que le plaisir corrompt l’estimation de la prudence. Or, bien que le jugement de l’intelligence ne puisse être lié de cette façon chez les anges, du fait qu’il n’existe pas de telles passions chez eux, il peut cependant être lié dans la mesure où, considérant une chose, il est empêché d’en considérer une autre, du fait que son intelligence ne porte pas en même temps sur plusieurs choses, sauf en contemplant toutes choses dans le Verbe. Or, il arrive que quelque chose doive être choisi selon une condition de la chose considérée, qui ne doive cependant pas être choisi, si l’on considère toutes les conditions qui l’entourent. Une erreur dans le choix et un péché ont ainsi pu se produire chez les anges.

 

[3899] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in natura Angelorum non est alia potentia respectu alicujus formae quam acquirere et amittere possit, sicut est in generabilibus et corruptibilibus; et ideo non potest in eis esse malum naturae, sicut nec in ingenerabilibus et incorruptibilibus, cujusmodi sunt corpora caelestia. Sed tamen liberum arbitrium eorum est possibile respectu motus ordinati; et ita potest esse quantum ad hoc deordinatio ad malum.

1. Dans la nature des anges, il n’existe pas d’autres puissances en regard d’une forme qu’il pourrait acquérir ou écarter, comme c’est le cas dans les choses susceptibles de génération et de corruption. C’est pourquoi il ne peut y avoir de mal de nature chez eux, pas davantage que dans ce qui ne peut être engendré ni corrompu, comme c’est le cas des corps célestes. Toutefois, leur libre arbitre est en puissance par rapport à un mouvement ordonné. Ainsi, il peut exister sur ce point un désordre en direction du mal.

 

[3900] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut passio et receptio dicuntur aequivoce in operibus intellectualibus et naturalibus, ita et motus: unde non exigitur quod ad talem motum sit materia; sed sufficit potentia, qualis dicta est in Angelis esse.

2. De même qu’on parle de passion et de réception de manière équivoque pour les opérations intellectuelles et naturelles, de même parle-t-on de mouvement. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’il y ait une matière pour un tel mouvement, mais une puissance suffit, dont on dit qu’elle existe chez les anges.

 

[3901] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dictum philosophi est intelligendum de virtutibus et vitiis quae sunt circa passiones, et de scientia quae est a sensibus acquisita; et hoc in Angelis non invenitur.

3. La parole du Philosophe doit s’entendre des vertus et des vices qui portent sur les passions, et de la science qui est acquise à partir des sens. Et cela ne se rencontre pas chez les anges.

 

[3902] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis intellectus non possit errare ita ut judicet aliquid hujusmodi quod non est, quantum ad illud quod de re percipit; nihilominus intellectus creatus, quia non est omnium simul, potest deficere, ex hoc quod judicat de re quod sit conveniens secundum aliquam conditionem rei consideratam, quod non est conveniens secundum alia quae non considerat: sicut medicus judicans aliquid esse expediens uni aegroto secundum unam infirmitatem ejus consideratam, quod non est sibi simpliciter expediens propter aliam aegritudinem, quam vel non cognoscit, vel non considerat.

4. Bien que l’intelligence ne puisse errer au point de juger quelque chose de ce genre qui n’existe pas, quant à ce qu’elle perçoit de la chose, néanmoins l’intelligence créée, parce qu’elle ne porte pas en même temps sur tout, peut faire défaut en jugeant qu’une chose convient selon une certaine condition, qui ne convient pas selon d’autres choses qu’elle ne considère pas. Ainsi, un médecin juge que quelque chose est approprié pour un malade en considération une maladie, qui ne l’est tout simplement pas en raison d’une autre maladie qu’il ne connaît pas ou qu’il ne considère pas.

 

 

 

 

Articulus 2 [3903] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 tit. Utrum Angelus malus appetierit aequalitatem Dei

Article 2 – L’ange mauvais a-t-il désiré l’égalité avec Dieu ?

 

[3904] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Angelus Dei aequalitatem non appetierit. Quia, sicut dicit Augustinus de Adam loquens, non est credendum, quod vir spirituali mente praeditus, esse voluerit sicut Deus. Sed Angelus multo sapientior fuit homine. Ergo videtur quod Dei aequalitatem non appetiit.

1. Il semble que l’ange n’ait pas désiré l’égalité avec Dieu, car il ne faut pas croire que l’homme doué d’un esprit spirituel ait voulu être comme Dieu, comme le dit Augustin en parlant d’Adam. Or, l’ange était beaucoup plus sage que l’homme. Il semble don qu’il n’ait pas désiré l’égalité avec Dieu.

 

[3905] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod non cadit in apprehensionem, non cadit in voluntatem: quia voluntas non est nisi de aliquo bono apprehenso. Sed aequalitas creaturae ad Deum non cadit in apprehensionem, quia ipse Deus omnem intellectum creatum sua magnitudine excedit. Ergo videtur quod Dei aequalitatem non appetiit.

2. Ce qui n’est pas perçu n’est pas voulu, car la volonté ne porte que sur un bien perçu. Or, l’égalité de la créature avec Dieu n’est pas objet de perception, car Dieu lui-même dépasse tout intellect créé par sa grandeur. Il semble donc que [l’ange] n’ait pas désiré l’égalité avec Dieu.

 

[3906] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, quamvis voluntas sit possibilium et impossibilium, tamen electio non est nisi possibilium, ut dicitur in 3 Ethic. Sed electio Angeli fuit de eo quod desideravit, quia quicumque non peccat per electionem, peccat per infirmitatem vel ignorantiam, ut potest haberi a philosopho in 5 Ethic., quale non fuit peccatum Angeli. Ergo suum desideratum fuit possibile. Sed eum esse aequalem Deo est impossibile. Ergo non fuit suum desideratum.

3. Bien que la volonté porte sur ce qui est possible et impossible, le choix ne porte cependant que sur ce qui est possible, comme on le dit dans Éthique, III. Or, le choix de l’ange n’a porté que sur ce qu’il a désiré, car quiconque ne pèche pas par choix, pèche par faiblesse ou par ignorance, comme on peut le conclure de ce que dit le Philosophe, Éthique, V, ce que le péché de l’ange n’a pas été. Donc, ce qu’il a désiré était possible. Or, il est impossible qu’il soit égal à Dieu. Ce ne fut donc pas son désir.

 

[3907] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, nullus peccat in desiderio sui finis, quia hoc naturale est. Sed finis Angeli et cujuslibet creaturae est assimilari Deo. Ergo videtur quod non peccavit hoc appetendo.

4. Personne ne pèche en désirant sa fin, car cela est naturel. Or, la fin de l’ange et de toute créature est d’être semblable à Dieu. Il semble donc qu’il n’ait pas péché en [le] désirant.

 

[3908] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, quicumque vult assimilari alicui, convertitur ad illud: nullus enim vult esse similis ei quem odio habet. Sed Angelus peccando non est conversus, sed aversus a Deo. Ergo non appetiit similitudinem Dei vel aequalitatem.

5. Quiconque veut devenir semblable à quelqu’un se tourne vers lui : en effet, personne ne veut être semblable à celui qu’il hait. Or, l’ange en péchant ne se tourne pas vers Dieu, mais s’en détourne. Il ne désire donc pas être semblable ou égal à Dieu.

 

[3909] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, supra illud Psalm. 68, 5: quae non rapui, tunc exsolvebam, dicit Glossa, quod Eva sicut Diabolus rapere voluit divinitatem. Ergo videtur quod Diabolus Dei aequalitatem appetiit.

Cependant, [1] à propos de Ps 68, 5: Ce que je n’ai pas pris, je le rendais, la Glose dit qu’Ève, comme le Diable, a voulu ravir la divinité. Il semble donc que le Diable ait désiré l’égalité avec Dieu.

 

[3910] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Isa. 14, 13, ex persona Nabuchodonosor in figura Diaboli dicitur: in caelum ascendam. Non autem potest intelligi de caelo Empyreo, quia in illo creatus fuit. Ergo oportet ut intelligatur de caelo sanctae Trinitatis; et ita videtur quod aequalitatem divinae celsitudinis appetiit.

[2] Il est dit en Is 14, 13, en parlant de Nabuchodonosor comme figure du Diable : Je monterai au ciel. Or, on ne peut entendre cela du ciel empyrée, car il a été créé en celui-ci. Il faut donc l’entendre du ciel de la Sainte Trinité. Ainsi, il semble qu’il ait désiré l’égalité avec la grandeur divine.

 

[3911] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc triplex est opinio. Quidam namque simpliciter et absolute concedunt, quod peccatum Angeli fuit ex hoc quod Deo simpliciter aequalis esse voluit. Nec obstat quod hoc est impossibile: quia, secundum Augustinum, caeca ambitio semper praesumit plus quam possit. Sed hoc non videtur conveniens: quia quamvis homo possit plus desiderare quam possit habere, non tamen plus potest velle quam possit aestimare: quia intellectum voluntas sequitur, et non excedit. Et praeterea in Angelo non est ponere passionem quae ex appetitu honoris judicium intellectus liget, sicut est in nobis. Et praeterea nullus vult aliquid nunquam quo posito ejus natura non maneret. Si autem Angelus Deo aequalis esset, non esset hujus naturae, sed divinae: et ita suum non esse appeteret. Et ideo aliter alii dicunt, quod Dei aequalitatem directe non appetiit, sed indirecte: quia appetiit aliquid, quo habito sequeretur quod Deo esset aequalis, scilicet nulli subesse. Hoc etiam non videtur conveniens: quia totum bonum Angeli est in hoc quod Deo subest; sicut tota claritas aeris est in hoc quod subjicitur radiis solis; et ideo hoc ab Angelo non potuit appeti. Et ideo aliter est dicendum, quod non appetiit aequalitatem simpliciter quantum ad substantiam desiderati, ut scilicet vellet tantam bonitatem habere quantam Deus habet; sed tamen appetiit aequalitatem secundum quid, scilicet quantum ad modum habendi. Bonitas autem sive beatitudo est in Deo, quam habet per suam naturam, et a qua omnis creaturae beatitudo et bonitas transfunditur. Videns ergo Angelus dignitatem naturae suae, qua creaturis ceteris praeeminebat, voluit a se beatitudinem et bonitatem in omnia inferiora derivari; voluit etiam per sua naturalia in perfectionem beatitudinis pervenire: et ideo dicitur, quod sine merito habere voluit hoc quod ex meritis habiturus esset si perstitisset. Nec etiam quantum ad modum habendi, simpliciter Deo aequiparari voluit: non enim voluit a se beatitudinem habere, nec esse primum in alios transfundens; sed a Deo et sub Deo, secundum quod ipse in omni natura operatur.

Réponse. À ce sujet, il y a trois opinions. Car certains concèdent de manière simple et absolue que le péché de l’ange a consisté dans le fait d’avoir voulu être tout simplement égal à Dieu. Et le fait que cela soit impossible ne fait rien, car, selon Augustin, l’ambition aveugle présume toujours davantage qu’elle ne peut. Mais cela ne semble pas approprié, car, bien que l’homme puisse désirer davantage qu’il ne peut avoir, il ne peut cependant vouloir plus qu’il ne peut estimer, car la volonté suit l’intelligence et ne la dépasse pas. De plus, il ne faut pas mettre chez l’ange une passion qui lie le jugement de l’intelligence par un désir d’honneur, comme c’est le cas chez nous. De plus, personne ne veut jamais quelque chose qui, par son existence, empêcherait sa nature de demeurer. Or, si l’ange était l’égal de Dieu, il n’aurait pas la nature [de l’ange], mais celle de Dieu, et ainsi il ne désirerait pas son propre être. C’est pourquoi d’autres disent qu’il ne désire pas l’égalité avec Dieu directement, mais indirectement, car il désire quelque chose qui, par son existence, le rendrait égal à Dieu : n’être soumis à personne. Mais cela non plus ne semble pas approprié, car tout le bien de l’ange consiste à être soumis à Dieu, comme toute la clarté de l’air consiste dans le fait d’être soumis aux rayons du soleil. C’est pourquoi cela ne pouvait être désiré par l’ange. Il faut donc dire autre chose : [l’ange] ne désire pas tout simplement l’égalité quant à la substance de ce qui est désiré, c’est-à-dire posséder autant de bonté que Dieu en possède, mais il désire l’égalité sous un aspect : selon la manière de [la] posséder. Or, la bonté ou la béatitude existe en Dieu par sa nature, à partir de laquelle la béatitude et la bonté sont versées en toute créature. Voyant donc la dignité de sa nature, par laquelle il l’emportait sur toutes les autres créatures, [l’ange] a voulu que la bonté et la béatitude dérivent de lui dans toutes les réalités inférieures. Il a aussi voulu parvenir à la perfection de la béatitude par ses attributs naturels. C’est pourquoi on dit qu’il a voulu posséder sans le mériter ce qu’il aurait possédé par ses mérites, s’il avait persisté. Il n’a pas non plus voulu être tout simplement l’égal de Dieu par la manière de posséder : en effet, il n’a pas voulu tenir de lui-même la béatitude, ni être le premier à la répandre dans les autres, mais à partir de Dieu et dans la soumission à Dieu, selon qu’il agit en toute nature.

 

[3912] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Angelus noluit aequalitatem simpliciter, sicut nec homo; sed modo praedicto. Quidam tamen dicunt, quod Adam magis fuit praeditus spirituali mente quam Angelus; non tamen quantum ad gradum naturae, sed quantum ad divinam revelationem, quam habuisse creditur, cum dominus in eum soporem immisit.

1. L’ange n’a pas voulu tout simplement l’égalité, pas plus que l’homme, mais selon le mode exprimé plus haut. Cependant, certains disent qu’Adam a été davantage pourvu d’esprit spirituel que l’ange, non pas selon le degré de sa nature, mais selon la révélation divine, dont on croit qu’il l’a reçue lorsque le Seigneur le plongea dans le sommeil.

 

[3913] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum et tertium dicendum, quod rationes illae procedunt de aequalitate simpliciter, quam non dicimus Angelum appetiisse.

2-3. Quant au deuxième et au troisième argument, ces raisonnements viennent de l’égalité tout simplement, dont nous ne disons pas que l’ange l’a désirée.

 

[3914] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod assimilatio divina est finis uniuscujusque creaturae secundum modum sibi a creatore praefixum; unde sine deordinatione non potest esse quod appetitus tendat in divinam assimilationem ultra terminum naturae suae a Deo statutum.

4. La ressemblance avec Dieu est la fin de toute créature selon le mode qui a été déterminé d’avance pour elle. Aussi ce ne peut être sans désordre que l’appétit tende à la ressemblance avec Dieu au-delà des limites de sa nature décidées par Dieu.

 

[3915] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in quolibet peccatore aversio a Deo est praeter intentionem: quia malum non potest esse intentum, sed semper bonum, in quo est ad Deum assimilatio: et ita praeter intentionem ipsorum Angelorum fuit quod a Deo se averterent, cui assimilari volebant.

5. En tout pécheur, le détournement de Dieu dépasse son intention, car le mal ne peut être désiré, mais toujours le bien, en quoi consiste la ressemblance avec Dieu. C’était donc au-delà de l’intention des anges eux-mêmes de se détourner de Dieu, auquel ils voulaient ressembler.

 

 

 

 

Articulus 3 [3916] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 tit. Utrum primum peccatum Angeli fuerit superbia

Article 3 – Le premier péché de l’ange a-t-il été l’orgueil ?

 

[3917] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod peccatum Angeli primum non fuit de genere superbiae, sed aliud. Quia, sicut 1 Timoth., 6, 10, dicitur, radix omnium malorum est cupiditas vel avaritia. Sed peccatum Angeli fuit quasi omnium peccatorum radix. Ergo suum peccatum fuit cupiditatis, vel avaritiae.

1. Il semble que le premier péché de l’ange n’ait pas appartenu au genre de l’orgueil, mais à un autre, car, comme le dit 1 Tm 6, 10, la racine de tous les maux est la cupidité ou l’avarice. Or, le péché de l’ange a été pour ainsi dire la racine de tous les péchés. Son péché en fut donc un de cupidité ou d’avarice.

 

[3918] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, in littera dicitur, quod averti a Deo est odio habere vel invidere. Sed Angeli peccando a Deo aversi sunt. Ergo eorum peccatum fuit invidiae vel odii.

2. Il est dit dans le texte que se détourner de Dieu, c’est le haïr ou l’envier. Or, en péchant, les anges se sont détournés de Dieu. Leur péché en fut donc un d’envie ou de haine.

 

[3919] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, fugere laborem in bonis spiritualibus pertinet ad accidiam. Sed Bernardus dicit, quod in hoc fuit Angeli peccatum, quod sine labore gloriam habere voluit. Ergo videtur quod suum peccatum fuit accidiae.

3. Fuir l’effort en vue de biens spirituels relève de l’acédie. Or, Bernard dit que le péché de l’ange a consisté à vouloir posséder la gloire sans effort. Il semble donc que son péché en fut un d’acédie.

 

[3920] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, quicumque non facit illud ad quod tenetur, peccat per omissionem. Sed Angelus debuit conferre de Dei ordinatione, ne ultra ipsam appeteret aliquid, quod non fecit. Ergo per omissionem peccavit.

4. Quiconque ne fait pas ce à quoi il est tenu pèche par omission. Or, l’ange devait conclure de l’ordre voulu par Dieu qu’il ne devait pas désirer quelque chose au-delà de [cet ordre], ce qu’il n’a pas fait. Il a donc péché par omission.

 

[3921] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, inter virtutes primum locum tenet fides, quasi fundamentum. Sed infidelitas fidei opponitur. Ergo cum Angeli peccatum primum fuerit, videtur quod fuerit infidelitas.

5. La foi occupe la première place parmi les vertus en tant que fondement. Or, l’infidélité s’oppose à la foi. Puisque le péché de l’ange fut le premier, il semble donc qu’il en ait été un d’infidélité.

 

[3922] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, sicut dicitur Eccle. 10, 15, initium omnis peccati est superbia. Sed a malitia Diaboli omne peccatum originem trahit. Ergo videtur quod suum peccatum fuit superbia.

Cependant, [1] il est dit dans Si 10, 15 : Le commencement de tout péché est l’orgueil. Or, tout péché tire son origine de la malice du Diable. Il semble donc que son péché en ait été un d’orgueil.

 

[3923] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod superbia tribus modis accipitur. Uno modo prout sumitur habitualiter, scilicet quaedam inclinabilitas, vel ex naturae inflexibilitate tantum, vel ex fomitis corruptione, ad superbiam; et sic dicitur superbia initium omnis peccati. Alio modo dicitur superbia secundum quod aliquis actualiter se effert extra praecepti limites, ut praecipienti non subjiciatur; et sic non est speciale peccatum, sed quaedam generalis conditio, omne peccatum consequens ex parte aversionis. Tertio modo dicitur superbia inordinatus appetitus propriae excellentiae, et praecipue in dignitate vel honore; et sic est speciale peccatum, unum de septem capitalibus vitiis; et sic primum peccatum Angeli superbia fuit: quod patet tum ex desiderato, quia eminentiam dignitatis appetiit: tum etiam ex motivo, quia ex consideratione propriae pulchritudinis in peccatum ruit.

Réponse. L’orgueil s’entend de trois manières. D’une manière, en tant qu’il est considéré comme un habitus, c’est-à-dire une certaine inclination à l’orgueil, soit en raison seulement de l’inflexibilité de la nature, soit en raison de la corruption de la convoitise. C’est ainsi qu’on dit de l’orgueil qu’il est le commencement de tout péché. D’une autre manière, on parle d’orgueil selon que quelqu’un se porte par un acte au-delà des limites d’un commandement, de sorte qu’il ne se soumette pas à celui qui ordonne. Il n’est pas ainsi un péché particulier, mais une condition générale, puisque tout péché découle d’une aversión. De la troisième manière, on dit que l’orgueil est un désir désordonné de sa propre excellence, principalement pour ce qui est de la dignité ou de l’honneur. Il est ainsi un péché particulier, l’un des sept vices capitaux. Tel fut l’orgueil du premier ange, ce qui ressort tant de ce qui était désiré, car il a désiré l’éminence de la dignité, que du motif, car il est tombé dans le péché par considération pour sa propre beauté.

 

[3924] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cupiditas etiam tripliciter dicitur. Uno modo secundum quod est radix omnis peccati, et sic est quaedam inclinabilitas in desiderium inordinatum cujuscumque desiderabilis, vel ex corruptione fomitis, vel ex conditione naturae, quae flexibilis est, propter hoc quod est ex nihilo. Alio modo dicitur, secundum quod est conditio omne peccatum sequens ex parte conversionis, prout dicit desiderium actualiter inordinatum cujuscumque desiderabilis, vel honoris, vel scientiae, et cetera. Tertio modo dicitur, secundum quod est speciale vitium et unum de septem capitalibus, scilicet inordinatum desiderium habendi ea quae sufficientiam in vita promittunt, ut pecunia, et alia quorum pretium numismate mensuratur: et per se constat quod talium desiderio Diabolus non peccavit.

1. La cupidité s’entend aussi de trois manières. D’une manière, selon qu’elle est la racine de tout péché. Elle est ainsi une inclination à un désir désordonné de tout ce qui est désirable, soit en raison de la corruption de la convoitise, soit en raison de la condition de la nature, qui est changeante parce qu’elle vient du néant. D’une autre manière, on en parle comme de la condition qui découle de tout péché du point de vue de la conversion, en tant qu’elle exprime un désir actuel désordonné de tout ce qui est désirable : honneur, science, etc. D’une troisième manière, on en parle comme d’un vice particulier et d’un de sept [vices] captiaux, c’est-à-dire un désir désordonné de posséder ce qui promet de suffire pour la vie, comme l’argent et les autres choses dont le prix se mesure à prix d’argent. Il ressort clairement de soi que le Diable n’a pas péché par le désir de telles choses.

 

[3925] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod odium et invidia respectu Dei, praesupponunt in Angelo voluntatis pravitatem, ut dicit Augustinus super Genesim ad litteram, Lib. 11: quod sic patet: quia nullius rei potest esse odium, nisi quod est dissonum et contrarium voluntati. Illud autem quod est optimum, nihil defectus habens admixtum, non est contrarium nisi voluntati non rectae. Similiter invidia est dolor alienae prosperitatis, inquantum est impeditiva alicujus boni proprii; divina autem felicitas non est impeditiva alicujus proprii boni, nisi quod inordinate desideratur: quia ab eo omne bonum descendit; et ita odium et invidia praesupponunt aliquod peccatum per quod voluntas deordinetur; et sic non fuit peccatum ejus odii vel invidiae.

2. La haine et l’envie à l’égard de Dieu présupposent chez l’ange une méchanceté de la volonté, comme le dit Augustin dans son Commentaire littéral de la Genèse, XI. Voici comment : il ne peut y avoir de haine d’une chose que si elle est en désaccord et contraire à la volonté. Or, ce qui est le meilleur et n’est mêlé d’aucun manquement est seulement contraire à une volonté qui n’est pas droite. De même, l’envie est une douleur devant la prospérité d’un autre, pour autant qu’elle empêche son bien propre. Or, la félicité divine n’empêche aucun bien propre, sauf ce qui est désiré de manière désordonnée, car tout bien vient d’elle. Ainsi, la haine et l’envie présupposent un péché par lequel la volonté est désordonnée. Le péché [de l’ange] n’en fut donc pas un de haine ou d’envie.

 

[3926] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angeli in hoc quod Deo ministrant et merentur, laborem vel taedium non habent: et ideo peccatum accidiae eis non competit. Sed pro tanto dicuntur voluisse sine labore gloriam consequi, quia propria virtute assequi voluerunt, secundum quod laboriosum dicitur illud quod facultatem operantis excedit.

3. Les anges ne se fatiguent pas ou ne s’ennuient pas dans le service de Dieu et en méritant. C’est pourquoi le péché d’acédie ne leur convient pas. Mais on dit qu’ils ont voulu obtenir la gloire sans effort parce qu’ils ont voulu l’obtenir par leur propre puissance ; on dit ainsi qu’est laborieux ce qui dépasse la capacité de celui qui agit.

 

[3927] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omissio quandoque est speciale peccatum, quando scilicet dimittitur aliquid quod fieri debet, eo quod specialiter praeceptum est; quandoque vero est conditio omne peccatum consequens, secundum quod est dimissio alicujus circumstantiae in opere observandae: et hoc modo non est inconveniens quod in primo peccato Angeli fuerit omissio. Potest tamen dici, quod non tenebatur tunc actualiter conferre, quia alio modo peccatum vitare poterat.

4. L’omission est parfois un péché particulier, lorsqu’est écarté quelque chose qui doit être fait, du fait que cela a été ordonné de manière particulière ; mais, parfois, elle est une condition qui découle de tout péché, selon qu’elle est remet une circonstance qui doit être respectée dans l’acte. C’est de cette manière qu’il n’est pas inapproprié qu’il y ait eu omission dans le premier péché de l’ange. On peut cependant dire qu’il n’était pas tenu alors d’y faire appel de manière actuelle, car il pouvait éviter le péché d’une autre manière.

 

[3928] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ea quae sunt prima in generatione, non oportet quod sint prima in destructione; unde non sequitur, si fides est prima virtutum, quod infidelitas sit primum vitiorum.

5. Il n’est pas nécessaire que ce qui est premier dans la génération soit premier dans la destruction. Si la foi est la première des vertus, il n’en découle donc pas que l’infidélité soit le premier des vices.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 1 – [La conversion des anges bons]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[3929] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 pr. Circa secundum principale quaeritur de conversione bonorum Angelorum, et quaeruntur duo: 1 utrum fuerit eis aliqua gratia apposita ad conversionem; 2 utrum per illam gratiam suam beatitudinem meruerint.

À propos du deuxième point principal, on s’interroge sur la conversion des anges bons. Deux questions sont posées : 1. Y eut-il en eux une grâce associée à la conversion ? 2. Ont-ils mérité leur béatitude par cette grâce ?

 

 

 

 

Articulus 1 [3930] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 tit. Utrum Angeli indiguerint gratia ad hoc quod converterentur in Deum

Article 1 – Les anges ont-ils eu besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ?

 

[3931] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non indiguerint appositione alicujus gratiae, ut converterentur ad Deum. Ad libertatem enim liberi arbitrii pertinet ut ad utrumque flecti possit, et praecipue in bonum. Sed Angelis in statu creationis fuit liberum arbitrium nullo peccato debilitatum. Ergo non indigebant gratia ad hoc ut in bonum converterentur.

1. Il semble qu’ils n’ont pas eu besoin de l’ajout d’une grâce pour se tourner vers Dieu. En effet, il relève du libre arbitre qu’il puisse être incliné aux deux choses [le bien et le mal], et surtout au bien. Or, dans l’état de création, le libre arbitre des anges n’était affaibli par aucun péché. Ils n’avaient donc pas besoin d’une grâce pour se tourner vers le bien.

 

[3932] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, ut supra, dist. 4, in Lit. ex verbis Augustini habitum est, Deus non distinxit inter Angelos ante eorum conversionem et aversionem. Sed illis qui sunt aversi non fuit apposita gratia, ut in littera dicitur. Ergo nec illis qui fuerunt conversi, ante conversionem.

2. Comme on l’a vu à la d. 4, dans le texte, d’après les paroles d’Augustin, Dieu n’a pas fait de distinction entre les anges avant leur conversion et leur aversion. Or, une grâce n’a pas été donnée à ceux qui se sont détournés, comme on le dit dans le texte. Elle n’a donc pas non plus été donnée avant leur conversion à ceux qui se sont convertis,.

 

[3933] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, ex hoc quod Angeli conversi sunt, a Deo gratia repleti sunt; ita quod conversio ad gratiam est praeparatio. Si ergo conversio non potest esse nisi per gratiam aliquam praecedentem, nec iterum illa gratia sine praeparatione aliqua (alias omnibus daretur), videtur quod per hunc modum sit procedere in infinitum: quod et intellectus et natura respuit. Ergo est status in primo, quod scilicet ad conversionem non oportuit dari gratiam quae ad conversionem praepararet.

3. Les anges ont été remplis de grâce par Dieu du fait qu’ils se sont convertis, de sorte que la conversion est une préparation à la grâce. Si donc la conversion ne peut exister que par une grâce qui la précède, et cette grâce ne le peut pas non plus sans une certaine préparation (autrement, elle serait donnée à tous), il semble qu’on remonte ainsi à l’infini, ce que rejettent l’intelligence et la nature. Il faut donc s’en tenir à ce qui a été dit en premier, à savoir qu’il n’était pas nécessaire qu’une grâce préparatoire à la conversion soit donnée.

 

[3934] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, idem habitus est qui cooperatur habenti, bonum opus ejus reddens, et qui operatur in eo, bonum ipsum faciens. Sed Angelus non indiguit gratia operante, ut in littera dicitur. Ergo nec cooperante gratia ad opus conversionis.

4. C’est le même habitus qui coopère avec celui qui le possède pour rendre son acte bon, et qui agit en lui pour le rendre bon. Or, l’ange n’a pas eu besoin de la grâce opérante, comme il est dit dans le texte. Donc, ni de la grâce coopérant à l’acte de la conversion.

 

[3935] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, proficere ad meritum vitae nullus sine gratia potest. Sed per conversionem Angeli ad vitam profecerunt. Ergo ad eam gratia indiguerunt.

Cependant, [1] personne ne peut sans la grâce progresser en vue de mériter la vie. Or, par la conversion, les anges ont progressé vers la vie. Pour elle, ils ont donc eu besoin de la grâce.

 

[3936] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, converti ad Deum est amore ei adhaerere, ut in littera dicitur. Non autem intelligitur hoc de amore naturali: quia sic etiam eum prius dilexerant, ut supra habitum est. Ergo videtur quod intelligatur de amore caritatis, qui sine gratia non est: ergo conversio sine gratia non potuit esse.

[2] Se tourner vers Dieu, c’est adhérer à lui par l’amour, comme on le dit dans le texte. Or, cela ne s’entend pas de l’amour naturel, car ils l’avaient ainsi aimé auparavant, comme on l’a vu plus haut. Il semble donc que cela s’entende de l’amour de la charité, qui n’existe pas sans la grâce. Donc, la conversion ne peut exister sans la grâce.

 

[3937] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod ad conversionem meritoriam exigitur duplex gratia: una gratum faciens, quae informat conversionis actum, et meritorium reddit; alia gratis data, a qua elicitur substantia actus, et quae liberum arbitrium inclinat ad volendum. Sed istam gratiam ponere non videtur necessarium, nisi ipsa libertas arbitrii gratia dicatur, quae proculdubio nobis a Deo est, vel aliquae occasiones quae quandoque dantur hominibus a Deo ad conversionem, ut instructio legis, et castigatio ad humilitatem, et alia hujusmodi; sine quibus tamen possibile est gratiam consequi: quia si homo facit quod in se est, Deus dat ei gratiam. Ad hoc autem faciendum non exigitur aliquid aliud: illud enim ad quod non potest per se liberum arbitrium, non est in homine ut faciat illud: illud enim in nobis esse dicitur cujus nos domini sumus. Unde positio ista implicat contradictionem, dum ponit quod ad faciendum illud quod in nobis est, liberum arbitrium non sufficit. Et ideo aliter est dicendum, quod ad eliciendum actum conversionis sufficit liberum arbitrium, quod se ad habendam gratiam per hunc actum praeparat et disponit; sed efficacia conversionis ad meritum non potest esse nisi per gratiam; unde unus et idem motus est conversionis liberi arbitrii, in quo gratia infunditur, qui est dispositio ad gratiam secundum quod exit a libero arbitrio, et meritorius, secundum quod gratia informatur. Et simile est etiam in motu contritionis, quo primo justificatur impius. Qualiter autem hoc sit possibile potest videri ex his quae in natura contingunt. In eodem enim instanti quo primo est dispositio necessitans in materia, forma substantialis inducitur. Cum enim generatio sit terminus alterationis, oportet in eodem instanti alterationem terminari ad dispositionem quae est necessitans, et generationem ad formam substantialem. Sed quia alteratio est motus continuus; ideo principium alterationis et medium quo materia disponitur ad formam substantialem, tempore praecedunt introductionem formae substantialis. Motus autem voluntatis qui disponit ad gratiam, est simplex, et non continuus: ideo vel primus tantum est sufficiens dispositio ad gratiam, vel ultimus inter plures, qui agit in virtute omnium praecedentium: et ideo cum illo gratia infunditur.

Réponse. À ce sujet, il existe deux opinions. En effet, certains disent que, pour la conversion méritoire, une double grâce est nécessaire : l’une qui sanctifie, qui donne forme à l’acte de conversion et le rend méritoire ; l’autre, une grâce gratuitement donnée, dont émane la substance de l’acte et qui incline le libre arbitre à vouloir. Mais il n’est pas nécessaire d’affirmer cette grâce, à moins que la liberté même de l’arbitre soit appelée grâce, elle qui nous vient sans aucun doute de Dieu, ou certaines occasions de se convertir qui sont parfois données aux hommes par Dieu, tels l’enseignement de la loi et le châtiment en vue de l’humilité, et d’autres choses de ce genre. Cependant, il est possible d’obtenir sans elles la grâce, car si l’homme fait ce qui est en son pouvoir, Dieu lui donne la grâce. Or, pour faire cela, quelque chose d’autre n’est pas requis. En effet, ce que le libre arbitre ne peut accomplir par lui-même, il n’est pas au pouvoir de l’homme de l’accomplir, car nous disons de ce dont nous sommes maîtres que cela est en notre pouvoir. Cette position implique donc une contradiction, puisqu’elle affirme que, pour faire ce qui est en notre pouvoir, le libre arbitre ne suffit pas. C’est pourquoi il faut dire autre chose. Pour provoquer l’acte de la conversion, le libre arbitre suffit, lui qui se prépare et se dispose par cet acte à posséder la grâce ; mais l’efficacité méritoire de la conversion ne peut exister que par la grâce. Ainsi, un seul et même mouvement en est un de conversion du libre arbitre où la grâce est versée, qui est une disposition à la grâce selon qu’il émane du libre arbitre ; et il est méritoire selon que la grâce lui donne forme. Et il en est de même aussi pour le mouvement de contrition, par lequel l’impie est d’abord justifié. Comment cela est possible, on peut le voir à partir de ce qui se produit dans la nature. En effet, dans le même instant où existe une disposition nécessaire dans la matière, la forme substantielle est introduite. En effet, puisque la génération est le terme d’une altération, il est nécessaire que, dans le même instant, se terminent l’altération en vue d’une disposition nécessaire et la génération en vue de la forme substantielle. Mais parce que l’altération est un mouvement continu, le début et le milieu de l’altération, selon lesquels la matière est disposée à la forme substantielle, précèdent dans le temps l’introduction de la forme substantielle. Mais le mouvement de la volonté qui dispose à la grâce est simple, et non pas continu. C’est pourquoi, soit le premier [mouvement] seulement est une disposition suffisante à la grâce, soit le dernier de plusieurs, qui agit par la puissance de tous ceux qui précèdent. C’est ainsi que la grâce est infusée avec lui.

 

[3938] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis virtus liberi arbitrii de se possit in substantiam actus, non tamen in formam ejus, per quam meritorius est.

1. Bien que la puissance du libre arbitre puisse s’exercer sur la substance de l’acte, elle ne le peut cependant pas sur sa forme, par laquelle il est méritoire.

 

[3939] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod motus aversionis et conversionis, secundum quod sunt ex libero arbitrio, praecedunt infusionem gratiae in quibusdam et casum quorumdam, non tempore sed natura, secundum viam materiae et generationis, prout dispositio praecedit formam.

2. Le mouvement d’aversion et celui de conversion, selon qu’ils proviennent du libre arbitre, précèdent l’infusion de la grâce chez certains et la chute chez d’autres, non pas dans le temps mais par nature, à la manière de la matière et de la génération, pour autant que la disposition précède la forme.

 

[3940] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium.

3. La réponse au troisième argument ressort ainsi clairement.

 

[3941] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliquid dicitur fieri, vel operatum esse, dupliciter. Vel sicut ex contrario, prout dicimus, quod ex nigro fit album; et hoc modo dicitur gratia operans, qua de malo fit bonus; et sic non fuit in Angelis, ut in littera dicitur. Alio modo dicitur aliquod fieri ex negatione vel privatione, sicut ex non lucente lucens, et ex non figurato figuratum; et sic dicitur gratia operans, qua de non bono gratuita bonitate fit tali bonitate bonus: et sic gratia operans fuit in Angelis.

4. On dit d’une chose qu’elle est faite ou a été faite de deux manières. Soit à partir de son contraire, comme nous disons que le blanc vient du noir. C’est ainsi qu’on parle de la grâce opérante, par laquelle de mauvais on devient bon. Elle n’existait pas de cette manière chez les anges, comme il est dit dans le texte. D’une autre manière, on dit que quelque chose devient à partir de sa négation ou de sa privation ; ainsi, ce qui luit à partir de ce qui ne brille pas, et ce qui est figuré à partir de ce qui n’a pas de figure. C’est ainsi qu’on parle de la grâce opérante, par laquelle, en vertu d’une bonté gratuite, de non bon qu’on était on devient bon par une telle bonté. La grâce opérante existait ainsi chez les anges.

 

 

 

 

Articulus 2 [3942] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 tit. Utrum Angeli meruerint suam beatitudinem

Article 2 – Les anges ont-ils mérité leur béatitude ?

 

[3943] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Angeli suam beatitudinem non meruerint. Meritum enim praecedit praemium, sicut via terminum. Sed in Angelis non potuit esse meritum, quia ante beatitudinem gratiam non habebant, quae est radix merendi, ad minus si in gratia creati non sunt. Ergo videtur quod suam beatitudinem non meruerunt.

1. Il semble que les anges n’aient pas mérité leur béatitude. En effet, le mérite précède la récompense, comme le chemin, le terme. Or, chez les anges, il ne pouvait y avoir de mérite, car, avant la béatitude, ils n’avaient pas la grâce, qui est la racine du mérite, du moins s’ils n’ont pas été créés avec la grâce. Il semble donc qu’ils n’aient pas mérité leur béatitude.

 

[3944] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 2 Si dicatur, quod merentur eam per ministeria, quibus nobis jubente Deo obsequuntur; contra: secundum Dionysium, superiores non mittuntur ad explendum usum exterioris ministerii. Si ergo inferiores per ministerium merentur, videtur quod injuste cum superioribus agatur, quibus merendi facultas non conceditur.

2. Ils méritent [leur béatitude] par leurs ministères, par lesquels ils se plient à nos désirs sur l’ordre que Dieu. Cependant, selon Denys, les [anges] supérieurs ne sont pas envoyés pour faire usage de leur ministère extérieur. Si donc les [anges] inférieurs méritent par leur ministère, il semble qu’on agisse injustement avec les [anges] supérieurs, auxquels on n’accorde pas la capacité de mériter.

 

[3945] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, ordo unus in infinitum non excedit alterum. Si ergo inferiores continuo merentur per exterius ministerium, videtur quod quandoque perveniant ad gradum superioris ordinis: et ita esset ordinum confusio.

3. L’un ne dépasse l’autre à l’infini. Si donc les inférieurs méritent continuellement par leur ministère extérieur, il semble qu’ils parviennent parfois au degré d’un ordre supérieur. Il y aurait ainsi un mélange entre les ordres.

 

[3946] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, efficacia merendi in operatione est vel propter difficultatem operis, vel propter perfectionem. Sed non propter difficultatem, quia Angeli sua ministeria explent sine labore omni et difficultate. Ergo si propter perfectionem; cum operatio qua Deum contemplantur, sit nobilior et perfectior, videtur etiam quod per illam mereantur: et cum haec sit communis omnibus beatis et non interrupta, videtur quod facti sint in continuo merito; et ita quod eorum gloria in infinitum crescat.

4. L’efficacité du mérite tient à l’action, soit en raison de la difficulté de l’action, soit en raison de sa perfection. Or, ce n’est pas en raison de la difficulté, car les anges accomplissent leur ministères sans effort ni difficulté. Si donc c’est en raison de la perfection, puisque l’opération par laquelle ils contemplent Dieu est plus noble et plus parfaite, il semble aussi qu’ils méritent par celle-ci. Et puisque celle-ci est commune aux bienheureux et ininterrompue, il semble donc qu’ils méritent de manière continuelle, et ainsi que leur gloire s’accroisse à l’infini.

 

[3947] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, in quibuscumque invenitur perfectio unius rationis, in eis sunt eadem principia consequendi perfectionem illam. Sed in Angelis et hominibus est beatitudo unius rationis. Cum ergo homines ad beatitudinem sine merito non perveniant, videtur quod nec Angeli.

Cependant, [1] chez quiconque on trouve la perfection d’une seule raison, existent les principes pour obtenir cette perfection. Or, chez les anges et les hommes, existe une béatitude d’une seule essence. Puisque les hommes ne parviennent pas à la béatitude sans mérite, il semble donc que les anges non plus.

 

[3948] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum Bernardum, in hoc fuit peccatum Angeli quod gloriam sine merito habere voluit. Non autem hoc fuisset ei peccatum, si ad hoc ordinatus esset ut beatitudinem haberet quam non mereretur. Ergo videtur quod non habuerunt beatitudinem sine merito.

[2] Selon Bernard, le péché de l’ange a consisté en ce qu’il a voulu la gloire sans le mérite. Or, cela n’aurait pas été un péché pour lui s’il avait été ordonné à obtenir une béatitude qu’il n’aurait pas mérité. Il semble donc qu’ils n’aient pas possédé la béatitude mérite.

 

[3949] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sustinendo Angelos in gratia fuisse creatos, planum est ad hoc respondere: quia sic certissime meritum praemium praecessisset. Si autem in gratia creati non sunt, sed gratia fuit eis simul data cum gloria; tunc sunt tres opiniones. Quidam enim dicunt, quod suam beatitudinem nullo modo meruerunt, nec fuit eis data gratia ad merendum, sed ad beate vivendum. Hoc autem non videtur conveniens; quia beatitudo habet rationem praemii: praemium autem sine merito esse non potest, sicut nec poena sine culpa. Alii dicunt, quod per opera quae sunt post confirmationem, quibus nobis ministrant, merentur beatitudinem quam prius acceperunt, sicut aliquis miles meretur munus sibi a rege collatum, posterius militando. Sed hoc etiam, simpliciter loquendo, non videtur conveniens, quia beatitudo habet rationem termini; meritum autem, cum sit tendens in aliud, habet rationem viae; unde non videntur se posse compati, ut aliquis beatus in statu merendi existat. Sed secundum quid potest sustineri, ut scilicet mereri intelligantur non praemium essentiale, quod est eorum beatitudo, sed praemium accidentale, quod est gaudium de illis qui per eorum officia salvantur. Et ideo videtur cum aliis dicendum, quod meritum in eis non praecessit praemium tempore, sed natura: quod facile intelligi potest ex his quae supra dicta sunt. Sicut enim actus liberi arbitrii est dispositio ad gratiam, ita actus informatus gratia est meritum gloriae. Unde unus et idem conversionis motus est praeparatio ad gratiam secundum quod est ex libero arbitrio, et meritorius gloriae, secundum quod est gratia informatus: et iterum fruitionis actus, secundum quod completur per habitum gloriae.

Réponse. En soutenant que les anges ont été créés avec la grâce, il est facile de répondre à cela, car ainsi le mérite aurait très certainement précédé la récompense. Toutefois, s’ils n’ont pas été créés avec la grâce, mais que la grâce leur a été donnée en même temps que la gloire, il existe alors trois opinions. En effet, certains disent qu’ils n’ont mérité leur béatitude d’aucune manière, et que la grâce ne leur a pas été donnée pour mériter, mais pour bien vivre. Mais cela ne semble pas approprié, car la béatitude a un caractère de récompense. Or, il ne peut y avoir de récompense sans mérite, comme [il ne peut y avoir] de peine sans faute. D’autres disent que, par les actes qui suivent [leur] confirmation et par lesquels ils nous servent, ils méritent la béatitude qu’ils ont reçue antérieurement, comme un soldat mérite la récompense que leur a faite le roi en combattant par la suite. Mais cela aussi, à parler simplement, ne semble pas approprié, car la béatitude a raison de terme. Or, le mérite, qui consiste à tendre vers autre chose, a raison de chemin. Ils ne semblent donc pas pouvoir être compatibles, de sorte que quelqu’un soit bienheureux dans l’état de mérite. Mais on peut le soutenir sous un aspect, si on comprend qu’ils méritent, non pas la récompense essentielle, qui est leur béatitude, mais une récompense accidentelle, qui est la joie pour ceux qui sont sauvés par leurs fonctions. C’est pourquoi il faut dire avec d’autres que, chez eux, le mérite n’a pas précédé la récompense dans le temps, mais par nature, ce qui peut se comprendre facilement à partir de ce qui a été dit plus haut. En effet, de même que l’acte du libre arbitre est une disposition à la grâce, de même l’acte formé par la grâce est le mérite de la gloire. Aussi un seul et même acte de conversion est-il une préparation à la grâce, selon qu’il vient du libre arbitre, et est-il méritoire de la gloire, selon qu’il est formé par la grâce, et aussi l’acte de jouissance, selon qu’elle se réalise par l’habitus de la gloire.

 

[3950] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est necessarium meritum praecedere praemium tempore, sed natura tantum: quilibet enim actus meritorius habet aliquod praemium sibi adjunctum, sicut et quilibet actus inordinatus habet poenam, ut dicit Augustinus.

1. Il n’est pas nécessaire que le mérite précède dans le temps, mais seulement par nature. En effet, tout acte méritoire comporte une récompense qui lui est associée, comme tout acte désordonné comporte une peine, ainsi que le dit Augustin.

 

[3951] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etsi superiores non mittantur, nihilominus tamen per eos regulantur inferiores in suis ministeriis; et ideo meritum respectu accidentalis praemii commune est.

2. Même si les [anges] supérieurs ne sont pas envoyés, ils dirigent cependant les [anges] inférieurs dans l’exercice de leurs ministères. C’est pourquoi le mérite par rapport à la récompense accidentelle est commun.

 

[3952] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 ad 3 Et per hoc patet responsio ad tertium. Et praeterea ordines distinguuntur secundum gradum in praemio essentiali, quod per ministeria non augetur.

3. La réponse au troisième argument ressort ainsi clairement. De plus, les ordres se distinguent selon le degré de la récompense essentielle, qui n’est pas accru par les ministères.

 

[3953] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actus ministerii Angelorum habent efficaciam merendi ratione effectus, scilicet salutis hominum quibus ministrant, de quo redundat in eis gaudium, quod est accidentale praemium.

4. Les actes du ministère des anges sont efficaces pour le mérite en raison de leur effet : le salut des hommes qu’ils servent, dont la joie, qui est une récompense accidentelle, rejaillit sur eux.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 5

 

[3954] Super Sent., lib. 2 d. 5 q. 2 a. 2 expos. Averti, odio habere, vel invidere. Videtur hoc etiam esse impossibile: quia sicut nihil amatur nisi bonum vel in ratione boni; ita nihil odio habetur nisi ratione mali. Sed in Deo nulla est ratio mali. Ergo odio haberi non potest. Sed contra est quod dicitur in Psalm. 77, 23: superbia eorum qui te oderunt, ascendit semper. Ad quod dicendum, quod ipsum Deum, secundum quod est, nullus odio habere potest; sed ratione alicujus effectus ejus, qui contrariatur voluntati inquantum est puniens vel prohibens, vel aliquid hujusmodi. Non ita quod prius data subtraheretur, sed quia nunquam est apposita ut converterentur; ex quo videtur quod in gratia creati non sunt. Sed haec sunt verba Magistri, qui hujus opinionis videtur fuisse.

 

 

 

 

 

Distinctio 6

Distinction 6 – [Les conséquences de l’aversion et de la conversion chez les anges]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [À quel ordre appartenait Lucifer ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[3955] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 pr. Ostensa divisione malorum Angelorum a bonis per aversionem et conversionem, hic incipit determinare ea quae consequuntur aversos et conversos, secundum quod in eis conveniunt vel differunt; et dividitur in partes tres: in prima determinat ea quae consequuntur eos quantum ad naturae cognitionem; in secunda, ea quae pertinent ad potestatem, 7 dist., ibi: supra dictum est quod Angeli qui perstiterunt, per gratiam confirmati sunt; in tertia, ea quae pertinent ad corporum assumptionem, 8 dist., ibi: solet in quaestione versari apud doctos, utrum Angeli omnes, boni scilicet ac mali, corporei sint. Prima in duas: in prima determinat veritatem; in secunda movet quaestionem ex determinatis, ibi: solet autem quaeri, utrum omnes in isto aere caliginoso sint. Circa primum duo facit: primo ponit eorum conditionem quantum ad naturae gradum ante peccatum; in secunda conditionem eorum post peccatum, ibi: et tantae superbiae merito de caelo (...) dejectus est in istum caliginosum aerem. Et primo quantum ad locum; secundo quantum ad praelationis gradum, qui gradum naturalium sequitur, ibi: et sicut inter bonos Angelos alii aliis praesunt; ita et inter malos alii aliis praelati sunt. Solet autem quaeri, utrum omnes in isto aere caliginoso sint. Hic movet quaestionem quantum ad ea quae dicta sunt de loco: et primo determinat eam in communi; secundo in speciali, ibi: de Lucifero autem quidam opinantur quod ibi religatus sit. Ubi primo determinat eam quantum ad primum Angelum; secundo quantum ad alios, ibi: aliis quoque, qui a sanctis juste et pudice viventibus vincuntur, potestas alios tentandi videtur adimi. Hic quinque quaeruntur: 1 de quo ordine fuit supremus Angelus inter peccantes qui Lucifer dicitur; 2 qualiter peccatum aliorum ad ejus peccatum se habeat; 3 de loco eis post peccatum debito; 4 si est inter eos praelationis gradus; 5 de pugna eorum ad nos.

Après avoir montré la distinction entre les anges bons et mauvais en raison de l’aversion et de la conversion, [le Maître] commence à déterminer des conséquences pour ceux qui se sont détournés et ceux qui se sont convertis, selon qu’ils se rejoignent ou diffèrent par elles. Il y a trois parties. Dans la première, il détermine des conséquences pour eux pour ce qui est de la connaissance naturelle. Dans la deuxième, pour ce qui se rapporte à leur pouvoir, d. 7, à cet endroit : « On a dit plus haut que les anges qui ont tenu ont été confirmés par la grâce. » Dans la troisième, pour ce qui se rapporte aux corps qu’ils prennent, d. 8, à cet endroit : « Les gens instruits ont coutume de se demander si tous les anges, bons et mauvais, sont corporels. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la vérité ; dans la seconde, il soulève une question à partir de ce qui a été déterminé, à cet endroit : « Mais on a coutume de se demander si tous se trouvent dans cet air nébuleux. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente leur condition pour ce qui est de leur degré naturel avant le péché ; dans la deuxième, [pour ce qui est de] leur condition après le péché, à cet endroit : « Et en raison d’un si grand orgueil…, il a à juste titre été rejeté du ciel dans cet air nébuleux. » D’abord, pour ce qui est du lieu ; deuxièmement, pour ce qui est du degré de supériorité, qui découle du degré des attributs naturels, à cet endroit : « Et de même que, parmi les anges bons, certains sont supérieurs à d’autres, de même, parmi les mauvais, certains sont-ils supérieurs aux autres. » « Mais on a coutume de se demander si tous se trouvent dans cet air nébuleux. » Ici, il soulève une question sur ce qui a été dit du lieu : premièrement, il en détermine d’une manière générale ; deuxièmement, en particulier, à cet endroit : « À propos de Lucifer, certains sont d’avis qu’il y a été relégué. » Premièrement, il détermine de cette question pour ce qui est du premier ange ; deuxièmement, pour ce qui est des autres, à cet endroit : « Aux autres aussi, qui sont vaincus par les saints qui vivent dans la justice et la pureté, le pouvoir de tenter les autres semble être enlevé. » Ici, cinq questions sont posées : 1. À quel ordre dit-on que Lucifer, l’ange le plus élevé, appartient parmi ceux qui ont péché ? 2. Quel est le rapport entre son péché et le péché des autres ? 3. Quel lieu leur revient après le péché ? 4. Existe-t-il un rapport de supériorité entre eux ? 5. Leur combat contre nous.

 

 

 

 

Articulus 1 [3956] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 tit. Utrum Lucifer fuerit supremus omnium Angelorum

Article 1 – Lucifer était-il le plus élevé de tous les anges ?

 

[3957] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod Lucifer non fuit supremus omnium: quia ad eum, secundum Ezech. 28, 14, dicitur: tu Cherub protegens et extentus. Sed ordo Cherubim, secundum Dionysium, et Gregorium, non est supremus ordo. Ergo videtur quod non fuit de supremo ordine.

1. Il semble que Lucifer n’était pas le plus élevé de tous, car il lui est dit, Ez 28, 14 : Toi, le chérubin protecteur et déployé. Or, l’ordre des Chérubins, selon Denys et Grégoire, n’est pas l’ordre le plus élevé. Il semble donc que [Lucifer] ne faisait pas partie du premier ordre.

 

[3958] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, Damascenus dicit de ipso, quod praeerat terrestri ordini. Sed inferioribus ministeriis, secundum Dionysium, praeferuntur inferiores ordines. Ergo videtur quod fuerit de inferioribus ordinibus.

2. [Jean] Damascène dit de lui qu’il dominait l’ordre terrestre. Or, pour les ministères inférieurs, selon Denys, les ordres inférieurs sont préférés. Il semble donc qu’il faisait partie des ordres inférieurs.

 

[3959] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, natura cujuslibet Angeli ordinata est ad beatitudinem. Sed non est probabile quod divina ordinatio in natura nobilissima totius universi frustrata sit. Ergo videtur quod iste Angelus qui ceteris superior fuit a beatitudine non cecidit.

3. La nature de tous les anges a été ordonnée à la béatitude. Or, il n’est pas probable que l’ordonnancement divin ait été rendu vain dans la nature la plus noble de tout l’univers. Il semble donc que cet ange, qui était supérieur aux autres, ne soit pas déchu de la béatitude.

 

[3960] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, peccatum non potest esse in natura aliqua nisi habente possibilitatem, quae consequitur eam secundum quod ex nihilo est. Sed superior Angelus quanto Deo, qui est actus purus, vicinior fuit, tanto minus de possibili habuit. Ergo videtur quod peccatum in eo minime locum habere potuit.

4. Le péché ne peut exister dans une nature que si la possibilité y existe, laquelle l’affecte du fait qu’elle vient du néant. Or, il existait d’autant moins de puissance chez l’ange supérieur qu’il était plus proche de Dieu, qui est acte pur. Il semble donc que le péché ne pouvait pas du tout avoir sa place en lui.

 

[3961] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Ezech. 31, 8: omne lignum Paradisi Dei non est assimilatum illi neque pulchritudini ejus. Sed per lignum Paradisi significantur Angeli. Ergo videtur quod Angelo peccanti, ad quem verba praedicta referuntur, nullus Angelorum aequari potuit.

Cependant, [1] Ez 31, 8 dit en sens contraire : Tout arbre du Paradis de Dieu ne lui ressemblait pas, ni à sa beauté. Or, par « arbre du Paradis », les anges sont signifiés. Il semble donc qu’à l’ange pécheur, auquel se rapportent les paroles qui précèdent, aucun des anges ne pouvait être égalé.

 

[3962] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit in littera, quod in aliorum comparatione ceteris clarior fuit. Sed ordo claritatis est secundum gradum naturae. Ergo peccans Angelus ceteris altior fuit.

[2] Grégoire dit dans le texte qu’il était plus éclatant par comparaison aux autres. Or, l’ordre de l’éclat suit le degré de la nature. L’ange pécheur était donc plus élevé que les autres.

 

[3963] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod hanc quaestionem Augustinus movet, 1 super Gen. ad litteram, et indeterminatam relinquit, eo quod de his quae pertinent ad Angelos, pauca voluit asserendo tradere. Sed postmodum Gregorius expresse determinat, quod fuit altior ceteris, non solum peccantibus sed etiam stantibus, cui consentit communis sententia: quae quidem probabilis est tum propter multas auctoritates quae hoc figurative exprimere videntur: tum etiam ex hoc quod non est probabile creatoris aequalitatem aliquo modo illum spiritum appetiisse qui etiam alteri creaturae subjectus erat. Unde oportet quod ille qui hoc appetiit, ceteris fuerit altior.

Réponse. Augustin soulève cette question, dans son Commentaire littéral de la Genèse, I, et la laisse indéterminée, parce qu’il voulait enseigner peu de choses sous forme d’affirmation à propos de ce qui se rapporte aux anges. Mais, par la suite, Grégoire détermine expressément qu’il était plus élevé que les autres, non seulement que ceux qui ont péché, mais aussi de ceux qui entouraient. La position commune est d’accord avec lui. Cette position est probable tant en raison des nombreuses autorités qui semblent l’exprimer par des figures, que du fait qu’il n’est pas probable que l’esprit qui était soumis à une autre créature ait désiré l’égalité avec le Créateur. Il est donc nécessaire que celui l’a désirée ait été plus élevé que les autres.

 

[3964] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dona inferiorum ordinum, quibus nominantur, sunt etiam in superioribus ordinibus eminenter; unde superior ordo nomine inferioris nominari potest; et ideo dico, quod Angelus ille non dicitur Cherub quia de ordine Cherubim fuerit, sed magis de ordine Seraphim. Dicitur autem Cherub ad exprimendum qualitatem culpae: quia enim per elationis vitium cecidit, ideo a scientia nominatur, quam nomen Cherub designat; de qua dicit apostolus, 1 Corinth. 8, 1: scientia inflat.

1. Les dons des ordres inférieurs, par lesquels ils sont désignés, existent aussi de manière éminente dans les ordres supérieurs. Aussi un ordre supérieur peut-il être désigné par le nom d’un ordre inférieur. C’est pourquoi je dis que cet ange n’est pas appelé chérubin parce qu’il faisait partie de l’ordre des Chérubins, mais plutôt de l’ordre des Séraphins. Mais il est appelé chérubin pour exprimer la qualité de la faute : en effet, il est tombé par le vice d’orgueil. C’est pourquoi il est appelé « science », que le nom « chérubin » désigne, et dont l’Apôtre dit, 1 Co 8, 1 : La science enfle.

 

[3965] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum quosdam, Damascenus loquitur recitando opinionem quorundam, et non veritatem asserendo. Vel dicendum, quod quamvis inferiorum ordinum sit praeferri terrestribus secundum hoc quod operationes immediate exequuntur, tamen etiam illi qui sunt superiores, terrestribus praesunt in hoc quod inferiores illuminant, et eorum actus dirigunt.

2. Selon certains, [Jean] Damascène parle en rapportant l’opinion de certains, et non en affirmant la vérité. Ou bien, il faut dire que, bien que ce qui relève des ordres inférieurs l’emporte sur les réalités terrestres, du fait qu’ils accomplissent immédiatement leurs opérations, ceux qui sont supérieurs l’emportent cependant sur les réalités terrestres du fait qu’ils illuminent les [ordres] inférieurs et dirigent leurs actes.

 

[3966] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod divina ordinatio de nulla creatura frustrari potest: quia etiam si deficiat ab uno ordine, relabitur in alium ordinem, ut in 1 Lib. dictum est.

3. L’ordonnancement divin ne peut faire fi d’aucune créature, car, même si elle déchoit d’un ordre, elle tombe dans un autre, comme on l’a dit dans le livre I.

 

[3967] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angeli non agunt secundum necessitatem naturae: et ideo ille in quo est minor dispositio ad peccatum, potest plus peccare; et ideo peccatum etiam primi Angeli ceteris gravius fuit, inquantum in eo minus fuit flexibilitas ad peccandum.

4. Les anges n’agissent pas par nécessité de nature. C’est pourquoi celui en qui existe une moindre disposition au péché peut davantage pécher. Ainsi, même le péché du premier ange fut plus grave que les autres, dans la mesure où il existait en lui une inclination moindre au péché.

 

 

 

 

Articulus 2 [3968] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 tit. Utrum peccatum primi Angeli fuerit occasio peccandi aliis

Article 2 – Le péché du premier ange a-t-il été une occasion de pécher pour les autres ?

 

[3969] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod peccatum primi Angeli non fuerit occasio peccandi aliis. Illud enim quod est deformatum, non potest occasionaliter movere ad suam imitationem. Sed statim ut Angelus peccavit, deformatus est. Ergo non movit alios ad suam imitationem.

1. Il semble que le péché du premier ange n’ait pas été une occasion de pécher pour les autres. En effet, ce qui est sans forme ne peut mouvoir par mode d’occasion à son imitation. Or, aussitôt que l’ange eut péché, il a été sans forme. Il ne meut donc pas les autres à l’imiter.

 

[3970] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, non videtur quod aliis occasionem peccandi daret nisi trahendo eos ad consensum sui desiderii, quod fuit ut ceteris creaturis, sicut Deus, praeferretur. Sed in hoc alii non videntur consensisse: quia ut sancti dicunt, per superbiam peccaverunt: dignius autem est superiori subesse, idest Deo, quam inferioribus, idest Angelis; et illud quod est dignius secundum aestimationem, ad minus est magis a superbiente desideratum. Ergo videtur quod supremus aliis non persuaserit casum.

2. Il ne semble pas qu’il ait donné aux autres l’occasion de pécher, si ce n’est en les entraînant à consentir à son désir, qui était de le préferer aux autres créatures et à Dieu. Or, les autres ne semblent pas avoir consenti à cela, car ils ont péché par orgueil, comme le disent les saints. Or, il est plus digne d’être soumis à un supérieur, en l’occurrence, Dieu, qu’à des inférieurs, en l’occurrence, des anges ; et ce qui est estimé plus digne est à tout le moins davantage désiré par l’orgueilleux. Il semble donc que le plus élevé d’entre eux ne les ait pas persuadés de chuter.

 

[3971] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, inter alias causas una assignatur reparationis hominis, quia per alium cecidit ut sic congrue per alium resurgeret. Sed inferiorum Angelorum casus non est reparabilis. Ergo videtur quod non ad suggestionem superioris Angeli ceciderunt.

3. Parmi les autres causes, l’une est celle de la réparation de l’homme : parce qu’il a chuté par un autre, il conviendrait aussi qu’il se relève par un autre. Or, la chute des anges inférieurs ne peut être réparée. Il semble donc qu’ils ne sont pas tombés à la suggestion d’un ange supérieur.

 

[3972] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut mali per aversionem ceciderunt, ita et boni per conversionem confirmati sunt. Sed non ponitur in bonis Angelis unus causa conversionis alterius. Ergo videtur quod nec ponendum sit in malis unum esse causam ruinae alterius.

4. De même que les mauvais [anges] sont tombés par leur aversion, de même aussi les bons ont-ils été confirmés par leur conversion. Or, chez les anges bons, on n’affirme pas que l’un soit cause de la conversion de l’autre. Il semble donc qu’il ne faille pas non plus affirmer chez les mauvais que l’un est la cause de la perte de l’autre.

 

[3973] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Apoc. 12, dicitur, quod draco de caelo cadens, secum traxit tertiam partem stellarum. Sed trahere pertinet ad causam aliquo modo moventem. Ergo videtur quod primus Angelus alios ad peccandum commoverit.

Cependant, [1] il est dit, dans Ap 12, que le dragon, en tombant du ciel, entraîna avec lui le tiers des étoiles. Or, entraîner relève d’une certaine manière d’une cause qui meut. Il semble donc que le premier ange ait mû les autres à pécher.

 

[3974] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Job 61, 25, dicitur de Diabolo in figura Leviathan, quod ipse est rex super omnes filios superbiae. Sed secundum philosophum, rex dicitur primus, inquantum movet per suam voluntatem et imperium, sibi subjectos. Ergo videtur quod primus Angelus alios ad peccandum traxerit.

[2] Dans Jb 61, 25, il est dit du Diable, sous la figure de Léviathan, qu’il règne sur tous les fils d’orgueil. Or, selon le Philosophe, on dit du roi qu’il est premier dans la mesure où il meut par sa volonté et son commandement ceux qui lui sont soumis. Il semble donc que le premier ange ait entraîné les autres à pécher.

 

[3975] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est multiplex opinio. Quidam enim dicunt, quod inter peccatum primi Angeli et aliorum non attenditur aliquis ordo nisi secundum quantitatem culpae, quia peccatum primi Angeli ceteris gravius fuit. Sed illud non videtur conveniens, propter hoc quod ex modo loquendi in Scriptura designatur aliqua causalitas primi Angeli ad peccatum aliorum. Et ideo alii dicunt, quod praecessit tam gravitate quam causalitate, et etiam temporis duratione. Sed hoc videtur inconveniens: quia, secundum Damascenum, quod est in hominibus mors, hoc est in Angelis casus; unde sicut morientes in peccatis, statim damnationi subjiciuntur, ita etiam Angelus peccans statim suam damnationem accepit, et a bonorum consortio ejectus est: unde alios non potuisset ad peccandum trahere. Et ideo dicendum, quod peccatum primi Angeli, aliorum peccata praecessit non tantum quantitate culpae, sed etiam causalitate, non tamen duratione; quod quomodo contingat, sic potest videri. Ipse primus Angelus, ut dictum est prius, voluit hoc consequi ut sicut natura alios praecellebat, ita eis quodammodo causa fuisset ultimam perfectionem consequendi: et quia ipse motus desiderii indivisibilis fuit et non continuus, ideo principium ejus non praecessit terminum ipsius: et ideo motus alicujus causatus ab ipso, qui incepit in termino ejus, simul omnino fuit cum ipso, secundum quod hoc quod desideravit, attentavit ut ad actum perduceret, aliis suum desiderium exponendo; et simul cum hoc fuit aliorum visio, et perversus desiderii consensus. Et simile contingit in omnibus operationibus instantaneis, quarum una est causa alterius, quod sunt simul tempore, sicut illuminatio aeris et visio coloris et discretio rei visae, etiam quantum ad sensibilia per accidens.

Réponse. À ce sujet, il existe de multiples opinions. En effet, certains disent qu’entre le péché du premier ange et celui des autres, on ne relève pas d’ordre, si ce n’est selon la quantité de la faute, parce que le péché du premier ange a été plus grave que les autres. Or, cela ne semble pas approprié parce que, selon la manière de parler de l’Écriture, est indiquée une causalité du premier ange sur le péché des autres. C’est pourquoi d’autres disent qu’il a précédé tant par sa gravité que par sa causalité, et même par sa durée. Mais cela semble inapproprié, car, selon [Jean] Damascène, ce qu’est la mort chez les hommes, la chute l’est chez les anges. De même que ceux qui meurent dans le péché sont immédiatement soumis à la damnation, de même aussi l’ange qui pèche a-t-il reçu immédiatement sa damnation et a-t-il été écarté de la compagnie des bons. Il n’aurait donc pas pu attirer les autres au péché. Il faut donc dire que le péché du premier ange a précédé les péchés des autres, non seulement par la quantité de la faute, mais aussi par sa causalité, toutefois, non pas par sa durée. Comment cela se produit, on peut le voir ainsi. Le premier ange lui-même, comme on l’a dit plus haut, a voulu obtenir que, de même qu’il l’emportait sur les autres par sa nature, il soit d’une certaine manière pour eux la cause de l’obtention de la perfection ultime. Et parce que le mouvement même de son désir était indivisible, et non pas continu, son principe n’a pas précédé son terme. Ainsi, le mouvement d’un autre causé par lui, qui a commencé à son terme, lui était donc simultané, selon que ce qu’il désirait, il a essayé de l’amener à l’acte, en exprimant son désir aux autres. En même temps que cela, se produisaient la vision des autres et leur consentement dévoyé à son désir. La même chose se produit dans toutes les opérations instantanées, dont l’une est cause d’une autre : elles sont simultanées dans le temps, comme l’illumination de l’air, la vision de la couleur et le discernement de la chose vue, même pour ce qui est sensible par accident.

 

[3976] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod deformitas consecuta est in primo Angelo ex actu suo, simul cum actu aliorum. Visio autem inferiorum Angelorum non ferebatur in Angelum primum, secundum quod ex actu in ipso relinquebatur deformitas, sed secundum quod ex ipso actus procedebat: quae enim conjuncta sunt tempore, per actum animae separantur, et praecipue quando unum naturaliter praecedit alterum.

1. La difformité a été encourue par le premier ange en raison de son acte, en même temps que l’acte des autres. Mais la vision des autres anges ne portait pas sur le premier ange, selon qu’une difformité demeurait chez lui en raison de son acte, mais selon que l’acte venait de lui. En effet, ce qui est associé dans le temps est séparé par un acte de l’âme, surtout lorsqu’une chose en précède une autre par nature.

 

[3977] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inferiores Angeli etiam per superbiam peccaverunt, et tamen superiori subesse voluerunt: unde aliquid appetebant sibi ipsis ex quo superbiebant, ut scilicet ipsimet secundum possibilitatem naturalium istorum, gloriam acquirerent, tamen sub Deo, et non sub superioribus Angelis; et quod eam in alios Angelos inferiores transfunderent: et aliquid appetebant ipsi superiori, in quo sibi consentiebant, ut scilicet dictam dignitatem assequeretur: quia eadem ratio erat de uno et de omnibus. Et est simile de illis qui pari ratione se habent ad aliquid acquirendum, et ideo omnes in unum conspirantes, quilibet sibi et aliis desiderat.

2. Les anges inférieurs aussi ont péché par orgueil ; ils ont cependant voulu être soumis au plus élevé. Aussi désiraient-ils quelque chose pour eux-mêmes, dont ils s’enorgueillissaient, à savoir qu’eux-mêmes, selon la possibilité de leurs attributs naturels, acquerraient la gloire, en étant toutefois soumis à Dieu, et non à des anges supérieurs, et qu’ils la communiqueraient aux autres anges inférieurs. Ils désiraient aussi quelque chose pour celui qui était supérieur, à qui ils donnaient leur consentement pour qu’il acquière la dignité en question, car la raison était la même pour un et pour tous. Cela ressemble à ceux qui, pour une raison égale, cherchent à acquérir quelque chose : alors que tous aspirent à une seule chose, chacun désire pour lui-même et pour les autres.

 

[3978] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ista non est propria causa quare peccatum Angeli fuit irremissibile; sed est aliqua congruitas, ut peccatum hominis magis remedietur. Et praeterea non est simile; quia homo peccavit per alium tentantem: sed inferiores Angeli per alium occasionem praestantem.

3. Ce n’était pas là la cause propre pour laquelle le péché de l’ange était irrémissible ; mais c’est une certaine convenance pour qu’il soit plutôt rémédié au péché de l’homme. De plus, ce n’est pas la même chose, car l’homme à péché parce qu’un autre le tentait, mais les anges inférieurs, parce qu’un autre en fournissait l’occasion.

 

[3979] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod conversio efficaciam habuit per gratiam, quae non est ex aliqua creatura, sed in aversionem sufficienter virtus creaturae potest. Praeterea non est a veritate remotum quod conversio unius Angeli esset occasio et exemplum conversionis aliorum; immo videtur ex hoc quod dicitur Apocal. 12, 7: Michael et Angeli ejus praeliabantur cum dracone.

4. La conversion reçut son efficacité de la grâce, qui ne vient pas d’une créature ; mais la capacité de la créature a un pouvoir suffisant pour se détourner. De plus, il n’est pas éloigné de la vérité que la conversion d’un seul ange serait l’occasion et l’exemple pour la conversion des autres ; bien plus, tel semble être le cas d’après ce qui est dit dans Ap 12, 7 : Michel et ses anges combattaient contre le dragon.

 

 

 

 

Articulus 3 [3980] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 tit. Utrum Angelis post casum convenienter assignetur locus

Article 3. – Est-il approprié d’assigner un lieu aux anges après la chute ?

 

[3981] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod inconvenienter assignetur locus ipsis Angelis malis post casum. Illi enim qui ex loco nullam impressionem recipit, aequaliter convenit omnis locus. Sed Daemones, cum sint incorporeae substantiae, non recipiunt aliquas impressiones locales et corporales, quia nec illuminantur lumine corporali, nec infrigidantur. Ergo videtur quod nihil sit dictu, quod eis unus locus magis quam alius debeatur.

1. Il semble qu’il ne soit pas approprié d’assigner un lieu aux anges mauvais après la chute. En effet, tout lieu convient également à celui qui n’est pas marqué par un lieu. Or, les démons, puisqu’ils possèdent une substance incorporelle, ne sont pas marqués localement ou corporellement, car ils n’illuminent pas par une lumière corporelle et ne sont pas non plus refroidis par elle. Il semble donc qu’il ne faille pas dire qu’un lieu leur revienne plutôt qu’un autre.

 

[3982] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, peccantibus non debetur nisi locus carceralis et poenalis. Sed secundum philosophum, Pythagoras locum ignis dixit esse carcerem. Ergo videtur quod ibi deberent esse post peccatum, et non in aere.

2. Seul un lieu d’emprisonnement et de peine est dû aux pécheurs. Or, selon le Philosophe, Pythagore disait que la prison était un lieu de feu. Il semble donc que [les anges déchus] devraient y être après le péché, et non dans l’air.

 

[3983] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, locus debet esse proportionatus locato. Sed Daemones per peccatum sunt obtenebrati. Ergo videtur quod debeatur eis locus circa terram, quae est corpus opacum.

3. Le lieu doit être proportionné à ce qui est dans le lieu. Or, les démons ont été entourés de ténèbres par le péché. Il semble donc qu’un lieu leur revienne sur la terre : un corps opaque.

 

[3984] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, cum Daemonibus debeatur perpetua poena, non debet eis concedi a Deo locus quem desiderent: quia desiderium completum mitigat poenam. Sed Daemones libenter volunt hic esse nobiscum: unde leguntur frequenter petivisse ne in Infernum mitterentur. Ergo videtur quod semper debeant in Inferno esse.

4. Puisqu’une peine perpétuelle est due aux démons, Dieu ne doit pas leur accorder un lieu qu’ils désireraient, car le désir assouvi adoucit la peine. Or, les démons veulent volontiers se trouver avec nous. On lit ainsi fréquemment, à leur sujet, qu’ils ont demandé de ne pas être envoyés en enfer. Il semble donc qu’ils doivent se trouver toujours en enfer.

 

[3985] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, peccatum Daemonis est gravius quam peccatum hominis. Sed animae damnatorum statim ad Inferna descendunt, nec hic nobiscum remanere permittuntur. Ergo videtur quod nec Daemones.

5. Le péché d’un démon est plus grave que le péché d’un homme. Or, les âmes des damnés descendent immédiatement en enfer et il ne leur est pas permis de demeurer avec nous. Il semble donc [ce ne le soit pas] non plus aux démons.

 

[3986] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, ut dicitur Jac. 2, in quadam Glossa, Daemones quocumque vadunt, secum ignem Inferni portant. Sed ignis ille, cum sit corporalis, agit ex necessitate naturae. Ergo videtur quod ad nos nunquam accedant: quia omnia quae circa nos sunt comburerentur.

6. Comme il est dit à propos de Jc 2, dans une glose, partout où les démons vont, ils emportent avec eux le feu de l’enfer. Or, ce feu, puisqu’il est corporel, agit par nécessité de nature. Il semble donc qu’ils ne s’approchent jamais de nous, car tout ce qui nous entoure serait brûlé.

 

[3987] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, quorum est unum pondus in corporibus, est unus locus, sicut omnium gravium centrum, in quod tendunt suo motu. Sed secundum Augustinum, idem est amor in spiritibus quod pondus in corporibus. Cum ergo omnes Daemones per affectum unius vitii peccaverint, videtur quod unus locus tantum eis debeatur.

7. Ce qui a un même poids chez les corps se trouve dans un même lieu, comme le centre de toutes les choses lourdes, vers lequel toutes ces choses tendent par leur mouvement. Or, selon Augustin, l’amour dans les esprits est la même chose que le poids dans les corps. Puisque tous les démons ont péché par affection d’un vice, il semble donc qu’un seul lieu leur revienne.

 

[3988] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod in littera dicitur.

Cependant, ce qui est dit dans le texte va en sens contraire.

 

[3989] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod Angelo secundum suam essentiam locus non debetur, ut in 1 Lib. dictum est, distinct. 37, sed solum quantum ad operationem: vel per modum congruentiae sicut in opere contemplationis, vel per modum necessitatis, sicut in his quae circa nos operantur. Operatio autem Angeli secundum naturam suam, cum sit intellectualis substantia, est contemplari: unde omnes in loco contemplationi congruenti, scilicet in caelo Empyreo, creati sunt. Operatio autem gloriae non differt ab operatione naturae eorum, nisi sicut perfectum ab imperfecto; et ideo idem locus debetur Angelis conditis et gloriosis. Sed quantum ad statum culpae vel miseriae, potest eorum operatio tripliciter attendi: aut secundum lucem naturae, quae in eis remansit, quamvis obtenebrata per peccatum; vel quantum ad culpae tenebras, et sic debetur eis locus tenebrosus et poenalis: vel quantum ad ordinem divinae sapientiae, quod ex eorum malitiis bonum elicitur, causa scilicet nostri exercitii; et quantum ad haec tria competit eis aer, praecipue quantum ad mediam sui partem: quia inquantum est diaphanus per naturam lucis consonat eorum naturae perfectae; quantum autem ad turbulentiam competit eis ut poenalis contra culpam; inquantum vero propinquus nobis, competit ad exercitium. Sed Inferni locus competit eis contra culpam, inquantum est horridus et tenebrosus; nostra autem habitatio competit eis propter nostrum exercitium.

Réponse. Un lieu ne revient pas à l’ange selon son essence, comme on l’a dit dans le livre I, d. 37, mais selon son opération, soit par mode convenance, comme dans l’acte de contemplation, soit par mode de nécessité, comme dans ce qu’ils accomplissent pour nous. Or, l’opération de l’ange selon sa nature, puisqu’il est une substance intellectuelle, consiste à contempler. Aussi tous ont-ils été créés dans un lieu approprié à la contemplation : le ciel empyrée. Or, l’opération de la gloire diffère seulement de l’opération de leur nature comme ce qui est parfait par rapport à ce qui est imparfait. C’est pourquoi un même lieu revient aux anges créés et glorieux. Mais, pour ce qui est l’état de faute ou de misère, on peut envisager leur opération de trois manières : selon la lumière de leur nature, qui demeure chez eux, bien que obscurcie par le péché ; selon les ténèbres de la faute, et ainsi un lieu de ténèbres et de peine leur revient ; selon l’ordre de la sagesse divine, qui tire un bien de leurs malices : la cause de nos combats. De ce triple point de vue, l’air leur convient, surtout quant à sa partie médiane, car, dans la mesure où [l’air] est diaphane, il s’harmonise avec leur nature parfaite par la nature de la lumière. Mais, par sa turbulence, il leur convient comme peine contre leur faute. En tant qu’il est proche de nous, [l’air] convient au combat. Toutefois, le lieu de l’enfer convient contre leur faute en tant qu’il est horrible et ténébreux ; mais notre demeure leur convient en raison de notre combat.

 

[3990] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non dicuntur esse in loco quasi ex loco corporali aliquid recipientes, sed quasi circa locum operantes aliquid proprietatibus loci consonum.

1. On ne dit pas qu’ils se trouvent dans un lieu comme s’ils recevaient quelque chose d’un lieu corporel, mais parce qu’ils réalisent dans un lieu quelque chose qui est en harmonie avec les propriétés du lieu.

 

[3991] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inter alia corpora generabilia et corruptibilia ignis est subtilissimus, et plus habet de luce: unde Angelis obtenebratis non competit: unde magis Deus et boni Angeli secundum metaphoras ab igne sumptas describuntur, ut dicit Dionysius. Pythagoras autem loquitur de igne quem in medio universi ponebat, ut ibidem dicitur et hunc nos dicimus esse ignem Inferni, qui est horridus et tenebrosus, et locus poenalis Daemonum.

2. Parmi les autres corps susceptibles de génération et de corruption, le feu est le plus subtil et il comporte davantage de lumière. Aussi ne convient-il pas aux anges entourés de ténèbres. C’est ainsi que Dieu et les anges bons sont davantage décrits selon des métaphores tirées du feu, comme le dit Denys. Mais Pythagore parle du feu qu’il situait au milieu de l’univers, de sorte qu’on dise de lui et que nous disons qu’il est le feu de l’enfer, qui est horrible et ténébreux, et un lieu de peine pour les démons.

 

[3992] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pars aeris juxta terram est lucidior et calidior ea quae est in media regione aeris: quia ex reflexione radiorum solis multiplicatur splendor et calor in aere qui est juxta terram: unde vapores resoluti ex aqua et terra elevantur, et ubi invenitur minor calor propter distantiam a loco reflexionis, vapor ille dimittitur naturae suae, unde infrigidatur et condensatur, sicut aqua calefacta separata a calefaciente: et propter hoc locus ille est frigidus et tenebrosus, et exinde descendunt pluviae et grandines, et venti, et hujusmodi. Et ideo ratio supponebat falsum.

3. La partie de l’air proche de la terre est plus claire et plus chaude que celle qui se trouve dans la région médiane de l’air, car, en raison de la réflexion des rayons du soleil, son éclat et sa chaleur sont multipliés dans l’air qui est proche de la terre. Aussi les vapeurs émanant de l’eau et de la terre montent-elles, et là où se trouve une chaleur moindre en raison de la distance du lieu de réflexion, cette vapeur est-elle renvoyée à sa nature. Elle se refroidit donc et se condense, comme l’eau réchauffée est séparée de ce qui la réchauffe. Pour cette raison, ce lieu est froid et ténébreux, et les pluies, la grêle, le vent et les choses de ce genre en descendent. C’est pourquoi le raisonnement supposait quelque chose de faux.

 

[3993] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ex hoc quod circa nos sunt, nullo modo eorum poena minuitur; nisi quod sibi poenale aestimant non posse nobis nocere, sicut quando in Inferno sunt.

4. Leur peine n’est diminuée par rien de ce qui nous concerne, à moins qu’ils n’estiment que ce soit pour eux une peine de ne pouvoir nous nuire, comme lorsqu’ils sont en enfer.

 

[3994] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod error Graecorum est ponentium nullam animam ante diem judicii neque in Infernum neque in caelum ire: et est derivatus a fabulis Pythagoricis et poetarum, qui ponebant animas occisorum circuire sepulcrum usque ad vindictam mortis, et iterum non redire ad comparem stellam ante completum periodum vitae, quae ante terminum immatura morte finita est. Sed quod statim animae damnatorum ad Inferna descendant, probatur in littera ex iustis, qui illuc descendebant, et Job 21, 13: ducunt in bonis dies suos, et in puncto ad Inferna descendunt. Luc. 15, 22: mortuus est dives, et sepultus est in Inferno. Et similiter quod sancti statim in caelos ascendant, probatur ex hoc quod habetur 2 Corinth. 5, 1: scio enim quod si terrestris domus nostra hujus habitationis dissolvatur, quod aedificationem ex Deo habemus. Et tamen utrique circa nos aliquando apparent ad utilitatem nostram, sicut Angeli beati huc ad nos accedunt. Nec est simile de animabus damnatorum et Daemonibus; quia Daemones secundum gradum naturae suae constituti erant supra nos, ut ex eis aliqua utilitas nobis proveniret; nec hoc omnino per eorum peccatum deperire debuit: unde dati sunt nobis in exercitium, quod animabus non competit.

5. L’erreur des Grecs consiste à affirmer qu’aucune âme ne va en enfer ni au Paradis avant le jour du jugement. Elle est dérivée des fables des pythagoriciens et des poètes, qui affirmaient que les âmes de ceus qui ont été tués rôdent autour de leur sépulcre jusqu’à la vengeance de leur mort, et qu’en plus, elles ne reviennent pas à une étoile égale avant d’avoir achevé la période de leur vie, qui s’est terminée avant le terme par une mort prématurée. Mais, que les âmes des damnés descendent immédiatement en enfer, cela est prouvé dans le texte [de l’Écriture] par les justes qui y descendaient, et par Jb 21, 13 : Ils mènent leurs jours dans l’abondance et ils descendent soudain en enfer, et Lc 15, 22 : Le riche mourut et fut enseveli en enfer. De même, que les saints montent aussitôt au ciel, cela est prouvé par ce qu’on trouve en 2 Co 5, 1 : En effet, je sais que si notre demeure terrestre est détruite, nous avons une demeure qui vient de Dieu. Cependant, les deux apparaissent parfois pour notre bien, comme lorsque les anges bienheureux s’approchent de nous. Mais il n’en va de même pour les âmes des damnés et des démons, car les démons, selon le degré de leur nature, avaient été établis au-dessus de nous, afin qu’une certaine utilité nous viennent d’eux ; et cela ne devait pas disparaître totalement en raison de leur péché. Ils nous ont donc été donnés comme entraînement, ce qui ne convient pas aux âmes.

 

[3995] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quidam dicunt poenam sensibilem ipsorum Daemonum dilatam esse usque ad diem judicii; sed hoc videtur esse et contra sanctorum auctoritates, et contra rationem divinae justitiae, quae statim animas damnatorum poenae infernalis ignis adjudicat, quarum tamen peccatum non est majus peccato Daemonum. Et ideo alii dicunt, quod in igne infernali semper ardent, quem etiam semper secum deferunt; non tamen ignis ille alia corpora comburit, quia agit ut instrumentum divinae justitiae in illa tantum quae ad talem poenam addicta sunt. Sed cum sint incorporei, non videtur probabile quod ignem corporalem secum deportent. Unde dicendum, quod semper igne infernali ardent, non tamen eis semper praesente secundum locum; quia non agit corporali modo calefaciendo et desiccando, sed modo spirituali: unde non requiritur determinata distantia, sicut in actione corporali.

6. Certains disent que la peine sensible des démons eux-mêmes a été reportée jusqu’au jour du jugement ; mais cela semble être contraire aux autorités des saints et contre la nature de la justice divine, qui condamne aussitôt les âmes des damnés à la peine de l’enfer, alors que leur péché n’est pas plus grand que le péché des démons. C’est pourquoi d’autres disent qu’ils brûlent toujours dans le feu de l’enfer, qu’ils emportent aussi toujours avec eux ; mais ce feu ne brûle pas les autres corps, car il agit seulement comme instrument de la justice divine sur ce qui a été condamné à une telle peine. Mais comme [les anges] sont incorporels, il ne semble pas probable qu’ils emportent avec eux un feu corporel. Aussi faut-il dire qu’ils brûlent toujours du feu de l’enfer, qui n’est cependant pas toujours présent pour eux selon le lieu, car il n’agit pas selon un mode corporel en réchauffant et en desséchant, mais selon un mode spirituel. Aussi une distance déterminée n’est-elle pas nécessaire, comme dans l’action corporelle.

 

[3996] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod tria dicta loca debentur cuilibet Daemoni secundum diversas conditiones, ut dictum est.

7. Les trois lieux mentionnés reviennent à tous les démons selon diverses conditions, comme on l’a dit.

 

 

 

 

Articulus 4 [3997] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 tit. Utrum in Daemonibus sit ordo

Article 4.‑. Existe-t-il un ordre parmi les démons ?

 

[3998] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod in Daemonibus non sit ordo. Dicitur enim Job 10, quod in terra miseriae et tenebrarum nullus ordo sed sempiternus horror inhabitat. Illius autem terrae Daemones sunt incolae. Ergo in eis non est aliquis ordo.

1. Il semble qu’il n’existe pas d’ordre chez les démons. En effet, il est dit en Jb 10 que, dans la terre de misère et de ténèbres, aucun ordre ne réside, mais une horreur éternelle. Or, les démons sont les habitants de cette terre. Il n’existe donc pas d’ordre parmi eux.

 

[3999] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, in quibuscumque est ordo praelationis, est aliqua concordia pacis. Sed Daemones videntur esse discordes: quia, ut dicitur Proverb. 13, 10, inter superbos semper sunt jurgia. Ergo et cetera.

2. Partout où existe un ordre de supériorité, existe une concorde pacifique. Or, les démons semblent être en désaccord [entre eux], car, ainsi qu’il est dit dans Pr 13, 10 : Il y a toujours des conflits entre les orgueilleux. Donc, etc.

 

[4000] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, ordo praelationis cujuslibet est secundum aliquam regulam juris. Sed voluntas Daemonum nullo jure dirigi potest. Ergo non potest in eis esse ordo praelationis.

3. L’ordre d’une supériorité se conforme à une règle du droit. Or, la volonté des démons ne peut être dirigée par aucun droit. Il ne peut donc exister parmi eux un ordre de supériorité.

 

[4001] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, superiores Daemones gravius peccaverunt secundum quod naturalia meliora acceperant, per quae stare possent. Sed illi qui magis peccaverunt, gravius debent puniri. Ergo non videtur probabile quod praelationem super alios acceperint.

4. Les démons supérieurs ont péché plus gravement du fait qu’ils avaient reçu de meilleurs attributs naturels, par lesquels ils pouvaient tenir. Or, ceux qui ont davantage péché doivent être punis plus lourdement. Il ne semble donc pas probable qu’ils aient reçu une supériorité sur les autres.

 

[4002] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, inter homines damnatos non ponitur aliquis ordo praelationis. Sed hominum damnatorum et Daemonum est una damnatio. Ergo videtur quod nec in Daemonibus sit aliquis ordo.

5. Entre les hommes damnés, on n’établit pas d’ordre de supériorité. Or, la damnation des hommes damnés et des démons est la même. Il semble donc qu’il n’existe pas non plus d’ordre entre les démons.

 

[4003] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Job 61, de squamis Leviathan, per quas membra Diaboli significantur, quod una uni adhaerebit, et tenentes se nequaquam separabuntur. Ergo videtur quod sit inter eos aliqua concordia, et ordo praelationis.

Cependant, [1] Jb 61 dit en sens contraire, à propos des écailles de Léviathan, par lesquelles sont signifiés les membres du Diable, que l’une adhérait à l’autre et qu’elles se tenaient pour ne jamais être séparées. Il semble donc qu’il existe entre eux une certaine concorde, et donc un ordre de supériorité.

 

[4004] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod ordinem praelationis in Daemonibus esse congruit eorum naturae, divinae sapientiae et propriae nequitiae. Ex natura enim quidam aliis superiores fuerunt: et quia peccatum naturam non tollit, consequitur etiam post peccatum, ut quidam aliis superiores remaneant. Ad sapientiam etiam divinam pertinet ut quae a Deo sunt, ordinata sint ab eo a quo omnis potestas est, ut dicitur Rom. 13; et ideo potestas Daemonum ad exercendum homines, et puniendos damnatos, a Deo est; et ideo ordinata per gradus praelationis debet esse. Similiter ex nequitia sua humano generi adversantur: amicos autem esse eos qui unius inimici sunt, consequitur: et ideo ut magis hominibus noceant, quasi ad invicem confoederantur, ut concorditer et ordinate impugnent.

Réponse. Qu’il existe un ordre de supériorité entre les démons convient à leur nature, à la sagesse divine et à leur propre méchanceté. En effet, certains étaient par nature supérieurs aux autres, et parce que le péché n’enlève pas la nature, même après le péché, il en découle que certains demeurent supérieurs aux autres. Il relève aussi de la sagesse divine que ce qui vient de Dieu soit ordonné par Celui dont tout pouvoir dépend, comme le dit Rm 13. C’est pourquoi le pouvoir des démoins de mettre les hommes à l’épreuve et de punir les damnés vient de Dieu. Aussi doit-il être ordonné selon des degrés de supériorité. De même, ils s’opposent au genre humain par leur méchanceté. Il en découle donc que ceux qui ont le même ennemi sont des amis. Aussi, pour nuire davantage aux hommes, ils s’allient pour ainsi dire les uns aux autres, afin de combattre dans la concorde et de manière ordonnée.

 

[4005] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ibi omnino removebitur ordo in finem beatitudinis, a quo irrecuperabiliter ceciderunt; erit tamen in eis ordo potestatis, quae magis a Deo quam ab ipsis est.

1. Là sera complètement enlevé l’ordre à la fin de la béatitude, dont ils sont déchus de manière irrécupérable ; il y aura cependant entre eux un ordre de pouvoir, qui vient davantage de Dieu que d’eux-mêmes.

 

[4006] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, quantum in ipsis est, Daemones nunquam concordiam haberent; sed ad aliquid unum efficiendum concordant: non enim est probabile quod benevolentiam aliquam ad invicem habeant, sed solum concordiam ad actum aliquem.

2. Pour ce qui est d’eux, les démons n’auraient jamais de concorde ; mais ils s’accordent pour réaliser une chose. En effet, il n’est pas probable qu’ils aient une certaine bienveillance les uns pour les autres, mais seulement une concorde en vue d’un certain acte.

 

[4007] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut in quolibet malo oportet aliquid boni remanere, cum non totum per malum corrumpatur; ita etiam in actibus injustitiae potest aliquis ordo juris remanere, sicut patet in latronibus, qui alios injuste spoliantes, inter se aliquam formam justitiae habent, dum sibi invicem fidem servant; et ita in Daemonibus esse potest.

3. De même qu’en tout mal, quelque chose de bon doit demeurer, puisque cela n’est pas totalement corrompu par le mal, de même aussi, dans les actes d’injustice, peut-il demeurer un ordre du droit, comme cela ressort chez les voleurs, qui, en spoliant injustement les autres, possèdent une certaine forme de justice entre eux, alors qu’ils préservent la fidélité entre eux. De même peut-il en être chez les démons.

 

[4008] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod per potestatem habitam, in nullo eorum poena mitigatur; quin potius quanto sunt superiores officio, tanto etiam graviori sunt subjecti tormento: unde dicitur Sapient. 6, 7: potentes potenter tormenta patientur. Nec potestas eis datur in praemium, sed in divinae sapientiae obsequium.

4. Leur peine n’est en rien mitigée par la possession d’un pouvoir ; bien plutôt, plus élevés ils sont par leur fonction, plus lourd est le châtiment auquel ils sont soumis. Aussi est-il dit dans Sg 6, 7 : Les puissants supporteront de puissants châtiments. Et le pouvoir ne leur est pas donné comme récompense, mais en vue d’obéir à la sagesse divine.

 

[4009] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod homines non sunt sibi invicem praeeminentes secundum ordinem naturae, et etiam non ordinantur damnati in exercitium aliorum vel in punitionem; et ita non est similis ratio de Daemonibus et hominibus.

5. Les hommes ne sont pas plus élevés les uns par rapport aux autres selon un ordre de nature, et les damnés ne sont pas non plus ordonnés en vue de mettre combattre ou de punir les autres. Le raisonnement n’est donc pas semblable pour les démons et pour les hommes.

 

 

 

 

Articulus 5 [4010] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 tit. Utrum Daemones qui vincuntur a sanctis, detrudantur in Infernum

Article 5 – Les démons qui sont vaincus par les saints sont-ils jetés en enfer ?

 

[4011] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Daemones qui a sanctis vincuntur, non retrudantur in Infernum. Infligere enim poenam ei qui in pugna succumbit, est incitare ad acrius impugnandum. Sed hoc non pertinet ad Dei misericordiam. Ergo et cetera.

1. Il semble que les démons qui sont vaincus par les saints soient jetés en enfer. En effet, infliger une peine à celui qui succombe au combat, c’est l’inciter à combattre avec plus d’énergie. Or, cela ne convient pas à la miséricorde de Dieu. Donc, etc.

 

[4012] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, Christus efficacius vicit suum tentatorem quam alii sancti. Sed Lucifer qui Christum tentavit, non est omnino a tentationis officio seclusus: quia tempore Antichristi gravissime homines tentabit. Ergo multo minus alii.

2. Le Christ a vaincu plus efficacement que les autres saints celui qui le tentait. Or, Lucifer, qui a tenté le Christ, n’a pas du tout été écarté de la fonction de tenter, car, au temps de l’Antéchrist, il tentera les hommes plus sérieusement. Donc, encore bien moins les autres.

 

[4013] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, quanto pauciores sunt tentatores, tanto levior est tentatio. Cum ergo continue a sanctis aliqui Daemones vincantur, si a tentatione qui vincuntur cessarent, in fine mundi levissima esset tentatio; quod falsum est. Ergo et primum.

3. Plus petit est est le nombre des tentateurs, plus légère est la tentation. Puisque certains démons sont vaincus de manière continue par les saints, si ceux qui sont vaincus cessaient de tenter, la tentation serait très faible à la fin du monde, ce qui est faux. Donc, [la conclusion est la même que] pour le premier [argument].

 

[4014] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, Daemones sunt ordinati a Deo ad nostrum exercitium. Si ergo omnino a tentationis exercitio cessarent, omnino ad nihil ordinati essent: quod non competit divinae sapientiae, quia nihil inordinatum reliquit. Ergo et cetera.

4. Les démons sont ordonnés par Dieu pour nous mettre à l’épreuve. Si donc ils cessaient complètement la pratique de la tentation, ils seraient totalement ordonnés au néant, ce qui ne convient pas à la sagesse divine, qui ne laisse rien de désordonné. Donc, etc.

 

[4015] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, pugnantibus debet institui aequalis conditio a justo judice. Sed Daemones nos vincentes nostrum exercitium minuunt. Ergo videtur quod similiter sit e converso.

Cependant, [1] une condition égale doit être établie par un juge juste pour les combattants. Or, les démons diminuent notre épreuve en l’emportant sur nous. De même, il semble donc en être de même en sens contraire.

 

[4016] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, hoc potest probari justitia humana, quae pugilem victum ad pugnam ulterius non admittit.

[2] Cela peut être démontré par la justice humaine, qui n’admet pas que le combattant vaincu se batte davantage.

 

[4017] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod omnes concedunt, Daemonem victum aliquo modo a tentatione cessare; sed circa hoc, scilicet qualiter cesset, sunt tres opiniones. Quidam enim dicunt, quod hoc modo repellitur, quod nec ipsum nec alium tentare possit, nec de eodem nec de alio peccato. Quidam vero dicunt, quod potest tentare de alio peccato, non autem de eodem, nec ipsum vincentem nec alios: et hae duae ponuntur in littera. Alii vero dicunt, quod ex quo aliquis perfecte de uno vitio Daemonem tentantem vincit, non potest de eodem vitio ab eo tentari, sed de alio potest; alios autem tentare potest et de eodem vitio et de alio. Haec autem opinio habet causam magis manifestam: quia ille dicitur perfecte Diabolum vincere de aliquo vitio in quo omnino vincuntur passiones ad vitium illud inclinantes, sicut est in illis in quibus acquiritur habitus virtutis consuetudinalis; et tunc non remanet magna pronitas ad peccatum illud; et ideo a Diabolo non tentatur de hoc peccato, qui vires ejus cognoscit. Aliarum autem opinionum ratio potest esse, quia cum caritas bona opera communia faciat in tota Ecclesia, ex victoria unius omnes aliquod commodum reportant, dum eorum hostes vincuntur. Quid tamen horum verius sit, ignotum est: quia nec ratione nec auctoritate multum confirmari potest.

Réponse. Tous concèdent qu’une fois le demon vaincu, il cesse d’une certaine manière de tenter ; mais sur la question de savoir comment il cesse, il existe trois opinions. En effet, certains disent qu’il est repoussé de telle sorte que lui-même ou un autre ne puisse tenter, ni pour le même péché ni pour un autre. Mais certains disent que que lui-même et les autres peuvent tenter pour un autre péché, mais non pour le même. Ces deux positions sont présentées dans le texte. Mais d’autres disent que, du fait que quelqu’un l’emporte parfaitement sur un démon qui le tente à propos d’un vice, il ne peut être tenté pour le même vice, mais qu’il le peut pour un autre ; mais il peut en tenteer d’autres pour le même vice et pour un autre. Or, cette oponion a une cause plus évidente, car on dit que quelqu’un l’emporte parfaitement sur le Diable à propos d’un vice lorsque les passions qui inclinent à ce vice sont totalement vaincues, comme c’est le cas pour ceux qui ont acquis un habitus coutumier. Il ne demeure pas alors de grande inclination à ce péché. C’est pourquoi il n’est pas tenté, à propos de péché, par le Diable qui connaît ses forces. Un argument en faveur des autres opinions peut être que, puisque la charité rend communes dans toute l’Église les actions bonnes, tous remportent un certain avantage, lorsque leurs ennemis sont vaincus. Laquelle de ces opinions est la plus vraie, on l’ignore, car elle ne peut être suffisamment confirmée ni par la raison ni par l’autorité.

 

[4018] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Daemonum voluntas semper manet in eadem obstinatione ad nocendum hominibus; et ideo magis prodest quod removeantur a pugna, quia per hoc potestas impugnandi compescitur, quorum iniqua voluntas non minuitur nec augetur.

1. La volonté des démons demeure toujours dans la même obstination pour nuire aux hommes. C’est pourquoi il est plus utile qu’ils soient éloignés du combat, car leur pouvoir de combattre est ainsi contenu, eux dont la volonté mauvaise n’est ni amoindrie ni accrue.

 

[4019] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illi qui etiam ponunt Daemones ab omni tentatione cessare, intelligunt ad tempus determinatum, post quod iterum ad pugnam redeunt.

2. Ceux-là aussi qui affirment que les démons cessent toute tentation l’entendent d’un temps déterminé, après lequel ils reviennent de nouveau au combat.

 

[4020] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 ad 3 Et per hoc patet responsio ad tertium.

3. La réponse au troisième argument ressort ainsi clairement.

 

[4021] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod malum eorum semper est ordinatum per poenam, quam et ipsi semper sustinent, et in Inferno damnatis infligunt.

4. Leur mal est toujours ordonné par la peine qu’ils supportent pour toujours et qu’ils infligent aux damnés dans l’enfer.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 6

 

[4022] Super Sent., lib. 2 d. 6 q. 1 a. 5 expos. Draco de caelo cadens secum traxit tertiam partem stellarum. Per draconem intelligitur ipse Lucifer: per caudam suasio, qua aliis suum desiderium expressit: per stellas Angeli naturali luce fulgentes, quorum tertia pars cecidisse dicitur, non quantum ad numerum, sed quantum ad qualitatem; quia qui remanserunt, sunt Deo adhaerentes assistendo et ministrando; et alii per aversionem ceciderunt. Adversus principes et potestates mundi hujus. Sciendum quod quamvis probabile sit aliquos cecidisse de singulis ordinibus, non tamen Daemones nominantur ab illis ordinibus quorum nomina sumuntur ex donis gratiae gratum facientis, sicut Seraphim nominantur ab incendio caritatis, et throni ab inhabitatione divina; sed ab aliis, quorum nomina sumuntur ex gratiis gratis datis, quae ad scientiam et potentiam pertinent. Quamdiu durat mundus. Contra, semper remanebunt in diverso gradu naturae et poenae. Ergo semper remanebit ordo. Et dicendum, quod dicitur cessare praelatio bonorum et malorum spirituum quantum ad actus quos circa nos exercent, vel custodiendo vel tentando.

 

 

 

 

 

Distinctio 7

Distinction 7 – [Le pouvoir et la puissance des anges]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La confirmation des anges]

 

Prooemium

Prologue

 

[4023] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 pr. Determinatis his quae pertinent ad naturae conditionem quantum ad bonos et malos Angelos communiter, hic consequenter tractat ea quae pertinent ad eorum potestatem et virtutem; et dividitur in partes duas: in prima determinat eorum potestatem respectu operationum quas in seipsis habent; in secunda respectu illarum operationum quas in alia exercent, ibi: quorum scientia atque virtute etiam magicae artes exercentur. Circa primum duo facit: primo ostendit eorum virtutem respectu operationum voluntatis vel liberi arbitrii; in secunda respectu operationis intellectus, ibi: et licet mali Angeli ita per malitiam sint obdurati, vivaci tamen sensu non sunt penitus privati. Circa primum duo facit: primo determinat veritatem; secundo inducit quamdam quaestionem: quam primo movet, ibi: sed cum nec boni peccare possint, nec mali bene velle, vel bene operari; videtur quod jam non habeant liberum arbitrium; secundo determinat eam, ibi: ad quod dicimus et cetera. Circa quod primo confirmat illud verum quod in objectione supponebatur, scilicet quod boni Angeli et mali habent liberum arbitrium; secundo respondet ad objectionem, ibi: quod ergo Hieronymus ait (...) accipi oportet secundum statum in quo creata sunt. Quorum scientia atque virtute etiam magicae artes exercentur. Hic ostendit eorum virtutem in operationibus quas in subjectam materiam exercent; et circa hoc tria facit: primo enim ostendit hujus virtutis principium collativum, et finem. Secundo ostendit operandi modum, ibi: nec putandum est, istis transgressoribus Angelis ad nutum servire hanc visibilium rerum materiam. Tertio ostendit impedimentum operandi sua virtute, ibi: illud quoque sciendum est, quod Angeli mali quaedam possunt per naturae subtilitatem, quae tamen non possunt propter Dei vel bonorum Angelorum prohibitionem. Circa secundum tria facit: primo excludit duplicem modum falsum; secundo ostendit modum verum, ibi: omnium quippe rerum quae corporaliter visibiliterque nascuntur, occulta quaedam semina in corporeis mundi hujus elementis latent; tertio proponit exemplum primo in corporalibus actionibus, ibi: sicut ergo nec parentes dicimus creatores hominum (...) ita non solum malos sed nec bonos Angelos fas est putare creatores: secundo in spiritualibus, ibi: sicut ergo mentem nostram justificando formare non potest nisi Deus (...) ita creationem rerum visibilium Deus interius operatur. Hic est triplex quaestio. Prima de statu liberi arbitrii in bonis et in malis Angelis. Secunda de cognitione malorum. Tertia de virtute eorum. Circa primum quaeruntur duo: 1 de confirmatione bonorum Angelorum; 2 de obstinatione malorum.

Après avoir déterminé de ce qui se rapporte à la condition de la nature pour les anges bons et mauvais d’une manière générale, [le Maître] traite ensuite ici de ce qui se rapporte à leur pouvoir et à leur puissance. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de leur pouvoir par rapport aux actions qu’ils possèdent en eux-mêmes ; dans la seconde, par rapport aux actions qu’ils exercent sur d’autres choses, à cet endroit : « Par leur science et leur puissance, sont aussi exercés les arts magiques. » À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il montre leur puissance par rapport aux opérations de la volonté ou du libre arbitre ; dans la seconde partie, par rapport aux opérations de l’intelligence, à cet endroit : « Bien que les anges mauvais soient tellement endurcis dans leur malice, ils ne sont cependant pas tout à fait privés d’un sens éveillé. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité ; deuxièmement, il amène une question. D’abord, il la soulève, à cet endroit : « Mais puisque les bons ne peuvent pas pécher ni les mauvais, vouloir le bien ou bien agir, il semble qu’ils n’aient plus désormais de libre arbitre. » Deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « À cela nous disons, etc. ». À ce propos, il confirme d’abord la vérité qui était supposée dans l’objection, que les anges bons et mauvais ont le libre arbitre ; deuxièmement, il répond à l’objection à cet endroit : « Ce que dit Jérôme… doit être entendu de l’état dans lequel ils ont été créés. » « Par leur science et leur puissance, sont aussi exercés les arts magiques. » Il montre ici leur puissance pour les opérations qu’ils exercent sur la matière qui leur est soumise. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il montre le principe qui recueille cette puissance, et la fin. Deuxièmement, il montre leur manière d’agir, à cet endroit : « Et il ne faut pas penser que cette matière visible des choses sert à volonté les anges qui transgressent. » Troisièmement, il montre ce qui les empêche d’agir selon leur puissance, à cet endroit : « Il faut aussi savoir que les anges mauvais peuvent faire certaines choses par la subtilité de leur nature, qu’il ne peuvent cependant pas faire en raison d’un empêchement de Dieu ou des anges bons. » À propos du deuxième point, il fait trois choses. Premièrement, il écarte un double mode faux. Deuxièmement, il montre le mode vrai, à cet endroit : « Pour toutes les choses qui naissent corporellement et visiblement, certaines semences sont cachées dans les éléments corporels de ce monde. » Troisièmement, il propose en premier l’exemple des actions corporelles, à cet endroit : « De même donc que nous ne disons pas que les parents sont les créateurs des hommes…, de même il n’est pas légitime de penser que, non seulement les anges mauvais, mais aussi les anges bons sont des créateurs. » En second lieu, pour les actions spirituelles, à cet endroit : « De même donc que Dieu seul peut donner forme à notre esprit en le justifiant…, de même Dieu réalise-t-il de l’intérieur la création des réalités visibles. » Il y a ici une triple question. La première porte sur l’état du libre arbitre chez les anges bons et mauvais. La deuxième, sur la connaissance des anges mauvais. La troisième, sur leur puissance. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1. Sur la confirmation des anges bons. 2. Sur l’obstination des anges mauvais.

 

 

 

 

Articulus 1 [4024] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 tit. Utrum Angeli boni possint peccare

Article 1 – Les anges bons peuvent-ils pécher ?

 

[4025] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angeli possint peccare. Quia, secundum philosophum, potestates rationales sunt ad opposita. Sed liberum arbitrium quod in Angelis bonis manet, est rationalis potestas, quia est facultas rationis et voluntatis secundum Augustinum. Ergo videtur quod si possunt bene velle, quod etiam possint peccare.

1. Il semble que les anges puissent pécher, car, selon le Philosophe, les puissances raisonnables portent sur des choses opposées. Or, le libre, qui demeure chez les anges bons, est une puissance raisonnable, car il est une faculté de la raison et de la volonté, selon Augustin. Il semble donc que s’ils peuvent vouloir le bien, ils peuvent aussi pécher.

 

[4026] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut corruptibile nunquam mutatur ut fiat aeternum, ut dicit philosophus in 1 caeli et mundi, ita videtur, quod mobile nunquam fiat immobile. Sed liberum arbitrium Angeli fuit in statu creationis mobile in peccatum. Ergo nunquam factum est immobile.

2. De même qu’une réalité corruptible ne change jamais pour devenir éternelle, comme le dit le Philosophe dans Sur le ciel et le monde, I, de même il semble qu’une réalité susceptible de mouvement ne devient jamais immobile. Or, le libre arbitre de l’ange était susceptible de mouvement dans l’état de création. Il n’est donc jamais devenu immobile.

 

[4027] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliqua virtus magis est determinata ad unum, minus est libera, sicut patet in virtutibus naturalibus quae per necessitatem agunt. Sed arbitrium Angeli est liberius post confirmationem quam ante, ut in littera dicitur. Ergo videtur quod non sit determinatum tantum ad bonum sed possit etiam in peccatum.

3. Plus une puissance est déterminée à une seule chose, moins elle est libre, comme cela ressort pour les puissances naturelles qui agissent par nécessité. Or, l’arbitre de l’ange est plus libre après la confirmation qu’avant, comme il est dit dans le texte. Il semble donc qu’il ne soit pas seulement déterminé au bien, mais puisse aussi l’être au péché.

 

[4028] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, nulla ratio laudabilitatis subtrahenda est a bonis Angelis. Sed haec est ratio laudis in hominibus quod non peccent cum peccare possint; sicut Eccli. 31, 10, in laudem boni viri dicitur: qui potuit transgredi et non est transgressus. Ergo videtur quod hoc etiam in Angelis sit.

4. Aucune raison de les louer ne doit être enlevée aux anges bons. Or, le fait qu’ils ne pèchent pas, alors qu’ils peuvent pécher, est une raison de louer les hommes, comme le dit Si 31, 10, en louant l’homme bon : Lui qui pouvait transgresser, et n’a pas transgressé. Il semble donc que cela existe aussi chez les anges.

 

[4029] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, immobilitas est de ratione felicitatis, ut dicit philosophus. Non enim aestimandum est felicem esse chamelaeonta. Sed si peccarent, moverentur a statu rectitudinis. Ergo beati Angeli peccare non possunt.

Cependant, [1] l’immobilité fait partie de la félicité, comme le dit le Philosophe. En effet, on ne doit pas estimer heureux celui qui change constamment. Or, si [les anges] péchaient, ils quitteraient l’état de droiture. Les anges bienheureux, ne peuvent donc pas pécher.

 

[4030] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, motus non est in termino, sed in via ad terminum. Angeli autem non sunt viatores. Ergo moveri in peccatum non possunt.

[2] Le mouvement ne consiste pas dans le terme, mais dans le chemin vers le terme. Or, les anges ne sont pas en état de cheminement. Ils ne peuvent donc être mus en direction du péché.

 

[4031] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut Deus per naturam suam habet quod peccare non possit; ita et hoc Angelus habet per gratiam confirmationis: quod sic patet. Principium mutationis et causa est rei possibilitas; nec defectus esse potest nisi per potentiam incompletam. Illud ergo cui nihil admiscetur de potentia secundum naturam suam, nec mutari nec deficere potest: illud autem cui admiscetur potentia quae tamen tota per actum completur, potest quidem, quantum in se est, deficere et mutari secundum quod esse et completionem suam non nisi ab alio habet; sed ratione perfectae receptionis, quae nihil potentiae imperfectum relinquit, habet immobilitatem et indeficientiam. Hujusmodi autem exemplum sumi potest in naturalibus et intellectualibus. Invenitur autem in naturalibus quorumdam potentia naturalis omnino completa et per suum esse et per suam formam; et ideo esse indeficiens habent, sicut patet in corporibus caelestibus, quorum potentia non est susceptiva alicujus alterius esse vel formae, unde elongata sunt a privatione et per consequens a corruptione. Sed materia aquae non tota completur per formam aquae hoc modo ut reducatur in omnem perfectionem possibilem per eam; unde simul cum forma aquae manet privatio formae aeris, et ideo haec corruptibilia sunt. Et similiter patet in intellectualibus: quia principium immediatum naturaliter cognitum determinat potestatem totam rationis. Ante enim quam ad ipsum deveniatur per inquisitionem resolventem, ita adhaeretur uni parti, ut relinquatur quaedam pronitas ad partem aliam per modum dubitationis: sed quando resolvendo pervenitur ad primum principium per se notum, firmatur ad unum cum impossibilitate alterius. Similiter est de voluntate Angeli beati, ad quem ita se habet lumen gratiae vel gloriae, et virtus, sicut formae vel actus in naturalibus et finis ultimus in moralibus, et principium primum in speculativis: quia secundum philosophum finis in voluntariis operationibus est sicut principium in speculativis. Unde cum per lumen gloriae perfecte ultimo fini conjungantur per fruitionem plenam, ejus bonitate affecti toti in contrarium deflecti non possunt.

Réponse. De même que Dieu, par sa nature, est tel qu’il ne peut pas pécher, de même en est-il de l’ange par la grâce de la confirmation. Cela ressort de cette manière. Le principe et la cause du changement est la puissance dans une chose, et il ne peut y avoir de déficience qu’en raison d’une puissance incomplète. Ce à quoi aucune puissance n’est mêlée selon sa nature ne peut donc ni changer ni faire défaut ; mais une chose à laquelle est mêlée de la puissance, qui est cependant achevée par l’acte, peut effectivement faire défaut et être changée, pour ce qui relève de cette chose, pour autant qu’elle ne tient son être et son achèvemene que d’une autre chose. Mais, en raison d’une réception parfaite, qui ne laisse inachevé rien de la puissance, elle possède l’immobilité et l’indéfectibilité. L’exemple peut en être donné à partir des réalités naturelles et intellectuelles. On trouve dans les attributs naturels de certaines choses une puissance naturelle entièrement complétée par son acte d’être et par sa forme ; elles possèdent donc un être sans défaut, comme cela ressort pour les corps célestes, dont la puissance ne reçoit pas l’être ou la forme de quelque chose d’autre. Ils sont donc éloignés de la privation et, par conséquent, de la corruption. Mais la matière de l’eau n’est pas entièrement complétée par la forme de l’eau de manière à être ramenée par elle à toute la perfection possible ; aussi, en même temps que la forme de l’eau, demeure la privation de la forme de l’air. Ces réalités sont donc corruptibles. Cela ressort aussi pour les réalités intellectuelles, car le principe immédiat naturellement connu détermine toute la puissance de la raison. En effet, avant de parvenir à celui-ci par une recherche qui donne la solution, elle adhère à l’une des parties, de telle manière que demeure une certaine inclination vers l’autre partie par mode de doute ; mais lorsque, par la solution, elle parvient à un principe connu par soi, elle est affermie dans un aspect, de telle manière que l’autre est impossible. De même en est-il de la volonté de l’ange bienheureux : son rapport avec la lumière de la grâce ou de gloire et sa puissance est le même que celui de la forme ou de l’acte dans les réalités naturelles, de la fin ultime en matière morale et du principe premier en matière spéculative. En effet, selon le Philosophe, dans les opérations volontaires, la fin est comme le principe en matière spéculative. Puisque, par la lumière de la gloire, [la volonté de l’ange] est parfaitement unie à la fin par une pleine jouissance, tous ceux qui sont affectés en totalité par sa bonté ne peuvent être infléchis vers le contraire.

 

[4032] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod rationalis potestas dicitur esse oppositorum, quae sub electione cadunt, quorum proprie est liberum arbitrium. Electio autem non est de fine, sed de his quae sunt ad finem: et haec non eliguntur nisi secundum regulam finis quae est in aestimatione; et ideo de fine non potest voluntas contrarie se habere. Voluntas enim non potest esse de miseria neque de malo inquantum hujusmodi, sed semper est de bono et de beatitudine: ad quam tamen consequendam possunt homines diversas vias eligere, scilicet secundum quod in illis melius existimant se posse felicitatem consequi; unde potest esse error in electione eorum quae sunt ad finem ipsum; et ideo apud illos quorum est indeficienter recta aestimatio finis, sicut apud Angelos, qui ipso fine perficiuntur, impossibile est esse voluntatem alicujus eorum quae a fine deordinant, cujusmodi est voluntas peccati. Sed tamen possunt velle hoc vel illud, quorum neutrum a fine deordinat; et sic salvatur proprietas rationalis potestatis, inquantum possunt hoc facere vel non facere; quamvis non possint in haec opposita, bonum et malum.

1. On dit que le pouvoir raisonnable porte sur des contraires, qui relèvent d’un choix et sur les lesquels porte à proprement parler le libre arbitre. Or, le choix ne porte pas sur la fin, mais sur ce qui se rapporte à la fin, et ceci n’est choisi que selon la règle de la fin qui se trouve dans l’estimation. Aussi la volonté ne peut-elle pas traiter la fin comme s’il s’agissait de contraires. En effet, la volonté ne peut porter sur la misère ni sur le mal en tant que tels, mais elle porte toujours sur le bien et la béatitude. Mais, pour obtenir celle-ci, les hommes peuvent choisir diverses voies, selon qu’ils estiment mieux obtenir la félicité par elles. Aussi peut-il se produire une erreur dans le choix de ce qui se rapporte à la fin elle-même. C’est pourquoi, chez ceux qui ont une estimation de la fin indéfectiblement droite, comme chez les anges, qui sont perfectionnés par la fin elle-même, il est impossible qu’il y ait volonté d’une des choses qui détournent de la fin, en quoi consiste la volonté du péché. Cependant, ils peuvent vouloir telle ou telle chose qui n’est pas désordonnée par rapport à la fin. Ainsi se trouve préservée la propriété du pouvoir raisonnable, dans la mesure où ils peuvent faire telle ou telle chose, bien qu’ils ne puissent rien sur les contraires que sont le bien et le mal.

 

[4033] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est possibile ut in eodem subjecto succedant sibi corruptibilitas et incorruptibilitas, vel mobilitas et immobilitas, ita quod utrumque reducatur in ejus principia naturalia. Et sic etiam dicimus, quod liberum arbitrium Angeli, quod per naturam mobile erat, non est factum per naturam immobile, sed per gloriam.

2. Il n’est pas possible que se succèdent dans le même sujet la corruptibilité et l’incorruptibilité, ou la mobilité et l’immobilité, de sorte que les deux soient ramenées à ses principes naturels. Ainsi disons-nous aussi que le libre arbitre de l’ange, qui était par nature mobile, n’est pas devenu immobile par sa nature, mais par la gloire.

 

[4034] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potestas Angeli nunquam determinatur ad unum nisi in actibus conjungentibus fini, quin possit hoc facere vel non facere, aut hoc vel illud facere; non tamen potest propter hoc peccare: quia secundum Anselmum in Proslogio posse peccare non est liberum arbitrium nec pars libertatis: quia liberum arbitrium est libertas eligendi hoc vel illud eorum quae in finem ducunt.

3. La puissance de l’ange n’est jamais déterminée à une seule chose que pour les actes qui unissent à la fin, bien plus, il peut faire ou ne pas faire cela, ou faire ceci ou cela. Cependant, il ne peut pécher pour cette raison, puisque, selon Anselme, dans le Proslogion, pouvoir pécher n’est pas le libre arbitre ni une partie de la liberté, car le libre arbitre est la liberté de choisir ceci ou cela dans ce qui mène à la fin.

 

[4035] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod laudabilitas non dependet essentialiter a potestate peccandi sed a voluntate adhaerente bono: alias virtuosus, in quo est minor mobilitas ad peccandum, esset minus laudabilis in actu suo, quam carens virtute et bonum operans. Sed potestas peccandi est signum laudabilitatis respectu laudantium, inquantum ostendit non coacte voluntatem bono adhaerentem.

4. Pouvoir être loué ne dépend pas essentiellement du pouvoir de pécher, mais de la volonté qui adhère au bien, autrement, le vertueux, chez qui existe une moindre mobilité en vue de pécher, serait moins louable pour son acte que celui à qui la vertu fait défaut et qui fait le bien. Mais le pouvoir de pécher est un signe de la louange à adresser, du point de vue de ceux qui louent, dans la mesure où il montre que la bonté s’attache au bien sans y être forcée.

 

 

 

 

Articulus 2 [4036] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 tit. Utrum Daemones possint bonum facere

Article 2 – Les démons peuvent-ils faire le bien ?

 

[4037] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Daemones possint bonum facere et non sint obstinati in malo. Natura enim intellectualis ordinata est ad beatitudinem, cujus facta est capax. Sed in Daemonibus manet natura post peccatum. Ergo non sunt adeo obstinati quin possint bonum velle et beatitudinem consequi.

 

1. Il semble que les démons puissent faire le bien et ne soient pas obstinés dans le mal. En effet, la nature intellectuelle a été ordonnée à la béatitude, dont elle a été rendue capable. Or, chez les démons, la nature demeure après le péché. Ils ne sont donc pas obstinés au point qu’ils ne puissent vouloir le bien et obtenir la béatitude.

 

[4038] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Dionysius dicit, quod Daemones bonum appetunt, ut esse vivere et intelligere. Sed bona appetendo habet quis bonam voluntatem. Ergo videtur quod Daemones bonam voluntatem habere possint.

2. Denys dit que les démons désirent le bien, comme être, vivre et intelliger. Or, quelqu’un a une volonté bonne du fait qu’il désire des biens. Il semble donc que les démons puissent avoir une volonté bonne.

 

[4039] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, synderesis in Daemonibus non est extincta: alias vermem conscientiae non haberent: sed actus synderesis est remurmurare malo; hoc autem bonum est. Non ergo omnis eorum actus malus est.

3. La syndérèse n’est pas éteinte chez les démons, autrement ils n’auraient pas le ver de la conscience. Or, reprocher le mal est un acte de la syndérèse ; cela est cependant bon. Tous leurs actes ne sont donc pas mauvais.

 

[4040] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, Jac. 1 dicitur, quod Daemones credunt et contremiscunt. Sed utrumque horum bonum est. Ergo eorum aliquis bonus est actus.

4. Les démons croient et frémissent. Or, ces deux choses sont bonnes. Un de leurs actes est donc bon.

 

[4041] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, omni actu peccati aliquis in malitia crescit, et in merito majoris poenae. Si ergo Daemones omni actu suo peccant, videtur, quod poena eorum in infinitum crescat, cum obstinatio reatum poenae non tollat: aliter enim ex sua malitia commodum reportarent. Ergo poena eorum in infinitum crescit, quod est inconveniens.

5. On croît en malice et en mérite d’une peine plus grande par tout acte de péché. Si donc les démons pèchent par tous leurs actes, il semble que leurs péchés croissent à l’infini, puisque l’obstination n’enlève pas la culpabilité de la peine ; en effet, ils tireraient un avantage de leur malice. Leur peine augmente donc à l’infini, ce qui est inapproprié.

 

[4042] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Augustinus, dicit: Daemones nec mala voluntate carere possunt, nec poena. Sed ex mala voluntate nunquam procedit nisi actus malus. Ergo videtur quod omnis eorum actus malus sit.

Cependant, [1] Augustin dit : « Ni la volonté mauvaise ni la peine ne peuvent faire défaut aux démons. » Or, d’une volonté mauvaise, ne peut provenir qu’un acte mauvais. Il semble donc que tous leurs actes soient mauvais.

 

[4043] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut Angeli per conversionem effecti sunt boni, ita Daemones per aversionem facti sunt mali. Sed Angeli beati malum facere non possunt, ut prius dictum est. Ergo nec Daemones bonum.

[2] De même que les anges sont devenus bons par la conversion, de même les démons sont-ils devenus mauvais par l’aversion. Or, les anges bienheureux ne peuvent faire le mal, comme on l’a dit plus haut. Donc, ni les démons faire le bien.

 

[4044] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in Daemone est natura bona a Deo creata, sed voluntas mala: cujus malitiae ipsi sunt causa; et ideo omnis actus naturae eorum bonus est, sed actus voluntatis eorum est malus. Actum autem malum contingit esse dupliciter; aut quantum ad substantiam actus, sicut malus actus voluntatis est fornicari vel mentiri; aut quantum ad modum agentis, sicut cum quis appetitu laudis dat eleemosynas. Possunt ergo Daemones aliquem bonum actum ex genere facere, nullo tamen modo bona voluntate: cujus obstinationis ratio diversimode assignatur. Quidam enim dicunt, quod liberum arbitrium Angeli medium est inter divinum et humanum in hoc quod divinum immobile est ante electionem et post, humanum vero mobile ante et post; angelicum vero mobile ante sed immobile post. Sed haec ratio supponit illud cujus causa quaeritur, scilicet immobilitatem post Angelorum electionem. Et praeterea secundum hoc non posset assignari ratio confirmationis et obstinationis hominum defunctorum. Alia ratio assignatur, quia cum Angelus sit indivisibilis, ad quodcumque se convertit, totaliter convertitur. Sed haec videtur insufficiens: quia quamvis sit indivisibilis in essentia, est tamen divisibilis virtute, secundum quod virtus ejus ad multa se extendit, et hoc est secundum objecta; et secundum quod magis et minus alicui se applicat, et hoc est secundum intensionem et remissionem actus. Unde non oportet quod sua operatio procedat ab eo secundum totam suam virtutem, cum sit dominus sui actus. Alia ratio sumitur per hoc quod homo per alterum cecidit; unde decuit quod haberet reparatorem, per quem resurgeret: Angelus vero per seipsum: et ideo impossibile est ejus ruinam reparari: quia per se non potuit resurgere, nec decuit alium reparatorem habere. Sed hoc etiam non videtur sufficiens: quia per se vel per alium cadere, sunt circumstantiae peccati, quae in infinitum aggravare non possunt, ut peccato recuperabilitas auferatur. Et praeterea etiamsi homo nunquam reparatus esset, non tamen propter hoc obstinatus esset, ut patet in infidelibus, qui reparationis beneficium non consequuntur, quorum non omnes actus peccata sunt, ut infra dicetur, dist. 31: et ita etiamsi casus Daemonis sit irreparabilis, non ex hoc sequitur obstinatio voluntatis in malo qualis in ipso est. Alia ratio est, quia Angelus peccavit contra deiformem intellectum; homo autem contra dictamen rationis, ut patet ex Dionysio; et ideo peccatum Angeli fuit multo gravius et irrecuperabilius: quia ratio est intellectus quasi obumbratus, secundum quod dicit Isaac in Lib. de definitionibus, quod ratio oritur in umbra intelligentiae. Sed hoc etiam non videtur sufficiens; quia intellectus angelicus et ratio humana non improportionabiliter distant, sicut recuperabile et irrecuperabile; cum utrumque finitum sit. Alia ratio assignatur, quia natura hominis tota corrupta est per peccatum ejus in quo originaliter erat, non autem tota natura angelica; unde magis indigebat reparatione humana natura quam angelica. Sed hoc non videtur sufficiens: quia, secundum hoc, si primo homine non peccante, aliqui de filiis ejus peccassent, eorum peccatum irreparabile foret. Et praeterea in quolibet Angelo est natura secundum speciem ab alio differens; et ideo eo peccante tota natura suae speciei vitiata est. Et ideo oportet aliter dicere, ut inveniatur eadem ratio obstinationis in hominibus damnatis et in Angelis peccantibus: quia, secundum Damascenum, quod est in Angelis casus, hoc est in hominibus mors. Dicendum est ergo, quod sicut impossibile est a voluntate indeclinabiliter adhaerente recto fini procedere opus peccati; ita e contrario impossibile est a voluntate adhaerente inconvertibiliter perverso fini aliquod rectum opus provenire. Peccatum autem voluntatis contingit dupliciter circa finem; vel ex passione deducente rationem ab actuali consideratione recti finis; et talis peccator poenitens est passione cessante; vel ex malitia, quae, secundum philosophum in 7 Ethic., est corruptiva finis. Dicitur enim ex malitia peccare qui ex electione pravi finis peccat, eo quod qualis est secundum habitum, talis finis videtur ei; ut qui habet habitum luxuriae, delectationem veneream sibi ponit finem. Et cum error circa finem in operabilibus sit sicut error circa prima principia in speculativis, circa quae errantem non contingit ex aliis magis notis dirigi; oportet quod sic peccans sit impoenitens, ut dicit philosophus ibidem. Ergo de peccato nullus potest poenitere, nisi vel passione cessante, vel habitu remoto, quo malum finem eligebat. Removeri autem habitum non est possibile nisi in eo qui est in statu viae et mutabilitatis. Unde quandocumque aliquis devenit ad terminum viae, non potest deflecti ab eo fine cui adhaesit, sive sit bonus sive malus. Finis autem viae hominis est mors sua; finis autem Angeli est terminus electionis suae, qua bono adhaesit vel malo. Unde sicut homines post mortem in bono confirmantur vel in malo; ita et Angeli post conversionem vel aversionem. Datur autem homini longior via quam Angelo, quia erat magis a Deo distans, et oportebat quod in ejus cognitionem inquirendo perveniret; Angelus autem statim deiformi intellectu sine inquisitione in divina pervenire potuit.

Réponse. Chez le Démon, la nature bonne a été créée par Dieu, mais [add. non] non la volonté mauvaise, dont la malice est causée par eux ; aussi tout acte de leur nature est-il bon, mais l’acte de leur volonté est-il mauvais. Or, un acte peut être mauvais de deux manières : soit par la substance de l’acte, comme forniquer et mentir sont des actes mauvais de la volonté ; soit par la manière de celui qui agit, comme lorsqu’on fait l’aumône par désir de louange. Les démons peuvent donc accomplir un acte bon par son genre, mais aucunement par une volonté bonne. La raison de cette obstination est diversement assignée. En effet, certains disent que le libre arbitre de l’ange tient le milieu entre [le libre arbitre] divin et [le libre arbitre] humain, du fait que [le libre arbitre] divin est immobile avant et après son choix, que [le libre arbitre] humain est mobile avant et après, mais que [le libre arbitre] angélique est mobile avant mais immobile [après le choix]. Mais ce raisonnement suppose ce dont la cause est recherchée : l’immobilité après le choix des anges. De plus, on ne pourrait de cette manière assigner de raison pour la confirmation et l’obstination des hommes défunts. Une autre raison est donnée : puisque l’ange est indivisible, tout ce à quoi il se convertit, il s’y convertit en totalité. Mais cet argument semble insuffisant, car, bien que [l’ange] soit indivisible dans son essence, il est cependant divisible en sa puissance, selon que sa puissance porte sur plusieurs choses ‑ c’est là [être divisible] selon les objets ‑, et qu’elle s’applique plus ou moins à quelque chose ‑ c’est là [être divisible] selon l’intensité et le relâchement d’un acte. Il n’est donc pas nécessaire que son opération vienne de lui selon toute sa puissance, puisqu’il est maître de son acte. Une autre raison est tirée de ce que l’homme est tombé à cause d’un autre ; par conséquent, il convenait qu’il ait un réparateur, par qui il se relèverait. Mais l’ange [est tombé] par lui-même ; aussi est-il impossible que sa déchéance soit réparée, car il ne pouvait se relever par lui-même et il ne convenait pas qu’il ait un autre réparateur. Mais cela non plus ne semble pas suffisant, car tomber par soi ou par un autre sont des circonstances du péché qui ne peuvent l’aggraver à l’infini, au point où la possibilité d’en récupérer soit enlevée. De plus, même si l’homme n’avait jamais été rétabli, il n’aurait pas été obstiné à cause de cela, comme cela ressort chez les infidèles, qui n’obtiennent pas le bienfait de la réparation, mais dont tous les actes ne sont pas des péchés, comme on le dira plus loin, d. 31. Ainsi, même si la chute du démon est irréparable, il n’en découle pas une l’obstination dans le mal qui existe chez lui n’en découle pas. Une autre raison est que l’ange a péché contre son intelligence déiforme, mais l’homme contre l’ordre de la raison, comme cela ressort de Denys ; aussi le péché de l’ange était-il beaucoup plus grave et irrécupérable, car la raison est une intelligence pour ainsi dire couverte d’ombre, selon ce que dit Isaac dans le livre Sur les définitions, que la raison apparaît dans l’ombre de l’intelligence. Mais cela non plus ne paraît pas suffisant, car l’intelligence angélique et la raison humaine ne sont pas éloignées sans proportion, comme ce qui est récupérable et ce qui ne l’est pas, puisque les deux sont finies. Une autre raison est donnée : la nature humaine a été tout entière corrompue par le péché de celui en qui elle se trouvait originellement, mais non la nature angélique tout entière. Aussi la nature humaine avait-elle un plus grand besoin de réparation que la nature angélique. Mais cela ne paraît pas suffisant, car, d’après cela, si le premier homme n’avait pas péché, mais que certains de ses fils avaient péché, leur péché serait irréparable. De plus, en chaque ange, sa nature existe distincte d’une autre selon l’espèce ; aussi, s’il péchait, la nature entière de son espèce était-elle viciée. Aussi faut-il dire autre chose, pour trouver la même raison de l’obstination chez les hommes damnés et chez les anges pécheurs, car, selon [Jean] Damascène, ce qu’est la chute pour les anges, la mort l’est pour les hommes. Il faut donc dire que, de même qu’il est impossible qu’un acte de péché vienne d’une volonté qui adhère à la fin droite de manière inflexible, de même est-il au contraire impossible qu’un acte bon provienne d’une volonté qui adhère à une fin mauvaise d’une manière qui ne peut être changée. Or, un péché de la volonté par rapport à la fin survient de deux manières : soit par la passion qui écarte la raison de la considération actuelle de la fin droite, et un tel pécheur se repent lorsque la passion cesse ; soit par la malice, qui, selon le Philosophe, Éthique, VII, corrompt la fin. En effet, on dit que celui qui pèche par choix d’une mauvaise fin pèche par malice, du fait que tel il est selon l’habitus, telle la fin lui apparaît, de sorte que celui qui a l’habitus de la luxure se donne le plaisir sexuel comme fin. Et comme l’erreur sur la fin en matière d’action est comme l’erreur sur les principes en matière spéculative, celui qui erre sur ceux-ci ne pouvant pas être dirigé par d’autres [principes] plus connus, il faut nécessairement que celui qui pèche ainsi ne se repente pas, comme le dit le Philosophe au même endroit. Personne ne peut donc se repentir du péché à moins que ne cesse la passion ou que l’habitus ne soit enlevé, par lequels il choisissait une mauvaise fin. Or, l’enlèvement d’un habitus n’est possible que chez celui qui est en état de cheminement et susceptible de changement. Aussi quelqu’un arrive-t-il parfois au terme de sa vie et ne peut-il être détourné de la fin à laquelle il a adhéré, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Or, le terme de la vie de l’homme est sa mort, mais la fin de l’ange est le terme de son choix, par lequel il a adhéré au bien ou au mal. De même, donc, que les hommes après la mort sont confirmés dans le bien ou dans le mal, de même aussi les anges le sont-ils après leur conversion ou leur aversion. Mais un plus long chemin est donné à l’homme qu’à l’ange parce qu’il était plus éloigné de Dieu et qu’il luivfallait parvenir à sa connaissance en cherchant ; mais l’ange pouvait aussitôt parvenir à la réalité divine par son intelligence déiforme et sans recherche.

 

[4045] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in Daemonibus remanet naturalis potentia ad bonum, ut remota et indisposita et per contrarium habitum depravata, qua possent benefacere, si vellent; sed velle non possunt, quia habitus malitiae ab ejus voluntate removeri non potest, quia jam in statu viae non est.

1. Chez les démons, la puissance naturelle pour le bien demeure, éloignée, sans disposition et viciée par un habitus contraire, mais dont ils pourraient bénéficier, s’ils le voulaient. Mais ils ne peuvent pas le vouloir, car l’habitus de la malice ne peut être enlevé de sa volonté, puisqu’il ne se trouve plus dans en état de cheminement.

 

[4046] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum in Angelis natura sit bona, oportet quod naturalis appetitus eorum bonus sit; qui tamen per circumstantias depravatur, quas apponit deliberativa voluntas, inquantum volunt esse et vivere sub tali deformitate peccati, sicut luxuriosus desiderat vivere in sua turpi delectatione.

2. Puisque la nature est bonne chez les anges, il faut que leur appétit naturel soit bon ; il est cependant vicié par des circonstances que sa volonté délibérée ajoute, dans la mesure où ils veulent exister et vivre avec cette difformité du péché, comme l’homme luxurieux désire vivre dans son plaisir honteux.

 

[4047] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum quosdam synderesis in Daemonibus non remurmurat culpae, sed poenae; et in hoc magis peccant, ordinationi divinae justitiae renitentes. Sed hoc non videtur verum, quia impossibile est quod aliquid non renitatur suo contrario. In synderesi autem sunt universalia principia juris naturalis; unde oportet quod remurmuret omni ei quod contra jus naturale fit. Sed tamen istud murmur est actus naturae. In Daemonibus enim voluntas perversa repugnat, secundum quam claudunt suas virtutes inspectivas ab omni consideratione, ut dicit Dionysius.

3. Selon certains, la syndérèse, chez les démons, ne reproche pas la faute, mais la peine ; et ils pèchent ainsi encore plus, en résistant à ce qu’a ordonné la justice divine. Mais cela ne semble pas vrai, car il est impossible que quelque chose ne résiste pas à son contraire. Or, dans la syndérèse, se trouvent les principes universels du droit naturel. Il est donc nécessaire que [la syndérèse] reproche tout ce qui a été fait de contraire au droit naturel. Cependant, ce reproche est un acte de la nature. En effet, chez les démons, s’oppose une volonté perverse, selon laquelle ils empêchent leurs puissances d’examen de toute considération, comme le dit Denys.

 

[4048] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis isti actus in se boni sint, non tamen bene fiunt: quia coacte et non ex electione bonum quodcumque operantur.

4. Bien que ces actes soient en eux-mêmes bons, ils ne sont cependant pas bien accomplis, car [les anges mauvais] accomplissent tout ce qui est bien par coercition, et non par choix.

 

[4049] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quidam dicunt, quod eorum culpa et poena crescere potest usque ad diem judicii. Sed hoc non videtur verum: quia cum non sint in statu viae, sicut non in bonum, ita nec in pejus mutari possunt. Unde dicendum, quod eorum culpa vel superbia dicitur crescere, non quantum ad intensionem malitiae, sed quantum ad multiplicitatem actus. Poena etiam essentialis non crescit, sed accidentalis, quae est ex multitudine damnatorum, sicut est etiam de praemio bonorum Angelorum.

5. Certains disent que leur faute et leur peine peuvent augmenter jusqu’au jour du jugement. Mais cela ne semble pas vrai, car, n’étant pas en état de cheminement, ils ne peuvent être changés pour le bien ni pour le pire. Il faut donc dire qu’on parle de leur faute ou de leur orgueil qui augmentent, non pas par l’intensité de leur malice, mais par la multiplicité des actes. La peine essentielle n’augmente pas non plus, mais [la peine] accidentelle, qui vient de la multitude des damnés, comme elle fait partie de la récompense des anges bons.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La connaissance des démons]

 

Prooemium

Prologue

 

[4050] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 pr. Deinde quaeritur de cognitione Daemonum; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum Daemones vigeant acumine scientiae; 2 de divinatione quae per eos fit.

On s’interroge ensuite sur la connaissance des démons. À ce sujet, deux questions sont posées : 1. Les démons atteignent-ils le sommet de la connaissance ? 2. À propos de la divination qui se réalise par eux.

 

 

 

 

Articulus 1 [4051] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 tit. Utrum Daemones sint acutae scientiae

Article 1 – Les démons ont-ils une science pénétrante ?

 

[4052] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Daemones non sint acuti scientia, sicut in littera dicitur. Sicut enim dicit Dionysius: malum Daemonis est furor irrationalis, amens concupiscentia, et phantasia proterva. Haec autem omnia habitudinem cognitionis important. Ergo videtur quod scientiae acumine non polleant.

1. Il semble que les démons n’aient pas une science pénétrante, comme on le dit dans le texte. En effet, ainsi que le dit Denys, « le mal du démon est une fureur irrationnelle, une concupiscence insensée et une imagination impétueuse ». Or, toutes ces choses comportent un rapport avec la connaissance. Il semble donc qu’ils ne jouissent pas d’une science pénétrante.

 

[4053] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum philosophos natura substantiarum intellectivarum perficitur intellectu et voluntate. Sed sicut voluntas perficitur per appetitum boni, ita intellectus per cognitionem veri. Cum ergo voluntas eorum non possit in bonum, videtur quod nec intellectus in verum.

2. Selon les philosophes, la nature des substances intellectuelles se réalise par l’intelligence et la volonté. Or, de même que la volonté est perfectionnée par l’appétit du bien, de même l’intelligence l’est-elle par la connaissance du vrai. Puisque leur volonté ne peut pas tendre au bien, il semble donc que leur intelligence non plus ne puisse pas [tendre] vers le vrai.

 

[4054] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, revelatio supernorum spirituum fit per illuminationem. Sed Daemones cum sint in perpetuis tenebris, illuminari non possunt. Ergo nec aliqua cognoscere possunt revelatione bonorum Angelorum.

3. La révélation venant des esprits supérieurs se réalise par une illumination. Or, les démons, puisqu’ils se trouvent dans les ténèbres pour l’éternité, ne peuvent être illuminés. Ils ne peuvent donc connaître certaines choses par une révélation venant des anges bons.

 

[4055] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, cognitio per experientiam longi temporis est accipientis scientiam a rebus; quia ex multis memoriis fit unum experimentum, ut in principio metaphysicae dicitur; memoria vero a sensu oritur. Angeli autem cognitio non est ex rebus accepta. Ergo per experientiam longi temporis cognitionis acumen non habent.

4. Celui qui reçoit la science à partir des choses connaît par une longue expérience, car une seule expérience est constituée de plusieurs mémoires, comme il est dit au début de la Métaphysique, mais la mémoire vient du sens. Or, la connaissance de l’ange ne vient pas des choses. Ils n’ont donc pas une science pénétrante [acquise] par une longue expérience.

 

[4056] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod in littera auctoritatibus sanctorum probatur: quod etiam eorum nomen ostendit, quia Daemones dicuntur quasi sapientes.

Cependant, [1] ce qui est démontré dans le texte par des autorités des saints va en sens contraire, ce que leur nom même montre, car « démons » signifie « sages ».

 

[4057] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 s. c. 2 Item Dionysius dicit: data autem angelica dona nequaquam mutata esse dicimus, sed manere integra et splendidissima. Sed inter alia attributa naturalia Angelorum unum fuit perspicacitas intelligentiae. Ergo hoc adhuc in eis manet.

[2] Denys dit : « Nous disons que les dons angéliques n’ont jamais été changés, mais qu’ils demeurent complets et resplendissants au plus haut point. » Or, parmi les autres attributs naturels des anges, l’un était la perspicacité de leur intelligence. Cela demeure donc encore chez eux.

 

[4058] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum peccatum non tollat naturam, sed tantum diminuat habilitatem ad bonum, secundum quod facit magis a gratia distare, oportet in Daemonibus lumen intellectuale perspicuum remanere, quia natura eorum intellectualis est. Cognitio autem eorum de rebus est duplex. Quaedam enim sunt quorum cognitio per causas naturales vel signa haberi nondum potest; et talia non nisi revelatione supernorum spirituum cognoscunt. Quaedam vero sunt quorum cognitio per naturam haberi potest; et hoc dupliciter: vel per causas determinatas ad effectus naturales; et talia cognoscunt per subtilitatem naturae suae, inquantum in eis resplendent similitudines totius ordinis universi; vel per aliqua signa, ex quibus ut in pluribus potest alicujus cognitio haberi, sicut medici prognosticantur de sanitate vel de morte; et talia cognoscunt per experientiam temporum, secundum quod talibus signis pluries tales effectus concurrerunt.

Réponse. Puisque le péché n’enlève pas la nature, mais en diminue seulement l’aptitude au bien en l’éloignant davantage de la grâce, il est nécessaire qu’une lumière intellectuelle pénétrante demeure chez les démons, car leur nature est intellectuelle. Or, leur connaissance des choses est double. En effet, il existe certaines choses dont la connaissance ne peut être obtenue par des causes ou des signes naturels ; [les anges] ne peuvent connaître ces choses que par une révélation venant des esprits supérieurs. Mais il y a des choses dont la connaissance peut être obtenue par la nature, et cela, de deux manières : soit par des causes déterminées à des effets naturels, et [les anges] connaissent ces choses par la subtilité de leur nature, pour autant que brillent en eux les ressemblances de l’ordre entier de l’univers ; soit par des signes, à partir desquels la connaissance peut être obtenue dans la majorité des cas, comme les médecins font un pronostic de la santé ou de la mort, et [les anges] connaissent de telles choses par une longue expérience, selon que ces effets sont survenus plusieurs fois avec de tels signes.

 

[4059] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod furor et concupiscentia et phantasia non sunt in Daemonibus proprie, sed metaphorice, cum pertineant ad sensitivam partem, quae non est in Angelis. Omnis enim defectus animae qui in nobis accidit, vel est ex phantasia quantum ad cognitionem, cujus proprium est falsitas, secundum philosophum, vel ex passionibus irascibilis et concupiscibilis quantum ad affectionem: et ideo voluntas Daemonum inordinate detestans et appetens aliquid, dicitur furor et concupiscentia; et intellectus suus deordinatus, dicitur phantasia. Haec autem deordinatio intellectus est ex prava voluntate: et ideo dicitur phantasia proterva, quia protervus est qui pertinaciter verum impugnat. Irrationalitas autem et amentia, furor et concupiscentia important obliquitatem voluntatis a recto judicio intellectus vel rationis; et ignorantiam non speculationis, sed electionis, secundum quam omnis malus est ignorans.

1. La fureur, la concupiscence et l’imagination n’existent pas à proprement parler chez les démons, mais de manière métaphorique, puisqu’elles se rapportent à la partie sensible, qui n’existe pas chez les anges. En effet, toute déficience de l’âme chez nous vient soit de l’imagination, pour ce qui est de la connaissance, son propre étant la fausseté, selon le Philosophe ; soit des passions de l’irascible et du concupiscible, pour ce qui est de la partie affective. C’est pourquoi la volonté des démons, qui déteste et désire quelque chose de manière désordonnée, est appelée fureur et concupiscence, et son intelligence désordonnée est appelée imagination. Or, ce désordre de l’intelligence vient d’une volonté mauvaise. C’est pourquoi l’imagination est dite impétueuse, car l’impétueux est celui qui combat le vrai avec entêtement. Or, le caractère irrationnel et insensé, la fureur et la concupiscence, comportent une déviation de la volonté par rapport au jugement droit de l’intelligence ou de la raison, et une ignorance, non pas en matière de spéculation, mais en matière de choix, [ignorance] selon laquelle tout méchant est un ignorant.

 

[4060] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas est domina sui actus magis quam intellectus, qui ipsa rei veritate compellitur; et ideo secundum actum voluntatis homo dicitur malus vel bonus, quia actus voluntatis est actus hominis, quasi in ejus potestate existens; non autem secundum actum intellectus, cujus ipse non est dominus.

2. La volonté est davantage maîtresse de son acte que l’intelligence, qui est forcée par la vérité même d’une chose. C’est pourquoi l’homme est appelé mauvais ou bon selon l’acte de sa volonté, car l’acte de la volonté est l’acte de l’homme, pour autant qu’il est en son pouvoir ; mais [il ne l’est pas] selon l’acte de l’intelligence, dont il n’est pas maître.

 

[4061] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod revelatio supremorum spirituum facta Daemonibus, non est per modum illuminationis, ita quod lumen intellectuale Daemonis vigoretur per applicationem claritatis luminis angelici, sed per modum locutionis; ita quod sibi exponuntur cognoscibilia quaedam per modum quo prius non exponebantur, sicut infra patebit, dist. 11.

3. La révélation des esprits supérieurs faite aux démons ne se fait pas par mode d’illumination, de sorte que la lumière intellectuelle du démon soit renforcée par l’application de l’éclat de la lumière angélique, mais par mode de parole, de sorte que lui sont présentés certains objets de connaissance d’une manière dont ils n’étaient pas présentés auparavant, comme cela ressortira plus loin, d. 11.

 

[4062] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis cognitionem a rebus non accipiat Daemon, tamen acuitur ejus scientia per longitudinem temporis: per speciem enim rei quam habet innatam cognoscit rem, et ea quae in re sunt; sed antequam determinetur causa contingens, et praecipue ad utrumlibet, non est in ea effectus ejus, unde non potest in ipsa cognosci; qui tamen, cognita ipsa, cognoscitur quando jam ad effectum determinata est.

4. Bien que le démon ne tire pas sa connaissance des choses, sa science devient cependant plus pénétrante sur une longue durée. En effet, il connaît une chose et ce qui existe en elle par une espèce qu’il possède de manière innée. Mais avant que ne soit déterminée une cause contingente, surtout par rapport à deux choses [possibles], l’effet n’existe pas en elle ; il ne peut donc être connu en elle. Une fois la chose connue, il est cependant connu qu’elle était déjà déterminée à un effet.

 

 

 

 

Articulus 2 [4063] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 tit. Utrum per Daemones possit fieri divinatio

Article 2 – La divination peut-elle être réalisée par les démons ?

 

[4064] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod per Daemones divinatio fieri non possit. Praenuntiatio enim futurorum, divinitatis est signum: unde dicitur Isaiae 41, 23: ventura quoque annuntietis, et dicemus, quod dii estis. Sed Daemones sunt omnino divinitatis expertes. Ergo per eos divinatio de futuris fieri non potest.

1. Il semble que la divination ne puisse être réalisée par les démons. En effet, l’annonce du futur est un signe de la divinité. Aussi est-il dit dans Is 41, 23 : Vous annoncerez aussi ce qui va venir, et nous dirons que vous êtes des dieux. Or, les démons sont tout à fait dépourvus de divinité. La divination du futur ne peut donc être réalisée par eux.

 

[4065] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, bonorum prophetarum est veritatem de futuris praedicere, ut dicitur Hierem. 28, quod iste est propheta quem misit dominus, cujus verbum evenit. Si ergo homines virtute Daemonum vera de futuris divinando praenuntiant, videtur quod qui per revelationem Daemonum prophetant, veri prophetae dicendi sint.

2. C’est le propre des bons prophètes de prédire la vérité à propos du futur, comme il est dit en Jr 28, que le prophète dont la parole s’accomplit est celui que le Seigneur a envoyé. Si donc, des hommes annoncent des choses vraies à propos du futur par la puissance des démons en pratiquant la divination, il semble que ceux qui prophétisent par la révélation des démons doivent être appelés de vrais prophètes.

 

[4066] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, non est cognitio rei nisi per speciem ejus. Sed species eventus futuri non potest per Daemonem in anima fieri, nisi Daemon species causaret. Ergo videtur quod per ipsum divinatio fieri non possit.

3. Il n’y a de connaissance d’une chose que par son espèce. Or, une espèce d’un événement futur ne peut être réalisée dans l’âme par un démon, que si le démon cause l’espèce. Il semble donc que la divination ne puisse se réaliséer par lui.

 

[4067] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, mentem hominis nullus formare potest, nisi solus Deus, ut Augustinus in littera dicit. Sed non potest cognitio alicujus accipi nisi mens alicujus aliquo lumine formetur. Ergo videtur quod per Daemones praecognitio futurorum accipi non possit.

4. Personne ne peut donner forme à l’esprit de l’homme que Dieu seul, comme Augustin le dit dans le texte. Or, il ne peut y avoir connaissance d’une chose que si l’esprit de quelqu’un reçoit une forme par une certaine lumière. Il semble donc que la connaissance du futur ne puisse être reçue des démons.

 

[4068] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 5 Sed contra, in Daemonibus est potentior virtus intellectiva quam in hominibus. Sed homo potest alteri denuntiare quod scit futurum. Ergo et Daemones. Sciunt autem quaedam futura, cum etiam quorumdam futurorum cognitio ab hominibus habeatur, ut ab astrologis et medicis. Ergo per Daemones divinatio fieri potest.

5. La puissance intellective est plus grande chez les démons que chez les hommes. Or, un homme peut annoncer à un autre qu’il connaît le futur. Donc, les démons aussi. Ils connaissent certaines choses à venir, puisqu’une certaine connaissance du futur peut être obtenue par les hommes, comme par les astrologues et les médecins. La divination peut donc être réalisée par les démons.

 

[4069] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, quando anima retrahitur a motibus exterioribus circa corpus, ut in somno, quorumdam futurorum praecognitionem accipit: non enim omnino negandum est divinationem fieri in somniis, ut dicit philosophus. Sed Daemones circa regimen corporis non occupantur. Ergo videtur quod futurorum cognitionem et habere, et aliis conferre possint.

6. Lorsque l’âme se retire des mouvements corporels extérieurs, comme dans le sommeil, elle reçoit une certaine connaissance du futur. En effet, il ne faut pas nier complètement qu’une divination se produit dans les songes, comme le dit le Philosophe. Or, les démons ne s’occupent pas de diriger le corps. Il semble donc qu’ils puissent avoir une connaissance du futur et la donner à d’autres.

 

[4070] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod futurorum quaedam sunt determinata in suis causis, quaedam vero non habent causas determinatas, sicut quae sunt ad utrumlibet. Quilibet autem effectus, secundum quod in causa sua determinatur, in ea potest cognosci. Si enim determinatur in ea ut ex qua necessario contingat, certitudinarie cognoscetur; sicut sunt ea quae circa motum caeli accidunt, ut ortus et occasus, et eclipses, et conjunctiones luminarium: quae omnia multo melius Daemones sciunt per species causarum innatas, quam astrologus per artem. Si autem determinentur in causis ut ex quibus frequenter contingant, cum potestate tamen deficiendi in minori parte propter impedimentum ex parte agentis, vel ex parte recipientis actionem; eorum praecognitio non certitudinalis, sed conjecturalis haberi potest; et hoc modo astrologus praedicit quaedam futura quae consequuntur ex motibus caeli in istis inferioribus, quae tamen impediri possunt propter defectum inferiorum causarum; et haec praecognitio tanto magis ad certitudinem accedit, quanto ad unum effectum plures causae concurrentes cognoscuntur, et quanto virtus causae melius scitur; unde Daemones subtilissimi sunt in talium futurorum praecognitione. Sed ea quae non habent causas determinatas, ut quae sunt ad utrumlibet, vel in minori parte, non possunt cognosci in causis suis, sed in seipsis tantum, ut praesentia sunt: unde eorum praecognitio solius Dei est, cui ab aeterno praesentia sunt, et cui Deus revelare voluerit: et talium futurorum cognitionem nec homines nec Daemones habere possunt, nisi revelatione supernorum spirituum. Ea vero quae ipsi Daemones praecognoscunt, revelare possunt, non quidem objiciendo se animae sicut in speculum, in quo videntur quae in speculo relucent, ut quidam dicunt: quia anima humana, ad minus secundum statum viae, non videt ea quae sunt a materia separata, nisi quatenus ex phantasmatibus in eorum cognitionem venit. Nec iterum species quae sunt in intellectu angelico, sunt proportionatae intellectui humano, cum multo simpliciores sint, et universaliores. Unde sicut species quae sunt in intellectu imaginatio non potest comprehendere, nec sensus species quae sunt in imaginatione; ita nec intellectus humanus, secundum statum viae, species quae sunt in intellectu angelico. Sed Angelus bonus vel malus aliter ea quae cognoscit, revelare potest, scilicet per applicationem luminis sui ad phantasmata, sicut applicatur lumen intellectus agentis, ut ex eis quaedam intentiones in intellectu eliciantur; et quanto lumen fuerit fortius et perfectius, tanto plures et certiores cognitiones elicientur. Et ideo ex phantasmatibus illustratis lumine angelico resultat aliquorum cognitio in intellectu possibili hominis, ad quam eliciendam illustratio intellectus agentis humani non sufficeret, cum lumen ejus sit debilius lumine Angeli.

Réponse. Certaines choses à venir sont déterminées dans leurs causes, mais certaines n’ont pas de causes déterminées, comme celles qui peuvent aller dans un sens ou dans un autre. Or, tout effet, selon qu’il est déterminé dans sa cause, peut être connu en elle. En effet, s’il est déterminé en elle de telle manière qu’il soit produit par elle de manière nécessaire, il sera connu de manière certaine : c’est le cas de ce qui est produit pour le mouvement du ciel, comme le lever, le coucher, les éclipses et les conjonctions des luminaires. Par les espèces innées des causes, les démons les connaissent beaucoup mieux que l’astrologue par son art. Toutefois, s’ils sont déterminés dans leurs causes pour se produire souvent, avec cependant la possibilité de faire défaut dans une minorité de cas en raison d’un empêchement du côté de l’agent ou du côté de ce qui reçoit l’action, leur connaissance anticipée ne sera pas certaine, mais on pourra en avoir [une connaissance] conjecturale. C’est de cette manière que l’astrologue prédit certaines choses à venir qui découlent des mouvements que le ciel exerce sur les réalités inférieures, [choses] qui peuvent cependant être empêchées en raison d’une déficience des causes inférieures. Cette connaissance anticipée s’approche d’autant plus de la certitude qu’est connu un plus grand nombre de causes qui concourent à un seul effet et que la puissance de la cause est mieux connue. C’est pourquoi les démons sont très subtils dans la connaissance anticipée de ces choses à venir. Mais ce qui n’a pas de cause déterminée, comme ce qui peut aller dans un sens ou dans l’autre, ou ce qui se produit dans une minorité de cas, ne peut être connu dans ses causes, mais en soi seulement, tel que cela existe. Aussi la connaissance anticipée de ces choses appartient-elle à Dieu seul, pour qui cela est présent depuis l’éternité, et à celui à qui il aura voulu le révéler. Ni les hommes ni les démons ne peuvent avoir la connaissance de telles choses à venir, sauf par révélation des esprits supérieurs. Mais ce que les démons connaissent d’avance, ils peuvent le révéler, non pas en se plaçant devant l’âme comme un miroir dans lequel est vu ce qui est réfléchi par le miroir, comme certains le disent, car l’âme humaine, du moins dans l’état de cheminement, ne voit ce qui est séparé de la matière que dans la mesure où elle parvient à sa connaissance à partir des fantasmes. De plus, les espèces qui se trouvent dans l’intelligence angélique ne sont pas proportionnées à l’intelligence humaine, puisqu’elles sont beaucoup plus simples et universelles. De même que l’imagination ne peut comprendre les espèces qui se trouvent dans l’intelligence, ni le sens, les espèces qui se trouvent dans l’imagination, de même, dans l’état de cheminement, l’intelligence humaine ne [peut-elle] pas non plus [comprendre] les espèces qui se trouvent dans l’intelligence angélique. Mais l’ange bon ou mauvais peut révéler autrement ce qu’il connaît : par l’application de sa lumière aux fantasmes, comme la lumière de l’intellect agent est appliquée, afin que certaines intentions soient évoquées dans l’intelligence à partir d’eux ; et plus la lumière sera forte et parfaite, plus nombreuses et plus certaines seront les connaissances évoquées. C’est ainsi que la connaissance de certaines choses résulte dans l’intellect possible de l’homme à partir des fantasmes éclairés par la lumière angélique : pour la susciter, l’éclairage de l’intellect agent humain ne suffirait pas, puisque sa lumière est plus faible que la lumière de l’ange.

 

[4071] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod futura secundum quod habent determinationem in causis suis, accedunt ad rationem praesentium, inquantum jam quodammodo sunt determinata in causis suis: et ideo eorum praecognitio non proprie dicitur divinatio; ut quando medicus praedicit sanitatem futuram, et astrologus eclipsim vel pluviam, et aliquod hujusmodi; nisi forte apud eum quem latet ordo causae ad causatum: unde in illis quae omnibus nota sunt, nullus dicit divinationem esse, ut solem oriri cras; sed divinatio proprie est eorum quae causas determinatas non habent: haec enim praecognoscere, solius Dei est, a cujus actus usurpatione, divini vocantur qui futuris praenuntiandis intendunt.

1. Les choses à venir, pour autant qu’elles ont une détermination dans leurs causes, parviennent à la raison de choses présentes, dans la mesure où elles sont, d’une certaine manière, déterminées dans leurs causes. C’est pourquoi leur connaissance anticipée n’est pas appelée à proprement parler une divination, comme lorsque le médecin prédit la santé à venir et l’astrologue, l’éclipse ou la pluie, et quelque chose de ce genre, à moins que ne lui soit caché l’ordre entre la cause et ce qui est causé. Ainsi, pour ce qui est connu de tous, personne ne dit qu’il y a divination, comme le fait que soleil se lèvera demain. Mais, à proprement parler, la divination porte sur ce qui n’a pas de cause déterminée. En effet, connaître à l’avance relève de Dieu seul : c’est par usurpation de son acte que sont appelés divins ceux qui s’appliquent à prédire l’avenir.

 

[4072] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod falsi prophetae distinguuntur a veris quantum ad tria ad minus. Primo quantum ad revelationis auctorem: quia boni prophetae futura praedicunt divino lumine, mediantibus bonis Angelis inspirati; sed falsi prophetae vel sequuntur spiritum suum, nihil videntes, sed mendacia confingentes, vel per revelationem immundi spiritus. Secundo quantum ad intentionem praenuntiationis: quia falsorum prophetarum finis est aliquod lucrum temporale; unde dicitur Ezech. 13, 19: violant me ad populum meum propter pugillum hordei et fragmen panis; vel saltem ipsius Daemonis revelantis intentio perversa est, qui deceptionem intendit: sed prophetarum bonorum tota intentio in rectum finem ordinatur. Tertio quantum ad certitudinem praenuntiatorum: quia bonorum prophetia innititur divinae praescientiae, quae omnium futurorum eventus intuetur; sed praenuntiatio malorum prophetarum innititur praescientiae Daemonum, quae conjecturalis est.

2. Les faux prophètes se distinguent des vrais au moins sur trois points. Premièrement, quant à l’auteur de la révélation, car les bons prophètes prédisent l’avenir par une lumière divine, inspirés par l’intermédiaire des anges bons ; mais les faux prophètes ou bien suivent leur propre esprit, sans rien voir mais en inventant des mensonges, ou bien [suivent] la révélation d’un esprit impur. Deuxièmement, quant à l’intention de l’annonce anticipée, car la fin des faux prophètes est un avantage temporel ; aussi est-il dit dans Ez 13, 19 : Ils me déshonorent devant mon peuple pour une poignée d’orge et un morceau de pain. Ou à tout le moins, l’intention du démon qui révèle est perverse, car il a l’intention de tromper ; mais l’intention des bons prophètes est tout entière tournée vers une fin droite. Troisièmement, quant à la certitude de ce qui est annoncé à l’avance, car la prophétie des bons s’appuie sur la prescience divine, qui voit l’avènement de toutes les choses à venir ; mais l’annonce anticipée des mauvais prophètes s’appuie sur la prescience des démons, qui est conjecturale.

 

[4073] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Daemon potest aliquod ignotum manifestare sine causatione novae speciei, dupliciter: aut ex speciebus in imaginatione servatis, diversimode compositis et divisis, et fortiori lumine illustratis, alias intentiones eliciendo: aut etiam novas species in imaginatione formando, secundum aliquam transmutationem organi corporalis.

3. Le démon peut rendre manifeste quelque chose d’ignoré, sans causer une nouvelle espèce, de deux manières. Soit en tirant d’autres intentions des espèces conservées dans l’imagination, en les composant et en les divisant autrement et en les éclairant d’une lumière plus forte ; soit aussi en formant de nouvelles espèces dans l’imagination par un changement de l’organe corporel.

 

[4074] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod solus Deus format mentem hominis justificando; non tamen solus immediate intellectuali lumine illustrat; nisi intelligatur de lumine connaturali, quod a solo Deo est.

4. Seul Dieu donne forme à l’esprit de l’homme en le justifiant ; cependant, il n’est pas seul à éclairer de manière immédaite d’une lumière intellectuelle, à moins qu’on l’entende d’une lumière connaturelle, qui vient de Dieu seul.

 

[4075] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod astrologi non possunt praenuntiare eventus, nisi quia reducuntur ad motum caeli sicut ad causam, vel per se sicut transmutationes quae accidunt in corporalibus, ut tempestates et sterilitates et pestilentias, et hujusmodi; quae tamen impediri possunt fortioribus motibus supervenientibus, ut dicit philosophus in Lib. de Som. et Vig.: vel per accidens sicut ad transmutationem corporis disponitur animus ad aliquos actus magis quam ad alios, sicut ex naturali complexione quidam sunt proni ad luxuriam vel ad iram, et hujusmodi; non tamen talis dispositio corporis animae necessitatem inducit. Unde in his quae ex libero arbitrio dependent, maxime eorum judicia falluntur. Similiter etiam medici ex signis exterius apparentibus causas inferiores cognoscunt ex quibus sequitur sanitas vel mors, vel semper, vel in majori parte. Et haec omnia Daemones praecognoscere possunt. Non autem omnia futura sunt talia.

5. Les astrologues ne peuvent annoncer à l’avance des événements, à moins qu’ils ne se ramènent au mouvement du ciel comme à leur cause, soit par soi, comme les changements qui se produisent dans les choses corporelles, comme les tempêtes, les disettes, la peste et les choses de ce genre ‑ ils peuvent cependant être empêchés par des mouvements plus forts qui surviennent, comme le dit le Philosophe dans le livre Sur le sommeil et la veille ; soit par accident, comme, par un changement du corps, l’âme est disposée à certains actes plutôt qu’à d’autres : ainsi, en raison de leur complexion naturelle, certains sont enclins à la luxure ou à la colère, et à des choses de ce genre ; cependant, une telle disposition du corps n’entraîne pas de nécessité pour l’âme. Aussi, pour ce qui dépend du libre arbitre, leurs jugements se trompent-ils très souvent. De même aussi les médecins connaissent-ils les causes inférieures à partir de signes extérieurs, dont résulte la santé ou la mort, toujours ou dans la majorité des cas. Tout cela, les démons peuvent le connaître à l’avance. Mais toutes les réalités futures ne sont pas comme cela.

 

[4076] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod divinationes, etiam quae in somniis sunt, reducuntur in aliqua signa vel causas naturales. Hoc autem contingit dupliciter. Uno modo in his quorum causa est in ipso somniante; et hoc contingit dupliciter: vel ita quod ipsum somnium est causa eventus futuri, sicut quando quis propter hoc quod in somno videt, movetur ad aliquid faciendum; vel est signum futuri cujus causa in ipso est, sicut quando quis somniat se comedere dulcia, significatur, quod phlegma dulce in eo dominetur: ex quo medicus potest aliquem eventum futurum conjicere vel morbi vel salutis. Si autem neutro modo se habeat, tunc non est nisi per accidens, sicut contingit per accidens me cogitante de adventu alicujus, illum venire. Alio modo in his quae causam habent extra somniantem; et in his eventus frequenter rei somniatae se habet ad somnium ut per accidens; quandoque tamen somnium est signum eventus futuri. Hoc autem contingit dupliciter. Uno modo ex parte illa qua cognitionem a corpore accipit, inquantum imprimitur in ipsum virtus corporis caelestis: ex motibus enim corporum caelestium relinquuntur quaedam impressiones et motus, quae sunt signa motuum caelestium in corporibus inferioribus: et secundum quod isti motus perveniunt ad imaginationem, figurantur imagines illorum effectuum ad quos disponunt motus caelestes, secundum similitudinem magis vel minus expressam, secundum quod virtus imprimens est fortior vel debilior, et secundum quod virtus recipiens est magis disposita vel minus, et magis quieta ab aliis occupationibus: et propter hoc hujusmodi sentiuntur in dormiendo, quia anima vacat ab exterioribus motibus, et praecipue in nocte, et circa horam digestionis completae: et per hunc modum quaedam animalia praecognoscunt quaedam futura, secundum quod est necessarium ad eorum sustentationem; sicut pisces tempestatem futuram motibus suis praenuntiant, dum de loco ad locum moventur; et similiter etiam in formicis, et multis aliis animalibus, ut ad sensum patet, quorum imaginationes sunt magis quietae quam humanae propter multiplices motus rationis. Alio modo secundum quod anima cognitionem accipit ex influentia luminis substantiae separatae, vel Dei vel Angeli, cui vehementius conjungitur quanto magis ab occupatione corporis cessat: et propter hoc revelationes in somniis fiunt, et in illis praecipue quorum anima corporis affectionibus non subditur: et quanto eorum imaginatio magis obedit intellectui, tanto figurantur in ea expressiores similitudines; et propter hoc virtutes morales multum faciunt ad scientiam, et praecipue virtus castitatis, ut dicit Commentator in 7 Physic.: castitas enim praecipue inter virtutes morales corpus animae obediens reddit.

6. Les divinations, même celles qui ont lieu dans des rêves, se ramènent à certains signes ou causes naturelles. Or, cela se produit de deux manières. D’une manière, lorsque la cause se trouve chez celui qui rêve. Et cela se produit de deux manières : ou bien le rêve lui-même est la cause de l’événement à venir, comme lorsque quelqu’un est mû à faire quelque chose qu’il voit en rêve ; soit cela est le signe d’une chose à venir dont la cause est en lui, comme lorsque quelqu’un rêve qu’il mange un dessert, cela signifie qu’une humeur douce domine chez lui ; à partir de là, le médecin peut conjecturer un événement à venir, soit une maladie, soit la santé. Mais s’il ne s’agit d’aucun des deux cas, cela ne se produit que par accident, comme lorsqu’il arrive par accident, alors que je pense à l’arrivée de quelqu’un, que celui-ci arrive. D’une autre manière, lorsque la cause est extérieure à celui qui rêve. Dans ces cas, la réalisation d’une chose rêvée n’a avec le rêve qu’un rapport accidentel ; parfois, cependant, le songe est le signe d’un événement à venir. Or, cela se produit de deux manières. D’une manière, du fait qu’il tire sa connaissance du corps, dans la mesure où la puissance d’un corps céleste agit sur lui. En effet, à partir des mouvements des corps célestes, certains mouvements et impressions demeurent, qui sont des signes des mouvements célestes dans les corps inférieurs ; selon que ces mouvements parviennent à l’imagination, les effets auxquels disposent les mouvements célestes prennent figure, selon une ressemblance plus ou moins explicite, dans la mesure où la puissance qui agit est plus forte ou plus faible, et selon que la puissance qui reçoit est plus ou moins disposée, et plus ou moins libérée d’autres occupations. C’est pour cette raison que de telles choses sont ressenties dans le sommeil, car l’âme est libérée des mouvements extérieurs, surtout la nuit et à l’heure où la digestion est achevée. De cette manière, certains animaux connaissent certaines choses à venir d’après ce qui est nécessaire à leur alimentation. Ainsi, les poissons annoncent à l’avance par leurs mouvements la tempête à venir, lorsqu’ils vont d’un lieu à un autre. De même en est-il des fourmis et de bien d’autres animaux, comme cela tombe sous le sens, dont les imaginations sont plus paisibles que les imaginations humaines en raison des multiples mouvements de la raison. D’une autre manière, [cela se produit] parce que l’âme reçoit la connaissance de l’influence de la lumière d’une substance séparée, soit Dieu, soit un ange, à qui elle est unie de manière d’autant plus intense que cesse l’occupation corporelle. Pour cette raison, des révélations sont faites dans des rêves, et surtout à ceux dont l’âme n’est pas soumise aux affections du corps. Et plus leur imagination obéit à l’intelligence, plus expressses sont les ressemblances représentées en elle. Pour cette raison, les vertus morales contribuent beaucoup à la science, et surtout la vertu de chasteté, comme le dit le Commentateur dans Physique, VII : en effet, la chasteté surtout, parmi les vertus morales, rend le corps obéissant à l’âme.

 

 

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La puissance de l’action des démons]

 

Prooemium

Prologue

 

[4077] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 pr. Deinde quaeritur de virtute Daemonum in operando; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum possint aliquos veros effectus operari in materia corporali; 2 utrum eorum auxilio et consilio uti liceat.

1. On s’interroge ensuite sur la puissance de l’action des démons. À ce sujet, deux questions sont posées : 1. Peuvent-ils produire de vrais effets dans la matière corporelle ? 2. Est-il permis de recourir à leur aide et à leur conseil ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4078] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 tit. Utrum Daemones possint inducere in materia corporali verum effectum corporalem

Article 1 – Les démons peuvent-ils produire un véritable effet corporel dans la matière corporelle ?

 

[4079] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Daemones verum effectum corporalem inducere nequeant. Quia dicitur 2 Thessal. 2, quod Antichristus veniet in signis mendacibus. Sed tunc maximam potestatem Daemones habebunt. Ergo videtur quod nullo modo possint aliquem effectum verum inducere.

1. Il semble que les démons ne puissent pas produire un véritable effet corporel, car il est dit en 2 Th 2, que l’Antéchrist viendra au milieu de signes mensongers. Or, c’est alors que les démons auront leur plus grand pouvoir. Il semble donc qu’ils ne peuvent aucunement produire un véritable effet.

 

[4080] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, id quod datum est in manifestationem et confirmationem fidei, non debet concedi fidei adversariis. Sed operatio signorum data est ad confirmationem fidei, ut habetur Marci ult.: illi autem profecti praedicaverunt ubique domino cooperante, et sermonem confirmante sequentibus signis. Ergo videtur quod non subsit potestati Daemonum miracula facere.

2. Ce qui a été donné en vue de la manifestation et de l’affermissement de la foi ne doit pas être reconnu aux adversaires de la foi. Or, l’accomplissement de signes a été donné en vue de l’affermissement de la foi, comme on le trouve dans le dernier chapitre de Mc : Or, ceux-ci étant partis, ils prêchèrent partout, avec l’aide du Seigneur, qui appuyait la parole par les signes qui l’accompagnaient. Il semble donc qu’il ne relève pas du pouvoir des démons de faire des miracles.

 

[4081] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, omnis alteratio reducitur in motum localem, ut in 8 Physic., probatur, quorum primus est motus caeli. Sed Daemones motum caeli variare non possunt: quia hoc solius Dei est, ut Dionysius dicit. Ergo videtur quod nullam transmutationem in corporibus inferioribus facere possint de forma in formam.

3. Comme cela est démontré dans Physique, VIII, toute altération se ramène à un mouvement local, le premier étant le mouvement du ciel. Or, les démons ne peuvent modifier le mouvement du ciel, car cela relève de Dieu seul, comme le dit Denys. Il semble donc qu’ils ne puissent réaliser aucun changement d’une forme à une autre forme dans les corps inférieurs.

 

[4082] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, id quod subjacet virtuti corporali, non habet virtutem imprimendi in corpora. Sed Daemones subduntur virtutibus stellarum; unde etiam malefici constellationes determinatas observant ad invocandum Daemones. Ergo videtur quod non habeant virtutem imprimendi in corpora.

4. Ce qui est soumis à la puissance corporelle n’a pas le pouvoir d’agir sur les corps. Or, les démons sont soumis à la puissance des étoiles ; c’est pour cela que les sorciers observent des constellations déterminées pour invoquer les démons. Il semble donc qu’ils n’aient pas la puissance d’agir sur les corps.

 

[4083] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, Daemones non operantur nisi per modum artis. Sed ars non potest dare formam substantialem; unde dicitur in cap. de numeris: sciant auctores alchimiae, species transformari non posse. Ergo nec Daemones formas substantiales inducere possunt.

5. Les démons n’agissent que par mode d’art. Or, l’art ne peut donner une forme substantielle ; aussi est-il dit dans le chapitre Sur les nombres : « Que les auteurs d’alchimie sachent qu’ils ne peuvent transformer les espèces. » Les démons non plus ne peuvent donc pas introduire des formes substantielles.

 

[4084] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Exodi 7, quod magi Pharaonis virtute Daemonum operantes, virgas in serpentes verterunt.

Cependant, [1] dans Ex 7, il est dit que les mages du pharaon, agissant par la puissance des démons, changèrent leurs bâtons en serpents.

 

[4085] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, fortius agit in id quod minus est forte. Sed virtus Daemonis est fortior virtute corporali. Ergo possunt corpora transmutare propria virtute.

[2] Ce qui est plus fort agit sur ce qui est moins fort. Or, la puissance du démon est plus forte que la puissance corporelle. Ils peuvent donc changer les corps par leur propre puissance.

 

[4086] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc potest esse duplex error. Unus fuit gentilium, qui credebant Daemones, quorum virtute magi operabantur, deos esse; et ita per modum creationis posse novos effectus producere: et iste est secundus modus quem ponit in littera Magister. Alius est Avicennae, qui ponit quod materia corporalis multo fortius obedit conceptioni substantiae separatae, quam qualitatibus contrariis agentibus in natura: quia agentia naturalia sunt tantum disponentia ad formam quae est ex influentia substantiae separatae. Unde ad conceptionem substantiae separatae, etiam praeter ordinem motus caeli, sequitur aliquis effectus in inferioribus. Et ponit exemplum de anima humana, ad cujus conceptionem totum corpus movetur vel in libidinem ad imaginationem mulieris amatae, vel ad cadendum ex imaginatione et timore casus; et hic est primus modus qui tangitur in littera, quod materia corporalis deserviat Daemonibus ad nutum. Huic autem positioni contradicitur et a philosophis et a theologis. A philosophis quidem: quia dicunt quod motus caeli est instrumentum intelligentiae moventis; unde non nisi eo mediante potest provenire effectus in inferioribus ab intelligentia. A theologis etiam contra dicitur; quia formae corporales non sunt ex influentia Daemonum, sed ex influentia Dei, qui eas in potentia materiae posuit, et educere in actum potest sine adminiculo alicujus inferioris agentis, secundum quod in actum educuntur secundum cursum naturae ex determinatis agentibus naturalibus. Unde hujus positionis est falsum fundamentum. Et ideo dicendum, quod Daemones virtute propria nullam formam in materiam influere possunt, nec accidentalem nec substantialem; nec reducere eam in actum, nisi adminiculo proprii agentis naturalis: sicut enim artifex non propria virtute, sed virtute ignis appositi calefacit; ita Daemones ad determinata passiva possunt conjungere activa, ut sequatur effectus ex causis quidem naturalibus, sed praeter consuetum cursum naturae, propter multitudinem et vehementiam virtutis activae rerum aggregatarum, et propter habilitatem passivorum: et ideo effectus qui non sunt in potestate alicujus virtutis activae naturalis, producere non possunt, ut suscitare mortuum, vel aliquid hujusmodi, secundum veritatem; sed in praestigiis tantum, ut infra dicetur.

Réponse. À ce sujet, il peut y avoir une double erreur. L’une était celle des païens, qui croyaient que les démons, par la puissance de qui les mages agissaient, étaient des dieux, et ainsi que, par mode de création, ils pouvaient produire de nouveaux effets. C’est là le second mode que présente le Maître dans le texte. L’autre [erreur] est celle d’Avicenne, qui affirme que la matière corporelle obéit à bien plus forte raison à la conception de la substance séparée, qu’aux qualités contraires agissant dans la nature, car les agents naturels ne font que disposer à la forme, qui vient de l’influence de la substance séparée. Aussi, de la conception d’une substance séparée, découle un effet chez les inférieurs, même en dehors de l’ordre du mouvement du ciel. Et il donne l’exemple de l’âme humaine, à la conception de laquelle le corps tout entier est mû soit à un vif désir en imaginant la femme aimée, soit à une chute en imaginant et en craignant la chute. Tel est le premier mode qui est abordé dans le texte, selon lequel la matière corporelle est au service du bon plaisir des démons. Mais cette position est contredite par les philosophes et les théologiens. Par les philosophes, car ils disent que le mouvement du ciel est un instrument de l’intelligence qui meut ; aussi, depuis l’intelligence, l’effet ne peut-il atteindre les inférieurs que par son intermédiaire. Elle est aussi contredite par les théologiens, car les formes corporelles ne viennent pas de l’action des démons, mais de l’action de Dieu, qui les a mises dans la puissance de la matière et peut les amener à l’acte sans l’aide d’un agent inférieur, selon qu’elles sont amenées à l’acte dans le cours de la nature à partir des agents naturels. Cette position a donc un fondement faux. Il faut donc dire que, par leur propre puissance, les démons ne peuvent introduire dans la matière aucune forme, ni accidentelle ni substantielle ; [ils ne peuvent] non plus l’amener à l’acte qu’avec l’aide de l’agent naturel propre : en effet, de même que l’artisan ne réchauffe pas par sa propre puissance, mais par la puissance du feu appliqué, de même, les démons peuvent-ils unir des réalités passives à des réalités actives afin qu’il en découle des effets venus de causes naturelles, mais en dehors du cours habituel de la nature, en vertu de la multitude et de l’intensité de la puissance active des choses assemblées, et en raison de l’aptitude des réalités passives. C’est pourquoi ils ne peuvent pas vraiment produire des effets qui ne viennent pas d’une puissance active naturelle, comme ressusciter un mort ou quelque chose de ce genre, mais seulemenet d’impostures, comme on le dira plus loin.

 

[4087] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tempore Antichristi aliqua vera miracula fient virtute Daemonum, permissione divina, in illis tamen ad quae virtus Daemonis se extendit; tamen dicuntur omnia mendacia ex parte finis, quia ad decipiendum sunt.

1. Au temps de l’Antéchrist, certains miracles véritables seront accomplis par la puissance des démons par permission divine ; cependant, ils ne porteront que sur ce à quoi s’étend la puissance du démon. Cependant, [ces miracles] seront tous appelés des mensonges du point de vue de leur fin, car ils sont accomplis en vue de tromper.

 

[4088] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod signa facta per bonos possunt distingui ab illis quae per malos fiunt, tripliciter ad minus. Primo ex efficacia virtutis operantis: quia signa facta per bonos virtute divina, fiunt in illis etiam ad quae virtus activa naturae se nullo modo extendit, sicut suscitare mortuos, et hujusmodi; quae Daemones secundum veritatem facere non possunt, sed in praestigiis tantum, quae diu durare non possunt. Secundo ex utilitate signorum: quia signa per bonos facta, sunt de rebus utilibus, ut in curatione infirmitatum, et hujusmodi; signa autem per malos facta, sunt in rebus nocivis vel vanis, sicut quod volant in aere, vel reddunt membra hominum stupida, et hujusmodi: et hanc differentiam assignat beatus Petrus in itinerario Clementis. Tertia differentia est quantum ad finem: quia signa bonorum ordinantur ad aedificationem fidei et bonorum morum; sed signa malorum sunt in manifestum nocumentum fidei et honestatis. Et quantum ad modum differunt: quia boni operantur miracula per invocationem divini nominis pie et reverenter; sed mali quibusdam deliramentis, sicut quod incidunt se cultris, et hujusmodi turpia faciunt. Et ita signa per bonos facta, manifeste possunt discerni ab his quae virtute Daemonum fiunt.

2. Les signes accomplis par les bons peuvent être distingués de ceux qui sont accomplis par les méchants au moins de trois manières. Premièrement, en raison de l’efficacité de la puissance qui agit, car les signes accomplis par les bons en vertu de la puissance divine portent aussi sur ce à quoi la puissance active de la nature ne s’étend d’aucune manière, comme ressusciter des morts et les choses de ce genre. Les démons ne peuvent pas vraiment accomplir de telles, mais seulement par des impostures, qui ne peuvent durer longtemps. Deuxièmement, en raison de l’utilité des signes, car les signes accomplis par des bons portent sur des choses utiles, comme la guérison des malades et les choses de ce genre ; mais les signes accomplis par les méchants portent sur des choses nuisibles et vaines, comme voler dans les airs ou immobiliser des membres d’hommes, et des choses de ce genre. C’est cette différence qu’indique Pierre dans l’itinéraire de Clément. La troisième différence concerne la fin, car les signes des bons sont ordonnés à l’édification de la foi et des bonnes mœurs ; mais les signes des méchants visent manifestement à nuire à la foi et à l’honnêteté. Ils diffèrent aussi par leur mode, car les bons accomplissent des miracles par l’invocation pieuse et respectueuse du nom de Dieu ; mais les méchants, par des extravagances, comme ceux qui se jettent sur des couteaux et font des choses honteuses de ce genre. Et ainsi, les signes accomplis par les bons peuvent être clairement distingués de ceux qui sont accomplis par la puissance des démons.

 

[4089] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod talem alterationem praecedit aliquis motus localis, inquantum virtutes activas colligunt, et determinatis passivis apponunt; sed talis motus localis non reducitur in motum caelestem, quia non est secundum aliquam virtutem moventem naturalem, sed inquantum obedit virtuti Daemonis ad motum localem; quod est virtute naturae suae, quae supra corpora potest: non quidem ut aliquam formam influat, sed ut localiter moveat: quia motus localis non est secundum acquisitionem alicujus quod in re sit quae movetur, quia locus est extrinsecus locato.

3. Un mouvement local précède une telle altération dans la mesure où il rassemble des puissances actives et [les] joint à des puissances passives déterminées ; mais un tel mouvement local ne se ramène pas au mouvement céleste, car il n’est pas le fait d’une puissance agissante naturelle, mais il obéit à la puissance du démon sur le mouvement local. Celle-ci résulte de la puissance de sa nature, qui est supérieure aux corps, non pas pour qu’il agisse sur une forme, mais pour qu’il meuve localement, car le mouvement local ne se réalise pas par l’acquisition d’une chose qui serait dans la chose mue, car le lieu est extérieur à ce qui est localisé.

 

[4090] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod corpora caelestia non habent aliquam impressionem in Daemones, ut eis subdantur; sed ideo advocati sub certa constellatione veniunt, quia sciunt virtutem illius constellationis juvare ad effectum qui requiritur; vel propter hoc ut homines inducantur ad venerandum aliquod numen in stellis, ex quo idolatriae ritus procedit.

4. Les corps célestes n’exercent pas d’influence sur les démons pour qu’ils leur soient soumis ; mais ceux-ci sont invoqués selon une constellation déterminée parce qu’ils savent que la puissance de cette constellation aide à l’effet qui est demandé, ou pour que les hommes soient amenés à vénérer une puissance divine dans les étoiles, ce dont provient un culte idolâtre.

 

[4091] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ars virtute sua non potest formam substantialem conferre, quod tamen potest virtute naturalis agentis; sicut patet in hoc quod per artem inducitur forma ignis in lignis. Sed quaedam formae substantiales sunt quas nullo modo ars inducere potest, quia propria activa et passiva invenire non potest, sed in his potest aliquid simile facere; sicut alchimistae faciunt aliquid simile auro quantum ad accidentia exteriora; sed tamen non faciunt verum aurum: quia forma substantialis auri non est per calorem ignis quo utuntur alchimistae, sed per calorem solis in loco determinato, ubi viget virtus mineralis: et ideo tale aurum non habet operationem consequentem speciem; et similiter in aliis quae eorum operatione fiunt.

5. L’art ne peut conférer une forme substantielle par sa puissance propre, mais elle le peut par la puissance d’un agent naturel, comme cela ressort dans le fait que, par l’art, la forme du feu est introduite dans le bois. Mais il existe certaines formes naturelles que l’art ne peut d’aucune manière amener parce qu’il ne peut trouver leurs [éléments] actifs et passifs propres ; mais il peut réaliser quelque chose de semblable pour elles. Ainsi, les alchimistes produisent quelque chose de semblable à l’or par les accidents extérieurs ; cependant, ils ne produisent pas de l’or véritable parce que la forme substantielle de l’or n’est pas réalisée par la chaleur du feu qu’utilisent les alchimistes, mais par la chaleur du soleil en un lieu déterminé où la puissance minérale est vigoureuse. Un tel or ne possède donc pas l’opération qui découle de son espèce. De même en est-il pour les autres choses qui sont réalisées par leur action.

 

 

 

 

Articulus 2 [4092] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 tit. Utrum uti auxilio Daemonis ad effectus corporales sit malum

Article 2 – Est-il mal de recourir à l’aide du démon en vue d’effets corporels ?

 

[4093] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod uti auxilio Daemonum in talibus operationibus non sit malum. Ipse enim Paulus Corinthium fornicarium tradidit Satanae in interitum carnis, ut dicitur 1 Corinth. 5. Sed in hoc non dicitur peccasse. Ergo uti licet obsequio Daemonum. Praeterea, licet auxilium accipere etiam a peccatoribus, ut eleemosynam, vel aliquid hujusmodi. Sed in Daemonibus non est invenire nisi naturam, quae bona est, et peccatum. Ergo videtur quod auxilio eorum uti liceat.

1. Il semble qu’il ne soit pas mal de recourir à l’aide des démons pour de telles opérations. En effet, Paul lui-même a livré à Satan un Corinthien fornicateur pour une mort charnelle, comme on le dit dans 1 Co 5, 5. Or, on ne dit pas qu’il a péché à cause de cela. Il est donc permis de recourir à l’aide des démons. De plus, il est permis de recevoir une aide de la part de pécheurs, comme une aumône ou quelque chose de ce genre. Or, chez les démons, on ne peut trouver que leur nature, qui est bonne, et le péché. Il semble donc qu’il soit permis de recourir à leur aide.

 

[4094] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, Deus contulit virtutes verbis et rebus. Sed virtute quorumdam verborum et rerum Daemones advocantur, et quasi compelluntur. Ergo videtur quod eorum auxilio uti liceat.

3. Dieu a donné des pouvoirs à des paroles et à des choses. Or, les démons sont invoqués et comme contraints par la puissance de certaines paroles et de certaines choses. Il semble donc qu’il soit permis de recourir à leur aide.

 

[4095] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, id quod vergit in aliquam utilitatem et nulli derogat, non videtur esse peccatum. Sed per invocationes Daemonum frequenter multa utilia fiunt, sicut patet in inventione rerum amissarum. Ergo videtur quod in talibus uti liceat eorum auxilio.

4. Ce qui tourne à un certain bien et ne déroge en rien ne semble pas être un péché. Or, par des invocations aux démons, beaucoup de choses utiles sont fréquemment accomplies, comme cela ressort dans le fait de trouver des choses perdues. Il semble donc qu’il soit permis de recourir à leur aide pour de telles choses.

 

[4096] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Deuter. 18, praecepit dominus omnes incantatores et maleficos interfici. Mors autem corporalis non infligitur sine gravi peccato. Ergo videtur quod graviter peccant qui talibus intendunt.

Cependant, [1] en Dt 18, le Seigneur ordonne de mettre à mort tous ceux qui font des incantations et lancent des maléfices. Or, la mort corporelle n’est pas infligée sans un péché grave. Il semble donc que ceux qui ont en vue de telles choses pèchent gravement.

 

[4097] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, omnes divinationes esse fugiendas et cavendas. Ergo et cetera.

[2] Augustin dit que toutes les divinations doivent être fuies et évitées. Donc, etc.

 

[4098] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ea quae sunt supra facultatem humanam et naturae, a solo Deo requirenda sunt; et ideo sicut graviter peccat qui illud quod est Dei, creaturae impendit per idolatriae cultum; ita graviter peccant qui ea quae a Deo expetenda sunt, auxilio Daemonum implorant: et hujusmodi est vaticinatio de futuro; unde dicitur Isai. 8, 19: numquid non populus a Deo suo requiret? Et similiter etiam in aliis operibus magicis; in quibus complementum operis ex virtute Daemonum expectatur: in his enim omnibus est apostasia a fide per pactum initum cum Daemone, vel verbotenus, si invocatio intersit, vel facto aliquo, etiam si sacrificia desint: non enim potest homo duobus dominis servire, ut dicitur Matth. 6.

Réponse. Ce qui dépasse les capacités de l’homme et de la nature doit être demandé à Dieu seul. De même que pèche gravement celui qui rend à la créature par un culte idolâtre ce qui appartient à Dieu, de même donc pèchent gravement ceux qui implorent de l’aide des démons ce qu’on ne doit chercher à recevoir que de Dieu. Les vaticinations sur l’avenir sont de ce genre. Aussi est-il dit en Is 8, 19 : Le peuple ne le demandera-t-il pas à son Dieu ? Et il en va encore de même pour les autres opérations magiques, où l’on attend de la puissance des démons l’accomplissement d’une action. En effet, en tout cela, il y a apostasie de la foi par un pacte avec le démon, en paroles, s’il y a une invocation, ou par une action, même s’il n’y a pas de sacrifice. En effet, l’homme ne peut servir deux maîtres, comme il est dit en Mt 6.

 

[4099] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Paulus et quidam alii sancti leguntur aliqua per Daemones fecisse, non pacto cum eis inito, sed sicut virtutem divinam in eis exercentes; sicut et iam potestatum caelestium officium dicitur Daemones arcere.

1. On lit que Paul et certains autres saints ont fait certaines choses en recourant aux démons, non pas en vertu d’un pacte fait avec eux, mais par la puissance divine qui agissaient en eux, comme on dit aussi que les démons exercent la fonction des puissances célestes.

 

[4100] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatores, quamdiu in hac vita vivunt, possunt fieri membra Christi, quantumcumque videantur in malitia obstinati; et ideo ex caritate diligendi sunt, et ab eis beneficia recipi possunt et impendi, dummodo contra caritatem non sint: sed postquam a corpore in damnationem decedunt, idem est judicium de eis et de Daemonibus.

2. Aussi longtemps qu’ils sont en cette vie, les pécheurs peuvent devenir membres du Christ, même s’ils paraissent obstinés dans leur malice. C’est pourquoi ils doivent être aimés de charité et on peut recevoir d’eux des bienfaits et leur en accorder, pourvu que ceux-ci ne soient pas contre la charité. Mais, après qu’ils sont séparés de leur corps pour aller à leur damnation, le jugement est le même pour eux et pour les démons.

 

[4101] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est credendum aliquibus virtutibus corporalibus Daemones subjacere; et ideo non coguntur invocationibus et factis quibusdam maleficis, nisi inquantum per hoc cum eis foedus initur, secundum quod dicitur Isai. 28, 15: percussimus foedus cum morte, et cum Inferno fecimus pactum.

3. Il ne faut pas croire que les démons sont soumis à des puissances corporelles. Aussi ne sont-ils pas contraints par des invocations et par des maléfices, sinon dans la mesure où un pacte est ainsi contracté avec eux, selon ce qui est dit dans Is 28, 15 : Nous avons conclu une alliance avec la mort et nous avons fait un pacte avec l’enfer.

 

[4102] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nulla utilitas esse potest pro qua aliquid faciendum sit quod in Dei vergat injuriam: quod contingit quando illud quod ipsius est, non ab ipso quaeritur, sed cum ejus adversario foedus initur.

4. Il n’y a pas de raison valable de faire quelque chose qui tourne à l’outrage envers Dieu. C’est le cas lorsque ce qui relève de lui ne lui est pas demandé, mais qu’une alliance est contractée avec son adversaire.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 7

 

[4103] Super Sent., lib. 2 d. 7 q. 3 a. 2 expos. Boni vero arbitrium multo liberius habent post confirmationem quam ante. Sed contra, liberum arbitrium est quod cogi non potest. Sed negationes non recipiunt magis et minus. Ergo nec liberum arbitrium. Ad quod dicendum, quod quamvis negatio, secundum illud quod est, magis vel minus non recipiat; tamen dicitur intendi et remitti, quatenus habet causam in subjecto; sicut qui caret substantia oculi, magis dicitur caecus quam ille cujus visus dicitur ab humore aliquo impeditus ad pupillam confluente: et ideo dici potest libertas arbitrii major et minor, secundum modum naturae in qua est. Occulta quaedam semina in corporeis hujus mundi elementis latent. Per haec semina intelliguntur virtutes activae existentes in rebus ex virtute caelesti, et ex qualitatibus activis et passivis: quia semen in 2 Phys., computatur inter causas activas.

 

 

 

 

 

Distinctio 8

Distinction 8 – [Les apparitions corporelles des anges bons et mauvais]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[4104] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 pr. Hic determinat Magister de Angelis bonis et malis, quantum ad corporum assumptionem; et dividitur in partes duas: in prima determinat de eis quantum ad assumptionem corporum; secundo quantum ad impressionem in nos, ibi: illud etiam consideratione dignum videtur, utrum Daemones (...) hominum substantialiter intrent corpora. Prima dividitur in partes duas: in prima determinat de apparitione Angelorum in corporalibus formis, utrum sit per corpus assumptum, vel naturaliter unitum; in secunda determinat de apparitione divina, ibi: nec dubitandum est, Deum in corporalibus formis apparuisse hominibus. Ubi duo facit: primo dicit, Deum apparuisse in corporalibus formis; secundo ostendit Deum nunquam in sua essentia visibiliter apparuisse, ibi: ceterum haec velut nimis profunda atque obscura, linquentes, illud indubitanter teneamus, quod Deus in specie essentiae suae nunquam mortalibus apparuit. Circa primum duo facit: primo ostendit, Deum in visibilibus formis apparuisse; secundo inquirit dictae apparitionis modum, ibi: sed ubi Deus hominibus in corporalibus imaginibus apparuisse asserit, perplexam quaestionem proponit. Hic sex quaeruntur: 1 utrum Angeli habeant corpora naturaliter unita; 2 si non habeant, utrum assumant; 3 si sic, qualiter sibi corpora assumant; 4 quas operationes per ea exerceant; 5 qualiter in nos imprimere possint; 6 quomodo Deus in formis corporalibus appareat.

Ici, [le Maître] détermine des apparitions corporelles des anges bons et mauvais. Il y a deux parties. Dans la première, il détermine des apparitions corporelles. Deuxièmement, de l’effet que [les anges] ont sur nous, à cet endroit : « Ceci encore semble mériter la considération : les anges… entrent-ils de manière substantielle dans les corps des hommes ? » La première partie se divise en deux parties. Dans la première, il détermine de l’apparition des anges sous des formes corporelles : se réalise-t-elle par la prise d’un corps ou par une union naturelle ? Dans la seconde, il détermine de l’apparition divine, à cet endroit : « Il n’est pas non plus douteux que Dieu soit apparu à des hommes sous des formes corporelles. » Il fait là deux choses : premièrement, il dit que Dieu est apparu sous des formes corporelles ; deuxièmement, il montre que Dieu n’est jamais visiblement apparu en son essence, à cet endroit : « De plus, en laissant de côté ces choses trop profondes et obscures, tenons sans douter que Dieu n’est jamais apparu à des mortels sous l’aspect de son essence. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que Dieu est apparu sous des formes visibles ; deuxièmement, il s’interroge sur le mode d’une telle apparition, à cet endroit : « Mais là où il affirme que Dieu est apparu à des hommes sous des images corporelles, il soulève une question compliquée. » Six questions sont posées ici : 1. Les anges ont-ils des corps qui leur sont naturellement unis ? 2. Sinon, les assument-ils ? 3. Si oui, comment assument-ils des corps ? 4. Quelles opérations exercent-ils par eux ? 5. Comment peuvent-ils être en contact avec nous ? 6. Comment Dieu apparaît-il sous des formes corporelles ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4105] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 tit. Utrum Angeli habeant corpora unita

Article 1 – Les anges ont-ils des corps qui leur sont unis ?

 

[4106] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angeli corpora unita habeant. Augustinus enim in Lib. de Civ. Dei, inducit verba Apuleji definientis Daemones sic: Daemones sunt genere animalia, animo passiva, mente rationalia, corpore aerea, tempore aeterna: nec hanc definitionem improbat. Ergo videtur quod habeant corpora aerea naturaliter unita.

1. Il semble que les anges aient des corps qui leur sont unis. En effet, dans le livre Sur la cité de Dieu, Augustin invoque les paroles d’Apulée qui définit ainsi les démons : « Les démons sont, par leur genre, des animaux susceptibles de passions par leur esprit, raisonnables par leur intelligence, aériens par leur corps, éternels par leur temps », et il ne repousse pas cette définition. Il semble donc qu’ils possèdent des corps aériens qui leur sont naturellement unis.

 

[4107] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, Gregorius dicit in homilia Epiphaniae, quod Judaeis annuntiavit Christi incarnationem rationale animal, idest Angelus. Sed animal est compositum ex anima et corpore. Ergo videtur quod Angeli habeant corpora naturaliter unita.

2. Dans une homélie sur l’Épiphanie, Grégoire dit qu’un animal raisonnable, c’est-à-dire un ange, a annoncé aux Juifs l’incarnation du Christ. Or, un animal est composé d’âme et de corps. Il semble donc que les anges aient des corps qui leur sont naturellement unis.

 

[4108] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, illud quod in se est incorporeum, respectu nullius potest corporeum dici: quia haec praedicatio est absoluta: quod enim absolute album est, respectu nullius est nigrum. Sed secundum Damascenum, et Gregorium, Angeli in comparatione Dei corporei sunt. Ergo in se incorporei non sunt.

3. Ce qui est incorporel en soi ne peut être appelé corporel par rapport à rien, car cette attribution est absolue. En effet, ce qui est blanc de manière absolue n’est noir sous aucun rapport. Or, selon [Jean] Damascène et Grégoire, les anges sont corporels par rapport à Dieu. Ils ne sont donc pas incorporels en eux-mêmes.

 

[4109] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, nobilius est quod in se habet vitam et alteri confert, quam quod alterum non vivificat, quamvis in seipso vivat. Sed vita Angeli est nobilior quam animae. Ergo videtur quod multo fortius habeat corpus unitum quod vivificet quam anima.

4. Ce qui possède en soi la vie et la donne à un autre est plus noble qu’une autre chose qui ne donne pas la vie, bien qu’elle vive par elle-même. Or, la vie d’un ange est plus noble que celle de l’âme. Il semble donc qu’à bien plus forte raison, il ait, plus que l’âme, un corps qui lui est uni et auquel il donne la vie.

 

[4110] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit, quod Angeli sicut incorporales ita et immateriales intelliguntur.

Cependant, [1] Denys dit qu’on pense des anges que, de même qu’ils sont incorporels, ils sont immatériels.

 

[4111] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis substantia vivificans corpus naturaliter sibi unitum, habet potentias aliquas quae sunt actus alicujus partis corporis. Si ergo Angelus uniatur naturaliter corpori tamquam vivificans illud, oportet quod habeat potentias affixas organis, sicut sunt potentiae animae sensitivae et nutritivae, quae si in Angelo ponantur, non differret Angelus ab homine.

[2] Toute substance qui donne la vie à un corps qui lui est naturellement uni a des puissances qui sont des actes d’une partie de son corps. Si donc l’ange est naturellement uni à un corps comme lui donnant la vie, il est nécessaire qu’il ait des puissances associées à des organes, comme le sont les puissances de l’âme sensible et nutritive. Mais si celles-ci sont attribuées à l’ange, l’ange ne serait pas différent de l’homme.

 

[4112] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Angeli neque boni neque mali habent corpora naturaliter unita: hoc enim esse non potest, nisi essent formae illorum corporum vel saltem motores proportionati illis corporibus; et cum sint perfectioris naturae ipsis animabus, oporteret, quod corpora nobiliora haberent. Inter omnia autem corpora generabilia et corruptibilia est nobilissimum corpus humanum quasi maxime accedens ad similitudinem caelestis corporis propter aequalitatem complexionis; unde oporteret illa corpora esse corpora caelestia: et sic rediret error philosophorum ponentium, Angelos esse formas orbium et multiplicari secundum eorum numerum: quod tamen longe probabilius esset quam eos habere corpora aerea naturaliter unita quod videtur Augustinus dicere; quamvis dicatur hoc non nisi ex hypothesi eum dixisse, ut utentem positionibus Platonicorum, contra quos disputabat.

Réponse. Ni les anges bons ni les anges mauvais n’ont de corps qui leur sont naturellement unis. En effet, cela ne peut être le cas que s’ils étaient les formes de ces corps ou, à tout le moins, des moteurs proportionnés à ces corps. Comme ils ont une nature plus parfaite que ces corps, il faudrait qu’ils aient des corps plus nobles. Or, parmi tous les corps susceptibles de génération et de corruption, le plus noble est le corps humain, qui s’approche le plus d’une ressemblance avec un corps céleste en raison de l’égalité de sa complexion. Il faudrait donc que ces corps soient des corps célestes, et ainsi reviendrait l’erreur des philosophes qui affirmaient que les anges sont les formes des sphères et que leur nombre est celui de celles-ci. Cela serait beaucoup plus probable que, pour eux, d’avoir des corps aériens naturellement unis, ce que semble dire Augustin, bien qu’il l’ait dit de manière hypothétique, en recourant aux positions des platoniciens contre lesquels il disputait.

 

[4113] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Apulejus falsum dixit, nec Augustinus contra hoc disputabat, quia pauca de Angelis asserere voluit.

1. Apulée a dit une fausseté. Augustin ne disputait pas contre cela, car il voulait dire peu de choses sur les anges.

 

[4114] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum Dionysium proprietates animales et humanae dicuntur de Angelis per modum eminentiorem: quia quod habet natura inferior, habet et superior, nec eodem modo, sed eminentius; unde dicitur Angelus animal, non quia compositus ex anima et corpore, sed ex eo quod habet virtutem cognoscendi sensibilia, non tamen per modum sensibilem, sed intellectualem.

2. Selon Denys, les propriétés animales et humaines sont affirmées des anges selon un mode plus élevé, car ce que possède une nature inférieure, la nature supérieure le possède, non pas selon le même mode, mais de manière plus élevée. Aussi l’ange est-il appelé un animal, non pas parce qu’il serait composé d’une âme et d’un corps, mais du fait qu’il a la puissance de connaître les réalités sensibles, non pas selon un mode sensible, mais selon un mode intellectuel.

 

[4115] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angeli dicuntur corporei in comparatione ad Deum, quia conveniunt cum corporibus in quadam proprietate, quae est loco definiri, in quo corpora a Deo distant; non quod aliquo modo naturam corporalem habeant.

3. On dit que les anges sont corporels par comparaison avec Dieu parce qu’ils ont une certaine propriété en commun avec les corps, qui consiste en ce qu’ils sont définis par un lieu, ce en quoi les corps sont éloignés de Dieu, et non pas parce qu’ils possèdent de quelque façon une nature corporelle.

 

[4116] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quanto aliquid habet esse vel vitam magis absolute, tanto nobilius est; et ideo cum omnis forma habeat esse in conjunctione ad materiam, nobilior est vita illius quod corpori non unitur quam id quod corporis forma est. Sed quod influit vitam per modum efficientis tantum, et non sicut forma conjuncta, hoc nobilius est. Sed hoc neque animae neque Angelo convenit, sed Deo tantum.

4. Plus uune chose possède l’être ou la vie de manière absolue, plus elle est noble. Puisque toute forme possède l’être en union avec une matière, la vie de ce qui n’est pas uni à un corps est plus noble que celle de ce qui est la forme d’un corps. Mais qu’il donne la vie par mode de [cause] efficiente seulement, et non comme une forme unie, cela est plus noble. Or, cela ne convient ni à l’âme ni à l’ange, mais à Dieu seulement.

 

 

 

 

Articulus 2 [4117] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 tit. Utrum Angeli assumant corpora

Article 2 – Les anges assument-ils un corps ?

 

[4118] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod Angeli corpora non assumant. Omnis enim assumptio terminatur ad aliquam unionem. Sed Angeli non possunt esse uniti corporibus. Ergo nec corpora assumere.

1. Il semble que les anges n’assument pas de corps. En effet, toute prise [d’un corps] se termine par une union. Or, les anges ne peuvent être unis à des corps. Ils ne peuvent donc pas non plus assumer des corps.

 

[4119] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut se habet spiritus unitus ad separationem, ita spiritus separatus ad unionem. Sed spiritus unitus, scilicet anima, non potest separari secundum suam voluntatem. Ergo nec spiritus separatus conjungitur corpori per assumptionem.

2. Le rapport de l’esprit uni et de la séparation est le même que celui de l’esprit séparé et de l’union. Or, l’esprit uni, l’âme, ne peut être séparé par sa volonté. L’esprit séparé ne peut donc pas non plus être uni à un corps en l’assumant.

 

[4120] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, si assumant corpora, hoc non est nisi propter eorum operationem; quia ad esse suum corporibus non egent nec quantum ad principium nec quantum ad finem; sicut animae rationales egent corporibus quantum ad principium, quia creantur in corpore; sed non quantum ad finem, quia remanent post corpus. Sed omnis virtus quanto magis est a corpore separata, tanto est fortior in operationibus suis, ut patet in anima rationali. Ergo videtur quod nullo modo corpora assumant.

3. S’ils assument des corps, ce n’est que pour leur opération, car ils n’ont pas besoin de corps pour être, ni pour leur commencement ni pour leur fin, comme les âmes raisonnables ont besoin de corps pour leur commencement, car elles sont créées dans un corps, mais non pour leur fin, car elles demeurent sans corps. Or, plus une puissance est séparée du corps, plus elle est forte dans ses opérations, comme cela ressort pour l’âme raisonnable. Il semble donc que [les anges] n’assument de corps d’aucune manière.

 

[4121] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, cum Angeli non possint esse formae corporum, ut dictum est, non possunt corporibus conjungi nisi sicut motor mobili. Sed hoc modo conjunguntur omni ei circa quod operantur. Ergo si hoc esset, corpus assumerent, quod non dicitur.

4. Puisque les anges ne peuvent être formes de corps, comme on l’a dit, ils ne peuvent être unis à des corps que comme un moteur l’est à un mobile. Or, ils sont unis de cette manière à tout ce sur quoi ils agissent. Si tel était le cas, ils assumeraient donc des corps, ce qu’on n’affirme pas.

 

[4122] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, quodcumque corpus assumit Angelus, in illo est. Sed omne corpus, cum sit indivisibile, plures partes habet, et quod primo et per se est in aliquo, est in qualibet parte ejus, ut probatur in 6 Phys.: quia si esset in una parte tantum, non diceretur in toto esse nisi ratione partis. Cum ergo Angelus non possit esse in pluribus locis simul, ut in 1 dictum est, videtur quod corpus non assumat.

5. Quel que soit le corps assumé par un ange, il existe en lui. Or, tout corps, puisqu’il est indivisible, comporte plusieurs parties, et ce qui existe en premier lieu et par soi dans quelque chose existe dans chacune de ses parties, comme cela est démontré dans Physique, VI, car s’il existait dans une seule partie seulement, on ne dirait qu’il existe dans le tout qu’en raison de cette partie. Puisque l’ange ne peut exister en plusieurs lieux en même temps, comme on l’a dit dans le [livre] I, il semble donc qu’il n’assume pas de corps.

 

[4123] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, illud quod per se incorporeum est videri non potest. Sed Angeli frequenter hominibus visibiliter apparuerunt, ut in sacra Scriptura legitur. Cum ergo sint incorporei, ut dictum est, videtur quod corpus assumant.

Cependant, [1] ce qui est incorporel par soi ne peut être vu. Or, les anges sont fréquemment apparus de manière visible, comme on le lit dans la Sainte Écriture. Puisqu’ils sont incorporels, comme on l’a dit, il semble donc qu’ils assument un corps.

 

[4124] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod hic est quorumdam error, dicentium Angelos nunquam corpus assumere, et omnia quaecumque de apparitionibus Angelorum Scriptura loquitur in praestigiis facta esse dicunt vel secundum visionem imaginariam. Sed quia sancti communiter dicunt, Angelos etiam corporali visione hominibus apparuisse, quibus Scripturae textus concordare videtur, ideo absque dubio dicendum est, Angelos quandoque corpora assumere, in quibus ab hominibus videntur. Quod qualiter sit, videndum est. Cum enim natura spiritualis superior sit natura corporali, oportet quod natura corporalis sibi obediat: non autem quantum ad formarum susceptionem: quia prima inchoatio formarum in materia, secundum quod in ea dicuntur esse habilitates quaedam ad formam, est ab opere creatoris, sed eductio earum in actum est per virtutem agentium naturalium determinatorum: sed quantum ad motum localem, per quem nulla forma ponitur in re mota, obedit corpus virtuti spirituali; et secundum hoc quod virtus spiritualis movet aliquod corpus, conjungitur sibi sicut motor mobili. Sed ulterius quando Angelus hoc corpus motum format per modum in praecedentibus dictum, ut appareant in eo aliquae proprietates visibiles invisibilibus ejus proprietatibus congruentes; tunc dicitur illud corpus assumere; unde quandoque apparent in figura hominis vel leonis, et hujusmodi, per quorum proprietates intelliguntur ipsae virtutes spirituales Angelorum.

Réponse. Il s’agit ici de l’erreur de certains qui disent que les anges n’assument jamais de corps : ils disent que tout ce qui est dit des apparitions des anges dans l’Écriture a été le fait d’illusions ou de visions imaginaires. Mais parce que les saints, avec qui les textes de l’Écriture semblent être d’accord, disent d’une manière générale que les anges sont aussi apparus aux hommes selon une vision corporelle, il faut donc dire sans aucun doute que les anges assument parfois des corps dans lesquels ils sont vus par les hommes. Comment cela se fait, il faut le voir. En effet, puisque la nature spirituelle est supérieure à la nature corporelle, il est nécessaire que la nature corporelle lui obéisse. Non pas pour la réception de formes, car la première amorce des formes dans la matière, selon qu’on dit qu’il existe en elle certaines aptitudes à une forme, vient de l’action du Créateur, mais les amener à l’acte se réalise par la puissance d’agents naturels déterminés. Mais, pour ce qui est du mouvement local, par lequel aucune forme n’est mise dans la chose mue, le corps obéit à la puissance spirituelle. Et selon qu’une puissance spirituelle meut un corps, elle lui est unie comme le moteur au mobile. Mais, en plus, lorsqu’un ange donne forme à ce corps mû de la manière indiquée plus haut, de sorte qu’apparaissent en lui certaines propriétés visibles qui s’accordent avec ses propriétés invisibles, on dit alors qu’il assume ce corps. Aussi apparaissent-ils parfois sous la forme d’un homme ou d’un lion et de choses du genre, dont les propriétés signifient les puissances spirituelles des anges.

 

[4125] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod talis assumptio terminatur ad aliquam unionem quae est motoris ad motum, ut nautae ad navem; non autem ut formae ad materiam.

1. Une telle prise [d.un corps] se termine à une union qui est celle du moteur avec ce qui est mû, comme celle du marin au navire, mais non celle de la forme à la matière.

 

[4126] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod spiritus conjunctus, scilicet anima, unitur corpori ad unum esse ut forma ejus; et ideo non potest separari per voluntatem, sed per naturam, facta indispositione circa corpus. Sed spiritus separatus potest per voluntatem conjungi corpori non sicut forma, sed sicut instrumento; unde virtute naturae suae potest assumere et deponere illud quando vult, sicut et homo suum instrumentum.

2. L’esprit uni, c’est-à-dire l’âme, est uni au corps comme sa forme en vue d’un seul être ; il ne peut donc être séparé par la volonté, mais par la nature, lorsqu’une indisposition survient dans le corps. Mais l’esprit séparé peut être uni au corps par sa volonté, non pas comme à sa forme, mais comme à un instrument. Il peut donc l’assumer et l’abandonner par la puissance de sa nature quand il le veut, comme l’homme son instrument.

 

[4127] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus Angeli non impeditur per corpus assumptum: quia non assumitur ut materia proportionata formae, nec etiam juvatur: sed tamen assumit ad consolationem eorum quibus apparet per instrumentum, ut ex visibilibus in invisibilium cognitionem manuducantur.

3. Le corps assumé n’est pas un obstacle à la puissance de l’ange, parce qu’il n’est pas assumé comme une matière proportionnée à la forme, et il n’est pas non plus aidé [par lui]. Il l’assume cependant pour la consolation de ceux à qui il apparaît par son instrument, afin qu’ils soient conduits par la main à la connaissance des réalités invisibles à partir de réalités visibles.

 

[4128] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad assumptionem corporis non sufficit motus; sed oportet quod sit formatio, ut dictum est.

4. Le mouvement ne suffit pas pour prendre un corps, mais il est nécessaire qu’il y ait une formation (formatio), comme on l’a dit.

 

[4129] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Angelus assumens corpus, est totus in qualibet ejus parte, nec tamen est in pluribus locis: quia totum hoc quod uno motu movetur comparatur ad ipsum sicut unus locus indivisibilis: quia non est in loco nisi per operationem, ut in 1 Lib. dictum est.

5. L’ange qui assume un corps existe tout entier en n’importe quelle de ses parties ; il ne se trouve cependant pas dans plusieurs lieux, parce que ce tout qui est mû par un seul mouvement se compare à lui comme un seul lieu indivisible, car il ne se trouve dans ce lieu que par son opération, comme on l’a dit dans le livre I.

 

 

 

 

Articulus 3 [4130] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 tit. Utrum corpora assumpta ab Angelis habeant veram naturam quam ostendunt

Article 3 – Les corps assumés par les anges ont-ils la nature véritable qu’ils montrent ?

 

[4131] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Angeli assumant corpora illa secundum veritatem, quae habent illam naturam quae videtur. Nuntios enim veritatis non decet aliqua fictio. Sed ostendere illud quod non est verum est quaedam fictio. Ergo videtur quod veram naturam habeant illarum rerum corpora assumpta.

1. Il semble que les anges assument ces corps selon la vérité de la nature qu’ils semblent avoir. En effet, une fiction ne convient pas aux messagers de la vérité. Or, montrer ce qui n’est pas vrai est une fiction. Il semble donc que les corps assumés possèdent la véritable nature de ces choses.

 

[4132] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, proprietates humanae non inveniuntur nisi in vero corpore humano. Sed hujusmodi apparitiones fiunt, secundum Dionysium, ut ex visibilium proprietatibus, de invisibilibus instruamur. Ergo videtur idem quod prius.

2. Les proprietés humaines ne se trouvent que dans un vrai corps humain. Or, ces apparitions ont lieu, selon Denys, pour que, à partir des propriétés des réalités visibles, nous soyons instruits des réalités invisibles. La conclusion est donc la même que précédemment.

 

[4133] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, non sunt eaedem proprietates diversorum ordinum. Sed assumptio corporalium figurarum est ad ostendendum invisibiles proprietates Angelorum. Ergo videtur quod non debeant in eadem figura apparere Angeli superiorum ordinum et inferiorum ordinum.

3. Les propriétés des divers ordres ne sont pas les mêmes. Or, la prise de figures corporelles vise à montrer les propriétés invisibles des anges. Il semble donc que les anges des ordres supérieurs et des ordres inférieurs ne doivent pas apparaître sous la même figure.

 

[4134] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, quaeritur de qua materia assumant, et videtur quod non de aere. Corpus enim quod Angeli assumunt habet determinatam figuram et est distinctum ab aliis corporibus. Sed aer non est figurabilis nisi secundum figurationem corporis alterius, eo quod eum sit maxime humidum, minime suis terminis terminatur sed alienis; unde et una pars aeris alteri continuatur. Ergo videtur quod non assumant corpus aereum.

4. On s’interroge sur la matière à partir de laquelle ils assument, et il semble que ce ne soit pas à partir de l’air. En effet, le corps que les anges assument possède une figure déterminée et il est différent des autres corps. Or, l’air n’est susceptible d’avoir une figure que selon la représentation d’un autre corps, du fait que, humide au plus haut point, il ne se termine pas selon ses propres limites, mais selon celles des autres [corps]. Aussi une partie de l’air est-elle continue avec une autre. Il semble donc qu’ils n’assument pas un corps aérien.

 

[4135] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 5 Item videtur quod nec terrenum. Angeli enim apparentes statim disparent. Sed hoc non potest fieri in corpore grosso terrestri. Ergo non hujusmodi corpus assumunt.

5. Il semble [qu’ils n’assument] pas non plus un [corps] terrestre. En effet, aussitôt après être apparus, les anges disparaissent. Or, cela ne peut se faire dans un corps terrestre grossier. Ils n’assument donc pas un corps de ce genre.

 

[4136] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, constat quod inter nos et caelum est ignis medius, qui est maxime activus in inferiora corpora. Si ergo de inferioribus elementis corpus assumerent, videtur quod quando in caelum ascendunt, corpora eorum cremarentur.

6. C’est un fait qu’entre nous et le ciel, existe un feu intermédiaire, qui est au plus haut point actif sur les corps inférieurs. Si donc [les anges] prenaient un corps à partir d’éléments inférieurs, il semble que lorsqu’ils monteraient au ciel, leurs corps brûleraient.

 

[4137] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, Dionysius dicit, quod inter alia corpora ignis maxime repraesentat proprietates spiritualium substantiarum. Sed propter eorum cognitionem fit corporum assumptio, ut dictum est. Ergo videtur quod semper de igne corpus assumant.

7. Denys dit que, parmi les autres corps, le feu représente le mieux les propriétés des substances spirituelles. Or, la prise de corps a été faite en vue de leur connaissance, comme on l’a dit. Il semble donc qu’ils assument toujours un corps à partir du feu.

 

[4138] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 8 Praeterea, corpus caeleste est nobilissimum corporum. Sed nobili motori debetur nobile mobile. Ergo videtur quod corpus quod ad motum assumunt, sit de natura quintae essentiae.

8. Un corps céleste est le plus noble des corps. Or, à un moteur noble est dû un mobile noble. Il semble donc que le corps qu’ils prennent en vue du mouvement ait la nature de la quinte essence.

 

[4139] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 co. Respondeo, quod qualitas corporis assumpti ab Angelis potest dupliciter inquiri: vel quantum ad veritatem naturae quam habet, vel quantum ad materiam de qua corpus assumit. Quantum ad primum dicendum est, quod corpus assumptum ab Angelo non habet veritatem illius naturae quae ostenditur; unde etsi aliquando Angelus bonus vel malus moveat corpus alicujus veri animalis, non dicitur proprie illud assumere; sicut non dicitur Angelus assumpsisse linguam asinae, per quam locutus est ad Balaam; nec Daemon corpus hominis quem vexat; cujus ratio est, quia proprietates quae secundum veritatem sunt in aliquo corpore, ducunt in cognitionem principiorum subjecti, et non actu in cognitionem substantiae spiritualis; quae ductio est totus finis visibilium formationum secundum Dionysium. Unde quantum ad finem apparitionis, oportet ut sint illae proprietates secundum similitudinem tantum, ut non intelligatur illis subesse aliqua res, nisi Angelus; ut quasi corpus Angeli esse videatur, et proprietates ejus sint proprietates Angeli. Si autem quaeratur de secundo, quale sit quantum ad materiam, dicendum est, quod materia corporis assumpti ab Angelo, potest considerari dupliciter: vel quantum ad principium assumptionis, vel quantum ad terminum. Si quantum ad principium, sic dico, sicut in littera dicitur, quod assumit de aere, propter hoc quia aer maxime transmutabilis est, et convertibilis in quaecumque; et hujus signum est, quod quidam videntes corpus a Daemone assumptum, scindere gladio vel perfodere volentes, id efficere non valuerunt, quia partes aeris divisi statim continuantur. Sed propter hoc quod aliquam figuram recipere possunt competentem Angelo apparenti, oportet quod quantum ad terminum assumptionis aer iste sit in aliquo inspissatus, et ad proprietatem terrae accedens, servata tamen aeris veritate: quod efficere possunt tum per motum localem congregando partes, tum etiam per semina in elementis respersa, ut prius dictum est.

Réponse. La qualité du corps assumé par les anges peut être examinée de deux manières : quant à la vérité de la nature qu’il possède ou quant à la matière à partir de laquelle il assume un corps. Sur le premier point, il faut dire que le corps assumé par un ange ne possède pas la vérité de la nature qui est montrée ; même si parfois un ange bon ou mauvais meut le corps d’un animal véritable, on ne dit pas qu’il l’assume au sens propre. Ainsi, on ne dit pas que l’ange a assumé la langue de l’âne par laquelle il a parlé à Balaam, ni le démon, le corps de l’homme qu’il secoue. La raison en est que les propriétés qui existent véritablement dans un corps conduisent à la connaissance des principes du sujet, et non pas en acte à la connaissance de la substance spirituelle ; et cette action de conduire est en totalité la fin des formations visibles, selon Denys. Du point de vue de la fin de l’apparition, il est donc nécessaire que ces propriétés ne possèdent qu’une ressemblance, de sorte qu’on comprenne que rien d’autre qu’un ange ne leur est sous-jacent : ainsi cela ressemblera au corps d’un ange et ses propriétés seront les propriétés d’un ange. Mais si on s’interroge sur le second point : de quelle matière est-il constitué ? il faut dire que la matière du corps assumé par un ange peut être considéré de deux manières : du point de vue du principe de l’assomption, ou du point de vue de son terme. Du point de vue du principe, je dis, comme le dit le texte, qu’il l’assume à partir de l’air, parce que l’air peut être facilement changé et être converti en tout ; le signe en est que certains, en voyant le corps assumé par le démon, voulant le couper ou le transpercer par un glaive, n’ont pas pu le faire, parce que les parties de l’air divisé retrouvent immédiatement leur continuité. Mais pour qu’ils puissent recevoir une forme convenant à l’ange qui apparaît, il est nécessaire, du point de vue du terme de l’assomption, que cet air soit de quelque façon condensé et s’approche des propriétés de la terre, tout en conservant la vérité de l’air. Ils peuvent faire cela en regroupant les parties par un mouvement local ou par les semences répandues dans les éléments, comme on l’a dit plus haut.

 

[4140] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in locutionibus metaphoricis non est falsitas, eo quod non proferuntur ad significandum res quibus nomina sunt imposita, sed magis illa in quibus dictarum rerum similitudines inveniuntur; ita etiam in apparitionibus Angelorum non est fictio, quia figurae illae non ostenduntur ad significandum esse naturale illius rei, sed proprietates Angeli.

1. De même qu’il n’y a pas de fausseté, dans les expressions métaphoriques, du fait qu’elles ne sont pas formulées pour signifier des choses auxquelles les mots sont attribués, mais plutôt ce qu’on trouve dans les ressemblances de ces choses, de même aussi, dans les apparitions des anges, il n’y a pas fiction, car ces figures ne sont pas montrées pour signifier l’être naturel de cette chose, mais les propriétés de l’ange.

 

[4141] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis verae proprietates hominis non sint nisi in corpore naturali, tamen similitudines illarum proprietatum in aliis esse possunt; et tales similitudines sufficiunt ad finem apparitionis.

2. Bien que les propriétés véritables d’un homme n’existent que dans son corps naturel, il peut cependant exister des ressemblances de ces propriétés dans d’autres choses, et ces ressemblances suffisent à la fin de l’apparition.

 

[4142] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum Dionysium, in eadem figura quandoque ostenditur superior et inferior Angelus; quia una res habet diversas proprietates, per quarum quasdam potest superiores repraesentare, et per alias inferiores. Praeter ea eaedem etiam proprietates sunt superiorum et inferiorum, quamvis diversimode, secundum Dionysium.

3. Selon Denys, sous la même figure, sont parfois montrés un ange supérieur et un ange inférieur, car une chose possède diverses propriétés, dont certaines peuvent représenter des [anges] supérieurs, et d’autres des [anges] inférieurs. De plus, les [anges] supérieurs et les [anges] inférieurs possèdent les mêmes propriétés, bien que de manière différente, selon Denys.

 

[4143] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aer aliquo modo inspissatus, potest figurari, et ab alio aere distingui.

4. L’air condensé d’une certaine manière peut recevoir une forme et être distingué d’un autre air.

 

[4144] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod est aliquo modo terrestre, inquantum habet terrae proprietatem per condensationem; sed illa densitas subito dissolvitur remotis causis densitatis.

5. [Le corps] est d’une certaine manière terrestre, dans la mesure où il possède une propriété de la terre par la condensation. Mais cette densité se dissout immédiatement lorsque les causes de la densité sont enlevées.

 

[4145] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum non assumant corpora nisi propter nos, non est probabile quod corpora assumpta in caelum Empyreum deferant, neque eis utantur, nisi quatenus oportet ad operationes quas circa nos exercent.

6. Puisqu’ils n’assument des corps que pour nous, il n’est pas probable qu’ils emportent les corps assumés dans le ciel empyrée ni n’en fassent usage, sinon dans la mesure où cela est nécessaire pour les opérations qu’ils exercent à notre endroit.

 

[4146] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in corporibus assumptis a bonis Angelis apparent proprietates ignis, praecipue quantum ad splendorem, sicut et proprietates hominis; non tamen oportet quod hujusmodi corpora materialiter de igne assumantur.

7. Dans les corps assumés par les anges bons, les propriétés du feu apparaissent, surtout en ce qui concerne l’éclat, ainsi que les propriétés de l’homme. Il n’est cependant pas nécessaire que les corps de cette sorte soient matériellement assumés à partir du feu.

 

[4147] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod cum corpus caeli sit incorruptibile, non potest dividi nisi secundum imaginationem; nec etiam recipit peregrinas impressiones, unde ex eo non potest corpus Angeli formari.

8. Puisque le corps du ciel est incorruptible, il ne peut être divisé que par l’imagination ; il ne reçoit pas non plus d’impressions passagères. Aussi le corps d’un ange ne peut-il être formé à partir de lui.

 

 

 

 

Articulus 4 [4148] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 tit. Utrum Angeli possint comedere in corporibus assumptis

Article 4 – Les anges peuvent-ils manger dans les corps assumés ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – Les anges peuvent-ils manger dans les corps assumés ?

 

[4149] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Angeli in corporibus assumptis comedere possint. Legitur enim Gen. cap. 18, quod Abraham Angelis sibi apparentibus cibos apposuerit. Sed ipse cognovit eos esse Angelos, quod ipsa collocutio cum eis habita ostendit. Ergo videtur quod comedere possint.

1. Il semble que les anges puissent manger dans les corps assumés. En effet, dans Gn 18, on lit qu’Abraham offrit de la nourriture aux anges qui lui apparaissaient. Or, il savait qu’ils étaient des anges, ce que montre la conversation qu’il a eue avec eux. Il semble donc qu’ils puissent manger.

 

[4150] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra hoc est quod expressissimum argumentum dominicae resurrectionis est ipsius Christi resurgentis comestio: unde dicitur actuum 10, 40: dedit eum manifestum fieri non omni populo, sed testibus praeordinatis a Deo, nobis qui manducavimus et bibimus cum illo. Sed actus qui spiritui potest convenire, non est argumentum corporalis resurrectionis. Ergo Angeli corpora assumentes non vere comedunt.

Cependant, [1] s’oppose à cela l’argument très explicite de la résurrection du Seigneur où le Christ ressuscité lui-même mange. Ainsi est-il dit dans Ac 10, 40 : Il a fait en sorte qu’il apparaisse, non pas à tout le peuple, mais aux témoins prévus par Dieu, à nous qui avons mangé et bu avec lui. Or, un acte qui peut convenir à un esprit n’est pas un argument en faveur de la résurrection corporelle. Les anges qui assument des corps ne mangent donc pas vraiment.

 

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – Peuvent-ils engendrer ?

 

[4151] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Item, videtur quod possint generare. Dicitur enim Genes. 6, 2: videntes autem filii Dei filias hominum quod essent pulchrae, acceperunt sibi uxores ex omnibus quas elegerant; et hoc Josephus exponit de Daemonibus incubis. Ergo videtur quod generare possint.

1. Il semble qu’ils puissent engendrer. En effet, il est dit en Gn 6, 2 : Les fils de Dieu, voyant que les filles des hommes étaient belles, prirent des épouses parmi celles qu’ils avaient choisies. Et Josèphe attribue cela aux démons incubes. Il semble donc qu’ils puissent engendrer.

 

[4152] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est, quod completur generatio per virtutem formativam quae est in semine ex corpore vivo resoluto. Sed corpus assumptum a Daemonibus et ab Angelis, non est vivum, ut dictum est. Ergo videtur quod generare non possint.

Cependant, [1] la génération se réalise par puissance formative qui se trouve dans la semence issue d’un corps vivant. Or, le corps assumé par les démons et par les anges n’est pas vivant, comme on l’a dit. Il semble donc qu’ils ne puissent engendrer.

 

[4153] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Si dicatur, quod generant per hoc quod idem Daemon succubus ad virum, est recipiens ab eo quod postmodum in mulierem transfundit, factus incubus ad eam; contra est, quod semen non habet virtutem generandi nisi quamdiu calor animae in eo retinetur, quem oportet exhalare per magnam distantiam delatum. Ergo videtur quod per istum modum generatio fieri non possit.

[2] Si on dit qu’ils engendrent du fait que le même démon succube pour un homme reçoit de lui ce qu’il reverse ensuite dans une femme, en en devenant incube[2], on opposera que la semence n’a de puissance d’engendrer qu’aussi longtemps que la chaleur de l’âme est retenue en elle, [chaleur] qu’elle perdra nécessairement en étant transportée sur une longue distance. Il semble donc que la génération ne puisse se produire de cette manière.

 

[4154] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 3 Praeterea, si fieret generatio talis per modum istum, non esset nisi secundum virtutem illius seminis. Ergo ex hoc non sequeretur quod geniti essent majoris virtutis quam alii homines, ut innuitur ex his quae sequuntur ibi, 4: isti sunt potentes a saeculo viri famosi.

[3] Si une telle génération se produisait de cette manière, ce ne serait que par la puissance de cette semence. Il en découlerait donc que ceux qui seraient engendrés seraient plus puissants que les autres hommes, comme l’insinue la suite, Gn 6, 4 : Ceux-là sont des hommes puissants du temps jadis, des hommes célèbres.

 

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – Peuvent-ils sentir ?

 

[4155] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Item, videtur quod possunt sentire. Assumunt enim corpora habentia diversa organa sensibilia. Sed hoc frustra esset, nisi per oculos viderent et per aures audirent. Ergo et cetera.

1. Il semble qu’ils puissent sentir. En effet, ils assument des corps qui possèdent différents organes sensibles. Or, cela serait inutile s’ils ne voyaient pas par les yeux et n’entendaient pas par les oreilles. Donc, etc.

 

[4156] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod sentire per organa corporalia est accipientis cognitionem a rebus: quod Angelis non convenit, ut dictum est. Ergo et cetera.

Cependant, [1] sentir par des organes est le fait de celui qui reçoit la connaissance à partir des choses, ce qui ne convient pas aux anges, comme on l’a dit. Donc, etc.

 

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – Peuvent-ils se mouvoir localement ?

 

[4157] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 1 Item, videtur quod possint localiter moveri, per id quod legitur Tobiae 6, et deinceps de Angelo qui comitatus est Tobiam per multa terrarum spatia.

1. Il semble qu’ils puissent se mouvoir localement selon ce qu’on lit en Tb 6 et, par la suite, à propos de l’ange qui accompagna Tobie sur une longue distance.

 

[4158] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est, quia quod conjungitur alicui solum ut motor, si in se sit immobile, non movetur ad motum ejus, sicut patet in motoribus orbium, secundum philosophos. Sed Angelus, inquantum in se est, est substantia spiritualis immobilis. Ergo videtur quod ad motum corporis, cui sicut motor tantum conjungitur, non moveatur.

Cependant, [1] ce qui est uni à quelque chose en tant que moteur seulement, s’il est en soi immobile, n’est pas mû par son mouvement, comme cela ressort pour les moteurs des sphères, selon le Philosophe. Or, en lui-même, l’ange est une substance spirituelle immobile. Il semble donc qu’il ne soit pas mû par le mouvement du corps auquel il est uni en tant que moteur.

 

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – Les anges parlent-ils ?

 

[4159] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 5 arg. 1 Item, videtur quod loquantur, ex multis Scripturae locis, quae frequenter eos hominibus locutos commemorat.

1. Il semble qu’ils parlent, d’après plusieurs passages de l’Écriture, qui rappelle qu’ils ont souvent parlé aux hommes.

 

[4160] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 5 s. c. 1 Sed contra est, quia in omni locutione exprimuntur quaedam intentiones intellectae. Sed hujusmodi intentiones non possunt pervenire de intellectu ad vocem, nisi aliquo mediante quod est proportionatum ad hujusmodi suscipienda, sicut imaginatio humana. Ergo videtur quod per corpus inanimatum assumptum vel per corpus brutum loqui non possunt.

Cependant, [1] en toute locution, sont exprimées les intentions comprises. Or, de telles intentions ne peuvent parvenir depuis l’intelligence jusqu’à la voix que par un intermédiaire qui est proportionné pour les recevoir, comme l’imagination humaine. Il semble donc que [les anges] ne puissent pas parler par un corps inanimé assumé ou par un corps d’animal sans raison.

 

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 

[4161] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod, ut praedictum est, Angeli corporibus assumptis vitam non influunt, sed tantum motum: et ideo considerandum est, quod omnes operationes quae sequuntur corpus vivum, inquantum vivum, non possunt Angelis in corporibus assumptis convenire; sed tantum illae quae consequuntur corpus mobile inquantum hujusmodi, ut movere, impellere, dividere et hujusmodi.

Comme on l’a dit plus haut, les anges ne donnent pas vie aux corps assumés, mais seulement le mouvement. C’est pourquoi il faut considérer que ne peuvent convenir aux anges dans des corps assumés toutes les opérations qui découlent d’un corps vivant, mais seulement celles qui découlent d’un corps mobile en tant que tel, comme mouvoir, pousser, diviser et les choses de ce genre.

 

[4162] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod comedere secundum completam rationem sui, non dicit solum divisionem cibi et trajectionem in os; sed et istum actum procedere a virtute potente digerere et convertere in nutrimentum: et ideo Angeli non vere comederunt, sed fuit ibi vera divisio cibi, et trajectio in corpus assumptum; qui postmodum non est conversus in corpus illud, sed virtute Angeli aliqua dissolutus est in praejacentem materiam. Christus autem vere comedit, quamvis cibus conversus non fuerit: quia illa decisio cibi fuit habentis virtutem nutritivam et conversivam. Abraham autem etsi in fine cognoverit eos esse Angelos, non tamen est inconveniens quod hoc eum in principio latuerit: vel si cognoverit, in alicujus mysterii commendationem eis cibos apposuit.

1. Manger, selon sa raison complète, n’exprime pas seulement la division de la nourriture et le passage par la bouche, mais le fait que cet acte provient d’une puissance qui peut digérer et convertir en nourriture. Aussi les anges n’ont-ils pas vraiment mangé, mais il y eut là une vraie division de la nourriture et un passage dans le corps assumé. Par la suite, elle ne fut pas convertie en ce corps, mais a été dissoute en la matière préexistante par la puissance de l’ange. Mais le Christ a vraiment mangé, bien que la nourriture n’ait pas été convertie, car cette division de la nourriture était le fait de celui qui possédait la puissance nutritive et de conversion. Même si, à la fin, Abraham a reconnu qu’ils étaient des anges, il n’est pas inapproprié que cela lui ait été caché au départ ; ou s’il le savait, il leur donna de la nourriture afin d’attirer l’attention sur un mystère.

 

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 

[4163] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad id quod secundo quaeritur, dicunt quidam, quod Daemones in corporibus assumptis nullo modo generare possunt; nec per filios Dei Angelos incubos significari dicunt, sed filios Seth, et per filias hominum eas quae de stirpe Cain descenderunt. Sed quia contrarium a multis dicitur, et quod multis videtur non potest omnino falsum esse, secundum philosophum, ideo potest dici, quod per eorum actum completur generatio, inquantum semen humanum apponere possunt in loco convenienti ad materiam proportionatam, sicut etiam semina aliarum rerum colligere possunt ad complendum aliquos effectus, ut in praecedenti distinctione dictum est, ut attribuatur id tantum eis quod est motus localis, non autem ipsa generatio cujus principium non est virtus Daemonis, aut corporis ab eo sumpti, sed virtus illius cujus semen fuit; unde et genitus non Daemonis sed alicujus hominis filius est.

À propos de la deuxième question, certains disent que les démons ne peuvent d’aucune manière engendrer dans les corps assumés. Ils disent aussi que par « fils de Dieu », ne sont pas signifiés les anges incubes, mais les fils de Seth, et par « filles des hommes », celles qui descendent de la lignée de Caïn. Mais parce que plusieurs disent le contraire et que ce que plusieurs croient ne peut être entièrement faux, selon le Philosophe, on peut dire que la génération est réalisée par leur acte dans la mesure où ils peuvent déposer la semence humaine dans le lieu qui convient à la matière proportionnée, de même qu’ils peuvent rassembler les semences d’autres choses afin de réaliser certains effets, comme on l’a dit dans la distinction précédente, de sorte que ne leur soit attribué que ce qui est mouvement local, mais non la génération elle-même, dont le principe n’est pas la puissance du démon ou du corps assumé par lui, mais la puissance de celui dont c’est la semence. Aussi celui qui est engendré n’est-il pas [le fils] du démon, mais le fils d’un homme.

 

[4164] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad s. c. 1 Et sic patet responsio ad primum quod contra objicitur.

[1] La réponse au premier argument ressort ainsi clairement.

 

[4165] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod cum hic Daemones velocissime moveantur propter victoriam virtutis moventis super rem motam, possunt aliqua ponere ad conservationem seminis, ne calor vitalis evaporet.

[2] Comme les démons sont mus ici très rapidement en raison de la victoire de la puissance qui meut sur la chose mue, ils peuvent mettre quelque chose pour conserver la semence afin que la chaleur vitale ne s’évapore pas.

 

[4166] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod Daemones possunt scire virtutem seminis decisi ex dispositione ejus a quo decisum est, et similiter mulierem proportionatam ad seminis illius susceptionem, et etiam constellationem juvantem ad effectum corporalem, scilicet optimae complexionis in genito: quibus omnibus concurrentibus, possibile est genitos corpore magnos esse vel fortes.

[3] Les démons peuvent savoir que la puissance de la semence séparée vient de la disposition de ce dont elle est séparée, et [connaître] aussi une femme proportionnée à la réception de cette semence, et aussi la constellation favorisant l’effet corporel, à savoir, la meilleure complexion de ce qui est engendré. Avec le concours de toutes ces choses, il est possible que ceux qui sont engendrés soient grands ou forts en leur corps.

 

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 

[4167] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad id quod tertio quaeritur, dicendum est, quod Angeli nullo modo vident per oculos corporis assumpti, quia haec est operatio potentiae corporis viventis; unde partes corporis assumpti non sunt organa sensibilia, sed similitudinem eorum habentia ad ostendendum Angelorum spirituales virtutes; unde Dionysius ex omnibus partibus humani corporis docet proprietates angelicas considerare; unde non frustra assumuntur.

À la troisième question, il faut répondre que les anges ne voient aucunement par les yeux du corps assumé, car c’est là l’opération d’une puissance du corps vivant. Aussi les parties du corps assumé ne sont-elles pas des organes sensibles, mais y ressemblent-elles pour montrer les puissances spirituelles des anges. Ainsi Denys, à partir de toutes les parties du corps humain, enseigne-t-il à considérer les propriétés angéliques. Elles ne sont donc pas assumées en vain.

 

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 

[4168] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 4 co. Ad id quod quarto quaeritur, dicendum est, quod moventur per accidens, motis corporibus in quibus sunt: quia definitive sunt in illis corporibus, ita quod non alibi. Deus autem non movetur ad motum alicujus corporis: quia ita est in uno quod etiam in alio: sicut anima non movetur per accidens ad motum manus sed ad motum totius corporis. Similiter etiam motor orbis coniungitur orbi secundum philosophos, et non uni parti tantum; quamvis virtus ejus primo appareat in parte dextera unde incipit motus, et ideo non movetur per accidens, quia totus orbis non movetur extra locum suum, nisi hoc modo quod sit in alio loco ratione et non subjecto.

Ils se meuvent par accident, alors que les corps dans lesquels ils se trouvent sont mus, car ils se trouvent dans ces corps de manière circonscrite, de telle sorte qu’ils ne sont pas ailleurs. Or, Dieu n’est pas mû par le mouvement d’un corps, car il se trouve dans une chose comme il se trouve aussi dans une autre, comme l’âme n’est pas mue par accident en raison du mouvement de la main, mais du mouvement de tout le corps. Le moteur du monde est ainsi uni au monde, selon les philosophes, et non pas à une seule partie seulement, bien que sa puissance apparaisse d’abord du côté droit d’où s’amorce le mouvement. Aussi n’est-il pas mû par accident, car le monde tout entier n’est pas mû en dehors de son lieu, si ce n’est qu’il se trouve de cette manière dans un autre lieu selon la raison, et non selon son sujet.

 

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

 

[4169] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 5 co. Ad id quod quinto quaeritur dicendum, quod loqui proprie est per formationem vocum ex percussione aeris respirati, determinatis organis, ad exprimendum aliquem intellectum; et ideo locutio corporalis Angelis convenire non potest in corporibus assumptis, secundum completam significationem, cum non habeant vera organa corporalia; sed est aliqua similitudo locutionis, inquantum intelligunt, et intellectum exprimunt quibusdam sonis, qui proprie non sunt voces sed similitudines vocum; sicut etiam quaedam animalia non respirantia dicuntur vocare, et etiam quaedam instrumenta, ut dicit philosophus. Intentiones autem intellectae ab Angelo efficiuntur in illis sonis non eaedem numero sed secundum similitudinem significationis per motus determinatos ab intellectu, sicut similitudo artis efficitur in materia, ut domus.

Au sens propre, parler se réalise par la formation de sons par le battement de l’air respiré à l’intérieur d’organes déterminés, afin d’exprimer une idée. C’est pourquoi, selon sa pleine signification, le langage corporel ne peut convenir, aux anges dans des corps assumés, puisqu’ils n’ont pas de véritables organes corporels. Mais il existe une certaine ressemblance avec la parole dans la mesure où ils intelligent et expriment ce qu’ils ont compris par certains sons, qui ne sont pas à proprement parler des mots, mais des ressemblances avec les mots, à la manière dont on dit que certains animaux qui ne respirent pas parlent et même certains instruments, comme le dit le Philosophe. Mais les intentions comprises par l’ange sont réalisées par ces sons sans être les mêmes numériquement, mais par une ressemblance avec la signification par des mouvements déterminés par l’intelligence, comme la similitude de l’art se réalise dans la matière, telle une maison.

 

 

 

 

Articulus 5 [4170] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 tit. Utrum Daemones possint esse intra corpora hominum

Article 5 – Les démons peuvent-ils se trouver à l’intérieur des corps des hommes ?

 

[4171] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Daemones intra corpora hominum esse non possint. Dicit enim Glossa super illud Habac. 2, 20: dominus in templo sancto suo, quod Daemones simulacris exterius praesidere possunt, non autem interius adesse. Ergo multo minus intra humana corpora.

1. Il semble que les démons ne peuvent pas se trouver à l’intérieur des corps des hommes. En effet, la Glose dit, à propos de Ha 2, 20 : Le Seigneur en son temple saint, devant lequel les démons peuvent être extérieurement assis par des simulacres, mais non y être présents intérieurement. Encore bien moins, donc, à l’intérieur des corps humains.

 

[4172] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, duo spiritus creati non possunt esse in eodem loco, ut in primo dictum est. Sed anima est in qualibet parte corporis. Ergo videtur quod in nulla parte ejus possit esse Daemon.

2. Deux esprits créés ne peuvent se trouver dans un même lieu, comme on l’a dit dans le premier [livre]. Or, l’âme se trouve dans toutes les parties du corps. Il semble donc que le démon ne puisse se trouver dans aucune de ses parties.

 

[4173] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, secundum Damascenum, Angelus est ubi operatur. Sed sicut operatur in corpore, ita etiam habet aliquam operationem circa animam. Ergo sicut intra animam non est, ita nec intra corpus.

3. Selon [Jean] Damascène, l’ange se trouve là où il agit. Or, de même qu’il opère dans le corps, de même a-t-il une certaine opération sur l’âme. De même qu’il ne se trouve pas à l’intérieur de l’âme, de même ne se trouve-t-il donc pas à l’intérieur du corps.

 

[4174] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, videtur quod in sensus corporales imprimere non possit praestigiis deludendo. Illa enim forma quae videtur oportet quod sit alicubi. Sed non potest esse tantum in sensu: quia sensus non habet aliquam speciem nisi a rebus acceptam: nec iterum potest esse in re quae videtur sic quod mulier videatur equa: quia duae formae substantiales non possunt esse in eodem; et praeterea res illa videretur talis ab omnibus: nec iterum in aere circumstante qui susceptibilis figurae non est, nec semper unus et idem circa rem illam manet, praecipue quando movetur. Ergo videtur quod hujusmodi ludificationes per Daemones fieri non possint.

4. Il semble qu’il ne puisse agir sur les sens corporels en les trompant par des impostures. En effet, il est nécessaire que la forme qui est vue soit quelque part. Or, elle ne peut se trouver seulement dans le sens, car le sens ne possède d’espèce que celle qui est tirée des choses ; de plus, elle ne peut se trouver dans la chose qui est vue, de telle sorte qu’une jument ressemble à une femme, car deux formes substantielles ne peuvent exister dans la même chose. De plus, cette chose se présenterait comme la même pour tous. Elle ne se trouve pas non plus dans l’air ambiant, qui peut recevoir la figure, toujours unique et identique en rapport avec cette chose, surtout lorsqu’elle se meut. Il semble donc que ces mystifications ne peuvent pas être accomplies par les démons.

 

[4175] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 5 Sed contra, videtur quod etiam in animam illabi possunt. Quia ea quae sunt in corde, nullus scire potest, nisi cordis intima penetret. Sed Daemones sciunt cogitationes malas peccatorum: quas apud Deum accusant, et ex quibus occasionem tentandi sumunt. Ergo videtur quod animae illabantur.

[5] Cependant, il semble qu’ils peuvent s’introduire dans l’âme, car ce qui se trouve dans le cœur, personne ne peut le savoir, à moins de pénétrer dans l’intimité des cœurs. Or, les démons connaissent les pensées mauvaises des pécheurs, qu’ils accusent devant Dieu et dont ils tirent occasion pour les tenter. Il semble donc qu’ils pénètrent dans l’âme.

 

[4176] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, ipsi immittunt malas cogitationes, ut dicitur in Psalm. 79, 49: immissiones per Angelos malos. Ergo videtur quod intellectum penetrare possint.

[6] Eux-mêmes envoient des pensées mauvaises, comme il est dit dans Ps 78, 49 : Des envois par des anges mauvais. Il semble donc qu’ils puissent pénétrer l’intelligence.

 

[4177] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 7 Praeterea, ipsi etiam dicuntur incentores malorum. Sed incendere pertinet ad affectum cujus est amare. Ergo videtur quod etiam in voluntatem nostram imprimere possint et eam intrare.

[7] On dit aussi qu’ils suscitent des maux. Or, susciter relève de l’affectivité, dont aimer est [un acte]. Il semble donc qu’ils puissent agir même sur notre volonté et y pénétrer.

 

[4178] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod Angeli boni et mali ex virtute naturae suae habent potestatem transmutandi corpora nostra sicut etiam alia corpora naturalia; et quia ubi operantur ibi sunt, ideo nostris corporibus illabuntur, et per consequens etiam impressionem habent in potentias affixas organis, quarum operationes immutantur ad immutationem organorum, sicut est sensus, imaginationis, et hujusmodi; sic etiam per accidens eorum operatio resultat in intellectum, cujus objectum est phantasia, sicut color visus, ut dicitur in 3 de anima. Sed tamen hoc non provenit usque ad voluntatem: quia voluntas neque quantum ad actum neque quantum ad objectum dependet ex organo corporali: quia objectum suum ab intellectu accipit secundum quod intellectus apprehendit aliquid in ratione boni.

Réponse. Les anges bons et mauvais possèdent, par la puissance de leur nature, le pouvoir de changer nos corps, comme les autres corps naturels. Et parce qu’ils sont là où ils agissent, c’est pourquoi ils pénètrent dans nos corps et, par conséquent, agissent sur les puissances associées à des organes, dont les opérations sont changées par le changement des organes, comme le sens, l’imagination et celles de ce genre. C’est ainsi que, par accident, leur opération affecte l’intelligence, dont l’objet est l’imagination, comme la couleur l’est de la vision, ainsi qu’il est dit dans Sur l’âme, III. Cependant, cela ne parvient pas jusqu’à la volonté, car la volonté ne dépend d’un organe corporel ni pour son acte ni pour son objet ; elle reçoit son objet de l’intelligence selon que l’intelligence saisit quelque chose sous la raison de bien.

 

[4179] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Daemon dicitur non intus adesse simulacro quasi virtus conjuncta, ita quod ex Daemone et simulacro fiat unum, sicut idolatrae putabant aliquod numen in imaginibus corporalibus esse.

1. On dit que le démon n’est pas intérieurement présent par un simulacre comme par une puissance associée, de telle sorte que le démon et le simulacre deviennent une seule chose, comme les idolâtres pensaient qu’il existait une puissance divine dans des images corporelles.

 

[4180] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima non est in corpore sicut in loco, sed sicut forma in materia; et ideo non est unius rationis operatio quam anima in corpus efficit, et Daemon; unde sine confusione operationum utrumque simul in eadem corporis parte esse potest.

2. L’âme n’est pas dans le corps comme dans un lieu, mais comme une forme dans la matière. C’est pourquoi l’opération que l’âme réalise sur le corps ne fait pas une seule chose avec le démon. Ainsi les deux peuvent se trouver en même temps dans la même partie du corps sans confusion des opérations.

 

[4181] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod esse intra aliquid, est esse intra terminos ejus. Corpus autem habet terminos duplicis rationis, scilicet quantitatis et essentiae; et ideo Angelus operans intra terminos corporalis quantitatis, corpori illabitur; non autem ita quod sit intra terminos essentiae suae, nec sicut pars, nec sicut virtus dans esse: quia esse est per creationem a Deo. Substantia autem spiritualis non habet terminos quantitatis, sed tantum essentiae; et ideo in ipsam non intrat nisi ille qui dat esse, scilicet Deus creator, qui habet intrinsecam essentiae operationem; aliae autem perfectiones sunt superadditae ad essentiam; unde Angelus illuminans non dicitur esse in Angelo et in anima, sed extrinsecus aliquid operari.

3. Être dans quelque chose, c’est être à l’intérieur de ses limites. Or, le corps a des limites pour une double raison : sa quantité et son essence. C’est pourquoi l’ange qui agit à l’intérieur des limites de la quantité corporelle pénètre dans le corps, mais non de telle sorte qu’il soit à l’intérieur des limites de son essence, ni en tant que partie, ni en tant que puissance qui donne l’être, car l’être vient de Dieu par création. Mais la substance spirituelle n’a pas de termes quantitifs, mais seulement essentiels. C’est pourquoi n’entre en elle que celui qui donne l’être, à savoir Dieu Créateur, qui agit sur l’essence de l’intérieur. Mais les autres perfections sont ajoutées à l’essence. Ainsi, on ne dit pas que l’ange qui illumine est dans l’ange et dans l’âme, mais qu’il fait quelque chose de l’extérieur.

 

[4182] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod formae quae videntur in istis praestigiis, non sunt nisi in sensu. Hoc autem potest dupliciter contingere per Daemonum operationem. Uno modo ut species quae sunt in imaginatione servatae operatione Daemonum ad organa sensuum fluant, sicut contingit in somno; et ideo quando illae species contingunt organa sensus exterioris, videntur ac si essent res praesentes extra, et actu sentirentur. Alius modus potest esse ex immutatione organorum, quibus immutatis, fallitur sensus judicium, sicut in eo qui habet gustum corruptum, cui omnia videntur amara. Hoc autem facere possunt virtute quarumdam rerum naturalium, sicut ad vaporationem cujusdam fumi trabes domus videntur serpentes, et multa experimenta hujusmodi inveniuntur.

4. Les formes qui sont vues dans ces impostures n’existent que dans le sens. Or, ceci peut se produire par l’opération des démons de deux manières. D’une manière, parce que les espèces qui sont conservées dans l’imagination parviennent aux organes des sens par l’opération des démons, comme cela se produit dans le sommeil ; aussi lorsque ces espèces atteignent les organes du sens extérieur, il semble qu’elles sont comme des choses présentes à l’extérieur et comme si elles étaient ressenties en acte. L’autre manière peut venir du changement des organes : une fois ceux-ci changés, le jugement du sens se trompe, comme celui qui a le goût corrompu et à qui tout paraît amer. [Les démons] peuvent faire cela par la puissance de certaines choses naturelles : ainsi, en raison de la vapeur d’une fumée, les poutres d’une maison paraissent être des serpents, et on trouve beaucoup d’expériences de ce genre.

 

[4183] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cogitationes cordium scire solius Dei est. Possunt tamen Angeli aliquas earum conjicere ex signis corporalibus exterioribus, scilicet ex immutatione vultus, sicut dicitur: in vultu legitur hominis secreta voluntas: et ex motu cordis, sicut per qualitatem pulsus etiam a medicis passiones animae cognoscuntur.

5. Connaître les pensées des cœurs relève de Dieu seul. Cependant, les anges peuvent en conjecturer certaines à partir de signes corporels extérieurs, par exemple, par le changement du visage, ainsi qu’il est dit : Sur le visage, on lit le désir secret de l’homme, et à partir du mouvement du cœur, comme les passions de l’âme sont aussi connues des médecins par la qualité du pouls.

 

[4184] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod mali Angeli cogitationes immittunt, ut prius dictum est, illustrando phantasmata, ut secundum diversas eorum compositiones possint novae intentiones ab eis accipi. Non tamen intellectus cogitur eas accipere: quia praeter objectum et potentiam cognoscentem, exigitur ad actualem cognitionem intentio cognoscentis vel per sensum vel per intellectum. Sed boni Angeli etiam directe in intellectum imprimere possunt: quia, secundum Augustinum, operantur in intelligentias nostras miris quibusdam modis. Hoc autem est inquantum lumen intellectus agentis nostri confortatur per intellectuale lumen ipsorum. Sed hoc Daemonibus non competit: quia quamvis naturale lumen eorum sit efficacius quam lumen intellectus nostri, tamen lumine gratiae non sunt perfecti, sed tenebris culpae obumbrati; et ideo non intendunt judicium rationis nostrae rectificare per conformationem intellectualis luminis, sed aliqua nobis ostendere ex quibus decipiamur, quod faciunt phantasmata illustrando.

6. Comme on l’a dit plus haut, les anges mauvais envoient des pensées en éclairant des fantasmes, de sorte que, selon leurs diverses compositions, de nouvelles intentions puissent être reçues d’eux. Toutefois, l’intelligence n’est pas obligée de les recevoir, car, en plus de l’objet et de la puissance connaissante, est nécessaire pour la connaissance en acte l’intention de celui qui connaît, soit par le sens, soit par l’intellect. Mais les anges bons peuvent aussi agir directement sur l’intelligence, car, selon Augustin, ils agissent sur nos intelligences selon des modes admirables. Cela est dû au fait que la lumière de notre intellect agent est renforcée par leur lumière intellectuelle. Mais cela ne convient pas aux démons : bien que leur lumière naturelle soit plus efficace que la lumière de notre intellect, ils ne sont cependant pas perfectionnés par la lumière de la grâce, mais ombragés par les ténèbres de la faute. Aussi ne cherchent-ils pas à redresser le jugement de notre raison par la conformité à leur lumière intellectuelle, mais à nous montrer des choses par lesquelles nous sommes trompés, ce qu’ils font en éclairant les fantasmes.

 

[4185] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Daemones dicuntur incentores, inquantum faciunt fervere sanguinem; et sic anima ad concupiscendum disponitur, sicut etiam quidam cibi libidinem provocant. In voluntatem autem imprimere solius Dei est, quod est propter libertatem voluntatis, quae est domina sui actus, et non cogitur ab objecto, sicut intellectus cogitur demonstratione. Unde patet ex praedictis quod Daemones imprimunt in phantasiam, sed Angeli etiam in intellectum; Deus autem solus in voluntatem.

7. Les démons sont appelés des incendiaires parce qu’ils échauffent le sang. L’âme se trouve ainsi disposée à convoiter, comme certains provoquent un désir désordonné de nourriture. Mais agir sur notre volonté est le fait de Dieu seul : la raison en est la liberté de la volonté, qui est maîtresse de son acte et n’est pas contrainte par son objet, comme l’intellect est contraint par une démonstration. Il ressort donc clairement de ce qui a été dit que les démons agissent sur les fantasmes, les anges [bons] aussi sur l’intellect, mais Dieu seul sur la volonté.

 

 

 

 

Articulus 6 [4186] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 tit. Utrum Deus apparuerit in figuris corporalibus

Article 6 – Dieu est-il apparu sous des figures corporelles ?

 

[4187] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod ipse Deus in corporalibus figuris non apparuerit. Hujusmodi enim apparitiones factae patribus in prophetis, factae sunt mediantibus Angelis, quorum etiam dispositione lex tradita est, ut dicitur Act. 7, et ad Hebr. 2. Sed ille apparet qui immediate revelationem facit. Ergo videtur quod in hujusmodi formis corporalibus Deus non apparuerit.

1. Il semble que Dieu lui-même ne soit pas apparu sous des figures corporelles. En effet, les apparitions de ce genre faites aux pères par les prophètes ont été réalisées par l’intermédiaire d’anges, par la disposition desquels la loi a aussi été transmise, comme il est dit dans Ac 7 et He 2. Or, celui-là apparaît qui fait une révélation de manière immédiate. Il semble donc que Dieu ne soit pas apparu sous des formes corporelles de ce genre.

 

[4188] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, Angelus apparens visibiliter assumit corpus in quo videtur. Sed Deus nunquam assumpsit corpus, nisi in unitate personae. Ergo videtur, quod ipse in corporalibus figuris non videatur.

2. L’ange qui apparaît assume visiblement le corps dans lequel il est vu. Or, Dieu n’a jamais assumé un corps que dans l’unité de la personne. Il semble donc que lui-même ne soit pas vu sous des figures corporelles.

 

[4189] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, Angelus qui apparet in aliquo corpore, est in eo in quo prius non fuerat. Sed in illis creaturis in quibus apparere dicitur Deus non est nisi sicut prius fuerat, scilicet per essentiam, praesentiam; et potentiam. Ergo videtur quod ipse non apparebat.

3. L’ange qui apparaît dans un corps se trouve là où il n’était pas antérieurement. Or, dans les créatures où l’on dit qu’il apparaît, Dieu ne se trouve qu’à la manière où il s’y trouvait antérieurement, à savoir, par son essence, sa présence et sa puissance. Il semble donc que lui-même n’est pas apparu.

 

[4190] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, si ipse Deus apparuerit, ergo videtur quod missio visibilis facta fuerit in veteri testamento, sicut etiam in novo, quod a sanctis negatur.

4. Si Dieu lui-même était apparu, il semble donc qu’une mission visible se soit réalisée sous l’Ancienne Alliance, comme sous la Nouvelle, ce qui est nié par les saints.

 

[4191] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra est, quod dicitur Exod. 20, 3, ubi dominus loquitur ad populum dicens: non erunt tibi alii dii praeter me; et frequenter etiam invenitur: ego dominus. Ergo videtur quod ipsemet Deus apparuerit.

Cependant, [1] il est dit en Ex 20, 3 : Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi. On trouve aussi fréquemment : Moi, le Seigneur. Il semble donc que Dieu lui-même soit apparu.

 

[4192] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, Isai. 6, 1, dicitur: vidi dominum sedentem super solium excelsum et elevatum, quod non potest convenire nisi ipsi Deo. Ergo videtur, quod ipsum Deum viderit.

[2] Il est dit en Is 6, 1 : Je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose et surélevé, ce qui ne peut convenir qu’à Dieu lui-même. Il semble donc que [Isaïe] a vu Dieu lui-même.

 

[4193] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod Deus secundum essentiam suam corporalibus oculis nunquam videri potest nec etiam intellectu nisi a beatis, sed in corporalibus formis hominibus apparuit. Haec autem apparitio facta est ministerio Angelorum, ut dicit Augustinus in Lib. de Trinitate: quia divinae illuminationes non veniunt in nos nisi mediante caelesti hierarchia, ut dicit Dionysius. Unde in omnibus illis apparitionibus corporalibus corpus formatum est et assumptum et motum ab Angelo; sed tamen in corpore assumpto per Angelum dicitur apparere Angelus, et aliquando Deus. Formatio enim et apparitio corporis assumpti, ut dictum est, fit ad ostendendas proprietates spiritualium substantiarum. Quandoque enim Angelus, qui immediate illuminat hominem, vult instruere eum de propria virtute quam ipse habet; et tunc in corpore illo exprimit similitudines suae virtutis; et sic dicitur ille inferior Angelus apparere. Aliquando autem vult instruere hominem de virtute divina, vel etiam superioris Angeli, per quam operatur; et tunc format corpus assumptum ad exprimendam eminentiam divinae majestatis vel etiam proprietates superioris Angeli; et tunc dicitur Deus apparere vel ille superior Angelus; et hoc etiam Gregorius dicit in Glossa Exodi 3 assignans causam quare Angelus qui loquebatur Moysi, quandoque vocatur Angelus, quandoque dominus.

Réponse. Dieu ne peut jamais être vu en son essence par des yeux corporels et [il ne peut l’être] par l’intelligence que par les bienheureux ; mais il est apparu à des hommes sous des formes corporelles. Or, cette apparition s’est réalisée par le ministère des anges, comme le dit Augustin dans le livre Sur la Trinité, car les illuminations divines ne nous parviennent que par l’intermédiaire de la hiérarchie céleste, comme le dit Denys. Aussi, dans toutes ces apparitions corporelles, un corps a-t-il été formé, assumé et mû par un ange. Cependant, on dit qu’un ange et parfois Dieu apparaissent dans le corps assumé par un ange. En effet, la formation et l’apparition du corps assumé, comme on l’a dit, se réalise en vue de manifester les propriétés des substances spirituelles, car l’ange, qui veut parfois illuminer un homme de manière immédiate, veut lui montrer la puissance propre que lui-même possède. Il représente alors des ressemblances de sa puissance dans ce corps. Ainsi dit-on que cet ange inférieur apparaît. Mais, parfois, il veut montrer à un homme la puissance divine ou même celle d’un ange supérieur, par laquelle il agit. Il forme alors le corps assumé afin de représenter l’élévation de la majesté divine ou encore les propriétés d’un ange supérieur. On dit alors que Dieu apparaît ou cet ange supérieur. C’est aussi ce que dit Grégoire dans une glose sur Ex 3, en indiquant la cause pour laquelle l’ange qui parlait à Moîse est appelé parfois « ange », et parfois « Seigneur ».

 

[4194] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum: quia non dicitur apparere ille Angelus qui immediate corpus format, sed Deus, cujus proprietates in figura ostensi corporis significantur.

1. Ainsi ressort clairement la réponse au premier argument, car on ne dit pas qu’apparaît l’ange qui forme le corps de manière immédiate, mais Dieu, dont les propriétés sont signifiées dans la figure du corps qui est montré.

 

[4195] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 ad 2 Et similiter ad secundum: quia quamvis Angelus corpus formet vel moveat, non tamen ipse apparere dicitur, ratione jam dicta, sed Deus.

2. Bien que l’ange forme et meuve le corps, on ne dit pas qu’il apparaît, mais Dieu, pour la raison déjà donnée.

 

[4196] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus erat in illis creaturis novo modo, sicut signatum in signo.

3. Dieu se trouvait dans ces créatures d’une nouvelle manière, comme ce qui est signifié dans le signe.

 

[4197] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod immissio visibilis divinae personae differt ab apparitione, de qua differentia dictum est, in 1, dist. 16.

4. L’envoi visible d’une personne divine diffère d’une apparition. Il a été question de cette différence dans le livre I, d. 16.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 8

 

[4198] Super Sent., lib. 2 d. 8 q. 1 a. 6 expos. Ad patiendum humor et humus; ad faciendum aer et ignis aptitudinem habent. Videtur hoc esse falsum: quia in aqua dominatur qualitas activa, scilicet frigidum; et ita videtur magis esse activa quam aer in quo dominatur qualitas passiva, scilicet humidum. Et dicendum, quod ista objectio procedit, considerata actione et passione secundum qualitates activas et passivas. Sed aliter est, si consideretur secundum formas substantiales quae sunt prima principia actionis; quanto enim aliquid est magis subtile, magis est activum, quia plus habet de forma; et grossum est magis passivum, quia plus habet de materia. Sed ubi Deum hominibus in corporalibus imaginibus apparuisse asserit, perplexam quaestionem proponit. Hic movetur quaestio habens tres partes secundum tres modos quibus potest divina apparitio aestimari. Unus modus est ut aliqua nova creatura creetur ad hoc quod in ea Deus appareat, et hoc verum est si per creationem intelligatur formatio corporis facta per ministerium Angelorum. Secundus modus est ut Angeli corpora naturaliter unita diversimode transforment ad exprimendum diversas similitudines. Tertius modus est ut supra corpora quae habent, alia grossiora assumant, quasi indumenta quibus induantur: et utrumque istorum falsum est, quia supponit Angelos habere corpora naturaliter unita. Visibile enim quidquam non est quod non sit mutabile. Istud absolute verum est, si intelligatur de visu exteriori: quia omne visibile est corpus naturale, et omne corpus naturale est mobile vel secundum locum vel alio modo. Daemones per energicam operationem non credimus substantialiter illabi animae. Energia dicitur ab en quod est in, et ergia, quod est labor, et geos, quod est terra et convenit his qui interius terrestri et melanchonico humore laborant: quia tales usu rationis privantur; ideo energumeni etiam dicuntur illi qui interius a Daemone possidentur.

 

 

 

 

 

Distinctio 9

Distinction 9 – [La dignité des anges bons]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[4199] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 pr. Determinatis his quae pertinent ad statum creationis Angelorum, et ad distinctionem eorum per conversionem et aversionem, hic determinat ea quae pertinent ad dignitatem bonorum; et dividitur in partes duas: in prima determinat de distinctione ordinum; in secunda determinat quosdam actus qui sequuntur ordines distinctos, 10 dist.: hic etiam investigandum est, utrum omnes illi caelestes spiritus ad exteriora nuntianda mittantur. Prima in duas: in prima determinat ordinum Angelorum distinctionem; in secunda ostendit quomodo homines assumuntur ad ordines Angelorum, ibi: est notandum quod decimus ordo legitur de hominibus restaurandus. Prima in tres: in prima ostendit ordinum distinctionem; in secunda distinctionis principium quantum ad durationem, ibi: jam nunc inquirere restat, utrum et isti ordines a creationis initio ita fuerint distincti; in tertia distinctionis modum quantum ad aequalitatem, ibi: praeterea considerari oportet utrum omnes Angeli ejusdem ordinis aequales sint. Circa primum tria facit: primo ponit ordinum distinctionem; secundo assignat distinctionis rationem, ibi: hic considerandum est quid appelletur ordo; tertio assignat causam nominationis ipsorum, ibi: haec nomina non propter se, sed propter nos eis data sunt; et circa hoc duo facit: primo determinat veritatem; secundo excludit objectionem, ibi: sed oritur hic quaestio talis. Notandum est etiam, quod decimus ordo legitur de hominibus reparandus. Hic ostendit quomodo homines ad Angelorum ordines assumuntur; et circa hoc duo facit: primo ostendit per quem modum assumuntur, utrum ad unum ordinem decimum, vel ad omnes novem; secundo ostendit eorum qui assumuntur numerum, ibi: non enim juxta numerum eorum qui ceciderunt, sed eorum qui permanserunt, homines ad beatitudinem admittuntur; ubi duo facit: primo ostendit veritatem; secundo excludit contrarietatem, ibi: a quibusdam tamen putatur quod homines reparentur juxta numerum Angelorum qui ceciderunt. Hic quaeruntur octo: 1 quid sit hierarchia; 2 de actibus hierarchiae; 3 de distinctione hierarchiarum et ordinum; 4 de nominatione ordinum distinctorum; 5 de distinctione vel aequalitate personarum in uno ordine existentium; 6 de generatione hierarchiarum; 7 de principio ordinum; 8 de eorum restauratione per homines facta.

Après avoir déterminé de ce qui se rapporte à l’état de la création des anges et à leur distinction selon leur conversion et leur aversion, [le Maître] détermine ici de ce qui se rapporte à la dignité des [anges] bons. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de la distinction entre les ordres ; dans la seconde, il détermine de certains actes qui découlent des ordres distincts, d. 10 : « Il faut ici rechercher si tous les esprits célestes sont envoyés pour annoncer des choses extérieures. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la distinction des ordres des anges ; dans la seconde, il montre comment des hommes sont assumés dans les ordres des anges, à cet endroit : « Il faut noter ici qu’on lit, à propos d’un dixième ordre, qu’il doit être rétabli pour les hommes. » La première partie se divise en trois. Dans la première, il montre la distinction des ordres. Dans la deuxième, [il montre] le principe de la distinction du point de vue de la durée, à cet endroit : « Il reste maintenant à rechercher si ces ordres ont été ainsi distingués dès le début de la création. » Dans la troisième, [il montre] le mode de la distinction du point de vue de l’égalité, à cet endroit : « De plus, il faut examiner si tous les anges d’un même ordre sont égaux. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente la distinction des ordres. Deuxièmement, il donne la raison de la distinction, à cet endroit : « Ici, il faut considérer ce qu’on appelle un ordre... » Troisièmement, il donne la cause de leurs noms, à cet endroit : « Ces noms ne leur ont pas été donnés pour eux-mêmes, mais pour nous. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité ; deuxièmement, il écarte une objection, à cet endroit : « Mais cette question est soulevée ici… » « Il faut noter ici qu’on lit, à propos d’un dixième ordre, qu’il doit être rétabli pour les hommes. » Il montre ici comment les hommes sont assumés dans les ordres des anges. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre de quelle manière ils sont assumés dans un dixième ordre seulement, ou dans tous les neuf ; deuxièmement, il montre le nombre de ceux qui sont assumés, à cet endroit : « En effet, les hommes sont admis dans la béatitude, non pas selon le nombre des [anges] qui sont tombés, mais de ceux qui sont restés. » Il fait là deux choses : premièrement, il montre la vérité ; deuxièmement, il écarte son contraire, à cet endroit : « Certains pensent que les hommes sont rétablis selon le nombre des anges qui sont tombés. » Ici, huit questions sont posées : 1. Qu’est-ce qu’une hiérarchie ? 2. Sur les actes de la hiérarchie. 3. Sur la distinction entre les hiérarchies et les ordres. 4. Sur les noms des différents ordres. 5. Sur la distinction ou l’égalité des personnes se trouvant dans un seul ordre. 6. Sur la génération des hiérarchies. 7. Sur le principe des ordres. 8. Sur leur rétablissement réalisé par les hommes.

 

 

 

 

Articulus 1 [4200] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 tit. Utrum definitio hierarchiae data a Dionysio, sit conveniens

Article 1 – La définition de la hiérarchie donnée par Denys est-elle appropriée ?

 

[4201] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur: et ponitur definitio Dionysii in 4 cap. Cael. Hierar.: hierarchia est divinus ordo et scientia et actio, deiforme, quantum possibile est, similans, ad inditas ei divinitus illuminationes proportionabiliter in Dei similitudinem conscendens. Videtur autem quod sit incompetens. Quia definitio nihil superfluum debet continere. Sed ipse alibi definiens hierarchiam dicit: hierarchia est ad Deum, quantum possibile est, unitas et similitudo. Cum ergo in praeassignata descriptione praeter divinam similitudinem multa ponantur, videtur quod sint superflua.

1. La définition de Denys, La hiérarchie céleste, IV, est d’abord donnée : « La hiérarchie est un ordre divin, une science et une action, assimilant à quelque chose de déiforme, autant que cela est possible, qui s’élève d’une manière proportionnée par des illuminations divines infusées en vue d’une ressemblance avec Dieu. » Mais il semble qu’elle ne soit pas appropriée, car une définition ne doit contenir rien de superflu. Or, lui-même définit ailleurs la hiérarchie : « La hiérarchie est une unité et une ressemblance avec Dieu, autant que cela est possible. » Puisque, en plus de la ressemblance avec Dieu, plusieurs choses sont indiquées dans la description rappelée plus haut, il semble qu’elles soient superflues.

 

[4202] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, pars non debet poni in definitione totius, ad minus sicut genus. Sed ordo est pars hierarchiae, cum unaquaeque hierarchia tres ordines contineat. Ergo videtur inconvenienter dicere: hierarchia est ordo.

2. La partie ne doit pas être mise dans la définition du tout, du moins comme genre. Or, l’ordre est une partie de la hiérarchie, puisque chaque hiérarchie contient trois ordres. Il semble donc dire de manière inappropriée : « La hiérarchie est un ordre... »

 

[4203] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, in Angelis non tantum est ordo secundum scientiam, sed etiam secundum alia dona et naturalia et gratuita; quae omnia excellentius sunt in superioribus quam in inferioribus. Ergo sicut ponit scientiam, debuit alia dona ponere.

3. Chez les anges, il n’y a pas un ordre seulement selon la science, mais aussi selon d’autres dons, naturels et gratuits, qui existent tous de manière plus élevée chez les [anges] supérieurs que chez les inférieurs. De même que [Denys] indique la science, il devait donc indiquer les autres dons.

 

[4204] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, actio pertinet ad ministrantes. Sed hierarchia est communis ministrantibus et assistentibus. Ergo videtur quod describat commune per proprium; quod est contra artem definitionum.

4. L’action concerne ceux qui servent. Or, la hiérarchie est commune à ceux qui servent et à ceux qui entourent. Il semble donc que [Denys] décrive ce qui est commun par ce qui est propre, ce qui va à l’encontre de l’art des définitions.

 

[4205] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, idem non potest poni in diversis generibus non subalternatim positis. Ergo videtur, cum scientia et actio et ordo non subalternentur invicem, quod inconvenienter assignantur hierarchiae tamquam genera in praedicta descriptione.

5. La même chose ne peut être placée dans divers genres non sublaternés. Puisque la science, l’action et l’ordre ne sont pas subalternés, il semble donc qu’ils soient attribués de manière inappropriée à la hiérarchie comme des genres dans la description rappelée plus haut.

 

[4206] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, in divinis personis non est ordo scientiae et actionis, cum sit una scientia et actio trium. Hoc autem pertinet ad rationem hierarchiae, quod sit ordo scientiae et actionis. Ergo videtur quod non similet deiforme.

6. Chez les personnes divines, il n’existe pas d’ordre de la science et de l’action, puisqu’il n’existe qu’une seule science et une seule action chez les trois. Or, il relève de la raison de hiérarchie qu’il y ait un ordre de la science et de l’action. Il semble donc qu’elle n’assimile par à ce qui est déiforme.

 

[4207] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, idem est deiformitas et similitudo divina. Ergo videtur esse verborum inculcatio, cum dicit: in divinam similitudinem ascendens, postquam dixerat: deiforme similans.

7. De plus, être déiforme et être semblable à Dieu est la même chose. Il semble donc que ce soit une répétition lorsqu’il dit : « … s’élevant vers une ressemblance avec Dieu », après avoir dit : « assimilant à quelque chose de déiforme. »

 

[4208] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod hierarchia dicitur quasi sacer principatus a hieron, quod est sacrum, et archon, quod est princeps. In omni autem principatu requiritur gradus potestatis et finis; unde in sacro principatu oportet hujusmodi sacra et divina esse: et ideo, sicut in principatu saeculari finis est ut subjecta multitudo pacifice disponatur ad bonum intentum a principe, sicut patet in exercitu, qui, secundum philosophum, ordinatur ad bonum ducis sicut ad finem ultimum; ita oportet quod in sacro principatu finis sit assimilatio ad Deum. Hunc autem finem non est possibile Angelos consequi nisi per ordinatam actionem, ad quam exigitur ordinata potestas et scientia dirigens: et ideo in definitione hierarchiae ponitur ordo, in quo exprimitur gradus potestatis, et scientia sicut dirigens, et actio sicut ad finem inducens, et Dei similitudo sicut finis intentus.

Réponse. « Hiérarchie », tiré de « hieron », qui signifie « sacré », et de « archon », dirigeant, veut dire un « gouvernement saint ». Or, en tout gouvernement, un degré du pouvoir et de la fin est nécessaire. Aussi, pour un gouvernement saint, est-il nécessaire qu’existent des réalités saintes et divines. C’est pourquoi, de même que, pour le gouvernement séculier, la fin consiste en ce que la multitude soumise soit pacifiquement disposée au bien que le dirigeant a en vue, comme cela ressort clairement pour une armée, qui, selon le Philosophe, est ordonnée au bien que le chef a en vue comme à sa fin ultime, de même est-il nécessaire que, pour un gouvernement saint, la fin soit la ressemblance avec Dieu. Or, les anges ne peuvent atteindre cette fin que par une action ordonnée, pour laquelle sont nécessaires un pouvoir ordonné et une science qui dirige. C’est pourquoi, dans la définition de la hiérarchie, on met l’ordre, par lequel est exprimé le degré du pouvoir, la science, en tant que dirigeante, l’action, en tant que menant à la fin, et la ressemblance avec Dieu, comme la fin visée.

 

[4209] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod finis est causa causarum: et ideo definitio quae sumitur ex fine, formalior est inter omnes definitiones, et medium demonstrans eas; et ideo illa descriptio hierarchiae: est ad Deum unitas et similitudo, est sicut definitio quae est medium demonstrationis. Haec autem, hierarchia est ordo, scientia, et actio, si nihil addatur, est quasi demonstrationis conclusio, quia includit essentialia principia hierarchiae; unde Dionysius eam ex praedicta concludit. Sed illa quae posita est, perfecta est, quia comprehendit utrumque; unde est quasi demonstratio positione differens.

1. La fin est la cause des causes. C’est pourquoi la définition qui est prise à partir de la fin est la plus formelle de toutes les définitions et le moyen de mettre les autres en lumière. Aussi cette description de la hiérarchie : « … elle est une unité et une ressemblance avec Dieu », est-elle comme une définition qui est la mineure d’une démonstration. Mais celle-ci : « La hiérarchie est un ordre, une science et une action… », si on n’y ajoute rien, est comme la conclusion d’une démonstration, car elle inclut les principes essentiels de la hiérarchie. Aussi Denys en fait-il la conclusion de celle qui précède. Mais celle qui a été présentée est parfaite, car elle comprend les deux choses. Aussi est-elle comme une démonstration qui diffère par la présentation.

 

[4210] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ordo potest sumi dupliciter: vel secundum quod nominat unum gradum tantum, sicut qui sunt unius gradus, dicuntur unius ordinis; et sic ordo est pars hierarchiae: vel secundum quod nominat relationem quae est inter diversos gradus, ut ordo dicatur ipsa ordinatio; et sic sumitur quasi abstracte, et sic ponitur in definitione hierarchiae; primo autem modo sumitur concretive, ut dicatur ordo unus gradus ordinatus.

2. L’ordre peut s’entendre de deux manières. Soit il désigne un seul degré seulement, comme on dit de ceux qui font partie d’un seul degré qu’ils font partie d’un seul ordre. L’ordre est ainsi une partie de la hiérarchie. Soit il désigne une relation qui existe entre divers degrés, de sorte que l’ordre désigne le rapport lui-même. Il est ainsi pris d’une manière pour ainsi dire abstraite, et c’est ainsi qu’il est mis dans la définition de la hiérarchie. Cependant, de la première manière, il est pris d’une manière concrète, de sorte que l’ordre désigne un seul degré ordonné.

 

[4211] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut anima in corpore quemdam effectum inducit immediate in omnibus membris, ut esse, inquantum est forma corporis, alium autem inducit in uno membro mediante alio, ut motum: ita etiam Deus in omnibus ordinibus caelestis hierarchiae immediate inducit vitam naturae, gratiae et gloriae; sed ad executionem officiorum divinorum movet eos ordinate, per primos medios, et per medios ultimos: et ideo non ponitur natura vel gratia vel gloria in definitione hierarchiae, sed scientia, velut dirigens actionem in divinis officiis.

3. De même que l’âme dans le corps entraîne un effet immédiat dans tous les membres, comme l’être, en tant qu’elle est forme du corps, mais en entraîne un autre dans un membre par l’intermédiaire d’un autre [membre], comme le mouvement, de même aussi Dieu suscite immédiatement la vie de la nature, de la grâce et de la gloire dans tous les ordres de la hiéarchie céleste. Mais, pour exécuter les fonctions divines, il les meut de manière ordonnée, les intermédiaires par les premiers, et les derniers par les intermédiaires. C’est pourquoi la nature, la grâce ou la gloire ne sont pas mises dans la définition de la hiérarchie, mais la science en tant qu’elle dirige l’action dans les fonctions divines.

 

[4212] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actio circa nos exercita, est propria ministrantium, quae non ponitur in definitione hierarchiae; sed actio cognitionis, prout significat transfusionem percepti luminis a Deo ex uno in alium, communis est omnibus.

4. L’action exercée sur nous est à proprement parler celle des serviteurs, qui n’est pas mise dans la définition de la hiérarchie ; mais l’action de la connaissance, en tant qu’elle signifie le transvasement de la lumière reçue de Dieu de l’un vers l’autre, est commune à tous.

 

[4213] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Dionysius non intendit ordinare definitionem, sed principia essentialia hierarchiae tangere: quorum aliquod est sicut materiale, per modum generis se habens, scilicet ordo; alia vero sunt sicut formalia complentia rationem hierarchiae per modum differentiae; quorum primum est ipsa receptio divini luminis, quae in scientia importatur, quia scientia illa est secundum receptionem divini luminis; et secundum est ejus transfusio in alterum, quam designat actio; et tertium est consecutio finis in Dei similitudinem; et sic patet quod semper sequens est formale respectu praecedentis. Unde si debet ordinate tradi definitio, potest sic dici, quod hierarchia est divinus ordo secundum scientiam et actionem et cetera.

5. Denys n’entend pas donner la définition de manière ordonnée, mais aborder les principes essentiels de la hiérarchie. Ceux-ci comportent un élément matériel, qui joue le rôle de genre, à savoir l’ordre ; les autres éléments sont pour ainsi dire formels, complétant la notion de hiérarchie par mode de différence. Le premier d’entre eux est la réception même de la lumière divine, qui fait partie de la science, car cette science se réalise par la réception de la lumière divine. Le deuxième est son transvasement dans un autre, ce que désigne l’action. Le troisième est l’obtention de la fin par la ressemblance avec Dieu. Il ressort ainsi que ce qui suit a toujours un caractère formel par rapport à ce qui précède. Si la définition doit être donnée de manière ordonnée, on peut donc dire ceci : la hiérarchie est l’ordre divin selon la science, l’action, etc.

 

[4214] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod secundum quosdam in divinis personis est quaedam hierarchia, quam dicunt supercaelestem, quae attenditur secundum ordinem naturae in personis divinis, quam assimilat hierarchia caelestis Angelorum et subcaelestis hominum. Sed hoc non est conveniens, nec secundum intentionem Dionysii: quia in divinis personis principatum ponere unius ad alterum, est haereticum; aut quod pater purget filium, vel illuminet vel perficiat, vel quod id quod patris est, recipiatur in filio inferiori modo: quae tamen requiruntur ad rationem hierarchiae, secundum intentionem Dionysii et secundum vocabuli significationem. Et ideo dicendum est aliter; scilicet quod, similat deiforme, inquantum per lumen perceptum divinae claritati assimilatur, non quidem per aequiparantiam, sed secundum suam proportionem: propter quod dicit: quantum possibile est. Omnis etiam perfectio creaturae est similitudo divinae bonitatis, licet quaedam sit expressior alia.

6. Selon certains, il existe une certaine hiérarchie entre les personnes divines: ils l’appellent « supercéleste ». Elle vient de l’ordre de nature entre les personnes divines : la hiérarchie céleste entre les anges et la hiérarchie subcéleste entre les hommes lui ressemble. Mais cela n’est pas approprié, ni conforme à l’intention de Denys, car affirmer une prééminence d’une personne sur l’autre entre les personnes divines est hérétique, ou encore [affirmer] que le Père purifie le Fils, l’illumine, le perfectionne ou que ce qui appartient au Père est reçu selon un mode inférieur par le Fils. Cela est cependant nécessaire à la notion de hiérarchie, selon l’intention de Denys et selon la signification du terme. Il faut donc parler autrement : [la hiérarchie] rend déiforme pour autant que, par la lumière reçue, [l’ange] est assimilé à la clarté divine, non pas par mode d’égalité, mais selon sa proportion. C’est pourquoi il dit : « … autant qu’il est possible. » Toute perfection de la créature est aussi une ressemblance de la bonté divine, bien que l’une soit plus expresse qu’une autre.

 

[4215] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod alicui agenti vel imprimenti, potest aliquod recipiens assimilari dupliciter: vel secundum formam tantum; vel secundum formam et actionem; sicut aliquid illuminatur a sole, ut etiam alia illuminet ad similitudinem solis, sicut luna; et haec est assimilatio secundum convenientiam in forma et actione. Aliqua autem illuminantur ut in seipsis luceant, sed lumen in alterum non transfundant, ut terrestria colorata, quia color est aliquid lucis. Sic etiam assimilantur Angeli Deo in receptione divini luminis, et haec assimilatio ostenditur in hoc quod dicit: deiforme, inquantum possibile est, similans, et etiam in transfusione ejusdem in alios; et hoc ostenditur cum dicitur: ad inditas illuminationes, idest secundum virtutem et regulam datarum illuminationum ascendens in Dei similitudinem, operando in alios secundum suam proportionem; et ideo nominat ascensum, quia in hoc est perfectio similitudinis, et omnium divinius est Dei cooperatores fieri, sicut ibidem dicit Dionysius: propter quod etiam philosophi posuerunt finem intelligentiarum moventium orbes (quem intendunt) assimilationem divinam in causando. Et sic patet quod prima similitudo respondet scientiae, sed secunda actioni.

7. Ce qui reçoit peut devenir semblable à un agent ou à ce qui imprègne de deux manières : selon la forme seulement, ou selon la forme et l’action. Ainsi une chose est illuminée par le soleil, de telle sorte qu’elle illumine d’autres choses à la ressemblance du soleil, telle la lune. C’est là une assimilation selon ce qui convient à la forme et à l’action. Mais certaines choses sont illuminées afin de briller par elles-mêmes, mais elles ne transvasent pas leur lumière dans d’autres choses : ainsi les choses terrestres colorées, car la couleur fait partie de la lumière. C’est ainsi que les anges sont assimilés à Dieu par la réception de la lumière divine, et cette assimilation est montrée par ce qu’il dit : « … rendant déiforme, autant que cela est possible », et aussi par le transvasement de cette même [lumière] dans d’autres ; cela est montré lorsqu’il dit : « … s’élevant vers une ressemblance avec Dieu », c’est-à-dire « s’élevant vers la ressemblance avec Dieu » selon la puissance et la règle des illuminations données, en agissant sur les autres selon leur proportion. Aussi parle-t-il d’une élévation, car c’est en cela que consiste la perfection de la ressemblance, et ce qu’il y a de plus divin est de devenir collaborateurs de Dieu, comme le dit Denys au même endroit. Pour cette raison, même les philosophes ont affirmé que la fin recherchée par les intelligences qui meuvent les sphères est de devenir semblables à Dieu par leur causalité. Il ressort ainsi que la première ressemblance correspond à la science, mais la seconde à l’action.

 

 

 

 

Articulus 2 [4216] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 tit. Utrum unus Angelus purget alium

Article 2 – Un ange en purifie-t-il un autre ?

 

[4217] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod unus Angelus alium non purget. Purgatio enim non est nisi per gratiam. Sed solius Dei est dare gratiam. Ergo ipse solus purgat.

1. Il semble qu’un ange n’en purifie pas un autre. En effet, la purification ne se réalise que par la grâce. Or, il appartient à Dieu seul de donner la grâce. Donc, Lui seul purifie.

 

[4218] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, purgatio non est nisi ab immunditia. Sed in Angelis bonis post casum malorum, nulla remansit immunditia. Ergo non est ibi purgatio.

2. On ne purifie que de l’impureté. Or, chez les anges bons, après la chute des mauvais, aucune impureté n’est demeurée. Il n’y a donc pas là de purification.

 

[4219] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, videtur quod nec illuminatio unius per alterum fiat. Quia informare mentem est solius Dei, ut ait Augustinus. Sed illuminari non potest Angelus, nisi mens sua informetur. Ergo videtur quod unus Angelus alium non illuminet.

3. Il semble que l’illumination de l’un par l’autre n’existe pas, car il appartient à Dieu de donner sa forme à l’esprit, comme le dit Augustin. Or, un ange ne peut être illuminé que si son esprit reçoit sa forme. Il semble donc qu’un ange n’en illumine pas un autre.

 

[4220] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut habetur Matth. 23, 10, magister vester unus est Christus; ubi dicit Augustinus, quod ipse solus est qui interius docet. Sed illuminatio est per modum cujusdam doctrinae. Ergo videtur quod solus Deus mentem Angeli illuminet.

4. Comme on le lit en Mt 23, 10, le Christ est votre seul maître ; Augustin dit à ce propos qu’il est le seul à enseigner intérieurement. Or, l’illumination se réalise sous forme d’un certain enseignement. Il semble donc que seul Dieu illumine l’esprit de l’ange.

 

[4221] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, omnes Angeli beatitudinem suam habent ex hoc quod immediate vident Deum. Sed Deus est sufficiens medium ad omnium cognitionem. Ergo videtur quod unus alium non illuminet.

5. Tous les anges tiennent leur béatitude du fait qu’ils voient Dieu de manière immédiate. Or, Dieu est le moyen suffisant de tout connaître. Il semble donc que l’un n’en illumine pas un autre.

 

[4222] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, si unus illuminat alium, aut hoc facit creando novum lumen in mente ejus, aut transmutando lumen a Deo receptum. Sed primum est haereticum, cum Angeli non sint creatores. Secundum autem videtur impossibile, nisi ponatur aliquod medium deferens, sicut in illuminatione corporali: quod ibi non est etiam facile fingere. Ergo videtur quod unus alium non illuminet.

6. Si l’un en illumine un autre, ou bien il fait cela en créant une nouvelle lumière dans son esprit, ou bien en transportant la lumière reçue de Dieu. Or, le premier point est hérétique, puisque les anges ne sont pas créateurs. Mais le second semble impossible, à moins qu’on affirme un intermédiaire qui porte, comme pour l’illumination corporelle, ce qui n’est pas facile à y imaginer. Il semble donc que l’un n’illumine pas l’autre.

 

[4223] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 7 Item, videtur quod nec perficiat. Quia, ut supra, in 4 dist., dictum est, perfectio quae possibilis est in Angelo, est vel naturae conditae, vel glorificatae. Sed neutra potest esse in Angelo ab Angelo. Ergo videtur quod unus alium non perficiat.

7. Il semble qu’il ne perfectionne pas non plus, car, ainsi qu’on l’a dit plus haut, d, 4, une perfection qui est possibile chez l’ange est soit celle de la nature créée, soit celle de la nature glorifiée. Or, aucune des deux ne peut se trouver dans un ange à partir d’un autre ange. Il semble donc que l’un ne perfectionne pas l’autre.

 

[4224] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, nulla perfectio potest esse in Angelo nisi secundum receptionem divini luminis. Sed haec receptio est per illuminationem. Ergo perfectio ab illuminatione non differt.

8. Aucune perfection ne peut exister chez un ange que par la réception de la lumière divine. Or, une telle réception se fait par une illumination. La perfection ne diffère donc pas de l’illumination.

 

[4225] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod actio non potest esse nisi secundum exigentiam rei cujus est actio. Cum autem hierarchia perficiatur in scientia, ut ex definitione patet, oportet ut actio hierarchica in transfusione scientiae consistat: unde dicit Dionysius, quod purgatio, illuminatio et perfectio, est divinae scientiae assumptio. Ad scientiam autem concurrunt duo in sui acquisitione; scilicet expulsio contrarii vel privationis, et consummatio ejus; sicut est etiam in acquisitione cujuslibet formae. Sed consummatio scientiae in duobus consistit, sicut et visio corporalis ad quam requiritur lumen sub quo videatur visibile, et consequitur cognitio ipsius visibilis: similiter etiam per lumen intellectuale habetur cognitio intellectiva. Ergo quantum ad remotionem privationis est purgatio, quantum ad influentiam luminis est illuminatio; sed quantum ad cognitionem consequentem, in quam dirigit lumen sicut in ultimum terminum, est perfectio; et propter hoc perfectiones a Dionysio dicuntur, secundum traditionem sacrarum doctrinarum.

Réponse. L’action ne peut exister que selon ce qu’exige la chose dont elle est l’action. Puisque la hiérarchie est perfectionnée par la science, comme cela ressort de la définition, il est nécessaire que l’action hiérarchique consiste dans le transvasement de la science. Aussi Denys dit-il que la purification, l’illumination et la perfection sont une réception de la science divine. Or, deux choses concourent à l’acquisistion de la science : l’expulsion de son contraire ou de sa privation, et son achèvement, comme c’est le cas pour n’importe quelle forme. Or, l’achèvement de la science consiste dans deux choses, comme la vision corporelle, pour laquelle la lumière par laquelle l’objet visible est vu, et la connaissance de cela même qui est visible qui en découle. De même aussi, la connaissance intellectuelle vient-elle de la lumière intellectuelle. Pour ce qui concerne l’enlèvement de la privation, il y a donc la purification ; pour ce qui est de l’arrivée de la lumière, il y a l’illumination ; mais pour ce qui est de la connaissance qui en découle, vers laquelle la lumière dirige comme vers une fin ultime, il y a la perfection. C’est ainsi que Denys parle des perfections, selon la tradition des saints enseignements.

 

[4226] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod purgatio a culpa est per gratiam; sed a nescientia est per lumen doctrinae: et hoc etiam ab alio esse potest quam a Deo.

1. La purification de la faute se réalise par la grâce ; mais celle de l’ignorance se réalise par la lumière de l’enseignement. Et cela peut aussi se réaliser par un autre que Dieu.

 

[4227] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod purgatio quae est in Angelis, non est ab immunditia, sed a dissimilitudinis confusione, ut dicitur in 3 Caelest. Hierar.: vel a nescientia, ut dicitur in 6 cap. Caelest. Hier., et haec duo in idem redeunt; confusio enim intellectus est ex hoc quod est in potentia respectu plurium; et in hoc dissimilis est a primo intellectu, scilicet divino, cui nulla possibilitas admiscetur. Per lumen ergo receptum a Deo mediante superiori Angelo, liberatur intellectus angelicus ab hac dissimilitudinis confusione, inquantum terminatur ad unum; cui fortius inhaeret, quanto magis medium cognitionis efficax est: sicut patet in eo qui nescit quam partem contradictionis eligat; sed intento medio probabili, magis ad unam flectitur; sed addito medio demonstrativo, firmatur in illo.

2. La purification qui existe chez les anges n’est pas celle de l’impureté, mais celle du trouble de la ressemblance, comme il est dit dans La hiérarchie céleste, III, ou celle de l’ignorance, comme il est dit dans La hiérarchie céleste, VI. Et ces deux choses reviennent au même. En effet, le trouble de l’intelligence consiste en ce qu’elle se trouve en puissance vis-à-vis de plusieurs choses ; en cela, il est dissemblable à l’intelligence première, Dieu, auquel aucune puissance n’est mêlée. Donc, par la lumière reçue de Dieu par l’intermédiaire d’un ange supérieur, l’intelligence angélique est libérée de ce trouble de la dissemblance dans la mesure où elle se détermine à une seule chose, à laquelle elle adhère d’autant plus fortement que le moyen de sa connaissance est plus efficace, comme cela ressort chez celui qui ne sait quelle partie d’une contradiction choisir, mais, au vu d’une mineure probable, penche vers l’une ; mais, en ajoutant une mineure démonstrative, il est confirmé en elle.

 

[4228] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 3 Ad illud quod postea de illuminatione quaeritur, dicendum, quod circa hoc contrarie quidam opinati sunt. Quidam enim dixerunt, Angelos inferiores nunquam essentiam Dei videre; sed per illuminationem superiorum, qui eum immediate vident, Dei notitiam capere: cui obviat quod dicitur Matth. 18, 10: Angeli eorum semper vident faciem patris mei; ubi loquitur de Angelis inferioris ordinis, hominibus ad custodiam deputatis. Alii vero e contrario dicunt, Angelos omnes immediate a Deo illuminationem recipere, negantes inferiores a superioribus illuminari, et negantes totum hoc quod Dionysius de Angelis tradit auctoritatibus sacrae Scripturae probatum, et consonum philosophorum doctrinae. Unde mediam viam eligentes, dicimus, omnes quidem Angelos essentiam divinam immediate videre, ex quo beati sunt; sed non est necessarium quod qui videt causam, videat omnes ejus effectus, nisi ipsam secundum totam potentiam comprehendat; sicut Deus seipsum comprehendens, omnia cognoscit; aliorum autem qui ipsum videndo non comprehendunt, unusquisque tanto plura in eo cognoscit, quanto ipsum plenius capit fruitione gloriae; sicut etiam ex principiis speculativis qui melioris intellectus est, plures conclusiones elicere potest. Unde in his divinis effectibus pertinentibus ad statum naturae vel gratiae, quae per Angelorum officia dispensantur, superiores inferiores illuminant et instruunt, ut expresse habetur in 7 Caelest. Hier., et in principio 4 de divinis nominibus. Quod ergo tertio objicitur, quod mentem solus Deus formare potest, dicendum, quod verum est justificando per gratiam; sed de hac formatione nihil ad praesens.

3. Pour les questions qu’on pose ensuite sur l’illumination, il faut dire que certains ont eu des opinions contraires. En effet, certains ont dit que les anges inférieurs ne voient jamais l’essence de Dieu, mais que, par l’illumination des anges supérieurs, qui le voient de manière immédiate, ils acquièrent une connaissance de Dieu. À cela s’oppose ce qui est dit en Mt 18, 10 : Leurs anges voient toujours le visage de mon Père ; il est question là des anges d’un ordre inférieur, assignés à la garde des hommes. Mais d’autres disent, au contraire, que tous les anges reçoivent immédiatement de Dieu l’illumination, en niant que les inférieurs soient illuminés par les supérieurs et en niant tout ce que Denys enseigne et qui est prouvé par des autorités de la Sainte Écriture et s’accorde avec l’enseignement des philosophes. Choisissant une voie moyenne, nous disons donc que tous les anges voient immédiatement l’essence divine, par quoi ils sont bienheureux ; mais il n’est pas nécessaire que celui qui voit la cause en voit tous les effets, à moins de la comprendre selon toute sa puissance. Ainsi Dieu se connaît lui-même et il connaît toutes choses ; parmi ceux qui ne le « comprennent » (non comprehendunt) pas en le voyant, chacun connaît d’autant plus de choses en lui qu’il le saisit davantage par la jouissance de la gloire. Ainsi, à partir de principes spéculatifs, celui qui a une meilleure intelligence peut tirer davantage de conclusions. Pour les effets se rapportant à l’état de la nature ou de la grâce, qui sont dispensés par les fonctions des anges, les anges supérieurs illuminent donc et enseignent les anges inférieurs, comme on le lit explicitement dans La hiérarchie céleste, VII, et au début des Noms divins, IV. Quant à ce qui est objecté en troisième lieu, que seul Dieu peut donner forme à l’esprit, il faut dire que cela est vrai dans la justification par la grâce ; mais il ne s’agit nullement d’une telle transformation.

 

[4229] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in actionibus naturalibus inferius agens non habet efficaciam in productione effectus nisi per virtutem agentis primi, quae vehementius imprimit in effectum; ita etiam in intellectualibus inferior illuminans nihil potest efficere nisi per virtutem primi illuminantis: et propter hoc ipse Deus est qui omnes docet; nec tamen excluditur ab aliis illuminatio, sicut nec ab agentibus naturalibus naturalis actio. Vel dicendum quod docere proprie dicitur qui in cognitionem rei ducit. Sicut autem in cognitionem coloris sensibilem pervenit homo ex duobus, scilicet ex visibili objecto, et ex lumine sub quo videtur (unde et uterque dicitur demonstrare rem, scilicet qui lumen praeparat, et qui objectum repraesentat) ita etiam ad cognitionem intellectualem duo exiguntur; scilicet ipsum intelligibile, et lumen per quod videtur; et ideo dupliciter dicitur aliquis docere; vel sicut proponens intelligibile, vel sicut praebens lumen ad intelligendum. Hoc autem lumen est duplex. Unum intrinsecum vel connaturale intellectui, cui similatur lumen quod est de compositione oculi; et per collationem hujus luminis solus Deus docere dicitur. Secundum lumen est superveniens ad confortationem connaturalis luminis, cui similatur in visu corporali lumen solis vel candelae; et sic potest Angelus alium Angelum vel etiam hominem illuminare ad aliquid cognoscendum. Non autem homo sic docere potest, cum in eo lumen intellectuale debilissime recipiatur. Quidam tamen dicunt, quod nullo modo Angelus docet sicut lumen praebens: quod expresse dictis Dionysii, contrariari videtur. Similiter etiam intelligibile duplex est. Unum ad quod intelligendum sufficit intellectus alicujus hominis, dummodo sibi considerandum proponatur; unde et ipse proponens docere dicitur quasi in cognitionem ducens, sicut in visu corporali monstrat rem qui eam coram oculis ponit. Aliud est ad cujus cognitionem non sufficit intellectus discipuli, nisi in hoc manuducatur per aliquid sibi notum: unde et qui hoc magis notum sibi proponit, docere eum dicitur. Hujus simile est in visu corporali in hoc quod aliquis alicui rem a longe apparentem digito monstrat; et his duobus modis homo docere dicitur; et haec doctrina est non per modum illuminationis, sed per modum locutionis.

4. De même que, dans les actions naturelles, l’agent n’exerce son efficacité dans la production de l’effet que par la puissance du premier agent, qui exerce une plus forte influence en vue de l’effet, de même aussi, dans les actions intellectuelles, l’inférieur qui illumine ne peut rien faire que par la puissance du premier qui illumine. Pour cette raison, c’est Dieu lui-même qui enseigne tous ; une illumination n’est cependant pas exclue pour les autres, comme ne l’est pas l’action naturelle par les agents naturels. Ou bien il faut dire qu’au sens propre, enseigne celui qui mène à la connaissance d’une chose. Mais, de même que l’homme parvient à la connaissance de la couleur sensible par deux choses : par l’objet visible et par la lumière sous laquelle il est vu (c’est ainsi qu’on dit des deux qu’ils montrent une chose : celui qui prépare la lumière et celui qui représente l’objet), de même aussi deux choses sont requises pour la connaissance intellectuelle : l’intelligible lui-même, et la lumière par laquelle il est vu. C’est pourquoi on dit de quelqu’un qu’il enseigne de deux manières : en proposant l’intelligible, ou en fournissant la lumière pour intelliger. Or, cette lumière est double. L’une est intrinsèque ou connaturelle à l’intelligence, qui ressemble à la lumière qui fait partie de la composition de l’œil : en donnant cette lumière, on dit de Dieu seul qu’il enseigne. La seconde lumière s’ajoute pour renforcer la lumière connaturelle : à elle ressemble, dans la vision de l’œil, la lumière du soleil ou d’une bougie. C’est ainsi que l’ange peut illuminer un autre ange ou même un homme pour qu’il connaisse quelque chose. Mais l’homme ne peut enseigner de cette manière, car la lumière intellectuelle est très faiblement reçue en lui. Toutefois, certains disent que l’ange n’enseigne d’aucune manière en fournissant une lumière, ce qui semble contredire explicitement ce que dit Denys. De la même manière, l’intelligible est double. L’un, que l’intellect d’un homme suffit à connaître, pourvu qu’il soit proposé à sa considération. Aussi dit-on que celui qui propose enseigne, en conduisant pour ainsi dire à la connaissance, comme, pour la vision corporelle, celui qui place une chose devant les yeux la montre. L’autre [intelligible], à la connaissance duquel ne suffit pas l’intelligence du disciple, à moins qu’il n’y soit mené par quelque chose qui lui est connu. C’est ainsi qu’on dit de celui qui lui propose ce qui est plus connu qu’il l’enseigne. La même chose existe dans la vision corporelle lorsque quelqu’un montre du doigt à quelqu’un une chose lointaine. On dit ainsi que l’homme enseigne de ces deux manières, et cet enseignement ne se réalise pas par mode d’illumination, mais par mode de parole.

 

[4230] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis Deum omnes videant, non tamen ipsum comprehendunt; et ideo non oportet quod omnia omnes in ipso cognoscant: et propter hoc non removetur quin unus Angelus, qui aliquid in verbo Dei cognoscit, possit quantum ad hoc alium illuminare Angelum qui hoc in verbo Dei non cognoscit.

5. Bien que tous voient Dieu, ils ne le « comprennent » cependant pas. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que tous connaissent tout en lui. Pour cette raison, on n’écarte pas qu’un ange, qui connaît quelque chose dans le Verbe de Dieu, puisse sur ce point illuminer un ange qui ne connaît pas cela dans le Verbe.

 

[4231] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut in corporalibus illud quod est in actu, agit per hoc quod educit potentiam patientis in actum; ita etiam cum intellectus inferioris Angeli sit in potentia respectu quorumdam, poterit per superiorem Angelum, qui est in perfectiori actu, reduci in actum similem, non per creationem alicujus novi luminis, nec per hoc quod idem numero lumen quod est in superiori, recipitur ab inferiori. Nec oportet esse aliquod medium deferens virtutem agentis: quia in eis falso imaginatur quis distantiam situalem, sed quod est in corporibus situs, hoc est in spiritualibus ordo, secundum Augustinum.

6. De même que, pour les réalités corporelles, ce qui est en acte agit en amenant à l’acte la puissance de ce qui subit, de même aussi, puisque l’intelligence d’un ange inférieur est en puissance par rapport à certaines choses, pourra-t-il être amené à un acte semblable par un ange supérieur, qui est plus parfaitement en acte, non pas par création d’une nouvelle lumière, ni par le fait que la même lumière qui se trouve chez l’ange supérieur est reçue par l’ange inférieur. Et il n’est pas nécessaire qu’il y ait un intermédiaire qui porte la puissance de l’agent, car on imagine faussement pour eux une distance de site, mais ce qu’est le site pour les corps, l’ordre l’est pour les réalités spirituelles, selon Augustin.

 

[4232] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod perfectio hic dicitur illud ad quod terminatur motus illuminationis; non autem perfectio gloriae vel naturae.

7. On appelle ici perfection ce à quoi se termine le mouvement d’illumination, non la perfection de la gloire ou de la nature.

 

[4233] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod istae tres actiones quandoque conjunguntur, et ideo non differunt nisi secundum rationem: quia omnis perfectio in hoc quod perficit, illuminat et purgat, et omnis illuminans purgat; sed non convertitur, ut patet praecipue in nostra hierarchia secundum Dionysium: non enim quamlibet purgationem sequitur luminis receptio, sed perfectam: et similiter non quamlibet illuminationem sequitur perfectio cognitionis, sed consummatam.

8. Ces trois actions sont unies ; aussi ne diffèrent-elles que selon la raison, car toute perfection, par cela même qu’elle parfait, illumine et purifie, et tout ce qui illumine purifie, mais non l’inverse, comme cela ressort principalement dans notre hiérarchie, selon Denys. En effet, la réception de la lumière ne découle pas de toute purification, mais d’une [purification] parfaite. De même, la perfection de la connaissance ne découle pas de toute illumination, mais d’une [illumination] achevée.

 

 

 

 

Articulus 3 [4234] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 tit. Utrum hierarchia angelica dividatur convenienter in tres hierarchias et novem ordines

Article 3 – La hiérarchie angélique est-elle divisée de manière appropriée en trois hiérarchies et neuf ordres ?

 

[4235] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod inconvenienter dividatur angelica hierarchia in tres hierarchias, et in novem ordines. Aut enim illa divisio est per divisionem totius integralis in partes, vel generis in species. Primo modo non dividitur, quia definitio communis non conveniret partibus, sicut definitio domus non convenit parieti: nec item per modum generis, quia non omnes ordines aequaliter se habent ad participandum rationem hierarchiae. Ergo videtur quod nullo modo possit esse competens divisio.

1. Il semble que la hiérarchie angélique soit divisée de manière inappropriée en trois hiérarchies et neuf ordres. En effet, soit cette division est la division d’un tout intégral en ses parties, soit celle d’un genre en ses espèces. Elle n’est pas divisée de la première manière, car la définition commune ne conviendrait pas aux parties, comme la définition de la maison ne convient pas au mur ; elle ne l’est pas non plus à la manière d’un genre, car tous les ordres ne participent pas également à la raison de hiérarchie. Il semble donc que d’aucune manière ce ne puisse être une division appropriée.

 

[4236] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, quanto aliquid est propinquius uni primo, tanto est minoris multiplicationis. Sed hierarchia angelica media est inter nos et Deum, ut in 4 cap. Caelest. Hier. dicitur. Ergo cum hominum sit tantum una hierarchia, videtur quod Angelorum non sint tres hierarchiae.

2. Plus une chose est proche d’un premier, moins il y a de multiplication. Or, la hiérarchie angélique est intermédiaire entre nous et Dieu, comme le dit La hiérarchie céleste, IV. Puisqu’il n’y a qu’une seule hiérarchie pour les hommes, il semble donc qu’il n’y ait pas trois hiérachies pour les anges.

 

[4237] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, superius et inferius in Angelis non est secundum diversam proportionem et receptionem divinorum. Sed ordines se habent sicut superius et inferius. Ergo videtur quod sit in eis diversa proportio ad receptionem divinorum. Sed similiter hierarchiae se habent secundum superius et inferius. Ergo videtur quod eadem sit ratio distinguendi ordines et hierarchias.

3. « Supérieur » et « inférieur » chez les anges ne viennent pas d’une proportion différente et d’une réception de réalités divines. Or, les ordres se présentent en termes de supérieur et d’inférieur. Il semble donc qu’existe en eux une proportion différente par rapport à la réception des réalités divines. Or, les hiérarchies se présentent de même en termes de supérieur et d’inférieur. Il semble donc que la raison de distinguer les ordres et les hiérarchies soit la même.

 

[4238] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, ratio hierarchiae consistit in ordine potestatis. Sed potestates determinantur per actus. Cum ergo ratio hierarchica sit triplex, ut dictum est, videtur quod sint tantum tres ordines caelestis hierarchiae.

4. La raison d’une hiérarchie consiste dans l’ordre d’un pouvoir. Or, les pouvoirs sont déterminés par les actes. Puisque la raison hiérarchique est triple, ainsi qu’on l’a dit, il semble donc qu’il n’y ait que trois ordres de la hiérarchie céleste.

 

[4239] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, ecclesiastica hierarchia exemplata est a caelesti, secundum Dionysium. Sed in ecclesiastica hierarchia, secundum eumdem, sunt tantum tres ordines. Ergo videtur quod similiter in caelesti.

5. La hiérarchie ecclésiastique a comme modèle la [hiérarchie] céleste, selon Denys. Or, dans la hiérarchie ecclésiastique, il n’y a que trois ordres, selon le même. Il semble donc qu’il en soit de même pour la [hiérarchie] céleste.

 

[4240] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, unitas ordinis est, ut in littera dicitur, ex hoc quod multi spiritus conveniunt in uno munere gratiae. Sed dona spiritus sancti sunt septem, ut habetur Isa. 11. Ergo videtur quod sunt tantum septem ordines Angelorum.

6. L’unité d’ordre, comme le dit le texte, vient de ce que plusieurs esprits ont en commun un seul don de la grâce. Or, les dons de l’Esprit Saint sont au nombre de sept, comme on le lit en Is 11. Il semble donc qu’il n’y ait que sept ordres des anges.

 

[4241] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, videtur esse diversitas in distinctione hierarchiarum secundum Gregorium et Dionysium: quia Dionysius ponit virtutes medium ordinem secundae hierarchiae, et principatus primum tertiae hierarchiae, Gregorius autem e converso: et quaeritur ratio hujus.

7. Il semble qu’il y ait une différence dans la distinction des hiérarchies chez Grégoire et chez Denys, car Denys présente les Vertus comme l’ordre intermédiaire de la deuxième hiérarchie, et les Principautés comme le premier de la troisième hiérarchie, mais Grégoire fait le contraire. On en cherche donc la raison.

 

[4242] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod in Angelis invenitur triplex distinctio: una est hierarchiarum ad invicem; secunda est ordinum in eadem hierarchia; tertia est personarum ejusdem ordinis: et quaelibet illarum sumitur secundum diversam proportionem ad receptionem divini luminis. Diversitas enim hierarchiarum est secundum diversum modum recipiendi divinas illuminationes; diversitas vero ordinum est secundum diversos actus quos divinum lumen perficit secundum perfectius et minus perfectum; diversitas vero personarum unius ordinis est secundum diversam virtutem in executione actus minus vel magis efficaci: verbi gratia: nostra hierarchia distinguitur ab angelica in hoc quod nostra perficitur divino lumine velato per similitudines sensibiles tam in sacramentis quam in metaphoris Scripturarum; sed angelica perficitur lumine simplici et absoluto: et cum dictus modus sit communis omnibus qui sunt in nostra hierarchia, tamen eorum sunt diversi actus, secundum quos diversi ordines distinguuntur. Alius enim est actus sacerdotum et diaconorum; et in exercitio cujuslibet horum actuum quidam sunt aliis magis idonei. Angeli autem omnes, quamvis in hoc modo conveniant quod sine inquisitionis discursu et sine velamine figurarum, divinum lumen recipiunt; tamen differunt in hoc quod quidam eorum recipiunt in majori universalitate quam alii; unde superiores dicuntur habere scientiam magis universalem, ut dictum est. Hoc autem non potest nisi tripliciter variari. Aut enim cognitionem divinorum effectuum recipiunt in ipsa causa prima universali; et hic modus est proprius primae hierarchiae, quae est proportionata ad recipiendum illuminationes in ipso fulgore divini luminis; et propter hoc dicuntur circa Deum esse, ut omnes ordines ejus denominentur ab operatione circa Deum. Aut cognoscunt res in universalibus rerum rationibus; et hic est modus secundae hierarchiae: et ideo Angelorum hujus hierarchiae est accipere perfectionem cognitionis per illuminationem primae hierarchiae, in qua sunt formae maxime universales; et propter hoc ordines hujus hierarchiae non denominantur ab operibus circa Deum, sed nominibus pertinentibus ad potestatem operandi in res, inquantum formae per quas cognoscunt, sunt operativae ad minus respectu effectuum, in quibus Deo ministrant: et quia istae formae sunt universales, nominantur a potestate non limitata vel determinata ad aliquem vel ad aliquos. Aut cognoscunt res in propriis rationibus: et hic est modus ultimae hierarchiae, in qua sunt formae particulares et proportionatae ut ab eis recipiantur in intellectus nostros: propter quod dicuntur Angeli hierarchiae tertiae accipere divinum lumen, secundum convenientiam hierarchiae nostrae; et inde est quod ordines tertiae hierarchiae denominantur ab actibus limitatis circa unum hominem, vel unam provinciam. Hujus autem simile potest videri in terrenis principatibus: quia ministrorum qui sunt sub uno rege, quidam operantur immediate circa personam regis, quasi cubicularii et consiliarii et assessores; et hoc competit primae hierarchiae respectu Dei. Quidam vero habent officia ad regimen regni in communi, non deputati huic vel illi provinciae, ut domini regalis curiae, et principes militiae, et judices curiae, et hujusmodi: et his similes sunt Angeli secundae hierarchiae. Quidam vero praeponuntur ad regimen alicujus partis regni, ut praepositi et balivi, et hujusmodi officiales minores: et his similes sunt ordines tertiae hierarchiae. Et sic patet definitio trium hierarchiarum. Ordinum autem primae hierarchiae sic potest accipi numerus et distinctio, secundum tres actus fruitionis quibus anima Deo fruitur: quorum unus est comprehendere vel tenere, quo perficitur memoria; et secundum hoc accipitur ordo thronorum, quia in eis sedet Deus et quiescit, dum eos in se quiescere facit. Alius actus est videre, quo perficitur intellectiva; et secundum hoc accipitur ordo Cherubim, qui interpretatur plenitudo scientiae. Alius actus est amare, quo perficitur voluntas, et secundum hoc accipitur ordo Seraphim, qui interpretatur ardens vel incendens: et quia in hoc actu est completissima unio ad Deum, ex eo quod amor facit interiora amati penetrari; ideo ordo Seraphim est primus: secundus Cherubim, propter unitatem assimilationis, in qua completur scientia in actu; tertius est thronorum, quia in sessione importatur unio secundum contactum solum. Ordinum vero secundae hierarchiae sic potest accipi divisio et numerus: quia regimen alicujus communitatis est secundum hoc quod ordinate et pacifice bonum commune dispensatur. Hic autem ordo pacis disponitur tribus: scilicet aliquo sententiante quid unicuique debeatur; et ad hoc est ordo potestatum, unde dicuntur arcere aereas potestates; et hic non est ultimus finis, sed quietem et utilitatem bonorum dispensare, sicut potestas saecularis suspendit latronem ad pacem civitatis. Sed sententia debet esse efficax et recta: sed ad hoc ut sit efficax, indiget aliquo adjuvante et propugnante, ut nihil sit impossibile exequi quod per sententiam determinatur; et ad hoc est ordo virtutum, quae attingunt ultimum in operandis omnibus difficilibus pertinentibus ad ministeria divina; et ideo attribuitur eis miracula facere: quia obviare legibus naturae, est arduissimum. Ad hoc autem quod sit recta, indiget aliquo dirigente et imperante; et ad hoc ordo dominationum est, ad quem pertinet dirigere in omnibus ministeriis divinis, sicut architector in mechanicis, qui etiam est praeceptivus; et ideo hic ordo est primus secundae hierarchiae, quia ab ipso dirigitur et imperatur quidquid in ministeriis divinis per Angelos agitur; et secundus est ordo virtutum, a quibus actus potestatum efficaciam habet, sicut et leges saeculares oportet esse armatas, ut habeant vim coactivam. Ordinum autem tertiae hierarchiae sic numerus et ordo accipitur: quia cum habeant potestatem limitatam, oportet quod actus eorum vel limitentur ad unam provinciam, vel ad unum hominem. Si ad unam provinciam, sic est ordo principatuum, ut princeps Persarum, qui praeerat Persis, de quo habetur Daniel. 10. Si autem limitatur ad unum hominem, aut est de his quae pertinent ad ipsum tantum; et sic est ordo Angelorum, unde dicuntur minima nuntiare, quorum est etiam singulos custodire: aut de his quae pertinent ad bonum multorum, quae explentur per actum unius singularis personae; et ad hoc est ordo Archangelorum, sicut Gabriel qui nuntiavit nativitatem Christi, et Joannis Baptistae; et ideo nomen eorum compositum est ex duobus ordinibus extremis: dicuntur enim Archangeli, quasi principes Angeli: et propter hoc etiam dicuntur majora nuntiare, quia bonum gentis est divinius quam bonum unius hominis, secundum philosophum. Numerus autem eorum qui sunt in unoquoque ordine, ignotus est nobis.

Réponse. Chez les anges, on trouve une triple distinction : l’une, entre les hiérarchies l’une par rapport à l’autre ; la deuxième est la distinction des ordres à l’intérieur d’une même hiérarchie ; la troisième est celle entre les personnes du même ordre. Chacune d’entre elles est tirée d’une proportion différente par rapport à la réception de la lumière divine. En effet, la diversité des hiérarchies vient de la manière différente de recevoir les illuminations divines ; mais la diversité des ordres vient des divers actes que la lumière divine accomplit de manière plus ou moins parfaite. Toutefois, la diversité des personnes d’un seul ordre vient d’une puissance différente dans l’accomplissement d’un acte plus ou moins efficace. Par exemple, notre hiérarchie se distingue de la [hiérarchie] angélique par le fait que la nôtre est perfectionnée par la lumière divine voilée par des ressemblances sensibles, aussi bien dans les sacrements que dans les métaphores des Écritures ; mais la [hiérarchie] angélique est perfectionnée par une lumière simple et absolue. Alors que le mode indiqué est commun à tous ceux qui sont dans notre hiérarchie, ils ont cependant divers actes, selon lesquels les divers ordres se distinguent. En effet, l’acte des prêtres et des diacres est différent et, dans l’exercice de chacun de ces actes, certains sont plus aptes que d’autres. Mais tous les anges, bien qu’ils aient en commun de recevoir la lumière divine sans une démarche de recherche et sans le voile des figures, diffèrent cependant en ce que certains la reçoivent avec une plus grande universalité que d’autres. Aussi dit-on que les [anges] supérieurs ont une science plus universelle, ainsi qu’on l’a dit. Or, cela ne peut varier que de trois manières. En effet, soit ils reçoivent la connaissance des effets divins dans la cause première universelle elle-même : ce mode est propre à la première hiérarchie, qui est proportionnée à recevoir des illuminations dans l’éclair même de la lumière divine. Pour cette raison, on dit qu’ils entourent Dieu, de sorte que tous leurs ordres sont nommés d’après une opération portant sur Dieu. Soit ils connaissent les choses dans les raisons universelles des choses : tel est le mode de la deuxième hiérarchie. C’est pourquoi il revient aux anges de cette hiérarchie de recevoir la perfection de la connaissance par une illumination venant de la première hiérarchie, où se trouvent les formes les plus universelles. Pour cette raison, les ordres de cette hiérarchie ne sont pas nommés d’après des actions portant sur Dieu, mais selon des noms se rapportant au pouvoir d’agir sur les choses, pour autant que les formes par lesquelles ils connaissent, agissent au moins sur les effets, ce en quoi ils servent Dieu. Et parce que ces formes sont universelles, elles sont nommées d’après un pouvoir qui n’est pas limité ou déterminé par rapport à l’un ou à quelques-uns. Soit ils connaissent les choses selon leurs raisons propres. Tel est le mode de la dernière hiérarchie, dans laquelle se trouvent des formes particulières et proportionnées pour qu’elles soient reçues dans nos intelligences en venant d’eux. Pour cette raison, on dit que les anges de la troisième hiérarchie reçoivent la lumière divine selon ce qui convient à notre hiérarchie. De là vient de que les ordres de la troisième hiérarchie sont nommés à partir d’actes limités à un seul homme ou à une seule province. Òn peut voir la même chose pour les gouvernements terrestres, car, parmi les ministres placés sous un seul roi, certains agissent directement sur la personne du roi, comme les camériers, les conseillers et les assesseurs, et cela convient à la première hiérarchie par rapport à Dieu. Mais certains ont des fonctions pour gouverner le royaume dans son ensemble, sans être assignés à telle ou telle province, comme les seigneurs de la cour royale, les chefs de l’armée, les juges de la cour et ceux de ce genre. Ceux-là ressemblent aux anges de la deuxième hiérarchie. Mais certains sont placés à la tête du gouvernement d’une partie du royaume, comme les prévôts, les baillis et les officiers mineurs de ce genre. C’est à eux que ressemblent les ordres de la troisième hiérarchie [céleste]. Ainsi ressort la définition des trois hiérarchies. Mais le nombre et la distinction des ordres de la première hiérarchie peuvent être compris selon les trois actions par lesquelles l’âme jouit de Dieu. L’une est l’action de comprendre ou de retenir, par laquelle s’accomplit la mémoire ; on a ainsi l’ordre des Trônes, car Dieu est assis et se repose en eux, alors qu’Il les fait se reposer en eux. L’autre action est celle de voir, par laquelle se réalise l’intelligence ; on a ainsi l’ordre des Chérubins, dont la signification est « plénitude de science ». L’autre action est celle d’aimer, en laquelle s’accomplit la volonté ; on a ainsi l’ordre des Séraphins, dont la signification est « flambant » ou « brûlant ». Et parce que l’union la plus complète à Dieu se réalise par cette action, du fait que l’amour fait pénétrer l’intimité de celui qui est aimé, l’ordre des Séraphins est donc le premier ; le deuxième est celui des Chérubins, en raison de l’unité par la ressemblance, en laquelle s’accomplit la science en acte ; le troisième est celui des Trônes, car la position assise comporte l’union par contact seulement. Mais la division et le nombre des ordres de la deuxième hiérarchie peuvent être compris de cette manière. Le gouvernement d’une communauté se réalise par le fait que le bien commun est administré de manière ordonné et dans la paix. Or, cet ordre de la paix se réalise par trois choses. Par quelqu’un qui décide ce qui est dû à chacun : c’est le rôle de l’ordre des Puissances ; c’est pourquoi on dit qu’elles retiennent les puissances aériennes. Ce n’est pas ici la fin ultime, mais la dispensation du repos et de l’usage des biens, de la même manière que le pouvoir séculier pend un voleur en vue de la paix de la cité. Mais la sentence doit être efficace et droite. Pour être efficace, elle a besoin de quelqu’un qui l’aide et combatte pour elle, afin que rien ne soit impossible à exécuter de ce qui est déterminé par la sentence. C’est le rôle des Vertus, qui atteignent la perfection dans l’accomplissement de toutes les choses difficiles se rapportant aux fonctions divines ; aussi l’accomplissement des miracles leur est-il attribué, car aller à l’encontre les lois de la nature est très difficile. Pour être droite, elle a besoin de quelqu’un qui dirige et commande : c’est le rôle des Dominations, de qui il relève de diriger dans tous les ministères divins, comme l’architecte dans les [arts] mécaniques, qui exerce aussi le commandement. Aussi cet ordre est-il le premier de la deuxième hiérarchie, car tout ce qui est accompli et commandé dans les ministères divins est exécuté par [ces] anges. Le deuxième est l’ordre des Vertus, dont les actions des Puissances tiennent leur efficacité, de la même manière que les lois séculières doivent être armées pour avoir une force coercitive. Le nombre et l’ordre des ordres de la troisième hiérarchie se comprennent de la manière suivante. Puisqu’ils ont un pouvoir limité, il est nécessaire que leurs actions soient ou bien limitées à une seule seule province ou à un seul homme. Si c’est à une seule province, on a alors l’ordre des Principautés, comme le prince des Perses, qui était à la tête de la Perse, dont parle Dn 10. Mais si c’est à un homme, ou bien il s’occupe uniquement de ce qui le concerne : on a alors l’ordre des Anges. On dit ainsi qu’ils annoncent les plus petites choses ; il relève aussi d’eux de garder les individus. Ou bien il s’occupe de ce qui concerne le bien de plusieurs, qui s’accomplit par l’action d’une seule personne : on a ainsi l’ordre des Archanges, comme Gabriel qui a annoncé la naissance du Christ et de Jean-Baptiste. C’est pourquoi leur nom est composé des deux derniers ordres. En effet, on les appelle Archanges en tant que princes des anges ; pour cette raison, on dit qu’ils annoncent les choses plus importantes, car le bien d’une nation est plus divin que le bien d’un seul homme, selon le Philosophe. Mais le nombre de ceux qui se trouvent dans chaque ordre nous est inconnu.

 

[4243] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod divisio hierarchiae in ordines est totius potestativi in partes potentiales, sicut anima dividitur in suas potentias: et hoc totum est quasi medium inter totum universale et integrale. Universale enim est secundum essentiam et completam virtutem in qualibet sua parte, unde de omnibus aequaliter praedicatur; sed integrale nec est secundum essentiam nec secundum virtutem totam in unaquaque suarum partium, et ideo nullo modo de parte praedicatur; sed totum potentiale adest quidem secundum essentiam cuilibet parti, sed secundum completam virtutem est in parte suprema, quia semper superior potentia habet in se completius ea quae sunt inferioris: et ista est comparatio hierarchiae ad ordines.

1. La division d’une hiérarchie en ordres est celle d’un tout potentiel en ses parties potentielles, comme l’âme est divisée en ses puissances : ce tout est intermédiaire entre un tout universel et un tout intégral. En effet, le [tout] universel concerne l’essence et la puissance entière en chacune de leurs parties ; aussi est-il prédiqué également de toutes. Mais le [tout] intégral ne concerne pas l’essence ni la puissance entière en chacune de leurs parties. Aussi n’est-il d’aucune manière prédiqué d’une partie. Mais le tout potentiel est présent selon l’essence dans chacune des parties, quoique, selon sa puissance entière, dans la partie suprême, car la puissance supérieure possède toujours en elle-même de manière plus complète ce qui appartient à la [puissance] inférieure. Telle est la comparaison entre la hiérarchie et les ordres.

 

[4244] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnes homines sunt unius speciei; et ideo in omnibus est unus modus communis recipiendi divinas illuminationes, et propter hoc omnium est hierarchia una. Sed Angeli sunt diversarum specierum; et propter hoc in diversis hierarchiis ordinantur secundum diversum modum receptionis, ut dictum est. Sed verum est quod quaelibet natura in Angelis est magis una et simplex quam natura humana, quae est ultima natura intellectualis.

2. Tous les hommes font partie d’une seule espèce. C’est pourquoi il existe chez tous un mode commun de recevoir les illuminations divines. Pour cette raison, il n’existe qu’une seule hiérarchie pour tous. Mais les anges ont des espèces différentes ; pour cette raison, ils sont ordonnés en diverses hiérarchies selon un mode différent de réception [des illuminations divines], comme on l’a dit. Mais il est vrai que n’importe quelle nature chez les anges est davantage une et simple que la nature humaine, qui est la dernière nature intellectuelle.

 

[4245] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 3 Et per hoc patet responsio ad tertium: quia sicut humanae hierarchiae sunt tres ordines, secundum Dionysium, ita et cujuslibet caelestis; unde secundum tres hierarchias sunt novem ordines, ut sic in omnibus Trinitatis similitudo reluceat, secundum principium, medium et finem.

3. De même qu’il existe trois ordres dans la hiérarchie humaine, selon Denys, de même en est-il pour toutes les [hiérarchies] célestes. Aussi y a-t-il neuf ordres en trois hiérarchies, afin que la ressemblance de la Trinité se refléte en tous, selon un principe, un milieu et une fin.

 

[4246] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in nostra hierarchia distinguuntur ordines secundum tres actiones hierarchicas: quia ministrorum est purgare, sacerdotum illuminare simul et purgare; sed episcoporum perficere. Talis autem distinctio non potest esse in caelesti hierarchia: quia minimus ordo Angelorum est superior supremo ordine nostrae hierarchiae: unde potest et perficere et illuminare et purgare.

4. Dans notre hiérarchie, les ordres se distinguent selon trois actions hiérarchiques, car il revient aux ministres de purifier, aux prêtres d’illuminer et de purifier, et aux évêques de perfectionner. Mais une telle distinction ne peut exister dans la hiérarchie céleste, car l’ordre inférieur des anges est supérieur à l’ordre le plus élevé de notre hiérarchie. Il peut donc perfectionner, illuminer et purifier.

 

[4247] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod diversitas proportionum potest sumi multipliciter; aut secundum diversum genus proportionis, sicut duplum et sesquialterum; quorum primum est multiplex, secundum superparticulare: alia est enim genere proportio quatuor ad duo, quoniam dupla; et trium ad duo, quoniam sesquialtera: aut secundum diversas species ejusdem generis, sicut duplum et triplum; quorum est unum genus proportionis, scilicet multiplex: aut secundum diversos numeros in eadem specie proportionis, ut quatuor ad duo, et sex ad tria: et prima diversitas competit distinctioni hierarchiarum, secunda distinctioni ordinum, tertia distinctioni personarum unius ordinis.

5. La diversité des proportions peut se comprendre de plusieurs manières. Soit selon le genre différent de la proportion, comme le double et le double et demi : le premier est multiple, selon quelque chose de très particulier ; l’autre relève du genre de la proportion de quatre à deux, puisqu’elle est double, et de trois à deux, puisqu’elle est double et demi. Soit selon les diverses espèces d’un même genre, comme le double et le triple : l’un est le genre de la proportion, à savoir, un multiple. Soit selon divers nombres à l’intérieur d’une même espèce de proportion, comme quatre par rapport à deux et six par rapport à trois. La première diversité convient à la distinction des hiérarchies, mais la deuxième, à la distinction des ordres, et la troisième, à la distinction des personnes d’une même ordre,

 

[4248] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod dona secundum quae distinguuntur ordines, sunt dona perficientia in actibus hierarchicis, et haec variantur, ut dictum est: dona autem et virtutes perficiunt ad actus personales; et ideo secundum ea ordines non distinguuntur.

6. Les dons selon lesquels se distinguent les ordres sont des dons qui perfectionnent pour les actes hiérarchiques, et ceux-ci varient, comme on l’a dit. Mais les dons et les vertus perfectionnent pour les actes personnels. Aussi les ordres ne se distinguent-ils pas selon [ces dons].

 

[4249] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ordinatio Dionysii est rationabilior; quia ipse distinguit secundam hierarchiam a tertia secundum universale et particulare, non limitatum et limitatum: et ideo virtutes ponit in secunda, et principatus in tertia. Gregorius autem non multum intendit ordinare, sed numerare. Nihilominus ista ordinatio potest sumi secundum actus exteriores et secundum conformitatem ad nostram hierarchiam: et quia in nostra hierarchia habentes praelationem sunt super personas privatas, ideo in secunda hierarchia ordinat illos quorum nomina important officium praelationis, scilicet dominationes, principatus, et potestates: in tertia autem ordines quorum actus sunt etiam personarum privatarum; ut mirabilia facere, quae est virtutum; et nuntiare magna, quod est Archangelorum; et nuntiare parva, quod est Angelorum.

7. L’ordonnancement de Denys est plus raisonnable, car il distingue la deuxième hiérarchie de la troisième selon l’universel et le particulier, selon ce qui n’est pas limité et ce qui est limité ; c’est pourquoi il place les Vertus dans la deuxième [hiérarchie] et les Principautés dans la troisième. Mais Grégoire n’entend pas tellement ordonner, mais énumérer. Néanmoins, cet ordonnancement peut se comprendre selon les actes extérieurs et selon la conformité à notre hiérarchie. Et parce, dans notre hiérarchie, ceux qui ont une position de supériorité sont au-dessus des personnes privées, il situe dans la deuxième hiérarchie ceux dont les noms indiquent une fonction de supériorité : les Dominations, les Principautés et les Puissances ; mais, dans la troisième, les ordres dont les actes sont aussi ceux de personnes privées, comme accomplir des miracles, qui relève des Vertus, annoncer de grandes choses, qui relève des Archanges, et annoncer de petites choses, qui relève des anges.

 

 

 

 

Articulus 4 [4250] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 tit. Utrum nomina Angelorum convenienter distinguantur

Article 4 – Les noms des anges sont-ils distingués de manière appropriée ?

 

[4251] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod nomina Angelorum non convenienter distinguantur. Nomen enim totius non debet parti imponi. Sed ordo est pars hierarchiae. Cum ergo hierarchia sit idem quod sacer principatus, ut dictum est, videtur quod nullus ordo principatus debeat dici.

1. Il semble que les noms des anges ne soient pas distingués de manière appropriée. En effet, il ne convient pas que le nom d’un tout soit attribué à une partie. Or, « ordre » fait partie de « hiérarchie ». Puisque la hiérarchie est la même chose qu’une supériorité sacrée, comme on l’a dit, il semble donc qu’aucun ordre ne doive être appelé Principauté.

 

[4252] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, nomen totius non debet imponi alicui ordini illius naturae. Sed omnes caelestes spiritus Angeli vocantur. Ergo videtur quod ultimus ordo Angelorum non debeat nomine Angelorum vocari.

2. Le nom du tout ne doit pas être attribué à un ordre de cette nature. Or, tous les esprits célestes sont appelés des anges. Il semble donc que le dernier ordre des anges ne doive pas porter le nom d’Anges.

 

[4253] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, illud quod est superioris ordinis, non necessario invenitur in inferiori, quamvis e contrario. Sed nomina respondent rebus. Cum ergo omnes Angeli dicantur caelestes virtutes secundum Dionysium, videtur quod hoc nomine non debeat nominari medius ordo secundae hierarchiae: quia nomina superiorum non sunt inferiorum.

3. Ce qui appartient à un ordre supérieur ne se trouve pas nécessairement dans un ordre inférieur, bien que le contraire soit vrai. Or, les noms correspondent aux choses. Puisque tous les anges sont appelés des puissances célestes, selon Denys, il semble donc que l’ordre intermédiaire de la deuxième hiérarchie ne doive pas porter ce nom, car les noms des réalités supérieures n’appartiennent pas aux réalités inférieures.

 

[4254] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, omnis virtus est media inter essentiam et operationem. Sed nullus ordo vocatur in Angelis nomine essentiae vel operationis. Ergo nec etiam nomine virtutis.

4. Toute puissance est intermédiaire entre l’essence et l’opération. Or, aucun ordre ne porte chez les anges le nom de l’essence ou de l’opération. Il ne porte donc pas non plus le nom de la puissance.

 

[4255] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, per nomina ordinum devenimus in proprietates eorum, secundum Dionysium. Sed nulli Angelo convenit per caritatem inflammare, nec in voluntatem imprimere: quia hoc solius Dei est. Ergo videtur quod inconvenienter dicantur Seraphim incendentes.

5. Par les noms des ordres, nous parvenons aux propriétés des choses, selon Denys. Or, il ne convient à aucun ange d’enflammer par la charité ni d’agir sur la volonté, car cela relève de Dieu seul. Il semble donc inapproprié que les Séraphins soient appelés « brûlants ».

 

[4256] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, ardere caritate, et videre Deum, et tenere ipsum, sunt de substantia beatitudinis. Sed omnes Angeli sunt beati. Ergo nulli ordines debent ab his actibus nominari.

4. Brûler de charité, voir Dieu et le tenir font partie de la béatitude. Or, tous les anges sont bienheureux. Les ordres ne doivent donc en désigner aucun à partir de ces actes.

 

[4257] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 arg. 7 Praeterea, quaeritur, quomodo differant haec tria, Seraph, Seraphin, et Seraphim; et Cherub, Cherubin, et Cherubim.

5. On demande comment se distinguent ces trois choses : Seraph, Seraphin et Seraphim, et Cherub, Cherubin et Cherubim.

 

[4258] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod circa nominationes ordinum attendendum est, quod sicut unusquisque ordo est altior, ita etiam a perfectiori nominatur: et quamvis ea quae sunt superiorum, participentur quodammodo ab inferioribus et e contrario; non tamen debent esse confusa nomina, sed distincta. Ad hoc enim quod aliquod nomen nominet proprie aliquam rem, duo requiruntur: scilicet quod hoc quod significatur per nomen, habeatur perfecte secundum completum actum, et ut sit ultima perfectio ejus: et quia omnis denominatio est a forma, quae dat esse et est principium operationis; ideo Angeli denominantur ab eo quod est in eis loco formae, tamquam a digniori. Verbi gratia, in homine est quaedam participatio intellectus: et quia non habet plenum actum intellectus, ut sine inquisitione et imaginatione intelligere possit, ideo in ordine intellectualium non ponitur. Similiter etiam quamvis sensum habeat secundum completissimam operationem respectu omnium animalium: quia tamen sentire non est secundum ultimam perfectionem ejus, non ponitur in ordine sensitivorum, sed in ordine rationalium: quia rationis actum plene habet, et est actus ejus inquantum est homo. Secundum hoc ergo dico, quod donum superiorum est in inferioribus secundum quamdam participationem, non secundum completum actum: et ideo ab eo non possunt denominari: e contrario vero dona inferiorum sunt in superioribus eminentius; sed in illis actibus non est ultimum complementum eorum, unde ab his non denominantur sicut proprio nomine: et inde est quod dicuntur sibi in denominationibus cedere, ut scilicet superior ordo ab excellentiori actu proprium nomen sortiatur.

Réponse. À propos des noms des ordres, il faut remarquer que plus un ordre est élevé, plus est parfait ce dont il tire son nom. Et bien que les inférieurs participent d’une certaine manière à ce qui qui appartient aux supérieurs, et aussi le contraire, les noms ne doivent cependant pas être mélangés, mais distingués. En effet, pour qu’un nom désigne une chose au sens propre, deux choses sont requises : ce qui est signifié par le nom doit être possédé parfaitement en acte complet, et ce doit être sa perfection ultime. Et parce que tout nom donné vient de la forme, qui donne l’être et est le principe de l’opération, les anges sont donc nommés à partir de ce qui joue chez eux le rôle de forme parce que plus digne. Par exemple, il y a chez l’homme une certaine participation à l’intelligence. Et parce qu’il ne possède pas pleinement l’acte d’intelligence, de sorte qu’il puisse intelliger sans recherche et sans imagination, il n’est donc pas placé dans l’ordre des réalités intellectuelles ; de même encore, bien qu’il possède le sens selon son opération la plus achevée en regard de tous les animaux, parce que sentir ne correspond pas à sa perfection ultime, il n’est pas situé dans l’ordre des réalités sensibles, mais dans l’ordre des réalités raisonnables, car il possède pleinement l’acte de la raison, et cela est son acte en tant qu’il est homme. Conformément à cela, je dis donc que le don des [anges] supérieurs se trouve dans les [anges] inférieurs selon une certaine participation, mais non selon son acte complet ; c’est pourquoi ils n’en portent pas le nom. Mais, en sens contraire, les dons des [anges] inférieurs se trouvent chez les [anges] supérieurs de manière plus éminente ; mais leur achèvement ultime ne consiste dans ces actes. Aussi ne tirent-ils pas d’eux leur nom propre. De là vient qu’on dit d’eux qu’ils tirent leurs noms d’eux-mêmes, c’est-à-dire qu’un ordre supérieur tire son nom propre de son acte le plus éminent.

 

[4259] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod principatus communiter sumptus ad cujuslibet praelationis officium, intelligitur nomine hierarchiae; sed principatus specialiter sumptus ad regimen determinatae provinciae, est nomen unius specialis ordinis.

1. Le nom de « hiérarchie » s’entend d’une dignité, entendue au sens général pour toute fontion comportant une supériorité ; mais, pris au sens spécial de gouvernement d’une province particulière, « principauté » est le nom d’un ordre particulier.

 

[4260] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nomen Angeli designat manifestationem, cum Angelus nuntius dicatur: esse enim manifestativum simpliciter convenit omnibus ordinibus, inquantum scilicet secundum descensum ordinum, lumen intellectuale est in eis minus simplex et magis proportionatum intellectui sequentium; et ideo dicit Dionysius quod semper inferior Angelus manifestat superiorem omnibus sub se ordinatis; et ideo esse manifestativum omnium superiorum respectu nostri est ultimi ordinis: propter quod ultimum ordinem, Angelorum nomine significamus, aliis ordinibus nominatis ab his quae designant excellentiorem modum nuntiandi vel manifestandi; et per hunc modum Angelus est nomen naturae, quia conditionem naturae exprimit. Sed si nuntiare sumatur secundum exterius ministerium quod exercent, sic Angelus est nomen officii, non naturae, ut dicit Gregorius.

2. Le nom « ange » désigne une manifestation, puisqu’on appelle « ange » un messager. En effet, le fait de manifester tout simplement convient à tous les ordres, dans la mesure où, en descendant dans les ordres, la lumière intellectuelle est en eux moins simple et davantage proportionnée à l’intelligence des suivants. C’est pourquoi Denys dit que l’ange inférieur manieste toujours [l’ange] supérieur à tous ceux qui lui sont subordonnés. Ainsi, il revient au dernier ordre de manifester tous les [ordres] supérieurs à nous. Pour cette raison, nous marquons le dernier ordre du nom « anges » par rapport aux autres ordres nommés à partir de ce qui désigne un mode d’annoncer ou de manifester plus éminent. De cette manière, « ange » est un nom de nature parce qu’il exprime la condition d’une nature. Mais si on entend « annoncer » du ministère extérieur qu’ils exercent, « ange » est alors un nom de fonction, et non de nature, comme le dit Grégoire.

 

[4261] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nomen virtutum, secundum quod nominat specialem ordinem, sumitur a speciali dono vel actu, quod est exequi et perficere quidquid est arduum et difficillimum in ministeriis divinis; sed secundum quod convenit omnibus caelestibus spiritibus, sumitur a virtute sequente naturam.

3. Le nom de « Vertus », selon qu’il désigne un ordre particulier, est tiré d’un don ou d’un acte particulier, qui consiste à accomplir et à achever tout ce qui est dur et très difficile dans les fonctions divines ; mais, selon qu’il convient à tous les esprits célestes, il est tiré d’une puissamce découlant de la nature.

 

[4262] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angelorum nomina quaedam sunt communia omnibus ordinibus, quaedam autem propria determinatorum ordinum. Communium autem quaedam sumuntur ab essentia vel aliqua conditione naturali, ut quod dicuntur caelestes essentiae, et Angeli et spiritus et divinae mentes et divini intellectus et caelestes animi; quaedam vero a virtute, ut quod dicuntur caelestes virtutes; quaedam vero ab operatione, ut quod dicuntur Angeli; sed nomina specialium ordinum sumuntur a donis superadditis et officiis consequentibus dona; et ideo nomina specialium ordinum magis possunt aequivocari cum nominibus generalibus quae sumuntur a virtute et ab operatione, quae essentiae superadduntur, quam cum illis quae sumuntur a natura, quae non superadditur sed substernitur.

4. Certains des noms d’anges sont communs à tous les ordres, mais certains sont propres à des ordres déterminés. Certains des noms communs sont tirés de l’essence ou d’une condition naturelle, comme ceux d’essences célestes, d’anges, d’esprits, d’esprits divins, d’intelligences divines et d’esprits célestes. Mais certains [sont tirés] de leur puissance, comme ceux qui sont appelés Vertus célestes ; certains sont par ailleurs tirés de leur opération, comme ceux qui sont appelés Anges. Mais les noms des ordres particucliers sont tirés de dons ajoutés et de fonctions découlant des dons. C’est pourquoi les noms des ordres particuliers peuvent être davantage équivoques par rapport aux noms généraux, qui sont tirés d’une puissance et d’une opération, qui sont ajoutés à l’essence, que par rapport à ceux qui sont tirés de leur nature, qui n’est pas ajoutée mais sous-jacente.

 

[4263] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Seraphim non dicuntur incendentes quasi habitum caritatis influant; sed quia illuminant de his quae ad amorem caritatis pertinent.

5. Les Séraphins ne sont pas appelés « enflammés », comme s’ils donnaient l’habitus de la charité, mais parce qu’ils illuminent sur ce qui se rapporte à l’amour de charité.

 

[4264] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod nomina superiorum ordinum non sumuntur simpliciter ab actibus fruitionis, sed ab excellentia eorum quae tantum in superioribus inveniuntur; quamvis fruitio communis sit omnibus: non enim dicuntur amantes sed ardentes, in quo consummatio caritatis exprimitur: similiter Cherubim non dicuntur simpliciter videntes vel scientes, sed pleni scientia. Unde per istum modum scientiam habere non est commune omnibus, quamvis scientia vel visio omnibus sit communis: et propter hoc non possunt omnes dici Cherubim, ut dicit Dionysius.

6. Les noms des ordres supérieurs ne sont pas tirés simplement des actes de la jouissance, mais de l’excellence de ce qui se trouve seulement chez les [anges] supérieurs. Bien que la jouissance soit commune à tous, on ne dit cependant pas qu’ils sont « aimants », mais « brûlants », pour exprimer ainsi la consommation de la charité. De même, on ne dit pas simplement que les Chérubins « voient » ou « savent », mais [qu’ils voient et savent] selon une connaissance parfaite. Il n’est donc pas commun à tous de posséder la science de cette manière, bien que la science et la vision soient communes à tous. Pour cette raison, tous ne peuvent pas être appelés Chérubins, comme le dit Denys.

 

[4265] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod nomina ista desinentia in in, ut Cherubin, Seraphin, sunt neutri generis, pluralis numeri, et ponuntur pro toto collegio unius ordinis. Desinentia autem in im, sunt masculini generis, et pluralis numeri, et ponuntur pro pluribus personis unius ordinis. Sed Cherub et Seraph sunt masculini generis et singularis numeri, et significant unam personam illius ordinis.

7. Les noms dont la désinence est en –in, comme Chérubin, Séraphin, sont au neutre pluriel, et ils sont donnés à tout le collège d’un seul ordre. Ceux dont la désinence est en – im sont au masculin pluriel, et ils sont donnés à plusieurs personnes d’un seul ordre. Mais Cherub et Seraph sont au masculin singulier, et ils signifient une seule personne de cet ordre.

 

 

 

 

Articulus 5 [4266] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 tit. Utrum omnes Angeli unius ordinis sint aequales

Article 5 – Tous les anges d’un seul ordre sont-ils égaux ?

 

[4267] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod omnes Angeli unius ordinis sint aequales. Major enim est convenientia eorum qui sunt unius ordinis, quam eorum qui sunt unius hierarchiae. Sed Dionysius frequenter vocat aequipotentes eos qui sunt unius hierarchiae. Ergo videtur multo fortius quod illi qui sunt unius ordinis, sint aequales.

1. Il semble que tous les anges d’un seul ordre soient égaux. En effet, ceux qui sont dans un seul ordre ont plus en commun que ceux qui sont dans une seule hiérarchie. Or, Denys dit souvent que ceux qui font partie d’une seule hiérarchie ont un pouvoir égal. Il semble donc qu’à bien plus forte raison ceux qui font partie d’un seul ordre soient égaux.

 

[4268] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, quaecumque se habent sicut superius et inferius, sunt in diverso gradu vel ordine ordinati. Sed quicumque in Angelis sunt aequales, se habent sicut superius et inferius. Ergo videtur quod sint diversorum ordinum. Ergo si aliqui sint unius ordinis, videtur quod sint aequales.

2. Tout ce qui a un rapport de supériorité et d’infériorité se trouve placé à un degré ou dans un ordre différent. Or, tous ceux qui sont égaux parmi les anges ont un rapport de supérieurs et d’inférieurs. Il semble donc qu’ils appartiennent à des ordres différents. Si certains font partie d’un seul ordre, il semble donc qu’ils soient égaux.

 

[4269] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, dignitas Angelorum est secundum dona percepta. Sed illi qui sunt unius ordinis, perficiuntur uno dono, ut habetur ex definitione ordinis in littera posita. Ergo videtur quod sint aequales.

3. La dignité des anges vient des dons reçus. Or, ceux qui font partie d’un seul ordre sont perfectionnés par un seul don, comme on le voit par la définition de l’ordre donnée dans le texte. Il semble donc qu’ils soient égaux.

 

[4270] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, quanto aliquid immediatius conjungitur alteri, tanto minus distat ab illo; sicut tria minus distant a duobus quam decem. Sed si Angeli qui sunt unius ordinis, essent inaequales, inferior Angelus unius ordinis magis immediate se haberet ad primum Angelum inferioris ordinis quam ad superiorem sui ordinis. Ergo Angeli diversorum ordinum magis convenirent quam Angeli ejusdem ordinis: quod videtur absurdum. Ergo omnes Angeli unius ordinis sunt sibi immediati, ita quod se mutuo non excedunt.

4. Plus une chose est immédiatement unie à une autre chose, moins elle en est distante, comme trois est moins éloigné de dix que deux. Or, si les anges qui font partie d’un seul ordre étaient inégaux, l’ange inférieur d’un ordre serait plus distant du premier ange de l’ordre inférieur que de l’ange supérieur de son ordre. Les anges des divers ordres ont donc plus en commun que les anges d’un même ordre, ce qui semble absurde. Tous les anges d’un seul ordre sont donc immédiats les uns par rapport aux autres, de telle sorte qu’ils ne se dépassent pas les uns les autres.

 

[4271] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, ubicumque est primum, medium et ultimum, ibi est inaequalitas. Sed in Angelis unius ordinis est invenire primos, medios et ultimos, secundum Dionysium. Ergo Angeli unius ordinis non sunt aequales.

Cependant, [1] partout où il y a un premier, un deuxième et un dernier, il y a inégalité. Or, chez les anges d’un seul ordre, on trouve des premiers, des intérmédiaires et des derniers, selon Denys. Les anges d’un seul ordre ne sont donc pas égaux.

 

[4272] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, in Angelis est summa pulchritudo post Deum. Sed in diversorum graduum consonantia ordinata consistit ratio pulchritudinis. Ergo videtur quod in Angelis etiam unius ordinis est hujusmodi gradum invenire.

[2] Les anges sont ce qu’il y a de plus beau après Dieu. Or, la raison de beauté consiste dans l’harmonie ordonnée des divers ordres. Il semble donc qu’on trouve aussi ce genre de degré chez les anges d’un seul ordre.

 

[4273] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, Angeli secundum diversitatem naturalium diversimode etiam in gratuitis perfecti sunt, secundum quae dona in ordinibus distinguuntur. Cum autem supra dictum sit, quod in una specie non sint plures Angeli, et species in Angelis non possint differre nisi secundum quod magis et minus habent de potentialitate et actu; oportet quod unius Angeli semper natura sit sublimior quam alterius: ideo non est accipere duos Angelos aequales in tota caelesti hierarchia.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, les anges ont été aussi perfectionnés par des dons gratuits selon la diversité de leur nature, en fonction de laquelle les dons se distinguent selon les ordres. Comme on l’a dit plus haut qu’il n’y a pas plusieurs anges dans une seule espèce, et que, chez les anges, les espèces ne peuvent différer que dans la mesure où elles possèdent plus et moins de puissance et d’acte, il est nécessaire que la nature d’un ange soit plus élevée que celle d’un autre. On ne peut donc concevoir que deux anges soient égaux dans l’ensemble de la hiérarchie céleste.

 

[4274] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Angeli unius hierarchiae dicuntur aequipotentes, non simpliciter, sed secundum quid, scilicet quantum ad modum accipiendi illuminationes divinas, qui est proprius illi hierarchiae; et similiter Angeli unius ordinis sunt aequipotentes secundum convenientiam in actu illius ordinis, et non simpliciter.

1. On dit que les anges d’une hiérarchie ont la même puissance, non pas simplement, mais de manière relative, pour ce qui est de la manière de recevoir les illuminations divines, qui est propre à cette hiérarchie. De même, les anges d’un seul ordre ont-ils une puissance égale selon qu’ils ont en commun l’acte de cet ordre, et non pas simplement.

 

[4275] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non quaelibet distinctio gradus facit distantiam ordinum, ut supra dictum est, sed illa quae est secundum diversos actus.

2. Toute distinction de degré ne crée pas une distance entre les ordres, comme on l’a dit, mais celle qui se réalise selon des actes différents.

 

[4276] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis omnium sit unum donum, non tamen aequaliter omnes illud participant, sed secundum magis et minus.

3. Bien qu’il n’y ait qu’un seul don pour tous, ils n’y participent cependant pas de manière égale, mais en plus ou en moins.

 

[4277] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in naturalibus diversa quantitas et diversa intensio qualitatis non facit diversitatem in specie, sed est dispositio ad diversam speciem, inquantum unaquaeque species requirit determinatam quantitatem dimensionis, ut dicitur in 2 de anima, et similiter ad speciem ignis requiritur determinata intensio caloris; unde possibile est ut aliqua minus distent in quantitate vel intensione qualitatis, quae magis distant secundum speciem: ita etiam in ordinibus Angelorum, si consideretur distantia secundum rationem quantitatis tantum, non est inconveniens quod infimus Angelus alicujus ordinis plus distet a supremo sui ordinis quam a supremo inferioris ordinis, a quo tamen differentia formali et secundum speciem magis distat, inquantum attingit rationem superioris ordinis, quam alius non consequitur: sicut si diceretur, quod frigidissimus vir minus distat a calidissima muliere quam a calidissimo viro, cum quo tamen magis convenit ratione sexus. Et hoc universaliter invenitur verum in omni re quae compatitur aliquam latitudinem diversorum graduum.

4. De même que, pour les réalités naturelles, une quantité différente et une intensité différente ne donnent pas une diversité d’espèce, mais sont une disposition à une espèce différente, dans la mesure où chaque espèce requiert une quantité dimensionnelle déterminée, comme on le dit dans Sur l’âme, II, et que, de même, une intensité de chaleur déterminée est nécessaire pour l’espèce du feu ‑ il est ainsi possible que des choses soient moins distantes par la quantité ou l’intensité d’une qualité, qui sont davantage distantes selon l’espèce ‑, de même, dans les ordres des anges, si on considère la distance selon la raison de la quantité seulement, il n’est pas inapproprié que le plus petit ange d’un ordre soit davantage éloigné de l’ange le plus élevé dans son ordre que de l’ange le plus élevé d’un ordre inférieur, dont il est cependant plus éloigné par une différence de forme et selon l’espèce, pour autant qu’il atteint la raison d’un ordre supérieur qu’un autre n’obtient pas ‑ comme si on disait que l’homme le plus frigide est moins éloigné de la femme que l’homme le plus chaud, qu’il rejoint cependant en raison de son sexe. Et cela est universellement vrai pour tout ce qui supporte un certain écart entre divers degrés.

 

 

 

 

Articulus 6 [4278] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 tit. Utrum omnes hierarchiae sint connexae

Article 6 – Toutes les hiérarchies sont-elles connexes ?

 

[4279] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod non omnes hierarchiae sint connexae. Quorumcumque enim ratio consistit in distinctione, eorum non est aliqua connexio: quia connexio distinctioni opponitur. Sed ratio hierarchiae consistit in distinctione superioris et inferioris. Ergo earum non est connexio.

1. Il semble que toutes les hiérarchies ne soient pas connexes. En effet, entre tout ce dont la raison consiste dans une distinction, il n’existe pas de connexion, car la connexion s’oppose à la distinction. Or, la raison de hiérarchie consiste dans une distinction entre supérieur et inférieur. Il n’y a donc pas de connexion entre elles.

 

[4280] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, quae differunt in eo quod est maxime commune, non habent ulterius in quo connectantur; sicut quae specie differunt, genere conveniunt; et quae differunt generibus generalissimis, non univocantur in aliquo. Sed hierarchia est quid communissimum comprehendens sub se ordines et personas. Ergo diversae hierarchiae in nullo connectuntur.

2. Les choses qui diffèrent par ce qui est le plus commun n’ont pas en plus de quoi être connexes, comme les choses qui diffèrent par l’espèce ont le genre en commun, et les choses qui diffèrent selon les genres les plus généraux ne sont univoques avec rien. Or, la hiérarchie est ce qu’il y a de plus commun : elle inclut les ordres et les personnes. Les différentes hiérarchies ne sont donc en rien connexes.

 

[4281] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, in Angelis non est invenire nisi naturalia et gratuita. Sed in naturalibus non connectuntur, cum sint diversarum specierum: nec iterum in gratuitis, cum diversis muneribus gratiae diversi ordines perficiantur. Ergo videtur quod in nullo connectuntur.

3. On ne trouve chez les anges que ce qui est naturel et ce qui est gratuit. Or, ils ne sont pas connexes selon les réalités naturelles, puisqu’ils sont d’espèces différentes ; ni selon ce qui est gratuit, puisque les divers ordres sont perfectionnés par divers dons de la grâce. Il semble donc qu’ils ne sont en rien connexes.

 

[4282] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, ea quae non conjunguntur in aliquo uno termino communi, non videntur connexionem habere, sicut discreta. Sed hierarchiae et ordines non uniuntur in aliquo uno termino communi, cum non sit unus ordo diversarum hierarchiarum, nec unus Angelus diversorum ordinum. Ergo videtur quod non sit aliqua eorum connexio.

4. Ce qui n’est pas uni dans un terme commun ne semble pas avoir de connexion, comme ce qui est divisé. Or, les hiérarchies et les ordres ne sont pas unis dans un terme commun, puisqu’il n’y a pas un seul ordre pour les différentes hiérarchies, ni un seul ange pour les différents ordres. Il semble donc qu’il n’y ait pas de connexion entre eux.

 

[4283] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit assignans connexionem ordinum et hierarchiarum.

Cependant, [1] Denys dit le contraire en affirmant une connexion entre les ordres et les hiérarchies.

 

[4284] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, dicit Commentator in 11 Metaph., quod ordo substantiarum separatarum sub Deo et ad invicem, est sicut plurium artium sub una arte communi; (unde scientiam Dei assimilat metaphysicae, sub qua sunt omnes scientiae), et sicut plura officia ordinantur sub principe civitatis. Sed in omnibus his est aliqua connexio, secundum quod ad invicem dependent. Ergo videtur quod hierarchiarum caelestium et ordinum sit connexio.

[2] Dans Métaphysique, XI, le Commentateur dit que l’ordre entre les substances séparées sous Dieu et entre elles est semblable à celui qui existe entre plusieurs arts subordonnés à un art commun – ainsi assimile-t-il la science de Dieu à la métaphysique, sous laquelle se trouvent toutes les sciences ‑, et comme plusieurs fonctions sont ordonnées sous le dirigeant d’une cité. Or, entre toutes ces choses, il existe une connexion, selon qu’elles dépendent les unes des autres. Il semble donc qu’il y ait une connexion entre les hiérarchies et les ordres célestes.

 

[4285] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod ordines angelicae hierarchiae omnes sunt connexi ad invicem, et etiam ordinibus nostrae hierarchiae, ut Dionysius tradit ubi supra. Haec autem connexio intelligenda est ad modum ordinis universi. Sicut enim universi partes ad invicem ordinatae sunt, inquantum una alteram juvat ad consecutionem sui finis, et etiam ad ultimum bonum, quod est finis totius universi, ita etiam connexio hierarchiarum est et secundum relationem in unum finem ultimum, secundum quod omnis hierarchiae finis est unitas et similitudo ad Deum: et secundum ea quae sunt de essentia ipsius hierarchiae, scilicet secundum ordinem, scientiam, et actionem. Secundum ordinem quidem, inquantum in omnibus invenitur distinctio per primum, medium et ultimum: sicut enim angelica hierarchia, media est inter Deum et nos; ita etiam est accipere in ipsa hierarchia primam hierarchiam, et mediam et ultimam; et in unaquaque primum ordinem, medium et ultimum: in quorum unoquoque est accipere primos Angelos, medios et ultimos, et hoc a primo usque ad ultimum. Secundum scientiam vero, inquantum irradiatio divini luminis extenditur a primis usque ad ultimos, ut dicitur Job 25, 31: numquid est numerus militum ejus, et super quem non surgit lumen ejus? Quod tamen non uniformiter ab omnibus recipitur; sed a superioribus in majori simplicitate, et ab inferioribus in minori. Secundum actionem autem, quia primi habent actionem hierarchicam in medios, et medii in ultimos; et medii manifestant primos et ultimi medios eo modo qui supra expositus est: et sic secundum quatuor quae in definitione hierarchiae ponuntur, quadruplex ejus connexio assignatur.

Réponse. Les ordres de la hiérarchie angélique sont tous connexes les uns par rapport aux autres, et même par rapport aux ordres de notre hiérarchie, comme Denys l’enseigne à l’endroit indiqué plus haut. Or, cette connexion doit être comprise selon le mode de l’ordre de l’univers. En effet, de même que les parties de l’univers sont ordonnées les unes par rapport aux autres, dans la mesure où l’une en aide une autre pour l’obtention de sa fin, et aussi en vue du bien ultime, qui est la fin de tout l’univers, de même existe-t-il une connexion entre les hiérarchies aussi bien selon leur relation par rapport à une seule fin ultime, pour autant que la fin de toute hiérarchie est l’unité et la ressemblance avec Dieu, que pour ce qui est de l’essence de la hiérarchie elle-même, c’est-à-dire pour l’ordre, la science et l’action. Pour l’ordre, dans la mesure où l’on trouve en toutes une distinction entre ce qui est premier, intermédiaire et dernier. En effet, de même que la hiérarchie angélique est intermédiaire entre Dieu et nous, de même aussi faut-il concevoir dans la hiérarchie elle-même une première hiérarchie, une hiérarchie intermédiaire et une dernière hiérarchie ; et dans chacune d’elles, [faut-il concevoir] un premier ordre, un ordre intermédiaire et un dernier ordre ; et en chacun de ceux-ci, des anges premiers, intermédiaires et derniers, et cela, du premier jusqu’au dernier. Mais pour la science, dans la mesure où le rayonnement de la lumière divine s’étend depuis les premiers jusqu’aux derniers, comme il est dit en Jb 25, 3 : Peut-on dénombrer ses soldats, sur qui sa lumière se lève ? Cependant, elle n’est pas reçue par tous de manière uniforme, mais, par les anges supérieurs, selon une plus grande simplicité, et, par les anges inférieurs, selon une simplicité moins grande. Pour ce qui est de l’action, car les premiers exercent une action hiérarchique sur les intermédiaires, et les intermédiaires, sur les derniers. Et les premiers manifestent les premiers, et les intermédiaires, les derniers. Et les intermédiaires manifestent les premiers et les derniers, ainsi que les intermédiaires, les derniers, de la manière qui a été expliquée plus haut. Et ainsi, selon les quatre choses qui sont mises dans la définition de la hiérarchie, une quadruple connexion est-elle assignée.

 

[4286] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod distinctio quae est de ratione hierarchiae, est ordinatorum ad invicem, et ad aliquod unum: et talis distinctio connexionem non excludit, sed ponit.

1. La distinction qui fait partie de la raison de hiérarchie est celle de choses qui sont ordonnées les unes par rapport aux autres et à une seule chose. Une telle distinction n’exclut pas une connexion, mais elle l’affirme.

 

[4287] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod plurium hierarchiarum est unus finis communis, et una communis perfectio et ratio: et ideo quae differunt in hierarchia, connectuntur in fine ultimo, et in communi ratione hierarchiae, et in lumine perficiente hierarchiam; sed ordines unius hierarchiae praeter hoc connectuntur in his quae sunt propria illius hierarchiae: et qui sunt unius ordinis, in propriis illius ordinis.

2. Il n’existe qu’une seule fin et une seule perfection et raison communes de plusieurs hiérarchies. C’est pourquoi ce qui diffère à l’intérieur de la hiérarchie est connexe dans la fin ulltime, dans la raison commune de hiérarchie et dans la lumière qui perfectionne la hiérarchie. Mais, en plus de cela, les ordres d’une seule hiérarchie sont connexes dans ce qui est propre à cette hiérarchie, et ceux qui font partie d’un seul ordre [le sont] dans ce qui est propre à cet ordre.

 

[4288] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angeli perficiuntur duplici lumine: lumine scilicet naturali, prout sunt intellectus quidam, et lumine gratuito perficiente ad actus hierarchicos: et utrumque lumen est unum in omnibus ex parte principii a quo est, et finis ad quem ordinantur; sed utrumque distinguitur et appropriatur diversis secundum diversam capacitatem recipientium; tamen distinctio ordinata est, et ipse ordo connexionem ponit; et ideo talis distinctio connexionem non excludit.

3. Les anges sont perfectionnés par une double lumière : par une lumière naturelle, en tant qu’ils sont des intellects, et par une lumière gratuite, qui perfectionne en vue des actes hiérarchiques. Les deux lumières sont identiques pour tous du point de vue du principe d’où elles viennent et de la fin à laquelle elles sont ordonnées ; mais les deux sont distinctes et sont appropriées par chacun selon la capacité différente de ceux qui les reçoivent. Toutefois, la distinction est ordonnée, et l’ordre lui-même impose une connexion. C’est pourquoi une telle distinction n’exclut pas une connexion.

 

[4289] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod invenitur in hierarchiis et in ordinibus quidam communis finis, non quod unum sit in diversis, sed inquantum inveniuntur in uno diversorum proprietates secundum convenientiam et secundum ordinem sapientiae divinae, quae finem primorum conjungit principiis secundorum, ut dicit Dionysius. Et hoc patet discurrenti per singulas hierarchias. Primus enim ordo primae hierarchiae quodammodo secundum maximum excessum accedit ad divinas proprietates: unde nominantur Seraphim ex proprietate ignis, qui maxime significat divinas proprietates, ut dicit Dionysius. Ultimus vero ordo illius hierarchiae habet quamdam conglutinationem cum ordinibus secundae hierarchiae: unde et non denominatur tantum ab actu qui est circa Deum, sed et ab actu qui est in inferiora: et ideo dicuntur throni, inquantum Deus in eis sedet ut omnia judicans. Similiter etiam in secunda hierarchia primus ordo, scilicet dominationum, habet aliquid simile cum hierarchia prima, scilicet praeesse, et non exequi. Ita etiam primus ordo tertiae hierarchiae, scilicet principatus, habet aliquid simile cum ordinibus secundae hierarchiae: unde et nomen ejus praelationem importat. Similiter etiam et summus ordo nostrae hierarchiae habet aliquid simile eum ultimo ordine caelestis hierarchiae; et ideo sacerdos vocatur Angelus; Malach. 2, 7: labia sacerdotis custodient scientiam, et legem requirent ex ore ejus: quia Angelus domini exercituum est.

4. On trouve dans les hiérarchies et dans les ordres une fin commune, non pas qu’elle soit une seule chose pour [les hiérarchies et ordres] différents, mais dans la mesure où se rejoignent dans une seule chose les propriétés des [hiérarchies et des ordres] différents, selon une certaine convenance et un ordre de la sagesse divine, qui unit la fin des premiers aux commencements des seconds, comme le dit Denys. Et cela ressort si l’on parcourt chaque hiérarchie. En effet, le premier ordre de la première hiérarchie rejoint pour ainsi dire, en son plus grand dépassement, les propriétés divines ; aussi les Séraphins tirent-ils leur nom de la propriété du feu, qui signifie au mieux les propriétés divines, comme le dit Denys. Mais le dernier ordre de cette hiérarchie est comme lié aux ordres de la deuxième hiérarchie ; aussi ne tire-t-il pas son nom seulement de l’acte qui porte sur Dieu, mais de l’acte qui porte sur les réalités inférieures. Ils sont donc appelés Trônes, pour autant que Dieu siège en eux pour juger toutes choses. De même, dans la deuxième hiérarchie, le premier ordre, c’est-à-dire celui des Dominations, a-t-il quelque chose de semblable avec la première hiérarchie : diriger, et non exécuter. De même encore, le premier ordre de la troisième hiérarchie, celui des Principautés, a-t-il quelque chose de semblable avec les ordres de la deuxième hiérarchie ; aussi son nom comporte-t-il une supériorité. Et encore, l’ordre le plus élevé de notre hiérarchie a-t-il quelque chose de semblable avec (corr. eum/cum) le dernier ordre de la hiérarchie céleste ; c’est pourquoi le prêtre est appelé un ange. Ml 2, 7 : Les lèvres du prêtre garderont la science et chercheront la loi venant de la bouche [du Seigneur], car il est l’ange du Seigneur des armées.

 

 

 

 

Articulus 7 [4290] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 tit. Utrum distinctio ordinum sit a natura

Article 7 – La distinction entre les ordres vient-elle de la nature ?

 

[4291] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 arg. 1 Ad septimum sic proceditur. Videtur quod distinctio ordinum non sit a natura, ita quod a creatione inceperit. Conformitas enim mentis ad Deum est per gratiam. Sed hierarchia est deiforme, inquantum possibile est, similans. Ergo videtur quod ordines hierarchiae non distinguantur nisi per gratiam.

1. Il semble que la distinction des ordres ne vienne pas de la nature, de sorte qu’elle aurait commencé avec la création. En effet, la conformité de l’esprit avec Dieu vient de la grâce. Or, la hiérarchie est quelque chose qui fait ressembler à Dieu, autant que cela est possible. Il semble donc que les ordres de la hiérarchie ne se distinguent qu’en raison de la grâce.

 

[4292] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 arg. 2 Praeterea, secundum Dionysium, per nomina ordinum ostenduntur proprietates eorum. Sed quaedam nomina ordinum exprimunt gratiam, praecipue nomen Seraphim, quod imponitur ab ardore caritatis. Ergo videtur quod distinctio ordinum sit per gratiam.

2. Selon Denys, les propriétés des ordres sont montrées par leurs noms. Or, certains noms d’ordres expriment la grâce, surtout le nom de Séraphins, qui est donné en raison de l’ardeur de la charité. Il semble donc que la distinction des ordres vienne de la grâce.

 

[4293] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 arg. 3 Praeterea, nostra hierarchia exemplata est a caelesti. Sed in nostra hierarchia non est distinctio ordinum per naturam, sed solum per gratiam sacramentalem, quae confertur in sacramento ordinis. Ergo videtur quod nec in caelesti sit distinctio ordinum per naturam.

3. Notre hiérarchie tire son modèle de la [hiérarchie] céleste. Or, dans notre hiérarchie, il n’existe pas de distinction entre les ordres en raison de la nature, mais seulement en raison de la grâce sacramentelle, qui est donnée dans le sacrement de l’ordre. Il semble donc qu’il n’y ait pas non plus dans la [hiérarchie] céleste de distinction entre les ordres en raison de la nature.

 

[4294] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 arg. 4 Praeterea, ad distinctionem ordinum requiritur gradus secundum actiones hierarchicas, ut unus alium purget, illuminet, et perficiat. Sed hoc non potest esse nisi per divinum lumen in eis receptum. Ergo videtur quod ante collationem gratiae, nulla fuerit ordinum distinctio per naturam.

4. Pour la distinction des ordres, un degré est nécessaire selon les actions hiérarchiques, de sorte que l’un en purifie, illumine et perfectionne un autre. Or, cela ne peut exister que par la lumière divine reçue en eux. Il semble donc qu’avant que la grâce ne soit donnée, il n’y avait aucune distinction entre les ordres selon la nature.

 

[4295] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in definitione ordinis in littera posita, quod ordo est multitudo caelestium spirituum qui conveniunt in naturalibus datis, et in muneribus gratiae. Ergo videtur quod etiam per naturam sit distinctio ordinum.

Cependant, [1] il est dit, dans la définition de l’ordre, donnée dans le texte, qu’un ordre est un grand nombre d’esprits célestes qui ont en commun des dons naturels et des dons de la grâce. Il semble donc qu’il existe une distinction entre les ordres même selon la nature.

 

[4296] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 s. c. 2 Praeterea, ubicumque est diversitas gradus secundum superius et inferius, ibi est diversus ordo. Sed a principio creationis ante infusionem gratiae, si in gratia creati non sunt, fuit in eis gradus superior et inferior, secundum quod quidam erant subtilioris essentiae, et perspicacioris intelligentiae, ut supra dictum est. Ergo videtur quod a principio creationis fuerint in eis ordines distincti.

[2] Partout où il y a distinction de degré en plus et en moins, il existe un ordre différent. Or, depuis le début de la création et avant l’infusion de la grâce, à supposer qu’ils n’aient pas été créés avec la grâce, existait entre eux un degré supérieur et un degré inférieur, selon que certains possédaient une essence plus subtile et une intelligence plus pénétrante, comme on l’a dit plus haut. Il semble donc que, depuis le commencement de la création, des ordres distincts aient existé entre eux.

 

[4297] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 co. Respondeo dicendum, quod donum gratiae est perfectivum naturae; et ideo distinctio ordinum est per diversum donum gratuitum sicut per principium formale, et per diversum donum naturale sicut per principium quasi materiale et dispositivum: unde definitio ordinis utrumque complectitur, comprehendens principia materialia et formalia. Sic ergo quodammodo a principio creationis fuit distinctio ordinum, non tamen secundum ultimum complementum.

Réponse. Le don de la grâce perfectionne la nature ; c’est pourquoi une distinction entre les ordres se réalise par un don gratuit différent comme par son principe formel, et par un don naturel comme par un principe pour ainsi dire matériel et qui dispose. Aussi la définition de l’ordre embrasse-t-elle les deux, en incluant les principes matériels et formels. Ainsi donc, d’une certaine façon, une distinction entre les ordres a existé dès le commencement de la création ; elle ne comportait cependant pas son achèvement ultime.

 

[4298] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam in natura angelica est quaedam deiformitas, secundum quod prima et nobilior est inter naturas creatas, et magis accedens ad similitudinem divinam, secundum proprietates naturales; sed completa deiformitas est per dona gratuita.

1. Même dans la nature angélique, il existe une certaine conformité à Dieu, selon qu’elle est la première et la plus noble des natures créées, et celle qui s’approche le plus de la ressemblance avec Dieu selon ses propriétés naturelles ; mais la conformité complète avec Dieu se réalise par des dons gratuits.

 

[4299] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in Angelis ante infusionem gratiae erat etiam dilectio et cognitio naturalis, a cujus ardore et plenitudine possent dici Cherubim et Seraphim, quamvis non secundum completam rationem.

2. Chez les anges, avant l’infusion de la grâce, existaient aussi un amour et une connaissance naturels ; c’est en fonction de ceux-ci qu’ils pourraient être appelés Chérubins et Séraphins, bien que ce ne soit pas en un sens complet.

 

[4300] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod homines nostrae hierarchiae, omnes sunt unius speciei et naturae formaliter: unde tota diversitas individuorum in eadem specie causatur ex principiis materialibus: et ideo secundum naturam non est distinctio ordinis in nobis, sed secundum potestatem gratis concessam. Nec oportet quod in omnibus nostra hierarchia cum caelesti conveniat, etsi eam secundum modum suum imitetur.

3. Les hommes de notre hiérarchie appartiennent tous à une même espèce et à une même nature par leur forme. Aussi toute la diversité des individus de la même espèce est-elle causée par les principes matériels. C’est pourquoi il n’existe pas chez nous de distinction d’ordre selon la nature, mais selon une puissance gratuitement donnée. Et il n’est pas nécessaire que notre hiérarchie rejoigne la hiérarchie céleste en tout, même si elle l’imite à sa manière.

 

[4301] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si Angeli haberent naturalia tantum, adhuc lumen unius excederet lumen alterius; et ita posset esse aliqua illuminatio et perfectio, sed non complete.

4. Si les anges possédaient seulement des attributs naturels, la lumière de l’un dépasserait encore la lumière d’un autre. Et ainsi il pourrait exister une certaine illumination et un certain perfectionnement, mais pas de manière complète.

 

 

 

 

Articulus 8 [4302] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 tit. Utrum homines assumantur ad ordines Angelorum

Article 8 – [Les hommes sont-ils introduits dans les ordres des anges ?]

 

[4303] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 arg. 1 Ad octavum sic proceditur. Videtur quod homines nunquam ad ordines Angelorum assumantur. Quia, secundum Dionysium, distinguuntur quatuor gradus rerum, scilicet intellectualium, in quo comprehenduntur Angeli; rationalium, in quo sunt homines; sensibilium, in quo sunt bruta animalia; et existentium, in quo sunt res insensibiles. Sed sensitiva nunquam possunt pertingere ad gradum rationalium. Ergo rationalia nunquam possunt pertingere ad gradum intellectualium; et ita homines non assumuntur ad ordines Angelorum.

1. Il semble que les hommes ne soient jamais introduits dans les ordres des anges, car, selon Denys, on distingue quatre degrés entre les choses : les réalités intellectuelles, parmi lesquelles comptent les anges ; les réalités raisonnables, parmi lesquelles se trouvent les hommes ; les réalités sensibles, parmi lesquelles se trouvent les animaux sans raison ; et les réalités qui existent [seulement], parmi lesquelles se trouvent les choses insensibles. Or, les réalités sensibles ne peuvent jamais atteindre le degré des réalités raisonnables. Les réalités raisonnables ne peuvent donc jamais atteindre le degré des réalités intellectuelles, et ainsi les hommes ne sont pas introduits dans les ordres des anges.

 

[4304] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 arg. 2 Praeterea, plus distat natura hominis a natura Angelorum, et praecipue superiorum, quam natura unius Angeli a natura alterius. Sed Angelus inferioris naturae non fuit capax illius doni per quod superiores ordinantur in suo ordine; nec breviter Angelus unius ordinis potest pertingere ad superiorem ordinem. Ergo videtur quod nec homines ad ordines Angelorum assumantur.

2. La nature de l’homme est plus éloignée de la nature des anges, et surtout des anges supérieurs, que la nature d’un seul ange de la nature d’un autre. Or, un ange de nature inférieure n’était pas capable du don par lequel les anges supérieurs sont ordonnés à l’intérieur de leur ordre ; et un ange d’un ordre ne peut pas non plus atteindre un ordre supérieur. Il semble donc que les hommes non plus ne sont pas introduits dans les ordres des anges.

 

[4305] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 arg. 3 Praeterea, quantumcumque intellectus perficiatur lumine gratiae vel gloriae, semper oportet quod intelligat sub lumine naturali: quia gratia non tollit naturam, sed perficit. Sed lumen naturale in nobis est obumbratum respectu luminis naturalis Angeli. Ergo homo semper magis obscure videbit quam Angelus. Sed tota substantia gloriae est in visione. Ergo videtur quod homo nunquam pertingat ad gloriam Angelorum.

3. Autant l’intellect est perfectionné par la lumière de la grâce ou de la gloire, il est toujours nécessaire qu’il intellige selon une lumière naturelle, car la grâce n’enlève pas la nature mais la perfectionne. Or, la lumière naturelle en nous est ombragée en regard de la lumière naturelle de l’ange. L’homme verra donc toujours de manière plus obscure que l’ange. Or, la substance tout entière de la gloire consiste dans la vision. Il semble donc que l’homme n’atteigne jamais la gloire des anges.

 

[4306] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 arg. 4 Praeterea, quaecumque differunt in hierarchia, differunt et homines differunt in hierarchia. Ergo videtur quod etiam in ordine; et ita homines non assumantur ad ordines Angelorum.

4. Quelles que soient les choses qui se distinguent par la hiérarchie [corr. differunt et homines differunt/et homines differunt], les hommes diffèrent aussi par la hiérarchie. Il semble donc que ce soit aussi le cas pour un ordre. Et ainsi, les hommes ne sont pas introduits dans les ordres des anges.

 

[4307] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 arg. 5 Praeterea, quicumque est in ordine aliquo, habet actum illius ordinis. Sed actus alicujus ordinis est custodire homines et mitti in ministerium, quod non convenit animabus sanctis. Ergo videtur quod homines ad ordines Angelorum non assumantur.

5. Quiconque est à l’intérieur d’un ordre possède l’acte de cet ordre. Or, l’acte d’un ordre est de garder les hommes et de leur être envoyé pour un ministère, ce qui ne convient pas aux âmes saintes. Il semble donc que les hommes ne soient pas introduits dans les ordres des anges.

 

[4308] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 s. c. 1 Sed contra est quod dominus dixit Matth. 22, 30: quod erunt sicut Angeli Dei in caelo. Dionysius etiam dicit, quod homines Angelorum gloriam sortiuntur. Gregorius etiam dicit in homilia de centum ovibus, quod homines secundum diversitatem meritorum ad diversos ordines transferuntur.

Cependant, [1] le Seigneur dit le contraire en Mt 22, 30 : Ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. Denys dit aussi que les hommes partagent la gloire des anges. Grégoire dit encore, dans une homélie sur les cent brebis, que les hommes sont transférés dans divers ordres selon la diversité de leurs mérites.

 

[4309] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est triplex positio. Quidam enim Commentator Graecus episcopus Eustratius nomine, dicit in commento super 6 Ethic. Aristotelis, quod nullus tantum animae suae profectum sperare potest ut ad operationem intellectuum separatorum pertingat; et secundum hoc, hominum qui in gloriam assumuntur, esset unus ordo decimus, inferior novem ordinibus Angelorum. Sed haec positio est contraria dictis sanctorum, et videtur sapere haeresim, cum etiam beata virgo super choros Angelorum exaltata sit: nisi forte dictum Commentatoris intelligatur quantum ad naturalem operationem, inquantum scilicet ex naturalibus pertingere potest. Alia positio est, quod hominum quidam assumuntur ad ordines Angelorum. Alii vero faciunt unum ordinem decimum: et sic impletur similitudo de decima drachma perdita, quae ponitur Lucae 15. Sed hoc diversimode assignatur. Quidam enim dicunt, quod solum virgines ad hos ordines assumuntur, eo quod cognata est Angelis virginitas, ut dicit Hieronymus; alii vero electi decimum ordinem constituunt. Sed hoc non est verum, cum multi non virgines, ut Petrus et Magdalena, multis etiam virginibus eminentiores sint. Unde alii dicunt, quod perfecti assumuntur ad ordines Angelorum; sed illi qui sunt imperfectorum meritorum, decimum ordinem consummabunt. Sed cum ex hominibus et Angelis futura sit una Ecclesia et una hierarchia, non est probabile quod numerus ordinum qui caelesti hierarchiae competit, per tria terna distinctus, ut ipse numerus ordinum exprimat Trinitatis increatae vestigium, per homines augeatur. Unde tertia positio plus mihi placet, quae etiam dictis sanctorum magis consonat, scilicet quod omnes electi assumantur ad ordines Angelorum, quidam ad superiores, quidam ad inferiores, quidam ad medios pro diversitate suorum meritorum; sed beata virgo Maria super omnes. Sed utrum assumantur tot de hominibus quot ceciderunt Angeli, vel quot perstiterunt, vel quot fuerunt utrique, vel plures vel pauciores: ille scit cui soli cognitus est numerus electorum, in superna felicitate locandus.

Réponse. Sur ce sujet, il y a trois positions. En effet, un commentateur grec portant le nom de l’évêque Eustrate dit, dans son commentaire sur l’Éthique d’Aristote, VI, que personne ne peut espérer un si grand progrès de son âme qu’il rejoigne l’opération des intelligences séparées ; les hommes qui atteignent le gloire feraient ainsi partie d’un unique dixième ordre, inférieur aux neuf ordres des anges. Mais cette position est contraire à ce que disent les saints et a un relent d’hérésie, puisque la bienheureuse Vierge a été élevée au-dessus des chœurs des anges, à moins qu’on entende de l’opération naturelle ce que dit le commentateur : pour autant que [l’homme] puisse l’atteindre par ses [puissances] naturelles. Une autre position est que certains parmi les hommes sont intégrés aux ordres des anges ; Mais les autres constituent un unique dixième ordre. Ainsi s’accomplit la ressemblance avec la dixième drachme perdue qui est présentée en Lc 15. Mais cela est interprété de diverses manières. En effet, certains disent que seules les vierges font partie de ces ordres du fait que la virginité est apparentée aux anges, comme le dit Jérôme ; mais les autres constituent un dixième ordre. Mais cela n’est pas vrai, puisque beaucoup qui ne sont pas vierges, comme Pierre et Madeleine, sont supérieurs à un grand nombre de vierges. C’est pourquoi d’autres disent que les parfaits sont intégrés aux ordres des anges, mais que ceux qui ont des mérites imparfaits compléteront le dixième ordre. Mais comme une seule Église et une seule hiérarchie sera constituée d’hommes et d’anges, il n’est pas probable que le nombre des ordres qui convient à la hiérarchie céleste, divisé en trois afin que le nombre des ordres montre un vestige de la Trinité incréée, soit augmenté par des hommes. Aussi la troisième position me plaît-elle davantage ; elle s’harmonise aussi mieux avec ce que disent les saints, à savoir que tous les élus sont intégrés aux ordres des anges, certains aux ordres supérieurs, certains aux ordres inférieurs, certains aux ordres intermédiaires selon la diversité de leurs mérites ; mais la bienheureuse Vierge Marie est au-dessus de tous. Mais qu’un nombre d’hommes aussi grand soient intégrés que d’anges sont tombés, qu’autant [d’anges] ont tenu, qu’autant il y a d’anges chez les deux, ou qu’il y en ait davantage ou moins, Celui-là le sait à qui seul est connu le nombre des élus qui doivent se trouver dans l’éternelle félicité.

 

[4310] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod plus distat ratio a sensu quam intellectus a ratione: quia sensus et ratio non communicant in uno objecto; cum sensus apprehendat intentiones rerum cum conditionibus materiae; ratio autem et intellectus intentiones a conditionibus materiae separatas; unde in objecto conveniunt; differunt autem in modo: quia in cognitionem veritatis ratio inquirendo pervenit, quam intellectus simplici intuitu videt; unde ratio ad intellectum terminatur; unde etiam in demonstrationibus certitudo est per resolutionem ad prima principia, quorum est intellectus: et ideo non est inconveniens, si homines in sui ultimo gradu ad gradum intellectualium pertingunt.

1. Il y a une distance plus grande entre la raison et le sens qu’entre l’intelligence et la raison, car le sens et la raison n’ont pas d’objet commun, puisque le sens saisit les intentions des choses sous les conditions de la matière ; mais la raison et l’intelligence [en saisissent] les intentions séparées des conditions de la matière. Aussi ont-elles un objet commun; mais elles diffèrent par leur mode, car la raison parvient à la connaissance de la vérité en cherchant, alors que l’intelligence la voit d’un simple regard. Aussi la raison a-t-elle comme terme l’intelligence. C’est pourquoi, dans les démonstrations, la certitude s’acquiert par un retour aux premiers principes, sur lesquels porte l’intelligence. Il n’est donc pas inapproprié que les hommes, dans leur dernier degré, atteignent le degré des réalités intellectuelles.

 

[4311] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum, quod meritum hominis est efficacius quam meritum Angeli: tum propter difficultatem, quae est occasio majoris conatus: tum etiam propter continuum augmentum gratiae, quod potest esse in homine, ut de virtute in virtutem proficiat, cum homo sit diutius viator quam Angelus fuerit: tum etiam inquantum merita nostra efficaciam habent ex merito Christi, cujus gratia est quodammodo infinita: nusquam enim Angelos apprehendit, sed semen Abrahae, Hebr. 2, 10, et ideo magis possunt homines virtute meriti transferri in gradum altioris naturae quam etiam Angeli.

2. Le mérite de l’homme est plus efficace que le mérite de l’ange en raison de la difficulté, qui est l’occasion d’un plus grand effort ; en raison aussi de l’accroissement continu de la grâce qui peut exister chez l’homme, de sorte qu’il progresse de vertu en vertu, puisque l’homme est plus longtemps en cheminement que ne l’a été l’ange ; dans la mesure enfin où nos mérites tirent leur efficacité du mérite du Christ, dont la grâce est en quelque sorte infinie : En effet, il n’a jamais pris la condition des anges, mais celle de la descendance d’Abraham, He 2, 10. C’est pourquoi les hommes peuvent davantage que les anges être amenés, en vertu de leur mérite, au degré d’une nature supérieure.

 

[4312] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in homine naturalis actio nunquam potest attingere ad aequalitatem Angelorum; sed lumen gloriae superabundans omnem umbram evacuabit, non quidem tollendo naturam, sed perficiendo lumen intellectuale, quod secundum naturam in nobis defective participatur.

3. Chez l’homme, l’action naturelle ne peut jamais aller jusqu’à égaler les anges ; mais une lumière de la gloire surabondante éliminera toute ombre, non pas en enlevant la nature, mais en perfectionnant la lumière intellectuelle, à laquelle nous participons d’une manière déficiente selon notre nature.

 

[4313] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum Dionysium, sicut se habet nostra hierarchia vel Ecclesia ad caelestem, ita hierarchia veteris legis ad nostram; unde sicut vetus hierarchia erat via in nostram et significabat eam, et propter hoc, veniente nova, vetus assumpta est in illam et ad ordines ejus, ita etiam nostra hierarchia est via in caelestem, et signum ejus; unde in patria non erit alia hierarchia hominum et Angelorum, sed una et eadem et homines in ordines Angelorum distribuentur.

4. Selon Denys, le rapport entre notre hiérarchie ou l’Église avec la hiérarchie céleste est le même que celui de la hiérarchie de la loi ancienne avec la nôtre. De même que la hiérarchie ancienne était un chemin vers la nôtre et la signifiait – pour cette raison, une fois venue la nouvelle, l’ancienne lui a été intégrée ainsi qu’à ses ordres ‑, de même donc notre hiérarchie est un chemin vers la hiérarchie céleste et en est le signe. Ainsi, dans la patrie, la hiérarchie des hommes et celle des anges ne seront-elles pas distinctes, mais les hommes aussi seront-ils répartis entre les ordres des anges dans une seule et même [hiérarchie].

 

[4314] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod actus Angelorum in nos consequitur ordines Angelorum magis quantum ad gradum naturae (quia angelica natura medium est inter Deum et nos) quam secundum essentiales proprietates ordinis. Ideo sicut animae damnatorum non dantur nobis in exercitium, ita nec animae sanctorum in custodiam, quia hoc non competit eis secundum gradum naturae suae.

5. L’action des anges sur nous suit plutôt les ordres des anges selon le degré de la nature (car la nature angélique est intermédiaire entre Dieu et nous), que selon les propriétés essentielles de l’ordre. De même que les âmes des damnés ne nous sont pas données comme une épreuve, de même les âmes des saints ne nous le sont-elles pas pour notre garde, car cela ne leur revient pas selon le degré de leur nature.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 9

 

[4315] Super Sent., lib. 2 d. 9 q. 1 a. 8 expos. Unde Dionysius tres ordines Angelorum esse tradit. Sciendum, quod Magister in verbis sequentibus partim accipit sententiam Dionysii, scilicet quantum ad numerum ordinum, partim sententiam Gregorii quantum ad eorum dispositionem: quia secundum Dionysium principatus sunt de inferioribus et virtutes de mediis; secundum Gregorium e converso. Sed ordo Dionysii est secundum quod ipse prius enumeravit, incipiens ab inferioribus, ibi: Angelos, Archangelos et cetera.

 

 

 

 

 

Distinctio 10

Distinction 10 – [Les actes des ordres angéliques]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[4316] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 pr. Posita distinctione ordinum, Magister hic determinat quosdam actus qui ordines distinctos consequuntur: et dividitur in partes duas: in prima determinat de quibusdam actibus qui consequuntur omnes ordines, scilicet assistere, et ministrare; in secunda determinat de actu custodiae, qui specialiter uni ordini competit, distinctione 11: illud quoque sciendum est, quod Angeli boni deputati sunt ad custodiam hominum. Prima in tres, secundum tres opiniones, quae in littera ponuntur; secunda incipit ibi: quibus objicitur quod Isaias ait; tertia vero ibi: alii vero dicunt, tres ordines supremos (...) ita creatori Deo assistere quod ad exteriora non exeunt. Circa secundum tria facit: primo ponit ea quae sunt ad confirmationem secundae positionis contra primam; secundo excludit quamdam quaestionem, ibi: hic oritur quaestio. Si omnes mittuntur (...) quare unus tantum inter novem ordines Angelorum nomine censetur? Tertio respondet ad probationes primae opinionis, ibi: qui autem omnes Angelos mitti asserunt, praedictas auctoritates (...) ita determinant. Quaestio autem quam removet, sumitur ex nomine Angeli; unde primo removet eam; secundo exponit quaedam nomina Angelorum, ostendens in quibus conveniant, ibi: et putant quidam Michaelem, Gabrielem, Raphaelem de superiori ordine fuisse. Hic quatuor quaeruntur: 1 utrum omnes Angeli assistant; 2 utrum omnes ministrent; 3 si non; qui assistant, et qui ministrent; 4 utrum illi qui ministrant, per ministerium a contemplatione retardentur.

Après avoir présenté la distinction des ordres, le Maître détermine ici de certains actes qui découlent des divers ordres. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de certains actes qui découlent de tous les ordres : le fait d’entourer et le service ; dans la seconde, il détermine de l’acte de garde, qui relève spécialement d’un ordre, d. 11 : « Il faut aussi savoir que des anges bons ont été assignés à la garde des hommes. » La première partie se divise en trois, selon trois opinions qui sont présentées dans le texte ; la deuxième commence à cet endroit : « Il leur est objecté ce que dit Isaïe… »; la troisième [commence] à cet endroit : « Mais d’autres disent que les trois ordres supérieurs… entourent tellement le Dieu créateur qu’ils ne vont pas à l’extérieur. » À propos de la deuxième partie, il fait trois choses. Premièrement, il présente ce qui confirme la deuxième position par opposition à la première ; deuxièmement, il écarte une question, à cet endroit : « Une question apparaît ici. Si tous sont envoyés…, pourquoi un seul des neux ordres des anges en porte-t-il le nom ? ; troisièmement, il répond aux démonstrations de la première opinion, à cet endroit : « Ceux qui affirment que tous les anges sont envoyés… déterminent de cette manière des autorités mentionnées. » La question qu’il écarte vient du nom « ange ». Premièrement, il l’écarte donc, à cet endroit : « Et ils pensent que Michel, Gabriel et Raphaël faisaient partie d’un ordre supérieur. » Ici, quatre questions sont posées : 1. Tous les anges entourent-ils ? 2. Tous servent-ils ? 3. Sinon, qui entoure et qui sert ? 4. Ceux qui servent sont-ils retenus de contempler par leur service ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4317] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 tit. Utrum omnes Angeli assistant

Article 1 – Tous les anges entourent-ils [Dieu] ?

 

[4318] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod omnes Angeli assistant. Assistere enim dicuntur regi qui ejus vultum praesentialiter intuentur. Sed Matth. 18, 10, dicitur de Angelis ad custodiam deputatis, quod semper vident faciem patris; qui tamen sunt inferioris ordinis. Ergo videtur quod omnes Deo assistant.

1. Il semble que tous les anges entourent. En effet, à propos du roi, on dit que l’entourent ceux qui, en sa présence, regardent son visage. Or, Mt 18, 10 dit, à propos des anges assignés à la garde, qu’ils voient sans cesse le visage du Père ; ils appartiennent cependant à un ordre inférieur. Il semble donc que tous entourent Dieu.

 

[4319] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Gregorium illi dicuntur assistere qui intima contemplatione perfruuntur. Sed omnes Angeli intime contemplantur, cum eos a contemplationis acumine nec pondus corporis neque culpa retardet. Ergo videtur quod omnes assistant.

2. Selon Grégoire, on dit qu’entourent [les anges] qui jouissent de la contemplation intime. Or, tous les anges le contemplent de manière intime, puisque ni le poids du corps ni la faute ne les retient du sommet de la contemplation. Il semble donc que tous l’entourent.

 

[4320] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, cuicumque convenit illud quod majus est, videtur etiam quod minus est sibi convenire, si utrumque sit dignitatis. Sed inter omnes actus patriae, fruitio est nobilissima. Ergo cum omnes fruantur, videtur multo fortius quod omnes assistant.

3. Il semble que tout ce qui convient à ce qui est plus grand convient aussi à ce qui est plus petit, si les deux choses font partie de sa dignité. Or, parmi tous les actes de la patrie, la jouissance est la plus noble. Puisque tous jouissent, il semble donc à plus forte raison que tous sont présents.

 

[4321] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, a conspectu Dei multo amplius distant mali Angeli quam boni. Sed mali Angeli etiam dicuntur Deo assistere, ut habetur Job, 1, 6, quod cum venissent filii Dei ut assisterent coram domino, affuit inter eos etiam Satan. Ergo videtur quod omnes Angeli assistant.

4. Les anges mauvais sont beaucoup plus éloignés de la vision de Dieu que les bons. Or, on dit que les anges mauvais aussi entourent Dieu, comme on le lit dans Jb 1, 6 : Lorsque les fils de Dieu s’approchèrent pour entourer le Seigneur, Satan était aussi parmi eux. Il semble donc que tous les anges l’entourent.

 

[4322] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Daniel. 7, 10 dicitur: millia millium ministrabant ei; ubi dicit Gregorius, quod alii sunt qui assistunt, alii qui ministrant. Ergo non omnes assistunt.

Cependant, [1] il est dit en Dn 7, 10 : Des milliers de milliers le servaient ; à ce propos, Grégoire dit que ceux qui [l’]entourent sont différents de ceux qui [le] servent. Tous ne l’entourent donc pas.

 

[4323] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, illi dicuntur regibus assistere qui in eorum palatiis habitant. Sed, secundum Dionysium, esse in vestibulos divinitatis est proprium primae hierarchiae. Ergo videtur quod illi tantum assistant.

[2] On dit qu’entourent les rois ceux qui habitent leurs palais. Or, selon Denys, se trouver au seuil de la divinité est le propre de la première hiérarchie. Il semble donc que ceux-là seulement entourent.

 

[4324] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod assistere dicitur in Angelis ad similitudinem eorum qui regibus assistunt. Assistere autem regi dicuntur qui circa eum sunt. Unde cum proprium primae hierarchiae assignet Dionysius circa Deum esse, eis tantum convenit assistere. Dicuntur autem circa Deum esse, inquantum immediate illuminationes percipere possunt in ipsa simplicitate divini luminis, et hoc propter perspicacitatem suae intelligentiae. Quanto enim aliquis intellectus est perspicacior, tanto ex principio universali cognito in plures conclusiones et in plura scibilia potest devenire: et illi qui minus sunt perspicacis intellectus, non possunt quaestionum veritates videre nisi in principiis contractis et appropriatis ad materiam illam. Et ideo illi supremi intellectus primae hierarchiae in ipso primo illuminationum principio omnis illuminationis rationes percipiunt; et propter hoc circa Deum esse dicuntur, et ei assistere; inferiores vero cognitionem accipiunt ex ipso lumine jam diviso et multiplicato in ipsis supremis Angelis respectu divinae simplicitatis; et propter hoc non dicuntur circa Deum esse, et sibi assistere.

Réponse. On dit des anges qu’ils sont auprès [de Dieu] par ressemblance avec les gens qui entourent les rois. Or, on dit que sont auprès du roi ceux qui l’entourent. Puisque Denys attribue à la première hiérarchie d’être auprès de Dieu, c’est à eux seulement qu’il convient de l’entourer. Or, on dit qu’ils sont auprès de Dieu pour autant qu’ils peuvent recevoir de manière immédiate des illuminations dans la simplicité même de la lumière divine, et cela, en raison de la perspicacité de leur intelligence. En effet, dans la mesure où une intelligence est plus perspicace, elle peut parvenir à un plus grand nombre de conclusions et à un plus grand nombre d’objets de connaissance à partir d’un principe universel ; et ceux qui ont une intelligence moins perspicace ne peuvent voir les vérités des questions que par les principes limités et adaptés à telle matière. Ainsi, ces intelligences supérieures de la première hiérarchie perçoivent-elles les raisons de toute illumination dans le principe premier même des illuminations. Pour cette raison, on dit qu’elles sont auprès de Dieu et l’entourent. Mais les [intelligences] inférieures reçoivent leur connaissance de la lumière même déjà divisée et multipliée dans les anges supérieurs eux-mêmes en regard de la simplicité divine. Pour cette raison, on ne dit pas qu’ils sont auprès de Dieu et l’entourent.

 

[4325] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis omnes immediate essentiam divinam contemplentur, non tamen in ipsa omnes inspicere possunt hoc quod ad eorum ordinem, idest hierarchiam, pertinet: et ideo non assistunt, proprie loquendo, omnes.

1. Bien que tous contemplent l’essence divine, tous ne peuvent cependant voir en elle ce qui relève de leur ordre, c’est-à-dire de leur hiérarchie. Aussi tous ne l’entourent-ils pas au sens propre.

 

[4326] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod intime contemplari potest dici aliquis tripliciter. Vel secundum quod ejus consideratio non distrahitur ad exteriora sensibilia; et sic omnes Angeli boni et mali intime contemplantur, quia scientiam a sensu non accipiunt: aut per hoc quod non indigent exteriori similitudine in qua Deum contemplentur, quae scilicet sit extra essentiam ejus, sed eum in essentia sua vident; et sic intime contemplantur omnes beati, non autem in statu creationis, nec iterum mali Angeli: aut per hoc quod non tantum essentiam Dei vident, sed ipsam penetrantes, in ipsa inspiciunt ejus effectus, qui in ipsa per similitudinem relucent; et sic intime contemplari est proprie assistere; et hoc solum Angelis primae hierarchiae convenit; secundum alios vero modos dicitur secundum quid assistere.

2. On peut dire de quelqu’un qu’il contemple de manière intime de trois manières. Selon que sa considération n’est pas détournée vers des réalités sensibles extérieures ; de cette manière, tous les anges bons et mauvais contemplent de manière intime, car ils ne reçoivent pas du sens leur science. Ou du fait qu’on n’a pas besoin d’une ressemblance extérieure à son essence, dans laquelle on contemple Dieu, mais qu’on le voie dans son essence. Ainsi, tous les bienheureux le contemplent-ils de manière intime, mais non dans l’état de création ni non plus dans celui de l’ange mauvais. Ou bien du fait qu’on ne voie pas seulement l’essence de Dieu, mais, en la pénétrant, qu’on voie en elle ses effets, qui brillent en elle selon une ressemblance. Contempler de cette manière est, à proprement parler, être présent. Cela ne convient qu’aux anges de la première hiérarchie ; selon les autres modes, on dit que les [anges] sont auprès [de Dieu] de manière relative.

 

[4327] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fruitio est nobilissimus actus patriae; qui quamvis omnibus communis sit, non tamen aequaliter omnibus contingit; sed sunt diversi gradus fruitionis, et altissima fruitio est in assistendo. Unde non sequitur quod omnes fruentes assistant.

3. La jouissance (fruitio) est l’acte le plus noble de la patrie. Bien qu’il soit commun à tous, il ne se produit cependant pas également chez tous, mais il existe divers degrés de jouissance, et la jouissance la plus élevée consiste dans le fait d’être auprès [de Dieu]. Il n’en découle donc pas que tous ceux qui jouissent soient auprès [de Dieu].

 

[4328] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Daemones dicuntur inter assistentes, inquantum cum eis conveniunt in primo modo intimae contemplationis.

4. Les démons sont placés parmi ceux qui sont auprès [de Dieu], pour autant qu’ils ont en commun avec [les anges bons] le premier mode de contemplation intime.

 

 

 

 

Articulus 2 [4329] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 tit. Utrum omnes Angeli mittantur in ministerium

Article 2 – Tous les anges sont-ils envoyés pour un ministère ?

 

[4330] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod omnes Angeli in ministerium mittantur. Nulli enim dubium est quin divinae personae excedant omnes Angelos in infinitum. Sed divinae personae mittuntur, ut filius et spiritus sanctus, ut in 1 Lib., dictum est. Ergo multo fortius omnes Angeli.

1. Il semble que tous les anges soient envoyés pour un ministère. En effet, personne ne doute que les personnes divines dépassent tous les anges d’une manière infinie. Or, les personnes divines sont envoyées, tels le Fils et le Saint-Eprit, comme on l’a dit dans le libre I. Donc, à bien plus forte raison, tous les anges.

 

[4331] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, inter omnes ordines primus ordo est Seraphim. Sed Seraphim leguntur missi. Isai. 6, 6: volavit ad me unus de Seraphim. Ergo videtur quod multo fortius alii mittantur.

2. Parmi tous les ordres, le premier est celui des Séraphins. Or, on lit que les Séraphins ont été envoyés, Is 6, 6 : Un des Séraphins vola vers moi. Il semble donc, à bien plus forte raison, que les autres soient envoyés.

 

[4332] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, apostolus ad Hebraeos intendit probare per ministerium Angelorum, Christum Angelis majorem esse, per hoc quod ipse, non sicut minister, sed sicut verus haeres in domo Dei patris est. Unde dicit ad Hebr. 1, 14, quod omnes sunt administratorii spiritus, in ministerium missi. Sed Christus simpliciter omnibus Angelis major est. Ergo videtur quod, secundum intentionem apostoli, omnes Angeli in ministerium mittantur.

3. Dans l’épître aux Hébreux, l’Apôtre entend démontrer par le ministère des anges que le Christ est plus grand que les anges, du fait que celui-ci n’est pas dans la maison de Dieu le Père comme un serviteur, mais comme le véritable héritier. Aussi dit-il, en He 1, 14, que tous ne sont pas des serviteurs de l’Esprit, envoyés pour un ministère ? Or, le Christ est tout simplement plus grand que tous les anges. Il semble donc que, selon l’intention de l’Apôtre, tous les anges soient envoyés pour un ministère.

 

[4333] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, omnes caelestes spiritus Angeli dicuntur. Sed Angelus idem est quod nuntius. Ergo videtur quod omnes ad exteriora nuntianda mittantur.

4. Tous les esprits célestes sont appelés « anges ». Or, « ange » est la même chose « messager ». Il semble donc que tous soient envoyés annoncer des choses extérieures.

 

[4334] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, quod Angeli ministrent nobis, hoc est propter eximiam caritatem eorum in nos. Sed quanto superiores sunt, tanto majori caritate fervent. Ergo videtur quod eis conveniat magis nobis ministrare.

5. Les anges nous servent en raison de la très grande charité qu’ils ont envers nous. Or, plus ils sont élevés, plus leur charité est fervente. Il semble donc qu’il leur convienne davantage de nous servir.

 

[4335] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, secundum Dionysium, haec est lex divinitatis inviolabiliter stabilita; quod a primis ultima per media perficiantur. Sed inter nos et primos Angelos sunt medii inferiores. Ergo primorum actio immediate non pervenit ad nos, sed est per medios secundos.

Cependant, [1] selon Denys, telle est la loi de la divinité établie de manière inviolable : les premières choses perfectionnent les dernières par des intermédiaires. Or, entre nous et les premiers anges, se trouvent des [anges] intermédiaires inférieurs. L’action des premiers ne parvient donc pas jusqu’à nous de manière immédiate, mais par des intermédiares de second rang.

 

[4336] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, inter agens et recipiens dicitur esse proportio. Sed recipere divinas illuminationes proportionatas nobis, et per convenientiam nostrae hierarchiae, convenit inferioribus Angelis. Ergo videtur quod tantum immediate ipsi ad nos mittantur.

[2] On dit qu’entre celui qui agit et celui qui reçoit, existe une proportion. Or, recevoir des illuminations divines qui sont proportionnées et d’une manière qui convient à notre hiérarchie convient aux anges inférieurs. Il semble donc qu’eux seuls nous soient envoyés de manière immédiate.

 

[4337] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod Gregorius istam quaestionem movet; sed in neutram partem assertive determinat. Quidam vero dicunt, aliquos Angelos ex officio ad ministerium deputari, ut inferiores; sed quod aliqua causa extra communem dispensationem exorta, etiam superiores in ministerium mittuntur. Sed istud non videtur necessarium: quia ad quantumcumque maxima nuntianda vel exequenda inferiores ordines sufficiunt. Et praeterea, quamvis hujusmodi magna fiant praeter communem cursum naturae, non tamen fiunt praeter ordinem gratiae, secundum quem ordinum distinctio attenditur. Et ideo secundum Dionysium dicendum, quod superiores Angeli nunquam immediate circa nos ministerium habent: et hujus ratio ex tribus potest assumi. Primo ex dispositione divinae sapientiae, cujus ordinatione vel lege sancitum est ut a superioribus in ultima per media actiones perveniant, ut sic sit ordinata connexio in omnibus partibus universi, et nulli sua nobilitas subtrahatur, quae est in hoc ut inferiorum quodammodo causa existat quantum ad aliquid. Secundo ex parte illuminationum. Sicut enim in actionibus corporalibus requiritur proportio inter agens et recipiens, quod praecipue in sensibus patet, qui ab excellenti sensibili corrumpuntur; ita etiam est in intellectualibus. Unde intellectus hebes ad subtilissimas veritates non pertingit. Cum ergo lumen intellectuale in supremis Angelis sit simplicissimum et universalissimum, non est proportionatum intellectui nostro, qui est in ultimo gradu intellectualium substantiarum; nisi prius contrahatur et determinetur in ipsis inferioribus, qui sunt minoris simplicitatis. Tertio ex parte ipsarum actionum quas circa nos exercent: cum enim actiones ministerii sint particulares, et circa particularia, oportet quod earum consecutio sit per formas magis contractas et particulares quam in superioribus. Hae autem sunt formae quae sunt in Angelis inferiorum ordinum: et ideo executio divinorum mysteriorum pertinet ad inferiores Angelos: et haec est causa quare philosophi posuerunt duplices motores orbium: scilicet quosdam conjunctos, quos vocabant orbium animas, quorum conceptiones sunt determinatae et particularizatae; et hos etiam Avicenna dicit Angelos ministrantes: alios vero separatos, quos intelligentias dicunt, in quibus sunt formae simplices et universales; et hos dicit Angelos esse assistentes. Unde patet quod haec positio rationabilior est: tum quia Dionysius hoc tradit, qui discipulus Pauli fuit, et dicitur ejus visiones scripsisse; unde eum frequenter in auctorem inducit, et praecipue in divisione hierarchiarum, et, sicut in 13 cap. Caelest. Hier. innuit, haec positio vulgata erat tempore primitivae Ecclesiae: tum etiam quia dictis philosophorum magis consonat, ut ab eis ea quae contra fidem non sunt, accipiamus, aliis resecatis.

Réponse. Grégoire soulève cette question, mais n’en détermine de manière affirmative ni dans un sens ni dans l’autre. Mais certains disent que des anges sont assignés à un ministère en vertu de leur fonction, tels les inférieurs ; mais que, advenant une cause hors du régime commun, même des [anges] supérieurs sont envoyés pour un ministère. Mais cela ne semble pas nécessaire, car, pour annoncer ou accomplir n’importe quelle des choses les plus grandes, les ordres inférieurs suffisent. De plus, bien que ces grandes choses soient accomplies en dehors du cours commun de la nature, elles ne sont cependant pas accomplies en dehors de l’ordre de la grâce, selon lequel on considère la distinction entre les ordres. C’est pourquoi, selon Denys, il faut dire que les anges supérieurs n’ont jamais de ministère à notre égard d’une manière immédiate, et la raison de cela peut être tirée de trois choses. Premièrement, en raison d’une disposition de la sagesse divine, par l’ordonnance ou loi de laquelle il a été décidé que les actions parviendraient des réalités premières aux réalités ultimes par des intermédiaires, de sorte qu’il existe une connexion ordonnée entre toutes les parties de l’univers et que rien ne soit privé de sa noblesse, qui consiste en ce que la cause chez les inférieurs existe en vue de quelque chose. Deuxièmement, du point de vue des illuminations. En effet, de même que, pour les actions corporelles, une proportion est nécessaire entre l’agent et ce qui reçoit ‑ ce qui est clair pour les sens qui sont corrumpus par un objet sensible très élevé ‑, de même en est-ils pour les réalités intellectuelles. Aussi une intelligence émoussée ne parvient-elle pas aux vérités les plus subtiles. Puisque, chez les anges supérieurs, la lumière intellectuelle est la plus simple et la plus universelle, elle n’est donc pas proportionnée à notre intellect, situé au dernier degré des substances intellectuelles, à moins d’être auparavant restreinte et déterminée chez les [anges] inférieurs eux-mêmes, dont la simplicité est moins grande. Troisièmement, du point de vue des actions mêmes que [les anges] exercent sur nous. En effet, puisque les actions du ministère sont particulières et portent sur des réalités singulières, il est nécessaire que leur mise en œuvre se réalise par des formes plus restreintes et particulières que ce n’est le cas chez les [anges] supérieurs. Or, telles sont les formes qui existent chez les anges des ordres inférieurs. C’est pourquoi la mise en œuvre des mystères divins relève des anges inférieurs. Et telle est la raison pour laquelle les philosophes ont affirmé deux moteurs des sphères. Les uns sont unis [aux sphères] : ils les appelaient les « âmes des sphères » et leurs conceptions sont déterminées et particularisées ‑ Avicenne aussi les appelle des « anges serviteurs ». Mais les autres sont séparés : [les philosophes] les appellent intelligences et, chez eux, existent des formes simples et universelles – [Avicenne] appelle ceux-là les « anges qui entourent ». Il est donc clair que cette position est plus raisonnable, d’abord parce que Denys l’enseigne, lui qui était un disciple de Paul et dont on dit qu’il a écrit ses visions. Aussi l’invoque-t-il souvent comme source, surtout pour la division des hiérarchies, et, comme il le suggère dans La hiérarchie céleste, XIII, cette position était commune à l’époque de l’Église primitive. Ensuite, parce qu’elle est davantage en harmonie avec les paroles des philosophes, de telle sorte que nous gardions d’eux ce qui n’est pas contraire à la foi, en retranchant le reste.

 

[4338] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod missio aequivoce convenit divinis personis, et ipsis Angelis: divinae enim personae non mittuntur mutando locum, sed per novum effectum gratiae gratum facientis in sanctis animabus; sed Angeli mittuntur mutando locum, et operando in nos, non sicut agens primum, sed sicut agentia secunda determinata et proportionata respectu propriorum receptivorum: et ideo ratio procedit ex aequivoco.

1. La mission convient de manière équivoque aux personnes divines et aux anges eux-mêmes. En effet, les personnes divines ne sont pas envoyées en changeant de lieu, mais par un nouvel effet de la grâce sanctifiante dans les âmes saintes. Mais les anges sont envoyés en changeant de lieu et en agissant sur nous, non pas comme le premier agent, mais comme des agents seconds déterminés et proportionnés à ceux qui les reçoivent en propre. Le raisonnement repose donc sur une équivoque.

 

[4339] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illam objectionem solvit Dionysius dupliciter. Primo ut dicatur, quod ille qui missus est ad purgandum labia Isaiae, fuit de inferiori ordine, et dictus est de Seraphim aequivoce, quia per ignem purgare venerat. Secundo ut dicatur, vere eum fuisse de ordine Seraphim. Non tamen ille Angelus qui visionem revelabat, erat de superiori ordine, sed de inferiori. Sed cum virtus hierarchica quae est in inferioribus Angelis, sit primo a Deo, et consequenter a superioribus descendens; Angelus visionem formans reduxit prophetam in cognitionem non solum virtutis immediate agentis, sed etiam virtutis divinae, unde ostendit dominum super solium sedentem; et per consequens virtutem supremorum in Angelis, unde ostendit Seraphim circa thronum stantia; et ostendit virtutem purgativam ab eis per inferiores Angelos usque in homines devenire, per hoc quod Seraphim videbatur ad eum volans pervenire. Et ponit exemplum de sacerdote, qui absolvit ex potestate a pontifice descendente; ac si diceret: pontifex te absolvit, qui mihi tradidit potestatem absolvendi te: ita et Angelus ostendit Seraphin purgantem, quia ipse in virtute ejus purgabat.

2. Denys répond à cette objection de deux manières. Premièrement, en disant que celui qui est envoyé pour purifier les lèvres d’Isaïe était d’un ordre inférieur, comme on le dit de manière équivoque du Séraphin, parce qu’il était venu purifier par le feu. Deuxièmement, en disant qu’il faisait vraiment partie de l’ordre des Séraphins. Cependant, l’ange qui révélait la vision ne faisait pas partie d’un ordre supérieur, mais d’un ordre inférieur. Mais, puisque la puissance hiérarchique qui se trouve chez les anges inférieurs vient en premier lieu de Dieu et, ensuite, descend depuis les [anges] supérieurs, l’ange qui a formé la vision ramena le prophète à la connaissance, non seulement de la puissance qui agissait de manière immédiate, mais aussi de la puissance divine. Aussi montre-t-il le Seigneur assis sur son trône. Par la suite, [il montre] la puissance de ceux qui sont supérieurs parmi les anges, et il montre les Séraphins qui se tiennent autour du trône. Et il montre que leur puissance purificatrice parvient jusqu’aux hommes par l’intermédiaire des anges inférieurs par le fait que le Séraphin semblait parvenir jusqu’à lui en volant. Et il donne l’exemple du prêtre, qui absout en vertu du pouvoir qui descend du pontife, comme s’il disait : « Le pontife t’a absous, lui qui m’a transmis le pouvoir de t’absoudre. » De même, l’ange montre le Sérpahin en train de purifier parce que lui-même purifiait en vertu de son pouvoir.

 

[4340] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 ad 3 Et per hoc etiam patet responsio ad tertium: quod omnes dicuntur ministrare, inquantum inferiores virtute superiorum, ministerium exequuntur. Vel potest dici, quod apostolus, Hebr. 1, intendit probare praeeminentiam novae legis ad veterem, propter eminentiam Christi, qui novam legem dedit, ad Angelos, per quos vetus lex tradita est. Unde loquitur quantum ad Angelos ultimi ordinis, per quos lex tradita est; ut sic lex nova, cujus Christus est auctor, legi veteri praeponatur.

3. La réponse au troisième argument ressort ainsi clairement : on dit que tous exercent un ministère dans la mesure où les inférieurs exercent un ministère en vertu du pouvoir des supérieurs. Ou on peut dire que l’Apôtre, en He 1, entend démontrer la prééminence de la loi nouvelle sur l’ancienne en raison de la prééminence du Christ, qui a donné la loi nouvelle, sur les anges par qui il a transmis la loi ancienne. Aussi parle-t-il des anges du dernier ordre, par qui la loi a été transmise, de sorte que la loi nouvelle, dont le Christ est l’auteur, soit placée au-dessus de la loi ancienne.

 

[4341] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnes caelestes spiritus, secundum Dionysium, dicuntur Angeli, non quia ad aliquid nobis nuntiandum mittantur, sed quia divinum lumen, quod caligini et tenebris propter sui simplicitatem, et immensitatem fulgoris comparatur, secundum quod est in suo fonte, in ipsis recipitur cum minori simplicitate; et ideo magis est proportionatum intelligibilibus sequentium; et propter hoc dicuntur nuntiare vel manifestare lumen divinum; et sic unusquisque Angelus inferior sui superioris manifestativus est, sicut nubes nuntiant lumen solis, quod in suo fonte inspici non potest. Si autem dicantur Angeli propter nuntiationem exteriorem, ut Gregorius dicere videtur, tunc etiam Angelis superioribus convenit, inquantum de rebus nuntiandis inferiores illuminant.

4. Selon Denys, tous les esprits célestes sont appelés « anges », non pas parce qu’ils sont envoyés pour nous annoncer quelque chose, mais parce que la lumière divine, qui, de la manière dont elle existe dans sa source, est comparée à l’immensité de l’éclair par rapport aux nuages et aux ténèbres en raison de sa simplicité, est reçue en eux avec une simplicité moindre. C’est pourquoi elle est davantage proportionnée aux intelligibles subséquents ; pour cette raison, on dit qu’ils annoncent ou manifestent la lumière divine. Et ainsi, tout ange inférieur manifeste-t-il son supérieur, comme les nuées annoncent la lumière du soleil, qui ne peut être regardée en sa source. Mais si on les appelle « anges » en raison d’une annonce extérieure, comme Grégoire semble le dire, alors cela convient aussi aux anges supérieurs dans la mesure où ils illuminent les [anges] inférieurs sur ce qui doit être annoncé.

 

[4342] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod superiores Angeli propter caritatem quam in nos habent, inferiores movent et dirigunt ad operandum nostram salutem: nec aliquid perfectae caritati detrahitur, si ministerium immediate non exequuntur.

5. En raison de la charité qu’ils ont envers nous, les anges supérieurs meuvent et dirigent les anges inférieurs afin qu’ils agissent pour notre salut. Et rien n’est enlevé à leur charité parfaite du fait qu’ils n’exercent pas de ministère de manière immédiate.

 

 

 

 

Articulus 3 [4343] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 tit. Utrum omnes Angeli secundae hierarchiae mittantur

Article 3 – Tous les anges de la deuxième hiérarchie sont-ils envoyés ?

 

[4344] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod omnes Angeli secundae hierarchiae mittantur. Omnes enim Angeli vel assistunt vel ministrant. Sed assistere est proprium primae hierarchiae, cujus est circa Deum esse, secundum Dionysium. Ergo omnes alii in ministerium mittuntur.

1. Il semble que tous les anges de la deuxième hiérarchie soient envoyés. En effet, tous les anges sont présents ou ils accomplissent un service. Or, être présent est le propre de la première hiérarchie, à qui il revient d’entourer Dieu, selon Denys. Tous les autres sont donc envoyés pour un ministère.

 

[4345] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, secundum Gregorium, plures sunt qui mittuntur quam qui assistunt. Sed si Angeli secundae hierarchiae non mittantur, plures assisterent, quia sex ordines, tribus tantum ministrantibus. Ergo illi de media hierarchia mittuntur.

2. Selon Grégoire, ceux qui sont envoyés sont plus nombreux que ceux qui sont présents. Or, si les anges de la deuxième hiérarchie ne sont pas envoyés, un plus grand nombre seraient présents, à savoir, six ordres, alors que trois seulement assureraient un service. Ceux qui font partie de la hiérarchie intermédiaire sont donc envoyés.

 

[4346] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, cum nullus Angelus alteri sit aequalis, quilibet Angelus praeter primum et ultimum, est medius inter aliquos duos. Si ergo de ratione mediae hierarchiae esset quod in ministerium non mitteretur, pari ratione nullus Angelus mitteretur in ministerium, nisi ultimus tantum: quod dissonat et a veteribus Scripturis et a dictis sanctorum. Ergo videtur quod illi de media hierarchia mittantur.

3. Puisque aucun ange n’est égal à un autre, tout ange, en dehors du premier et du dernier, est intermédiaire entre deux autres. Si donc il était de la nature de la deuxième hiérarchie que [ces anges] ne soient pas envoyés pour un ministère, pour la même raison aucun ange ne serait envoyé pour un ministère, à part le dernier, ce qui est contraire aux Écritures anciennes et à ce que disent les saints. Il semble donc que ceux qui font partie de la hiérarchie intermédiaire soient envoyés.

 

[4347] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, omnis potestas est ordinata ad executionem operis. Sed nomina ordinum secundae hierarchiae imponuntur a gradu potestatis. Ergo videtur quod eorum sit mitti ad exequendum ministerium.

4. Toute puissance est ordonnée à l’accomplissement d’une action. Or, les noms des ordres de la deuxième hiérarchie sont donnés selon le degré de puissance. Il semble donc qu’il leur revienne d’être envoyés pour accomplir un ministère.

 

[4348] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 5 Sed contra, ordines unius hierarchiae videntur esse aequipotentes in modo accipiendi divinas illuminationes. Sed dominationibus, quae sunt in media hierarchia, non convenit in ministerium mitti: quia ministrare est contra rationem dominii. Ergo videtur quod nec alii ordines mediae hierarchiae mittantur.

5. Cependant, les ordres qui font partie d’une seule hiérarchie semblent avoir un pouvoir égal dans la manière de recevoir les illuminations divines. Or, il ne convient pas aux Dominations, qui font partie de la hiérarchie intermédiaire, d’être envoyées pour un ministère, car accomplir un ministère est contraire à la notion de supériorité. Il semble donc les autres ordres de la hiérarchie intermédiaire ne soient pas non plus envoyés.

 

[4349] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, lex divinitatis est ut superiores reducant ultimos per medios. Sed inter mediam hierarchiam Angelorum et nostram est ultima hierarchia angelica. Ergo videtur quod illuminationes non immediate perveniant ad nos a media hierarchia; et ita Angeli illius hierarchiae non mittuntur.

6. La loi de la divinité consiste en ce que les supérieurs ramènent les derniers par les intermédiaires. Or, entre la hiérarchie intermédiaire des anges et la nôtre, il y a la dernière hiérarchie angélique. Il semble donc que les illuminations ne nous parviennent pas de manière immédiate par la hiérarchie intermédiaire, et ainsi les anges de cette hiérarchie ne sont pas envoyés.

 

[4350] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod quidam dicunt, Angelos primae hierarchiae nullo modo mitti sed assistere; Angelos vero tertiae hierarchiae mitti ad nos; sed Angelos mediae hierarchiae mitti ad illos de tertia: et haec est opinio quae tangitur in littera. Sed non videtur conveniens. Tum quia secundum hoc non esset differentia inter primam et mediam hierarchiam: non enim potest intelligi missio Angeli ad Angelum nisi per hoc quod unus alium illuminat: sicut autem secunda illuminat tertiam, ita prima secundam. Tum etiam quia dictis sanctorum non consonat, qui assignant ordinibus secundae hierarchiae actus qui in executione exterioris ministerii complentur, ut miracula facere, Daemones arcere, et hujusmodi. Et ideo sequendo rationes nominum in sacra Scriptura nobis traditorum, ex quibus, secundum doctrinam Dionysii, ordinum proprietates et officia colligere oportet, dicimus quod mediae hierarchiae duo ultimi ordines, scilicet virtutes et potestates, in exterius ministerium mittuntur; dominationibus autem mitti in ministerium non competit, sed dirigere omnes inferiores in suis ministeriis: hoc enim pertinet ad dignitatem domini ut ad nutum ejus dirigantur actiones subditorum, et ipse actionibus eorum non admisceatur. Unde a Gregorio principatibus et potestatibus praeesse dicitur, et a Dionysio major omni subjectione describitur dominationum ordo. Et ita relinquitur quod ordo virtutum sit supremus omnium ordinum qui mittuntur, quasi pertingens ad ultimum in divinis ministeriis: quod nomini competit: quia virtus dicitur ultimum in re de potentia, ut ponitur in 1 caeli et Mund.

Réponse. Certains disent que les anges de la première hiérarchie ne sont aucunement envoyés, mais qu’ils entourent [Dieu], mais que les anges de la troisième hiérarchie nous sont envoyés, et que les anges de la hiérarchie intermédiaire seraint envoyés à ceux qui font partie de la troisième. Mais cela ne paraît pas approprié. D’abord, parce que, de ce point de vue, il n’y aurait pas de différence entre la première hiérarchie et la hiérarchie intermédiaire. En effet, on ne peut comprendre la mission d’un ange à un autre ange que selon que l’un illumine l’autre : ainsi, la deuxième illumine la troisième et la première, la deuxième. Ensuite, parce que cela n’est pas en harmonie avec les paroles des saints, qui assignent aux ordres de la deuxième hiérarchie des actes qui s’achèvent dans l’accomplissement d’un ministère extérieur, comme le fait d’accomplir des miracles, de repousser les démons et les choses de ce genre. C’est pourquoi, en suivant le sens des noms qui nous sont transmis dans la Sainte Écriture, dont il faut, selon Denys, recueillir les propriétés et les fonctions des ordres, nous disons que les deux derniers de la hiérarchie intermédiaire, les Vertus et les Puissances, sont envoyés pour un ministère extérieur ; mais il ne convient pas que les Dominations soient envoyées pour un ministère, mais qu’elles dirigent tous les inférieurs dans leurs ministères. En effet, c’est le propre de la dignité du seigneur que les actions de ses subordonnés soient dirigées selon sa volonté et qu’il ne soit pas mêlé à leurs actions. Aussi Grégoire dit-il que les Principautés et les Puissances dirigent, et l’ordre des Dominations est-il décrit par Denys comme supérieur à toute soumission. Il reste ainsi que l’ordre des Vertus soit le plus éleve de tous les ordres, atteignant pour ainsi dire le point ultime des ministères divins, ce qui convient à son nom, car on dit d’une chose que sa vertu est le point le plus élevé de sa puissance, comme on l’affirme dans Sur le ciel et le monde, I.

 

[4351] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nullus ordo mediae hierarchiae est, proprie loquendo, de dispositione assistentium, sed pertinet ad dispositionem ministrantium. Sicut autem in artificialibus invenitur aliquis artifex qui tantum manu operatur exequens praeceptum alterius et nulli imperans, sicut ille qui praeparat materiam; alius vero qui praecipit praeparanti materiam, et ipse operatur ad inducendam formam; alius vero qui nihil operatur sed praecipit, habens rationes operis sumptas ex fine cujus est conjectator, et talis dicitur architector, quasi princeps artificum, vel usualis inquantum utitur ministerio subditorum ad suum finem, ut ex 2 Physic. habetur; ita etiam in ministeriis divinis dominationes sunt quasi artifices dirigentes et imperantes; alii vero sicut exequentes secundum gradum et modum suum: nihilominus omnes ministri dicuntur, sicut et isti omnes artifices.

1. A proprement parler, il n’y a aucun ordre de la hiérarchie intermédiaire qui n’ait la disposition de ceux qui entourent, mais cela se rapporte à la disposition de ceux qui assurent un ministère. Mais de même que, pour les réalités artificielles, on trouve un artisan qui agit seulement manuellement pour exécuter l’ordre d’un autre et qui ne commande à personne, comme celui qui prépare la matière, mais qu’un autre ordonne à celui qui prépare la matière, qui agit en vue d’amener une forme, et un autre qui ne fait rien mais ordonne, en ayant les raisons de l’action tirées de la fin dont il est le juge – celui-là s’appelle l’architecte, dirigeant des artisans, ou l’usager, dans la mesure où il fait usage du ministère de subordonnés en vue de sa fin, comme on le lit dans Physique, II ; de même aussi, pour le service de Dieu, les Dominations sont-elles pour ainsi dire les artisans qui dirigent et commandent, mais les autres, ceux qui exécutent selon leur degré et leur mode. Toutefois, tous sont appelés des ministres, comme tous [sont appelés] des artisans.

 

[4352] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum hanc positionem verificatur dictum Gregorii; quia plures erunt ordines ministrantium (quia sex) quam assistentium, qui sunt tres, ut ex dictis patet.

2. Ce que dit Grégoire est avéré selon certte position, car il y a plus d’ordres de serviteurs – ils sont au nombe de six – que d’ordres de ceux qui entourent, qui sont au nombre de trois, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 

[4353] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod medium, inquantum hujusmodi, non est immediate operativum: quia actio est secundum contactum vel secundum situm in corporalibus, vel secundum ordinem in spiritualibus: sed si aliquid sit medium quantum ad aliquid, et quantum ad aliud ultimum, potest immediate agere. Hoc autem contingit quando plures secundum gradum potentiae differentes, super idem operationem habent. Erit enim aliqua actio quam circa illud potest efficere superior quam non potest inferior facere; et quantum ad illam actionem illud supremum est ultimum. Alia vero actio est quam poterit inferior facere; et in illa est supremum operans et non ultimum; sed medium inter primum dirigens et ultimum operans; unde hanc actionem non faciet medium nisi mediante ultimo: quod patet in exemplo prius inducto. Artifex enim qui inducit formam, in hac operatione est ultimus: quia nullus infra eum hoc potest, ut verbi gratia, compaginare tabulas ad formam navis complendam; et ideo hoc immediate facit. Sed praeparationem materiae per dolationem tabularum facit mediante inferiori artifice, inquantum dat sibi regulas, quales debeant esse tabulae aptae ad compaginationem navis. Ita est etiam in ordinibus Angelorum. Potestates enim habent actum circa ea quae pertinent ad tranquillitatem totius universi inquantum habent potentiam non limitatam; et talia ordo potestatum per se facit. Alia vero sunt quae pertinent ad statum unius provinciae vel regni, et hoc non faciunt potestates nisi mediantibus principatibus, qui haec per se exequuntur. Quaedam vero sunt pertinentia ad aliquem vel ad aliqua specialiter: et haec etiam principatus non exequuntur nisi mediantibus Angelis: in quibus etiam quae majora sunt, fiunt immediate per superiores; et quae minora sunt, immediate ab inferioribus.

3. Ce qui est intermédiaire n’agit pas de manière immédiate en tant que tel, car l’action se réalise par le contact ou selon la position pour les réalités corporelles, ou selon l’ordre pour les réalités spirituelles. Mais si une chose est intermédiaire sous un aspect et dernier sous un autre, elle peut agir de manière immédiate. Or, cela se produit lorsque plusieurs choses, différant par le degré de leur puissance, exercent une action sur une même chose. En effet, il y aura une action que peut réaliser sur cette chose le supérieur, que l’inférieur ne peut pas réaliser ; pour ce qui est de cette action, ce qui est ainsi plus élevé est dernier. Mais il y a une autre action que l’inférieur peut accomplir ; pour celle-ci, ce qui est plus élevé agit, et non ce qui est dernier, mais ce qui dirige en premier lieu et est l’agent ultime. Aussi l’intermédiaire n’accomplira-t-il cette action que par l’intermédiaire du dernier, ce qui ressort clairement dans l’exemple invoqué plus haut. En effet, l’artisan qui entraîne la forme est dernier pour cette opération, car personne ne peut le faire au-dessous de lui : ainsi, par exemple, assembler les planches pour réaliser la forme d’un navire. C’est pourquoi il accomplit cela de manière immédiate. Mais il réalise la préparation de la matière par le polissage des planches par l’intermédiaire d’un artisan inférieur, dans la mesure où il lui donne les règles auxquelles doivent se conformer les planches pour l’assemblage du navire. Il en va ainsi de même pour les ordres des anges. En effet, les Puissances accomplissent un acte sur ce qui se rapporte à la tranquillité de tout l’univers dans la mesure où elles possèdent une puissance non limitée, et l’ordre des Puissance accomplit cela par lui-même. Mais il y a d’autres choses qui se rapportent à l’état d’une province ou d’un royaume : les Puissances n’accomplissent cela que par l’intermédiaire des Principautés, qui accomplissent cela par elles-mêmes. Mais il existe des choses qui se rapportent à quelqu’un ou à certaines choses de manièe spéciale : les Principautés n’accomplissent cela que par l’intermédiaire des anges. Parmi ces choses, celles qui sont plus grandes sont accomplies de manière immédiate par les [anges] supérieurs, et celles qui sont moins grandes, de manière immédiate par les [anges] inférieurs.

 

[4354] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ex hoc quod ordines secundae hierarchiae nominantur a potentia, significatur quod ad ministrativam dispositionem pertinent; sed non oportet quod omnes immediate ministerium exequantur.

4. Du fait que les ordres de la deuxième hiérarchie sont nommés selon leur puissances, on signifie qu’ils se rapportent à une disposition relative au service ; mais il n’est pas nécessaire que tous accomplissent ce service de manière immédiate.

 

[4355] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 3 ad 5 Ad alia etiam duo patet responsio per ea quae dicta sunt.

5. La réponse aux deux autres arguments ressort de ce qui a été dit.

 

 

 

 

Articulus 4 [4356] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 tit. Utrum Angeli impediantur a contemplatione per executionem ministerii

Article 4 – Les anges sont-ils empêchés de contempler par l’accomplissement d’un ministère ?

 

[4357] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Angeli per executionem ministerii a contemplatione retardentur: quia, ut habetur Tobiae 12, 20, Angelus in ministerio existens, dixit: tempus est ut revertar ad eum qui misit me. Sed non revertitur nisi per contemplationem. Ergo videtur quod per ministerium a contemplatione Dei abscesserit.

1. Il semble que les anges soient empêchés de contempler par l’accomplissement d’un ministère, car, ainsi qu’on le lit dans Tb 12, 20, l’ange qui se trouve en service a dit : Il est temps que je retourne vers Celui qui m’a envoyé. Or, il ne retourne que par la contemplation. Il semble donc qu’il s’était éloigné de la contemplation de Dieu par son ministère.

 

[4358] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, una potentia finita non potest simul in plures operationes. Sed potentia Angeli finita est. Ergo videtur quod non potest simul contemplari et ministrare.

2. Une puissance ne peut agir en même temps dans plusieurs opérations. Or, la puissance de l’ange est finie. Il semble donc qu’elle ne puisse en même temps contempler et servir.

 

[4359] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, intellectus creatus non potest simul plura intelligere. Sed quando ministrant Angeli, intellectu considerant ea quae agunt. Ergo videtur quod tunc divina contemplari non possunt.

3. Une intelligence créée ne peut intelliger plusieurs choses en même temps. Or, lorsque les anges sont en service, ils considèrent par l’intelligence ce qu’ils font. Il semble donc qu’ils ne peuvent alors contempler les réalités divines.

 

[4360] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, locus contemplationis est caelum Empyreum. Sed cum sunt hic, secundum Damascenum non sunt in caelo. Ergo videtur quod exequendo circa nos ministerium, a contemplatione retardentur.

4. Le lieu de la contemplation est le ciel empyrée. Or, lorsqu’ils sont ici, ils ne sont pas au ciel, selon [Jean] Damascène. Il semble donc qu’en accomplissant parmi nous un ministère, ils soient empêchés de la contemplation.

 

[4361] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Gregorius quod sic ad exteriora prodeunt quod ab intimis nunquam recedunt. Ergo videtur quod semper contemplentur vel assistant, si sunt iidem ministrantes et assistentes.

Cependant, [1] Grégoire dit au contraire qu’ils vont à l’extérieur de telle manière qu’ils ne s’éloignent jamais des réalités intérieures. Il semble donc qu’ils contemplent ou entourent toujours, si ce sont les mêmes qui servent et entourent.

 

[4362] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, beatitudo Angelorum non minuitur ex eorum ministerio. Sed eorum beatitudo tota est in contemplatione divinitatis. Ergo in nullo per ministerium eorum contemplatio retardatur.

[2] La béatitude des anges n’est pas diminuée par leur ministère. Or, leur béatitude est tout entière dans la contemplation de la divinité. Leur contemplation n’est donc nullement empêchée par leur ministère.

 

[4363] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod Angeli beati nullam operationem habent quae non sit essentialis beatitudini, vel in qua per contemplationem beatam non dirigantur; et ideo contemplatio eorum se habet ad ministeria quae exequuntur, sicut in artifice consideratio regularum artis ad executionem operis: eo quod ipse Deus est finis omnium operum hierarchicorum, et a fine sumitur ratio cujuslibet operis; et ita se habet finis ad operabilia sicut principium ad speculabilia, ut in 2 Physic. dicitur. Et ideo, sicut artifex simul considerat rationem artis et exequitur opus; ita et Angelus simul contemplatur Deum et ministrat nobis.

Réponse. Les anges bienheureux n’exercent aucune opération qui ne soit essentielle à leur béatitude ou dans laquelle ils ne soient pas dirigés par leur contemplation bienheureuse ; c’est pourquoi leur contemplation a avec le ministère qu’ils exercent le même rapport que, chez l’artisan, la considération des règles de l’art avec l’accomplissement d’une œuvre, du fait que Dieu lui-même est la fin de toutes les actions hiérarchiques et que la raison de toute action est prise de la fin. Ainsi, la fin joue, par rapport à ce qui peut être objet d’une action, le même rôle qu’un principe par rapport à ce qui peut être objet de spéculation, comme le dit Physique, II. C’est pourquoi, de même que l’artisan considère en même temps la raison de l’art et exécute une œuvre, de même aussi l’ange contemple Dieu en même temps qu’il nous sert.

 

[4364] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Angelus dicitur discedere a Deo non per intermissionem contemplationis, aut per locum (quia intra Deum currunt quocumque mittantur, ut dicit venerabilis Beda, eo quod Deus ubique est), sed per hoc quod ab invisibilitate recedens visibilis apparet, sicut filius exivit a patre et venit in mundum, visibilis hominibus factus, Joan. 16: et similiter dicuntur reverti ad Deum, quando deposita visibili specie ad pristinam invisibilitatem revertuntur.

1. On dit que l’ange s’éloigne de Dieu, non pas par l’interruption de la contemplation ou par le lieu (car, « partout où ils sont envoyés, ils courent à l’intérieur de Dieu », comme le dit le vénérable Bède, puisque Dieu est partout), mais par le fait que, s’éloignant de l’invisibilité, il apparaît de manière visible, comme le Fils est sorti du Père et est venu dans le monde en devenant visible aux hommes, Jn 16. De même dit-on qu’ils retournent à Dieu lorsque, en quittant une apparence visible, ils retournant à leur invisibilité première.

 

[4365] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod contemplatio Angelorum magis se habet per modum receptionis quam actionis; et ideo, sicut luna simul recipit lumen a sole et illuminat inferiora corpora; ita etiam Angelus simul illuminatur a superiore et illuminat inferiorem, vel ministrat circa nos.

2. La contemplation des anges est plutôt réception qu’action. C’est pourquoi, de même que la lune reçoit en même temps la lumière du soleil et illumine les corps inférieurs, de même aussi l’ange est-il illuminé par une réalité supérieure et illumine-t-il une réalité inférieure ou exerce un ministère envers nous.

 

[4366] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ea quae cognoscuntur diversis rationibus, intellectus non potest simul considerare: quia non potest consignari diversis similitudinibus simul, sicut nec corpus diversis figuris; sed ea quae cognoscuntur una ratione, vel quorum unum est ratio alterius, nihil prohibet simul intelligi.

3. L’intellect ne peut considérer les choses qui sont connues par des raisons différentes, car il ne peut être marqué par diverses similitudes, de même qu’un corps [ne peut avoir] en même temps plusieurs figures. Mais rien n’empêche que soit intelligé en même temps ce qui est connu par une seule raison ou dont une chose est la raison d’une autre.

 

[4367] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caelum Empyreum non est locus contemplationis secundum necessitatem, sed secundum congruentiam, sicut et Ecclesia domus orationis dicitur; et ideo ratio non sequitur.

4. Le ciel empyrée n’est pas le lieu de la contemplation par nécessité, mais par convenance, comme on dit que l’église est la maison de la prière. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 10

 

[4368] Super Sent., lib. 2 d. 10 q. 1 a. 4 expos. Item Dionysius in hierarchia (...) ait. Verba quae sequuntur, sunt Gregorii inducentis auctoritatem Dionysii non quantum ad verba, sed quantum ad sensum. Et putant quidam Michaelem, Gabrielem et Raphaelem de superiori ordine fuisse. Hoc expresse contradicit Scripturae: quia Michael Daniel. 10, ponitur in ordine principum; Gabriel autem dicitur de ordine Archangelorum; Raphael autem posset poni in ordine Angelorum secundum ea quae circa singulares personas exercuit.

 

 

 

 

 

Distinctio 11

Distinction 11 – [La garde des hommes par les anges]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Les anges sont-ils assignés à la garde des hommes ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[4369] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 pr. Postquam determinavit de quibusdam actibus qui consequuntur omnes ordines, scilicet assistere et ministrare; hic determinat de quodam actu ad quem unus ordo specialiter deputatur, scilicet custodire homines; et dividitur in partes duas: in prima determinat de Angelis quantum ad officium custodiae; in secunda quantum ad profectum, praedictum officium consequentem, ibi: praeterea illud considerari oportet. Circa primum duo facit: primo determinat veritatem; secundo circa determinata movet quaestionem, ibi: solet etiam quaeri, utrum singuli Angeli singulis hominibus, an unus pluribus ad custodiam vel exercitium deputatus sit. Ubi tria facit: primo movet quaestionem; secundo excludit alteram partem, ibi: sed cum electi tot sint quot et boni Angeli sunt, plures constat esse omnes simul bonos et malos homines quam boni Angeli sint; tertio excludit reliquam, et exponit eam, ibi: ideoque dici oportet, unum eumdemque Angelum bonum vel malum pluribus hominibus deputari ad custodiam vel ad exercitium. Circa custodiam Angelorum quaeruntur hic quinque: 1 utrum Angeli hominibus ad custodiam deputentur; 2 cujus ordinis sit custodire; 3 quorum hominum sit custodiri; 4 utrum custodes Angeli semper custodiant homines quibus deputantur, vel quandoque eos derelinquant; 5 cum de salute hominum gaudeant Angeli, utrum e contrario de perditione eorum tristentur.

Après avoir déterminé de certains actes qui affectent tous les ordres : entourer et servir, [le Maître] détermine ici de l’acte auquel un ordre est spécialement assigné : la garde des hommes. Il y a deux parties : dans la première, il détermine des anges pour ce qui est de la fonction de la garde ; dans la seconde, pour ce qui est du progrès qui découle de cette fonction, à cet endroit : « De plus, il est nécessaire de considérer ceci… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité ; deuxièmement, il soulève une question à propos de ce qui a été déterminé, à cet endroit : « On a aussi coutume de demander si des anges sont assignés un à un à chaque homme ou si un seul [est assigné] à plusieurs en vue de les garder ou de les entraîner. » Il fait là trois choses. Premièrement, il soulève la question. Deuxièmement, il en écarte une partie, à cet endroit : « Mais puisqu’il y a le même nombre d’élus que de bons anges, il est clair que le nombre d’hommes bons et mauvais est plus grand que celui des anges bons. » Troisièmement, il écarte [la partie] qui reste et l’explique, à cet endroit : « C’est pourquoi il faut dire qu’un seul et même ange bon ou mauvais est assigné à plusieurs hommes pour les garder ou les entraîner. » À propos de la garde des anges, on pose ici cinq questions : 1. Des anges sont-ils assignés à la garde [des hommes] ? 2. À quel ordre revient-il de garder ? 3. Quels hommes doivent-ils être gardés ? 4. Les anges gardiens gardent-ils toujours les hommes à qui ils sont assignés ou les abandonnent-ils parfois ? 5. Puisque les anges se réjouissent du salut des hommes, en sens contraire, s’attristent-ils de leur perte ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4370] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 tit. Utrum Angeli custodiant homines

Article 1 – Des anges gardent-ils les hommes ?

 

[4371] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angeli homines non custodiant. Deus enim est custos hominum, ut dicitur Job 7. Sed perfectior est custos qui per seipsum sufficit ad custodiam quam qui custodit mediantibus aliis. Cum ergo omne quod est perfectissimum, Deo sit attribuendum, videtur quod ipse nos per Angelos non custodiat.

1. Il semble que des anges ne gardent pas les hommes. En effet, Dieu est le gardien des hommes, comme il est dit en Jb 7. Or, le gardien qui suffit par lui-même à garder est plus parfait que celui qui garde par l’intermédiaire d’autres. Puisque tout ce qu’il y a de plus parfait doit être attribué à Dieu, il semble donc qu’Il ne nous garde pas par l’intermédiaire d’anges.

 

[4372] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, custodia et conservatio hominum est per gratiam. Sed gratiam Deus immediate infundit animae, et non per Angelos. Ergo videtur quod eis non competat custodire nos.

2. La garde et la conservation des hommes se réalisent par la grâce. Or, Dieu infuse de manière immédiate la grâce dans l’âme, et non pas par l’intermédiaire d’anges. Il semble donc qu’il ne leur revient pas de nous garder.

 

[4373] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, unus effectus custodiae Angelorum ponitur quod deferant orationes nostras ad Deum. Sed hoc videtur omnino superfluum, cum Deus omnia cognoscat. Ergo videtur vanum ponere Angelos hominum custodes.

3. Le fait de porter nos prières jusqu’à Dieu est présenté comme un des effets de la garde des anges. Or, cela semble tout à fait superflu, puisque Dieu connaît tout. Il semble donc vain de présenter des anges comme les gardiens des hommes.

 

[4374] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, custos ponitur alicui aut propter imbecillitatem, ut scilicet juvetur et defendatur, aut propter ignorantiam, ut instruatur; sicut mulieribus et pueris doctores et paedagogi dantur. Sed homo per se potest cognoscere ea quae sunt facienda vel vitanda, per legem naturalem cordi impressam; et potest etiam exequi propter arbitrii libertatem. Ergo videtur quod custodia Angelorum non egeat.

4. Un gardien est assigné à quelqu’un soit en raison de sa faiblesse, afin qu’il soit aidé et défendu, soit en raison de son ignorance, afin qu’il soit instruit, comme des maîtres et des pédagogues sont donnés aux femmes et aux enfants. Or, l’homme peut, par la loi naturelle inscrite en son cœur, connaître par lui-même ce qu’il faut faire ou éviter ; il peut aussi l’accomplir par la liberté de son arbitre. Il semble donc qu’il n’ait pas besoin de la garde des anges.

 

[4375] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, custodis officium est retrahere custoditum ab his quae sibi sunt nociva. Sed Angeli non retrahunt homines a peccatis, cum multos in peccata praecipitari videamus. Ergo videtur quod Angeli hominum custodes non sint.

5. La fonction du gardien consiste à éloigner de ce qui lui est nuisible celui qui est gardé. Or, les anges n’éloignent pas les hommes des péchés, puisque nous en voyons plusieurs se précipiter dans les péchés. Il semble donc qu’il n’y ait pas d’anges gardiens des hommes.

 

[4376] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, custodis est instruere custoditum secundum modum ejus. Sed modus hominis est cognitionem a sensibilibus accipere. Ergo videtur quod visibilibus apparitionibus nos deberent instruere. Hoc autem non faciunt, nisi forte raro. Ergo videtur quod vel non custodiunt, vel sunt negligentes in custodiendo.

6. Il revient au gardien d’instruire celui qui est gardé selon son mode. Or, le mode de l’homme consiste à recevoir la connaissance à partir des réalités sensibles. Il semble donc qu’ils devraient nous instruire par des apparitions visibles. Mais ils ne font pas cela, sauf rarement. Il semble donc soit qu’ils ne gardent pas, soit qu’ils sont négligents dans leur garde.

 

[4377] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in Psalm. 90, 2: Angelis suis Deus mandavit de te, ut custodiant te in omnibus viis tuis

Cependant, [1] Ps 91, 11 dit le contraire : Dieu a donné ordre à ses anges à ton sujet pour qu’ils te gardent sur tous tes chemins.

 

[4378] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Deus est pronior ad miserendum quam ad puniendum. Sed Deus hominibus dedit Daemones ad exercitium, ut habetur ad Ephes. ult., 12: non est nobis colluctatio adversus carnem et sanguinem, sed adversus principes et potestates, adversus mundi rectores tenebrarum harum. Ergo videtur quod multo fortius dederit Angelos ad custodiendum.

[2] Dieu est plus enclin à faire miséricorde qu’à punir. Or, Dieu a donné aux hommes des démons pour les mettre à l’épreuve, comme on le lit dans Ep 6, 12 : Nous ne luttons pas contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dirigeants de ce monde de ténèbres. Il semble donc qu’à plus forte raison, il aura donné des anges pour [nous] garder.

 

[4379] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, secundum Boetium in libro de Consolat., Deus providentiam suam quam de omnibus rebus habet, mediantibus quibusdam causis exequitur. Ut autem in primo dictum est, quamvis omnium rerum providentiam habeat, speciali tamen modo substantiae rationales suae providentiae subduntur, inquantum altiori modo prae ceteris finem divinae bonitatis natae sunt consequi, et per altius principium, quod est voluntas. Quia ergo inter Deum et homines media est natura angelica, et secundum legem sapientiae suae hoc est ordinatum ut inferioribus per superiora provideat; ideo ipsi Angeli exequuntur divinam providentiam circa salutem hominum, adjuvando ad tendendum in finem, et liberando ab his quae processum in finem impediunt: et haec executio divinae providentiae per Angelos de hominibus, vocatur custodia Angelorum.

Réponse. Selon Boèce, dans le livre Sur la consolation, Dieu exerce la providence qu’il a pour toutes choses par certaines causes intermédiaires. Comme on l’a dit dans le premier [livre], bien qu’il exerce sa providence sur toutes choses, les substances raisonnables sont cependant soumises à sa providence d’une manière spéciale, dans la mesure où elles sont destinées à poursuivre la fin de la bonté divine selon un mode plus élevé que les autres et par un principe plus élevé, qui est la volonté. Parce que la nature angélique est intermédiaire entre Dieu et les hommes, et selon la loi de la sagesse [divine], il a donc été ordonné qu’il exerce sa providence sur les réalités inférieures par l’intermédiairre des réalités supérieures. C’est pourquoi les anges eux-mêmes réalisent la providence divine pour le salut des hommes en [les] aidant à tendre vers leur fin et en [les] libérant de ce qui [les] empêche de marcher vers leur fin. Une telle mise en œuvre de la providence divine par les anges à l’égard des hommes est appelée la garde des anges.

 

[4380] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus est custos primus et principalis, apud quem summa providentia residet: nec est propter suam insufficientiam quod suam providentiam de hominibus exequitur per Angelos, sed propter ordinem suae sapientiae. Tum quia congruit Angelis, ut scilicet eis haec dignitas non negetur, quod sint duces hominum reductionis in Deum; et in hoc Deum quodammodo imitantur, inquantum cooperantur Deo in introductione hominum in finem. Tum quia congruit hominibus, qui sunt in statu imperfectionis, quem pueritiae apostolus comparat 1 Corinth. 13; unde eis custodes tamquam pueris assignantur, donec veniente quod perfectum est, evacuetur quod ex parte est.

1. Dieu est le gardien premier et principal, en qui la providence suprême réside. Et ce n’est pas en raison de son insuffisance qu’il exerce sa providence sur les hommes par des anges, mais en raison de l’ordre de sa sagesse. Soit parce qu’il convient aux anges que la dignité de diriger les hommes dans leur retour vers Dieu ne leur soit pas refusée : en cela, ils imitent Dieu, d’une certaine manière, dans la mesure où ils coopèrent avec Dieu à mener les hommes à leur fin. Soit parce que cela convient aux hommes, qui sont dans un état d’imperfection, que l’Apôtre compare à l’enfance, 1 Co 13 ; ils leur sont par conséquent assignés comme à des enfants jusqu’à ce que, advenant ce qui est parfait, ce qui est imparfait soit rejeté.

 

[4381] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut in operationibus artificialibus, in quibus instrumenta quodammodo disponunt ad formam, ut ignis mollificando ferrum, et martellus dilatando; sed forma cultelli inducitur ab artifice per similitudinem artis quam habet: ita etiam Deus, qui est primus custos, inducit ultimam perfectionem conjungentem fini, et per hoc conservantem, scilicet gratiam et gloriam. Sed Angelorum est praeparare homines ad susceptionem gratiae per illuminationes, et alia hujusmodi.

2. Comme pour les opérations de l’art, dans lesquelles les instruments disposent d’une certaine manière à la forme, comme le feu en ramollissant le fer et le marteau en l’étendant, alors que la forme du couteau est amenée par l’artisan en vertu de la ressemblance de l’art qu’il possède, de même aussi Dieu, qui est le premier gardien, amène-t-il la perfection ultime qui unit à la fin et la conserve ainsi, à savoir, la grâce et la gloire. Mais il revient aux anges de préparer les hommes à recevoir la grâce par des illuminations et par d’autres choses de ce genre.

 

[4382] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non dicuntur Deo orationes nostras deferre quasi ipsum de hoc docentes, sed quasi ipsum orantes pro nobis; sicut etiam sacerdos offert Deo orationem populi, inquantum sua interventione effectum orationibus impetrat.

3. On ne dit pas qu’ils portent nos prières à Dieu comme s’ils les lui enseignaient, mais en tant qu’ils prient pour nous, de la même manière que le prêtre offre à Dieu la prière du peuple pour autant que, par son intervention, il obtient un résultat par ses prières.

 

[4383] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod lumen naturalis cognitionis imperfectum est, et praecipue ad dirigendum in illa quae naturam excedunt: voluntas etiam ejus potest ad malum inclinari multis occasionibus: et ideo providet hominibus Angelorum praesidium.

4. La lumière de la connaissance naturelle est imparfaite, surtout pour diriger dans ce qui dépasse la nature ; sa volonté peut aussi être encline au mal en beaucoup d’occasions. C’est pourquoi [Dieu] fournit aux hommes l’aide des anges.

 

[4384] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut providentiae divinae est sic impedire mala, ut tamen salvetur naturae conditio; ita etiam et Angelorum custodiae: et ideo ad Angelos non pertinet quod homines custodiendo ad virtutem cogant, et a vitiis retrahant: quia sic periret libertas arbitrii et ratio meriti.

5. De même qu’il revient à la providence divine d’empêcher le mal de telle manière que la condition de la nature soit sauvegardée, de même en est-il pour la garde des anges. C’est pourquoi il ne revient pas aux anges de forcer les hommes à la vertu et de les détourner des vices en les gardant, car ainsi la liberté de l’arbitre et la raison du mérite disparaîtraient.

 

[4385] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod hujusmodi apparitiones visibiles Angelorum, eo quod sunt supra cursum naturae, stuporem quemdam incutiunt, et quodammodo violenter incitant ad consensum: in quo perit aliquod bonum hominis quantum ad conditionem naturae, quod est inquisitio rationis. Unde hujusmodi apparitiones non omnibus fiunt; sed aliquibus factae sunt ad confirmationem fidei in multis, sicut etiam miracula. Nihilominus tamen per modum nostrum instruunt nos, illustrando phantasmata, et confortando lumen intellectus nostri, et excitando ad aliquid rectius considerandum.

6. Ces apparitions visibles des anges, du fait qu’elles dépassent le cours de la nature, frappent de stupéfaction et incitent en quelque sorte violemment au consentement. En cela disparaît un bien de l’homme pour ce qui est de la condition de sa nature : la recherche de la raison. Aussi ces apparitions ne sont-elles pas faites pour tous, mais elles ont eu lieu pour certains en vue de l’affermissement de la foi chez un grand nombre, comme aussi les miracles. Néanmoins, elles nous instruisent à notre manière en éclairant les fantasmes, en renforçant et en stimulant la lumière de notre intelligence en vue de considérer quelque chose d’une manière plus correcte.

 

 

 

 

Articulus 2 [4386] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 tit. Utrum ad omnes ordines tertiae hierarchiae pertineat custodire homines

Article 2 – Appartient-il à tous les ordres de la troisième hiérarchie de garder les hommes ?

 

[4387] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod custodire pertineat ad omnes ordines tertiae hierarchiae. Quia, secundum Dionysium, tertiae hierarchiae proprium est lumen divinum accipere per convenientiam nostrae hierarchiae, idest proportionatum ad immediate transferendum in nos. Sed ille Angelus dicitur custos hominis qui immediate ipsum illuminat. Ergo videtur quod custodire ad omnes pertineat.

1. Il semble que garder appartienne à tous les ordres de la troisième hiérarchie, car, selon Denys, c’est le propre de la troisième hiérarchie de recevoir la lumière divine d’une manière qui convient à notre hiérarchie, c’est-à-dire adaptée à nous la transférer de manière immédiate. Or, on appelle ange gardien de l’homme celui qui l’illumine de manière immédiate. Il semble donc qu’il convienne à tous de garder.

 

[4388] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Angelus custos defendit hominem ab impugnatione invisibilis hostis. Sed arcere, secundum Gregorium pertinet ad potestates. Ergo videtur quod illi ordini praecipue conveniat custodire.

2. L’ange gardien defend l’homme des assauts d’un ennemi invisible. Or, selon Grégoire, repousser relève des Puissances. Il semble donc qu’il convienne surtout à cet ordre de garder.

 

[4389] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, missio ordinatur ad custodiam. Sed Angeli quinque ordinum mittuntur ad explendum exterius ministerium, ut dictum est. Ergo omnibus convenit custodire.

3. La mission est ordonnée à la garde. Or, cinq ordres d’anges sont envoyés pour accomplir un ministère extérieur, comme on l’a dit. Il convient donc à tous [ceux-là] de garder.

 

[4390] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, in hominibus inveniuntur diversa officia. Sed secundum diversa officia distinguuntur ordines Angelorum, quorum officiorum aliquae similitudines inveniuntur in officiis humanis, ut dicit Gregorius, ostendens qualiter homines ad ordines Angelorum assumantur. Ergo videtur quod omnes ordines ad custodiam deputentur.

4. Chez les hommes, on trouve diverses fonctions. Or, les ordres des anges se distinguent par leurs fonctions différentes : on trouve certaines ressemblances avec les fonctions humaines, comme le dit Grégoire, en montrant comment les hommes sont intégrés aux ordres des anges. Il semble donc que tous les ordres soient assignés à la garde.

 

[4391] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Gregorius, Angelos esse qui minima nuntiant. Sed minima sunt quae ad singulares personas pertinent: quia quanto bonum est communius, tanto est divinius, secundum philosophum. Ergo videtur quod illi qui singulis hominibus praesunt, sunt tantum de ordine Angelorum.

Cependant, [1] Grégoire dit que les anges sont ceux qui annoncent les plus petites choses. Or, les plus petites choses sont celles qui se rapportent aux personnes singulières, car plus un bien est commun, plus il est divin, selon le Philosophe. Il semble donc que ceux qui s’occupent de chaque homme appartiennent seulement à l’ordre des anges.

 

[4392] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Bernardus dicit in Lib. de Considerat.: putamus Angelos dici qui singulis hominibus praeponuntur, in ministerium missi propter eos qui hereditatem capiunt salutis. Ergo videtur idem quod prius.

[2] Bernard dit, dans le livre Sur la considération : « Nous pensons qu’on appelle anges ceux qui s’occupent de chaque homme, envoyés pour un ministère auprès de ceux qui reçoivent l’héritage du salut. » Il semble donc que ce soit la même chose que précédemment.

 

[4393] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod illi Angeli dicuntur hominum custodes qui immediate illos illuminant, et habent actus limitatos circa humana officia, et procurant quae ad ipsos specialiter pertinent: et ex hoc quod immediate illuminant, excluduntur a custodia Angeli assistentes; ex hoc autem quod habent actus limitatos ad dirigendum in humanis officiis, excluditur media hierarchia, quae habet potestatem non limitatam ad humana officia. Per hoc autem quod per custodiam procurant ea quae pertinent ad aliquas determinatas personas, quod est ultimum et minimum in actibus Angelorum, deputatur custodia ultimo ordini, qui est ordo Angelorum.

Réponse. On appelle anges gardiens des hommes ceux qui les illuminant de manière immédiate, exercent des actes limités sur les fonctions humaines et leur procurent ce qui les concerne d’une manière spéciale. Du fait qu’ils illuminent de manière immédiate, sont exclus de la garde les anges qui entourent [Dieu] ; mais du fait qu’ils exercent des actes limités pour diriger les fonctions humaines, la hiérarchie intermédiaire est exclue, car elle possède un pouvoir non limité sur les fonctions humaines. Mais du fait qu’ils procurent par leur garde ce qui concerne des personnes déterminées, ce qui est le dernier et le plus petit des actes des anges, la garde est assignée au dernier ordre, qui est l’ordre des Anges.

 

[4394] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tota tertia hierarchia accipit illuminationes proportionatas ad actus et officia humana; non tamen ad hanc vel ad illam personam; sed hoc est Angelorum; et ita eis convenit custodire singulos homines, aliis vero convenit custodire singulas provincias vel regna.

1. La troisième hiérarchie au complet reçoit des illuminations proportionnées aux actions et aux fonctions humaines, mais non à telle ou telle personne ; cela revient aux Anges. Ainsi leur convient-il de garder chaque homme, mais il convient aux autres de garder chaque province ou royaume.

 

[4395] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inferiores Angeli participant virtutem superiorum, inquantum ab eis illuminantur, sicut, secundum Dionysium, dicitur inferior Angelus purgasse Isaiam per ignem virtute Seraphin: et ita etiam inferiores Angeli virtute potestatum Daemones cohibent; et similiter virtute aliorum superiorum ordinum possunt exequi aliqua quae ad eos pertinent circa determinatas personas.

2. Les anges inférieurs participent à la puissance supérieure pour autant qu’ils sont illuminés par elle ; ainsi Denys dit que l’ange inférieur a purifié Isaïe par le feu par puissance d’un Séraphin. Et ainsi, même les anges inférieurs retiennent les démons par le pouvoir des Puissances. De même, par la puissance des autres ordres supérieurs, peuvent-ils réaliser certaines choses qui leur reviennent concernant des personnes déterminées.

 

[4396] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnes Angeli custodes mittuntur; non tamen omnes qui mittuntur, custodiunt; sed ultimi tantum custodiunt, ut dictum est: quia superiores exequuntur ea quae ad multos pertinent; et quanto ad plures, tanto est ordo superior: et ideo virtutes sunt supremi inter exequentes ministeria, quia eorum actus se extendunt non tantum ad res humanas, sed etiam ad res naturales, ut patet in operatione signorum; et post potestates, quorum actus non tantum ad homines, sed etiam ad Daemones se extendit; et post principatus, quorum operatio est circa totam multitudinem; et ultimi Angeli, qui operantur circa determinatas personas; Archangeli vero medii sunt, habentes aliquid commune cum utrisque, ut prius dictum est.

3. Tous les anges gardiens sont envoyés ; cependant, tous ceux qui sont envoyés ne gardenet pas, mais seulement les derniers [dans la hiérarchie], comme on l’a dit, car les [anges] supérieurs accomplissent ce qui se rapporte à un grand nombre, et plus le nombre est grand, plus l’ordre est supérieur. C’est pourquoi les Vertus sont les plus élevées parmi ceux qui accomplissent des ministères, car leurs actes s’étendent non seulement aux choses humaines, mais aussi aux choses naturelles, comme cela ressort dans l’accomplissement de signes. Et après, les Puissances, dont l’acte s’étend non seulement aux hommes, mais aussi aux démons, et après, les Principautés, dont l’opération porte sur l’ensemble d’une multitude ; et les derniers Anges, qui agissent sur des personnes déterminées. Mais les Archanges sont intermédiaires, possédant quelque chose de commun aux deux, comme on l’a dit plus haut.

 

[4397] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnia officia humana pertinentia ad singulares personas, cum quibuscumque ordinibus similitudinem habeant, diriguntur per ultimum ordinem, inquantum participant virtutes superiorum, ut dictum est; sed illa officia quae ad multitudinem pertinent, diriguntur per principatus vel Archangelos: et ideo homo in praelatione constitutus illuminatur ab Angelo inferioris ordinis de his quae ad statum personae suae pertinent; sed ab Angelo principe de his quae respectant ad regimen multitudinis.

4. Toutes les fonctions humaines se rapportant dans des personnes singulières, alors qu’elles possèdent une ressemblance avec n’importe quel ordre, sont dirigées par le dernier ordre [des anges], pour autant qu’ils participent aux puissances des [anges] supérieurs, ainsi qu’on l’a dit. Mais les fonctions qui se rapportent à une multitude sont dirigées par les Principautés ou les Archanges. C’est pourquoi un homme établi dans une fonction de direction est illuminé par un ange de l’ordre inférieur pour ce qui se rapporte à l’état de sa personne, mais par un ange dirigeant pour ce qui concerne le gouvernement de la multitude.

 

 

 

 

Articulus 3 [4398] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 tit. Utrum omnibus hominibus deputentur Angeli ad custodiam

Article 3 – Des anges sont-ils assignés à tous les hommes pour les garder ?

 

[4399] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non omnibus hominibus deputentur Angeli ad custodiam. Custodia enim Angelorum valet hominibus ad evitandum pericula, et ad instruendam ignorantiam. Sed Adam in primo statu ab utroque liber fuit. Ergo Angelum custodem non habuit.

1. Il semble que des anges ne soient pas assignés à tous les hommes pour les garder. En effet, la garde des hommes par des anges a pour but d’éviter les dangers et d’instruire les ignorants. Or, Adam était libre des deux choses dans l’état primitif. Il n’avait donc pas d’ange gardien.

 

[4400] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, gratia confirmata in quibusdam hominibus hoc efficit ut mortaliter peccare non possint, ut patet in sanctificatis in utero. Sed contra impedimentum salutis per peccatum principaliter ordinata est custodia Angelorum. Ergo videtur quod tales ea non indigeant.

2. La grâce confirmée chez certains hommes fait en sorte qu’ils ne puissent pas pécher, comme cela ressort pour ceux qui ont été sanctifiés dans le sein. Or, la garde des anges a été principalement ordonnée contre l’empêchement au salut par le péché. Il semble donc que ceux-là n’ont pas besoin de cette [garde].

 

[4401] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, ante nativitatem ex utero sacramenta salutis puero conferri non possunt. Sed hoc est quod Angelus custos in homine promovere intendit, scilicet salutem. Ergo puerperio animato ante nativitatem Angelorum custodia non debetur.

3. Avant sa sortie du sein, les sacrements du salut ne peuvent être conférés à un enfant. Or, c’est ce que l’ange gardien a l’intention de promouvoir chez l’homme : le salut. La garde des anges n’est donc pas due au fœtus animé avant sa naissance.

 

[4402] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, custodia Angelorum est per hoc quod homines illuminando instruunt. Sed pueri ante perfectam aetatem non sunt capaces doctrinae. Ergo videtur quod careant Angelorum custodia.

4. La garde des anges se réalise par le fait qu’ils instruisent les hommes en les illuminant. Or, les enfants ne sont pas capables de recevoir un enseignement avant l’âge de raison. Il semble donc qu’ils soient privés de la garde des anges.

 

[4403] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, 2 Thessal. 1, dicitur, quod omnis actus Antichristi erit secundum operationem Satanae. Sed custodia Angelorum ordinatur contra tentationes malignorum spirituum. Ergo videtur quod frustra ab Angelo custodietur.

5. En 2 Th 1, il est dit que tous les actes de l’Antéchrist seront dirigés par Satan. Or, la garde des anges est ordonnée contre les tentations des esprits mauvais. Il semble donc que la garde des anges soit inutile.

 

[4404] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 6 Sed contra, videtur quod etiam Christus Angelum custodem habuit. Primo per hoc quod dicit Dionysius quod subdebatur paternis dispositionibus mediantibus Angelis. Sed, ut dictum est, per custodiam executio divinae dispositionis fit de hominibus per Angelos. Ergo videtur quod Christus Angelum custodem habuit.

6. Cependant, [1] il semble que même le Christ ait eu un ange gardien. En premier lieu, Denys dit qu’il était soumis aux dispositions de son Père par l’intermédiaire des anges. Or, ainsi qu’on l’a dit, par la garde, l’accomplissement de la disposition [divine] concernant les hommes est réalisé. Il semble donc que le Christ n’ait pas eu d’ange gardien.

 

[4405] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, Lucae 22, 43, dicitur, quod apparuit Angelus domini, confortans eum. Ergo videtur, cum confortare sit unus actus custodiae, quod Angelum custodem habuit.

7. [2] Il est dit en Lc 22, 43 : L’ange du Seigneur apparut pour le réconforter. Il semble donc que, le réconfort étant un acte de la garde, il ait eu un ange gardien.

 

[4406] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut in 1 libro, dictum est, providentia proprie est ad conferendum ea quae promovent in finem, et removendum ea quae impediunt. Ultimum autem in his adjutoriis est id quod conjungit fini, quod a solo Deo est: et ideo ea quae ab Angelis custodibus per divinam providentiam circa singulares personas exequuntur, sunt quaedam praeparationes juvantes ad consequendum finem ultimum. Praeparans autem non habet operationem circa rem, nisi quae est ordinata ad finem, ante finis consecutionem; et ideo omnibus hominibus, ab infusione animae rationalis per quam ad finem salutis ordinantur, custodia debetur usque ad mortem, quando terminatur via proficiendi in finem. Nulli ergo carent custodia Angelorum, nisi vel per hoc quod fiunt impoenitibiles, ut damnati, vel per hoc quod finem gloriae consequuntur, ut beati.

Réponse. Comme on l’a dit dans le livre I, au sens propre, la providence consiste à fournir ce qui contribue à la fin et à l’enlèvement de ce qui l’empêche. Or, la dernière de ces aides est ce qui unit à la fin, qui vient de Dieu seul. Aussi ce sont des préparations qui aident à l’obtention de la fin ultime qui sont accomplies par les anges gardiens en vertu de la providence divine à propos des personnes singulières, Or, celui qui prépare n’a d’opération concernant une chose que celle qui est ordonnée à la fin, avant l’obtention de la fin. C’est pourquoi la garde est due à tous les hommes à partir de l’infusion de l’âme raisonnable, par laquelle ils sont ordonnés à la fin du salut, jusqu’à la mort, alors que s’arrête la route qui avance vers la fin. Personne n’est donc privé de la garde des anges, sauf ceux qui ne peuvent faire pénitence, tels les damnés, ou parce qu’ils obtiennent la fin de la gloire, tels les bienheureux.

 

[4407] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in Adam non esset periculum ex aliqua corruptione carnis instigante ad malum, erat tamen periculum ex potentia peccandi, et ex Daemone oppugnante: et similiter erat debilioris cognitionis quam Angelus; et ideo indigebat praesidio custodis Angeli.

1. Bien qu’il n’y ait pas eu pour Adam de danger provenant d’une corruption de la chair qui incite au mal, il existait cependant un danger provenant de ce qu’il pouvait pécher et des assauts du démon. De même, il avait une connaissance plus faible que l’ange. C’est pourquoi il avait besoin de la protection d’un ange gardien.

 

[4408] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam si confirmati peccare non possint, possunt tamen proficere, et eorum profectus potest impediri; et propter hoc indigent custodia Angelorum ad promovendum in bonum, et removendum impedimentum.

2. Même si ceux qui sont confirmés [en grâce] ne peuvent pécher, ils peuvent cependant progresser et leur progrès peut être empêché. Pour cette raison, ils ont besoin de la garde des anges afin de progresser dans le bien et d’enlever ce qui l’empêche.

 

[4409] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pueri in materno utero non recipiunt sacramenta Ecclesiae, quia non subduntur actibus ministrorum: sed operibus divinis et Angelorum subduntur; et ideo eis ab infusione animae rationalis, custos Angelus assignatur, per quem prohibetur virtus Daemonis ab ejus nocumento, et propter multa impedimenta, quibus potest ejus complexio deteriorari, ut efficiatur pronior ad peccandum, vel etiam ipsa vita extingui: et in hoc etiam prosunt parvulis natis, quamvis eos non illuminent.

3. Les enfants dans le sein maternel ne reçoivent pas les sacrements de l’Église parce qu’ils ne sont pas soumis aux actes des ministres ; mais ils sont soumis aux actes de Dieu et des anges. C’est pourquoi un ange gardien leur est assigné dès l’infusion de l’âme raisonnable, par qui la puissance du démon est empêchée de nuire et, en raison des nombreux empêchements par lesquels sa constitution peut se détériorer, de sorte qu’il devienne plus enclin à pécher ou même à l’extinction de sa vie. En cela, ils sont aussi utiles aux enfants déjà nés, bien qu’ils ne les illuminent pas.

 

[4410] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 4 Unde patet responsio ad quartum.

4. La réponse au quatrième argument ressort ainsi clairement.

 

[4411] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Antichristus etiam habebit Angelum custodem: quia lex communis propter unum mutari non debet: et in hoc ejus poena justior apparebit, quia beneficia toti naturae humanae provisa, sibi non subtrahuntur. Nec tamen est omnino frustra custodia; quia etsi ad bonum non convertatur, a multis tamen malis cessabit, retractus ab Angelo custode: hunc enim effectum ad minus semper consequitur Angelus per custodiam in quocumque obstinato.

5. L’Antéchrist aussi aura un ange gardien, car la loi commune ne peut être changée pour un seul. À cause de cela, sa peine apparaîtra plus juste, car les bienfaits prévus pour toute la nature humaine ne lui sont pas retirés. Cependant, la garde n’est pas entièrement inutile, car, même s’il ne se convertit pas au bien, il s’abstiendra de beaucoup de maux, empêché qu’il est par [son] ange gardien. En effet, l’ange obtient toujours au moins cet effet chez tous les obstinés par sa garde.

 

[4412] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Christus non habuit Angelum custodem: tum quia anima sua omnibus Angelis superior fuit, immediate a verbo sibi unito illuminata: tum quia erat verus comprehensor: unde ejus bonum nec impediri nec juvari poterat. Dicitur vero subdi paternis dispositionibus per Angelos quodammodo indirecte, inquantum Angeli instruebant Joseph et matrem ejus de his quae circa ipsum puerum existentem agenda erant, ut habetur Matth. 2.

6. Le Christ n’a pas eu d’ange gardien, tant parce que son âme était supérieure à tous les anges, illuminée qu’elle était de manière immédiate par le Verbe qui lui était uni, que parce qu’il était véritablement bienheureux (verus comprehensor). Aussi son bien ne pouvait-il être ni empêché ni aidé. Mais on dit qu’il était soumis aux dispositions de son Père par l’intermédiaire des anges d’une manière pour ainsi dire indirecte, pour autant que les anges instruisaient Joseph et sa mère de ce qu’ils devaient faire pour lui alors qu’il était enfant, ainsi qu’on le lit dans Mt 2.

 

[4413] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Angelus dicitur confortasse eum, non aliquid in ipsum imprimendo, sed per modum ministerii, inquantum congratulabatur fortitudini ejus; sicut homo naturaliter in tribulatione confortatur ad praesentiam amicorum: et ita per modum quo fuerat vera tristitia, fuit confortatio vera, et non apparens tantum, ut quidam dicunt.

7. On dit que l’ange le réconforta, non en agissant sur lui, mais par mode de ministère, pour autant qu’il se félicitait de sa force, comme un homme est naturellement réconforté au milieu des tribulations par la présence d’amis. Et ainsi, de la manière dont avait existé une véritable tristesse, le réconfort était véritable, et non pas seulement apparent, comme certains le disent.

 

 

 

 

Articulus 4 [4414] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 tit. Utrum Angelus quandoque relinquat hominem cui deputatur

Article 4 – L’ange abandonne-t-il parfois l’homme auquel il est assigné ?

 

[4415] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Angelus quandoque relinquat hominem cui deputatur custos. Primo per hoc quod habetur Hierem. 51, 1: curavimus Babylonem, et non est sanata. Derelinquamus ergo eam. Sed hoc dicitur ex persona Angelorum, ut dicit Glossa. Ergo videtur quod relinquat, quando a peccato non corrigitur.

1. Il semble que l’ange abandonne parfois l’homme auquel il est assigné comme gardien, d’abord, par ce qu’on lit en Jr 51, 1 : Nous avons soigné Babylone, et elle n’est pas guérie. Abandonnons-la donc ! Or, cela est dit par la personne des anges, comme le dit la Glose. Il semble donc que [l’ange] abandonne, lorsqu’on n’est pas corrigé du péché.

 

[4416] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, Isa. 5, 5, dicitur: auferam sepem ejus et erit in direptionem. Glossa: idest custodiam Angelorum. Ergo idem quod prius.

2. De plus, Is 5, 5 dit : J’enlèverai son enceinte, et elle sera pillée. La Glose dit : « C’est-à-dire la garde des anges. » La conclusion est donc la même que précédemment.

 

[4417] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea efficacius custodit Deus hominem quam Angelus. Sed Deus quandoque relinquit hominem, ut in Psal. 21, 1, dicitur: quare me dereliquisti? Ergo multo fortius Angelus.

3. Dieu garde l’homme de manière plus efficace que l’ange. Or, Dieu abandonne parfois l’homme, comme il est dit dans Ps 21, 1 : Pourquoi m’as-tu abandonné ? Donc, à bien plus forte raison, l’ange.

 

[4418] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, Zachariae 4 dicitur, quod reversus est Angelus qui loquebatur ad eum: et similiter etiam Danielis 10. Sed non revertitur nisi qui abscedit. Ergo videtur quod Angelus quandoque hominem relinquat.

4. Za 4 dit que l’ange qui lui parlait est revenu vers lui ; de même aussi, en Dn 10. Or, ne revient que celui qui s’est éloigné. Il semble donc que l’ange abandonne parfois l’homme.

 

[4419] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, Angeli quandoque sunt in caelo Empyreo. Sed cum sunt ibi, non sunt circa nos, secundum Damascenum. Ergo videtur quod aliquando nos relinquant.

5. De plus, les anges sont parfois dans le ciel empyrée. Or, alors qu’ils sont là, ils ne sont pas avec nous, selon [Jean] Damascène. Il semble donc qu’ils nous abandonnent parfois.

 

[4420] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, medicus sapiens infirmum desperatum relinquit. Sed Angeli custodes possunt scire aliquem esse praescitum per revelationem, et videre aliquem obstinatum in peccatis. Talis autem est sicut infirmus desperatus. Ergo videtur quod etiam Angelus, qui est quasi medicus spiritualis, talem relinquat.

6. Un médecin sage abandonne un malade désespéré. Or, les anges gardiens peuvent savoir par une révélation que quelqu’un est connu d’avance (praescitus[3]) et voir que quelqu’un est obstiné dans ses péchés. Or, un tel individu est comme un malade désespéré. Il semble donc que l’ange aussi, qui est pour ainsi dire un médecin spirituel, l’abandonne.

 

[4421] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, boni Angeli sunt magis proni ad juvandum quam mali ad infestandum. Sed mali nunquam cessant ab infestatione. Ergo nec boni a custodia.

Cependant, [1] les anges bons sont plus enclins à aider que les mauvais à nuire. Or, les anges mauvais ne cessent jamais de nuire. Les anges bons [ne cessent donc pas] non plus leur garde.

 

[4422] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, de nemine est desperandum, quamdiu est in statu viae. Sed infirmus non relinquitur a medico nisi propter desperationem. Ergo videtur quod Angelus non dimittat hominem, quantumcumque peccatorem.

[2] Il ne faut désespérer de personne, aussi longtemps qu’il est dans l’état du cheminement (in statu viae). Or, un malade n’est abandonné par un médecin que par désespoir. Il semble donc que l’ange n’abandonne pas l’homme, aussi pécheur soit-il.

 

[4423] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod cum custodia Angelorum sit quaedam executio divinae providentiae, oportet esse idem judicium de utroque. Divina autem providentia nunquam relinquit hominem ex toto, quia omnino in nihilum redigeretur; sed verum est quod magis et minus providet diversis, secundum eorum conditionem: et ideo in Psalm. 33, 16, oculi Dei super justos dicuntur, et aures ejus ad preces eorum; quibus adeo perfecte providet ut omnia eis cooperentur in bonum, ut dicitur Rom. 8. Sed malos secundum aliquid derelinquit, inquantum permittit eos subjacere tribulationibus, et quod gravius est, etiam in peccata ruere; unde ad Rom. 1, 28: propterea tradidit eos Deus in reprobum sensum, ut faciant ea quae non conveniunt. Similiter etiam Angeli dicuntur aliquos derelinquere secundum quid, inquantum exponuntur tribulationibus, vel etiam justo Dei judicio ab aliquo peccato non retrahuntur; nunquam tamen ita relinquunt quin sit aliquis effectus custodiae, inquantum aliquod malum prohibent, et ad aliquod bonum promovent.

Réponse. Puisque la garde des anges est une mise en œuvre de la providence divine, il faut porter le même jugement sur les deux. Or, la providence divine n’abandonne jamais totalement un homme, car il retournerait complètement au néant ; mais il est vrai qu’elle s’exerce plus ou moins sur les divers individus, selon leur condition. C’est pourquoi, dans le Ps 33, 16, on dit que les yeux de Dieu sont tournés vers les justes, et ses oreilles vers leurs prières ; il exerce si parfaitement sa providence sur eux que tout contribue à leur bien, comme il est dit en Rm 8. Mais, d’une certaine manière, il abandonne les méchants dans la mesure où il permet qu’ils soient soumis aux tribulations et, ce qui est plus grave, qu’ils tombent dans le péché. Aussi est-il dit en Rm 1, 28 : C’est pourquoi Dieu les a abandonnés à leur sens dévoyé pour qu’ils fassent ce qui ne convient pas. De même aussi, on dit que, d’une certaine manière, les anges en abandonnent certains dans la mesure où ils sont exposés aux tribulations ou encore, par le juste jugement de Dieu, ne sont pas éloignés de pécher. Cependant, il ne les abandonne jamais au point qu’il n’y ait un effet de la garde, dans la mesure où [les anges] empêchent un mal et font avancer vers un bien.

 

[4424] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod haec intelligitur esse vox Angelorum discedentium ab homine peccatore in hora mortis; quia tunc primo desperatur de ejus salute. Vel potest dici, quod derelinquunt secundum quid, ut dictum est, sicut etiam et Deus.

1. On comprend qu’il s’agit de la voix des anges qui s’éloignent d’un homme pécheur à l’heure de sa mort, parce qu’on désespère alors de son salut. Ou bien on peut dire que, d’une certaine manière, ils l’abandonnent comme Dieu lui-même, ainsi qu’on l’a dit.

 

[4425] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 ad 2 Unde patet responsio ad secundum et tertium.

2-3. La réponse aux deuxième et troisième arguments est ainsi claire.

 

[4426] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angelus ab eo recesserat quantum ad aliquem effectum, quia scilicet ipsum de futuris non illuminaverat, et non quantum ad omnem effectum custodiae.

4. L’ange s’était éloigné de lui quant à un effet, à savoir qu’il ne l’avait pas éclairé sur l’avenir, mais non pas quant à tout effet de la garde.

 

[4427] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quandocumque aliquod agens imprimit fortem impressionem, remanet illa impressio in patiente per aliquod tempus, etiam ad absentiam agentis, ut patet in motibus violentis: et ita dico, quod ad unam actionem Angeli in hominem potest homo bonam dispositionem accipere, quae manet in eo ad aliquod tempus, ut patet quando aliquis semel devote orat, ad plures dies remanet inde devotior; et ita Angelus quamvis non semper sit praesens, potest semper custodire, inquantum effectus ejus manet post actionem suam.

5. Chaque fois qu’un agent exerce une forte pression, cette pression demeure dans le patient pendant un certain temps, même en l’absence de l’agent, comme cela ressort dans les mouvements violents. Et ainsi je dis que l’homme peut recevoir une bonne dispositon par l’action de l’ange sur l’homme. Cette disposition] peut demeurer en lui pendant un certain temps, comme il est clair que, lorsque quelqu’un prie une fois avec dévotion, il demeure ensuite plus dévôt pendant plusieurs jours. Et ainsi, bien que l’ange ne soit pas toujours présent, il peut toujours garder, dans la mesure où son effet demeure après son action.

 

[4428] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod nullus in statu viae est adeo obstinatus quin possit per poenitentiam converti; unde non est de eo desperandum; et si Angelus sciret eum praescitum, posset tamen multa mala in eo impedire, sicut de Antichristo dictum est, art. praeced.

6. Personne en état de cheminement n’est obstiné au point qu’il ne puisse se convertir par la pénitence ; aussi ne faut-il pas désespérer de lui. Et si l’ange savait qu’il est connu d’avance (praescitum), il pourrait néanmoins empêcher plusieurs maux en lui, comme on l’a dit pour l’Antéchrist, à l’article précédent.

 

 

 

 

Articulus 5 [4429] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 tit. Utrum Angeli doleant de damnatione hominum quos custodiunt

Article 5 – Les anges éprouvent-ils de la peine en raison de la damnation des hommes qu’ils gardent ?

 

[4430] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Angeli doleant de damnatione hominum quos custodiunt. Exterior enim luctus est signum interioris doloris. Sed Isai. 33, 7, dicitur: Angeli pacis amare flebant. Ergo videtur quod doleant.

1. Il semble que les anges aient de la peine pour la damnation des hommes qu’ils gardent. En effet, l’affliction extérieure est le signe d’une douleur intérieure. Or, il est dit dans Is 33, 7 : Les anges de la paix pleuraient amèrement. Il semble donc que [les anges] pleurent.

 

[4431] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, amicorum est compati sibi in necessitatibus. Sed Angeli ferventissima caritate nos diligunt. Ergo videtur quod contristentur, hominum damnationi compatiendo.

2. C’est le propre des amis de compatir à nos besoins. Or, les anges nous aiment de la plus fervente charité. Il semble donc qu’ils sont attristés en compatissant à la damnation des hommes.

 

[4432] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, sapientis est dolere de his per quae suum gaudium minuitur. Sed per damnationem hominum minuitur gaudium Angelorum quod esset de conversione eorum, de quo habetur Lucae 15, 10: gaudium est Angelis Dei super uno peccatore poenitentiam agente. Ergo de hominum damnatione dolent.

3. C’est le propre du sage de déplorer ce par quoi sa joie est diminuée. Or, par la damnation des hommes, la joie qu’auraient les anges pour leur conversion est diminuée. Lc 15, 10 dit à ce sujet : Les anges de Dieu se réjouissent pour un pécheur qui fait pénitence. Ils s’attristent donc de la damnation des hommes.

 

[4433] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, omne id quod est contrarium volito et repugnans fini, est contristans. Sed damnatio est contraria saluti quam volunt et per officium custodiae procurant. Ergo damnatio hominum eos contristat.

4. Tout ce qui est contraire à ce qui est voulu et qui s’oppose à la fin est attristant. Or, la damnation est contraire au salut que [les anges] veulent et qu’ils procurent par la fonction de la garde. La damnation des hommes les attriste donc.

 

[4434] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, Apoc. 21 dicitur, quod in caelesti Hierusalem nec est luctus nec est dolor. Illius autem urbis cives sunt Angeli. Ergo de nullo dolent.

Cependant, [1] Ap 21 dit que, dans la Jérusalem céleste, il n’y a ni pleurs ni douleur. Or, les citoyens de cette cité sont les anges. Ils ne pleurent donc sur rien.

 

[4435] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, perfecta beatitudo non compatitur secum miseriam. Sed omnis tristitia ad miseriam pertinet, et fugienda est, ut in 7 Ethic. philosophus dicit. Ergo Angeli beati tristes esse non possunt.

[2] La béatitude parfaite ne supporte pas la misère. Or, toute tristesse se rapporte à la misère et elle doit être fuie, comme le dit le Philosophe en Éthique, VII. Les anges bienheureux ne peuvent donc pas être tristes.

 

[4436] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod cum Angeli beati sint in divinae voluntatis continua contemplatione, cui perfectissime conformantur, nihil potest esse contra voluntatem eorum, sicut nec contra voluntatem Dei; potest tamen esse aliquid praeter voluntatem eorum: sed hoc ipsum, inquantum est permissum a Deo, est volitum ab eis, sicut a Deo; et ideo nihil potest accidere de quo doleant Angeli, sicut nec de quo doleat Deus. Et ideo simpliciter dicendum est quod neque de peccatis hominum tristantur, neque de damnatione; sed utrobique laetantur de justa permissione et punitione.

Réponse. Puisque les anges bienheureux contemplent de manière continue la volonté divine, à laquelle ils se conforment de la manière la plus parfaite, rien ne peut aller contre leur volonté, pas davantage que contre la volonté de Dieu. Il peut cependant exister quelque chose qui soit au-delà de leur volonté, mais même cela est voulu par eux, comme par Dieu, dans la mesure où cela est permis par Dieu. Aussi rien ne peut-il survenir dont les anges s’attristent, comme [rien] dont Dieu s’attriste. Il faut donc dire simplement qu’ils ne s’attristent pas des péchés des hommes ni de leur damnation, mais ils se réjouissent dans les deux cas d’une juste permission et punition.

 

[4437] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illud secundum litteram intelligitur de nuntiis Ezechiae, quos misit ad pacem ab Assyriis quaerendam, qui audientes blasphemias Rapsacis, scissis vestibus fleverunt. Allegorice vero exponitur de apostolis in Glossa. Si autem ad Angelos referatur, intelligendus est dolor non proprie, sed metaphorice, per modum quo etiam frequenter in Scripturis Deo attribuitur.

1. Au sens littéral, cela s’entend des envoyés d’Ézéchias, qu’il avait envoyés pour demander la paix aux Assyriens, et qui, entendant les blasphèmes de Rapsacis, pleurèrent en déchirant leurs vêtements. Mais, au sens allégorique, on l’interprète des apôtres dans la Glose. Si on le met en rapport avec les anges, il faut entendre la douleur d’une manière non pas propre, mais métaphorique, à la manière dont cela est souvent attribué à Dieu dans les Écritures.

 

[4438] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod compati non potest qui passibilis non est; et ideo ex impassibilitate Angelorum hoc accidit quod condolere non possunt, non ex caritatis defectu.

2. Celui qui n’est pas sujet à la souffrance ne peut pas compatir. C’est pourquoi, en raison de leur impassibilité, mais non par manque de charité, il arrive que les anges ne puissent pas compatir.

 

[4439] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angelorum gaudium non minuitur ex damnatione, quia electorum numerus minui non potest. Vel potest dici, quod ipsi semper gaudent de suis bonis operibus quae custodiendo egerunt, licet ille qui custoditus est non salvetur.

3. La joie des anges n’est pas diminuée par la damnation, parce que le nombre des élus ne peut être diminué. Ou bien on peut dire qu’ils se réjouissent toujours des bonnes actions qu’ils ont accomplies en gardant, bien que celui qui est gardé ne soit pas sauvé.

 

[4440] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angeli volunt salutem hominis voluntate antecedente sicut et Deus; sed voluntate consequente volunt hominem damnari, si meruerit; unde consequens est ut de ejus damnatione non doleant.

4. Les anges veulent le salut de l’homme d’une volonté antécédente, comme Dieu ; mais, par une volonté conséquente, ils veulent que l’homme soit damné, s’il l’a mérité. Il s’ensuit donc qu’ils ne s’attristent pas de sa damnation.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 11, q. 1

 

[4441] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 1 a. 5 expos. Et unum malum ad exercitium habet. Videtur injuste agi cum homine: quia Daemones multo potentiores sunt hominibus: non enim est potestas super terram quae ei comparetur, ut dicitur Job 41. Ergo non justum est pugnam inter hominem et Daemonem constitui. Et dicendum, quod cum liberum arbitrium non possit cogi ad peccandum, quantumcumque sit Daemon fortis, homo resistere potest. Unde dicitur, quod debilis est hostis qui non potest vincere nisi volentem; et super hoc homini adest praesidium Angeli, et auxilium divinum, si suscipere velit.

 

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le progrès des anges]

 

Prooemium

Prologue

 

[4442] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 pr. Hic inquirit Magister, utrum Angeli, dum officium custodiae durat in merito vel praemio proficiant; et dividitur in partes duas: primo ponit duas opiniones; secundo eligit alteram illarum, ibi: illud vero quod alii superius dicunt, probabilius videtur. Prima in duas, secundum duas opiniones; quarum secunda incipit ibi: alii autem dicunt Angelos in confirmatione tanta deitatis dilectione atque notitia fuisse praeditos, ut in his ulterius non profecerint vel profecturi sint. Circa primum tria facit: primo ponit opinionem; secundo confirmat per auctoritatem, ibi: et quod Angeli proficiant in cognitione, ac per hoc in beatitudine, testimoniis sanctorum confirmant; tertio solvit contrarietatem ibi: his autem videtur contradicere Augustinus. Illud vero quod alii superius dicunt, probabilius videtur. Hic eligit alteram opinionem; et circa hoc duo facit: primo eligit primam opinionem; secundo respondet ad quasdam auctoritates quae sunt in contrarium, ibi: quibus tamen videntur obviare quarumdam auctoritatum verba. Hic quaeruntur sex: 1 utrum Angeli proficiant in cognitione Dei, quae est praemium essentiale; 2 utrum proficiant in cognitione aliarum rerum per illuminationem superiorum; 3 utrum accrescat eis aliqua cognitio per mutuam locutionem; 4 utrum mysterium incarnationis per Ecclesiam didicerint; 5 utrum inter eos sit pugna et contradictio; 6 utrum ordinum distinctio maneat post diem judicii.

Le Maître se demande ici si les anges progressent en mérite ou en récompense, pendant que dure la fonction de la garde. Il y a deux parties : premièrement, il présente deux opinions ; deuxièmement, il choisit l’une d’entre elles, à cet endroit : « Mais ce que d’autres disent plus haut semble plus probable. » La première partie se divise en deux, selon les deux opinions ; la deuxième commence à cet endroit : « Mais d’autres disent que les anges ont été pourvus d’un tel amour et d’une telle connaissance de Dieu lors de leur confirmation, qu’ils n’ont pas progressé ou ne progresseront pas davantage en eux. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente l’opinion. Deuxièmement, il la confirme par une autorité, à cet endroit : « Que les anges progressent en connaissance et, par elle, dans la béatitude, est confirmé par des témoignages des saints. » Troisièmement, il résout l’opinion contraire, à cet endroit : « Mais Augustin semble contredire cela. » « Mais ce que d’autres disent plus haut semble plus probable. » Ici, il choisit l’autre opinion et, à ce propos, il fait deux choses. Premièrement, il choisit la première opinion ; deuxièmement, il répond à certaines autorités qui vont en sens contraire, à cet endroit : « Les paroles de certaines autorités semblent toutefois s’opposer à cela. » Six questions sont posées ici : 1. Les anges progressent-ils dans la connaissance de Dieu qui est la récompense essentielle ? 2. Progressent-ils dans la connaissance des autres choses par l’illumination des [anges] supérieurs ? 3. Une certaine connaissance leur vient-elle en se parlant ? 4. Ont-ils appris le mystère de l’incarnation par l’Église ? 5. Combat et contradiction existent-ils entre eux ? 6. La distinction entre les ordres demeure-t-elle après le jour du jugement ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4443] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 tit. Utrum Angeli proficiant in visione Dei

Article 1 – Les anges progressent-ils dans la vision de Dieu ?

 

[4444] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Angeli in visione Dei proficiant. Perfectio enim virtutis non tollit sed auget efficaciam merendi. Sed in Angelis beatis est perfecta caritas, quae est radix merendi, qua omnes eorum actus informantur. Ergo videtur quod semper magis et magis mereantur divinam visionem in eis augeri.

1. Il semble que les anges progressent dans la vision de Dieu. En effet, la perfection de la vertu n’enlève pas, mais augmente l’efficacité du mérite. Or, chez les anges bienheureux, existe une charité parfaite, qui est la racine du mérite, dont tous leurs actes reçoivent leur forme. Il semble donc qu’ils méritent toujours de plus en plus que la vision de Dieu soit accrue en eux.

 

[4445] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Avicennam, omnis actio creaturae est ad aliquod commodum agentis; unde liberalitatem puram solius Dei propriam dicit. Sed Angeli creati sunt. Ergo ex actibus eorum circa nos aliquid eis accrescit; et ita videtur quod eorum bonum semper magis ac magis augeatur.

2. Selon Avicenne, toute action de la créature a en vue un bien de l’agent ; aussi dit-il que seul Dieu possède en propre une pure libéralité. Or, les anges ont été créés. Il leur vient donc quelque chose de leurs actes à notre endroit. Et ainsi, il semble que leur bien soit toujours de plus en plus augmenté.

 

[4446] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquis intellectus est clarior, tanto perspicacius intuetur. Sed inferiores Angeli continue a superioribus illuminantur. Ergo videtur quod semper limpidius Deum contemplentur.

3. Plus un intellect est clair, plus son regard sera perspicace. Or, les anges inférieurs sont illuminés par les [anges] supérieurs de manière continue. Il semble donc qu’ils contemplent Dieu de manière toujours plus limpide.

 

[4447] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, si non possunt proficere in Dei visione, aut hoc est quia pervenerunt ad summam perfectionem, aut quia majoris perfectionis capaces non sunt. Sed primum esse non potest, quia summa perfectio solius Dei est, quia seipsum comprehendendo videt: similiter nec secundum, quia sic homines essent capaciores inferioribus Angelis: quia homines, ut dictum est, possunt pervenire ad modum contemplationis supremorum ordinum. Ergo videtur quod Angeli etiam in divina contemplatione proficere possunt.

4. S’ils ne peuvent progresser dans la vision de Dieu, ou bien cela est dû au fait qu’ils sont parvenus à la plus grande perfection, ou bien au fait qu’ils ne sont pas capables d’une plus grande perfection. Or, la première hypothèse ne peut exister, car la perfection la plus élevée est le fait de Dieu seul, car il se voit en se comprenant (seipsum comprehendendo) ; de même, la seconde hypothèse ne peut-elle se réaliser, car les hommes, ainsi qu’on l’a dit, peuvent parvenir au mode de contemplation des ordres les plus élevés. Il semble donc que les anges aussi puissent progresser dans la contemplation de Dieu.

 

[4448] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Magister supra dixit, quod perfectio naturae glorificatae est, quando habet quidquid nata est habere. Sed Angeli sunt glorificati. Ergo totum id quod nati sunt habere, habent.

Cependant, [1] le Maître a dit plus haut que la perfection de la nature glorifiée consiste en ce qu’elle possède tout ce qu’elle est destinée à posséder. Or, les anges sont glorifiés. Ils possèdent donc tout ce qu’ils sont destinés à posséder.

 

[4449] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in termino motus non contingit esse motum. Sed Angeli non sunt in statu viae, cui competit motus, sed in termino. Ergo videtur quod ipsi proficere non possint, cum profectus sit motus quidam.

[2] Il n’arrive pas qu’il y ait mouvement au terme du mouvement. Or, les anges ne sont pas dans l’état de cheminement, auquel convient le mouvement, mais au terme. Il semble donc qu’ils ne puissent pas progresser, puisque le progrès est un certain mouvement.

 

[4450] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum philosophum, operatio et motus differunt: operatio enim est actus perfecti, ut lucidi lucere, et intellectus in actu, intelligere; sed motus est actus imperfecti tendentis in perfectionem: et ideo id quod est in sua ultima perfectione, habet operationem sine motu, sicut Deus; quod autem distat ab ultima perfectione, habet operationem conjunctam motui: quia proficere in beatitudine est quidam motus naturae tendentis in perfectionem: ideo quandocumque Angelus vel homo ponitur in ultima sua perfectione, operatio ejus non est meritoria nec proficiens. Sed in hoc, quando scilicet Angelus sit in sua ultima perfectione, est duplex opinio. Una quam Magister approbat, scilicet quod erit in die judicii. Alia est quae in littera tangitur, quod hoc fuit in prima eorum confirmatione; et haec videtur mihi probabilior: tum quid ultima perfectio rei est in termino suae viae; terminus autem viae Angelorum fuit eorum confirmatio: non enim nunc viatores dicuntur, nisi forte secundum quid, inquantum circa viatores operantur: tum quia idem judicium est de hominibus post mortem, et de Angelis post confirmationem vel casum. Homini autem statim post mortem ultima sua perfectio confertur, nisi forte aliquid purgandum repugnet, nec differtur usque ad diem judicii, ut Graeci errantes dicunt; et ideo dicimus, quod Angeli statim in confirmatione ultimam perfectionem beatitudinis consecuti sunt, nec postmodum in visione Dei proficiunt, in qua eorum beatitudo essentialiter consistit.

Réponse. Selon le Philosophe, l’opération et le mouvement diffèrent : en effet, l’opération est l’acte de ce qui est parfait, comme briller pour ce qui est brillant, et intelliger pour l’intellect en acte ; mais le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait tendant vers la perfection. C’est pourquoi ce qui se trouve en sa perfection ultime possède une opération sans mouvement, tel Dieu ; mais ce qui est éloigné de la perfection ultime possède une opération jointe au mouvement, car progresser dans la béatitude est le mouvement d’une nature qui tend vers la perfection. Aussi, toutes les fois que l’ange ou l’homme sont établis dans leur perfection, leur opération n’est-elle pas méritoire ni source de progrès. Mais sur la question de savoir quand l’ange est établi dans sa perfection ultime, il existe deux opinions. L’une, que le Maître approuve, à savoir que ce sera au jour du jugement. L’autre est celle qui est abordée dans le texte, à savoir que cela s’est produit lors de leur première confirmation. Celle-ci me semble plus probable, tant parce que la perfection d’une chose consiste dans le terme de son cheminement, et que le terme du cheminement des anges a été leur confirmation. En effet, on ne dit pas qu’ils soont présentement en route, si ce n’est de manière relative, pour autant qu’ils agissent sur ceux qui sont en route ; et aussi parce que le jugement des hommes après la mort est le même que celui des anges après leur confirmation ou leur chute. Or, son ultime perfection est donnée à l’homme aussitôt après la mort, à moins que ne s’y oppose quelque chose qui doive être purifié, et [cette perfection] n’est pas reportée jusqu’au jour du jugement, comme certains Grecs qui se trompent le disent. Aussi disons-nous que les anges ont obtenu l’ultime perfection de la béatitude dès leur confirmation et que, par la suite, ils ne progressent pas dans la vision de Dieu, en laquelle leur béatitude consiste essentiellement.

 

[4451] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod perfectio virtutis includens finem, tollit rationem meriti et motus, qui repugnat fini; sed in via ad finem auget efficaciam meriti.

1. La perfection d’une vertu qui inclut la fin enlève la raison de mérite et de mouvement, qui est incompatible avec la fin ; mais, en cours de cheminement, elle accroît l’efficacité du mérite.

 

[4452] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnis operatio creaturae ordinata est ad perfectionem ejus; sed quandoque operatio non est ad alium finem, sed ipsamet est finis, ut in 1 Ethic. dicitur; et sic dico, quod illuminare inferiores, in Angelis est dignitas eorum: quia in hoc maxime consequuntur Dei similitudinem: et ideo non oportet quod per hujusmodi operationes aliquid mereantur.

2. Toute opération de la créature est ordonnée à sa perfection ; mais parfois l’opération ne vise pas une autre fin, mais elle est elle-même la fin, comme il est dit en Éthique, I. Je dis ainsi qu’illuminer les inférieurs est pour les anges leur dignité, car ils obtiennent ainsi au plus haut point une ressemblance avec Dieu. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’ils méritent quelque chose par des opérations de ce genre.

 

[4453] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unus Angelus non illuminat alium, ut dictum est, de his quae ad essentiam beatitudinis pertinent, sed de aliis; et ideo non oportet quod propter hoc limpidius videant Deum, sed ea de quibus illuminantur.

3. Ainsi qu’on l’a dit, un ange n’en illumine pas un autre sur ce qui se rapporte à l’essence de la béatitude, mais sur d’autres choses. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’ils voient Dieu de manière plus limpide à cause de cela, mais [qu’ils voient] les choses sur lesquelles ils sont illuminés.

 

[4454] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angeli summum gradum contemplationis non attingunt; sed propter hoc dicuntur non proficere, quia tota eorum capacitas plena est: nec ampliari potest illa capacitas Angelorum per meritum, sicut in hominibus qui sunt in statu viae.

4. Les anges n’atteignent pas le degré suprême de la contemplation, mais on dit qu’ils ne progressent pas parce que toute leur capacité est remplie, et que cette capacité ne peut être accrue par le mérite, comme chez les hommes qui sont en état de cheminement.

 

 

 

 

Articulus 2 [4455] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 tit. Utrum Angeli inferiores illuminentur a superioribus

Article 2 – Les anges inférieurs sont-ils illuminés par les [anges] supérieurs ?

 

[4456] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Angeli inferiores per superiorum illuminationem in cognitionem rerum sive divinorum effectuum non proficiant. Omnis enim operatio Angeli aut pertinet ad naturam aut ad praemium. Sed in naturali cognitione non proficiunt, quam totam simul in creatione receperunt; nec etiam in merito aut in praemio proficiunt. Ergo videtur quod in eis cognitio divinorum effectuum non crescat.

1. Il semble que les anges inférieurs ne progressent pas dans la connaissance des choses ou des effets de Dieu par l’illumination des [anges] supérieurs. En effet, toute opération de l’ange se rapporte soit à sa nature, soit à la récompense. Or, ils ne progressent pas dans la connaissance naturelle, qu’ils ont reçue tout entière en même temps lors de leur création ; [ils ne progressent] pas non plus dans le mérite ou dans la récompense. Il semble donc que la connaissance des effets de Dieu ne croisse pas en eux.

 

[4457] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Deus est causa rerum per essentiam suam. Ergo in hoc quod videtur essentia sua, cognoscitur ipse esse causa. Sed quando cognoscitur aliquid inquantum est causa, cognoscitur etiam effectus ejus. Ergo videtur, cum Angeli beati essentiam divinam videant, quod etiam in ipsa effectus ejus cognoscant; et sic in cognitione divinorum effectuum non crescunt.

2. Dieu est la cause des choses par son essence. Donc, par le fait que son essence est vue, il est lui-même connu comme cause. Or, lorsque quelque chose est connu comme cause, son effet est connu. Puisque les anges bienheureux voient l’essence divine, il semble donc qu’ils connaissent aussi en elle ses effets, et ainsi ils ne progressent pas dans la connaissance des effets de Dieu.

 

[4458] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, nihil est cujus ratio non sit in Dei scientia, sive verbo ejus, quod est ars plena rationum viventium, ut dicit Augustinus. Sed Angeli beati vident Dei verbum. Ergo cognoscunt omnes divinos effectus; et sic idem quod prius.

3. Il n’existe rien dont la raison ne se trouve dans la science de Dieu ou dans son Verbe, qui est tout entier « un art rempli de raisons vivantes », comme le dit Augustin. Or, les anges bienheureux voient le Verbe de Dieu. Ils connaissent donc tous les effets de Dieu, et ainsi, la conclusion est la même que précédemment.

 

[4459] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, qui videt speculum, necessario videt formas relucentes in speculo, nisi diversitas partium speculi impediat, ut dum intuetur unam partem speculi, formas resultantes in alia parte non videat. Sed Dei verbum, quod est sapientia genita, est speculum sine macula, ut dicitur Sap. 7, in quo omnes rerum rationes resplendent. Ergo cum verbum sit indivisibile, Angeli intuentes verbum omnia in eo cognoscunt; et sic idem quod prius.

4. Celui qui voit le miroir voit nécessairement les formes reflétées par le miroir, à moins que la diversité des parties du miroir ne l’empêche, comme lorsqu’en regardant une partie du miroir, on ne voit pas les formes qui apparaissent dans une autre partie. Or, le Verbe de Dieu, qui est la Sagesse engendrée, est « un miroir sans tache », comme le dit Sg 7, 26, dans lequel toutes les raisons des choses brillent. Puisque le Verbe est indivisible, les anges qui regardent le Verbe connaissent donc tout en lui, et ainsi, la conclusion est la même que précédemment.

 

[4460] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, secundum philosophum, intellectus cum intelligit difficilia, non minus intelligit infima, sed magis: altissimum autem intelligibile est essentia divina. Sed eam Angeli vident. Ergo videtur quod omnia alia cognoscere possunt; et ita eorum cognitio non crescit.

5. Lorsque l’intelligence intellige des choses difficiles, elle n’en intellige pas moins les choses infimes, mais davantage. Or, l’intelligible le plus élevé est l’essence divine. Pourtant, les anges la voient. Il semble donc qu’ils peuvent connaître tout le reste, et ainsi, leur connaissance ne croît pas.

 

[4461] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Dionysius in fine Cael. Hierar. quod multae rationes sacramentorum latent supernas essentias, idest Angelos. Sed quaecumque latent aliquem, ipse potest in cognitionem eorum proficere. Ergo Angeli in cognitione proficere possunt.

Cependant, [1] Denys dit le contraire à la fin de La hiérarchie céleste, à savoir que plusieurs raisons des mystères (sacramentorum) sont cachées aux essences supérieures, c’est-à-dire, aux anges. Or, tout ce qui est caché à quelqu’un, celui-ci peut le connaître progressivement. Les anges peuvent donc progresser dans la connaissance.

 

[4462] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in 6 cap. ejusdem libri dicit, quod Angeli inferiores per superiores a nescientia purgantur. Sed non liberatur aliquis a nescientia nisi per scientiae acquisitionem. Ergo videtur quod Angeli in acquirendo scientiam proficiant.

[2] Dans le chapitre VI du même livre, [Denys] dit que les anges inférieurs sont purifiés de l’ignorance par les [anges] supérieurs. Or, quelqu’un n’est libéré de l’ignorance que par l’acquisition de la science. Il semble donc que les anges progressent en acquérant la science.

 

[4463] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod Angeli proficiunt in cognitione divinorum effectuum per illuminationes in inferiores a superioribus descendentes: et hoc patet sic. Cum enim Deus sit universalissima causa omnium entium, in visione essentiae ejus non cognoscuntur omnes effectus ipsius de necessitate, nisi intellectus totam virtutem ejus comprehendat: et quanto aliquis intellectus limpidius eam videt, tanto plura in ea cognoscere potest; sicut in principiis primis speculativis, qui perspicacioris intellectus est, plures conclusiones in eis videt: et ita superiores Angeli plures effectus in essentia divina cognoscunt quam inferiores, et de illis superiores inferiores illuminare et instruere possunt: et tamen aliqui effectus sunt quos omnes immediate in visione divinae essentiae percipiunt, quamvis etiam hos superiores perfectius cognoscant, sicut et divinam essentiam clarius intuentur; et unusquisque ordo ex illo nomen et rationem recipit, quod est ultimum suae virtutis ad capiendam rerum cognitionem immediate in visione divinae essentiae.

Réponse. Les anges progressent dans la connaissance des effets de Dieu par des illuminations qui descendent depuis les [anges] supérieurs vers les [anges] inférieurs. Cela ressort de la manière suivante. Puisque Dieu est la cause la plus universelle de tous les êtres, tous ses effets ne sont pas nécessairement connus dans la vision de son essence, à moins que l’intelligence n’en saisisse toute la puissance ; et plus une intelligence la voit clairement, plus elle peut voir de choses en elle. Ainsi, dans les principes premiers spéculatifs, celui qui possède une intelligence plus perspicace voit davantage de conclusions. De la même manière, les anges supérieurs connaissent-ils davantage d’effets dans l’essence divine que les [anges] inférieurs, et les [anges] supérieurs peuvent-ils illuminer et instruire les [anges] inférieurs. Toutefois, il existe certains effets que tous perçoivent de manière immédiate dans l’essence divine, bien que les [anges] supérieurs les connaissent plus parfaitement, de la même manière qu’ils connaîtront plus clairement l’essence divine. Et chaque ordre tire son nom et sa raison de ce qui est le point ultime de sa capacité de saisir de manière immédate la connaissance des choses dans la vision de l’essence divine.

 

[4464] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod revelationes divinorum effectuum pertinent ad praemium, non quidem essentiale, sed accidentale: et dicitur praemium accidentale ad quod merita directe non ordinantur, sed superadditur ex liberalitate retribuentis.

1. Les révélations des effets de Dieu relèvent non pas de la récompense essentielle, mais de la récompense accidentelle. On appelle récompense accidentelle celle à laquelle les mérites ne sont pas ordonnés directement, mais qui est ajoutée par la libéralité de celui qui récompense.

 

[4465] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per hanc rationem probat Algazel, Deum creaturarum scientiam habere, inquantum suam essentiam cognoscit; non tamen sequitur quod videns essentiam ejus omnia sciat, nisi ipsam perfecta cognitione comprehendat; et hoc Angelis non convenit.

2. Par ce raisonnement, Algazel prouve que Dieu a la science des créatures dans la mesure où il connaît son essence. Mais il n’en découle pas que celui qui voit son essence connaisse tout, à moins de l’embrasser d’une connaissance parfaite. Et cela ne convient pas aux anges.

 

[4466] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 ad 3 Et per hoc patet responsio ad tertium: quia quamvis verbum videant, non tamen ipsum secundum modum rei cognitae vident, sed secundum modum cognoscentium, idest sui ipsorum; et ideo non oportet quod omnia quae in verbo sunt cognoscant.

3. La réponse au troisième argument ressort ainsi clairement, car bien qu’ils voient le Verbe, ils ne le voient cependant pas selon le mode de la chose connue, mais selon le mode de ceux qui le connaissent, à savoir, eux-mêmes. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’ils connaissent tout ce qui se trouve dans le Verbe.

 

[4467] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dicit Boetius in Lib. de Trinit., in divinis non oportet ad imaginationem deduci. Unde non est imaginandum rationes rerum resplendere in speculo aeterno sicut formae visibiles in speculo materiali; sed magis sicut causatorum rationes praeexistunt in sua causa, ut Dionysius dicit in Lib. de divinis Nom. Non est autem necessarium ut qui causam videt, hoc ipso omnes rationes effectuum in ea cognoscat, ut dictum est; et ideo ratio non procedit. Vel dicendum, ut communiter dicitur, quod speculum aeternum voluntarium est: quia in eo non videtur nisi quod ipse vult ostendere. Secus est autem de speculo materiali, quod ex necessitate naturae repraesentat formas in eo relucentes.

4. Comme le dit Boèce, dans le libre Sur la Trinité, il ne faut pas être mené pas l’imagination pour les réalités divines. Aussi ne faut-il pas imaginer que les raisons des choses sont réfléchies dans le miroir éternel comme les formes visibles dans un miroir matériel, mais plutôt comme les raisons des choses causées préexistent dans leur cause, ainsi que le dit Denys, dans le livre Sur les noms divins. Or, il n’est pas nécessaire que celui qui voit la cause connaisse en elle par le fait même toutes les raisons des effets, comme on l’a dit. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant. Ou bien il faut dire, comme on le dit communément, que le miroir éternel est volontaire, car on ne voit en lui que ce qu’il veut montrer. Mais il en va autrement du miroir matériel, qui représente par une nécessité de nature les formes qui sont réfléchies en lui.

 

[4468] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quia nostra cognitio a sensu incipit, ideo de minus notis in magis nota secundum naturam devenimus; et ideo manifestissima naturae sunt nobis ultimo nota, et difficillima ad cognoscendum, scilicet res immateriales, ut Deus et Angeli. Sed in Angelis est e converso: quia ea quae sunt magis nota simpliciter, sunt etiam notiora quo ad eos; et ideo licet essentiam divinam maxime cognoscant, non tamen ex hoc sequitur quod omnia alia cognoscant; sed secundum quod perfectius ipsam vident, ex ea in plurium effectuum cognitionem procedere possunt.

5. Parce que notre connaissance commence par le sens, nous allons pour cette raison de choses moins connues aux choses plus connues ; c’est pourquoi les réalités les plus manifestes de la nature nous sont connues en dernier, ainsi que les plus difficiles, à savoir les réalités immatérielles, comme Dieu et les anges. Mais, chez les anges, c’est l’inverse, car ce qui est simplement plus connu leur est aussi plus connu. C’est pourquoi, bien qu’ils connaissent au mieux l’essence divine, il n’en découle cependant pas qu’ils connaissent tout le reste ; mais selon qu’ils la voient plus parfaitement, ils peuvent parvenir à la connaissance d’un plus grand nombre d’effets à partir d’elle.

 

 

 

 

Articulus 3 [4469] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 tit. Utrum Angeli cognoscant aliqua per mutuam locutionem

Article 3 – Les anges connaissent-ils certaines choses en se parlant ?

 

[4470] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Angeli non accipiant cognitionem aliquorum per mutuam locutionem. Dicit enim Basilius: si nuda et intecta anima viveremus, ex solis nutibus intentionum cogitationes alterutrum panderentur. Sed Angeli habent intellectum non obtectum corpore. Ergo unus alterius cogitationes videt; et ideo mutua locutione non egent.

1. Il semble que les anges ne reçoivent pas la connaissance de certaines choses en se parlant. En effet, Basile dit : « Si nous vivions par une âme nue et dépouillée, nos pensées nous seraient réciproquement communiquées par les signes des intentions. » Or, les anges ont une intelligence qui n’est pas recouverte par un corps. Chacun voit donc les pensées de l’autre, et ainsi, ils n’ont pas besoin de se parler.

 

[4471] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, in omni locutione oportet esse aliquod signum, quod mentis occultum conceptum exprimat. Sed tale signum in Angelis sensibile esse non potest, nec intellectuale: non sensibile, quia sensitivam cognitionem non habent; nec etiam manens in intellectu tantum, quia hoc esset aequaliter ignotum cum alio conceptu mentis qui manifestandus esset. Ergo videtur quod in Angelis manifestatio per locutionem esse non possit.

2. Dans toute parole, il doit y avoir un signe qui exprime un concept caché de l’esprit. Or, un tel signe, sensible ou intellectuel, ne peut exister chez les anges : non pas [un signe] sensible, car ils n’ont pas de connaissance sensible ; ni [un signe] demeurant dans l’intelligence seulement, car cela serait également inconnu par un autre concept de l’esprit qui devrait être rendu manifeste. Il semble donc que, chez les anges, il ne puisse y avoir de manifestation par la parole.

 

[4472] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, in omni locutione oportet esse aliquod medium, per quod intentio loquentis ad audientem deferatur. Sed tale medium in Angelis inveniri non potest. Ergo nec locutio.

3. En tout langage, il doit exister un moyen par lequel l’intention de celui qui parle est communiquée à celui qui entend. Or, on ne peut trouver un tel moyen chez les anges. Donc, non plus, de langage.

 

[4473] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, in locutione corporali sonus ad aures perveniens excitat audientem ad audiendum. Sed in Angelis non potest poni aliquod tale excitativum, cum nihil sit in uno postmodum in altero factum; et tamen necessaria esset excitatio ad attendendum, si esset locutio; quia unus Angelus non semper alterum considerat. Ergo non est ibi locutio.

4. Dans le langage corporel, le son qui parvient aux oreilles incite celui qui entend à écouter. Or, chez les anges, on ne peut affirmer une telle incitation, puisque rien n’existe chez l’un qui soit produit chez un autre par la suite. Cependant, l’incitation a écouter serait nécessaire, car un ange ne considère pas toujours un autre [ange]. Il n’y a donc pas là de langage.

 

[4474] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, a loquente recipitur aliquid in audiente. Sed superiores ab inferioribus nihil recipiunt. Ergo videtur quod ad minus inferiores superioribus loqui non possint.

5. Quelque chose est reçu de celui qui parle par celui qui écoute. Or, les [anges] supérieurs ne reçoivent rien des [anges] inférieurs. Il semble donc qu’au moins les [anges] inférieurs ne puissent pas parler aux [anges] supérieurs.

 

[4475] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 13, 1: si linguis hominum loquar et Angelorum. Sed locutio est actus linguae. Ergo Angeli loquuntur.

Cependant, [1] 1 Co 13, 1 dit le contraire : Si je parlais les langues des hommes et des anges. Or, le langage est un acte de la langue. Les anges parlent donc.

 

[4476] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Angelus est majoris virtutis naturaliter quam homo. Sed homo potest alteri loquendo suam cogitationem exprimere. Ergo multo fortius Angelus.

[2] L’ange est naturellement plus puissant que l’homme. Or, l’homme peut exprimer sa pensée à un autre en parlant. Donc, à bien plus forte raison, l’ange.

 

[4477] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod in Angelis est quaedam locutio, quae tamen ab illuminatione differt in duobus. Primo quantum ad ea de quibus sunt: quia illuminatio proprie est de his quae superior Angelus in lumine divinae essentiae apprehendit, quae inferior ibi non videt; unde indiget ut in lumine superioris Angeli magis determinato et contracto quam sit lumen divinum, illa cognoscat. Sed locutio est de motibus liberi arbitrii, quos in uno alius non videt. His enim duobus modis aliquid potest esse notum uni Angelo et ignotum alteri. Secundo quantum ad modum quo utrumque perficitur, differentem secundum duo quae ad visionem intellectualem requiruntur, ad similitudinem visionis corporalis, scilicet ipsa res quae intellectui proponitur, et lumen sub quo videtur. Illuminatio ergo fit per hoc quod lumen intellectus unius Angeli per perfectius lumen superioris confortatur ad aliquorum cognitionem; sed locutio per hoc quod aliqua prius occulta proponuntur ut cognoscenda sine hoc quod virtus cognoscentis fortificetur; ut patet in recitationibus historiarum, in quibus aliquis cognoscit quod prius nesciebat, sine hoc quod suus intellectus clarificetur. Qualiter autem aliquid possit proponi Angelo ut cognoscendum ab ipso, patet ex simili nostrae locutionis. Est enim aliquid in homine quod alius homo de ipso naturaliter percipere potest, ut ea quae exterioribus sensibus subjacent; aliquid vero quod videri non potest, sicut interiores conceptus mentis. Species ergo conceptae interius, secundum quod manent in simplici conceptione intellectus, habent rationem intelligibilis tantum: secundum autem quod ordinantur ab intelligente ut manifestandae alteri, habent rationem verbi, quod dicitur verbum cordis; secundum autem quod aptantur et quodammodo ordinantur signis exterius apparentibus, si quidem sunt signa ad visum, dicuntur nutus; si vero ad auditum, dicitur proprie locutio vocalis: hi enim duo sensus disciplinabiles sunt. Similiter in Angelis interior conceptus mentis libero arbitrio subjacens ab alio videri non potest. Quando ergo speciem conceptam ordinat ut manifestandam alteri, dicitur verbum cordis; quando vero coordinat eam alicui eorum quae unus Angelus in alio naturaliter videre potest, illud naturaliter cognoscibile fit signum expressivum interioris conceptus; et talis expressio vocatur locutio, non quidem vocalis, sed intellectualibus signis expressa; et virtus exprimendi dicitur lingua eorum.

Réponse. Il existe chez les anges un certain langage ; il diffère cependant de l’illumination sous deux aspects. Premièrement, par ce sur quoi ils portent, car l’illumination porte à proprement parler sur ce qu’un ange supérieur saisit par la lumière de l’essence divine, et qu’un ange inférieur ne voit pas. Aussi a-t-il besoin de connaître cela par la lumière plus déterminée et plus réduite d’un ange supérieur, que ne l’est la lumière divine. Mais le langage porte sur les mouvements du libre arbitre que l’un ne voit pas dans l’autre. En effet, c’est de ces deux manières que quelque chose peut être connu par un ange et ignoré par un autre. Deuxièmement, par la manière dont les deux se réalisent, qui diffère selon les deux choses qui sont nécessaires pour la vision intellectuelle, à la ressemblance de la vision corporelle : la chose elle-même qui est proposée à l’inelligence, et la lumière sous laquelle elle voit. L’illumination se réalise donc par le fait que la lumière de l’intelligence d’un ange est plus parfaitement renforcée par la lumière d’un [ange] supérieur pour connaître certaines choses ; mais le langage, par le fait que certaines choses, d’abord cachées, sont proposées à la connaissance sans que la puissance de celui qui connaît en soit renforcée, comme cela est clair pour les lectures d’histoires, par lesquelles quelqu’un connaît ce qu’il ne connaissait pas antérieurement, sans que son intelligence soit plus éclairée. Mais comment une chose peut être proposée à un ange pour qu’il la connaisse, cela ressort clairement par la ressemblance avec notre langage. En effet, il existe chez un homme quelque chose qu’un autre homme peut saisir naturellement à son sujet, comme ce qui tombe sous les sens extérieurs ; mais il existe quelque chose qui ne peut être vu, comme les concepts intérieurs de l’esprit. Les espèces conçues intérieurement, selon qu’elles demeurent dans la simple conception de l’intelligence, possèdent donc seulement la raison d’objet susceptible d’être intelligé ; mais, selon qu’elles sont ordonnées par celui qui intellige à être manifestées à un autre, elles ont raison de verbe, appelé verbe du cœur. Mais, selon qu’elles sont apprêtées et ordonnées en quelque manière par des signes extérieurs apparents, on parlera de gestes, – si ce sont des signes pour la vue ‑, ou de langage verbal au sens propre, ‑ si ce sont des signes pour l’ouïe. En effet, ces deux sens sont susceptibles d’enseignement. De la même manière, chez les anges, le concept intérieur de l’esprit soumis au libre arbitre ne peut pas être vu par un autre. Lors donc qu’il ordonne une espèce conçue à être manifestée à un autre, on parle de verbe du cœur ; mais lorsqu’il la coordonne avec quelque chose de ce qu’un ange peut voir naturellement dans un autre, ce qui est ainsi naturellement connaissable devient un signe qui exprime le concept de l’esprit. Une telle expression est appelée langage, non pas vocal, mais exprimé dans des signes intellectuels ; et la capacité de les exprimer est appelée leur langue.

 

[4478] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Basilius intendit ab anima separata excludere indigentiam vocalis locutionis: non autem spiritualis, qualis dicta est in Angelis esse; et sic etiam exponendae sunt multae auctoritates similes quae ad hoc induci possunt.

1. Basile entend exclure de l’âme séparée la nécessité d’un langage vocal, mais non [d’un langage] spirituel, dont on dit qu’il existe chez les anges. C’est ainsi que doivent être interprétées plusieurs autorités semblables qui peuvent être invoquées sur ce point.

 

[4479] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud naturaliter notum in uno Angelo ab alio, est quasi signum latentis interius cogitationis, non sensibile, sed intellectuale.

2. Ce qui est naturellement connu par un autre chez un ange est pour ainsi dire le signe d’une pensée cachée à l’intérieur, [un signe] non pas sensible, mais intellectuel.

 

[4480] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angeli non debent cogitari ut distantes secundum situm, sicut dicimus duo corpora vel duo puncta: quia quod facit in corporalibus situs, hoc facit in spiritualibus ordo, ut dicit Augustinus. Unde non exigitur aliquod medium per quod deferatur locutio unius ad alterum; sed sufficit ad hoc solus ordo intentionis unius ad manifestandum alteri. Vel dicendum, quod omnes continuantur in radiatione divini luminis, vel naturalis vel superadditi, ut supra dictum est: quod non fit unum numero in omnibus, sed ab uno principio, et in unum finem, et ordinate in diversis acceptum. Unde per illud lumen unus alterius locutionem cognoscit, sicut et essentialia ejus.

3. Nous ne devons pas penser que les anges sont éloignés par leur site, comme nous le disons de deux corps ou de deux points, car ce que fait le site pour les réalités corporelles, l’ordre le fait pour les réalités spirituelles, comme le dit Augustin. Aussi un intermédiaire n’est-il pas nécessaire pour que le langage de l’un en atteigne un autre, mais seul l’ordre de l’intention de l’un de manifester à un autre suffit. Ou bien il faut dire que tous se rejoignent dans l’irradiation de la lumière divine, naturelle ou ajoutée, comme on l’a dit plus haut ; cela ne se réalise pas par quelque chose d’unique en tous, mais par un seul principe et une seule fin, reçus chez tous de manière ordonnée. Aussi l’un connaît-il le langage d’un autre par cette lumière, de même que ce qui lui est essentiel.

 

[4481] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angelus, praecipue beatus, semper est in actuali consideratione sui ipsius, et per consequens eorum quae ad ipsum pertinent, quorum omnium ipse est ratio cognoscendi. Nihil enim prohibet plura intelligi simul, quae una ratione cognoscuntur. Quam cito autem unus Angelus ordinat locutionem suam ad alterum, efficitur locutio ejus de pertinentibus ad illum, et ita ab eo cognoscitur; et inde patet quomodo unus Angelus plures sibi loquentes audire potest, et unus sanctus plures eum invocantes.

4. L’ange, surtout celui qui est bienheureux, se considère toujours lui-même en acte et, par conséquent, ce qui se rapporte à lui ; lui-même est la raison de connaître tout cela. En effet, rien n’empêche que plusieurs choses soient intelligées en même temps si elles sont connues selon une seule raison. Or, aussitôt qu’un ange ordonne son langage à un autre, le langage existe pour ce qui se rapporte à lui et ainsi, cela est connu de lui. On voit ainsi clairement comment un ange peut en écouter plusieurs qui lui parlent, et un saint, plusieurs qui l’invoquent.

 

[4482] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod inferior Angelus potest loqui superiori, non illuminare eum: quia loquens non influit aliquid in audientem, sed solummodo proponit sibi ut cognoscibile.

5. L’ange inférieur peut parler à un [ange] supérieur, mais non l’illuminer, car, en parlant, il ne communique rien à celui qui écoute, mais il lui propose seulement un objet de connaissance.

 

 

 

 

Articulus 4 [4483] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 tit. Utrum Angeli didicerint mysterium incarnationis per homines

Article 4 – Les anges ont-ils appris le mystère de l’incarnation par des hommes ?

 

[4484] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Angeli per homines mysterium incarnationis didicerint. Primo per hoc quod habetur Ephes. 3, 9: ut innotescat principatibus et potestatibus in caelestibus per Ecclesiam multiformis sapientia Dei.

1. Il semble que les anges aient appris par des hommes le mystère de l’incarnation. Premièrement, par le fait qu’on lise en Ep 3, 9 : Afin que soit portée par l’Église à la connaissance des Principautés et des Puissances célestes la sagesse multiforme de Dieu.

 

[4485] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, superioris est illuminare et instruere inferiores. Sed quidam homines quibusdam Angelis superiores sunt: quod probatur ex hoc quod dicitur 1 Corinth. 6, 3: nonne Angelos judicabimus? Comparatione melioris facti, secundum Glossam. Ergo Angeli per homines illuminari possunt et instrui.

2. Il revient à [un ange] supérieur d’illuminer et d’instruire [les anges] inférieurs. Or, certains hommes sont supérieurs aux anges, ce qui est démontré par ce qui est dit en 1 Co 6, 3 : Ne jugerons-nous pas les anges ? « Par comparaison avec celui qui est devenu meilleur », selon la Glose. Les anges peuvent donc être illuminés et instruits par les hommes.

 

[4486] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, illi qui immediate a Deo recipiunt cognitionem, alios instruunt. Sed apostoli immediate de mysteriis Ecclesiae a Dei filio instructi sunt. Ergo videtur quod de hoc etiam Angelos instruere possint.

3. Ceux qui reçoivent immédiatement de Dieu la connaissance instruisent les autres. Or, les apôtres ont été immédiatement instruits des mystères de l’Église par le Fils de Dieu. Il semble donc qu’ils puissent aussi instruire les anges de cela.

 

[4487] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, Paulus dicitur ad tertium caelum raptus 2 Corinth. 2. Et exponit quaedam Glossa tertium caelum, tertiam Angelorum hierarchiam. Sed illi qui sunt in tertia hierarchia ascendendo, idest in summa, illuminant inferiores Angelos. Ergo videtur quod Paulus inferiores Angelos illuminare potuerit.

4. Il est dit que Paul a été emporté au troisième ciel, 2 Co 2. Et une glose interprète le troisième ciel de la troisième hiérarchie des anges. Or, ceux qui sont dans la troisième hiérarchie en montant, c’est-à-dire dans la plus élevée, illuminent les anges inférieurs. Il semble donc que Paul pouvait illuminer les anges inférieurs.

 

[4488] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, Angeli cognitionem aliquorum accipiunt et per illuminationem et per locutionem. Sed loqui etiam possunt inferiores superioribus. Ergo videtur quod Angeli ab hominibus, etsi sint inferiores, cognitionem accipere possint.

5. Les anges reçoivent la connaissance de certaines choses par illumination et par langage. Or, les [anges] inférieurs peuvent aussi parler aux [anges] supérieurs. Il semble donc que les anges puissent recevoir des hommes la connaissance, même s’ils sont inférieurs.

 

[4489] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit, quod Angeli de nativitate Christi primo edocti sunt, et per eos ad homines devenit. Ergo ipsi ab hominibus non didicerunt.

Cependant, [1] Denys dit le contraire : en premier lieu, les anges ont été instruits de la naissance du Christ, et elle est parvenue aux hommes par eux. Ils n’ont donc pas appris des hommes.

 

[4490] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, mysterium incarnationis a prophetis est praenuntiatum. Sed revelationes factae patribus et prophetis, mediantibus Angelis a Deo processerunt, ut sancti communiter dicunt. Ergo videtur quod ipsi praecognoverint mysterium incarnationis, et non ab hominibus didicerint.

[2] Le mystère de l’incarnation a été annoncé à l’avance par les prophètes. Or, les révélations faites aux pères et aux prophètes sont venues de Dieu par l’intermédiaire d’anges, comme les saints le disent d’une manière générale. Il semble donc qu’ils aient connu à l’avance le mystère de l’incarnation et qu’ils ne l’ont pas appris des hommes.

 

[4491] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in hoc videtur esse quaedam controversia inter Hieronymum et Augustinum et Dionysium. Hieronymus enim ponit duo: scilicet Angelos ante incarnationem mysterium humanitatis Christi nescivisse: et quantum ad hoc videtur Augustinus, sibi obviare, dicens, eos a saeculis, idest a principio mundi, cognovisse. Secundo ponit Hieronymus quod hoc per homines didicerunt: et quantum ad hoc videtur sibi obviare Dionysius, ponens homines de hoc ab Angelis edoctos esse, secundum ordinem divinae legis inviolabiliter constitutum. Ut autem sciatur qualiter unumquodque veritatem habere possit, distinguendum est quantum ad primum, quod mysterium incarnationis dupliciter potest considerari: vel quantum ad substantiam facti; et sic omnes a principio cognoverunt, scilicet incarnationem, passionem, et hujusmodi; vel quantum ad conditiones et circumstantias mysterii, scilicet quod sub tali praeside, vel tali hora, et hujusmodi; et hoc a principio non cognoverunt. His etiam modis differenter enarrant propheta et Evangelista: quia propheta annuntiavit substantiam facti; sed Evangelista recitat expletionis modum. Quantum etiam ad secundum distinguendum est, quod Angeli dupliciter accipiunt cognitionem aliquarum rerum: aut per illuminationem; et sic Angeli per homines nihil recipiunt, sed inferiores a superioribus illuminantur, et superiores immediate a Deo, per quem modum multas rationes mysteriorum Ecclesiae edocentur: aut per modum expletionis rerum; et sic futura contingentia cognoscunt quando actu complentur, per hoc quod eorum causae ad effectus determinantur, ut in eis cognosci possint; et ita quaedam quae circa incarnationis mysterium nesciebant, quando explebantur praedicantibus apostolis cognoverunt, non tamen ab apostolis edocti.

Réponse. Sur ce point, il semble exister une controverse entre Jérôme, Augustin et Denys. En effet, Jérôme présente deux choses : les anges ne connaissaient pas avant l’incarnation le mystère de l’humanité du Christ, et Augustin semble s’opposer à lui sur ce point en disant qu’ils le connaissaient depuis les siècles, c’est-à-dire depuis le commencement du monde. Deuxièmement, Jérôme affirme qu’ils l’ont appris par les hommes, et, sur ce point, Denys semble s’opposer à lui en affirmant que les hommes en ont été instruits par les anges, selon l’ordre de la loi divine établi de manière inviolable. Afin de savoir comment chaque affirmation peut être vraie, il faut faire, pour le premier point, une distinction. Le mystère de l’incarnation peut être envisagé de deux manières : quant à la substance du fait, et ainsi tous l’ont connu depuis le commencement, à savoir l’incarnation, la passion et les choses de ce genre ; quant aux conditions et aux circonstances du mystère, à savoir, sous tel dirigeant, à telle heure, et les choses de ce genre, et ils n’ont pas connu cela depuis le commencement. Le prophète et l’évangéliste les racontent aussi de manière différente, car le prophète a annoncé la substance du fait, mais l’évangéliste raconte le mode de son accomplissement. Pour le second point, il faut faire la distinction que les anges reçoivent de deux manières la connaissance de certaines choses : par illumination, et ainsi les anges ne reçoivent rien par l’intermédiaire des hommes, mais les [anges] inférieurs sont illuminés par les [anges] supérieurs, et les [anges] supérieurs le sont par Dieu de manière immédiate, manière selon laquelle plusieurs [corr. multas/multae] raisons des mystères de l’Église sont enseignées ; par la manière dont les choses s’accomplissent, et ainsi [les anges] connaissent les futurs contingents lorsqu’ils sont réalisés en acte, par le fait que leurs causes sont déterminées à des effets, de sorte qu’ils peuvent être connus en eux. Et ainsi, ils ne connaissaient pas certaines choses qui entouraient le mystère de l’incarnation, mais, lorsqu’elles s’accomplissaient, ils les connaissaient par la prédication des apôtres, sans cependant être enseignés par les apôtres.

 

[4492] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus vult, ut dicitur in Glossa super eumdem locum, quod haec determinatio per Ecclesiam non determinet hoc verbum innotescat; sed praecedens, scilicet illuminare omnes; ut sit sensus, quod apostolo erat data gratia illuminandi omnes per Ecclesiam, idest omnes de Ecclesia. Hieronymus tamen vult quod determinet hoc verbum innotescat; et tunc intelligendum est modo praedicto. Vel potest intelligi de Ecclesia Angelorum, ubi prima fuit Ecclesia, et ubi ultimo nostra Ecclesia congreganda est; ut sit sensus: incarnationis mysterium fuit absconditum in Deo, ita tamen quod a saeculis innotuit principibus per Ecclesiam, idest in Ecclesia caelesti: et hanc expositionem ponit Augustinus super Gen.

1. Comme le dit la Glose au même endroit, Augustin veut dire que cette détermination « par l’Église » ne détermine pas le mot « est portée à la connaissance », mais celui qui précède : « pour les éclairer tous », de sorte que le sens est que la grâce avait été donnée à l’Apôtre de les éclairer tous par l’Église, c’est-à-dire tous ceux qui font partie de l’Église. Toutefois, Jérôme entend que [« par l’Église »] détermine le mot « soit connue »; il faut alors l’entendre de la manière déjà dite. Ou bien on peut l’entendre de l’Église des anges, où se trouvait la première Église et où notre Église sera finalement rassemblée. Le sens est alors : le mystère de Dieu était caché en Dieu, de telle sorte cependant qu’il a été connu depuis les siècles aux dirigeants par l’Église, c’est-à-dire, à l’Église céleste. C’est cette interprétation que donne Augustin dans son Commentaire de la Genèse.

 

[4493] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum conditionem status, quilibet Angelus quolibet homine simpliciter viatore major est; unde dicitur Matth. 11, 11, quod qui minor est in regno caelorum, major est illo, scilicet Joanne Baptista, quo tamen nullus major inter natos mulierum surrexit. Sed quantum ad causam potest dici secundum quid aliquis homo aliquo Angelo major, inquantum per gratiam quam habet, meretur gradum quibusdam Angelis altiorem.

2. Selon la condition de son état, tout ange est simplement plus grand que tout homme en cheminement. C’est pourquoi il est dit en Mt 11, 11 : Le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que celui-ci, à savoir, Jean-Baptiste, alors que personne de ceux qui sont nés des femmes n’est plus grand que lui. Mais, du point de vue de la cause, on peut dire qu’un homme est plus grand qu’un ange sous un aspect, dans la mesure où la grâce qu’il possède lui mérite un rang plus élevé que certains anges.

 

[4494] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod apostoli immediate instruebantur a verbo incarnato, non quod essentiam verbi immediate viderent, quam tamen inferiores Angeli videbant; et ideo multo plura a verbo discebant quam etiam ipsi Angeli.

3. Les apôtres étaient instruits de manière immediate par le Verbe incarné, non pas qu’ils aient vu l’essence du Verbe de manière immédiate, que les anges inférieurs voyaient cependant. C’est pourquoi ils apprenaient du Verbe beaucoup plus de choses que les anges eux-mêmes.

 

[4495] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Paulus in illo raptu secundum quid participavit statum comprehensorum, non tamen tanta gloria perfectus fuit ut lumen in Angelos transfundere posset: quia, ut dicitur, factus est illius gloriae particeps miraculose quantum ad actum, et non quantum ad habitum, quod est lumen gloriae.

4. Par ce rapt, Paul a participé d’une certaine manière à l’état des bienheureux ; toutefois, il n’a pas été perfectionné par une gloire si grande qu’il pouvait communiquer une lumière aux anges, car, ainsi qu’on le dit, il est devenu participant de cette gloire de manière miraculeuse quant à l’acte, et non quant à l’habitus, qui est la lumière de gloire.

 

[4496] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Angelus ab homine per locutionem, quorumdam cognitionem accipere potest, eorum scilicet quae subduntur libero arbitrio hominis; sed talia non sunt mysteria incarnationis.

5. Par le langage, l’ange peut recevoir de l’homme la connaissance de certaines choses, à savoir, de celles qui sont soumises au libre arbitre de l’homme. Mais ces choses ne sont pas les mystères de l’incarnation.

 

 

 

 

Articulus 5 [4497] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 tit. Utrum inter Angelos possit esse pugna

Article 5 – Peut-il y avoir combat entre les anges ?

 

[4498] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod inter Angelos pugna esse non possit. Omnis enim discordia et pugna repugnat unitati caritatis. Sed Angeli sunt perfecti in caritate. Ergo inter eos pugna esse non potest.

1. Il semble qu’il ne puisse y avoir combat entre les anges. En effet, toute discorde et tout combat sont contraires à l’unité de la charité. Or, les anges ont une charité parfaite. Il ne peut donc y avoir de combast entre eux.

 

[4499] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, quicumque patrocinium praestant contrariis causis, ita se habent quod alter eorum injustam causam defendit. Sed hoc sanctis Angelis convenire non potest, quorum rectitudo confirmata, injustitiam non patitur. Ergo videtur quod non possint dici contrariis causis patrocinando pugnare.

2. Tous ceux qui accordent leur patronage à des causes contraires sont dans la position où l’un d’eux défend une cause injuste. Or, cela ne peut convenir aux anges saints, dont la droiture confirmée ne supporte pas d’injustice. Il semble donc qu’on ne puisse dire qu’ils sont en conflit parce qu’ils sont les patrons de causes contraires.

 

[4500] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, ubicumque est ordinata praelatio, non potest esse pugna vel contrarietas: quia hoc est contra rationem praelationis ut inferior superiori resistat. Sed Angeli ordinantur omnes secundum superius et inferius, ut prius dictum est, dist. 9, quaest. unic. art. 3. Ergo videtur quod unus alteri non repugnet.

3. Partout où existe une supériorité ordonnée, il ne peut exister de conflit ni de contrariété, car cela est contraire à la raison de supérorité qu’un inférieur résiste à un supérieur. Or, tous les anges sont ordonnés selon ce qui est supérieur et inférieur, comme on l’a dit plus haut, d. 9, q. unique, a. 3. Il semble donc que l’un ne s’oppose pas à l’autre.

 

[4501] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, cum nullus Angelus nitatur nisi ad hoc quod rectum sibi videtur, oportet si ad contraria nitatur, quod contrarias opiniones habeat. Sed contrariarum opinionum altera est falsa. Ergo aliquis Angelus habebit falsam opinionem. Hoc autem est falsum: quia falsitas in nobis appropriatur phantasiae, secundum philosophum in 4 Metaph., qua tamen Angeli carent. Ergo inter eos non potest esse pugna.

4. Puisque aucun ange ne tend que vers ce qui lui paraît droit, il est nécessaire, s’il tend vers des choses contraires, qu’il ait des opinions contraires. Or, l’une des opinions contraires est fausse. Un ange aura donc une opinion fausse. Or, cela est faux, car la fausseté chez nous est propre à l’imagination, selon le Philosophe, Métaphysique, IV, laquelle fait défaut aux anges. Il ne peut donc y avoir de conflit entre eux.

 

[4502] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra est quod habetur Daniel. 7, quod quatuor venti caeli repugnabant, per quos, secundum Glossam Hieronymi super eumdem locum, intelliguntur quatuor angelicae potestates, regnis principalibus praelatae. Ergo Angeli invicem repugnant.

Cependant, [1] Dn 7 dit le contraire, que les quatre vents du ciel combattaient ; selon une glose de Jérôme au même endroit, on entend par eux les quatre puissances angéliques établies sur les principaux royaumes. Les anges sont donc en conflit.

 

[4503] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 s. c. 2 Praeterea, hoc expresse habetur Danielis 10, 13, ubi Angelus ad eum loquens dixit: princeps Persarum restitit mihi viginti et uno diebus. Ergo videtur quod etiam longas concertationes ad invicem habeant.

[2] On lit expressément dans Dn 10, 13, où l’ange qui lui parle lui dit : Le prince des Perses m’a résisté pendant vingt et un jours. Il semble donc que [les anges] aient entre eux de longs conflits.

 

[4504] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod ista verba Danielis, unde tota dubitatio oritur, a sanctis diversimode exponuntur. Hieronymus enim dicit, quod ille princeps Persarum, qui restiterat liberationi populi, erat malus Angelus, Persis praelatus: sicut enim unicuique homini datur ad exercitium unus bonus et alter malus Angelus; ita singulis gentibus duo spiritus praeponuntur, unus bonus, et alter malus. Sed in hoc non est minor dubitatio. Constat enim quod Angelus Danieli loquens, bonus Angelus erat. Quomodo autem sibi efficaciter tot diebus malus Angelus restitisset, nisi justam causam haberet, non potest dici. Quod si justam habebat, etiam impossibile erat illam resistentiam multo magis per bonum Angelum fieri. Et ideo dicendum est cum Gregorio, quod uterque bonus Angelus fuit: quod etiam magis litterae consonat, quae in eadem locutionis serie principem Persarum nominat, et Michaelem principem Judaeorum, quem constat bonum Angelum esse. Haec autem pugna sic intelligenda est secundum Gregorium. Cum enim judicia Dei sint abyssus multa, profunditatem judiciorum ejus Angeli comprehendere non possunt: et ideo quid unicuique genti vel homini debeatur secundum dispositionem divinam non semper intelligunt, nisi eis reveletur. Contingit autem quandoque quod in diversis gentibus inveniantur diversa merita, secundum quorum diversitatem videtur quod una gens alteri subesse debeat, vel ab ejus dominio liberari, sicut tunc in Judaeis erat: quia Danielis oratio, quantum in se erat, liberationem populi merebatur; sed peccata populi, et etiam utilitas quam Judaei faciebant in regno Persarum, dum per eos Dei notitia diffundebatur, erant in contrarium. Et quia unusquisque Angelus secundum officium suum, ad examen divinae scientiae referebat merita sibi subditorum, ideo relatio contrariorum meritorum per diversos Angelos facta, sententiam divinam expectantes, pugna inter Angelos vocatur; et eorum concordia est in divinae illuminationis perceptione, per quam de divina voluntate instruuntur: hoc enim omnes concorditer volunt quod percipiunt Deum velle; unde dicitur Job 15, de Deo, quod facit concordiam in sublimibus.

Réponse. Ces paroles de Daniel, dont provient tout le doute, sont interprétées différemment par les saints. En effet, Jérôme dit que ce prince des Perses, qui avait résisté à la libération du peuple, était un ange mauvais placé à la tête des Perses. Ainsi, de même qu’à chaque homme sont donnés pour le mettre à l’épreuve un ange bon et un ange mauvais, de même, deux esprits sont-ils mis à la tête de chaque nation : un bon et un mauvais. Mais, sur ce point, il n’y a pas le plus petit doute. En effet, c’est un fait que l’ange qui parlait à Daniel était un ange bon. Comment un ange mauvais lui avait résisté pendant tant de jours, à moins qu’il n’ait eu une cause juste, on ne peut le dire. S’il avait une cause juste, il était aussi impossible que cette résistance ait été bien davantage le fait de l’ange bon. Aussi faut-il dire avec Grégoire que les deux étaient des anges bons. Cela s’harmonise aussi davantage avec le texte, qui, dans le même enchaînement du discours, nomme le prince des Perses et Michel, le prince des Juifs, dont il est avéré qu’il est un ange bon. Mais un tel conflit doit s’entendre ainsi selon Grégoire. En effet, puisque les jugements de Dieu sont des abîmes insondables, les anges ne peuvent comprendre la profondeur de ses jugements. C’est pourquoi ils ne comprennent pas toujours ce qui revient à une nation ou à un homme selon la disposition divine, à moins que cela ne leur soit révélé. Or, il arrive parfois que, chez diverses nations, se trouvent divers mérites ; selon leur diversité, il semble qu’une nation doive être soumise à une autre ou être libérée de sa domination, comme c’était alors le cas pour les Juifs, car la prière de Daniel méritait la libération du peuple par elle-même ; mais les péchés du peuple et aussi les services que les Juifs rendaient dans le royaume des Perses, alors que la connaissance de Dieu était répandue par eux, allaient en sens contraire. Et parce que chaque ange, selon sa fonction, soumettait au jugement de Dieu les mérites de ceux qui lui étaient soumis, le rapport des mérites contraires fait par divers anges, qui attendaient le jugement de Dieu, est appelé un conflit entre des anges ; et leur concorde se trouve dans la perception de l’illumination divine par laquelle ils sont instruits de la volonté divine. En effet, tous veulent d’un seul cœur ce qu’ils perçoivent être la volonté de Dieu. Aussi est-il dit en Jb 15, à propos de Dieu, qu’il établit la concorde dans les hauteurs.

 

[4505] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, secundum philosophum in 9 Ethic., amicitiae vel concordiae non repugnat diversitas opinionum, sed solum diversitas voluntatum: unde talis pugna quae est secundum judicia ex diversis meritis sumpta, non obstat unitati caritatis, cum voluntas eorum sit una, ut divina scilicet providentia expleatur.

1. Selon le Philosophe, Éthique, IX, la diversité des opinions ne s’oppose pas à l’amitié ou à la concorde, mais seulement la diversité des volontés. Le conflit qui vient de jugements tirés de divers mérites ne contrarie pas l’unité de la charité, puisqu’ils ont une seule volonté : que la providence divine soit accomplie.

 

[4506] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est inconveniens contrariarum causarum utramque aliquid justitiae habere; et secundum hoc utraque a bono defendi potest; et praecipue expectando divinam sententiam.

2. Il n’est pas inapproprié que chacune des causes contraires ait quelque chose de la justice ; sous cet aspect, les deux peuvent être défendues par un bon, surtout dans l’attente du jugement divin.

 

[4507] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ordo praelationis Angelorum perficitur per illuminationes divinitus receptas; et ideo ea recepta, unus alteri non obsistit.

3. L’ordre de supériorité des anges se réalise par des illuminations reçues de Dieu. Ainsi, une fois celles-ci reçues, l’un ne s’oppose pas à l’autre.

 

[4508] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis in Angelis non possit esse falsa opinio, potest tamen in eis esse quorumdam nescientia, ex hoc quod intellectus eorum propter potentialitatem admixtam, non omnino terminatur ad unum; et secundum quod eorum quae nesciunt, cognitionem a Deo vel superioribus Angelis expectant, interrogare in Scriptura dicuntur. Quia tamen ei quod nesciunt, per judicium non adhaerent, ideo falli non possunt; sed secundum contrarietatem rerum quae in judicium divinum veniunt, contrarietates inter eos memorantur.

4. Bien qu’il ne puisse pas exister d’opinion fausse chez les anges, peut cependant exister chez eux l’ignorance de certaines choses, du fait que leur intelligence, en raison de la puissance qui s’y mêle, n’est pas entièrement déterminée à une seule chose. Selon qu’ils attendent de Dieu ou d’anges supérieurs la connaissance de ce qu’ils ignorent, on dit dans l’Écriture qu’ils s’interrogent. Toutefois, parce qu’ils n’adhèrent pas par leur jugement à ce qu’ils ignorent, ils ne peuvent donc se tromper. Mais, selon le caractère contraire des choses qui sont soumises au jugement de Dieu, les oppositions entre eux sont rappelées.

 

 

 

 

Articulus 6 [4509] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 tit. Utrum ordines durabunt post diem judicii

Article 6 – Les ordres [des anges] dureront-ils au-delà du jour du jugement ?

 

[4510] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod ordines post diem judicii non durabunt. Dicitur enim 1 Corinth. 15, quod cum Christus tradiderit regnum Deo et patri, evacuabit omnem principatum et potestatem. Hoc autem erit in resurrectione. Ergo videtur quod eadem ratione alios ordines evacuabit.

1. Il semble que les ordres [des anges] ne dureront pas au-delà du jour du jugement. En effet, il est dit en 1 Co 15 que, lorsque le Christ aura remis le royaume à Dieu et au Père, il éliminera toute Principauté et Puissance. Or, cela se produira lors de la résurrection. Il semble donc que, pour la même raison, il éliminera les autres ordres.

 

[4511] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 arg. 2 Praeterea, quidam ordines actum proprium habent in directione divinorum; sicut principes, ut praesint regnis et provinciis; et Angeli, ut custodiant homines. Sed ista ministeria cessabunt post diem judicii. Ergo et ordines.

2. Certains ordres ont un acte propre dans le gouvernement des réalités divines; ainsi, les Principautés, en régnant sur les royaumes et les provinces ; et les anges, en gardant les hommes. Or, ces ministères cesseront après le jour du jugement. Donc, les ordres aussi.

 

[4512] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 arg. 3 Praeterea, major perfectio erit in Angelis quam in corporibus inferioribus. Sed in corporibus post diem judicii non erit actio, quia cessabit motus primi mobilis, et hoc propter perfectionem universi. Ergo multo minus in Angelis. Sed hierarchia est scientia et actio. Ergo non erunt hierarchiae et ordines post diem judicii.

3. Les anges auront une plus grande perfection que les corps inférieurs. Or, il n’y aura pas d’action dans les corps après le jour du jugement, car le mouvement du premier mobile cessera, et cela, en raison de la perfection de l’univers. Encore bien moins, donc, chez les anges. Or, la hiérarchie est science et action. Il n’y aura donc pas de hiérarchies ni d’ordres après le jour du jugement.

 

[4513] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 arg. 4 Praeterea, post diem judicii, Angeli in cognitione non proficient. Sed per purgationem et illuminationem superiorum inferiores proficiunt in cognitione, ut dictum est. Ergo non erit illuminatio et purgatio; et ita nec hierarchiarum et ordinum distinctio.

4. Après le jour du jugement, les anges ne progresseront pas dans la connaissance. Or, par la purification et l’illumination des [anges] supérieurs, les [anges] inférieurs progressent dans la connaissance, comme on l’a dit. Il n’y aura donc pas d’illumination et de purification, et ainsi pas de distinction entre les hiérarchies et les ordres.

 

[4514] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 s. c. 1 Sed contra, homines assumuntur ad ordines Angelorum. Sed frustra esset tam distincta et ordinata assumptio, si completo numero electorum, ordinata distinctio esse desineret. Ergo videtur quod ordines post diem judicii remanebunt.

Cependant, [1] les hommes sont intégrés aux ordres des anges. Or, une intégration si nette et ordonnée serait vaine si, une fois complété le nombre des élus, une distinction ordonnée cessait d’exister. Il semble donc que les ordres demeureront après le jour du jugement.

 

[4515] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 s. c. 2 Praeterea, ad distinctionem ordinum duo concurrunt, scilicet gradus naturae et distantia gratiae. Sed utrumque remanebit post diem judicii. Ergo et ordinum distinctio.

[2] Deux choses concourent à la distinction entre les ordres : les degrés de la nature et la distance dans la grâce. Or, les deux choses demeureront après le jour du jugement. Donc, aussi la distinction entre les ordres.

 

[4516] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod distinctio ordinum et hierarchiarum caelestium potest considerari vel quantum ad essentialia hierarchiae et ordinis, et sic semper erit, quia semper manebunt distincti gradus naturae in Angelis et diversae sortes gloriae et etiam actiones hierarchiae, quia unus alium illuminabit, purgabit, et perficiet: vel quantum ad actum consequentem, secundum quod mediantibus ordinibus Angelorum homines reducuntur in Deum; et quantum ad hoc praelatio ordinum cessabit, cessante statu viatorum.

Réponse. La distinction des ordres et des hiérarchies célestes peut être considérée soit du point de vue des aspects essentiels de la hiérarchie et de l’ordre, et ainsi, elle demeurera toujours, puisque les degrés distincts de la nature chez les anges, les diverses participations à la grâce et même les actions de la hiérarchie demeureront, alors que l’un illuminera, purifiera et perfectionnera l’autre ; soit du point de vue de l’acte qui en découle, selon que, par l’intermédiaire des ordres des anges, les hommes sont ramenés à Dieu, et ainsi la supériorité entre les ordres cessera, lorsque cessera l’état de ceux qui sont en chemin.

 

[4517] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum: quia secundum hoc ultimum intelligitur auctoritas.

1. Ainsi ressort clairement la réponse au premier argument, car l’autorité s’entend de ce dernier point.

 

[4518] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actus essentialis ordinum est principaliter in receptione divini luminis, et consequenter in transfusione ejusdem in inferiores; sed quod hoc ordinetur ad reductionem hominum viatorum, accidit ipsis ordinibus; unde cessante statu viae, non oportet quod cesset distinctio ordinum. Nihilominus tamen remanebit modus recipiendi divinum lumen, proportionatum statui viatorum reducendorum, si essent.

2. L’acte essentiel des ordres consiste principalement à recevoir la lumière divine et, ensuite, à la verser chez les inférieurs. Mais le fait que cela soit ordonné au retour des hommes en chemin est accidentel aux ordres. Aussi, lorsque cessera l’état de cheminement, il n’est pas nécessaire que cesse la distinction des ordres. Néanmoins, demeurera la manière de recevoir la lumière divine proportionnée à l’état de ceux qui sont en chemin et doivent être ramenés, s’il y en avait.

 

[4519] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actio corporum quae est per motum, tolletur, quia motus cessabit et omnis imperfectio evacuabitur; sed actio quae est sine motu, manebit: semper enim sol illuminabit inferiorem aerem: ita etiam et actiones hierarchicae, quae sine motu sunt, post diem judicii remanebunt.

3. L’action des corps qui se réalise par le mouvement sera écartée, car le mouvement cessera et toute imperfection sera éliminée ; mais l’action qui existe sans mouvement demeurera. En effet, le soleil éclairera toujours l’air inférieur ; de même aussi, les actions hiérarchiques, qui existent sans mouvement, demeureront-elles après le jour du jugement.

 

[4520] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 ad 4 Per hoc etiam patet responsio ad quartum: quia si non sit illuminatio et purgatio ordinata ad quorumdam novorum cognitionem per modum profectus et motus cujusdam, erit tamen continuatio illuminationis, secundum quod inferiores in lumine superiorum, rationes secretorum divinorum cognoscent.

4. La réponse au quatrième argument ressort ainsi clairement, car, s’il n’y a pas d’illumination et de purification ordonnées à la connaissance de choses nouvelles par mode de progrès et d’un certain mouvement, toutefois continuera l’illumination, par laquelle les inférieurs connaîtront les raisons des secrets divins par la lumière des supérieurs.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 11, q. 2, a. 6

 

[4521] Super Sent., lib. 2 d. 11 q. 2 a. 6 expos. Dicit enim Isaias ex persona Angelorum (...) quis est iste qui venit de Edom, tinctis vestibus de Bosra? Hanc quaestionem Dionysius dicit esse superiorum Angelorum expectantium ab ipso Christo illuminari de secretis mysteriis suae incarnationis: non tamen ipsi Christo quaestionem proponunt, sed sibi invicem, ad significandum reverentiam eorum ad Christum; sicut discipuli mutuo disputantes determinationem Magistri expectant. Quid est quod illi nesciant qui scientem omnia sciunt? Hoc, sicut dicit Magister, potest intelligi de his quae ad beatitudinem pertinent: vel etiam quia nihil est ad cujus cognitionem medium illud non sufficiat, scilicet divina essentia: unde non est ex defectu ejus ut aliquid lateat ipsam videntem, sed ex defectu videntis, qui ipsam perfecte non comprehendit. Quanto autem intellectus videntis perspicacior est, tanto plura in ipsa videt; ad altiorem autem perspicacitatis gradum non nisi dono ipsius Dei visi ascendit: quod quidem non communicat necessitate, sed voluntate: et ideo dicitur illud speculum voluntarium esse, ut in se hoc solum quod vult ostendat.

 

 

 

 

 

Distinctio 12

Distinction 12 – [Les êtres corporels]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Les êtres corporels ont-ils une seule matière ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[4522] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 pr. In parte praecedenti determinavit Magister de natura pure corporali, quantum pertinet ad theologi considerationem, scilicet secundum quod a Deo in operibus sex dierum primitus instituta est. Dividitur autem in partes tres: in prima determinat institutionem corporalis naturae, quantum ad opus creationis; in secunda quantum ad opus distinctionis, 13 dist., ibi: prima autem distinctionis operatio fuit formatio lucis; in tertia quantum ad opus ornatus, 15 dist., ibi: sequitur: dixit Deus: fiant luminaria in firmamento caeli. Prima in duas: in prima determinat de opere creationis secundum se; in secunda per comparationem ad alia opera, ibi: nunc superest ut dispositionem illam qualiter perfecta sit ordine persequamur. Prima in duas: in prima ponit diversas opiniones de opere creationis; in secunda sequitur propositum secundum alteram illarum, ibi: secundum hanc itaque traditionem, ordinem atque modum creationis formationisque rerum inspiciamus. Circa primum duo facit: primo dicit de quo est intentio, et tangit opinionum diversitatem; secundo explicat eas, ibi: quidam namque sanctorum patrum (...) super hoc quasi adversa scripsisse videntur. Secundum hanc utique traditionem, ordinem atque modum creationis formationisque rerum inspiciamus. Hic prosequitur opus creationis secundum alteram dictarum opinionum; et circa hoc duo facit: primo manifestat creationem materiae primo creatae quantum ad nomen quo in Scripturis nominatur; secundo quantum ad ipsius conditionem, ibi: de qua prius quam tractemus, duo nobis discutienda occurrunt. Circa primum duo facit: primo manifestat propositum; secundo dubitationem excludit, ibi: attende quod hic dicit Augustinus, tenebras non esse aliquid. De qua prius quam tractemus, duo nobis discutienda sunt. Hic ostendit materiae primo creatae conditionem: et primo quantum ad formam; secundo quantum ad locum, ibi: nunc superest quod secundo proponebatur explicare. Nunc superest ut dispositionem illam qualiter perfecta sit, ordine prosequamur. Hic determinat de opere creationis per comparationem ad alia opera; et circa hoc duo facit: primo ponit operis universalitatem; secundo ponit divinorum operum distinctionem, ibi: quatuor enim modis (...) operatur Deus. Circa partem istam quinque quaeruntur: 1 utrum omnium corporalium sit una materia; 2 utrum omnia corpora sint simul creata in speciebus suis distincta; 3 si simul distinctionem receperunt, quomodo accipiendi sunt dies qui in principio Genesis numerantur; 4 si non simul distincta sunt, qualis fuit illa informis materia; 5 de numero quatuor coaevorum.

Dans la partie précédente, le Maître a déterminé de la nature purement corporelle, pour autant qu’elle relève de la considération du théologien, à savoir, selon qu’elle a été créée par Dieu à l’origine dans les œuvres des six jours. Il y a trois parties. Dans la première, il détermine de la création de la nature corporelle pour ce qui est de l’action créatrice. Dans la deuxième, pour ce qui est de la l’action qui a différencié [les réalités corporelles], d. 13, à cet endroit : « La première action de différenciation a été la formation de la lumière. » Dans la troisième [partie], pour ce qui est de l’action d’embellissement, d. 15, à cet endroit : « Vient ensuite : ‘‘Dieu dit : ‘Qu’apparaissent les luminaires dans le firmament du ciel’’. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’œuvre de la création en elle-même ; dans la seconde, par comparaison avec d’autres œuvres, à cet endroit : « Il nous reste donc maintenant à chercher comment cette disposition est parfaite dans son ordre. » La première partie se divise en deux : dans la première, il présente diverses opinions sur l’œuvre de la création ; dans la seconde, il poursuit son propos selon l’une d’entre elles, à cet endroit : « Examinons l’ordre et le mode de la création et de la formation selon cet enseignement. » À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il dit sur quoi porte son intention et aborde la diversisté des opinions. Deuxièmement, il les explique, à cet endroit : « Car certains des saints pères… semblent avoir écrit des choses opposées sur ce sujet. » « Examinons l’ordre et le mode de la création et de la formation selon cet enseignement. » Ici, il poursuit [l’examen] de l’œuvre de la création selon l’une des opinions rappelées et, à ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre la création de la matière créée à l’origine du point de vue du nom qu’elle porte dans les Écritures ; deuxièmement, du point de vue de sa condition, à cet endroit : « Avant d’en traiter, deux choses doivent être discutées. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il révèle son propos ; deuxièmement, il écarte un doute, à cet endroit : « Remarque qu’ici, Augustin dit que les ténèbres ne sont pas une chose. » « Avant d’en traiter, deux choses doivent être discutées. » Ici, il montre la condition de la matière créée à l’origine. Premièrement, du point de vue de sa forme ; deuxièmement, du point de vue du lieu, à cet endroit : « Il reste maintenant ce qu’on se proposait d’expliquer en second. » « Il nous reste donc maintenant à chercher comment cette disposition est parfaite dans son ordre. » Ici, [le Maître] détermine de l’œuvre de la création par comparaison avec d’autres œuvres. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il présente l’universalité de l’œuvre ; deuxièmement, il présente la distinction entre les œuvres de Dieu, à cet endroit : « En effet, Dieu agit… de quatre manières. » À propos de cette partie, cinq questions sont posées : 1. Les êtres corporels ont-ils une seule matière ? 2. Tous les corps ont-ils été créés en même temps, différenciés selon leurs espèces ? 3. S’ils ont été différenciés en même temps, comment faut-il concevoir les jours qui sont énumérés au début de la Genèse ? 4. S’ils n’ont pas été distingués en même temps, quel était l’état de cette matière informe ? 5. À propos de quatre choses [créées] en même temps.

 

 

 

 

Articulus 1 [4523] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 tit. Utrum omnium corporalium sit eadem materia

Article 1 – Les êtres corporels ont-ils une seule matière ?

 

[4524] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod omnium corporalium sit materia una. Quorumcumque enim est forma unius rationis, eorum est una materia communis, eo quod proprius actus in propria potentia fit, ut dicit philosophus. Sed forma corporeitatis est unius rationis in omnibus corporibus. Ergo videtur quod una materia sit superiorum et inferiorum corporum.

1. Il semble qu’il y ait une seule matière pour toutes les réalités corporelles. En effet, tout ce dont la forme relève d’une seule raison possède une matière commune du fait que l’acte propre se réalise dans une puissance propre, comme le dit le Philosophe. Or, la forme de la corporéité possède une seule raison dans tous les corps. Il semble donc qu’il n’y ait qu’une seule matière pour les corps supérieurs et les corps inférieurs.

 

[4525] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, in littera dicitur, quod ex materia informi primo creata omnia corpora, in formas distinctas formata sunt per opus distinctionis et ornatus. Ergo omnium corporum est una materia.

2. On dit dans le texte que tous les corps ont été créés à l’origine à partir d’une matière informe et qu’ils ont été formés selon des formes distinctes par l’œuvre de différenciation et d’embellissement. Il n’y a donc qu’une seule matière pour tous les corps.

 

[4526] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea quorumcumque est resolutio actu vel intellectu in unum et idem sicut in subjectum primum, eorum est materia una. Sed omnia corpora sunt hujusmodi. Ergo et cetera. Probatio mediae. Illud in quo stat ultima resolutio omnium, est simplex materia sine aliqua forma: quia quamdiu invenitur aliqua forma in materia, contingit ulterius resolvere. Sed in materia quae est sine omni forma, non est aliqua diversitas: quia principium distinctionis materiae est ex parte formae. Ergo omnium corporum resolutio stat in uno ultimo.

3. Tout ce qui se ramène par un acte ou par l’intellect à une seule et même chose comme à un sujet premier, possède une seule matière. Or, tous les corps sont de cette sorte. Donc, etc. Démonstration de la mineure. Ce à quoi se ramènent toutes choses est la simple matière sans aucune forme, car aussi longtemps qu’on trouve une forme dans la matière, il faut remonter encore plus loin. Or, dans la matière qui est sans forme, il n’existe pas de diversité, car le principe de différenciation de la matière vient de la forme. Pour tous les corps, il faut donc remonter à quelque chose d’unique.

 

[4527] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, philosophus in 1 Phys., unam tantum materiam primam ponit. Cum ergo in illo Lib. de mobili in communi determinetur, videtur quod omnium corporum mobilium sit una materia.

4. Dans Physique, I, le Philosophe affirme qu’il n’existe qu’une seule matière première. Puisque, dans ce livre, on détermine de ce qui est mobile d’une manière générale, il semble donc qu’il n’existe qu’une seule matière pour tous les corps mobiles.

 

[4528] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, secundum philosophum in 2 Met., necesse est imaginari materiam in re mota. Ergo quaecumque conveniunt in aliquo motu, videntur in materia convenire. Sed loci mutatio communis est superioribus et inferioribus corporibus. Ergo et materia.

5. Selon le Philosophe, Métaphysique, II, il est nécessaire d’imaginer la matière dans une chose qui est mue. Donc, tout ce qui a un mouvement en commun semble avoir la matière en commun. Or, le changement de lieu est commun aux corps supérieurs et aux corps inférieurs. Donc, la matière aussi.

 

[4529] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, quorumcumque non est una potentia, nec una materia: quia sicut forma est actus, ita materia est potentia. Sed corporum inferiorum et superiorum non est potentia eadem: quia, secundum philosophum, in inferioribus est potentia ad esse, sed in superioribus tantum ad ubi. Ergo videtur quod non eorum tantum sit una materia.

Cependant, [1] tout ce qui ne possède qu’une seule puissance ne possède aussi qu’une seule matière, car de même que la forme est acte, la matière est puissance. Or, la puissance des corps inférieurs et des corps supérieurs n’est pas la même, car, selon le Philosophe, dans les corps inférieurs, la puissance est ordonnée à l’acte d’être, mais, dans les corps supérieurs, elle n’est ordonnée qu’au lieu. Il semble donc qu’ils n’aient pas une seule matière.

 

[4530] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in quocumque invenitur aliquid, oportet invenire illud a quo nunquam separatur. Sed materia prima quae est in inferioribus, nunquam separatur a privatione formae: quia quandocumque est sub forma una, adjungitur sibi privatio formae alterius; privatio autem adjuncta materiae, inducit corruptibilitatem. Ergo videtur quod materia prima inferiorum corporum non inveniatur in corporibus caelestibus per suam naturam incorruptibilibus.

[2] En tout ce en quoi se trouve quelque chose, il est nécessaire que se trouve ce dont cela n’est jamais séparé. Or, la matière première qui se trouve dans les [corps] inférieurs n’est jamais séparée de la privation de la forme, car dès qu’elle est existe sous une forme, la privation d’une autre forme lui est associée. Or, la privation associée à la matière entraîne la corruptibilité. Il semble donc que la matière première des corps inférieurs ne se trouve pas dans les corps célestes, incorruptibles par leur nature.

 

[4531] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod super hoc invenitur duplex philosophorum opinio, quarum utraque sectatores habet. Avicenna enim, videtur ponere unam materiam esse omnium corporum, argumentum ex ratione corporeitatis assumens, quae cum sit unius rationis, una sibi materia debetur. Hanc autem positionem Commentator improbare intendit in Princ. caeli et mundi et in pluribus aliis locis, ex eo quod cum materia, quantum in se est, sit in potentia ad omnes formas, nec possit esse sub pluribus simul, oportet quod secundum quod est sub una inveniatur in potentia ad alias. Nulla autem potentia passiva invenitur in natura cui non respondeat aliqua potentia activa, potens eam in actu reducere; alias talis potentia frustra esset. Unde cum non inveniatur aliqua potentia naturalis activa quae substantiam caeli in actum alterius formae reducat, quia non habet contrarium, sicut motus ostendit, quia motui naturali ejus, scilicet circulari, non est aliquid contrarium, ut dicitur in 1 caeli et mundi, oportet quod in ipso nihil inveniatur de materia prima inferiorum corporum. Nec potest dici, quod materiae prout est sub forma caeli, tota potentia terminetur, ita quod nihil remaneat in eadem potentia ad aliam formam; non enim terminatur potentia nisi per adeptionem formae, ad quam erat in potentia; unde, cum materia prima secundum se considerata sit in potentia ad omnes formas naturales, non poterit tota ejus potentia terminari nisi per adeptionem omnium formarum. Non enim una forma recepta in materia (etiam si sit nobilior et magis perfecta) tollit potentiam ad formam aliam minus nobilem; materia enim sub forma ignis existens, adhuc remanet in potentia ad formam terrae. Unde etsi forma caeli sit nobilissima, nihilominus tamen, recepta in materia prima, non terminabit totam potentiam ejus, nisi simul cum ipsa recipiantur omnes aliae formae; quod est impossibile. Et praeterea si poneretur quod forma caeli per suam perfectionem, totam materiae potentiam terminaret, adhuc oporteret quod materia stans sub forma elementari, esset in potentia ad formam caeli, et reduceretur in actum per actionem virtutis caelestis; et ita caelum esset generabile et corruptibile. Et ideo ipse vult, quod nullo modo in materia conveniant superiora et inferiora corpora: et hoc videtur probabilius, et magis consonum dictis philosophi. Nec dico, sicut quidam dicunt, quod conveniunt in materia, si sumatur pro fundamento primo, quod nec est album nec est nigrum, ut dicitur in 1 Metaph., sed differunt in materia, secundum quod materia determinatur per motum: diversitas enim motus est signum diversitatis materiae, et non causa, sed e converso: quia motus est actus existentis in potentia; unde oportet quod ubi invenitur una materia per essentiam, inveniatur potentia respectu ejusdem motus, secundum quod materia est in potentia ad plura.

Réponse. Sur ce point, il existe deux opinions des philosophes, dont chacune a ses partisans. En effet, Avicenne semble affirmer qu’il n’existe qu’une seule matière pour tous les corps, en argumentant à partir de la raison de corporéité qui, ayant une seule raison, ne doit recevoir qu’une seule matière. Mais le Commentateur entend repousser cette position dans Les principes du ciel et du monde et en plusieurs autres endroits, du fait que la matière, étant par elle-même en puissance à toutes les formes et ne pouvant exister sous plusieurs en même temps, il est nécessaire que, lorsqu’elle existe sous l’une, elle soit en puissance aux autres. Or, aucune puissance passive n’existe dans la nature, à laquelle ne corresponde pas une puissance active qui puisse l’amener à l’acte, autrement une telle puissance serait inutile. Puisqu’on ne trouve aucune puissance naturelle active qui amène la substance du ciel à l’acte d’une autre forme, comme le montre son mouvement ‑ car celui-ci n’a pas de contraire : en effet, son mouvement circulaire naturel n’a pas de contraire, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I ‑, il faut qu’on ne trouve en lui rien de la matière première des corps inférieurs. Et on ne peut pas dire que toute la matière ait comme terme la matière telle qu’elle existe sous la forme du ciel, de telle sorte qu’il ne reste rien dans cette même matière qui soit ordonné à une autre forme – en effet, la puissance n’a de terme que par la réception de la forme à laquelle elle était en puissance ; puisque la matière première considérée en elle-même est en puissance à toutes les formes naturelles, toute sa puissance n’aura de terme que par la réception de toutes les formes. En effet, une seule forme reçue dans la matière (même si elle est plus noble et plus parfaite) n’enlève pas la puissance à une forme moins noble, car la matière qui existe sous la forme du feu demeure en puissance à la forme de la terre. Même si la forme du ciel est la plus noble, elle ne mettra cependant pas de terme à la puissance tout entière en étant reçue dans la matière première, à moins que ne soient reçues en elle en même temps toutes les autres formes, ce qui est impossible. De plus, si on affirmait que la forme du ciel, en raison de sa perfection, mettait un terme à toute la puissance de la matière, il faudrait encore que la matière qui existe sous une forme élémentaire soit en puissance à la forme du ciel et soit ramenée à l’acte par l’action de la puissance céleste ; et ainsi, le ciel serait susceptible de génération et de corruption. C’est pourquoi [le Commentateur] veut que les corps supérieurs et les corps inférieurs ne se rejoignent d’aucune manière par la matière. Ét cela semble plus probable et plus en harmonie avec ce que dit le Philosophe. Je ne dis pas, comme certains le disent, qu’ils se rejoignent dans la matière, si elle est considérée comme le fondement premier, qui n’est ni blanc ni noir, comme il est dit dans Métaphysique, I ; mais ils diffèrent par la matière selon que la matière est déterminée par le mouvement. En effet, la diversité de mouvement est le signe d’une diversité de matière, et non pas sa cause, mais c’est plutôt l’inverse, car le mouvement est l’acte de ce qui est en puissance. Aussi est-il nécessaire que là où l’on trouve une seule matière par essence, on trouve une puissance par rapport à ce même mouvement, en quoi la matière est en puissance à plusieurs choses.

 

[4532] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corporeitas secundum intentionem logicam univoce in omnibus corporibus invenitur; sed secundum esse considerata, non potest esse unius rationis in re corruptibili et incorruptibili: quia non similiter se habent in potentia essendi, cum unum sit possibile ad esse et ad non esse, et alterum non: et per modum istum dicit philosophus in 10 Metaph., quod de corruptibili et incorruptibili nihil commune dicitur, nisi communitate nominis; et per hoc Commentator ibidem hanc rationem solvit.

1. La corporéité, selon son intention logique, se trouve de manière univoque dans tous les corps ; mais considérée selon son être, elle ne peut avoir une seule raison dans une chose corruptible et dans une chose incorruptible, car elles n’ont pas le même rapport à la puissance d’être, puisque l’une est en puissance à l’être et au non-être, et l’autre, non. De cette manière, le Philosophe dit, Métaphysique, X, qu’on ne dit rien de commun pour ce qui est corruptible et pour ce qui est incorruptible, sinon en raison de la communauté de nom. Au même endroit, c’est ainsi que le Commentateur résout cet argument.

 

[4533] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut omnes res, prout modo sunt in suo complemento, dicuntur unus mundus, vel unum universum; ita etiam, prout erant informes ex defectu ultimi complementi, dicebantur una materia informis; non quidem per continuitatem, tamquam omnia ex una materia numero facta sint.

2. De même que toutes les choses, telles qu’elles existent maintenant dans leur achèvement, sont appelées un seul monde ou un seul univers, de même aussi, pour autant qu’elles étaient sans forme en l’absence de leur achèvement ultime, étaient-elles appelées une seule matière informe, mais non en raison de leur caractère continu, comme si toutes étaient individuellement faites d’une seule matière.

 

[4534] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum Avicennam, non est quaerenda differentia per aliquos actus nisi in illis quae in una potentia conveniunt: species enim quae conveniunt in una potentia generis, distinguuntur specificis differentiis; sed ipsae differentiae quae non conveniunt in genere, sic quod genus sit pars essentiae earum, seipsis distinguuntur: similiter etiam genera generalissima non dividuntur aliquibus differentiis, sed seipsis: similiter etiam composita quae conveniunt in materia distinguuntur per formas diversas; sed diversae materiae seipsis distinguuntur secundum analogiam ad diversos actus, prout in eis diversa ratio possibilitatis invenitur.

3. Selon Avicenne, il ne faut chercher de différence selon des actes que dans les choses qui se rejoignent dans une seule puissance. En effet, les espèces qui se rejoignent dans la seule puissance d’un genre se distinguent par des différences spécifiques ; mais les différences elles-mêmes, qui ne se rejoignent pas dans un genre, de telle sorte que le genre soit une partie de leur essence, se distinguent par elles-mêmes. De même, les genres les plus généraux ne sont pas divisés par des différences, mais par eux-mêmes. De même encore, les choses composées, qui ne se rejoignent pas dans une matière, se distinguent selon des formes différentes. Mais les matières différentes se distinguent par elles-mêmes par analogie avec les différents actes, pour autant qu’on y trouve une raison différente de puissance.

 

[4535] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod philosophus in libris Phys. nondum probaverat esse quintam essentiam, quod in principio caeli et mundi demonstrat; et ideo in libris Phys. nihil determinat de his quae sunt propria illi essentiae, propter quod etiam tractatum de infinito replicat, ut Commentator in 1 caeli et mundi recitat.

4. Dans les livres de la Physique, le Philosophe n’avait pas démontré qu’existe une quinte essence, ce qu’il démontre au début de Sur le ciel et le monde. C’est pourquoi, dans les livres de la Physique, il ne détermine en rien de ce qui est propre à cette essence, raison pour laquelle il répète le traité sur l’infini, comme le raconte le Commentateur dans Sur le ciel et le monde, I.

 

[4536] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut in 1 de Gen. dicitur, materia est immediate subjectum generationis et corruptionis; aliorum autem motuum per prius et posterius, tanto plus quanto illud secundum quod est mutatio, majorem perfectionem motus praesupponit: et ideo in illis tantum est unitas materiae primae quae in generatione et corruptione conveniunt, et per consequens etiam illa quae conveniunt in tribus motibus, scilicet augmento et diminutione et alteratione, secundum quod augmentum et diminutio non est sine generatione et corruptione, quae etiam alterationis terminus est. Sed loci mutatio, ut in 8 Phys. probatur, est maxime perfecta, quia nihil variat de eo quod est intraneum rei; unde subjectum hujus motus est ens completum in esse primo, et in omnibus proprietatibus intraneis rei; et talis motus convenit corpori caelesti; et ideo materia ejus est sicut subjectum completum in istis inferioribus, ut dicit Commentator in Lib. de substantia orbis; unde remanet communitas materiae secundum analogiam tantum.

5. Comme on le dit dans Sur la génération, I, la matière est de manière immédiate le sujet de la génération et de la corruption ; mais [elle est le sujet] des autres mouvements selon l’avant et l’après, et davantage lorsque ce par quoi se réalise le changement présuppose une plus grande perfection du mouvement. C’est pourquoi l’unité de la matière première n’existe que dans ce qui a en commun la génération et la corruption et, par conséquent, dans ce qui a en commun les trois mouvements : l’augmentation, la diminution et l’altération, selon que l’augmentation et la diminution n’existent pas sans génération ni corruption, qui sont aussi le terme de l’altération. Mais le changement de lieu, comme on le démontre dans Physique, VIII, est le plus parfait, car il ne change rien de ce qui est intrinsèque à une chose. Aussi le sujet de ce mouvement est-il un être achevé dans son acte d’être primaire et dans toutes les propriétés intrinsèques à une chose. C’est un tel mouvement qui convient au corps céleste. Aussi sa matière est-elle comme un sujet complet chez ces corps inférieurs, comme le dit le Commentateur dans le livre Sur la substance des sphères. Il ne reste donc de matière commune que par analogie seulement.

 

 

 

 

Articulus 2 [4537] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 tit. Utrum omnia sint creata simul, et distincta per species

Article 2 – Toutes les choses ont-elles été créées simultanément, différenciées selon les espèces ?

 

[4538] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod omnia sint simul creata, et distincta per species. Primo per hoc quod habetur Eccle. 18, 1: qui vivit in aeternum, creavit omnia simul.

1. Il semble que tout ait été créé en même temps, et différencié selon les espèces. Premièrement, du fait qu’on lit dans Si 18, 1 : Celui qui vit pour l’éteernité a tout créé en même temps.

 

[4539] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, magis distat spiritualis et corporalis creatura, quam duae corporales. Sed spiritualis et corporalis simul facta esse ponuntur. Ergo multo fortius omnes corporales.

2. Il y a une plus grande distance entre une créature spirituelle et une créature corporelle qu’entre deux créatures corporelles. Or, on affirme que la créature spirituelle et la créature corporelle ont été créées en même temps. À bien plus forte raison, donc, toutes les créatures corporelles.

 

[4540] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ut dicitur Deut. 32, 4, Dei perfecta sunt opera; nec potest esse ratio quare perfectio ad tempus differretur, quam creatura per se consequi non poterat, nec ab alio nisi a Deo. Cum ergo creaturae secundum suas perfectiones in species distinguantur, videtur quod a principio sub distinctione specierum creata sint omnia.

3. Comme il est dit dans Dt 32, 4 : Les œuvres de Dieu sont parfaites, et il ne peut y avoir de raison pour laquelle la perfection qu’une créature pouvait atteindre par elle-même serait différée pour un temps, ni par un autre que Dieu. Puisque les créatures se différencient par les espèces selon leurs perfections, il semble donc que toutes les choses ont été créées dès le début, différenciées selon les espèces.

 

[4541] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, opus creationis divinam potentiam manifestat. Sed potentiam agentis minus demonstrat effectus successive completus quam subito in sua perfectione productus. Ergo videtur quod a principio omnia simul distincta sint.

4. L’œuvre de la création manifeste la puissance divine. Or, l’effet réalisé par succession manifeste moins la puissance d’un agent que s’il est produit d’un coup dans son état parfait. Il semble donc que toutes choses aient été différenciées dès le début.

 

[4542] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, constat quod Deus totum opus unius diei in uno momento produxit. Ergo videtur ridiculum dicere, quod in toto die ab operando cessaverit usque ad principium alterius diei, quasi ex opere lassatus. Ergo videtur quod non per successiones dierum creaturae distinctae sint, sed a principio creationis.

5. Il apparaît que Dieu a produit toute l’œuvre d’un jour en un seul moment. Il semble donc ridicule de dire qu’il aura cessé d’agir pendant toute une journée jusqu’au début de l’autre jour, comme s’il était fatigué. Il semble donc que les créatures n’ont pas été différenciées selon des successions de jours, mais dès le début de la création.

 

[4543] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, partes universi dependent ab invicem, et praecipue inferiores a superioribus. Sed eorum quae dependent ab invicem, unum non est sine altero. Ergo videtur inconvenienter dici quod primo fuerit aqua et terra, et postmodum stellae factae sint.

6. Les parties de l’univers dépendent l’une de l’autre, et surtout les parties inférieures [dépendent-elles] des parties supérieures. Or, une chose n’existe pas sans l’autre parmi celles qui dépendent les unes des autres. Il semble donc qu’on dise de manière inappropriée qu’il y eut d’abord l’eau et la terre, et ensuite que les étoiles ont été créées.

 

[4544] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 7 Sed contra, Augustinus dicit, quod major est hujus Scripturae auctoritas quae habetur in principio Genesis, quam omnis humani ingenii perspicacitas. Sed ibi scriptum est, per senarium dierum creaturas distinctas esse. Ergo videtur quod ita necessarium sit ponere.

[7] Augustin dit que l’autorité de l’Écriture, qu’on lit au début de la Genèse, est plus grande que la perspicacité de tout génie humain. Or, il est écrit en cet endroit que les créatures ont été différenciées sur six jours. Il semble donc qu’il soit nécessaire d’affirmer qu’il en est ainsi.

 

[4545] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, natura imitatur operationem creatoris. Sed in operatione naturali est processus de imperfecto ad perfectum. Ergo videtur quod etiam in operatione creatoris; et ita videtur quod non omnia simul distincta sint in ipso creationis principio.

[8] La nature imite l’action du Créateur. Or, dans l’opération naturelle, on passe de l’imparfait au parfait. Il semble donc qu’il en est aussi de même dans l’œuvre du Créateur. Ainsi, il semble que toutes les choses n’aient pas été différenciées en même temps au début même de la création.

 

[4546] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quae ad fidem pertinent, dupliciter distinguuntur. Quaedam enim sunt per se substantia fidei, ut Deum esse trinum et unum, et hujusmodi: in quibus nulli licet aliter opinari; unde apostolus ad Gal. 1, dicit, quod si Angelus Dei aliter evangelizaverit quam ipse docuerat, anathema sit. Quaedam vero per accidens tantum, inquantum scilicet in Scriptura traduntur, quam fides supponit spiritu sancto dictante promulgatam esse: quae quidem ignorari sine periculo possunt ab his qui Scripturas scire non tenentur, sicut multa historialia: et in his etiam sancti diversa senserunt, Scripturam divinam diversimode exponentes. Sic ergo circa mundi principium aliquid est quod ad substantiam fidei pertinet, scilicet mundum incepisse creatum, et hoc omnes sancti concorditer dicunt. Quo autem modo et ordine factus sit, non pertinet ad fidem nisi per accidens, inquantum in Scriptura traditur, cujus veritatem diversa expositione sancti salvantes, diversa tradiderunt. Augustinus enim vult, in ipso creationis principio quasdam res per species suas distinctas fuisse in natura propria, ut elementa, corpora caelestia, et substantias spirituales; alia vero in rationibus seminalibus tantum, ut animalia, plantas, et homines, quae omnia postmodum in naturis propriis producta sunt in illo opere quo post senarium illorum dierum Deus naturam prius conditam administrat; de quo opere Joan. 5, 17, dicitur: pater meus usque modo operatur, et ego operor; nec in distinctione rerum attendendum esse ordinem temporis, sed naturae et doctrinae. Naturae, sicut sonus praecedit cantum natura, sed non tempore; et ita quae naturaliter priora sunt, prius facta memorantur, sicut terra prius quam animalia, et aqua prius quam pisces, et sic de aliis. Doctrinae vero ordine, sicut patet in docentibus geometriam: quamvis enim partes figurae sine ordine temporis figuram constituant, tamen geometria docet constitutionem fieri protrahendo lineam post lineam: et hoc fuit exemplum Platonis, ut dicitur in principio caeli et Mun. Ita etiam et Moyses rudem populum de creatione mundi instruens, per partes divisit quae simul facta sunt. Ambrosius vero, et alii sancti ponunt ordinem temporis in distinctione rerum servatum: et haec quidem positio est communior, et magis consona videtur litterae quantum ad superficiem; sed prior est rationabilior, et magis ab irrisione infidelium sacram Scripturam defendens: quod valde observandum docet Augustinus super Genes. ad Litt., libro 1, cap. 19, ut sic Scripturae exponantur, quod ab infidelibus non irrideantur; et haec opinio plus mihi placet; tamen utramque sustinendo, ad omnia argumenta respondendum est.

Réponse. Ce qui se rapporte à la foi comporte une double distinction. En effet, certaines choses appartiennent par elles-mêmes à la substance de la foi ; sur ces points, il n’est permis à personne d’avoir des opinions différentes. C’est pourquoi l’Apôtre dit, en Ga 1, que si un ange de Dieu annonçait autre chose qu’il avait lui-même enseigné, qu’il soit anthène ! Mais certaines choses [en font partie] par accident, du fait qu’elles sont transmises dans l’Écriture, que la foi suppose avoir été promulguée sous la dictée du Saint-Esprit. Celles-ci peuvent être ignorées sans danger par ceux qui ne sont pas tenus de connaître les Écritures. C’est le cas des récits historiques. Les saints ont aussi eu des opinions divergentes sur ces points, en expliquant l’Écriture de manière différente. Ainsi donc, à propos du commencement du monde, il y a quelque chose qui appartient à la substance de la foi, à savoir que le monde a commencé en étant créé : et cela, tous les saints le disent unaniment. Mais de quelle manière et selon quel ordre, cela ne relève de la foi que par accident, dans la mesure où cela est transmis dans l’Écriture : en en sauvegardant la vérité par une explication différente, les saints ont enseigné [sur ces sujets] des choses différentes. En effet, Augustin veut qu’au commencement de la création, certaines choses aient été différenciées par leurs espèces selon leur nature propre, tels les éléments, les corps célestes et les substances spirituelles ; mais les autres, dans leurs raisons séminales seulement, tels les animaux, les plantes et les hommes, toutes choses qui, par la suite, ont été amenées à l’existence dans leurs natures propres par l’action dont, après ces six jours, Dieu dirige une nature créée antérieurement. À propos de cette opération, Jn 5, 17 dit : Mon Père est à l’œuvre jusqu’à maintenant, et moi aussi je suis à l’œuvre. Il ne faut pas non plus retenir pour la différenciation des choses un ordre temporel, mais [un ordre] de nature et d’enseignement. [Un ordre] de nature, comme le son précède le chant par nature, mais non dans le temps ; et ainsi, on rappelle que ce qui est antérieur par nature a été fait antérieurement, comme la terre avant les animaux et l’eau avant les poissons, et ainsi des autres choses. Mais un ordre d’enseignement, comme cela ressort chez ceux qui enseignent la géométrie, bien que les parties d’une figure constituent la figure sans ordre dans le temps ; cependant, la géométrie enseigne qu’elle est constituée en prolongeant une ligne après l’autre. Tel était l’exemple de Platon, comme on le dit au début de Sur le ciel et le monde. Moïse aussi, afin d’instruire un peuple illettré sur la création du monde, a divisé en parties ce qui a été créé en même temps. Mais Ambroise et d’autres saints affirment qu’un ordre temporel est maintenu dans la différenciation des choses. Et cette position est plus commune et semble superficiellement plus en harmonie avec le texte ; mais la première est plus raisonnable et protège davantage la Sainte Écriture de la dérision des infidèles, ce qu’Augustin enseigne à beaucoup respecter dans son Commentaire littéral sur la Genèse, I, 19, de sorte que les Écritures soient interprétées de manière qu’elles ne soient pas un objet de dérision pour les infidèles. Cette opinion me plaît davantage ; toutefois, en maintenant les deux, il faut répondre à tous les arguments.

 

[4547] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum est, quod secundum Gregorium, dicuntur omnia simul creata per substantiam materiae, et non per speciem formae; vel etiam in sui similitudine, sicut anima rationalis, quae Angelis similis est, non ex materia propaganda.

1. Selon Grégoire, on dit que tout a été créé en même temps en raison de la substance de la matière, et non en raison de l’espèce de la forme ; ou encore à sa ressemblance, comme l’âme raisonnable, qui est semblable aux anges, puisqu’elle ne doit pas se perpétuer à partir de la matière.

 

[4548] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod corporalia omnia communicant in materia, sive sit una, sive plures: et quia materia non praecedit compositum, ideo ut ordo temporis ordini naturae responderet, prius facta est materia corporalis, et deinde per formas distincta. Non autem corporalis natura ex spirituali producitur vel sicut ex materia, vel sicut ex efficiente; et ideo non est similis ratio.

2. Toutes les choses corporelles se rejoignent dans la matière, qu’elle soit une ou qu’il y en ait plusieurs. Et parce que la matière ne précède pas le composé, afin que l’ordre dans le temps corresponde à l’ordre de nature, la matière corporelle a été créée en premier, et ensuite différenciée par des formes. Mais la nature corporelle n’est pas produite à partir de la nature spirituelle, comme à partir de sa matière ou comme à partir de sa cause efficiente. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même.

 

[4549] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut creatura non habet esse ex se, ita nec perfectionem: et ideo ad utrumque ostendendum, voluit Deus ut creatura prius non esset, et postmodum esset; et similiter prius esset imperfecta, et postmodum perfecta.

3. De même que la créature ne possède pas l’acte d’être par elle-même, de même [ne possède-t-elle pas] la perfection. Afin de montrer les deux choses, Dieu a voulu que la créature d’abord ne soit pas, et ensuite soit ; de même, qu’elle ne soit pas parfaite, et ensuite qu’elle soit parfaite.

 

[4550] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in creatione non tantum debet ostendi potentiae virtus; sed etiam sapientiae ordo, ut quae prius natura sunt, prius etiam instituantur.

4. Par la création, ne doit pas seulement être montrée la capacité de la puissance, mais aussi l’ordre de la sagesse, de sorte que ce qui antérieur par nature soit aussi établi antérieurement.

 

[4551] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ad ostendendum diversam distinctorum naturam, voluit Deus ut unicuique rerum distinctioni dies unus responderet, et non ex aliqua necessitate vel lassitudine agentis.

5. Afin de montrer la nature différente de choses différentes, Dieu a voulu qu’un jour corresponde à chaque distinction entre les choses, et non par obligation ou par fatigue de celui qui agissait.

 

[4552] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non est eadem natura rei jam perfectae, et prout est in suo fieri; et ideo quamvis natura mundi completi hoc exigat ut omnes partes essentiales universi sint simul, potuit tamen aliter esse ab ipsa mundi factione; sicut in homine perfecto non potest cor esse sine aliis partibus; et tamen in formatione embrionis, cor ante omnia membra generatur.

6. La nature d’une chose déjà achevée n’est pas la même que dans son devenir. Bien que la nature du monde achevé exige que toutes les parties essentielles de l’univers existent en même temps, il pouvait cependant en être autrement lors de la création du monde. Ainsi, dans l’homme achevé, le cœur ne peut exister sans les autres parties ; cependant, pendant la formation de l’embryon, le cœur est engendré avant les autres membres.

 

[4553] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod auctoritati Scripturae in nullo derogatur, dum diversimode exponitur, salva tamen fide: quia majori veritate eam spiritus sanctus fecundavit quam aliquis homo adinvenire possit.

[7] On ne déroge en rien à l’autorité de l’Écriture en l’interprétant diversement, en sauvegardant cependant la foi, car l’Esprit Saint l’a fécondée d’une vérité plus grande qu’un homme peut [y] trouver.

 

[4554] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod hoc est ex imperfectione creaturae quod ex imperfecto ad perfectionem operando venit; quae proculdubio ultimam perfectionem daret, quantumcumque posset, servata tamen operis conditione: et ideo non oportet quod in hoc, divinum opus operationi creaturae sit simile.

[8] Cela est dû à l’imperfection de la créature qu’elle passe de ce qui est imparfait à ce qui est parfait par son action ; celle-ci lui conférerait sans aucun doute sa perfection ultime, autant qu’elle le pourrait, tout en sauvegardant la condition de l’œuvre. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’en cela l’action divine soit semblable à l’opération de la créature.

 

 

 

 

Articulus 3 [4555] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 tit. Utrum distinctio dierum salvetur secundum expositionem Augustini

Article 3 – La distinction entre les jours est-elle sauvegardée selon l’interprétation d’Augustin ?

 

[4556] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod secundum expositionem Augustini, dierum distinctio non salvetur. Dies enim nominat quoddam tempus. Sed in rerum formatione, secundum Augustinum, non fuit successio temporis. Ergo nec salvata est distinctio dierum.

1. Il semble que la distinction entre les jours ne soit pas sauvegardée selon l’interpréation d’Augustin. En effet, le jour désigne un certain temps. Or, dans la formation des choses selon Augustin, il n’y a pas eu de succession dans le temps. La distinction entre les jours n’a donc pas non plus été sauvegardée.

 

[4557] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, cum dies ponat illuminationem quamdam, oportet quod dies intelligantur vel secundum illuminationem lucis corporalis, vel intellectualis. Sed non secundum lucem corporalem, quia hoc non facit dies nisi in pluribus revolutionibus, quae successione temporum complentur: nec iterum secundum lucem intellectualem, quia lux intellectualis creata non influit per modum irradiationis ad creationem rerum; sed ratio diei requirit irradiationem aliquam. Ergo videtur quod dies illi non convenienter assignentur.

2. Puisque le jour affirme une certaine illumination, il est nécessaire d’entendre le jour de l’illumination soit par la lumière corporelle, soit par la lumière intellectuelle. Or, ce n’est pas selon la lumière corporelle, car elle ne donne le jour que selon plusieurs révolutions, qui s’accomplissent dans une succession de temps. Ce n’est pas non plus selon la lumière intellectuelle, car la lumière intellectuelle créée ne se répand pas sous forme de rayonnement pour la création des choses. Or, la notion de jour exige un certain rayonnement. Il semble donc que ces jours ne soient pas désignés de manière appropriée.

 

[4558] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, in illuminatione spirituali non est invenire diversas partes. Sed diei assignantur diversae partes, scilicet mane et vespere. Ergo videtur quod non possint intelligi dies illi secundum illuminationem lucis spiritualis.

3. On ne trouve pas différentes parties dans l’illumination spirituelle. Or, différentes parties sont assignées au jour : le matin et le soir. Il semble donc que ces jours ne doivent pas être compris selon l’illumination de la lumière spirituelle.

 

[4559] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 4 Si dicatur, quod mane hujus diei est secundum cognitionem rerum in verbo, vespere autem secundum cognitionem rerum in propria natura; contra: quia in illo dicitur res cognosci a quo similitudo rei accipitur. Sed Angeli non habent rerum cognitionem per similitudines a rebus acceptas, sed per species a verbo in eorum mentem influxas. Ergo tantum in verbo cognoscunt res creatas, et non in propria natura; et sic habent tantum mane, non vespere.

4. Le matin de ce jour s’entend de la connaissance des choses dans le Verbe, mais le soir, de la connaissance des choses dans leur propre nature. Cependant, on dit qu’une chose est connue par ce dont la ressemblance de la chose est reçue. Or, les anges n’ont pas de connaissance des choses par des ressemblances reçues des choses, mais par des espèces infusées dans leur esprit par le Verbe. Ils ne connaissent donc les réalités créées que dans le Verbe, et non dans leur nature propre, et ainsi ils n’ont que le matin, et non le soir.

 

[4560] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, ubicumque est res, ibi potest cognosci. Sed res creata habet triplex esse, scilicet in verbo, et in mente Angeli, et in propria natura, quod significatur secundum Augustinum super Gen. ad Lit., per hoc quod dixit fiat quantum ad esse rei in verbo; factum est quantum ad esse rei in mente Angeli; fecit quantum ad esse rei in propria natura. Ergo hujus diei debent tres partes assignari.

5. Partout où existe une chose, elle peut y être connue. Or, une chose créée possède un triple être : dans le Verbe, dans l’esprit de l’ange et dans sa propre nature, ce qui est indiqué par Augustin, dans son Commentaire littéral de la Genèse, par le fait qu’il dit que « qu’elle existe ! » se rapporte à l’être de la chose dans le Verbe, « cela fut », à l’être de la chose dans l’esprit de l’ange, et « il la créa », à l’être de la chose dans sa nature propre. Il faut donc reconnaître trois parties dans ce jour.

 

[4561] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, sicut quilibet dies usitatus habet vespere et mane, ita et meridiem. Ergo sicut assignatur cognitio matutina et vespertina, ita et meridiana.

6. De même que tout jour ordinaire a un soir et un matin, de même a-t-il un midi. De même donc que sont reconnues une connaissance matinale et une connaissance vespérale, de même [faut-il reconnaître] une connaissance du midi.

 

[4562] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, omnes dies debent esse uniformes. Sed primae dici non assignatur mane, quia mane quod post vespere ponitur non potest esse mane a quo incipit primus dies, sed in quod terminatur; septima autem dies ponitur habere mane, ad quod terminatur sexta dies et non vespere. Ergo nec aliis diebus mane simul et vespere assignari debent.

7. Tous les jours doivent être uniformes. Or, un matin n’est pas attribué au premier jour, car le matin qui est placé après un soir ne peut être appelé le matin par lequel le premier jour a commencé, mais par lequel il s’est terminé. Or, le septième jour est donné comme ayant un matin, auquel se termine le sixième jour, et non au soir. Un matin et un soir ne doivent donc pas non plus être attribués aux autres jours.

 

[4563] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 8 Praeterea, de vespere in mane non transitur nisi per noctem. Sed de nocte nulla fit mentio. Ergo insufficienter traditur dierum ordo.

8. On ne passe du soir au matin que par la nuit. Or, il n’est fait aucune mention de la nuit. L’ordre des jours est donc présenté de manière insuffisante.

 

[4564] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod secundum Augustinum, illi sex dies sunt unus dies, sex rerum distinctionibus, secundum quas numeratur, simul praesentatus; sicut etiam unum verbum est quo omnia facta sunt, scilicet Dei filius; quamvis frequenter legatur: dixit Deus; et sicut illa opera salvantur in omnibus sequentibus quae ex eis propagantur operatione naturae, ita etiam illi sex dies manent in tota successione temporis. Quomodo autem hoc sit, videndum est. Natura angelica intellectualis est, et lux est; et si proprie lux est, oportet quod ejus illustratio dies dicatur. Angelica autem natura in principio conditionis rerum cognitionem earum accepit; et sic quodammodo lux intellectus ejus rebus creatis praesentabatur inquantum cognoscebantur; unde ipsa cognitio rerum dies dicitur; et secundum diversa genera cognitorum et ordinem distinguuntur et ordinantur dies: ut in primo die intelligatur formatio spiritualis creaturae per conversionem ad verbum; in secundo die formatio corporalis creaturae quantum ad superiorem partem, quae firmamentum dicitur; in tertia quantum ad inferiorem partem, scilicet terrae, aquae, et aeris vicini; in quarta superior pars, scilicet firmamentum ornatum; in quinta inferior quantum ad terram. Cum autem Deus sit lux plena, et tenebrae in eo non sint ullae, 1 Joan. 1, cognitio ipsius Dei in se est plena lux; sed quia creatura ex hoc quod ex nihilo est, tenebras possibilitatis et imperfectionis habet, ideo cognitio qua creatura cognoscitur, tenebris admixta est. Potest autem cognosci dupliciter. Vel in verbo, secundum quod exit ab arte divina: et sic ejus cognitio matutina dicitur: quia sicut mane est finis tenebrarum et principium lucis; ita creatura a verbo etiam principium lucis sumit postquam prius non fuerat. Cognoscitur etiam prout est in natura propria existens; et talis cognitio dicitur vespertina propter hoc quod sicut vespere est terminus lucis, et tendit in noctem; ita et creatura in se subsistens, est terminus operationis verbi, quasi facta per verbum, et de se in tenebras defectus tendens, nisi verbo portaretur. Nihilominus haec cognitio dies dicitur; quia sicut in comparatione ad cognitionem verbi tenebrosa est, ita est lux in comparatione ad ignorantiam, quae omnino tenebra est; sicut vita justorum praesens, caliginosa dicitur respectu futurae gloriae, quae tamen lux est in comparatione ad vitam peccatorum: et sic attenditur quaedam circulatio inter mane et vespere, secundum quod Angelus seipsum cognoscens in propria natura, hanc cognitionem retulit ad verbum sicut ad finem, in quo sequentis operis cognitionem sumpsit in principio: et sic hujusmodi mane est finis diei praecedentis, et principium sequentis. Et haec quidem expositio subtilis et congrua est, dummodo lux et dies proprie in spiritualibus dicantur, et non metaphorice, ut Augustinus vult super Genes. ad Lit.; aliter enim esset expositio mystica, et non litteralis. Sed quia a pluribus negatur, ideo sustinentes cum Augustino quod omnia sunt simul creata et in species distincta, possumus dicere, quod dies accipiuntur secundum illustrationem lucis corporalis; ita tamen quod ordo dierum attendatur secundum ordinem eorum et distinctionem, in quae lux corporalis refulget: sicut enim omnium creaturarum naturalium cognitionem Angeli acceperunt, ita etiam lux in omnia corporalia se diffundit, ut Dionysius dicit, diversimode in diversis recepta, secundum diversitatem recipientium: et ideo sicut Augustinus distinguit sex dies secundum praesentationem lucis spiritualis, quae primo die facta dicitur, sex rerum generibus; ita secundum praesentationem lucis corporalis sex rerum generibus possunt eodem modo sex dies distingui sine distinctione temporis. Et quia periodus unicuique rei corporali secundum influentiam lucis praefigitur quasi inter duos terminos, cum quaelibet virtus corporalis finita sit; ideo illi termini mane et vespere dicuntur, ultra quos virtus rei non extenditur.

Réponse. Selon Augustin, ces six jours sont un seul jour présenté simultanément en six distinctions entre les choses, par lesquelles il est dénombré, de la même manière qu’il n’existe qu’un seul Verbe, par lesquel tout a été créé, le Fils de Dieu, bien qu’on lise à plusieurs reprises : Dieu dit... Et de même que ces œuvres sont préservées dans toutes les [œuvres] qui, par la suite, se perpétuent par l’opération de la nature, de même aussi ces six jours demeurent-ils dans toute la suite du temps. Mais il faut voir comment cela se produit. La nature angélique est intellectuelle et elle est lumière ; et si elle est lumière au sens propre, il est nécessaire que son illumination soit appelée « jour ». Or, la nature angélique a reçu la connaissance des choses dès le commencement de leur création. Ainsi, d’une certaine manière, la lumière de son intelligence était-elle présente aux choses créées, pour autant qu’elles étaient connues. C’est pourquoi la connaissance même des choses est appelée « jour », et les jours sont ordonnés selon les divers genres de choses et selon l’ordre des choses connues, de sorte que, par le premier jour, soit entendue la réception de sa forme par la créature spirituelle alors qu’elle se tourne vers le Verbe ; par le deuxième jour, la réception de sa forme par la créature corporelle, pour ce qui est de sa partie supérieure, appelée « firmament »; par le troisième, pour ce qui est de sa partie inférieure : la terre, l’eau et l’air ambiant ; par le quatrième, la partie supérieure : le firmament embelli ; par le cinquième, la [partie] inférieure, pour ce qui est de la terre. Mais puisque Dieu est lumière plénière et qu’il n’y a pas de ténèbres en lui, 1 Jn 1, la connaissance de Dieu en lui-même est lumière plénière. Mais parce que la créature, issue de rien, possède les ténèbres de la puissance et de l’imperfection, la connaissance par laquelle la créature est connue est mélangée de ténèbres. Or, elle peut être connue de deux manières. Dans le Verbe, en tant qu’elle est issue de l’art de Dieu : ainsi, sa connaissance est appelée « matutinale », car, de même que le matin est la fin des ténèbres et le commencement de la lumière, de même la créature tire-t-elle du Verbe le commencement de la lumière, après n’avoir pas existé. [La créature] est aussi connue en tant qu’elle existe dans sa nature propre : une telle connaissance est appelée « vespérale » parce que, de même que le soir est le terme de la lumière et tend vers la nuit, de même aussi la créature qui subsiste en elle-même est-elle le terme de l’opération du Verbe, en tant qu’elle est créée par le Verbe, et son usure tend-elle par elle-même vers les ténèbres, à moins qu’elle ne soit portée par le Verbe. Néanmoins, cette connaissance est appelée « jour », car, de même que, comparée à la connaissance du Verbe, elle est enténébrée, de même est-elle lumière par comparaison avec l’ignorance, qui est entièrement ténèbres. Ainsi, la vie présente des justes est-elle dite « enténébrée » par rapport à la gloire future, alors qu’elle est lumière par rapport à la vie des pécheurs. Il se produit ainsi une sorte de mouvement circulaire entre le matin et le soir, selon que l’ange, se connaissant lui-même en sa nature propre, met cette connaissance en rapport avec le Verbe comme avec sa fin, en qui il a reçu la connaissance de l’œuvre suivante dès le commencement. Et ainsi, ce matin est-il la fin du jour précédent et le commencement du suivant. Cette interprétation est subtile et appropriée, pourvu que la lumière et le jour soient entendus au sens propre, et non métaphoriquement, chez les êtres spirituels, comme le veut Augutin dans son Commentaire littéral sur la Genèse. En effet, ce serait autrement une interprétation mystique, et non littérale. Mais parce qu’elle est refusée par plusieurs, en soutenant avec Augustin que tout a été créé en même temps et différencié selon les espèces, nous pouvons dire que les jours sont entendus selon l’éclairage de la lumière corporelle, de telle sorte cependant que l’ordre des jours soit considéré selon l’ordre et la distinction de ce sur quoi se reflète la lumière corporelle. En effet, de même que les anges ont reçu la connaissance de toutes les créatures naturelles, de même aussi la lumière se répand-elle sur toutes les réalités corporelles, comme le dit Denys, en étant reçue de manière différente selon les différentes réalités, en fonction de la diversité de celles qui la reçoivent. C’est pourquoi, de même que, selon la présentation de la lumière spirituelle, dont on dit qu’elle a été créée le premier jour, Augustin distinguer les six jours en six genres de choses, de même aussi, selon la présentation de la lumière corporelle, peut-on distinguer les six jours en six genres de choses sans distinction de temps. Et parce que la période est déterminée à l’avance pour chaque chose corporelle entre deux termes selon l’action de la lumière, puisque toute puissance corporelle est finie, c’est la raison pour laquelle ces termes sont appelés « matin » et « soir », au-delà desquels ne s’étend pas la puissance de la chose.

 

[4565] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dies etiam est pars temporis, et lucis effectus. Distinctio ergo primorum dierum non sumitur ex parte temporis, sed ex parte lucis, secundum quod diversa per lucem declarantur, vel quantum ad cognitionem angelicam, vel quantum ad influentiam lucis corporalis in diversa.

1. Le jour est aussi une partie du temps et un effet de la lumière. La distinction entre les premiers jours ne s’entend donc pas du point de vue du temps, mais du point de vue de la lumière, selon que différentes choses sont éclairées par la lumière, ou du point de vue de la connaissance angélique, ou du point de vue de l’action de la lumière corporelle sur diverses choses.

 

[4566] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod lux illa et corporalis et spiritualis potest intelligi: et si intelligatur corporalis, dies distinguetur secundum diversa illuminata, et non secundum illuminationis tempus; si autem intelligatur spiritualis, non est per influentiam lucis ad res creandas, sed per fulgorem lucis ad res cognoscendas.

2. Cette lumière peut s’entendre de la lumière corporelle et de la lumière spirituelle. Si on l’entend de la lumière corporelle, le jour se différenciera selon les diverses choses illuminées, et non selon le temps de l’illumination. Mais si on l’entend de la lumière spirituelle, ce ne sera pas en raison de l’action de la lumière sur les choses à créer, mais en raison de l’éclat de la lumière sur les choses à connaître.

 

[4567] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod partes diei secundum lucem spiritualem non sunt secundum diversa cognita, sed secundum diversos modos cognitionis ejusdem rei; et sicut dies non sunt successivi, quia Angelus in verbo simul diversa genera rerum intuetur: ita nec partes diei unius; quia simul videt in verbo creaturas, et in propria natura.

3. Selon la lumière spirituelle, les parties du jour n’existent pas en fonction des diverses choses connues, mais selon divers modes de connaissance d’une même chose. Et de même que les jours ne sont pas successifs, parce que l’ange verra en même temps dans le Verbe divers genres de choses, de même [ne verra-t-il pas] non plus les parties d’un seul jour, car il voit en même temps les créatures dans le Verbe et dans leur propre nature.

 

[4568] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non dicitur cognitio vespertina quae est rerum in propria natura ex eo quod ab ipsis rebus species sumant per quas cognoscant; sed quia per species quas a creatione receperunt, res cognoscunt, prout in propria natura subsistunt.

4. On ne dit pas que la connaissance du soir est celle des choses dans leur propre nature parce que [les anges] tirent des choses mêmes les espèces par lesquelles ils les connaissent, mais parce que, par les espèces qu’ils ont reçues lors de leur création, ils connaissent les choses telles qu’elles subsistent dans leur propre nature.

 

[4569] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod species rerum primum habent esse in arte divina, quae est verbum: quod esse significatur cum dicitur: dixit Deus, fiat, idest, verbum genuit, in quo erat ut fieret. Secundum esse habent in intelligentia angelica: quod significatur in hoc quod dicitur, factum est, per influentiam verbi. Tertium esse habent in rebus: quod significatur in hoc quod dicitur, fecit. Et ideo ista triplex distinctio non ponitur in productione lucis spiritualis, nec in formatione hominis, qui etiam intellectualis ponitur. Et sic etiam Angelus triplicem de rebus cognitionem habet, scilicet prout in verbo sunt, prout sunt in mente ejus, et prout sunt in propria natura. Quamvis autem nunquam cognoscat res in propria natura nisi per species quas habet apud se; tamen differt cognitio qua cognoscit prout sunt in seipso, et prout sunt in propria natura: potest enim intellectus converti ad speciem quam apud se habet, dupliciter: aut considerando ipsam secundum quod est ens quoddam in intellectu; et sic cognoscit de ea quod est intelligibile, vel universale, vel aliquid hujusmodi: aut secundum quod est similitudo rei: et sic intellectus consideratio non sistit in specie, sed per speciem transit in rem, cujus similitudo est; sicut oculus per speciem quae est in pupilla, videt lapidem: et est simile de imagine lapidea, quae potest considerari secundum quod est res quaedam, vel similitudo rei. Et ita patet quod duae cognitiones dictae differunt: sed utraque est vespertina: quia etiam esse ipsum intellectus Angeli creatura est, et in tenebras defectus tendens quantum in se est.

5. Les espèces des choses existent d’abord dans l’art de Dieu, qui est le Verbe. Cette existence est signifiée lorsqu’il est dit : « Et Dieu dit : ‘Que cela soit !’ », à savoir lorsqu’il engendra le Verbe en qui cela se trouvait exister. Elles ont une deuxième existence dans l’intelligence angélique, ce qui est signifié lorsqu’il dit : « Cela fut », par l’action du Verbe. Elles ont une troisième existence dans les choses, ce qui est signifié lorsqu’il dit : « Il créa. » C’est pourquoi cette triple distinction n’est pas indiquée dans la production de la lumière spirituelle ni dans la formation de l’homme, qui est aussi donné comme [une réalité] intellectuelle. Et ainsi, l’ange aussi a une triple connaissance des choses : en tant qu’elles existent dans le Verbe, en tant qu’elles existent dans l’esprit [de l’ange], et en tant qu’elles existent dans leur propre nature. Bien que [l’ange] ne connaisse jamais les choses dans leur propre nature que par les espèces qu’il en possède, la connaissance par laquelle il [les] connaît, en tant qu’elles existent en lui, et [celle par laquelle il les connaît], en tant qu’elles existent dans leur propre nature, sont cependant différentes. En effet, son intelligence peut se tourner vers l’espèce qu’il possède en lui de deux manières : soit en la considérant selon qu’elle est un être dans son intelligence, et ainsi il en connaît ce qui est intelligible ou universel, ou quelque chose de ce genre ; soit selon qu’elle est la ressemblance d’une chose, et ainsi la considération de son intelligence ne s’arrête pas à l’espèce, mais atteint la chose dont elle est la ressemblance en passant par l’espèce, comme l’œil voit la pierre par l’espèce qui se trouve dans l’œil. Et il en va de même de l’image de la pierre, qui peut être considérée selon qu’elle est une chose ou la similitude d’une chose. Il ressort ainsi clairement que les deux connaissances en question diffèrent, mais les deux sont des connaissances du soir, car même l’être de l’intelligence d’un ange est une créature et tend en lui-même vers les ténèbres de la défaillance.

 

[4570] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cognitio meridiana non potest esse cognitio creaturae cui defectibilitatis tenebra admixta est, sed cognitio ipsius Dei, qui est plena lux: et ideo in operibus creationis meridies non nominatur.

6. La connaissance du midi ne peut pas être la connaissance de la créature à laquelle se mêle les ténèbres de la défaillance, mais la connaissance de Dieu lui-même, qui est la pleine lumière. C’est pourquoi le midi n’est pas mentionné parmi les œuvres de la création.

 

[4571] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in prima die, secundum Augustinum, formatio narratur ipsius intellectualis naturae, cujus cognitio, esse ejus in propria natura naturaliter sequitur: et ideo sui ipsius cognitionem matutinam non habet, sed vespertinam. Similiter et septima dies pertinet ad quietem Dei in seipso ex omnibus operibus quae propter se fecit: et haec quies nullo defectu clauditur; et propter hoc in die illa vespere non nominatur.

7. Selon Augustin, le premier jour, est racontée la formation de la nature intellectuelle elle-même, dont la connaissance découle naturellement de son existence dans sa propre nature. C’est pourquoi elle n’a pas une connaissance matutinale d’elle-même, mais une connaissance vespérale. De même, le septième se rapporte au repos de Dieu en lui-même pour toutes les œuvres qu’il avait faites pour lui-même. Ce repos ne s’achève sur aucune défaillance, et, pour cette raison, le soir n’est pas mentionné pour ce jour.

 

[4572] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod si Angelus, cognitione creaturae accepta, eam in laudem creatoris non referret, in ipsa creatura sistens, nox in eo fieret; hoc enim esset perverse frui creatura; hoc autem non convenit beatis Angelis, qui per lucem significantur; et ideo in illo dierum senario nox non commemoratur. Vel potest dici secundum aliam viam, quod mane et vespere ponuntur, quia sunt principia diei et noctis. Ibi autem ostenditur institutio principiorum naturae, ex quibus omnia propagata sunt; et ideo ponuntur extrema, relictis mediis.

8. Si l’ange, en recevant la connaissance de la créature, ne la rapportait pas à la gloire du Créateur, en s’arrêtant à la créature elle-même, la nuit apparaîtrait en lui. En effet, ce serait là jouir de la créature d’une manière désordonnée. Mais cela ne convient pas aux anges bienheureux, qui sont signifiés par la lumière. Aussi la nuit n’est-elle pas rappelée pendant cette période de six jours. Ou bien on peut dire, selon une autre orientation, que le matin et le soir sont indiqués parce qu’ils sont le début du jour et de la nuit. Là est montré l’établissement des principes de la nature à partir desquels tout s’est développé. C’est pourquoi les extrêmes sont indiqués, en laissant de côté les intermédiaires.

 

 

 

 

Articulus 4 [4573] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 tit. Utrum prima materia fuerit informis

Article 4 – La matière première était-elle informe ?

 

[4574] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod prima materia informis erat. Illa enim materia communis erat omnibus elementis, quia ex illa omnia facta sunt. Sed elementa non conveniunt nisi in materia informi. Ergo prima materia omnino informis erat.

1. Il semble que la matière première était informe. En effet, cette matière était commune à tous les éléments, car tout en était constitué. Or, les éléments ne se rejoignent que dans la matière informe. La matière première était donc totalement informe.

 

[4575] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. Confess., ad Deum loquens: docuisti, domine famulum tuum, quod prius quam ista faceres, non aliquid erat, nec species, nec color etc.; nec tamen omnino nihil erat, quia informitas quaedam erat. Ergo prima materia omnino forma carebat.

2. Dans le libre des Confessions, Augustin dit, en parlant à Dieu: « Seigneur, tu as enseigné à ton serviteur qu’avant que tu ne crées ces choses, il n’y avait rien, ni espèce, ni couleur, etc. Toutefois, ce n’était pas le néant total, car il existait quelque chose d’informe. » La forme faisait donc totalement défaut à la matière première.

 

[4576] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, si illa materia formam aliquam habebat, aut habebat formam corporis mixti, aut corporis simplicis. Sed non corporis mixti, quia sic esset mixtum prius corporibus simplicibus, quod esset consonum positioni Anaxagorae. Ergo oportet quod haberet formam corporis simplicis; et sic redibit opinio antiquorum naturalium, qui ponebant unum elementum omnium, vel ignem, vel aquam, vel aerem.

3. Si cette matière possédait une forme, soit elle possédait la forme d’un corps mixte, soit d’un corps simple. Or, ce n’était pas celle d’un corps mixte, car ainsi un corps mixte existerait avant les corps simples, ce qui s’accorderait avec la position d’Anaxagore. Il faut donc qu’elle ait eu la forme d’un corps simple, et ainsi reviendrait l’opinion des anciens physiciens, qui affirmaient l’existence d’un seul élément pour toutes choses : le feu, l’eau ou l’air.

 

[4577] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 arg. 4 Si dicatur, quod non habebat aliquam harum formarum, sed aliam; contra: omne quod generatur, generatur ex suo contrario. Sed ex ista prima materia existente sub forma corporali, facta sunt elementa. Ergo oportet quod habuerit contrarietatem ad elementa quae ex ea facta sunt. Sed contrarietas primorum corporum non potest extendi ultra quaternarium numerum, ut in 2 de Gener. probatur. Ergo oportuit materiam illam esse sub forma alicujus quatuor elementorum, si fuit sub forma aliqua corporali; et ita unum tantum esset elementum primum: quod improbat philosophus. Oportuit ergo quod materia illa omnino fuerit informis.

4. Si on dit que [la matière première] n’avait aucune de ces formes, mais une autre, on opposera que tout ce qui est engendré est engendré à partir de son contraire. Or, les éléments ont été créés à partir de cette matière première existant sous une forme corporelle. Il faut donc qu’elle ait eu quelque chose de contraire aux éléments qui ont été créés à partir d’elle. Or, le caractère contraire des corps premiers ne peut aller au-delà de quatre, comme on le démontre dans Sur la génération, II. Il fallait donc que cette matière existe sous la forme d’un des quatre éléments, si elle existait sous une forme corporelle. Et ainsi, il n’y aurait qu’un seul élément premier, ce que repousse le Philosophe. Il fallait donc que cette matière soit totalement informe.

 

[4578] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, omne esse est a forma. Si ergo materia prima fuit ante rerum distinctionem, oportet quod formam aliquam habuerit.

Cependant, [1] tout être vient de la forme. Si donc existait une matière première avant la différenciation des choses, il faut qu’elle ait eu une forme.

 

[4579] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet corpus naturale ad diversas figuras, ita se habet materia prima ad formas substantiales. Sed impossibile est esse aliquod corpus absque omni figura. Ergo impossibile est esse materiam absque omni forma.

[2] Le rapport entre un corps naturel et les diverses figures est le même que celui de la matière première et des formes substantielles. Or, il est impossible qu’existe un corps naturel sans aucune figure. Il est donc impossible que la matière première existe sans aucune forme.

 

[4580] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod materia prima dicitur dupliciter: vel ita quod primum importet ordinem naturae; vel ita quod importet ordinem temporis. Secundum quod importat ordinem naturae, materia prima est illud in quo ultimo stat resolutio corporum naturalium, quod oportet esse absque omni forma: quia omne subjectum quod habet formam, est divisibile in formam et subjectum formae: et ideo, quia omnis cognitio est per formam, haec materia prima est scibilis, ut dicit philosophus in 1 Phys., secundum analogiam tantum, prout dicimus illud esse materiam primam quod ita se habet ad omnia corpora sicut se habet lignum ad lectum: et quamvis materia prima sic accepta, non habeat aliquam formam partem essentiae suae, nunquam tamen dividitur ab omni forma, ut probat Avicenna in sua Metaph.: immo quando amittit unam formam, acquirit aliam, secundum quod corruptio unius est generatio alterius: et ideo materia prima sic accepta, non potuit esse duratione ante corpora ex ea formata. Alio modo dicitur materia prima secundum quod primum importat ordinem temporis: illud scilicet quod duratione praecessit ordinatam dispositionem partium mundi, qualis nunc cernitur, secundum eos qui ponunt mundum non semper fuisse, nec a principio creationis omnia distincta fore: et sic accipiendo primam materiam, oportuit eam habere aliquam formam. Sed circa hoc antiqui philosophi diversificati sunt. Quidam enim posuerunt eam esse totam sub una forma, ponentes unum elementorum omnium primam materiam esse, vel aliquid inter ea: et ex isto omnia generari constituunt densitate et raritate. Alii vero posuerunt eam sub pluribus formis, non tamen ordinatis ad invicem, sed quadam confusione permixtis, quae creatoris operatione ad ordinem et distinctionem reductae sunt: et hoc tamen diversimode posuerunt, ut philosophus narrat, quod ad praesens non pertinet. Et hae omnes positiones a philosopho sufficienter improbatae sunt. Moderni etiam in has duas vias dividuntur. Quidam enim ponunt materiam illam primam totam sub una forma creatam; sed ne in antiquum errorem labi videantur, ponunt illam formam non esse unum quatuor elementorum, sed aliquid quod se habet in via ad ea, ut imperfectum ad perfectum; sicut forma embrionis se habet ad animal completum. Sed hoc non potest similiter dici in elementis: quia, secundum Commentatorem, prima habilitas quae est in materia, est ad formam elementi. Unde non invenitur aliqua forma media inter materiam primam et formam elementi, sicut inveniuntur multa media inter materiam primam et formam animalis; quarum una alteri succedit, quousque ad ultimam perfectionem veniatur, intermediis multis generationibus et corruptionibus, ut Avicenna dicit. Et praeterea, cum tunc naturalia principia instituta fuerint, oporteret etiam nunc in naturali elementorum generatione advertere aliam formam ante formam elementi; quod est contra sensum: nisi forte dicatur secundum positionem libri fontis vitae, esse unam primam formam, et sic in materia primo inductam fore formam corporalem communem, et postmodum formas speciales distinctas. Sed hanc positionem Avicenna improbat, quia omnis forma substantialis dat esse completum in genere substantiae. Quidquid autem advenit postquam res est in actu, est accidens: est enim in subjecto quod dicitur ens in se completum. Unde oporteret omnes alias formas naturales esse accidentia; et sic rediret antiquus error, quod generatio idem est quod alteratio. Unde ipse vult quod ab eadem forma per essentiam, ignis sit ignis et corpus et substantia. Et ideo tenendo viam aliorum sanctorum, qui ponunt successionem in operibus sex dierum, videtur mihi dicendum, quod prima materia fuit creata sub pluribus formis substantialibus, et quod omnes formae substantiales partium essentialium mundi in principio creationis productae sunt: et hoc sacra Scriptura ostendit, quae caelum et terram et aquam in principio commemorat: et hoc etiam Magister dicere videtur, ponens in illa informi materia hoc terreum elementum in medio consistere, et aquas rariores fuisse in modum nebulae supra extensas. Sed dico, quod virtutes activae et passivae nondum in principio partibus mundi collatae fuerant, secundum quas postmodum distingui et ordinari dicuntur. Et hoc esse possibile patet, si sustinere volumus opinionem Avicennae, qui ponit elementa in mixto remanere secundum formas substantiales quantum ad primum esse, transmutari autem quantum ad secundum, scilicet quantum ad qualitates activas et passivas: est enim mixtio miscibilium alteratorum unio. Unde possibile est materiam esse sub forma substantiali sine hoc quod habeat qualitates activas et passivas in sui complemento: et sic cum esse primum naturaliter praecedat esse secundum, expressus est ordo naturae in successione temporis, dum res prius fiunt in esse primo quam perficiantur in esse secundo.

Réponse. On parle de matière première de deux manières. Soit elle comporte d’abord un ordre de nature, soit qu’elle comporte un ordre temporel. Selon qu’elle comporte un ordre de nature, la matière première est ce à quoi se ramènent en dernier lieu les corps naturels, qui doit être sans aucune forme, puisque tout sujet qui possède une forme peut se diviser entre la forme et le sujet de la forme. Parce que toute connaissance se réalise par une forme, cette matière première n’est donc connaissable que par analogie, selon le Philosophe dans Physique, I : nous disons ainsi que la matière première est ce qui a avec à tous les corps le rapport qu’a le bois avec le lit. Et bien que la matière première ainsi entendue ne possède aucune forme comme partie de son essence, elle n’est cependant jamais séparée d’une forme, comme le démontre Avicenne dans sa Métaphysique. Bien plus, lorsqu’elle perd une forme, elle en acquiert une autre, selon que la corruption d’une chose est la génération d’une autre. La matière première ainsi comprise ne pouvait donc pas exister dans la durée avant les corps composés d’elle. D’une autre manière, on parle de matière première selon qu’elle comporte un rapport au temps : on parle alors de ce qui a précédé dans le durée la disposition ordonnée des parties du monde, tel qu’on le voit maintenant, d’après ceux qui affirment que le monde n’a pas toujours existé, ni que tout était différencié dès le commencement de la création. En entendant de cette manière la matière première, il faut qu’elle ait une certaine forme. En effet, certains ont affirmé qu’elle existait en totalité sous une seule forme, en affirmant qu’un de tous les éléments était la matière première ou quelque chose d’eux, et que tout a été constitué à partir de cela par la densité et la rareté. Mais d’autres l’ont présentée sous plusieurs formes, sans ordre les unes par rapport aux autres mais mélangées dans le désordre, et que l’opération du Créateur a ordonnées et différenciées. Ils ont cependant affirmé ceci de diverses manières, comme le raconte le Philosophe, ce qui n’a pas d’importance pour le moment. Toutes ces positions ont été suffisamment rejetées par le Philosophe. Les modernes se répartissent aussi entre ces deux directions. En effet, certains affirment que cette matière a été tout entière créée sous une seule forme ; mais pour ne pas sembler tomber dans une erreur ancienne, ils affirment que cette forme n’est pas un des quatre éléments, mais quelque chose qui est en progression vers eux, comme l’imparfait par rapport au parfait : ainsi, la forme de l’embryon est-elle en rapport avec l’animal achevé. Mais on ne peut parler ainsi des éléments, car, selon le Commentateur, la première aptitude qui existe dans la matière s’oriente vers la forme d’un élément. Aussi ne trouve-t-on pas de forme intermédiaire entre la matière première et la forme d’un élément, comme on trouve plusieurs intermédiaires entre la matière première et la forme d’un animal, l’un succédant à l’autre jusqu’à ce l’on parvienne à la perfection ultime par de nombreuses générations et corruptions intermédiaires, comme le dit Avicenne. De plus, tels que les principes naturels ont été alors établis, il faudrait aussi relever maintenant dans la génération naturelle des éléments une autre forme avant la forme d’un élément, ce qui va contre le sens, à moins de dire, selon la position du Livre de la source de vie, qu’il existe une seule forme première et qu’ainsi une forme corporelle commune a d’abord été introduite dans la matière et, par la suite, des formes particulières distinctes. Toutefois, Avicenne rejette cette position, car toute forme substantielle donne un acte d’être complet dans le genre de la substance. Aussi tout ce qui survient après qu’une chose existe en acte est un accident : en effet, cela existe dans un sujet dont on dit qu’il est un être complet. Il faudrait donc que toutes les autres formes naturelles soient des accidents, et ainsi reviendrait l’ancienne erreur selon laquelle la génération est la même chose que l’altération. Aussi veut-il que, par la même forme essentielle, le feu soit feu, corps et substance. C’est pourquoi, en suivant la voie des autres saints, qui affirment une succession dans les œuvres des six jours, il me semble devoir dire que la matière première a été créée sous plusieurs formes substantielles, et que toutes les formes substantielles des parties essentielles du monde ont été produites au commencement de la création. C’est ce que montre la Sainte Écriture, qui rappelle que le ciel, la terre et l’eau ont existé au commencement. C’est aussi ce que semble dire le Maître en affirmant que, par cette matière informe, l’élément terrestre se situe au milieu et que les eaux plus rares existaient sous forme de nuées répandues au-dessus. Mais je dis que les puissances actives et passives n’avaient pas encore été rassemblées au commencement dans les parties du monde de la manière dont on dit qu’elles sont différenciées et ordonnées par la suite. Il en ressort clairement que cela est possible, si nous voulons soutenir l’opinion d’Avicenne, qui affirme que les éléments sont, en premier lieu, demeurés dans un mélange selon leurs formes substantielles, mais que, en second lieu, il ont été transformés, à savoir, pour ce qui est de leurs qualités actives et passives. En effet, un mélange est l’union de choses altérées susceptibles d’être mélangées. Aussi est-il possible que la matière existe sous une forme substantielle sans posséder les qualités actives et passives de son état achevé. Et ainsi, puisque l’être premier précède naturellement l’être second, l’ordre de la nature a été exprimé dans la succession du temps, alors que les choses sont amenées à l’existence avant d’être perfectionnées dans leur être second.

 

[4581] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa materia prima quae una numero est in omnibus elementis ut pars essentiae eorum, est omnino informis in sua essentia considerata; sed haec non potuit elementa duratione praecedere; unde illa materia quae duratione praecessit, corporalis fuit, non una per unitatem essentiae, sed per similitudinem informitatis, quantum ad formas secundas.

1. Cette matière première, qui est unique en nombre dans tous les éléments en tant que partie de leur essence, est totalement dépourvue de forme, si on la considère dans son essence ; mais elle ne pouvait précéder les éléments dans la durée. Aussi cette matière qui a précédé dans la durée était-elle corporelle, non pas unique par l’unité de son essence, mais par la ressemblance de son absence de forme, pour ce qui est des formes secondes.

 

[4582] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum Augustinus non ponat ordinem durationis, sed naturae tantum; secundum ipsum oportet dicere, quod materia prima est omnino informis: quod non potest esse secundum aliorum positionem sanctorum.

2. Puisque Augustin ne présente pas un ordre de durée, mais de nature seulement, il faut dire, selon lui, que la matière première est tout à fait informe, ce qui ne peut être le cas selon la position des autres saints.

 

[4583] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non habebat formam unam, sed plures; non quidem formas corporum mixtorum, quia hae consequuntur virtutes activas et passivas principiorum mundi, ex quibus essentialiter integratur.

3. Elle n’avait pas une forme unique, mais plusieurs ; non pas les formes des corps mixtes, car celles-ci découlent des puissances actives et passives des principes du monde, dont elle est essentiellement constituée.

 

[4584] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 4 ad 4 Et per hoc patet responsio ad quartum.

4. Ainsi ressort clairement la réponse au quatrième argument.

 

 

 

 

Articulus 5 [4585] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 tit. Utrum quatuor coaeva convenienter assignentur

Article 5 – Assigne-t-on de manière appropriée au caractère contemporain à quatre choses : [le ciel empyrée, la nature angélique, la matière des quatre éléments et le temps] ?

 

[4586] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter assignentur quatuor coaeva, scilicet caelum Empyreum, angelica natura, materia quatuor elementorum, et tempus. Locus enim consequitur generationem rerum, sicut et tempus. Sed de loco nulla fit mentio inter prima creata. Ergo nec de tempore.

1. Il semble qu’on assigne de manière inappropriée un caractère contemporain à quatre choses : le ciel empyrée, la nature angélique, la matière des quatre éléments et le temps. En effet, le lieu découle de la génération des choses, comme aussi le temps. Or, on ne parle nulle part du lieu parmi les premières choses créées. Donc, du temps non plus.

 

[4587] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, tempus est accidens quoddam. Sed de aliis accidentibus non fit mentio, sed intelliguntur cum suis subjectis creata. Ergo videtur quod nec de tempore debet fieri.

2. Le temps est un accident. Or, il n’est pas fait mention des autres accidents, mais on comprend qu’ils ont été créés avec leurs sujets. Il semble donc qu’on ne doive pas non plus le faire pour le temps.

 

[4588] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, tempus est mensura motus primi mobilis. Sed primum mobile, scilicet firmamentum, factum est secundo die. Ergo tempus in principio creationis non fuit.

3. Le temps est la mesure du premier moteur mobile. Or, le premier mobile, le firmament, a été créé au deuxième jour. Il n’existait donc pas de temps au commencement de la création.

 

[4589] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, superiorum et inferiorum corporum non eadem est materia. Ergo videtur quod debeant esse sex, scilicet caelum Empyreum, materia firmamenti, materia quatuor elementorum et cetera.

4. La matière des corps supérieurs et inférieurs n’est pas la même. Il semble donc qu’il devait y avoir six choses : le ciel empyrée, la matière du firmament, la matière des quatre éléments, etc.

 

[4590] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, in quolibet sex dierum dicitur: dixit Deus, fiat, ut ostendatur, opus illius diei per verbum factum esse. Cum ergo informis materia per verbum facta sit, videtur quod in ejus creatione debeat dici: dixit Deus: fiat caelum et terra.

5. Pour chacun des six jours, il est dit : Dieu dit : « Que cela soit ! », afin de montrer que l’œuvre de ce jour a été créée par le Verbe. Puisque la matière a été créée informe par le Verbe, il semble donc que, lors de sa création, on doive dire : Dieu dit : « Qu’existent le ciel et la terre ! »

 

[4591] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum ad hoc ultimum. Primo quod per opus creationis instituta est tota creatura quantum ad esse suum informe; unde quae non possunt duci ad unum informe principium, quod est materia, faciunt numerum in operatione creationis. Substantia enim et accidens non reducuntur in unam materiam, quia accidentis pars materia non est; et ideo non conveniunt in materia ex qua. Potest tamen dici aliquo modo accidens convenire cum substantia in materia in qua, secundum quod accidens est in substantia: et ideo illud accidens quod est sicut extra mensurando denominans, substantiae connumeratur, scilicet tempus. Similiter substantia spiritualis et corporalis non reducuntur in unam materiam, cum spiritualia materia careant; et ita connumerantur Angelis. Similiter etiam corporum caelestium et inferiorum non est una materia; et ideo numeratur caelum, et materia quatuor elementorum. Et sic oportet in creationis opere quatuor praedicta connumerari.

Réponse. Il faut d’abord dire que, par l’œuvre de la création, l’ensemble des créatures a été établi pour ce qui est de son être sans forme ; aussi ce qui ne peut être ramené à un unique principe sans forme, qui est la matière, fait nombre dans l’œuvre de la création. En effet, la substance et l’accident ne se ramènent pas à une matière unique, car une partie d’un accident n’est pas la matière. Aussi n’ont-ils pas en commun la matière à partir de laquelle [tout a été établi]. On peut cependant dire que, d’une certaine manière, l’accident a en commun avec la substance la matière à partir de laquelle [tout a été établi], selon que l’accident existe dans la substance. C’est pourquoi l’accident qui désigne une mesure extérieure, le temps, est compté avec la substance. De même, la substance spirituelle et la substance corporelle ne se ramènent-elles pas à une seule matière, puisque la matière fait défaut aux réalités spirituelles ; [les substances spirituelles] sont ainsi comptées avec les anges. De même encore, la matière des corps célestes et celle des corps inférieurs ne sont-elles pas uniques ; aussi le ciel est-il compté, puis la matière des quatre éléments. Il est ainsi nécessaire de compter ensemble, dans l’œuvre de la création, les quatre choses déjà mentionnées.

 

[4592] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod locus est superficies corporis locantis; et ideo creatio loci cum creatione corporalis naturae intelligitur.

1. Le lieu est la superficie d’un corps qui définit le lieu. C’est pourquoi la création du lieu est comprise dans la création de la nature corporelle.

 

[4593] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod accidentia quaedam denominant illud in quo sunt, sicut albedo; et talia intelliguntur creata in creatione suorum subjectorum, si sunt de illis quae esse primum consequuntur, ut figura et quantitas, et hujusmodi. Quaedam autem denominant etiam illud in quo non sunt ut in subjecto, sicut locus. Non enim est locus corporis continentis in quo est ut in subjecto, sed corporis contenti: et tempus est numerus omnium motuum, etsi primo ejus in quo est ut in subjecto, scilicet motus primi mobilis, per quem omnes alii numerantur, ut in 10 Metaph. dicitur. Sed tamen alia est ratio de tempore et de loco: quia locus est idem per essentiam quod superficies corporis locantis; tempus autem non est idem numero cum aliquo accidente in substantia fundato: et praeterea locus totum complementum suum habet in re; sed temporis ratio aliquo modo completur ex actione animae numerantis; unde magis habet rationem extrinseci quam locus; et ideo potius connumeratur primo creatis quam locus, vel aliud aliquod accidens. Et praecipue hoc factum puto ad removendum antiquum errorem philosophorum, qui tempus posuerunt aeternum, praeter Platonem, ut in 8 Physic. dicitur.

2. Certains accidents désignent ce dans quoi ils existent, comme la blancheur ; on comprend que ceux-là sont créés par la création de leurs sujets, s’ils font partie de ceux qui découlent de l’être premier, comme la figure et la quantité, et ceux de ce genre. Mais certains désignent aussi ce dans quoi ils n’existent pas comme dans un sujet, comme le lieu. En effet, le lieu ne fait pas partie du corps contenant dans lequel il existe comme dans un sujet, mais du corps contenu. Et le temps est le nombre de tous les mouvements, même si on en parle d’abord pour ce dans quoi il existe en premier lieu comme dans un sujet, le mouvement du premier mobile, par lequel tous les autres sont dénombrés, comme on le dit dans Métaphysique, X. Cependant, il n’en va pas de même du temps et du lieu, car le lieu est par essence la même chose que la surface du corps situé dans un lieu ; mais le temps n’est pas numériquement la même chose qu’un accident ayant son fondement dans la substance. De plus, le lieu possède tout son achèvement dans une chose, mais la raison de temps se réalise d’une certaine manière par l’action de l’âme qui compte. Aussi a-t-il davantage un caractère extrinsèque que le lieu. C’est pourquoi il est d’abord plutôt compté parmi les choses créées que le lieu ou un autre accident. Et je pense que ceci a été fait surtout pour écarter l’erreur ancienne des philosophes, en plus de Platon, qui affirmaient que le temps est éternel, ainsi qu’on le dit dans Physique, VIII.

 

[4594] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod motus caeli incepit secunda die; sed non omnia simul creata sunt; unde non potest intelligi de tempore quod est numerus motus primi mobilis; sed oportet quod vel per tempus significetur aevum, ut quidam dicunt, vel tempus large sumatur pro numero cujuscumque successionis, ut sic tempus primo creatum dicatur quod mensurat ipsam creationem rerum, qua post non esse, in esse res prodierunt.

3. Le mouvement du ciel a commencé le deuxième jour ; mais tout n’a pas été créé en même temps. Aussi ne peut-on pas comprendre le temps comme le nombre du mouvement du premier mobile, mais il faut que, par le temps, soit signifié l’aevum, comme certains le disent, ou que le temps soit pris au sens large comme la mesure de toute succession, de telle sorte qu’on dise ainsi que le temps créé en premier mesure la création même des choses, par laquelle les choses sont venues à l’être après n’avoir pas été.

 

[4595] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod firmamentum secundum quosdam est de natura inferiorum corporum, et sic materia ejus intelligitur in materia quatuor elementorum; et sic solum caelum Empyreum erit alterius naturae, et quinta essentia. Sed si dicamus firmamentum esse quintam essentiam, tunc per caelum intelligitur Empyreum caelum, et caelum chrystallinum, et caelum sidereum; sed quantum ad naturam informem horum duorum: caelum enim Empyreum statim in sua creatione ultimum complementum habuit.

4. Selon certains, le firmament fait partie de la nature des corps inférieurs, et ainsi sa matière est comprise comme la matière des quatre éléments. Seul le ciel empyrée sera alors d’une autre nature, ainsi que la quinte essence. Mais si nous disons que la quinte essence est le firmament, on entend alors par « ciel » le ciel empyrée, le ciel cristallin et le ciel sidéral, mais selon la nature dépourvue de forme de ces deux derniers. En effet, le ciel empyrée a reçu d’emblée son ultime achèvement par sa création.

 

[4596] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod verbum proprie loquendo importat rationem formae exemplaris ad creaturas, eo quod verbum est ars, ut Augustinus dicit; et ideo in senario dierum, ubi formatio creaturae narratur, convenienter mentio de verbo fit; ubi autem narratur productio informis materiae, filius ostenditur causa ut principium, et non ut verbum. Unde diversimode utrobique totius Trinitatis causalitas ostenditur. In creatione siquidem informis materiae designatur pater nomine Dei qui creavit, filius nomine principii, spiritus sanctus nomine proprio, cum dicitur spiritus domini. In formatione vero rerum significatur pater ut dicens, filius ut verbum, spiritus sanctus ut benignitas, qua approbatur quod factum erat: eodem namque amore quo Deus voluit ut creatura fieret, ei placuit ut maneret.

5. À proprement parler, le Verbe a raison de forme exemplaire pour les créatures, du fait que « le Verbe est art », comme le dit Augustin. Aussi, dans les six jours où la formation de la créature est racontée, il est fait mention du Verbe de manière appropriée. Mais là où est racontée la production de la matière informe, le Fils est désigné comme cause en tant que principe, et non en tant que Verbe. Aussi la causalité de la Trinité est-elle montrée de manière différente dans les deux endroits. Dans la création de la matière sans forme, le Père est désigné par le nom de Dieu qui a créé, le Fils par le nom de principe, l’Esprit Saint par son nom propre, alors qu’il est appelé Esprit du Seigneur. Mais, dans la formation des choses, le Père est désigné comme celui qui profère [la Parole], le Fils comme le Verbe, l’Esprit Saint comme la bienveillance par laquelle est approuvée ce qui a été créé, car c’est par le même amour que Dieu a voulu que la créature soit, qu’il lui a plu qu’elle demeure.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 12

 

[4597] Super Sent., lib. 2 d. 12 q. 1 a. 5 expos. Quam nomine terrae, ut Augustinus ait contra Manichaeos, ideo appellavit Moyses, quia terra inter omnia elementa mundi minus est speciosa. Sciendum, quod secundum Augustinum, qui non ponit in distinctione rerum ordinem temporis, oportet quod materia prima intelligatur omnino informis, ut dictum est; et sic vocabitur nomine aquae vel terrae propter similitudinem tantum, ut dicatur terra propter carentiam formae (terra enim inter omnia elementa minus habet de specie, cum sit magis elementum grossum); aqua vero propter receptibilitatem formarum, quia humidum est bene receptibile et terminabile; sed abyssus dicitur ex hoc quod est turpis per accidens, ut in 1 Physic., dicitur: abyssus enim dicitur ab a, quod est sine, et bysso, quod est genus lini candidissimi, idest sine candore; et hoc accidit materiae ratione privationis. Vel dicitur abyssus, quasi sine basi, de aliqua magna profunditate, et praecipuae aquarum, secundum Augustinum: et similiter materia prima abyssus dicitur, inquantum privatur forma, per quam esse substantificum recipit. Sed secundum alios sanctos possumus dicere, quod ad litteram erat sub forma substantiali terrae vel aquae. Terra autem erat inanis et vacua. Si intelligitur per terram materia informis, sic oportet exponi receptibilitas materiae quodammodo esse similis receptibilitati loci, inquantum in una materia manente succedunt sibi diversae formae, sicut in uno loco diversa corpora; propter quod Plato locum et materiam idem esse dixit, ut in 4 Physic., dicitur: et ideo ea quae sunt loci, similitudinarie de materia dicuntur; ut materia dicatur inanis et vacua, secundum carentiam formae: sed vacua inquantum forma implet capacitatem materiae; inanis, inquantum forma est finis in quem tendit appetitus materiae. Si autem terra sumatur pro elemento adhuc informi, sic ad litteram dicitur vacua et inanis propter carentiam corporum mixtorum, quorum ipsa est locus, et ad quae quasi ad finem ordinatur. Sive aeris obscura qualitate. Sciendum, quod omnis privatio, quantum ad id quod significatur per nomen, est non ens; sed tamen oportet quod aliquid praesupponatur: quia enim privatio est negatio in subjecto apto nato, ut in 4 Metaph. dicitur (unde praesupponitur subjectum, et habilitas ipsius ad receptionem formae quae privatur), ideo cum tenebra opponatur luci per modum privationis, potest tripliciter sumi. Aut pro ipso subjecto privato, quod est aer obscurus; et sic constat tenebras aliquid esse, et creaturas esse. Secundo modo potest sumi pro ipsa virtute aeris, per quam est receptivus lucis, quae est diaphaneitas, secundum quod non est perfecta per lucem; et sic tenebra potest dici obscura qualitas aeris, quae aliquid creatum est. Tertio modo sumitur proprie pro eo quod significatur per nomen; et sic privatio est non ens; et hoc modo, per se loquendo, non potest dici creata a Deo; sed solum per accidens, inquantum fecit naturam opacam, ex cujus oppositione ad corpus luminosum tenebra relinquitur; sicut dicitur tenebras in domo facere qui claudit fenestram. Primo in verbo, omnia disponendo. Videtur hoc esse falsum: quia nihil quod fit in verbo, est factum; et ita in verbo Deus nihil operatur. Ad quod dicendum, quod secundum quosdam Alcuinus improprie locutus est, et est exponendum, operatur in verbo; idest, genuit verbum, quod est ars omnium operandorum per ipsum. Hoc autem ideo dicunt, quia non faciunt differentiam inter operari et facere, cum multum differant. Quia facere proprie est actus rei transiens in exteriorem materiam; unde philosophus dicit in 6 Ethic., artificialia esse factibilia; et sic Deus non fecit aliquid ab aeterno. Sed operatio dicitur quilibet actus rei, etiamsi exterius non transeat, sicut intelligere est operatio intellectus, et potest esse sine motu; unde philosophus in 7 Ethic. dicit, quod Deus una simplici operatione gaudet; et per hunc modum Deus ab aeterno in verbo operatur, sicut artifex excogitando formas artificialium.

 

 

 

 

 

Distinctio 13

Distinction 13 – [L’œuvre du premier jour]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[4598] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 pr. Dicto de opere creationis, hic prosequitur distinctionis opus; et dividitur in partes tres: in prima determinat de opere primae diei; in secunda de opere secundae, 14 dist., ibi: dixit Deus: fiat firmamentum; in tertia de opere tertiae diei, ibi: sequitur: dixit Deus: congregentur aquae in locum unum. Prima dividitur in duas: in prima determinat primum opus distinctionis per lucis productionem; in secunda exponit quaedam dubia quae possent esse in his quae contra hoc opus dicuntur; et circa opera secunda, ibi: praeterea investigandum est, quomodo accipiendum sit quod ait, dixit Deus. Circa primum tria facit: primo determinat lucis productionem; secundo ejus conditiones, ibi: sed quaeritur qualis illa lux fuerit; tertio lucis effectum etc., ibi: hic notandum est, quod dies diversis modis accipitur in Scriptura. Secunda in duas: in prima ostendit conditionem lucis quantum ad ejus naturam vel genus; in secunda quantum ad ejus locum, ibi: si autem quaeritur, ubi facta est lux illa (...) dici potest in illis partibus facta quas nunc illustrat solis diurna lux. Tertia pars in qua determinat effectum lucis, qui est dies, dividitur in tres: in prima distinguit diem quantum ad variam acceptionem; in secunda quantum ad ordinem partium, ibi: hic est naturalis ordo distinctionis dierum; in tertia quantum ad causam efficientem, ibi: solet etiam quaeri quare factus est sol. Praeterea investigandum est, quomodo accipiendum sit quod ait, dixit Deus. Hic exponit, quomodo intelligendum sit quod dicitur, dixit Deus; et primo ponit expositionem; secundo movet dubitationem consequentem, ibi: hic quaeri solet, quomodo accipiendum sit quod dicitur pater operari in filio. Circa quod tria facit: primo movet quaestionem; secundo quorumdam errorem ponit, ibi: putaverunt quidam haeretici quod pater, velut auctor et artifex, filio et spiritu sancto in rerum operatione, quasi instrumento, uteretur; tertio determinat secundum veritatem, ibi: non est itaque intelligendum, ideo Scripturam frequenter commemorare patrem operari in filio (...) tamquam filius non posset facere, si ei non porrexisset pater dexteram. Ubi duas ponit solutiones; quarum secunda incipit, ibi: potest et illud aliter accipi. Circa primum duo facit: primo ponit responsionem; secundo excludit haereticorum obviationem, ibi: sed dicit haereticus et cetera. Hic quaeruntur quinque: 1 de opere distinctionis per differentiam ab aliis operibus; 2 utrum lux proprie in spiritualibus inveniatur; 3 utrum lux corporalis sit substantia, aut accidens; 4 de lucis productione; 5 quomodo pater dicitur per filium operari.

Après avoir parlé de l’œuvre de la création, on poursuit ici en parlant de l’œuvre de la différenciation [entre les créatures]. Il y a trois parties. Dans la première, [le Maître] détermine de l’œuvre du premier jour. Dans la deuxième, de l’œuvre du deuxième [jour], d. 14, à cet endroit : Dieu dit : « Que le firmament soit ! » Dans la troisième, de l’œuvre du troisième jour, à cet endroit : Puis, Dieu dit : « Que les eaux soient rassemblées en un seul lieu ! » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine d’abord de l’œuvre de la différenciation par la production de la lumière ; dans la deuxième, il explique certains doutes qui peuvent exister là où l’on parle contre cette œuvre ; à propos des œuvres faites en second, à cet endroit : « De plus, il faut chercher à comprendre ce qu’on dit : Dieu dit… » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il détermine de la production de la lumière ; deuxièmement, de ses conditions, à cet endroit : « Mais on cherche quelle était cette lumière »; troisièmement, de l’effet de la lumière, etc., à cet endroit : « Mais il faut remarquer ici que ‘jour’ s’entend de diverses manières dans l’Écriture. » La deuxième partie se divise en deux. Dans la première, il montre la condition de la lumière du point de vue de sa nature ou de son genre ; dans la deuxième, du point de vue de son lieu, à cet endroit : « Mais si on se demande où cette lumière a été créée…, on peut dire qu’elle a été créée dans les endroits où la lumière du soleil éclaire maintenant pendant le jour. » La troisième partie, dans laquelle il détermine de l’effet de la lumière, qui est le jour, se divise en trois. Dans la première, il fait une distinction entre les diverses acceptions de « jour » ; dans la deuxième, du point de vue de l’ordre de ses parties, à cet endroit : « On a ici l’ordre naturel de la différenciation entre les jours »; dans la troisième, du point de vue de la cause efficiente, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander pourquoi le soleil a été créé… » « De plus, il faut chercher à comprendre ce qu’on dit : Dieu dit… » [Le Maître] explique ici comment il faut comprendre ce qui est dit : Dieu dit… Premièrement, il présente son explication ; deuxièmement, il soulève un doute qui en est issu, à cet endroit : « On a ici coutume de se demander comment il faut comprendre que le Père agit dans le Fils. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il soulève une question. Deuxièmement, il présente l’erreur de certains, à cet endroit : « Certains hérétiques ont pensé que le Père, en tant qu’auteur et artisan, a employé le Fils et l’Esprit Saint comme un instrument pour la création des choses. » Troisièmement, il détermine selon la vérité, à cet endroit : « Il ne faut pas comprendre l’Écriture qui rappelle souvent que le Père agit dans le Fils… comme si le Fils ne pouvait pas agir, si le Père ne lui tendait sa droite. » Il présente là deux solutions ; la seconde commence à cet endroit : « Cela peut aussi se comprendre autrement. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente la réponse ; deuxièmement, il écarte l’obstacle des hérétiques, à cet endroit : « Mais l’hérétique dit, etc. » Cinq questions sont ici posées : 1. À propos de l’œuvre de différenciation, selon qu’elle est différente des autres œuvres. 2. La lumière existe-t-elle au sens propre chez les [créatures] spirituelles ? 3. La lumière corporelle est-elle une substance ou un accident ? 4. À propos de la production de la lumière. 5. Comment dit-on que le Père agit par le Fils ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4599] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 tit. Utrum opus distinctionis fuerit necessarium post opus creationis

Article 1 – L’œuvre de différenciation était-elle nécessaire après l’œuvre de la création ?

 

[4600] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod post opus creationis, distinctionis opus necessarium non fuerit. Distinctio enim non est nisi prius confusorum et commixtorum. Si ergo post creationem facta est rerum distinctio, oportet res prius mixtas fore creatas; et sic redibit opinio Anaxagorae et Anaximandri, quod res fiant per extractionem ex uno confuso et mixto.

1. Il semble qu’après l’œuvre de la création, l’œuvre de la différenciation n’était pas nécessaire. En effet, la différenciation n’existe que pour ce qui d’abord mêlé et mélangé. Si donc une différenciation entre les choses a été réalisée après la création, il faut que des choses mêlées aient d’abord été créées, et ainsi l’opinion d’Anaxagore et d’Anaximandre réapparaîtra : les choses sont réalisées par extraction à partir d’un seul tout mêlé et mélangé.

 

[4601] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, creatio terminatur ad esse. Ens enim, ut dicitur in Lib. de causis, est per creationem. Sed materia secundum esse distincta est, quamvis secundum essentiam sit una. Ergo videtur quod post creationem distinctione opus non sit.

2. La création a comme terme l’acte d’être. En effet, comme on le dit dans le livre Sur les causes, ce qui existe vient de la création. Or, la matière est différenciée en son être, bien qu’elle soit une en son essence. Il semble donc qu’après la création, on n’ait pas besoin de différenciation.

 

[4602] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, eorum est distinctio quorum potest esse commixtio et confusio secundum locum. Sed haec non possunt convenire nisi communicantibus in materia. Si ergo superioribus et inferioribus corporibus materia communis non sit, videtur quod superiorum ab inferioribus nulla sit facienda distinctio.

3. Il y a différenciation là où peuvent exister un mélange ou amalgame selon le lieu. Or, ces choses ne peuvent se rejoindre que si elles ont la matière en commun. Si donc la matière des corps supérieurs et des corps inférieurs n’est pas commune, il semble qu’il ne faille faire aucune distinction entre les [corps] supérieurs et les [corps] inférieurs.

 

[4603] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, quodlibet corpus est distinctum ab aliis corporibus. Cum ergo describatur in textu distinctio caeli chrystallini et caeli siderei, videtur quod inconvenienter subticeatur distinctio caeli Empyrei.

4. Tout corps est distinct des autres corps. Puisque la différence entre le ciel cristallin et le ciel sidéral est décrite dans le texte, il semble donc que soit ajoutée de manière inappropriée la différenciation du ciel empyrée.

 

[4604] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, supra dictum est in littera, dist. 12, quod sex diebus Deus creaturas per species distinxit. Ergo videtur quod totum opus sex dierum ad distinctionem pertineat; et ita ornatus videtur a distinctionis opere non differre.

5. On a dit plus haut dans le texte, d. 12, que Dieu a realisé la différenciation entre les créatures en six jours. Il semble donc que toute l’œuvre des six jours se rapporte à la différenciation, et ainsi l’embellisement ne diffère pas de l’œuvre de la différenciation.

 

[4605] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod natura in operibus sex dierum taliter instituta est ut naturae principia tunc condita in se subsisterent, et quod ex eis alia propagari possent per mutuam actionem et passionem; et ideo oportuit eis tunc esse conferri, et virtutes activas et passivas, quas Augustinus, vocat rationes seminales, quibus ex eis effectus consequentes producerentur. Quantum ergo ad esse ipsorum principiorum, sumitur opus creationis, per quod substantia elementorum mundi in esse producta est. Sed virtutum activarum et passivarum quaedam sunt moventes ad determinatas species, ut virtus quae est in semine leonis et equi: quaedam vero sunt communes moventes ad omnem speciem, ut calidum, frigidum, et hujusmodi. Per opus ergo distinctionis attributae sunt rebus creatis virtutes activae et passivae communes, moventes ad omnem speciem; sed per opus ornatus collatae sunt rebus virtutes moventes ad determinatas species. Sed distinctio non potest nisi tripliciter variari. Cum enim motus alterationis, secundum quem fit generatio et corruptio, reducatur in unum primum alterans non alteratum, scilicet caelum, oportet in principiis essentialibus mundi esse tria: primum, quod est alterans non alteratum, ut caelum; secundum, quod est alterans alteratum, ut media elementa, quae sunt ignis, aqua, et aer; tertium, quod est ultimum, et minimum habens de virtute alterandi, scilicet terra. Primo ergo oportuit distingui primum ab ultimo; et hoc factum est per lucis productionem; quae quidem formaliter est in caelo, et participatur in mediis elementis secundum plus et minus; sed ultimum elementum, scilicet terra, caret luce, vel minimum de ipsa habet. Secundo oportuit esse distinctionem primi a medio; et hoc factum est secunda die, quando divisae sunt aquae inferiores a superioribus, facto firmamento. Tertio est divisio medii ab ultimo; et hoc factum est tertia die, quando congregatae sunt aquae in unum locum, et apparuit arida.

Réponse. La nature a été établie au cours des six jours de telle manière que les principes de la nature alors créée subsistent en eux-mêmes, et que, à partir d’eux, les autres choses puissent se propager une action et une passion réciproques. Il fallait donc que leur soient alors conférées des puissances actives et passives, qu’Augustin appelle raisons séminales, par lesquelles seraient produits, à partir d’elles, les effets qui en découlent. Pour ce qui est de l’existence de ces principes mêmes, on parle de l’œuvre de la création, par laquelle la substance des éléments du monde a été amenée à l’acte d’être. Mais, parmi les puissances actives et passives, certaines meuvent à des espèces déterminées, comme la puissance qui se trouve dans la semence du lion et du cheval ; mais certaines sont communes et meuvent à toutes les espèces, comme le chaud, le froid et celles de ce genre. Par l’œuvre de différenciation, ont donc été attribuées aux choses créées les puissances actives et passives communes qui meuvent à toute espèce ; mais, par l’œuvre d’embellissement, ont été conférées aux choses des puissances qui meuvent à des espèces déterminées. Mais la différenciation ne peut varier que de trois manières. En effet, puisque le mouvement d’altération, selon lequel se réalisent la génération et la corruption, se ramène à un seul premier agent d’altération non altéré, à savoir, le ciel, il faut qu’il y ait trois choses dans les principes du monde : premièrement, ce qui altère sans être altéré, comme le ciel ; deuxièmement, ce qui altère en étant altéré, comme les éléments intermédiaires qui sont le feu, l’eau et l’air ; troisièmement, ce qui vient en dernier et possède le moins de puissance pour altérer, à savoir, la terre. Premièrement, il fallait donc faire une distinction entre le premier et le dernier : cela a été fait par la production de la lumière, qui se trouve formellement dans le ciel et participe plus ou moins aux éléments intermédiaires ; mais, au dernier élément, à savoir, la terre, fait défaut la lumière ou elle en possède très peu. Deuxièmement, il fallait faire une distinction entre ce qui est premier et ce qui est intermédiaire : cela a été fait le deuxième jour, alors que les eaux inférieures ont été séparées des eaux supérieures, lorsque le firmament a été créé. Troisièmement, il y a la division entre ce qui est intermédiaire et ce qui est dernier : cela a été fait le troisième jour, alors que les eaux ont été rassemblées en un seul lieu et que sont apparus les déserts.

 

[4606] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod distinctio partium mundi non est intelligenda per extractionem materialem ab aliquo mixto, sed formaliter per hoc quod diversis rebus diversae virtutes collatae sunt.

1. La distinction entre les parties du monde ne doit pas être comprise comme une extraction matérielle à partir d’un mélange, mais formellement, comme le fait que des puissances différentes ont été assemblées dans diverses choses.

 

[4607] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per opus creationis principia mundi distincta sunt quantum ad esse primum, quod est per formas substantiales. Sed oportuit advenire opus distinctionis, ut distinguerentur etiam quantum ad agere et pati, secundum diversas virtutes rebus collatas.

2. Par l’œuvre de la création, les principes du monde ont été différenciés quant à leur être premier, c’est-à dire par leur formes substantielles. Mais l’œuvre de différenciation devait survenir pour qu’ils soient aussi différenciés pour l’agir et le subir, selon les diverses puissances assemblées dans les choses.

 

[4608] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in istis distinctionibus est quaedam diversitas. Quia enim corpora superiora non sunt ejusdem materiae cum inferioribus, et per consequens secundum locum confundi non possunt, ideo prima distinctio, quae est primi ab ultimo, et secunda, quae est primi a medio, est tantum secundum collationem diversarum virtutum ad agendum et patiendum; sed tertia, quae est medii elementi ab ultimo, quae commisceri possunt et secundum locum confundi, est secundum utrumque, inquantum elementis collatae sunt qualitates quae sunt principia alterationis, ut calor et frigus et hujusmodi; et illa quae sunt principia motus localis, ut gravitas et levitas; et ideo in tertio die facta est mentio de loco, cum dicitur: congregentur aquae in unum locum, et non aliis praecedentibus.

3. Parmi ces différenciations, il existe une certaine diversité. En effet, parce que les corps supérieurs n’ont pas la même matière que les corps inférieurs et ne peuvent par conséquent être unis selon le lieu, la première différenciation, entre ce qui est celle de ce qui est premier par rapport à ce qui est dernier, et la deuxième, entre ce qui est premier par rapport à ce qui est intermédiaire, se réalisent seulement par assemblage de différentes puissances actives et passives. Mais la troisième, qui est celle d’un élément intermédiaire par rapport à un dernier, qui peuvent être mélangés et unis selon le lieu, se réalise selon les deux, pour autant que les qualités, qui sont les principes de l’altération, tels la chaleur, le froid et ceux de ce genre, sont assemblés avec les éléments, ainsi que ce qui est principe du mouvement local, telles la pesanteur et la légèreté. C’est pourquoi il est fait mention du lieu le troisième jour, lorsqu’il est dit : Que les eaux soient réunies en un seul lieu !, et non lors des autres jours précédents.

 

[4609] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caelum Empyreum, ut supra dictum est, non habet influentiam super inferiora corpora; et ideo inter opera distinctionis commemorari non debuit, per quam rebus virtutes activae datae sunt: sed caelum Empyreum ordinatum est ad gloriam beatorum; et ideo in principio creationis suae totum complementum suum habuit.

4. Comme on l’a dit, le ciel empyrée n’exerce pas d’influence sur les corps inférieurs ; il ne devait donc pas être rappelé parmi les œuvres de la différenciation, par laquelle des puissances actives ont été données aux choses. Mais le ciel empyrée a été ordonné pour la gloire des bienheureux. C’est pourquoi il a été entièrement achevé dès le commencement de la création.

 

[4610] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod opus distinctionis supra acceptum est communiter, prout dicit discretionem secundum quamcumque virtutis differentiam: et sic in se includit etiam ornatum; alio autem modo ab ornatu differt, ut dictum est. Et haec differentia potest sumi ex modo loquendi ipsius Scripturae, quae in operibus trium dierum quamdam divisionem insinuat.

5. L’œuvre de la différenciation a été entendue plus haut en un sens général, en tant qu’elle exprime une séparation selon n’importe quelle différence d’une puissance ; elle inclut ainsi même l’embellissement. Mais, en un autre sens, elle diffère de l’embellissement, comme on l’a dit. Cette différence peut être tirée de la manière dont parle l’Écriture elle-même, qui, parmi les œuvres des trois jours, suggère une certaine division.

 

 

 

 

Articulus 2 [4611] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 tit. Utrum lux proprie inveniatur in spiritualibus

Article 2 – Trouve-t-on de la lumière au sens propre dans les [substances] spirituelles ?

 

[4612] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod lux proprie in spiritualibus inveniatur. Primo per id quod dicitur Joan. 1, 9: erat lux vera quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum; quod de Deo intelligitur, qui maxime spiritualis est. Ergo videtur quod lux proprie in spiritualibus substantiis inveniatur.

1. Il semble qu’on trouve de la lumière au sens propre dans les substances spirituelles. Premièrement, selon ce qui est dit en Jn 1, 9 : Il était la lumière véritable qui illumine tout homme venant dans ce monde, ce qui s’entend de Dieu, qui est spirituel au plus haut point. Il semble donc qu’on trouve de la lumière dans les substances spirituelles.

 

[4613] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit: non Christus sic dicitur lux quomodo dicitur lapis; sed illud proprie, hoc utique figurative. Non autem Christus proprie diceretur lux, nisi lux proprie in spiritualibus inveniretur. Ergo et cetera.

2. Augustin dit : « On ne dit pas du Christ qu’il est la lumière comme on dit qu’il est la pierre ; mais on dit cela au sens propre, et ceci au sens figuré. » Or, le Christ ne serait pas appelé lumière, si on ne trouvait pas de lumière dans les [substances] spirituelles. Donc, etc.

 

[4614] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, inter alias creaturas spiritualis substantia nobilior est, quasi Deo proximior. Sed non est probabile, Scripturam divinam nobilissimae creaturae creationem subticuisse. Cum ergo de creatione Angelorum mentionem non faciat, videtur quod ad litteram et proprie per lucis productionem creatio naturae angelicae sit intelligenda.

3. Parmi les autres créatures, la créature spirituelle est une substance plus noble du fait qu’elle est plus proche de Dieu. Or, il n’est pas probable que l’Écriture ait tu la création de la créature la plus noble. Puisqu’elle ne fait pas mention de la création des anges, il semble donc qu’au sens littéral et propre, il faille entendre la création de la nature angélique par la production de la lumière.

 

[4615] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, luci convenit maxime activum esse; unde luci attribuitur diffusivum esse. Sed actio convenit verius spiritualibus quam corporalibus. Ergo et lux.

4. L’être le plus actif convient à la lumière ; aussi attribue-t-on à la lumière d’être apte à se diffuser. Or, l’action convient en un sens plus vrai aux êtres spirituels qu’aux êtres corporels. Donc, la lumière aussi.

 

[4616] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, actus proprius lucis est manifestare. Sed manifestatio magis proprie est in spiritualibus, ubi est nobilior cognitio. Ergo videtur quod et lux verius in eis inveniatur.

5. L’acte propre de la lumière est de rendre manifeste. Or, la manifestation existe en un sens plus propre chez les êtres spirituels, chez qui existe une connaissance plus noble. Il semble donc que la lumière aussi se trouve chez eux en un sens plus vrai.

 

[4617] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Ambrosius, qui inter ea quae transumptive de Deo dicuntur, ponit splendorem qui contingit ex multiplicatione luminis. Ergo videtur quod lux in spiritualibus non nisi metaphorice inveniatur.

Cependant, [1] Ambroise dit que, dans ce qui est dit de Dieu par métaphore, il met l’éclat, qui vient de la multiplication de la lumière. Il semble donc que la lumière ne se trouve chez Dieu que de manière métaphorique.

 

[4618] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Dionysius dicit, quod Deus dicitur lumen ex hoc quod similitudo ejus maxime resultat in radio solari quantum ad causalitatem. Sed omne nomen quod dicitur de Deo per similitudinem a creatura corporali sumptam, convenit sibi metaphorice. Ergo et cetera.

[2] Denys dit que Dieu est appelé lumière du fait que sa ressemblance se manifeste au plus haut point dans le rayon solaire, pour ce qui est de sa causalité. Or, tout nom qui est dit de Dieu selon une ressemblance avec une créature corporelle lui convient de manière métaphorique. Donc, etc.

 

[4619] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in hoc videtur esse quaedam diversitas inter sanctos. Augustinus enim videtur velle, quod lux in spiritualibus verius inveniatur quam in corporalibus. Sed Ambrosius et Dionysius videntur velle, quod in spiritualibus non nisi metaphorice inveniatur. Et hoc quidem videtur magis verum; quia nihil per se sensibile spiritualibus convenit nisi metaphorice, quia quamvis aliquid commune possit inveniri analogice in spiritualibus et corporalibus, non tamen aliquid per se sensibile, ut patet in ente, et calore; ens enim non est per se sensibile, quod utrique commune est; calor autem quod per se sensibile est, in spiritualibus proprie non invenitur. Unde cum lux sit qualitas per se visibilis, et species quaedam determinata in sensibilibus; non potest dici in spiritualibus nisi vel aequivoce vel metaphorice. Sciendum tamen, quod transferuntur corporalia in spiritualia per quamdam similitudinem, quae quidem est similitudo proportionabilitatis; et hanc similitudinem oportet reducere in aliquam communitatem univocationis, vel analogiae; et sic est in proposito: dicitur enim lux in spiritualibus illud quod ita se habet ad manifestationem intellectivam sicut se habet lux corporalis ad manifestationem sensitivam. Manifestatio autem verius est in spiritualibus; et quantum ad hoc, verum est dictum Augustini, quod lux verius est in spiritualibus quam in corporalibus, non secundum propriam rationem lucis, sed secundum rationem manifestationis, prout dicitur in canonica Joannis, quod omne quod manifestatur, lumen est; per quem modum omne quod manifestum est, clarum dicitur, et omne occultum obscurum.

Réponse. Sur ce point, il semble y avoir une certaine diversité entre les saints. En effet, Augustin semble vouloir que la lumière se trouve avec une plus grande vérité chez les êtres spirituels que chez les êtres corporels. Mais Ambroise et Denys semblent vouloir que, chez les êtres spirituels, on ne la trouve que de manière métaphorique. Et cela semble plus vrai, car rien de sensible par soi ne convient à des réalités spirituelles, sinon de manière métaphorique, car, bien qu’on puisse trouver de manière analogique quelque chose de commun entre les réalités spirituelles et les réalités corporelles, on n’[en trouve] cependant pas pour ce qui est sensible par soi, comme cela ressort pour l’être et pour la chaleur. En effet, l’être n’est pas par soi sensible, puisqu’il est commun aux deux ; mais la chaleur, qui est sensible par soi, ne se trouve pas à proprement parler chez les êtres spirituels. Puisque la lumière est une qualité visible par soi et une espèce déterminée parmi les réalités sensibles, elle ne peut donc être appliquée aux réalités spirituelles que de manière équivoque ou métaphorique. Toutefois, il faut savoir que les réalités corporelles sont reportées sur les réalités spirituelles en raison d’une certaine ressemblance, qui est une ressemblance de proportionnalité, et il faut ramener cette ressemblance à un caractère commun univoque ou analogue. Tel est ici le propos. En effet, on appelle lumière chez les êtres spirituels ce qui se rapporte à la manifestation intellectuelle, de la même manière que la lumière corporelle [se rapporte] à la manifestation sensible. Or, la manifestation est quelque chose de plus vrai chez les êtres spirituels et, de ce point de vue, ce qui est dit par Augustin est vrai, à savoir que la lumière existe avec plus de vérité chez les êtres spirituels que chez les êtres corporels ; non pas selon la raison propre de lumière, mais selon la raison de manifestation, comme il est dit dans la lettre canonique de Jean : Tout ce qui est manifesté est lumière (1 Jn 5, 13). De cette manière, tout ce qui est manifeste est éclatant, et tout ce qui est caché est obscur.

 

[4620] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus dicitur lux vera quantum ad veritatem ejus a quo sumitur similitudo, et non quantum ad veram naturam lucis; per quem etiam modum dicitur vitis vera, Joan. 15.

1. Dieu est appelé la lumière véritable du point de vue de la vérité de ce dont est tirée la ressemblance, et non du point de vue de la véritable nature de la lumière. De cette manière, il est aussi appelé la vigne véritable, Jn 15.

 

[4621] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus attendit quantum ad rationem manifestationis, magis quam ad nomen lucis. Vel dicendum, quod ea quae ibi dicit, ut ipse ibidem, cap. 28, protestatur, non asserendo, sed inquirendo dicit.

2. Augustin porte attention à la raison de manifestation plutôt qu’au mot « lumière ». Ou bien il faut dire que ce qu’il dit là, comme il l’atteste lui-même au chapitre XXVIII, il le dit en recherchant, et non en affirmant.

 

[4622] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, secundum Dionysium, Scriptura divina proponit nobis spiritualia sub similitudine rerum corporalium; et ideo non decuit ut creationem Angelorum expresse describeret; sed dedit eam intelligere ex productione corporalis lucis.

3. Selon Denys, l’Écriture divine nous propose des réalités spirituelles sous la ressemblance de réalités corporelles. Aussi ne convenait-il pas qu’elle décrive expressément la création des anges, mais elle l’a suggérée à partir de la production de la lumière corporelle.

 

[4623] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad propriam naturam lucis non pertinet quaelibet actio, sed talis quae est in corporalibus; et similiter non quaelibet manifestatio, sed quae est ad sensum visus.

4. N’importe quelle action ne convient pas à la nature propre de la lumière, mais celle qui existe dans les réalités corporelles ; de même, pas n’importe quelle manifestation, mais celle qui correspond au sens de la vue.

 

[4624] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 2 ad 5 Unde patet responsio ad quintum.

5. La réponse au cinquième argument ressort ainsi clairement.

 

 

 

 

Articulus 3 [4625] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 tit. Utrum lux sit accidens

Article 3 – La lumière est-elle un accident ?

 

[4626] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod lux non sit accidens. Primo per auctoritatem Augustini, qui dicit in Lib. 3 de Lib. Arbitr., quod lux in corporibus tenet primum locum; et multa hujusmodi in libris suis dicit. Sed nullum corpus est accidens. Ergo et cetera.

1. Il semble que la lumière ne soit pas un accident. Tout d’abord, par l’autorité d’Augustin, qui dit, dans le livre Sur le libre arbitre, III, que la lumière occupe la première place parmi les corps ; et il dit beaucoup d’autres choses du même même genre dans ses livres. Or, aucun corps n’est un accident. Donc, etc.

 

[4627] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, quaecumque conjunguntur et separantur ab invicem, manentia eadem numero, non sunt accidentia, quia accidens de subjecto in subjectum non transit, nec duo accidentia ejusdem speciei distincta, in eodem subjecto esse possunt. Sed duorum luminarium lumina conjunguntur et separantur ab invicem, ut dicit Dionysius. Ergo lux non est accidens.

2. Tout ce qui s’unit et se sépare, en demeurant identique numériquement, n’est pas un accident, car un accident ne passe pas d’un sujet à un autre sujet, et deux accidents distincts de la même espèce peuvent exister dans le même sujet. Or, les lumières des deux luminaires [le soleil et la lune] s’unissent et se séparent, comme le dit Denys. La lumière n’est donc pas un accident.

 

[4628] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, quidquid praedicatur de genere, et de specie. Sed secundum philosophum, lux est species ignis. Cum ergo ignis sit corpus et substantia, videtur quod similiter et lux.

3. Tout ce qui est attribué au genre l’est aussi à l’espèce. Or, selon le Philosophe, la lumière est une espèce du feu. Puisque le feu est un corps et une substance, il semble donc que la lumière le soit aussi.

 

[4629] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, nihil movetur nisi corpus, ut in 7 Physic., probatur. Sed radii moventur descendentes de sole ad nos. Ergo sunt corpus.

4. Seul un corps est mû, comme il est démontré dans Physique, VII. Or, les rayons sont mus en descendant du soleil vers nous. Ils sont donc un corps.

 

[4630] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, nihil reverberatur ad corpus nisi corpus, quia accidenti corpus non obsistit. Sed radii solares reverberantur ad corpus solidum. Ergo et cetera.

5. Rien n’est réfléchi par un corps qu’un autre corps, car un corps ne résiste pas à un accident. Or, les rayons du soleil sont réfléchis par un corps solide. Donc, etc.

 

[4631] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, corporum est ut ex eorum confricatione et compressione calor sequatur. Sed ex intersecatione radiorum solis et multiplicatione sequitur calor. Ergo et cetera.

6. Ce dont la friction et la compression produisent de la chaleur fait partie des corps. Or, une chaleur est produite par la division et la multiplication des rayons du soleil. Donc, etc.

 

[4632] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 7 Item, nihil agit ultra speciem suam, quia effectus non est altior agente. Sed per lumen solis producuntur formae substantiales in inferioribus, ut patet ex Dionysio, ubi dicit, quod lumen solare corporum visibilium generationi confert, et ad vitam ipsam movet. Cum ergo forma substantialis sit ultra naturam accidentis in perfectione et dignitate, videtur quod lumen accidens esse non possit.

7. Rien n’agit en dehors de son espèce, car l’effet n’est pas plus élevé que l’agent. Or, par la lumière, des formes substantielles sont produites dans les êtres inférieurs, comme cela ressort de Denys, là où il dit que la lumière du soleil contribue à la génération des corps visibles et meut en direction de la vie. Puisque la forme substantielle dépasse en perfection et en dignité la nature de l’accident, il semble donc que la lumière ne puisse pas être un accident.

 

[4633] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 8 Praeterea, si accidens est, oportet quod ad aliquod accidentis genus reducatur, nec potest ad aliud reduci quam ad genus qualitatis, cujus sibi nulla species competere videtur nisi tertia. Si ergo in tertia specie qualitatis non sit, videtur quod non sit accidens. Quod autem non sit in tertia specie qualitatis, sic probatur. In illa enim specie est passio, vel passibilis qualitas. Sed cuilibet passibili qualitati est aliquid contrarium. Cum ergo luci nihil contrarie opponatur, sed solum privative, scilicet tenebra, videtur quod lux non sit in tertia specie qualitatis.

8. Si [la lumière] est un accident, il faut qu’elle soit ramenée au genre de l’accident, et elle ne peut être ramenée à un autre qu’au genre de la qualité, auquel ne semble convenir aucune espèce, sinon la troisième [espèce de qualité]. Si donc elle ne se trouve pas dans la troisième espèce de qualité, il semble qu’elle ne soit pas un accident. Or, qu’elle ne soit pas dans la troisième espèce de qualité, on le démontre ainsi. En effet, , dans cette espèce, se trouve la passion ou une qualité susceptible de passion. Or, il existe un contraire de toute qualité susceptible de passion. Puisque rien de contraire ne s’oppose à la lumière, mais seulement quelque chose qui en prive, à savoir, les ténèbres, il semble donc que la lumière ne soit pas dans la troisième espèce de qualité.

 

[4634] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 9 Praeterea, omnis qualitas passibilis introducitur successive in materiam; quia secundum eam contingit alterationis motus, qui successivus est. Illuminatio autem fit subito. Ergo lumen non est hujusmodi qualitas.

9. Toute qualité susceptible de passion est introduite de manière successive dans la matière, car un mouvement d’altération, qui est successif, survient à cause d’elle. Or, l’illumination se réalise de manière subite. La lumière n’est donc pas une qualité de ce genre.

 

[4635] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 10 Praeterea, qualitates passibiles impressae in subjecto ab aliquo agente, remanent per aliquod tempus, etiam agente remoto, ut patet in aqua calefacta. Sed lumen factum in aere statim esse desinit ad absentiam solis illuminantis. Ergo et cetera.

10. Les qualités susceptibles de passion imprimées dans un sujet par un agent demeurent un certain temps, même si l’agent s’est retiré, comme cela est clair dans le cas de l’eau chaude. Or, la lumière qui apparît dans l’air cesse d’exister dès que le soleil qui éclaire n’est plus présent. Donc, etc.

 

[4636] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Damascenus, lucem esse qualitatem ignis. Qualitas autem est accidens. Ergo et lux.

Cependant, [1] [Jean] Damascène dit que la lumière est une qualité du feu. Or, la qualité est un accident. Donc, etc.

 

[4637] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 s. c. 2 Item, Avicenna dicit, quod lux est qualitas corporis lucidi inquantum hujusmodi, et quod lumen est qualitas quam mutuatur corpus diaphanum a corpore lucido. Ergo videtur quod tam lumen quam lux sit accidens.

[2] Avicenne dit que la lumière est une qualité d’un corps lumineux comme tel, et que la lumière est une qualité qu’un corps diaphane emprunte à un corps lumineux. Il semble donc que tant la lumière que la source de la lumière soient des accidents.

 

[4638] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod ista quatuor differunt, lux, lumen, radius et splendor. Lux enim dicitur, secundum quod est in aliquo corpore lucido in actu, a quo alia illuminantur, ut in sole. Lumen autem dicitur, secundum quod est receptum in corpore diaphano illuminato. Radius autem dicitur illuminatio secundum directam lineam ad corpus lucidum; et ideo ubicumque est radius, est lumen; sed non convertitur; contingit enim lumen esse in domo ex reflexione radiorum solis, quamvis non ex directa oppositione, propter aliquod corpus interjacens. Splendor autem est ex reflexione radii ad aliquod corpus tersum et politum, sicut ad aquam, et ad argentum, vel ad aliquod hujusmodi; ex qua reflexione etiam radii projiciuntur. His ergo visis, sciendum est, quod circa naturam lucis et luminis est multiplex opinio. Quidam enim dixerunt, quod lux est corpus, quod est ipsa substantia solis, ex quo fluunt quaedam corpora, et illa corpora dicuntur lumen vel radius. Haec autem positio multipliciter a philosophis improbata est. Primo, quia sequeretur quod illuminatio esset motus localis corporum a sole fluentium; et cum motus localis non possit esse subito, sequeretur illuminationem fieri successive, quae successio non posset sensum latere secundum maximum spatium, ab oriente scilicet in occidentem, et a sole ad nos. Secundo, quia sequeretur duo corpora esse simul in eodem loco, cum totum spatium quod illuminatur sit plenum aere: quamvis haec pro inconvenienti quidam eorum non habeant, omnino sensum negligentes. Alii vero dicunt, lumen recipi in poros aeris. Sed hoc ridiculum est; oporteret enim obtenebrato aere, poros vacuos remanere, et aerem non totum illuminari, et multa hujusmodi. Tertio, quia illa corpora aut deciduntur de substantia solis, et sic oporteret eum quotidie minorari, et quandoque consumi; nisi forte dicatur cibari vaporibus ex aqua et terra ascendentibus, ut sic deperdita restaurentur; quod est omnino fabulosum. Aut oporteret quod continue illa corpora de novo fiant; et hoc vel ex materia praejacente, et sic fierent corruptis quibusdam aliis; et cum in caelo sit illuminatio, sequeretur aliqua corpora ibi corrumpi ut alia generentur, et multa alia absurda: aut quod fiant per creationem novae materiae et naturae; nec poterit esse tunc illuminatio, nisi per miraculum a Deo. Sequeretur etiam, cum corpora creata in nihilum non reducantur, quod quantitas mundi semper augmentaretur, novis corporibus quotidie creatis; et hujusmodi multa absurda. Praeterea contra hoc Avicenna, multas rationes ponit in 6 de naturalibus. Unde haec positio tamquam absurda et extranea relinquenda est; non enim potest sustineri, nisi aliis principiis naturalis philosophiae inventis. Alii autem dicunt, quod lumen quod est receptum in corpore diaphano, est accidens, quia post esse completum advenit, et recedit rebus manentibus: sed in corpore lucido lux est substantia, vel ipsum corpus lucidum secundum quosdam, vel forma substantialis ejus, secundum alios. Hoc iterum stare non potest. Illuminatio enim est actio in aliud, quia lucidum illuminat. Unde si lumen in hoc aere est accidens, oportet quod principium illuminationis in corpore lucido sit accidens; sicut etiam Commentator probat quod calor non est forma substantialis ignis, quia in corporibus calefactis est accidens. Praeterea nulla substantia est per se sensibilis, quia quod quid est objectum intellectus. Unde oportet quod lux quae per se videtur, non sit forma substantialis. Et si dicatur, quod illud quod videtur, non est lux, sed fulgor quidam; dicendum, quod illud quod nos appellamus lucem, est illud quod per se videtur. Et si forma substantialis solis dicatur lux, non erit nisi aequivoce: quia accidens et substantia non univocantur in aliquo: et sic nihil prohibet etiam lapidem vocari lucem aut tenebras: quia etiam, secundum philosophum, non est inconveniens quod eodem nomine apud nos significetur homo, et apud alios non homo. Alii dixerunt, quod lux nihil addit supra colorem; sed ipsa evidentia coloris vocatur lux, vel lumen: et hanc positionem Avicenna multipliciter improbat, accipiendo omnes modos quibus intelligi potest. Sensibiliter tamen apparet esse falsum in noctilucis, quorum color in nocte occultatur, quando lux apparet; et quando color videtur in die, lux non sentitur: sed verum est quod per lucem videtur color, quia facit colorem esse visibilem in actu. Alii dicunt, quod lux non habet esse firmum et ratum in natura, sed est tantum intentio: sicut enim dicitur, quod species coloris per aerem ad pupillam delata, in aere non habet esse naturale, sed spirituale (unde et per eamdem partem aeris species albedinis et nigredinis deferuntur), ita etiam intentio corporis lucidi in aere relicta est lumen. Et haec opinio valde probabilis est. Primo, quia cum lumen det esse spirituale colori, multo fortius videtur quod ipsum spirituale esse habeat. Secundo, quia nulla qualitas habens esse naturale, immediate superposita organo visus, potest videri; lumen autem videtur contingens pupillam: unde videtur quod esse spirituale habeat. Sed hoc non videtur usquequaque verum: quia per illud quod habet esse intentionis tantum, non sequitur transmutatio nisi secundum operationem animae, ut in videndo et audiendo. Per illuminationem autem videmus sensibiliter naturales transmutationes fieri per caliditatem ex radiis solis consequentem. Unde non potest esse quod habeat esse intentionis tantum. Et ideo dicunt alii, quibus consentiendum videtur mihi, quod lux est forma accidentalis, habens esse ratum et firmum in natura, et quod, sicut calor, est qualitas activa ipsius solis, et in aliis est secundum quod magis cum sole communicant, qui totius luminis est fons. Unde Avicenna dicit quod nulla actio est a corporibus superioribus in inferiora, nisi mediante luce, sicut ignis etiam agit mediante calore: unde lux et lumen differunt, sicut calor in subjecto per se calido, et in calefacto. Et quia caelum est primum alterans, inde sequitur quod omnis alteratio quae est in inferioribus, perficiatur per virtutem luminis, sive sit alteratio secundum esse naturale, sive secundum sensum: et ex hoc habet lux quod omnibus corporibus generationem conferat, ut dicit Dionysius: ex hoc etiam est quod coloribus esse spirituale confert, secundum quod esse recipiunt in medio et in organo; unde et ipsum lumen virtutem spiritualem habet; et inde est etiam quod, secundum Augustinum, lumen est medium in omni sensu, sed in visu primo et immediate: qualitates enim visibiles sunt priores ceteris, prout secundum esse formale sunt inventae in corporibus inferioribus, secundum quod conveniunt cum corpore caelesti, ut patet in 2 de anima et in 2 de generatione, sed aliorum sensuum mediantibus aliis qualitatibus.

Réponse. Ces quatre choses sont différentes : la source de la lumière, la lumière, le rayon et l’éclat. En effet, on parle de source de lumière pour ce qui existe dans un corps lumineux en acte, par lequel les autres choses sont illuminées, comme c’est le cas pour le soleil. Mais on parle de lumière pour ce qui est reçu par un corps diaphane illuminé. Le rayon est l’illumination en ligne directe par rapport à un corps lumineux ; ainsi, partout où se trouve un rayon, existe la lumière, mais non l’inverse, car il arrive que la lumière existe dans une maison par réflexion des rayons du soleil, bien que ce ne soit pas par une exposition directe, en raison d’un corps qui se trouve entre les deux. L’éclat vient de la réflexion d’un rayon sur un corps nettoyé et poli, comme sur l’eau, l’argent ou sur quelque chose de ce genre. Des rayons sont aussi lancés par cette réflexion. Une fois ceci vu, il faut savoir qu’il existe plusieurs opinions sur la nature de la lumière et de sa source. En effet, certains ont dit que la lumière est un corps qui est la substance même du soleil, dont s’échappent certains corps, et que ces corps sont appelés lumière ou rayon. Or, cette position a été repoussée de plusieurs manières par les philosophes. Premièrement, parce qu’il en découlerait que l’illumination serait un mouvement local de corps s’échappant du soleil. Et puisque le mouvement local ne peut se réaliser subitement, il en découlerait que l’illumination se réalise de manière successive, succession qui ne pourrait échapper au sens sur une très grande distance, à savoir, de l’orient à l’occident, et du soleil jusqu’à nous. Deuxièmement, parce qu’il en découlerait que deux corps se trouvent en même temps dans un même lieu, puisque tout l’espace qui est illuminé est rempli d’air, bien que certains d’entre eux n’y voient pas d’inconvénient puisqu’ils négligent complètement le sens. Mais d’autres disent que la lumière est reçue dans les pores de l’air. Mais cela est ridicule. En effet, il faudrait que, lorsque les ténèbres remplissent l’air, les pores demeurent vides, que l’air ne soit pas entièrement illuminé et beaucoup d’autres choses du genre. Troisièmement, parce que ces pores sont retranchés de la substance du soleil ; il faudrait ainsi qu’il soit chaque jour diminué et, à un certain moment, consumé, à moins de dire qu’il se nourrit des vapeurs qui montent de l’eau et de la terre, de sorte que ce qui est perdu soit rétabli, ce qui relève entièrement de la fable. Ou bien il faudrait que ces corps soient continuellement refaits, soit à partir d’une matière préexistante, et ainsi ils seraient faits grâce à la corruption d’autres choses ; et lorsque le ciel est illuminé, il en découlerait que certains corps y sont corrompus pour que d’autres soient engendrés, et beaucoup d’autres choses absurdes. Ou bien [il faudrait qu’ils soient refaits] par création d’une nouvelle matière et d’une nouvelle nature ; il ne pourra y avoir alors d’illumination que par un miracle de Dieu. Puisque les corps créés ne sont pas ramenés au néant, il en découlerait aussi que la quantité du monde augmenterait toujours par la création quotidienne de nouveaux corps, et beaucoup d’autres absurdités. De plus, Avicenne présente plusieurs arguments contre cela dans Sur les choses naturelles, VI. Il faut donc abandonner cette position comme étant absurde et étrangère. En effet, elle ne peut être soutenue qu’en inventant d’autres principes de la philosophie naturelle. Mais d’autres disent que la lumière qui est reçue par un corps diaphane est un accident, car elle survient après un acte d’être complet et elle se retire alors que les choses demeurent. Mais, dans un corps lumineux, la lumière est une substance ou le corps lumineux lui-même, selon certains, ou, selon d’autres, sa forme substantielle. Mais cela non plus tenu ne tient pas debout. En effet, l’illumination est une action sur quelque chose d’autre, car elle illumine un corps lumineux. Si donc la lumière est un accident dans cet air, il faut que la source de l’illumination dans le corps illuminé soit un accident ; le Commentateur démontre aussi que la chaleur n’est pas la forme substantielle du feu, parce qu’elle est un accident dans les corps réchauffés. De plus, aucune substance n’est sensible par elle-même, car ce qu’est une chose est l’objet de l’intellect. Il faut donc que la lumière qui est vue par elle-même ne soit pas une forme substantielle. Et si l’on dit que ce qui est vu n’est pas la lumière, mais un certain éclat, il faut dire que ce que nous appelons lumière est ce qui est vu par soi. Et si on appelle lumière la forme substantielle du soleil, ce ne sera que de manière équivoque, car l’accident et la substance ne sont pas équivoques dans quelque chose. Et ainsi, rien n’empêche d’appeler aussi lumière une pierre ou les ténèbres, car, selon le Philosophe, il n’est pas inapproprié que le même nom signifie pour nous un homme et, pour d’autres, ce qui n’est pas un homme. D’autres ont dit que la lumière n’ajoute rien à la couleur ; mais la manifestation même de la couleur est appelée source de lumière ou lumière. Et Avicenne rejette de plusieurs manières cette position, en prenant tous les modes selon lesquels elle peut être comprise. Le sens montre cependant clairement qu’elle est fausse dans le cas des luminaires de nuit, dont la couleur est cachée pendant la nuit, alors que la lumière est manifeste ; et lorsque la couleur est vue pendant le jour, la lumière n’est pas sentie. Mais il est vrai que la couleur est vue à cause de la lumière, car celle-ci rend la couleur visible en acte. D’autres disent que la lumière n’a pas un être solide et assuré par nature, mais qu’elle n’est qu’une intention. En effet, de même qu’on dit de l’espèce de la couleur, qui est portée par l’air vers la pupille, qu’elle ne possède pas dans l’air un être naturel, mais [un être] spirituel (aussi l’espèce du blanc et celle du noir sont-elles portées par la même partie de l’air), de même aussi l’intention du corps lumineux laissé dans l’air est-elle la lumière. Et cette opinion est très probable. Premièrement, parce que, la lumière donnant un être spirituel à la couleur, il semble, à bien plus forte raison, qu’elle possède un être spirituel. Mais cela ne semble pas tout à fait vrai, car par le fait qu’elle possède seulement un être intentionnel, il n’en découle de changement que selon une opération de l’âme, comme lorsqu’on voit et entend. Mais, par l’illumination, nous voyons de manière sensible se produire des changements par la chaleur qui vient des rayons du soleil. Il ne se peut donc pas qu’elle ait seulement un être intentionnel. C’est pourquoi d’autres, auxquels il me semble devoir donner mon accord, disent que la lumière est une forme accidentelle, possédant un être assuré et ferme par nature, et que, comme la chaleur, elle est une qualité active du soleil lui-même, et qu’elle se trouve en d’autres choses selon qu’elles ont davantage en commun avec le soleil, qui est la source de toute lumière. Aussi Avicenne dit-il qu’aucune action des corps supérieurs ne se produit sur des corps inférieurs que par l’intermédiaire de la lumière, comme le feu lui aussi agit par l’intermédiaire de la chaleur. La source de lumière et la clarté diffèrent donc comme la chaleur dans un sujet chaud par lui-même et dans ce qui est réchauffé. Et parce que le ciel est le premier agent d’altération, il en découle que toute altération qui se produit dans les réalités inférieures se réalise par la puissance de la lumière, qu’elle soit une altération selon l’être naturel, ou qu’elle en soit une selon le sens. C’est de là que vient à la lumière le pouvoir d’apporter la génération à tous les corps, comme le dit Denys ; de là vient aussi qu’elle donne un être spirituel aux couleurs, selon qu’elles reçoivent l’être dans un milieu et dans un organe ; de là vient encore que la lumière elle-même possède une puissance spirituelle ; de là vient enfin que, selon Augustin, la lumière est un moyen pour tous les sens, mais en premier et de manière immédiate pour la vue. En effet, les qualités visibles sont antérieures aux autres pour autant qu’elles se trouvent selon leur être formel dans les corps inférieurs, dans la mesure où ils rejoignent un corps céleste, comme cela ressort de Sur l’âme, II et de Sur la génération, II. Mais [la lumière est un moyen] pour les autres sens par l’intermédiaire d’autres qualités.

 

[4639] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut tenebra sumitur quandoque pro aere obscurato, ut supra dictum est, ita etiam lux pro corpore lucido sumitur: et sic potest intelligi, quod Augustinus lucem aliis corporibus connumerat per modum loquendi, quo etiam Commentator in 2 de anima, calorem naturalem corpus esse probat. Nihilominus Augustinus non intendit hoc asserere, quasi fidei conveniens, sed sicut utens his quae philosophiam addiscens audierat. Et ideo illae auctoritates parum cogunt.

1. De même que les ténèbres sont parfois comprises comme de l’air obscurci, comme on l’a dit plus haut, de même aussi la lumière est-elle prise pour un corps lumineux. On peut comprendre ainsi qu’Augustin compte la lumière avec les autres corps selon une manière de parler par laquelle le Commentateur, dans Sur l’âme, II, démontre lui aussi que la chaleur est un corps naturel. Toutefois, Augustin n’entend pas affirmer que cela est conforme à la foi, mais il utilise ce qu’il avait entendu, alors qu’il étudiait la philosophie. C’est pourquoi ces autorités n’ont pas beaucoup de force.

 

[4640] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non intelligitur conjunctio et separatio luminum nisi secundum intensionem et remissionem luminis, multiplicatis vel subtractis luminaribus, quorum radii confusi esse dicuntur propter luminarium distinctionem.

2. L’union et la séparation des luminaires ne s’entendent que selon l’intensité et la faiblesse de la lumière, alors que des luminaires sont ajoutés ou enlevés ; on dit que leur rayons sont mêlés en raison de la distinction des luminaires.

 

[4641] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa divisio ignis sic intelligenda est, ut per lucem intelligatur ignis secundum quod in propria materia est, ut sic conjunctive sumatur; per alia vero secundum quod est in materia aliena: per carbonem quidem secundum quod est in sicco terrestri, per flammam autem secundum quod est in humido aereo; et sic ipsemet se exponit in Lib. de animalibus; sed tamen auctoritates Aristotelis quae ab exemplis inductis sumuntur, nihil valent: quia ipsemet testatur in principio de Generat. quod in eis non quaerit subjectum, sed modum; unde inducit ea non ad asserendum, sed quia erant suo tempore apud quosdam probabilia.

3. Cette division du feu doit être comprise selon que, par la lumière, on entend le feu qui existe dans sa propre matière : on l’entend ainsi par mode de conjonction. Mais [on l’entend aussi selon qu’il existe] dans d’autres choses, selon que [le feu] se trouve dans une matière étrangère : dans le charbon, selon qu’il se trouve dans une [matière] terrestre sèche; dans la flamme, selon qu’il se trouve dans une [matière] aérienne humide. C’est ainsi que lui-même l’explique dans le livre Sur les animaux. Cependant, les autorités d’Aristote invoquées à partir d’exemples n’ont aucune valeur, car lui-même atteste, au début de Sur la génération, qu’il ne cherche pas en eux le sujet, mais le mode. Aussi ne les présente-t-il pas en les affirmant, mais parce que, de son temps, ils étaient probables pour certains.

 

[4642] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, secundum Avicennam, quod cum dicitur radius moveri vel descendere, non proprie dicitur, sed transumptive, ex eo scilicet quod alteratio illuminationis incipit ab eo quod supra nos est: per quem etiam modum possumus dicere calorem ascendere vel descendere.

4. Selon Avicenne, lorsqu’on dit qu’un rayon se meut ou descend, on ne parle pas au sens propre, mais au sens métaphorique, du fait que l’altération de l’illumination commence par ce qui est au-dessus de nous. Nous pouvons aussi dire ainsi que la chaleur monte ou descend.

 

[4643] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod radius non dicitur reverberari ad corpus solidum sicut repulsus secundum motum localem, sicut pila quaedam; sed inquantum obsistit sua densitate illuminationi; per quem etiam modum aliae qualitates reflectuntur.

5. On ne dit pas qu’un rayon est réfléchi par un corps solide comme s’il était repoussé par un mouvement local, à la manière d’un pilier, mais pour autant qu’il résiste à l’illumination par sa densité. Les autres qualités sont aussi réfléchies de cette manière.

 

[4644] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ex intersectione radiorum non sequitur calor sicut ex confricatione corporum; sed quia ex concurrentibus multis radiis ad unum punctum oportet multiplicari lumen, et ex hoc multiplicatur calor, inquantum lumen, ex hoc quod est qualitas primi alterantis, habet quod ad alterationem juvet, et praecipue secundum illam qualitatem quae est simpliciter et maxime activa, scilicet calor, ac per hoc virtuti primi alterantis maxime conformis.

6. La chaleur ne découle pas de l’intersection des rayons comme du frottement de corps, mais parce que, par la convergence de plusieurs rayons en un point, il est nécessaire que la lumière se multiplie. À partir de là, la chaleur se multiplie, pour autant que la lumière, qui est une qualité du premier agent d’altération, est capable d’aider à l’altération, surtout par cette qualité qui est simplement et au plus haut point active, la chaleur, et ainsi la plus conforme à la puissance du premier agent d’altération.

 

[4645] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod forma substantialis, educitur in actum per virtutem caeli; et ideo oportet quod lumen quod per caelum in inferiora agit, generationem rebus conferat, et ad formam substantialem moveat, inquantum agit in virtute ipsius caeli; sicut etiam calor ignis movet ad formam substantialem ignis, secundum quod agit in virtute formae substantialis a qua fluit.

7. La forme substantielle est amenée à l’acte par la puissance du ciel. C’est pourquoi il faut que la lumière, qui agit sur les [corps] inférieurs par l’intermédiaire du ciel, apporte la génération aux choses et meuve vers la forme substantielle, dans la mesure où elle agit par la puissance du ciel lui-même, De la même manière, la chaleur du feu meut à la forme substantielle du feu en agissant par la puissance de la forme substantielle dont elle provient.

 

[4646] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod lux, et etiam lumen, in genere qualitatis est, ut dicit Avicenna; et quia passionem in sensu infert, oportet quod sit in tertia specie; nec tamen oportet quod contrarium habeat, eo quod est qualitas illius corporis quod a contrariis natura removit, ut sit universaliter movens et alterans.

8. La source de la lumière et la lumière aussi font partie du genre de la qualité, comme le dit Avicenne. Et parce que la passion agit sur le sens, il est nécessaire qu’elle fasse partie de la troisième espèce. Il n’est cependant pas nécessaire qu’elle ait un contraire du fait qu’elle est une qualité du corps que la nature soustrait aux contraires, afin qu’il soit de manière universelle un moteur et un agent d’altération.

 

[4647] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod successio quae est in alteratione aliarum qualitatum, contingit ex hoc quod in patiente est qualitas contraria, quae resistit actioni alterantis, quam oportet successive expelli. Sed cum lux non habeat contrarium, sicut nec forma substantialis, diaphanum ad praesentiam illuminantis statim lumen recipit, sicut materia statim necessitata per alterationem praecedentem recipit formam substantialem. Et ideo sicut generatio est terminus alterationis, ita illuminatio motus localis, quo illuminans fit praesens illuminato, ut dicit Commentator in 6 Phys.

9. La succession qui existe dans l’altération des autres qualités survient du fait que, chez ce qui subit, existe une qualité contraire, qui résiste à l’action de l’agent d’altération, et qu’il faut enlever de manière successive. Mais la lumière n’ayant pas de contraire ni de forme substantielle, le diaphane reçoit aussitôt la lumière en présence de ce qui illumine, comme la matière, forcée par une altération précédente, reçoit aussitôt la forme substantielle. C’est pourquoi, la génération étant le terme de l’altération, l’illumination l’est pour un mouvement local par lequel ce qui illumine est rendu présent à ce qui est illuminé, ainsi que le dit le Commentateur dans Physique, VI.

 

[4648] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, lumen solis recipitur in diversis corporibus diversimode secundum diversam capacitatem eorum; et ideo aliqua sunt quae illuminantur in superficie tantum, ut corpora opaca; aliqua vero sunt quae illuminantur etiam in profundo, sicut diaphana, quae tamen lucem non retinent, quia imperfecte lumen recipiunt, unde oportet quod lumen in eis cesset absente illuminante; alia vero sunt quae perfectius lumen recipiunt, et lumen tenent, ut carbunculus et hujusmodi.

10. Comme le dit Denys, la lumière du soleil est reçue par les divers corps de diverses manières selon leur diverse capacité. C’est pourquoi certains sont illuminés superficiellement seulement, comme les corps opaques ; mais certains sont aussi illuminés en profondeur, comme les [corps] diaphanes, qui ne retiennent cependant pas la lumière, car ils reçoivent la lumière imparfaitement ; aussi faut-il que la lumière cesse en eux lorsque ce qui illumine est absent. Mais il existe d’autres choses qui reçoivent plus parfaitement la lumière et conservent la lumière, comme le charbon et les choses de ce genre.

 

 

 

 

Articulus 4 [4649] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 tit. Utrum productio lucis convenienter recitetur

Article 4 – La production de la lumière est-elle racontée de manière appropriée ?

 

[4650] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter lucis productio recitetur. Cum enim Deus lux sit, non decet eum ut a tenebris opera sua inchoet. Sed ante lucem tenebrae fuerunt. Ergo videtur quod lux debeat esse de primo creatis, non ad opus distinctionis, sed ad opus creationis pertinens.

1. Il semble que la production de la lumière soit racontée de manière inappropriée. En effet, puisque Dieu est lumière, il ne convient pas qu’il commence son œuvre par les ténèbres. Il semble donc que la lumière doive se trouver parmi les premières choses créées, non pas comme ce qui est en rapport avec l’œuvre de la différenciation, mais comme ce qui est en rapport avec l’œuvre de la création.

 

[4651] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, lux invenitur in pluribus corporibus, nec omnium corporum est lux una. Ergo videtur, quod inconvenienter unius tantum lucis productio describatur, in illo tantum loco existentis ubi nunc est sol, ut in littera dicitur.

2. On trouve la lumière dans plusieurs corps et il n’existe pas de lumière unique pour tous les corps. Il semble donc que la production d’une seule lumière soit décrite de manière inappropriée, seulement là où se trouve maintenant le soleil, comme le dit le texte.

 

[4652] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, dies et nox non fuerunt nisi secundum accessum et recessum luminarium. Sed hoc non potest esse nisi per motum circularem lux deferatur. Cum ergo firmamentum, quod circulariter movetur, secunda die sit factum, videtur quod inconvenienter in prima die secundum lucem tunc creatam dies et nox commemoretur.

3. Le jour et la nuit ne sont apparus que par l’arrivée et le retrait des luminaires. Or, cela ne peut exister que si la lumière soit apportée par un mouvement circulaire. Puisque le firmament, qui se meut de manière circulaire, a été créé le deuxième jour, il semble donc que le jour et la nuit, selon la lumière alors créée, soient rappelés de manière inappropriée le premier jour.

 

[4653] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, omne quod fit ex aliquo, fit ex incontingenti, idest contrario, ut ex 1 Phys. patet. Sed soli non est aliquid contrarium. Ergo non potest esse quod ex luce tunc creata sol factus fuerit.

4. Tout ce qui est fait à partir de quelque chose est fait à partir de ce qui n’est pas contingent, c’est-à-dire contraire, comme cela ressort de Physique, I. Or, il n’y a rien qui soit contraire au soleil. Il ne peut donc se faire que le soleil ait été créé à partir de la lumière alors créée.

 

[4654] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, ut in 2 Metheor., habetur, nubes ex vaporibus congregantur, qui ex terra et aquis resoluti superius ascendunt. Sed corpora superiora non communicant in materia cum inferioribus, ut supra dictum est. Ergo lux ex qua sol quasi ex materia postmodum factus dicitur, nubes esse non potuit.

5. Dans Sur les météores, II, on lit que les nuages se forment à partir de vapeurs, qui montent de la terre et des eaux en étant relâchées. Or, les corps supérieurs n’ont pas de matière en commun avec les [corps] inférieurs, comme on l’a dit plus haut. La lumière à partir de laquelle on dit que, par la suite, le soleil a été fait comme à partir d’une matière ne pouvait donc pas être les nuages.

 

[4655] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed in contrarium sunt quae in littera dicuntur.

Cependant, on lit en sens contraire ce qui se trouve dans le texte.

 

[4656] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, lux est qualitas activa corporis caelestis, sicut calor est qualitas activa ignis. Calor autem habet quamdam actionem communem, inquantum est calor: quia secundum quod in diversis rebus invenitur, determinatur sua actio ad determinatos effectus; sicut calor qui est in homine, operatur ad conversionem cibi in carnem humanam, et in planta ad substantiam plantae. Ita etiam et lux, quamvis habeat actionem consequentem naturam lucis inquantum hujusmodi, determinatur tamen sua actio, secundum quod in diversis recipitur ad diversos effectus; unde alium effectum habet radius Saturni quam Jovis. Secundum hoc ergo dico, quod ipsa lux secundum virtutem communem pertinet ad opus distinctionis, sicut et calor; sed ideo inter opera distinctionis primo ponitur, quia primi corporis qualitas activa est. Sed postea determinatio ad diversos effectus secundum diversas virtutes corporibus collatas pertinet ad opus ornatus. Et ideo dicit Dionysius, quod lumen solare est illud lumen quod Moyses in tribus diebus nostri temporis narrat; quamvis tunc informe esset, quia scilicet terminatio virtutis non aderat.

Réponse. Comme on l’a dit, la lumière est une qualité active d’un corps céleste, comme la chaleur est une qualité active du feu. Or, la chaleur exerce une certaine action générale en tant que chaleur, car, selon qu’on la trouve dans diverses choses, son action est déterminée à des effets déterminés ; ainsi la chaleur qui existe chez l’homme agit en vue de la conversion de la nourriture en chair humaine, et chez la plante, en la substance de la plante. Il en va de même pour la lumière, bien qu’elle ait une action qui découle de la nature de la lumière en tant que telle ; son action est cependant déterminée selon qu’elle est reçue dans diverses choses en vue d’effets différents. Aussi le rayon de Saturne a-t-il un autre effet que celui de Jupiter. Par conséquent, je dis donc que la lumière, comme la chaleur, relève de l’œuvre de la différenciation par sa puissance commune ; mais la raison pour laquelle elle vient en premier parmi les œuvres de la différenciation est qu’elle est une qualité active du premier corps. Mais ensuite, la détermination en vue d’effets différents, selon les diverses puissances données aux corps, relève de l’œuvre d’embellissement. C’est pourquoi Denys dit que la lumière solaire est la lumière dont parle Moïse lors des trois jours de notre temps [dans la récit de la création], bien qu’elle ait alors été sans forme, parce que la délimitation de sa puissance n’était pas présente.

 

[4657] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod opus distinctionis statim cum opere creationis incepit; et ideo statim lux creata est cum primo creatis: et sic patet quod non a tenebris opus Dei inchoavit. Et hoc quidem oportet dicere secundum expositionem Augustini; quamvis etiam Augustinus velit quod productio informis materiae intelligatur ante omnem diem, non tempore, sed natura. Alii vero dicunt, quod prius tempore fuit opus creationis, et postea per aliquod intervallum temporis formata est lux, et tunc dies primo incepit; unde dicunt creationis opus ante omnem diem fuisse. Et hoc quidem magis consonat litterae Genesis secundum suum sensum planum; statim enim posita creatione, tenebras super faciem abyssi commemorat, et postmodum de lucis productione dicit. Nec tamen est inconveniens tenebras praecedentes non in genere privationis ponere: quia privatio esse non potuit antequam natura habitus oppositi, scilicet lucis, corporibus indita esset: sicut nec catulus ante nonum diem caecus vel privatus visu dicitur: unde per tenebras praecedentes lucem imperfectio corporalis naturae ostenditur, quam quidem ex Deo non habet, a quo habet omnino id quod perfectionis est. Decens est autem ut ab imperfectione ad perfectum divina opera adducerentur, et sic ab ipso omnis perfectio esse ostenderetur. Unde dicit Augustinus, quod si aliquid imperfectum Deus fecisse dicatur, quod postmodum ipse perficeret, nihil reprehensionis habet ista sententia.

1. À ce sujet, il existe deux opinions. En effet, certains disent que l’œuvre de la différenciation a commencé dès l’œuvre de la création ; c’est pourquoi la lumière a été créée parmi les premières choses créées, et il est ainsi clair que l’œuvre de Dieu n’a pas commencé par les ténèbres. Il faut dire cela selon l’explication d’Augustin, bien qu’Augustin veuille aussi que la production de la matière informe ait eu lieu avant tous les jours, non pas dans le temps, mais par nature. Mais d’autres disent que l’œuvre de la création a existé en premier dans le temps et que, par la suite, après un intervalle de temps, la lumière a été formée. C’est alors que le premier jour a commencé. Ils disent donc que l’œuvre de la création a eu lieu avant toute journée. Et cela s’harmonise davantage avec la lettre de la Genèse en son sens manifeste. En effet, après avoir rappelé la création, elle rappelle aussitôt les ténèbres sur la surface de l’abîme, et elle parle ensuite de la production de la lumière. Toutefois, il n’est pas inapproprié de ne pas placer les ténèbres qui précèdent dans le genre de la privation, car il ne pouvait y avoir de privation avant que la nature de l’état opposé, à savoir, la lumière, ait été mise dans les corps, comme on dit qu’un petit chien est aveugle ou privé de la vision avant le neuvième jour. Aussi, par les ténèbres qui précèdent la lumière, l’imperfection de la nature corporelle est-elle montrée ; elle ne la tient cependant pas de Dieu, dont elle tient tout ce qu’il y a de perfection. Or, il convient que les œuvres de Dieu soient amenées de l’imperfection à la perfection, et qu’il soit ainsi montré que toute perfection vient de lui. C’est ainsi qu’Augustin dit que si l’on dit que Dieu a fait quelque chose d’imparfait, que lui-même perfectionnerait par la suite, cette position ne comporte rien de répréhensible.

 

[4658] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in lucis productione intelligitur proprietas luciditatis et diaphaneitatis, quae ad lucis genus reducitur, omnibus corporibus lucidis et diaphanis collata fuisse; sed tamen, secundum Dionysium, sol est principium et fons luminis, illuminans superiora et inferiora corpora; et ideo per lucem illam ipse intelligit lumen solis tunc informe; et Magister etiam dicit in littera, quod ex ea formatum est corpus solis.

2. Par la production de la lumière, on entend que la propriété de la luminosité et du caractère diaphane, qui se ramène au genre de la lumière, a été donnée à tous les corps lumineux et diaphanes. Cependant, selon Denys, le soleil est le principe et la source de la lumière, qui illumine les corps supérieurs et inférieurs. C’est pourquoi il entend par cette lumière la lumière du soleil alors informe. Et le Maître dit aussi, dans le texte, que le corps du soleil a été formé à partir d’elle.

 

[4659] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Damascenus enim dicit, quod in illo die fiebat dies et nox per contractionem luminis et emissionem; sicut etiam suos radios sol retraxit in terra Aegypti, cum alibi lux esset, ut dicitur Exod. 10: et similiter in passione domini, quando tenebrae factae sunt super terram, ut habetur Matth. 27. Sed hoc non potest esse: quia illuminare est actio a corpore lucente proveniens secundum necessitatem naturae; et ideo oportet quod semper illuminet corpora sibi directe opposita; nisi forte poneretur habere aliqua coopercula, sicut sunt palpebrae oculorum, quibus se tegeret: quod est ridiculum dicere: aut nisi ponatur hoc virtute divina fieri, et quasi miraculose; et hoc non convenit ponere in prima institutione naturae, ut Augustinus dicit. Et praeterea exemplum de passione Christi non est conveniens: quia obscuritas illa non fuit facta per contractionem radiorum solis, sed per interpositionem corporis lunaris, ut Dionysius in epistola 7 ad Polycarpum dicit, sicut etiam fit in eclypsi solis, quamvis tunc tempus non esset eclypsis; unde miraculosa fuit. Et ideo alii dicunt, ut in littera dicitur, quod dies et nox fiebant per motum circularem illius lucis, quo accedebat et recedebat. Nec est inconveniens substantias sphaerarum, quae lucem revolverent, a principio creationis fuisse, quibus postmodum aliquae virtutes collatae sunt in operibus distinctionis et ornatus. Aut si substantiae sphaerarum non erant suis figuris determinatae, ipsum corpus lucidum naturaliter circulariter movebatur, cum esset de natura quintae essentiae; et ita suo motu circulum describebat, sicut lapis suo motu lineam rectam facit rectius etiam quam ars.

3. À ce sujet, il y a deux opinions. En effet, [Jean] Damascène dit qu’en ce jour, le jour et la nuit furent créés par le retrait et par l’émission de la lumière. Ainsi, le soleil a retiré ses rayons sur la terre d’Égypte, alors qu’il y avait de la lumière ailleurs, comme on le dit dans Ex 10 ; de même, lors de la passion du Seigneur, lorsque les ténèbres couvrirent la terre, comme on le lit dans Mt 27. Mais cela ne peut être le cas, car illuminer est une action provenant d’un corps lumineux se produisant par nécessité de nanture. Il faut donc qu’il illumine toujours les corps qui lui sont opposés, à moins que, par hasard, il ait un masque, comme le sont les paupières des yeux, dont il se couvrirait, ce qu’il est ridicule de dire, ou bien à moins qu’on affirme que cela est fait par la puissance divine et pour ainsi dire miraculeusement, et il ne convient pas de mettre cela dans le premier établissement de la nature, comme le dit Augustin. De plus, l’exemple tiré de la passion du Christ n’est pas approprié, car cette obscurité ne se produisit pas par le retrait des rayons du soleil, mais par l’interposition du corps lunaire, comme le dit Denys dans sa septième lettre à Polycarpe, et comme cela se produit lors d’une éclipse du soleil, bien qu’il n’y ait pas eu alors d’éclipse. [Cette obscurité] était donc miraculeuse. C’est pourquoi d’autres disent, comme le dit le texte, que le jour et la nuit étaient l’effet du mouvement circulaire de cette lumière par lequel elle arrivait et se retirait. Et il n’est pas inapproprié que les substances des sphères, qui déplaceraient la lumière, aient existé dès le commencement de la création et que, par la suite, certaines puissances leur aient été données par les œuvres de la différencitation et de l’embellissement. Ou bien, si les substances des sphères n’étaient pas déterminées dans leurs figures, le corps lumineux lui-même se mouvait naturellement de manière circulaire, puisqu’il faisait partie de la quinte essence ; et ainsi, il décrivait un cercle par son mouvement, comme la pierre, par son mouvement, réalise une ligne droite mieux que l’art lui-même.

 

[4660] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod substantia corporis solaris a principio creationis in sua forma substantiali fuit: unde ipsum corpus lucidum substantia solis fuit. Sed dicitur ex eo sol quarta die factus per additionem novae virtutis, sicut dicitur ex homine non musico fieri homo musicus.

4. La substance du corps solaire a existé dès le commencement de la création dans sa forme substantielle ; aussi la substance du soleil était-elle elle-même un corps lumineux. Mais il est dit que le soleil a été créé le quatrième jour à partir de [ce corps] par l’addition d’une nouvelle puissance, comme on dit qu’un homme qui n’est pas musicien devient un musicien.

 

[4661] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non fuit nubes secundum veritatem substantiae, sed secundum similitudinem proprietatis: quia sicut nubes lucida recipit lumen a sole in minori claritate quam sit in ipso fonte; ita etiam substantia solis habuit primo lumen imperfectum, quod postmodum quarta die consummatum est.

5. Ce n’était pas des nuages selon leur véritable substance, mais selon la ressemblance avec leur propriété, car, de même qu’un nuage lumineux reçoit la lumière du soleil avec moins d’éclat qu’il n’en existe dans la source elle-même, de même aussi la substance du soleil eut-elle d’abord une lumière imparfaite, qui, par la suite, fut achevée le quatrième jour.

 

 

 

 

Articulus 5 [4662] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 tit. Utrum pater faciat omnia per filium

Article 5 – Le Père accomplit-il tout par le Fils ?

 

[4663] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod pater non faciat omnia per filium. Illud enim per quod fit aliquid, immediatius se habet ad effectum quam faciens per ipsum. Sed filius non est immediatus principium rerum quam pater, cum ambo aeque immediate operentur. Ergo pater per filium non operatur.

1. Il semble que le Père n’accomplisse pas tout par le Fils. En effet, ce par quoi quelque chose est fait a un rapport plus immédiat avec l’effet que celui qui le réalise par lui-même. Or, le Fils n’est pas un principe plus immédiat des choses que le Père, puisque les deux agissent de manière également immédiate. Le Père n’agit donc pas par le Fils.

 

[4664] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, per denotat habitudinem causae. Sed filius respectu nullius quod est in patre, causa vel principium dici potest. Ergo filius non est per quem pater operatur.

2. « Par » dénote une rapport de cause. Or, le Fils ne peut être appelé « cause » ou « principe » pour rien de ce qui existe dans le Père. Le Fils n’est donc pas celui par qui le Père agit.

 

[4665] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, secundum Damascenum, excogitatio Dei est opus ejus. Sed non potest dici, quod pater sit sapiens per filium, vel intelligens. Ergo videtur quod nec per filium operetur, cum idem sit Deo esse quod operari.

3. Selon [Jean] Damascène, « la pensée de Dieu est son action ». Or, on ne peut dire que le Père est sage ou intelligent par le Fils. Il semble donc qu’il n’agisse pas non plus par le Fils, puisque l’être et l’action sont la même chose en Dieu.

 

[4666] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, per notat causam mediam: filius autem est causa prima. Ergo videtur quod non convenienter dicatur pater per filium operari.

4. « Per » indique une cause intermédiaire. Or, le Fils est cause première. Il semble donc qu’il soit inapproprié de dire que le Père agit par le Fils.

 

[4667] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur ad Hebr. 1, 2: quem constituit heredem universorum; per quem fecit et saecula.

Cependant, [1] He 1, 2 dit le contraire : … qu’il a établi comme héritier de toutes choses, par lequel il a aussi fait les siècles.

 

[4668] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, quilibet artifex per suam artem operatur. Sed secundum Augustinum, filius est ars patris plena rationum viventium. Ergo pater per filium operatur.

[2] Tout artisan agit par son art. Or, selon Augustin, « le Fils est l’art du Père rempli de raisons vivantes ». Le Père agit donc par le Fils.

 

[4669] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod operari per aliquem dicitur dupliciter. Uno modo operari per virtutem alicujus, sicut dicitur balivus operari per regem, scilicet per potestatem regis sibi commissam, quae immediatior est operi quam virtus ejus: et hoc modo nec pater per filium, nec filius per patrem dicitur operari: quia una et indivisibili virtute ambo operantur. Alio modo dicitur aliquis operari per aliquem sicut per operantem: et hoc modo rex per praefectum operari dicitur. Et hujus distinctionis ratio est, quia cum operatio sit medium inter operantem et operatum, causalitas importata per praepositionem per potest referri ad operationem secundum quod exit ab operante, et sic dicitur aliquis operari per illum qui est causa quod iste operetur, et est ille cujus virtute operatur; vel potest referri ad operationem secundum quod terminatur ad operatum; et sic dicitur aliquis operari per illud quod est ab operante ordinatum ad operatum ut causa. Unde designatur auctoritas in operante respectu ejus per quem operatur, in quo est causalitas respectu operati. Sed hoc contingit dupliciter. Uno modo quando illud quod ordinatur ab operante ut causa operati est causa ejus secundum virtutem aliam a virtute operantis, quam tamen ab ipso recipit: et hoc oportet esse instrumentum operantis, inquantum est motum ab operante, vel per imperium, sicut servus, vel motu corporali, sicut res inanimatae, ut securis. Unde philosophus dicit, quod servus est sicut organum animatum, et organa sunt sicut servi inanimati. Et hoc modo pater per filium non operatur, sicut haeretici intelligebant. Alio modo quando eadem virtute operatur, quam tamen ab operante recipit; et sic dicimus patrem per filium operari, quia est causa ipsorum operatorum una et indivisibili virtute cum patre, quam tamen a patre nascendo recepit.

Réponse. Agir par quelqu’un se dit de deux manières. D’une manière, agir par la puissance de quelqu’un, comme on dit que le bailli agit par le roi, c’est-à-dire par le pouvoir du roi qui lui a été confié, [pouvoir] qui est plus proche de l’œuvre que le pouvoir [du roi]. De cette manière, on ne dit pas que le Père agit par le Fils, ni que le Fils agit par le Père, car les deux agissent par une puissance unique et indivisible. D’une autre manière, on dit que quelqu’un agit par un autre en tant que celui-ci agit ; de cette manière, on dit que le roi agit par son préfet. La raison de cette distinction réside dans le fait que, l’opération étant intermédiaire entre celui qui agit et ce qui est accompli, la causalité impliquée par la préposition « par » peut être mise en rapport avec l’opération en tant qu’elle est issue de celui qui agit, et ainsi on dit de quelqu’un qu’il agit par celui qui est cause de lui, et il est celui par la puissance de qui il agit ; ou bien elle peut être mise en rapport avec l’opération en tant que celle-ci a comme terme ce qui est accompli, et ainsi on dit de quelqu’un qu’il agit par ce qui est ordonné par celui qui agit comme cause de ce qui est accompli. On indique ainsi le fait d’être premier (auctoritas[4]) pour celui qui agit, par rapport à celui par qui il agit, chez qui se trouve la causalité par rapport à ce qui est accompli. Or, cela se produit de deux manières. Premièrement, lorsque ce qui est ordonné par celui qui agit comme cause de ce qui est accompli en est la cause selon une puissance autre que la puissance de celui agit, qu’il reçoit cependant de lui : il faut que cela soit alors l’instrument de celui qui agit, pour autant que cela est mû par celui qui agit, soit par un commandement, comme c’est le cas du serviteur, soit par un mouvement corporel, comme c’est le cas d’une chose inanimée, telle une scie. Aussi le Philosophe dit-il que le serviteur est comme un instrument animé, et que les instruments sont comme des serviteurs inanimés. Le Père n’agit pas par le Fils de cette manière, comme le comprenaient les hérétiques. Deuxièmement, lorsqu’il agit par une même puissance, qu’il reçoit cependant de celui qui agit : nous disons ainsi que le Père agit par le Fils parce que celui-ci est la cause de ce qui est accompli en raison d’une puissance qui est une et indivisible avec le Père, qu’il reçoit cependant du Père en naissant.

 

[4670] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Deus operetur effectus naturae per causas naturales, ipse tamen immediate in omnibus effectibus naturae operatur; unde multo fortius immediate operatur in his quae per filium facit, cujus est eadem numero virtus quae est et patris.

1. Bien que Dieu accomplisse les effets de la nature par des causes naturelles, il agit cependant lui-même de manière immédiate dans tous les effets de la nature. À bien plus forte raison agit-il aussi de manière immédiate par le Fils dans ce qu’il fait par le Fils, dont la puissance est la même numériquement que celle du Père.

 

[4671] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod causalitas praepositionis non refertur ad operantem sed ad operatum, ut dictum est.

2. La causalité de la préposition ne se rapporte pas à celui qui agit mais à ce qui est accompli, comme on l’a dit.

 

[4672] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur, pater intelligit, non connotatur aliquid respectu cujus filius possit esse principium; et ideo non potest dici, quod pater per filium intelligat vel sciat, sicut dicitur in illis quae effectum in creatura important.

3. Lorsqu’on dit : « Le Père intellige », on ne connote rien dont le Fils puisse être le principe. On ne peut donc pas dire que le Père intellige ou connaît par le Fils, comme on le dit pour ce qui comporte un effet dans la créature.

 

[4673] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod primum dicitur quo non est aliquid prius. Illa autem auctoritas patris respectu filii, inquantum filius a patre habet et esse et operari, ratione cujus pater per filium operatur, non facit patrem filio majorem vel priorem esse. Unde non sequitur quod filius non sit prima causa ex hoc quod pater per filium operatur.

4. On parle de premier pour ce qui n’est précédé par rien d’autre. Or, cette autorité (autorité) du Père par rapport au Fils, pour autant que le Fils tient du Père l’être et l’agir, en raison de quoi le Père agit par le Fils, ne rend pas le Père plus grand ou antérieur au Fils. Il ne découle donc pas du fait que le Père agit par le Fils, que le Fils ne soit pas cause première.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 13

 

[4674] Super Sent., lib. 2 d. 13 q. 1 a. 5 expos. Hic notandum est, quod dies diversis modis accipitur in Scriptura. Hic ponit acceptiones diei. Una est secundum quod dicimus diem naturalem qui habet viginti quatuor horas; et sic sumitur quod habetur Gen. 1, 5: factum est vespere et mane dies unus. Alio modo secundum quod dicitur artificialis, scilicet tempus quo sol nostrum hemisphaerium illuminat; et hoc modo sumitur cum dicitur, ibid., quod tenebras appellavit noctem, et lucem diem. Qui non ab aurora, sed a plena luce inchoavit. Videtur hoc esse falsum; quia a plena luce, quae est in meridie, usque in mane alterius diei non sunt viginti quatuor horae; et ita primus dies non habuisset tot horas, sicut in littera dicitur. Ad quod dicendum, quod in primo die dicitur dies non habuisse auroram, non quod lux illa quae suo motu diem faciebat, in oriente creata non fuerit, sed quia primae illi illuminationi tenebrae commixtae non erant, sicut modo est; eo quod aurora nunc est finis noctis et principium diei, quod tunc non contingit. Potest et aliter illud accipi. Haec expositio differt a praedicta in hoc quod praedicta sumebatur secundum operationem quam filius a patre habet; haec vero sumitur ex parte operantis, secundum quod filius qui est operans, a patre est. Si enim causa ejus pater est, secundum quod pater est; multo amplius eorum causa est quae per filium facta sunt. Hic communiter et improprie Chrysostomus loquitur. Non enim proprie in divinis personis causa recipitur; sed nomine principii utimur ad signandum originem personarum; et de hoc in primo libro dictum est.

 

 

 

 

 

Distinctio 14

Distinction 14 – [L’œuvre du deuxième et du troisième jour]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

 

[4675] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 pr. Determinato primo opere distinctionis, quo lux formata est, hic determinat de opere secundae distinctionis, quod secundae diei competit, in qua firmamentum esse factum describitur. Dividitur autem haec pars in partes duas: in prima ostendit distinctionem secundo die factam; in secunda movet quasdam quaestiones, ibi: quaeri etiam solet, cujus figurae sit caelum. Circa primum duo facit: primo determinat opus primae distinctionis secundum positionem quorumdam dicentium, firmamentum ex aquis factum esse; secundo secundum expositionem eorum qui dicunt, firmamentum esse de natura ignis, ibi: quidam vero caelum quod excedit aeris spatia, igneae naturae dicunt. Quaeri etiam solet, cujus figurae sit caelum. Hic movet tres quaestiones: primam de figura caeli; secundam de motu ejus, ibi: quaeritur etiam si stet, an moveatur caelum; tertiam, quare praetermittitur hujus diei benedictio, ibi: post haec quaeri solet, quare hic non est dictum sicut in aliorum dierum operibus. Sequitur: dixit Deus: congregentur aquae in locum unum. Hic ponitur opus tertiae distinctionis ad quod tertia dies deputatur; et circa hoc duo facit: primo describit opus tertiae diei; secundo movet quasdam quaestiones circa hoc, ibi: si autem quaeratur, ubi congregatae sunt aquae (...) potuit fieri ut terra subsidens concavas partes praeberet, ut fluctuantes aquas reciperet. Ubi primo quaeritur de congregatione aquarum; secundo de unitate et pluralitate earum, ibi: cumque multa constet esse maria et flumina, in unum tamen locum dicit aquas congregatas propter continuationem. Hic quaeruntur quinque: 1 utrum supra firmamentum sint aliquae aquae; 2 cujus naturae sit firmamentum; 3 a quo moveatur; 4 de numero caelorum; 5 de opere diei tertiae.

Après avoir déterminé de l’œuvre de différenciation par laquelle la lumière a été formée, il détermine ici de l’œuvre de la deuxième différenciation, qui appartient au deuxième jour, dans laquelle la création du firmament est décrite. Cette partie se divise en deux parties : dans la première, il montre la différenciation réalisée le deuxième jour ; dans la seconde, il soulève certaines questions, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander quelle est la figure du ciel. » À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il détermine de l’œuvre de la première (corr. deuxième ?) différenciation selon la position de certains qui disent que le firmament a été fait à partir de l’eau ; deuxièmement, selon l’explication de ceux qui disent que le firmament a la nature du feu, à cet endroit : « Mais certains disent que le ciel, qui dépasse l’espace de l’air, a la nature du feu. » « On a aussi coutume de se demander quelle est la figure du ciel. » Ici, il soulève trois questions. La première, à propos de la figure du ciel ; la deuxième, à propos de son mouvement, à cet endroit : « On se demande aussi si le ciel est immobile ou s’il se meut »; troisièmement, pourquoi la bénédiction de ce jour est omise, à cet endroit : « Après cela, on a coutume de se demander pourquoi on ne parle pas ici de la même manière que pour les œuvres des autres jours. » Vient ensuite : Dieu dit : « Que les eaux soient rassemblées dans un seul lieu ! » Ici est présentée l’œuvre de la troisième différenciation, à laquelle le troisième jour est consacré. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il décrit l’œuvre du troisième jour ; deuxièmement, il soulève certaines questions à ce sujet, à cet endroit : « Mais si on se demande où les eaux ont été rassemblées…, il a pu arriver que la terre sous-jacente présentait des parties concaves où elle pourrait recevoir les eaux agitées. » On s’interroge en premier lieu sur le rassemblement des eaux ; deuxièmement, sur leur unité et leur pluralité, à cet endroit : « Puisqu’il est clair qu’il existe plusieurs mers et fleuves, il dit néanmoins que les eaux ont été rassemblées en un lieu en raison de leur [écoulement] sans interruption. » Cinq questions sont posées ici : 1. Y a-t-il des eaux au-dessus du firmament ? 2. Quelle est la nature du firmament ? 3. Par quoi est-il mû ? 4. À propos du nombre des cieux. 5. À propos de l’œuvre du troisième jour.

 

 

 

 

Articulus 1 [4676] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 tit. Utrum aquae sint super caelos

Article 1 – Y a-t-il des eaux au-dessus des cieux ?

 

[4677] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod aquae super caelos sint. Quia, ut dicit Augustinus, major est sacrae Scripturae auctoritas quam omnis humani ingenii perspicacitas. Sed Scriptura in pluribus locis aquas super caelos esse commemorat. Ergo videtur quod nulla ratione negandum sit.

1. Il semble qu’il existe des eaux au-dessus des cieux, car, ainsi que le dit Augustin, l’autorité de l’Écriture est plus grande que la perspicacité de tout génie humain. Or, l’Écriture rappelle en plusieurs endroits qu’il y a des eaux au-dessus des cieux. Il semble donc qu’on ne doive le nier pour aucune raison.

 

[4678] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, homo dicitur minor mundus, quia in eo est similitudo totius universi. Sed in corpore humano cerebrum, in quo est frigiditas, secundum philosophum, est positum supra cor, quod est fons totius caliditatis. Ergo videtur quod in universo aqua sit supra ignem collocata, et supra solem.

2. L’homme est appelé un microcosme (minor mundus) parce qu’il y a en lui une ressemblance de tout l’univers. Or, dans le corps humain, le cerveau, où se trouve le froid, selon le Philosophe, est placé au-dessus du cœur, qui est la source de toute chaleur. Il semble donc que, dans l’univers, l’eau soit placée au-dessus du feu et au-dessus du soleil.

 

[4679] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum, corpora caelestia per velocitatem sui motus, in inferioribus calorem generant. Sed Saturnus inter alios planetas velocissime movetur motu diurno, quia in partibus sphaerae quanto pars plus distat a centro, tanto velocius movetur. Ergo oportebit secundum hoc quod Saturnus sit calidissimi effectus, cujus contrarium ab astrologis dicitur. Oportet ergo ibi esse aquas, per quarum propinquitatem calor Saturni minuatur.

3. Selon le Philosophe, les corps célestes engendrent, par la vélocité de leur mouvemenet, une chaleur dans les corps inférieurs. Or, Saturne se meut le plus rapidement d’un mouvement diurne parmi les autres planètes, car, dans les parties de la sphère, plus une partie est éloignée du centre, plus elle est mue rapidement. Ainsi, il faudra donc que Saturne produise l’effet le plus chaud, alors que les astrologues disent le contraire. Il faut donc qu’il y ait là des eaux dont la proximité diminue la chaleur de Saturne.

 

[4680] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne continuum divisibile est in infinitum. Sed aqua aliquo modo divisa per rarefactionem ad aliquod spatium aeris ascendit, ut quando vapores elevantur. Ergo tantum poterit dividi quod supra caelum ascendet; et ita videtur aquas super caelum esse.

4. Tout continu divisible va à l’infini. Or, l’eau en quelque sorte divisée par raréfaction monte vers l’espace aérien, comme lorsque des vapeurs s’élèvent. Elle pourra donc être divisée autant qu’elle montera au-dessus du ciel. Et ainsi, il semble qu’il y ait des eaux au-dessus du ciel.

 

[4681] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, corpori ejusdem speciei debetur unus locus naturalis secundum numerum; unde in 3 Physic. dicitur, quod ad eumdem locum movetur pars terrae et tota terra. Sed omnis aqua omni aquae est eadem secundum speciem ut philosophus dicit. Cum ergo naturalis locus hujus aquae sit sub aere et super terram, quod motus ejus ostendit; videtur quod supra caelum locus naturalis aquae esse non possit.

Cependant, [1] un seul lieu naturel en nombre revient à un corps d’une même espèce ; aussi est-il dit, Physique, III, qu’une partie de la terre et la terre entière sont mues vers le même lieu. Or, toute eau est identique à toute autre eau par son espèce, comme le dit le Philosophe. Puisque le lieu naturel de cette eau est sous l’air et au-dessus de la terre, ce que montre son mouvement, il semble donc que le lieu naturel de l’eau ne puisse se trouver au-dessus du ciel.

 

[4682] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum, corpus continens se habet ad corpus contentum sicut totum ad partem, et sicut forma ad materiam; quia continens invenitur habere plus de specie quam contentum; unde in 2 de Gener. dicitur, quod species in terminis est. Sed aqua habet minus de specie quam aer et ignis, quod ejus grossities ostendit. Ergo videtur quod nullo modo aqua naturaliter possit esse super ignem et aerem.

[2] Selon le Philosophe, le corps qui contient a avec le corps contenu le même rapport que le tout avec la partie et que la matière avec la forme, car on trouve que le contenant possède davantage l’espèce que le contenu. Aussi est-il dit, dans Sur la génération, II, que l’espèce se situe à l’intérieur de limites. Or, l’eau possède moins de [son] espèce que l’air et le feu, ce que montre son caractère indéterminé. Il semble donc que l’eau ne puisse d’aucune manière se trouver au-dessus du feu et de l’air.

 

[4683] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc varia dicta sunt. Ambrosius enim in Lib. de spiritu sancto, videtur dicere, quod per aquas quae supra caelos sunt, spiritus sanctus intelligitur. Sed hoc magis ad analogicam expositionem pertinet quam ad litteralem, sive ad spiritum sanctum, sive ad Angelos referatur. Alii vero dicunt, aquas de natura hujus elementi quod apud nos est, super caelos virtute divina contineri. Sed hoc removet Augustinus ubi supra, quia in operibus sex dierum, quibus natura instituta est, non quaeritur quid Deus facere possit sua virtute, sed quid rerum natura patiatur. Augustinus etiam inquirendo tangit alium modum, ut scilicet firmamentum dicatur aer iste, super quem aquae per vapores ascendunt. Sed hoc non videtur sacrae Scripturae convenire, quae in firmamento caeli stellas positas dicit; nisi forte firmamentum aequivoce sumatur, sicut Rabbi Moyses dicit, qui etiam hanc expositionem innuit. Sed tamen melius possumus dicere, quod intelligatur de firmamento quod est caelum sidereum, supra quod sunt aquae, non quidem de natura hujus aquae quae apud nos est, sed de natura quintae essentiae, habentes similitudinem cum hac aqua, ratione cujus nomen aquae Scriptura eis attribuit, occulta per sensibilia nota manifestans. Haec autem similitudo non potest attendi nisi secundum lucidum et diaphanum, in quibus inferiora corpora conveniunt cum caelestibus, ut in 2 de anima dicitur. Et ideo sicut caelum Empyreum dicitur quod est simile igni in hoc quod est lucidum totum; ita etiam caelum chrystallinum vel aqueum dicitur, inquantum convenit cum aqua in hoc quod est diaphanum, sive quod sit aliqua pars ejus lucens (sicut est in caelo sidereo, cujus quaedam partes lucent, scilicet stellae) et aliqua pars diaphana. Huic etiam videtur consonare quod supra dixerat Magister, quod per aquas intelligitur prima materia, de cujus subtiliori parte factae sunt aquae quae super caelos sunt; ut sic non cogamur ponere aquas elementum supra caelos esse. Hoc autem caelum aqueum est nona sphaera, ad quam primo reducunt astrologi motum orbis signorum communem omnibus stellis, qui est de occidente in orientem; et iterum sphaeram decimam, ad quam reducunt motum diurnum, qui est de oriente in occidentem.

Réponse. À ce sujet, on a dit diverses choses. En effet, Ambroise, dans le livre Sur le Saint-Esprit, semble dire que, par les eaux qui se trouvent au-dessus des cieux, on entend l’Esprit Saint. Or, cela relève plutôt d’une interprétation analogique que de l’interprétation littérale, qu’on le mette en rapport avec l’Esprit Saint ou avec les anges. Mais d’autres disent que des eaux possédant la nature de l’élément qui existe chez nous sont contenues au-dessus des cieux par la puissance divine. Mais Augustin écarte cela à l’endroit cité plus haut, car, dans l’œuvre des six jours, au cours desquels la nature a été établie, on ne cherche pas ce que Dieu peut faire par sa puissance, mais ce que la nature des choses supporte. Augustin aborde aussi une autre manière par mode de recherche, à savoir que soit appelé firmament l’air au-dessus duquel les eaux montent sous forme de vapeurs. Mais cela ne semble pas convenir à la Sainte Écriture, qui dit des étoiles du ciel qu’elles ont été placées dans le firmament, à moins qu’on ne prenne le firmament de manière équivoque, comme le dit le rabbin Moïse, qui suggère aussi cette interprétation. Toutefois, nous pouvons mieux dire : on entend par firmament le ciel sidéral, au-dessus duquel se trouvent les eaux, non pas de même nature que l’eau qui existe chez nous, mais de la nature de la quinte essence ; elles ont une ressemblance avec cette eau, raison pour laquelle l’Écriture leur attribue le nom d’eaux, en montrant ce qui est caché par des réalités sensibles connues. Or, on ne peut observer cette ressemblance que selon le lumineux et le diaphane, que les corps inférieurs ont en commun avec les corps célestes, ainsi qu’on le dit dans Sur l’âme, II. C’est pourquoi, de même qu’on dit que le ciel empyrée ressemble au feu seulement parce qu’il est lumineux, de même le dit-on aussi du ciel cristallin ou aqueux, dans la mesure où il a en commun avec l’eau un caractère diaphane ou qu’une de ses parties brille (comme c’est le cas pour le ciel sidéral, dont certains parties brillent, telles les étoiles) et une autre partie est diaphane. Cela semble aussi s’accorder avec ce que le Maître avait dit plus haut que, par « eaux », on entend la matière première, dont les eaux qui sont au-dessus des cieux ont été faites à partir de sa partie plus subtile, de sorte que nous ne soyons pas forcés d’affirmer que les eaux existent en tant qu’élément au-dessus des cieux. Or, ce ciel aqueux est la neuvième sphère, à laquelle les astrologues ramènent en premier le mouvement de l’orbite des signes commun à toutes les étoiles, qui va de l’occident vers l’orient ; et aussi la dixième sphère, à laquelle ils ramènent le mouvement diurne, qui va de l’orient vers l’occident.

 

[4684] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hoc nihil auctoritati Scripturae derogatur, si diversimode exponatur, dummodo hoc firmiter teneatur quod sacra Scriptura nihil falsum contineat. Constat tamen in Scriptura sacra multa metaphorice tradita, quae secundum planam superficiem litterae intelligi non valent.

1. On ne déroge ainsi en rien à l’autorité de l’Écriture en l’interprétant de manière différente, pourvu qu’on tienne fermement que la Sainte Écriture ne contient rien de faux. Cependant, il est clair que beaucoup de choses sont transmises dans l’Écriture de manière métaphorique ; elles ne peuvent être comprises si l’on reste à la surface du texte.

 

[4685] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non oportet esse eumdem situm partium in universo, qui est in homine; quia in universo ordinantur corpora super nos, secundum quod minus sunt immaterialia; sed in homine, secundum quod expedit ad conservationem vitae, et ad convenientem executionem animae: et propter hoc, illud quod est principium vitae in homine, scilicet cor, est in medio positum, ut ab omni laesione conservetur, et vitam proportionaliter in omnes partes corporis diffundat; sed caelum, quod propter suam impassibilitatem est conservans non conservatum a corpore alio, est in extremo positum, quasi continens; cujus tamen motus est ut vita quaedam natura existentibus omnibus, ut in 8 Physic. dicitur, ad similitudinem motus cordis in animali, ut dicit Rabbi Moyses, ubi supra.

2. La position des parties de l’univers n’a pas besoin d’être la même que celle des parties de l’homme, car, dans l’univers, les corps sont placés au-dessus de nous selon qu’ils sont moins immatériels, mais, chez l’homme, selon qu’il convient à la conservation de la vie et à l’action qui convient à l’âme. Pour cette raison, ce qui est le principe de la vie chez l’homme, le cœur, est placé au centre afin d’être préservé de toute blessure et de répandre la vie dans tous les membres de manière proportionnelle. Mais le ciel, qui, en raison de son impasssibilité, conserve et n’est pas conservé par un autre corps, est situé à l’extrême, en tant que contenant ; cependant, son mouvement est pour ainsi dire la vie pour tout ce qui existe dans la nature, comme on le dit dans Physique, VIII, ressemblant en cela au mouvement du cœur dans l’animal, comme le dit le rabbin Moïse, à l’endroit indiqué plus haut.

 

[4686] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Saturnus habet infrigidare ex propria natura, et virtute consequente speciem suam; unde non oportet quod ad ejus infrigidationem aquae super caelos ponantur; quia si ibi essent, ipsum non infrigidarent, cum sint de natura quintae essentiae non susceptibilis peregrinae impressionis; quod iterum si esset possibile, magis infrigidarent stellas octavae sphaerae velut sibi propinquiores; quarum tamen quaedam inveniuntur esse calidissimi effectus.

3. Par nature, Saturne refroidit par sa propre nature et par la puissance qui découle de sa propre apparence. Aussi n’est-il pas nécessaire que les eaux qui se trouvent au-dessus des cieux soient refroidies comme elle, car si elles se trouvaient là, elles ne la refroidiraient pas, puisqu’elles possèdent la nature de la quinte essence qui ne peut recevoir une impulsion étrangère. Mais si cela était possible, elles refroidiraient plutôt les étoiles de la huitième sphère qui en sont plus rapprochées ; cependant, certaines d’entre elles se trouvent posséder un effet très chaud.

 

[4687] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod corpora naturalia in infinitum dividi non possunt, quia omnium natura constantium, ut in 2 de anima dicitur est terminus magnitudinis, nec tantum in augmento sed etiam in diminutione; et ideo etiam est invenire minimam carnem et minimam aquam, ut in 1 Physic. dicitur; et ideo in qualibet specie oportet esse terminum quemdam rarefactionis, ultra quem species non salvatur. Unde ultima raritas ad quam potest perveniri, est secundum quod materia stat sub forma ignis, ut dicit Commentator in 4 Physic. Unde posset aqua tantum rarefieri quod jam non esset aqua nec vapor, sed aer vel ignis. Praeterea cum ignis sit maxime activus, non posset pertransire regionem ignis vapor ille, quin consumeretur: et adhuc minus possibile esset ut substantiam orbium penetraret, qui, secundum omnes, sunt indivisibiles, nisi metaphorice dividi dicantur.

4. Les corps naturels ne peuvent être divisés à l’infini, car la nature de tout ce qui existe est le terme de la grandeur, non pas seulement pour la croissance, mais aussi pour la diminution, comme on le dit dans Sur l’âme, II. C’est pourquoi il faudra trouver la plus petite quantité de chair et la plus petite quantité d’eau, comme on le dit dans Physique, I. C’est pourquoi, en toute espèce, il faut qu’il y ait un terme à la raréfaction, au-delà duquel l’espèce n’est pas préservée. Aussi la rareté ultime à laquelle on puisse parvenir est celle de la matière qui est sous-jacente à la forme du feu, comme le dit le Commentateur dans Physique, IV. L’eau pourrait donc être raréfiée au point qu’il n’y ait plus ni eau ni vapeur, mais air et feu. De plus, comme le feu est ce qu’il y a de plus actif, cette vapeur ne pourrait traverser la région du feu sans être consumée, et il serait encore moins possible qu’elle pénètre la substance des sphères, qui, selon tous, sont indivisibles, à moins qu’on ne dise de manière métaphorique qu’elles sont divisées.

 

 

 

 

Articulus 2 [4688] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 tit. Utrum firmamentum sit de natura inferiorum corporum

Article 2 – Le firmament a-t-il la même nature que les corps inférieurs ?

 

[4689] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod firmamentum sit de natura inferiorum corporum. Dicit enim Basilius in Hexameron Hom. 3, quod est de natura ignis; in littera etiam dicitur, quod est de aqua in modum chrystalli congelata: quae duo constat esse de natura inferiorum corporum. Ergo et firmamentum.

1. Il semble que le firmament ait la même nature que les corps inférieurs. En effet, Basile dit, dans l’Hexaméron, hom. 3, qu’il a la nature du feu ; il est aussi dit dans le texte qu’il est fait d’eau congelée comme un cristal, deux choses qui ont manifestement la nature des corps inférieurs. C’est donc aussi le cas du firmament.

 

[4690] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, ignis est nobilissimum corporum inter elementa. Sed non est probabile ut nobilissimum corpus in operibus creationis praetermitteretur. Cum ergo Scriptura specialem mentionem de igne non faciat, videtur quod nomine firmamenti intelligatur.

2. Parmi les éléments, le feu est le plus noble. Or, il n’est pas probable que le corps le plus noble soit omis dans les œuvres de la création. Puisque l’Écriture ne fait pas mention du feu, il semble donc qu’on l’entende sous le nom de firmament.

 

[4691] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, omne agens agit sibi simile. Sed corpora superiora in inferioribus habent effectum caliditatis et humiditatis. Ergo videtur quod qualitatibus afficiantur; et ita videtur esse de natura inferiorum corporum.

3. Tout agent produit quelque chose de semblable à lui. Or, les corps supérieurs exercent un effet de chaleur et d’humidité sur les corps inférieurs. Il semble donc qu’il soit affecté par des qualités, et ainsi il semble avoir la même nature que les corps inférieurs.

 

[4692] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, proprium ignis est, secundum philosophum, esse specie subtilissimum corporum. Sed nihil corporeum est caelo subtilius et nobilius. Ergo videtur quod caelum sit ignis, et sic idem quod prius.

4. Selon le Philosophe, il est propre au feu d’être le plus subtil des corps par son espèce. Or, rien de corporel n’est plus subtil et plus noble que le ciel. Il semble donc que le ciel soit du feu, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

 

[4693] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Dionysius dicit quod caeli et stellae habent substantiam ingenerabilem et invariabilem. Sed inferiora corpora sunt generabilia et variabilia. Ergo firmamentum non est de natura inferiorum corporum.

Cependant, [1] Denys dit que le ciel et les étoiles ont une substance qui n’est pas susceptible d’être engendrée et qui ne varie pas. Or, les corps inférieurs sont susceptibles de génération et variables. Le firmament n’a donc pas la nature des corps inférieurs.

 

[4694] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, cum natura sit principium motus et quietis, oportet quod per motum judicium de natura corporis accipiamus. Sed motus circularis naturalis caelo est, quia est primus motus; motus autem violentus non potest esse primus: nulli autem inferiorum corporum naturalis est motus circularis. Ergo oportet quod caelum non sit de natura inferiorum corporum, nec habens contrarium, sicut nec motus ejus.

[2] Puisque la nature est le principe du mouvement et du repos, il est nécessaire que nous portions un jugement sur la nature d’un corps par le mouvement. Or, le mouvement circulaire est naturel au ciel, car il est le premier mouvement, mais un mouvement violent ne peut être le premier. Or, le mouvement circulaire ne peut être naturel à aucun des corps inférieurs. Il est donc nécessaire que le ciel n’ait pas la nature des corps inférieurs et n’ait pas non plus de contraire, pas davantage que son mouvement.

 

[4695] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc quaestionem fuit philosophorum diversa positio. Omnes enim ante Aristotelem posuerunt, caelum esse de natura quatuor elementorum. Aristoteles autem primus hanc viam improbavit, et posuit caelum esse quintam essentiam sine gravitate et levitate et aliis contrariis, ut patet in 1 caeli et mundi; et propter efficaciam rationum ejus, posteriores philosophi consenserunt sibi; unde nunc omnes opinionem ejus sequuntur. Similiter etiam expositores sacrae Scripturae in hoc diversificati sunt, secundum quod diversorum philosophorum sectatores fuerunt, a quibus in philosophicis eruditi sunt. Basilius enim et Augustinus et plures sanctorum sequuntur in philosophicis quae ad fidem non spectant, opiniones Platonis: et ideo ponunt caelum de natura quatuor elementorum. Dionysius autem fere ubique sequitur Aristotelem, ut patet diligenter inspicienti libros ejus: unde ipse separat corpora caelestia ab aliis corporibus. Et ideo hanc positionem sequens dico, quod caelum non est de natura quatuor elementorum, sed est quintum corpus.

Réponse. Sur cette question, les philosophes ont eu des positions différentes. En effet, tous ceux qui ont précédé Aristote ont affirmé que le ciel avait la nature des quatre éléments. Mais, le premier, Aristote a rejeté cette approche et a affirmé que le ciel relève de la quinte essence sans pesanteur ni légèreté, ni autres choses contraires, comme cela ressort dans Sur le ciel et le monde, I. En raison de la force de ses arguments, les philosophes qui l’ont suivi ont été d’accord avec lui. Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion. De même aussi, les interprètes de la Sainte Écriture se sont-ils divisés selon qu’ils étaient partisans de divers philosophes, dont ils avaient reçu leur formation en matière philosophique. En effet, Basile, Augustin et plusieurs saints ont suivi les opinions de Platon pour les questions philosophiques qui ne concernent pas la foi. Aussi affirment-ils que le ciel a la nature des quatre éléments. Mais Denys suit Aristote presque partout, comme cela ressort pour celui qui examine ses livres avec attention ; aussi sépare-t-il les corps célestes des autres corps. C’est pourquoi, en suivant cette opinion, je dis que le ciel n’a pas la nature des quatre éléments, mais est un cinquième corps.

 

[4696] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod alii sancti hoc tradiderunt, non quasi asserentes, sed sicut utentes his quae in philosophia didicerant; unde non sunt majoris auctoritatis quam dicta philosophorum quos sequuntur, nisi in hoc quod sunt ab omni infidelitatis suspicione separati. Vel potest dici quod sumunt ignem et aquam secundum similitudinem lucis et diaphaneitatis.

1. D’autres saints ont enseigné cela, non pas en l’affirmant, mais en recourant à ce qu’ils avaient appris en philosophie. Aussi leur autorité n’est-elle pas plus grande que ce que disent les philosophes qu’ils suivent, sauf qu’ils sont exempts de tout soupçon d’infidélité. Ou bien on peut dire qu’ils entendent le feu et l’eau par ressemblance avec la lumière et le diaphane.

 

[4697] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Rabbi Moyses dicit quod ignis intelligitur per tenebras quae in principio creationis commemorantur, ut sic numerus et ordo elementorum designetur, dum super terram aqua, super aquam spiritus, id est aer; super spiritum, qui est facies abyssi, tenebrae describuntur: eo quod ignis in sua sphaera non lucet, ut a philosophis probatum est. Sed quia haec expositio videtur nimis extranea, ideo potest melius dici, quod ibi non tangantur nisi creaturae quae habent manifestam apparentiam et utilitatem apud nos omnes: et propter hoc etiam de aere non fecit mentionem, quia aer esse corpus a vulgo non percipitur; unde quidam vacuum plenum aere dixerunt. Similiter et ignis elementum, secundum quod in sphaera sua est, non sensu, sed ratione deprehenditur; et ideo horum creatio rudi populo explicite non proponitur. Sed per aquam omnia tria intelliguntur, quasi medium corpus inter caelum et terram. Vel dicendum, secundum Augustinum, quod aer quantum ad superiorem partem propter tranquillitatem cum caelo computatur, quod est ignis, secundum ejus positionem: et idem nos possumus dicere de igne, ex quo non ponimus caelum de natura quatuor elementorum.

2. Le rabbin Moïse dit que le feu signifie les ténèbres qui sont rappelées au commencement de la création, de sorte que le nombre et l’ordre des éléments sont ainsi désignés, alors que l’eau était au-dessus de la terre et l’esprit au-dessus de l’eau, c’est-à-dire l’air. Les ténèbres sont décrites comme situées au-dessus de l’esprit, qui est le visage de l’abîme, du fait que le feu ne brille pas dans sa sphère, comme les philosophes l’ont démontré. Mais parce que cette interprétation semble être trop étrangère, on peut donc affirmer en mieux que sont abordées là seulement les créatures qui ont une apparence et une utilité pour nous tous. Pour cette raison aussi, on ne fait pas mention de l’air, car l’air n’est pas perçu comme un corps par le commun des hommes ; c’est ainsi que plusieurs ont dit que le vide était rempli d’air. De même, le feu comme élément, selon qu’il existe dans sa sphère, n’est pas perçu par le sens, mais par la raison ; c’est pourquoi la création de ces choses n’est pas proposée au peuple non-instruit. Mais l’eau signifie les trois choses, comme un élément intermédiaire entre le ciel et la terre. Ou bien il faut dire, selon Augustin, que l’air, pour ce qui est de sa partie supérieure, est compté avec ciel en raison de sa tranquillité, ce qui est le feu par sa position. Et nous pouvons dire la même chose du feu, raison pour laquelle nous situons le ciel dans la nature des quatre éléments.

 

[4698] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quando materia est proportionata ad recipiendam actionem secundum virtutem agentis, tunc agens facit sibi simile in specie, et dicitur agens univocum: quando autem materia non est proportionata ad recipiendam actionem secundum virtutem agentis, servatur quidem aliqua similitudo effectus ad agentem, secundum quod dicit Dionysius quod habent causata causarum suarum contingentes imagines: et tamen non oportet eodem modo inveniri aliquid in causa quo est in effectu, sed eminentiori: et ita etiam calor aliquo modo est in sole, non quidem denominans ipsum, ut dicatur calidus formaliter, sed effective secundum virtutem calefaciendi, quae in eo est.

3. Lorsque la matière est proportionnée à recevoir l’action selon la puissance de l’agent, l’agent réalise alors quelque chose de semblable à lui-même par l’espèce, et on parle d’agent univoque. Mais lorsque la matière n’est pas proportionnée à recevoir l’action selon la puissance de l’agent, une certaine ressemblance de l’effet à l’agent est préservée ; Denys dit que ce qui est ainsi causé est une image de ses causes. Cependant, il n’est pas nécessaire que quelque chose se trouve dans la cause de la manière dont cela se trouve dans l’effet, mais d’une manière supérieure. Ainsi, la chaleur existe d’une certaine manière dans le soleil, sans toutefois lui donner son nom, de sorte qu’on le dise chaud par sa forme, mais par son effet selon la puissance de réchauffer qui se trouve en lui.

 

[4699] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod subtilitas et raritas non invenitur univoce in corporibus caelestibus et inferioribus, ut dicit Commentator in Lib. de substantia orbis; unde ignis dicitur esse subtilissimum corporum secundum illam acceptionem qua subtilitas in inferioribus corporibus invenitur. Tamen auctoritates ex exemplis sumptae parum cogunt.

4. La subtilité et la rareté ne se trouvent pas de manière univoque dans les corps célestes et dans les corps terrestres, comme le dit le Commentateur, dans le libre Sur la substance de l’univers. Aussi le feu est-il appelé le plus subtil des corps au sens où la subtilité se trouve dans les corps inférieurs. Toutefois, les autorités tirées des exemples n’ont pas beaucoup de force.

 

 

 

 

Articulus 3 [4700] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 tit. Utrum motus caeli sit ab intelligentia

Article 3 – Le mouvement du ciel vient-il d’une intelligence ?

 

[4701] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod motus caeli non sit ab anima, vel intelligentia. Motus enim caeli est motus naturalis, ut in 1 caeli et Mund. dicit philosophus. Sed motus naturalis est cujus principium est forma corporis naturalis. Ergo videtur quod motus caeli sit a forma naturali ejus, et non ab aliquo movente per apprehensionem.

1. Il semble que le mouvement du ciel ne vienne pas d’une âme ou d’une intelligence. En effet, le mouvement du ciel est un mouvement naturel, comme le dit le Philosophe dans Sur le ciel et le monde. Or, un mouvement naturel est celui dont le principe est la forme d’un corps naturel. Il semble donc que le mouvement du ciel vienne de sa forme naturelle, et non de quelque chose qui le meut en le saisissant.

 

[4702] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omnis motus ab anima est cum labore et poena, ut in 2 Cael. et Mund. dicitur. Sed motus caeli non est hujusmodi: quia non posset esse continuus et uniformis. Ergo non movetur ab anima.

2. Tout mouvement venu de l’âme est accompagné de peine et de labeur, comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, II. Or, le mouvement du ciel n’est pas de ce genre, car il ne pourrait être continu et uniforme. [Le ciel] n’est donc pas mû par une âme.

 

[4703] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, anima intellectiva non conjungitur corpori nisi mediante sensitivo et nutritivo, ut patet ex comparatione partium animae ad species figurarum in 2 de anima. Sed corpora caelestia non possunt habere animam sensitivam vel nutritivam: quia non habent corpus complexionatum, quale exigitur ut sit instrumentum operationum animae vegetativae et sensitivae. Ergo videtur quod nec ab anima intellectiva moveri possit.

3. L’âme intellectuelle n’est unie au corps que par le moyen [d’une âme] sensible et nutritive, comme cela ressort de la comparaison des parties de l’âme à l’aspect des figures, dans Sur l’âme, II. Or, les corps célestes ne peuvent avoir d’âme sensible ou nutritive, car ils n’ont pas la complexion du corps requise pour que celui-ci soit l’instrument des opérations de l’âme végétative et sensible. Il semble donc qu’il ne puisse non plus être mû par une âme intellectuelle.

 

[4704] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, omne corpus motum ab anima, habet dextrum et sinistrum, et alias differentias positionis. Sed corpus caeleste cum sit totum uniforme, non habet hujusmodi diversitatem in partibus. Ergo videtur quod non possit esse motum ab anima.

4. Tout corps mû par une âme possède une droite et une gauche, et d’autres différences de position. Or, le corps céleste, puisqu’il est entièrement uniforme, ne possède pas ce genre de diversité dans ses parties. Il semble donc qu’il ne puisse être mû par une âme.

 

[4705] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est, quia probatur in 7 Physic., quod ex se movetur. Sed ex se motum non potest esse, ut probatur ibidem, nisi illud cujus una pars est movens, et altera mota; et omnis talis motus, est motus virtutis apprehendentis. Ergo oportet motum caeli esse ab aliqua virtute apprehendente.

Cependant, [1] il est démontré, en Physique, VII, que [le ciel] il se meut par lui-même. Or, être mû par soi, comme on le demontre au même endroit, ne peut être le fait que de ce dont une partie meut et une autre est mue, et tout mouvement de ce genre est le mouvement d’une puissance qui saisit. Il faut donc que le mouvement du ciel soit produit par une puissance qui saisit.

 

[4706] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, omnis motus naturalis est corpus existentis extra ubi suum. Hoc autem est impossibile in caelo ponere. Ergo motus caeli est ab aliqua apprehensione.

[2] Tout mouvement corporel est celui d’un corps [corr. corpus/corporis] se trouvant hors de son lieu naturel. Or, il est impossible d’affirmer cela du ciel. Le mouvement du ciel ne vient donc pas d’une prise.

 

[4707] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est multiplex opinio. Quidam enim dicunt, quod sicut motus aliorum corporum simplicium est ex naturis eorum corporalibus, ita etiam motus corporis caelestis. Illud autem non videtur esse verum. Quia omnis motus est ab aliquo motore. In motu autem corporum simplicium, quamvis forma naturalis sit principium motus, non tamen est motor; sed essentialis motor est generans quod dedit formam, et accidentalis est removens prohibens, ut probatur in 8 Physic.: quae nullo modo competunt corpori caelesti. Et praeterea motus naturalis est ad unam partem tantum, et perficitur quiete naturali, et est corporis existentis extra ubi naturale: quae omnia etiam a corpore caelesti aliena sunt. Et ideo alii dicunt, quod oportet motum corporis caelestis esse ab aliquo intellectu et voluntate, sed non immediate ab ipso Deo: hoc enim ordini divinae sapientiae non congruit, cujus effectus ad ultima per media deveniunt, ut Dionysius dicit. Et ideo Gregorius dicit, quod corporalis creatura per spiritualem administratur; et ideo probabile est quod aliquis intellectus creatus sit motor proximus caeli. Sciendum tamen quod philosophi posuerunt diversos motores in diversis motibus et mobilibus: unde secundum eorum numerum probaverunt numerum intelligentiarum moventium. Unicuique tamen orbi assignaverunt duos motores: unum conjunctum, quem dixerunt animam orbis; et alterum separatum, quem dixerunt intelligentiam. Cujus positionis ratio fuit, quia intelligentia secundum eos habet formas universales, quae non convenit ut immediate dirigant in renovationibus diversis motus caeli, et in his quae per motum caeli educuntur; et ideo oportet habere motorem in quo sint formae particulares dirigentes in motu, et hunc dicunt esse animam orbis. Haec autem positio partim est haeretica, et partim Catholice sustineri potest. Ipsi enim ponunt, quod res secundum ordinem exeunt a Deo, ita quod a causa prima, quae Deus est, creatur immediate intelligentia, a qua iterum exit anima orbis; et ab illa producitur substantia ipsius orbis: et pro tanto potest dici motor proximus forma ejus vel anima, quia dat sibi esse, sicut causa sibi proportionata. Hoc autem fides nostra non patitur, quae solum Deum rerum creatorem ponit, ut supra dictum est. Et ideo Angelos, qui movent orbes proxime, possumus motores dicere, non formas vel animas: quia orbes recipiunt ab eis motum tantum, non autem esse. In hoc autem sustineri potest, ut dicamus, superiores Angelos, qui habent formas magis universales, esse motores separatos et remotos; Angelos autem inferiores, qui habent formas magis particulares, ut prius dictum est, esse motores proximos. Unde etiam Avicenna dicit quod intelligentiae apud philosophos sunt qui in lege vocantur superiores Angeli, ut Cherubim, et Seraphim; animae vero orbium dicuntur inferiores, qui dicuntur Angeli ministerii.

Réponse. À ce sujet, il existe de multiples opinions. En effet, certains disent que, de même que le mouvement des autres corps simples vient de leurs natures corporelles, de même aussi le mouvement du corps céleste. Mais cela ne semble pas être vrai, car tout mouvement vient d’un moteur. Or, dans le mouvement des corps simples, bien que la forme naturelle soit le principe du moteur, elle n’en est cependant pas le moteur ; mais le moteur essentiel est ce qui engendre et a donné la forme, et le [moteur] accidentel est ce qui enlève un empêchement, comme on le démontre dans Physique, VIII, ce qui ne convient aucunement au corps céleste. De plus, le mouvement naturel va dans un sens seulement et il s’achève dans un repos naturel ; il est aussi celui d’un corps qui se trouve hors de son lieu naturel, toutes choses qui sont étrangères au corps céleste. C’est pourquoi d’autres disent qu’il est nécessaire que le mouvement du corps céleste vienne d’une intelligence et d’une volonté, mais non pas immédaitement de Dieu lui-même. En effet, cela ne convient pas à l’ordre de la sagesse divine, dont les effets atteignent leur point ultime par des intermédiaires, comme le dit Denys. C’est pourquoi Grégoire dit que la créature corporelle est dirigée par la créature spirituelle. Il est donc probable qu’une intelligence créée soit le moteur rapproché du ciel. Toutefois, il faut savoir que les philosophes ont affirmé l’existence de divers moteurs pour divers mouvements et mobiles ; aussi ont-ils montré le nombre des intelligences motrices selon leur nombre. Ils ont cependant assigné à chaque sphère deux moteurs : l’un uni, qu’ils ont appelé l’âme de la sphère ; l’autre séparé, qu’ils ont appelé intelligence. La raison de cette position était que, selon eux, l’intelligence possède des formes universelles et qu’il ne convient pas que celles-ci dirigent de manière immédiate les divers renouvellements du mouvement du ciel et, en eux, ce qui est entraîné par le mouvement du ciel. Il faut donc qu’il y ait un moteur dans lequel existent des formes particulières qui dirigent le mouvement : ils disent que celui-ci est l’âme de la sphère. Or, cette position est en partie hérétique et elle peut être en partie soutenue de manière catholique. En effet, ils affirment que les choses sont issues de Dieu selon un ordre, de telle sorte que l’intelligence est immédiatement créée par la cause première, qui est Dieu, et que la substance de la sphère est créée par elle. Pour autant, le moteur rapproché peut être appelé sa forme ou son âme, car elle lui donne d’être comme la cause qui lui est proportionnée. Mais notre foi ne soutient pas cela, car elle affirme que Dieu seul est créateur des choses, comme on l’a dit. C’est pourquoi nous pouvons appeler moteurs, mais non formes ou âmes, les anges qui meuvent les sphères de manière rapprochée, car les sphères ne reçoivent d’eux que le mouvement, mais non pas l’être. Mais [cette position] peut être soutenue si nous disons que les anges supérieurs, qui possèdent des formes plus universelles, sont des moteurs séparés et éloignés, mais que les anges inférieurs, qui possèdent des formes plus particuliéres, comme on l’a dit plus haut, sont des moteurs rapprochés. C’est pourquoi même Avicenne dit que les intelligences chez les philosophes sont ce que la loi [mosaïque] appelle des anges supérieurs, comme les Chéribins et les Séraphins ; mais les [anges] inférieurs, dont on dit qu’ils sont des anges ministériels, sont appelés âmes des sphères.

 

[4708] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut Commentator dicit in 1 caeli et mundi, motus caeli dicitur naturalis, non quia principium ejus activum sit aliqua forma naturalis, sed quia ipsum corpus caeleste est talis naturae ut talem motum natum sit suscipere ab aliquo intellectu, non habens naturam repugnantem huic motui voluntario, sicut est in nobis. Natura enim non tantum dicitur de forma, sed etiam de materia.

1. Comme le dit le Commentateur dans Sur le ciel et le monde, I, le mouvement du ciel est appelé naturel, non pas parce que son principe actif est une forme naturelle, mais parce que le corps céleste lui-même possède une nature telle qu’il est destiné à recevoir d’une intelligence un tel mouvement, en n’ayant pas une nature opposée à ce mouvement volontaire, comme c’est le cas chez nous. En effet, on ne parle pas seulement de nature pour ce qui joue le rôle de forme, mais aussi pour ce qui joue le rôle de matière.

 

[4709] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod philosophus loquitur contra illos qui ponebant caelum de natura inferiorum corporum: tunc enim motus ille esset ab anima contra naturam corporis moti; et ideo oporteret laborem et poenam esse in movendo. Sed si ponatur motus ille ab intellectu secundum conditionem corporis moti, non est ibi violentia nec labor.

2. Le Philosophe parle contre ceux qui affirmaient que le ciel a la même nature que les corps inférieurs : en effet, ce mouvement viendrait de l’âme contrairement à la nature du corps mû. C’est pourquoi il devrait y avoir labeur et peine à le mouvoir. Mais si on dit que ce mouvement vient d’une intelligence selon la condition du corps mû, il n’y a pas là violence ni labeur.

 

[4710] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut dicit Commentator in libro de substantia orbis, corpus caeleste non est generabile nec est corruptibile, sicut corpus nostrum; et ideo non indiget aliqua forma vegetante ipsum. Similiter etiam motor ejus non acquirit cognitionem a rebus, sed habet scientiam quasi activam; et ideo non indiget anima sensitiva; et ideo secundum philosophos non dicitur univoce anima caeli et hominis.

3. Comme le dit le Commentateur dans le livre Sur la substance du monde, le corps céleste n’est susceptible ni de génération ni de corruption, comme notre corps. C’est pourquoi il n’a pas besoin de forme végétative en lui. De même, son moteur ne reçoit pas la connaissance à partir des choses, mais il possède une science pour ainsi dire active. Aussi n’a-t-il pas besoin d’une âme sensible. Ainsi, selon les philosophes, ne parle-t-on pas de manière univoque de l’âme du ciel et de l’homme.

 

[4711] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum philosophum, in corpore caeli est assignare differentias positionum; ita quod dextrum ejus dicatur oriens, unde incipit motus; et sinistrum occidens, et superius polus meridionalis, et inferius polus Septemtrionalis, et anterius, superius hemisphaerium, et posterius, inferius; tamen istae partes, ut idem Commentator dicit, diversimode assignantur in corpore caelesti et in corporibus nostris quantum ad duo. Primo, quia in nobis istae partes figura et virtute diversificantur, non autem in corpore caelesti, cum undique sit sphaericum. Secundo, quia in nobis determinata pars est dextra, quae nunquam fit sinistra; in corpore autem caeli illa pars orbis quae nunc est dextra, postmodum fit sinistra: quia pars quae nunc est in oriente, postmodum est in occidente: quod contingit ex hoc quod virtus exequens motum in nobis, est actus corporis cujusdam affixa organis, scilicet musculis et nervis; quod non contingit in corpore caelesti.

4. Selon le Philosophe, il faut reconnaître des différences de position dans le corps du ciel, de telle sorte que sa droite est appelée orient, là où commence le mouvement, et sa gauche, occident, et que le pôle méridional [le sud] soit en haut, le pôle septentrional [le nord] en bas[5], et à l’avant, l’hémisphère supérieur, et à l’arrière, [l’hémisphère] inférieur. Toutefois, comme le dit le même Commentateur, ces parties sont attribuées au corps céleste et à nos corps de manière différente sous deux aspects. Premièrement, parce qu’en nous ces parties se différencient par la figure et la puissance, mais non dans le corps céleste, puisqu’il est sphérique de partout. Deuxièmement, parce qu’en nous, une partie déterminée est la droite, qui ne devient jamais la gauche ; mais, dans le corps céleste, cette partie de la sphère qui est maintenant la droite devient par la suite la gauche, puisque la partie qui se trouve maintenant à l’orient se trouve par la suite à l’occident. Cela se produit du fait que la puissance qui exécute le mouvement en nous est l’acte d’un corps lié à des organes, à savoir, des muscles et des nerfs, ce qui ne se produit pas dans le corps céleste.

 

 

 

 

Articulus 4 [4712] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 tit. Utrum numerus caelorum convenienter assignetur a Rabano

Article 4 – Le nombre des cieux est-il assigné de manière appropriée par Raban ?

 

[4713] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter a Rabano numerus caelorum assignetur. Ponit enim septem caelos, scilicet Empyreum, chrystallinum, sidereum, igneum, Olympium, aethereum, et aereum. Est enim caelum sanctae Trinitatis, in quod Lucifer ascendere voluit, ut supra dictum est. Hoc autem ab omnibus enumeratis differt. Ergo insufficienter videntur caeli enumerari.

1. Il semble que le nombre des cieux soit assigné de manière inappropriée par Raban. En effet, il présente sept cieux : l’empyrée, le cristallin, le sidéral, l’igné, l’olympien, l’éthérée et l’aérien ; en effet, il existe un ciel de la Sainte Trinité, vers lequel Lucifer a voulu monter, comme on l’a dit plus haut. Or, celui-ci est différent de tous ceux qui ont été énumérés. Les cieux semblent donc avoir été énumérés de manière insuffisante.

 

[4714] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, sicut in sphaera aeris et ignis differt convexum et concavum; ita etiam in sphaera caeli Empyrei et chrystallini. Sed penes convexum et concavum ignis et aeris, sumitur duplex caelum, ut infra dicetur. Ergo similiter in caelo Empyreo debet duplex caelum assignari.

2. De même que, dans la sphère aérienne et dans la sphère ignée, il y a une différence entre ce qui est convexe et ce qui est concave, de même aussi, dans la sphère du ciel empyrée et du cristallin. Or, selon ce qui est convexe et concave dans le feu et dans l’air, on considère deux cieux, comme on le dira plus loin. De même, il faut donc attribuer un double ciel au ciel empyrée.

 

[4715] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, praeter caelum sidereum, in quo sunt sidera fixa, sunt etiam orbes septem planetarum, qui etiam caeli nomen sortiuntur. Cum ergo de eis mentionem non faciat, videtur insufficienter caelos assignare.

3. En plus du ciel sidéral, où sont fixés les astres, existent aussi les sphères des sept planètes, qui portent aussi le nom de ciel. Puisque [Raban] ne fait pas mention d’eux, il semble donc qu’il assigne les cieux de manière insuffisante.

 

[4716] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, sicut aer et ignis communicant cum caelo in luce et diaphaneitate, ita etiam et aqua. Sed ratione hujus convenientiae aer et ignis caelum dicuntur. Ergo videtur quod oportuisset similiter aqueum elementum inter caelos computare.

4. De même que l’air et le feu ont en commun avec la terre la lumière et le caractère diaphane, de même aussi l’eau. Or, en raison de ce caractère commun, l’air et le feu sont aussi appelés ciel. Il semble donc qu’on aurait dû compter l’élément de l’eau parmi les cieux.

 

[4717] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 5 Sed contra, videtur quod non sint tot caeli, sed solum tres, per hoc quod legitur 1 Corinth. 12, Paulus usque ad tertium caelum raptus.

5. Il semble qu’il n’y ait pas autant de cieux, mais seulement trois, selon ce qu’on lit dans 1 Co 12, que Paul a été emporté jusqu’au troisième ciel.

 

[4718] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod caelum potest nominari aut solum ab aliqua caelesti proprietate, aut simul a proprietate et natura. Natura enim corporis caelestis est ut separatum sit a corruptione et a contrariis; proprietates autem ejus praecipue attenduntur in altitudine situs, et claritatis participatione. Si ergo nominemus caelum a natura et proprietate caelesti, sic est triplex caelum; quorum unum est uniforme et immobile, scilicet Empyreum; secundum uniforme et mobile, scilicet caelum chrystallinum; tertium difforme in partibus, et mobile, scilicet sidereum. Si autem dicatur caelum a proprietatibus caelestibus tantum, sic erit quadruplex caelum. Sunt enim duo elementa, quae simul claritatem lucis participant et altitudinem situs, scilicet aer et ignis: in quorum utroque distinguitur pars superior quantum ad convexum sphaerae ipsius, et pars inferior quantum ad concavum. Pars ergo superior sphaerae ignis dicitur caelum igneum, eo quod ignis ibi purissimus est, propriam naturam servans; pars autem inferior ejus caelum Olympium dicitur, a quodam monte, qui nominatur Olympus in Macedonia, qui ultra nubes in altum dicitur porrigi: superior vero pars aeris dicitur caelum aethereum, propter inflammationem illius partis ex propinquitate ignis, quia, ut in 1 Cael. et Mund. dicitur, nomen aetheris designat corpus velocis motus, cito inflammabile, vel inflammans; inferior vero pars aeris dicitur caelum aereum, in qua est aer servans proprietatem aeris nobis noti, et in usum nostrum venientis.

Réponse. On peut parler de ciel soit seulement en raison d’une propriété du ciel, soit en raison de cette propriété et de sa nature. En effet, le corps céleste est par nature séparé de la corruption et de contraires, mais on porte surtout attention à ses propriétés d’élévation de site et de participation à l’éclat. Si donc nous parlons de ciel pour la nature et pour une propriété céleste, il y a ainsi un triple ciel : l’un d’eux est uniforme et immobile, à savoir, le ciel empyrée ; le deuxième est uniforme et mobile, à savoir, le ciel cristallin ; le troisième n’est pas uniforme dans ses parties et il est mobile, à savoir, le ciel sidéral. Mais si on parle de ciel selon les propriétés célestes seulement, il y aura ainsi un quadruple ciel. En effet, il y a deux éléments qui participent en même temps à l’éclat de la lumière et à l’élévation du site, à savoir, l’air et le feu. Dans chacun des deux, on distingue une partie supérieure pour ce qui est convexe dans sa sphère, et une partie inférieure pour ce qui est concave. La partie supérieure de la sphère de feu est donc appelée le ciel igné, du fait que le feu y est le plus pur en conservant sa propre nature ; mais sa partie inférieure est appelée le ciel olympien en raison d’une montagne de la Macédoine, appelée l’Olympe, dont on dit qu’elle dépasse les nuages en hauteur. Mais la partie supérieure de l’air s’appelle le ciel éthéré en raison de cette partie qui flambe à cause de la proximité du feu, car, ainsi qu’on le dit dans Sur le ciel et le monde, I, le « éther » désigne un corps dont le mouvement est rapide, susceptible d’être rapidement enflammé ou de mettre le feu ; mais la partie inférieure de l’air est appelée ciel aérien, là où l’air conserve la propriété de l’air qui nous est connu et qui sert à notre usage.

 

[4719] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caelum sanctae Trinitatis nominatur metaphorice ipsa celsitudo divinae majestatis, et transumptiva similitudine, qualis potest esse corporalium et spiritualium secundum proportionabilitatem; et ideo non oportuit ut in eamdem divisionem cum caelis corporalibus veniret.

1. L’élévation de la majesté divine est appelée ciel de la Sainte Trinité de manière métaphorique et par transposition d’une ressemblance par proportionnalité, comme il peut en exister entre les êtres corporels et les êtres spirituels. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire qu’elle apparaisse dans la même division que les cieux corporels.

 

[4720] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod corpus illud quod natura caelum dicitur, non est alterabile ex contactu alterius corporis; et ideo eamdem naturam retinet in qualibet sui extremitate; et ideo in talibus corporibus non distinguitur duplex caelum secundum superiorem et inferiorem partem, sicut in aere et igne, cujus extremitates ex alteratione corporum contingentium diversis proprietatibus disponuntur.

2. Ce corps qu’on appelle ciel par nature ne peut être altéré par le contact d’un autre corps ; il garde donc la même nature dans n’importe quelle de ses extrémités. C’est pourquoi on ne distingue pas dans de tels corps un double ciel selon sa partie supérieure et sa partie inférieure, comme pour l’air et le feu, dont les extrémités sont disposées à diverses propriétés par une altération provenant des corps qui les affectent.

 

[4721] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sub caelo sidereo includuntur caeli septem planetarum, qui omnes in hoc conveniunt cum sphaera stellarum fixarum, quod habent difformitatem in partibus ex eo quod aliqua pars est lucida, ut stella, et altera pars diaphana, ut sunt reliquae aliae partes orbis.

3. On inclut dans le ciel sidéral les cieux des sept planètes, qui ont en commun avec la sphère des étoiles fixes d’avoir dans leurs parties une difformité, du fait qu’une partie est lumineuse, telle l’étoile, et une autre partie diaphane, comme le sont les parties de la sphère.

 

[4722] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis aqua participet diaphaneitatem, non tamen participat altitudinem situs, cum in pluribus sit grave quam leve: est enim grave in loco ignis et aeris, leve vero in loco terrae tantum; ignis vero est levis simpliciter; aer autem in pluribus levis quam gravis, ut dicitur in 4 Cael. et Mund.: et ideo elementum aquae non consequitur nomen caeli.

4. Bien que l’eau participe au diaphane, elle ne participe cependant pas à l’élévation du site, puisque ce qui est lourd se trouve dans un plus grand nombre de choses que ce qui est léger. En effet, ce qui est lourd se trouve dans le lieu du feu et de l’air, mais ce qui est léger, dans le lieu de la terre seulement. Mais le feu est simplement léger ; l’air se trouve cependant dans un plus grand nombre de choses que ce qui est léger, comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, IV. C’est pourquoi l’élément de l’eau ne reçoit pas le nom de ciel.

 

[4723] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per triplex caelum intelligitur, secundum Glossam, triplex genus visionis, vel etiam triplex hierarchia. Vel potest dici quod tertium dicitur Empyreum, ut tantum triplex caelum sumatur quod naturam caelestem habet, ut dictum est, scilicet Empyreum, chrystallinum, sidereum.

5. Par le triple ciel, on entend, selon la Glose, un triple genre de vision ou encore une triple hiérarchie. Ou bien on peut dire que le troisième s’appelle [le ciel] empyrée, de sorte que le triple ciel soit pris pour la nature céleste, comme on l’a dit : l’empyrée, le cristallin et le sidéral.

 

 

 

 

Articulus 5 [4724] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 tit. Utrum opus tertiae diei convenienter describatur

Article 5 – L’œuvre du troisième jour est-elle décrite de manière appropriée ?

 

[4725] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter opus tertiae diei describatur. In tertia enim die facta est distinctio medii elementi ab ultimo. Sed sub medio elemento includitur ignis, aer, et aqua, ut dictum est. Cum ergo ignis et aer sint nobiliora quam aqua, videtur quod inconvenienter eorum mentionem praetermisit.

1. Il semble que l’œuvre du troisième jour soit décrite de manière inappropriée. En effet, le troisième jour, une différenciation a été réalisée entre l’élément du milieu et le dernier. Or, on inclut dans l’élément du milieu le feu, l’air et l’eau, comme on l’a dit. Puisque le feu et l’air sont plus nobles que l’eau, il semble donc que leur mention est omise de manière inappropriée.

 

[4726] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, cuilibet corpori debetur locus naturalis secundum exigentiam suae formae. Unde Commentator dicit in 8 Phys. quod quanto ignis accipit de specie in generatione, tantum habet de ubi. Sed aqua etiam ante tertium diem formam naturalem habuerat, quod patet ex Scriptura, quae ipsius aquae in principio mentionem facit. Ergo a principio suae creationis in suum locum tendebat; ergo non videtur tertiae diei opus, congregatio aquarum in unum locum.

2. À chaque corps revient un lieu naturel, selon ce qu’exige sa forme. Aussi le Commentateur dit-il que plus le feu acquiert une espèce dans la génération, plus il acquiert uun lieu. Or, l’eau aussi, avant le troisième jour, avait eu sa forme naturelle, ce qui ressort de l’Écrsiture qui fait mention de l’eau elle-même au commencement. Elle tendait donc à son lieu depuis le commencement de sa création. Le rassemblement des eaux en un seul lieu ne semble donc pas être l’œuvre du trosième jour.

 

[4727] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, in elementis est talis ordo quod subtilius se habet ad minus subtile sicut continens ad contentum: unde ignis continet aerem, et aer aquam. Sed aqua est subtilior terra. Ergo aqua debet totam terram continere, et non in unam partem ejus congregari.

3. Il existe dans les éléments un ordre tel que le rapport du plus subtil au moins subtil est le même que celui du contenant au contenu. Aussi le feu contient-il l’air, et l’air l’eau. Or, l’eau est plus subtile que l’air. L’eau doit donc contenir toute la terre, et ne pas être rassemblée dans une de ses parties.

 

[4728] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, a loco in quem movetur corpus naturaliter, non potest moveri nisi violenter, ut in 1 Cael. et Mun. habetur. Si ergo aqua naturaliter congregatur in unam partem terrae, videtur quod ad alias partes defluere non posset nisi violenter. Nullus autem motus violentus est perpetuus, ut in 2 Cael. et Mun. dicitur. Cum ergo ex mari, quod dicitur locus congregationis aquarum, indeficienter aqua ad reliquas partes terrae derivetur, quod ipsa perennitas fluviorum ostendit, videtur quod non naturaliter aquae in unum locum congregentur: et ita inconvenienter talis congregatio in institutione naturae commemoratur.

4. Un corps ne peut être déplacé du lieu vers lequel il est mû naturellement que de manière violente, comme on le lit dans Sur le ciel et le monde, I. Si donc l’eau est rassemblée naturellement dans une partie de la terre, il semble qu’elle ne pourrait couler vers d’autres parties que de manière violente. Or, aucun mouvement violent n’est perpétuel, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, II. Puisque l’eau s’écoule de manière incessante depuis la mer, dont on dit qu’elle est le lieu du rassemblement des eaux, vers les autres parties de la terre, ce que montre la pérennité des fleuves, il semble donc que les eaux ne soient pas rassemblées en un seul lieu de manière naturelle, et ainsi un tel rassemblement est rappelé de manière inappropriée dans l’établissement de la nature.

 

[4729] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, in loco naturali unumquodque elementum est purum et simplex. Sed aqua in mari non videtur esse purum elementum, quod ipsa salsedo ostendit, cum aqua de natura sua sit insipida. Ergo videtur quod non naturaliter in locum unum, scilicet in mare, aquae congregentur; et sic idem quod prius.

5. Dans son lieu naturel, chaque element est pur et simple. Or, l’eau ne semble pas être un élément pur dans la mer, ce que montre son goût salé, alors que l’eau est sans saveur selon sa nature. Il semble donc que les eaux ne soient pas rassemblées dans un seul lieu, à savoir, dans la mer, de manière naturelle, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

 

[4730] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, plantae videntur ad ornatum terrae pertinere. Sed ad ornatum deputantur tres ultimi dies. Ergo in opere tertiae diei de productione plantarum mentio facienda non erat.

6. Les plantes semblent destinées à l’embellissement de la terre. Or, les trois derniers jours sont consacrés à l’embellissement. Il ne fallait donc pas faire mention de la production des plantes dans l’œuvre du troisième jour.

 

[4731] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 7 Praeterea, herbae quaedam vel plantae non videntur in tertia die esse productae, sed post peccatum hominis, ut habetur Gen. 3, 18: spinas et tribulos germinabit tibi. Ergo videtur quod inconvenienter in tertia die dicatur terra herbam virentem protulisse, cum hoc non sit universaliter verum.

7. Certaines herbes ou plantes ne semblent pas avoir été produites le troisième jour, mais après le péché de l’homme, comme on le lit dans Gn 3, 18 : Elle fera pousser des épines et des chardons pour toi. Il semble donc qu’il soit inapproprié de dire de la terre qu’elle a produit une herbe verdoyante, alors que cela n’est pas universellement vrai.

 

[4732] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 arg. 8 Praeterea, sicut plantae generantur in terra, ita etiam et corpora mineralia. Ergo videtur quod insufficienter rerum productionem determinet Scriptura, cum in hac die de mineralibus mentio non fiat.

8. De même que les plantes sont engendrées dans la terre, de même aussi les corps minéraux. Il semble donc que l’Écriture détermine de manière inappropriée la production des choses, puisqu’il n’est pas fait mention des minéraux en ce jour.

 

[4733] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod opus distinctionis attenditur secundum hoc quod corporibus, quae sunt elementa mundi, conferuntur virtutes universaliter ad naturales effectus moventes, cujusmodi sunt qualitates activae et passivae elementorum; et ideo hujusmodi qualitates in inferioribus elementis tertia die collatae intelliguntur, quibus ab invicem et proprietate et situ separantur, eo quod inter qualitates elementares etiam gravitas et levitas continentur, quae sunt principia motus elementorum ad propria loca, et etiam quietis naturalis eorum in eisdem, sicut caliditas et frigiditas sunt principia alterationis; et ideo ex collatione talis virtutis dicuntur aquae tertia die in unum locum congregatae.

Réponse. L’œuvre de différenciation est considérée sous l’angle où sont conférées de manière universelle aux corps, qui sont les éléments du monde, des puissances qui les meuvent à leurs effets naturels : telles sont les qualités actives et passives des éléments. C’est pourquoi on comprend que les qualités de ce genre aient été données le troisième jour aux éléments inférieurs : par elles, ceux-ci sont séparés les uns des autres par ce qui leur est propre et par leur site, de telle sorte que soient contenues, parmi les qualités élémentaires, la pesanteur et la légèreté, qui sont les principes du mouvement des éléments vers leur lieux propres, et aussi de leur repos naturel en [ces lieux] comme la chaleur et le froid sont les principes de l’altération. C’est pourquoi, en raison de la puissance ainsi donnée, on dit que les eaux ont été rassemblées en un seul lieu le troisième jour.

 

[4734] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ignis et aer sunt elementa magis latentia, eo quod non ita sensu percipiuntur sicut aqua; et ideo legislator rudi populo legem proponens, ex manifestis quae tetigit, occulta intelligenda reliquit. Vel dicendum, ut prius dictum est, quod aer quantum ad superiorem partem comprehenditur nomine caeli; quantum vero ad inferiorem nomine aquae propter similitudinem humiditatis quam cum aqua habet, cujus vaporibus resolutis, quodammodo aer inspissatur.

1. Le feu et l’air sont des éléments plus cachés, du fait qu’ils ne sont pas autant perçus que l’eau par le sens. Aussi le législateur, en proposant une loi au peuple, laisse-t-il entendre des choses cachées à partir de choses manifestes qu’il a abordées. Ou bien il faut dire, comme on l’a dit plus haut, que l’air est compris sous le nom de ciel, pour ce qui est de sa partie supérieure, mais, pour ce qui est de sa partie inférieure, sous le nom d’eau, en raison de la ressemblance qu’il a avec l’eau par l’humidité, à partir de laquelle, une fois les vapeurs dégagées, l’air est en quelque sorte condensé.

 

[4735] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut calor et frigus non sunt formae substantiales elementorum, ita nec gravitas et levitas; quia non possent esse aliis corporibus accidentales. Unde sicut substantia non est principium alterationis nisi mediante calore vel frigore; ita nec est principium motus vel quietis localis nisi mediante gravitate et levitate; et ideo quamvis aqua formam substantialem ex opere creationis habuerit, non tamen ex hoc in proprium locum congregabatur; sed per opus suae distinctionis intelliguntur haec opera ordinata secundum tempus, sive secundum naturam. Verbum autem Commentatoris intelligendum est de corporibus secundum quod sunt in sui complemento quantum ad primum et ad secundum esse.

2. De même que la chaleur et le froid ne sont pas des formes substantielles des éléments, de même non plus la pesanteur et la légèreté, parce qu’elles ne pourraient être des accidents pour les autres corps. De même donc que la substance n’est le principe de l’altération que par l’intermédiaire de la chaleur et du froid, de même n’est-elle le principe du mouvement ou du repos dans un lieu que par l’intermédiaire de la pesanteur et de la légèreté. Bien que l’eau ait reçu une forme substantielle par l’œuvre de la création, elle n’était cependant pas pour autant rassemblée dans son lieu propre. Mais, par l’œuvre de leur différenciation, on comprend que ces œuvres ont été ordonnées dans le temps ou selon leur nature. Ce que dit le Commentateur doit être compris des corps selon qu’ils ont obtenu leur achèvement quant à leur être premier et second.

 

[4736] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quanto aliquod elementum est subtilius, tanto est majus in quantitate; et ideo aer est major quam aqua, et aqua quam terra; et ideo aer complectitur ista duo undique complexus sphaericam figuram; a quo deficit aqua, quae quidem terram cingit, non totam operiens ipsam, complexa quidem circulum, sed deficiens a complexione sphaerae (et hoc etiam sequitur necessitatem finis, ut in terra possit esse habitatio animalium respirantium, et generatio plantarum): terra vero quasi minima in centro concluditur.

3. Plus un élément est subtil, plus il est grand en quantité ; aussi l’air est-il plus grand que l’eau, et l’eau que la terre. C’est pourquoi l’air embrasse les deux partout en épousant une figure sphérique, ce qui fait défaut à l’eau, qui enserre la terre en formant un cercle, sans la recouvrir entièrement ; il lui manque la figure sphérique (et cela découle nécessairement de sa fin, pour que la demeure des animaux qui respirent et la génération des plantes puissent se réaliser sur la terre). Mais la terre est enfermée en un centre pour ainsi dire comme une très petite chose.

 

[4737] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod corpora inferiora praeter motus proprios sequuntur quodammodo motum superiorum; et quanto est perfectius corpus inferius, tanto magis consequitur de motu superioris: quod patet ex hoc quod in corporibus caelestibus orbis inferior, praeter motum proprium, retinet motum superioris orbis quo defertur. Ita etiam est in elementis, quod ex motu corporum caelestium aliquid consequuntur de motu circulari, praeter motus proprios naturales; quod evidentissime apparet in refluxu maris, qui sequitur motum lunae; non tamen hoc fit per motum violentum; quia dicit Commentator in 4 caeli et mundi, quod motus quibus elementa sequuntur impressiones corporum caelestium non sunt violenti, cum sit secundum naturalem ordinem corporum quod inferiora impressionem superiorum sequantur; et tanto plus, quanto perfectius fuerit in natura corpus inferius: et per hunc modum ex impressione caeli moventis elementa ad mixtionem, aqua subingreditur terram, ut sit apta ad generationem mineralium et animalium et plantarum; et exinde in locum proprium naturali motu revertitur, ut dicitur Eccle. 1, 7: ad locum unde exeunt flumina, revertuntur.

4. En plus de leurs mouvements propres, les corps inférieurs suivent le mouvement des [corps] supérieurs ; plus le corps inférieur est parfait, mieux il suit le mouvement du [corps] supérieur, ce qui ressort du fait que, pour les corps célestes, la sphère inférieure, en plus de son mouvement propre, conserve le mouvement de la sphère supérieure par lequel elle est emportée. Il en est de même pour les éléments : à partir du mouvement des corps célestes, ils retiennent quelque chose du mouvement circulaire, en plus de leurs mouvements naturels propres, ce qui ressort de la manière la plus évidente dans le ressac de la mer, qui suit le mouvement de la lune. Toutefois, cela ne se réalise pas par un mouvement violent, car, dans Sur le ciel et le monde, IV, le Commentateur dit que les mouvements par lesquels les éléments suivent les influences des corps célestes ne sont pas violents, puisqu’il est conforme à l’ordre naturel des corps que les corps inférieurs suivent l’influence des corps supérieurs, et d’autant plus que la nature du corps naturel sera plus parfaite. De cette manière, à cause de l’influence du ciel qui pousse les éléments à se mêler, l’eau revient sur la terre afin qu’elle soit apte à la génération des minéraux, des animaux et des plantes ; et de là, elle revient vers son lieu naturel propre, comme le dit Si 1, 7 : Les fleuves retournent à l’endroit dont ils viennent.

 

[4738] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod omnia elementa in loco ubi contingunt se, alterantur a sua natura, ut sit quidam motus conjunctionis inter ea; et exinde in mari causatur salsedo ex admixtione vaporis terrestris, simul cum adustione radii solaris; et hoc praecipue prope terram, et in superficie; in profundo enim pelagi invenitur aqua dulcis, ut patet ex verbis philosophi dicentis in libro de animalibus, quod quidam piscis, qui dicitur malarie, invenitur valde magnus in locis pelagosis, in quibus abundant aquae dulces.

5. À l’endroit où tous les éléments se touchent, ils sont altérés dans leur nature, afin que se produise un mouvement d’union entre eux. Par là est causé dans la mer le goût salé par le mélange d’une vapeur terrestre, en même temps que par la brûlure du rayon solaire, et cela, surtout près de la terre et en surface. En effet, on trouve de l’eau douce au fond de la mer, comme cela ressort des paroles du Philosophe qui dit, dans le livre Sur les animaux, qu’on trouve un très gros poisson, appelé malarie, au fond de la mer, où abondent les eaux douces.

 

[4739] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod de productione plantarum videtur esse diversitas inter Augustinum et alios sanctos. Augustinus enim videtur velle, quod cum dicitur, producat terra herbam virentem et facientem semen, non intelligitur tunc plantas esse productas in propria natura: sed tunc terrae datam esse virtutem germinativam ad producendum plantas opere propagationis. Aliis autem videtur quod tunc etiam plantae productae sunt. Utroque autem modo convenienter productio plantarum ad opus distinctionis pertinet: quia ad earum pullulationem sufficit virtus caelestis loco patris, et virtus terrae loco matris, ut philosophus dicit. Et sic principia communia activa, quae ad opus distinctionis pertinent, sufficiunt ad generationem plantarum; non autem ad productionem animalium, ad quam requiritur virtus formativa in semine existens. Vel quia quaelibet res pertinet ad ornatum illius loci in quo movetur, et non in quo quiescit; plantae autem radicitus infixae terrae adhaerent; ideo ad ornatum ejus non pertinent, sed cum ipsa computantur, sicut dicit Augustinus super Gen. ad Litter.

6. À propos de la production des plantes, il semble y avoir une divergence entre Augustin et les autres saints. En effet, Augustin semble entendre que, lorsqu’il est dit : Que la terre produise une herbe verdoyante et donnant une semence, on n’entend pas que les plantes ont été produites dans leur nature propre, mais qu’a alors été donnée à la terre la puissance de germer, afin de produire les plantes par l’action de la reproduction. Mais il semble aux autres que les plantes ont aussi été produites à ce moment. Mais, de manière appropriée, la production des plantes relève des deux façons de l’œuvre de la différenciation, car suffisent à leur pullulement la puissance céleste comme père et la puissance de la terre comme mère, comme le Philosophe le dit. Et ainsi, les principes communs actifs, qui relèvent de l’œuvre de la différenciation, suffisent pour la génération des plantes, mais non à la production des animaux, pour laquelle est requise une puisse formative qui se trouve dans la semence. Ou bien, parce que toutes choses concernent l’embellissement du lieu où elle se meut, et non pas dans lequel elle repose, alors que les plantes adhèrent à la terre dans laquelle elles sont fixées par leurs racines, elles ne concernent donc pas son embellissement, mais elles sont comptées avec elle, comme le dit Augustin dans son Commentaire littéral de la Genèse.

 

[4740] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod plantae nocivae simul etiam cum aliis productae sunt; non tamen homini ante peccatum nocivae fuissent, divina providentia ipsum protegente: sed post peccatum in nocumentum hominis esse coeperunt: unde signanter dicitur: germinabit tibi.

7. Les plantes nocives ont été produites en même temps que les autres. Cependant, elles n’auraient pas été nuisibles à l’homme avant le péché, alors que la providence divine le protégeait. Mais, après le péché, elles ont commencé à être nuisibles à l’homme. Aussi est-il dit clairement : Elle fera pousser pour toi.

 

[4741] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod generatio mineralium est occulta in visceribus terrae; et ideo non oportuit de his populo facere mentionem, sed de his solum quae manifesta sunt. Praeterea, mineralia non participant aliquem gradum dignitatis in entibus supra elementa, cum vita careant: propter quod non oportuit de his specialiter fieri mentionem.

8. La génération des minéraux est cachée dans les entrailles de la terre. Aussi ne fallait-il pas en faire mention au peuple, mais seulement de ce qui est manifeste. De plus, parmi les êtres, les minéraux ne participent pas à un degré de dignité supérieur aux éléments, puisque la vie leur fait défaut. Pour cette raison, il ne fallait pas en faire une mention spéciale.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 14

 

[4742] Super Sent., lib. 2 d. 14 q. 1 a. 5 expos. Quod de aquis factum esse credi potest. Hoc intelligendum est quantum ad proprietatem perspicuitatis, et non quantum ad naturam corporis elementaris; sed hoc etiam credi potest, quia contra fidem non est. Sed spiritus sanctus, quamvis auctores nostri sciverint, per eos dicere noluit nisi quod prosit saluti. Notandum, quod hic auctores nostros nominat eos qui libros canonicos ediderunt, scilicet apostolos et prophetas, qui haec scribere non curaverunt: sed ab aliis sanctis asseritur, et a philosophis probatur, caelum esse sphaericae figurae; quod rationibus naturalibus, et etiam mathematicis demonstratur. Quaeritur etiam ei stet et cetera. De hoc etiam apud philosophos est duplex opinio. Aristoteles enim vult tantum orbes moveri, et non stellas per se; sed Ptolomaeus vult stellas habere proprium motum, praeter motum orbis. Quamvis autem utroque modo motus localis caelestibus orbibus ascribatur, motus tamen varians aliquid in ejus substantia, ab eo excluditur, ex cujus privatione firmamentum vocatur. Post haec quaeri solet, quare non est dictum (...) vidit Deus quod esset bonum. Praeter hanc rationem mysticam quae in littera tangitur, aliam litteralem Magister in historiis assignat, quam etiam Rabbi Moyses tangit, quia scilicet in secundo die medium elementum a supremo distinguebatur, et ita non erat perfecta distinctio medii elementi, nisi etiam ab infimo distingueretur: et sic patet opus secundae diei in tertia die consummatum esse: et ideo benedictio tertiae diei ad utrumque refertur.

 

 

 

 

 

Distinctio 15

Distinction 15 – [L’œuvre d’embellissement]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La production des étoiles]

 

Prooemium

Prologue

 

[4743] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 pr. Post opus creationis et distinctionis, hic incipit Magister prosequi opus ornatus; et dividitur in partes duas: in prima determinat de operibus trium ultimorum dierum, qui ad ornatum deputantur; in secunda determinat de quiete septimae diei, in qua totius operis consummatio ostenditur, ibi: jam de septimae diei requie aliquid nos eloqui oportet. Prima in duas: in prima prosequitur opus ornatus secundum sententiam aliquorum sanctorum; in secunda prosequitur sententiam Augustini de operibus sex dierum, ibi: sed antequam de hominis creatione tractemus, quod supra breviter tetigimus plenius versantes clarius faciamus. Prima in tres, secundum tres dies quibus opus ornatus perficitur: in prima enim determinat de opere quartae diei; in secunda de opere quintae, ibi: dixit Deus: producant aquae reptile animae viventis; in tertia de opere sextae diei, ibi: sequitur: dixit Deus: producat terra animam viventem. Circa primum duo facit: primo distinguit opera ornatus ab invicem, et ab operibus distinctionis; secundo prosequitur specialiter opus quartae diei, ibi: quia ergo caelum ceteris elementis specie praestat (...), ideo ante alia ornatur in quarto die; tertio movet quamdam dubitationem, et solvit, ibi: quod autem subditur: et sint in signa, et tempora, et dies et annos: quomodo accipiendum sit, quaeri solet. Sequitur: dixit Deus: producat terra animam viventem. Hic describitur opus sextae diei; et circa hoc tria facit: primo ponit opus quod sexto die factum est; secundo movet circa hoc duas quaestiones; unam de animalibus nocivis, ibi: quaeri solet de venenosis animalibus; aliam de animalibus ex putrefactione generatis, ibi: de quibusdam etiam minutis animantibus quaestio est; tertio assignat rationem ordinis ejus quod ultimo factum est, ad opera praecedentia, ibi: omnibus autem creatis atque dispositis novissime factus est homo. Jam de septimae diei requie aliquid nos eloqui oportet. Hic Magister prosequitur ea quae ad septimum diem pertinent; et circa hoc tria facit: primo ostendit quomodo intelligatur auctoris requies; secundo quomodo intelligatur operis consummatio, ibi: sed quaeritur, quomodo septima die dicatur Deus complevisse opus suum; tertio ostendit quomodo intelligatur diei sanctificatio, ibi: illum autem diem sanctificasse et benedixisse legitur. Hic tria quaeruntur: primo de productione stellarum, quae ad quartum diem pertinet; secundo de productione animalium, quae pertinet ad quintum et sextum; tertio de quiete opificis, quae pertinet ad septimum. Circa primum quaeruntur tria: 1 de ipsa productione stellarum; 2 de effectu earum in inferiora corpora; 3 de effectu earum in ea quae sunt ex libero arbitrio.

Après l’œuvre de la création et de la différenciation, le Maître commence ici à traiter de l’œuvre d’embellissement. Il y a deux parties : dans la première, il détermine des œuvres des trois derniers jours, qui sont consacrés à l’embellissement ; dans la seconde, il détermine du repos du septième jour, par quoi est montrée l’achèvement de toute l’œuvre, à cet endroit : « Il nous faut maintenant dire quelque chose du repos du septième jour. » La première partie se divise en deux parties : dans la première, il traite de l’œuvre d’embellissement selon la position de certains saints ; dans la seconde, il traite de la position d’Augustin sur les œuvres des six jours, à cet endroit : « Mais avant de traiter de la création de l’homme, examinons plus clairement ce que nous avons brièvement abordé plus haut. » La première partie [se divise] en trois, selon les trois jours pendant lesquels l’œuvre d’embellissement est accomplie. En effet, dans la première, il détermine de l’œuvre du quatrième jour ; dans la deuxième, de l’œuvre du cinquième jour, à cet endroit : Dieu dit : « Que les eaux produisent l’animal vivant qui rampe »; dans la troisième, de l’œuvre du sixième jour, à cet endroit : « Vient ensuite : Dieu dit : ‘Que la terre produise une âme vivante.’ » À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il fait une distinction entre les œuvres d’embellissement les unes par rapport aux autres et par rapport aux œuvres de différenciation. Deuxièmement, il traite en particulier de l’œuvre du quatrième jour, à cet endroit : « Parce que le ciel l’emporte en apparence sur les autres éléments…, c’est la raison pour laquelle il est embelli avant les autres choses au quatrième jour. » Troisièmement, il soulève un doute et le résout, à cet endroit : « Ce qui vient ensuite : Qu’il y ait des signes, des époques, des jours et des années, on a coutume de se demander comment il faut l’entendre. » « Vient ensuite : Dieu dit : ‘Que la terre produise une âme vivante.’ » Ici est décrite l’œuvre du sixième jour. À ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il présente l’œuvre accomplie le sixième jour. Deuxièmement, il soulève deux questions à ce sujet : l’une, sur les animaux nuisibles, à cet endroit : « On a coutume de s’interroger sur les animaux venimeux »; l’autre, sur les animaux engendrés par la putréfaction, à cet endroit : « Il est aussi question de certains animaux minuscules… » Troisièmement, il donne la raison de l’ordre de ce qui a été fait en dernier, à cet endroit : « Après que tout a été créé et disposé, l’homme a été créé en dernier. » « Il nous faut dès maintenant dire quelque chose sur le repos du septième jour. » Ici, le Maître traite de ce qui se rapporte au septième jour. À ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il montre comment on entend le repos du Créateur. Deuxièmement, comment on entend l’achèvement de l’œuvre, à cet endroit : « Mais on se demande pourquoi on dit que Dieu, le septième jour, a achevé son œuvre. » Troisièmement, il montre comment on entend la sanctification de ce jour, à cet endroit : « On lit que ce jour a été sanctifié et béni. » Ici, trois questions sont posées : premièrement, à propos de la production des étoiles, qui relève du quatrième jour ; deuxièmement, à propos de la production des animaux, qui se rapporte aux cinquième et sixième jours ; troisièmement, à propos du repos de l’artisan, qui se rapporte au septième. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1. À propos de la production des étoiles. 2. À propos de leur effet sur les corps inférieurs. 3. À propos de leur effet sur ce qui relève du libre arbitre.

 

 

 

 

Articulus 1 [4744] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 tit. Utrum productio stellarum convenienter describatur

Article 1 – La production des étoiles est-elle décrite de manière appropriée ?

 

[4745] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod stellarum productio incompetenter describatur. Ea enim quae sunt priora secundum naturam, per prius ab ordinatissimo auctore prodiere. Sed sol et aliae stellae naturaliter praecedunt inferiora corpora, sicut movens praecedit motum, et agens passum. Ergo inconvenienter describitur productio solis et aliarum stellarum post distinctionem inferiorum elementorum.

1. Il semble que la production des étoiles soit décrite de manière inappropriée. En effet, ce qui premier par nature est issu en premier de l’auteur le plus ordonné. Or, le soleil et les autres étoiles précèdent naturellemet les corps inférieurs, comme ce qui meut précède ce qui est mû, et comme l’agent [précède] le patient. La production du soleil et des autres étoiles est donc décrite de manière inappropriée après la différenciation des éléments inférieurs.

 

[4746] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 2 caeli et mundi, stellae sunt partes orbium immobiles in orbibus permanentes, per eorum motum delatae. Sed plantae dicuntur ad ornatum non pertinere, quia terrae affixae sunt. Ergo videtur quod nec etiam stellae.

2. Selon le Philosophe, Sur le ciel et le monde, II, les étoiles sont des parties immobiles des sphères demeurant à l’intérieur des sphères et portées par leur mouvement. Or, on dit que les plantes ne relèvent pas de l’embellissement, car elles sont fixées dans la terre. Il semble donc que les étoiles non plus.

 

[4747] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut probant astrologi, multae stellae sunt majores luna. Sed cum dicitur esse duo magna luminaria, discretive intelligitur excedens magnitudo. Ergo videtur quod inconvenienter haec de luna dicantur.

3. Comme le démontrent les astrologues, plusieurs étoiles sont plus grandes que la lune. Or, lorsqu’on dit qu’il y a deux grands luminaires, on entend la grandeur excédentaire par mode de distinction. Il semble donc que cela soit dit de la lune de manière inappropriée.

 

[4748] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, luminare videtur dici quod est vas luminis. Sed illud corpus dicitur vas luminis quod a se lumen habet; quod lunae non competit, quam a sole illuminari, eclipsis lunae, et augmentatio et diminutio ostendit. Ergo videtur inconvenienter lunam luminare dici.

4. Il semble qu’on parle de luminaire pour un vase lumineux. Or, on appelle corps un vase lumineux qui possède la lumière par lui-même, ce qui ne convient pas à la lune ; l’éclipse de lune, son augmentation et sa diminution montrent qu’elle est illuminée par le soleil. Il semble donc qu’on appelle la lune un luminaire de manière inappropriée.

 

[4749] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, unumquodque luminare tempori illi praeesse videtur in quo apparet. Sed luna quandoque etiam in die apparet. Ergo non debet dici solum nocti praeesse.

5. Il semble que chaque luminaire préside au temps où il apparaît. Or, la lune apparaît parfois même le jour. On ne doit donc pas dire qu’elle préside seulement à la nuit.

 

[4750] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, nobilius nunquam est propter vilius se. Sed non nisi absurde dici potest, minuta animalia, quae lucem solis ferre non possunt, luna et sideribus digniora esse. Ergo videtur inconvenienter in littera dici, ideo factam esse lunam et sidera, ut lucerent propter talia animalia.

6. De plus, ce qui est plus noble n’est jamais destiné à ce qui est inférieur. Or, on ne peut dire que de manière absurde que de minuscules animaux, qui ne peuvent supporter la lumière du soleil, sont plus dignes que la lune et les astres. Il semble donc que le texte dise de manière inappropriée que la lune et les astres ont été créés afin d’éclairer de tels animaux.

 

[4751] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut supra dictum est, praeter principia et communia activa in tota natura, exiguntur determinatae virtutes moventes ad determinatas species; et hujusmodi virtutes per opus ornatus rebus inditae sunt. Sicut autem actio virtutum inferiorum communiter agentium reducitur in virtutem caelestem activam universaliter; ita etiam virtutes quae sunt in inferioribus, moventes ad determinatas species, reducuntur in aliquas virtutes caelestes determinatas; et hujusmodi virtutes determinatae consistunt praecipue in stellis, quae secundum diversos aspectus et conjunctiones, imprimunt ad determinatas species, ut dicit Commentator in 11 Metaph., unde virtutes inferiores sunt sicut instrumenta virtutum superiorum, ut dicit Commentator in 8 Physic., et ideo ut ordo ornatus, distinctionis ordini responderet, primo ponitur ornatus supremi elementi, secundum productionem luminarium, in quibus determinatae virtutes consistunt; secundo ornatus medii elementi per formationem piscium et avium: tertio ornatus infimi elementi in productione animalium terrestrium.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, en plus des principes communs actifs dans l’ensemble de la nature, des puissances motrices déterminées agissant en vue d’espèces déterminées sont nécessaires ; ces puissances sont placées dans les choses par l’œuvre d’embellissement. Or, de même que l’action des puissances inférieures agissant d’une manière générale se ramène à la puissance céleste active d’une manière universelle, de même aussi les puissances qui existent dans les réalités inférieures et les meuvent vers des espèces déterminées se ramènent-elles à certaines puissances célestes déterminées. Ces puissances déterminées consistent principalement dans les étoiles, qui, selon leurs divers aspects et conjonctions, agissent dans le sens d’espèces déterminées, comme le dit le Commentateur dans Métaphysique, XI. Ainsi les puissances inférieures sont-elles comme des instruments des puissances supérieures, comme le dit le Commentateur dans Physique, VIII. C’est pourquoi, afin que l’ordre de l’embellissement corresponde à l’ordre de la différenciation, l’embellissement de l’élément suprême est mis en premier dans la production des luminaires, dans lesquels les puissances déterminées consistent ; en deuxième lieu, est mis l’embellissement de l’élément intermédiaire par la formation des poissons et des oiseaux ; en troisième lieu, l’embellissement du plus petit élément par la production des animaux terrestres.

 

[4752] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per hoc quod dicitur: fiant luminaria in firmamento caeli, non intelligitur quod hujusmodi corpora luminarium secundum esse suum specificum ex praejacenti materia facta sint; sed eorum substantia prius existente, tunc primo virtutes determinatae eis collatae sunt, ex quo ultimum complementum sui acquisiere. Hae autem determinatae virtutes corporum caelestium non respondent communibus virtutibus quae sunt in elementis, sed propriis quae sunt in determinatis rebus; ut sicut lucis productio elementorum distinctionem praecesserat, ita luminarium institutio praecederet naturalium specierum diversitatem.

1. Ce qui est dit : Qu’existent les luminaires dans le firmament du ciel ! ne veut pas dire que les corps de ces luminaires, selon leur être spécifique, ont été faits à partir de la matière préexistante, mais que, leur substance étant existante, des puissances déterminées leur ont d’abord été données en premier, par lesquelles elles ont reçu leur achèvement ultime. Or, les puissances détérminées des corps célestes ne correspondent pas aux puissances communes qui existent dans les éléments, mais aux [puissances] propres qui existent dans des choses déterminées, de sorte que, de même que la production de la lumière avait précédé la différenciation des éléments, de même l’établissement des luminaires précéderait la diversité des espèces naturelles.

 

[4753] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad productionem plantarum sufficiunt communes virtutes elementorum, quae ex diversa commixtione elementorum, diversimode speciem sortiuntur; quod in animalibus perfectis accidere non potest, quamvis quidam philosophi hoc posuerint: et haec est causa quare plantae ad opus distinctionis pertinent. Unde non oportet quod stellae pertineant ad opus distinctionis, in quibus sunt virtutes moventes ad determinatas species. Vel potest dici, quod stellae etsi non moventur in caelo per se, moventur tamen cum orbibus suis; plantae vero nec per se nec cum alio moventur.

2. Pour la production des plantes, les puissances communes des éléments suffisent, lesquelles déterminent l’espèce de manière différente à partir d’un mélange différent des éléments. Mais cela ne peut se produire pour les animaux achevés, bien que certains philosophes l’aient affirmé. Telle est la raison pour laquelle les plantes relèvent de l’œuvre de différenciation. Il n’est donc pas nécessaire que les étoiles appartiennent à l’œuvre de différenciation, chez lesquelles existent des puissances qui meuvent vers des espèces déterminées. Ou bien on peut dire que les étoiles, même si elles ne se meuvent pas par elles-mêmes dans le ciel, sont cependant mues avec leurs sphères, mais que les plantes ne sont mues ni par elles-mêmes ni avec autre chose.

 

[4754] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sol dicitur magnum luminare et propter quantitatem et propter virtutem; luna vero dicitur magnum, non tam propter quantitatem veram, quam propter excessum claritatis respectu aliarum stellarum, ex propinquitate ejus ad nos, et propter evidentiam effectus quem habet in rebus humidis.

3. Le soleil est appelé un grand luminaire en raison de sa quantité et en raison de sa puissance ; mais la lune est appelée un grand [luminaire], non pas tant en raison de sa veritable quantité, qu’en raison de son surplus d’éclat par rapport aux autres étoiles, résultant de sa proximité par rapport à nous et du caractère manifeste de l’effet qu’elle exerce sur les réalités humides.

 

[4755] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut philosophi probant, et etiam Dionysius asserit, a sole illuminantur omnia corpora, et superiora et inferiora, et non tantum luna. Nec tamen hoc impedit quin alia corpora luminaria dicantur: quia cum lumen solis, ut Dionysius dicit, recipiatur diversimode in diversis corporibus secundum eorum proportionem, quaedam corpora recipiunt lumen praedictum ut lucentia et radios emittentia, sicut luna et stellae; et talia possunt luminaria et vasa luminis dici: quaedam autem recipiunt non ut radios ex se emittentia; et hoc dupliciter; vel in profundo, ut aer, vel in superficie, ut corpora opaca; quorum neutrum luminare dici potest.

4. Comme le démontrent les philosophes et l’affirme Denys, tous les corps sont illuminés par le soleil, les supérieurs comme les inférieurs, et non pas seulement la lune. Cela n’empêche cependant pas que d’autres corps soient appelés des luminaires, car, ainsi que le dit Denys, puisque la lumière du soleil est diversement reçue par des corps différents selon leur proportion, certains corps reçoivent cette lumière comme des [corps] brillants et émettant des rayons, telles la lune et les étoiles : ceux-ci peuvent être appelés luminaires et vases de luminaires ; mais certains [la] reçoivent, non pas en émettant des rayons qui partent d’eux, et cela de deux manières : soit, en profondeur, tel l’air, soit en surface, tels les corps opaques. Aucun d’entre eux ne peut être appelé un luminaire.

 

[4756] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis luna in die appareat, non tamen lumen ejus in die dominatur, propter praesentiam majoris luminis; et ideo dicitur nocti praeesse, non diei.

5. Bien que la lune apparaisse pendant le jour, sa lumière ne domine cependant pas pendant le jour en raison de la présence d’une plus grande lumière. Aussi dit-on qu’elle préside à la nuit, et non au jour.

 

[4757] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod aliquid potest esse propter aliud dupliciter. Aut quia ordinatur ad ipsum sicut ad finem proprium et principalem; et sic inconveniens est dicere, quod aliquid sit propter vilius se, ut luna et stellae propter noctuas et vespertiliones; cum finis potior sit his quae sunt ad finem. Alio modo potest dici aliquid esse propter aliud, cui ex ipso provenit aliqua utilitas; eo modo quo posset rex dici propter rusticum, ex cujus regimine provenit ei pax: et per hunc modum est intelligendum quod in littera dicitur: omnes enim utilitates quae ex corporibus caelestibus proveniunt in inferioribus, sunt a Deo provisae, qui corpora illa instituit.

6. Quelque chose peut être ordonné à autre chose de deux manières. Soit parce que cela y est ordonné comme à sa fin propre et principale : il est ainsi inapproprié de dire qu’une chose existe en vue de plus bas que soi, comme la lune et les étoiles en vue des chouettes et des chauves-souris, puisque la fin l’emporte dans ce qui existe pour une fin. D’une autre manière, on peut dire que quelque chose existe pour une autre chose dont lui vient quelque utilité : on pourrait ainsi dire que le roi existe pour le paysan, parce que celui-ci a la paix par le gouvernement [du roi]. C’est de cette manière qu’il faut entendre ce qui est dit dans le texte : en effet, tout le profit que les corps inférieurs retirent des corps célestes est donné par Dieu, qui a établi ces corps.

 

 

 

 

Articulus 2 [4758] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 tit. Utrum corpora caelestia habeant aliquem effectum in corporibus inferioribus

Article 2 – Les corps célestes exercent-ils une influence sur les corps inférieurs ?

 

[4759] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod corpora caelestia non habeant aliquem effectum in inferioribus corporibus. Primo per hoc quod in littera dicitur, quod facta sunt hujusmodi corpora ut sint in signa. Signum autem contra causam dividitur. Ergo videtur quod non sint causae aliquorum quae in inferioribus contingunt.

1. Il semble que les corps célestes n’aient pas d’influence sur les corps inférieurs. Premièrement, en raison de ce qui est dit dans le texte, que les corps de ce genre ont été créés pour servir de signes. Or, un signe est distinct d’une cause. Il semble donc qu’ils ne soient pas causes de certaines choses qui se produisent dans les corps inférieurs.

 

[4760] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Damascenus dicit: nos autem dicimus, quod ipsa, scilicet corpora caelestia, non sunt causa generationis eorum quae generantur, neque corruptionis eorum quae corrumpuntur. Sed generatio et corruptio ad corporalia pertinent. Ergo videtur quod nec in corporalibus effectum habeant.

2. [Jean] Damascène dit : « Mais nous disons que ceux-ci – à savoir, les corps célestes – ne sont pas la cause de la génération pour ce qui est engendré, ni de la corruption pour ce qui est corrompu. » Or, la génération et la corruption concernent les réalités corporelles. Il semble donc qu’ils n’exercent pas d’influence sur les réalités corporelles.

 

[4761] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, necessitas effectus procedit ex necessitate causae, ut in 5 Metaph. philosophus dicit. Sed motus corporum caelestium et dispositiones eorum sunt de rebus necessariis et invariabilibus, ut etiam dicit Dionysius in epistola 7, ad Polycarpum. Si ergo ex corporibus caelestibus causarentur alterationes et motus corporum inferiorum, oporteret quod in inferioribus omnia ex necessitate contingerent. Hoc autem apparet esse falsum. Ergo et cetera.

3. Le caractère d’un effet vient du caractère nécessaire de sa cause, comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, V. Or, le mouvement des corps célestes et leurs dispositions font partie des choses nécessaires et invariables, comme le dit aussi Denys dans sa lettre 7 à Polycarpe. Si donc des altérations et des mouvements des corps inférieurs étaient causés par des corps célestes, il faudrait que, chez les [corps] inférieurs, tout se produise de manière nécessaire. Or, cela semble faux. Donc, etc.

 

[4762] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne agens agit sibi simile. Sed corpora superiora non afficiuntur qualitatibus inferiorum corporum, scilicet calore et frigore, ut philosophus probat. Ergo videtur quod non possint esse causa motuum et alterationum ad has formas.

4. Tout agent réalise quelque chose de semblable à lui-même. Or, les corps supérieurs ne sont pas affectés par les qualités des corps inférieurs : la chaleur et le froid, comme le montre le Philosophe. Il semble donc qu’ils ne puissent être la cause des mouvements et des altérations en vue de ces formes.

 

[4763] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 5 Si dicatur, quod causant calorem per motum et per naturam lucis; contra. Ubi est eadem causa, et idem effectus. Sed omnia corpora caelestia convenienter motus et lumen habent. Ergo omnia haberent eumdem effectum: quod est contra omnes qui ponunt causalitatem corporum caelestium super inferiora, cum quaedam eorum dicantur effective calida ut sol, quaedam vero frigida, ut Saturnus et luna.

5. Si on dit qu’ils causent la chaleur par le mouvement et la nature de la lumière, on objectera que là où existe une même cause, l’effet est aussi le même. Or, tous les corps célestes ont de manière appropriée des mouvements et de la lumière. Donc, tous auraient le même effet, ce qui va à l’encontre de tous ceux qui affirment la causalité des corps célestes sur les [corps] inférieurs, puisqu’on dit de certains qu’ils sont effectivement chauds, tel le soleil, et de certains qu’ils sont froids, tels Saturne et la lune.

 

[4764] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, cum movens et motum oporteat esse simul, et agens et passum, ut probatur in 8 Phys., non potest ab uno extremo provenire actio in alterum nisi per impressionem factam in medio. Sed inter stellas superiores et corpora inferiora sunt medii orbes planetarum. Cum ergo illi orbes non recipiant impressionem caloris et frigoris, non videtur quod ad minus a superioribus stellis aliqua impressio in inferiora corpora fiat, nec etiam ab aliquo planetarum; nisi forte a luna.

6. Puisque le moteur et le mobile doivent exister en même temps, ainsi que l’agent et le patient, comme il est démontré dans Physique, VIII, l’action ne peut parvenir d’un extrême à l’autre que par une influence exercée sur le milieu. Or, les sphères intermédiaires des planètes se trouvent entre les étoiles supérieures et les corps inférieurs. Puisque ces sphères ne reçoivent pas l’influence de la chaleur et du froid, il ne semble donc pas que les étoiles supérieures, tout au moins, exercent une influence sur les corps inférieurs, ni quelqu’une des planètes, sauf peut-être la lune.

 

[4765] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Augustinus Lib. 5, cap. 6 de Civit. Dei: non usquequaque absurde dici potest ad solas corporum differentias afflatus quosdam sidereos pervenire. Dionysius etiam dicit in 4 cap. de Divin. Nomin. de radio solari tractans: generationem visibilium corporum confert, et ad vitam ipsam movet, et auget et nutrit et perficit. Hoc etiam ipse sensus ostendit, praecipue quantum ad effectum solis et lunae.

Cependant, [1] Augustin dit, La cité de Dieu, V, 6 : « Il n’est pas tout à fait absurde de dire que certaines émanations des astres parvient aux seules différences entre les corps. » Denys dit aussi, Les noms divins, IV, en parlant du rayon solaire : « Il apporte la génération aux corps visibles et les meut, fait croître, nourrit et perfectionne pour qu’ils vivent. » Le sens aussi montre cela, surtout pour ce qui est de l’effet du soleil et de la lune.

 

[4766] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc quaestionem fuit multiplex error. Quidam enim antiqui naturales non intelligentes aliquam substantiam praeter corpora esse, ea quae sunt nobilissima in corporibus, posuerunt esse nobilissima in entibus: unde etiam scientiam naturalem, primam scientiarum dicebant, ut in 4 Metaph. dicitur; et propter hoc corpora caelestia deos appellabant, credentes etiam ea esse animata, quia ipsam animam corpus esse dicebant, ut in 1 de anima patet: et ideo sequebatur corpora caelestia habere primam influentiam in inferiora corpora ex se et non ab alio: et haec fuit causa inducens idolatriam. Sed haec positio ostenditur erronea, non tantum per Scripturas sanctas, sed etiam per rationes philosophorum, qui substantias intellectuales primas esse probaverunt; quarum unam esse primam omnium causam ostendunt, scilicet Deum. Alia positio est quorumdam philosophorum, qui quidem concedunt nobiscum, corpora caelestia non esse primas causas inferiorum; sed ipsa esse ab alio habere et virtutem agendi: dicunt tamen, quod esse corporum inferiorum procedit a Deo mediantibus corporibus caelestibus: unde et materiam elementorum Avicenna dicit a substantia caeli causari: et hoc ut ostendat omnia a Deo secundum ordinem processisse, scilicet animas mediantibus intelligentiis, et corporalia mediantibus spiritualibus, et corruptibilia mediantibus incorruptibilibus. Sed haec positio erronea est et contra fidem, quae ponit Deum solum materiae et omnium rerum creatorem esse, ut supra dictum est. Aliorum positio est, quod omnino nullum effectum in corporibus habent. Sed hoc omnino est contra sensum et contra sanctorum auctoritates. Et ideo aliter dicendum est, quod secundum Avicennam, duplex est agens; scilicet agens divinum, quod est dans esse; et agens naturale, quod est transmutans. Dico ergo, quod primus modus actionis soli Deo convenit; sed secundus modus etiam aliis convenire potest: et per modum istum dicendum est, corpora caelestia causare generationem et corruptionem in inferioribus, inquantum motus eorum est causa omnium inferiorum mutationum. Sed cum omnis motus sit actus motoris et moti, oportet quod in motu relinquatur virtus motoris et virtus mobilis: unde ex ipso mobili, quod corpus est, habet virtutem movendi inferiora corpora ad dispositiones corporales. Ex parte autem motoris, qui est substantia spiritualis, quaecumque sit illa, habet virtutem movendi ad formas substantiales, secundum quas est esse specificum, quod divinum esse dicitur. Relinquitur autem virtus spiritualis substantiae in motu corporis caelestis, ad modum quo virtus motoris relinquitur in instrumento: et per hunc modum omnes formae naturales descendunt a formis quae sunt sine materia, ut Boetius dicit, 1 de Trin., cap. 3, in fin., et Commentator in 11 Metaph., sicut formae artificiatorum ab artifice.

Réponse. À propos de cette question, il a existé plusieurs erreurs. En effet, certains anciens [philosophes] de la nature, ne comprenant pas qu’une autre substance que les corps existe, ont affirmé que les corps les plus nobles sont les plus nobles des êtres ; en conséquence, ils disaient que la science naturelle est la première des sciences, comme on le dit dans Métaphysique, IV. Pour cette raison, ils appelaient dieux les corps célestes, en croyant aussi que ceux-ci étaient animés, car ils disaient que l’âme elle-même était un corps, comme cela ressort de Sur l’âme, I. Il en découlait donc que les corps célestes avaient par eux-mêmes, et non par un autre, la première influence sur les corps inférieurs. Telle fut la cause de l’idolâtrie. Mais le caractère erroné de cette position est montré, non seulememnt par les Saintes Écritures, mais aussi par les arguments des philosophes, qui ont montré que les substances intellectuelles sont les premières, parmi lesquelles ils montrent que l’une est première de toutes : Dieu. Une autre position est celle de certains philosophes qui concèdent avec nous que les corps célestes ne sont pas les causes premières des [corps] inférieurs, mais qu’ils reçoivent d’un autre leur être et leur puissance d’agir. Toutefois, ils disent que l’être des corps inférieurs vient de Dieu par l’intermédiaire des corps célestes. Aussi Avicenne dit-il que la matière des éléments est causée par la substance du ciel, et cela, afin de montrer que tout est issu de Dieu selon un ordre, à savoir, les âmes par l’intermédiaire des intelligences, et les réalités corruptibles par l’intermédiaire des réalités spirituelles. Mais cette position est erronée et contraire à la foi, qui affirme que Dieu seul est créateur de la matière et de toutes choses, comme on l’a dit plus haut. D’autres adoptent la posistion que [les corps célestes] n’exercent aucune influence sur les corps [inférieurs]. Mais cela est tout à fait contraire au sens et contraire aux autorités des saints. Aussi faut-il dire autre chose. Selon Avicenne, il existe un double agent : l’agent divin, qui donne l’être, et l’agent naturel, qui le transforme. Je dis donc que le premier mode d’action ne convient qu’à Dieu ; mais le second mode peut aussi convenir à d’autres. De cette manière, on doit dire que les corps célestes causent la génération et la corruption dans les [corps] inférieurs dans la mesure où leur mouvement est la cause de tous les changements des [corps] inférieurs. Mais puisque tout mouvement est l’acte d’un moteur et de ce qui est mû, il faut que la puissance du moteur et du mobile demeure dans le mouvement. Aussi, du côté du mobile lui-même, qui est un corps, possède-t-il la puissance de mouvoir les corps inférieurs à des dispositions corporelles. Mais, du côté du moteur, qui est une substance spirituelle, quelle qu’elle soit, il possède la puissance de mouvoir à des formes substantielles, qui confèrent un être spécifique : on l’appelle l’être divin. Mais il reste la puissance d’une substance spirituelle dans le mouvement d’un corps céleste, à la manière dont la puissance d’un moteur demeure dans un instrument : de cette manière, toutes les formes naturelles viennent de formes qui sont sans matière, comme les formes des objets d’art viennent de l’artisan, ainsi que le disent Boèce, Sur la Trinité, I, 3, à la fin, et le Commentateur, Métaphysique, XI,

 

[4767] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod contingit aliquando idem esse signum et causam: causam, inquantum operatur ad effectum; signum, inquantum sensibus repraesentatum in cognitionem effectus ducit. Unde per hoc quod dicuntur signa, non excluditur eorum causalitas; quam tamen Scriptura subticuit, ne idolatrandi aliqua occasio daretur, ad quam tunc temporis homines proni erant.

1. Il arrive parfois qu’une même chose soit signe et cause : cause, en tant qu’elle agit en vue d’un effet ; signe, en tant que ce qui est représenté aux sens conduit à la connaissance d’un effet. Aussi le fait qu’on parle de signes n’écarte pas leur causalité. Toutefois, l’Écriture l’a tu pour que ne soit pas donnée une occasion d’idolâtrie, à laquelle les hommes de cette époque étaient enclins.

 

[4768] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Damascenus intendit negare a corporibus caelestibus illam causalitatem quae idolatriam inducebat, ut patet ex praedictis.

2. [Jean] Damascène entend refuser aux corps délestes la causalité qui entraînait l’idolâtrie, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 

[4769] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod impressio alicujus agentis non recipitur in aliquo nisi per modum recipientis: et quia natura inferior est talis quae impediri potest, et deficere in minori parte; ideo impressiones corporum caelestium non recipiuntur in corporibus inferioribus secundum necessitatem, ut semper ita eveniat, sed ut in pluribus, sicut expresse habetur a philosopho in fine de somno et vigilia.

3. L’influence d’un agent n’est reçue dans une chose que selon le mode de ce qui reçoit. Et parce que la nature inférieure est telle qu’elle peut être empêchée et faire défaut dans une minorité de cas, les influences des corps célestes ne sont pas nécessairement reçues par les corps inférieurs, de sorte qu’elles se réalisent toujours, mais dans la plupart des cas, comme le dit le Philosophe, à la fin de Sur le sommeil et la veille.

 

[4770] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod similia sunt quae in eadem forma communicant; sed contingit quod illam formam non uniformiter participant quaedam; quia quod est in uno deficienter, in altero est eminentius: et hoc oportet inveniri, secundum Dionysium, in omnibus causis essentialibus: et ideo ipse dicit quod sol uniformiter praeaccepit in se omnia ea quae divisim per actionem in aliis causantur: et secundum hoc dico, quod calor et frigus et hujusmodi inveniuntur in corporibus caelestibus nobiliori modo quam in elementis; non quod istis qualitatibus afficiantur et denominentur, sed sunt in eis sicut in virtute activa; et talis similitudo sufficit ad actionem agentis non univoce.

4. Est semblable ce qui partage la même forme. Mais il arrive que certaines choses ne partagent pas uniformément cette forme, car ce qui existe chez l’une de manière déficiente existe chez l’autre de manière éminente. Selon Denys, cela se rencontre dans toutes les causes essentielles. Aussi dit-il que le soleil possède en lui-même tout ce qui est causé dans d’autres choses par son action. De ce point de vue, je dis que la chaleur, le froid et les choses de ce genre se trouvent dans les corps célestes d’une manière plus noble que dans les éléments ; non pas qu’ils soient affectés et désignés selon ces qualités, mais elles existent en eux comme dans une puissance active, et une telle ressemblance suffit pour l’action d’un agent non-univoque.

 

[4771] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod lux, quantum est de se, semper est effectiva caloris; etiam lux lunae. Unde dicit philosophus de partibus Animal. quod noctes plenilunii sunt calidiores. Sed praeter naturam lucis quae communis est omnibus corporibus caelestibus, quaelibet stella habet virtutem determinatam, consequentem suam speciem, ratione cujus lux ejus et motus habet vel infrigidare vel humectare, et sic de aliis; sicut etiam et praeter motum communem, qui est motus diurnus, quilibet orbis habet motum proprium.

5. En elle-même, la lumière produit toujours la chaleur, même la lumière de la lune. Aussi le Philosophe dit-il, Sur les parties des animaux, que les nuits de pleine lune sont plus chaudes. Mais en plus de la nature de la lumière qui est commune à tous les corps célestes, chaque étoile possède une puissance déterminée, découlant de son espèce, en raison de quoi sa lumière et son mouvement peuvent refroidir ou humidifier, et ainsi de suite, comme aussi, en plus du mouvement commun, qui est le mouvement quotidien, chaque sphère possède son mouvement propre.

 

[4772] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cujuslibet agentis habentis situm, actio prius recipitur in medio quam in termino; non tamen oportet quod recipiatur in utroque eodem modo; sed secundum quod exigit dispositio utriusque, sicut ponit exemplum Commentator in 8 Physic., de pisce qui retentus in reti, stupefacit manum praeter hoc quod stupefaciat rete, quae stupefactionis capax non est, et tamen secundum aliquem modum rete alteratur ex virtute piscis. Ita etiam oportet quod virtutes superiorum stellarum prius recipiantur in mediis orbibus quam in inferiora corpora, quamvis non eosdem effectus utrobique habeant.

6. L’action de tout agent qui est dans un site est d’abord reçue au centre avant d’atteindre le terme ; il n’est cependant pas nécessaire qu’elle soit reçue par les deux de la même façon, mais selon que l’exige la disposition de chacun des deux, selon l’exemple donné par le Commentateur dans Physique, VIII, à propos du poisson qui, retenu dans le filet, surprend la main sans surprendre le filet, qui n’est pas susceptible de surprise ; néanmoins, le filet est altéré d’une certaine manière par la puissance du poisson. De même est-il nécessaire que les puissances des étoiles supérieures soient d’abord reçues au centre des sphères avant d’atteindre les corps inférieurs, bien qu’elles n’aient pas les mêmes effets aux deux endroits.

 

 

 

 

Articulus 3 [4773] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 tit. Utrum corpora superiora habeant causalitatem super motus liberi arbitrii

Article 3 – Les corps supérieurs exercent-ils une causalité sur les mouvements du libre arbitre ?

 

[4774] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod corpora superiora habeant causalitatem etiam super motus liberi arbitrii. Dionysius enim, in 4 cap. de Divin. Nom. de corporibus caelestibus tractans, ea, inquit, quae sunt in tempore determinant et numerant et ordinant et continent. Sed opera quae sunt ex libero arbitrio sunt in tempore. Ergo determinantur et ordinantur virtute corporum caelestium.

1. Il semble que les corps supérieurs exercent aussi une causalité sur les mouvements du libre arbitre. En effet, dans Sur les noms divins, IV, Denys dit, en traitant des corps célestes : « Ils déterminent, comptent, ordonnent et contiennent ce qui existe dans le temps. » Or, les actions qui viennent du libre arbitre existent dans le temps. Elles sont donc déterminées et ordonnées par la puissance des corps célestes.

 

[4775] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omne quod non est eodem modo se habens, oportet reducere in causam semper eodem modo se habentem: quia contingentia procedunt ex necessariis et difformia ab uniformibus. Sed actus ex libero arbitrio dependentes maxime sunt variabiles. Ergo oportet eos reducere in motus caelestes sicut in causas uniformes.

2. Tout ce qui n’existe pas de la même manière doit être ramené à une cause qui existe toujours de la même manière, car ce qui est contingent vient de ce qui est nécessaire et ce qui est difforme, de ce qui est uniforme. Or, les actes qui dépendent du libre arbitre sont variables au plus haut point. Il est donc nécessaire de les ramener aux mouvements célestes comme à leurs causes uniformes.

 

[4776] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut se habet movens et mobile ad aliud movens et mobile; ita se habet motus ad motum. Sed motor corporis caelestis est nobilior motore corporis humani, et potens in ipsum imprimere; et similiter corpus caeleste in corpus humanum. Ergo et motus caelestis est aliquo modo causa operum humanorum, quae ex libero dependent arbitrio.

3. Le rapport entre ce qui meut et ce qui est mobile à quelque chose d’autre qui meut et à un autre mobile est le même que [celui qui existe] entre les deux mouvements. Or, le moteur d’un corps céleste est plus noble que le moteur du corps humain, et il peut agir sur celui-ci ; de même, le corps céleste peut-il agir sur le corps humain. Le mouvement céleste est donc lui aussi de quelque manière la cause des actes humains, qui dépendent du libre arbitre.

 

[4777] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, praecognitio aliquorum futurorum non potest accipi nisi ex illis in quibus illa futura sunt aliquo modo sicut in causis; sive per se cognoscantur causae illae, sive per aliquos effectus, qui dicuntur earum signa, et per consequens aliorum effectuum. Sed praecognitiones operum humanorum ex libertate arbitrii dependentium accipiuntur ex motibus caelestibus, sicut patet ex astrologis, qui multa de his divinando praedicunt. Ergo videtur quod corpora caelestia habeant causalitatem super ea quae ex libertate arbitrii dependent.

4. La connaissance préalable de certaines choses à venir ne peut être obtenue qu’à partir de ce en quoi se trouvent d’une certaine manière ces choses à venir comme dans leurs causes : soit que ces causes soient connues par elles-mêmes, soit qu’elles le soient par certains effets, qu’on appelle leurs signes, et, par conséquent, ceux d’autres effets. Or, les connaissances préalables des actes humains dépendant du libre arbitre sont tirées des mouvements célestes, comme cela ressort chez les astrologues, qui prédisent beaucoup de choses en les devinant à partir de ceux-ci. Il semble donc que les corps célestes exercent une causalité sur ce qui dépend du libre arbitre.

 

[4778] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, sicut dicit philosophus, agens oportet esse praestantius patiente. Sed corpus caeleste est multo inferius in ordine entium quam anima rationalis. Ergo non potest in ipsa agere, ut causet aliquem effectum ejus.

Cependant, [1] comme le dit le Philosophe, l’agent doit être supérieur au patient. Or, le corps céleste est de beaucoup inférieur à l’âme raisonnable dans l’ordre des êtres. Il ne peut donc pas agir en elle de telle sorte qu’il en cause l’effet.

 

[4779] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, ut probat philosophus in nobis est bonos vel malos esse. Sed boni vel mali efficimur per actus nostros. Ergo in nobis est quod bonos actus nostros faciamus. Ergo non causantur ex aliqua virtute vel impressione virtutis caelestis.

[2] Comme le montre le Philosophe, il relève de nous d’être bons ou méchants. Or, nous devenons bons ou méchants par nos actes. Il nous revient donc de poseer des actes bons. Ils ne sont donc pas causés par la puissance ou l’influence d’une puissance céleste.

 

[4780] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum propria rei operatio sequatur naturam ipsius, illud tantum causa operationis esse potest quod aliquo modo naturam in esse producit: et ideo, cum actus ex libertate arbitrii procedentes, ex hoc quod voluntarii sunt et in potestate nostra, actus humani proprie dicantur; non possunt in aliquam causam directe reduci quae ipsius animae causa non sit; et ideo secundum diversas positiones de causalitate rationalis animae, consecutae sunt diversae opiniones de operibus humanis. Quidam enim antiqui philosophi sensum et intellectum idem esse dixerunt, intantum quod sicut ex transmutatione corporis transmutatur sensus, ita etiam mutaretur intellectus, ut de Democrito philosophus narrat. Et cum omnes virtutes corporales ex corpore dependentes reducantur in virtutes primorum corporum sicut in causas, sequebatur quod corpora caelestia directe causalitatem haberent super animam rationalem, et per consequens supra operationes ejus. Unde ponebant, quod qualis unusquisque est secundum dispositionem quam ex nativitate sortiebatur secundum impressionem superiorum corporum, talis finis videbatur ei; et secundum hoc diversificabantur electiones hominum, quibusdam hoc, quibusdam aliud eligentibus. Haec autem positio reprobata est a philosophis tum quantum ad causam, quia probaverunt intellectum non esse virtutem corporalem, nec actum ejus proprium organo corporali expleri; tum etiam quantum ad id quod sequitur, ostendentes bonam vel malam electionem in nostra potestate esse: alias injuste darentur poenae vel praemia. Similiter etiam damnata est a sanctis tamquam fidei contraria. Alii vero philosophi ponentes intellectum a sensu differre in hoc quod ad corpus non dependet, nec corporali organo suum actum explet, dixerunt nullam virtutem corporalem causalitatem super intellectum humanum habere, sed omnino ab extrinseco esse, et ideo etiam electionem humanam non dependere ex corporibus caelestibus nisi per accidens, inquantum videlicet ex dispositione corporis, quam impressio caelestis relinquit, aliquo modo anima inclinatur ad sequendum affectiones corporis per modum quo passiones corporales rationem inclinant, et quandoque deducunt. Sed tamen quia ponunt animas humanas creari a Deo mediantibus intelligentiis, ponunt quod motores orbium causent ipsos motus voluntatis, praeter ordinem motus; ut Avicenna dicit in fine Metaph. suae, quod varietas operum voluntatis reducitur sicut in causam in conceptiones uniformes motorum caelestium. Nec tamen ponunt quod tollatur libertas electionis, cum impressio recipiatur per modum recipientis. Haec etiam positio falsa est et contra fidem, quae immediate animas humanas a Deo creari ponit. Unde relinquitur quod electionis humanae non sit causa, per se loquendo, neque corpus caeleste, neque anima ejus vel intelligentia movens ipsum; sed solus Deus, qui operatur omnia in omnibus.

Réponse. Puisque l’opération propre d’une chose découle de sa nature, cela seul peut être cause de l’opération qui, d’une certaine manière, amène la nature à l’être. Puisque les actes qui viennent du libre arbitre sont appelés humains au sens propre parce qu’ils sont volontaires et sont en notre pouvoir, ils ne peuvent donc être directement ramenés à une cause qui ne soit pas cause de l’âme même. Les diverses opinions sur les actes humains découlent donc des diverses positions sur la cause de l’âme raisonnable. En effet, certains philosophes anciens ont dit que le sens et l’intelligence sont la même chose, au point où, de la manière dont le sens est changé par un changement du corps, de même aussi l’intelligence est-elle changée, comme le raconte le Philosophe à propos de Démocrite. Comme toutes les puissances corporelles dépendant du corps se ramènent aux puissances des corps premiers comme à leurs causes, il en découlait donc que les corps célestes exerçaient une causalité directe sur l’âme raisonnable et, par conséquent, sur ses opérations. Aussi affirmaient-ils que, tel que chacun est selon la disposition qu’il reçoit à sa naissance par l’action des corps supérieurs, telle la fin lui paraissait. C’est ainsi que les choix des hommes se différenciaient, certains choisissant ceci, d’autres cela. Mais cette position a été rejetée par les philosophes autant en sa cause, car ils ont montré que l’intelligence n’est pas une puissance corporelle et que son acte propre n’est pas accompli par un organe corporel, que par ce qui en découle, alors qu’ils montrent qu’un choix bon ou mauvais est en notre pouvoir, autrement les peines ou les récompenses seraient injustement données. [Cette position] a aussi été condamnée par les saints comme étant contraire à la foi. Mais d’autres philosophes, qui affirment que l’intelligence diffère du sens du fait qu’elle ne dépend pas du corps et que son acte ne s’accomplit pas par un organe corporel, ont dit qu’aucune puissance corporelle n’exerce de causalité sur l’intelligence humaine, mais qu’elle agit entièrement de l’extérieur. Ils ont donc aussi [dit] que le choix humain ne dépend des corps célestes que par accident, dans la mesure où, en raison d’une disposition du corps laissée par l’influence céleste, l’âme est en quelque sorte encline à suivre les affections du corps à la manière dont les passions corporelles inclinent la raison, et parfois la conduisent. Toutefois, parce qu’ils affirment que les âmes humaines ont été créées par Dieu par l’intermédiaire des intelligences, ils affirment que les moteurs des sphères causent les mouvements mêmes de la volonté par-delà l’ordre du mouvement ; ainsi Avicenne dit-il, à la fin de sa Métaphysique, que la diversité des actes de la volonté se ramène comme à sa cause aux conceptions uniformes des moteurs célestes. Ils n’affirment cependant pas que la liberté du choix est enlevée, puisque l’influence est reçue selon le mode de celui qui reçoit. Cette position aussi est fausse et contraire à la foi, qui affirme que les âmes humaines sont créées par Dieu de manière immédiate. Il reste donc, à proprement parler, que ni le corps céleste, ni son âme ou intelligence qui le meut n’est la cause du choix humain, mais Dieu seul, qui accomplit tout en tous [1 Co 12, 6].

 

[4781] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actus liberi arbitrii non sunt temporales nisi per accidens, inquantum scilicet habent ordinem ad virtutes corporales, a quibus ratio scientiam accipit, et voluntas earum passionibus inclinatur.

1. Les actes du libre arbitre ne sont temporels que par accident, pour autant qu’ils aient un rapport avec les puissances corporelles, dont la raison reçoit la science et par les passions desquelles la volonté est inclinée.

 

[4782] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod motus voluntatum reducitur in unam causam uniformem; sed illa causa non est motus caelestis, aut aliqua virtus creata, sed ipsa voluntas divina, a qua est omnis voluntas.

2. Le mouvement de la volonté se ramène à une seule cause uniforme. Cependant, cette cause n’est pas le mouvement céleste ou quelque puissance créée, mais la volonté divine elle-même, de qui vient toute volonté.

 

[4783] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actuum qui dependent ex libero arbitrio quidam in sola electione consistunt, sicut interiores actus; et in hos non habent causalitatem caelestia corpora, nisi forte per modum dispositionis, secundum quod ex qualitate corporis inclinatur anima ad hanc vel ad illam electionem; et si etiam poneretur quod essent ex impressione superiorum motorum, hoc esset praeter ordinem motus: quod tamen falsum est, nisi Deum immediate caelos movere dicamus. Alii vero motus sunt per organa corporalia completi, ut ambulare, et hujusmodi: et super hos actus non est dubium motus corporum caelestium causalitatem habere, non quidem a parte illa qua sunt a voluntate imperati, sed secundum quod consistunt in executione corporis; cum omnis motus inferiorum reducatur in superiores motus sicut in causas.

3. Parmi les actes qui dépendent du libre arbitre, certains consistent dans le seul choix, comme les actes intérieurs ; sur ceux-ci, les corps célestes n’exercent pas de causalité, sauf par mode de disposition, selon qu’en vertu d’une qualité du corps, l’âme est encline à tel ou tel choix. Et même si on affirmait qu’ils viennent de l’influence de moteurs supérieurs, cela serait par-delà l’ordre du mouvement, ce qui est cependant faux, à moins que nous disions que Dieu meut les cieux de manière immédiate. Mais d’autres mouvements sont accomplis par des organes corporels, comme marcher et les mouvements de genre. Il n’y a pas de doute que les corps célestes exercent une causalité sur ces mouvements, non pas sous l’aspect où ils sont commandés par la volonté, mais selon qu’ils consistent dans l’exécution par le corps. [Et cela], parce que tout mouvement des inférieurs se ramène à des [mouvements] supérieurs comme à leurs causes.

 

[4784] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dictum est, electio animae multum inclinatur ex complexione corporis; unde etiam medici judicant aliquem esse invidum vel tristem vel lascivum vel aliquid hujusmodi: quorum judicia frequenter vera sunt, eo quod ut in pluribus ratio passionibus succumbit, et ab eis deducitur; quamvis non de necessitate, eo quod ratio imperium super passiones habet; et per hunc etiam modum ex motibus corporum caelestium aliqua possunt de operibus humanis praesciri, cum non sit dubium dispositiones corporis humani impressiones corporum caelestium sequi. Quamvis talibus praedictionibus non sit tutum nimis intendere, ut dicit Augustinus, 2 super Gen., cum plerumque astrologi de futuris vera praenuntient, non tam ex signis caelestibus, quam ex occulto Daemonis instinctu, quem humanae mentes interdum nescientes patiuntur; et sic cum hujusmodi divinationibus quodammodo foedus initur.

4. Comme on l’a dit, le choix de l’âme est fortement incliné par la complexion du corps ; aussi les médecins eux-mêmes jugent-ils que quelqu’un est envieux, triste, lascif ou quelque chose de ce genre, et leurs jugements sont souvent vrais parce que, dans la plupart des cas, la raison succombe aux passions et est menée par elles, bien que cela ne soit pas nécessaire, puisque la raison peut commander aux passions. C’est de cette manière aussi que les mouvements des actes humains peuvent être connus à l’avance à partir des mouvements des corps célestes, puisqu’il n’y a pas de doute que les dispositions du corps humain suivent l’influence des corps célestes. Toutefois, il n’est pas sûr de trop s’arrêter à de telles prédictions, comme le dit Augustin dans son Commentaire littéral de la Genèse, II, puisque les astrologues annoncent la plupart du temps des choses vraies sur l’avenir, non pas tant à partir des signes célestes que par une inspiration occulte du Démon, que les esprits humains subissent parfois sans le savoir. De cette manière, un pacte est donc d’une certaine manière contracté avec ce genre de divinations.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La production des animaux]

 

Prooemium

Prologue

 

[4785] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 pr. Deinde quaeritur de productione animalium quae ad quintam et sextam diem pertinet; et circa hoc quaeruntur duo: 1 de materia ipsorum; 2 de locis quae eis ornari dicuntur.

On s’interroge ensuite sur la production des animaux, qui appartient aux cinquième et sixième jours. À ce sujet, deux questions sont posées : 1. À propos de leur matière. 2. À propos des endroits dont on dit qu’ils sont embellis par eux.

 

 

 

 

Articulus 1 [4786] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 tit. Utrum quaedam animalia sumpserint materiam ex aquis, quaedam ex terra

Article 1 – Certains animaux ont-ils tiré leur matière des eaux et d’autres, de la terre ?

 

[4787] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur falsum esse quod dicitur, quaedam animalia ex aquis, quaedam ex terris materiam suscepisse. Corpus enim cujuslibet animalis oportet esse sensibile. Sed nihil est sensitivum sine calore, ut philosophus dicit, 2 de anima. Ergo in corporibus animalium praecipue debet ignis dominari, qui est fons caloris.

1. Il semble faux de dire que certains animaux ont reçu leur matière des eaux et d’autres, de la terre. En effet, le corps de tous les animaux doit être sensible. Or, rien n’est sensible sans la chaleur, comme le dit le Philosophe, Sur l’âme, II. Dans le corps des animaux, le feu, qui est la source de la chaleur, doit donc surtout dominer.

 

[4788] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, inter omnia corpora inferiora sunt nobilissima corpora animalium: quod patet ex hoc quod nobilissimam perfectionem sortiuntur, scilicet animam. Cum ergo corpora rariora, scilicet ignis et aer, sint nobiliora, quasi plus habentia de specie, et minus de materia; videtur quod ex ipsis praecipue animalium corpora constare debeant.

2. Parmi tous les corps inférieurs, les plus nobles sont ceux des animaux, ce qui ressort du fait qu’ils partagent la perfection la plus noble, à savoir, l’âme. Puisque les corps plus rares, c’est-à-dire le feu et l’air, sont plus nobles pour autant qu’ils possèdent davantage l’espèce et moins de matière, il semble donc que les corps des animaux doivent être surtout constitués d’eux.

 

[4789] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, ut dicit philosophus, quaecumque ex calido condensantur, terrae sunt magis; quae vero ex frigido, aquae. Sed corpora omnium animalium condensantur ex calore digerente, et humores in membra convertente. Ergo non videtur esse aliquod animal in quo dominetur aqua.

3. Comme le dit le Philosophe, tout ce qui se condense par la chaleur appartient davantage à la terre, mais ce qui se condense par le froid [appartient davantage] à l’eau. Or, les corps de tous les animaux se condensent par la chaleur, qui réalise la digestion et convertit les humeurs dans les membres. Il semble donc n’y avoir aucun animal chez lequel l’eau domine.

 

[4790] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, unicuique corpori mixto debetur locus secundum elementum praedominans in ipso, ut dicitur in 1 caeli et mundi. Sed locus avium est aer, ut in littera dicitur. Ergo videtur quod non aqua, sed aer praecipue in avibus dominetur.

4. Pour chaque corps mixte, il doit y avoir un lieu conforme à l’élément prédominant chez lui, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I. Or, le lieu des oiseaux est l’air, comme on le dit dans le texte. Il semble donc que ce ne soit pas l’eau, mais l’air qui l’emporte chez les oiseaux.

 

[4791] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod in littera dicitur, quod ex aqua pisces et aves producuntur, ex terra autem alia animalia.

Cependant, on dit dans le texte que les poissons et les oiseaux sont produits à partir de l’eau, mais les autres animaux à partir de la terre.

 

[4792] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod elementum praedominari in aliquo corpore potest intelligi dupliciter; vel secundum suum genus, vel quantum ad id quod est proprium illi corpori in genere illo. Cum enim alicui generi deputatur aliqua complexio, hoc non est secundum aliquem indivisibilem gradum, sed secundum latitudinem quamdam; ita quod est invenire aliquos terminos ultra quos non salvatur complexio illius generis. Sed inter illos terminos est multa diversitas, secundum quod acceditur ad unum vel alterum: verbi gratia, complexio debita corpori humano est complexio temperatissima; et tamen sunt multi gradus temperamenti, secundum quos quidam dicuntur melancholici, quidam cholerici, et sic de aliis, secundum propinquitatem ad terminos complexionis humanae speciei vel in calore vel in frigore; ita tamen quod est aliquis gradus caloris vel frigoris, quem non transit humana complexio. Dico ergo, quod si loquimur de elemento praedominante in corpore animalis quantum ad complexionem consequentem ipsum genus, oportet quod elementa inferiora grossiora secundum quantitatem excedant elementa subtiliora, quae tamen excedunt secundum virtutem, scilicet secundum calidum et humidum, in quo vita consistit; quae sunt qualitates principales ignis et aeris. Cum enim corpora animalium debeant esse aliis temperatiora, ut magis a contrariis remota, et per aequalitatem complexionis naturae corpori caelesti assimilata, perfectionem magis similem sortiantur virtuti quae movet caelos; oportet inferiora elementa, quae sunt minus activa eo quod habent plus de materia et minus de forma, secundum quantitatem excedere; ut virtutis defectum suppleat quantitatis excessus. Sed tamen complexio in qua salvatur natura animalis, habet multas diversitates; et secundum quod accedit ad unum extremum vel ad alterum, dicitur in altero dominari hoc vel illud elementum.

Réponse. On peut entendre de deux manières la prédominance d’un élément dans un corps : selon son genre ou selon ce qui est propre à ce corps à l’intérieur de ce genre. En effet, alors qu’on attribue une complexion à un genre, cela ne se fait pas selon un degré indivisible, mais selon une certaine étendue, de sorte qu’il y ait certaines limites au-delà desquelles la complexion de ce genre n’est pas préservée. Mais, à l’intérieur de ces limites, il existe une grande diversité, selon que [cette complexion] affecte l’un ou l’autre : par exemple, la complexion qui est celle du corps humain est une complexion très tempérée. Cependant, il existe plusieurs degrés du tempérament, selon lesquels on dit que certains sont mélancoliques, certains colériques et ainsi de suite pour les autres, selon leur proximité par rapport aux limites de la complexion de l’espèce humaine, soit pour la chaleur, soit pour le froid, de telle sorte cependant qu’il existe un degré de chaleur ou de froid que ne dépasse pas la complexion humaine. Je dis donc que, si nous parlons de l’élément prédominant dans le corps d’un animal du point de vue de sa complexion, qui découle de son genre, il est nécessaire que les éléments inférieurs les plus importants par leur quantité dépassent les éléments plus subtils, qui l’emportent cependant par leur puissance, à savoir, par le chaud et l’humide, en quoi consiste la vie : ce sont les qualités principales du feu et de l’air. En effet, puisque les corps des animaux doivent être plus tempérés, parce qu’ils sont plus éloignés des contraires et ressemblent davantage, par l’égalité de la complexion de leur nature, à un corps céleste, ils ont une perfection qui ressemble davantage à la puissance qui meut les cieux. il est nécessaire que les éléments inférieurs, qui sont moins actifs du fait qu’ils ont plus de matière et moins de forme, dépassent par la quantité, de sorte que le dépassement par la quantité remplace le manque de puissance. Cependant, la complexion de la nature animale est sauvegardée sous plusieurs diversités ; et selon qu’elle s’approche d’un extrême ou de l’autre, on dit que domine chez un autre tel ou tel élément.

 

[4793] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ignis dominatur secundum virtutem in corpore sensitivo, eo quod calor est instrumentum animae: non tamen potest esse quod ignis dominetur secundum quantitatem materiae: eo quod cum sit maxime activus, alia elementa consumeret; et ideo non dicitur animalis corpus ex igne materialiter formatum.

1. Le feu l’emporte par sa puissance dans un corps sensible du fait que la chaleur est un instrument de l’âme ; cependant, il ne peut arriver que le feu l’emporte selon la quantité de la matière, du fait qu’étant actif au plus haut point, il consumerait les autres éléments. C’est pourquoi on ne dit pas que le corps animal est matériellement formé de feu.

 

[4794] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in quolibet genere tanto aliquid est nobilius quanto magis accedit ad nobilissimum in genere illo: et ideo simpliciter loquendo per respectum ad ultimam perfectionem, corpus aequalis complexionis, in quo secundum quantitatem excedunt corpora grossiora, est nobilius corpore ignis vel aeris, quia nihil est corpori caelesti similius. Sed nihil prohibet quantum ad aliquas virtutes corporales, ut calorem et frigus et hujusmodi, subtiliora corpora nobiliora esse.

2. En tout genre, une chose est d’autant plus noble qu’elle s’approche davantage de ce qui est le plus noble dans ce genre. C’est pourquoi, à parler simplement, en regard de la perfection ultime, un corps d’égale complexion, dans lequel des corps moins nobles l’emportent par la quantité, est plus noble que le corps du feu ou de l’air, car rien n’est plus semblable à un corps céleste. Mais rien n’empêche que, du point de vue de certaines puissances corporelles, comme la chaleur, le froid et celles de ce genre, des corps plus subtils soient plus nobles.

 

[4795] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in corporibus omnium animalium simpliciter dominatur terra secundum quantitatem, eo quod aqua est quasi continuans partes, ut non communionem, sed commixtionem faciant; sed illa animalia quae plus habent de aqua aliis animalibus, dicuntur ex aqua constare, pensata eorum propria complexione, secundum comparationem ad complexionem debitam generi communi: et secundum hoc ex aqua dicuntur esse pisces quantum ad id quod in ea grossius est; aves autem quantum ad id quod in ea subtilius est; quod quidem in vapore resolutum est, quasi medium inter aerem et aquam: propter hoc aves in aere elevantur, et pisces gurgiti remittuntur.

3. Dans les corps de tous les animaux, la terre l’emporte par la quantité, du fait que l’eau assure la continuité entre les parties, de sorte qu’elles ne réalisent pas une communion, mais un mélange. Mais on dit que les animaux qui ont plus d’eau que les autres animaux sont constitués d’eau, en prenant en considération leur complexion propre par comparaison avec la complexion qui revient au genre commun. Conformément à cela, on dit que les poissons viennent de l’eau selon ce qui l’emporte en eux, mais les oiseaux, selon ce qui est plus subtil en eux. Mais ce qui s’est transformé en vapeur est en quelque sorte un état intermédiaire entre l’air et l’eau. Pour cette raison, les eaux s’élèvent dans l’air et les poissons gorgés [d’eau] sont rejetés.

 

[4796] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod philosophus loquitur de loco naturali, qui est terminus motus naturalis, et in quo naturaliter quiescit corpus. Sic autem aer non est locus avium, quia non in aere, sed in terra quiescunt; sed est locus eorum secundum motum animalem, cujus principium non est gravitas et levitas.

4. Le Philosophe parle du lieu naturel, qui est le terme du mouvement naturel, dans lequel un corps naturel repose naturellement. Or, l’air n’est pas ainsi le lieu des oiseaux, car ils ne se reposent pas dans l’air, mais sur la terre ; mais il est leur lieu selon leur mouvement animal, dont le principe n’est pas la pesanteur et la légèreté.

 

 

 

 

Articulus 2 [4797] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 tit. Utrum ornatus elementorum convenienter describatur secundum tria genera

Article 2 – L’embellissement des éléments est-il décrit de manière appropriée en trois genres ?

 

[4798] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter ornatus trium elementorum, secundum tria genera animalium describatur. Ignis enim est principalior inter elementa. Sed ei nullus ornatus assignatur. Ergo videtur quod insufficienter ornatus elementorum assignetur.

1. Il semble que l’embellissement de trois éléments soit décrit selon trois genres d’animaux. En effet, le feu est le principal des éléments. Or, aucun embellissement ne lui est assigné. Il semble donc que l’embellissement des éléments soit attribué de manière insuffisante.

 

[4799] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, locus naturalis est locus quietis. Sed aves non quiescunt in aere, ut dictum est. Ergo videtur quod aer avibus non ornetur.

2. Le lieu naturel est un lieu de repos. Or, les oiseaux ne se reposent pas dans l’air, comme on l’a dit. Il semble donc que l’air ne soit pas embelli par les oiseaux.

 

[4800] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, reptile est genus terrestris animalis. Sed diversorum elementorum diversus est ornatus. Ergo videtur quod inconvenienter in ornatu aquae reptile commemoretur.

3. Le reptile est un genre d’animal terrestre. Or, l’embrellisement est différent selon les différents éléments. Il semble donc que le reptile soit rappelé comme ornement de l’eau de manière inappropriée.

 

[4801] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, nobiliori corpori debetur nobilior locus. Sed animalia gressibilia sunt nobiliora avibus vel piscibus, quia sunt magis completa, ut eorum generatio ostendit, et membrorum dispositio. Ergo, cum aer et aqua sint nobiliora elementa quam terra, videtur quod inconvenienter aves et pisces aeri et aquae, animalia vero gressibilia terrae ascribantur.

4. Un lieu plus noble revient à un corps plus noble. Or, les animaux qui peuvent marcher sont plus nobles que les oiseaux ou les poissons, car ils sont plus complets, comme le montrent leur génération et la disposition de leurs membres. Puisque l’air et l’eau sont des éléments plus nobles que la terre, il semble donc qu’il soit inapproprié de situer les oiseaux et les poissons dans l’air et dans l’eau, mais que les animaux qui peuvent marcher soient attribués à la terre.

 

[4802] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, secundum philosophum, quaedam animalia sunt media inter terrestria et aquatica, quae utrobique morantur. Horum autem mentio nulla facta est. Ergo videtur insufficienter elementorum ornatus describi per animalia.

5. Selon le Philosophe, certains animaux sont intermédiaires entre les animaux terrestres et les animaux aquatiques : ils demeurent dans les deux. Or, il n’est fait aucune mention d’eux. Il semble donc que l’embellissement des éléments par les animaux soit décrit de manière insuffisante.

 

[4803] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, plus distat homo a gressibilibus quam gressibile a volatili: quia est in alio gradu entium, scilicet rationalium; cum omnia bruta in uno gradu entium, scilicet sensibilium, computentur. Sed non eadem die producta sunt gressibilia et volatilia. Ergo videtur quod nec eadem die debuit homo cum aliis animalibus fieri.

6. De plus, l’homme est plus éloigné d’un animal qui peut marcher qu’un animal qui peut marcher l’est d’un volatile, car il est dans un autre degré des êtres, à savoir, les êtres raisonnables, alors que tous les animaux sans raison sont comptés dans un seul genre d’être, les êtres sensibles. Or, les animaux qui peuvent marcher et les volatiles n’ont pas été produits le même jour. Il semble donc que l’homme ne devait pas être créé le même jour que les autres animaux.

 

[4804] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, quorum est major similitudo, est etiam major continuatio. Sed, ut dicit Avicenna, corpus humanum est simillimum corporibus caelestibus. Ergo videtur quod statim post ornatum caelorum corpus hominis formari debuit ante alia animalia.

7. Les êtres dont la ressemblance est plus grande sont plus rapprochés. Or, comme le dit Avicenne, le corps humain est le plus semblable aux corps célestes. Il semble donc qu’aussitôt après l’embellissement des cieux, le corps de l’homme devait être formé avant les autres animaux.

 

[4805] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod animalia non dicuntur ornamenta elementorum nisi secundum quod comparantur ad elementa ut locatum ad locum. Comparatio autem corporis ad locum suum est secundum motum et quietem. Motus autem animalis est duplex: unus consequens naturam corporis ejus secundum virtutem elementi dominantis in ipso; alius consequitur apprehensionem et appetitum; et hic est motus proprius animalis inquantum est animal; et ideo ad illius elementi ornatum animal pertinet in quo motum animalem habet proprium, non ad quod fertur motu consequente naturam sui corporis: hujusmodi enim motus non sequitur animal inquantum hujusmodi, sed secundum quod componitur ex gravibus et levibus; et ideo animalia gressibilia ad ornatum terrae pertinere dicuntur, quia in eo motum animalem habent; et pari ratione natatilia ad ornatum aquae, et volatilia ad ornatum aeris.

Réponse. Il faut dire que les animaux ne sont pas appelés des embellissements des éléments seulement si on les compare aux éléments, comme ce qui est dans un lieu l’est au lieu. Or, la comparaison du corps avec son lieu se réalise selon le mouvement et le repos. Cependant, le mouvement animal est double : l’un qui découle de la nature de son corps, selon la puissance de l’élément qui l’emporte en lui ; l’autre suit la perception et le désir, et celui-ci est le mouvement de l’animal en tant qu’animal. C’est pourquoi l’animal appartient à l’embellissement de l’élément dans lequel il exerce son mouvement animal propre, et non vers lequel il est porté par le mouvement qui découle de la nature de son corps. En effet, un mouvement de ce genre ne découle pas de l’animal en tant que tel, mais en tant qu’il est composé d’éléments lourds et légers. C’est pour cette raison qu’on dit des animaux capables de marcher qu’ils font partie de l’embellissement de la terre, car ils ont un mouvement animal sur elle. Pour la même raison, les animaux capables de nager font-ils partie de l’embellissement de l’eau, et les volatiles, de l’embrellissement de l’air.

 

[4806] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis aliquae res commixtae possint ad tempus sine laesione in igne servari, tamen nulla res est quae tandem ab igne non consumatur, si diu in eo permaneat, ut Galenus dicit in libro de Simplic. Medic., et ideo non est possibile aliquod animal vivere in igne, ut in libro de proprietatibus elementorum dicit, nisi forte ad modicum tempus, ut de salamandra dicitur.

1. Bien que certaines choses mélangées puissent pour un temps rester dans le feu sans êre blessées, il n’existe cependant aucune chose qui ne soit finalement consumée par le feu, si elle y demeure longtemps, comme le dit Gallien dans le livre Sur la simple médecine. C’est pourquoi il n’est pas possible qu’un animal vive dans le feu, comme il le dit dans le livre Sur les propriétés des éléments, sauf peut-être pour une courte période, comme on le dit de la salamandre.

 

[4807] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima avis in motu animali movet corpus contra naturam corporis; et ideo talis motus est cum labore et poena, ut in 5 Cael. et Mund. dicitur; et ideo oportet quod quies, qua huic labori succurritur, sit in loco convenienti naturae corporis: ex quo tamen non habetur quod terra sit proprius locus avis, inquantum est animal.

2. L’âme de l’oiseau, par son mouvement animal, meut le corps à l’encontre de la nature du corps. C’est pourquoi un tel mouvement se fait avec effort et peine, comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, V. Il faut donc que le repos, qui vient au secours de cet effort, soit pris dans un lieu qui convient à la nature du corps. On ne peut cependant en conclure que la terre est le lieu propre de l’oiseau en tant qu’il est un animal.

 

[4808] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod reptilium quaedam genera sunt terrestria, quaedam aquatica; et ideo reptile cum utroque commemoratur: dicitur enim reptile quod se rapit. Hoc autem contingit multipliciter: quoddam enim rapit se virtute costarum, ut serpentes; quoddam vi quorumdam annulorum, ut animalia annulosa; quoddam vi oris, ut quidam vermes, qui ore terrae affixo totum corpus post se trahunt; quoddam vero vi pennularum quarumdam se movet, ut pisces; et universaliter omne animal videtur reptile dici, cujus corpus non multum a terra elevatur per instrumenta motus.

3. Certains genres de reptiles sont terrestres, certains aquatiques ; aussi le reptile est-il rappelé pour les deux. En effet, on appelle reptile (reptile) ce qui rampe (rapit). Or, cela se produit de plusieurs façons. L’un rampe par la force de ses côtes, comme les serpents ; un autre, par la puissance d’anneaux, comme les animaux annelés ; un autre, par la puissance de sa bouche, comme certains vers, qui tirent tout leur corps après eux une fois leur bouche fixée à la terre. Mais un autre se meut par la force d’une petite nageoire, comme les poissons. Et, de manière universelle, il semble qu’on puisse appeler un reptile tout animal dont le corps n’est pas très élevé au-dessus de la terre par les instruments de son mouvement.

 

[4809] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nobilioribus animalibus debetur nobilior locus per comparationem ad ipsa animalia. Quamvis autem aer sit nobilior terra in natura sua, tamen terra inquantum competit dispositionibus animalium, est nobilior aqua vel aere, quia in ea nutrimenta animalium magis abundant, et magis competit locus iste aequalitati complexionis.

4. Un lieu plus noble revient aux animaux plus nobles par comparaison avec les animaux eux-mêmes. Bien que l’air soit plus noble que la terre par sa nature, la terre, dans la mesure où elle convient aux dispositions des animaux, est plus noble que l’eau ou l’air, parce que la nourriture des animaux y est plus abondante et que ce lieu convient davantage à l’égalité de leur complexion.

 

[4810] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod animalia media computantur cum illo extremorum cum quo magis communicant: non enim invenitur aliquod animal quod alterius naturam non magis sapiat.

5. Les animaux intermédiaires sont comptés dans l’extrême avec lequel ils ont le plus en commun : en effet, on ne trouve pas d’animal qui ne connaisse pas davantage la nature d’un autre.

 

[4811] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illud hominis quo ceteris animalibus anteponitur, non est aliquid corporale, vel corporalis forma, sed intellectus. Sed quantum ad naturam corporis sui non est inconveniens quod magis conveniat cum quibusdam animalibus quam quaedam cum aliis secundum materiam. Animalia enim deputantur diversis diebus, vel uni, secundum materiam ex qua corpus producitur; diversis vero elementis in ornatum attribuuntur secundum diversum motum, qui etiam corporalibus organis completur.

6. Ce en vertu de quoi l’homme est placé avant les autres animaux n’est pas quelque chose de corporel ou sa forme corporelle, mais l’intelligence. Mais, pour ce qui est de la nature de son corps, il n’est pas inapproprié qu’il ait davantage en commun avec certains animaux qu’avec d’autres pour la matière. En effet, les animaux sont imputés à divers jours ou à un seul selon la matière dont leur corps est produit ; mais, pour l’embellissement, ils sont attribués à divers éléments selon des mouvements différents, qui sont aussi accomplis par des organes corporels.

 

[4812] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in via generationis, quanto aliquid est perfectius et magis assimilatum agenti, tanto tempore posterius est, quamvis sit prius natura: et ideo, quia homo perfectissimus animalium est, ultimo inter animalia fieri debuit, et non immediate post corpora caelestia, quae cum inferioribus corporibus non ordinantur secundum viam generationis, cum in materia non communicent cum eis.

7. En cours de génération, plus une chose est parfaite et ressemble à l’agent, plus elle est tardive, bien qu’elle soit première par nature. Ainsi, parce que l’homme est le plus parfait des animaux, il devait être créé en dernier lieu parmi les animaux, et non pas immédiatement après les corps célestes, qui ne sont pas placés avec les corps inférieurs en cours de génération, puisqu’ils n’ont pas de matière commune avec eux.

 

 

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Le septième jour]

 

Prooemium

Prologue

 

[4813] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 pr. Deinde quaeritur de his quae ad septimum diem pertinent; et circa hoc quaeruntur tria: 1 de consummatione operum divinorum; 2 de quiete Dei, 3 de sanctificatione septimae diei.

On s’interroge ensuite sur ce qui appartient au septième jour. À ce sujet, trois questions sont posées : 1. Sur l’achèvement des œuvres de Dieu. 2. Sur le repos de Dieu. 3. Sur la sanctification du septième jour.

 

 

 

 

Articulus 1 [4814] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 tit. Utrum Deus compleverit opus suum septimo die

Article 1 – Dieu a-t-il achevé son œuvre le septième jour ?

 

[4815] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non consummaverit septimo die opus suum. Perfectus enim numerus consummationi operum divinorum convenit. Sed senarius numerum perfectus est, et non septenarius. Ergo die sexto, et non septimo, Deus opus suum consummare debuit.

1. Il semble que Dieu n’ait pas achevé son œuvre le septième jour. En effet, un nombre parfait convient à l’achèvement des œuvres de Dieu. Or, six est un nombre parfait, et non pas sept. Dieu devait donc achever son œuvre le sixième jour, et non le septième.

 

[4816] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, consummatio operis attenditur secundum hoc quod aliqua perfectio operi adjicitur. Sed nulla perfectio potest rei operatae accrescere nisi ex actu operantis. Cum ergo Deus die septima quieverit, ut Scriptura dicit, non videtur ista die opus suum consummasse.

2. On remarque l’achèvement d’une œuvre par une perfection ajoutée à l’œuvre. Or, aucune perfection ne peut être ajoutée à une chose que par un acte de celui qui agit. Puisque Dieu s’est reposé le septième jour, comme le dit l’Écriture, il ne semble pas qu’il ait achevé son œuvre en ce jour.

 

[4817] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, quamdiu artifex ab opere suo non cessat, opus suum non consummat. Sed Deus nunquam ab operatione sua cessat, cum operatio sua sit essentia sua, quae aeterna est. Ergo Deus die septimo opus suum non consummavit.

3. Aussi longtemps que l’artisan ne cesse pas de travailler, il n’achève pas son œuvre. Or, Dieu ne cesse jamais d’agir, puisque son opération est son essence, qui est éternelle. Dieu n’a donc pas achevé son œuvre le septième jour.

 

[4818] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum Avicennam, omne agens quod non agit per motum, non habet actionem in effectu solum quamdiu fit, sed quamdiu in esse perdurat; cum non tantum sit causa fieri, sed essendi. Sed Deus est causa rei, agens non per motum, cum non requirat materiam ex qua agat, quam oporteret esse subjectum motus. Ergo videtur quod ipse, quamdiu mundus durat, sua actione esse mundo influat; et ita videtur quod septima die non cessaverit ab opere; et sic idem quod prius.

4. Selon Avicenne, tout agent qui n’agit pas par un mouvement n’exerce pas son action sur l’effet seulement pendant qu’il est réalisé, mais pendant que [celui-ci] continue à être, puisqu’il n’est pas seulememt la cause du devenir, mais de l’être. Or, Dieu est cause d’une chose en agissant sans mouvement, puisqu’il n’a pas besoin de matière sur laquelle agir, laquelle devrait être le sujet de [son] mouvement. Il semble donc qu’aussi longtemps que le monde dure, [Dieu] influe sur le monde par son action ; et ainsi, il semble qu’il n’ait pas cessé d’agir le septième jour. La conclusion est donc la même que précédemment.

 

[4819] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, Deus non tantum rerum factor est, sed etiam conservator. Sed non potest dici quod conservet nisi per aliquam actionem in res. Ergo videtur quod quamdiu res in esse conservantur, Deus in res operatur. Ergo et cetera.

5. Dieu n’est pas seulement le créateur des choses, mais aussi celui qui les conserve. Or, on ne peut dire qu’il conserve, si ce n’est par une action sur les choses. Il semble donc qu’aussi longtemps que les choses conservent l’être, Dieu agisse sur les choses. Donc, etc.

 

[4820] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 6 Praeterea, dies septimus creatura quaedam est. Sed omnis creatura est ex operatione divina, nec prius diem septimum fecit quam esset, quia esse successivorum est in fieri. Ergo videtur quod die septimo novam creationem fecerit; et ita non ab omni opere cessavit; unde ut prius.

6. Le septième jour est une créature. Or, toute créature vient de l’opération divine, et il n’a pas fait le septième jour avant qu’il ne soit, car l’être des choses successives se réalise dans le devenir. Il semble donc que, le septième jour, il ait fait une nouvelle création, et ainsi il n’a pas cessé toute opération. La conclusión est donc la même que précédemment.

 

[4821] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 7 Praeterea, ut dicit philosophus in 17 de animalibus, frequenter apparent novae species animalium, quae prius nunquam apparebant; ut patet in illis quae ex putrefactione generantur. Ergo videtur quod nec etiam ab instituendis novis speciebus Deus die septima cessaverit; et sic idem quod prius.

7. Comme le dit le Philosophe dans Sur les animaux, XVII, de nouvelles espèces d’animaux apparaissent fréquemment, qui n’apparaissaient jamais auparavant, comme cela ressort pour celles qui sont engendrées par la putréfaction. Il semble donc que Dieu n’a pas cessé de façonner de nouvelles espèces le septième jour. C’est donc la même conclusion que précédemment.

 

[4822] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 8 Praeterea, quaedam sunt in quibus sola divina virtus operatur, sicut in creatione animarum, in infusione gratiae, et miraculorum operatione. Ergo videtur quod tunc non cessaverit ab operatione et institutione novarum creaturarum. Ergo et cetera.

8. Il existe certaines choses pour lesquelles seule la puissance divine est à l’œuvre, comme la création des âmes, l’infusion de la grâce et l’accomplissement de miracles. Il semble donc qu’il n’ait pas alors cessé d’agir et de façonner de nouvelles créatures. Donc, etc.

 

[4823] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra haec est quod dicitur Genes. 2, quod consummavit Deus die septimo opus suum.

Cependant, [1] en Gn 2, il est dit que Dieu acheva son œuvre le septième jour.

 

[4824] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in perfectione operis cujuslibet diei spiritus sanctus significatur, cum dicitur: vidit Deus quod esset bonum; ut dicit Augustinus in 1 super Genes. Sed septenarius numerus spiritui sancto attribuitur, qui septiformis in munere dicitur. Ergo convenienter consummatio operum septimae diei adscribitur.

[2] Par la perfection de l’œuvre de chaque jour, l’Esprit Saint est signifié, lorsqu’on dit : Dieu vit que cela était bon, comme le dit Augustin dans le Commentaire littéral sur la Genèse, I. Or, le nombre sept est attribué à l’Esprit Saint, dont on dit que le don est septiforme. L’achèvement des œuvres [de Dieu] est donc attribué au septième jour de manière appropriée.

 

[4825] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut Magister dicit in littera, in hoc discordat nostra translatio ab alia quam Augustinus exponit. In nostra enim translatione consummatio operum adscribitur diei septimae, in alia vero diei sextae. Utraque autem veritatem habere potest, sive intelligatur septimus dies sequi alios sex successione temporis, ut alii sancti volunt; sive ponantur septem dies unus dies, ut Augustinus vult, septempliciter rebus praesentatus, scilicet cognitio angelica. Loquendo enim secundum Augustinum, distinguenda est rei duplex perfectio. Una enim est perfectio totalitatis, quam res habet ex hoc quod ex omnibus partibus suis essentialibus integrata est; et talis perfectio mundi, sextae diei competit: quia post sex primos dies nulla creatura mundo addita est, quae non aliquo modo in operibus sex dierum esset, ut patebit. Alia vero perfectio rei est quam habet ex ratione finis, quae est ultima perfectio: et talis perfectio mundi debetur septimae diei, in qua Deus ab omnibus operibus requievit in se sicut in fine. Sed sequendo alios sanctos, distinguenda est iterum duplex perfectio. Una est perfectio prima, quam scilicet res habet secundum esse suum; et haec perfectio mundi completa est sexta die: quia nulla pars mundi postmodum addita est quae in primis sex diebus non praecesserit aliquo modo. Alia est perfectio secunda, quae est operatio rei, ut dicitur 2 de anima: et talis perfectio mundi fuit in septima die: quia ex tunc cessante operatione qua Deus naturam instituit, incepit operatio propagationis in toto universo, secundum quod ex naturis jam conditis res aliae producuntur; quam operationem in rebus omnibus Deus usque nunc facit. Joan. 5, 17: pater meus usque modo operatur, et ego operor.

Réponse. Comme le dit le Maître, sur ce point, notre traduction est en désaccord avec une autre qu’explique Augustin. En effet, dans notre traduction, l’achèvement des œuvres est attribué au septième jour, mais dans l’autre, au sixième jour. Mais les deux peuvent être comporter de la vérité, soit qu’on comprenne que le septième jour suit les six autres selon une succession temporelle, comme d’autres saints le veulent, soit qu’on affirme que sept jours, comme le veut Augustin, sont un seul jour présenté sept fois, c’est-à-dire la connaissance angélique. En effet, en parlant comme Augustin, il faut distinguer une double perfection dans une chose. L’une est la perfection de la totalité, qu’une chose possède du fait qu’elle est constituée de toutes ses parties essentielles. Une telle perfection du monde convient au sixième jour, car, après les six premiers jours, n’est ajoutée au monde aucune créature, qui ne se trouverait pas déjà d’une certaine manière dans les œuvres des six jours, comme on le montrera. Mais une autre perfection d’une chose vient de sa fin, qui est la perfection ultime. Une telle perfection ne revient au monde qu’au septième jour, où Dieu se reposa de toutes ses œuvres en lui-même comme dans la fin. Mais, en suivant d’autres saints, il faut distinguer à nouveau une double perfection. L’une est la perfection première qu’une chose possède selon son être ; cette perfection du monde a été achevée le sixième jour, car n’a été ajoutée par la suite aucune partie du monde qui n’ait précédé de quelque manière dans les premiers six jours. L’autre est la perfection seconde, qui est l’opération d’une chose, comme on le dit dans Sur l’âme, II. Une telle perfection existait au septième jour, car, après qu’eut cessé l’opération par laquelle Dieu a instauré la nature, a commencé l’opération de la reproduction dans tout l’univers, selon laquelle d’autres choses sont produites à partir des natures déjà créées, opération que Dieu accomplit dans les choses jusqu’à maintenant. Jn 5, 17 : Mon Père agit jusqu’à la fin du monde, et moi aussi j’agis.

 

[4826] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod senarius numerus ratione partium perfectus dicitur, quia ex omnibus partibus ejus aliquoties aggregatis consurgit; et ideo perfectio senarii congruit illi perfectioni mundi quae consistit in totalitate partium quantum ad esse primum; et sicut partes aliquotae senarii ordinatim et continue sibi succedunt sine alterius numeri interpositione, scilicet unum, duo, tria: ita etiam in productione partium universi, ordo servatus est, ut post productionem primae partis statim narraretur productio secundae partis, et sic deinceps usque ad sextam.

1. Le nombre six est appelé parfait en raison de ses parties, car il vient de l’assemblage aléatoire de toutes ses parties. Aussi la perfection du nombre six convenait-elle à la perfection du monde qui consiste dans la totalité des parties par rapport à l’être premier. Et de même que toutes les parties du nombre six – un, deux, trois ‑ se succèdent dans l’ordre et de manière continue sans intervention d’un autre nombre, de même aussi, dans la production des parties de l’univers, l’ordre a été préservé, de sorte qu’après la production de la première partie, soit aussitôt rapportée la production de la deuxième partie, et ainsi de suite jusqu’à la sixième.

 

[4827] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod consummatio operum intelligitur secundum aliquid perfectionis ipsis rebus collatum quod est ipsa operatio, per quam natura propagatur. Haec autem operatio est a Deo, et a virtute creaturae: et ideo Deus dicitur consummasse opus cujus virtute natura mota in operationem exit. Nec tamen aliquid novum in natura efficitur; quia operatio consequitur ex virtute naturae, prius rebus collata. Consummatio autem, quae est ex parte finis, non est secundum aliquid additum in re.

2. L’achèvement des œuvres s’entend d’un élément de la perfection donné aux choses: leur opération, par laquelle la nature est propagée. Or, cette opération vient de Dieu et de la puissance de la créature. C’est pourquoi on dit que Dieu, par la puissance de qui la nature passe à l’action, a achevé son œuvre. Cependant, rien de nouveau n’est réalisé dans la nature, car l’opération découle de la puissance de la nature d’abord donnée aux choses. Mais l’achèvement qui vient de la fin ne se réalise pas par un ajout dans la chose.

 

[4828] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus non dicitur cessare ab operatione nisi ex parte effectus consequentis: ipse enim non agit aliqua operatione media, vel intrinseca vel extrinseca, quae non sit sua essentia: quia suum velle est suum facere, et suum velle est suum esse. Nec tamen ab aeterna operatione sequitur effectus nisi secundum determinationem voluntatis, ut prius dictum est: unde dicitur incipere operari vel ab operatione cessare ex parte effectus.

3. On dit que Dieu cesse d’agir seulement du point de vue de l’effet qui en découle. En effet, il n’agit pas par l’intermédiaire d’une opération, intrinsèque ou extrinsèque, qui n’est pas son essence, car son vouloir est son faire, et son vouloir est son être. Toutefois, l’effet ne découle de l’opération éternelle que selon une détermination de la volonté, comme on l’a dit antérieurement. Aussi dit-on qu’il commence à agir ou cesse d’agir du point de vue de l’effet.

 

[4829] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut influentia solis per irradiationem est semper, quamdiu aer illuminatur, ut possit dici semper sol facit lumen in aere; ita divina bonitas semper esse rebus influit; non aliud et aliud, sed unum et idem. Nec tamen res dicuntur semper fieri vel creari vel institui apud nos; sed tunc cum primo esse acceperint: et ideo dicitur, quod cessat creare vel facere mundum.

4. De même que l’influence du soleil s’exerce toujours par l’irradiation, aussi longtemps que l’air est illuminé, de sorte qu’il est possible de dire que le soleil produit la lumière dans l’air, de même la bonté divine fait-elle toujours se répandre l’être dans les choses ; non pas un autre [être], puis un autre, mais un seul et même. Cependant, on ne dit pas que les choses sont toujours faites, créées ou instaurées pour nous, mais au moment où elles ont d’abord reçu l’être. Aussi dit-on que [Dieu] cesse de créer ou de faire le monde.

 

[4830] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod conservatio rerum in esse, nihil aliud est quam influentia esse rei, secundum quod dictum est, scilicet quod Deus, quamdiu res est, causat et efficit esse rei: nec tamen talis conservatio repugnat praedictae cessationi; quia esse rei consequitur principia essentialia, sicut operatio virtutem.

5. La conservation des choses dans l’être n’est rien d’autre que l’écoulement de l’être dans la chose selon ce qu’on a dit, à savoir que Dieu, aussi longtemps qu’existe une chose, cause et réalise l’être de la chose. Toutefois, une telle conservation ne s’oppose pas à la cessation mentionnée, car l’être d’une chose découle de ses principes essentiels, comme l’opération [découle] d’une puissance.

 

[4831] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod dies ille septimus praecesserat, secundum similitudinem ad minus, in primis sex diebus: et praeterea esse diei causatur a principiis naturalibus, prius naturae collatis, quia motus est causa temporis. Vel est idem dies cum praecedentibus, secundum Augustinum.

6. Ce septième jour avait précédé, tout au moins par sa ressemblance, au cours des six premiers jours ; de plus, l’être du jour est causé par ses principes naturels, conférés antérieurement à la nature, car le mouvement est la cause du temps. Ou bien c’est le même jour que les précédents, selon Augustin.

 

[4832] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod illae novae species producuntur ex virtute caelesti; quae tenet locum virtutis formativae, in animalibus ex putrefactione generatis: et ideo istae species fuerunt productae in operibus sex dierum in suis principiis, scilicet materia, et in rationibus seminalibus, sicut etiam alia quae per operationem naturae producuntur.

7. Ces nouvelles espèces sont produites par la puissance céleste, qui tient lieu de puissance formatrice, chez les animaux engendrés par la putréfaction. Aussi ces espèces ont-elles été produites en leurs príncipes dans les œuvres des six jours, à savoir la matière et les raisons séminales, comme les autres choses qui sont produites par l’opération de la nature.

 

[4833] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod nihil facit Deus in creatura quod aliquo modo in primis diebus non praecesserit: sed diversimode. Quaedam enim fuerunt in operibus sex dierum ut in principiis activis et materialibus, et secundum similitudinem speciei, ut ea quae generantur ex sibi similibus in natura: quaedam vero sicut in principiis activis et materialibus, sed non secundum similitudinem speciei, sicut quaedam animalia ex putrefactione generata: quaedam vero sicut ex principiis disponentibus et non activis, et secundum similitudinem speciei, sicut anima rationalis: quaedam vero ut in potentia obedientiae tantum, sicut ea quae per miraculum fiunt.

8. Dieu ne fait rien dans la créature, qui n’ait d’une certaine manière précédé dans les premiers jours, mais d’une manière différente. En effet, certaines choses se trouvaient dans les œuvres des six jours comme dans leurs principes actifs et matériels, et selon la ressemblance de l’espèce, comme celles qui sont engendrées par la nature à partir de choses semblables. Certaines choses [se trouvaient] toutefois dans leurs principes actifs et matériels, mais non pas selon la ressemblance de l’espèce, comme certains animaux engendrés par la putréfaction. Mais certaines choses [se trouvaient] dans des principes qui disposaient mais n’étaient pas actifs, et selon la ressemblance de l’espèce, comme l’âme raisonnable. Certaines enfin [se trouvaient] comme en puissance d’obéir seulement, comme celles qui viennent d’un miracle.

 

 

 

 

Articulus 2 [4834] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 tit. Utrum Deus convenienter dicatur quievisse septima die

Article 2 – Est-ce qu’on dit de Dieu de manière appropriée qu’il s’est reposé le septième jour ?

 

[4835] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter dicatur Deus die septima requievisse. Opposita enim nata sunt fieri circa idem. Sed quies opponitur motui. Ergo cum Deus non moveatur, Jac. 1, 17, apud quem non est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio, videtur quod nec possit dici quiescere.

1. Il semble qu’on dise de Dieu de manière inappropriée qu’il s’est reposé le septième jour. En effet, les choses opposées sont destinées à se réaliser dans une même réalité. Or, le repos est opposé au mouvement. Puisque Dieu ne se meut pas, Jc 1, 17 : En qui il n’y a pas de changement ni l’ombre d’une variation, il semble donc qu’on ne puisse pas non plus dire qu’il se repose.

 

[4836] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 2 Si dicatur quod quies dicitur de Deo non secundum quod opponitur motui, sed secundum quod opponitur labori; contra. Secundum philosophum in 7 et 10 Ethicor., operatio cui non adjungitur motus, est secundum se delectabilis, et nullo modo laboriosa: quia labor in operatione causatur ex motu innaturali. Sed operatio Dei est omnino sine motu, quia immobilis manens dat cuncta moveri, ut dicit Boetius. Ergo nullus labor sibi accidit in hoc quod res creavit: ergo nec quies quae opponitur labori, sibi convenit.

2. On parle de repos pour Dieu, non pas par opposition au mouvement, mais par opposition à l’effort. En sens contraire, selon le Philosophe, Éthique, VII et X, une opération à laquelle un mouvement n’est pas associé est en elle-même délectable et nullement laborieuse, car l’effort dans l’opération est causé par un mouvement qui n’est pas naturel. Or, l’opération de Dieu se réalise sans aucun mouvement, car « en demeurant immobile, il donne à toutes choses d’être mues », comme le dit Boèce. Aucun effort ne survient donc en lui du fait qu’il a créé les choses et donc, le repos qui s’oppose à l’effort ne lui convient pas non plus.

 

[4837] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 3 Si dicatur quod Deus dicitur requievisse inquantum facit nos in se requiescere; sicut dicitur cognoscere aliquid, quando facit nos illud cognoscere, ut Genes. 22, 12, dicit Abrahae: nunc cognovi quod timeas Deum: contra. Requies septimae diei condividitur contra operationem sex dierum. Sed in sex diebus dicitur Deus fecisse quia ipsemet fecit, non quia fecit nos facere. Ergo et in septima die ipsemet requievit, non solum fecit nos requiescere.

3. Si on dit que Dieu s’est reposé pour autant qu’il nous fait nous reposer en lui, comme on dit qu’il connaît quelque chose lorsqu’il nous le fait connaitre – ainsi en Gn 22, 12, il dit à Abraham : Maintenant je sais que tu crains Dieu ‑, on dira en sens contraire que le repos du septième jour est distinct de l’opération des six jours. Or, pendant les six jours, on dit que Dieu a réalisé parce qu’il a lui-même réalisé, et non parce qu’il nous a fait réaliser. Il s’est donc lui-même reposé le septième jour, et il n’a pas fait seulement que nous nous reposions.

 

[4838] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 4 Si dicatur, quod Deus quievisse dicitur sicut voluntas quiescit in fine; contra. Sicut quies corporis opponitur motui ejus, ita quies voluntatis opponitur motui ejus, ut utrumque per similitudinem de voluntate dicatur. Sed motus voluntatis non potest esse nisi secundum quod procedit de his quae sunt ad finem in finem ipsum. Cum igitur talis motus Deo non conveniat, qui ex rebus aliis nec in sui cognitionem, nec in sui amorem venit, videtur quod nec quies voluntatis sibi convenire possit.

4. Si on dit que Dieu s’est reposé comme la volonté se repose dans la fin, on dira en sens contraire que, de même que le repos du corps s’oppose à son mouvement, de même le repos de la volonté s’oppose à son mouvement, de sorte que les deux choses se disent de la volonté par similitude. Or, le mouvement de la volonté ne peut exister que parce qu’elle passe de ce qui est ordonné à la fin à la fin elle-même. Puisqu’un tel mouvement ne convient pas à Dieu, qui ne parvient pas à la connaissance de lui-même ni à l’amour de lui-même à partir d’autres choses, il semble que le repos de la volonté ne puisse non plus lui convenir.

 

[4839] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, ea quae sunt aeterna non convenienter connumerantur inter ea quae ex tempore inceperunt. Sed quies voluntatis divinae in suo fine est aeterna. Ergo inconvenienter dies quietis divinae connumeratur diebus creationis rerum, quae ex tempore inceperunt.

5. Ce qui est éternel n’est pas compté avec ce qui a commencé dans le temps. Or, le repos de la volonté divine dans sa fin est éternel. Le jour du repos de Dieu est donc compté de manière inappropriée avec les jours de la création des choses, qui ont commencé dans le temps.

 

[4840] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 6 Praeterea, finis divinae voluntatis non est aliud a Deo. Si igitur intelligitur requievisse propter voluntatem quiescentem in fine, videtur inconvenienter dici in die septima requievisse, cum dies septima creatura sit.

6. La fin de la volonté n’est rien d’autre que Dieu. Si donc on comprend qu’il s’est reposé parce que sa volonté se repose dans sa fin, il semble qu’on dise de manière inappropriée qu’il s’est reposé le septième jour, puisque le septième jour est une créature.

 

[4841] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 7 Si dicatur, quod non requievit in die septima sicut in objecto quietis, sed sicut in tempore quietis; contra. Illud quod est aeternum, non est in tempore, sed supra tempus. Sed quies divinae voluntatis est aeterna. Igitur non est in septima die sicut in tempore.

7. Si on dit que, le septième jour, il ne s’est pas reposé dans l’objet de son repos, mais pour une période de repos, on dira en sens contraire que ce qui est éternel n’existe pas dans le temps, mais au-dessus du temps. Or, le repos de la volonté divine est éternel. Il n’existe donc pas le septième jour comme pour un temps.

 

[4842] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 8 Praeterea, sicut quies Dei qua in se quiescit, non habet finem, ita non habet principium. Sed sicut vesperum est finis diei, ita mane est principium ejus. Ergo dies septima, si dicto modo accipiatur quies, non debet habere mane, sicut nec habet vespere. Ergo cum assignetur sibi mane, non potest dici Deum die septima modo praedicto quievisse.

8. De même que le repos par lequel Dieu se repose en lui-même n’a pas de fin, de même n’a-t-il pas de commencement. Or, de même que le soir est la fin du jour, de même le matin en est-il le commencement. Si le repos est entendu de la manière dite, le septième jour ne doit donc pas avoir de matin, de même qu’il n’a pas de soir. Puisqu’un matin lui est attribué, on ne peut donc pas dire que Dieu s’est reposé le septième jour de la manière dite.

 

[4843] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Deuter. 32, 4, Dei perfecta sunt opera. Sed omnis artifex perfecto opere suo quiescit. Ergo Deo post naturae institutionem, quae fuit in sex diebus, quies die septima convenit.

Cependant, [1] Dt 32, 4 dit en sens contraire : Les œuvres de Dieu sont parfaites. Or, tout artisan se repose une fois son œuvre achevée. Le repos convient donc à Dieu le septième jour, après l’instauration de la nature qui s’est réalisée en six jours.

 

[4844] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, homo bene dispositus dicitur ex operibus suis in Deo requiescere, quia opera sua ad Dei bonitatem refert. Cum ergo Deus omnia propter bonitatem suam operetur, ut dicit Augustinus, et dictum est in prima distinct. 2 Lib., videtur quod sibi conveniat ex his quae fecit, in seipso requiescere.

[2] On dit de l’homme bien disposé qu’il se repose de ses œuvres en Dieu, car il met ses œuvres en rapport avec la bonté de Dieu. Puisque Dieu accomplit tout en raison de sa bonté, comme le dit Augustin et comme on l’a dit dans la première distinction du livre II, il semble donc qu’il lui convienne de se reposer de ce qu’il a accompli.

 

[4845] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quies, proprie loquendo, motui opponitur. Quia vero motus causat laborem in operationibus nostris, ut dicit philosophus inde consecutum est ut quies labori opponatur; et ex duabus significationibus quietis transumptae sunt aliae duae: quia enim nostris operationibus motus adjungitur, inde in usum venit ut omnis operatio motus dicatur, quamvis improprie; et secundum hoc omnis cessatio a quacumque operatione quies dicitur; et haec significatio transumitur a prima. Sed quia nihil laborat nisi ex hoc quod a perfectione propriae naturae distat, ut patet in motibus violentis; inde est ut in illo res quiescere dicatur in quo sufficientiam invenit; et secundum hunc modum voluntas quiescit in ultimo fine: et haec significatio quietis transumitur a secunda. Constat ergo quod Deo non potest quies attribui quantum ad primam vel secundam significationem, sed quantum ad tertiam vel quartam potest. Sed quantum ad tertiam sciendum, ut ex praecedenti articulo patet, quod Deus ab operatione cessare non dicitur quasi ipsa operatio qua operatur, deficiat, cum sua operatio sit essentia ejus; sed ratione effectus hoc dicitur, quia operatione aeterna facit ut aliquis effectus temporaliter sit. Nec sic tamen ex parte effectus operatio ejus cessare dicitur die septima, quasi nihil in rebus fecerit postea, vel saltem in die septima: quia si operatio ejus in creatura vel ad momentum cessaret, creatura esse desineret, ut dicit Augustinus. Sed sic dicitur ab opere cessasse die septima, quia a die septima deinceps novam creaturam non fecit quae non aliquo modo in operibus sex dierum praecesserit, ut supra dictum est. Sed quantum ad quartum notandum, quod quies voluntatis divinae in fine, potest accipi dupliciter. Vel absolute, secundum quod in seipso sufficientiam invenit; et sic quies aeterna est. Alio modo potest intelligi per relationem ad creaturam, secundum quod creatura Deo placet: non tamen ita ut ea indigeat, quasi in ea sufficientiam suae beatitudinis inveniens; sed eam ad seipsum ordinans, in seipso sufficientiam invenit: et sic quiescere dicitur Deus proprie a rebus conditis: quod non potest intelligi nisi rebus jam conditis, quod est post senarium diem: et ita quies Dei, secundum duas ultimas acceptiones, convenienter septimo diei ascribitur.

Réponse. À proprement parler, le repos s’oppose au mouvement. Mais parce que le mouvement cause l’effort dans nos opérations, comme le dit le Philosophe, il en découle que le repos s’oppose à l’effort. Et à partir de ces deux significations du repos, les deux autres ont été transposées. En effet, parce que le mouvement est associé à nos opérations, on a pris l’habitude de dire que toute opération est un mouvement, bien que de manière impropre. Pour cette raison, toute cessation de n’importe quelle opération est-elle appelée un repos : cette signification est transposée à partir de la première. Mais parce que rien ne fournit d’effort que parce qu’il est éloigné de sa propre perfection, comme cela ressort pour les mouvements violents, de là vient qu’on dit d’une chose qu’elle se repose dans ce où elle trouve ce qui lui suffit. De cette manière, la volonté se repose dans sa fin ultime : cette signification du repos est transposée à partir de la seconde [manière d’entendre le repos]. Il est donc clair qu’on ne peut attribuer de repos à Dieu selon la première et la deuxième signification, mais qu’on le peut selon la troisième et la quatrième. En ce qui concerne la troisième signification, comme cela ressort de l’article précédent, il faut savoir qu’on ne dit pas de Dieu qu’il cesse d’agir comme si l’opération par laquelle il agit était déficiente, puisque son opération est son essence, mais on dit cela en raison de l’effet, parce qu’il fait, par une opération éternelle, qu’un effet existe temporellement. Cependant, on ne dit pas que son opération cesse du point de vue de son effet, comme s’il n’accomplissait rien dans les choses par la suite ou tout au moins le septième jour, car « si son opération dans la créature ne cessait qu’un moment, la créature cesserait d’être », comme le dit Augustin. Mais on dit de [Dieu] qu’il a cessé le septième jour parce que, à partir du septième jour, il n’a pas fait de créature nouvelle par la suite, qui n’ait pas précédé de quelque manière dans les œuvres des six jours, comme on l’a dit plus haut. Pour ce qui est de la quatrième signification, il faut remarquer que le repos de la volonté divine dans la fin peut être entendu de deux manières. Soit absolument, selon qu’il trouve en lui-même ce qui lui suffit, et ainsi le repos est éternel ; d’une autre manière, on peut l’entendre en relation avec la créature, selon que la créature plaît à Dieu, non pas cependant qu’il en ait besoin, comme s’il trouvait en elle ce qui suffit à sa béatitude, mais en l’ordonnant à lui-même, il trouve en lui-même ce qui lui suffit. Ainsi, on dit que Dieu se repose au sens propre de ce qu’il a accompli, ce qu’on ne peut entendre que des choses qui ont déjà été réalisées, c’est-à-dire après les six jours. Et ainsi, le repos de Dieu est attribué de manière appropriée au septième jour, selon les deux dernières acceptions.

 

[4846] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 1 Primum ergo et secundum concedimus: quia Deo non attribuitur quies opposita motui vel labori.

1-2. Nous concédons le premier et le deuxième argument, car on n’attribue pas à Dieu le repos opposé au mouvement ou à l’effort.

 

[4847] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 3 Tertium similiter concedimus: quia non solum illo modo dicitur Deus quievisse septima die; sed ut dictum est, aliis modis.

3. Nous concédons aussi le troisième argument, car on ne dit pas de Dieu qu’il s’est reposé de cette manière le septième jour seulement, mais, comme on l’a dit, des autres manières.

 

[4848] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod motus voluntatis divinae metaphorice dicitur, non ex hoc quod voluntas ejus finem consequatur per aliqua media, sed quia ea quae ab ipso sunt, in seipsum ordinat.

4. On parle de mouvement de la volonté divine en un sens métaphorique, non pas parce que sa volonté atteint sa fin par des moyens, mais parce qu’il ordonne à lui-même ce qui vient de lui.

 

[4849] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis Deus ab aeterno in seipso quieverit, non tamen quievit a creaturis conditis in seipso; sed solum quievit sic, quando jam creaturae fuerant conditae.

5. Bien que Dieu se soit reposé en lui-même depuis l’éternité, il ne s’est cependant pas reposé en lui-même des créatures réalisées, mais il s’est reposé de cette manière seulement lorsque les créatures eurent été réalisées.

 

[4850] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod dies septimus nullo modo ponitur ut objectum quietis. Sed vel secundum Augustinum Deus dicitur in septimo die quievisse inquantum quietem propriam, qua in seipso a rebus conditis quiescit, naturae angelicae monstravit; cujus cognitionem diem appellat: vel, secundum alios sanctos, dies septima significat tempus quoddam, non ita quod quies divina tempore mensuretur, sed quia simul cum tempore est; per quem modum verba temporalia de Deo dicuntur.

6. Le septième jour n’est aucunement donné comme l’objet du repos. Mais, selon Augustin, on dit de Dieu qu’il s’est reposé le septième jour au sens où il a manifesté à la nature angélique son propre repos, par lequel il s’est reposé en lui-même des choses réalisées ; Augustin appelle « jour » cette connaissance. Ou bien, selon d’autres saints, le septième jour signifie un certain temps, non pas que le repos de Dieu soit mesuré par le temps, mais parce qu’il existe en même temps que le temps, manière dont on applique à Dieu les verbes temporels.

 

[4851] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 7 Unde patet responsio ad septimum.

7. Ainsi ressort la réponse au septième argument.

 

[4852] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod quamvis quies Dei principium non habeat, tamen quies creaturae a Deo, secundum quod in eo stabilitur, principium habet, sed non finem: quia qualitercumque creatura mutetur, nunquam in non ens simpliciter cedit; ut dicit Augustinus. Vel aliter dicendum, quod etiam ipsa quies qua Deus quiescit, quodammodo principium habet, non inquantum quiescit in seipso absolute, sed inquantum quiescit in seipso a rebus conditis, eis non egendo: quod tamen finem non habet, quia eis nunquam egebit: et ideo dies septima habet mane, sed non vespere.

8. Bien que le repos de Dieu n’ait pas de commencement, le repos de la créature qui vient de Dieu, selon qu’elle est affermie en lui, a un commencement, mais pas de fin, car, quel que soit le changement de la créature, elle ne tombe jamais dans le néant, comme le dit Augustin. Ou bien il faut parler autrement : même le repos dont Dieu se repose a, d’une certaine manière, un commencement, non pas en tant qu’il se repose en lui-même de manière absolue, mais en tant qu’il se repose en lui-même des choses réalisées sans qu’il en ait besoin ; [ce repos] n’a cependant pas de fin, car [Dieu] n’aura jamais besoin d’elles. Ainsi, le septième jour possède un matin, mais non un soir.

 

 

 

 

Articulus 3 [4853] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 tit. Utrum Deus debuerit sanctificare septimum diem prae aliis

Article 3 – Dieu devait-il sanctifier le septième jour plutôt que les autres ?

 

[4854] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod diem septimum Deus prae aliis sanctificare non debuit. Operatio enim nobilior est otio, ut dicitur 10 Ethic.: unde non in otio, sed in operatione felicitas consistit. Sed sex diebus Deus operatus est, septima vero die ab opere cessavit. Ergo sextam diem potius quam septimam sanctificare debuit.

1. Il semble que Dieu ne devait pas sanctifier le septième jour plutôt que les autres. En effet, l’opération est plus noble que le loisir, comme on le dit dans Éthique, X ; aussi la félicité ne consiste-t-elle pas dans le loisir, mais dans une opération. Or, Dieu a travaillé pendant six jours, mais il a cessé de travailler le septième. Il devait donc sanctifier le sixième jour plutôt que le septième.

 

[4855] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, sanctificatio et benedictio congrue bonitati respondet. Sed bonum est communicativum sui, ut dicit Dionysius. Cum ergo Deus in sex diebus bonitatem suam communicaverit, res in esse producendo, videtur quod eisdem sex diebus magis quam septimae sanctificatio competat.

2. La sanctification et la bénédiction correspondent à la bonté de manière appropriée. Or, le bien se communique de lui-même, comme le dit Denys. Puisque Dieu a communiqué sa bonté pendant six jours en amenant les choses à l’être, il semble donc que la sanctification convienne plutôt aux six jours qu’au septième.

 

[4856] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, ut dicit Rabbi Moyses observatio sabbati in lege fuit instituta, ut in fide populi firmiter permaneret novitas mundi, ex qua facillima probatio sumitur ad ostendendum Deum esse, et omnipotentiam ejus, et alia hujusmodi. Sed secundum apostolum Rom. 1, per ea quae facta sunt, in invisibilia Dei devenimus. Ergo potius sex dies in quibus creaturae factae sunt, sanctificari deberent, quam dies septima.

3. Comme le dit le rabbin Moïse, l’observance du sabbat a été établie par la loi afin que la grandeur du monde demeure solidement dans la foi du peuple ; d’elle est tirée la démonstration la plus facile de l’existence de Dieu, de sa toute-puissance et des autres choses de ce genre. Or, selon l’Apôtre, Rm 1, nous parvenons à ce qui est invisible en Dieu à partir de ce qui a été créé. Les six jours pendant lesquels les créatures ont été réalisées devraient donc être sanctifiés plutôt que le septième jour.

 

[4857] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, ei cui nihil decrescit in operando aliquid exterius, non est acceptior quies quam operatio. Sed Deo nihil decrescit in faciendo creaturas: quia faciendo non laborat, ut dictum est, neque virtus ejus exhauritur, quin semper in infinita possit; nec intellectus ejus distrahitur, quin semper in sui contemplatione perfecte maneat. Ergo non debuit magis sanctificare diem quietis quam dies in quibus operatus est.

4. Pour celui qui ne perd rien en réalisant quelque chose d’extérieur, le repos n’est pas davantage bienvenu que l’opération. Or, Dieu ne perd rien en réalisant les créatures, car il ne fait pas d’effort en [les] réalisant, ainsi qu’on l’a dit, et sa puissance n’est pas épuisée, de sorte qu’elle peut continuer à l’infini ; son intelligence non plus n’est pas distraite, de sorte qu’il peut demeurer parfaitement dans la contemplation de lui-même. [Dieu] ne devait donc pas sanctifier le jour du repos plutôt que les jours pendant lesquels il a travaillé.

 

[4858] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 arg. 5 Praeterea, magis indicat divinam potentiam operatio qua Deus operatur instituendo naturam, quam illa qua operatur in natura operante ad naturae propagationem. Sed in primis sex diebus Deus operatus est, naturam instituendo nullo mediante; in septima vero die et deinceps operatus est, naturam conservando et movendo in motibus naturae, et principiis. Ergo senarius dierum magis manifestat divinam potentiam quam dies septimus, et ita magis sanctificari debuit.

5. L’opération par laquelle Dieu agit pour instaurer la nature manifeste davantage sa puissance, que celle par laquelle il agit dans la nature, qui agit en vue de diffuser la nature. Or, pendant les six premiers jours, Dieu a agi en instaurant la nature sans intermédiaire ; mais, le septième jour et par la suite, il a agi en conservant la nature et la mouvant selon les mouvements et les principes de la nature. Les six jours manifestent donc davantage la puissance divine que le septième jour, et ainsi ils devaient plutôt être sanctifiés.

 

[4859] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed contra, sanctificatio et benedictio bonitati debetur. Sed bonum, secundum philosophum in 3 Metaph., dicitur ex ratione finis. Cum igitur perfectio rerum quae est ex ordine ad finem debeatur diei septimo, ille dies prae aliis sanctificari et benedici debuit.

Cependant, [1] la sanctification et la bénédiction sont dues à la bonté. Or, selon le Philosophe, Métaphysique, III, on parle du bien en raison de la fin. Puisque la perfection des choses qui vient du rapport à la fin est due au septième jour, ce jour devait donc être sanctifié et béni plus que les autres.

 

[4860] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, vita contemplativa activae praefertur. Unde Luc. 10, 43: optimam partem elegit sibi Maria, per quam vita contemplativa signatur. Sed senarius dierum attribuitur actioni, qua Deus res produxit; septimus autem quieti divinae contemplationis, qua seipso Deus perfruitur. Ergo sanctificatio et benedictio praecipue diei septimae debetur.

[2] La vie contemplative se situe au-dessus de la vie active. Aussi est-il dit en Lc 10, 43 : Marie a choisi pour elle-même la meilleure part, par quoi est indiquée la vie contemplative. Or, les six jours sont consacrés à l’action, par laquelle Dieu a produit les choses ; mais le septième, au repos de la contemplation divine, par laquelle Dieu jouit de lui-même. La sanctification et la bénédiction sont donc dues principalement au septième jour.

 

[4861] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod septimae diei duo attribuuntur; scilicet consummatio operum et quies opificis. Quantum vero ad primum, debetur diei septimae benedictio: quia secundum Gregorium benedictio Dei significat collationem donorum ejus et multiplicationem eorumdem. Multiplicatio autem creaturarum praesupponit duplicem perfectionem rerum; unam scilicet qua universum perfectum est, ex omnibus suis partibus essentialibus constans; unde philosophus in 4 Meteor. dicit, quod perfectum est unumquodque quando potest facere alterum quale ipsum est; et aliam, qua scilicet universum perfectum est ex ordine ad finem: quia multiplicatio creaturarum per generationem est ad hoc ut divinum esse quantum possunt participent, ut in 2 de Generat. dicitur. Omnis etiam creaturae operatio naturalis ad finem ordinata est; et ideo benedictio diei septimae debetur, in qua post perfectionem primam universi, quae sexto die completa est, etiam in ordine ad finem universum perfectum est. Sed quantum ad secundum, quod est quies opificis, debetur diei septimae sanctificatio. In sacra enim Scriptura sanctificatio interdum dicitur ex hoc quod aliquid ad cultum Dei dedicatur: sic enim dicitur tabernaculum sanctificari, et vasa ejus et ministri; et ita etiam dies septimus sanctificatus est, idest ad cultum Dei dedicatus est; ut sicut scilicet Deus, qui res condidit, non in ipsis rebus conditis quasi in fine quievit, sed a rebus conditis in seipso in quo beatitudo sua consistit: cum non sit beatus ex hoc quod res fecerit sed quod factis non eget, in seipso sufficientiam habens: ita etiam et nos non in operibus ejus aut in operibus nostris discamus quiescere sicut in fine; sed ab operibus in ipso Deo in quo beatitudo nostra consistit: propter hoc enim institutum est ut homo sex diebus laborans in operibus propriis, septimo die quiesceret, ejus cultui vacans. Haec autem quies in Deo Christianis non ad tempus, sed perpetuo indicitur, quibus indicitur sine intermissione orare, 1 Thessal. 5. Et ideo illa temporalis observatio in lege nova cessavit.

Réponse. Deux choses sont attribuées au septième jour : l’achèvement des œuvres et le repos de l’artisan. Pour ce qui est du premier point, la bénédiction est due au septième jour, car, selon Grégoire, la bénédiction de Dieu signifie l’octroi de ses dons et leur multiplication. Or, la multiplication des créatures présuppose une double perfection des choses. L’une, par laquelle l’univers est achevé, constitué de toutes ses parties essentielles. Aussi le Philosophe dit-il, Météores, IV, que chaque chose est parfaite lorsqu’elle peut en faire une autre semblable à elle. L’autre [perfection], par laquelle l’univers est parfait par rapport à sa fin, car la multiplication des créatures se réalise par la génération pour qu’elles participent le plus possible à l’être de Dieu, comme il est dit dans Sur la génération, II. L’opération naturelle de toute créature a aussi été ordonnée à la fin. C’est pourquoi la bénédiction est due au septième jour où, après la perfection première de l’univers, qui a été achevée le sixième jour, l’univers a aussi été achevé par rapport à sa fin. Pour ce qui est du second point, qui est le repos de l’artisan, la sanctification est due au septième jour. En effet, dans la Sainte Écriture, on parle parfois de sanctification pour ce qui est dédié au culte de Dieu. On dit ainsi que le tabernacle a été sanctifié, ses vases et ses ministres. Le septième jour a aussi été sanctifié de cette manière, c’est-à-dire dédié au culte de Dieu, à la manière dont Dieu, qui a fait les choses, ne s’est pas reposé dans ce qu’il a accompli comme dans sa fin, mais, à partir de ce qu’il a réalisé, [s’est reposé] en lui-même, en qui consiste sa béatitude, puisqu’il n’est pas bienheureux du fait qu’il a réalisé les choses, mais du fait que, n’ayant pas besoin des choses réalisées, il possède en lui-même ce qui lui suffit. Ainsi, apprenons-nous nous-mêmes à ne pas nous reposer comme dans la fin dans ses œuvres ou dans nos œuvres, mais, à partir des œuvres, en Dieu lui-même, en qui consiste notre béatitude. C’est pour cette raison qu’il a été établi que l’homme, après s’être adonné pendant six jours à ses propres œuvres, se reposerait le septième jour en s’adonnant au culte [de Dieu]. Or, ce repos en Dieu a été prescrit aux chrétiens, non pas de manière temporaire, mais à perpétuité, eux à qui il a été prescrit de prier sans cesse, 1 Th 5. C’est la raison pour laquelle cette observance a cessé sous la loi nouvelle.

 

[4862] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod felicitas Dei non consistit in operatione qua creaturas condidit, sed in operatione qua seipso perfruitur, creaturis non egens; et haec operatio ad quietem septimae diei pertinet.

1. La félicité de Dieu ne consiste pas dans l’opération par laquelle il a fait les créatures, mais dans l’opération par laquelle il jouit de lui-même, sans avoir besoin des créatures. Cette opération relève du repos du septième jour.

 

[4863] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis bonitas Dei manifestetur in hoc quod esse communicavit rebus per creationem, tamen perfectio bonitatis ostenditur in hoc quod rebus conditis Deus non eget, sed in seipso sufficientiam habet.

2. Bien que la bonté de Dieu se manifeste par le fait qu’il ait communiqué l’être aux choses par la création, la perfection de sa bonté se manifeste cependant dans le fait qu’il n’a pas besoin des choses réalisées, mais qu’il se suffit à lui-même.

 

[4864] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod creaturae sunt sicut via, per quam devenitur in cognitionem creatoris. Perfectio autem non consistit in via, sed in termino viae. Unde non debet sanctificari dies in quo creaturae sunt conditae, sed dies in quo sicut in fine quiescit.

3. Les creatures sont comme le chemin par lequel on parvient à la connaissance du Créateur. Or, la perfection ne consiste pas dans le chemin, mais dans le terme du chemin. Aussi le jour où les créatures ont été faites ne doit-il pas être sanctifié, mais le jour où l’on se repose comme dans la fin.

 

[4865] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis per operationem qua res in esse producit, nihil Deo decrescat; tamen hoc potius apud eum est quod aliis non eget, in seipso quiescens, quam quod alia facit; et ideo dies quietis magis benedicitur quam dies productionis creaturae.

4. Bien que Dieu ne perde rien par l’opération par laquelle il amène les choses à l’être, il lui revient cependant davantage de ne pas avoir besoin des autres choses, en se reposant en lui-même, que de faire d’autres choses. C’est pourquoi le jour du repos est béni, plutôt que les jours où la créature est réalisée.

 

[4866] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Deus eadem virtute qua esse rebus tribuit, eas in esse proprio conservat. Unde non magis ostendit divinam potentiam productio creaturarum quam earum conservatio.

5. Dieu conserve les choses dans leur être propre par la même puissance par laquelle il donne l’être aux choses. Aussi la production des créatures ne montre-t-elle pas davantage la puissance divine que leur conservation.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 15

 

[4867] Super Sent., lib. 2 d. 15 q. 3 a. 3 expos. Jumenta et reptilia et bestias. Quid sit reptile, dictum est, qu. 2, art. 2. Jumenta vero dicuntur quae adjutorium homini conferunt, praecipue vehendo ipsum ut equi vel asini et hujusmodi. Bestiae dicuntur propter crudelitatem, quasi vastiae, ut leones et ursi: et hujusmodi creata non fuerunt nisi potentialiter et materialiter, ut intelligatur tam de potentia activa, quam de materiali. Quia non potuit simul ab homine dici quod a Deo simul potuit fieri. Videtur hoc nihil esse, quia licet non potuerit simul pronuntiare, potuit tamen dicere, ea quae successive narrabat, simul esse facta. Sed dicendum quod dicitur non potuisse dicere, non quia non simpliciter non potuit dicere simul esse facta, sed quia non potuit haec dicere secundum convenientiam disciplinae, ut faciliter quod dicebatur a rudibus caperetur, ut faciunt geometrae in descriptionibus figurarum lineam post lineam protrahentes, quae tamen simul figuram constituunt. Alia translatio habet: consummavit Deus die sexto. Utraque translatio veritatem continet, si, ut praedictum est, completio distinguatur.

 

 

 

 

 

Distinctio 16

Distinction 16 – [L’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu]

 

Prooemium

Prologue

 

[4868] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 pr. Determinato de natura pure spirituali, idest angelica, et de natura pure corporali, hic tertio multipliciter prosequitur de natura composita ex spirituali et corporali, scilicet de homine. Dividitur ergo pars ista in partes duas: in prima determinat de homine quantum ad primam sui institutionem; in secunda quantum ad ejus casum, 21 dist., ibi: videns ergo Diabolus hominem per obedientiae humilitatem posse ascendere unde ipse per superbiam corruerat, invidit ei. Prima in duas: in prima determinat conditionis humanae principium; in secunda ostendit hominis conditi statum, 19 dist., ibi: solent plura quaeri de primi hominis statu. Prima in duas: in prima ostendit formationem hominis, secundum quod exit a sua causa et in similitudinem ejus, ut ostendatur quodammodo esse actio univoca; in secunda determinat institutionem hominis, secundum quod ex suis partibus constat, 17 dist., ibi: hic de origine animae plura quaeri solent. Prima in tres: in prima ostendit hominem ad imaginem et similitudinem Dei institutum; in secunda ponit horum expositionem, ibi: imago autem et similitudo in hoc loco vel increata intelligitur (...) vel creata; in tertia ostendit, secundum quam partem hominis, esse ad imaginem sibi conveniat, ibi: factus est homo secundum animam ad imaginem et similitudinem (...) totius Trinitatis. Secunda pars dividitur in tres: in prima ponit suam expositionem; in secunda excludit alias quorumdam expositiones, ibi: filius vero proprie imago patris dicitur; in tertia supplet quoddam ad suam expositionem, quod in aliis expositionibus tangebatur, scilicet in quo imago et similitudo differant, ibi: verumtamen haec distinctio licet reprobabilis penitus non videatur (...) congruentius in ipso homine imago et similitudo Dei quaerenda est. Factus est ergo homo secundum animam ad imaginem et similitudinem Dei. Hic ostendit, secundum quam partem in homine sit imago assignanda: et primo ostendit quod secundum animam; secundo ostendit quod hujusmodi indicium etiam in corpore ostenditur, ibi: sed in corpore quamdam habet proprietatem quae hoc indicat. Circa primum duo facit: primo ponit hominem esse ad imaginem Trinitatis, non solum patris vel filii, ut alii dicebant, et hoc secundum animam; secundo ostendit quomodo differenter imago secundum animam homini et filio Dei conveniat, ibi: quocirca homo et imago et ad imaginem dicitur; filius autem imago, non ad imaginem. Hic quatuor quaeruntur: 1 utrum in aliqua creatura imago Dei inveniri possit; 2 in quibus inveniatur; 3 utrum in illis in quibus invenitur aequaliter inveniatur; 4 de differentia imaginis et similitudinis.

Après avoir déterminé de la nature purement spirituelle, c’est-à-dire angélique, et de la nature purement corporelle, [le Maître] traite ici de plusieurs manières de la nature composée de spirituel et de corporel, c’est-à-dire, de l’homme. Cette partie est donc divisée en deux parties : dans la première, il détermine de l’homme du point de vue de sa première formation ; dans la seconde, du point de vue de sa chute, d. 21, à cet endroit : « Donc, le Diable, voyant que l’homme pouvait monter par l’humilité de l’obéissance là d’où il était lui-même tombé par l’orgueil, il l’envia. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine du commencement de la formation de l’homme ; dans la seconde, il montre l’état de l’homme formé, d. 19, à cet endroit : « On a coutume de soulever plusieurs questions sur l’état du premier homme. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre la formation de l’homme, tel qu’il est issu de sa cause et à sa ressemblance, afin de montrer qu’il s’agit, d’une certaine manière, d’une action univoque ; dans la seconde, il détermine de la formation de l’homme selon qu’il est constitué de ses parties, d. 17, à cet endroit : « Ici, on a coutume de soulever plusieurs questions sur l’origine de l’âme. » La première partie se divise en trois. Dans la première, il montre l’homme formé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Dans la deuxième, il présente l’explication de ces choses, à cet endroit : « L’image et la ressemblance, en cet endroit, signifient soit [l’image et la ressemblance] incréées…, soit [l’image et la ressemblance] créées. » Dans la troisième partie, il montre selon quelle partie de l’homme il lui convient d’être à l’image [de Dieu], à cet endroit : « L’homme a été créé selon son âme à l’image et à la ressemblance… de toute la Trinité. » La seconde partie se divise en trois. Dans la première, il présente son explication. Dans la deuxième, il écarte les autres explications données par d’autres, à cet endroit : « Mais le fils est appelé au sens propre l’image de son père. » Dans la troisième, il ajoute à son explication quelque chose qui était abordé dans les autres explications, à savoir, en quoi l’image et la ressemblance diffèrent, en cet endroit : « Toutefois, bien que cette distinction ne semble pas devoir être tout à fait réprouvée…, il est plus approprié de chercher dans l’homme l’image et la ressemblance de Dieu. » « L’homme a donc été créé selon son âme à l’image et à la ressemblance de Dieu. » Ici, il montre selon quelle partie il faut attribuer à l’homme l’image [de Dieu]. Premièrement, il montre que c’est selon son âme. Deuxièmement, il montre qu’un indice de cela se présente aussi dans le corps, à cet endroit : « Mais le corps possède une certaine propriété qui indique cela. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que l’homme est à l’image de la Trinité, et non du Père et du Fils, comme d’autres le disaient, et cela, selon son âme ; deuxièmement, il montre comment l’image selon l’âme convient de manière différente à l’homme et au Fils de Dieu, à cet endroit : « À ce propos, on dit de l’homme qu’il est l’image et à l’image ; mais du Fils, qu’il est l’image, mais non à l’image. » Ici, quatre questions sont posées : 1. Peut-on trouver dans une créature l’image de Dieu ? 2. Dans quelles [créatures] se trouve-t-elle ? 3. Se trouve-t-elle également chez ceux où elle se trouve ? 4. À propos de la différence entre l’image et la ressemblance.

 

 

 

 

Articulus 1 [4869] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 tit. Utrum aliqua creatura possit dici esse ad imaginem

Article 1 – Peut-on dire d’une créature qu’elle est à l’image [de Dieu] ?

 

[4870] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nulla creatura possit dici ad imaginem Dei esse. Cujuscumque enim est aliqua imago creata, ei contingit aliquam imaginem ponere. Sed Deo non contingit aliquam imaginem ponere. Isai. 40, 18: cui similem fecistis Deum aut quam imaginem ponetis ei? Ergo et cetera.

1. Il semble qu’on ne puisse dire d’aucune créature qu’elle est à l’image de Dieu. En effet, quel que soit celui dont existe une image créée, il arrive qu’on en produise une image. Or, on ne peut produire d’image de Dieu. Is 40, 18 : À qui comparerez-vous Dieu, ou quelle image en produirez-vous ? Donc, etc.

 

[4871] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, proprietates unius non inveniuntur in alio. Sed imago indicat proprietatem filii, ut in primo dictum est, qui increatus est. Ergo nulli creaturae convenit.

2. Les propriétés de l’un ne se trouvent pas chez l’autre. Or, ainsi qu’on l’a dit dans le premier [livre], l’image indique une propriété du Fils, lequel est incréé. Donc, cela ne convient à aucune créature.

 

[4872] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, in imagine importatur convenientia quaedam cum aliquo uno; unde dicit Hilarius, imaginem esse speciem non differentem ejus rei ad quam imaginatur. Sed quaecumque conveniunt in aliquo uno, habent aliquid prius et simplicius se, sive sit convenientia analogiae, sive univocationis: est enim ens prius substantia et accidente, sicut animal prius homine et equo. Deo autem nihil est prius et simplicius. Ergo non potest esse ejus imago in creatura.

3. Dans l’image, la possession commune d’une seule chose est impliquée. Aussi Hilaire dit-il que « l’image est une représentation qui ne diffère pas de la chose dont elle est l’image ». Or, tout ce qui a quelque chose en commun possède quelque chose qui le précède et qui est plus simple que lui, que ce soit un caractère commun par analogie ou par équivoque. En effet, l’être est antérieur à la substance et à l’accident, comme l’animal est antérieur à l’homme et au cheval. Or, il n’y a rien d’antérieur et de plus simple que Dieu. Son image ne peut donc exister dans une créature.

 

[4873] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, de ratione imaginis est aequalitas: dicit enim Hilarius, imaginem esse rei ad rem coaequandam. Sed nulla aequalitas potest esse creaturae ad Deum. Ergo nec imago ejus esse potest.

4. L’égalité fait partie de la raison d’image. En effet, Hilaire dit que l’image cherche à égaliser une chose par rapport à une autre. Or, il ne peut exister aucune égalité entre la créature et Dieu. Il ne peut donc pas non plus y avoir d’image de lui.

 

[4874] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, infinite distantium non potest esse indiscretio et unio. Sed imago, ut dicit Hilarius, est similitudo indiscreta et unita. Ergo creatura non potest esse ad imaginem Dei, a quo in infinitum distat.

5. Il ne peut exister de continuité et d’union entre ce qui est infiniment distant. Or, comme le dit Hilaire, « l’image est une ressemblance continue et unie ». La créature ne peut donc être à l’image de Dieu, dont elle est infiniment distante.

 

[4875] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod habetur Genesis 1, 26: faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram.

Cependant, [1] on lit en Gn 1, 16 : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance.

 

[4876] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea ad perfectionem operis exigitur ut perducatur in similitudinem agentis. Sed Dei perfecta sunt opera: Deuter. 32, 4. Ergo oportet esse aliquod operum ejus in quo ipsius imago repraesentetur.

[2] Il est nécessaire pour la perfection d’une œuvre qu’elle soit amenée à la ressemblance de l’agent. Or, les œuvres de Dieu sont parfaites, Dt 32, 4. Il est donc nécessaire qu’il y ait une de ses œuvres dans laquelle son image soit représentée.

 

[4877] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, imago proprie dicitur quod ad alterius imitationem est: nec tamen quaelibet imitatio rationem imaginis perficit; ut si hoc sit album et illud album, non ex hoc dicitur ejus imago: sed ad rationem imaginis exigitur imitatio in aliquo quod speciem exprimat et essentiam: propter quod ab Hilario dicitur species indifferens. Et inde est quod in corporalibus secundum imitationem figurae potissimum imago attenditur, quia figura est quasi certum signum ostendens unitatem et differentiam speciei. Haec autem imitatio potest esse dupliciter: aut simul quantum ad speciem et signum speciei, et sic imago hominis est in filio suo, qui ipsum in humana specie et figura imitatur, et haec est perfecta imago: aut quantum ad signum tantum, et non quantum ad veritatem speciei, sicut imago hominis est statua lapidea; et haec est imperfecta imago. Et primo modo filius est imago patris, sicut in natura communicans; secundo autem modo imago Dei est in creaturis; et ideo creatura potest esse imago Dei, licet non perfecta.

Réponse. À proprement parler, on parle d’image pour ce qui en imite un autre. Cependant, toute imitation ne réslise pas la raison d’image. Ainsi, si ceci est blanc et cela est blanc, on ne dit pas pour autant que cela en est l’image. Mais la notion d’image comporte nécessairement l’imitation selon quelque chose qui exprime l’espèce et l’essence. Pour cette raison, Hilaire dit qu’elle est « une représentation qui ne diffère pas ». De là vient que, dans les choses corporelles, on observe l’image surtout pour l’imitation de la figure, car la figure est pour ainsi dire un signe certain montrant l’unité et la différence de l’espèce. Or, cette imitation peut se réaliser de deux façons. Soit pour ce qui est de l’espèce et du signe de l’espèce, et ainsi l’image de l’homme se trouve dans son fils, qui l’imite par l’espèce humaine et par sa figure : telle est l’image parfaite. Soit pour ce qui est du signe seulement, et non pour la vérité de l’espèce, comme une statue de pierre est l’image de l’homme : celle-ci est une image imparfaite. De la première manière, le fils est l’image en tant qu’il possède la [même] nature ; de la seconde manière, l’image de Dieu se trouve dans les créatures. C’est pourquoi la créature peut être l’image de Dieu, bien qu’elle ne le soit pas parfaitement.

 

[4878] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod propheta loquitur contra idolatras, qui Deum in corporalibus figuris imaginari nitebantur; et ideo non est ad propositum.

1. Le prophète parle contre les idolâtres qui s’efforçaient de donner une image de Dieu dans des réalités corporelles. [Cet argument] porte donc à faux.

 

[4879] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod imago secundum perfectam rationem indicat proprietatem filii; et sic creaturae non convenit, sed secundum imperfectam significationem, ut sic nomen imaginis a filio in creaturas descendat, sicut a patre nomen paternitatis, ad Eph. 3.

2. Selon sa raison parfaite, l’image indique ce qui est propre au Fils. Elle ne convient pas en ce sens à la créature, mais selon une signification imparfaite. Ainsi, le nom d’image descend depuis le Fils vers les créatures, comme le nom de la paternité [descend] du Père, Ep 3.

 

[4880] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod convenientia potest esse dupliciter: aut duorum participantium aliquod unum: et talis convenientia non potest esse creatoris et creaturae, ut objectum est aut secundum quod unum per se est simpliciter, et alterum participat de similitudine ejus quantum potest; ut si poneremus calorem esse sine materia, et ignem convenire cum eo, ex hoc quod aliquid caloris participaret: et talis convenientia esse potest creaturae ad Deum: quia Deus dicitur ens hoc modo quod est ipsum suum esse; creatura vero non est ipsum suum esse, sed dicitur ens, quasi esse participans; et hoc sufficit ad rationem imaginis.

3. Une chose peut être commune de deux manières. Soit elle est une seule chose pour les deux qui y participent : le Créateur et la créature ne peuvent avoir ainsi quelque chose en commun, comme on l’a objecté. Soit une chose existe par soi simplement, et l’autre participe à sa ressemblance autant qu’elle le peut, comme si nous disions que la chaleur existe sans matière et que le feu a quelque chose en commun avec elle, du fait qu’il participe à quelque chose de la chaleur. Dieu et la créature peuvent ainsi avoir quelque chose en commun, car on dit de Dieu qu’il est en étant son propre acte d’être. Or, la créature n’est pas son propre acte d’être, mais on dit qu’elle est un être en tant qu’elle participe à l’être. Cela suffit à la raison d’image.

 

[4881] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad rationem imaginis non exigitur aequalitas aequiparantiae, cum magni hominis in parva pictura imago exprimatur; sed exigitur aequalitas proportionis, ut scilicet eadem sit proportio partium ad invicem in imagine quae est in imaginato: et talis aequalitas invenitur in anima respectu Dei: quia sicut ex patre filius, et ex utroque spiritus sanctus, ita ex mente notitia, et ex utraque amor procedit.

4. Une égalité par équivalence n’est pas nécessaire à la raison d’image, puisque l’image d’un homme grand est exprimée dans une peinture petite ; mais une égalité de proportion est nécessaire, à savoir que la proportion entre les parties soit la même dans l’image et dans ce qu’elle représente. Une telle égalité existe dans l’âme par rapport à Dieu, car, de même que le Fils vient du Père et l’Esprit Saint [vient] des deux, de même la connaissance vient-elle de l’esprit, et l’amour procède-t-il des deux.

 

[4882] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ubi est perfecta imaginis ratio, ibi est perfecta indiscretio et unitas, ut patet in filio ad patrem: creatura autem, quantum ad hoc quod Deum imitatur, non discernitur ab eo, sed quodammodo sibi unitur unitate convenientiae, quamvis semper remaneat major differentia: et sic non ex toto tollitur ratio imaginis, sed solum imaginis perfectae.

5. Là où existe une parfaite raison d’image, là existe une continuité et une unité parfaites, comme cela ressort pour le Fils par rapport au Père. Or, la créature, pour autant qu’elle imite Dieu, n’est pas séparée de lui, mais elle lui est, d’une certaine manière, unie selon une unité de partage, bien que demeure toujours une différence plus grande. Ainsi la raison d’image n’est-elle pas entièrement écartée, mais seulement celle d’image parfaite.

 

 

 

 

Articulus 2 [4883] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 tit. Utrum imago Dei inveniatur tantum in creaturis rationalibus

Article 2 – L’image de Dieu se trouve-t-elle seulement dans les créatures raisonnables ?

 

[4884] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non tantum in rationalibus creaturis imago Dei inveniatur. Ad rationem enim imaginis, qualis in creaturis esse potest, non exigitur perfecta similitudo, ut dictum est, sed sufficit imperfecta imitatio. Sed quaelibet creatura ex hoc esse habet quod divinam perfectionem imitatur. Ergo quaelibet creatura dici debet ad imaginem Dei.

1. Il semble que l’image de Dieu ne se trouve pas seulement dans les créatures raisonnables. En effet, une ressemblance parfaite n’est pas nécessaire pour la raison d’image, telle qu’elle peut exister dans les créatures, mais, comme on l’a dit, une imitation imparfaite suffit. Or, toute créature possède l’être du fait qu’elle imite la perfection divine. On doit donc dire que toute créature est à l’image de Dieu.

 

[4885] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, dicit Boetius in Lib. de Consol. philosophiae de Deo loquens: mundum mente gerens, similique in imagine formans. Sed quaelibet creatura in esse prodiit ex hoc quod in mente divina per suam ideam gestabatur. Ergo quaelibet creatura potest dici facta ad imaginem Dei.

2. En parlant de Dieu dans le livre Sur la consolation de la philosophie, Boèce dit que [Dieu] « porte le monde dans son esprit et lui donne forme selon une image qui lui ressemble ». Or, toute créature est venue à l’être du fait qu’elle était engendrée dans l’esprit de Dieu par son idée. On doit donc dire que toute créature est créée à l’image de Dieu.

 

[4886] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ubi est expressior similitudo, ibi magis salvatur ratio imaginis. Sed perfectio divinae bonitatis expressius repraesentatur in toto universo quam in aliqua parte ejus. Ergo totum universum magis debet dici ad imaginem Dei quam aliqua creatura rationalis.

3. Là où la ressemblance est plus expresse, là est davantage préservée la raison d’image. Or, la perfection de la bonté divine est représentée de manière plus expresse dans l’ensemble de l’univers que dans une de ses parties. On doit donc dire que l’ensemble de l’univers est à l’image de Dieu, plutôt qu’une créature raisonnable.

 

[4887] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, Dionysius ostendit similitudinem divinae bonitatis maxime apparere in radio solari. Sed expressio similitudinis causat imaginem. Ergo radius solaris debet dici esse ad imaginem Dei.

4. Denys montre que la ressemblance avec la bonté divine se manifeste surtout dans le rayon solaire. Or, le caractère exprès de la ressemblance cause l’image. On doit donc dire que le rayon solaire est à l’image de Dieu.

 

[4888] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, illud quod maxime exprimit proprietatem alicujus, maxime videtur ad ipsum convenientiam habere. Sed in fine Caelest. hierarchiae dicit Dionysius, quod in igne maxime ostenduntur divinae proprietates. Ergo ignis maxime debet dici ad imaginem Dei.

5. Ce qui exprime le plus le caractère propre de quelqu’un semble avoir le plus en commun avec lui. Or, à la fin de La hiérarchie céleste, Denys dit que les propriétés divines sont montrées au mieux par le feu. On doit donc dire du feu qu’il est le plus à l’image de Dieu.

 

[4889] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, ex hoc anima dicitur imago Dei quia ejus capax est, ut Augustinus dicit. Sed sola creatura rationalis est capax Dei. Ergo ipsa sola est ad imaginem Dei.

Cependant, [1] on dit de l’âme qu’elle est l’image de Dieu parce qu’elle est capable de Dieu, comme le dit Augustin. Or, seule la créature raisonnable est capable de Dieu. Elle seule est donc à l’image de Dieu.

 

[4890] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, quanto aliqua creatura est perfectior, tanto est Deo similior. Sed inter alias creaturas rationalis natura altissimum gradum tenet. In ipsa ergo praecipue imago Dei invenitur.

[2] Plus une créature est parfaite, plus elle est semblable à Dieu. Or, parmi les autres créatures, la nature raisonnable occupe le degré le plus élevé. L’image de Dieu se trouve donc principalement en elle.

 

[4891] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, ut dictum est, illa imitatio rationem imaginis constituit quae est in aliquo ad speciem pertinente. Ex primo autem et communi nihil sortitur speciem, sed ex ultimo et proprio, sicut est differentia constitutiva. Consideratis autem divinae bonitatis processibus in creaturis, quibus naturae creatae constituuntur in similitudinem naturae increatae, ultima invenitur intellectualis dignitatis participatio, et quae omnes alias praesupponat: et ideo intellectualis natura attingit ad imitationem divinam, in qua quodammodo consistit species naturae ejus; et inde est quod in eadem operatione ponimus ultimam felicitatem intellectualis creaturae, in qua est felicitas Dei, scilicet in contemplatione intellectiva; et ideo sola intellectualis creatura rationabiliter ad imaginem Dei dicitur esse.

Réponse. Comme on l’a dit, c’est l’imitation se rapportant à l’espèce qui fonde chez quelqu’un la raison d’image. Or, rien ne reçoit son espèce de ce qui est premier et commun, mais de ce qui est dernier et propre, comme l’est une différence constitutive. Or, si l’on considère les démarches de la bonté divine dans les créatures, par lesquelles des natures créées sont produites à la ressemblance de la nature incréée, on trouve que la dernière est la participation à la dignité intellectuelle, qui présuppose toutes les autres. Aussi la nature intellectuelle parvient-elle à l’imitation de Dieu, en quoi consiste d’une certaine manière l’espèce de sa nature. De là vient que nous situons dans la même opération, en laquelle existe la félicité de Dieu, la félicité ultime de la créature intellectuelle, à savoir, dans la contemplation intellectuelle. On dit donc de manière raisonnable que seule la créature intellectuelle est à l’image de Dieu.

 

[4892] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis quaelibet creatura aliquid participet de ratione similitudinis divinae, non tamen potest dici ejus imago ratione praedicta.

1. Bien que toute créature participe sous quelque aspect à la raison de la ressemblance avec Dieu, elle ne peut cependant être appelée son image pour la raison qui a été dite.

 

[4893] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudo operis potest dici ad operantem dupliciter; aut quantum ad id quod habet in natura sua, sicut homo generat hominem; aut quantum ad id quod habet in intellectu suo, sicut artificiatum ab artifice in similitudinem artis suae procedit. Utroque modo procedit creatura a Deo in similitudinem ejus. Primo modo, quia ab ente sunt entia, et a vivo viventia. Secundo modo, quia procedunt a rationibus idealibus. Cum ergo unaquaeque res pertingat ad perfectam imitationem ejus quod est in intellectu divino, quia talis est qualem eam esse disposuit; ideo quantum ad hunc modum similitudinis quaelibet creatura potest dici imago ideae in mente divina existentis; unde dicit Boetius quod formae quae sunt in materia, possunt dici imagines, eo quod ab his formis venerunt quae sine materia sunt: sed quantum ad alium modum sola intellectualis natura pertingit ad ultimum gradum imitationis, ut dictum est, et ideo ipsa sola dicitur imago Dei.

2. On peut parler de deux manières de la ressemblance de l’œuvre avec celui qui la produit. Soit par rapport à ce qu’il possède par sa nature, comme un homme engendre un homme ; soit par rapport à ce qu’il possède par son intelligence, comme l’œuvre fabriquée par un artisan est produite selon une ressemblance avec son art. La créature est issue de Dieu à son image des deux manières. De la première manière, parce que les êtres viennent de ce qui est, et les vivants, de ce qui est vivant. De la seconde manière, parce qu’elles procèdent de raisons idéales. Puisque chaque chose atteint la parfaite imitation de ce qui se trouve dans l’intelligence divine, car elle est telle qu’il en a disposé l’être, on peut donc dire que toute créature, selon ce mode de ressemblance, est l’image de l’idée qui existe qui dans l’esprit de Dieu. Aussi Boèce dit-il que les formes qui existent dans la matière peuvent être appelées des images, du fait qu’elles sont venues des formes qui existent sans matière. Mais, pour ce qui est de l’autre mode, seule la nature intellectuelle atteint le dernier degré d’imitation, ainsi qu’on l’a dit. C’est pourquoi on dit d’elle seule qu’elle est l’image de Dieu.

 

[4894] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod similitudo divinae bonitatis, quantum ad nobilissimas participationes ipsius, non resultat in universo nisi ratione nobilissimarum partium ejus, quae sunt intellectuales naturae: nec per se de toto potest dici, et primo, quod non convenit sibi ratione omnium partium, ut in 6 Physic. dicitur frequenter: et ideo universum non potest dici imago Dei, sed intellectualis natura.

3. La ressemblance avec la bonté divine, pour ce qui est de ses participations les plus nobles, ne se répercute dans l’univers que dans ses parties les plus nobles, qui sont les natures intellectuelles. On ne peut pas non plus le dire de l’ensemble [de l’univers], d’abord parce que cela ne lui convient pas en raison de toutes ses parties, comme on le dit souvent dans Physique, VI. C’est pourquoi on ne peut dire que l’univers est l’image de Dieu, mais la nature intellectuelle.

 

[4895] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod similitudo radii solaris ad divinam bonitatem tota attenditur quantum ad causalitatem, et non quantum ad dignitatem naturae, quae rationem imaginis perficit.

4. La ressemblance du rayon solaire avec la bonté divine est prise entièrement du point de vue de la causalité, et non du point de vue de la dignité de la nature, qui complète la raison d’image.

 

[4896] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod proprietates divinae ostenduntur in creaturis dupliciter: vel secundum similitudinem analogiae, sicut vita, sapientia, et hujusmodi, quae analogice Deo et creaturis conveniunt; et sic divinae proprietates praecipue ostenduntur in rationali natura; vel secundum similitudinem proportionis, secundum quod spirituales proprietates corporalibus metaphorice designantur; et hoc modo in igne ostenduntur proprietates divinae, ut in 1 Lib., dist. 33, dictum est. Sed haec similitudo non facit rationem imaginis; unde Dionysius vocat eam dissimilem similitudinem.

5. Les propriétés divines sont manifestées dans les créatures de deux manières. Soit par une ressemblance analogique, telles la vie, la sagesse et les [propriétés] de ce genre, qui conviennent à Dieu et aux créatures de manière analogique. Les propriétés divines sont ainsi principalement manifestées dans la nature raisonnable. Soit par une ressemblance proportionnelle, selon que les propriétés spirituelles sont désignées métaphoriquement par des propriétés corporelles. C’est de cette manière que les propriétés divines sont montrées par le feu, comme on l’a dit dans le livre I, d. 33. Mais cette ressemblance ne réalise pas la raison d’image. Aussi Denys l’appelle-t-il « une ressemblance dissemblable ».

 

 

 

 

Articulus 3 [4897] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 tit. Utrum imago Dei magis reperiatur in Angelis quam in hominibus

Article 3 – L’image de Dieu se trouve-t-elle davantage chez les anges que chez les hommes ?

 

[4898] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod imago non magis in Angelis quam in hominibus inveniatur. Ea enim quae sequuntur naturam, aequaliter inveniuntur in omnibus habentibus naturam illam, ut risibile in hominibus. Sed esse ad imaginem Dei, consequitur intellectualem naturam. Ergo in omnibus habentibus intellectum est aequaliter.

1. Il semble que l’image ne se trouve pas davantage chez les anges que chez les hommes. En effet, ce qui découle de la nature se trouve également chez tous ceux qui possèdent cette nature, comme la capacité de rire chez les hommes. Or, être à l’image de Dieu découle de la nature intellectuelle. Cela existe donc également chez tous ceux qui possèdent une intelligence.

 

[4899] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, secundum Augustinum, eo ipso est anima imago Dei quod capax ejus esse potest. Sed non magis capax Dei est Angelus quam homo, cum in fruitione divinitatis homines Angelis aequentur. Ergo esse ad imaginem non magis Angelis quam hominibus convenit.

2. Selon Augustin, c’est par le fait que l’âme est l’image de Dieu qu’elle peut être capable de lui. Or, l’ange n’est pas plus capable de Dieu que l’homme, puisque les hommes sont les égaux des anges dans la jouissance de Dieu. Être à l’image ne convient donc pas davantage aux anges qu’aux hommes.

 

[4900] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, ut dicit Augustinus, inter mentem nostram et Deum nihil est medium. Sed quod magis imitatur Deum, cadit medium inter ipsum et id quod minus imitatur ipsum. Ergo Angelus non magis est ad imaginem Dei quam mens humana.

3. Comme le dit Augustin, il n’y a pas d’intermédiaire entre notre esprit et Dieu. Or, ce qui imite davantage Dieu occupe le milieu entre lui et ce qui l’imite moins. L’ange est donc davantage à l’image de Dieu que l’esprit humain.

 

[4901] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, ad Hebr. 2 dicit Glossa, quod natura mentis humanae quam Christus assumpsit, nihil post Deum est melius. Sed Christus assumpsit mentem ejusdem naturae cum nostris mentibus. Cum ergo unumquodque tanto sit melius quanto expressiori imagine Deum imitatur; videtur quod esse ad imaginem non magis Angelis quam hominibus conveniat.

4. La Glose sur He 2 dit que rien n’est meilleur après Dieu que la nature de l’esprit humain que le Christ a assumée. Or, le Christ a assumé un esprit de même nature que nos esprits. Puisque toutes choses sont d’autant meilleures qu’elles imitent Dieu selon une image plus expresse, il semble donc qu’être à l’image [de Dieu] ne convient pas davantage aux anges qu’aux hommes.

 

[4902] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, de beata virgine dicit Hieronymus quod exaltata est super choros Angelorum ad caelestia regna. Sed hoc non posset esse, si ipsa esset minus ad imaginem Dei quam Angeli. Ergo cum ipsa vere et pure naturam humanam habeat, videtur quod imago non plus in Angelis quam in hominibus inveniatur.

5. Jérôme dit de la bienheureuse Vierge qu’elle « a été élevée dans le royaume céleste au-dessus des chœurs des anges ». Or, cela ne pourrait pas être le cas si elle était moins à l’image de Dieu que les anges. Puisqu’elle possède véritablement et purement la nature humaine, il semble donc qu’on ne trouve pas davantage l’image chez les anges que chez les hommes.

 

[4903] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Gregorius quod Angelus dicitur signaculum similitudinis, quia in eo divinae imaginis similitudo magis insinuatur expressa. Sed secundum hoc aliquid dicitur esse magis ad imaginem, secundum quod expressius imago Dei in ipso relucet. Ergo Angeli sunt magis ad imaginem Dei quam homo.

Cependant, [1] Grégoire dit au contraire que l’ange est appelé le « sceau de la ressemblance » parce qu’une ressemblance plus expresse avec l’image de Dieu a été implantée en lui. Or, on dit d’une chose qu’elle est davantage à l’image parce que l’image de Dieu brille en lui de manière plus expresse. Les anges sont donc davantage à l’image de Dieu que l’homme.

 

[4904] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 s. c. 2 Similiter etiam videtur quod sit vir magis quam mulier per id quod 1 Corinth. 11, quidam gradus inter virum et mulierem constituitur, dum dicitur vir imago Dei, et mulier imago viri: et ita non in omnibus habentibus imaginem imago aequaliter invenitur.

[2] Il semble aussi que l’homme le soit davantage que la femme, selon ce qui est dit dans 1 Co 11, qui établit un degré entre l’homme et la femme, lorsqu’on dit que l’homme est l’image de Dieu et la femme, l’image de l’homme. On ne trouve donc pas également l’image chez tous ceux qui possèdent l’image.

 

[4905] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod de imagine possumus loqui dupliciter: aut quantum ad id in quo proprie consistit imaginis ratio; aut quantum ad id quod secundario assignatur similitudo imaginis: proprie enim et principaliter imago intellectualem naturam consequitur; unde oportet quod ubi intellectualis natura perfectius invenitur, etiam ibi sit imago expressior: et sic cum natura intellectualis multo sit dignior in Angelis quam in homine, eo quod propter obumbrationem intellectualis luminis homo rationalis dicitur, cum ratio sit quidam intellectus obumbratus; oportet quod in Angelis sit expressior Dei imago quam in anima, et in Angelis superioribus quam in inferioribus, et in viro quam in muliere: quamvis illa diversitas sit minor quam prima, quia non sequitur diversitatem naturae secundum speciem. Assignatur etiam imago Dei in homine, sed non ita proprie, quantum ad aliquas proprietates consequentes, sicut quod homo dominatur inferioribus creaturis (sicut etiam Deus in toto universo), et est quodammodo finis earum: et hoc innuitur Gen. 1, 26, ubi post id quod dictum est: faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram, subjungitur: ut praesit piscibus maris, et volatilibus caeli, et bestiis universaeque terrae, omnique reptili quod movetur in terra. Et similiter sicut Deus est totus in qualibet parte universi, ita anima in qualibet parte corporis; et secundum hoc et hujusmodi alia nihil prohibet hominem magis ad imaginem Dei esse quam Angelum. Sed hoc est secundum quid, et non simpliciter: quia judicium similitudinis vel diversitatis quod sumitur ab essentialibus rei, est multo firmius.

Réponse. Nous pouvons parler de l’image de deux manières : soit pour ce en quoi la raison d’image consiste au sens propre ; soit pour ce à quoi est attribuée de manière secondaire la ressemblance de l’image. En effet, au sens propre et principal, l’image découle de la nature intellectuelle. Il faut donc que là où la nature intellectuelle se trouve de manière plus parfaite, là existe aussi une image plus expresse. Ainsi, puisque la nature intellectuelle est beaucoup plus digne chez les anges que chez l’homme, du fait que l’homme est appelé raisonnable en raison d’une lumière intellectuelle ombragée, puisque la raison est une intelligence ombragée, il faut donc qu’existe chez les anges une image de Dieu plus expresse que dans l’âme, chez les anges supérieurs davantage que chez les [anges] inférieurs, et chez l’homme davantage que chez la femme, bien que cette diversité soit moindre que la première, parce qu’elle ne découle pas d’une diversité de nature selon l’espèce. L’image de Dieu est aussi attribuée à l’homme, mais d’une manière qui n’est pas aussi propre, pour ce qui est de certaines propriétés qui en découlent, comme le fait pour l’homme d’être maître des créatures inférieures (comme Dieu l’est pour l’ensemble de l’univers), et d’être en quelque sorte leur fin. Ceci est suggéré par Gn 1, 26, où, après que [Dieu] a dit : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, il ajoute : Afin qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les animaux de la terre et tout ce qui se déplace en rampant sur la terre. Et encore, de même que Dieu est tout entier en chaque partie de l’univers, de même l’âme l’est-elle en chaque partie du corps. De cette manière et d’autres du genre, rien n’empêche que l’homme soit davantage à l’image de Dieu que l’ange. Mais c’est là une manière relative, et non pas simple, car le jugement sur la ressemblance ou la diversité tiré des éléments essentiels d’une chose est bien plus solide.

 

[4906] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ea quae consequuntur naturam, aequaliter inveniuntur in omnibus habentibus naturam illam aequaliter. Natura autem intellectualis non aequaliter invenitur in Angelis et in hominibus; sed in Angelis multo nobilior.

1. Ce qui découle de la nature se trouve également chez tous ceux qui possèdent également cette nature. Or, la nature intellectuelle ne se trouve pas également chez les anges et chez les hommes, mais elle est beaucoup plus noble chez les anges.

 

[4907] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod imago invenitur in homine et in Angelo quantum ad naturalia sua, non quantum ad habitum gratiae vel gloriae. Consideratis autem naturalibus Angeli et hominis, magis est capax divinae cognitionis Angelus quam homo; et quod homo ad aequalitatem Angelorum perducitur in divina fruitione, est gratiae, et non naturae: et ideo objectio non procedit.

2. L’image se trouve chez l’homme et chez l’ange pour leurs éléments essentiels, et non pour l’habitus de la grâce ou de la gloire. Or, si l’on considère les éléments naturels de l’ange et de l’homme, l’ange est plus capable de connaître Dieu que l’homme. Que l’homme soit amené à l’égalité des anges pour la jouissance de Dieu, cela relève de la grâce, et non de la nature. L’objection n’est donc pas concluante.

 

[4908] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod inter mentem nostram et Deum nihil est medium quasi objectum beatitudinis, sed immediate in Deum nostra mens tendit, a quo etiam immediate per gratiam vivificatur; et tamen est aliquid medium quantum ad gradum naturae, scilicet angelica natura, ut patet ex Dionysio; Augustinus etiam dicit, Angelum prope Deum factum, et materiam prope nihil. Et ideo objectio nulla est.

3. Entre notre esprit et Dieu, aucun intermédiaire n’existe comme objet de la béatitude, mais notre esprit tend vers Dieu de manière immédiate, par qui il est aussi vivifié de manière immédiate par la grâce. Toutefois, il existe quelque chose d’intermédiaire pour ce qui est du degré de la nature, à savoir, la nature angélique, comme cela ressort de Denys. Augustin dit aussi que l’ange a été créé proche de Dieu, et la matière proche du néant. L’objection n’a donc aucune valeur.

 

[4909] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod natura humana quam Christus assumpsit, est multo nobilior quam quaelibet creatura; sed hoc habet ex unione divinitatis, et non ex principiis essentialibus; et ideo non sequitur similis ratio de mentibus humanis non unitis. Assumpsit enim Dei filius humanam naturam, ut Damascenus dicit, in atomo, idest in individuo, et non in specie; et sic etiam natura mentis humanae in Glossa praedicta accipitur.

4. La nature humaine que le Christ a assumée est beaucoup plus noble que n’importe quelle créature, mais elle tient cela de l’union avec la divinité, et non de ses principes essentiels. Il n’en va donc pas de même pour les esprits humains qui ne sont pas unis [à la divinité]. En effet, comme le dit [Jean] Damascène, le Fils de Dieu a assumé une nature humaine de manière indivisible, c’est-à-dire dans un individu, et non selon l’espèce. C’est ainsi que la nature de l’esprit humain est entendue dans la glose mentionnée.

 

[4910] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod exaltatio beatae virginis super choros Angelorum non fuit naturae sed gratiae; et ideo per hoc nihil probatur.

5. L’élévation de la bienheureuse Vierge au-dessus des chœurs des anges n’a pas été le fait de la nature mais de la grâce. Rien n’est donc démontré par [cet argument].

 

 

 

 

Articulus 4 [4911] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 tit. Utrum imago et similitudo convenienter distinguantur in littera

Article 4 – L’image et la ressemblance sont-elles distinguées de manière appropriée dans le texte ?

 

[4912] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter imago et similitudo in littera distinguantur. Illud enim quod ponitur in definitione alicujus ut genus, non distinguitur ab ipso, sicut animal ab homine. Sed secundum Hilarium: imago est rei ad rem coaequandam imaginata et indiscreta similitudo. Ergo imago et similitudo distingui non debent.

1. Il semble que l’image et la ressemblance soient distinguées de manière inappropriée dans le texte. En effet, ce qui est mis comme genre dans la définition d’une chose ne s’en distingue pas, comme l’animal [ne se distingue pas] de l’homme. Or, selon Hilaire, « l’image est une ressemblance représentée et indissociable d’une chose, qui vise à l’égalité avec elle ». L’image et la ressemblance ne doivent donc pas être distinguées.

 

[4913] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, secundum quorumdam opinionem homo in gratuitis creatus non est. Sed innocentia et justitia ad gratiam pertinent. Ergo inconvenienter similitudo, in qua homo factus est, per justitiam et innocentiam exponitur in littera.

2. Selon l’opinion de certains, l’homme n’a pas été créé avec les [dons] gratuits. Or, l’innocence et la justice relèvent de la grâce. La ressemblance avec laquelle l’homme a été créé est donc expliquée dans le texte de manière inappropriée par la justice et l’innocence.

 

[4914] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, cognitio et amor nominant actum vel passionem. Sed actus et passio non semper remanent in animo. Cum ergo imago semper maneat, videtur quod inconvenienter imago secundum dilectionem vel cognitionem assignetur.

3. La connaissance et l’amour désignent un acte ou une passion. Or, l’acte et la passion ne demeurent pas toujours dans l’esprit. Puisque l’image demeure toujours, il semble donc inapproprié que l’image soit attribuée à l’amour et à la connaissance.

 

[4915] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, amor ad voluntatem pertinet. Voluntas autem est pars imaginis. Ergo inconvenienter distinguitur similitudo ab imagine per hoc quod similitudo in amore virtutis consistit.

4. L’amour relève de la volonté. Or, la volonté fait partie de l’image. La ressemblance est donc distinguée de l’image de manière inappropriée par une ressemblance qui consiste dans l’amour de la vertu.

 

[4916] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, voluntas ad cognitionem non pertinet, et tamen pars imaginis ab Augustino ponitur. Ergo videtur quod inconvenienter dicatur imago ad cognitionem veritatis pertinere.

5. La volonté ne relève pas de la connaissance ; elle est cependant donnée par Augustin comme une partie de l’image. Il semble donc inapproprié de dire que l’image relève de la connaissance de la vérité.

 

[4917] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, natura intellectualis ad essentiam animae pertinet. Sed naturam intellectualem sequitur imago, ut dictum est. Ergo videtur inconvenienter dici, quod similitudo ad essentiam pertineat, imago vero ad alia quae sunt in anima.

6. La nature intellectuelle fait partie de l’essence de l’âme. Or, l’image découle de la nature intellectuelle, comme on l’a dit. Il semble donc inapproprié de dire que la ressemblance relève de l’essence, mais l’image, d’autres choses qui existent dans l’âme.

 

[4918] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in ratione imaginis includitur similitudo, et non e converso; unde si similitudo contra imaginem distinguatur, oportet specialiter sumi similitudinem quae deficit a ratione imaginis: sicut proprium condividitur definitioni, non secundum nomen commune quod de definitione praedicatur, sed secundum illam rationem determinate acceptam qua deficit a perfectione definitionis. Cum ergo imago importet imitationem in his quae pertinent ad speciem demonstrandam, oportet quod similitudo accipiatur in eo quod deficit a demonstratione specialis naturae. Hoc autem contingit dupliciter: aut quia est prius et communius quam sit natura speciei, sicut proprietates consequentes naturam generis: aut quia est posterius his quae speciem demonstrant, ut accidentia consequentia principia individui. Si ergo accipiatur defectus primo modo, sic est ultima distinctio quae in littera assignatur: secundum hoc enim dicitur similitudo secundum convenientiam in illis quae consequuntur essentiam, inquantum est essentia, et non inquantum est intellectualis, ut incorruptibile et indivisibile et hujusmodi; imago autem attenditur secundum ea quae proprie intellectualem naturam consequuntur. Si autem attendatur defectus ex hoc quod est posterius, hoc est dupliciter: quia aut hoc est secundum ordinem potentiae naturalis ad potentiam: et sic primum demonstrans naturam intellectualem est potentia cognoscitiva et actus ejus, et posterius erit voluntas et actus ejus, quae consequitur apprehensionem cognoscitivae virtutis; et sic erit secunda distinctio, quia imago pertinebit ad cognitionem veritatis, quae est primum demonstrans naturam intellectualem, similitudo autem ad amorem virtutis: aut secundum ordinem potentiae ad habitum; et sic erit prima distinctio, secundum quod imago pertinet ad potentias, scilicet memoriam, intelligentiam, et voluntatem; similitudo vero ad habitus consequentes, scilicet innocentiam, et justitiam.

Réponse. La ressemblance est incluse dans la notion d’image, mais non l’inverse. Si l’on distingue la ressemblance de l’image, il faut donc entendre d’une manière particulière la ressemblance à laquelle manque la raison d’image, comme ce qui est propre est distingué de la définition, non pas selon le nom commun qui est prédiqué de la définition, mais selon la raison considérée de manière déterminée, par laquelle il lui manque la perfection de la définition. Puisque l’image comporte une imitation de ce qui est destiné à manifester l’espèce, il faut que la ressemblance soit entendue de ce qui fait défaut à la manifestation d’une nature particulière. Or, cela se produit de deux manières : soit elle est quelque chose d’antérieur et de plus commun que la nature de l’espèce, comme les propriétés qui découlent de la nature du genre ; soit elle est quelque chose de postérieur à ce qui manifeste l’espèce, comme les accidents qui découlent des principes d’un individu. Si on entend le manque de la première manière, elle est ainsi la distinction ultime qui est indiquée dans le texte. En effet, on parle de ressemblance pour les éléments communs qui découlent de l’essence en tant qu’essence, et non en tant qu’intellectuelle, tels le fait d’être incorruptible, indivisible et les choses de ce genre. Or, on considère l’image selon ce qui découle de la nature intellectuelle au sens propre. Mais si on considère le manque à partir de ce qui est postérieur [à ce qui manifeste l’espèce], ce peut être de deux manières. Soit selon l’ordre d’une puissance naturelle à la puissance, et ainsi la première chose qui manifeste la nature intellectuelle est la puissance cognitive et son acte ; et, par la suite, ce sera la volonté et son acte, qui découlent de la perception de la puissance cognitive, et ainsi, il y aura une seconde distinction, car l’image relèvera de la connaissance de la vérité, qui est la première chose qui manifeste la nature intellectuelle, mais la ressemblance, de l’amour de la vertu. Soit selon l’ordre de la puissance à l’habitus. Ce sera ainsi la première distinction selon laquelle l’image se rapporte aux puissances, à savoir, la mémoire, l’intelligence et la volonté ; mais la ressemblance [se rapportera] aux habitus qui en découlent, à savoir, l’innocence et la justice.

 

[4919] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod similitudo communiter sumpta, non dividitur contra imaginem; sed similitudo deficiens a ratione imaginis, sicut proprium contra definitionem.

1. Entendue au sens commun, la ressemblance n’est pas distinguée de l’image, mais la ressemblance à laquelle fait défaut la raison d’image [le fait], comme ce qui est propre [est distingué] de la définition.

 

[4920] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam si ponatur homo non creatus in habitibus gratuitis, constat tamen eum esse creatum in habitibus naturalibus integris et perfectis: et quantum ad hoc similitudo attenderetur.

2. Même si on affirme que l’homme a été créé sans les [dons] gratuits, il est cependant clair qu’il a été créé avec des habitus naturels complets et parfaits. Sur ce point, on tiendrait compte de la ressemblance.

 

[4921] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentiae innotescunt per actus et passiones: et ideo per cognitionem et amorem debet intelligi potentia cognoscitiva et amativa, quae est voluntas.

3. Les puissances sont connues par les actes et les passions Aussi, par la connaissance et l’amour, il faut entendre la puissance cognitive et la puissance d’aimer, qui est la volonté.

 

[4922] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa non valet, quia procedit ex diversis distinctionibus: nec est inconveniens ut secundum unam distinctionem aliquid pertineat ad imaginem, et secundum aliam pertineat ad similitudinem: quia in una comparatione potest aliquid accipi ut prius aliquo, quod in alia accipitur ut posterius respectu alterius: secundum quem modum possunt comparari potentiae intellectivae naturae ad habitus, quibus inveniuntur priores, vel una ad alteram, et sic est una prior altera. Et ita sicut aliquid est prius et posterius in aliqua comparatione diversimode acceptum: ita etiam potest ad imaginem et similitudinem pertinere ratione praedicta.

4. Cet argument n’a pas de valeur, car il est fondé sur des distinctions différentes. Et il n’est pas inapproprié que quelque chose se rapporte à l’image selon une distinction, et se rapporte à la ressemblance selon une autre, car quelque chose peut être perçu comme antérieur à une autre chose selon une comparaison, et être perçu comme postérieur par rapport à une autre. De cette manière, les puissances intellectives de la nature peuvent être comparées aux habitus, auxquels ils sont antérieurs, ou l’une à l’autre, et ainsi l’une est antérieure à l’autre. Et ainsi, de même qu’une chose est antérieure et postérieure selon une comparaison considérée de manière différente, de même cela peut aussi se rapporter à l’image et à la ressemblance pour la raison déjà donnée.

 

[4923] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 ad 5 Et similiter dicendum est ad quintum.

5. Il faut dire la même chose pour le cinquième [argument].

 

[4924] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod intellectualitas, quamvis pertineat ad essentiam naturae intellectualis, non tamen est de ratione essentiae inquantum essentia: et ideo non pertinet ad similitudinem, quae assignatur secundum communes differentias entis, scilicet simplex et compositum, corruptibile et incorruptibile, et hujusmodi.

6. L’intellectualité, bien qu’elle se rapporte à l’essence de la nature intellectuelle, ne fait cependant pas partie de la notion d’essence en tant qu’essence. C’est pourquoi elle ne se rapporte pas à la ressemblance, qui est attribuée selon les différences communes de l’être, à savoir, simple et composé, corruptible et incorruptible, et celles de ce genre.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 16

 

[4925] Super Sent., lib. 2 d. 16 q. 1 a. 4 expos. Quare creatus sit homo, idest causa finalis hominis, et qualiter institutus, quia ex anima et corpore: haec duo in prima distinctione hujus libri dicta sunt: et qualiter et quomodo factus, hic incipit prosequi: deinde qualiter sit lapsus: hoc prosequitur 21 distinctione, et deinceps: postremo qualiter et per quam sit reparatus; hoc in 3 Lib. et in 4. Quae in mente rationali naturaliter sunt. Hoc potest intelligi etiam de habitibus gratuitis, ad quos anima naturaliter est ordinata, non quod per principia naturae causentur; vel potest intelligi de habitibus innatis, sicut philosophus in 6 Ethicor. ponit etiam quasdam virtutes naturales. Imago ergo pertinet ad formam, scilicet specialem; similitudo ad naturam, scilicet communem: et hoc secundum ultimam distinctionem quam posuit. Quocirca homo et imago est, et ad imaginem. Ratio hujus est, quia haec praepositio ad notat distantiam: quia, ut dicit Augustinus, filius est imago patris nulla ex parte ei dissimilis: ideo ita dicitur imago quod non ad imaginem: homo autem, quia ipse Deum imitatur in natura intellectuali, et a perfecta imitatione filii distat, in quam tamen tendit ut potest; ideo imago dicitur, et ad imaginem.

 

 

 

 

 

Distinctio 17

Distinction 17 – [La création de l’homme en ses parties]

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 1 – [L’âme fait-elle partie de l’essence divine ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[4926] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 pr. Ostenso quod homo prodiit a Deo in similitudinem ejus, sicut a causa quodammodo univoca, hic determinat productionem hominis in se, secundum quod ex suis partibus constat; et dividitur haec pars in duas: in prima determinat productionem viri; in secunda productionem feminae, 18 dist. ibi: in eodem quoque Paradiso mulierem formavit Deus de substantia viri. Prima in duas: in prima determinat constitutionem hominis; in secunda determinat locum qui sibi constituto in esse assignatus est, sicut etiam in naturalibus rei generatae debetur aliquis locus, ibi: hominem autem ita formatum tulit Deus, ut Scriptura docet, et posuit in Paradiso voluptatis. Prima in duas: in prima determinat productionem hominis ex parte animae; in secunda ex parte corporis, ibi: solet quaeri, utrum Deus hominem repente in virili aetate fecerit. Circa primum tria facit: primo determinat animae productionem a Deo; secundo excludit circa hoc quorumdam errores; unum ex parte creantis, ibi: non ergo carnaliter putemus Deum corporis manibus formasse corpus; alterum ex parte creati, ibi: putaverunt enim quidam haeretici, Deum de sua substantia animam creasse. Tertio determinat quamdam dubitationem, ibi: sed utrum in corpore an extra corpus, etiam inter doctores scrupulosa quaestio est. Hominem autem ita formatum tulit Deus, ut Scriptura docet, et posuit in Paradiso voluptatis. Hic determinat locum qui homini creato est assignatus, scilicet Paradisum, et dividitur in duas partes: in prima describit Paradisum; in secunda ligna Paradisi, ibi: in hoc autem Paradiso erant ligna diversi generis. Hic duo quaeruntur. Primo de creatione ejus ex parte animae. Secundo de formatione ejus ex parte corporis. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum anima humana sit de essentia divina; 2 si non, utrum sit de aliqua materia creata; 3 utrum anima extra corpus creata sit.

Après avoir montré que l’homme vient de Dieu à sa ressemblance, comme d’une cause en quelque sorte univoque, [le Maître] détermine ici de la production de l’homme en lui-même, selon qu’il est constitué de ses parties. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la production de l’homme ; dans la seconde, de la production de la femme, d.°18, à cet endroit : « Dans le même paradis, Dieu a formé la femme à partir de la substance de l’homme. » La première partie se divise en deux [parties] : dans la première, il détermine de la constitution de l’homme ; dans la seconde, il détermine du lieu qui lui a été assigné, une fois constitué, de la même manière qu’un certain lieu revient à une chose engendrée parmi les êtres naturels, à cet endroit : « Or, Dieu prit l’homme ainsi formé et le plaça dans un paradis de délices. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il détermine de la production de l’homme du point de vue de l’âme ; dans la seconde, du point de vue du corps, à cet endroit : « On a coutume de se demander si Dieu a d’un coup créé l’homme à l’âge adulte. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il détermine de la production de l’âme par Dieu. Deuxièmement, il écarte les erreurs de certains à ce sujet, l’une, du point de vue du Créateur, à cet endroit : « Ne pensons donc pas que Dieu a formé le corps avec les mains du corps » ; l’autre, du point de vue de ce qui a été créé, à cet endroit : « En effet, certains hérétiques ont pensé que Dieu a créé l’âme à partir de sa propre substance. » Troisièmement, il détermine d’un doute, à cet endroit : « À l’intérieur du corps ou à l’extérieur du corps, c’est encore une question qui fait difficulté parmi les docteurs. » « Or, Dieu prit l’homme ainsi formé et, comme l’enseigne l’Écriture, le plaça dans un paradis de délices. » Ici, il détermine du lieu qui a été assigné à l’homme une fois créé, à savoir, le Paradis, et il y a deux parties : dans la première, il décrit le Paradis ; dans la seconde, les arbres du Paradis, à cet endroit : « Or, dans ce Paradis, il y avait des arbres de diverses espèces. » Ici, deux questions sont posées. Premièrement, à propos de sa création du point de vue de l’âme ; deuxièmement, à propos de sa formation du point de vue du corps. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1. L’âme humaine vient-elle de l’essence divine ? 2. Si ce n’est pas le cas, vient-elle d’une matière créée ? 3. L’âme a-t-elle été créée hors du corps ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4927] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 tit. Utrum anima humana sit de essentia divina

Article 1 – L’âme humaine fait-elle partie de l’essence divine ?

 

[4928] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod anima sit de essentia divina, per id quod habetur Genes. 2, 7: inspiravit in faciem ejus spiraculum vitae. Sed illud quod inspirat aliquid, flatum de se emittit. Ergo anima est de essentia Dei.

1. Il semble que l’âme fasse partie de l’essence divine, selon ce qu’on lit en Gn 2, 7 : [Dieu] insuffla sur son visage un souffle de vie. Or, ce qui insuffle quelque chose émet un souffle à partir de lui-même. L’âme fait donc partie de l’essence de Dieu.

 

[4929] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, dicitur Act. 17, 28: nos enim genus Dei sumus. Hoc autem non convenit homini nisi secundum animam, qua ab aliis sensibilibus secernitur. Ergo videtur quod anima sit de substantia naturae divinae.

2. Il est dit en Ac 17, 28 : En effet, nous sommes de la race de Dieu. Or, cela ne convient à l’homme que selon son âme, par laquelle il se distingue des autres [natures] sensibles. Il semble donc que l’âme fasse partie de la substance de la nature divine.

 

[4930] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, cum naturalis operatio consequatur naturam, oportet ea quae in operatione conveniunt, in natura vel essentia convenire. Sed anima rationalis convenit in operatione intellectus cum Deo, ut philosophus in 10 Ethic. dicit. Ergo communicat cum ipso in essentia.

3. Puisque l’opération naturelle découle de la nature, il est nécessaire que ce qui possède une opération en commun ait en commun la nature ou l’essence. Or, l’âme raisonnable a en commun avec Dieu l’opération de l’intelligence, comme le dit le Philosophe, Éthique, X. Elle a donc avec lui une essence commune.

 

[4931] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod intelligitur, intelligitur per similitudinem vel identitatem; oportet enim quod intellectus in actu sit intellectum in actu, quod non contingit, nisi vel quia sunt idem per essentiam, sicut Deus seipsum intelligit, vel quia similitudo intellecti recipitur in intelligente ut perfectio ejus. Sed intellectus noster intelligit Deum, et similiter materiam primam. Ergo vel per similitudinem, vel per identitatem. Sed hoc non potest esse per similitudinem abstractam ab eis, quia a simplicissimo nihil potest abstrahi. Ergo oportet quod intelligat ipsa per identitatem; et sic est idem per essentiam Deus et materia prima et anima intellectiva.

4. Tout ce qui est intelligé, est intelligé par une ressemblance ou une identité. En effet, il faut que l’intellect en acte soit l’intelligé en acte, ce qui ne se produit que s’ils sont une même chose par essence, comme Dieu s’intellige lui-même, ou parce que la similitude de ce qui est intelligé est reçue comme sa perfection par celui qui intellige. Or, notre intelligence intellige Dieu et, de la même manière, la matière première. C’est donc par une similitude ou par une identié. Or, cela ne peut être par une similitude abstraite [à partir de Dieu et de la matière première], car rien ne peut être abstrait à partir de ce qui est le plus simple. Il faut donc que [notre intelligence] intellige par une identité, et ainsi, Dieu, la matière première et l’âme intellectuelle sont une même chose par essence.

 

[4932] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, quaecumque sunt et nullo modo differunt, sunt penitus idem. Sed intellectus et materia prima et Deus sunt, et nullo modo differunt. Ergo sunt penitus idem. Probatio mediae quantum ad secundam partem: quia prima constat. Quaecumque differunt, aliqua differentia differunt; sed omne quod differt ab altero aliqua differentia, est compositum ex differentia et quodam alio. Cum ergo praedicta tria sint penitus simplicia, videtur, quod nullo modo differant.

5. Toutes les choses qui existent sans aucune différence sont tout à fait la même chose. Or, l’intellect, la matière première et Dieu existent, et ils ne diffèrent d’aucune manière. Ils sont donc tout à fait la même chose. Démonstration de la seconde partie de la mineure, car la première va de soi. Tout ce qui diffère diffère par une certaine différence. Or, tout ce qui diffère d’une autre chose par une certaine différence est composé de la différence et de quelque chose d’autre. Puisque les trois choses mentionnées sont tout à fait simples, il semble donc qu’elles ne diffèrent d’aucune manière.

 

[4933] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, illud quod participatur ab esse cujuslibet rei, est de essentia cujuslibet rei. Sed, sicut dicit Dionysius, participatione divinae bonitatis anima et omnes aliae res sunt et bonae sunt. Ergo videtur quod divina bonitas sit essentia cujuslibet animae et cujuslibet rei. Sed divina bonitas est sua essentia. Ergo essentia divina est ipsa essentia animae, vel aliquid ejus.

6. Ce qui participe à l’être d’une chose fait partie de l’essence de cette chose. Or, comme le dit Denys, l’âme et toutes les autres choses sont et sont bonnes par participation à la bonté divine. Il semble donc que la bonté divine fasse partie de l’essence de toute âme et de toutes choses. Or, la bonté de Dieu est son essence. L’essence de Dieu est donc l’essence de l’âme ou quelque chose d’elle.

 

[4934] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, illud quod est in se tantum actus, non est possibile ad speciem alteram, vel ad esse aliud. Sed essentia divina est actus purus, cui nulla potentia permiscetur. Ergo non est possibilis ad hoc ut transformetur in naturam animae vel alicujus alterius, vel additionem aliquam recipiat.

Cependant, [1] ce qui est seulement acte en soi ne peut faire partie d’une autre espèce ou d’un autre être. Or, l’essence divine est acte pur, auquel aucune puissance n’est mêlée. Elle ne peut donc être transformée en la nature de l’âme ou de n’importe quoi d’autre, ou recevoir un ajout.

 

[4935] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ei quod est actus purus, non admiscetur aliqua privatio: quia privatio est ejus quod est natum haberi, et nondum habetur. Sed animae adjunguntur multi defectus vel privationes, ut ignorantia, malitia, et hujusmodi. Ergo anima non est de essentia divina.

[2] Aucune privation n’est mêlée à ce qui est acte pur, car la privation est le fait de ce qui est destiné à être possédé, mais n’est pas encore possédé. Or, beaucoup de manques ou de privations sont associés à l’âme, comme l’ignorance, la malice et des choses de ce genre. L’âme ne fait donc pas partie de l’essence divine.

 

[4936] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quorumdam antiquorum philosophorum error fuit, quod Deus esset de essentia omnium rerum: ponebant enim omnia esse unum simpliciter, et non differre, nisi forte secundum sensum vel aestimationem, ut Parmenides dixit: et illos etiam antiquos philosophos secuti sunt quidam moderni; ut David de Dinando. Divisit enim res in partes tres, in corpora, animas, et substantias aeternas separatas; et primum indivisibile, ex quo constituuntur corpora, dixit yle; primum autem indivisibile, ex quo constituuntur animae, dixit noym, vel mentem; primum autem indivisibile in substantiis aeternis dixit Deum; et haec tria esse unum et idem: ex quo iterum consequitur esse omnia per essentiam unum. Verumtamen haec positio et sensui contradicit, et a philosophis sufficienter improbata est. Alii vero minus errantes dixerunt, Deum esse, non quidem essentiam omnium, sed substantiarum intellectivarum, considerantes similitudinem operationis, et dignitatem intellectus, et immaterialitatem ejus: qui error ortum habere potuit ex opinione Anaxagorae, qui posuit intellectum moventem omnia: et fulcimentum habere potuit ex auctoritate Genesis 1 inducta, male intellecta. Sed hoc etiam fidei contrariatur, et philosophorum dictis, qui substantias intellectuales in diversis ordinibus constituunt, et intellectum humanum ultimum in ordine omnium intellectualium, inter quos primum ponunt intellectum divinum: et hunc quidem esse omnino immobilem, et fides tenet, et ratio demonstrat; anima autem humana aliquo modo variabilis est, scilicet secundum virtutem et vitium, et scientiam et ignorantiam. Horum autem omnium errorum et similium unum videtur esse principium et fundamentum, quo destructo, nihil probabilitatis remanet. Plures enim antiquorum ex intentionibus intellectis judicium rerum naturalium sumere volunt: unde quaecumque inveniuntur convenire in aliqua intentione intellecta, voluerunt quod communicarent in una re: et inde ortus est error Parmenidis et Melissi, qui videntes ens praedicari de omnibus, locuti sunt de ente sicut de una quadam re, ostendentes ens esse unum et non multa, ut eorum rationes indicant in 1 Physicor. recitatae. Ex hoc etiam secuta est opinio Pythagorae et Platonis, ponentium mathematica et intelligibilia principia sensibilium: ut quia numerus invenitur in his et illis, quae communicant in numero, sint etiam in quadam essentia unum; et similiter quia Socrates et Plato sunt homo, quod sit unus homo per essentiam, qui de omnibus praedicatur. Ex hoc etiam procedunt plures rationes Avicebronis in libro fontis vitae, qui semper unitatem materiae venatur ex aequali communitate praedicationis. Ex hoc etiam derivatur opinio quae dicit, unam essentiam generis esse in omnibus speciebus re, non tantum secundum rationem. Sed hoc fundamentum est valde debile: non enim oportet, si hoc est homo et illud homo, quod eadem sit humanitas numero utriusque, sicut in duobus albis non est eadem albedo numero; sed quod hoc similetur illi in hoc quod habet humanitatem sicut illud: unde intellectus accipiens humanitatem non secundum quod est hujus, sed ut est humanitas, format intentionem communem omnibus: et ita etiam non est necessarium quod si in anima est natura intellectualis et in Deo, quod sit eadem intellectualitas utriusque per essentiam, per quam eamdem essentiam utrumque dicatur ens.

Réponse. L’erreur de certains philosophes anciens a été de dire que Dieu faisait partie de l’essence de toutes choses. En effet, ils affirmaient que toutes les choses étaient simplement une seule chose et qu’elles ne différaient que selon le sens ou le jugement, comme le disait Parménide. Et certains modernes ont aussi suivi ces anciens philosophes, tel David de Dinant. En effet, il a divisé les choses en trois parties : les corps, les âmes et les substances séparées éternelles. Il appelait hylè [matière] le premier indivisible, dont les corps sont constitués. Il appelait noèm ou esprit le premier indivisible dont sont constituées les âmes. Il appelait Dieu le premier indivisible parmi les substances éternelles. Ces trois choses étaient une seule et même chose. Il en découle que toutes les choses sont une seule chose par essence. Toutefois, cette position est contraire au sens et a été suffisamment repoussée par les philosophes. D’autres, en s’égarant moins, ont dit que Dieu était, non pas l’essence de toutes choses, mais [l’essence] des substances intellectuelles, en prenant en compte la ressemblance de l’opération, la dignité de l’intellect et son immatérialité. Cette erreur pouvait tirer son origine de l’opinion d’Anaxagore, qui affirmait que l’intellect meut toutes choses. Elle pouvait aussi s’appuyer sur l’autorité de Gn 1 invoquée, mais mal comprise. Mais cela est aussi contraire à la foi et à ce qu’ont dit les philosophes, qui ont placé les substances intellectuelles dans divers ordres, et l’intellect humain dans le dernier ordre de tous les intellects, parmi lesquels ils donnent le premier rang à l’intellect divin. Que celui-ci soit tout à fait immobile, la foi le tient et la raison le démontre, mais [elle démontre] aussi que l’âme humaine est en quelque manière changeante, par exemple, selon la vertu et le vice, la science et l’ignorance. Or, il semble n’y avoir qu’un seul principe et fondement de toutes ces erreurs et [d’erreurs] semblables : si l’on détruit celui-ci, il ne reste rien qui puisse être démontré. En effet, plusieurs parmi les anciens veulent tirer un jugement sur les choses naturelles à partir des intentions intelligées ; aussi ils ont voulu que tout ce qui semble commun selon une intention intelligée soit commun dans une seule réalité. De là vient l’erreur de Parménide et de Mélisse, qui, voyant que l’être est prédiqué de toutes les choses, ont parlé de l’être comme d’une seule chose, en montrant que l’être est unique et non pas multiple, comme l’indiquent leurs raisonnements rapportés dans Physique, I. C’est ce dont découle aussi l’opinion de Pythagore et de Platon, qui affirmaient que les principes mathématiques et intelligibles des choses sensibles – ainsi, on trouve un nombre dans telle et telle chose : elles ont le nombre en commun – existent comme une seule chose dans une seule essence ; de même, parce que Socrate et Platon sont des hommes, [ìls affirmaient] qu’il n’y avait qu’un seul homme par essence, lequel était prédiqué de tous. De là encore proviennent plusieurs raisonnements d’Avicebron [ibn Gabirol], dans le Livre sur la source de vie, qui cherche toujours l’unité de matière à partir d’une égale prédication commune. De là découle encore l’opinion disant qu’il existe en réalité, et non seulement selon la raison, une seule essence du genre dans toutes les espèces. Mais ce fondement est très faible. En effet, il n’est pas nécessaire, si ceci est un homme et cela est un homme, que l’humanité soit la même numériquement chez les deux, de même que la même blancheur soit numériquement dans deux choses blanches ; mais [il est nécessaire] que ceci soit semblable à cela en ce qu’il a l’humanité comme l’autre. Aussi, l’intellect, en concevant l’humanité, non pas selon qu’elle appartient à ceci, mais en tant qu’humanité, forme une intention commune aux deux. De même, il n’est pas nécessaire que, s’il existe une nature intellectuelle dans l’âme et en Dieu, ce soit essentiellement la même intellectualité chez les deux, une même essence selon laquelle on dit des deux qu’ils sont.

 

[4937] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut Augustinus dicit, illa auctoritas non cogit ponere animam de substantia Dei esse. Primo, quia hoc quod homo flando emittit, est de aere exteriori quem respirando attraxit, non de substantia ejus. Secundo, quia etsi esset de substantia sufflantis, nullo modo esset de substantia animae, etsi etiam poneretur de substantia corporis. Deus autem hoc modo se habet ad totum universum regendo ipsum, sicut anima ad corpus; unde non sequitur animam hominis esse de substantia Dei. Tertio, quia anima tantummodo corpori dominatur, unde flatum non nisi de corpore facere potest; Deus autem est supra omnem naturam; unde non oportet ut de corporalibus elementis animam faciat; sed de nihilo eam creat immensitate potestatis suae; unde figurative dicitur flare, quasi flatum faceret. Isaiae 57, 16: omnem flatum ego feci.

1. Comme le dit Augustin, cette autorité ne force pas à affirmer que l’âme vient de la substance de Dieu. Premièrement, parce que ce que l’homme émet en soufflant vient de l’air extérieur qu’il a attiré en respirant, et non de sa substance. Deuxièmement, parce que, même si cela venait de la substance de celui qui souffle, cela ne viendrait pas du tout de la substance de l’âme, même si on affirmait que cela vient de la substance du corps. Or, Dieu a avec tout l’univers en le gouvernant le même rapport que l’âme a avec le corps. Aussi n’en découle-t-il pas que l’âme de l’homme appartienne à la substance de Dieu. Troisièmement, parce que l’âme commande de manière à ce qu’elle ne puisse produire un souffle qu’à partir du corps. Or, Dieu est au-dessus de toute nature ; aussi n’est-il pas nécessaire qu’il crée l’âme à partir d’éléments corporels, mais il la créé à partir de rien par l’immensité de sa puissance. Aussi est-ce par mode de figure qu’on dit de lui qu’il souffle, comme s’il produisait un souffle. Is 57, 16 : J’ai produit tout souffle.

 

[4938] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dicimur nos esse genus Dei quantum ad animam, non ita quod anima sit de divina essentia, sed quia participat naturam intellectualem quae etiam in Deo est; secundum quod etiam dicitur ad imaginem Dei.

2. Il est dit de nous que nous sommes la race de Dieu quant à l’âme, non pas parce que l’âme fait partie de l’essence de Dieu, mais parce qu’elle participe à la nature intellectuelle qui existe aussi en Dieu, selon quoi on dit aussi qu’elle est à l’image de Dieu.

 

[4939] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum anima non habeat eamdem operationem numero quam Deus habet, sed similem, non sequitur quod habeat eamdem naturam, sed similem: nec ex tali similitudine unitas essentiae concludi potest, ut dictum est.

3. Puisque l’âme n’a pas numériquement la même opération que Dieu a, mais [une opération] semblable, il n’en découle pas qu’elle ait la même nature, mais [une nature] semblable. On ne peut pas non plus conclure d’une telle ressemblance à l’unité d’essence, comme on l’a dit.

 

[4940] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus creatus intelligit Deum non per identitatem naturae, sed per unionem ad ipsum, quae est vel per aliquam similitudinem non quidem abstractam, sed effluxam a Deo in intellectum; et hunc modum intelligendi vocat Avicenna, per impressionem, dicens, intelligentias in nobis esse ex hoc quod impressiones earum in nobis sunt: vel per unionem ad ipsam essentiam lucis increatae, sicut erit in patria. Materia autem prima cognoscibilis est, non per aliquam speciem ab ipsa receptam, sed per analogiam ad formam, ut dicitur in 1 Phys.; et ideo est de illis quae suo defectu perfecte intelligi non valent, ut dicit Boetius in Lib. de duabus naturis.

4. L’intellect créé intellige Dieu, non pas en vertu d’une identité de nature, mais par l’union à lui, qui se réalise par une certaine ressemblance, non pas abstraite, mais reçue de Dieu dans l’intellect. Avicenne dit de ce mode d’intellection qu’il se réalise par une empreinte, lorsqu’il dit que les intelligences sont en nous du fait que leur empreinte se trouve en nous, ou bien par l’union à l’essence même de la lumière incréée, comme ce sera le cas dans la patrie. Mais la matière première est connaissable, non pas par une espèce reçue d’elle, mais par analogie avec la forme, comme on le dit dans Physique, I. Elle fait donc partie de ce qui ne peut être connu parfaitement en raison de sa carence, comme le dit Boèce dans le livre Sur les deux natures.

 

[4941] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod secundum philosophum in 10 Metaph., non est idem esse diversum et esse differens: quia differens ad aliquid dicitur (unde oportet omne differens, proprie loquendo, aliquo differre); diversum autem absolute dicitur; unde quae diversa sunt, non oportet aliquo diversa esse, sed seipsis: si enim oporteret omnia diversa in aliquo differre, in infinitum abiretur; et ideo oportet devenire ad prima simplicia, quae seipsis diversa sunt, ut patet in differentiis, quibus species distinguuntur. Si ergo differens stricte sumatur secundum praedictam acceptionem, sic prima propositio falsa est, eo quod aliqua non differunt quae diversa sunt. Idem autem non differenti sed diverso opponitur. Si autem sumatur differens large pro diverso et differenti, sic prima propositio vera est, sed media est falsa, ut ex praedictis patet.

5. Selon le Philosophe, Métaphysique, X, être divers et être différent ne sont pas la même chose, car être différent se dit par rapport à quelque chose (aussi, à proprement parler, faut-il que tout ce qui est différent diffère de quelque chose). Mais être divers se dit de manière absolue ; aussi n’est-il pas nécessaire que des choses diverses soient diverses par rapport à autre chose, mais par rapport à elles-mêmes. En effet, s’il fallait que tout ce qui est divers diffère par quelque chose, on remonterait à l’infini ; c’est pourquoi il faudrait en venir à des choses simples premières, qui sont diverses l’une par rapport à l’autre, comme cela ressort pour les différences par lesquelles les espèces sont distinctes. Si donc on entend « différent » au sens strict dans le sens mentionné plus haut, la première proposition est ainsi fausse, du fait que certaines choses qui sont diverses ne sont pas différentes. Or, ce qui est identique ne s’oppose pas à ce qui est différent mais à ce qui est divers. Mais si on entend « différent » au sens large pour ce qui est divers et ce qui est différent, la première proposition est ainsi vraie, mais la mineure est fausse, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut.

 

[4942] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod creaturae non dicuntur divinam bonitatem participare quasi partem essentiae suae, sed quia similitudine divinae bonitatis in esse constituuntur, secundum quam non perfecte divinam bonitatem imitantur, sed ex parte.

6. On ne dit pas que les créatures participent à la bonté divine en tant que parties de son essence, mais parce qu’elles sont établies dans l’être selon une ressemblance avec la bonté divine, par laquelle elles n’imitent pas la bonté divine parfaitement, mais partiellement.

 

 

 

 

Articulus 2 [4943] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 tit. Utrum anima humana sit constituta ex aliqua materia

Article 2 – L’âme humaine est-elle constituée de quelque matière ?

 

[4944] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod anima ex aliqua materia constituta sit. Omne enim quod est hoc aliquid in natura, est compositum ex materia, ut in 2 de anima patet. Sed anima rationalis est hujusmodi: quia est per se sine corpore existens, ab alia anima ejusdem speciei numero distincta. Ergo et cetera.

1. Il semble que l’âme soit constituée de quelque matière. En effet, tout ce qui telle chose dans la nature est composé de matière, comme cela ressort de Sur l’âme, II. Or, l’âme raisonnable est de ce genre, car elle existe par elle-même sans corps, numériquement distincte d’une âme de la même espèce. Donc, etc.

 

[4945] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in quocumque inveniuntur proprietates materiae, oportet materiam inveniri, cum proprietates rei a re non separentur. Sed in anima inveniuntur quaedam proprietates materiae, ut subjici, recipere, pati, et hujusmodi. Ergo videtur quod sit ex materia composita.

2. Il est nécessaire de trouver de la matière en toutes choses où se trouvent les propriétés de la matière, puisque les propriétés d’une chose ne sont pas séparées de la chose. Or, on trouve dans l’âme certaines propriétés de la matière, comme le fait d’être assujettie, de recevoir, d’être passive et celles de ce genre. Il semble donc qu’elle soit composée de matière.

 

[4946] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum in 2 Metaph., necesse est imaginari materiam in re mota. Sed animae mutabilitas ostenditur ex hoc quod vitiis et fallaciis deformis redditur; formatur autem virtutibus veritatisque doctrina, secundum Augustinum. Ergo in anima est materia.

3. Selon le Philosophe, Métaphysique, II, il est nécessaire de se représeneter une matière dans une chose mue. Or, la mobilité de l’âme est montrée par le fait qu’elle est rendue difforme par les vices et les tromperies, mais elle est formée par les vertus et l’enseignement de la vérité, selon Augustin. Il y a donc une matière dans l’âme.

 

[4947] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, secundum philosophum, in 8 Metaph., nullius agentis actio terminatur nisi ad compositum. Sed actio creantis Dei terminatur ad animam, quam in esse producit. Ergo est ex materia et forma composita.

4. Selon le Philosophe, Métaphysique, VIII, toute action d’un agent n’a son terme que dans le composé. Or, l’action créatrice de Dieu a son terme dans l’âme, qu’elle amène à l’être. Elle est donc composée de matière et de forme.

 

[4948] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, nihil vivit seipso nisi Deus. Sed anima non tantum vivificat corpus, sed etiam vivit. Ergo seipsa non vivit, sed aliquo sui. Sed omne illud in quo est principium vitae et recipiens vitam, est ex materia et forma compositum. Ergo et cetera.

5. Rien ne vit par soi-même que Dieu. Or, l’âme ne vivifie pas seulement le corps, mais elle vit, elle aussi. Elle ne vit donc pas par elle-même, mais par quelque chose d’elle-même. Or, tout ce en quoi il y a principe de vie et ce qui reçoit la vie est composé de matière et de forme. Donc, etc.

 

[4949] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, in omni creato differt quod operatur et quo operatur: quia solum primo agenti convenit per essentiam agere; aliis autem per participationem alicujus quod ad essentiam additur. Sed anima habet operationes proprias, et sic illis operationibus ipsa est operans. Ergo non est quo operatur: et sic non videtur esse forma simplex, sed materiam habens: quia forma est principium quo operatio producitur.

6. En tout ce qui est créé, il existe une différence entre ce qui agit et ce par quoi il agit, car il convient seulement au premier agent d’agir par [son] essence, et aux autres, [d’agir] par la participation à quelque chose qui est ajouté à l’essence. Or, l’âme possède ses propres opérations, et ainsi elle-même agit par ces opérations. Elle n’est donc pas ce par quoi elle agit. Ainsi, elle ne semble pas être une forme simple, mais posséder une matière, car la forme est le principe par lequel l’opération est produite.

 

[4950] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, quanto aliquid est propinquius uni primo et simplici, tanto magis est unum et simplex, ut in Libr. de causis dicitur. Sed inter formas naturales anima Deo est propinquior. Ergo cum aliae formae sint simplices, multo fortius anima.

Cependant, [1] plus une chose se rapproche de quelque chose d’un et de simple, plus elle est une et simple, comme on le dit dans le livre Sur les causes. Or, parmi les formes naturelles, l’âme se rapproche le plus de Dieu. Puisque les autres formes sont simples, à bien plus forte raison l’âme [l’est] donc.

 

[4951] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, formae substantialis non est forma substantialis, sicut nec qualitatis qualitas. Sed omne quod habet materiam, habet etiam substantialem formam dantem esse materiae. Cum ergo anima sit forma substantialis, videtur quod ex materia composita non sit.

2. Il n’y a pas de forme substantielle d’une forme substantielle, comme il n’y a pas de qualité d’une qualité. Or, tout ce qui possède une matière possède aussi une forme substantielle qui donne l’être à la matière. Puisque l’âme est une forme substantielle, il semble donc qu’elle ne soit pas composée de matière.

 

[4952] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, Augustinus, deducendo per singula, ostendit animam ex materia non esse factam. Non enim potest facta fuisse ex materia spirituali rationali. Quia si natura rationalis ex qua fit, beata fuisset, non in pejus immutata esset, quia materia, cum formatur a Deo, in melius formatur. Si vero misera fuit, oportet quod praecesserit culpa; quod est contra apostolum, Roman. 9, 12: cum nondum aliquid boni egissent aut mali et cetera. Si autem nec beata nec misera, tunc usum rationis nondum habebat, sicut in pueritia contingit, et sic otiosa erat. Similiter nec ex materia spirituali irrationali: quia hoc esset propinquum opinioni quae ponit animarum de corpore in corpus transitum; et sic pejus adhuc, quia illa positio non dicit animam bestiae in hominem transire, sed e converso. Similiter nec ex materia corporali: non enim ex eodem facta est anima ex quo facta est caro. Et praeterea, cum anima aliquid intelligit, ab omnibus corporalibus se retrahit: quod non contingeret, si de natura corporis esset. Sed ex omnibus praedictis sic potest argui. Omne quod habet materiam, secundum Augustinum, dicitur ex materia factum, quamvis materia tempore non praecesserit. Si ergo anima non potest dici facta ex materia, ut probatum est, anima materiam non habet.

[3] En déduisant pour chaque point, Augustin montre que l’âme n’est pas produite à partir d’une matière. En effet, elle ne peut avoir été produite à partir d’une matière spirituelle raisonnable, car, si la nature raisonnable dont elle est faite avait été bienheureuse, elle n’aurait pas été changée pour le pire, puisque la matière, formée par Dieu, est formée pour le mieux. Si donc elle a été misérable, il faut qu’une faute ait précédé, ce qui va à l’encontre de l’Apôtre, Rm 9, 12 : Puisqu’ils n’avaient encore fait rien de bon ni de mal, etc. Or, si elle n’était ni bienheureuse ni misérable, elle n’avait donc pas encore l’usage de la raison, comme cela se produit dans l’enfance, et ainsi elle était inactive. De même, [elle ne peut avoir été produite] à partir d’une matière spirituelle sans raison, car cela se rapprocherait davantage de l’opinion qui affirme le passage des âmes d’un corps à un autre ; et ce serait ainsi encore pire, car cette position ne dit pas que l’âme d’une bête passe dans un homme, mais le contraire. [Elle ne peut pas non plus avoir été produite à partir] d’une matière corporelle : en effet, l’âme n’a pas été faite à partir de ce par quoi la chair a été faite. De plus, lorsque l’âme intellige quelque chose, elle s’éloigne de tout ce qui est corporel, ce qui ne se produirait pas si elle avait la nature du corps. Or, on peut ainsi raisonner à partir de tout ce qui a été dit plus haut. Selon Augustin, on dit que tout ce qui a une matière a été créé, bien que la matière n’ait pas précédé dans le temps. Si donc on ne peut dire que l’âme a été faite à partir d’une matière, comme on l’a montré, l’âme n’a pas de matière.

 

[4953] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod mihi non videtur in anima vel in aliqua spirituali substantia aliquo modo esse materiam; sed ipsas esse simplices formas et naturas; quamvis quidam aliter dicant. Et praeter alias rationes quibus hoc de Angelis impossibile videtur, ut supra, distinct. 4, dictum est, etiam quadam speciali ratione materia a ratione animae secluditur: cum enim anima sit forma corporis, oportet quod vel secundum totam essentiam suam sit corporis forma; vel secundum partem essentiae suae. Si secundum essentiam suam totam, impossibile est quod pars essentiae sit materia: quia id quod in se est potentia pura, non potest esse forma vel actus alicujus: omnis autem potentia in genere substantiae est potentia pura, quia est immediatum subjectum substantialis formae et generationis, ut in 1 de generatione dicitur. Si autem secundum partem substantiae suae est forma corporis, per quam est in actu, et non secundum alteram quae est materia ejus; sequuntur duo inconvenientia. Unum est quod unus actus numero est forma diversarum materiarum, scilicet materiae corporalis, et materiae spiritualis, ex qua essentia animae constituitur. Aliud est quod in potentiis non unius generis est unus actus perficiens; corporalis enim materia et spiritualis non possunt esse unius rationis. Et praeterea illud quod est tantum actus corporis viventis, animam vocamus. Ex simili ratione Avicenna ostendit in sua metaphysica, intelligentias esse simplices. Nec tamen negamus animam rationalem quemdam modum compositionis habere, scilicet ex esse et quod est, ut supra, dist. 3 de Angelis, et in 1, dist. 8, de ipsa anima expositum est, qui tamen compositionis modus in aliis formis non invenitur, quia non possunt esse subsistentes quasi in esse suo, sed sunt per esse compositi: et in hoc anima deficit a simplicitate divina. Hoc etiam, in 1, dist. 8, plenius expositum est.

Réponse. Il ne me semble pas qu’il y ait de quelque manière une matière dans l’âme ou dans une quelconque substance spirituelle ; mais elles sont des formes et des natures simples, bien que certains disent autre chose. En plus des raisons pour lesquelles cela semble impossible pour les anges, comme on l’a dit plus haut, d. 4, la matière est exclue de l’essence de l’âme pour une raison particulière. En effet, puisque l’âme est la forme du corps, il faut qu’elle soit forme du corps soit par toute son essence, soit par une partie de son essence. Si c’est par toute son essence, il est imposible qu’une partie de son essence soit une matière, car ce qui est en soi pure puissance ne peut être la forme ou l’acte de quelque chose. Or, toute puissance dans le genre de la substance est une pure puissance, car elle est le sujet immédiat de la forme substantielle et de la génération, comme on le dit dans Sur la génération, I. Mais si [l’âme] est forme du corps selon une partie de sa substance par laquelle elle est en acte, et non par une autre qui est sa matière, il en découle deux inconvénients. L’un est qu’un seul acte est numériquement la forme de diverses matières, à savoir d’une matière corporelle et d’une matière spirituelle, dont l’essence de l’âme est constituée. L’autre est que, dans les puissances, un seul acte qui perfectionne ne relève pas d’un seul genre : en effet, la matière corporelle et la matière spirituelle ne peuvent relever d’une même raison. De plus, nous appelons « âme » ce qui est seulement l’acte d’un corps vivant. Par un raisonnement semblable, Avicenne montre, dans sa Métaphysique, que les intelligences sont simples. Nous ne nions cependant pas que l’âme raisonnable possède un certain mode de composition, à savoir, d’acte d’être et de sujet qui est, comme on l’a expliqué à propos de l’âme elle-même dans la d. 3 sur les anges et dans le livre I, d. 8 ; toutefois, ce mode de composition ne se trouve pas dans les autres formes, car elles ne peuvent pour ainsi dire subsister dans leur être, mais elles sont composées de leur acte d’être. En cela, la simplicité divine fait défaut à l’âme. Cela aussi a été plus longuement expliqué dans le libre I, d. 8.

 

[4954] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc aliquid in natura potest dici ex duobus. Aut ex eo quod habet esse subsistens in natura; et sic anima rationalis est hoc aliquid. Sed ex hoc non sequitur quod ex materia componatur: hoc enim subsistenti accidit, scilicet ex materia componi. Alio modo potest dici hoc aliquid per hoc quod aliquid quod est pars essentiae suae, individuatur: et sic anima non est hoc aliquid principium enim individuationis animarum est ex parte corporis; et tamen etiam post separationem corporis remanent individuatae et distinctae, ut in 1 Lib. dictum est, dist. 8: et sic accipit philosophus hoc aliquid in 2 de anima; unde ibi expresse negat animam esse hoc aliquid.

1. On peut parler de telle chose en sa nature de deux façons. Soit parce qu’elle a un acte d’être subsistant dans une nature ; l’âme raisonnable est ainsi telle chose. Mais il n’en découle pas qu’elle soit composée de matière. En effet, c’est à ce qui subsiste qu’il arrive d’être composé de matière. D’une autre manière, elle peut être appelée telle chose du fait que quelque chose qui fait partie de son essence est individué ; ainsi, l’âme n’est pas telle chose. En effet, le principe d’individuation des âmes vient du corps. Toutefois, après la séparation du corps, elles demeurent individuées et distinctes, comme on l’a dit dans le livre I, d. 8. C’est ainsi que le Philosophe entend telle chose, dans Sur l’âme, II. Aussi nie-t-il en cet endroit que l’âme soit telle chose.

 

[4955] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pati et recipere, et omnia hujusmodi, dicuntur de anima et de rebus materialibus aequivoce, ut patet ex philosopho in 3 de anima, et ex Commentatore ibidem: unde non oportet quod materia in anima inveniatur; sed sufficit quod sit ibi aliqua potentialitas. Qualis autem illa sit, supra, 3 dist., de Angelis, dictum est.

2. On parle de manière équivoque de subir et de recevoir, et de toutes les choses de ce genre, pour l’âme et pour les réalités matérielles, comme cela ressort de ce que disent le Philosophe, Sur l’âme, III, et le Commentateur, au même endroit. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’il y ait de la matière dans l’âme, mais il suffit qu’y soit présente une certaine puissance. Qu’est-elle ? On l’a dit plus haut en parlant des anges, d. 3.

 

[4956] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non requiritur materia ejusdem rationis ad omnes motus: quia ad motum localem non requiritur materia quae sit in potentia ad esse, sed solum quae est in potentia ad ubi. Similiter etiam ad variationem quae est de vitio ad virtutem, vel e converso, non requiritur materia quae sit in potentia ad esse, quasi pars essentiae ipsius mobilis; sed requiritur materia tantum quae sit in potentia ad virtutem, et haec est ipsa substantia animae.

3. Une même raison de matière n’est pas nécessaire pour tous les mouvements, car, pour le mouvement local, une matière qui est en puissance à l’être n’est pas nécessaire, mais seulement celle qui est en puissance à un lieu. De même, pour le changement du vice à la vertu, ou pour l’inverse, une matière qui soit puissance à l’être, comme partie de l’essence de ce qui est mobile, n’est pas nécessaire, mais il faut seulement une matière qui soit en puissance à la vertu : c’est la substance même de l’âme.

 

[4957] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod philosophus loquitur de agente naturali, quod ex materia operatur, ut rationes suae ostendunt, quae ex hoc principio procedunt quod in omni factione oportet esse tria, scilicet ex quo fit, et id in quod factio terminatur, et ipsum faciens: et ex hoc concludit quod fieri non est formarum nisi per accidens. Ista autem principia non concedimus in actione divina per quam animam creat; et ideo non oportet animam, vel aliam substantiam spiritualem a Deo creatam ex materia compositam esse: quia etiam secundum Avicennam, agens divinum non agit per motum ut materiam exigat. Commentator etiam dicit in 11 Metaphys., quod actio aequivoce dicitur de actione qua Deus agit, et de actione naturali.

4. Le Philosophe parle d’un agent naturel, qui agit à partir de la matière, comme ses raisonnements le montrent : ils partent du principe que, dans toute réalisation, il faut trois choses : ce à partir de quoi on réalise, ce que la réalisation a comme terme et celui qui réalise. Il en conclut que le devenir n’est le fait des formes que par accident. Mais nous ne concédons pas ces principes pour l’action divine par laquelle celle-ci crée l’âme. Aussi n’est-il pas nécessaire que l’âme ou une autre substance spirituelle créée par Dieu ait été composée de matière, car, même selon Avicenne, l’agent divin n’agit pas par un mouvement qui exige une matière. En Métaphysique, XI, le Commentateur dit aussi que c’est d’une manière équivoque qu’on parle de l’action par laquelle Dieu agit et de l’action naturelle.

 

[4958] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, secundum philosophum in 2 de anima, vivere nihil aliud est quam esse viventium: unde sicut anima rationalis est nec est, illud quo est: ita etiam vivit, nec est illud quo vivit. Sed sicut illud quo est formaliter, non est aliqua forma quae sit pars essentiae ejus, sed ipsum suum esse; ita id quo vivit formaliter, non est aliqua forma quae sit pars essentiae ejus, sed ipsum suum vivere. Sed id quo est et quo vivit effective, est ipse Deus, qui omnibus esse et vitam influit: in rebus quidem compositis mediante forma, quae est pars essentiae earum; in substantiis autem simplicibus per totam essentiam earum. Deus autem non est nec vivit ab aliquo efficiente principio; sed ipse etiam est suum vivere et suum esse: et in utroque horum deficit anima a perfectione divinae vitae.

5. Selon le Philosophe, Sur l’âme, II, vivre n’est rien d’autre que d’être pour les vivants. De même que l’âme raisonnable est et n’est pas ce par quoi elle est, de même aussi vit-elle et n’est-elle pas ce par quoi elle vit. Or, de même que ce par quoi elle est de manière formelle n’est pas une forme qui est partie de son essence, mais son être même, de même ce par quoi elle vit formellement n’est-il pas une forme qui est partie de son essence, mais son propre acte de vivre. Or, ce par quoi elle est et par quoi elle vit en tant que cause efficiente est Dieu lui-même, qui donne à toutes choses être et vie : aux choses composées, par l’intermédiaire de la forme, qui est partie de leur essence ; mais aux substances simples, par toute leur essence. Mais Dieu lui-même ne vit pas par quelque principe efficient, mais il est lui-même son acte de vivre et d’être ; et, sur ces deux points, la perfection divine fait défaut à l’âme.

 

[4959] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illud quo operatur anima, dupliciter acceptum differt ab ipsa. Operatur enim anima aliquo influente sibi esse, vivere et operari, scilicet Deo, qui operatur omnia in omnibus; quae constat ab anima differre. Operatur etiam naturali sua potentia, quae est principium suae operationis, scilicet sensu vel intellectu: quae non est essentia ejus, sed virtus ab essentia fluens. Neutro autem modo Deus operatur alio a se, quia a seipso operari habet, et ipse est sua virtus. Non autem dicitur anima operari aliquo quod non sit ipsa sed pars essentiae suae, sicut corpora naturalia operantur forma quae est pars essentiae eorum, licet mediante aliqua virtute quasi instrumento, sicut ignis mediante calore.

6. Ce par quoi l’âme opère diffère d’elle-même de deux manières. En effet, l’âme opère par quelqu’un qui lui donne l’être, le vivre et l’agir, à savoir, Dieu, qui réalise tout en tous [1 Co 1, 6], dont il est clair que l’âme diffère. [L’âme] opère aussi par sa puissance, qui est le principe de son opération, à savoir, par le sens et par l’intellect, qui ne sont pas son essence, mais des puissances issues de son essence. Or, Dieu n’agit d’aucune des deux manières par quelque chose d’autre que lui-même, car il possède par lui-même son agir et il est lui-même sa propre puissance. Mais on ne dit pas que l’âme agit par quelque chose qui n’est pas elle-même, mais [qui est] une partie de son essence, comme les corps naturels agissent par une forme qui est partie de leur essence, bien que ce soit par l’intermédiaire d’une puissance comme instrument, tel le feu par l’intermédiaire de la chaleur.

 

 

 

 

Quaestio 2

Question 1 – [L’âme a-t-elle été créée hors du corps ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[4960] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 pr. Tertio quaeritur, utrum anima extra corpus creata sit; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum sit una anima vel intellectus omnium hominum, quasi quaedam substantia separata in omnia corpora influens; 2 si sint plures, utrum sint in corpore, an extra corpus creatae.

Troisièmement, on demande si l’âme a été créée hors du corps. À ce sujet, deux questions sont posées : 1. Y a-t-il une seule âme ou un seul intellect de tous les hommes, comme une substance séparée agissant dans tous les corps ? 2. S’il y en a plusieurs, ont-elles été créées dans un corps ou en dehors d’un corps ?

 

 

 

 

Articulus 1 [4961] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 tit. Utrum anima intellectiva vel intellectus sit, unus in omnibus hominibus

Article 1 – L’âme intellectuelle ou l’intellect est-il unique pour tous les hommes ?

 

[4962] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod anima rationalis vel intellectus sit unus numero in omnibus. Nulla enim forma multiplicatur secundum esse ad divisionem materiae, nisi forma materialis. Sed intellectus, ut in 3 de anima probatur, non est forma materialis, cum non sit actus corporis cujusdam: quod ex ipso suo actu probatur, quia cognoscit omnes formas materiales; quod non posset esse, si aliquam earum haberet in natura sua, vel determinaretur ad eam ex corpore cujus esset actus: sicut virtus visiva non cognosceret omnes colores, si pupilla quae est organum ejus, haberet determinatum colorem. Ergo intellectus non multiplicatur secundum esse ad divisionem materiae; et ita manet unus in omnibus individuis humanae speciei, quae non nisi per materiam dividuntur.

1. Il semble que l’âme raisonnable ou l’intellect soit numériquement unique pour tous. En effet, aucune forme n’est multipliée selon l’être par la division de la matière, sauf une forme matérielle. Or, comme on le démontre dans Sur l’âme, III, l’intellect, n’est pas une forme matérielle, puisqu’elle n’est pas l’acte d’un corps. Cela est démontré par son acte, car elle connaît toutes les formes matérielles, ce qui ne pourrait être le cas, si elle en possédait une dans sa nature, ou bien elle serait déterminée à elle en raison du corps dont elle serait l’acte. Ainsi, la capacité de voir ne connaîtrait pas plusieurs couleurs, si la pupille, qui est son organe, possédait une couleur déterminée. L’intellect n’est donc pas multiplié selon l’être par la division de la matière. Et ainsi, il demeure unique pour tous les individus de l’espèce humaine, qui ne sont divisés que par la matière.

 

[4963] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, impossibile est quod principium sit materialius quam principiatum, quia principium oportet esse simplicius. Sed, sicut ab omnibus conceditur, aliquae sunt potentiae animae rationalis quae non sunt actus corporis cujusdam, nec organis affixae, cujus principium et radix est ipsa essentia animae. Ergo videtur quod nec ipsa anima rationalis corpori uniatur per essentiam suam sicut actus ejus; et ita sequitur, ut videtur, quod ad divisionem corporum, anima rationalis non distinguatur.

2. Il est impossible que le principe soit plus matériel que ce dont il est le principe, car il faut que le principe soit plus simple. Or, comme tous les concèdent, il existe certaines puissances de l’âme raisonnable qui ne sont pas des actes du corps et ne sont pas non plus associées à des organes, et dont le principe et la racine sont l’essence même de l’âme. Il semble donc que l’âme raisonnable elle-même ne soit pas unie au corps par son essence en tant que son acte ; il en découle, semble-t-il, que les âmes raisonnables ne se distinguent pas par la division des corps.

 

[4964] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, omne quod recipitur in aliquo, recipitur in eo per modum recipientis, et non per modum sui, ut ex Dionysio et ex Lib. de causis habetur. Si ergo intellectus individuetur ad divisionem corporis, ut sit alius diversorum, oportet quod formae intellectuales in eo receptae, etiam sint individuatae: ex quo videntur sequi duo inconvenientia. Unum est, cum nullum particulare sit intellectum in actu, sed in potentia, quod hujusmodi species non erunt intelligibiles in actu, sed indigebunt intelligi per alias species, et sic in infinitum procedetur. Aliud est quod erit idem modus recipiendi formas in materia prima et in intellectu possibili, quia utrobique recipiuntur ut sunt istae, et non ut sunt formae simpliciter: et ita, sicut materia prima non est cognoscibilis per formas quas recipit, ita nec intellectus possibilis, ut videtur.

3. Ce qui est reçu dans une chose y est reçu selon le mode de ce qui reçoit, et non selon son mode, comme on le lit chez Denys et dans le Livre sur les causes. Si donc l’intellect est individué selon la division du corps, de sorte qu’il est différent pour les différents [corps], il est nécessaire que les formes intellectuelles reçues en lui soient aussi individuées. Deux conséquences inappropriées semblent découler de cela. L’une est que, puisque rien de particulier n’est intelligé en acte, mais en puissance, ces espèces ne seront pas intelligibles en acte, mais elles auront besoin d’être intelligées par d’autres espèces, et l’on irait ainsi à l’infini. L’autre est que le mode de réception des formes dans la matière première et dans l’intellect possible sera le même – car elles sont reçues ches les deux telles qu’elles sont, et non comme de simples formes ‑. Et ainsi, de même que la matière première n’est pas connaissable par les formes qu’elle reçoit, de même en sera-t-il aussi de l’intellect possible, semble-t-il.

 

[4965] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, quaecumque distinguuntur ad invicem, oportet quod aliquid diversum sit in natura utriusque. Sed cum intellectus nihil sit eorum quae sunt ante intelligere, videtur quod non sit aliquid diversum invenire in eo nisi secundum diversitatem specierum intellectivarum. Ergo non differunt intellectus istius et illius per essentiam, sed per species intellectas tantum.

4. Tout ce qui se distingue réciproquement doit être différent selon la nature de chacun. Or, puisque l’intellect n’est rien de ce qui existe avant d’intelliger, il semble qu’on ne puisse trouver rien de différent en lui, sauf selon la diversité des espèces intellectives. L’intellect de l’un n’est donc pas différent de l’intellect d’un autre par essence, mais par les espèces intelligées seulement.

 

[4966] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, in omnibus substantiis per se existentibus et immaterialibus diversitas secundum numerum redundat in diversitatem speciei: quia si habent esse suum absolutum subsistens, non possunt distingui essentialiter per aliquid quod sit extra essentiam earum, super quod deferantur, sicut formae corporales super materiam delatae. In essentia autem earum non est diversitas formae, quae diversitatem speciei inducit. Sed non est dicere quod intellectus diversorum hominum differant secundum speciem, quia et ipsi homines specie differunt ad diversitatem suarum formarum. Ergo cum anima rationalis sit substantia in se subsistens (alias post corpus non maneret), et etiam sit immaterialis, videtur quod nec etiam numero in diversis hominibus differat.

5. Chez toutes les substances qui existent par elles-mêmes et sont immatérielles, la diversité numérique revient à la diversité de l’espèce, car si elles possédent leur être absolu subsistant, elles ne peuvent être distinguées selon l’essence par quelque chose qui est extérieur à leur essence, sur quoi elles sont reportées, comme les formes corporelles sur la matière présentée. Or, à l’intérieur de leur essence, il n’y a pas de diversité de forme, qui entraîne une diversité d’espèce. Mais on ne peut dire que les intellects des divers hommes diffèrent selon l’espèce, car les hommes eux-mêmes diffèrent par l’espèce selon la diversité de leur forme. Puisque l’âme raisonnable est une substance qui subsiste en elle-même (autrement, elle ne demeurerait pas après le corps) et qu’elle est même immatérielle, il semble donc qu’elle ne diffère pas non plus chez les divers hommes.

 

[4967] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra est, quod impossibile est plurium individuorum esse unam formam numero. Sed anima rationalis est forma cujuslibet hominis: si enim homo haberet esse a substantia sensitivae, vel nutritivae, non posset in homine inveniri quantum ad suum esse primum unde animalia excederet; quod est inconveniens. Ergo impossibile est unam tantum esse animam rationalem omnium.

Cependant, [1] il est impossible qu’il n’existe numériquement qu’une seule forme chez plusieurs individus. Or, l’âme raisonnable est la forme de tout homme : en effet, si l’homme tenait son être d’une substance sensible ou nutritive, on ne pourrait trouver en l’homme ce par quoi il dépasserait les animaux par son être premier, ce qui est inapproprié. Il est donc impossible qu’il n’existe qu’une seule âme raisonnable pour tous.

 

[4968] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, impossibile est inveniri diversitatem quoad esse secundum in illis quorum nulla est diversitas quoad esse primum: quia diversitas secundarum perfectionum et contrarietas non potest esse simul cum unitate perfectionis primae, quia sic contraria essent in eodem. Sed nos invenimus perfectiones ultimas quantum ad esse secundum, esse in diversis hominibus diversas et contrarias; quorum quidam sunt stulti et quidam sapientes, et quidam vitiosi et quidam virtuosi. Ergo oportet primam perfectionem, scilicet animam, quantum ad esse primum, in diversis variari.

[2] Il est impossible de trouver une diversité pour l’être second chez ceux qui n’ont aucune diversité pour leur être premier, car la diversité et le caractère contraire des perfections secondes ne peuvent exister en même temps que l’unité de perfection première, puisque des contraires existeraient alors dans le même. Or, nous trouvons que des perfections ultimes pour l’être second existent diverses et contraires chez divers hommes, dont certains sont idiots et d’autres sages, certains sont vicieux et d’autres vertueux. Il est donc nécessaire que la perfection première, c’est-à-dire l’âme, soit différente chez les différents [hommes] pour ce qui est de l’être premier.

 

[4969] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, anima est forma corporis et motor. Sed in corporibus caelestibus, secundum positionem philosophorum, diversis corporibus assignantur diversi motores. Ergo videtur quod multo fortius in diversis hominibus sint diversae animae.

[3] L’âme est la forme et le moteur du corps. Or, chez les corps célestes, divers moteurs sont assignés aux divers corps, selon la position des philosophes. Il semble donc qu’à bien plus forte raison, les âmes soient différentes chez les divers hommes.

 

[4970] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa unitatem et diversitatem animae rationalis sunt plures philosophorum opiniones, praetermissis illis qui ponunt intellectum esse unum in tota natura intellectuali, vel qui ponunt intellectum esse idem quod divina essentia. Ad quarum intellectum oportet intelligere, quod distinguitur secundum philosophos tripliciter intellectus: scilicet intellectus possibilis, intellectus agens, et intellectus in habitu: et dicitur intellectus possibilis qui est in potentia ad recipiendum omnes formas intellectas, sicut oculus est in potentia ad recipiendum omnes colores; intellectus autem agens dicitur qui facit intelligibilia in potentia esse in actu, sicut lumen quod facit colores in potentia visibiles, esse actu visibiles: intellectus autem in habitu vel formalis ab eis dicitur quando intellectus possibilis jam perfectus est specie intelligibili, ut operari possit: nulla enim potentia passiva habet operationem nisi per speciem objecti sui perfecta fuerit, sicut visus non videt antequam recipiat speciem coloris. His ergo visis, sciendum est, quod in hoc fere omnes philosophi concordant post Aristotelem, quod intellectus agens et possibilis differunt secundum substantiam; et quod intellectus agens sit substantia quaedam separata, et postrema in substantiis separatis, et ita se habet ad intellectum possibilem quo intelligimus, sicut intelligentiae superiores ad animas orbium. Sed hoc secundum fidem non potest sustineri. Si enim, ut Anselmus probat, reparationem hominis per Angelum Deus fieri noluit, ne paritas hominis et Angeli in gloria tolleretur, dum Angelus homini fieret causa salutis; similiter si poneretur anima nostra secundum naturalem operationem dependere ab aliqua intelligentia vel Angelo, non posset rationabiliter sustineri, quod anima Angelis par sit in gloria futura, quia ultima perfectio uniuscujusque substantiae est in complemento suae operationis: et ideo uniri cum intelligentia agente ponunt praedicti philosophi ultimam felicitatem hominis. Et ideo quidam Catholici doctores corrigentes hanc opinionem, et partim sequentes, satis probabiliter posuerunt, ipsum Deum esse intellectum agentem; quia per applicationem ad ipsum, anima nostra beata est; et hoc confirmant per hoc quod dicitur Joan. 1, 9: erat lux vera, quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum. De intellectu autem possibili similiter fuit magna diversitas inter philosophos sequentes Aristotelem. Quidam enim dixerunt, intellectum possibilem esse diversum in diversis; quidam vero esse unum in omnibus. Eorum autem qui posuerunt eum diversum esse in diversis, sunt tres opiniones. Quidam enim dicunt, intellectum possibilem nihil aliud esse quam praeparationem quae est in natura humana ad recipiendam impressionem intellectus agentis; et hanc esse virtutem corporalem consequentem complexionem humanam: et haec fuit opinio Alexandri. Sed hoc non potest stare etiam secundum intentionem Aristotelis qui vult quod intellectus possibilis sit receptivus specierum intelligibilium. Praeparatio autem non est receptiva, sed magis praeparativa: praeparatum autem hac praeparatione est corpus, vel virtus in corpore: et ita illud quod recipit formas intelligibiles, esset corpus, vel virtus in corpore: quod philosophus improbat. Praeterea sequeretur quod intellectus possibilis non esset virtus cognoscitiva. Nulla enim virtus causata ex commixtione elementorum, est cognoscitiva: quia sic qualitas elementorum ageret ultra suam speciem, quod est impossibile. Et ideo alii dixerunt, quod intellectus possibilis nihil aliud est quam virtus imaginativa, secundum quod est nata ut sint in ea formae quae fuerunt intellectae in actu: et haec est opinio Avempace. Sed hoc etiam est impossibile: quia, secundum philosophum in 3 de anima, phantasmata quae sunt in imaginativa, se habent ad intellectum humanum sicut colores ad visum: et ideo oportet quod phantasmata sint moventia intellectum possibilem, sicut color movet visum: unde aptitudo quae est in intellectu possibili ad intelligendum, est similis aptitudini quae est in patiente in potentia, ut sit patiens in actu: aptitudo autem quae est in imaginativa, est sicut aptitudo agentis in potentia, ut sit agens in actu. Impossibile autem est quod idem sit movens et motum, et agens et patiens. Ergo impossibile est quod virtus imaginativa sit intellectus possibilis. Praeterea, adhuc sequeretur quod virtus recipiens intelligibilia in actu, quae dicitur intellectus possibilis, esset utens organo corporali, cum virtus imaginativa habeat determinatum organum. Sciendum est etiam, quod secundum has opiniones intellectus possibilis generatur generato corpore, et corrumpitur corrupto corpore: et cum non sit differentia intellectus in diversis hominibus nisi intellectus possibilis, quia agens est unus; sequeretur quod illud quod remanet de intellectu ex omnibus hominibus post mortem, esset unum numero, scilicet intellectus agens: et hoc est valde haereticum, quia sic tolleretur retributio meritorum post mortem. Et ideo tertia opinio est Avicennae qui ponit intellectum possibilem in diversis diversum, fundatum in essentia animae rationalis, et non esse virtutem corporalem, et cum corpore incipere, sed non cum corpore finiri. Unde quantum ad intellectum possibilem, ejus opinio est quam tenemus secundum fidem Catholicam, quamvis erret cum aliis de intellectu agente, ut dictum est. Eorum autem qui ponunt unum intellectum possibilem in omnibus, duplex est opinio. Una est Themistii et Theophrasti, ut Commentator eis imponit in 3 de anima. Dicunt enim, quod intellectus in habitu, qui est tertius, est unus in omnibus, et aeternus, et est quasi compositus ex intellectu agente et possibili, ita quod intellectus agens est sicut forma ejus, et per continuationem intellectus possibilis continuatur etiam in nobis intellectus agens; ita quod intellectus agens est de substantia intellectus speculativi, qui etiam dicitur intellectus in habitu, per quem intelligimus: et hujusmodi signum inducunt, quia illa actio intellectus quae est in potestate nostra, pertinet ad intellectum in habitu. Cum ergo abstrahere species a phantasmatibus sit in potestate nostra, oportet quod intellectus agens sit intellectus in habitu sicut forma ejus. Et ad hanc positionem deducuntur qui ex demonstratione Aristotelis volunt habere, quod intellectus possibilis sit unus in omnibus: quia non est hoc aliquid nec virtus in corpore; et per consequens quod sit aeternus. Et dicunt iterum, quod intellectus agens similiter sit aeternus, et quod impossibile sit effectum esse generabilem et corruptibilem, si agens et recipiens sit aeternum. Unde posuerunt, quod species intellectae sunt aeternae; et ideo non contingit quod intellectus quandoque intelligat et quandoque non, per hoc quod fiant novae species intelligibiles quae prius non fuerunt; sed ex conjunctione intellectus agentis cum possibili, secundum quod continuatur in nobis per impressionem suam. Sed hanc opinionem Commentator improbat: quia sequeretur quod formae rerum naturalium quae intelliguntur, essent ab aeterno sine materia, et extra animam, ex quo species illae non ponuntur in intellectu possibili ut forma ejus; quia forma intellectus possibilis ponitur ab eis intellectus agens. Sequeretur etiam, cum ultima perfectio hominis sit secundum intellectum in habitu, et prima secundum intellectum possibilem, quod homo non differret ab homine neque secundum ultimam perfectionem neque secundum primam; et sic esset unum esse et una perfectio omnium hominum, quod est impossibile. Et ideo ipse tenet aliam viam, quod tam intellectus agens quam possibilis, est aeternus et unus in omnibus; sed species intelligibiles non sunt aeternae; et ponit quod intellectus agens non se habet ad possibilem ut forma ejus, sed ut artifex ad materiam; et species intellectae abstractae a phantasmatibus, sunt sicut forma intellectus possibilis, ex quibus duobus efficitur intellectus in habitu. Et per hanc positionem nititur evadere omnia inconvenientia quae contingunt Themistio. Primo, quia ostendit quod non est necessarium quod si intellectus agens est aeternus et recipiens aeternum, scilicet intellectus possibilis, quod formae sint aeternae, scilicet species intelligibiles. Sicut enim species visibilis habet duplex subjectum; unum in quo habet esse spirituale, scilicet visum; et aliud in quo habet esse materiale, scilicet corpus coloratum; ita etiam species intelligibilis habet duplex subjectum; unum in quo habet esse materiale, scilicet ipsa phantasmata quae sunt in imagine, et secundum hoc esse istae species non sunt aeternae: aliud est in quo habet esse immateriale, scilicet intellectum possibilem; et secundum hoc subjectum non habent quod sint generabiles et corruptibiles. Sed ista responsio nulla videtur. Sicut enim non est eadem numero species coloris quae est in pariete et quae est in oculo; ita non est eadem numero species quae est in imaginatione et in intellectu possibili; unde adhuc remanet quod illa species quae est in intellectu possibili, habeat unum subjectum tantum, et illa quae est in imaginatione generabilis et corruptibilis, sit alia numero: nisi forte dicatur, quod sunt aeternae simpliciter, sed non quo ad eum in quo ab aeterno non sunt phantasmata, quorum similitudines sunt apud intellectum possibilem. Sed tamen, cum nulla phantasmata sint aeterna, adhuc sequeretur quod illae species quae sunt ab aeterno in intellectu possibili, non essent abstractae ab aliquibus phantasmatibus; et hoc est contra intentionem et verba philosophi. Secundo autem nititur ostendere, quod ex hac positione non sequitur quod omnium hominum sit unum esse et una operatio, secundum quam omnes sint aequaliter facientes. Dicit enim, quod cum species intellecta se habeat ad intellectum possibilem quodammodo ut forma ad materiam, hoc modo quod ex eis quodammodo efficitur unum completum, conjunctio ejus ad nos est per id quod est formale in dicta conjunctione, scilicet per speciem intellectam (cujus unum subjectum dicit esse phantasma, quod est in nobis) et ad ipsum intellectum possibilem. Unde cum in diversis sint diversa phantasmata, diversis hominibus conjungitur intellectus possibilis diversa conjunctione: et ex hoc homines habent esse diversum: ex hoc etiam unus scit quod alter ignorat, quia secundum unam speciem intellectam conjungitur uni secundum quam non conjungitur alteri, quamvis quaedam intentiones intellectae sint, ut primae conceptiones intellectus, secundum quas omnibus conjungitur, a quibus intellectus possibilis nunquam denudatur, hominibus ab aeterno existentibus, ut ipse dicit. Unde concludit quod illud quod est in nobis de intellectu, quodammodo est corruptibile, et quodammodo est incorruptibile: quia ex parte illa unde multiplicantur phantasmata, accidit corruptio; sed ex parte intellectus possibilis est incorruptibilitas. Unde sequitur etiam ex hoc quod post corporum corruptionem nulla diversitas animarum remaneat. Sed haec ratio ostenditur esse frivola multipliciter. Primo, quia, ut dictum est, species quae est forma intellectus possibilis, non est eadem numero in phantasmate et in subjecto; sed est similitudo illius; unde sequitur quod intellectus nullo modo nobis conjungatur, et sic per ipsum non intelligamus. Secundo, quia conjunctio intellectus cum specie intellecta, est per operationem intellectus, pertinens ad perfectionem secundam; unde impossibile est quod mediante tali conjunctione acquiratur homini perfectio sua prima et esse substantiale: et sic, cum homo ex tali conjunctione sit habens intellectum, ut dicunt, homo non esset homo in specie determinata per hoc quod est habens intellectum: quia illud medium, scilicet species intellecta, cum utroque extremorum conjungitur modo accidentis ad subjectum, scilicet cum virtute imaginativa, et cum intellectu possibili; quod est contra philosophum in 8 Metaph., ubi dicit, animam corpori nullo mediante uniri, nec etiam mediante scientia, ut Licophron dicebat; in quod ista positio redire videtur. Tertio, quia operatio non egreditur ab objecto, sed a potentia: non enim visibile videt, sed visus. Si ergo non conjungitur intellectus nobiscum, nisi per hoc quod species intellecta aliquo modo habet subjectum in nobis, sequitur quod hic homo, scilicet Socrates, non intelligat, sed quod intellectus separatus intelligat ea quae ipse imaginatur: et plura alia absurda non difficile est adducere. Et ideo, remotis omnibus praedictis erroribus, dico cum Avicenna, intellectum possibilem incipere quidem esse in corpore, sed cum corpore non deficere, et in diversis diversum esse, et multiplicari secundum divisionem materiae in diversis individuis, sicut alias formas substantiales: et superaddo etiam, intellectum agentem esse in diversis diversum: non enim videtur probabile quod in anima rationali non sit principium aliquod quod naturalem operationem explere possit; quod sequitur, si ponatur unus intellectus agens, sive dicatur Deus, vel intelligentia. Nec iterum dico, haec duo, scilicet intellectum agentem et possibilem, esse unam potentiam diversimode nominatam secundum diversas operationes; quia quaecumque actiones reducuntur in contraria principia, impossibile est eas reducere in eamdem potentiam; propter quod memoria a sensu distinguitur, quia recipere species sensibilium, quod est sensus, et tenere, quod est memoriae, reducuntur in contraria principia etiam in corporibus, scilicet humidum, et siccum. Cum ergo recipere species intellectas, quod est intellectus possibilis, et facere eas intelligibiles actu, quod est intellectus agentis, non possint secundum idem convenire; sed recipere convenit alicui secundum quod est in potentia, et facere secundum quod est in actu: impossibile est agentem et possibilem non esse diversas potentias. Sed quomodo possint radicari in una substantia, est difficile videre: non enim videtur quod uni substantiae possit convenire esse in potentia respectu omnium formarum intelligibilium, quod est intellectus possibilis, et esse actu respectu omnium illarum, quod est intellectus agentis: alias non posset facere omnes formas intelligibiles, cum nihil agat nisi secundum quod est in actu. Sed tamen sciendum quod non est inconveniens aliqua duo esse, quorum utrumque secundum diversa est in potentia respectu alterius; sicut ignis est in potentia frigidus, quod actu aquae convenit; et aqua est in potentia calida, quod actu est in igne; unde agunt et patiuntur ad invicem. Similiter dico quod se habet res sensibilis ad animam intellectivam: res enim sensibilis est potentia intelligibilis, et actu naturam distinctam habens: in anima vero est actu lumen intellectuale; sed determinatio cognitionis respectu hujus vel illius naturae est in potentia; sicut pupilla est in potentia respectu hujus vel illius coloris; et ideo anima virtutem habet per quam facit species sensibiles esse intelligibiles actu, quae est intellectus agens; et habet virtutem per quam est in potentia, ut efficiatur in actu determinatae cognitionis a specie rei sensibilis, factae intelligibilis actu: et haec virtus vel potentia dicitur intellectus possibilis: et harum duarum virtutum operationes sequitur omne nostrum intelligere, tam principiorum, quam conclusionum; unde apparet falsum esse quod quidam dicunt, habitum principiorum esse intellectum agentem.

Réponse. À propos de l’unité et de la diversité de l’âme raisonnable, il existe plusieurs opinions chez les philosophes, en laissant de côté ceux qui affirment que l’intellect est unique pour toute nature intellectuelle ou qui affirment que l’intellect est la même chose que l’essence divine. Pour les saisir, il faut comprendre qu’il existe une triple disitinction dans l’intellect selon les philosophes : l’intellect possible, l’intellect agent et l’intellect en habitus. On appelle intellect possible celui qui est en puissance de recevoir toutes les formes intelligées, comme l’œil est en puissance de recevoir toutes les couleurs. Mais on parle d’intellect agent pour celui qui fait passer à l’acte ce qui est intelligible en puissance, comme la lumière qui rend visibles en acte les couleurs visibles en puissance. [Les philosophes] parlent d’intellect en habitus ou formel lorsque l’intellect possible a déjà été perfectionné par l’espèce intelligible afin de pouvoir opérer. En effet, aucune puissance passive n’opère que si elle a été perfectionnée par l’espèce de son objet, comme la vue ne voit pas avant de recevoir l’espèce de la couleur. Après avoir vu cela, il faut savoir que presque tous les philosophes s’accordent avec Aristote sur le fait que l’intellect agent et l’intellect possible diffèrent selon leur substance, que l’intellect agent est une substance séparée ultime chez les substances séparées, et que son rapport à l’intellect possible, par lequel nous intelligeons, est semblable à celui des intelligences supérieures par rapport aux âmes des sphères. Or, cela ne peut être soutenu selon la foi. En effet, comme le montre Anselme, si Dieu n’a pas voulu que la restauration de l’homme se réalise par un ange, de sorte que l’égalité en gloire de l’homme et de l’ange ne soit pas enlevée par le fait que l’ange serait devenu pour l’homme cause du salut ; de même, si on affirmait que notre âme dépend d’une intelligence ou d’un ange pour son opération naturelle, on ne pourrait raisonnablement soutenir que l’âme est égale aux anges pour la gloire future, car la perfection ultime de toute substance est dans l’accomplissement de son opération. C’est pourquoi les philosophes mentionnés affirment que l’ultime félicité de l’homme consiste à ce qu’il soit uni à l’intellect agent. Aussi certains docteurs catholiques, en corrigeant cette opinion et en la suivant en partie, ont affirmé d’une manière assez convaincante que Dieu lui-même est l’intellect agent, car, en s’appliquant à lui, notre âme est bienheureuse. Et ils confirment cela par ce qui est dit en Jn 1, 9 : Il était la lumière, qui illumine tout homme venant en ce monde. À propos de l’intellect possible, il y a aussi eu une grande diversité parmi les philosophes qui ont suivi Aristote. En effet, certains ont dit que l’intellect possible est distinct chez les divers hommes, mais certains, qu’il est unique chez tous. Parmi ceux qui ont affirmé qu’il est distinct chez les divers hommes, il y a trois opinions. En effet, certains disent que l’intellect possible n’est rien d’autre que la préparation à recevoir l’empreinte de l’intellect agent qui existe dans la nature humaine, et que celle-ci est une puissance corporelle découlant de la complexion humaine. Telle fut l’opinion d’Alexandre. Mais cela ne peut pas être soutenu, même selon l’intention d’Aristote, qui veut que l’intellect possible soit réceptif par rapport aux espèces intelligibles. Or, la préparation n’est pas réceptive, mais plutôt préparatoire, et ce qui est préparé par une telle préparation est le corps ou une puissance dans le corps. Et ainsi, ce qui reçoit les formes intelligibles serait le corps ou une puissance dans le corps, ce que le Philosophe repousse. De plus, il en découlerait que l’intellect possible ne serait pas une puissance cognitive. En effet, aucune puissance causée par un mélange d’éléments n’est cognitive, car la qualité des éléments agirait ainsi au-delà de son espèce, ce qui est impossible. C’est pourquoi d’autres ont dit que l’intellect possible n’est rien d’autre que la puissance imaginative, selon qu’elle est destinée à posséder en elle les formes qui ont été intelligées en acte : telle est l’opinion d’Avempace [ibn Baja]. Mais cela aussi est impossible, car, selon le Philosophe, Sur l’âme, III, les fantasmes qui se trouvent dans l’imagination ont avec l’intellect humain le même rapport que les couleurs avec la vue. Aussi faut-il que les fantasmes causent un mouvement dans l’intellect possible, comme la couleur meut la vue. La capacité d’intelliger de l’intellect possible est ainsi semblable à la capacité qui existe dans ce qui subit en puissance, faisant en sorte que ce qui subit passe à l’acte. Or, la capacité qui existe dans l’imagination est semblable à celle d’un agent en puissance de devenir un agent en acte. Or, il est impossible qu’une même chose soit ce qui meut et ce qui est mû, et agent et patient. Il est donc impossible que la puissance imaginative soit l’intellect possible. De plus, il en découlerait encore que la puissance qui reçoit les intelligibles en acte, appelée intellect possible, utiliserait un organe corporel, puisque la puissance imaginative a un organe déterminé. Il faut aussi savoir que, selon ces opinions, l’intellect possible est engendré lorsque le corps est engendré, et est corrompu lorsque le corps est corrompu. Et comme il n’existe pas de différence entre les divers hommes, sinon celle de l’intellect possible ‑ car ce qui agit est unique ‑, il en découlerait que ce qui reste de l’intellect pour tous les hommes après la mort serait numériquement unique, à savoir l’intellect agent. Et cela est profondément hérétique, car on enlèverait ainsi la récompense des mérites après la mort. Aussi y a-t-il une troisième opinion, celle d’Avicenne : il affirme que l’intellect possible est divers chez les divers hommes, qu’il est fondé dans l’essence de l’âme raisonnable et qu’il n’est pas une puissance corporelle, qu’il commence avec le corps, mais qu’il ne se termine pas avec le corps. Pour ce qui concerne l’intellect possible, son opinion est donc celle que nous tenons selon la foi catholique, bien qu’il erre avec les autres à propos de l’intellect agent, comme on l’a dit. Or, il existe deux opinions chez ceux qui affirment que l’intellect possible est unique pour tous. L’une est celle de Thémistius et de Théophraste, telle que la leur attribue le Commentateur, Sur l’âme, III. Ils disent en effet que l’intellect en habitus, qui est le troisième [intellect], est unique pour tous et éternel, et qu’il est pour ainsi dire composé de l’intellect agent et de l’intellect possible, de telle sorte que l’intellect agent est comme la forme de celui-ci et que, par la continuité de l’intellect possible, l’intellect agent se continue encore chez nous. Ainsi, l’intellect agent fait partie de la substance de l’intellect spéculatif, appelé aussi intellect en habitus, par lequel nous intelligeons. Ils en donnent comme signe que l’action de l’intellect qui est en notre pouvoir relève de l’intellect en habitus. Puisque abstraire des espèces à partir des fantasmes est en notre pouvoir, il faut donc que l’intellect agent soit l’intellect en habitus en tant que sa forme. C’est à cette position que sont conduits ceux qui, à partir de la démonstration d’Aristote, veulent conclure que l’intellect possible est unique pour tous, car il n’est pas telle chose ni une puissance dans le corps et, par conséquent, il est éternel. Ils disent encore que l’intellect agent est aussi éternel et qu’il est impossible que l’effet soit engendré et corruptible, si ce qui agit et ce qui reçoit est éternel. Aussi ont-ils affirmé que les espèces intelligées sont éternelles. Il n’arrive donc pas que l’intellect parfois intellige et parfois non, du fait que de nouvelles espèces deviennent intelligibles, alors qu’elles ne l’étaient pas auparavant, mais [cela se produit] par l’union de l’intellect agent à l’intellect possible, selon qu’il se prolonge en nous par son empreinte. Mais le Commentateur repousse cette opinion, car il en découlerait que les formes des choses naturelles qui sont intelligées existeraient éternellement sans matière hors de l’âme ; de ce fait, ces espèces ne sont pas considérées comme la forme de l’intellect possible, car ils disent que la forme de l’intellect possible est l’intellect agent. Il en découlerait aussi, puisque la perfection ultime de l’homme consiste dans l’intellect en habitus et sa [perfection] première dans l’intellect possible, qu’un homme ne différerait d’un autre homme ni selon la perfection ultime ni selon la [perfection] première. Il n’y aurait ainsi qu’une seule perfection pour tous les hommes, ce qui est impossible. Aussi emprunte-t-il lui-même une autre voie : aussi bien l’intellect agent que l’intellect possible sont-ils éternels et uniques pour tous les hommes ; mais les espèces intelligibles ne sont pas éternelles. Et il affirme que le rapport de l’intellect agent avec l’intellect possible ne consiste pas à être la forme de celui-ci, mais à être un artisan par rapport à une matière ; et les espèces intelligées abstraites des fantasmes sont pour ainsi dire la forme de l’intellect possible. L’intellect en habitus est réalisé par ces deux choses. Par cette position, il s’efforce d’échapper aux inconvénients qui se présentent à Thémistius. Premièrement, parce qu’il montre qu’il n’est pas nécessaire que, même si l’intellect agent est éternel et [l’intellect] qui reçoit sont éternels – à savoir, l’intellect possible ‑, les formes soient éternelles, à savoir, les espèces intelligibles. En effet, de même que l’espèce visible a un double sujet : l’un, dans lequel elle possède un être spirituel, la vue, et l’autre, dans lequel elle possède un être matériel, le corps coloré, de même aussi l’espèce intelligible possède-t-elle un double sujet : l’un, dans lequel elle possède un être matériel, les fantasmes eux-mêmes qui se trouvent dans l’imagination [corr. imagine/imaginatione], et, selon cet être, ces espèces ne sont pas éternelles ; l’autre, dans lequel elle possède un être immatériel, l’intellect possible, et selon ce sujet, [les espèces intelligibles] ne sont pas telles qu’elles puissent être engendrées et corrompues. Mais cette réponse ne semble pas en être une. En effet, de même que ce n’est pas numériquement la même espèce qui se trouve sur un mur et qui se trouve dans l’œil, de même n’est-ce pas numériquement la même espèce qui se trouve dans l’imagination et dans l’intellect possible. Il reste donc encore que l’espèce qui se trouve dans l’intellect possible possède un seul sujet, et celle qui se trouve dans l’imagination, susceptible d’être engendrée et corrompue, est numériquement autre ; à moins qu’on ne dise qu’elles sont simplement éternelles, mais non chez celui en qui les fantasmes n’existent pas éternellement, et dont les similitudes se trouvent dans l’intellect possible. Toutefois, comme aucun fantasme n’est éternel, il en découlerait encore que les espèces qui existent éternellement dans l’intellect possible ne seraient pas abstraites de fantasmes, et cela va à l’encontre de l’intention et des paroles du Philosophe. Deuxièmement, [le Commentateur] s’efforce de démontrer qu’il ne découle pas de cette position qu’il n’y a pour tous les hommes qu’un seul être et une seule opération, selon lesquels tous agissent également. En effet, il dit que, puisque l’espèce intelligée a en quelque sorte avec l’intellect possible un rapport de forme à matière, pour autant qu’un seul être complet est en quelque manière réalisé à partir d’eux, son union avec nous s’effectue par ce qui est formel dans cette union, à savoir, par l’espèce intelligée (dont il dit que le seul sujet est l’imagination, qui existe en nous), et par l’intellect possible lui-même. Aussi, puisque les fantasmes sont différents chez les différents hommes, l’intellect possible est uni aux différents hommes par une union différente. De ce fait, les hommes possèdent un être différent ; de ce fait aussi, l’un connaît ce qu’un autre ignore, car, par l’espèce intelligée, [l’intellect possible] est uni à l’un comme il n’est pas uni à un autre, bien que certaines intentions soient intelligées, telles les premières conceptions de l’intellect, par lesquelles [l’intellect possible] est uni à tous : l’intellect possible n’en est jamais dépouillé, elles existent éternellement chez les hommes, comme il le dit lui-même. Aussi conclut-il que ce qu’il y a d’intelligence en nous est en partie corruptible et en partie incorruptible, car, dans la partie où se multiplient les fantasmes, la corruption survient ; mais, du point de vue de l’intellect possible, il y a incorruptibilité. Il découle aussi de cela qu’après la corruption du corps, aucune diversité des âmes ne demeure. Mais ce raisonnement se révèle frivole de plusieurs manières. Premièrement, comme on l’a dit, puisque l’espèce qui est la forme de l’intellect possible, n’est pas numériquement la même dans le fantasme et dans le sujet, mais en est une ressemblance, il en découle que l’intellect ne nous est uni d’aucune manière et qu’ainsi nous n’intelligeons pas par lui. Deuxièmement, parce que l’union de l’intellect à l’espèce intelligée se réalise par une opération de l’intellect qui se rapporte à sa perfection seconde ; aussi est-il impossible que l’homme acquière sa perfection première et son être substantiel par l’intermédiaire d’une telle union. Et ainsi, puisque l’homme possède l’intellect par une telle union, comme on dit, l’homme ne serait pas homme dans une espèce déterminée par le fait qu’il possède l’intellect, car, cet intermédiaire, à savoir l’espèce intelligée, est uni aux deux extrêmes de la manière dont l’accident l’est à son sujet, à savoir la puissance imaginative, et avec l’intellect possible, ce qui va à l’encontre du Philosophe, Métaphysique, VIII, où il dit que l’âme est unie au corps sans intermédiaire, pas même par l’intermédiaire de la science, comme le disait Licophron, ce à quoi semble se ramener cette position. Troisièmement, parce que l’opération ne vient pas de l’objet, mais de la puissance. En effet, ce n’est pas ce qui est visible qui voit, mais la vue. Si donc l’intellect ne nous est uni que par le fait que l’espèce intelligée nous a en quelque manière comme sujet, il en découle que cet homme, à savoir Socrate, n’intellige pas, mais que l’intellect séparé intellige ce qu’il imagine. Et il n’est pas difficile de présenter plusieurs autres absurdités. Aussi, après avoir écarté toutes les erreurs mentionnées, je dis avec Avicenne que l’intellect possible commence à exister dans un corps, mais qu’il ne disparaît pas avec le corps, qu’il est différent chez les différents hommes, et qu’il est multiplié selon la division de la matière chez les divers individus, comme les autres formes substantielles. J’ajoute aussi que l’intellect agent existe différent chez les différents individus. En effet, il ne semble pas probable que n’existe pas dans l’âme raisonnable un principe qui puisse accomplir une opération naturelle, ce qui en découle si on affirme un seul intellect agent, qu’on l’appelle Dieu ou une intelligence. Je ne dis cependant pas que ces deux choses : l’intellect agent et l’intellect possible, sont une seule puissance, portant divers noms selon diverses opérations, car il est impossible de ramener à une même puissance toutes les actions qui se ramènent à des principes contraires. Ainsi, la mémoire est-elle distincte du sens parce que recevoir des espèces sensibles, ce qui relève du sens, et les conserver, ce qui relève de la mémoire, se ramènent à des principes contraires, même à des corps [contraires], à savoir, l’humide et le sec. Puisque recevoir des espèces intelligibles, ce qui relève de l’intellect possible, et les rendre intelligibles en acte, ce qui relève de l’intellect agent, ne peuvent être une même chose – recevoir convient à une chose selon qu’elle est en puissance, et faire, selon qu’elle est en acte –, il est donc impossible que [l’intellect] agent et [l’intellect] possible ne soient pas des puissances différentes. Mais il est difficile de voir comment elles peuvent s’enraciner dans une seule substance. En effet, il ne semble pas qu’il puisse convenir à une seule puissance d’être en puissance par rapport à toutes les formes intelligibles, ce qui relève de l’intellect possible, et d’être en acte par rapport par elles toutes, ce qui relève de l’intellect agent, autrement, il ne pourrait pas rendre toutes les formes intelligibles, puisqu’il n’accomplit rien que selon qu’il est en acte. Toutefois, il faut savoir qu’il n’est pas inapproprié que deux choses existent, dont les deux sont en puissance par rapport à autre chose sous divers aspects. Ainsi, le feu est froid en puissance, ce qui convient à l’eau en acte ; et l’eau est chaude en puissance, ce qui convient au feu en acte. Ainsi agissent-ils et sont-ils réceptifs réciproquement. De la même manière, je dis que le rapport entre une chose sensible et l’âme intellective est le même. En effet, la chose sensible est intelligible en puissance et possède en acte une nature distincte ; cependant, la lumière intellectuelle existe en acte dans l’âme, mais la détermination de la connaissance à telle ou telle nature existe en puissance, comme la pupille est en puissance par rapport à telle ou telle couleur. Aussi l’âme possède-t-elle une puissance par laquelle elle rend les espèces sensibles intelligibles en acte : c’est l’intellect agent ; et elle possède une puissance par laquelle elle est en puissance d’être actualisée par la connaissance déterminée de l’espèce d’une chose sensible, rendue intelligible en acte : cette capacité ou puissance est appelée intellect possible. Toute notre intellection découle des opérations de ces deux puissances, tant celle des principes que celle des conclusions. Aussi apparaît-il que ce que certains disent est faux : que l’habitus des principes est l’intellect agent.

 

[4971] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intellectus non negatur esse forma materialis quin det esse materiae sicut forma substantialis quantum ad esse primum; et ideo oportet quod ad divisionem materiae, quae causat diversa individua, sequatur etiam multiplicatio intellectus, idest animae intellectivae. Sed dicitur immaterialis respectu actus secundi, qui est operatio: quia intelligere non expletur mediante organo corporali, et hoc contingit quia ab essentia animae non exit operatio nisi mediante virtute ejus vel potentia; unde cum habeat quasdam virtutes quae non sunt actus aliquorum organorum corporis, oportet quod quaedam operationes animae sint non mediante corpore.

1. On ne nie pas que l’intellect soit une forme matérielle, de sorte qu’il donne l’être à la matière en tant que forme substantielle, pour ce qui est de l’être premier. C’est pourquoi il est nécessaire qu’une multiplication de l’intellect, à savoir, de l’âme intellective, découle de la division de la matière. Mais on dit qu’elle est immatérielle pour ce qui est de son acte second, qui est l’opération, car intelliger ne s’accomplit pas par l’intermédiaire d’un organe corporel, et cela se produit parce l’opération n’est issue de l’essence de l’âme que par l’intermédiaire de sa puissance ou capacité. Puisqu’elle possède certaines puissances qui ne sont pas des actes d’organes corporels, il est donc nécessaire que certaines opérations de l’âme existent sans la médiation du corps.

 

[4972] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quandocumque conjunguntur duo quorum unum est potentius altero, et trahit ad se illud, habet aliquam virtutem praeter illud quod sibi subjicitur; ut patet in flamma; quia ignis vincens vaporem cui conjungitur, habet virtutem illuminandi, ultra quam possit se extendere actio vaporis incensi calefaciendo. Cum ergo in conjunctione formae ad materiam forma inveniatur dominans; quanto forma est nobilior, et magis vincens materiam, tanto magis poterit habere virtutem praeter conditionem materiae. Unde quaedam corpora mixta praeter virtutes qualitatum activarum et passivarum, quae tenent se ex parte materiae, habent quasdam virtutes quae consequuntur speciem, ut quod magnes attrahit ferrum: et magis hoc invenitur in plantis, ut patet in augmento quod terminatur per virtutem animae, quod non posset esse per virtutem ignis, ut dicitur 2 de anima: et hoc adhuc invenitur plus in animalibus, quia sentire omnino est supra virtutem qualitatum elementarium: et perfectissime in anima rationali, quae est nobilissima formarum; et ideo ipsa habet quasdam virtutes in quibus nullo modo communicat corpus, et quasdam in quibus communicat.

2. Parfois, deux choses sont unies, dont l’une est plus puissante que l’autre, attire l’autre à elle-même et possède une puissance qui dépasse ce qui lui est soumis, comme cela ressort pour la flamme, car le feu, l’emportant sur la vapeur à laquelle il est uni, possède la puissance d’éclairer, au-delà de laquelle l’action de la vapeur consumée peut s’étendre en réchauffant. Puisque, lors de l’union d’une forme à une matière, on trouve que la forme l’emporte, plus une forme est noble et l’emporte sur la matière, plus grande sera sa puissance par-delà la condition de la matière. Aussi certains corps mixtes, en plus des puissances de leurs qualités actives et passives, qu’ils tiennent de la matière, possèdent-ils certaines puissances qui découlent de leur espèce ; ainsi, l’aimant attire le fer. Et on trouve cela surtout chez les plantes, comme cela apparaît dans la croissance qui est achevée par la puissance de l’âme, ce qui ne pourrait venir de la puissance du feu, comme on le dit dans Sur l’âme, II. On trouve cela encore davantage chez les animaux, car sentir dépasse tout à fait la puissance des qualités élémentaires. Et [on trouve cela] de la manière la plus parfaite dans l’âme raisonnable, qui est la plus noble des formes. Aussi possède-t-elle certaines puissances qu’elle n’a pas du tout en commun avec le corps, et certaines qu’elle a en commun.

 

[4973] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum Avicennam species intellecta potest dupliciter considerari: aut secundum esse quod habet in intellectu, et sic habet esse singulare; aut secundum quod est similitudo talis rei intellectae, prout ducit in cognitionem ejus; et ex hac parte habet universalitatem: quia non est similitudo hujus rei secundum quod haec res est, sed secundum naturam in qua cum aliis suae speciei convenit. Nec oportet omne singulare esse intelligibile tantum in potentia (sicut patet de substantiis separatis), sed in illis quae individuantur per materiam, sicut sunt corporalia: sed species istae individuantur per individuationem intellectus; unde non perdunt esse intelligibile in actu; sicut intelligo me intelligere, quamvis ipsum meum intelligere sit quaedam operatio singularis. Patet etiam per se, quod secundum inconveniens non sequitur: quia alius individuationis modus est per intellectum et per materiam primam.

3. Selon Avicenne, l’espèce intelligée peut être envisagée de deux manières : soit selon l’être qu’elle a dans l’intellect, et ainsi elle possède un être singulier ; soit selon qu’elle est une ressemblance de telle chose intelligée, en tant qu’elle en exprime la connaissance ; de ce point de vue, elle possède une universalité, car elle n’est pas une ressemblance de cette chose selon que cette chose existe, mais selon la nature que [cette chose] possède en commun avec les autres choses de son espèce. Et il n’est pas nécessaire que toute réalité singulière soit intelligible en puissance seulement (comme cela ressort pour les substances séparées), mais chez celles qui sont individuées par la matière, comme le sont les réalités corporelles ‑ mais ces espèces sont individuées par l’individuation de l’intellect. Aussi ne perdent-elles pas leur être intelligible en acte. Ainsi, je m’intellige en train d’intelliger, bien que cet acte de m’intelliger soit une opération singulière. Il est aussi de soi clair que le second inconvénient n’en découle pas, car le mode d’individuation par l’intellect et celui par la matière première sont différents.

 

[4974] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut Commentator etiam dicit in 3 de anima, illud quod est receptivum aliquorum, non oportet quod sit privatum qualibet natura determinata, sed quod sit denudatum a natura receptorum, sicut pupilla a natura colorum: et ideo intellectum possibilem necesse est habere naturam determinatam; sed ante intelligere, quod est per receptionem speciei, non habet in natura sua aliquid eorum quae a sensibilibus recipit: et hoc est quod dicitur, quod nihil est eorum quae sunt.

4. Comme le Commentateur le dit dans Sur l’âme, III, il n’est pas nécessaire que ce qui reçoit certaines choses soit privé de toute nature déterminée, mais qu’il soit dépouillé de la nature de ce qu’il reçoit, comme la pupille l’est de la nature des couleurs. Aussi est-il nécessaire que l’intellect possible possède une nature déterminée, mais, avant d’intelliger, ce qui se réalise par la réception de l’espèce, il ne possède dans sa nature rien de ce qu’il reçoit des réalités sensibles. C’est ce qui est dit : « Il n’est rien de ce qui existe. »

 

[4975] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis anima non habeat materiam partem sui ex qua sit, habet tamen materiam in qua est, cujus perfectio est; ad ejus enim divisionem multiplicatur secundum numerum, et non secundum speciem. Secus autem est in illis substantiis immaterialibus quae non habent etiam materiam cujus sint formae: quia in eis nulla materialis multiplicatio esse potest, sed tantum formalis, quae diversitatem speciei inducit.

5. Bien que l’âme n’ait pas de matière comme partie d’elle-même par laquelle elle existe, elle a cependant une matière dans laquelle elle existe, dont elle est la perfection. Selon sa division, elle est multipliée en nombre, et non selon l’espèce. Il en va autrement des substances immatérielles qui n’ont même pas de matière dont elles sont les formes, car il ne peut y avoir chez elles aucune multiplication matérielle, mais seulement formelle, qui entraîne la diversité d’espèce.

 

 

 

 

Articulus 2 [4976] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 tit. Utrum animae fuerint creatae extra corpora

Article 2 – Les âmes ont-elles été créées en dehors des corps ?

 

[4977] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod animae fuerint creatae extra corpora. Genes. 2, 2, dicitur, quod die septimo requievit Deus ab omni opere quod patrarat, idest cessavit aliquod opus novum facere. Sed novum opus est quod nec in se unquam fuit, nec in materia praecessit. Cum ergo anima immaterialis sit, et non possit dici quod secundum materiam praecesserit in operibus sex dierum, videtur quod ipsa in se praecesserit: alias Deus novum opus faceret in animae creatione. Ergo videtur quod animae extra corpora creatae fuerunt, cum corpora singularium ab initio non fuerint.

1. Il semble que les âmes aient été créées en dehors des corps. Il est dit en Gn 2, 2, que, le septième jour, Dieu se reposa de toutes les œuvres qu’il avait réalisées, c’est-à-dire qu’il cessa de réaliser toute œuvre nouvelle. Or, une œuvre nouvelle est celle qui n’a jamais existé en elle-même, et qui n’a pas non plus existé au préalable dans la matière. Puisque l’âme est immatérielle et qu’on ne peut dire qu’elle a précédé selon la matière dans les œuvres des six jours, il semble qu’elle ait précédé en elle-même, autrement Dieu réaliserait une œuvre nouvelle par la création de l’âme. Il semble donc que les âmes aient été créées en dehors des corps, puisque, au départ, il n’existait pas de corps pour chacune.

 

[4978] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 2 Si dicas, quod quamvis anima non praecesserit in materia in operibus sex dierum, praecessit tamen quantum ad rationem seminalem; contra. Si ratio seminalis animae praecesserit, oportet quod in aliqua creatura praecesserit, vel corporali, vel spirituali. Sed illud in quo est ratio seminalis alicujus rei, est effectivum ejus: unde philosophus in 2 Physic. ponit semen in genere causae efficientis. Ergo vel Angelus esset factor animae, ut philosophi quidam posuerunt, quod falsum est; vel aliqua creatura corporalis, quod est magis falsum. Ergo et primum est impossibile.

2. Bien que l’âme n’ait pas précédé dans la matière dans les œuvres des six jours, elle a cependant précédé par une raison séminale. En sens contraire, si la raison séminale de l’âme a précédé, il est nécessaire qu’elle ait précédé dans une créature corporelle ou spirituelle. Or, ce en quoi existe la raison séminale d’une chose est ce qui la réalise ; aussi, en Physique, II, le Philosophe affirme-t-il que la semence fait partie du genre de la cause efficiente. Donc, soit l’ange serait le créateur de l’âme, comme certains philosophes l’ont affirmé, ce qui est faux ; soit une créature corporelle, ce qui est encore plus faux. La première proposition est donc impossible.

 

[4979] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, opus creationis praecedit distinctionem et ornatum. Sed anima educitur in esse per creationem. Ergo non incipit esse post opera sex dierum, in quibus res distinctae et ornatae sunt; et sic idem quod prius.

3. L’œuvre de la création précède l’œuvre de la différenciation et de l’embellissement. Or, l’âme est amenée à l’être par création. Elle ne commence donc pas à exister après les œuvres des six jours, par lesquelles les choses ont été différenciées et embellies. La conclusion est donc la même que précédemment.

 

[4980] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne illud quod non dependet ab altero secundum suum esse, potest incipere non incipiente illo. Sed anima rationalis non dependet ex corpore secundum suum esse, cum destructo corpore remaneat. Ergo non videtur inconveniens ponere animas extra corpus creatas.

4. Tout ce qui ne dépend pas d’un autre selon son être peut commencer sans que cet autre commence. Or, l’âme raisonnable ne dépend pas du corps selon son être, puisqu’elle demeure alors que le corps est détruit. Il ne semble donc pas inapproprié d’affirmer que les âmes ont été créées hors du corps.

 

[4981] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, anima et Angelus conveniunt in natura intellectuali. Cum ergo naturae intellectualis conditio sit immaterialitas, videtur quod sicut Angeli ex sua creatione habent quod corpori non uniuntur, similiter animae rationales in sua creatione corpori unitae non sint.

5. L’âme et l’ange ont en commun la nature intellectuelle. Puisque la condition de la nature intellectuelle est l’immatérialité, il semble donc que, de même que les anges possèdent par leur création de ne pas être unis à un corps, de même les âmes raisonnables n’ont-elles pas été unies à un corps lors de leur création.

 

[4982] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, magis pertinet ad perfectionem universi natura spiritualis quam corporalis. Si ergo animae rationales quotidie de novo creentur, videtur quod a principio universum perfectum non fuerit, et quod quotidie ejus perfectioni adjiciatur: cujus contrarium habetur Genes. 2, 1: igitur perfecti sunt caeli et terra, et omnis ornatus eorum.

6. La nature spirituelle concerne davantage la perfection de l’univers que la [nature] corporelle. Si donc les âmes raisonnables étaient de nouveau créées tous les jours, il semble que l’univers n’aurait pas été parfait dès son commencement, et qu’il serait ajouté à sa perfection tous les jours. On lit le contraire en Gn 2, 1 : Le ciel et la terre ont été achevés, et tous leurs ornements.

 

[4983] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, proprius actus est in propria potentia. Sed anima rationalis est proprius actus corporis. Ergo videtur quod non sit nisi in corpore.

Cependant, [1] un acte propre existe dans une puissance propre. Or, l’âme raisonnable est l’acte propre du corps. Il semble donc qu’elle n’existe pas sans le corps.

 

[4984] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, terminus motus nunquam praecedit motum, praecipue in generatione. Sed anima est terminus generationis humanae, sicut quaelibet alia substantialis forma rei generatae. Ergo ante generationem corporis anima esse non potuit.

[2] Le terme d’un mouvement ne précède jamais le mouvement, surtout dans la génération. Or, l’âme est le terme de la génération humaine, comme toute autre forme substantielle d’une chose engendrée. Avant la génération du corps, l’âme ne pouvait donc pas exister.

 

[4985] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quorumdam antiquorum opinio fuit animas esse extra corpora a principio creatas: cujus erroris occasio fuit quod animam corpori uniri posuerunt quasi accidentaliter, sicut nautam navi, vel sicut hominem indumento, ut de Platone Gregorius Nyssenus narrat: unde dicebat, hominem esse animam corpore indutam: et ideo etiam, secundum Pythagoricos, de corpore in corpus transibat. Hoc autem Aristoteles reprobat, ostendens animam, cum det esse substantiale et specificum in tali corpore, habere essentialem habitudinem ad corpus, intantum quod anima quae dat esse uni corpori, aliud perficere non possit. Similiter Avicenna istum errorem reprobat satis efficaci ratione, supposita animae immaterialitate. Impossibile est enim diversitatem in numero sub eadem specie causari nisi ex diversitate materiae: quia ad diversitatem formalium principiorum sequitur diversitas specierum. Si ergo anima, ut dictum est, non habeat materiam ex qua sit, non possunt plures animae unius speciei esse diversae numero, nisi per diversitatem materiae in qua sunt. Unde si ante corpus creatae fuissent, oportuisset eas vel esse diversas in specie, et sic omnes homines specie differre ex diversitate formarum: aut quod esset una tantum numero, et sic rediret error tactus in praecedenti articulo. Augustinus tamen dicit, 7 super Genes., animam primi hominis creatam esse ante formationem corporis; quod tamen non asserit.

Réponse. Certains anciens étaient d’avis que les âmes ont été créées au commencement en dehors des corps. L’occasion de cette erreur était qu’ils avaient affirmé que l’âme était unie au corps pour ainsi dire comme par accident, comme le marin au navire ou comme l’homme à son vêtement, ainsi que le raconte Grégoire de Nysse à propos de Platon. Aussi disait-il que l’âme était revêtue par le corps ; et aussi, en conséquence, qu’elle passait d’un corps à un autre, selon les Pythagoriciens. Mais Aristote repousse cela en montrant que l’âme, puisqu’elle donne un être substantiel et spécifique en tel corps, possède un rapport essentiel au corps, au point où l’âme qui donne l’être à un corps ne peut pas en perfectionner un autre. De même, Avicenne repousse-t-il cette erreur par un raisonnement assez efficace, en supposant l’immatérialité de l’âme. En effet, il est impossible qu’une diversité numérique à l’intérieur d’une même espèce soit causée autrement que par la diversité de la matière, car la diversité des espèces découle de la diversité des principes formels. Si donc l’âme, comme on l’a dit, n’a pas de matière par laquelle existe, il ne peut exister plusieurs âmes d’une seule espèce que par la diversité de la matière dans laquelle elles existent. Si donc elles avaient été créées avant le corps, il aurait fallu ou bien qu’elles soient d’espèce différente ‑ et ainsi, que tous les hommes soient différents en raison de la diversité de leurs formes ; ou bien qu’elle soit unique – et ainsi réapparaîtrait l’erreur abordée dans l’article précédent. Toutefois, Augustin dit, dans son Commentaire littéral de la Genèse, VII, que l’âme du premier homme a été créée avant la formation de son corps, ce qu’il n’affirme cependant pas.

 

[4986] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pro tanto Deus dicitur ab opere septima die cessasse, quia nihil postea fecit quod non aliquo modo in primis operibus praecesserit vel secundum materiam et rationem seminalem, sicut corpora quae de novo generantur; vel secundum similitudinem, sicut animae quae de novo creantur. Sciendum autem, quod similitudo animae praecessit etiam in opere creationis aliquo modo, cum omnia simul creata legantur, ut Eccli. 18 dicitur: sed haec similitudo fuit in natura communi, in qua anima et Angelus conveniunt, scilicet in intellectuali. Praecessit etiam in operibus sex dierum hujus animae quae nunc creatur, similitudo in specie; quia inter alia sex dierum opera etiam homo creatus est, rationali anima perfectus secundum alios sanctos; quamvis secundum Augustinum, fuerit in illis sex diebus factus homo quantum ad materiam et rationem seminalem ratione corporis; ratione vero animae, ipsa primi hominis anima fuerit in se facta.

1. On dit que Dieu a cessé de travailler le septième jour parce qu’il n’a rien fait qui n’ait précédé d’une certaine manière dans ses premières œuvres, soit selon la matière, ou par une raison séminale, comme les nouveaux corps engendrés, soit selon une ressemblance, comme les nouvelles âmes créées. Il faut cependant savoir que la ressemblance de l’âme a aussi précédé, d’une certaine manière, dans l’œuvre de la création, puisqu’on lit que tout a été créé en même temps, comme le dit Si 18, 1. Mais c’était une ressemblance selon une nature commune, dans laquelle l’âme et les anges se rejoignent, à savoir, [la nature] intellectuelle. Une similitude selon l’espèce a aussi précédé dans les œuvres des six jours les âmes qui sont maintenant créées, car, parmi les autres œuvres des six jours, l’homme a aussi été créé, perfectionné par une âme raisonnable, selon d’autres saints, bien que, selon Augustin, l’homme ait été créé quant à sa matière et quant à sa raison séminale en raison de son corps ; mais, pour ce qui est de son âme, l’âme même du premier homme a été créée en lui.

 

[4987] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet responsio ad secundum: quia concedimus quod ratio seminalis animae, ejus creationem in nulla creatura praecedat.

2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire, car nous concédons que la raison séminale de l’âme ne précède sa création dans aucune créature.

 

[4988] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quaedam creatio est quae non praesupponit materiam nec ex qua nec in qua illud quod creatur fiat; et talis est creatio quae distinctionem et ornatum praecessit. Sed creatio animae quamvis non sit ex materia, tamen praeexigit materiam in qua creatur. Et quia illa materia non potest disponi ut efficiatur propria, nisi per actionem naturae, ideo talis creatio sequitur distinctionem et ornatum, secundum quae principia activa in natura constituta sunt, ut prius dictum est.

3. Une certaine création ne présuppose pas de matière ni à partir de laquelle, ni dans laquelle ce qui est créé devient : telle est la création qui a précédé la différenciation et l’embellissement. Mais la création de l’âme, bien qu’elle ne vienne pas de la matière, exige cependant une matière dans laquelle celle-ci est créée. Parce que cette matière ne peut être disposée de manière à devenir propre que par l’action de la nature, une telle création découle donc de la différenciation et de l’embellissement, selon les principes actifs qui ont été établis dans la nature, comme on l’a dit antérieurement.

 

[4989] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut Avicenna dicit, anima quamvis non dependeat a corpore quantum ad suum esse vel quantum ad suum finem, dependet tamen quodammodo quantum ad suum principium. Cujus ratio est, quia cum universalia non habeant aliquod esse nisi in anima, oportet quod quidquid in esse naturae producitur, producatur secundum hoc quod individuatur. Cum ergo anima esse individuatum non possit habere nisi secundum quod conjungitur corpori ut forma ejus, ut probatum est, oportet quod non incipiat esse nisi in corpore; sed tamen in corpore acquiritur sibi esse absolutum, non depressum vel obligatum ad corpus: et ideo etiam post destructionem corporis manet secundum suum esse individuata et distincta ab alia anima.

4. Comme le dit Avicenne, bien que l’âme ne dépende pas du corps quant à son être ou quant à sa fin, elle [en] dépend cependant, d’une certaine manière, pour ce qui est de son commencement. La raison en est que, puisque les universaux n’ont d’existence que dans l’âme, il est nécessaire que tout ce qui est amené à l’être de nature soit amené selon ce qui est individué. Puisque l’âme ne peut avoir d’être individuel qu’en étant unie à un corps en tant que sa forme, comme on l’a démontré, il est donc nécessaire qu’elle ne commence à être que dans un corps ; toutefois, elle acquiert dans le corps son être absolu, et non pas diminué ou lié au corps. C’est pourquoi, après la destruction du corps, elle demeure individuée et distincte d’une autre âme dans son être.

 

[4990] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod anima et Angelus in hoc conveniunt quod utrumque est substantia subsistens, esse absolutum habens, et quod materiam partem sui non habent; ex quibus consequitur intellectualitas in utroque: in hoc tamen differunt quod cum natura angelica sit sublimior et Deo propinquior, acquiritur sibi esse altius, in cujus participationem nullo modo corpus adduci potest, ac per hoc nec Angelus potest forma corporis esse; sed animae acquiritur esse inferius et minus nobile, in quo corpus sibi unitur, ut unum sit animae esse et corporis, quod est esse conjuncti: et ideo est forma corporis, et individuatio sua est ex unione ejus ad corpus: et de hoc etiam in 1 Lib., dist. 8, habitum est.

5. L’âme et l’ange ont en commun d’être tous deux des substances subsistantes, possédant un être absolu, et de ne pas avoir de matière comme partie d’elles-mêmes. L’intellectualité en découle chez les deux. Mais ils diffèrent cependant en ce que, la nature angélique étant plus élevée et plus proche de Dieu, elle obtient un être plus élevé, auquel le corps ne peut d’aucune manière être amené à participer ; ainsi, l’ange ne peut pas non plus être forme du corps. Mais l’âme acquiert un être inférieur et moins noble, dans lequel le corps lui est uni, de telle sorte que l’âme et le corps ne forment qu’un seul être, qui est l’être du composé. C’est pourquoi elle est la forme du corps et son individuation vient de son union au corps. Cette question a été abordée dans le livre I, d.°8.

 

[4991] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod essentialis universi perfectio consistit in speciebus; accidentalis vero in individuis. Cum ergo multiplicatio animarum non sit secundum diversam speciem, sed secundum numerum tantum, relinquitur quod per hoc quod multae animae quotidie creantur, nihil ad essentialem universi perfectionem adjungitur, sed ad accidentalem tantum: et hoc non est inconveniens.

6. La perfection essentielle de l’univers consiste dans les espèces, mais [sa perfection] accidentelle, dans les individus. Puisque la multiplication des âmes ne se réalise pas selon une espèce différente, mais selon le nombre seulement, il reste donc que, par le fait que beaucoup d’âmes sont créées chaque jour, rien n’est ajouté à la perfection essentielle de l’univers, mais à [sa perfection] accidentelle seulement. Et cela n’est pas inapproprié.

 

 

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La formation du corps de l’homme]

 

Prooemium

Prologue

 

[4992] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 pr. Deinde quaeritur de formatione hominis ex parte corporis: et circa hoc quaeruntur duo: 1 de qua natura corpus hominis compositum sit; 2 de loco corporali in quo positus est, scilicet in Paradiso.

On s’interroge ensuite sur la formation de l’homme du point de vue du corps. Deux questions sont posées à ce sujet : 1. De quelle nature le corps de l’homme est-il composé ? 2. À propos du lieu corporel où il a été placé : le Paradis.

 

 

 

 

Articulus 1 [4993] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 tit. Utrum in compositione hominis sit aliquid de natura corporis caelestis

Article 1 – Existe-t-il quelque chose de la nature d’un corps céleste dans la composition de l’homme ?

 

[4994] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in compositione corporis humani sit aliqua pars de natura corporis caelestis. Eidem enim formae debetur idem perfectibile. Sed forma corporis humani convenit in natura intellectuali cum forma separata, quae corpus caeli movet. Ergo videtur quod aliquid de natura caelestis corporis in compositionem humani corporis veniat.

1. Il semble que, dans la composition du corps humain, il y ait une part venant de la nature d’un corps céleste. En effet, à une même forme est due un même sujet de perfectionnement. Or, la forme du corps humain a en commun avec la forme séparée la nature intellectuelle, qui meut le corps du ciel. Il semble donc que quelque chose de la nature corps céleste entre dans la composition du corps humain.

 

[4995] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, impossibile est contraria ad maximam aequalitatem venire, nisi per aliquid concilientur. Sed non potest contraria conciliare nisi quod est a contrarietate remotum, quale est inter corpora solum corpus caeleste. Ergo oportet ad compositionem corporis humani, in quo ad maximam aequalitatem elementa perveniunt, aliquid de natura corporis caelestis advenire.

2. Il est impossible que des contraires parviennent à une même égalité, à moins qu’ils ne soient concilés par quelque chose. Or, seulement ce qui est éloigné du caractère contraire peut concilier des contraires : seul parmi les corps, le corps céleste est tel. Il est donc nécessaire à la composition du corps humain, dans lequel les éléments atteignent la plus grande égalité, que quelque chose de la nature du corps céleste entre en ligne de compte.

 

[4996] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, Avicenna dicit, quod spiritus qui per membra diffunduntur, sunt de natura lucis. Haec autem est natura quinti corporis: unde etiam philosophus dicit in 2 de anima, quod lucidum et diaphanum invenitur in inferioribus corporibus secundum quod communicant cum superiori corpore. Ergo videtur quod in corpore humano sit aliquid de essentia corporis caelestis.

3. Avicenne dit que les esprits répandus dans tous les membres ont la nature de la lumière. Or, celle-ci est la nature du cinquième corps ; aussi, même le Philosophe dit, Sur l’âme, II, que ce qui est lumineux et ce qui est diaphane se trouvent dans les corps inférieurs selon qu’ils ont en commun un corps supérieur. Il semble donc qu’il y ait dans le corps humain quelque chose de l’essence d’un corps céleste.

 

[4997] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, sicut dicit philosophus, oportet quod in semine sit triplex calor: scilicet calor elementaris, scilicet igneus, et caelestis, et vitalis, qui est animae. Sed accidentia indicant naturam, ut in 1 de anima dicitur. Ergo videtur quod praeter naturam elementarem sit etiam in corpore hominis natura caelestis, et natura animae.

4. Comme le dit le Philosophe, il faut qu’il y ait dans la semence trois chaleurs : la chaleur élémentaire, à savoir celle du feu ; la [chaleur] céleste et la chaleur vitale, qui vient de l’âme. Or, les accidents indiquent la nature, comme on le dit dans Sur l’âme, I. Il semble donc que la nature céleste et la nature de l’âme existent dans le corps de l’homme, en plus de la nature élémentaire.

 

[4998] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, homo dicitur minor mundus, quia in eo omnium creaturarum naturae concurrunt. Sed corpus caeleste est maxime pars universi. Ergo videtur quod aliquid de natura illius corporis veniat in compositionem corporis humani.

5. On dit de l’homme qu’il est un microcosme parce que se rejoignent en lui les natures de toutes les créatures. Or, le corps céleste est au plus haut point une partie de l’univers. Il semble donc que quelque chose de la nature de ce corps entre dans la composition du corps humain.

 

[4999] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra, quidquid venit in compositionem corporis humani, est aliquo modo perfectum ab anima. Sed quidquid incipit esse sub aliqua forma substantiali, est generabile et corruptibile; anima vero substantialis forma est. Cum ergo natura corporis caelestis sit incorruptibilis et ingenerabilis, videtur quod ad compositionem corporis humani non veniat.

Cependant, [1] tout ce qui entre dans la composition du corps humain est, d’une certaine manière, perfectionné par l’âme. Or, tout ce qui commence à exister sous une forme substantielle est susceptible d’être engendré et corrompu. Or, l’âme est une forme substantielle. Puisque la nature du corps céleste est incorruptible et inengendrable, il semble donc qu’elle n’entre pas dans la composition du corps humain.

 

[5000] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ut in 1 Cael. et Mun. philosophus dicit, idem est locus naturalis totius corporis et partis ejus. Sed locus corporis caelestis est supra elementa. Ergo nihil de natura illius corporis potest hic esse nisi sicut in loco innaturali, et per motum violentum. Illius autem corporis non potest esse violentus motus, cum motus ejus circularis contrarium non habeat, ut in 1 Cael. et Mund., probatur; cum tamen oporteat motum violentum naturali contrarium esse. Ergo nihil de natura corporis caelestis ad compositionem hominis venit.

[2] Comme le dit le Philosophe dans Sur le ciel et le monde, I, le lieu naturel est le même pour la totalité d’un corps et pour une de ses parties. Or, le lieu naturel du corps céleste est au-desssus des éléments. Rien de la nature de ce corps ne peut donc être ici, si ce n’est dans un lieu qui n’est pas naturel et par un mouvement violent. Or, il ne peut y avoir de mouvement violent de ce corps, puisque son mouvement circulaire n’a pas de contraire, comme on le démontre dans Sur le ciel et le monde, I, alors qu’un mouvement violent contraire au [mouvement] naturel doit être contraire. Rien de la nature du corps céleste n’entre donc dans la composition de l’homme.

 

[5001] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod aliquid venire in compositionem alicujus contingit dupliciter. Aut per essentiam suam per modum principii materialis vel formalis; et sic nullo modo aliquid de natura corporis caelestis venit in compositionem humani corporis. Quia quod plura corpora veniant ad constitutionem unius, hoc non potest esse nisi tribus modis: vel per simplicem aggregationem, sicut ex lapidibus fit acervus: vel per compositionem, quae est cum ordine partium determinato et ligamento sicut ex lignis et lapidibus fit domus: vel per mixtionem, sicut ex elementis efficitur mixtum. Nullo autem istorum modorum potest aliqua pars de natura caelestis corporis in compositionem humani corporis venire: quia in primis duobus modis oportet unamquamque partium esse distinctam secundum situm ab alia; non autem videmus hoc in compositione humani corporis, quod sit ibi aliquid de natura corporis caelestis, ab aliis, scilicet elementis, secundum situm distinctum: in tertio autem modo oportet adesse alterationem componentium, quia mixtio est miscibilium alteratorum unio, ut in 1 de Gener. dicitur; natura autem caelestis inalterabilis est. Alio autem modo venit aliquid in compositionem alicujus per effectum virtutis suae; et hoc modo natura corporis caelestis venit in compositionem corporis humani, et omnium mixtorum corporum: quia nihil consequitur formam substantialem nisi per virtutem caelestem, eo quod corpus caeli est primum alterans, cujus virtute omnes alterationes regulantur, et ad fines proprios perducuntur. Quidam tamen dicunt, aliquid de natura corporis caelestis venire in compositionem humani corporis essentialiter, quasi concilians elementa; et hoc dicunt esse lucem, quam ponunt corpus esse. Sed haec positio falso fundamento innititur, dum ponit lucem esse corpus, ut supra dictum est, quo remoto veritatem haberet quodammodo: quia, ut supra dictum est, virtutes corporum caelestium participantur ab inferioribus corporibus mediante luce. Nec tamen adhuc esset de compositione humani corporis corpus caelestis naturae: quia illa lux non est forma substantialis corporis humani, sed aliquo modo est causa ejus; et de hoc supra dictum est, distinct. 13.

Réponse. Entrer dans la composition de quelque chose se produit de deux manières. Soit par son essence, par mode de principe matériel ou formel ; rien de la nature du corps céleste n’entre ainsi dans la composition du corps humain, car le fait que plusieurs corps entrent dans la constitution d’un seul ne peut se faire que de trois manières : par simple aggrégation, comme un amas est fait de pierres ; par composition, qui est réalisée par l’ordre déterminé entre les parties et ce qui les relie, comme lorsqu’une maison est faite de bois et de pierres ; par mélange, comme lorsqu’une mixture est réalisée à partir d’éléments. D’aucune de ces manières une partie de la nature du corps céleste ne peut entrer dans la composition du corps humain, car, pour les deux premières manières, il est nécessaire que chacune des parties soit distincte d’une autre par son emplacement. Or, nous ne voyons pas dans la composition du corps humain qu’il y ait quelque chose de la nature du corps céleste, qui y soit distinct des autres éléments par l’emplacement. Dans la troisième manière, il faut qu’il y ait une altération des composantes, car le mélange est l’union de ce qui peut être mélangé avec autre chose, comme on le dit dans Sur la génération, I. Or, la nature céleste est inaltérable. Mais une chose entre dans la composition d’une autre chose par l’effet de sa puissance. De cette manière, le corps céleste entre dans la composition du corps humain et de tous les corps mixtes, car rien de découle d’une forme substantielle que par la puissance céleste, du fait que le corps du ciel est le premier agent d’altération, par la puissance duquel toutes les altérations sont régies et sont amenées à leurs fins propres. Toutefois, certains disent que quelque chose de la nature du corps céleste entre de manière essentielle dans la composition du corps humain pour concilier les éléments : ils disent que c’est la lumière, dont ils disent qu’elle est un corps. Mais cette position s’appuie sur un fondement faux dès lors qu’elle affirme que la lumière est un corps, comme on l’a dit plus haut. Si cela était écarté, elle comporterait une part de vérité, car, ainsi qu’on l’a dit plus haut, les corps inférieurs participent aux puissances des corps célestes par l’intermédiaire de la lumière. Cependant, elle n’entrerait pas dans la composition du corps humain, car cette lumière n’est pas la forme substantielle du corps humain, mais elle en est la cause d’une certaine manière. On a parlé de cela plus haut, d. 13.

 

[5002] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima quae movet corpus humanum, non est ejusdem speciei cum natura quae movet corpus caeleste, quamvis sit simillima sibi inter omnes formas naturales. Unde non oportet quod aliquid de caelesti corpore sit essentialiter pars humani corporis, sed quod humanum corpus maxime caelo similetur: quod contingit in hoc quod est temperatissimae complexionis, et maxime recedens a contrarietate, dum ad medium pervenit, quod neutrum est contrariorum.

1. L’âme qui meut le corps humain n’appartient pas à la même espèce que la nature qui meut le corps céleste, bien qu’elle en soit la plus semblable parmi toutes les formes naturelles. Il n’est donc pas nécessaire que quelque chose du corps céleste fasse essentiellement partie du corps humain, mais que le corps humain ressemble au plus haut point au ciel ; cela se produit du fait qu’il a une complexion très tempérée et très éloignée d’un caractère contraire, puisqu’il atteint un milieu, ce qui n’est le cas d’aucun des contraires.

 

[5003] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad illam elementorum conciliationem sufficit effectus virtutis caelestis; unde non oportet corpus caeleste compositionem humani corporis essentialiter ingredi.

2. L’effet de la puissance céleste suffit à la conciliation des éléments. Aussi n’est-il pas nécessaire que le corps céleste entre de manière essentielle dans la composition du corps humain.

 

[5004] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non oportet omne quod est lucidum, pertinere ad naturam quintae essentiae, nisi per similitudinem et convenientiam quamdam. Unde quanto corpus fuerit nobilius, tanto magis participat proprietates ejus; unde in igne est plus de luce quam in aere, et sic deinceps. Non ergo intendit Avicenna dicere spiritus esse de natura quintae essentiae, cum post ipse dicat ex quibusdam cibis vel potibus subtiliores et clariores spiritus generari.

3. Il n’est pas nécessaire que tout ce qui est lumineux appartienne à la nature de la quinte essence, si ce n’est par une certaine ressemblance et un certain rapprochement. Plus un corps sera noble, plus il participe donc à ses propriétés ; ainsi, dans le feu, il y a plus de lumière que dans l’air, et ainsi de suite. Mais Avicenne n’a pas l’intention de dire que l’esprit fait partie de la quinte essence, puisque par la suite il dit lui-même à partir de quels aliments ou de quels breuvages plus subtils et plus clairs les esprits sont engendrés.

 

[5005] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in semine non est calor caelestis corporis, qui sit in corpore caelesti sicut in subjecto: sic enim sequeretur corpus caeleste in semine esse, sed quod virtus corporis caelestis operatur in semine, sicut virtus motoris primi relinquitur in instrumento.

4. Il n’y a pas de chaleur du corps céleste dans la semence, qui serait dans le corps céleste comme dans son sujet. En effet, il en découlerait que le corps céleste se trouve dans la semence, mais que la puissance du corps céleste agit dans la semence comme la puissance du premier moteur persiste dans un instrument.

 

[5006] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non omnia veniunt in compositionem humani corporis per essentiam, sed per similitudinem et convenientiam quamdam, ut dicit Gregorius, quod homo intelligit cum Angelis, vivit cum arboribus et sic de aliis.

5. Tout n’entre pas dans la composition du corps humain par essence, mais par une certaine ressemblance et un certain rapprochement. Ainsi Grégoire dit que « l’homme intellige avec les anges, vit avec les arbres, et ainsi de suite ».

 

 

 

 

Articulus 2 [5007] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 tit. Utrum Paradisus in quo fuit Adam possit esse locus corporalis

Article 2 – Le Paradis dans lequel Adam était peut-il être un lieu corporel ?

 

[5008] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Paradisus de quo fit hic mentio, locus corporalis esse non possit. Homo enim ab aliis animalibus in re corporali non distinguitur, cum quibus vitam et sensum communicat, sed in re spirituali, scilicet intellectu. Cum ergo ab aliis animalibus in Paradiso dicatur distingui, quia alia animalia ibi posita non fuerunt, videtur quod Paradisus sit locus tantum spiritualis.

1. Il semble que le Paradis mentionné ici ne puisse pas être un lieu corporel. En effet, l’homme ne se distingue pas des animaux, avec lesquels il a en commun la vie et le sens, par une réalité corporelle, mais par une réalité spirituelle : l’intellect. Puisqu’on dit qu’il se distiguait des autres animaux dans le Paradis, puisque les autres animaux n’y avait pas été placés, il semble donc que le Paradis soit un lieu spirituel seulement.

 

[5009] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, nullus locus terrenus est usque ad lunarem globum pertingens, cum circa lunam sit ignis maxime activus, et extranei corporis consumptivus. Sed in littera dicitur, quod pertingit Paradisus usque ad lunarem globum. Ergo videtur quod non sit locus terrenus, sed spiritualis.

2. Aucun lieu terrestre ne peut atteindre le globe lunaire, puisqu’il y a autour de la lune un feu très actif et capable de consumer un corps extérieur. Or, il est dit dans le texte que le Paradis atteignait le globe lunaire. Il semble donc qu’il ne soit pas un lieu terrestre, mais spirituel.

 

[5010] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, philosophi et historiographi inveniuntur de diversis terrae locis scripsisse. De hoc autem loco nullus unquam scripsit. Ergo videtur probabile quod non sit locus corporalis.

3. On trouve que les philosophes et les historiens ont écrit sur les divers lieux de la terre. Or, personne n’a jamais écrit sur ce lieu. Il semble donc probable qu’il ne soit pas un lieu corporel.

 

[5011] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, Damascenus dicit, quod fons unde dicuntur egredi flumina Paradisi, est ipse Oceanus. Sed Oceanus circuit totam terram, et non aliquem locum determinatum. Ergo videtur quod nullus locus determinatus in terra sit Paradisus.

4. [Jean] Damascène dit que la source dont on dit que sortaient les fleuves du Paradis est l’océan lui-même. Or, l’océan entoure toute la terre, et non pas un lieu déterminé. Il semble donc qu’aucun lieu déterminé de la terre ne soit le Paradis.

 

[5012] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, quatuor flumina quae Scriptura commemorat de Paradiso egredi, ex diversis fontibus emanant. Cum ergo Scriptura de uno fonte qui in Paradiso est, dicat horum fluminum esse originem, videtur quod non possit intelligi de fonte et fluminibus corporalibus, ut nec alia quae de Paradiso dicuntur.

5. Les quatre fleuves dont l’Écriture rappelle qu’ils sortent du Paradis surgissent de sources différentes. Puisque l’Écriture dit d’un fleuve qui se trouve dans le Paradis qu’il est l’origine de ces fleuves, il semble donc qu’on ne puisse entendre cela d’une source et de fleuves corporels, pas davantage que les autres choses qui font partie du Paradis.

 

[5013] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 6 Praeterea, lignum vitae est sapientia, ut dicitur Proverb. 13. Cum igitur sapientia non sit quid corporale, videtur quod nec haec nec alia quae de Paradiso dicuntur, corporaliter accipienda sint.

6. La sagesse est l’arbre de vie, comme le dit Pr 13. Puisque la sagesse n’est pas quelque chose de corporel, il semble donc que les autres choses dont on dit qu’elles font partie du Paradis ne doivent pas être entendues en un sens corporel.

 

[5014] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 7 Praeterea, id quod debetur homini damnato non convenit proprie naturae institutae. Sed agricultura data est in poenam homini damnato: Genes. 3, 19: in sudore vultus tui vesceris pane. Ergo videtur quod non nisi mystice dictum sit, hominem in Paradiso positum, ut operaretur illum.

7. Ce qui est dû à l’homme condamné ne convient pas à proprement parler à la nature créée. Or, la culture de la terre a été donnée comme une peine à l’homme condamné. Gn 3, 19 : Tu te nourriras de pain à la sueur de ton front. Il semble donc qu’il ait été dit seulement au sens mystique que l’homme a été placé au Paradis pour y travailler.

 

[5015] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 arg. 8 Praeterea, ubi nullus invasor timetur, non est necessaria custodia. Sed nullus Paradisum invadere poterat. Ergo non potest proprie intelligi hominem in Paradiso positum ad custodiendum illum.

8. Là où il n’y a aucun envahisseur, la surveillance n’est pas nécessaire. Or, personne ne pouvait envahir le Paradis. On ne peut donc entendre au sens propre que l’homme a été placé au Paradis pour le surveiller.

 

[5016] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod in littera determinatur, et communis Ecclesiae traditio tenet.

Cependant, ce qui est déterminé dans le texte va en sens contraire et la tradition commune de l’Église le soutient.

 

[5017] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod Origenes posuit Paradisum non esse locum aliquem corporalem, sed omnia quae de Paradiso dicuntur, allegorice de Paradiso spirituali interpretanda esse: quod pro errore reprobat Epiphanius Cypri episcopus in quadam epistola per Hieronymum translata. Unde simpliciter concedendum est Paradisum locum quemdam corporalem esse in determinata parte terrae situm, temperatissimum, et amoenum, ut homo nullis perturbationibus impeditus, spiritualibus deliciis quiete frueretur. Hunc autem locum existimant sub aequinoctiali esse versus partem Orientalem, eo quod quidam philosophi locum illum temperatissimum asserunt, ex quo etiam loco Nilus, unus de quatuor fluminibus Paradisi, fluere videtur.

Réponse. Origène affirmait que le Paradis n’était pas un lieu corporel, mais que tout ce qui est dit du Paradis devait être interprété d’un Paradis spirituel. Épiphane, évêque de Chypre, rejette cela comme une erreur, dans une lettre traduite par Jérôme. Il faut donc concéder tout simplement que le Paradis est un lieu corporel, situé dans une partie déterminée de la terre, très tempéré et doux, afin que l’homme, empêché par aucune perturbation, jouisse en paix des délices spirituelles. Or, on estime que ce lieu, sous l’équinoxe, est tourné vers l’Orient, parce que certains philosophes affirment qu’il est très tempéré. Depuis ce lieu encore, le Nil, un des quatre fleuves du Paradis, semble s’écouler.

 

[5018] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam in virtute sensitiva homo alia animalia excedit, quia etiam melioris tactus est, et magis vigent in eo inferiores sensus, ut per eos operatio intellectus melius compleri possit; et ideo etiam ut quietius operationi intellectuali vacaret, locum tranquillum seorsum ab aliis animalibus accepit: non enim probabile est illuc alia animalia pervenire potuisse ex seipsis, nisi aut virtute divina ad tempus, ut quando adducta sunt animalia ad Adam, ut videret quid vocaret ea, ut legitur Genes. 2 (nisi forte hoc per interiorem revelationem factum exponatur), vel etiam operatione Daemonis, ut patet de serpente.

1. L’homme dépasse les autres animaux, même par sa puissance sensible, car il a un meilleur toucher et les sens inférieurs sont plus vigoureux chez lui, afin que l’opération de l’intellect puisse être mieux accomplie. C’est pourquoi il a reçu un lieu tranquille à part des autres animaux, afin de s’adonner plus paisiblement à l’activité intellectuelle. En effet, il n’est pas probable que les autres aient pu y parvenir d’eux-mêmes, à moins qu’au moment opportun les animaux aienet été amenés à Adam par la puissance divine, afin qu’il voie le nom qu’il leur donnerait, Gn 2 (à moins peut-être d’expliquer que cela s’est produit par une révélation intérieure), ou encore par l’action du Démon, comme cela ressort pour le serpent.

 

[5019] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non potest intelligi Paradisus terrestris usque ad lunarem globum se extendere secundum situm, sed secundum quamdam similitudinem propter temperantiam et incorruptionem quae loco illi debebatur, et habitatoribus ejus; a luna vero et supra neque contrarietas neque corruptio est.

2. On ne peut comprendre que le Paradis terrestre s’étendait jusqu’au globe lunaire selon son emplacement, mais selon une certaine ressemblance, en raison du caractère tempéré et de l’incorruptibilité qui revenaient à cet endroit et à ses habitants. Mais, à partir de la lune et au-dessus, il n’existe ni caractère contraire ni corruption.

 

[5020] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod locus ille, ut in littera dicitur, est semotus etiam a nostra habitatione aliquibus impedimentis, ut adiri non possit, vel montibus, vel aquis, vel etiam aeris intemperie in loco intermedio; et ideo ejus notitia haberi non potuit nisi per revelationem Scripturae.

3. Comme le dit le texte, ce lieu est aussi séparé de l’endroit où nous habitons par certains obstacles, de sorte qu’on ne puisse y aller : montagnes, eaux, intempéries dans un lieu intermédiaire. Aussi ne pouvait-on le connaître que par la révélation de l’Écriture.

 

[5021] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod primum principium illorum fluminum, sicut et ceterarum aquarum, est Oceanus: sed principium proximum est fons ille qui in illa parte terrae surgit.

4. La première origine de ces fleuves, comme de toutes les eaux, est l’océan ; mais l’origine rapprochée est cette source qui jaillit dans cette partie de la terre.

 

[5022] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut contingit in quibusdam fluminibus, ut fontes a quibus originem habent, sub terram intrent postquam per aliquod spatium fluxerunt, et iterum in aliis locis erumpant; ita etiam dicit Augustinus, hoc in illis fluminibus contingere, quod primum principium eorum est fons Paradisi, qui in aliquo loco nobis ignoto terram subintrat, et deinde in aliis locis aqua illa erumpit, ubi videtur illorum fluminum esse principium.

5. Comme il arrive pour certains fleuves, dont les sources d’où ils tirent leur origine deviennent souterraines, après avoir coulé pendant un certain temps, et rejaillissent en d’autres endroits, de même Augustin dit que c’était le cas pour ces fleuves : leur première origine est la source du Paradis, qui devient souterraine dans un endroit qui nous est inconnu, cette eau jaillissant ensuite en d’autres endroits, où semble se trouver l’origine de ces fleuves.

 

[5023] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut per Hierusalem significatur praesens Ecclesia, et etiam caelestis patria, et tamen ad litteram Hierusalem civitas quaedam fuit; ita etiam quamvis per lignum vitae sapientia significetur, non removetur quin lignum vitae arbor quaedam ad litteram intelligatur.

6. De même que l’Église est signifiée par Jérusalem, et même la patrie céleste, alors que Jérusalem était une ville au sens littéral, de même aussi, bien que la sagesse soit signifée par l’arbre de vie, il n’est pas exclu qu’on entende par l’arbre de vie un arbre particulier.

 

[5024] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in statu innocentiae non fuisset agricultura laboriosa, sicut est in statu peccati; sed delectabilis, ex consideratione divinae providentiae, et naturalis virtutis.

7. Dans l’état d’innocence, il n’y aurait pas eu de culture pénible du sol, comme dans l’état de péché, mais [une culture] délectable, en prenant en compte la providence divine et la puissance naturelle.

 

[5025] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod homo est positus in Paradiso ad custodiendum ipsum sibi, non contra aliquem invasorem, ne scilicet per peccatum ipsum amitteret. Vel dicendum, quod hoc non sic intelligendum est quasi homo debeat operari Paradisum, vel custodire: sed ideo positus est in Paradiso, ut Deus ibi operaretur hominem, et custodiret eum; sicut enim homo operatur terram ut faciat eam fructiferam, sic Deus operatur hominem ut justus sit, et custodit eum, quia sine ejus adjutorio tutus esse non potest, ut dicit Augustinus.

8. L’homme a été placé au Paradis pour le garder pour lui-même, et non contre un envahisseur, de sorte qu’il ne le perde pas par le péché. Ou bien il faut dire que cela ne doit pas être entendu au sens où l’homme devait travailler ou garder le Paradis ; mais il a été placé au Paradis pour que Dieu y travaille l’homme et le garde. En effet, de même que l’homme travaille la terre pour qu’elle puisse fructifier, de même Dieu travaille l’homme afin qu’il soit juste, et il le garde parce que, sans son aide, il ne peut être en sécurité, comme le dit Augustin.

 

 

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 17

 

[5026] Super Sent., lib. 2 d. 17 q. 3 a. 2 expos. Animam cum Angelis sine corpore fuisse creatam. Haec positio videtur irrationabilis: quia eorum quae sunt unius speciei est etiam unus modus originis; unde si aliae animae in corpore creantur, non potest rationabiliter sustineri quod anima primi hominis extra corpus creata sit. Quamvis Augustinus sine assertione hoc dicat, 7 super Genes. Deo autem natura est quod facit. Ipse enim per naturam suam omnipotens est: ipse etiam naturarum institutor et conditor est: sicut enim ex operatione hominis formae artificiales proveniunt, ita etiam ab intellectu Dei formae naturales profluxere; unde id quod ab eo fit, naturae rationem habet. Si autem ibi aliter futura sunt, potius futura sunt sicut ibi sunt ubi praescit ille qui non potest falli. Hujus ratio est quia causae inferiores impediri possunt, ut non omne contingat quod in eis futurum est; sed scientia Dei falli non potest, et ideo non potest esse ut ipse sciat aliquid futurum quod non sit. Unde nec aquae diluvii illuc pervenerunt. Hoc non tantum fuit propter loci altitudinem quam propter loci puritatem, qui purgatione non indigebat.

 

 

 

 

 

Distinctio 18

Distinction 18 – [L’origine de la femme]

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le corps de la femme a-t-il été fait à partir d’une côte d’Adam ?]

 

Prooemium

Prologue

 

[5027] Super Sent., lib. 2 d. 18 q. 1 pr. Postquam determinavit originem hominis ex parte ipsius viri, hic determinat de origine mulieris, et dividitur in duas partes: in prima de origine ipsius secundum corpus; in secunda de origine ipsius secundum animam, ibi: quemadmodum mulieris corpus de viri corpore traductum fuit, ita putaverunt aliqui ipsius animam de viri anima propagatam. Prima in duas: in prima ostendit modum productionis mulieris ex parte corporis; in secunda inquirit producti corporis principium, ibi: solet etiam quaeri, utrum de costa illa sine adjectione rei extrinsecae facta sit mulier. Circa primum duo facit: primo proponit modum originis; secundo assignat propositorum causas; ubi primo ostendit quare de viro formata sit mulier, ibi: hic attendendum est quare non creavit simul virum et mulierem; secundo quare de tali parte, ibi: cum autem his de causis facta sit mulier de viro, non de qualibet parte corporis viri, sed de latere ejus formata est; tertio quare de viro dormiente, ibi: non sine causa quoque dormienti viro potius quam vigilanti detracta est costa. Solet etiam quaeri, utrum de illa costa sine adjectione rei extrinsecae facta sit mulier. Hic inquirit principia producti corporis: et primo inquirit principium materiale; secundo principium activum, ibi: illud etiam scire oportet, quod, cum Angelorum ministerio facta sit mulieris formatio, non est eis tamen tribuenda creationis potestas. Ubi primo inquirit utrum corpus mulieris productum fuerit per actionem Angeli; secundo utrum per actionem naturae, ibi: sed quaeritur, an ratio quam Deus primis operibus concreavit, id haberet ut secundum ipsam ex viri latere feminam fieri necesse foret; et circa hoc duo facit: primo praemittit quaedam necessaria ad solutionis manifestationem; secundo quaestionis solutionem prosequitur, ibi: omnium rerum causae in Deo sunt. Quemadmodum mulieris corpus de viri corpore traductum fuit, ita putaverunt aliqui ipsius animam de viri anima propagatam. Hic inquirit modum originis mulieris ex parte animae: ubi excludit duas haereses, et astruit veritatem Catholicam, ut per se patet in littera. Hic est duplex quaestio. Prima de productione mulieris ex parte corporis. Secunda de origine animae. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum corpus mulieris de costa viri factum fuerit: et quia dicitur hoc non fuisse factum active per rationes seminales, sed primordiales, 2 quaeritur de differentia harum rationum: et quia ea quae praeter rationes seminales fiunt dicuntur in littera miraculose fieri, 3 quaeritur cujusmodi opera debeant dici miracula.